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D’OCTAVE MIRBEAU À MICHEL HOUELLEBECQ

Il n’est sans doute pas inutile d’expliquer dans quelles circonstances j’ai été amenée à
établir un parallèle (littéraire) entre Octave Mirbeau et Michel Houellebecq.
Premier point, essentiel : ce sont deux auteurs dont j’aime les ouvrages ! Signalons
une connivence toute particulière avec Octave Mirbeau, puisque j’ai la chance d’habiter
depuis deux ans la ville où il est né : Trévières. Cette “cohabitation” m’a naturellement
poussée à relire tout ce que je pouvais trouver de et sur Octave Mirbeau, cela m’amenant
d’ailleurs tout aussi naturellement à faire partie de la Société Octave Mirbeau, qui publie ces
remarquables Cahiers.
Deuxième point : en 2005, Michel Houellebecq est passé très près du prix Goncourt,
avec La Possibilité d’une île, l’absence de ce prix ne m’ayant pas empêchée d’apprécier le
livre, que j’ai trouvé remarquablement “articulé”. Et, à sa lecture, il me venait de curieuses
réminiscences, je pensais souvent à Mirbeau, je m’amusais à tisser des liens entre les deux
auteurs. Une même façon de concevoir la vie et l’être humain, un même regard sur les
femmes, un même amour pour les chiens…
J’ai donc écrit à Michel Houellebecq, pour savoir s’il était d’accord pour que
j’établisse une comparaison entre lui et Mirbeau, comparaison qui pouvait lui déplaire pour
mille raisons ignorées de moi. Il eut la gentillesse de me téléphoner, et me demanda aussitôt si
Octave Mirbeau, qu’il connaissait mal, pouvait être qualifié de « schopenhauerien ». Sur ma
réponse affirmative, il parut satisfait…
J’avais donc un nouveau lien entre Mirbeau et Houellebecq, en la personne de
Schopenhauer. Je relus avec délices certains textes de Schopenhauer, tels que son Essai sur
les femmes, et tout particulièrement L’Art d’avoir toujours raison, qui me permettra donc ici
d’avoir raison ! Il me semblait retrouver dans ses “stratagèmes” la façon même dont Michel
Houellebecq construisait ses livres et plantait à la face du public ses affirmations
provocatrices. Un des premiers textes de Michel Houellebecq s’appelait d’ailleurs Articuler,
car « la structure est le seul moyen d’échapper au suicide ». Et si le premier « stratagème » de
Schopenhauer est « l’extension », il n’est pas indifférent que le premier roman de Houellebecq
s’intitule Extension du domaine de la lutte ».
Enfin, je trouvai, dans la correspondance de Mirbeau (dont les premiers tomes sont
publiés grâce au remarquable travail de Pierre Michel, avec l’aide de Jean-François Nivet), de
nombreuses références à Schopenhauer ; il paraît même qu’il se plaisait à lire à haute voix à
sa femme des extraits de ses textes… sur les femmes, justement !
Nul besoin, sans doute, de redonner ici les grandes dates de la vie de Mirbeau, bien
connues des “mirbeauphiles”. Michel Houellebecq leur étant peut-être moins familier, on se
contentera de dire qu’il est né un 2 février (en 1956 ou en 1958, les opinions divergent…), et
qu’il traça de lui-même ce bref portrait, en 1988 : « Enfance chaotique, déménagements
fréquents. Famille provenant d’un peu partout. Pas de racines précises. Au bout du compte,
élevé par sa grand-mère. Jeunesse studieuse. Études d’ingénieur agronome, sans conviction.
A travaillé, non sans dégoût, dans l’informatique de gestion. »
Les similitudes entre Mirbeau et Houellebecq ne sont pas tant dans le style ou la
forme, que dans la façon de concevoir et d’apprécier (ou plutôt, de ne pas apprécier) la race
humaine, et particulièrement l’espèce féminine. Tous deux décrivent la même incompatibilité
profonde et rédhibitoire, leur semble-t-il, entre les hommes et les femmes dans leurs relations
amoureuses. Dans ces relations, vécues et décrites par eux comme des combats, il y a toujours
un perdant, et c’est l’homme… Dans Le Calvaire, Octave Mirbeau décrit la longue descente
aux enfers de Jean, amoureux de Juliette, qui ne l’aime pas… pas plus d’ailleurs qu’Esther
n’aime Daniel dans La Possibilité d’une île. La même vision schopenhauerienne unit les deux
écrivains, pour qui l’amour serait un leurre, une aspiration à un état finalement inaccessible,
un désir jamais assouvi. Jean et Daniel sont sans force devant Juliette et Esther, et, tandis que
Mirbeau fait dire à Jean de Juliette : « Je l’aimais de tout ce qui faisait ma souffrance, je
l’aimais de son inconscience, de ses futilités, de ce que je soupçonnais en elle de perverti »,
cette Juliette qu’il décrit ainsi : « ce joli animal inconscient, ce bibelot, ce bout d’étoffe, ce
rien », Houellebecq écrit de son côté : « une très jolie jeune fille devient naturellement une
espèce de monstre d’égoïsme et de vanité insatisfaite ». Comment ne pas penser à
Schopenhauer, dotant la femme de beauté physique, et la privant de bon sens ou de réflexion,
ajoutant « la dissimulation est innée chez la femme », ce qui lui permet donc d’être infidèle,
ingrate ou parjure en toute sérénité. De ce déséquilibre fondamental et de ce combat sans
merci entre l’homme et la femme, Houellebecq tire la conclusion logique : « L’amour rend
faible, et le plus faible des deux est opprimé, torturé et finalement tué par l’autre, qui, de son
côté, opprime, torture et tue sans penser à mal, sans même éprouver de plaisir, avec une
complète indifférence. »
Et, quand Houellebecq déplore « cette subordination de l’individu à l’espèce », ne fait-
il pas écho à Schopenhauer, constatant que les hommes seront « impitoyablement écrasés »,
car les femmes privilégient, elles, l’espèce au détriment de l’individu…
C’est sans doute en raison de cette vision schopenhauerienne de l’amour qu’Octave
Mirbeau et Michel Houellebecq consacrent de nombreuses pages à des “compagnons canins”,
car l’amour des chiens, ces « machines à aimer », selon l’expression de Houellebecq, est, lui,
inconditionnel. Là où une femme change, se refuse, fait semblant, se donne et puis se reprend,
le chien aime sans conditions et sans limites. Octave Mirbeau a longuement décrit Dingo,
puisqu’il a consacré un livre éponyme à cet animal sympathique et indépendant ; mais il avait
déjà, dans Le Calvaire, flanqué Juliette d’un chien, dont Jean évoque l’apparition : « Et je vis
un minuscule animal, au museau pointu, aux longues oreilles, qui s’avançait, dansant sur des
pattes grêles semblables à des pattes d’araignée, et dont tout le corps, maigre et bombé,
frissonnait comme s’il eût été secoué par la fièvre. Un ruban de soie rouge, soigneusement
noué sur le côté, lui entourait le cou en guise de collier. » La relation de Jean avec ce petit
chien nommé Spy sera fort ambivalente, suivant ses sentiments pour Juliette, allant de
l’attendrissement ou la pitié à la colère et à la haine. Dans La Possibilité d’une île, c’est vers
Esther que va d’abord aller Fox, ainsi décrit par Michel Houellebecq : « un petit bâtard blanc
et roux, aux oreilles pointues, âgé de trois mois au maximum, se mit à ramper vers elle. C’est
ainsi que Fox fit son entrée dans nos vies » … Spy et Fox vont servir d’intermédiaire, ou
peut-être de révélateur, des sentiments amoureux des couples qui se déchirent autour d’eux,
atténuant par leur fidélité la tentation du désespoir.
Michel Houellebecq n’hésite d’ailleurs pas à évoquer Schopenhauer : « “Lorsque
l’instinct sexuel est mort, écrit Schopenhauer, le véritable noyau de la vie est consumé” ;
ainsi, note-t-il dans une métaphore d’une terrifiante violence, “ l’existence humaine
ressemble à une représentation théâtrale qui, commencée par des acteurs vivants, serait
terminée par des automates revêtus des mêmes costumes”. »
Faut-il en rire, faut-il en pleurer, de ce théâtre ? Le dernier mot restera, c’est justice, à
Mirbeau : « Est-ce qu’ils rient, ceux-là qui ont quelque chose dans le cerveau, quelque chose
dans le cœur, et qui possèdent ce privilège douloureux de pénétrer l’humanité, et de constater
le néant du plaisir, de l’amour, de la justice, du devoir, de l’effort, le néant de tout ! »
Dominique BUSSILLET

Bibliographie :
- Michel Houellebecq, La Possibilité d’une île, Fayard
- Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, Maurice Nadeau.
- Michel Houellebecq, Rester vivant, Flammarion.
- Octave Mirbeau, Le Calvaire.
- Octave Mirbeau, Dingo.
- Octave Mirbeau, Combats littéraires.
- Arthur Schopenhauer, L’Art d’avoir toujours raison, Mille et une nuits.
- Arthur Schopenhauer Essai sur les femmes, Mille et une nuits

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