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Qu’estce que les Lumières ?
Traduction Jean Mondot
Publications de l’Université
de Saint Etienne
Les Lumières, c’est pour l’homme sortir d’une minorité qui n’est imputable
qu’à lui. La minorité, c’est l’incapacité de se servir de son entendement sans la
tutelle d’un autre. C’est à lui seul qu’est imputable cette minorité, dès lors qu’elle
ne procède pas du manque d’entendement, mais du manque de résolution et de
courage nécessaires pour se servir de son entendement sans la tutelle d’autrui.
Sapere audel ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement : telle est
donc la devise des Lumières.
La paresse et la lâcheté sont causes qu’une si grande partie des hommes,
affranchis depuis longtemps par la nature de toute tutelle étrangère (naturaliter
majorennes), se plaisent cependant à rester leur vie durant des mineurs ; et c’est
pour cette raison qu’il est si aisé à d’autres de s’instituer leurs tuteurs. n est si
commode d’être mineur. Si j’ai un livre qui a de l’entendement pour moi, un
directeur spirituel qui a de la conscience pour moi, un médecin qui pour moi
décide de mon régime etc, je n’ai pas besoin de faire des efforts moimême. Je ne
suis point obligé de réfléchir, si payer suffit ; d’autres se chargeront pour moi de
l’ennuyeuse besogne. Que de loin la plus grande partie de l’humanité ( et
notamment le beau sexe tout entier) considère le pas à franchir pour accéder à la
majorité comme non seulement pénible, mais encore dangereux, c’est à quoi
s’appliquent ces tuteurs qui ont eu l’extrême bonté de se charger de sa haute
direction. Après avoir commencé par abêtir leur animal domestique et
soigneusement empêché que ces créatures tranquilles ne soient autorisées à risquer
même le moindre pas sans les lisières2 qui les retiennent, ils leur montrent ensuite
le péril qui les menace si elles tentent de marcher seules. Or ce péril n’est
précisément pas si grand, car après quelques chutes elles finiraient bien par
apprendre à marcher ; mais un exemple de cette sorte intimide et dissuade
d’ordinaire de toute tentative ultérieure.
Il est donc difficile pour tout homme pris individuellement de se dégager de
cette minorité devenue comme une seconde nature. Il s’y est même attaché et il est
alors réellement incapable de se servir de son entendement, parce qu’on ne le
laissa jamais en faire l’essai. Préceptes et formules, ces instruments mécaniques
destinés à l’usage raisonnable, ou plutôt au mauvais usage de ses dons naturels,
sont les entraves de cet état de minorité qui se perpétue. Mais qui les rejetterait, ne
ferait cependant qu’un saut mal assuré audessus du fossé même le plus étroit, car
il n’a pas l’habitude d’une telle liberté de mouvement. Aussi sontils peu
nombreux ceux qui ont réussi, en exerçant euxmêmes leur esprit, à se dégager de
cette minorité tout en ayant cependant une démarche assurée.
Qu’un public en revanche s’éclaire luimême, est davantage possible ; c’est
même, si seulement on lui en laisse la liberté, pratiquement inévitable. Car, alors,
il se trouvera toujours quelques hommes pensant par euxmêmes, y compris parmi
les tuteurs officiels du plus grand nombre, qui, après avoir rejeté euxmêmes le
joug de la minorité, répandront l’esprit d’une estimation raisonnable de sa propre
valeur et de la vocation de chaque homme à penser par luimême. Ce qu’il y a de
particulier dans ce cas, c’est que le public, qu’ils avaient autrefois euxmêmes mis
sous le joug, les forcera alors à y rester pour peu qu’il y soit poussé par les menées
de quelquesuns de ses tuteurs totalement inaptes aux Lumières. Ce qui prouve à
quel point il est nocif d’inculquer des préjugés, parce qu’ils finissent par se venger
même de leurs auteurs ou des prédécesseurs de ceuxci. C’est pourquoi un public
ne peut qu’accéder lentement aux Lumières. Une révolution pourra peutêtre
causer la chute du despotisme personnel ou d’une oppression cupide ou
ambitieuse, mais elle ne sera jamais à l’origine d’une vraie réforme de la façon de
penser ; de nouveaux préjugés serviront, tout comme les anciens, de rênes au plus
grand nombre, incapable de réfléchir.
Mais ces Lumières n’exigent rien d’autre que la liberté ; et même la plus
inoffensive de toutes les libertés, c’estàdire celle de faire un usage public de sa
raison dans tous les domaines. Mais j’entends maintenant crier de tous côtés : ne
raisonnez pas ! L’officier dit : ne raisonnez pas, mais faites l’exercice ! Le
conseiller aux finances : ne raisonnez pas mais payez ! Le prêtre : ne raisonnez pas
mais croyez ! (Il n’y a qu’un seul maître au monde qui dise : raisonnez autant que
vous voulez et sur ce que vous voulez, mais obéissez !). Partout ce n’est que
limitation de la liberté. Mais quelle limitation fait obstacle aux Lumières et
laquelle ne le fait pas ou peutêtre même leur est favorable ? Je réponds : I’usage
public de notre raison doit à tout moment être libre et lui seul peut répandre les
Lumières parmi les hommes ; I’usage privé de la raison en revanche doit assez
souvent être très étroitement limité sans que cela soit une entrave particulière au
progrès de ces Lumières. Mais j’entends par usage public de notre raison celui que
l’on en fait en tant que sauant pour l’ensemble du public lisant. J’appelle usage
privé, celui qu’on est autorisé à faire de sa raison dans un certain poste civil ou une
fonction dont on a la charge. Or bien des tâches qui concourent à l’intérêt du bien
public3 nécessitent un certain mécanisme, obligeant certains éléments du bien
public à se comporter passivement, afin que, grâce à une unanimité artificielle, ils
soient dirigés par le gouvernement vers des fins publiques ou du moins empêchés
de les détruire. Dans ce cas, certes, il n’est pas permis de raisonner. Il faut
seulement obéir. Dès que cette partie de la machine en revanche se eoncoit comme
élément du bien public tout entier, et même de la sociéte civile universelle, par
conséquent prend la qualité d’un savant qui s’adresse à un seul public, au sens
propre du terme, par des écrits, il peut alors raisonner sans que les tâches
auxquelles il a été affecté comme élément passif en souffrent. Ainsi seraitil très
nocif qu’un officier, ayant recu un ordre de ses supérieurs, se mît pendant son
service à ratiociner à voix haute sur l’opportunité ou l’utilité de cet ordre ; il ne
peut qu’obéir. Mais on ne peut en toute justice lui interdire en tant que savant de
faire des remarques sur les fautes commises pendant le temps de guerre et de les
soumettre au jugement de son public. Le citoyen ne peut refuser de payer les taxes
qui lui sont imposées ; la critique insolente de tels impôts au moment où il a
l’obligation de les payer peut même être punie comme un scandale (qui pourrait
provoquer des rébellions générales). Mais le même n’est pas en contradiction
cependant avec son devoir de citoyen si, en tant que savant, il manifeste
publiquement son opposition à de telles impositions inopportunes ou même
injustes. De la même facon, un prêtre est obligé devant ses catéchumènes et sa
paroisse de faire son prêche selon le symbole de l’Église qu’il sert ; car il été
engagé à cette condition. Mais en tant que savant, il a la totale liberté, même la
vocation pour cela, de faire partager au public toutes ses idées soigneusement
examinées et bien intentionnées qui ont trait aux défauts de cette symbolique et
aux projets tendant à un meilleur aménagement de la religion et de l’Église. Il n’y
a rien là qui pût être contraire à sa conscience. Car ce qu’il enseigne du fait de sa
fonction en tant que dignitaire de l’Église, il l’expose comme quelque chose qu’il
ne peut enseigner à sa guise, mais qu’il est requis d’exposer selon le règlement et
au nom d’un autre. Il dira : notre Église enseigne ceci ou cela ; voilà les preuves
dont elles se sert. n tirera ensuite tous les profits pratiques pour sa paroisse de
préceptes auxquels pour sa part il ne souscrit pas avec une conviction totale, mais
qu’il se fait fort cependant d’exposer, parce qu’il n’est pas tout à fait impossible
qu’une vérité y soit cachée, mais qu’en tout cas, au moins, on n’y rencontre rien
qui contredise la religion intérieure.
Car s’il croyait y trouver cela, il ne pourrait pas en conscience exercer sa
fonction ; il devrait démissionner. L’usage donc qu’un pasteur en fonction fait de
sa raison devant sa paroisse n’est qu’un usage privé ; parce que celleci n’est
qu’une assemblée de type familial, quelle que soit sa taille ; et compte tenu de
cela, il n’est pas libre en tant que prêtre et n’a pas le droit de l’être, car il exécute
une mission étrangère à sa personne. En revanche, en tant que savant qui, par ses
écrits, parle au vrai public, c’estàdire au monde, par conséquent dans l’usage
public de sa raison, le prêtre jouit d’une liberté illimitée de se servir de sa propre
raison et de parler en son nom. Car vouloir que les tuteurs du peuple (dans les
choses ecclésiastiques) redeviennent euxmêmes mineurs, est une absurdité qui
revient à la perpétuation des absurdités.
Mais une société d’ecclésiastiques, un synode par exemple ou une honorable
Classe4 (comme ils se nomment chez les Hollandais) ne devraientils pas avoir le
droit de s’engager mutuellement par serment sur un certain symbole immuable,
pour ainsi tenir sous une tutelle supérieure permanente chacun de ses membres et,
grâce à eux, le peuple, et ainsi pérenniser celleci ? Je dis que c’est tout à fait
impossible. Un tel contrat, conclu pour interdire à jamais toute extension des
Lumières au genre humain, est carrément nul et non avenu, dûtil même avoir été
entériné par le pouvoir suprême, par des Diètes d’Empire et par les traités de paix
les plus solennels. Une époque ne peut s’allier et conspirer en vue de rendre la
suivante incapable d’étendre ses connaissances (surtout d’aussi urgentes), de les
débarrasser des erreurs et finalement de faire progresser les Lumières. Ce serait un
crime contre la nature humaine, dont la vocation originelle réside dans ce
progrès ; et les descendants seront parfaitement en droit de rejeter ces décisions
prises de facon illégitime et criminelle. La pierre de touche de tout ce qui peut être
décidé sous forme de loi pour un peuple se trouve dans la question : un peuple
s’imposeraitil luimême une telle loi ? Or celleci serait peutêtre possible, pour
ainsi dire, dans l’attente d’une meilleure et pour une brève période déterminée,
affn d’introduire un certain ordre ; à condition d’autoriser en même temps chacun
des citoyens, surtout le prêtre, en sa qualité de savant, à faire publiquement, c’est
àdire par écrit, ses remarques sur les défauts de l’ancienne institution, tandis que
l’ordre introduit serait maintenu. Et ce, jusqu’à ce que l’intelligence de ces choses
soit publiquement si avancée et confirmée qu’elle soit en mesure, en réunissant les
voix de ses partisans (sans doute pas toutes) d’apporter devant le trône un projet :
il s’agirait de protéger les paroisses qui se seraient entendues sur une institution de
la religion modifiée selon leurs conceptions, sans gêner cependant ceux qui
voudraient en rester à la situation ancienne. Mais il est tout simplement interdit de
s’entendre sur une constitution religieuse immuable, ne devant être contestée par
personne publiquement, fûtce même pour la durée d’une vie d’homme et
d’annuler ainsi littéralement une période de la marche de l’humanité vers
l’amélioration, et de la rendre non seulement stérile, mais encore préjudiciable à la
postérité. Un homme peut, à la rigueur, personnellement et, même alors,
seulement pour quelque temps, retarder les Lumières dans ce qu’il a l’obligation
de savoir ; mais y renoncer, que ce soit pour lui personnellement, mais plus encore
pour la postérité, signifie léser les droits sacrés de l’humanité et les fouler aux
pieds.
Mais ce qu’un peuple n’est même pas autorisé à décider pour luimême, un
monarque a encore moins le droit d’en décider pour le peuple ; car son autorité
législative repose précisément sur le fait qu’il rassemble toute la volonté populaire
dans la sienne. S’il ne se propose que de concilier toute amélioration véritable ou
prétendue avec l’ordre civil, il ne peut d’autre part que laisser faire à ses sujets
euxmêmes ce qu’ils estiment nécessaire au salut de leur âme ; cela ne le regarde
pas. En revanche, il doit veiller à ce que personne n’empêche autrui par la violence
de travailler de toutes ses forces à la définition et à la progression de son salut. Il
fait tort luimême à sa majesté lorsqu’il intervient dans ces affaires, comme si
relevaient de l’autorité du gouvernement les écrits dans lesquels ses sujets tentent
de clarifier leur idée ou lorsqu’il agit de son propre chef et s’expose au reproche
du Caesar non est supra Grammaticos5. C’est aussi et plus encore le cas lorsqu’il
abaisse son pouvoir suprême à soutenir contre le reste de ses sujets le despotisme
ecclésiastique de quelques tyrans dans son État.
Lorsque on vient donc maintenant demander : Vivonsnous actuellement
dans une époque éclairée ? alors la réponse est : non, mais dans une époque de
propagation des Lumières. Il s’en faut encore de beaucoup que les hommes, en
l’état actuel des choses, pris dans leur ensemble, soient déjà en mesure ou puissent
même être mis en mesure de se servir, en matière de religion, avec assurance et
succès, de leur propre entendement sans la tutelle d’autrui. Mais que, dès à
présent, le champ leur soit ouvert pour s’y mouvoir librement et que les obstacles à
la généralisation des Lumières et à la sortie hors de la minorité imputable à eux
mêmes soient peu à peu moins nombreux, c’est ce dont nous avons donc des
signes évidents. A cet égard cette époque est l’époque des Lumières ou le siècle de
Frédéric.
Un prince qui ne trouve pas indigne de lui de dire qu’il considère comme un
deuoir de ne rien prescrire aux hommes en matière de religion, qui leur laisse sur
ce point une liberté totale et donc récuse pour sa part l’orgueilleux terme de
tolérance, est luimême éclairé, et pour avoir été le premier à libérer le genre
humain de sa minorité, du moins en ce qu’elle regardait le gouvernement, et pour
avoir laissé chacun libre de se servir de sa propre raison dans toutes les affaires de
conscience, il mérite d’étre loué par le monde d’aujourd’hui et de demain
reconnaissant. Sous son règne, d’honorables ecclésiastiques, nonobstant leur
devoir de fonction, ont la permission, en qualité de savants, de présenter librement
et publiquement à l’examen de tous leurs jugements et points de vue qui s’écartent
ici ou là des symboles adoptés ; mais, mieux encore, ce droit est donné à tous ceux
qui ne sont pas limités par leur devoir de fonction. Cet esprit de liberté s’étend
aussi au dehors, même là où il doit lutter avec les obstacles extérieurs d’un
gouvernement qui ignore sa véritable mission. Car il montre à celuici, par son
brillant exemple, que là où règne la liberté, il n’y a rien à craindre pour la
tranquillité publique et l’unité de l’État. Les hommes cherchent à se dégager eux
mêmes de leur grossièreté, pour peu qu’on ne s’acharne pas artificiellement à les y
maintenir.
J’ai placé le point principal des Lumières, la sortie de l’homme hors de sa
minorité imputable à luimême, principalement dans le domaine de la Religion :
parce qu’au regard des arts et des sciences, nos souverains ne sont pas intéressés à
jouer les tuteurs de leurs sujets. De plus, cette minorité dont j’ai parlé, outre
qu’elle est la plus nocive, est aussi la plus déshonorante de toutes. Mais la
réflexion d’un chef d’État qui favorise les Lumières, va plus loin et elle voit bien
que, même au regard de la législation6, il est sans danger d’autoriser ses sujets à
faire publiquement usage de leur propre raison et à exposer au monde leurs idées
sur une meilleure rédaction des lois, fûtce à l’aide d’une critique franche de celles
déjà existantes ; c’est ce dont nous avons un exemple brillant, qu’aucun autre
monarque que celui que nous vénérons n’a encore fourni.
Mais seul, en outre, celui qui, éclairé luimême, ne craint pas l’ombre, mais
a en même temps sous la main une armée nombreuse et bien disciplinée, garante
de la tranquillité publique, peut dire ce qu’un État libre n’ose pas dire : raisonnez
autant que vous voulez et sur ce que vous voulez, mais obéfssez ! Ainsi se révèle
ici une marche étrange, inattendue des choses humaines ; de toute manière, ici
comme ailleurs, lorsqu’on les considère globalement, presque tout y est paradoxal.
Un degré plus élevé de liberté civile semble être avantageux pour la liberté
d’esprit du peuple et lui impose pourtant des barrières infranchissables ; un degré
moins élevé de celleci procure en revanche à celuici la possibilité de s’étendre
selon ses forces. Lorsque donc la nature a dégagé de sa dure enveloppe le germe
sur lequel elle veille le plus tendrement, c’estàdire le penchant et la vocation à
penser librement, alors ce penchant agit en retour sur la sensibilité du peuple
(grâce à quoi celuici devient de plus en plus capable d’avoir la liberté d’agir) et
finalement en outre même sur les principes du gouvernement, qui trouve son
propre intérêt à traiter l’homme, qui désormais est plus qu’une machine7,
conformément à sa dignité.*
Konigsberg en Prusse
le 30 septembre 1784
*Dans les Nouvelles Hebdomadaires de Busching du 13 sept., je lis
aujourd’hui, le 30 du même mois, I’annonce de la Revue Mensuelle Berlinoise de
ce mois, où la réponse de Monsieur Mendelssohn à la même question est
annoncée. Je ne l’ai pas encore eue entre les mains ; sinon j’aurais gardé la
présente, dont le seul intérêt désormais est d’essayer de montrer ce que le hasard
peut amener de concordance de pensées.
Réponse à la question : qu’estce que les Lumières ?
Beantwortung der Frage : Was ist Au/llfirung ?
L’article de Kant, dont nous donnons ici la version allemande parut dans la
Berlinisehe Monatsschrift de décembre 1784. En novembre 1784, Kant avait déjà
fait parattre dans la revue : Idee zu einer allgemeinen Geschiehte in
weltburgerlieher Absieht. Jusqu’en 1789 il y fera encore parattre cinq articles, trois
en 1785 et deux en 1786 dont : Mutma,Elieher Anfang der Mensehengesehiehte en
janvier et Was hei/3t sieh im Denken orientieren ? en octobre.
Nous avons légèrement modernisé orthographe et ponctuation de J’original.
1. Horace, Epistulae, livre 1, lettre 2, vers 40.
2. Ie texte allemand parle de G6ngelwagen qui désigne un peu autre chose. Il
s’agissait d’une structure légère à peu près parallélipipédique, munie de roulettes à
sa base et pourvue d’un support en étoffe, dans laquelle on pouvait placer les
enfants qui apprenaient à marcher. Lcs lexiques modernes donnent à ce véhicule le
nom de “trotteur”. Cette voiturette/trotteur ou G6ngelwagen est en tout cas
devenue, dans un certain nombre de textes allemands, une métaphore commode
pour désigner une période de minorité, de mise en tutelle. Le dictionnaire Grimm
donne les exemples. suivants : “Wer wollte einem rasehen Knaben, weil er dann
und wann noch fallt, den Gfingelwagen wieder einschwfitzen ?”(Lessing). Ou :
“Wodurch sich ein Mann von einem Geschopf im G6ngelwagen unterscheidet~
(Wieland). Kant réutilise le terme dans Mutmafllicher Anfang der
Menschengeschichte : : I’histoire de l’homme est pour lui la sortie “aus dem
G6ngelwagen des Instinkts”. On pourrait enfin citer un textc de Mendelssohn de la
même époque que celui de Kant, utilisant la même expression da ns le mê me con
texte : “Gangelt eure Kinder, so lange die Gefahr zu fallen, d.i die
Wahrscheinlichkeit zu straucheln, uerdoppelt mit dem Abel, das sie sich dadurch
zuziehen wurden, gro,lier ist, als der Zwang des G6ngelwagens ;„ (Mendelssohn,
Œuvres complètes, vol. 4 pp. 142). Nous avons choisi un équivalent, les lisières
(Gfingelband) qui rendaient à l’époque les mêmes services pratiques et
métaphoriques. J.J. Rousseau écrivait dans I’Emile : “Emile n’aura ni bourrelet ni
lisières” et Voltaire dans le Philosophe ignorant :““Nous sommes des enfants qui
essayons de faire quelques pas sans lisières”.
3. Ce terme rend Gemeinwesen ou das gemeine Wesen, toujours difficile à
traduire exactement. Il y a d’autres équivalents, par ex. : le corps social, la
collectivité, la république, I’État.
4. Klassis, terme néerlandais qui servait à désigner les synodes ou les
réunions de type ecclésiastique.
5. César n’est pas supérieur aux grammairiens.
6. Peutêtre Kant songetil ici aux travaux juridiques entrepris par la
commission dirigée par le juriste Svarez pour rédiger un nouveau code, le
Preu,Bisches allgemeines Landrecht. Cette réforme donna lieu à des débats
publics.
7. Il paraSt peu probable qu’il y ait là une allusion à l’hommemachine de La
Mettrie. Kant désigne plutôt le sujet, rouage d’un Étatmachine qui ne tient
précisément pas compte de la dignité de l’homme.