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- Admettons. De deux choses l'une : soit Il existe, et notre projet, qui a pour but
la paix entre les hommes, ne peut que Lui plaire et donc contribuer au salut de
votre âme : soit Il n'existe pas, auquel cas nos pourparlers n'auront que des
conséquences administratives.
- Après le pari de Pascal, le pari de Richter ! Nous vous aurions cru plus
mystique, quand même !
- Je suis mystique.
- On ne dirait pas.
- Vous rêvez, mon pauvre ami : proposez cela aux islamistes et vous verrez ! Ou
plutôt vous ne verrez pas, parce que vous serez mort.
- Mais c'est précisément pour que notre Terre ne devienne pas une grande Algérie
que j'ai eu cette idée.
- Nous savons cela. Encore faut-il rester dans les limites du possible. Il vaut
mieux procéder graduellement. Commençons à petite échelle : la France, par exemple.
- Et pourquoi pas le Liechtenstein, tant que vous y êtes ? s'indigna Richter. Nous
n'en sortirons jamais, si nous procédons avec une telle lenteur. En outre, nous
venons d'élire un nouveau président : si nous invitons nos compatriotes à voter
pour ou contre Dieu deux mois après les présidentielles, nous pouvons déjà imaginer
le genre de sarcasmes français que cela nous vaudra.
- La francophonie, alors ?
- Non, il ne faut pas choisir un critère linguistique : les langues sont des
religions, elles aussi. Prenons l'Europe ! C'est une bonne base de travail, ni trop
uniforme, ni trop disparate.
- Cette question fera partie du sondage. On eut beau ricaner, une sous-commission
de rédacteurs se mit en place. La formulation des questionnaires donna lieu à des
débats aussi houleux qu'au concile de Trente. Les sous-commissionnaires décrétèrent
qu'il fallait biaiser ; demander directement aux gens s'ils étaient pour ou contre
l'existence de Dieu serait trop abrupt. Ils assuraient que le commun des mortels
était incapable d'avoir la moindre opinion sur un sujet pareil. On procéderait donc
par interrogatoire prolongé, au terme duquel on serait en mesure d'induire si la
population avait besoin que Dieu existe. Certaines questions furent formulées de
manière absurde.
Exemple : Etes-vous d'accord avec la phrase suivante : on peut être guéri au cours
d'un pèlerinage à Lourdes ?
- Autrement dit, nous ne nous adressons qu'à des imbéciles, c'est ça ? C'est du
nivellement par le bas, votre sondage !
- C'est dans la simplicité que je voulais rester. Un sondage en une seule question,
bizarre certes, mais honnête : Etes-vous pour ou contre l'existence de Dieu ? Rien
de plus. Il ne nous appartient pas de juger la pertinence des esprits. Le besoin de
Dieu est une réalité éternelle qui n'a jamais eu rien à voir avec l'intelligence.
Après des semaines de disputes, les sous-commissionnaires, qui voulaient avoir la
paix, donnèrent raison à Richter.
- S'agissant d'une question pareille, ne serait-il pas choquant de forcer les gens
à voter ?
- S'agissant d'une question pareille, ne serait-il pas choquant qu'il y ait des
gens qui ne votent pas ?
- En somme, vous voulez forcer les gens à faire ce qui est bon pour eux ? Ça
s'appelle du dirigisme.
Avec Vous comme ciment, les hommes vont enfin cesser de se haïr. Cela faisait des
nuits que Richter ne dormait plus. Epuisé, il alla se coucher et s'endormit du
sommeil du juste. Le 25 août au matin, il se réveilla en pleine forme.
Comme la vie est belle quand Vous exister ! pensa-t-il. Il prit son petit déjeuner
en écoutant Jésus, que ma joie demeure. Il ramassa son journal dans la boite aux
lettres. Le titre était : La nouvelle nuit clé la Saint-Barthélémy. On avait relevé
des milliers de morts dans toutes les villes européennes. Existencistes et non-
existencistes s'étaient entre-tués jusqu'à l'aube. Des photos atroces illustraient
le massacre. La dernière phrase de l'éditorial était : A présent, nous avons la
réponse au référendum de Monsieur Richter : Dieu est contre l'existence de l'homme.
Richter alla dans la salle de bains. Il commença par vomir. Ensuite il se pendit
avec le tuyau de la douche qui supporta sans peine son poids léger.
- Il faudrait un livre. Un livre fort qui retrace l'affaire comme elle s'est
passée. Un livre insoutenable, donc.
Les commissionnaires proposèrent divers noms. Ils finirent par se mettre d'accord :
ce serait Amélie Nothomb, écrivain belge de vingt-sept ans, qui offrirait sa plume
à cette noble cause.
- Vous êtes jeune et surtout vous vivez à Bruxelles : il serait emblématique à plus
d'un titre que ce soit vous qui racontiez ce drame européen.
Les commissionnaires lui demandèrent pour qui elle se prenait. Elle se contenta de
répondre :
Amélie Nothomb