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Pierre Arnaud Guai EPISTEMOLOGIE 7/12/2008

Gilles Grenot
M1CST

Contre la Raison :
méthode hégémonique, non réflexive et
trop éloignée de la réalité humaine.

Extraits:

Adieu la Raison - Paul Feyerabend - Chapitre 12.4, Adieu la raison ; La science – une tradition
comme une autre, p. 338 à 341

La Méthode, Edgar Morin - 1. La Nature de la Nature, L'a-méthode, p. 15 à 16

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Sommaire

Introduction..............................................................................................................................................3

Feyerabend, Adieu la Raison..................................................................................................................3

Feyerabend, l'auteur

Raison, science et tradition, l'extrait

La Raison, un choix évident

La Raison, une maladie contagieuse

La Raison, trop éloignée de l'Homme

La Raison, protégée par ignorance?

Mise en regard de Feyerabend et d' Edgar Morin................................................................................6

La méthode de la Raison, trop peu réflexive pour être humaine

Méthodes alternatives à la Raison

L'ignorance, obstacle ou tremplin à la connaissance?

La spécificité du questionnement épistémologique.............................................................................12

1er obstacle : le rapport entre sujet et objet

2nd obstacle : le problème de la nature de l’objet

Annexes...................................................................................................................................................14

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Introduction
Dans ce dossier nous traiterons de l’étude d’un texte épistémologique afin d’en dégager les
idées fondamentales développées par son auteur, puis nous mettrons ce texte en relief par la
comparaison avec les idées d’un auteur issu des sciences humaines. Nous avons choisi pour cela un
extrait de Adieu la Raison (Chapitre 12.4, Adieu la raison ; La science – une tradition comme une
autre, p. 338 à 341) de Paul Feyerabend, historien des sciences, que nous éclairerons avec un extrait La
méthode, La nature de la nature (1. La Nature de la Nature, L'a-méthode, p. 15 à 16) de Edgar Morin,
anthropologue et sociologue. Puis Nous traiterons pour conclure de la spécificité du questionnement
épistémologique en Sciences Humaines et Sociales.

Feyerabend, Adieu la Raison

Feyerabend, l'auteur

Paul Feyerabend (1924-1994) est un historien des sciences d’origine autrichienne. Il a été
remarqué pour sa théorie de l’anarchisme méthodologique dans les sciences qui postule le rejet de
règles méthodologiques universelles. Ses principaux ouvrages sont Contre la méthode (1975), Une
société libre (1978), Adieu la raison (1987).
Ses idées ont été influencées notamment par deux épistémologues. Il s’inspire des travaux de
Karl Popper dont il retient qu’il est possible de prouver la véracité d’une théorie. La science avance
quand les théories sont falsifiées et celles qui ne le sont pas sont en instance de l’être. Toutes les
théories sont fausses. Bien qu’il s’opposera à certaines visions de Popper par la suite, il restera
longtemps influencé par ces idées.
Il s’inspire aussi de Thomas Kuhn avec qui il s’accorde sur deux points : Les avancées
scientifiques se font par révolution, le progrès n’est ni continu, ni linéaire. Il conservera aussi l’idée
d’incommensurabilité des théories scientifiques. Celles ne sont pas comparables, ni préférables les unes
par rapport aux autres uniquement avec des arguments scientifiques.
Il va pousser les idées de falsification et d’incommensurabilité jusqu’à leurs limites. Pour faire avancée
la science il faut critiquer les théories avec tous les arguments possibles, même les plus irrationnels et
détruire toutes les théories existantes. Il s’oppose donc à la notion de paradigme qui selon lui paralysent

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la science, il ne faut pas être prisonnier de la méthode mais imaginatif, voir anarchiste pour produire de
nouvelles théories.

Raison, science et tradition, l'extrait


La Raison, un choix évident ?

Feyerabend questionne la « Raison » et notamment sur sa prédilection, son universalité. Elle


serait un choix non objectif, issue de la tradition occidentale. Son ancrage dans notre société est tel
qu’elle est acceptée de tous comme évidente, allant de soi. Elle est vue comme étant la seule « réflexion
scientifique » valable. Cependant bien des travaux anthropologiques (dont ceux de Lévi-Strauss auquel
fait référence Feyerabend) ont montré qu’il y avait nombre de façons de penser le monde, chacune
ayant ses qualités. Le choix de la rationalité occidentale se serait fait par des choix objectifs. Or cette
objectivité est elle-même héritière de cette raison. Mais si l’on raisonne ainsi chaque culture aurait des
arguments « objectifs » pour elle, et de ce fait un choix « objectif » devient impossible. Il faudrait alors
choisir sur des éléments subjectifs ou simplement l’admettre.

La Raison, une maladie contagieuse

La raison a non seulement ignoré les autres cultures, sure d’elle, mais elle les détruit aussi petit
à petit. Elle colonise le monde, elle n’a pas été choisie après réflexion elle s’est imposée. De ce fait elle
étouffe des savoirs et des modes de vie, propres aux sociétés quelle conquiert. Toutes avaient
développé des savoirs qui leur permettaient de vivre en adéquation avec leur environnement et de
réagir aux crises sociales ; mais ses savoirs ont presque disparu après avoir été gangréné par la Raison
et l’on cherche maintenant à les retrouver pour réparer les désastres. Elle a bouleversé des valeurs
spirituelles et des savoir-faire matériels.
Son impérialisme se manifeste aussi par l’institutionnalisation de l’éducation qui supprime le temps où
l’apprentissage se faisait par l’expérience de la vie et « où chaque adulte était un professeur ». Elle
renforce l’élitisme par la labellisation du savoir ainsi institué et elle crée par la même une rupture
sociale. Son inadaptation à des réalités sociales posent autant de problèmes qu’elle n’en résous.

La Raison, trop éloignée de l’Homme ?

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Résultant de son manque de réflexivité et de son impérialisme, la déshumanisation est encore
une autre raison pour Feyerabend de lui dire adieu. Elle s’écarte des réalités et des besoins humains. En
basant sa réflexion sur l’objectivité qui écarte les affects, elle se déshumanise. « Une procédure dont le
but principal est de se débarrasser de tout élément humain est condamnée à produire des actes
inhumains. » Elle met à mal des valeurs spirituelles sous l’intention d’améliorer le quotidien car elle
oublie trop souvent les enjeux socioculturels. Elle détruit des systèmes de pensée pour propager des
connaissances dont les effets n’en seront pas forcément bénéfiques, et dont les « victimes non
consentantes » n’ont souvent d’autres choix que de l’accepter.

La Raison, protégée par ignorance ?

Feyerabend après avoir montré le paradoxe des conséquences de cette objectivité non
questionnée cherche à savoir pourquoi celle-ci est tant protégée par les autres penseurs. Il pense que
cela n’est que le résultat de l’ignorance. Peu de gens connaissent autre chose que cette science pour
face aux aléas et tous se réfugient derrière elle. Tous se sont contentés de suivre cette Raison, sans la
questionner, ni chercher d’autres modes de penser. Pourtant en dehors de la civilisation occidentale
fleurissent quantités de sociétés leur propre « Raison » issue de leurs expériences et produisant des
connaissances pertinentes et adaptées à leurs contextes. « La plupart des intellectuels n’ont pas la
moindre idée des véritables succès remportés par la vie en dehors de la civilisation occidentale ». Il
manque à ces penseurs cette connaissance qui leur permettrait le recul nécessaire au questionnement de
la Raison occidentale et développer de la curiosité pour ces autres cultures. Par leur posture il renforce
l’impérialisme de cette Raison et la domination des autres cultures. Ils participent à ce colonialisme
intellectuel dont la chute et le renouvellement de ses idées pour être une source de production et
d’avancées scientifiques

Mise en regard de Feyerabend et d' Edgar Morin

La méthode de la Raison, trop peu réflexive pour être humaine

Que ce soit Edgar Morin ou Feyerabend, tous deux condamnent la méthode rationaliste occidentale

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pour ses défauts de non réflexivité et de distance au réel: une méthode à la fois incapable de s'auto-
analyser par sa propre démarche et trop éloignée de la réalité de la complexité humaine.

Pour Edgar Morin, par essence, la méthode rationaliste telle qu'on l'envisage est le lieu de « la
résistance que le réel oppose à l'idée ». C'est la tension qui existe entre « l'idée » et « le réél » qui fait
que cette méthode sera toujours trop écartée de la réalité, et ainsi ne pourra jamais la servir aussi bien
qu'elle prétend le faire. En effet, la Raison, en essayant de généraliser tout et d'envelopper le monde
dans une seule boîte, guide l'homme vers un univers d'autant plus abstrait qu'il est dépourvu
d'humanité. Comment alors cautionner des raisonnements qui conduisent à s'éloigner des hommes, de
leur culture, de leur environnement: de leur réalité. En essayant d'édicter des lois générales qui seraient
toujours vraies, aussi belles soient-elles pour l'esprit, on ne peut éviter de tomber sur l'écueil d'une
super-simplification menaçante pour l'homme lui-même. Il s'agirait de trouver une méthode qui mette à
jour les liens complexes qui existent entre les savoirs et que la méthode rationaliste efface en tentant de
tout rassembler en une entité unique, et qui sont eux, révélateurs de la réalité complexe « méthode qui
détecte et non pas occulte les liaisons, articulations, solidarités, implications, imbrications,
interdépendantes, complexités ».

Aussi, le problème que porte la méthode rationaliste en elle est un manque profond de réflexivité.
La Raison cartésienne autorise le doute, mais ne semble pas autoriser le doute sur elle-même. Elle ne
semble pas pouvoir se remettre en question intrinsèquement. La réflexivité (notion théorisée par David
Bloor) de la méthode rationaliste consisterait à appliquer les outils de l'analyse rationaliste à sa propre
réflexion. La Raison devrait être capable de prendre conscience de ce quelle est et de sa validité en
s'examinant avec sa propre démarche. Cependant, si Descartes faisait souvent état du doute, il ne
doutait jamais de ce doute, ne l'examinait jamais assez longuement et finissait par le contourner « Mais
Descartes pouvait, dans son discours premier, à la fois exercer le doute, exorciser le doute, établir les
certitudes préalables, et faire surgir la Méthode en Minerve armée de pied en cap. Le doute cartésien
était sûr de lui-même ». Ainsi, la méthode rationaliste ne prend pas assez de recul pour être suffisante.
Elle doit s'interroger elle-même pour sonder au sein de toutes les connaissances qu'elle créé les zones
d'ombres qu'elle se cache à elle même. La connaissance issue de la Raison reste à cet égard peu
satisfaisante « mal connue, mal connaissante, morcelée, ignorante de son propre inconnu comme de
son connu ».

Feyerabend dans cet extrait éclaire les notions que E. Morin met en avant à la fois au sujet de la

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réfléxivité et de la trop grande distance de la méthode rationaliste à la réalité. L'auteur autrichien brosse
le portrait d'une Raison non raisonnée - son utilisation n'est pas exécutée selon des choix rationnels - et
non raisonnable: elle est la cause de bien des désastres et elle oppresse les autres formes d'accès à la
connaissance de manière hégémonique.

On peut rattacher le souci de réfléxivité que E. Morin mentionne aux questionnements dont
Feyerabend fait état dans cet extrait. Il décrit en effet une Raison qui ne respecte même pas la ligne de
conduite qu'elle édicte « est-ce que chaque étape du progrès a été justifiée par des raisons en accord
avec les principes du rationalisme occidental? L'infection a-telle amélioré la vie de ceux qui ont été
contaminés? La réponse aux deux questions est « non » ». La méthode rationaliste occidentale n'est
donc pas capable de justifier selon ses propres fondements en quoi son recours a-t-il servi le progrès,
lorsque progrès il y a eu. Aussi, cette méthode rationaliste apparaîtrait comme une imposture
idéologique qui s'est accaparée la place de tout ce qui aurait pu également guider la pensée. Ce « coup
d'état » de l'idéologie rationaliste sur le reste des formes d'accès à la connaissance demeure inexplicable
rationnellement « La civilisation occidentale a été soit imposée par la force – et non par un
raisonnement capable de prouver sa véracité intrinsèque - soit admise parce qu'elle produit de
meilleures armes ». Cela rejoint ce que E. Morin relate lorsqu'il explique qu'une fois le doute exorcisé,
le cartésien l'étouffe pour bâtir dessus quelque chose de plus arbitraire en ayant recours à la méthode
rationaliste précisément « établir les certitudes préalables, et faire surgir la Méthode en Minerve armée
de pied en cap ». L'idéologie et la méthode rationaliste, trop sûres de leur bon droit, se seraient donc
imposées despotiquement, et non rationnellement. L'hégémonie du rationalisme ne peut se justifier.

D'autre part, Feyerabend explicite à quel point la méthode rationaliste peut être éloignée de la réalité
humaine en dépeignant une Raison non raisonnable, hégémonique et provoquant bien des désastres et
incohérences. Les soit-disant progrès acquis grâce au paradigme rationaliste occidental, s'il a connu des
succès n'en a pas moins été mal adapté aux contextes environnementaux auxquels il a voulu s'imposer.
En effet, à ce sujet, Feyerabend donne l'exemple des tribus primitives dont la qualité de vie s'avérait
être en meilleure adéquation avec l'environnement avant l'arrivée de ce paradigme rationaliste « En
période normale, elles exploitaient leur environnement sans l'endommager, grâce à leur connaissance
des propriétés des plantes, des animaux, des variations climatiques et des interactions écologiques que
nous sommes à peine en train de redécouvrir ». Ici, Feyerabend énonce clairement que dans certaines
circonstances, la civilisation occidentale n'aurait jamais dû s'imposer sous peine de faire pire que le
mal. Non seulement, la civilisation occidentale a imposé ses paradigmes à ces tribus primitives, en

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exacerbant ou en créant de nouveaux problèmes, mais elle a également altéré les connaissances locales
préalables qui faisaient foi avant d'être colonisées « Ce savoir a été sévèrement perturbé et
partiellement détruit » ayant pour résultat une responsabilité à la faiblesse actuelle des pays du Tiers
Monde. Quoi de plus paradoxal que « l'aide humanitaire » affaiblissant un pays plus encore. C'est bien
encore ce souci déjà évoqué que porte la lignée rationaliste en elle, à savoir cette trop grande distance à
la réalité et à la complexité des hommes et des environnements dans lesquels ils s'inscrivent.
Feyerabend, dans le même esprit, cite Majid Rahnema qui traite de l'éducation avec un regard critique.
Il regrette en effet que le système scolaire tel qu'on le connaît ait remplacé tous les savoirs particuliers
au détriment des plus pauvres et des plus faibles. « Les jours anciens [...] quand « chaque adulte était un
professeur » sont finis. Maintenant seuls ceux qui sont homologués par le système scolaire, selon les critères qu'il a
lui-même conçus, ont le droit d'enseigner. L'éducation est ainsi devenue quelque chose de rare [c'est moi qui
souligne]. »

Méthodes alternatives à celle de la Raison

Les deux auteurs, à travers ces extraits ont une demarche foncièrement différente. Cela tient du fait
des horizons distincts auxquels ils appartiennent et des objectifs qu'ils visent à travers l'écriture de leurs
ouvrages. Pour E. Morin, il s'agit d'une critique du rationalisme pour pouvoir l'améliorer, en faire
quelque chose de mieux, essayer de le sauver en quelque sorte. Pour se faire, il faudra par une anti-
méthode mettre en porte-à-faux l'ignorance et la connaissance. Pour Feyerabend, il s'agit de
comdamner le paradigme rationaliste, puisqu'il est dominant dans nos sociétés et qu'il s'accorde le droit
de dominer et de s'exporter au détriment d'autres cultures. Pour cet anarchiste de la science, il n'y a pas
de méthode solution, préférable à une autre, il déteste simplement l'idée que le rationalisme à
l'occidental soit privilégié.

Dans l'extrait d'E. Morin, il est mentionné l'idée d'une « a-méthode » ou « anti-méthode ». Il s'agirait
d'une méthode complémentaire et contraire à la méthode rationnaliste qui puisse palier à ses
manquements, en lui donnant une dimension réflexive. L'idée d' E. Morin fait preuve d'un empirisme
certain, elle consiste à garder ce qu'il y a de bon dans le rationalisme et de lui ajouter ce qu'il lui
manque. Il a pour ambition de sauver le rationalisme en lui attribuant une contre-méthode. On peut
penser que dans l'idée de l'auteur, la fusion de la méthode rationaliste et de l'anti-méthode donnerait
naissance à une méthode rationaliste réflexive. Cette méthode solution serait simplement la prise de

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conscience et l'acceptation de l'ignorance que l'on a des connaissances issues des méthodes
rationalistes. « Certes, la méthode nous manque au départ; du moins pouvons-nous disposer d'anti-
méthode, où ignorance, incertitude, confusion deviennent vertus. » . En procédant ainsi il semble
satisfaire son objectif qu'il verbalise ainsi « la recherche d'une méthode qui puisse articuler ce qui est
séparé et relier ce qui est disjoint. ». Ce qu'il convient de faire suggère E. Morin, est non pas de
s'intéresser à rassembler selon une formule miracle tous les savoirs séparés en un même ensemble, il
faut au contraire laisser ces savoirs séparés et étudier leur liaison ou leur absence de liaison. Ce serait
seulement en dévoilant les liens entre les savoirs particuliers que l'on pourrait accéder à une
connaissance plus connaissante. En fait, ce ne sont pas tant le contenu des connaissances qui est
intéressant, mais davantage l'architecture qui les tient ensemble ou éloignés les uns des autres. Au lieu
de trouver l'architecture miracle qui consiste à établir un connaissance unitaire et générale, il faut
étudier l'architecture naturelle dans laquelle ces savoirs sont imbriqués. C'est à ce titre que l'auteur renie
la méthode cartésienne « Aujourd'hui doit être méthodiquement mis en doute le principe même de la
méthode cartésienne, la disjonction entre les objets entre eux, des notions entre elles (idées claires et
distinctes), la disjonction absolue de l'objet et du sujet ». Il indique qu'en effet, cette approche est vaine
et qu'à l'heure d'aujourd'hui, c'est principalement les interconnexions entre les savoirs qu'il est urgent de
mettre à jour « Aujourd'hui, notre besoin historique est de trouver une méthode qui détecte et non pas
occulte les liaisons, articulations, solidarités,implications, imbrications, interdépendances,
complexités. »

Au contraitre, Feyerabend ne cherche pas à façonner une méthode rationnaliste plus ambitieuse. Ceci
serait aller à l'encontre d'un plus grand principe fondamental qu'il invoque, à savoir, privilégier une
méthode plutôt qu'une autre lorsque objectivement il n'y a pas lieu de choisir: le relativisme.
Feyerabend est un relativiste dans le sens où il ne croit pas à l’existence de la bonne solution, unique,
indépendante du contexte c’est-à-dire qu’il considère qu’il peut exister plusieurs vérités éventuellement
incompatibles. Il est contre LA méthode et en faveur DES méthodes. La méthode rationaliste a ses
avantages et ses défauts, il indique longuement ses défauts, déjà développés précedemment, mais en
admet également les bienfaits « le progrès a également causé d'énormes dommages, même si il a pu
apporter quelques bonnes choses ». Ce qui est insupportable à ses yeux, c'est la prédominance et
l'autorité que connaît cette méthode alors qu'elle est non objectivement justifiable « J'affirme qu'il
n'existe aucune raison « objective » pour préférer la science et le rationalisme occidental à d'autres
traditions ». Feyerabend ne propose donc pas de méthode alternative, ce qu'il propose est d'arrêter de

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sacraliser la méthode rationaliste occidentale, ainsi que de la considérer comme la méthode la plus
encline à produire des connaissances. Il est pour un retour à l'action, à la vie, aux traditions et au bon
sens par une certaine forme de sagesse, qu'il ne trouve certainement pas en la Raison.

L'ignorance, obstacle ou tremplin à la connaissance?

Il est éclairant de comparer ce que représente la notion d'ignorance pour les deux auteurs. Ces
derniers semblent grandement diverger sur ce point qui pour l'un est la clé de la connaissance, et pour
l'autre est un obstacle à ce que la connaissance avance. Pour Edgar Morin, l'ignorance est ce sur quoi il
faut travailler. Il faut s'attarder à déceler ce que l'on ignore dans ce que nous connaissons, et ainsi nous
obtiendrons des connaissances mieux connues. Au contraitre, pour Feyerabend, le système de
rationalisme occidental dans lequel il regrette que la société se soit embourbée se perpétuerait en partie
à cause de l'ignorance de ses acteurs. C'est parce que les intellectuels ignorent que d'autres moyens sont
bons, que d'autres moyens apportent leurs preuves, que le système continue à s'auto-proclamer le
meilleur système possible.

Edgard Morin part du constat que nous connaissons mal les connaissances que nous croyons
posséder, ce qui siginifie peu à ses yeux, que « cette connaissance est mal connue, mal connaissante,
morcelée, ignorante de son propre inconnu comme de son connu ». En conséquence il souhaite que l'on
cesse de considérer nos connaissances avec suffisance, en imaginant qu'on leur accorde autant de sens
qu'elles en renferment « Il nous faut partir de l'extinction des fausses clartés. Non pas du clair et du
distinct, mais de l'obscur et de l'incertain; non plus de la connaissance assurée, mais de la critique de
l'assurance. ». La nouvelle méthode qu'il propose passera alors par un changement radical de
considération de nos connaissances, il faut déconstruire pour reconstruire. Il faut s'attacher à critiquer la
croyance que l'on a en nos connaissances. Pour cela, il faut prendre conscience de l'ignorance de nos
connaissances afin de ne pas sursimplifier le complexe « Enfin, l'acceptation de la confusion peut
devenir un moyen de résister à la simplification mutilatrice. ».

Prendre conscience de l'ignorance, mais qu'entend on par « ignorance » véritablement? Edgar Morin
insiste beaucoup, principalement dans la fin de l'extrait, à mieux définir cette notion d'ignorance. En
effet, il ne traite pas de l'ignorance générale, de ce que l'on ne sait pas. Ce dont il s'agit est l'ignorance
se trouvant au sein même de nos connaissances «ce n'est pas l'ignorance humaine en général, c'est

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l'ignorance tapie, enfouie, quasi-nucléaire, au coeur de notre connaissance réputée la plus certaine, la
connaissance scientifique. ». Il faut mieux connaître ce que l'on ignore de ce que l'on connaît pour que
les connaissances en jeu puissent être plus fructueuses. C'est la philosophie qu'il prône pour accéder
vers une meilleure connaissance. Plus en détail, Edgar Morin explicite le processus par lequel on
devrait s'enquérir de connaissances supérieures « L'incertitude devient viatique: le doute par lequel le
sujet s'interroge sur les conditions d'émergence et d'existence de sa propre pensée constitue dès lors une
pensée potentiellement relativiste, relationniste et auto-connaissante ». Nous l'avons donc vu, pour
Edgar Morin, cette « ignorance » est la solution pour s'extraire du rationalisme froid, non réfléxif et
déshumanisé. Il va même jusqu'à qualifier l'ignorance de vertu « où ignorance, incertitude, confusion
deviennent vertus ».

En ce qui concerne Feyerabend, l'ignorance représente pour lui une toute autre chose. Elle est une
des raisons pour lesquelles les intellectuels continuent à mystifier le paradigme dans lequel ils se
trouvent: le rationalisme « Il y a diverses manières d'expliquer pourquoi tant d'intellectuels défendent
encore des idées à courte vue. L'une des raisons est l'ignorance ». Ce qu'ils ignorent véritablement est
les autres moyens d'accession à la connaissance. Le système du rationalisme à l'occidentale aurait cette
capacité de s'auto- convaincre de sa supériorité. Les scientifiques font en effet peu d'égard pour ce qui
ne rentre pas dans le cadre rationnel. Cependant, le rationalisme n'est qu'une des possibilités, et nous
l'avons vu, les traditions culturelles de tribus primitives s'avèrent parfois bien plus efficaces et adaptées
à traîter des problèmes, là où la civilastion occidentale faillit « La plupart des intellectuels n'ont pas la
moindre idée des véritables succès remportés par la vie en dehors de la civilisation occidentale. Tout ce
que nous avions (et malheureusement, avons toujours) dans ce domaine, ce sont des « on-dit » sur
l 'excellence de la science et de la piètre qualité de tout le reste ». Il ne s'agit plus là, de l'ignorance de
ce que l'on connaît au sein du cercle scientifique, il s'agit de l'ignorance de ce qui n'est pas scientifque,
et qui pourtant devrait constituer un intérêt certain, avec un peu de bon sens. Les scientifiques, trop
convaincus des bienfaits de leur science, ne regardent même plus au-delà pour se rendre compte si
celle-ci est toujours à propos, si elle est si nécessaire.

La spécificité du questionnement épistémologique

Dans cette partie nous discuterons de la spécificité du questionnement épistémologique en

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Sciences humaines et sociales. En effet, cette science se distingue des autres sciences par son objet :
l’étude de ces sciences même, de leur production, de leur scientificité, de leurs valeurs et leur portée
objective. Le terme est apparu au XIXème siècle composé des racines grecques épistémè (la science, le
savoir) et logos (le discours). Elle se particularise par le fait que son but n’est pas de produire des
connaissances au sens strict comme les autres sciences mais d’étudier la production de ces sciences, le
cheminement intellectuel qui l’a induit. Son objectif est de fournir un regard critique sur les concepts
et théories scientifiques et au besoin d’en proposer. Elle est au service des autres sciences afin de leur
permettre d’améliorer leur scientificité et leur objectivité. Elle doit mettre en relief les qualités et
incohérences des divers processus de production des savoirs (inductiviste, déductif, empirique,…), elle
met en évidence les principes qui structurent la pensée.
Ce questionnement épistémologique est encore plus particulier lorsqu’il traite des sciences
humaines. Celles-ci se heurtent à ce que G. Bachelard a nommé des « obstacles épistémologiques »,
c'est-à-dire tout ce qui peut interférer avec le caractère scientifique de ces matières. Ils peuvent être
résumés à deux obstacles principaux : le rapport entre le sujet (le chercheur) et son objet (l’Homme, la
société et leur production), et le problème de leur nature même et du caractère historique et humain de
l’objet.

1er obstacle : le rapport entre sujet et objet

Ce premier obstacle vient du fait qu’en sciences humaines le chercheur baigne pleinement dans
son sujet. Il étudie ce dans quoi il évolue et ne peut s’en extraire. J. Piaget a appelé cela le problème du
« rapport épistémique », il y a consubstantialité entre le sujet et l’objet. Le chercheur doit arriver à
prendre conscience cette « frontière floue » et l’individu normal, à la fois social et égocentrique, et le
« sujet épistémique » (lui en tant que chercheur), il doit faire cet effort de décentration. Ce problème
peut être imagé par la nécessité que les anthropologues ont démontré lors de l’étude des cultures extra-
européennes de faire cet effort de distanciation vis-à-vis de sa propre culture et vision des choses. Bien
sur cela est ici impossible puisqu’il est impossible d’oublier son humanité ou son être social. Il faut
juste en prendre conscience et de cette prise de conscience va découler l’engagement idéologique du
chercheur.
Ainsi nous pouvons parler du point de vue durkheimien qui consiste à réifier le social. Les faits
sociaux seraient idéels et existeraient en dehors des sujets qui y participent. Cela conduit à devoir
construire son objet d’étude, le définir et écarter les prénotions. Cette « illusion du savoir

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immédiat » (P. Bourdieu) consiste en la doxa que l’on peut connaître intuitivement la réalité sociale car
on y vit. Or cela pose le problème de l’objectivité lorsque l’on projette continuellement des avis, des
préjugés sur son objet.
M. Weber s’orientera vers une autre façon de penser le social. Pour lui tous les faits et
productions humaines, dont le social, sont sous-tendus et productrices de valeurs. Il faut alors
distinguer le jugement de valeurs et le rapport de valeurs. Le premier induit un classement de ces
valeurs selon des critères définis. Le rapport de valeurs est la démarche que doit mettre en place le
scientifique pour prendre conscience des valeurs qui orientent son intérêt. Il pourra de cette manière
expliciter sa problématique comme le résultat de son point de vue particulier auquel il ne peut échapper
et dont il tient compte.
Ainsi ces deux visions s’opposent sur la manière de traiter des caractéristiques du social. L’un
veut écarter la subjectivité pour se rapprocher le plus possible du fonctionnement des sciences exactes
tandis que le second entend le conserver en tant qu’un paramètre inséparable de l’objet de recherche.

2nd obstacle : le problème de la nature de l’objet

En effet passé le problème du rapport du sujet à l’objet se pose le problème de l’objet lui-même.
Il n’est pas statique mais dynamique, il consiste en des processus eux-mêmes résultant d’autres
processus. Les sciences humaines ne pourront jamais prévoir l’évolution de leur objet, elles ne peuvent
qu’étudier son évolution jusqu’à son état présent. « La sociologie ne peut pas vous dire ce que vous
devez faire mais seulement décrire les conséquences de ce que vous aurez décidé de faire », M. Weber.
Le social est historique, il se construit continuellement et ne peut donc pas faire l’objet de lois
universelles. A cette évolution temporelle se couple l’évolution spatiale. Les faits sociaux se déroulent
simultanément et différemment chaque fois à travers le monde et selon la culture.
L’objet a une composante humaine qui de fortes conséquences. D’abord le mode opératoire
expérimental est impossible (mis à part quelques protocoles en psychologie). On ne peut recréer un
phénomène social, éminemment complexe. De plus les sciences humaines et sociales influent sur leur
objet. Lorsqu’une découverte est faite, les gens en tiennent compte et modifient leur comportement.
Le social est donc un phénomène total et inscrit dans un système qu’il modifie. On ne peut
l’étudier sans tenir de ce système et que dans un état donné de ce système fluctuant avec le temps et
l’espace.

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ANNEXES

1er texte, texte d'un épistémologue Paul Feyerabend, Adieu La Raison

La science- une tradition parmi les autres

« Le second thème de mes écrits est l'autorité des sciences. J'affirme qu'il n'existe aucune raison
« objective » pour préférer la science et le rationalisme occidental à d'autres traditions. En effet, il est
difficile d'imaginer ce que pourraient être de telles raisons. Devraient-elles être capables de persuader
une personne, ou les membres d'une culture, quelles que soient leurs coutumes, leurs croyances ou leur
situation sociale? Mais ce que nous savons des cultures nous montre qu'il n'existe pas de raisons
« objectives » dans ce sens là. Devraient-elles convaincre une personne correctement préparée? Mais
alors, toutes les cultures ont des raisons « objectives » en leur faveur. Devraient-elles se référer à des
résultats dont l'importance peut être immédiatement perçue? Alors à nouveau toutes les cultures ont au
moins quelques raisons « objectives » en leur faveur. Ces raisons ne devraient-elles pas dépendre
d'éléments « subjectifs », tels que l'engagement ou la préférence personnelle? Dans ce cas il n'y a tout
simplement pas de raisons « objectives » ( le choix de l'objectivité comme mesure est en soi un choix
personnel et/ou de groupe ou alors les gens l'admettent simplement sans y penser vraiment).
Il est vrai que la science occidentale a maintenant infecté le monde entier comme une maladie
contagieuse et que beaucoup de gens tiennent ses productions (intellectuelles et matérielles) comme
allant de soi mais la question est: s'agit-il là de la conclusion d'un raisonnement ( dans le sens des
défenseurs de la science) ? Autrement dit: est-ce que chaque étape du progrès a été justifiée par des
raisons en accord avec les principes du rationalisme occidental? L'infection a-telle amélioré la vie de
ceux qui ont été contaminés? La réponse aux deux questions est « non ». La civilisation occidentale a
été soit imposée par la force et non par un raisonnement capable de prouver sa véracité intrinsèque -
soit admise parce qu'elle produit de meilleures armes (voir chapitre 1, section 9); et le progrès a
également causé d'énormes dommages, même si il a pu apporter quelques bonnes choses ( à ce sujet, il
faut consulter l'enquête de J.H Bodley, Victims of Progress, Menlo Park, California, 1982). Non
seulement elle a détruit les valeurs spirituelles qui donnaient un sens à la vie humaine, mais elle a aussi
mis à mal la maîtrise correspondante des contextes matériels, sans la remplacer par des méthodes
d'efficacité comparable. Les tribus « primitives » savaient comment traiter les catastrophes naturelles
comme les épidémies, les déluges, les sécheresses elles avaient un « système immunitaire » qui leur
permettait de surmonter toutes sortes d'agressions contre le corps social. En période normale, elles
exploitaient leur environnement sans l'endommager, grâce à leur connaissance des propriétés des
plantes, des animaux, des variations climatiques et des interactions écologiques que nous sommes à
peine en train de redécouvrir (des détails et une large bibliographie sont donnés dans Lévi-Strauss, La
pensée Sauvage, et dans des études ultérieures plus détaillées du même type). Ce savoir a été
sévèrement perturbé et partiellement détruit , par les gangsters de colonialisme d'abord et par l'aide
humanitaire au développement ensuite. La faiblesse qui en résulte pour de vastes parties dudit Tiers
Monde est le résultat des interférences extérieures, mais elle ne les justifie pas.
Majid Rahnema, un chercheur iranien, a comparé les effets de l'aide au développement avec les effets
du sida qui détruit le sytème immunitaire du corps humain (From « Aid » to « Aids », manuscrit non
publié, Stanford, 1984). Il a travaillé également sur la transformation du savoir, de bien commun en
marchandise rare et inaccessible. Ainsi écrit-il (dans Education for Exclusion or Participation?,
manuscrit Stanford, le 16 Avril 1985):

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Les cultures et les civilisations se sont formées, se sont enrichies et ont été transmises par des millions de gens qui
apprenaient par la vie et l'action, pour lesquels vivre et apprendre étaient synonymes, car ils devaient apprendre pour
vivre et ils apprenaient tout ce qui avait du sens pour eux et pour la communauté à laquelle ils appartenaient. Avant
que le système scolaire actuel ne s'instaure, pendant des millénaires, l'éducation n'a pas été une marchandise rare. Ce
n'était pas le produit de quelques usines institutionnelles, dont la possession pouvait octroyer à une personne le droit
d'être appelée « éduquée » [...]. Le [nouveau] système scolaire [...] sert [servait] de tamis assez efficace pour trier, au
sein de l'establishment politique, les plus ambitieux et parfois les plus brillants ceux qui recherchent une célébrité
personnelle et professionnelle. De façon paradoxale, il a également servi de « médium culturel » pour quelques
individus remarquables, parmi lesquels des penseurs radicaux et des révolutionnaires qui utilisèrent ses ressources
uniques d'apprentissage dans le but de leur propre libération.
Pourtant dans l'ensemble, il est bientôt devenu une « machine infernale » qui s'est faite remarquer par l'organisation
systématique de processus d'exclusion contre les pauvres et les plus faibles [...]. Les jours anciens [...] quand « chaque
adulte était un professeur » sont finis. Maintenant seuls ceux qui sont homologués par le système scolaire, selon les
critères qu'il a lui-même conçus, ont le droit d'enseigner. L'éducation est ainsi devenue quelque chose de rare [c'est
moi qui souligne].

Il est intéressant de constater le peu d'influence qu'ont eue ces découvertes sur les sermons prêchés par
les rationalistes professionnels. Karl Popper, par exemple, se plaint de « l'atmosphère générale
antirationaliste... de notre époque », célèbre Newton et Einstein comme les bienfaiteurs de l'humanité
sans souffler mot sur les crimes commis au nom de la Raison et de la Civilisation. Au contraire, il
semble penser que les bienfaits de la civilisation doivent parfois être imposés, à des victimes non
consentantes, par « une sorte d'impérialisme » (voir chapitre 6, section I).
Il y a diverses manières d'expliquer pourquoi tant d'intellectuels défendent encore des idées à courte
vue. L'une des raisons est l'ignorance. La plupart des intellectuels n'ont pas la moindre idée des
véritables succès remportés par la vie en dehors de la civilisation occidentale. Tout ce que nous avions
(et malheureusement, avons toujours) dans ce domaine, ce sont des « on-dit » sur l 'excellence de la
science et de la piètre qualité de tout le reste. Les échappatoires protectrices que les rationalistes ont
inventées pour surmonter les obstacles constituent une autre des ces raisons. Par exemple, il font la
distinction entre la science fondamentale et ses applications: s'il y a eu quelque destruction, alors c'était
l'oeuvre des « scientifiques appliqués », et non celle des théoriciens innocents. Mais les théoriciens ne
sont pas si innocents que ça. Ils recommandent que l'analyse prennent le pas sur la compréhension, et
cela, même dans les domaines qui traitent des problèmes de l'homme; ils vantent la « rationalité » et
«l'objectivité » de la science sans se rendre compte qu'une procédure dont le but principal est de se
débarrasser de tout élément humain est condamnée à produire des actes inhumains. Ou bien ils font la
distinction entre le bien que la science peut « en principe » apporter et le mal qu'elle fait en réalité.
Cela ne peut guère nous réconforter. Toutes les religions sont bonnes « en principe » - mais
malheureusement ce Bien abstrait a rarement empêché ses praticiens de se comporter comme des
bandits. »

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2ème texte d'un sociologue Edgar Morin, La Méthode, 1. La Nature de la Nature

L'a-méthode

« Entendons-nous: je ne cherche ici ni la connaissance générale ni la théorie unitaire. Il fait au


contraire, et par principe, refuser une connaissance générale: celle-ci escamote toujours les difficultés
de la connaissance, c'est à dire la résistance que le réel oppose à l'idée: elle est toujours abstraite,
pauvre, « idéologique », elle est toujours simplifiante. De même, la théorie unitaire, pour éviter la
disjonction entre les savoirs séparés, obéit à une sursimplification réductrice, accrochant tout l'univers à
une seule formule logique. De fait, la pauvreté de toutes tentatives unitaires, de toutes réponses
globales, confirme la science disciplinaire dans la résignation du deuil. Le choix n'est donc pas entre le
savoir particulier, précis, limité, et l'idée générale et abstraite. Il est entre le Deuil et la recherche d'une
méthode qui puisse articuler ce qui est séparé et relier ce qui est disjoint.
Il s'agit bien ici d'une méthode, au sens cartésien, qui permette de « bien conduire sa raison et chercher
la vérité dans les sciences ». Mais Descartes pouvait, dans son discours premier, à la fois exercer le
doute, exorciser le doute, établir les certitudes préalables, et faire surgir la Méthode en Minerve armée
de pied en cap. Le doute cartésien était sûr de lui-même. Notre doute doute lui-même; il découvre
l'impossibilité de faire table rase, puisque les conditions logiques, linguistiques, culturelles de la pensée
sont inévitablement préjugeantes. Et ce doute, qui ne peut être absolu, ne peut pas non plus être
absolument vidangé.
Ce « cavalier français » était parti d'un trop bon pas. Aujourd'hui, on ne peut partir que dans
l'incertitude, y compris l'incertitude sur le doute. Aujourd'hui doit être méthodiquement mis en doute le
principe même de la méthode cartésienne, ma disjonction entre les objets entre eux, des notions entre
elles (idées claires et distinctes), la disjonction absolue de l'objet et du sujet. Aujourd'hui, notre besoin
historique est de trouver une méthode qui détecte et non pas occulte les liaisons, articulations,
solidarités,implications, imbrications, interdépendantes, complexités.
Il nous faut partir de l'extinction des fausses clartés. Non pas du clair et du distinct, mais de l'obscur et
de l'incertain; non plus de la connaissance assurée, mais de la critique de l'assurance.
Nous ne pouvons partir que dans l'ignorance, l'incertitude, la confusion. Mais il s'agit d'une
conscience nouvelle de l'ignorance, de l'incertitude et de la confusion. Ce dont nous avons pris
conscience, ce n'est pas l'ignorance humaine en général, c'est l'ignorance tapie, enfouie, quasi-
nucléaire, au coeur de notre connaissance réputée la plus certaine, la connaissance scientifique. Nous
savons désormais que cette connaissance est mal connue, mal connaissante, morcelée, ignorante de son
propre inconnu comme de son connu. L'incertitude devient viatique: le doute par lequel le sujet
s'interroge sur les conditions d'émergence et d'existence de sa propre pensée constitue dès lors une
pensée potentiellement relativiste, relationniste et auto-connaissante. Enfin, l'acceptation de la
confusion peut devenir un moyen de résister à la simplification mutilatrice. Certes, la méthode nous
manque au départ; du moins pouvons-nous disposer d'anti-méthode, où ignorance, incertitude,
confusion deviennent vertus. »

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