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Nationale des Orthophonistes Paris


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Sommaire Décembre 1999 N° 200
Rééducation Orthophonique, 2, rue des deux gares, 75010 Paris
Ce numéro a été dirigé par l’association Orthophonissimo

L’ORTHOGRAPHE

Orthophonissimo, Association de recherche en orthophonie, Paris 3

1. Point de vue sociologique sur l’orthographe 5


Philippe Cibois, Professeur de Sociologie, Université de Versailles-St-Quentin
2. Réponses 13
Françoise Coutou-Coumes, Psychologue clinicienne, Centre Alfred Binet, Paris

1. Orthographe et principes d’écriture en français 25


Jean-Pierre Jaffré, Linguiste, CNRS/UMR 8606-Paris V
2. Vers une orthographe pour l’an 2000 35
Renée Honvault, Linguiste, CNRS et AIROE, Paris
3. La compétence orthographique du sujet adulte 51
Helgard Kremin, Directeur de recherche au CNRS,
L. Maginot, C. Magnien, orthophonistes, Paris
4. Les stratégies de recherche et de copie de mots
se développent-elles conjointement ? 77
Laurence Rieben, Professeur de psychologie, Université de Genève
5. Apprentissage implicite et orthographe. Le cas de la morphologie 91
Sébastien Pacton, L.E.A.D/CNRS, Dijon ; Michel Fayol, LAPSCO/CNRS, Clermont-Ferrand ;
Delphine Lonjarret, David Dieudonné, L.E.A.D/CNRS, Dijon
6. Apprendre la morphologie du nombre à l’écrit en français 101
Corinne Totereau, Docteur en psychologie, IUFM, Draguignan

1
(suite)
7. La complexité de l’orthographe est-elle seule responsable
des erreurs orthographiques chez l’enfant ? 115
Christiane Soum, Jean-Luc Nespoulous, Laboratoire Jacques Lordat,
Université Toulouse-Le Mirail
8. La neuropsychologie cognitive de l’orthographe 129
Helgard Kremin, Directeur de recherche, CNRS, Paris
9. Contribution de l’imagerie fonctionnelle du cerveau à la compréhension
des mécanismes neurobiologiques des processus orthographiques
et de leurs troubles développementaux 147
Michel Habib, Laboratoire de Neurologie Cognitive, La Timone, Marseille ;
Jean-François Demonet, INSERM U455, Purpan, Toulouse

1. Approches didactiques de l’orthographe :


quatre dimensions d’une analyse comparative 165
Linda Allal, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education,
Université de Genève
2. BELEC et l’évaluation de l’orthographe 175
Christiane Baudesson, Olivia Sandevoir, orthophonistes, Flavigny-sur-Moselle
3. Etude d’un cas clinique de perturbation développementale
de l’accès à l’orthographe lexicale : importance diagnostique
et remédiative d’une approche cognitive pluridisciplinaire 191
Jean-Pierre Walch, neuropsychologue, Les Lavandes, Orpierre
4. Récupération d’une orthographe lexicale chez un patient cérébrolésé :
points de vue rééducationnels et théorie descriptive des troubles 213
Roger Ségobia, orthophoniste, Kremlin-Bicêtre,
Nathalie Seibel, orthophoniste-neuropsychologue

1. Synthèse des modèles théoriques et réflexions


sur la rééducation de l’orthographe 223
Didier Roch, Carolyne François, Association Orthophonissimo, Paris

241

2
On a beaucoup écrit sur la lecture, peu sur l’orthographe.
Pourtant, l’orthographe représente un enjeu important dont nous ressen-
tons le poids dans notre pratique d’orthophonistes, au travers de la demande des
patients (aphasiques, illettrés, dysorthographiques, ...), ou dans l’attente des
parents, sous-tendue par la pression scolaire et la crainte de l’échec.
C’est ce qui nous a poussé à orienter notre réflexion sur le vaste thème de
l’orthographe.
Comment situer l’orthographe par rapport à l’écriture ou à la langue
écrite ?
Dans son principe, l’orthographe est une simple technique, c’est-à-dire un
ensemble de procédés graphiques mis au point pour lever les ambiguïtés de la
langue orale.
En fait, l’orthographe est beaucoup plus que ça.
L’orthographe renvoie à un imaginaire collectif où viennent se cristalliser
les contradictions des différents systèmes de valeurs sur lesquels est bâtie notre
société.
Elle pose la question du rapport entre la langue et la communauté de ses
usagers et reflète les relations de pouvoir entre ceux qui détiennent la légitimité
culturelle et les autres.
Le pédagogue Jean Guion n’a-t-il pas proclamé que l’orthographe est une
« institution » ?
S’attaquer à cette institution impliquait donc d’aborder l’orthographe
sous des angles diversifiés : linguistique, sociologique, psychopédagogique,

3
neuropsychologique, à la lumière des dernières recherches en psychologie
cognitive.
Nous remercions les nombreux auteurs qui ont manifesté leur intérêt pour
notre projet et y ont apporté leur contribution.

Association ORTHOPHONISSIMO
association de recherche en orthophonie,
86, rue Notre-Dame des Champs
75006 Paris

Pour ce numéro de Rééducation Orthophonique sur « l’orthographe »,


l’équipe de rédaction était composée de : Carolyne François, Isabelle Robin,
Didier Roch, Marc Sampo, Roger Ségobia, Nathalie Seibel, Dominique
Turrettini et Mazy Varraud.

4
Point de vue sociologique sur l’orthographe
Philippe Cibois

Résumé
En tant que marqueur social, l’orthographe n’a pas plus de valeur que le mode d’expression
ou le mode vestimentaire d’un individu. Mais le système orthographique français a une spéci-
ficité qui tient à sa structure (piégeante pour l’utilisateur) et à son histoire (la révolution de
1789 a bloqué son évolution). Cette situation engendre certaines réactions psycho-sociales
qui expliquent l’ambivalence des français par rapport aux réformes. En chaque individu coha-
bitent deux tendances contradictoires : celle du scripteur (favorable à certaines rectifications
des « bizarreries » orthographiques) et le lecteur (attaché à la forme visuelle du texte et hostile
aux modifications). De plus les gens sont sensibles à la fois à l’aspect patrimonial de l’ortho-
graphe (héritage culturel, intouchable) et à la nécessité de rendre l’outil fonctionnel. Seule une
institution - l’Académie Française - est apte à décider.
Mots-clés : Système orthographique, Académie des lumières, réforme, lecteur/scripteur,
patrimonial/fonctionnel.

A sociological perspective on spelling

Abstract
As a social « marker », the way a person spells is no more important than his(her) mode of
expression or way of dressing. But there is a specificity to the French orthographical system
which is inherent to its structure (a trap for the user) and to its history (its evolution has been
hindered by the 1789 revolution). This situation generates several psychosocial reactions
which explain the French’s ambivalence towards reforms. Two contradictory trends coexist in
every person : that of the writer (in favour of modifying certain orthographical peculiarities)
and that of the reader (more attached to the visual form of the text and hostile to changes).
Furthermore, people are sensitive to both the patrimonial aspect of spelling (sacrosanct cultu-
ral inheritance) and to the need of having a functional tool. The « French Academy » is the sole
institution qualified to make decisions on this matter.
Key Words : Spelling system, reform, reader/writer, patrimonial/functional.

5
Philippe CIBOIS
Professeur de sociologie
Université de Versailles
St-Quentin
22bis rue Essertes, 94140 Alfortville
co-auteur de Que vive l’orthographe,
Seuil, 1989

D
ire qu’une mauvaise orthographe vous « marque » socialement est de
peu d’intérêt car il en est de même pour la prononciation, la manière de
s’habiller ainsi que pour beaucoup d’aspects de la vie. De ce point de
vue l’orthographe n’a rien de spécifique. Il me semble plus intéressant, comme
sociologue, de comprendre pourquoi nous avons une orthographe qui nous pose
socialement des problèmes et en quels termes ils se posent.

◆ Le système orthographique
Pour comprendre la situation actuelle, examinons un extrait d’un texte du
18e siècle, le Traité des Etudes de Charles Rollin dans sa 3e édition de 1730 :
Face à un tel texte, la difficulté vient
plus de la graphie que de l’ortho-
graphe du fait de l’usage du S long
(première ligne souverainement, 3e
ligne laissé, etc.), signe qui ressemble
pour nous au f et dont la seule trace
existant encore est le S mathématique
de l’intégrale qui signifie simplement
somme. Nous sommes éga l e m e n t
surpris par le signe & cependant tou-
jours utilisé, qui est un reliquat des
nombreuses abréviations des manus-
crits anciens et qui remonte à la sté-
n o g r a p h i e d e l ’ a n t i q u i t é (l es
fameuses notes tironiennes, invention
de Tiron, l’affranchi de Cicéron).

6
Cependant, du point de vue de l’orthographe, on voit que le système des
accents n’est pas encore tout à fait le nôtre : caractere sans accent, absence de
l’accent grave (maniére, zéle), graphie en oit au lieu de ait dans dominoit.
Entre l’orthographe de Rollin et la nôtre ont eu lieu des réformes assez
nombreuses au 18e siècle, faites par l’Académie française, qui ont conduit à la
situation du 19e qui est déjà pratiquement le système que nous utilisons aujour-
d’hui. Ces réformes ont été faites également dans de nombreux pays d’Europe.
Par exemple l’italien a connu des réformes plus profondes comme de remplacer
les lettres grecques par des lettres latines (filosofia, fotografia, farmacia). Les
italiens n’ont pas de problème d’orthographe et les espagnols non plus. Il faut
donc réfléchir à la situation française et comprendre pourquoi les français en
ont.
Si l’on regarde les fautes d’orthographe commises, non plus comme cor-
recteur, mais pour en comprendre les raisons, on s’aperçoit qu’elles viennent le
plus souvent des accents et des redoublements de consonnes. Il est aisé d’en
comprendre la raison profonde. Elle vient du fait que le système orthographique
utilise plusieurs manières pour rendre compte de certains sons, et que l’on passe
d’une manière à l’autre de façon aléatoire, ce qui risque de piéger l’utilisateur.
Par exemple pour noter le son è, on peut tout aussi bien utiliser l’accent, comme
dans je mène, ou le redoublement de consonne comme dans j’appelle. Celui qui
écrit je menne ou j’appèle manifeste simplement qu’il a compris le système
mais qu’il est piégé par lui.
A titre de comparaison on voit qu’en italien, il existe aussi des accents
mais il n’y a pas de piège car les accents sont directement liés à la prononciation
comme dans la libertà qui marque l’accent tonique sur la dernière syllabe. En
français le système des accents est dans l’ensemble lié à la prononciation (je
cède, nous cédons) mais le piège réside dans le fait que les accents circonflexes
ne sont pas liés à la prononciation mais sont des résidus incertains d’étymolo-
gie.
« Résidus incertains » : on dit en effet que le système est étymologique et,
certes, dans coût par exemple, l’accent circonflexe remplace le s de l’ancien
français. L’anglais en est un bon témoin : cost montre qu’il y avait évidemment
un s à l’origine (en français comme en anglais). De la même façon, l’anglais
custom montre qu’il y avait aussi un s dans l’ancien mot français. Mais aujour-
d’hui ce s n’a pas été remplacé par un accent circonflexe (on écrit coutume sans
accent). Le système n’est pas régulier : par exemple pâte entraîne pâtisserie
avec un accent circonflexe mais le dérivé de cône, conifère est sans accent. De
même pour être et était, fût et futaie, mais gâté et gâteau ont tous deux l’accent.

7
On a donc un système irrégulier : certains accents circonflexes ont disparu
récemment comme dans souvenir (il a existé jusqu’à 1762), dans bouchon, dans
bocage, dans otage, dans soupir. Partout il y avait des s avant et dire que le cir-
conflexe est la trace d’un s disparu est une règle qui doit être remplacée par
celle-ci « le circonflexe note parfois la présence d’un s disparu ». Quant à l’ac-
cent circonflexe sur le o on le retrouve dans cône mais pas dans zone ni dans
atome qui se prononcent pourtant de la même façon que pôle.
Notre système, à l’inverse de celui de l’italien ou de l’espagnol, tend des
pièges à l’utilisateur qui évidemment tombe dedans. Cependant, dans le système
anglais il y a aussi un grand nombre de lettres muettes. Bernard Shaw, qui était
spécialiste de la question, s’était aperçu qu’il y avait 30 lettres pour rendre
compte de 17 sons dans la phrase The kneeling knight thought he knew. En fait
les anglais n’ont pas trop de problèmes d’orthographe car les lettres superflues
ne provoquent pas d’hésitation mais une simple perception d’inutilité. Les amé-
ricains simplifient d’ailleurs : ils écrivent nite au lieu de night mais ils savent
bien que cela s’écrit night. Ce n’est pas une faute mais une simplification vou-
lue. Eux ne sont pas piégés par le système des accents et des redoublements.

◆ Lecteur contre scripteur


Cependant, nous ne sommes pas totalement démunis face à ces pièges
grâce à notre mémoire visuelle des mots. C’est celle qu’on utilise lorsqu’on
hésite entre deux graphies : on écrit les deux et la bonne apparaît sans ambi-
guïté. De ce fait les lettres muettes, superflues, sont plutôt une aide, en ce sens
qu’elles participent au dessin du mot, et favorisent sa mise en mémoire et donc
sa reconnaissance à la lecture. Le problème se pose à l’écriture où l’on hésite :
« y a-t-il un accent circonflexe ou un accent grave dans des mots comme
emblême, crème ? ». D’un point de vue fonctionnel le è ou le ê ont le même
effet et l’on ne sait plus ce qu’il faut écrire. C’est à ce moment que la mémoire
visuelle doit suppléer mais une si petite variation graphique (un accent) est par-
fois difficile à mémoriser. Le système actuel orthographique pousse à la faute du
fait de ses irrégularités internes.
Ce phénomène à des conséquences psychosociales : comme lecteur on n’a
aucune difficulté avec les bizarreries du système orthographique et les lettres
superflues par exemple nous servent à repérer les homophones. Les bizarreries
nous aident à lire, elles nous permettent de bien différencier les mots. Mais à
l’écriture le point de vue change car les bizarreries du système conduisent à l’hé-
sitation et à la faute. Ceci fait que chacun a une double attitude, celle du lecteur
qu’il est le plus souvent, et celle du scripteur qu’il est en général plus rarement.

8
Quand on change la physionomie d’un mot comme lors d’une coquille
dans un journal, c’est une agression pour le lecteur. De même lorsqu’un journal
change sa typographie ou sa maquette cela déconcerte : on a beaucoup de mal à
l’accepter, même si en fait on s’y habitue assez vite. Comme lecteur on s’op-
pose à toute modification de l’aspect visuel du texte, alors que comme scripteur
on a une attitude inverse : on souhaiterait des simplifications du système parce
qu’on hésite quand on écrit. C’est l’une des explications aux réticences de beau-
coup de gens devant les réformes : ils sont partagés en deux : les simplifications
leur seraient utiles lorsqu’ils écrivent mais ils écrivent moins qu’ils ne lisent. On
est donc pris entre deux feux : comme scripteur on aimerait que les choses chan-
gent, comme lecteur on s’y refuse. Cela entraîne un réflexe de peur ou de réti-
cence face à toute tentative de modification, même si cette modification devrait
alléger le fardeau du scripteur en simplifiant l’orthographe.

◆ Qui doit décider ?


Puisque les individus sont pris entre les avantages du statu quo et ses
inconvénients, seule une autorité incontestable peut débloquer la situation et
jusqu’à présent l’autorité dans ce domaine a été l’Académie française. En
effet elle a réformé l’orthographe à cinq reprises au 18e siècle. L’Académie
était celle des Lumières. Voltaire pensait y faire avancer la lumière pour dissi-
per les ténèbres de la religion, contre l’obscurantisme et l’Académie a réformé
beaucoup de points. Mais a eu lieu la Révolution. Et après elle l’Académie,
devenue légitimiste, a identifié toute réforme de l’orthographe à la Révolution
elle-même qui était « la faute à Voltaire, et la faute à Rousseau ». Continuer
leur travail de simplification de l’orthographe aurait été à leurs yeux continuer
la Révolution.
Au 19e siècle, l’Académie est devenue l’Académie des ducs, des légiti-
mistes, avec une prudence totale en matière politique et de réformes orthogra-
phiques. Celles-ci ont été extrêmement peu nombreuses tout au long du 19e
siècle. Contre l’Académie, les lettrés, les techniciens de la langue comme Ferdi-
nand Brunot ou quelques autres ont poussé aux réformes, parce qu’ils étaient
confrontés à l’instruction qui se généralisait, et en contact, par le biais des
écoles normales, avec des instituteurs qui avaient beaucoup de difficultés à
enseigner l’orthographe et manifestaient le désir de la voir simplifiée. En 1902 il
y a eu d’ailleurs une tentative de simplification : un décret du Ministère de l’ins-
truction publique spécifiait que telle ou telle simplification ne serait pas tenue
pour faute aux examens mais c’était vouloir ignorer l’Académie et ce fut sans
effet. Il en fut de même jusqu’en 1990.

9
◆ La réforme de 1990
Une enquête faite peu avant 1990 par Bernard Pivot, dans la revue Lire, a
eu des résultats qui ont entraîné une réflexion sur la situation. En effet quand on
a demandé aux gens : « seriez vous favorables ou hostiles à une réforme de l’or-
thographe ? » la moitié des gens étaient hostiles, mais 44 % favorables (il y
avait 6 % de non réponses). A la question « Est-ce-que l’orthographe fait partie
de notre culture ? », la réponse fut un oui massif, à 86 % (9 personnes sur 10).
Enfin à la question : « Est-il possible de retoucher l’orthographe pour en suppri-
mer quelques bizarreries et absurdités ? » 80 % pensaient que c’était possible.
La moitié des gens étaient pour une réforme. Beaucoup plus lui étaient favo-
rables si elle corrigeait des bizarreries mais beaucoup pensaient en même temps
que l’orthographe faisait partie de notre patrimoine.
Cette enquête a poussé Bernard Pivot à participer à un mouvement de
réforme initié par des linguistes qui avaient fait une pétition en vue d’une
réforme. En 1989 le gouvernement Rocard décida de mettre en place une com-
mission dans laquelle figurait Bernard Pivot. C’était à la veille de la guerre du
Golfe. Au moment où s’est déclenchée cette guerre, l’Académie était en train de
revenir sur ses positions. Pivot était favorable à une certaine réforme, mais les
linguistes, semble-t-il, ont voulu aller trop loin : ils ont voulu par exemple sup-
primer complètement l’accent circonflexe, et sur ce point Bernard Pivot a pris
une position défavorable. Un premier texte avait été accepté par l’Académie,
mais il y a eu des pressions pour la faire revenir en arrière. L’Académie a conclu
prudemment en ne remettant pas en cause les rectifications mais en signalant
qu’elles n’étaient pas obligatoires et que l’usage trancherait. Depuis, Maurice
Druon, qui était à l’époque secrétaire perpétuel de l’Académie et qui était favo-
rable à cette réforme a fait en sorte de tenir dans les médias (dont le Figaro) le
même discours d’acceptation d’une certaine réforme. Ces simplifications sont
inscrites dans le dictionnaire de l’Académie. Elles sont minimes, portent sur la
suppression de l’accent circonflexe uniquement sur le i et sur le u, corrigent cer-
taines bizarreries et proposent quelques simplifications. Ces réformes sont
reprises par le dictionnaire de l’Académie et donc aussi dans les dictionnaires
usuels et de ce fait sont en train d’entrer lentement dans l’usage.

◆ Les difficultés d’adaptation


Le débat en France sur la réforme de l’orthographe ne se recouvre pas
avec le débat entre la gauche et la droite. On le constate en faisant l’inventaire
des personnalités qui ont pris position dans le débat. Par exemple parmi les
chroniqueurs du Nouvel-Observateur, Jean Daniel et Jacques Julliard étaient

10
pour la réforme mais Delfeil de Ton et Bernard Franck étaient contre ; au
Figaro, Maurice Druon lui était favorable. Quelques enquêtes ont permis de
comprendre qu’en fait, comme dans le questionnaire de Bernard Pivot, les gens
de droite et de gauche sont pris entre deux soucis. D’une part ils utilisent l’or-
thographe comme un outil et sa fonctionnalité fait partie de leurs soucis (d’où
une acceptation de la réforme des bizarreries) mais d’autre part l’aspect patri-
monial est présent avec le sentiment très fort de l’identité qui existe entre l’or-
thographe et la langue, même si les linguistes contestent cet aspect. Ce que les
enquêtes ont permis de mieux comprendre, c’est que ce double aspect (fonction-
nalité et patrimoine) se retrouve d’une manière plus ou moins prononcée chez la
plupart des individus. Il n’y a pas ceux qui mettent l’accent uniquement dans un
sens ou dans un autre. Chez presque tous on retrouve le sentiment que les deux
aspects sont fondamentaux. Ceci explique pourquoi toute réforme, même si elle
améliore l’aspect fonctionnel de la langue entraîne des réticences, et du lecteur,
et du « patrimonial » qui réside en chaque individu. Inversement tout
« scripteur » ayant le souci de la fonctionnalité tentera de mettre en œuvre les
réformes proposées. Comme toutes ces tendances se croisent dans le même indi-
vidu, on comprend mieux les difficultés d’une évolution. Seule une institution
disposant depuis longtemps de l’autorité dans ce domaine est en mesure de
prendre des décisions. C’est ce qu’a fait l’Académie française en 1990.

11
Réponses
Françoise Coutou-Coumes

Résumé
Après avoir situé le cadre de sa pratique professionnelle et défini ce qu’est la spécificité de
l’aide psychopédagogique, l’auteur essaie de montrer quelles peuvent être les implications
psychologiques de l’acte d’orthographier : maîtrise de l’absence, soumission à la loi, poids
de la dynamique personnelle inconsciente. Elle illustre ses propos de nombreux exemples
tirés de sa pratique.
Aide psychopédagogique : traitement psychologique visant, grâce à une relation thérapeu-
tique médiatisée, à modifier le vécu scolaire de l’enfant ou de l’adolescent et à l’intéresser
aux mouvements psychiques qui accompagnent ses apprentissages.
Mots clés : aide psychopédagogique, apprentissages scolaires, orthographe, symptôme.

Replies

Abstract
After describing the general orientation of her professional practice and defining clearly what
is meant by psychotherapeutic teaching, the author discusses the psychological implications
involved in the act of spelling: overcoming loss, obeying a law, weight of unconscious dyna -
mics. The author illustrates this paper with many examples taken from her own professional
experience.
Psychotherapeutic teaching : a form of psychological treatment which, through the use of
a therapeutic medium, attempts to modify the way the child or adolescent experiences
school and tries to make him more aware of those internal psychic activities which are
associated with learning.
Key Words : psychoeducational help, academic learning, spelling, symptom.

13
Françoise COUTOU-COUMES
Psychologue clinicienne
Centre Alfred Binet
76, avenue Edison
75013 Paris

◆ Dans quel cadre avez-vous l’occasion de rencontrer des enfants


présentant des difficultés en orthographe ?
Je les rencontre au Centre Alfred Binet, centre de consultations et de trai-
tements ambulatoires du département de pédopsychiatrie de l’Association de
Santé Mentale dans le XIIIe arrondissement.
Cette dernière a été créée en 1958 par Philippe Paumelle avant même la
publication de la circulaire de 1960 qui devait officialiser et généraliser en
France la politique dite de secteur visant, dans la continuité, à maintenir une
proximité entre le domicile des patients et le lieu où des soins leur étaient prodi-
gués.
Dès l’origine, la direction du Centre Alfred Binet fut confiée à Serge
Lebovici, bientôt rejoint par René Diatkine. Nommer les fondateurs, c’est évo-
quer la référence théorique qui réunit les différents professionnels du Centre
Alfred Binet : la théorie psychanalytique. Elle nourrit les élaborations cliniques
de tous.
C’est au sein d’une équipe animée par René Diatkine et regroupant assis-
tante sociale, orthophonistes et psychothérapeutes que j’ai été amenée, dans les
années 1960, à découvrir puis à pratiquer régulièrement l’aide psychopédago-
gique.

◆ Dans quelles circonstances ?


A l’occasion d’une consultation de René Diatkine à laquelle j’assistais en
tant que psychologue de son équipe. La consultante était une petite fille en souf-
france scolaire mais dont les difficultés n’appelaient spécifiquement ni la mise en
place d’un traitement orthophonique, ni celle d’une psychothérapie analytique.

14
René Diatkine demanda alors à la cantonade « Qui serait intéressé pour assurer à
cette fillette une sorte de soutien dans ses apprentissages ? ». Spontanément, je me
désignai et c’est ainsi que je me lançai dans la pratique de l’aide psychopédago-
gique, soutenue ensuite par un long travail de réflexion animé par René Diatkine,
Janine Simon puis Serge Lebovici. A l’heure actuelle, dans les différentes équipes
du Centre, un certain nombre de psychologues assurent ce type de traitement.

◆ Comment le définiriez-vous ?
Comme un traitement psychologique individuel - il peut aussi s’appliquer
à un petit groupe mais je n’en ai pas personnellement l’expérience - dont l’ob-
jectif explicite est de modifier les relations qu’entretient l’enfant avec sa scola-
rité. Anxiété excessive face à l’exercice scolaire, ennui à tonalité dépressive,
opposition clairement exprimée ou totalement inconsciente, intolérance à la
réussite, difficultés cristallisées sur une seule discipline, voici quelques formes
d’expression possibles de la souffrance scolaire. L’objectif implicite de ce traite-
ment va beaucoup plus loin : il s’agit de provoquer l’intérêt de l’enfant ou de
l’adolescent pour son mode de relation au savoir et par là même pour sa vie
intérieure. Comment ? Au travers d’une rencontre thérapeutique. Comme je
l’écrivais dans Affronter l’école : « même si j’évoque une figure parentale, je ne
suis ni la mère ni l’enseignante de l’enfant que je traite. L’originalité de la tâche
proposée n’est pas ici en jeu mais l’originalité du regard posé sur l’activité qui
se déroule et sur celui ou celle qui l’exécute. Les interrogations qui émergent,
les réponses qui sont sollicitées ou apportées sont différentes de celles aux-
quelles l’enfant est habitué. Cette différence est porteuse de distance et de nou-
veauté, même si des scénarios connus sont rejoués inconsciemment avec moi ».
Toutes les disciplines scolaires peuvent être abordées, du latin aux mathé-
matiques et à la littérature, en passant par l’anglais ou la biologie. L’orthographe
fait partie de cet éventail mais elle ne constitue pas l’indication première de
l’aide psychopédagogique. A ce titre, je ne suis pas du tout une spécialiste de
l’orthographe mais plutôt une généraliste de la scolarité et notamment de la sco-
larité secondaire, ce que j’expliquerai ultérieurement.

◆ Lorsque vous avez affaire à des difficultés spécialement


cristallisées sur l’orthographe, comment vous situez-vous
par rapport aux orthophonistes ?
J’ai eu l’occasion de travailler avec les orthophonistes dès le début de ma
vie professionnelle. « Ton train va loin mais le mien est plus grand », « les œufs

15
de la crémière et les marguerites flétries » des phrases de Madame Borel-Mai-
sonny font partie de ma culture.
Comment oublier en effet que le laboratoire de psychologie dirigé par
René Zazzo - où mon premier emploi de psychologue me fit entrer - était ins-
tallé dans le même bâtiment que le service de Madame Borel-Maisonny, à l’hô-
pital Henri-Rousselle ?
Comment oublier les consultations de J. de Ajuriaguerra, les élaborations
partagées, la lente maturation des notions de dyslexie, de dysorthographie, de
dysphasie et les interrogations qu’elles suscitaient déjà ?
Comment oublier enfin les liens privilégiés que René Diatkine avait
noués et a gardés toute sa vie avec Madame Borel-Maisonny et l’équipe d’or-
thophonistes qui travaillaient avec elle... puis après elle ? Un bon nombre
d’entre elles ont été ou sont encore mes collègues au Centre Alfred Binet.
Ma collaboration avec les orthophonistes a donc une très longue histoire et
la délimitation de nos compétences respectives se négocie aisément, la complé-
mentarité excluant la concurrence. Il nous arrive même souvent d’échanger titres
de livres ou « astuces » techniques susceptibles de mobiliser tel ou tel enfant.
Lorsqu’une famille consulte au Centre Alfred Binet pour le motif expli-
cite de difficultés en orthographe, le médecin consultant demande qu’une ortho-
phoniste pratique un bilan. C’est au cours de celui-ci que cette dernière s’inter-
roge éventuellement sur une indication différentielle : traitement orthophonique
ou aide psychopédagogique.
De même, au cours d’un examen psychologique, il m’arrive parfois de
découvrir chez un enfant qui ne consulte pas pour ce motif, des difficultés de
langage, de lecture ou d’orthographe. Je peux alors à mon tour souhaiter qu’un
bilan orthophonique soit pratiqué.
C’est toujours à la suite d’une concertation où psychanalyste, orthopho-
niste et psychologue apportent leurs voix que la décision thérapeutique est prise.
Actuellement et depuis de longues années, on me confie plutôt des collé-
giens que des enfants suivant une scolarité primaire, notamment du CP au CE2.
Il me paraît en effet que dans ces cas précis, le « montage » de la lecture et la
mise en place de la transcription du code linguistique ne sont pas de ma compé-
tence.
Ceci explique sans aucun doute que les collégiens et les lycéens bénéfi-
cient davantage de mes soins dans ce domaine, les médecins avec lesquels je
travaille le sachant posent leurs indications en ce sens.

16
Certains chevauchements demeurent pourtant, mais pourquoi pas ? Certes
nos formations de base restent différentes, mais elles ont été tellement retou-
chées et enrichies par le partage d’une même culture psychanalytique et telle-
ment stimulées et vivifiées par l’enseignement de René Diatkine et notre longue
collaboration avec lui, que les différenciations ne se posent plus en termes cor-
poratistes.
Voici quelle est la situation actuelle dans le cadre du Centre Alfred Binet,
mes propos ne doivent certainement pas être généralisés.

◆ Que mettent en jeu, à votre avis, les difficultés en orthographe


présentées par les enfants et les adolescents qui vous sont confiés ?
Leur relation avec leur petite enfance et leur degré de tolérance à l’ab-
sence, leurs rapports avec la loi et avec la culture, et enfin le poids de leur pro-
blématique personnelle. Mode de relation à leur petite enfance ? Orthographier
c’est transcrire un code qui est celui des adultes. En ce sens l’apprentissage de
la lecture et de l’orthographe vient confirmer l’entrée de l’enfant dans ce monde
et lui donner les moyens de communiquer avec autrui en son absence. C’est un
pas supplémentaire - et quel pas ! - dans la maîtrise de la séparation et dans la
conquête de l’autonomie. C’est un pas qui implique le deuil de l’étape anté-
rieure où la communication exigeait la proximité de l’autre... paroles, cris et
pleurs s’entendent dans l’urgence de la présence.
Refuser de transcrire, garder à son orthographe un caractère intraduisible
ou illisible peut donc se comprendre comme une forme de régression, l’expres-
sion d’un refus de grandir, ou la peur d’une confrontation de plus en plus fré-
quente à l’absence.

◆ Et la relation de l’orthographe avec la loi ?


Le partage avec les adultes d’un code rigide et imposé conduit certains
enfants au plaisir - le plus souvent inconscient - de s’y opposer. Tout se passe
comme si ce code, symbole de la loi, de l’autorité sociale - donc parentale - ne
pouvait être que transgressé. Quel terrain privilégié si l’on veut bien admettre à
quel point l’orthographe française est contraignante, complexe dans ses varia-
tions tant morphologiques que syntaxiques.
Autant ne pas rentrer dans ces arcanes... Ainsi Emilie découvrira-t-elle à
vingt ans seulement et en faculté, que le cours n’est plus la cour de récréation.
Le court de tennis, lui, avait bien intégré son T. Que signifiait ce S. - Savoir ?
Souffrance ? - chez cette jeune fille qui, au cours d’une scolarité tout à fait nor-

17
male, mais sans joie, a gardé une mauvaise orthographe jusqu’à l’âge adulte ?
Après tout, avec un S., un T. ou sans S. ni T., court se lit toujours cour, « Qu’ai-
je à faire, se disait-elle, de ces « finasseries » inutiles qu’on veut m’imposer ? ».

◆ Et la culture ?
En tant que véhicule d’une langue, l’orthographe est bien sûr l’expression
de toute une culture et certaines difficultés peuvent traduire une sorte de conflit
de loyauté entre deux cultures.
J’ai rencontré un certain nombre d’enfants de migrants qui, me semble-t-
il, réglaient à travers l’orthographe les comptes que leurs parents, à travers eux,
pensaient avoir à régler avec la société française. Tout se passait comme si res-
pecter le code de la langue française constituait une trahison de leurs racines
qu’il leur était impossible d’assumer.
Ainsi Karim, élève de 5e, m’avouait-il détester le français. Je l’avais
d’ailleurs compris puisqu’il refusait systématiquement toute réflexion sur l’ana-
lyse grammaticale. C’est en parlant ensemble de son attachement à la Kabylie,
de son histoire personnelle, de celle de ses parents, que peu à peu nous avons pu
aborder un travail efficace en grammaire... Il s’est en quelque sorte réconcilié
avec la langue française. Mais ce n’est pas toujours aussi simple.

◆ C’est-à-dire ?
Je pense que les fautes d’orthographe sont la note personnelle que chaque
enfant imprime à son écrit. Ses erreurs résultent d’une stratégie personnelle tout
à fait inconsciente et les corriger engage un changement profond. On peut aimer
ses fautes, les cultiver et je me souviens du sourire radieux de Louise qui
consultait pour ses difficultés en orthographe et m’affirmait « Mes professeurs
disent que mon orthographe, c’est monstrueux ». Elle tenait à rester ce monstre
et maniait sa dysorthographie comme une arme redoutable contre sa mère qui
avait épuisé toutes les aides possibles. Mais lorsqu’elle écrivait pour elle-même
son journal, elle faisait beaucoup moins de fautes...

◆ Pouvez-vous donner d’autres exemples ?


Je me souviens d’un adolescent de religion juive pour lequel le mur des
lamentations était devenu le mur de l’alimentation. Obèse, d’une grande avidité,
David ne voyait dans les fêtes juives que l’occasion - bénie ! - de dévorer en
toute bonne conscience.

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Récemment, Marlène, en pleine crise relationnelle avec sa mère, écrivait
sur son cahier d’anglais : seasick : mal de mèrE. Je soulignais le E en souriant,
elle en comprit parfaitement la portée et éclata de rire en corrigeant.
Aïssa lui, aîné de quatre enfants, paraissait ignorer en 6e toutes les règles
de pluriel... Les « S » et les « ent » brillaient par leur absence. Un jour, j’osais
« Dis donc, Aïssa, qu’est-ce que tu dois en avoir marre de tes frères et soeurs ! -
Pourquoi ? - Tu aimes tellement le singulier que tu ne mets jamais de pluriel, je
me demande pourquoi ». Eclat de rire et début d’une lente progression en ortho-
graphe.
Ces vignettes cliniques viennent illustrer les liens inconscients suscep-
tibles de se créer entre certaines erreurs orthographiques et la problématique
personnelle d’un enfant. Il est évident que l’accord du masculin et du féminin,
par exemple, peut solliciter tel ou tel enfant sur les différences sexuelles. Il
serait dangereux toutefois de voir dans ces exemples des recettes. Je tiens en
tout état de cause à souligner qu’une grande prudence s’impose lorsqu’il s’agit
de « faire des liens » de ce type. Ces interventions doivent s’inscrire dans une
histoire relationnelle suffisamment longue et confiante. Il est très important, soit
d’attendre le moment opportun, soit même de taire ce qu’on a pu comprendre de
la dynamique inconsciente en le gardant simplement en tête comme axe de
réflexion.

◆ Comment abordez-vous les difficultés en orthographe


dans le cadre de l’aide psychopédagogique ?
Je ne les aborde pas différemment des difficultés que je rencontre dans
d’autres disciplines. J’essaie de réintroduire le plaisir de fonctionner à l’inté-
rieur d’une réalité contraignante.
Tout le vécu de la scolarité pourrait d’ailleurs se résumer dans cette
phrase : avoir du plaisir à apprendre dans un cadre, loin de la maison-mère, où
règnent des contraintes corporelles, horaires, relationnelles, administratives qui
pèsent de façon permanente.
Plaisir d’apprendre alors qu’il faut accepter dans un premier temps de ne
pas savoir - donc risquer un mouvement dépressif - pour ensuite conquérir ce
qui vous est apporté et rivaliser avec maîtres et pairs. Et pourquoi ? Pour devenir
autonome et indépendant, hors du désir parental... Quel programme !
L’apprentissage de l’orthographe n’échappe pas à ces données fondamen-
tales : le code est draconien, n’admet aucune fantaisie mais la création du récit
écrit aime la marque personnelle, la fantaisie, le jeu avec le choix des mots, des

19
transitions, des liens dont le sens même est susceptible d’être modifié en fonc-
tion du respect des accords orthographiques.
Le code est draconien mais il ouvre la porte à tous les messages pos-
sibles.
Dans ce contexte, mon premier objectif est de dédramatiser l’orthographe
car je suis frappée par la pression extraordinaire que font peser sur cette matière
enseignants et parents, dès le CP. On pourrait d’ailleurs s’interroger sur les rai-
sons de cette pression.
Dans un premier temps, j’écris moi-même ce que me dictent les enfants,
pour répondre à un exercice par exemple. Ils sont ainsi libérés des affres de l’an-
goisse orthographique. A cette libération s’ajoute le plaisir subtil d’être celui qui
dicte et non celui à qui l’on dicte. Grande nouveauté dans une expérience d’éco-
lier !
Ma tolérance aux mauvaises notes en orthographe est sans borne.
Consciente de la fragilité émotionnelle qu’engendre la situation de dictée, j’ad-
mets les 0 avec une grande philosophie en faisait miroiter avec conviction ce
qu’apportera la classe de 2de lorsque dictées et analyses grammaticales notées
n’auront plus cours. Ce saut dans l’avenir est encourageant.
Cette tolérance n’implique nullement une dévalorisation de l’orthographe.
J’aime trop moi-même cette matière pour adopter cette position. Lorsqu’un
enfant fait une erreur, je lui fais corriger sur le champ en la pointant simplement
du doigt ou en lui donnant une explication ou en écrivant moi-même le mot dif-
ficile. Tout ceci se passe dans une grande légèreté car la mauvaise forme ne
constitue en aucun cas un péché marqué du sceau de la culpabilité.
Je suis consciente que cette tolérance m’est facile car je suis « à
distance », n’étant moi-même ni la mère ni l’enseignante des enfants qui me
sont confiés.
Les parents, blessés par l’accumulation des mauvaises notes, se sentent
contestés dans leur qualité même de parents. Les enseignants eux, le sont dans
leur identité professionnelle - leur mission est de transmettre la conformité au
code de la langue, s’ils n’y parviennent pas, ils peuvent vivre cet échec comme
un échec personnel.
Ma tolérance extrême pour les mauvaises notes en orthographe peut cho-
quer le lecteur. Je tiens toutefois à celle-ci car je suis convaincue qu’elle a une
valeur thérapeutique : d’une part elle réduit une tension donc elle libère des pos-
sibilités, d’autre part elle introduit une dimension nouvelle dans la façon d’abor-
der cette discipline.

20
Dans cet esprit, j’essaie de créer à l’intérieur de chaque séance une com-
plicité ludique et pleine d’humour, même autour d’exercices fastidieux et répéti-
tifs que l’enfant et moi nous subissons dans la bonne humeur, et que nous exé-
cutons rapidement pour passer à autre chose : au jeu par exemple qui permet
d’allier agréablement dépendance et rivalité. On joue avec l’autre mais aussi
contre lui. Dépendance et rivalité ne rappellent-elles pas aussi la dynamique
même de l’apprentissage scolaire ?
J’utilise souvent le Scrabble et le Boggle. Le Boggle exige davantage la
rapidité et la capacité de lire les mots dans tous les sens : de haut en bas et l’in-
verse, de droite à gauche et l’inverse.
Le Scrabble est très intéressant sur le plan interactif. Ce n’est pas le
« chacun pour soi » du Boggle. Chacun peut s’appuyer sur le mot créé par le
partenaire pour créer le sien et acquérir davantage de points autant que faire se
peut. Les associations qui surgissent au cours de la partie, en fonction des mots
qui sont composés, sont à entendre et à conserver en tête même si elles ne sont
pas nécessairement à expliciter. Encore une fois, prudence...
Nous restons là dans le domaine des mots... C’est la limite de ces jeux
mais rien n’interdit d’inventer des phrases avec ces mots, de sortir du jeu et de
créer des dialogues écrits « comme si nous étions muets » et de travailler à cette
occasion toutes les subtilités de la langue.
La découverte de ces subtilités est tout à fait passionnante pour les
enfants : recherche de l’étymologie, histoire des mots, ouverture aux racines
latines ou grecques même si ces langues ne sont pas étudiées par l’enfant, expli-
cations grammaticales qui se rattachent à des réalités qui intéressent l’enfant
dans un sens culturel large.

◆ Lesquelles, par exemple ?


La notion d’identité. L’analyse grammaticale d’un mot est-elle autre chose
que la carte d’identité de ce mot : son nom ? - la nature, son sexe ? - le genre, sa
situation dans le groupe ? - le singulier ou le pluriel, son rôle ? - sa fonction.
L’analyse des propositions est-elle autre chose que l’analyse subtile des
articulations qui peuvent exister entre les membres d’un groupe : principal,
subordonné, indicateur d’objectifs ou de circonstances, indépendant, coordonné,
juxtaposé ? Je fais souvent des allusions au fonctionnement d’une entreprise
pour que ces différentes notions soient intégrées et rendues vivantes.
La notion de sujet et d’objet est un autre exemple, elle préside à l’accord
du participe passé avec être ou avoir. L’emploi de l’auxiliaire être renvoie à

21
l’identité d’un sujet, celui de l’auxiliaire avoir ne signifie rien sans objet. Si on
connaît celui-ci avant, il peut marquer l’accord, si on ne le connaît pas car il est
énoncé après le verbe conjugué, il ne peut laisser sa marque.
Après une explication sur ce thème, je me souviens de la réflexion éton-
née du jeune Malik, « Mais, Madame Coutou, c’est de la philosophie tout ça ! ».
Il venait de découvrir la philosophie par grammaire interposée.
L’analyse des variations syntaxiques qui modifient le sens de la phrase com-
plexe, la recherche des verbes sous entendus, des élisions, peuvent devenir un jeu
de piste qu’il est passionnant de suivre à deux pour approfondir le sens du texte.

◆ Et la dictée, dans cet arsenal ?


Je la bannis la plupart du temps car je pense que la situation de dictée est
par essence une situation angoissante. Il suffit pour en être convaincu d’écouter
les enfants parler du « jour de la dictée ».
Je profite souvent de l’allusion à la dictée pour leur expliquer ce qu’est
l’émotivité et la fragilité émotionnelle, ce qui justifie à leurs yeux, ma très
grande tolérance à leurs mauvaises notes dans cette matière. C’est souvent avec
un sourire malicieux qu’ils arrivent dans mon bureau, « Tiens, j’ai eu un 17, un
12... et un 0... - Ah oui... - en dictée - ». Je les maintiens dans la conviction que
le jour où ils seront plus sûrs d’eux, ils auront 2 ou 3 sur 20, puis la moyenne, et
certains parviennent à me le prouver dans un délai plus ou moins long.
En dehors des enseignants qui sont contraints d’utiliser cette méthode
pour une évaluation collective et rapide, je suis prête à penser que la dictée
imposée par les parents le soir, le week-end ou pendant les vacances est souvent
l’expression d’un sadisme - inconscient - qui provoque l’inverse de ce qu’ils
souhaitent : l’enfant crispé, angoissé ou franchement hostile multiplie les fautes
au lieu de les éviter.
Dans ma pratique j’utilise la dictée dans quatre cas :
- si l’enfant l’exige, tout en lui expliquant mes réserves ;
- si la dictée est à préparer. L’étude du texte devient alors le support d’un
dialogue autour des mots et de la syntaxe, et l’on en revient à ce que j’ai
pu expliquer précédemment ;
- si l’inspiration d’une petite phrase significative me traverse l’esprit...
significative d’un état intérieur, par exemple, « je crois que je suis
fâchée avec le français »... « mais où ai-je la tête ? » ;
- si l’enfant a besoin de vérifier, pour se rassurer, qu’il a compris ce qu’il
doit réviser pour un contrôle, par exemple.

22
En dehors de ces quatre cas de figure, je suis tout à fait allergique à la
dictée pour les enfants ayant des difficultés en orthographe. La dictée est un jeu
merveilleux quand on y excelle mais justement, ce n’est pas le cas ici.
Je viens de faire allusion à l’amour de l’orthographe... peut-être dois-je
avouer ici ma participation annuelle aux championnats d’orthographe organisés
par Bernard Pivot, et évoquer le plaisir jubilatoire qu’éprouvent à ce moment-là
les adolescents, à me dicter des textes pour m’entraîner à l’épreuve. Belle
revanche !
Cette évocation n’est pas qu’anecdotique, elle me paraît illustrer le rôle
primordial de l’identification dans l’aide psychopédagogique comme dans tout
traitement psychologique.
Les enfants sentent que j’aime l’orthographe, les devoirs, que je m’inté-
resse profondément à leur vie scolaire, et je m’offre ainsi comme support
d’identification, soucieuse de les entraîner dans une scolarité plus plaisante, plus
personnelle et dans un mode de fonctionnement plus souple, plus ouvert, plus
autonome. En fait il s’agit peut-être de les réconcilier avec l’orthographe mais
surtout de les réconcilier avec eux-mêmes.

23
REFERENCES
COUTOU-COUMES F. (1986). Affronter l’école. Paris ; Liana Levi. 257 pp.
COUTOU-COUMES F. (1989). Quand l’enfant devient élève. CTNERHI - 47-48.
Textes du Centre Alfred Binet (1983). L’enfant et l’écrit - 3
Textes du Centre Alfred Binet (1987). Les dysphasies - 11
GROUPE D’ORTHOPHONIE DU CENTRE ALFRED BINET (1997). Les traitements orthophoniques ;
Textes du Centre Alfred Binet - 25, 91-104

24
Orthographe et principes d’écriture en français
Jean-Pierre Jaffré

Résumé
Les écritures - et notamment celle du français - font coexister des principes qui constituent
la partie dynamique des orthographes. Après avoir rappelé la nécessité d’une base phono-
graphique, on évoque ici la montée tout aussi indispensable d’une dimension conforme à la
raison d’être sémiographique des écritures - et des orthographes.
Mots-clés : Ecriture, orthographe, phonographie, sémiographie.

Spelling and principles of writing in French

Abstract
Scripts - particularly the French script - are built on the coexistence of principles that make
up the dynamic part of orthographies. After insisting on the necessity of a phonographic
base, we discuss the rise of a dimension no less essential to the semiographic raison d’être
of scripts - and of orthographies.
Key Words : Script, orthography, phonography, semiography.

25
Jean-Pierre JAFFRÉ
CNRS/UMR 8606-Paris V
7 rue Guy Moquet
94802 Villejuif
e-mail : jp.jaffre@wanadoo.fr

L
’orthographe est multidimensionnelle et l’impression de linéarité qui se
dégage de la lecture d’un texte est trompeuse. On a longtemps décrit - et
certains le font encore - celle du français à l’aide d’une dichotomie entre
l’usage et la grammaire. Un tel point de vue, sans être tout à fait inexact, ne
donne qu’une idée approximative de ce qui se passe dans les faits. Nous avons
donc l’intention de présenter ici une analyse moins connue des non-spécialistes
et qui met en évidence les bases fonctionnelles d’une orthographe.
Plus que d’orthographe, il serait d’ailleurs plus exact de parler d’écri-
ture. Pour clarifier d’emblée la différence entre ces deux termes, je définirai
l’écriture comme l’ensemble des marques graphiques qui actualisent des prin-
cipes, des lois de base. Ainsi, les lettres du mot « été » obéissent au principe
alphabétique et, à ce titre, elles relèvent de l’écriture. L’orthographe désigne
plutôt d’anciens états d’écriture, façonnés par l’histoire, et qui ont tendance à
complexifier ces lois. C’est le cas des verbes dits « en -eler » où « (il)
appelle » côtoie « (il) gèle ». L’écriture alphabétique voudrait que l’on écrive
« (il) apèle », optant pour la graphie la plus récente, avec l’accent grave. Mais
la distinction entre écriture et orthographe n’est pas toujours aussi claire. Les
accidents de l’histoire peuvent à la longue façonner la perception des usagers
et devenir eux-mêmes des supports d’information. Ainsi, le « x » des pluriels
en « -aux » (« chevaux », « journaux », etc.) a d’abord cumulé les valeurs de
« u » et de « s », d’où la forme ancienne « chevax ». Celle-ci fut ensuite
refaite en « chevaux »... comme si le « u » avait été absorbé par le « x ». On
peut donc dire que ce mot contient deux fois la lettre « u ». Ces faits orthogra-
phiques n’en sont pas moins au service d’un principe d’écriture propre au
français et qui consiste à accorder les noms en nombre. Du strict point de vue
de l’écriture, rien ne s’opposerait toutefois à ce que l’on écrive « chevaus »...
comme le font certains enfants.

26
L’essentiel de ma contribution tournera autour de cette ligne de sépara-
tion, parfois floue 1, entre les principes de base de notre écriture, qui en consti-
tuent le coeur, et la norme orthographique, résultat d’interventions diverses et
désordonnées sur ces principes. Cette distinction, même si elle n’est pas tou-
jours aisée à tenir, me semble un moyen utile pour mieux apprécier les priorités,
en acquisition comme en pathologie de l’orthographe. C’est en ayant une idée
claire du fonctionnement d’une écriture que l’on peut espérer améliorer la maî-
trise de l’orthographe qui en découle.

◆ L’écriture et la langue
Chaque écriture se caractérise donc par un ensemble de principes qui,
d’une façon générale, valent pour toutes les écritures du monde. Toutefois la
façon dont ces principes sont réalisés, dans telle ou telle écriture, peut différer
grandement. Pour s’en apercevoir, il suffit de comparer l’écriture du japonais,
qui combine deux syllabaires avec des caractères d’origine chinoise, et celle du
français, qui utilise un alphabet d’origine latine. En ce qui concerne les prin-
cipes de base, je m’en tiendrai à ceux que l’on qualifie habituellement de pho-
nographique et sémiographique, chacun d’entre eux remplissant une fonction
nécessaire à toute écriture.
Ce qu’il est convenu d’appeler écriture entretient une relation tout à fait
privilégiée avec les langues parlées, et cela depuis environ six millénaires. Sans
cette relation, l’écriture ne serait pas ce qu’elle est devenue aujourd’hui : un
moyen extrêmement puissant qui permet de communiquer dans le temps et dans
l’espace... et dans les limites d’une intercompréhension linguistique. L’écriture
de l’allemand utilise, à quelques exceptions près, les mêmes lettres que celle du
français et pourtant seule une connaissance de la langue allemande permet de la
lire. Les formes plus imagées de l’écriture du chinois et surtout des hiéro-
glyphes égyptiens ont pu faire croire à des formes de communication moins lin-
guistiques. Beaucoup l’ont cru, mais c’est une illusion...
En l’absence de cette dimension linguistique, le sens des messages
devient tout à fait aléatoire. Ainsi, les traces laissées par les hommes de Cro-
Magnon sur les parois des grottes de Lascaux ont bien une signification. Mais
laquelle ? Peut-on alors les considérer comme une écriture ? Bien que les avis
sur la question soient partagés, on peut au moins affirmer qu’il ne s’agit pas
d’une écriture au sens que je lui donne ici. Quelles que soient les différences

1. D’autant plus floue que l’écriture est ancienne. Le temps creuse la différence entre écriture et orthographe,
surtout quand les réformes sont timides ou inexistantes.

27
avérées entre la langue que l’on parle et celle que l’on écrit, l’une ne peut s’en-
visager longtemps sans l’autre. De ce point de vue, les tentatives pour penser
l’écriture comme un système tout à fait autonome ne semblent guère viables. La
réussite d’une écriture, sa pérennité, son succès quasi universel, tiennent aux
relations étroites qu’elle entretient, à chaque fois, avec une langue donnée. Et
cela pour une raison claire : l’écriture tire une part essentielle de sa puissance de
la fonction symbolique déjà présente dans les langues. Elle ne fait, en quelque
sorte, que lui donner une autre forme, visible et permanente, pour répondre à
d’autres besoins sociaux, culturels et économiques.

◆ Une phonographie indispensable


Une fois établis les fondements linguistiques de l’écriture, il reste à déter-
miner les niveaux de son ancrage. C’est là que nous allons trouver les points de
différences essentiels entre les écritures particulières. Mais avant de faire état de
ces différences, souvent éloquentes, disons un mot de la raison d’être des prin-
cipes de base énoncés plus haut 2. La phonographie est sans aucun doute pos-
sible le principe moteur. C’est en effet à ce niveau d’ancrage que l’écriture
trouve la source nécessaire à son système et à son économie. Cette nécessité
tient en grande partie au fonctionnement de notre cerveau, machine à associer
tout ce qui peut l’être, parfois même à l’insu des usagers. Or, dans la relation
entre une langue et son écriture, deux domaines sont des candidats potentiels : le
son et le sens. La raison d’être de l’écriture est bien entendu de donner à voir du
sens linguistique mais la façon dont celui-ci se présente est trop diffuse, trop
complexe, pour en faire un facteur déterminant. C’est ce que montrent les
60 000 mots et leurs 300 000 sens dans un dictionnaire d’usage courant 3.
Les sons d’une langue sont en revanche beaucoup moins nombreux et
donc, a priori, susceptibles de fournir une base graphique bien plus économique.
Quand on parle des sons des langues, on pense en général aux phonèmes, ces
unités sonores abstraites dont les réalisations phonétiques peuvent être diverses.
On connaît l’exemple fameux de /R/ qui peut être réalisé en faisant rouler le
bout de la langue ou au contraire en utilisant le fond de la gorge. Cela permet
sans doute de repérer des origines géographiques ou sociales mais, dans tous les
cas, l’identité phonologique du mot prononcé - « rouge » par exemple -
demeure. C’est la présence systématique de cette notation phonologique qui
permet de définir les écritures alphabétiques, que le matériau utilisé soit grec,
latin ou cyrillique.

2. Le lecteur intéressé pourra se reporter à Jaffré & Fayol (1997) où ces aspects ont été décrits plus en détail.
3. Je me réfère ici au Nouveau Petit Robert de Rey-Debove & Rey (1996).

28
Les phonographies peuvent avoir une forme syllabique, la syllabe étant
d’ailleurs la première unité sonore utilisée par l’écriture. Les écritures de Méso-
potamie et, plus tardivement, de Chine en témoignent abondamment. D’une
façon générale, les écritures syllabiques sont aujourd’hui moins bien attestées
que les écritures alphabétiques. Cela tient en général au nombre de syllabes
d’une langue. Pour fournir une base économique intéressante, celui-ci ne doit
pas être trop élevé, ce qui est le cas du Japon avec des syllabaires hiragana et
katakana qui avoisinent la cinquantaine d’unités. C’est également le cas des
Inuits du tout nouveau Nunavut. Les syllabaires des Indiens cherokee et cree
sont inférieurs à la centaine d’unités. En revanche, en français et en anglais, où
les syllabes se comptent par milliers, cela rendrait un tel système de notation
particulièrement lourd à gérer.
Dans les limites de cet article, je me contenterai de mettre l’accent sur le
caractère nécessaire des phonographies. Leur statut peut certes varier selon le
degré de régularité de leurs correspondances avec les phonèmes, ou les syllabes,
d’une langue. Tout lecteur d’un texte écrit en espagnol ou en italien devrait
apprécier la régularité de correspondances alphabétiques dont les limites sont
maîtrisables avec un minimum d’effort. Il en va autrement en français et surtout
en anglais où ces correspondances sont nettement plus irrégulières. La même
observation s’applique au statut de la notation syllabique, très régulière en japo-
nais mais bien plus complexe en chinois. C’est sur cette base que les psycho-
logues distinguent orthographes « de surface » et orthographes « profondes ».
Ces différences relèvent-elles encore de l’écriture ? Elles montrent au
moins que si, comme je viens de le souligner, les phonographies sont néces-
saires elles ne sont jamais suffisantes. Car l’écriture ne perd jamais de vue sa
« raison d’être » qui est de donner à voir du sens linguistique. Elle pérennise en
cela une règle millénaire née de l’inscription d’une trace faite pour l’oeil. L’écrit
est en effet destiné à être vu, lu, et non entendu comme c’est le cas pour la
langue parlée. Et si la parole et l’écriture partagent une même base symbolique,
leurs techniques de représentation doivent satisfaire à des modalités en grande
partie distinctes.

◆ Une sémiographie utile


Nous entrons désormais dans une dimension qui n’est plus phonogra-
phique mais sémiographique, centrée cette fois sur la représentation de signifi-
cations linguistiques. Tout aussi nécessaire que la précédente, elle exerce sur
elle des pressions qui peuvent en modifier l’apparence. Les structures linguis-
tiques fournissent à l’écriture une base symbolique extrêmement puissante mais

29
cela implique un système de correspondances minimales qui va permettre aux
usagers d’apparier une langue parlée et des traces écrites. Cela posé, l’écriture
va en quelque sorte réaménager cette structure élémentaire de façon à améliorer
la visibilité des formes significatives de la langue. Car, en fin de compte, l’opti-
malité des traces écrites ne se mesure pas à la fidélité de leur notation phonogra-
phique - les écritures ne sont pas des transcriptions phonétiques - mais à leur
qualité de représentation du sens linguistique.
J’ai déjà signalé les problèmes que poserait une écriture qui s’en tiendrait
à la seule notation des unités significatives d’une langue. En revanche, une fois
pourvue d’une base phonographique minimale, rien ne l’empêche de poursuivre
ce but. La présence de blancs graphiques dans bon nombre d’écritures a ainsi lar-
gement contribué à donner au mot écrit la place qu’il occupe dans les sociétés à
tradition écrite, notamment en Occident. Il n’est toutefois pas toujours facile de
dire si ces indices sémiographiques relèvent de l’écriture ou de l’orthographe. On
peut considérer qu’ils accroissent la visibilité de l’écriture, en l’aidant à mieux
remplir les fonctions qui sont les siennes. Mais comme le montre l’exemple de
« chevaux », le maintien du « x » a beau résulter d’un accident de l’histoire, il
n’en informe pas moins sur le nombre. De plus, si l’on en croit l’observation de
jeunes scripteurs, la maîtrise de ce « x » est plutôt plus facile que celle du « s »
canonique. Dans le domaine de la sémiographie, la part de l’écriture et celle de
l’orthographe sont d’autant plus difficiles à séparer que les habitudes perceptives
des lecteurs peuvent s’accommoder d’éléments peu fonctionnels à l’origine.
C’est le cas de mots tels que « printemps », « cœur », « adhésion », etc. dont on a
au moins la certitude qu’ils surchargent la tâche du scripteur.
La distinction des homophones illustre très bien ce dilemme. La plupart
des langues comportent, en nombre certes variable, des mots qui se prononcent
de la même façon mais s’écrivent différemment. Bien des réformateurs arguent
du fait qu’à l’oral le contexte suffit en général à lever l’ambiguïté et qu’il pour-
rait par conséquent en aller de même à l’écrit. On trouve cet argument dès le
XVIe siècle, période clé pour la formation de notre orthographe. En 1550, dans
son Dialogue de l’Ortografe e Prononciation Françoese, Peletier du Mans opte
clairement pour une orthographe phonétique. Mais il présente aussi les thèses
des conservateurs, et notamment celles de Théodore de Bèze qui veut distinguer
dans l’écriture ce que la parole confond 4. Or cet argument a perduré de siècle en
siècle et s’est finalement imposé à nous.
Compte tenu de ce qui a été dit plus haut sur le principe sémiographique,
l’idée d’une différenciation graphique des homophones parait tout à fait défen-

4. Sur cette question, on peut lire la synthèse de Citton & Wyss (1989).

30
dable. On en retrouve des traces dans bien des écritures, quand la structure lin-
guistique favorise l’émergence d’un tel phénomène. C’est le cas en anglais, en
japonais, en chinois, etc. Mais ce point de vue implique que l’écriture ne soit
pas conçue comme le dérivé de la langue orale, position de la tradition linguis-
tique (voir par ex. Alarcos Llorach, 1968). On peut reconnaître que l’écriture
entretient des relations privilégiées avec la langue et ne pas admettre pour autant
le diktat de la parole. La trace écrite s’inscrit dans la permanence, dans la durée,
et elle s’adresse à un lecteur absent au moment de sa production. On peut donc
s’attendre à ce que les modes de traitement de l’information linguistique soient
adaptés à des besoins qui ne sont pas ceux de la communication orale. La diffé-
rence que fait Vachek entre norme orale et norme écrite justifie tout à fait ces
exceptions graphiques 5.
Cela dit, quel que soit son bien-fondé, la sémiographie des unités linguis-
tiques doit compter avec les aléas de la formation d’une orthographe. Ce sont
eux qui expliquent la polyvalence des phonogrammes (« e », « é » et « ai » pour
noter /e/), la concurrence de marques jouant le même rôle (« s » et « x » pour le
pluriel des noms), etc. Les lettres dont on se sert pour distinguer les homo-
phones (« cent », « sang », « sans », etc.) ont d’abord une origine étymologique
ou historique. Les esprits cartésiens peuvent certes y trouver à redire. Il ne faut
cependant pas oublier que l’orthographe, et l’écriture qu’elle abrite, ne se font
jamais en un jour. Il arrive qu’elle soit le résultat d’un projet délibéré, comme ce
fut le cas dans la Corée du XVe siècle, avec l’alphabet hangul. Mais même dans
ce cas, elle n’échappe jamais aux reconfigurations de l’usage, à cette « main
invisible » dont parle le linguiste allemand Rudi Keller (1994).

◆ Une morphographie redoutable


En matière d’orthographe, tout ne va jamais pour le mieux dans le
meilleur des mondes. Malgré cela, on peut parier sur les effets bénéfiques d’un
principe sémiographique qui donne aux signes graphiques une allure aussi origi-
nale que possible. Ce phénomène fait d’ailleurs écho à l’importance prise par la
reconnaissance des mots dans l’activité moderne de lecture (Manguel, 1998) 6.
L’orthographe du chinois illustre fort bien cette tendance en raison de la remar-
quable stabilité graphique des unités significatives - les caractères. Le cas du
français est hélas un peu différent puisque les mots écrits varient, en genre, en
nombre, en temps, etc. Cette variation est due pour l’essentiel à la présence d’un

5. Pour un tour d’horizon complet, voir Luelsdorff (1989).


6. Pour la question de l’apprentissage, voir Ch. Perfetti, « Représentations et prise de conscience au cours de
l’apprentissage de la lecture », dans Rieben & Perfetti (1989 : 61-82).

31
sous-principe sémiographique piloté par la morphologie et que je nommerai
dorénavant principe morphographique. Et si la présence de ce principe n’est pas
propre au français, les formes qu’il y prend sont en revanche tout à fait redou-
tables.
La langue française dispose d’une morphologie complexe. Mais bien
d’autres langues sont dans ce cas, notamment les langues romanes. En fait, sa
particularité vient plutôt d’une asymétrie entre la morphologie de l’oral et celle
de l’écrit. Que l’on compare le paradigme du verbe « donner », au présent de
l’indicatif, avec ses trois formes orales mais ses cinq formes écrites. Ou encore
la fréquente absence de variation orale dans le nombre des noms, des adjectifs et
des verbes. Pour ces raisons, et bien d’autres, les problèmes que pose la mor-
phographie sont parmi les plus difficiles à résoudre et, lors de l’apprentissage,
ils provoquent de nombreuses erreurs. Leur résolution nécessite en effet le déve-
loppement de compétences qui relèvent d’un niveau d’abstraction particulière-
ment élevé. L’absence de toute référence phonographique y est sans aucun doute
pour quelque chose puisque l’analyse des erreurs commises par les apprentis
montre que la présence de telles références, même indirectes, facilite l’appren-
tissage. On l’observe pour les noms en « -aux », pour les verbes en « -ont »,
sans parler des déterminants en /e/ (« les », « des », etc.). En revanche, dès que
ces indices font défaut, les erreurs abondent. Chacun d’entre nous a eu, un jour
ou l’autre, affaire aux problèmes des pluriels en « -s » et en « -nt » ou à ceux de
l’infinitif et du participe passé des verbes en /e/.
Cela dit, le principe morphographique pose par définition une question
similaire à celle que pose le principe sémiographique dont il n’est finalement
qu’un avatar : comment distinguer entre ce qui est fonctionnel (et peut donc être
rattaché à l’écriture) et ce qui est institutionnel (et renvoie à l’orthographe) ?
Plusieurs indices nous incitent à penser qu’une part importante de la morpho-
graphie relève de l’écriture et fait partie intégrante de ses principes fondateurs.
Mais l’héritage historique n’est bien entendu pas à retenir dans sa totalité. Que
l’on pense par exemple - et même si le débat reste ouvert - aux coûteux pro-
blèmes de l’accord en genre et en nombre dont les finalités ne sont plus très évi-
dentes. Je me contenterai de donner deux exemples susceptibles de fonder, à
mes yeux, le caractère fonctionnel de la morphographie. Le premier concerne le
marquage nominal du nombre, dont la fonctionnalité est renforcée par la grande
stabilité de la lettre « s ». Dans ce domaine, les travaux sur l’acquisition souli-
gnent l’avantage que l’on peut tirer de cet archi-signe (Jaffré & David, 1999).
Le second exemple se situe du côté des infinitifs et des participes passés en /e/,
quand l’écrit distingue ce que l’oral confond. Le recours analogique aux classes
de verbes qui présentent dans ces zones une opposition phonographique devrait

32
pourtant contribuer à atténuer ce point noir de l’apprentissage. Quoi qu’il en
soit, ces deux cas, non limitatifs, me paraissent suffisamment rentables pour que
le principe morphographique soit placé du côté de l’écriture du français et non
pas de son orthographe.

◆ Conclusion
Dans une société comme la nôtre, dotée d’une tradition écrite ancienne, la
différence entre écriture et orthographe n’est pas si facile à établir. Si j’ai voulu
essayer de la faire, malgré tout, en rendant compte au passage des principes fon-
damentaux de l’écrit, c’est que le meilleur chemin pour parvenir à la norme
orthographique n’est pas forcément d’en partir. Pour apprendre l’orthographe,
les enfants ont d’abord besoin de comprendre comment fonctionnent les prin-
cipes d’écriture qu’elle recèle. Or, ces forces vives de l’orthographe ne se limi-
tent pas aux relations entre phonèmes et graphèmes. Notre orthographe moderne
est en fait l’aboutissement d’une entreprise lente, chaotique, et inachevée..., au
cours de laquelle des indices historiques ont été progressivement intégrés jus-
qu’à acquérir une part de fonctionnalité. Et le pouvoir du lecteur, qui s’exerce
aujourd’hui sans partage, a largement contribué à donner à la sémiographie la
place que nous lui reconnaissons ici. Son univers est encore un peu difficile à
cerner et rien n’empêche que certaines rectifications orthographiques n’en amé-
liorent les contours. C’est en tout cas à ce genre d’analyses que s’intéresse
désormais une linguistique de l’écrit attachée à la pluralité des principes de base
de l’écriture et non plus seulement à une écriture qui ne serait qu’un dérivé de la
parole.

33
REFERENCES
ALARCOS LLORACH E. (1968). Les représentations graphiques du langage, dans A. Martinet, dir., Le
Langage, Encyclopédie de La Pléiade, Paris : Gallimard, 513-568.
CITTON Y. & WYSS A. (1989). Les doctrines orthographiques du XVIe siècle en France. Genève : Droz.
JAFFRE J.-P. & DAVID J. (1999). « Le nombre, essai d’analyse génétique », Langue Française (à
paraître).
JAFFRE J.-P. & FAYOL M. (1997). L’orthographe. Des systèmes aux usages. Dominos, Paris : Flamma-
rion.
KELLER R. (1994). On language change. The invisible hand in language. London : Routledge.
LUELSDORFF P.A., ed. (1989). Josef Vachek, Written Language Revisited. Amsterdam : John Benja-
mins.
MANGUEL A. (1998). Une Histoire de la lecture. Actes Sud.
PELETIER du MANS J. (1966). Dialogue de l’ortografe a prononciacion françoese (1555), suivi de la
Réponse de Louis Meigret. Edité par L.C. Porter. Genève : Librairie Droz.
REY-DEBOVE J. & REY A., dir. (1996). Le Nouveau Petit Robert. Paris : Dictionnaires Le Robert.
RIEBEN L. & PERFETTI Ch., eds. (1989). L’apprenti lecteur : Recherches empiriques et implications
pédagogiques. Neuchâtel : Delachaux & Niestlé.

34
Vers une orthographe pour l’an 2000 ?
Renée Honvault

Résumé
Les Rectifications orthographiques et Recommandations aux lexicographes de l’Académie
française, publiées au Journal officiel du 6 décembre 1990, s’inscrivent dans la continuité
des travaux menés par les académiciens depuis la création de l’Académie française par
Richelieu en 1635. La mission de l’Académie était de légiférer en matière de langue et d’or-
thographe. Or, l’opposition entre partisans de la modernisation et ceux de la tradition a tou-
jours existé, en matière d’orthographe du moins. Et, en 1991, les accusations de tous
ordres, essentiellement erronées, n’ont pas été différentes des arguments des opposants à
toute « réforme » aux siècles précédents. Pourtant, les dictionnaires d’usage actuels, qui
remplacent auprès du grand public le rôle du Dictionnaire de l’Académie aux siècles précé-
dents, enregistrent peu à peu les cinq points essentiels des rectifications et s’inspirent lar-
gement des recommandations pour l’écriture des néologismes. Le Québec, la Suisse, et la
Belgique essentiellement les ont fort bien acceptées. Les décisions humaines, qui ont donné
à l’orthographe son visage actuel, sauront-elles entretenir cet instrument de communication
dans l’intérêt des utilisateurs ?
Mots-clés : Orthographe, réforme, langue, oral, morphologie, étymologie.

Spelling in the year 2000


Abstract
The « Rectifications Orthographiques et Recommandations aux Lexicographes » made by the
Académie française (French Academy) and published in the Journal Officiel of December
6,1990 are in congruence with the work carried out by the Academicians since the creation of
the institution by Richelieu in 1635. The mission of the Académie was to lay the rules regarding
linguistic and orthographic matters. A debate between supporters of modernization and sup-
porters of tradition has always existed, at least in the field of spelling. And in fact, in 1991, the
various accusations which were formulated - mainly incorrect ones - were not different from
the arguments put forward during the preceding centuries by the opponents of « reforms ». Yet
the present dictionaries of common usage, which are equivalent for the general reader to the
Dictionnaire de l’Académie of the preceding centuries, are gradually taking into account the five
main points of the Rectifications and are following to a large extent the Recommandations
regarding the spelling of neologisms. Quebec, Switzerland and most notably Belgium have
accepted them quite readily. Will human decisions, which have given orthography its present
form, be able to maintain this communication tool for the benefit of the user?
Key Words : Orthography, reform, language, oral, morphology, etymology.

35
Renée HONVAULT
(CNRS et AIROE)
Association pour l’information
et la recherche sur les orthographes
et systèmes d’écriture
4, passage Imberdis
94700 Maisons-Alfort

◆ L’orthographe du français, résultat de décisions humaines


L’orthographe du français, on l’oublie bien souvent, date en grande partie,
dans sa forme actuelle, d’il y a 260 ans, soit un bon quart de millénaire. Elle est
pourtant née officiellement un peu plus tôt, en 1694 très exactement, avec des
graphies un peu plus chargées qu’elles ne le sont actuellement. Bien entendu,
l’orthographe française ne s’est pas créée spontanément, ni la langue française
d’ailleurs. C’est à partir de plusieurs dialectes de langue d’oïl que le français
s’est constitué pour des raisons politiques, administratives, juridiques.
Au Moyen Age, les clercs, scribes et copistes, gens lettrés qui connais-
saient parfaitement le latin, ont eu pour mission d’écrire ou de transcrire pour un
public plus large les textes, édits, chartes, chansons de geste, fabliaux, poésies,
etc., qui devaient être accessibles à un plus grand nombre. Entre le VIIIe et le XIe
siècles, le seul alphabet qui était la référence de ces lettrés, l’alphabet latin, a
donc été utilisé pour écrire le français, même si certains sons de la langue fran-
çaise étaient différents de ceux de la langue latine pour laquelle cet alphabet
avait été choisi. Par exemple, on a conservé le c pour le même son qu’en latin
dans commun mais aussi quand la langue ayant évolué, pour un autre son dans
cent. Cependant la plus grande difficulté résidait dans l’écriture des voyelles : le
système vocalique de l’ancien français était en effet très riche, il y avait à peu
près le même nombre de voyelles qu’aujourd’hui (nous en avons entre quatorze
et seize selon les prononciations), plus une quinzaine de diphtongues et de triph-
tongues variables selon les régions. Par exemple, u était utilisé pour le son /U/
dans cru ou le son /OU/ dans amur (amour), ou même pour la consonne /V/
dans auant (avant), la lettre v n’existant pas. Et pourtant, avec ces quelques
aménagements, vers 1200, l’écriture du français correspondait à peu près aux
prononciations pratiquées.

36
Mais à partir de cette période, aux XIIe et XIII e siècles, la langue évo-
lue rapidement, dans sa morphologie, sa syntaxe, et tout particulièrement dans
son système phonétique avec un raccourcissement considérable des mots. Les
lettrés essayent de créer une graphie où les divers usagers de la langue orale se
reconnaîtront ; pour cela, ils conservent d’une part les lettres correspondant à
des sons qui n’existent plus, et d’autre part ils se réfèrent à l’étymologie pour
ajouter des lettres rappelant le mot latin correspondant (le latin était connu de
nombreux lecteurs). Commence alors dès cette époque, pour des raisons de lisi-
bilité, la coexistence entre les impératifs de relation à l’oral, mais aussi à l’évo-
lution historique et à l’étymologie. Par exemple, on écrit doibuent pour doivent,
apuril pour avril, distinguant ainsi par une lettre non prononcée la valeur /V/ de
la lettre u à l’intérieur du mot. Et au début du mot on ajoute un h, bien sûr non
prononcé, pour indiquer au contraire la valeur /U/ de u : huile est ainsi lu diffé-
remment de uile qui se lit vile.
Avec l’invention de l’imprimerie et la Renaissance, les imprimeurs
remplacent les copistes. Eux aussi connaissent parfaitement le latin, sont
bilingues, mais ils imaginent des procédés commodes pour alléger l’écriture du
français, l’écart entre le français écrit et le français parlé devenant par trop
important. Dès le XVIe siècle, certains préconisent l’emploi de la cédille, de
l’apostrophe (l’amour remplace lamour), des accents, l’introduction des lettres j
et v avec leur valeur actuelle. Montaigne, comme d’autres, supprime des lettres
grecques, des consonnes doubles, des lettres non prononcées. Les imprimeurs
d’avant-garde ont permis la publication des œuvres de la Pléïade, et Ronsard a
pris la tête des réformateurs. La bataille a été rude et parfois très dangereuse.
Les guerres de religion chassent ces imprimeurs soupçonnés de protestantisme.
Et les imprimeurs « du roi » reprennent l’orthographe la plus ancienne, car « les
anciens scavans ... en scavoyent plus que nous ».
Au XVIIe siècle, beaucoup de diphtongues ont disparu, de nombreuses
consonnes finales ne sont plus prononcées. Des écrivains (Corneille, Racine, La
Bruyère, Boileau, Bossuet, Mme de Sévigné ...) reprennent les habitudes d’écri-
ture de la Renaissance. Mais les dictionnaires qui paraissent sont toujours parta-
gés entre « modernes » et « anciens ». C’est un état constant qui accompagne
toute l’histoire de l’orthographe. Pourtant le dictionnaire de Richelet paru en
1680 enregistre la simplification des consonnes doubles, la suppression des
lettres grecques, des lettres non prononcées, introduit les accents, tout en
conservant les marques morphologiques.
Richelieu crée l’Académie française en 1635. Elle a pouvoir de juridic-
tion sur la langue et sur l’orthographe françaises. Et en 1673, elle définit claire-

37
ment le principe qu’elle suivra en matière d’orthographe : « La Compagnie
déclare qu’elle désire suiure l’ancienne orthographe qui distingue les gens de
lettres d’auec les ignorans et les simples femmes ». En fait, les ignorants ne
savaient pas écrire, les « simples » femmes non plus. Mais les femmes
« lettrées » n’avaient pas droit au latin dans leurs études, et elles avaient le plus
souvent une orthographe en accord avec les principes de la Renaissance. Pascal
était-il un ignorant ? Et Madame de Sévigné, qui écrivait orizon pour horizon ?
Elle suivait en cela le dictionnaire de Richelet où l’on trouve ortographe, sis-
tème, batême, tems, dificile, cu, etc. Mais l’Académie n’a malheureusement pas
décidé de suivre le Dictionnaire de Richelet, ce qui aurait eu le mérite de fonder
une orthographe beaucoup plus satisfaisante y compris pour notre époque, et de
ce fait beaucoup moins de polémiques aujourd’hui. Non, elle a choisi de suivre
les imprimeurs du roi, attachés aux graphies « anciennes », et ce fut une lourde
responsabilité. C’est donc par décision humaine que les lois graphiques ont été
établies et non par respect de l’usage, car il suffisait de suivre nos grands écri-
vains, Ronsard par exemple, pour fonder de meilleures bases de l’orthographe
du français.

◆ L’orthographe, une histoire de réformes


et une valse à « mille temps »
La première édition du Dictionnaire de l’Académie, 1694 : un pas en arrière,
deux pas en avant
La première édition du Dictionnaire, en 1694, ne reprend pas cependant
complètement l’orthographe « ancienne ». Elle compte parmi ses membres des
personnalités comme Corneille ou Perrault qui œuvrent en faveur d’une moder-
nisation. Et sur les 17750 mots qu’elle contient, on compte 24 % de modernisa-
tions par rapport aux mots qui se trouvaient déjà dans des dictionnaires anté-
rieurs. Elle introduit j et v par exemple (je au lieu de ie, avril au lieu de apuril)
mais dans les articles du dictionnaire seulement, supprime des consonnes « éty-
mologiques » en finale : nud, bled, conioinct, construict, cuict... deviennent nu,
blé, conjoint, construit, cuit..., remplace en par an dans certains mots : endouille,
dedens, embassade, empoulle, arrenger,... deviennent andouille, dedans, ambas-
sade, ampoulle, arranger, etc. Mais ce dictionnaire est rédigé sur une durée de
60 années, l’usage change - les Académiciens également -, et les incohérences
sont vraiment nombreuses. En outre, le dictionnaire est organisé par familles de
mots, et la Table, rédigée plus tard, par ordre alphabétique. Bien souvent, l’or-
thographe des mots est différente dans le dictionnaire et dans la Table... Et c’est
pourtant ce dictionnaire qui va conditionner l’orthographe du français...

38
La deuxième édition, 1718 : le « sur place »
La deuxième édition de 1718 reprend celle de 1694 sans lui apporter de
changement notable, excepté la présentation par ordre alphabétique du diction-
naire. Les graphies demeurent résolument à l’ancienne, sous la houlette de
Régnier-Desmarais : « Où en seroit-on dans chaque Langue, s’il en falloit refor-
mer les elements sur la difficulte que les enfants auroient à bien retenir la valeur...
de chaque caractere... et si parce que quelques femmes en confondent quelques-
uns en lisant, il falloit aussi-tost remedier à cela par un changement universel de
l’orthographe ? », écrit-il (déjà) en 1706 (Traité de la grammaire française). Et le
dictionnaire s’éloigne de plus en plus des tendances que l’on rencontre à l’époque
chez les écrivains, dans certains dictionnaires, chez certains membres de l’Acadé-
mie même, tendances qui vont vers « la nouvelle orthographe ».

La troisième édition, 1740 : trois pas en avant


Sur l’ensemble des modifications apportées dans les huit éditions du Dic-
tionnaire de l’Académie par rapport à l’ensemble des mots enregistrés dans la
première édition, celle de 1740 en comprend à elle seule près de 30 %, et cor-
rige donc plus d’un mot sur quatre. Il faut préciser que les traditionalistes doi-
vent reculer devant l’arrivée à l’Académie des encyclopédistes, philosophes et
écrivains tels Montesquieu, Marivaux, Voltaire, d’Alembert, Buffon,... qui sous
la direction de l’abbé d’Olivet, vont donner à l’orthographe du français le visage
que nous lui connaissons encore aujourd’hui. Ainsi, on introduit les accents, on
supprime par exemple les suites de voyelles sauf si elles correspondent à un seul
son, ex. eau, on supprime des consonnes internes non prononcées, ex. estre,
fenestre deviennent être, fenêtre,... aggrandir, appaiser deviennent agrandir,
apaiser. Voltaire défend le remplacement de oi par ai : François, Anglois, j’es-
tois, je feroi, etc. deviennent Français, Anglais, j’étais, je ferai, etc. car, dit-il,
« L’écriture est la peinture de la voix : plus elle est ressemblante, meilleure elle
est. » Et d’autres réformes sont prévues, mais seulement pour l’édition suivante
afin de ne pas trop bouleverser les habitudes.

La quatrième édition, 1762 : deux pas en avant


Reprenant les propositions de Corneille au siècle précédent, la quatrième
édition généralise l’emploi des accents, en particulier les accents grave et cir-
conflexe, remplace le z du pluriel par le s. Elle supprime des lettres grecques :
ancholie, phanion, alchymie, asyle deviennent ancolie, fanion, alchimie, asile,
on trouve paroxisme, patronimique, scolarité, mais aussi rythme ou... rhythme.
Le travail devait être poursuivi dans la cinquième édition, mais il ne sera mal-
heureusement jamais mené à son terme, pas plus que dans les éditions suivantes.

39
La cinquième édition, 1798 : on piétine
C’est une édition « révolutionnaire », sans académiciens, puisque la
Révolution a supprimé l’Académie. Elle poursuit cependant la suppression des
lettres grecques, introduit j et v à l’ordre alphabétique - et officialise de ce fait
les deux nouvelles lettres de l’alphabet, un siècle après leur apparition dans le
Dictionnaire. Mais les académiciens du XIXe siècle ignoreront plus ou moins
cette édition.
La sixième édition, 1835 : trois pas en arrière
C’est au pouvoir monarchique revenu après la Révolution que l’Acadé-
mie doit son rétablissement en 1816. De ce fait, l’Académie revient résolument
aux graphies étymologisantes, en rétablissant par exemple analyse, amygdale,
anonyme, ainsi que des mots comme aphthe, rhythme, phthisie... Elle adopte
cependant définitivement la graphie ai pour oi, et les formes enfants, présents...
calquées sur le singulier, au lieu de enfans, présens..., donnant ainsi au principe
morphologique plus de poids et de régularité.
La septième édition, 1878 : un demi-pas en avant
La seconde moitié du XIXe siècle est marquée par des débats publics et
mouvementés sur l’orthographe, débats qui se poursuivront au XXe siècle. Des
écrivains, des imprimeurs, des linguistes tels A. Firmin-Didot, Littré, Sainte-
Beuve, A. France, Saussure, F. Brunot et d’autres sont à l’origine de la création
d’une commission spéciale nommée par l’Académie pour préparer les réformes.
Le projet présenté en sept points, modéré et argumenté, se heurtera à une cabale
menée par le duc d’Aumale. Si bien que l’Académie recule. En attendant, la
septième édition introduit cependant la suppression d’une lettre grecque dans un
mot en contenant deux : aphthe, diphthongue... deviennent aphte, diphtongue...
La notion de tolérance ou de double orthographe permise aux examens est intro-
duite, ce qui ne plaide pas en faveur d’une réforme organisée de l’orthographe.
La huitième édition, 1932-1935 : un pas en arrière
Les débats de la fin du siècle dernier et du début du XXe siècle sont cal-
més en 1932, il est vrai que plus d’un demi-siècle s’est écoulé depuis la dernière
édition, ce qui est beaucoup si l’on considère le rythme des éditions précé-
dentes. Pourtant, en 1908, le Conseil supérieur de l’Instruction publique avait
repris à son compte la circulaire Bourgeois de 1891 : « La pratique orthogra-
phique actuellement imposée aux élèves... est, dans bien des cas, en contradic-
tion flagrante avec l’enseignement grammatical donné dans toutes les universi-
tés... Il y aurait lieu, tout au moins, de ne plus imputer à faute aux élèves qui en

40
usent les formes reconnues les meilleures par la science grammaticale... L’or-
thographe ne saurait être soustraite plus longtemps, par un dogmatisme intran-
sigeant, aux lois de l’évolution... »
Mais la huitième édition supprime au lieu de les entériner les variantes
admises précédemment, réintroduit le e à la place de l’accent circonflexe dans
gaiement, maniement..., corrige des détails sans se soucier de simplifier les gra-
phies. Elle ignore totalement les dix propositions du rapport Faguet de 1905, qui
concernait, dans l’esprit du Dictionnaire de 1740, la suppression des accents cir-
conflexes (croute, assidument), les pluriels en oux (bijous, caillous), les familles
de mots (charriot comme charrette), les finales en ciel et tiel (confidenciel), la
suppression de lettres muettes (pié, ognon), la régularisation du préfixe en
(enmener), la suppression des lettres doubles (échèle, paysane), l’emploi de z
pour s (dizième, sizième), la réduction de rh (rume), la suppression de y
(analise). Cependant, elle soude quelques composés, par exemple contrecoup,
entracte, chienlit... et confirme un mouvement vers la soudure que va reprendre
soixante-dix ans plus tard la neuvième édition, après les rectifications de 1990.

◆ Les rectifications de 1990 et la neuvième édition en cours :


un ou deux pas en avant ?
Depuis le XX e siècle et la huitième édition, ce n’est plus vraiment le Dic-
tionnaire de l’Académie qui fait office de référence en matière d’orthographe,
mais les dictionnaires d’usage tels Le Petit Larousse, Le petit Robert, le diction-
naire Hachette... Ces dictionnaires contiennent, mieux que le Dictionnaire de
l’Académie, les mots du lexique actuel. Et ce sont eux qui prennent les déci-
sions quand il s’agit d’enregistrer les nouveaux mots sous une forme écrite. Les
variantes sont nombreuses entre les dictionnaires en ce qui concerne les accents,
les pluriels des mots composés (qu’on n’indique pas toujours à l’usager quand il
s’agit d’un point délicat), les mots d’emprunt, etc. D’où l’intérêt que présentent
les Rectifications orthographiques, suivies des Recommandations aux lexico-
graphes, publiées au Journal officiel du 6 décembre 1990. Cette publication
officielle est en soi un miracle, si l’on considère tous les aléas, les retours plutôt
que les avancées qui ont caractérisé l’évolution de l’orthographe depuis deux
siècles et demi. Les débats ont été nombreux, passionnés et houleux en 1990,
les arguments bien souvent fallacieux, la désinformation trop souvent prédomi-
nante. C’est la guerre du Golfe qui a fait taire la polémique, laissant croire que
les rectifications avaient été enterrées.
L’Académie poursuit quant à elle la rédaction de la neuvième édition de
son dictionnaire. Le tome I, de la lettre A à Enz, a été publié en 1992 par l’Im-

41
primerie nationale. Une édition grand public, en « livre de poche », est parue
chez Juilliard en 1994. Les listes établies par l’Académie sont régulièrement
publiées au Journal officiel avant une édition du tome II. L’Académie en est
actuellement à la lettre M. Elle enregistre les rectifications et les recommanda-
tions dans les mots du dictionnaire.

◆ Les rectifications et recommandations de 1990 :


« Aucune des deux graphies ne peut être tenue pour fautive ».
Il n’est pas simple, en dépit de la volonté de l’Académie, de s’en référer à
l’usage. Où est l’usage ? Chez les imprimeurs qui s’en réfèrent aux diction-
naires ? Dans la presse ? que l’on accuse de commettre des « coquilles » quand
elle ne respecte pas « l’orthographe » ? Chez les simples usagers qu’on accuse
de commettre des « fautes » d’orthographe ? Ce seraient donc bien les diction-
naires qui règlent « l’usage », mais comment ? Depuis 1990, des enquêtes ont
été menées dans ces dictionnaires pour savoir comment ils intégraient les rectifi-
cations et recommandations parues au Journal officiel. Nous verrons plus loin
que les rectifications sont progressivement enregistrées mais pas au même
rythme partout ni sur tous les points. Dès le début de la parution en 1992 de la
neuvième édition de son Dictionnaire qui n’en était qu’à la lettre E, l’Académie
avait, elle, définitivement enregistré 30 % des rectifications.
Les cinq domaines touchés par les rectifications sont : le trait d’union,
le pluriel des noms composés, les accents, l’accord du participe passé et
diverses anomalies orthographiques. Ces points avaient déjà fait l’objet de pro-
positions lors d’éditions précédentes, et depuis au moins un siècle. Ils n’ont
donc rien de révolutionnaire !
Le premier point favorise la soudure des mots composés où la variation
orthographique est importante, selon les mots et selon les dictionnaires. La neu-
vième édition continue ainsi le travail amorcé dans la septième et la huitième
édition. La soudure concerne :
* les composés construits avec un préfixe savant, grec ou latin ; radio-
actif existait déjà, des mots comme autoécole, audiovisuel sont accep-
tés, mais les composés sur les dérivés de noms propres ou géogra-
phiques gardent le trait d’union : gréco-romain.
* les composés formés avec les verbes croque-, porte-, passe-, tire- et
un nom, ou un verbe et -tout ; comme passeport, faitout qui existaient
déjà, on peut écrire croquemonsieur, tirebouchon, portemanteau, brise-
tout... Ceci est valable pour les dérivés comme tirebouchonner.

42
* les composés formés avec contre-, entre- et un verbe ou un nom, avec
extra-, infra-, intra-, ultra-, supra-, basse-, mille-, haut- ; tels contre-
point, s’entraider, extraordinaire, millefeuille, qui existaient, on écrit
également contretemps, s’entraimer, extrafort, bassecour, millepatte. Ce
dernier terme a provoqué de nombreuses critiques, du type « un mille-
patte a beaucoup de pattes ! ». Mais il n’en a pas mille..., pas plus que
la pâtisserie appelée millefeuille ne contient mille feuilles. En composi-
tion, mille a perdu son sens, et le mot composé peut être considéré
comme un mot unique. Le trait d’union n’est conservé que pour empê-
cher dans certains mots la formation d’un digramme différent, par
exemple intra-utérin et non *intrautérin. Mais contre-amiral demeure
une exception, le titulaire du titre se serait opposé à la soudure...
* les composés formés sur des expressions, des mots étrangers ou des
onomatopées, comme froufrou qui existait déjà, sont également
soudés : passepasse, blabla, bouiboui, weekend...
* l’écriture en toutes lettres des nombres a été uniformisée. Désormais
on peut mettre des traits d’union partout : deux-cent-vingt-sept par
exemple. Cela représente sans doute une régularisation, mais elle aurait
pu se faire plus simplement en supprimant complètement ces traits
d’union !

Le pluriel des noms composés et des noms d’emprunt


Dans ce domaine, variation et illogismes sont légion dans les diction-
naires. La norme par exemple accepte un cure-dent au singulier mais exige
qu’on écrive, toujours au singulier, un cure-ongles ! Si on veut passer par le sens
du mot, il est bien difficile de ne se « curer » qu’une seule dent alors que nous
devons nous « curer » un seul ongle à la fois ! Le plus logique est donc de
considérer les mots de la langue pour ce qu’ils sont : des mots, et de leur appli-
quer le fonctionnement général. Alors, de même qu’on écrivait un chausse-pied,
des chausse-pieds, on écrit maintenant avec un pluriel régulier à la fin du mot
un compte-goutte, des compte-gouttes, un sans-abri, des sans-abris. On a tourné
en ridicule par exemple un sèche-cheveu, mais les professionnels eux-mêmes
disent bien qu’ils travaillent « le cheveu ». Les exceptions, parce que il y en a, se
justifient par la présence d’un déterminant singulier dans la composition du mot,
tel un trompe-la-mort qui demeure de ce fait invariable, ou de termes religieux
comme un prie-Dieu, également invariable.
La régularisation des marques du pluriel concerne aussi les emprunts au
latin ou aux langues étrangères : ils adoptent autant que possible les règles d’or-
thographe du français. En plus de la régularisation des pluriels, on régularise

43
l’emploi des accents. On écrit des médias, des allégros, des pénaltys, des satis-
fécits, etc.
Les accents
* L’accent circonflexe, qui n’a plus de fonction par rapport à l’oral, peut
être omis sur les lettres i et u. Comme pour cime, on écrit abime, maitre et mai-
tresse, ile, aout, bruler, ainsi que naitre, paraitre, etc. et tous leurs dérivés.
La suppression de l’accent circonflexe a soulevé beaucoup de réactions
parmi les usagers, habitués visuellement à ce petit « chapeau ». Sa dimension
iconique est souvent exploitée dans la publicité. Bien souvent, on le justifie par
l’étymologie : le remplacement d’un s disparu, mais l’accent circonflexe a eu
bien d’autres rôles aujourd’hui disparus. Alors, ne peut-on créer de nouvelles
habitudes visuelles chez les jeunes enfants qui n’auront pas à se surcharger
inutilement la mémoire ?
Lorsque sur i ou sur u, l’accent circonflexe remplit une réelle fonction,
celle qui permet d’accéder à la reconnaissance visuelle immédiate de deux
homophones, il est maintenu. C’est le cas de l’adjectif mûr face au substantif
mur, de j’ai dû face à du vin, il croit ou il croît, il eut ou qu’il eût... On pourrait
avancer que ce « luxe » est inutile, le contexte du mot indiquant clairement de
quoi il s’agit.
Mais la suppression sur a, e, o n’a pas été retenue parce que l’accent cir-
conflexe y indique parfois une différence de prononciation. Les académiciens
ont voulu ici rester prudents et ne pas choquer, mais le plus souvent cette
« exception » rebute ceux qui voudraient effectivement écrire sans accent cir-
conflexe.
* Le tréma est utilisé sur la lettre « qui se prononce » et non sur une
lettre « muette ». La règle en place veut qu’on le place sur la deuxième lettre
d’un groupe qui prête à ambiguïté, par exemple maïs qu’on distingue ainsi de
mais. Cela ne pose pas de problème puisque les deux lettres correspondent cha-
cune à un son. Mais des mots comme aiguë ou encore ciguë prêtent largement à
confusion. La rectification donne plus de clarté à la lecture en proposant aigüe,
cigüe. On écrira aussi gageüre, pour « rectifier » une prononciation, l’ortho-
graphe gageure ayant entraîné une « prononciation fautive », selon le groupe
d’experts du Conseil supérieur de la langue française.
* L’accent grave présentait lui aussi un certain nombre d’anomalies. En
principe, le /ε/ suivi d’une consonne orthographiée par une lettre-consonne + e,
s’écrit avec un accent grave, par exemple père, mère, avènement, etc. Cette règle
est généralisée, et évènement, je cède, je cèderai suivent maintenant la règle. On

44
conserve cependant l’accent aigu en première syllabe, en particulier pour les
préfixes dé- et pré- : dégeler, prévenir, etc. Finalement, un accent plat à la place
des accents grave et aigu sur la lettre e, pour distinguer simplement le timbre /e/
ou /ε/ du timbre /EU/, serait beaucoup plus pratique et plus simple pour un
résultat équivalent !
L’emploi de l’accent grave est également préconisé pour remplacer la
lettre double dans les formes conjuguées des verbes en -eler et -eter : comme
pour peler, je pèle ou acheter, j’achète, on écrit pour ruisseler, je ruissèle, ou
pour cacheter, je cachète. Voilà quelques hésitations inutiles qui disparaissent et
c’est une bonne chose. Cette régularisation concerne deux cents verbes environ
à propos desquels les dictionnaires se contredisent dans 25 % des cas. Mais là
encore, il restera des exceptions : les deux verbes appeler, j’appelle et jeter, je
jette continuent à garder leur double lettre car, en raison de leur grande fré-
quence, un changement troublerait trop nos habitudes visuelles de lecteurs...

L’accord du participe passé


La modification est modeste, elle ne concerne que le participe passé
laissé qui restera toujours invariable devant un infinitif : elle s’est laissé séduire,
ou les oiseaux que tu as laissé s’envoler (E. Littré recommandait déjà cette
orthographe). L’invariabilité existait déjà avec faire : elle s’est fait battre. Les
règles d’accord des participes passés sont un vrai casse-tête : il y a vingt-cinq
pages de règles, d’exceptions et de cas particuliers dans Le bon usage de
M. Grévisse ! Espérons que cette « simplification » sera suivie par d’autres. En
Suisse, un arrêté datant de 1901 va déjà plus loin puisqu’il permet l’invariabilité
du participe passé construit avec avoir et suivi d’un infinitif : les oiseaux que
j’ai entendu chanter, en dépit du fait qu’en France on doive écrire les oiseaux
que j’ai entendus chanter.

Le dernier point concerne les anomalies


* Les mots dérivés en -otter ou -oter pourront toujours être écrits avec
-oter : comme tousser, toussoter, on écrit danser, dansoter, friser, frisoter, etc.
Voilà une règle simple. Il faut pourtant souligner que les dérivés des mots
botte, crotte, ou calotte, etc., garderont leur air de famille et continueront à
s’écrire botter, crotter, calotter, etc.
* Les mots à finale -olle ou -ole adoptent la deuxième forme, -ole.
Comme mariole, on peut écrire girole, guibole, corole, etc. Les dictionnaires
font preuve pour ces mots de beaucoup de fantaisie, les variations sont fré-
quentes d’un ouvrage à l’autre, voire dans un même ouvrage. Trois exceptions

45
cependant, les monosyllabes colle, molle et folle, car leur « image » semble dif-
ficile à modifier.
* Les mots d’une même famille garderont d’une manière générale l’or-
thographe du mot simple : la double lettre de homme se retrouve dans bonhom-
mie (qui s’écrivait bonhomie), le l simple d’imbécile dans imbécilité (au lieu de
imbécillité), le double r de charrette, charrue se retrouve dans charriot (au lieu
du fameux chariot), etc.
Pourquoi ne pas choisir chariot comme référence et aligner les dérivés de
char sur lui, comme *charue, *charette ? Cela aurait évité l’introduction d’inco-
hérences bien inutiles comme dans celle de la famille de battre : le dérivé préco-
nisé est combattif (au lieu de combatif) alors qu’il existe bien dans cette famille
le mot bataille avec un seul t.
* La finale -illier laisse la place à -iller. Comme poulailler, volailler, on
écrit donc joailler, quincailler, etc. Cette simplification qui rapproche la graphie
de la prononciation ne touche que quelques mots, et des mots comme châtai-
gnier ont été semble-t-il oubliés. D’autres termes comme ognon sont également
écrits conformément à leur prononciation.
* Dans une famille de mots, la lettre qui suit un e « muet » est simple
comme c’est déjà le cas pour noisetier dérivé de noisette, ou chamelier dérivé
de chamelle. Cette série est toute petite, on écrit donc dentelle et dentelière, etc.
* Quelques corrections d’erreurs passées sont entérinées, comme celle
de nénufar, qui a été écrit ainsi dans toutes les éditions du Dictionnaire de
l’Académie, jusqu’en 1935 où il est devenu nénuphar par erreur d’étymologie !
Les Recommandations aux lexicographes
Le plus important des effets des rectifications de 1990 se trouve sans
doute dans les Recommandations adressées par l’Académie aux professionnels
et aux lexicographes. Cela touche tout particulièrement à l’enregistrement des
néologismes (il y en a environ 25000 chaque année) qui doit tenir compte des
régularités de l’orthographe en évitant les consonnes doubles et les lettres
inutiles ou étrangères à notre système. Cela concerne également la simplifica-
tion des consonnes doubles existantes, les -nn- qui peuvent sans dommage deve-
nir -n- dans des mots comme réunionite, cohabitationer, professionaliser, etc.

◆ L’accueil fait aux rectifications


En France , la polémique a été forte en 1990. Les opposants ont large-
ment utilisé leurs pouvoirs à travers les médias pour vilipender et détruire dans

46
l’esprit du public le sens et le contenu des rectifications. On peut s’interroger
sur les motivations d’un tel comportement, qui n’est certes pas nouveau, on l’a
vu, dans l’histoire de l’orthographe française. Mais le sentiment d’identité, l’at-
tachement à la chose écrite toujours un peu sacralisée, le besoin de conserver
des « racines », réelles mais aussi imaginaires parfois, ne peuvent aboutir à un
immobilisme forcené de l’écriture menant à la mort.
La politique a donc été de ne pas réveiller les polémiques et de ne pas
aller plus avant dans la diffusion des rectifications auprès du grand public ou des
enseignants, les premiers concernés. Et dans cette situation de non information,
- l’association AIROE a cependant depuis le début poursuivi avec des moyens
certes limités cette nécessaire information -, l’Académie a décidé de faire
confiance à l’usage pour entériner ces fameuses rectifications !

Que deviennent les rectifications dans les dictionnaires ?


Heureusement, avec prudence, les dictionnaires de langue de chez
Larousse, Robert, Hachette... enregistrent progressivement les Rectifications, et
mettent en pratique les Recommandations aux lexicographes. Le Dictionnaire
de l’Académie les enregistre toutes, en entrée, dans le corps des articles ou dans
des listes séparées pour les premières lettres qui avaient été traitées antérieure-
ment à 1990. Si bien qu’un relevé des variantes des dictionnaires de 1989 à
1997, dirigé par N. Catach, faisait apparaître un total de 5169 mots avec
variantes graphiques. Sur ce total, 2362 mots, soit 46 %, suivent les rectifica-
tions, et 1204 mots, soit 23 %, suivent les recommandations.
Ce ne sont pas toujours les mêmes mots qui sont rectifiés dans les dic-
tionnaires. Il faudra attendre encore quelques années pour que l’ensemble s’har-
monise et qu’une politique commune se mette en place entre les maisons d’édi-
tion. Les points des rectifications pour lesquels on rencontre encore des
hésitations sont les mots en -eler et -eter et la suppression des accents circon-
flexes. Mais le dernier Bescherelle sur L’Orthographe mentionne tous ces
points, des ouvrages pédagogiques, des revues sont publiés en « nouvelle ortho-
graphe ». La dernière édition du Bon usage de M. Grevisse, sous la direction
d’A. Goosse, mentionne les rectifications. Gageons que la voie est ouverte pour
qu’enfin ces rectifications soient reconnues et admises comme elles le sont par
exemple en Belgique.
En Belgique, grâce sans doute à la personnalité d’A. Goosse qui a œuvré
dans le sens des rectifications, l’accueil a été plus favorable. Aujourd’hui,
l’APARO (association pour l’application des rectifications orthographiques) a
son site sur Internet. Des revues et ouvrages sont publiés en nouvelle ortho-

47
graphe. L’enseignement catholique a intégré l’enseignement des rectifications
dans ses programmes, l’enseignement public a diffusé des circulaires en ce sens
en septembre 1998.
En Suisse, au Québec, l’accueil a été également favorable. Mais bien
souvent, on attend que la France se prononce ouvertement en faveur des rectifi-
cations pour mener une action d’envergure en ce sens.
Par rapport à l’ensemble de notre système orthographique, les rectifica-
tions de 1990 touchent une toute petite frange, qui concerne quelques-unes des
irrégularités ou des anomalies du système. Certaines personnes ont trouvé que
tout cela faisait beaucoup de bruit pour rien, et pourtant ce n’est pas rien. En
effet, sans toucher à l’essentiel du système, elles introduisent davantage de régu-
larité et de cohérence dans une orthographe qui demeure bien chargée, conti-
nuant ainsi l’œuvre entreprise et inachevée par les académiciens du XVIIe et du
XVIIIe siècle. On ne peut que souhaiter que ces modifications, modestes mais
qui vont dans le bon sens du respect de la langue et de ses usagers, puissent être
poursuivies à l’avenir. C’est le rôle et la place du français dans la francophonie,
dans le monde et dans l’avenir qui est en jeu, et l’écriture du français, son ortho-
graphe donc, doit rester la meilleure messagère de cette langue.

48
REFERENCES
CATACH N. (1995). L’orthographe, Que sais-je ?, PUF, 1ère éd. 1978, 6e éd.
CATACH N. (1991). L’orthographe en débat, Nathan - Université, Paris.
CHAURAND J. (1972). Histoire de la langue française, Que sais-je ?, PUF.
CHAURAND J. (1999). Nouvelle histoire de la langue française, Seuil.
GOOSSE A., Le bon usage. Grammaire française de M. Grevisse, 13e éd. revue.
HONVAULT R. (sous la direction de) (à paraître en septembre 1999). L’ortografe ? c’est pas ma faute !,
numéro spécial de la revue Panoramiques sur la réforme de l’orthographe, éd. Corlet, Paris.
PORTEBOIS Y. (1998). Les saisons de la langue, Champion. Le Journal officiel de la République fran-
çaise, édition des documents administratifs, 6 décembre 1990.

49
La compétence orthographique du sujet adulte
Helgard Kremin

Résumé
Cette étude expérimentale porte sur la compétence orthographique de 60 sujets franco-
phones adultes, jugée d’après leurs performances en écriture sous dictée. 293 stimuli sont
répartis en listes appariées, permettant d’étudier les variables suivantes : fréquence, âge
d’acquisition, régularité, longueur et signification. Les résultats montrent (I) que la dictée
des logatomes est aussi bien réussie que la dictée de mots et (II) que la régularité orthogra-
phique et l’âge d’acquisition du mot écrit sont les variables lexicales qui ont le plus d’in-
fluence sur les performances.
Mots-clés : Orthographe, dictée, standardisation, sujet adulte francophone.

Spelling skills in adult subjects

Abstract
This empirical study investigates the orthographic skills of 60 French-speaking adults,
based on writing from dictation. 293 stimuli, presented in matched lists, made it possible to
assess the influence of the following variables: frequency, age of acquisition, orthographic
regularity, length and meaning. The results showed that(i) writing nonwords is no more diffi -
cult than writing words and that(ii) the degree of orthographic regularity and the age of
acquisition of the written word are the most influential lexical variables.
Key Words : Orthography, dictation, standardization, French-speaking adults.

51
Helgard KREMIN 1
L. MAGINOT
C. MAGNIEN
INSERM-CRI 9609
Laboratoire de Pathologie du Langage
Bât. Nouvelle Pharmacie-3e étage
Hôpital La Salpêtrière
47 Bd de l’Hôpital
F - 75651 PARIS CEDEX 13

U
n des problèmes majeurs en neuropsychologie concerne la délimitation
du seuil entre normalité et pathologie. Nous avons besoin d’une réfé-
rence applicable aux sujets cérébro-lésés selon des facteurs individuels.
Ceci d’autant plus quand on se propose d’étudier « le savoir orthographique »,
c’est-à-dire l’écriture.
L’« intuition » semble suggérer que plus on va à l’école, plus on est apte à
écrire correctement. Or, les apprentissages fondamentaux de l’écriture se font
dans les 5 premières années de scolarité à l’école primaire, les années suivantes
servant surtout à renforcer ces apprentissages. De ce point de vue, il n’y aurait
pas de raison pour que les individus ayant eu le même apprentissage, mais une
durée de scolarité différente, aient plus de difficulté à l’écrit. D’un autre côté,
des facteurs individuels tels que le niveau de scolarité, l’âge et le sexe ont une
influence sur des tâches apparemment simples comme la dénomination orale
d’images (Metz-Lutz et al., 1991). Enfin, les résultats d’un travail mené par
Laurent (1984), portant sur la dénomination écrite de 100 images du PEDOI
(« Protocole Européen de Dénomination d’Images » qui sera publié ultérieure-
ment - cf. toutefois Kremin et al., 1994), montrent que seulement 28 sur 100
noms d’images sont correctement écrits par tous les 60 sujets « témoins » ayant
participé à cette étude de standardisation. Les connaissances orthographiques du
sujet adulte semblent donc moins bien consolidées qu’on ne le pense...
De ce fait, nous chercherons à analyser les connaissances orthogra-
phiques du sujet normal adulte au moyen de la dictée, une tâche permettant
d’étudier des variables psycholinguistiques qui ne sont pas pertinentes pour la
dénomination écrite de noms d’objets.

1 Adresse de correspondance : Helgard Kremin, Directeur de recherche au CNRS.


hkremin@infobiogen.fr - Tél. : 01 42 16 22 03 - Répondeur : 01 45 85 20 24 - Fax :01 53 79 08 25

52
La dictée implique le passage du système de perception et d’analyse audi-
tive au système d’expression graphique. Cette tâche fait appel à l’identification
de la forme acoustique du mot puis, soit à l’activation directe de sa forme lexi-
cale graphique, soit à l’analyse acoustico-phonémique aboutissant à l’élabora-
tion d’une représentation phonologique qui est le support de la conversion pho-
nème-graphème.
Un protocole expérimental, proposé par H. Kremin, a été établi pour per-
mettre d’étudier les processus et les différents niveaux de traitement de l’informa-
tion impliqués dans l’écriture sous dictée ainsi que les variables du stimulus qui
sont pertinentes, en pathologie, à chacune de ces étapes. Ainsi l’épreuve de dictée
comprend des mots et des logatomes, répartis en listes appariées, permettant d’étu-
dier les variables du stimulus suivantes : fréquence, âge d’acquisition, concrétude
et / ou imagerie, régularité, classe grammaticale, signification, longueur.
Le protocole comprend aussi des épreuves ne faisant pas appel à l’écri-
ture sous dictée : (I) une épreuve de discrimination phonémique, permettant de
vérifier l’intégrité de l’entrée acoustico-phonémique ; (II) une épreuve de déci-
sions lexicales auditives, censée tester le système d’entrée auditive des mots,
c’est-à-dire le bon fonctionnement du lexique phonologique d’entrée ; (III) une
épreuve de décisions lexicales orthographiques, censée tester le système d’en-
trée visuelle des mots, c’est-à-dire le lexique orthographique visuel ; il est sus-
ceptible d’intervenir en cas d’autocorrection de la production écrite via la relec-
ture ; (IV) une épreuve d’épellation orale de mots issus de la liste de l’épreuve
de dictée, censée tester les processus mis en jeu dans cette modalité de sortie, et
permettre de comparer les performances à celles obtenues sous dictée.
L’ensemble de ces épreuves (qui peuvent être obtenues sur demande
écrite) a fait l’objet d’une étude de standardisation menée par Maginot et
Magnien en 1996. Dans le cadre de cette présentation, qui concerne les connais-
sances orthographiques du sujet francophone adulte, nous nous limiterons à
résumer les principaux résultats en dictée.

◆ Matériel et méthode
Matériel utilisé
Le protocole comprend, pour l’épreuve testant l’écriture sous dictée, 293
items (dont 268 mots et 25 logatomes) répartis en listes permettant d’étudier les
variables du stimulus suivantes : fréquence du mot, âge d’acquisition du mot
écrit, régularité orthographique, concrétude et/ou imagerie, classe grammaticale,
longueur et « signification » (mots versus logatomes).

53
Le protocole se compose des listes suivantes :
Liste 1 : 24 substantifs de haute fréquence, de haute imagerie (concrets),
acquis à 13 ans ;
Liste 2 : 24 substantifs de haute fréquence, de basse imagerie (abstraits),
acquis à 13 ans ;
Liste 3 : 24 substantifs de basse fréquence, de haute imagerie, acquis à 13
ans ;
Liste 4 : 24 substantifs de basse fréquence, de basse imagerie, acquis à 13
ans ;
Liste 5 : 24 substantifs de basse fréquence, de basse imagerie, non acquis
à 13 ans ;
Liste 6 : 20 substantifs irréguliers ;
Liste 7 : 20 verbes de haute fréquence acquis à 13 ans ;
Liste 8 : 40 mots fonctionnels de haute fréquence acquis à 13 ans ;
Liste 9 : 20 substantifs irréguliers acquis à 13 ans ;
Liste 10 : 10 substantifs irréguliers non acquis à 13 ans ;
Liste 11 : 38 mots « contrôle » servant à compléter certaines listes pour
l’étude de variables précises (mots irréguliers, degré d’ambiguïté ortho-
graphique, etc.) ;
Liste 12 : 25 logatomes (10 monosyllabiques, 10 bisyllabiques, 5 avec
plus de deux syllabes).
Variables considérées
La fréquence des mots
L’influence de la fréquence des mots sur les performances du sujet nor-
mal et pathologique est une des données le plus universellement confirmée.
Pour notre protocole nous avons utilisé la classification de Julliand et al. (1970).
Les mots considérés comme étant de haute fréquence sont ceux appartenant
principalement aux tranches I et II de cette classification, et ceux de basse fré-
quence appartiennent aux tranches supérieures de cette classification (VIII à X).
Au sein de chaque liste, les mots sont répartis selon la concrétude (concrets ver-
sus abstraits) et selon le degré d’ambiguïté orthographique.
L’âge d’acquisition des mots
Nous avons repéré l’âge d’acquisition des mots d’après Ters et al. (1975)
et recherché l’influence de cette variable sur l’écriture du sujet normal. Ainsi on
distingue entre mots acquis à 13 ans et mots non acquis à 13 ans. En effet, des
études récentes ont confirmé, pour le sujet francophone aussi, le rôle important
de la variable « âge d’acquisition des mots » sur la dénomination orale d’images
du sujet normal (Kremin et al., accepté) et pathologique (Perrier et al., 1997).

54
La régularité orthographique
Dans les listes de haute et basse fréquence les mots sont répartis en fonc-
tion de leur degré d’ambiguïté orthographique (DAO=0 à DAO=3). Le degré
d’ambiguïté orthographique est fonction du nombre de phonèmes ambigus dans
le mot et tient compte des règles contextuelles de transcription.
Par exemple, la règle selon laquelle /z/ s’écrit S entre deux voyelles et Z par-
tout ailleurs est une règle contextuelle de conversion entre phonèmes et graphèmes
qui ne dépend pas du mot. Les règles orthographiques, par contre, se réfèrent au
mot, à sa composition, à ses formes dérivationnelles possibles, à son étymologie...
On considère comme « réguliers », les mots dont le DAO est de 0, c’est-à-dire
ceux dans lesquels les correspondances phonèmes-graphèmes répondent à des pro-
babilités d’occurence très élevées dans la langue, par exemple « amour ». (La fré-
quence des correspondances phonèmes-graphèmes a été établie par Catach (1974 ;
1980). On considère comme « ambigus », les mots dont le DAO est au moins de 1,
ceux où les correspondances phonème-graphème sont moins probables ; par
exemple, « musique » : DAO = 1, « village » : DAO = 2, « différence » : DAO = 3.
Par ailleurs, le protocole inclut une liste de 50 mots « irréguliers », dont les
correspondances phonème-graphème sont très peu probables, voire exception-
nelles, par exemple « solennel » et « femme », et une liste de mots « contrôle »
appariés en fréquence et en longueur. Ces listes sont constituées d’items proposés
par Beauvois & Dérouesné (1981) pour l’étude de sujets agraphiques.
La dimension régularité/irrégularité orthographique permet d’apprécier le
fonctionnement de la voie lexicale, seule à garantir l’écriture correcte de mots irré-
guliers.
La longueur
Nous avons voulu savoir si la longueur des stimuli a une influence sur les
performances du sujet normal. Rappelons que la longueur est une variable qui
influe sur les performances des sujets présentant une perturbation du buffer gra-
phémique (Caramazza et al., 1987).
Nous avons calculé la longueur d’un stimulus en tant que nombre de
lettres (mesure de charge en mémoire pour le buffer graphémique) et / ou en
nombre de syllabes (mesure d’entrée auditive, mais également plus adéquate
pour l’analyse de l’écriture des logatomes pour lesquels les transcriptions pos-
sibles sont souvent multiples, du fait que beaucoup de phonèmes peuvent
s’écrire, en accord avec les règles de conversion, de différentes façons.
Remarque : Le protocole comprend également des listes pour étudier
l’éventuelle influence de la classe grammaticale (substantifs, verbes, mots fonc-
tionnels) et de l’imagerie et/ou concrétude (d’après Hogenraad & Orianne, 1981).
Dans le cadre de cette présentation ces paramètres ne seront pas considérés.

55
Enfin, toutes les listes sont équilibrées de telle manière que seule la
variable lexicale à étudier est ciblée.
Population
Le protocole de la dictée fut soumis à une population « normale », c’est-à-
dire ne présentant (I) ni trouble du langage oral et/ou écrit, (II) ni atteinte neurolo-
gique connue ou début d’atteinte dégénérative (passation du Mini Mental State
[Folstein et al., 1975] aux sujets âgés de 65 et plus), (III) ni trouble de la discrimi-
nation phonologique. Par ailleurs, tous les sujets ont fait leur scolarité en français.
La population est constituée de 60 sujets, également repartis en fonction
de trois paramètres : le sexe (30 hommes et 30 femmes) ; l’âge (3 tranches :
18-39 ans, 40-59 ans et 60-75 ans) ; le niveau de scolarité (NSC). Le critère
choisi pour le NSC est celui du nombre d’années de scolarité à partir de la pre-
mière année de scolarité obligatoire, soit l’âge de 6 ans (entrée au C.P.). On dis-
tinguera deux groupes, le NSC1 (30 sujets) avec une scolarité de 9 ans et le
NSC 2 (30 sujets) avec une scolarité de plus de 9 ans. En fonction de ces trois
critères, la population (n=60) se répartit en 12 sous-groupes de 5 sujets.
Conditions de passation
Les consignes
Pour l’épreuve de discrimination phonémique, la consigne était : « Je vais
vous dire deux mots et vous demander de décider si les deux mots sont pareils
ou différents. Vous ne faites pas attention au sens, vous me dites simplement
s’ils ‘sonnent’ pareil ou pas. Comme, par exemple, foule - moule. Alors, c’est
pareil ou différent? »
Pour la dictée de mots la consigne était : « Je vais vous dicter des mots iso-
lés. Ces mots sont des substantifs (ou des noms communs), des verbes et des mots
grammaticaux. Je vous demande d’écrire un mot par ligne, le plus lisiblement pos-
sible ; si vous voulez corriger, ne surchargez pas mais réécrivez le mot à côté. »
Pour la dictée de logatomes, la consigne était : « Je vais vous dire des
mots qui n’existent pas dans la langue. Je vous demande d’écrire ce que vous
entendez, de façon que je puisse les relire tels que je vous les ai dictés. »
La passation
La passation des épreuves s’est déroulée de manière identique pour chaque
sujet : l’épreuve de discrimination phonologique fut appliquée préalablement à
l’écriture sous dictée ; les stimuli ont été présentés regroupés en listes séparées ; la
dictée de logatomes a été intercalée dans la dictée au stimulus n°206.
Si le sujet demandait la répétition du mot, il était répété. En cas d’incompré-
hension du stimulus, dans un premier temps on ajoutait l’article, puis le mot était

56
placé dans un contexte facilitant sa compréhension ; par exemple, pour le mot cas :
« un cas » (première indication), « c’est un cas difficile » (deuxième indication).
La durée de l’épreuve de dictée était de 45 minutes à 1 heure.
Le dépouillement des données
En ce qui concerne l’épreuve de dictée de mots, il est utile de préciser que
nous n’avons pas considéré comme erreur : (I) les substantifs et les mots fonc-
tionnels transcrit au féminin ou au pluriel (telle, quelle, cheveux) ; (II) les
verbes du 1er groupe transcrits au participe passé ou conjugués (allez), ou trans-
crits comme un substantif (arrivée) ; (III) les homophones ne correspondant pas
au mot attendu (faire pour fer) ; (IV) les différentes graphies admises (par le
Larousse et le Robert) d’un mot (shampooing / shampoing et paie / paye).
Par contre, nous avons considéré comme erreur l’omission ou la substitu-
tion d’accent(s), ce qui pour certains sujets et/ou pour certains mots augmente
de façon relativement importante le nombre d’erreurs comptabilisées. L’absence
du trait d’union pour le mot « chef-d’œuvre » a également été considérée
comme une erreur.
En ce qui concerne l’épreuve de la dictée de logatomes, nous avons dis-
tingué lors du dépouillement : (I) les erreurs vraies empêchant la relecture du
logatome tel que nous l’avons dicté, (II) et les erreurs dues à la non-application
des règles orthographiques contextuelles mais n’empêchant pas la relecture du
logatome tel qu’il a été dicté (exemple : enboi, consse).
L’ensemble des données recueillies lors de la passation du protocole a fait
l’objet d’un traitement épreuve par épreuve et d’un traitement par sujet (Magi-
not & Magnien, 1996). Nous ne rapporterons ici que les principaux résultats en
dictée ainsi qu’un listing des fautes d’orthographe relevées pour chaque item.

◆ Résultats
Constatons tout d’abord qu’aucun des 60 sujets n’avait de problème au
niveau de l’analyse auditive : le maximum d’erreurs observé au test de discrimi-
nation phonologique est de 1 erreur sur 30 paires de mots.
Par contre, les performances des sujets en dictée varient énormément. Pour les
mots, l’écart est de 2 (minimum) à 142 (maximum) erreurs sur le total des 268 mots
dictés ; pour les logatomes, on observe de 0 à 7 erreurs sur les 25 items proposés.
1 - Résultats globaux : L’influence des facteurs individuels
Nous avons recueilli l’écriture sous dictée de 16080 mots et de 1500 loga-
tomes. Comme le montre le tableau 1, les facteurs individuels (âge, niveau de
scolarité, sexe) interviennent sur les performances.

57
Tableau 1 : Répartition des données en fonction de 3 critères :
âge, niveau de scolarité et sexe (% erreurs)

18-39 40-59 60-75 NSC1 NSC2 H F


MOTS 9% 5,8% 7,5% 14,3% 6,1% 12,8% 7,7%
664/7360 427/7360 555/7360 1153/8040 493/8040 1029/8040 617/8040
LOGAT. 6,2% 8,8% 8,6% 9,1% 6,7% 8,5% 7,1%
31/500 44/500 41/500 68/750 50/750 64/750 53/750

Nous constatons que dans le NSC1 les performances sont moins bonnes
que dans le NSC2 ; l’écart entre les deux niveaux est constant, mais plus impor-
tant pour les mots.
La comparaison des résultats entre les hommes et les femmes est en défa-
veur des premiers ; cet écart est moins important que celui observé pour le
niveau scolaire.
L’incidence de l’âge est moins évidente que celle du niveau scolaire et du
sexe ; globalement la tranche II (40-59 ans) obtient les meilleurs résultats.
Enfin, sur les logatomes, les influences de l’âge, du niveau scolaire et du
sexe sont plus faibles que sur les mots à contenu.

2 - L’écriture de mots
Par la suite nous décrirons l’influence des variables liées au mot cible
(fréquence d’usage, âge d’acquisition, régularité). Nous ne tiendrons compte
que du niveau scolaire (NSC) puisque, comme nous venons de le décrire, l’âge
des sujets n’a pas d’incidence systématique sur les performances et celles des
femmes sont toujours supérieures.
2.1. La fréquence des mots et leur âge d’acquisition
Pour étudier l’influence de la fréquence des mots, nous avons comparé les
performances des sujets aux listes 1 et 2 (2880 productions écrites).
Pour cerner l’influence de l’âge d’acquisition du mot écrit (acquisition
versus non acquisition à 13 ans) nous avons comparé les performances des
sujets aux listes 3 et 4 (1440 productions écrites).
Le tableau 2 représente le taux d’erreurs pour ces deux variables en fonc-
tion du NSC. L’étude des résultats selon le NSC montre une différence impor-
tante sur les performances des deux groupes, et ce pour les deux variables consi-
dérées.

58
Tableau 2 : Influence de la fréquence des mots et leur âge d’acquisition (% erreurs)

VARIABLE NSC 1 NSC 2


Haute fréquence 8% (115/1440) 3,5% (50/1440)
Basse fréquence 14% (202/1440) 5,6% (81/1440)
Acquisition à 13 ans 17% (122/720) 7,2% (52/720)
Non-acquisition à 13 ans 26% (185/720) 15% (107/720)

2.2. La régularité orthographique des mots


Le degré d’ambiguïté orthographique
Pour 120 mots nous avions établi le degré d’ambiguïté orthographique
(DAO) : 37 mots avec DAO=0, 54 mots avec DAO=1, 29 mots avec DAO=2 et plus.
Pour l’ensemble de la population, c’est-à-dire en analysant 7200 productions écrites,
on constate un accroissement du nombre d’erreurs en fonction de l’augmentation du
DAO : DAO=0 : 6,6% ; DAO=1 : 10,5% ; DAO=2 et plus : 14,4%.
Il existe une incidence conjuguée des variables fréquence et DAO. L’écart
des performances entre les mots de haute fréquence et de basse fréquence (ces
derniers étant les plus chutés) croît en fonction du degré d’ambiguïté. Le tableau 3
en donne la description tout en considérant le NSC. Il permet de constater que les
sujets du groupe NSC1 sont les plus sensibles à l’influence du DAO.

Tableau 3 : Degré d’ambiguïté orthographique (DAO) des mots et fréquence (% erreurs)

VARIABLE NSC 1 NSC 2


DAO=0:
mots de HF 5% (23/450) 1,5% (7/450)
mots de BF 12 % (80/660) 5,6% (37/660)
TOTAL DAO=0 9,3% (103/1110) 3,9% (44/1110)
DAO=1:
mots de HF 7,6% (50/660) 4,4% (29/660)
mots de BF 18,4% (177/960) 8,8% (85/966)
TOTAL DAO=1 14,0% (227/1620) 7,0% (114/1620)
DAO=2 et plus
mots de HF 12,7% (42/330) 3,9% (13/330)
mots de BF 24,1% (130/540) 12,2% (66/540)
TOTAL DAO=2 et + 19,8% (172/870) 9,1% (79/870)

59
Mots irréguliers
Chacun des 50 mots irréguliers du protocole est apparié « en paire » avec
un mot « contrôle » régulier (avec DAO=0) de la même fréquence et longueur
(en nombre de lettres plus moins une). Nous comparons donc ces 50 mots irré-
guliers aux mots contrôle. Les résultats sur l’ensemble de la population (6000
productions écrites) laissent apparaître une nette incidence de l’irrégularité :
15,9% d’erreurs pour les mots irréguliers contre 7,6% pour les mots contrôle.
En ce qui concerne le niveau scolaire, il existe un écart entre les perfor-
mances des deux groupes NSC1 et NSC2. Il est très important pour les mots
irréguliers : 22,5% d’erreurs contre 9,2%. Mais les mots réguliers donnent éga-
lement lieu à des échecs, à savoir 11% pour le NSC1 contre 4,2% pour le NSC2.
Par contre, la variable « acquis / non acquis à 13 ans » (listes 9 et 10) ne
semble pas pertinente pour l’écriture des mots irréguliers. Ces données sont
représentées dans le tableau 4.
Tableau 4 : L’écriture de mots irréguliers : l’influence de l’âge d’acquisition des mots (% erreurs)

VARIABLE NSC 1 NSC 2


Mots irréguliers 22,5% (338/1500) 9,3% (139/1500)
Mots réguliers 11,1% (166/1500) 4,3% (64/1500)
Mots irréguliers acquis à 13 ans 17,3% (104/600) 7,8% (47/600)
Mots irréguliers non acquis à 13 ans 18% (72/300) 4% (16/300)

2.3. La longueur
L’effet de la longueur des mots a été étudié en analysant l’écriture de
4200 mots courts de 3 à 6 lettres (dont 33 de haute fréquence et 37 de basse fré-
quence) et de 3000 mots longs de 7 lettres et plus (dont 15 de haute fréquence et
35 de basse fréquence). Les résultats globaux montrent une nette influence de la
longueur du mot en lettres avec 10% d’écart entre mots courts et longs (6% et
16% d’erreurs respectivement).
En conjuguant l’influence de la longueur avec celle de la fréquence,
nous constatons que l’écart entre les mots de haute et de basse fréquence (les
mots de haute fréquence étant les plus réussis) est plus important pour les
mots les plus longs. Le tableau 5 résume ces données, en tenant compte du
niveau scolaire.
Enfin, l’étude de la longueur en tant que nombre de syllabes (effectuée
sur 2340 monosyllabiques et 4860 plurisyllabiques) confirme l’influence du fac-
teur « longueur » : globalement, on observe un écart d’environ 8% entre les
monosyllabiques (4,6% d’erreurs) et les plurisyllabiques (13% d’erreurs).

60
Tableau 5 : Répartition des erreurs en fonction de la longueur des mots
VARIABLE NSC 1 NSC 2
Mots courts :
de haute fréquence 5,4% (53/990) 2,0% (20/990)
de basse fréquence 11,6 % (129/1110) 5,1% (57/1110)
TOTAL MOTS COURTS 8,7% (182/2100) 3,7% (77/2100)
Mots longs :
de haute fréquence 13,8% (62/450) 6,9% (31/450)
de basse fréquence 24,5% (257/1050) 12,6% (132/1050)
TOTAL MOTS LONGS 19,3% (289/1500) 10,9% (163/1500)

3 - L’écriture de logatomes
Lors de la comptabilisation des erreurs commises lors de l’écriture de
1500 logatomes, nous avons distingué des erreurs empêchant la relecture du
logatome tel qu’il avait été dicté de celles qui consistaient en un non respect des
règles orthographiques contextuelles. Globalement on observe plus d’erreurs
« vraies » que d’erreurs contextuelles (7,5% contre 2,4%). Comme le montre le
tableau 6, le niveau scolaire ne joue pas pour l’écriture des logatomes courts
(monosyllabiques) ; en revanche, pour les logatomes longs (trisyllabiques) il est
très marqué (16% d’erreurs pour NSC1 contre 9% pour le NSC2).

Tableau 6 : Ecriture de logatomes : effet du niveau scolaire et de la longueur (% erreurs)


VARIABLE NSC 1 NSC 2
MONOSYLLABIQUES:
Erreurs 9,7% (29/300) 9,7% (29/300)
Règles contextuelles 3,3% (10/300) 2,7% (8/300)
BISYLLABIQUES:
Erreurs 5% (15/300) 9% (9/300)
Règles contextuelles 5% (15/300) 0,7% (2/300)
TRISYLLABIQUES:
Erreurs 16% (24/150) 8% (12/150)
Règles contextuelles 0,7% (1/150) 0%
TOTAL LOGATOMES:
Erreurs 15% (68/450) 11% (50/450)
Règles contextuelles 6% (36/450) 2% (10/450)

61
◆ Discussion
Au cours de la passation du protocole et lors du dépouillement des perfor-
mances, nous avons été surprises par le nombre et parfois par la nature des
erreurs. Intuitivement, nous nous attendions certes à ce que les sujets dont le
niveau scolaire est bas fassent des erreurs sur certaines catégories de mots, mais
pas autant que ce que nous avons pu trouver chez certains d’entre eux. Par
ailleurs, nous nous attendions à de meilleures performances chez les sujets dont
le niveau de scolarisation est de 9 ans et plus.
En ce qui concerne les facteurs individuels pris en compte, l’analyse des
résultats globaux a mis en évidence la prépondérance du niveau scolaire sur les
deux autres variables, âge et sexe. Si l’âge n’exerce pas d’influence systéma-
tique, soulignons toutefois que les résultats sont les plus chutés dans la première
tranche d’âge (18 à 39 ans). Enfin, il y a une influence du sexe qui apparaît sur
les performances : les femmes paraissent avoir une meilleure orthographe que
les hommes.
En ce qui concerne la variable « signification », les résultats globaux
montrent des résultats hétérogènes quand on considère les différentes tranches
d’âge (cf. tableau 1). Toutefois, globalement la dictée des logatomes est aussi
bien, voire mieux réussie, que la dictée des mots. En effet, le groupe au niveau
scolaire bas (ainsi que celui des hommes dont les performances sont toujours
inférieures aux femmes) réussit mieux les stimuli sans signification. Cela sug-
gère que ces sujets maîtrisent l’écriture par conversion entre phonèmes et gra-
phèmes (ou assemblage) au niveau de la normale ; par contre, la procédure
d’écriture lexicale qui, elle, dépend des connaissances orthographiques liées aux
conventions du langage écrit, est moins fermement établie. La difficulté se situe
donc ici au niveau du savoir relatif au lexique orthographique.
Ce résultat de la normalisation a des implications directes pour la patho-
logie. Contrairement à ce que l’on pourrait penser « intuitivement », des perfor-
mances moins bonnes lors de la dictée des mots ne sont pas nécessairement le
reflet d’une pathologie. Inversement, un taux d’erreurs nettement supérieur à
7/25 erreurs (ou 28% - ce qui correspond au taux le plus élevé d’erreurs observé
pour l’écriture de logatomes par des sujets sains) ne s’explique pas par un
niveau de scolarité bas mais est toujours pathologique.
Par ailleurs, en ce qui concerne l’écriture des logatomes, deux constata-
tions plus générales s’imposent : 1° - le nombre d’erreurs observées (y com-
pris dans le groupe avec un niveau scolaire haut) nous a paru relativement
élevé, s’agissant de stimuli qui mettent en jeu la voie phonologique (procédure
d’assemblage) et n’impliquant théoriquement pas le lexique orthographique ;

62
2° - l’influence de la longueur est contradictoire : les logatomes trisyllabiques
sont les plus chutés, mais les monosyllabes suscitent plus d’erreurs que les
bisyllabiques : il semble que sur ces stimuli sans signification, la longueur
relative soit un facteur de facilitation, en permettant une meilleure analyse de
l’item proposé. Inversement, pour les logatomes monosyllabiques, le temps
d’analyse, plus court, fait chuter les performances de certains des sujets - et
ceci en l’absence de tout problème d’analyse perceptive (jugée d’après une
tâche de discrimination phonémique).
Les variables lexicales que nous avons considérées dans le cadre de cette
présentation sont la régularité orthographique, la fréquence d’usage, la longueur
du mot cible ainsi que son âge d’acquisition (acquis versus non acquis à 13 ans).
Il s’avère que la régularité orthographique et l’âge d’acquisition des mots sont
les variables qui ont le plus d’influence sur les performances en dictée.
A notre connaissance, le facteur « âge d’acquisition des mots écrits » n’a
pas été considéré dans d’autres tests et/ou standardisations de l’écriture. En l’ab-
sence d’un traitement statistique adéquat nous ne pouvons conclure définitive-
ment. A ce propos nous rappellerons toutefois que certaines variables, considé-
rées depuis longtemps comme déterminantes se sont avérées moins pertinentes
selon des travaux récents, considérant l’interdépendance des facteurs suscep-
tibles d’influencer la probabilité de réussite des sujets à une certaine tâche. De
ces travaux, il ressort par exemple que l’effet de la fréquence des mots sur l’acti-
vité de dénomination, jusqu’ici bien établi, est aujourd’hui remis en cause. Cela
est dû en particulier à la prise en compte des facteurs corrélés à la fréquence, et
notamment à l’âge d’acquisition : ce qui était pris pour un effet de la fréquence
pouvait n’être en réalité qu’un artefact lié à l’influence d’autres facteurs. En
effet, les mots appris précocement ont tendance à être fréquents et courts.
Enfin, que la régularité orthographique ait une influence sur le succès
dans l’écriture des mots ne surprendra personne. En fait, les erreurs augmentent,
de manière linéaire, pour les mots avec un degré d’ambiguïté orthographique 0,
1 et 2 et plus (6,6%, 10,5% et 14,4% respectivement). L’écart entre l’écriture
des mots réguliers et irréguliers (appariés pour la longueur et la fréquence) est
similaire (7,6% contre 15,9%). Il est intéressant de noter que l’âge d’acquisition
ne semble pas influer sur la réussite en écriture de mots irréguliers. Cela suggère
qu’il s’agit d’une variable relativement indépendante qui met particulièrement
en jeu le savoir orthographique des sujets.
En ce qui concerne l’étude des troubles pathologiques de l’écriture, il
nous paraît toutefois impératif de ne pas conclure à la présence d’une « dysgra-
phie de surface » sur la base des performances en écriture des mots irréguliers

63
exclusivement. Ceci à cause du fait que quelques sujets ayant servi comme
« témoin sain » dans notre étude ont démontré des carences orthographiques
insoupçonnées. A titre d’illustration, citons deux exemples : (1) une femme de
21 ans, de niveau scolaire bas, qui produit 46 erreurs sur le total des 268 mots
(elle écrit les logatomes correctement) ; et (2) un homme de 60 ans, de niveau
scolaire haut, avec un total d’erreurs sur les mots similaire (50/268 - ainsi que
3 erreurs sur les 25 logatomes). Or, sur les seuls mots irréguliers, le premier
sujet commet 44% d’erreurs (soit 22/50), et le deuxième 34%.
De ce fait, nous conseillons de conclure à la présence du syndrome de
« dysgraphie de surface » en considérant, également et surtout, la présence de
productions non lexicales qui sont homophones aux mots cible. Soulignons
encore qu’un patient atteint de ce trouble spécifique de l’écriture les produira
également dans d’autres tâches telles l’écriture spontanée et la dénomination
écrite (Beauvois & Dérouesné, 1981 ; Kremin, 1985).
Au cours de notre travail, nous avons rassemblé un matériel important sur
les connaissances orthographiques en écriture sous dictée de sujets « normaux ».
Ce travail pourrait se prolonger, d’une part, par un traitement statistique des élé-
ments fournis, d’autre part, par l’analyse des différents types d’erreurs que nous
avons recensés. Néanmoins, dès à présent, l’index des occurrences d’erreurs en
dictée que nous fournissons en annexe constitue un outil de travail qui peut être
utilisé en pathologie. La comparaison des résultats en écriture sous dictée des
sujets normaux et cérébro-lésés, permet de relativiser les difficultés des apha-
siques et de considérer les paragraphies selon les limites de la normalité établies
par ce travail de standardisation.

64
◆ ANNEXE

Index du nombre d’erreurs sur les mots de la dictée


et les différentes occurrences
Description de l’annexe :
Colonne A : le numéro de la liste à laquelle appartiennent les mots de la
dictée.
Liste 1 : substantifs de haute fréquence, de haute imagerie (concrets), acquis à 13 ans.
Liste 2 : substantifs de haute fréquence, de basse imagerie (abstraits), acquis à 13 ans.
Liste 3 : substantifs de basse fréquence, de haute imagerie, acquis à 13 ans.
Liste 4 : substantifs de basse fréquence, de basse imagerie, acquis à 13 ans.
Liste 5 : substantifs de basse fréquence, de basse imagerie, non acquis à 13 ans.
Liste 6 : substantifs irréguliers.
Liste 7 : verbes de haute fréquence, acquis à 13 ans.
Liste 8 : mots fonctionnels de haute fréquence, acquis à 13 ans.
Liste 9 : substantifs irréguliers acquis à 13 ans.
Liste 10 : substantifs irréguliers non acquis à 13 ans.
Liste 11 : mots contrôle.
Colonne B : numéro de passation
Colonne C : stimulus.
Colonne D : le nombre d’erreurs en dictée sur 60 productions
Colonne E : listing des erreurs produites

A B C D E
1 001 porte 0
1 005 maison 0
1 006 journal 0
1 008 amour 0
1 010 homme 0
1 012 nuit 0
1 013 cœur 0
1 015 ville 0
1 016 lettre 0
1 017 enfant 0
1 018 village 0
2 026 suite 0
2 027 forme 0

65
2 030 raison 0
2 033 vue 0
2 035 droit 0
2 039 affaire 0
2 040 effet 0
2 044 passage 0
3 049 linge 0
3 050 chou 0
3 051 langue 0
3 054 valise 0
3 055 avoine 0
3 057 tigre 0
3 059 riz 0
4 075 fuite 0
4 079 contenu 0
4 083 injure 0
4 090 attachement 0
4 093 domicile 0
4 095 vendredi 0
5 106 suisse 0
6 134 paye 0
6 137 soixante 0
7 141 venir 0
7 146 comprendre 0
7 149 sembler 0
7 150 aller 0
7 153 occuper 0
8 166 quel 0
8 169 quelque 0
8 188 avant 0
9 201 femme 0
9 203 pied 0
9 204 six 0
10 229 agenda 0
11C 231 fer 0

66
11C 232 force 0
11C 233 action 0
11C 234 image 0
11C 236 dieu 0
11C 239 chef 0
11C 240 vie 0
11C 244 juin 0
11C 246 jour 0
11C 249 jardin 0
11C 253 lundi 0
11C 254 nocturne 0
11C 262 pari 0
1 003 main 1 1 nain
1 004 soir 1 1 soire
1 014 neige 1 1 neïge
1 023 billet 1 1 billiet
2 025 cas 1 1 ka
2 029 valeur 1 1 valeure
2 031 question 1 1 guestion
2 036 cause 1 1 quause
3 052 miel 1 1 mielle
3 056 soulier 1 1 soullier
3 060 oie 1 1 bois
3 070 papillon 1 1 papillion
4 076 civil 1 1 civille
5 097 verve 1 1 verbe
5 098 tirage 1 1 cirage
5 107 truc 1 truck
5 112 version 1 1 verssion
5 120 pire 1 pir
6 135 transaction 1 1 tranxation
7 148 arriver 1 1 arrivee
7 155 aimer 1 1 amair
7 158 conduire 1 1 condure
8 161 tel 1 1 pelle

67
8 162 pour 1 1 pourre
8 164 chaque 1 1 chacque
8 165 presque 1 1 presce-que
8 167 puisque 1 1 puisse-que
8 177 autre 1 1 aûtre
8 180 chez 1 1 chai
8 181 devant 1 1 devans
8 183 pourtant 1 1 pourtan
8 186 depuis 1 1 depuit
8 187 assez 1 1 accès
8 190 dessus 1 1 dessu
8 191 aussi 1 1 ausi
9 206 gentil 1 1 genti
9 212 tabac 1 1 tabat
9 213 fusil 1 1 fusi
9 217 estomac 1 1 estoma
11C 247 total 1 1 tôtale
11C 250 moteur 1 1 môteur
11C 255 poisson 1 1 poison
11C 256 moustache 1 1 moustâche
11C 261 bouc 1 1 bouq
11C 265 touriste 1 1 tourist
1 002 fleur 2 2 fleure
1 007 musique 2 2 music
1 020 garçon 2 1 garcon; 1 gargont
1 021 regard 2 1 regar; 1 regare
1 024 cheveu 2 1 cheuveux; 1 cheuveu
2 032 besoin 2 2 besion
3 061 botte 2 2 bôtte
3 063 tambour 2 1 tanbour; 1 tambourg
3 064 coussin 2 2 cousin
4 073 brise 2 2 brize
4 085 allemand 2 1 allement;1allemend
5 115 musulman 2 1 musuleman; 1 musument
6 124 calcium 2 1 callciome; 1 calssium

68
7 142 entendre 2 1 enttendre; 1 ententre
7 151 demander 2 2 demender
8 170 celui 2 1 ce luis; 1 seuluie
8 172 aucun 2 1 auqun; 1 aucum
8 179 quoi 2 1 coua; 1 qu’oi
8 192 beaucoup 2 1 beaucoups; 1 baucoup
8 196 pourquoi 2 2 pourqu’oi
9 207 second 2 1 segon; 1 secon
9 210 examen 2 2 ecxamen
9 214 respect 2 2 respet
9 215 alcool 2 1 alcol; 1 alccol
11C 238 peine 2 1 pomme; 1 pene
11C 242 humain 2 1 umains; 1 hume
1 009 chambre 3 3 chanbre
2 037 exemple 3 2 example; 1 exanple
2 046 habitude 3 2 abitude; 1 habittude
2 047 personnage 3 2 personage; 1 perssonage
3 053 chameau 3 2 chamaux; 1 chameaud
4 078 tentation 3 1 tantation; 1 temptation; 1 tentasion
6 136 nerf 3 1 nerg; 1 ners; 1 mer
7 154 produire 3 2 produir; 1 produre
7 159 atteindre 3 1 ateindre; 1 attiendre; 1 attindre
8 163 jusque 3 2 jusqu’; 1 jusqu’e
8 171 lorsque 3 2 l’orsque; 1 lorce que
8 193 alors 3 2 allors; 1 alor
8 195 lequel 3 2 lequelle; 1 lequ’el
9 202 dix 3 3 diz
10 224 jonc 3 2 jong; 1 jon
10 225 album 3 1 albome; 1 abbbume; 1 albonne
11C 245 brutal 3 2 brûtal; 1 brûtale
2 038 milieu 4 4 millieu
3 062 plomb 4 2 plomp; 1 plon; 1 plomg
3 068 bonnet 4 2 bonet; 1 bônnet; 1 bonnêt; 1 monnaie
5 100 extase 4 1 ecstase; 1 extaze: 1 ecxtase; 1 extage
5 105 spectre 4 2 spèctre ; 1 spêctre ; 1 spetre

69
6 128 transition 4 2 transission; 1 trancition; 1 tramsition
8 168 mieux 4 4 mieu
8 174 ici 4 2 içi; 1 issi; 1 icis
10 221 oignon 4 2 ognon; 1 ognion; 1 oinion
11C 241 parole 4 2 parôle; 1 parolle; 1 parol
11C 252 détour 4 4 detour
1 011 oeil 5 4 oeuil; 1 oeiul
4 077 ferveur 5 4 ferveure;1 serveur
5 103 citation 5 5 sitation
6 129 croc 5 2 cros; 2 cro;1 crau
8 173 parfois 5 4 parfoi; 1 parfoit
8 176 même 5 2 méme; 2 mème; 1 meme
9 208 monsieur 5 3 messieur; 1 messieu; 1 mesieur
10 230 abdomen 5 2 abdomêne; 1 abdomène; 1 abbdomène;
1 apdomen
11C 243 journée 5 3 journee; 1 journer; 1 journe
11C 263 bocal 5 5 bocale
11C 264 oursin 5 2 ourssin; 1 ourson; 1 ours; 1 housin
11C 266 labour 5 3 labourre; 2 laboure
1 019 lumière 6 6 lumiere
2 034 loi 6 4 loie; 2 l’oie
2 048 volonté 6 4 volonte; 1 vonlonte; 1 volontée
3 065 fillette 6 5 filette; 1 filliette
4 086 allure 6 4 alure; 1halure; 1 allur
5 117 méfiance 6 6 mefiance
6 130 vingtaine 6
7 144 écouter 6 5 ecouter; 1 écoutè
8 200 aujourd’hui 6 2 aujourdhui; 1 aujourdhoui; 1 aujourdui;
1aujoud’hui; 1 aujourd’huis
9 209 aspect 6 4 aspet; 1 aspait; 1 aspec
11C 260 filou 6 4 fillou; 1 filloux; 1 filoux
3 069 poupée 7 5 poupee; 1 poupé; 1 poupe
7 143 présenter 7 6 presenter; 1 présanter
8 178 moins 7 7 moin
8 185 ainsi 7 2 assis; 2 ainci; 1 insi; 1 inçi; 1 ainssi

70
11C 237 temps 7 7 temp
11C 251 péril 7 5 peril; 1 pèril; 1 périle
11C 257 averse 7 5 aversse; 1 averce; 1 avèrse
3 072 diamant 8 3 diamand; 3 diaman; 2 diament
4 092 commandement 8 3 commendement; 2 commandemant;
1 comandement;1comendemant;
1 comendement
5 116 épouvante 8 8 epouvante
6 126 septième 8 6 septieme; 1 sèptième; 1 setpnième
8 199 aussitôt 8 4 aussitot; 1 aussi tôt; 1 aussi to; 1 ausitôt;
1 assitôt
9 205 août 8 6 aout; 1 auoût; 1 oût
9 211 automne 8 2 autômne; 2 autonne; 1 autone; 1 autône;
1 autome; 1 otone
11C 259 périmé 8 5 perime; 1 perimé; 1 pèrimé; 1 pèrimer
4 074 brume 9 9 brûme
4 082 bonté 9 5 bonte; 3 bontée; 1 bomter
4 084 aisance 9 4 aisence; 1 aissance; 1 esance; 1 haisance;
1 exance; 1 escense
6 139 deuxième 9 5 deuxieme; 2 deuzième; 1 deusième;
1dixieme
11C 248 numéro 9 7 numero; 1 numeros; 1 numèro
11C 267 canari 9 6 canarie; 2 cannarie; 1 canaries
2 043 hasard 10 5 hazard; 1 azard; 1 azar; 1 asard; 2 harard;
1 avare
3 066 épée 10 4 epee; 2 epe; 2 epée; 1 épai; 1 épè
4 087 azur 10 10 azure
5 118 échéance 10 6 echeance; 2 échèance; 1 écheance; 1 èchèance
8 189 laquelle 10 8 laquel; 1 la quelle; 1 laqu’elle
8 197 désormais 10 5 desormais; 2 desormai; 1 dèsormais;
1 désormai; 1 désormé
2 045 différence 11 9 difference; 1 diffèrence; 1 diference
5 101 dédain 11 5 dédin; 3 dèdain; 2 dedain; 1 dedaint
6 138 sixième 11 5 sizième; 2 sixieme; 1 sisieme; 1 sisième;
1 sizieme; 1 sixeime

71
6 140 messieurs 11 9 messieur; 1 méssieurs; 1 mesieurs
7 147 falloir 11 8 faloir; 2 falloire; 1 fallorie
8 182 malgré 11 5 malgrés; 3 malgre; 1 malgres; 1 malgrè;
1 margré
8 194 derrière 11 4 derriere; 4 dérrière; 2 derière; 1 derrièrre
10 222 toast 11 4 toaste; 2 taost; 1 thoste; 1 tauste; 1 toeste;
1 tost; 1 tosth
4 088 chrétien 12 7 chretien; 2 crétien; 1 cretien; 1 chrètient;
1 chrétient
4 089 désastre 12 10 desastre; 1 désatre; 1 desâstre
4 091 bienveillance 12 5 bienvaillance; 1 bienvaillence; 1 bienvellance;
1 bienvéllance; 1 bienviellence; 1 bien veillance
5 114 délire 12 7 delire; 4 délir; 1 dèlire
7 145 espérer 12 7 esperer; 2 espèrer; 1 éspérer; 1 esperé;
1 experer
8 175 parmi 12 12 parmis
8 198 quelquefois 12 10 quelque fois; 1 quelque foi;
1 quelque-fois
10 228 tramway 12 3 tramoué; 2 trammay; 2 tramwai; 1 tramay;
1 tramey; 1 traway; 1 trawai; 1 tramiai
11C 258 obscurité 12 4 obscurite; 2 obscuritée; 2 obcurité;
1 obcurite; 1 obcuritée; 1 obsurité; 1 opcurité
10 223 zinc 13 9 zing; 3 zingue; 1 zinge
11C 268 mécano 13 11 mecano; 1 mecanos; 1 mécaneau
2 042 défaut 14 11 defaut; 1 défault; 1 déffaut; 1 deffaut
5 110 synthèse 14 3 syntèse; 2 synthese; 2 sintèse; 2 sintese;
1 simthèse; 1 cinthese; 1 syntèse; 1 sinthèse;
1 s’intèse
6 122 almanach 14 4 almanac; 3 allemanach; 1 almana;
1 allmanac; 1 allemanas; 1 allana; 1 almach;
1 almamach; 1 allemanche
6 131 caoutchouc 14 9 caoutchou; 2 cahoutchou; 1 cahoutchouc;
1 cahouchouc; 1 caoutchoux
6 132 dixième 14 10 dizième; 3 dixieme; 1 dixème
7 156 considérer 14 12 considerer; 1 considèrer; 1 conciderer

72
8 184 plusieurs 14 13 plusieur; 1 plusieure
2 028 âge 15 14 age; 1 ages
2 041 conscience 15 5 concience; 2 consience; 4 conciense;
2 consciense; 1 consiance; 1 contience
4 094 générosité 15 5 generosite; 2 généreusité; 1 générosite;
1 generosité; 1 generositée; 1 gennerosite;
1 génèrosité; 1 gènèreusité; 1 generositée;
1 génerositée
6 133 gars 15 10 gas; 2 gar; 2 ga; 1 gard
11C 235 résultat 15 9 resultat; 2 rèsultat; 2 resulta; 1résulta;
1 résulte
5 104 flux 16 7 flu; 4 flû; 2 flut ; 1 fux; 1 flue; 1 flûe
5 113 ancêtre 16 5 ancètre; 4 ancetre; 3 encêtre; 1 ensetre;
1 ancétre; 1 ancètre; 1 ensètre
10 227 sculpteur 16 14 sculteur; 1 scupteur; 1 sulpteur
3 058 bière 17 7 biere; 7 bierre; 1 bieire; 2 bièrre
4 081 zèle 17 7 zele; 5 zelle; 3 zéle; 1 zeel; 1 zel
5 102 égoïste 17 7 égoiste; 4 egoiste; 2 egoïste; 1 egoist;
1 ègoïste; 1 egoxite; 1 hegoïste
5 108 concept 17 9 concepte; 4 consepte ; 1 consept;
1 concecpt; 1 conscepte; 1 consespte
3 071 corridor 18 15 coridor; 2 corridore; 1 coridore
4 080 favori 18 15 favorit; 3 favorie
6 121 aluminium 18 16 alluminium; 1 alluminiaume; 1 alluminiun
9 220 condamner 18 3 condanné; 3 condané; 2 condamne;
2 comdamné; 2 condanne; 1 condanné;
1 comdamner; 1 comdanner; 1 comdanné;
1 condaner; 1 condanner
5 119 embarras 19 7 ambarras; 6 embaras; 2 embarra;
2 ambara; 1 enbarat; 1 embarrat
6 123 acompte 19 16 accompte; 2 accompt; 1 aconte
3 067 hangar 20 15 hangard; 2 engar; 1 angar;
2 engare
7 160 empêcher 21 9 empécher; 6 empecher; 4 empècher;
1 empeicher; 1 enpecher

73
7 152 connaître 23 22 connaitre; 1 conaitre
10 226 asthme 23 12 asme; 4 ashme; 4 hasme; 3 ahsme
4 096 allégresse 24 10 allegresse; 4 allègresse; 2 allégrèce;
2 allégraisse; 1 allegrésse; 1 alégresse;
1 alègresse; 1 allegraisse; 1 allégrèsse;
1 alegresse
7 157 apparaître 26 24 apparaitre; 2 aparaitre
9 216 solennel 26 10 solannel; 4 solanel; 2 solemnel;
2 solanelle; 1 solonel; 1solenel; 1 solonnel;
1 solannelle; 1 solanele; 1 sollennel;
1 solannell; 1 selanel
9 219 baptême 27 13 baptème; 4 bapteme; 1 bâtheme;
1 bâptéme; 1 bâptème; 1 bâteme;
1 batemme; 1 bapthême; 1 bapthème;
1 batheme; 1 bâthème; 1 batème
5 111 idylle 30 15 idille; 4 idile; 3 idyle; 2 idil; 2 iddyle;
2 ydile; 1 idyl; 1 ydille
6 127 shampooing 33 18 champoing; 6 schampoing;
5 champooing; 1 shampoin; 1 chanpoin;
1 champoin; 1 champom
9 218 chef-d’oeuvre 39 31 chef d’oeuvre; 1 chedeuvre; 1 chédeuvre;
1 chez d’oeuvre; 1 chez-d’oeuvre;
1 chais d’oeuvre; 1 chédoeuvre;
1 chefd’oeuvre; 1 chedoeuvre
1 022 théâtre 40 24 théatre; 8 theatre; 2 thêatre; 2 theâtre;
1 thèatre; 1 thèâtre; 1 tehartr; 1 téatre
6 125 isthme 40 21 isme; 7 hisme; 6 hysme; 2 ishme;
1 ihsme; 1 istheme; 1 ysme; 1 issme
5 109 confins 43 36 confin; 2 confain; 2 confint; 1 confaint;
2 conffin
5 099 parages 53 44 parage; 8 parrage; 1 barrage

74
REFERENCES
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TERS, F., MAYER, G. & REICHENBACH, D. (1975). Vocabulaire de base. Paris : OCDL éditeur.

75
Les stratégies de recherche et de copie de
mots se développent-elles conjointement? (1)
Laurence Rieben

Résumé
La question principale posée par la recherche présentée dans cet article concerne les rela-
tions entre l’acquisition de la lecture et de l’orthographe. Plus précisément, la pertinence du
modèle en stade de Frith est testée sur la base de résultats provenant de l’observation lon-
gitudinale de 21 enfants de 5-6 ans dans une situation scolaire dans laquelle ils devaient
chercher et copier des mots. Les résultats obtenus plaident en faveur d’un modèle qui, en
marge d’une trame acquisitionnelle qui correspond, dans les grandes lignes, aux modèles
en stades proposés dans la littérature, reconnaît l’existence d’une forte variabilité intra-indi-
viduelle dans l’usage des stratégies de recherche et de copie de mots. Par ailleurs les déca-
lages systématiques prévus entre lecture et orthographe dans le modèle de Frith n’ont pas
été observés.
Mots-clés : Apprentissage de la lecture, apprentissage de l’orthographe.

Do word searching and word copying strategies develop conjointly?

Abstract
This paper addresses the issue of the existence of a relationship between the acquisition of
reading skills and of spelling skills. More precisely, our objective was to test Frith’s stage
model on the basis of the results obtained from longitudinal observations of 21 five to six-
year-old children in a classroom situation where they had to search for and copy words. The
results show a clear acquisitional trend in close correspondence with the stage models pro-
posed in the literature with, however, considerable intra-individual variability in the use of
word searching and word copying strategies. Our results do not support the hypothesis that
the acquisition of reading and of spelling skills is perfectly synchronized, nor do they support
the hypothesis of alternating décalages as proposed by Frith.
Key Words : Acquisition of reading skills, acquisition of spelling skills.

1. La recherche dont les résultats seront présentés dans cet article a été conduite avec la collaboration de
Madelon Saada-Robert.

77
Laurence RIEBEN
Faculté de psychologie et des sciences
de l’éducation
Université de Genève
FPSE
9 route de Drize
CH - 1227 Carouge

L
ecture et orthographe, comme le relève Ehri (1997), sont deux entités que
« chercheurs et enseignants utilisent pour scinder le monde ». On
constate en effet dans les écoles que l’on apprend à lire, puis, quelques
mois ou années plus tard, à écrire. Cette vision « indépendantiste » correspond
également à un courant de recherche qui a insisté sur les différences entre ces
deux aspects du traitement des mots (voir par exemple, Bryant & Bradley,
1980). Cependant, les recherches les plus récentes soulignent l’étroitesse des
liens qui unissent ces deux facettes de la langue écrite et renforcent l’idée que
lire et écrire des mots reposent sur des connaissances orthographiques et phono-
logiques stockées dans une unique mémoire lexicale, les deux apprentissages
s’appuyant efficacement l’un sur l’autre (Ehri, 1997 ; Gough, Juel & Griffith,
1992 ; Perfetti, 1997).
Traditionnellement, les relations entre la lecture et l’orthographe des mots
ont été étudiées en soumettant les mêmes sujets à des épreuves équivalentes de
lecture et d’écriture de liste de mots et de telles études ont fait apparaître des
corrélations fortes entre les deux types de tests. Leur intérêt est cependant limité
pour trois raisons. D’abord, elles ne permettent que très indirectement de savoir
quelque chose des stratégies que les sujets adoptent pour lire-écrire les mots.
Ensuite, elles ne sont praticables que lorsque les sujets sont déjà lecteurs. Enfin,
dans une perspective qui s’intéresse aux retombées des résultats de la recherche
sur la didactique, elles manquent de validité écologique.
Pour notre part, nous avons cherché à contourner ces différents obstacles
dans les recherches que nous conduisons à la Maison des Petits (2) depuis plus

2. La Maison des Petits a été fondée au début du siècle à Genève par Claparède. Il s’agit d’une école publique
rattachée à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education. Elle regroupe des élèves de 4 à 8 ans.
Nous remercions les enseignantes et les élèves qui participent à nos travaux de recherche.

78
d’une dizaine d’années. Pour répondre à la première objection, nous avons étu-
dié des enfants dans une situation qui se présente pour eux comme un problème
à résoudre, et qui nous permet donc d’observer comment ils s’y prennent pour
trouver une solution et non pas simplement d’enregistrer leurs réponses justes
ou fausses. Pour répondre à la deuxième objection et pouvoir étudier des enfants
très débutants dans leur apprentissage de la langue écrite, nous avons observé
des stratégies de recherche et de copie de mots plutôt que des stratégies d’écri-
ture et de lecture de mots (nous reviendrons plus bas sur cette distinction).
Enfin, pour atteindre une meilleure validité écologique, nous avons travaillé en
situation de classe, ce qui signifie que notre situation expérimentale est en fait
une situation didactique.
Dans la suite de cet article, après avoir brièvement rappelé la probléma-
tique des modèles en « stades » de la lecture-écriture et notre propre questionne-
ment à ce propos, nous évoquerons, sur la plan théorique, les différences entre
lire-écrire des mots et rechercher-copier des mots. Nous aborderons ensuite les
aspects méthodologiques en présentant la situation didactique et les procédures
expérimentales à la base de la recherche. Enfin, de façon synthétique, nous pré-
senterons quelques résultats avant d’en tirer les principales conclusions.

◆ Les modèles en « stades » de la lecture-écriture


Depuis plus d’une dizaine d’années, l’étude développementale des straté-
gies de lecture-écriture des mots s’est révélée très prometteuse. On trouve dans
la littérature de nombreux modèles en « stades » proposés indépendamment
pour l’identification et pour l’écriture des mots (voir par exemple, dans le pre-
mier cas, Ehri & Wilce, 1985 ; Marsh, Friedman, Welch, & Desberg, 1981 ;
dans le deuxième cas, Ehri 1991 ; Henderson, 1992).
En ce qui concerne les relations entre le développement des stratégies de
lecture et d’écriture, un modèle qui s’est montré particulièrement fécond est
celui qui a été proposé par Frith en 1985. Rappelons-en brièvement l’essentiel.
Il trouve son fondement dans les modèles qui postulent l’existence de deux
« routes » pour reconnaître/écrire les mots : l’une fondée sur les règles de cor-
respondance entre sons et lettres (route phonologique) qui permet d’écrire des
pseudomots ou des mots réguliers inconnus ; l’autre fondée sur l’accès à un
lexique mental contenant des informations orthographiques sur les mots qui
rend possible la lecture-écriture des mots irréguliers. A ces deux types de routes
ou de stratégies, s’ajoute l’existence d’un mode de traitement des mots, plus pri-
mitif, qui permet à des enfants n’ayant encore aucune connaissance du code
orthographique de reconnaître quelques mots sur la base de distinctions non

79
alphabétiques (par exemple, reconnaître le mot « vélo » à cause de la roue à la
fin du mot). Il s’agit de la stratégie dite logographique.
Dans le modèle de Frith, la lecture, comme l’orthographe des mots, passe
successivement des stratégies logographiques aux stratégies alphabétiques et
enfin aux stratégies orthographiques. Cependant, l’intérêt de ce modèle réside
dans le fait que ce développement n’est pas conçu comme parfaitement syn-
chrone. Il est au contraire décalé. En début d’apprentissage, Frith postule une
avance de la lecture sur l’écriture des mots, les stratégies logographiques appa-
raissant d’abord au niveau de l’identification, et plus tardivement dans l’écri-
ture. Un peu plus avant dans le développement, ce serait l’écriture qui prendrait
le pas, les stratégies alphabétiques apparaissant d’abord dans les situations
d’écriture. Enfin, les stratégies orthographiques apparaîtraient plus tard d’abord
sur le versant de la lecture, c’est-à-dire à nouveau avec une avance de cette der-
nière sur l’écriture.
Les travaux de Ehri (1980 ; 1989 ; 1997) ont également joué un rôle de
premier plan dans le domaine de l’acquisition de la langue écrite. Tout en fai-
sant elle aussi état d’une évolution qui peut se résumer en trois niveaux - préal -
phabétique, alphabétique partiel, alphabétique complet -, elle a remis en cause le
bien fondé du modèle de la double route et suggère un processus d’amalgama-
tion pour rendre compte du développement du lexique mental. Selon Ehri, au
moment du contact avec la langue écrite, les connaissances orthographiques à
propos des mots viendraient s’amalgamer aux connaissances phonologiques,
mais aussi syntaxiques et sémantiques déjà présentes dans la mémoire lexicale,
l’orthographe étant utilisée comme symbole visuel pour conserver les sons en
mémoire.
Nos travaux n’ont pas pour but de trancher entre le modèle de la double
route ou de l’amalgamation. Ils visent d’une part à préciser, indépendamment
pour la lecture et l’écriture, la pertinence d’une description en « stades » ou en
« phases » (pour une discussion de cette question, voir par exemple, Rieben,
1991 ; Rieben & Saada-Robert, 1997), et d’autre part à décrire les relations de
dépendance entre lecture et écriture en faisant, contrairement à Frith (1985),
l’hypothèse d’un plus grand synchronisme dans l’acquisition de ces deux
facettes de la langue écrite.

◆ Pourquoi chercher-copier plutôt que lire-écrire


Nous avons évoqué plus haut pourquoi le paradigme expérimental consis-
tant à faire lire et à dicter des listes de mots ne nous est pas apparu pertinent
pour le type d’étude que nous voulions conduire. Nous avons ainsi opté pour

80
l’utilisation d’un autre paradigme en observant comment les jeunes enfants
cherchent puis copient des mots, ceci dans une situation de production de texte
afin d’inscrire ces activités dans un contexte qui prenne sens à la fois pour l’en-
fant, et pour la didactique de la langue écrite.
De toute évidence, chercher des mots dans un texte ne correspond exacte-
ment ni à lire des mots, ni à écrire des mots. Une telle tâche participe plutôt
d’une partie de chacun des deux processus. A l’instar d’une tâche d’écriture de
mots, il s’agit de partir de la forme phonologique/sémantique pour retrouver une
forme orthographique, qu’elle soit correcte ou incorrecte, partielle ou complète,
mais sans la charge de produire la séquence des lettres. A l’instar d’une tâche de
lecture, il s’agit d’identifier un mot parmi d’autres, mais sans la charge d’inférer
une signification, puisqu’il s’agit de retrouver un mot dont on a déjà en tête la
signification. Chercher des mots devrait être plus facile que lire ou écrire des
mots, puisqu’il s’agit de la mise en œuvre partielle de chacun des deux proces-
sus. C’est pourquoi ce paradigme nous a paru particulièrement adéquat pour
étudier les enfants très débutants dans leur apprentissage de la langue écrite.
Les stratégies de recherche de mots ont été peu étudiées jusqu’ici. Une
situation proche de celle que nous avons retenue consiste à écrire, puis lire une
courte phrase à un enfant pour lui demander ensuite si tel ou tel mot est écrit et
si oui de le montrer (Ferreiro, 1978 ; Morris, 1992). Dans une autre expérience
pratiquée par Ehri & Sweet (1991), un court texte a été lu à des enfants durant
quelques sessions d’apprentissage qui leur permettaient de le savoir quasiment
par coeur. Parmi différents post-tests, les enfants étaient soumis à une tâche de
reconnaissance de mots dans un texte qui consistait à repérer isolément une
série de mots contenus dans ce texte. Les résultats à cette tâche, à l’instar de
tâches de lecture plus classiques, sont fortement liés à la conscience phonolo-
gique et à la connaissance des lettres. Il subsiste cependant une importante diffé-
rence entre notre situation et celle étudiée par Ehri & Sweet quant au rôle joué
par la mémorisation du texte. Dans la situation que nous avons retenue, il s’agit
de longs textes (environ 200 mots) construits collectivement et dictés à l’ensei-
gnante sans être appris par coeur. La tâche de l’enfant, qui consiste ensuite à
écrire un commentaire en cherchant les mots qu’il veut utiliser dans le texte,
suppose alors de mettre en oeuvre des stratégies actives de résolution de pro-
blème. Nous faisons l’hypothèse que ces stratégies constituent des indices des
propriétés des mots et du texte traitées par les enfants.
Après avoir trouvé les mots qu’ils cherchent - que le résultat de la
recherche soit correct ou non - les enfants sont amenés à copier les mots qu’ils
ont trouvés. Une telle tâche correspond, à nouveau partiellement, à la fois à cer-

81
tains aspects du processus de lire et écrire des mots. Comme dans l’écriture,
l’enfant doit prendre en charge la production d’une séquence de lettres, sans
toutefois devoir la récupérer dans sa mémoire lexicale. Il est plutôt confronté à
maintenir dans la mémoire de travail, une séquence de lettres pendant le temps
qui s’écoule entre le moment où il trouve le mot dans le texte (qui est affiché
contre un mur de la classe) et celui où il retourne à sa table pour l’écrire. Cette
tâche de copie suppose aussi des aspects de lecture, ou plus précisément de
relecture. En effet, compte tenu du fait que les enfants sont très débutants, ils
sont encore rarement capables de « transporter » du texte vers leur feuille d’écri-
ture des mots entiers. Le fait qu’ils recourent plusieurs fois au modèle, les
oblige à relire fréquemment ce qu’ils ont déjà écrit.
La copie de mots n’a pas non plus donné lieu à de très nombreux travaux.
A l’origine, elle a plutôt été utilisée pour l’étude des aspects grapho-moteurs de
l’écriture. La copie de textes peut aussi fournir des indications sur les niveaux
d’acquisition et de représentation de la langue écrite de l’enfant (Fijalkow &
Liva, 1988). On peut citer la recherche longitudinale de Humblot, Fayol & Lon-
champ (1994) qui étudie, chez des enfants de 6 et 7 ans, les caractéristiques des
unités traitées dans la production écrite à partir d’une tâche de copie de mots.
Ces chercheurs montrent que la copie est loin d’être simple et mécanique et
qu’elle fait intervenir les connaissances lexicales (les mots les mieux connus ont
tendance à être copiés en ayant recours une seule fois au modèle) et sub-lexi-
cales (plusieurs recours au modèle qui supposent une analyse en segments
lorsque les mots sont peu familiers). Chez les enfants de 6-7 ans, la syllabe
semble jouer un rôle important pour cette décomposition.

◆ Une situation didactique sous la loupe


Inspirée des situations didactiques décrites par Clesse (1977) et Hebrard
(1977), la situation du texte de référence que nous avons étudiée cherche à faire
entrer l’enfant dans l’écrit par un apprentissage individualisé qui repose sur des
interactions langagières entre l’élève et l’enseignant. En quoi consiste-t-elle?
Elle est constituée principalement d’une séquence de quatre activités qui se
déroulent sur environ deux semaines et qui sont pratiquées plusieurs fois durant
l’année scolaire. Il s’agit respectivement de : 1) permettre une activité collective
d’expression orale (les enfants élaborent une histoire à partir d’un livre
d’images ou d’un événement vécu collectivement); 2) construire collectivement
par dictée à l’adulte qui écrit au tableau noir un texte dit de référence qui assure
un ancrage profond des activités dans les significations et qui va ensuite servir
comme un dictionnaire dans lequel l’enfant, débutant lecteur/scripteur, pourra
aller chercher, en vue de copier les mots qu’il désire écrire ; 3) dessiner indivi-

82
duellement un épisode de l’histoire que chaque enfant choisit selon son désir ;
4) planifier oralement et produire individuellement un énoncé écrit considéré
comme un commentaire au dessin. C’est cette dernière phase au cours de
laquelle les enfants, alternativement, cherchent puis copient des mots, qui a
donné lieu à nos observations.
Au-delà de la pratique de la situation du texte de référence, les ensei-
gnantes de la Maison des Petits privilégient les situations de communication et
ne font pas exercer les capacités de segmentation et les connaissances du code
pour elles-mêmes. Ce qui ne signifie nullement que ces capacités et ces connais-
sances soient négligées. Elles sont au contraire centrales dans plusieurs aspects
de la pratique du texte de référence, en particulier dans les phases de recherche
et de copie des mots, de même que dans les phases d’énonciation du projet
d’écriture et de relecture.

◆ Les procédures expérimentales


Notre recherche a donc consisté à observer longitudinalement de la façon
la plus détaillée possible les conduites d’enfants encore débutants lecteurs et
scripteurs dans leurs activités de production de texte, et plus précisément lors de
la phase d’écriture du commentaire à leurs dessins.
Après une première recherche exploratoire portant sur cinq cas (Rieben,
1989 ; Rieben, Meyer & Perregaux, 1989) nous avons observé à 4 reprises au
cours d’une année scolaire (en novembre, janvier, mars et mai, soit quatre fois
3 séances de 45 minutes) 21 enfants dont 11 de 2 e enfantine (2E ; âge moyen 5;5
en début d’expérimentation) et 10 de 1re primaire (1P ; âge moyen 6;4). Ces
enfants ont été regroupés pour cette activité dans la mesure où, en novembre, ils
étaient encore pré-lecteurs. Un bilan de leurs compétences au niveau de la lec-
ture, des connaissances du code et de la conscience segmentale a également été
effectué quatre fois dans l’année.
Les quatre moments d’observation ont correspondu à la constitution de
quatre textes de référence différents mais équivalents (pour un exemple d’un
texte de référence, voir Rieben, Meyer & Perregaux, 1989). Lors de chacun des
quatre temps d’observations (T1, T2, T3, T4) les enfants étaient invités à pro-
duire un commentaire à leur dessin par la consigne suivante : « Vous allez main-
tenant écrire un commentaire à votre dessin, si vous ne savez pas comment
écrire un mot, vous pouvez aller le chercher dans le texte de référence ». Un
observateur par enfant a relevé, de manière précise selon un protocole prévu à
cet effet, les conduites de recherche et de copie de mots manifestées par l’enfant
et les types d’aide qu’il recevait de la part de l’enseignante, ou éventuellement

83
d’un camarade, pour chercher un mot dans le texte de référence (pour plus de
détails sur la procédure, voir Rieben & Saada-Robert, 1991).

◆ Une synthèse de quelques résultats


A partir de l’observation des actions et des verbalisations des enfants,
7 types de stratégies de recherche des mots et 7 types de stratégies de copie ont
été inférées. Des analyses ont été effectuées et publiées séparément pour les
stratégies de recherche (Rieben & Saada-Robert, 1991) et de copie (Saada-
Robert & Rieben, 1993) de mots. Nous nous bornerons ici à résumer les princi-
paux résultats de ces analyses séparées avant de passer à ceux comparant les
deux types de stratégies.

La progression dans les stratégies de recherches de mots


L’analyse des protocoles a permis d’inférer sept types de stratégies de
recherche de mots. Il s’agit des stratégies : 1) fondées sur la localisation des
mots dans le titre, l’enfant l’ayant en général mémorisé ; 2) fondées sur la loca-
lisation des mots dans le texte, l’enfant se référant à l’organisation textuelle en
sachant que le mot qu’il cherche est au début, au milieu, à la fin du texte ou
d’une page en particulier ; 3) guidées par des indices visuels liés par exemple à
la longueur ou à des traits saillants des mots ; 4) guidées par des correspon-
dances graphème/phonème impliquant des connaissances du code ; 5) fondées
sur des recherches/copies « à l’aveugle » de mots en succession dans le texte ; à
la relecture l’enfant « lit » ce qu’il croit avoir écrit et non pas ce qui est réelle-
ment écrit ; 6) fondées sur des recherches/copies volontaires de mots en succes-
sion dans le texte, l’enfant pouvant lire ce qu’il a écrit ; 7) fondées sur des repé-
rages immédiats et corrects des mots recherchés sans qu’il y ait d’indice des
stratégies utilisées.
Pour les 21 enfants et les 4 périodes d’observation, 1044 stratégies ont été
inférées à partir des actions et des verbalisations des enfants. Leur catégorisa-
tion a été effectuée par deux juges indépendants avec 79% d’accords.
Une analyse factorielle des correspondances a été effectuée pour aller au-
delà de l’analyse isolée de chaque stratégie et pour étudier conjointement l’es-
pace des stratégies et celui des sujets. C’est sur la base de cette analyse que les
enfants ont été classés, pour chaque temps d’observation, en quatre groupes qui
correspondent aux étapes décrites dans les modèles en stades. Dans le groupe 1
se trouvaient les enfants pré-lecteurs qui utilisent de façon dominante des straté-
gies de copie aveugle et de localisation dans le titre. Dans le groupe 2 se retrou-
vaient les enfants qui utilisent principalement des stratégies visuelles ou de loca-

84
lisation, c’est-à-dire des stratégies logographiques ou fondées sur l’utilisation du
contexte. Dans le groupe 3, étaient réunis les enfants qui utilisaient de façon
dominante des stratégies fondées sur leurs connaissances du code, c’est-à-dire
correspondant au stade dit alphabétique. Enfin, les enfants utilisant des straté-
gies automatisées de quasi-lecteurs (copies volontaires et repérages immédiats
et corrects) étaient classés dans le groupe 4.
La présence, dans nos résultats, d’une trame acquisitionnelle assez claire
ne permet cependant pas d’ignorer une variabilité intra-individuelle importante.
En effet, la plupart des enfants n’utilisaient pas exclusivement un seul type de
stratégies lors d’un même moment d’observation. On relève au contraire qu’ils
présentaient, à chaque moment d’observation, en moyenne 4 à 5 types de straté-
gies différents, c’est-à-dire que des stratégies relativement plus évoluées pou-
vaient encore voisiner avec des stratégies plus primitives. Cette flexibilité, qui
remet en question l’existence de stade au sens strict, peut résulter des diffé-
rences entre les mots que l’enfant traite, mais aussi être considérée comme une
caractéristique des apprenants en début d’apprentissage.
La progression des stratégies de copie de mots
La catégorisation de ces stratégies est fondée à la fois sur la nature des
unités transportées et sur le nombre de lettres transportées en bloc. Il s’agis-
sait d’une activité de copie légèrement différée puisque les enfants transpor-
taient les lettres ou blocs de lettres du texte affiché sur le mur de la classe
vers leur propre feuille, ce qui implique qu’ils mémorisaient une lettre ou une
séquence de lettre lors de chaque déplacement. Toutefois, lorsque le pupitre
des enfants était plus près du texte, ce sont les mouvements de la tête qui ont
été observés.
Nous avons ainsi pu distinguer 7 types correspondant aux 14 stratégies
suivantes : 1) transport lettre par lettre (lettres inconnues de l’enfant ; lettres
connues 3 ; 2) transport de doublets (par exemple, les deux nn de bonnet ;
3) transport d’un digramme (par exemple, an de guirlande ; 4) transport d’une
syllabe (de deux lettres - par exemple, sa de sapin ; de trois lettres et plus) ;
5) transport d’un morphème (d’une lettre - par exemple, le s de enfants ; de
deux lettres - par exemple, es de petites ; de trois lettres - par exemple, ait de
finissait ; 6) transport d’un mot (de deux lettres ; de trois lettres et plus) ;
7) transport d’un groupe de lettres quelconques (de deux lettres, par exemple it
de petites ; de trois lettres et plus).

3. Nous avons accès à cette distinction en tenant compte des résultats d’un bilan psycholinguistique également
passé à T1, T2, T3 et T4 et contenant des épreuves de connaissances du son et du nom des lettres.

85
Pour les 21 enfants et les 4 périodes d’observation, 1989 stratégies ont été
inférées à partir des comportements observés (92% d’accords interjuges ont été
obtenus).
La progression des enfants a, comme pour les stratégies de recherche de
mots, été analysée à l’aide d’une analyse factorielle des correspondances. Les
étapes suivantes ont ainsi été inférées : A) transport lettre par lettre inconnues ;
B) transport de lettres doubles ; C) transport lettre par lettre connues ; D) trans-
port de blocs de lettres de 2, 3 et plus.
Comme pour les stratégies de recherche, les enfants présentaient une
large gamme de stratégies différentes à chacune des périodes d’observation.
Pour un maximum de 14 sous-types de stratégies, le médian du nombre de stra-
tégies différentes oscillait entre 5 et 11. Ces résultats sont compatibles avec
ceux obtenus pour la recherche des mots et remettent également en question un
modèle selon lequel les stades sont définis par l’usage d’un type exclusif de
stratégies.

Les relations entre stratégies de recherche et de copie de mots


Deux voies complémentaires ont été utilisées pour étudier les relations
entre recherche et copie de mots (voir Rieben et Saada-Robert, 1997). Ici nous
ne ferons allusion qu’à l’analyse qui compare les résultats obtenus séparément
pour les stratégies de recherche et de copie, c’est-à-dire qui met a priori en cor-
respondance deux systèmes de classification établis séparément.
Il s’agit en fait de savoir comment les 21 enfants se répartissent selon un
double classement en 4 phases qui correspondent d’assez près aux modèles
décrits dans la littérature et peuvent être qualifiées ainsi : pré-lecture/écriture ;
logographique ; alphabétique ; alphabétique/orthographique. Cette progression
ne concerne qu’une première phase de l’apprentissage de la lecture/écriture au
terme de laquelle le nombre de mots stockés en mémoire lexicale est sans doute
encore restreint. C’est dire qu’identifier des stratégies orthographiques à propos
de quelques mots ne signifie pas que l’on soit déjà en présence de lecteurs/scrip-
teurs experts.
A partir du classement des enfants, pour les deux familles de stratégies et
les quatre périodes d’observation, on peut construire des tables à double entrée
indiquant en colonne les résultats à la recherche de mots (phases 1, 2, 3, 4) et en
ligne ceux de la copie (phases A, B, C, D). Le Tableau 1 présente les fréquences
des sujets dans les différentes cases pour chacune des périodes d’observation
(T1, T2, T3, T4). Ces tableaux comportent un nombre fluctuant de sujets dû aux
absences de quelques enfants au cours de l’année scolaire.

86
Tableau 1 : Relations entre recherche et copie de mots

Selon un modèle en stades strictement synchrone, on devrait s’attendre à


ce que seules les cases diagonales comportent des observations, les cases situées
en bas et à gauche de la diagonale correspondant à une avance de la copie sur la
recherche, et les cases en haut et à droite de la diagonale à une avance de la
recherche. Selon le modèle de Frith (1985), on devrait tolérer la présence d’ob-
servations dans des cases s’écartant de la diagonale dans un sens ou dans l’autre
selon les phases d’acquisition.
Comme on le voit dans le Tableau 1, tous les enfants ne présentaient pas
une évolution synchrone puisque la diagonale se trouve occupée seulement par
65% des sujets à T1, 50% à T2, 61% à T3 et 63% à T4. De plus, si l’on s’inté-
resse à la progression conjointe de chaque enfant individuellement à travers les
4 temps d’observation, on enregistre que, sur les 19 enfants présents tout au
long de l’expérience, 21% se situaient toujours dans une diagonale, 37% présen-
taient, à l’un des temps d’observation au moins, une avance de la recherche sur
la copie et 21% une avance de la copie sur la recherche, et enfin 21% présen-
taient une avance tantôt pour la recherche, tantôt pour la copie. Ces décalages ne
sont pas systématiques, c’est-à-dire uniquement dans le sens de ceux qui

87
seraient attendus selon le modèle de Frith (1985) puisque guère plus de la moi-
tié des cas de décalage enregistrés (16 sur 29) sont situés là où ce modèle les
prédit. Ces résultats ne plaident ni en faveur d’un modèle en stades strict, ni en
faveur du modèle de Frith. Ils sont plus conformes avec un modèle qui postule
une construction interactive supposant, en marge d’une « trame » acquisition-
nelle, une flexibilité des stratégies en cours de construction.

◆ Que conclure ?
Revenons d’abord sur la question de la pertinence des modèles en stades.
L’étude longitudinale des stratégies de recherche et de copie de mots a permis
de montrer, d’une part des phases de dominance stratégique relativement claire,
d’autre part une forte variabilité intra-individuelle. Ces deux ordres de faits
pourraient être considérés comme contradictoires puisque plus la variabilité
augmente, moins l’existence de stades au sens strict est probable. Nos résultats
plaident donc en faveur d’un modèle en phases admettant une forte flexibilité
des stratégies qui correspond à une certaine complexité des faits développemen-
taux retrouvée dans d’autres domaines (Reuchlin, 1978 ; Lautrey 1990 ; Rieben,
De Ribaupierre & Lautrey, 1990 ; Rieben, 1995 ; Siegler, 1989). Les phases se
limiteraient alors à des dominances n’excluant pas que les enfants utilisent
simultanément des stratégies encore élémentaires ou déjà plus abouties. Un tel
modèle tente donc de concilier l’idée de changements qualitatifs à la fois dis-
continus (pour expliquer l’émergence de stratégies nouvelles) et continus (pour
expliquer la co-occurrence de stratégies de niveaux différents).
Si l’on considère cette variabilité intra-individuelle comme un phéno-
mène psychologique et non comme un bruit de fond négligeable, il doit trouver
explication. Nous pensons qu’il s’agit d’une caractéristique fonctionnelle géné-
rale nécessaire à toute acquisition dont on devrait, dans le cas de la lecture-écri-
ture, explorer plus avant comment elle peut être influencée, entre autres, par les
méthodes d’enseignement/apprentissage et par les caractéristiques des mots trai-
tés.
Revenons enfin sur le problème des relations entre lecture et écriture de
mots, et plus particulièrement entre stratégies de recherche et de copie de mots.
Comme nous l’avons montré, il faut à nouveau compter sur une forte variabilité
inter- et intra-individuelle, allant tantôt dans le sens d’une avance de l’écriture
sur la lecture, tantôt dans le sens inverse. En cela, nos résultats ne permettent de
soutenir ni l’hypothèse d’un développement parfaitement synchrone entre lec-
ture/recherche et écriture/copie, ni celle de décalages alternés systématiques
comme le prévoit le modèle de Frith (1985). Il s’agit plutôt de considérer qu’un

88
éventail complet des stratégies de lecture et d’écriture peut être observé dans un
intervalle temporel à peine plus long qu’une année, situé, pour des enfants dans
la norme, entre 4/5 ans et 5/6 ans. En d’autres termes, nous supposons qu’une
sorte de progression accélérée à travers les phases de lecture de mots peut être
observée concernant le nombre relativement restreint des premiers mots rencon-
trés par chaque enfant.

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90
Apprentissage implicite et orthographe :
le cas de la morphologie
Sébastien Pacton, Michel Fayol, Delphine Lonjarret, David Dieudonné

Résumé
Cet article rapporte deux expériences concernant l’acquisition de la morphologie écrite. La première
expérience montre que l’écriture de non-mots par des enfants de CEI, CE2 et CM2 est influencée à la
fois par a) des régularités de l’orthographe française de type probabiliste (régularités graphotactiques
relatives à la transcription des sons /o/ et /εt/ en fin de mots) et b) par des régularités descriptibles
sous forme de règles (morphologie dérivationnelle concernant l’écriture de /o/ et /εt/ en fin de mots
quand il s’agit de diminutifs) ne faisant pas l’objet d’un enseignement explicite. Le résultat majeur est
que l’acquisition de la morphologie dérivationnelle se surajoute à celle des régularités graphotactiques
sans en éliminer l’impact. La seconde expérience montre que des collégiens (6° et 4°) marquent plus
souvent de façon erronée le pluriel adjectival nt (plutôt que s) pour des adjectifs possédant un homo-
phone verbal (e.g. célèbre ou fixe, plutôt que pauvre) et ce d’autant plus que la fréquence de la forme
verbale de l’homophone est supérieure à celle de la forme adjectivale (e.g. fixe par rapport à célèbre),
bien que la règle d’accord correspondante ait été enseignée. Ceci montre que, même lorsqu’une règle
d’accord est enseignée explicitement, les accords ne s’effectuent pas toujours par application de
règles mais par récupération d’associations entre radicaux et morphèmes flexionnels.
Mots clés : Régularités graphotactiques, morphologie dérivationnelle, morphologie flexionnelle,
apprentissage implicite.

Implicit learning and spelling : the case of Morphology


Abstract
In this article, we report on two experiments concerning the acquisition of written morphology in
French. Experiment 1 showed that children’s (Grades 2, 3 and 5) spelling of nonwords was influenced
by a) regularities in the French orthography which are probabilistic (graphotactic regularities regarding
the transcription of the sounds /o/ and /e t/ at the end of words) and b) regularities which can be sub-
sumed under an implicit rule (derivational morphology regarding the use of /o/ and /e t/ when they are
associated with diminutives) which is not the subject of explicit teaching. The main result of this expe-
riment demonstrated that the acquisition of derivational morphology is added onto the acquisition of
graphotactic regularities, without reducing their impact. The second experiment showed that sixth and
eighth graders made more often the error of writing the adjectival plural as nt (instead of s) for adjec-
tives having a verbal homophone [e.g. « célèbre » (famous, to celebrate) or « fixe » (fixed, to fix), in
contrast with «pauvre » (poor)], especially when the frequency of the verbal form of the homophone is
higher than the frequency of the adjectival form (e.g. « fixe » compared to « célèbre »), despite the fact
that the corresponding rule is explicitly taught. This suggests that, even when rules of concordance are
explicitly taught, the agreement is not always produced by a systematic application of these rules but
can be reached through retrieving associations between stems and inflected morphemes.
Key Words : Graphotactic regularities, derivational morphology, inflectional morphology, implicit lear-
ning.

91
Sébastien PACTON *
Michel FAYOL **
Delphine LONJARRET *
David DIEUDONNÉ *
Adresse pour correspondance :
Sébastien Pacton
Université de Bourgogne
LEAD/CNRS
Bd Gabriel, 21000 DIJON
e-mail : sebastien.pacton@u-bourgogne.fr
* L.E.A.D/C.N.R.S, Dijon.
** L.A.P.S.C.O/C.N.R.S,
Clermont-Ferrand.

L
es irrégularités de correspondances phonèmes/graphèmes permettent de
situer les systèmes alphabétiques sur un continuum allant des systèmes
orthographiques superficiels aux systèmes orthographiques profonds
(Jaffré & Fayol, 1997; Rieben, Fayol & Perfetti, 1997). Dans un système alpha-
bétique superficiel, disposer d’une représentation phonologique de chaque mot
et des règles de transcription de la phonologie en orthographe suffit à écrire cor-
rectement tout mot de la langue. En revanche, en français, système alphabétique
profond, l’application de règles de correspondances phonèmes/graphèmes ne
permet l’écriture correcte que de la moitié des mots (simulation informatique de
Véronis, 1988). En effet, plusieurs graphèmes peuvent renvoyer à un même pho-
nème (o, au ou eau pour /o/); inversement, un même graphème peut être associé
à plusieurs phonèmes (/g/ ou /j/ pour g) et certaines lettres n’ont pas de contre-
partie phonologique (les poules mangent ; homme). Cette absence de correspon-
dances bi-univoques entre phonèmes et graphèmes résulte entre autres choses
du fait que le français écrit représente en plus du niveau phonologique certains
aspects morphologiques. Par exemple, au pluriel, les noms et adjectifs sont
généralement infléchis avec un s alors que les verbes le sont avec nt. Ces
marques flexionnelles sont le plus souvent inaudibles. Par exemple encore, le
phonème /o/ peut se transcrire d’au moins trois façons différentes (o, au, eau).
Toutefois, le fait de savoir qu’un nom terminé en /o/ est un diminutif conduit à
écrire eau (e.g. renardeau). De même, savoir qu’un nom terminé en /t/ est un
diminutif conduit à écrire ette et non pas aite, ête ou eite.
Traditionnellement, en France, le premier des exemples ci-dessus, qui
relève de la morphologie flexionnelle, fait l’objet d’un enseignement explicite.
Celui-ci est conduit en formalisant les accords sous forme de règles et en entraî-
nant les élèves à appliquer les algorithmes correspondants. Or, malgré cet ensei-

92
gnement, des erreurs d’accords continuent à survenir (e.g. les habits clairent)
même dans des populations fortement lettrées. Par contraste, bien qu’également
descriptibles sous forme de règle, les seconds exemples qui relèvent de la mor-
phologie dérivationnelle ne donnent pas lieu à un enseignement explicite. Pour-
tant, comme nous le montrerons, cette dimension morphologique affecte les
productions de non-mots dictés à des élèves de primaire.
L’objectif du présent travail est de montrer à travers trois aspects de l’or-
thographe du Français l’impact d’apprentissages implicites sur les performances
d’enfants et d’adolescents. L’apprentissage implicite désigne un mode adaptatif
dans lequel le comportement d’un sujet devient sensible à la structure d’une
situation, sans que cette adaptation ne soit imputable à l’exploitation intention-
nelle de la connaissance explicite de la structure (Perruchet, 1998). Cette défini-
tion renvoie à un phénomène dont nous avons tous l’expérience, celle qui
consiste à s’adapter à une situation complexe sans que l’on parvienne à com-
prendre les racines et les raisons de cette adaptation. Nous envisagerons succes-
sivement :
a) une caractéristique de l’orthographe française ne faisant pas l’objet
d’un enseignement explicite et portant sur des régularités de type probabiliste
(la distribution des différentes transcriptions des sons /o/ et /εt/ en fin de
mots) ;
b) une deuxième caractéristique ne donnant pas non plus lieu à enseigne-
ment explicite de règles alors que ce serait possible (l’impact de la morphologie
dérivationnelle sur la détermination de l’écriture de /o/ et /εt/ en fin de mots) ;
c) une dernière caractéristique explicitement enseignée par règles et exer-
cices (l’accord de l’adjectif avec le nom).

◆ Régularités orthographiques ne faisant pas l’objet d’un


enseignement explicite: le cas de /o/ et /εt/
Les sons /o/ et /εt/ ont été choisis parce que tous deux peuvent se trans-
crire avec différents graphèmes, en particulier lorsqu’ils surviennent en fin de
mots (respectivement, o, au, eau, ot ; aite, ête, ète et ette) et surtout parce que la
distribution de ces formes graphémiques en position finale varie en fonction de
la consonne gauche (Brulex, 1990). Par exemple, eau n’apparaît jamais après f
mais est fréquent après r. De même, ette apparaît fréquemment après l mais
rarement après b. Il s’agit de régularités graphotactiques en ce sens que ce sont
des régularités au niveau des graphèmes qui ne dépendent pas des régularités au
niveau des phonèmes. Par exemple, alors qu’en Français dix mots contiennent le
son /tε t/, la graphie tette n’apparaît que dans deux mots.

93
Une dictée de non-mots 1 a été retenue pour étudier si ces régularités gra-
photactiques affectent l’orthographe des élèves. Considérons deux non-mots tels
que /mitaro/ et /mitafo/, ne différant que relativement à la consonne précédant le
/o/ final (reau fréquent vs. feau ne se rencontre jamais). Une sensibilité à ces
régularités graphotactiques devrait se traduire par une plus fréquente utilisation
de eau pour transcrire /mitaro/ que /mitafo/.
Ces régularités ne sont pas reliées à la morphologie. Une autre caractéris-
tique intéressante est que la transcription de /o/ et /εt/ peut être contrainte par
cette dernière. En effet, dans certains mots polymorphémiques, /o/ et /εt/ situés
en position finale d’un nom indiquent qu’il s’agit d’un diminutif (e.g.
renardeau ; fillette). Or, lorsque /o/ et /εt/ s’associent à des diminutifs, ils sont
respectivement transcrits eau et ette.
Une dictée de non-mots permet là encore d’étudier si cette dimension mor-
phologique affecte l’orthographe des élèves. Reconsidérons les deux non-mots
/mitaro/ et /mitafo/ précédemment dictés. Quelques jours après, dictons à nouveau
ces non-mots aux mêmes élèves, mais précisons qu’« un petit /mitar/ est un /mitaro/
et qu’un petit /mitaf/ est un /mitafo/ » afin d’indiquer qu’il s’agit d’un diminutif.
Une sensibilité à cette dimension morphologique devrait se traduire par une utilisa-
tion plus fréquente de eau dans cette condition que dans la condition de « base »
précédemment décrite où seules interviennent les contraintes graphotactiques.
Vingt élèves de chacun des trois niveaux primaires CE1, CE2 et CM2 ont
participé à l’expérience en fin d’année scolaire. Le matériel a été constitué
comme décrit ci-dessous.
Les distributions des graphies eau et ette en position finale en fonction de
l’environnement consonantique gauche ont été recherchées dans la base de don-
nées lexicales informatisée pour le Français écrit et parlé (Brulex, 1990).
Concernant la graphie eau, trois terminaisons « consonne+eau » fréquentes en
Français (/to/➞teau ; /vo/➞veau ; /ro/➞reau) et trois terminaisons ne se rencon-
trant jamais en Français (/go/ ; /ko/ ; /fo/) ont été sélectionnées. Relativement à
la graphie ette, trois terminaisons « consonne+ette » fréquentes en Français
(/εt/➞chette ; /lεt/➞lette ; /vεt/➞vette) et trois terminaisons « consonne+ette »
rares en Français (/bεt/➞bette ; /fεt/➞fette ; /tεt/➞tette) ont été sélectionnées.

1. Des non-mots ont été utilisés car le recours à des mots est problématique. Un enfant ayant préalablement
rencontré un mot, pourrait l’écrire de mémoire alors qu’un autre ne l’ayant pas rencontré en construirait une
graphie par correspondances phonèmes/graphèmes. Ceci est gênant car il est impossible de contrôler rigoureu-
sement les acquisitions lexicales des enfants. De plus, il est impossible de déterminer si un enfant orthographie
un mot tel que /kom/ comme(correctement) et non come, parce qu’il connaît l’orthographe de ce mot particu-
lier ou parce qu’il est sensible à certaines régularités orthographiques.

94
Six couples de non-mots se terminant en /o/ ont été constitués. Trois
couples de non-mots bisyllabiques incluaient la même première syllabe (e.g.
/pli/) et trois couples de non-mots trisyllabiques incluaient deux premières syl-
labes identiques (e.g. /pymi/). Les deux non-mots de chaque couple ne différaient
que par la consonne gauche de /o/ de sorte qu’un non-mot incluait une terminai-
son /consonne+o/ fréquente en Français (non-mots notés « EAU FREQUENT »,
e.g. /plito/, /pymito/) et l’autre une terminaison /consonne+o/ ne se rencontrant
jamais en Français (non-mots notés « EAU JAMAIS », e.g. /pligo/, /pumigo/).
Six couples de non-mots se terminant en /εt/ ont été constitués. Trois couples de
non-mots bisyllabiques incluaient la même première syllabe (e.g. /tra/) et trois
couples de non-mots trisyllabiques incluaient deux premières syllabes identiques
(e.g. /cala/). Les deux non-mots de chaque couple ne différaient que par la
consonne gauche de /εt/ de sorte qu’un non-mot incluait une terminaison
/consonne+εt/ fréquente en Français (non-mots notés « ETTE FREQUENT »,
e.g. /travεt/, /kalalεt/) et l’autre une terminaison /consonne+εt/ ne se rencontrant
jamais en Français (non-mots notés « ETTE RARE », e.g. /tratεt/, /kalafεt/).
Une première liste comportant les 12 non-mots se terminant en /o/ précé-
dés de l’article indéfini « un » et les 12 non-mots se terminant en /εt/ précédés
de l’article indéfini « une », placés selon un ordre aléatoire, a été élaborée.
Vingt-quatre autres non-mots ont été construits à partir des 24 non-mots
décrits ci-dessus en supprimant leur terminaison en /εt/ ou /o/ (e.g. /pligo/ et
/kalafεt/ devenaient respectivement /plig/ et /kalaf/. Vingt-quatre phrases ont été
constituées. Douze phrases étaient de la forme « un petit [non-mot se terminant
en /o/ sans /o/] est un [non-mot se terminant en /o/] » e.g. un petit /plig/ est un
/pligo/ ; un petit /pymig/ est un /pymigo/). Douze autres étaient de la forme « une
petite [non-mot se terminant en /εt/] est une [non-mot se terminant en /εt/] » (e.g.
une petite /kalaf/ est une /kalafεt/ ; une petite /sorip/ est une /soripεt/). Ces 24
phrases, placées selon un ordre aléatoire, constituaient une seconde liste.
Les épreuves ont été présentées de la façon suivante. Dans une première
condition, nommée « BASE », l’expérimentateur dictait aux élèves la première
liste (i.e. les 32 non-mots précédés des articles « un » ou « une », e.g. un
/mitaro/ ; une /soripεt/). Il était dit aux sujets qu’il s’agissait de mots nouveaux
qu’ils n’avaient jamais vus, ni entendus auparavant. L’expérimentateur leur pré-
cisait qu’ils devraient les écrire comme ils le feraient dans une dictée face à un
mot dont ils ignorent l’orthographe, « pour qu’il y ait le plus de chances qu’il
soit correctement orthographié ».
Le surlendemain, la seconde liste (i.e. les phrases du type « un(e) petit(e)
... est un(e) ... ») était dictée. Dans cette seconde condition nommée « DIMINU-

95
TIF », les élèves ne devaient écrire que le non-mot précédé de l’article « un » ou
« une ». L’expérimentateur rappelait aux sujets, comme dans la condition
« BASE », qu’ils devraient écrire ces mots comme ils le feraient dans une dictée
face à un mot nouveau dont ils ignorent l’orthographe.

Résultats
Non-mots se terminant en /εt/.
Le Tableau 1 indique le pourcentage d’utilisation de la graphie ette en fonc-
tion de l’âge, de la condition (BASE vs. DIMINUTIF) et de la fréquence des régu-
larités graphotactiques (RARE VS. FREQUENT). Les analyses statistiques ont fait
apparaître que l’utilisation de ette varie en fonction de l’âge (59.8% au CE1, 48.8%
au CE2 et 75.0% au CM2). Les orthographes des élèves étaient influencées à la
fois par les régularités graphotactiques et par la dimension morphologique. D’une
part, la graphie ette était davantage utilisée pour les non-mots « ETTE FRE-
QUENT » (76.2%) que pour les non-mots « ETTE RARE » (46.1%). D’autre part,
la graphie ette était davantage utilisée dans la condition « DIMINUTIF » (65.7%)
que dans la condition « BASE » (56.7%). Les effets de la dimension morpholo-
gique et des régularités graphotactiques ne différaient pas en fonction de l’âge.
Enfin, l’effet de la fréquence des régularités graphotactiques ne différaient pas
significativement en fonction de la condition (BASE vs DIMINUTIF). Dans les
deux conditions, l’utilisation de e t t e pour les non-mots mots « ETTE
FREQUENT » d’une part, et « ETTE RARE » d’autre part, était fortement corrélée
(r=.66 pour la condition « BASE » ; r=.60 pour la condition « DIMINUTIF »).

Tableau 1. Pourcentages d’utilisation relative de la graphie ette en fonction de l’âge


(CE1, CE2, CM2), de la dimension morphologique (« BASE » vs « DIMINUTIF »)
et de la fréquence des régularités graphotactiques
(non-mots « ETTE FREQUENT » vs. « ETTE RARE »).

BASE DIMINUTIVE
RARE FREQUENT RARE FREQUENT
CE1 37,5 74,2 45,8 81,7
CE2 34,2 54,2 39,2 67,5
CM2 55,0 85,0 65,0 95,0

Non-mots se terminant en /o/


Le Tableau 2 indique le pourcentage d’utilisation du graphème eau en fonc-
tion de l’âge, de la fréquence des régularités graphotactiques (JAMAIS VS. FRE-

96
QUENT) et de la condition (BASE vs. DIMINUTIF). Les analyses statistiques
ont révélé que l’utilisation de eau varie en fonction de l’âge (21.0% au CE1,
17.9% au CE2 et 34.6% au CM2). Les orthographes des élèves étaient influencées
à la fois par les régularités graphotactiques et par la dimension morphologique.
D’une part, la graphie eau était davantage utilisée pour les non-mots « EAU FRE-
QUENT » (33.6%) que pour les non-mots « EAU JAMAIS » (15.4%). D’autre
part, la graphie eau était davantage utilisée dans la condition « DIMINUTIF »
(29,6%) que dans la condition « BASE » (19,4%). Les effets des régularités gra-
photactiques ne différaient pas en fonction de l’âge. En revanche, l’effet de la
dimension morphologique différait en fonction de l’âge. Cet effet n’était significa-
tif qu’à partir du CE2. En fait, la plus grande utilisation de eau dans la condition
« DIMINUTIF » augmentait en fonction de l’âge (2.5% au CE1; 11.7% au CE2 et
46.7% au CM2). Enfin, l’effet de la fréquence des régularités graphotactiques ne
différait pas significativement en fonction de la condition (base vs. diminutive).
Dans les deux conditions, l’utilisation de eau pour les non-mots mots « EAU
FREQUENT » d’une part, et « EAU RARE » d’autre part, était très élevée (r=.69
pour la condition « BASE » ; r=.70 pour la condition « DIMINUTIF »).

Tableau 2. Pourcentages d’utilisation relative du graphème eau en fonction de l’âge


(CE1, CE2, CM2), de la dimension morphologique (« base » vs « diminutif »)
et de la fréquence des régularités graphotactiques
(non-mots « EAU Fréquent » vs. « EAU Jamais »).

BASE DIMINUTIVE
RARE FREQUENT RARE FREQUENT
CE1 13,3 27,5 11,7 31,7
CE2 7,5 22,5 12,5 29,2
CM2 13,3 32,5 34,2 58,3

Ces résultats montrent qu’à tous les âges, les régularités graphotactiques
influencent les orthographes fournies par les élèves pour les non-mots dictés. L’im-
pact de la morphologie se manifeste dès le CE1 pour la transcription de /εt/ et dès le
CE2 pour celle de /o/. La relative précocité de ette par comparaison avec eau tient
probablement à la plus grande proportion relative de transcriptions du premier par
rapport au second. En effet, /εt/ s’écrit ette dans 83% des cas (17% pour aite, ète et
ête cumulés) alors que /o/ s’écrit eau dans seulement 33% des cas (66% pour ot, o,
au cumulés). La persistance et la stabilité de l’effet de fréquence même lorsque les
non-mots dictés sont présentés comme des diminutifs suggère que les élèves ne se
réfèrent pas à une règle pour transcrire les non-mots dans ce dernier cas. En effet, la
mise en œuvre d’une règle entraînerait l’écriture systématique de ette et eau.

97
◆ Régularités orthographiques faisant l’objet d’un enseignement
explicite : le cas du pluriel adjectival.
En Français écrit, l’accord au pluriel de l’adjectif s’effectue dans l’im-
mense majorité des cas en ajoutant s à la fin. Cette règle est enseignée comme
telle et donne lieu à des exercices systématiques. Elle devrait donc s’appliquer
dans tous les cas où les conditions sont remplies. Or, des travaux antérieurs ont
montré que l’accord en nombre du verbe pouvait donner lieu à des erreurs systé-
matiques chez des adultes cultivés lorsque ceux-ci se trouvaient en situation de
surcharge cognitive. Par exemple, des étudiants en situation d’examen tendaient
à écrire « il les timbres », accordant erronément le verbe comme s’il s’agissait
d’un nom. Ces erreurs sont particulièrement fréquentes lorsque le verbe à accor-
der possède un homophone nominal plus fréquent que lui (Fayol, Largy &
Lemaire, 1994; Largy, Fayol & Lemaire, 1996). Ces résultats suggèrent que
dans certaines conditions au moins, des adultes cultivés n’appliquent pas la
règle d’accord du verbe (ajouter nt au pluriel), bien qu’ils la connaissent et
soient en mesure de l’utiliser, mais récupèrent en mémoire les associations les
plus fréquentes entre radical et morphèmes. En somme, une récupération rapide
et peu coûteuse se substitue à la mise en œuvre d’une règle plus lente et difficile
à utiliser. On peut s’attendre à ce qu’un phénomène de même type se produise
en ce qui concerne l’accord en nombre de l’adjectif.
En Français écrit, la règle d’accord du pluriel stipule que les adjectifs
prennent un s et les verbes un nt. L’application de cette règle devrait conduire à
l’absence d’erreurs. Toutefois, en référence à ce qui a été observé avec les
verbes ayant un homophone nominal plus fréquent qu’eux (e.g. timbre), on peut
s’attendre à ce que :
a) les adjectifs ayant un homophone verbal soient plus souvent erroné-
ment accordés en ajoutant nt (plutôt que s) que ceux qui n’en n’ont pas,
b) les proportions d’erreurs soient d’autant plus élevées que l’homophone
verbal est plus fréquent que son correspondant adjectival (cas de fixe par oppo-
sition à célèbre).
Dans l’expérience suivante, on a demandé à des élèves de sixième et de
quatrième de rappeler par écrit des phrases qui leur avaient été présentées orale-
ment. La présentation des phrases incluait des chiffres que les élèves devaient
stocker et additionner de manière à écrire le résultat immédiatement après avoir
rappelé la phrase. Les phrases elles-mêmes comportaient chacune un adjectif
attribut. Ce dernier n’avait soit pas d’homophone verbal (e.g. pauvre), soit un
homophone verbal dont la fréquence relative était tantôt supérieure (e.g. fixe),
tantôt inférieure (e.g. célèbre) à celle de son correspondant adjectival.

98
Résultats
La figure 1 illustre la distribution des erreurs (emploi erroné de nt avec
les adjectifs au pluriel) en fonction du niveau scolaire et du type d’adjectif. Les
analyses statistiques ont montré qu’aux deux niveaux considérés, les erreurs
étaient significativement plus fréquentes avec les adjectifs ayant un homophone
verbal (1.8%) qu’avec ceux qui n’en ont pas (0.4%). De plus, comme attendu,
les adjectifs ayant un homophone verbal plus fréquent que leur correspondant
adjectival donnaient plus souvent lieu à des erreurs (2.5%) que les adjectifs dont
l’homophone verbal était plus rare que l’adjectif correspondant (1.0%).

Figure 1. Proportions d’erreurs en nt dans l’accord de l’adjectif en fonction


du niveau scolaire (sixième vs. quatrième) et des catégories d’adjectifs
(sans homophone = aj seul vs. avec homophone verbal
plus fréquent = aj<vb vs. avec homophone verbal moins fréquent = aj>vb).

Ainsi, même dans le cas où une règle est enseignée explicitement et appli-
quée à travers des exercices, les élèves, et sans doute les adultes dans certaines
conditions produisent des erreurs d’accords qui tiennent non pas à l’omission du
pluriel mais à l’utilisation erronée du morphème verbal du pluriel. Cette erreur ne
peut s’expliquer que si l’on postule une récupération en mémoire d’une associa-
tion fréquente entre un radical (fix_) et un morphème flexionnel du pluriel. Cette
association n’a pas fait l’objet d’un enseignement explicite. Elle a été acquise par
apprentissage incident au cours des activités de lecture et d’écriture.

◆ Conclusion
L’objectif de cet article était de montrer à travers trois aspects de l’ortho-
graphe du Français l’impact d’apprentissages incidents sur les performances
d’enfants et d’adolescents. Nous avons mis en évidence l’existence d’apprentis-

99
sages incidents affectant premièrement l’usage de régularités de type probabi-
liste (régularités graphotactiques) mais aussi celui de certaines marques mor-
phologiques (diminutif). Fondamentalement, l’un des principaux apports de ce
travail réside dans la mise en évidence que l’acquisition de la morphologie déri-
vationnelle se surajoute à celle des régularités graphotactiques sans en éliminer
l’impact. En effet, l’effet de fréquence, caractéristique des régularités graphotac-
tiques, se maintient même lorsqu’une règle pourrait s’appliquer avec la même
amplitude aux différents niveaux considérés. Plus encore, l’étude de l’accord en
nombre de l’adjectif a fait apparaître l’impact d’un apprentissage implicite
même dans un cas où une règle a été enseignée explicitement. De fait, des
erreurs surviennent, qui témoignent de phénomènes d’accords résolus non par
application de règles mais par récupération d’associations entre radicaux et mor-
phèmes flexionnels, associations qui proviennent de l’apprentissage implicite
des régularités rencontrées au cours de la pratique de la langue écrite.
La prise en compte de l’existence d’un apprentissage implicite peut ainsi
nous aider à comprendre d’une part, comment certaines acquisitions peuvent
s’effectuer sans intervention explicite, par simple pratique, et d’autre part, que
malgré un enseignement explicite, certaines erreurs continuent à survenir. L’ap-
plication de ces paradigmes pourrait être très utile pour chercher à mieux com-
prendre les difficultés rencontrées par des enfants présentant des troubles d’ac-
quisition de la langue écrite.

REFERENCES
CONTENT, A., MOUSTY, P. & RADEAU, M. (1990). Brulex. Une base de données lexicales informati-
sée pour le Français écrit et parlé, Année Psychologique, 90, 551-566.
FAYOL, M., LARGY, P. & LEMAIRE, P. (1994). When cognitive overload enhances subject-verb agree-
ment errors. A study in French written language. Quarterly Journal of Experimental Psychology,
47, 437-464.
JAFFRE, J.P. & FAYOL, M. (1997). Orthographe : des systèmes aux usages, Paris : Flammarion.
LARGY, P., FAYOL, M. & LEMAIRE, P. (1996). The homophone effect in written French : The case of
verb-noun inflection errors. Language and Cognitive Processes, 11(3), 217-255.
PERRUCHET, P. (1998) L’apprentissage implicite : un débat théorique, Psychologie Française, 43-1, 198,
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RIEBEN, L., FAYOL, M. & PERFETTI, C. (1997). Acquisition de l’orthographe. Lausanne : Delachaux
& Niestlé.
VERONIS, J. (1988). From sound to spelling in french : Simulation on a computer, Cahiers de psycholo-
gie cognitive / European Bulletin of Cognitive Psychology, 8, p.315-334.

100
Apprendre la morphologie du nombre à l’écrit
en français
Corinne Totereau

Résumé
Cet article s’attache à l’étude de l’apprentissage de la morphologie écrite du nombre en
Français : le marquage par -s du pluriel nominal et adjectival et par -nt du pluriel verbal.
L’étude de ces marques est intéressante car leur acquisition par l’enfant et leur gestion par
l’adulte ne peuvent s’appuyer directement sur des indices phonologiques (ces marques
écrites du nombre n’ont pas de correspondant oral). L’enfant doit acquérir ces marques à
partir du traitement du seul écrit. Les travaux rapportés dans cet article ont été conduits afin
de rechercher dans un premier temps quand et comment les enfants identifient et utilisent
les marques des pluriels nominal et verbal. Dans un deuxième temps, ils ont été poursuivis
pour analyser comment les enfants parviennent à différencier les marques -s et -nt lors-
qu’ils doivent accorder des mots homophones dans des configurations ambiguës. Dans un
troisième temps, une comparaison a été effectuée concernant l’emploi des flexions du plu-
riel sur trois catégories syntaxiques : les adjectifs, les noms et les verbes, afin de dissocier
au moins partiellement l’impact de la motivation sémantique du pluriel des effets de fré-
quence et régularité des marques.
Mots clés : Apprentissage, orthographe, écrit, morphologie du nombre.

Learning written morphology for number in French

Abstract
This article deals with the study of the acquisition of written morphology for number in
French: the marking of noun and adjective plurals by -s and of verb plurals by -nt. The study
of these markers is interesting because their acquisition by children and their management
by adults cannot make direct use of phonological indices (these written markers have no cor-
responding oral pronunciation). The child must acquire these markers through the processing
of written language only. The studies reported in this article were conducted in order to find,
as a first step, when and how children identify and use the markers of noun and verb plurals.
Secondly, we attempted to analyze how children learn to differentiate the -s and -nt markers
when they have to agree nouns and verbs with corresponding homophones (verb and noun,
respectively). Finally, we compared the use of plural inflections for three syntactical catego-
ries: adjectives, nouns and verbs, in order to dissociate, at least partially, the impact of
semantical foundation of plural from the effect of frequency and regularity of markers.
Key Words : Learning, spelling, writing, number morphology.

101
Corinne TOTEREAU
Docteur en Psychologie
IUFM
avenue Alphonse Gilet
83300 Draguignan

P
aradoxalement, alors que l’apprentissage et la mise en oeuvre des
« règles » de l’orthographe grammaticale du Français écrit constituent un
domaine dont la difficulté est avérée et soulèvent des problèmes depuis
longtemps identifiés, peu de travaux de recherche ont été conduits, qui auraient
visé à cerner de manière précise les obstacles et à proposer et évaluer des moda-
lités d’intervention. La plupart des données disponibles sont de type descriptif
et, pour beaucoup d’entre elles, les comparaisons de performances sont délicates
du fait que les épreuves varient d’un niveau scolaire à un autre (Chervel &
Manesse, 1989 ; Girolami-Boulinier, 1984).
Le travail que je présente ci-après cherche à combler partiellement ces
lacunes. Il s’attache à un champ bien délimité de l’orthographe grammaticale,
celui de l’apprentissage et de la mise en oeuvre de la morphologie écrite du
nombre nominal et adjectival (-s), d’une part, et verbal (-nt) d’autre part en
Français.

◆ La morphologie du nombre en Français oral et écrit


La morphologie du nombre joue un rôle essentiel dans l’apprentissage et
la mise en oeuvre du Français écrit. En effet, la plupart des marques présentes à
l’écrit n’ont pas de correspondant oral. A l’oral, seuls les déterminants pour le
groupe nominal (le-la/les; un-une/des; ce-cet-cette/ces, etc.) et les auxiliaires
pour le groupe verbal (a/ont; est/sont) portent une variation formelle systéma-
tique. Par contraste, à l’écrit, presque tous les segments des groupes nominal
(GN) (déterminant, nom, adjectif) et verbal (GV) (auxiliaire, verbe) sont systé-
matiquement marqués, respectivement avec -s (GN) et -nt (GV) (Catach, 1986;
Dubois, 1965). Cette opposition oral/écrit ressort particulièrement bien dans
l’exemple ci-dessous :

102
• oral : singulier ➞ /lap’tit’pulruspikor/ vs pluriel ➞ /lep’tit’pulruspikor/
(opposition /la/ /le/ uniquement)
• écrit : singulier ➞ la petite poule rousse picore, vs. pluriel ➞ les petites
poules rousses picorent.
Cette particularité du Français a deux conséquences. D’une part, les
jeunes Français doivent acquérir les marques de la morphologie du nombre en
même temps qu’ils apprennent la langue écrite. La référence à l’oral leur est peu
utile. Ils doivent découvrir les marques spécifiques de l’écrit et leur
signification : -s pour les noms et adjectifs ; -nt pour les verbes. Une fois cette
découverte effectuée, il leur faut assurer la mise en œuvre de ces marques, de
manière automatique et à bon escient. Cette automatisation nécessite une pra-
tique régulière et prolongée. Elle n’assure pas, à elle seule, la réussite des
accords du fait de l’existence de nombreux mots homophones (timbre, fouille,
ferme...) qui se prononcent de manière similaire mais s’écrivent différemment
selon leur fonction syntaxique (les timbres/ils timbrent). L’absence de tout
indice oral nécessite le recours à des critères morpho-syntaxiques, syntaxiques
et sémantiques plus complexes et difficiles à mobiliser. On sait aujourd’hui
encore peu de choses sur cet apprentissage.
D’autre part, la deuxième conséquence concerne la mise en œuvre par
l’adulte des marques morphologiques du nombre au cours de la production de
textes écrits. Lucci et Millet (1994) comme Girolami-Boulinier (1984) ont relevé
de fréquentes omissions de -s et -nt. Ces omissions suggèrent que même les adultes
cultivés échouent parfois à utiliser des marques dont ils connaissent l’existence et
qu’ils mettent efficacement en œuvre la plupart du temps. Peu de recherches ont
étudié les raisons et circonstances favorisant l’occurrence de telles erreurs.
Les travaux ici rapportés ont été conduits afin de rechercher d’abord
quand et comment les enfants identifient et utilisent les marques des pluriels
nominal et verbal. Ils ont ensuite été prolongés pour étudier plus précisément la
manière dont s’opère l’automatisation de l’emploi du -nt verbal. Ils ont été
poursuivis pour analyser comment enfants et adultes parviennent à différencier
les marques -s et -nt lorsqu’ils doivent accorder des mots homophones dans des
configurations ambiguës. Ils ont enfin étudié l’apprentissage et l’utilisation de
l’accord en nombre de l’adjectif (-s).

◆ Acquisition de l’interprétation et production des marques


du pluriel nominal et verbal (-s et -nt)
Une première série de travaux a déterminé quand et comment des enfants
de 6 à 9 ans interprètent la présence (ou l’absence) de marques du pluriel (-s ;

103
-nt ; -e) selon que ces marques étaient ou non associées à des variations for-
melles audibles des déterminants (le/les) ou inaudibles des pronoms (il/ils)
(Totereau, Thevenin & Fayol, 1997). La méthode consistait à présenter par
exemple deux illustrations (une comportant une poule, l’autre au moins deux
poules ; ou bien l’une illustrant le saut d’un enfant, l’autre le saut de plusieurs
enfants). Sous ces illustrations se trouvait une étiquette incluant soit deux mots
(la poule vs. les poules pour les noms ; il saute vs ils sautent pour les verbes)
soit un seul mot (poule vs poules pour les noms ; saute vs sautent pour les
verbes). Les enfants devaient simplement relier l’étiquette à l’illustration corres -
pondante. Au cours de cette épreuve, les mêmes enfants devaient écrire eux-
mêmes des mots dictés, correspondant à une série d’illustrations associées à des
noms ou à des verbes. Les résultats ont fait apparaître que :
1) Les performances aux épreuves d’interprétation (relier une illustration
à l’étiquette fournie) sont systématiquement meilleures que les perfor-
mances aux épreuves de production. Cela reste vrai, même en CE2 ;
2) Les réussites aux accords concernant les noms l’emportent systémati-
quement sur les réussites relatives aux verbes : cela s’avère en compré-
hension (interprétation) comme en production, aux trois niveaux sco-
laires considérés (CP, CE1 et CE2).
Ces résultats suggèrent deux conclusions. Tout d’abord, la compréhension
de la signification des marques (épreuves d’interprétation) n’entraîne pas auto-
matiquement leur utilisation en production. La pratique doit intervenir pour
assurer le passage de la connaissance des marques à leur mise en œuvre.
Ensuite, les performances aux accords nominaux sont dès le CP très élevées en
interprétation (en raison vraisemblablement de l’indice sonorisable fourni par
l’article) et s’améliorent rapidement en production. Par contraste, celles qui
concernent les verbes restent relativement faibles aux trois niveaux scolaires
considérés. L’interprétation la plus plausible de cette différence de réussite aux
accords nominaux et verbaux est celle selon laquelle l’accord nominal est
sémantiquement motivé - on ajoute -s quand il y a plusieurs objets ou person-
nages - alors que l’accord du verbe, comme d’ailleurs celui de l’adjectif (cf.
plus loin), est formel : le fait que plusieurs enfants sautent n’entraîne pas une
pluralisation conceptuelle de l’action de sauter (Fayol, Thevenin, Totereau &
Jarousse, sous presse; Totereau, Fayol & Barrouillet, soumis).

◆ De la connaissance des marques à l’automatisation de leur emploi


Ainsi, les enfants peuvent connaître la forme et la signification des
marques morphologiques sans pour autant les mobiliser systématiquement
lorsque le contexte rend nécessaire leur production (Totereau et al., 1997).

104
Cette carence tient très probablement à la non automatisation de l’emploi
de ces marques. En effet, l’automatisation rend rapides, peu coûteuses et irré-
pressibles, l’activation et la mise en œuvre de telle ou telle marque. En d’autres
termes, on ne peut s’empêcher de l’utiliser. Dès lors, on n’a plus besoin de se
poser la question de l’opportunité de l’utilisation des marques et de contrôler
leur emploi de manière attentionnellement coûteuse. L’attention s’en trouve
libérée et peut se porter sur d’autres aspects du travail à accomplir.
En Français, l’application automatique des accords - les ➞ chiens (déter-
minant ➞ nom) aboient (GN ➞ GV) - conduit dans la presque totalité des cas
(cf., plus loin) à la réussite. Elle est nécessaire pour que les élèves et les adultes
puissent consacrer leur attention à d’autres dimensions que la gestion des
contraintes orthographiques de la production écrite. Or, tant que les accords sont
correctement effectués par application d’une règle sans pour autant être automa-
tisés, la réalisation de l’accord reste fragile : il suffit que l’attention soit divertie
de la réalisation du marquage pour que l’erreur survienne. Ce type d’erreur est
précisément celui qui pose le plus de problèmes aux enseignants : la leçon faite,
les exercices correctement réalisés, les contrôles effectués avec succès, laissent
penser que l’acquisition est effective. Pourtant, quelques heures ou jours plus
tard, lorsque l’accord doit être mobilisé dans une situation plus complexe, l’er-
reur (ré)apparaît.
Il faudrait donc disposer d’un révélateur de l’automatisation. Paradoxale-
ment, ce révélateur consiste en l’occurrence d’erreurs d’experts. Dans une
phrase telle que « le chien des voisins arrive », les adultes savent accorder le
verbe (arrive) lorsqu’on le leur demande explicitement ou lorsqu’ils doivent
transcrire cette phrase sous dictée. Pourtant, il suffit d’occuper leur attention au
moment de la transcription pour que surviennent des erreurs (de 20 à 30%). Ces
erreurs consistent à accorder le verbe avec le nom qui le précède immédiatement
(le chien des voisins arrivent) plutôt qu’avec le sujet (Fayol, Largy & Lemaire,
1994). Ici, l’automatisme (GN ➞ V : le verbe s’accorde la plupart du temps
avec le nom immédiatement antérieur) induit l’erreur. Mais il s’agit d’une erreur
d’experts, ayant donc valeur diagnostique.
Des enfants de 7 à 10 ans peuvent être soumis à cette même épreuve
(Fayol, Hupet & Largy, sous presse). Lorsqu’on leur demande explicitement
d’effectuer l’accord - par exemple au cours d’une tâche de complètement, ils
réussissent majoritairement à partir du CE2-CM1 (Le chien des voisins arrive /
Les chiens du voisin arrivent / Les chiens des voisins arrivent). Toutefois, si on
leur dicte la phrase et qu’ils doivent intégralement la transcrire, ils commettent
souvent des erreurs de non-marquage : le pluriel verbal (-nt) n’apparaît pas (les

105
chiens des voisins arrive). Le calcul de l’accord (algorithme), trop coûteux, n’a
pu être mis en œuvre du fait que l’attention a été captée par d’autres aspects du
travail à accomplir. Evidemment, aucune erreur ne survient avec « le chien des
voisins arrive » car l’absence de déclenchement automatique de l’accord rend
impossible l’occurrence de la marque -nt.
Au Cours Moyen et de manière variable selon les classes et les individus,
les erreurs d’experts commencent à se manifester. Désormais, l’accord est cor-
rectement réalisé dans les exercices « le chien des voisins arriv » comme dans
les dictées simples (présentation orale intégrale de la phrase, suivie de sa trans-
cription). En revanche, lorsque l’attention est mobilisée par une tâche secon-
daire (faire attention à des sons ; compter...), les erreurs d’experts apparaissent :
le chien des voisins arrivent (Fayol, Hupet & Largy, sous presse), comme chez
les adultes cultivés.
Les résultats de la première et de la deuxième série d’expériences suggè-
rent donc que l’apprentissage de la morphologie écrite du nombre s’effectue en
trois phases. Tout d’abord les enfants identifient les marques et découvrent leur
signification, découverte plus simple et précoce pour le -s nominal que pour le
-nt verbal. Se met ensuite en place l’utilisation des calculs (algorithmes) condui-
sant à la production des accords exacts lorsque le temps n’est pas limité et le
niveau de difficulté pas trop élevé. Au cours de cette phase, les erreurs devien-
nent plus rares mais elles continuent à survenir lorsque le travail à accomplir
dépasse les capacités attentionnelles ou lorsque l’attention se focalise sur
d’autres aspects, jugés plus importants pour la réalisation de la tâche. Les ensei-
gnants se trouvent donc particulièrement désarmés car les connaissances des
élèves suffisent à assurer la réussite - il n’y a donc plus rien à enseigner - mais
ce sont les conditions de mise en œuvre qui posent problème. Arrive enfin la
phase d’expertise. Paradoxalement, celle-ci se caractérise par l’occurrence d’er-
reurs rares jusqu’alors inconnues, qui résultent de l’activation automatique des
marques morphologiques. Ces erreurs se rencontrent rarement mais systémati-
quement encore chez les sujets très cultivés (Fayol & Largy, 1992).

◆ Les erreurs de surgénéralisation : de la nécessité de la grammaire


L’évolution en trois phases, telle que je viens de la retracer, ne rend que
partiellement compte de l’apprentissage de la morphologie écrite au-delà du
CE2. En effet, une autre dimension - l’homophonie - vient rendre l’apprentis-
sage plus difficile. Le Français comporte en effet de très nombreux mots homo-
phones qui se transcrivent de manière différente. Les plus connus sont a/à,
on/ont, son/sont etc. Pourtant, beaucoup d’autres posent problème du fait que
leur transcription correcte exige la prise en compte de la catégorie syntaxique.

106
Dans la phrase : « Le bijoutier a des bracelets. Il les montre », le mot
montre est clairement un verbe et s’accorde avec le pronom il ; accord réussi
massivement en CM2. Pourtant, si on dicte une telle phrase à des adultes et que
leur attention est attirée par un autre événement au cours même de la transcrip-
tion, les plus experts tendent à écrire montres au lieu de montre. Ils traitent ainsi
le verbe comme un nom (Largy, Fayol & Lemaire, 1996 ; Fayol, Largy, Theve-
nin, & Totereau, 1995). Les recherches conduites ont clairement fait apparaître
que ces erreurs survenaient surtout lorsque le verbe concerné (montre) avait un
homophone nominal (la/une montre) plus fréquent que lui (cette fréquence rela-
tive est établie à partir de l’observation de corpus de langue). Au contraire, ces
erreurs restaient exceptionnelles avec les verbes à homophone nominal rare
(trompe, par exemple).
Comment peut-on expliquer que des adultes cultivés, connaissant parfai-
tement les règles d’accord et sachant les appliquer, puissent commettre de telles
erreurs ? Une hypothèse plausible considère que ces adultes disposent de deux
« voies » pour réaliser l’accord. D’une part, ils disposent d’un algorithme (pro-
cédure correspondant à la mise en œuvre de la règle d’accord) fiable mais relati-
vement lent et attentionnellement coûteux, ce qui fait qu’il est assez facile d’en
gêner la mise en œuvre. D’autre part, ils ont, du fait des nombreuses lectures et
productions, stocké en mémoire (comme pour les tables de multiplication) des
associations entre mots et inflexions : tel ou tel mot co-occurre massivement ou
au contraire rarement avec telle ou telle marque morphologique (par exemple
timbre avec -s mais trompe avec -nt). Lorsqu’ils doivent écrire un mot, les deux
voies sont simultanément mobilisées. La plus rapide gagne parce que celui qui
rédige doit traiter de nombreuses difficultés et qu’en conséquence, tout pro-
blème rapidement résolu (éventuellement erronément) lui permet de se consa-
crer à une autre tâche. Il s’ensuit que les associations les mieux établies tendent
parfois à induire des erreurs alors même que ceux qui les commettent seraient
en mesure de les prévenir et/ou de les corriger (Fayol, 1997).
On pourrait penser que la prévention et la correction de telles erreurs sont
faciles pour des adultes habitués à lire et écrire. Il semble qu’il n’en soit rien.
Des travaux récents (Fayol, Largy & Ganier, 1997) ont révélé que des adultes
avertis de la présence d’erreurs dans des phrases et ayant explicitement à les
détecter et corriger soit ne les percevaient pas (comme dans « Il les timbres »),
soit considéraient comme erronés des accords pourtant corrects (comme dans
« Il les timbre »). Ces données suggèrent que non seulement les adultes cultivés
ont une propension à commettre des erreurs lorsqu’ils transcrivent de telles
configurations, mais aussi qu’une fois réalisées, ces erreurs deviennent très dif-
ficiles à repérer, et donc à corriger. Très vraisemblablement, seul un contrôle

107
stratégique guidé par la connaissance préalable des configurations inductrices
d’erreurs (Fayol & Monteil, 1994) et appuyé sur une analyse explicite en caté-
gories syntaxiques (grammaire) - est en mesure de permettre l’anticipation et/ou
la correction des erreurs.
Pour déterminer quand et comment ces erreurs s’installent, nous avons
demandé à des enfants du CE1 au CM2 de compléter par écrit des séries de syn-
tagmes (les timbr __/ ils montr__). Les mots à compléter avaient été extraits des
livres de lecture en cours dans les écoles, de sorte que nous pouvions contrôler
si les élèves les avaient ou non déjà rencontrés. Certains mots étaient des noms
(Les nuages), d’autres des verbes (Ils regardent), d’autres enfin étaient poten-
tiellement noms ou verbes selon les environnements syntaxiques ( L e s
timbres/Ils timbrent). Les performances des enfants aux différents niveaux de la
scolarité font apparaître une évolution très particulière. Dans un premier temps
(cf. la première partie de cet article) domine l’absence de marque du pluriel.
Dans un deuxième temps, le -s nominal est systématiquement utilisé pour les
noms comme pour les verbes, quels qu’ils soient. Cette surgénéralisation, consé-
cutive au fait que les enfants ne connaissent qu’une seule marque, dure peu de
temps. Dans un troisième temps, d’une part, apparaissent des -nt sur les verbes
mais aussi sur les noms (!) et d’autre part, subsistent des -s sur quelques verbes.
L’analyse détaillée des corpus révèle que les erreurs (-s sur les verbes, -nt sur les
noms) affectent essentiellement les homophones. En d’autres termes, les proba-
bilités d’erreurs sont d’autant plus élevées que les mots peuvent, en fonction des
environnements syntaxiques, être des noms ou des verbes. Par ailleurs, les ten-
dances correspondent à celles qui ont été décrites chez les adultes : les mots qui
étaient utilisés comme verbes dans les livres de lecture étaient de manière domi-
nante (et erronée) infléchis avec -nt alors que ceux qui étaient essentiellement
utilisés comme noms étaient infléchis par -s. Ces résultats suggèrent l’interven-
tion d’un processus de récupération directe d’associations entre mots et mor-
phèmes qui conduit le plus souvent à une performance correcte (car cela corres-
pond précisément aux occurrences les plus fréquentes) mais qui aboutit parfois
à des erreurs (Totereau, Fayol & Barrouillet, 1998).
En résumé, l’apprentissage de la morphologie écrite du nombre nominal et
verbal en Français semble suivre un schéma d’évolution consécutif au fait que la
plupart des marques écrites n’ont pas de correspondant audible : (1) non repérage
des marques et de leur signification; 2) détection et interprétation du -s nominal
puis du -nt verbal ; 3) mise en œuvre en production du -s nominal et extension
(surgénéralisation) aux adjectifs (ce qui conduit à la réussite) et aux verbes (ce
qui induit des erreurs) ; cette mise en œuvre résulte vraisemblablement de l’utili-
sation systématique d’un algorithme de calcul de l’accord correspondant à une

108
règle simple : « si pluriel alors -s » ; 4) apparition des emplois de -nt avec surgé-
néralisation à certains noms (qui ont des homophones verbaux fréquents) et dis-
parition des -s aux verbes, sauf avec certains d’entre eux (qui ont des homo-
phones nominaux fréquents). Ces erreurs, à la différence des précédentes,
renvoient non plus à l’utilisation dominante d’un algorithme mais au stockage et
à la récupération directe en mémoire d’associations entre mots et inflexions. Ces
associations automatiques sont consécutives à l’imprégnation (apprentissage
implicite) par les co-occurrences lues dans les textes, ce qui explique leur carac-
tère systématique et inconscient, et donc très difficile à prévenir. Seul un contrôle
après-coup (Fayol, 1997, Chapitre 5) étayé par une grammaire explicite est sans
doute en mesure d’éviter la survenue de telles erreurs.

◆ L’accord en nombre de l’adjectif


Contrairement à ce qui se passe dans d’autres systèmes écrits (e.g., l’An-
glais), l’adjectif s’accorde en Français avec le nom qu’il précise. Cette spécifi-
cité permet d’aborder une question difficile : pourquoi le pluriel nominal est-il
plus précoce que le pluriel verbal, même dans une langue comme l’Anglais où
les marques sont audibles?
Comme je l’ai signalé dans la première partie de cet article, l’hypothèse
la plus plausible est que le pluriel nominal est sémantiquement motivé : on
ajoute -s pour marquer la pluralité des référents. En revanche le pluriel verbal
est formel : l’ajout de -nt ne correspond pas à une pluralité référentielle (e.g.,
dans « les chiens aboient » l’action d’aboyer ne se trouve pas modifiée par la
présence de plusieurs chiens). Toutefois, des hypothèses alternatives sont envi-
sageables. Par exemple, les noms sont plus fréquents que les verbes : en consé-
quence, la probabilité de rencontrer -s et de le repérer comme marque du pluriel
est plus élevée que la probabilité de rencontrer -nt (pluriel verbal). La fréquence
d’occurrence pourrait donc exprimer la précocité d’emploi du -s plutôt que du
-nt. Par ailleurs, la marque -s est extrêmement fiable pour signaler la pluralité :
sur 19384 noms et sur 10431 adjectifs recensés par la base Brulex, seuls 504 et
107 respectivement, se terminent au singulier par -s. En d’autres termes, la ren-
contre d’un -s terminal permet de conclure avec une bonne certitude à la plura-
lité. Par contraste, de nombreux verbes notamment parmi les plus fréquents
(aller, venir, être, avoir, etc), forment leur pluriel par changement vocalique
(e.g., a/ont) ou consonantique (e.g., /e/ vs /sõ/) et non par simple ajout de -nt.
De plus 2819 mots se terminent au singulier par -nt, ce qui donne une moindre
fiabilité à -nt qu’à -s comme marque de pluralité. En résumé, -nt serait une
marque de pluralité plus difficile à repérer et utiliser car elle est à la fois moins
fréquente et moins fiable que -s.

109
L’existence d’effets de fréquence et de fiabilité des marques s’ajoutant au
caractère sémantiquement fondé ou non de la pluralité rend difficile la détermi-
nation du ou des facteurs décisifs, s’il en existe. Toutefois, l’accord de l’adjectif
permet au moins partiellement de dissocier leurs effets. L’accord de l’adjectif
n’est pas plus motivé sémantiquement que celui du verbe. En revanche, il est
assuré par l’ajout de -s, fréquent et fiable. En conséquence, si le fondement
sémantique se trouve à l’origine de la saisie du marquage de la pluralité, l’adjec-
tif devrait être accordé aussi tardivement que le verbe. Si, au contraire, les
aspects formels (fréquence et fiabilité) jouent un rôle dominant, alors l’accord
de l’adjectif doit se réaliser aussi précocement que celui du nom (Totereau,
Fayol & Barrouillet, soumis).
Pour tester ces prédictions alternatives, nous avons demandé à des enfants
de 7 à 11 ans (du CE1 au CM2) de compléter et rappeler des phrases compor-
tant un nom, un adjectif et un verbe, les trois étant tantôt au singulier tantôt au
pluriel. Par exemple, le même enfant avait à ajouter les terminaisons dans « la
fill_ blond_ parl_ » et « les chatt_ douc_ ronronn_ » alors qu’un autre enfant
devait transcrire ces mêmes phrases qui lui étaient dictées. Plus de 3000
inflexions ont ainsi été recueillies, qui ont permis de mettre en évidence trois
faits. Tout d’abord, les proportions de non marquage du pluriel sont approxima-
tivement équivalentes pour les adjectifs et les verbes et sont significativement
plus élevées que pour les noms. En d’autres termes, le caractère sémantique-
ment fondé du pluriel nominal semble bien à l’origine du marquage précoce de
la pluralité. Ensuite, les adjectifs sont plus tôt et plus correctement infléchis que
les verbes. L’effet de la fréquence et de la fiabilité du -s se manifeste donc éga-
lement. Enfin, l’accord verbal est souvent réalisé de manière erronée par ajout
du -s au lieu du -nt.
En résumé, c’est la conjonction de la pluralité notionnelle, de la fréquence
et de la régularité du marquage qui conduit à l’utilisation précoce et systématique
du -s sur les noms. Les aspects formels interviennent également en ce qui
concerne les adjectifs : ceux-ci, qui forment leur pluriel en -s, sont plus précoce-
ment et correctement accordés que les verbes. Ces derniers sont souvent plurali-
sés de manière erronée par l’emploi du -s plutôt que de -nt. Ces données suggè-
rent que les adjectifs sont initialement accordés par généralisation de l’emploi du
-s, laquelle conduit à un infléchissement correct des adjectifs mais incorrect des
verbes. Ce schéma d’apprentissage s’interprète facilement dans le cadre d’un
modèle d’apprentissage procédural (Anderson, 1983, 1993, 1995). La première
règle du type condition ➞ action serait « R1: si pluriel alors ajouter -s ». Elle
s’appuierait sur la transparence sémantique et la régularité. Sa généralisation
conduirait à des accords tantôt exacts (adjectifs) tantôt erronés (verbes).

110
L’apprentissage ultérieur consisterait à spécialiser la règle en lui adjoi-
gnant de nouvelles conditions, notamment quant aux traits syntaxiques (nom vs.
verbe) et une nouvelle action (ajouter -nt). On aboutirait alors à deux règles :
R1.1 : si Pluriel et nom ou adjectif ajouter -s
R1.2 : si Pluriel et verbe ajouter -nt.
La difficulté rencontrée par les enfants au cours de l’apprentissage et par
les adultes lorsque les verbes ont un homophone nominal (ou inversement) tient
à ce que deux marques (-s et -nt) sont disponibles pour une même macro-condi-
tion : la pluralité. Il y a donc compétition, laquelle nécessite pour être résolue la
prise en compte et la gestion de conditions supplémentaires.

◆ Conclusion
L’acquisition et l’utilisation de la morphologie écrite du nombre pose des
problèmes spécifiques. Ces problèmes tiennent à plusieurs raisons. Première-
ment, les marques (-s et -nt) sont presque toujours « silencieuses » : les enfants
doivent les découvrir et les adultes les utiliser à l’écrit, sans pouvoir le plus sou-
vent recourir à leurs connaissances sur l’oral. Deuxièmement, ces marques se
distribuent sélectivement sur les différents segments de la phrase. En particulier,
les composants noms et adjectifs du syntagme nominal sont infléchis avec -s
alors que les verbes le sont avec -nt. Les enfants comme les adultes doivent
donc affecter les marques aux catégories syntaxiques qui conviennent et mainte-
nir active l’information relative à la pluralité jusqu’à transcription de l’intégra-
lité de l’énoncé. Troisièmement, certains mots peuvent être tantôt des noms,
tantôt des verbes (voire des adjectifs). Il s’ensuit que des ambiguïtés survien-
nent, qui induisent des compétitions entre marques (e.g., -s et -nt) pour une
inflexion donnée. Seule la prise en compte d’informations syntaxiques ou
sémantiques permet d’aboutir à une gestion correcte des accords.
Les données recueillies au cours des différentes séries d’expériences ont
montré que l’apprentissage de la morphologie écrite du nombre s’étale sur une
longue période et présente de nombreuses difficultés. Initialement, les enfants
écrivent les mots en suivant leur forme phonologique : ils n’utilisent aucune
marque du nombre. Très rapidement, et plus vite pour les noms que pour les
verbes, ils détectent et interprètent correctement la présence des -s et -nt. Il leur
faut toutefois plus de temps pour produire ces marques. Là comme dans
d’autres tâches, le rappel à bon escient de ces marques nécessaires en produc-
tion est plus tardif et complexe que la reconnaissance de ces mêmes marques en
compréhension. L’extension du marquage correct varie en fonction des catégo-
ries syntaxiques ; il est plus précoce et fréquent avec les noms qu’avec les

111
verbes. Les recherches conduites ont montré que cette hiérarchie de difficultés
tenait à la fois au caractère sémantiquement fondé ou non de la pluralité et à la
fréquence et à la fiabilité des marques -s et -nt.
Une autre difficulté tient à la présence de nombreux homophones pou-
vant, en fonction des contextes syntaxiques, être tantôt noms (les timbres) tantôt
verbes (Il les timbre). Ces items donnent lieu à de fréquentes erreurs chez les
adultes cultivés, notamment lorsque l’attention de ceux-ci est divertie de la ges-
tion de l’accord lui-même. Dans de tels cas, la marque utilisée dépend de la fré-
quence relative des deux homophones : si l’homophone verbal domine l’homo-
phone nominal, -nt l’emporte ; si l’homophone nominal domine, -s l’emporte,
conduisant à un accord erroné. L’étude du développement de l’accord verbal
révèle que ces erreurs consécutives à une compétition entre inflexions survien-
nent à partir du CE2, lorsque les enfants ont stocké en mémoire des associations
régulières entre radicaux et morphèmes. Ces associations sont au moins dans
certaines circonstances activées plus vite que la procédure d’accord et elles
induisent parfois des erreurs (Fayol, Largy & Ganier, 1997).
L’existence de l’ensemble de ces difficultés permet de comprendre que la
France ait élaboré et perpétue un enseignement grammatical s’étendant jusqu’en
classe de troisième de collège. Les enfants, les adolescents et les adultes ont en
effet besoin de disposer d’une grammaire explicite susceptible de guider la
détection et la correction des erreurs.
Il reste que les phénomènes ici décrits ne prennent pas encore en considé-
ration la nature et la fréquence des enseignements dispensés. D’autres travaux
sont en cours, qui ont pour objet d’étudier l’impact de l’instruction sur les
apprentissages à différents niveaux de la scolarité.

112
REFERENCES
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113
La complexité de l’orthographe est-elle seule
responsable des erreurs orthographiques
chez l’enfant ?
Christiane Soum, Jean-Luc Nespoulous

Résumé
Cette recherche porte sur les erreurs orthographiques produites en français, par des enfants
de langue française ; ils ont 7 et 8 ans. L’hypothèse générale est la suivante : le facteur
déterminant de l’exactitude orthographique ne se réduit pas à la forme orthographique des
mots (à leur irrégularité) : leur forme phonologique (leur structure syllabique) est également
un paramètre pertinent dans l’habileté à écrire un mot. Deux expériences permettent d’éva-
luer cette hypothèse : une dictée de mots isolés et une dictée de syntagmes. Les résultats
suggèrent que :
a) La phonologie joue un rôle majeur dans la production écrite (accès au lexique phonologi-
quement contraint ; manipulation de l’information phonologique en production écrite) ;
b) L’orthographe, analysée comme un continuum d’irrégularités, est une source d’erreurs.
Mots clés : Erreurs orthographiques, instabilité phonologique, squelette de positions, forme
orthographique, structure syllabique.

Do children have a hard time with orthography solely because of its


complexity ?
Abstract
This research deals with the learning of writing skills by 7 and 8 year old French children.
The general hypothesis was the following : the correct handling of orthography cannot be
reduced to the mere knowledge of the orthographical properties of words ; their phonologi-
cal form also appears to be a relevant variable in the ability to write a word in a conventional
(canonical) way. Two experiments were carried out to verify this hypothesis : in the first one,
children wrote single words and in the second one, they wrote syntagms. The results sug-
gest that :
a) Phonology plays a major role in written processes (phonologically constrained lexical
access ; use of phonological information to write) ;
b) The orthographical form of the words, analyzed as a continuum of irregularities, leads to
errors (the more irregular a word is, the more prone to errors the child will be).
Key Words : Orthographical errors, phonological instability, skeletal slots, orthographical
properties, syllabic structure.

115
Christiane SOUM
Jean-Luc NESPOULOUS
Laboratoire Jacques Lordat
Université du Mirail
5, allées Antonio Machado
31058 Toulouse cedex 1

L
es sciences cognitives, champ interdisciplinaire, ont pour objet de décrire
et d’expliquer les aptitudes cognitives humaines, dont le langage. L’étude
présentée ici se situe dans ce courant de recherches puisqu’elle porte sur
l’apprentissage du langage écrit dans le cadre d’un développement dit normal.
Cet apprentissage, et plus précisément l’étude des erreurs orthographiques pro-
duites en cours de développement, fournit une occasion supplémentaire d’insis-
ter sur l’intérêt de l’interdisciplinarité.
D’un côté, la linguistique permet de décrire les structures de la langue,
de l’autre, la psycholinguistique tente de décrire les processus mentaux liés
aux structures linguistiques. Entre ces deux disciplines, il s’agit donc d’un
lien fort. Notre propos est de montrer « qu’effacer » les frontières théoriques
entre ces deux approches en associant certains de leurs postulats respectifs, est
hautement profitable pour un compte rendu explicatif des erreurs que produi-
sent les enfants de 7/8 ans, en apprenant à écrire le français. Nous tenterons
d’autre part de défendre l’hypothèse selon laquelle la réussite en orthographe
est intimement liée à la nature phonologique de la langue et à ses rapports
avec l’écrit.

◆ Pour une analyse psycholinguistique


Notre démarche consiste à formuler des hypothèses permettant de prédire
les contextes dans lesquels devraient apparaître les erreurs orthographiques en
période de développement. Nous posons l’hypothèse que deux facteurs, au
moins, sont une source d’erreurs orthographiques : a) la forme orthographique
d’un mot, qui est liée, selon nous, à sa fréquence lexicale et à sa forme sylla-
bique et b) l’organisation syllabique d’un mot. Cette analyse est détaillée dans
les sections suivantes.

116
Etude du français écrit
L’orthographe du français consiste à transcrire l’information phonolo-
gique contenue dans les mots, dont la plus petite unité est le phonème (principe
d’écriture phonographique). On parle de graphèmes pour désigner ces unités. Le
mot BATEAU 1 par exemple, comprend quatre graphèmes: {b} - {a} - {t} - {eau} 2
qui correspondent à quatre phonèmes: /b/ - /a/ - /t/ - /o/. L’orthographe du fran-
çais joue avec ces combinaisons entre graphèmes et phonèmes. On parle dans ce
cas de correspondances et ce faisant, on se situe au niveau d’unités plus petites
que le mot, appelées unités sublexicales. Le français écrit comporte deux types
de correspondances 3 : a) 1 phonème = x graphèmes (ex. le son [ã] en finale
s’écrit {ent} dans FROMENT, {ant} dans BRABANT, {an} dans BRELAN, {and} dans
BRIGAND, etc.) ; b) 1 graphème = x phonèmes (ex. {is} en finale se prononce [i]
dans RUBIS mais [is] dans MÉTIS). Ces deux cas de figure correspondent à deux
grandes classes d’irrégularité (qui ne sont d’ailleurs pas exclusives) : les mots
qui comprennent une séquence sublexicale homophone hétérographe (cf. a)
et ceux qui comprennent une séquence sublexicale homographe hétérophone
(cf. b).
A nos yeux, l’irrégularité du français réside dans le fait que ces corres-
pondances sont toujours en concurrence virtuelle dans la mesure où le système
n’est pas univoque (un seul son systématiquement pour la même lettre). Notons
en outre que l’orthographe ne peut être déduite d’aucune règle : on se réfère
davantage à l’intuition ou à la mémoire qu’au raisonnement ou même à l’analo-
gie pour savoir que CAROTTE prend deux {t} et un {r} ou que LAVABO ne finit pas
par {eau}. Le premier constat, et cela n’est pas nouveau, est donc la grande irré-
gularité de l’orthographe du français. Si le terme « d’irrégularité » est juste, il
n’est pourtant pas synonyme de pagaille : notre analyse montre en effet que plu-
sieurs paramètres tendent à réduire de façon sensible cette irrégularité.
Nous posons finalement trois catégories orthographiques : les mots
réguliers (ex. LAVABO), les mots irréguliers (ex. ROBOT) et leurs préséants
(ex. BATEAU). Elles sont assujetties à trois types de contraintes. 1) La lon-
gueur du graphème : un graphème à une lettre (ex. {f}) comporte une charge
cognitive moins lourde qu’un graphème à plusieurs lettres (ex. {ph}). 2) Les
mots irréguliers (ex. PRÉAU, CHEMINOT, DÉFAUT) sont définis par rapport à
leurs préséants (ex. BATEAU, CADEAU, MANTEAU) avec lesquels ils partagent
une séquence sublexicale homophone hétérographe : les mots préséants sont

1 Les exemples apparaissent en petite capitale


2 Les graphèmes apparaissent entre accolades
3 Voir aussi les travaux de Roch Lecours, 1996

117
plus fréquents 4 que les mots irréguliers. 3) Cette catégorisation prend en
compte l’influence de paramètres phonologiques sur l’orthographe puisque
la préséance varie en fonction de la structure syllabique des mots. On
constate par exemple que sur l’ensemble des mots de la langue finissant en
[o], la graphie préséante est {eau} ; les graphies irrégulières sont {ot}, {o},
{os}, {aut}, etc. Mais si l’on considère les mêmes mots, en fonction cette
fois de leur structure syllabique, la graphie préséante change (ex. elle reste
{eau} pour CV CV BATEAU et pour CVC CV FARDEAU), mais elle devient {ot}
pour CV CV CV CHEMINOT, {o} pour CV CCV MÉTRO. En outre, les mots finis-
sant par une consonne suivie d’un e muet (ex. TOMATE) ont la plupart du
temps une graphie simple ; l’irrégularité est réduite au doublement de la
consonne. Ainsi l’orthographe dépend de façon relativement forte de la
forme sonore des mots de la langue 5.
En résumé, nous avons choisi de considérer les liens graphèmes / phonèmes
en synchronie et uniquement dans leur rapport à la phonologie 6. L’orthographe des
mots français est irrégulière mais certains paramètres phonologiques (structure syl-
labique) et psycholinguistiques (charge cognitive pour les réguliers, fréquence pour
les autres) réduisent cette irrégularité. En somme, nous n’envisageons pas l’ortho-
graphe du français comme un phénomène discret de catégories exclusives de mots
réguliers et irréguliers mais comme un continuum d’irrégularités.
Etude du français parlé
Passons maintenant au second alinéa de notre hypothèse et rappelons
qu’il postule que l’organisation syllabique d’un mot est une source d’erreurs
orthographiques. Cette hypothèse implique une analyse de la langue sous sa
forme orale ; nous avons retenu la théorisation proposée par Encrevé (1988)
pour le français standard. Son analyse phonologique postule que le lexique men-
tal comporte des squelettes de mots correspondant « au nombre de places poten-
tielles définissant un mot donné pour un locuteur donné, [c’est à dire] le nombre
d’unités possibles que le locuteur attribue intuitivement à un mot mémorisé ».
Cette conception du squelette permet à l’auteur de formaliser les relations entre
les unités à travers des représentations phonologiques multidimensionnelles
comportant trois plans (cf. figures 1, 2, 3 ci-dessous) : l’un indique les consti-
tuants syllabiques A (attaque), R (rime), N (noyau) et C (coda), l’autre, les seg-
ments phonologiques et le plan central correspond au squelette de positions
(représenté par des points). L’interaction entre les divers plans est indiquée par

4 L’analyse est effectuée avec la banque de données Brulex qui contient 35746 entrées lexicales
5 Voir aussi Treiman et collaborateurs 1995 pour ce type d’analyse sur l’anglais
6 Voir les travaux de Catach pour une analyse différente

118
des lignes d’association verticales ; une absence de ligne représente un élément
flottant ou instable, c’est à dire susceptible de variation.
Figure 1 : bateau Figure 2 : super Figure 3 : petit

La figure 1 représente une structure entièrement stable : chaque élément


est relié au squelette ; ainsi, la consonne initiale de mot est définitivement inter-
prétée comme attaque. En revanche, les figures 2 et 3 présentent des éléments
instables. La consonne finale de SUPER est flottante syllabiquement (i.e. aucune
ligne d’association entre la position squelettique et le constituant syllabique
coda) en vertu du fait que cette consonne est soit enchaînée à gauche (ex. UN
SUPER GARÇON) soit à droite devant un mot à initiale vocalique (ex. UN SUPER
AMI). La figure 3 intègre la consonne de liaison (ex. PETIT) : elle est flottante
segmentalement en vertu du fait qu’elle est soit réalisée (ex. UN PETIT AMI) soit
non réalisée (ex. UN PETIT GARÇON) ; elle est flottante syllabiquement en vertu du
fait que quand elle est réalisée, elle est soit enchaînée à l’initiale du mot suivant,
soit non enchaînée. Sur le plan squelettique, la position sans association est dis-
ponible pour l’ancrage d’un segment ou d’un constituant syllabique. Ces trois
consonnes ont une représentation différente en vertu de leur statut phonologique
spécifique.
Une telle analyse permet de sous-déterminer les liens qui existent entre
les éléments phonologiques dans le lexique mental. Cette proposition linguis-
tique est parfaitement compatible avec la définition qu’en donnent les psycho-
linguistes 7 et nous proposons que la nature des propriétés phonologiques du
lexique mental correspond à la sous-détermination des représentations phonolo-
giques analysées par Encrevé.
Hypothèses
Etayons maintenant nos hypothèses. L’hypothèse générale à poser est
que le sujet dispose d’un lexique comportant des informations phonologiques
précises basées sur le squelette de positions pures. Autrement dit, quand le

7 Voir Lecocq et Ségui, 1989

119
sujet active la représentation phonologique d’un mot, il active un savoir sur
sa configuration squelettique, en particulier sur le nombre de places que
contient ce mot et sur le statut phonologique des positions. Ce savoir lexical
serait disponible à l’intuition du sujet lorsqu’il met en œuvre une production
écrite.
Concernant le type de structures syllabiques, nous faisons l’hypothèse
qu’une structure phonologiquement flottante est instable psycholinguistique-
ment et que, par conséquent, elle entraîne plus d’erreurs orthographiques qu’une
structure fixe ou stable. Autrement dit, la difficulté à écrire un mot est propor-
tionnelle à son instabilité syllabique.
Si les propriétés phonologiques des segments induisent réellement des
erreurs orthographiques, alors ces erreurs devraient varier en fonction du statut
spécifique des segments. Aussi, les erreurs sur les consonnes finales en syn-
tagme (contexte d’enchaînement, ex. SUPER AMI) et sur les consonnes de liaison
(ex. PETIT AMI) ne devraient pas être les mêmes, compte tenu du statut phonolo-
gique spécifique de ces consonnes (cf. Etude du français parlé).
Concernant la forme orthographique, nous faisons l’hypothèse que la
concurrence des graphies virtuelles représente une source d’erreurs écrites.
Autrement dit, la difficulté à écrire un mot conventionnellement est proportion-
nelle à son degré d’irrégularité. Nous postulons qu’un mot régulier (ex. LOTO) a
un effet facilitateur et que, plus le mot est irrégulier (préséant, ex. PIPEAU ; irré-
gulier, ex. REPOS respectivement), plus cet effet s’atténue. Cette hypothèse sug-
gère un effet de fréquence puisque les préséants sont établis en fonction de la
fréquence d’usage des mots.

◆ Quelques résultats à l’appui


Nous avons mené deux expériences pour tester analyse et hypothèses.
Nous les présentons successivement dans les sections suivantes.

Expérience 1
Présentation
L’objectif de l’expérience 1 est d’évaluer les hypothèses sur l’organisa-
tion syllabique du mot et sur sa forme orthographique. Aussi, nous avons
constitué un corpus de stimuli variant en fonction de ces 2 paramètres. Il
contient 360 stimuli : 180 ont une structure instable et 180 une structure
stable ; les 3 catégories orthographiques sont représentées dans chaque type
de structure syllabique.

120
Ces stimuli sont dictés dans un ordre aléatoire à 20 enfants de CE1 (âgés
de 7/8 ans). Le traitement statistique des données est une analyse de variance 8.
Résultats
Nous avons fait l’hypothèse a) que la difficulté à écrire un mot est propor-
tionnelle à son instabilité phonologique ; en conséquence, un mot à structure
stable aurait un effet facilitateur tandis qu’un mot à structure instable aurait l’ef-
fet inverse et provoquerait plus d’erreurs et b) que la difficulté à écrire un mot
est proportionnelle à son irrégularité ; en conséquence, plus le mot est régulier,
moins il devrait comporter d’erreurs. Observons les histogrammes 1 et 2.

Variable dépendante : bonnes réponses

L’histogramme 1 indique bien un effet de l’organisation syllabique sur la


réussite orthographique. Deux résultats sont remarquables : a) la structure stable
CVCV BATEAU est celle qui entraîne le plus de bonnes réponses tandis que la
structure instable CV CVC SUPER est celle qui entraîne le moins de bonnes
réponses ; b) la structure syllabique instable CV CVCE LUNETTE présente plus de
bonnes réponses que la structure stable CV CV CV LAVABO.
L’histogramme 2 montre bien un effet de la forme orthographique sur la
réussite orthographique : il y a respectivement et par ordre croissant, plus de
bonnes réponses sur les réguliers puis sur les préséants puis, seulement, sur les
irréguliers.
Discussion
Ecrire un mot sous sa forme conventionnelle dépend bien de sa structure
syllabique (F 90.9 p.0001) et de sa forme orthographique (F 67.4 p.0001). En ce

8 Plan : S20*St4*Co3. Il comprend 2 structures syllabiques instables et 2 structures syllabiques stables ; à


l’intérieur de chacune, les mots sont répartis en 3 catégories orthographiques : réguliers, irréguliers et pré-
séants

121
sens, nos résultats constituent a) une validation générale du rôle de la phonolo-
gie dans l’écriture puisque le nombre de bonnes réponses varie en fonction de la
structure syllabique des mots b) une validation de l’analyse du français écrit
selon laquelle, en français, on a plutôt affaire à un continuum d’irrégularités
qu’à des catégories exclusives de mots réguliers versus irréguliers, compte tenu
de leurs caractéristiques phonologiques. Examinons ces interprétations.
L’effet de la catégorie orthographique du mot semble indéniable. Il est
significatif sur chaque analyse et se traduit toujours de la même façon : quelle
que soit la structure syllabique du mot, il y a respectivement plus d’erreurs
orthographiques sur les mots irréguliers, puis sur les préséants puis sur les mots
réguliers. En somme, plus le mot est irrégulier, plus il est source d’erreurs ;
inversement, plus le mot est régulier, moins il est source d’erreurs.
Des résultats similaires sont trouvés (entre autres) par Sprenger-Charolles
(1992). Elle observe un effet de régularité (les mots réguliers sont lus et écrits
plus facilement que les mots irréguliers) qui est indépendant de la fréquence du
mot ; elle conclut que le traitement de l’information écrite s’effectue par recours
à la médiation phonologique exclusivement (l’absence d’effet de fréquence est
interprété comme l’absence d’un lexique orthographique). Une analyse plus pré-
cise des mots du français écrit nous a amenées à former une nouvelle catégorie
orthographique fondée sur la fréquence (i.e. les mots préséants) et nous permet
de préciser la nature de l’effet de régularité en question. Comme Sprenger-Cha-
rolles, nous observons bien un effet de régularité, c’est-à-dire moins d’erreurs
sur les réguliers que sur les irréguliers, mais nous observons également un effet
de fréquence puisqu’il y a aussi moins d’erreurs sur les préséants que sur les
irréguliers. Nos résultats impliquent donc la présence simultanée d’un effet de
régularité et d’un effet de fréquence ; ils ne peuvent en conséquence confirmer
l’interprétation proposée par Sprenger-Charolles. Ils vont plutôt dans le sens de
ceux de Goswami (1988), Rieben (1989) ou Rieben et Saada-Robert (1991) :
ces auteurs postulent l’existence d’un stock mémorisé des formes graphiques les
plus fréquentes, ce qui impliquerait plusieurs stratégies d’écriture.
Cela étant, dire qu’il y a moins d’erreurs sur les réguliers que sur les
autres mots ne suffit pas ; encore faut-il expliquer ces erreurs là. On peut suggé-
rer, comme Treiman (1985) que des erreurs sur les mots réguliers ne peuvent
révéler un problème d’irrégularité orthographique et reflètent plutôt des difficul-
tés d’ordre phonologique. Nos résultats vont bien dans ce sens : les mots à
consonne finale entraînent plus d’erreurs que les autres, quelle que soit la caté-
gorie orthographique ; en outre, sur les réguliers, la structure syllabique est
source de variation uniquement à cause de la structure CV CVC BAZAR. Ainsi, les
réguliers instables entraînent plus d’erreurs orthographiques que les réguliers

122
stables. Aussi peut-on conclure que les mots à consonne finale posent plus de
problèmes que les mots à voyelle finale parce qu’ils sont phonologiquement
instables et que l’instabilité phonologique constitue une source d’erreurs ortho-
graphiques.
Les résultats sur les mots en e muet final impliquent une interprétation
plus délicate. En effet, ils invalident notre hypothèse syllabique puisqu’ils pré-
sentent plus de bonnes réponses que les trisyllabes stables finissant par une
voyelle autre que e muet. Deux types d’interprétation sont envisageables. La
première interprétation consisterait à dire qu’il y a ici un conflit entre la forme
orthographique du mot et sa forme phonologique. Bien qu’instables phonologi-
quement, les mots en e muet sont tous relativement réguliers du point de vue de
l’orthographe (rappelons que leur irrégularité consiste en un doublement de la
consonne) et cette caractéristique primerait sur l’autre. La seconde interprétation
mérite plus d’attention.
Considérons l’histogramme 3 sur la distribution des bonnes réponses sur
les mots en e muet par rapport aux autres dans les différentes catégories ortho-
graphiques.

Histogramme 3 : Interaction structure syllabique & catégorie orthographique

Variable dépendante : bonnes réponses

Les bonnes réponses semblent aléatoirement réparties. Dans la catégorie


des réguliers (ex. DÉLICE), les mots en e muet présentent a) plus de bonnes
réponses que CV CVC SUPER b) autant de bonnes réponses que CV CV MOTO
c) autant de bonnes réponses que CV CV CV LAVABO. Dans la catégorie des pré-
séants (ex. SILENCE), les mots en e muet présentent a) plus de bonnes réponses

123
que CV CVC TENNIS b) moins de bonnes réponses que CV CV FÉLIN c) plus de
bonnes réponses que CV CV CV MÉDECIN. Dans la catégorie des irréguliers (ex.
TONNERRE), les mots en e muet présentent a) plus de bonnes réponses que CV
cVC DÉPART b) autant de bonnes réponses que CV CV TAPIS c) plus de bonnes
réponses que CV CV CV TABOURET.
Si les mots en e muet ne présentaient pas de problème particulier du point
de vue de l’orthographe (cf. première interprétation), ils devraient comporter systé-
matiquement plus de bonnes réponses que les autres ; or ça n’est pas le cas : ils en
comportent parfois plus, parfois moins, parfois autant. La seule régularité concerne
le contraste entre ces mots et ceux qui comportent une consonne finale. C’est pré-
cisément cette variabilité qui nous amène à considérer qu’ils se comportent tantôt
comme des structures instables et tantôt comme des structures stables. Nous déga-
geons de ce constat l’hypothèse que le locuteur toulousain traite ces mots comme
des mots phonologiquement stables. Cette interprétation éclaire des résultats à
priori incohérents : les mots en e muet présentent plus de bonnes réponses que la
structure instable par excellence CV CVC BAZAR mais moins de bonnes réponses
que la structure stable par excellence CV CV BATEAU ; ils présentent plus de bonnes
réponses qu’une structure syllabique stable de 3 syllabes (ex. CV CV CV TABOURET)
comportant par définition des mots plus irréguliers.
Ces différents résultats apportent des vues nouvelles sur les erreurs ortho-
graphiques produites en période d’apprentissage : la régularité orthographique
n’est pas la seule contrainte orthographique ; il faut également compter avec la
fréquence lexicale et surtout avec l’information phonologique contenue dans les
mots. Une seconde expérience est conçue pour appuyer ce dernier résultat.
Expérience 2
Présentation
L’objectif de l’expérience 2 est de vérifier si le statut phonologique des
consonnes du français entraîne des erreurs spécifiques. Nous avons constitué un
corpus de stimuli comprenant 493 syntagmes variant en fonction de différents
contextes d’enchaînement (ex. SUPER AMI), de liaison (ex. PETIT AMI) et des
contextes de contrôle (ex. SUPER JEU, PETIT JEU). La procédure est la même que
dans l’expérience précédente mais les résultats font l’objet d’une analyse quali-
tative.
Résultats et discussion sur les erreurs consonantiques en syntagme
La comparaison entre les erreurs effectuées en contexte d’enchaînement
et de liaison pointe une différence fondamentale entre les erreurs orthogra-
phiques affectant une consonne finale de mot et une consonne de liaison.

124
Quel que soit le contexte à droite du syntagme, une voyelle (enchaîne-
ment) ou une consonne (contrôle), la consonne finale de mot entraîne surtout
des erreurs sur le contexte à gauche du syntagme (1° mot du syntagme). Par
conséquent l’attaque vide du 2° mot est largement préservée. La majorité des
erreurs sont de simples omissions (ex. LEU ENFANT, AVOI PEUR), déplacements
(ex. SUPRE AMI, DU FLI DASSIER) ou insertions d’un e muet (ex. BOCALE A CONFI-
TURE, L’ARCE DE TRIONFE) ; elles ressemblent en tout point à celles de l’expé-
rience 1 dans laquelle le contexte à droite était une pause. Aussi peut-on dire
que le contexte à droite n’influence guère la réussite orthographique d’un mot à
consonne finale. Les choses sont très différentes en contexte de liaison comme
l’indique le tableau 1 ; observons que les erreurs sont plus complexes qu’en
enchaînement et que contrairement à l’enchaînement, la liaison suscite le rem-
plissage de l’attaque vide du second mot du syntagme.

Tableau 1 : Types d’erreurs en contexte de liaison

Contexte gauche Contexte droite Exemples


Types
1 CL correcte CL rédupliquée UN GRAND TAPELLE
2 CL par défaut CL correcte UN GROT SOURCE
3 CL omise CL déplacée UN GREN TABOME
4 CL correcte CL hors contexte UN LECUREUIL
5 CL correcte CL du contexte UN BOBJET

Dans le type 1, on est en présence de deux consonnes de liaison et ce type


d’erreurs est le plus fréquent. Dans le second cas, on observe à gauche une
consonne de liaison par défaut, c’est-à-dire une consonne de liaison plausible
mais qui n’appartient pas à celle de l’entrée lexicale tandis qu’apparaît à droite
la consonne de liaison réelle. Dans le troisième cas, il n’y a pas compétition
entre deux consonnes ; la consonne de liaison est omise à gauche et déplacée ou
reportée à droite. Dans le quatrième cas, le contexte gauche est correctement
orthographié mais, à droite, apparaît une consonne de liaison hors contexte,
c’est-à-dire une consonne qui fait office de liaison mais qui ne constitue jamais
une consonne de liaison. Dans le cinquième et dernier cas, la consonne de liai-
son est correctement sélectionnée et correctement positionnée mais à droite, une
nouvelle consonne apparaît par réduplication mais ne joue jamais le rôle de liai-
son ; comme celles du premier type, ces erreurs sont fréquentes.

125
Ainsi, un contexte de liaison n’entraîne pas les mêmes erreurs qu’un
contexte d’enchaînement. Il semble qu’à chacune de ces consonnes correspond
une stratégie d’écriture particulière. La présence d’erreurs dans les deux
contextes de la frontière en liaison peut en effet signifier que l’enfant ne sait pas
à quelle unité lexicale appartient cette consonne ; pour autant, le contexte de
liaison semble repéré par l’apprenant qui tend à poser une « marque » entre les
deux mots du syntagme. C’est en tous cas ce que semble indiquer la variété des
erreurs en liaison, variété absente en enchaînement. En somme, ces erreurs sug-
gèrent que dans la lexicalisation des mots comportant une consonne de liaison,
ce segment flottant n’est pas représenté. Contrairement à une consonne finale de
mot, une consonne de liaison n’aurait pas fait l’objet d’un processus de lexicali-
sation à cette période de l’apprentissage.

◆ Conclusion
L’objectif de cette recherche est d’étudier la source des erreurs orthogra-
phiques en période d’apprentissage sous le double éclairage de la linguistique et
de la psycholinguistique. Une approche théorique du français écrit et oral per-
met de proposer des hypothèses de travail très précises, testées expérimentale-
ment.
Les résultats indiquent que l’orthographe, analysée comme un continuum
d’irrégularités est une source d’erreurs écrites, mais ça n’est pas la seule. La
structure syllabique des mots impose aussi une contrainte orthographique sur la
production écrite.
Cette recherche, nouvelle en français, apporte une contribution à l’étude
des processus d’apprentissage de l’écriture, susceptible d’améliorer les modèles
développementaux en tenant compte de la proposition de l’organisation des
connaissances phonologiques et orthographiques dans le lexique mental.

126
REFERENCES
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127
La neuropsychologie cognitive
de l’orthographe
Helgard Kremin

Résumé
Cette revue des troubles de l’écriture présente de l’évidence expérimentale en faveur de la
notion de trois procédures différentes pour la production d’un stimulus dicté - à savoir
(I) une voie lexicale activant des unités sémantiques, (II) une voie lexicale mais non séman-
tique et (III) une voie non lexicale où l’output est obtenu par un processus de conversion
phonème-graphème. On insiste par ailleurs sur l’indépendance relative du mode de réalisa-
tion de la chaîne graphémique (écriture versus épellation orale).
Mots clés : Traitement de l’information, écriture, épellation, pathologie.

A cognitive neuropsychological approach to spelling

Abstract
This review of the literature on central writing disturbances and presents empirical evidence
indicating the existence of three different pathways leading to the production of written
material from dictation : (I) a lexical pathway mediated by semantic analysis, (II) a lexical but
non semantic pathway, and (III) a non lexical writing procedure based on phoneme-to-gra-
pheme conversion. Special attention is given to the mode of production of the abstract gra-
pheme sequence in writing as compared to oral spelling.
Key Words : Information processing, writing, oral spelling, pathology.

129
Helgard KREMIN 1
INSERM-CRI 9609
Laboratoire de Pathologie du Langage
Bât. Nouvelle Pharmacie-3e étage
Hôpital La Salpêtrière
47 Bd de l’Hôpital
F - 75651 Paris cedex 13

◆ L’orthographe : approche neuropsychologique


Il est évident que l’on peut écrire sans avoir recours à l’orthographe ou à
une compréhension sémantique quelconque. De ce fait témoigne notre faculté
de pouvoir écrire des logatomes, c’est-à-dire des syllabes qui, par définition,
n’ont pas d’entrée lexicale dans le dictionnaire. Leur traitement se fait par utili-
sation de procédures non lexicales.
S’il s’agit d’une tâche de dictée, la (re)production du stimulus auditif par
la voie phonologique non lexicale comportera les étapes suivantes (cf. figure
voie A) : après l’analyse auditive et la conversion acoustico-phonémique, la
représentation phonologique de la séquence est stockée dans un buffer phonolo-
gique où se fait la segmentation en unités phonologiques en vue du transcodage
en graphèmes par un processus de conversion phonème-graphème (CPG) ; la
séquence de graphèmes ainsi produite est stockée dans le buffer graphémique en
vue de l’application des traitements périphériques impliqués dans la réalisation
écrite de la séquence de graphèmes.
Les règles de correspondance entre phonèmes et graphèmes (CPG) sont
« fixes », néanmoins elles permettent une grande variabilité lors de la produc-
tion écrite. Ainsi, on distingue des phonèmes qui sont toujours transcodés sans
équivoque en un seul graphème, par exemple : /a/ -> « a » /d/ -> « d ». Pour
d’autres phonèmes, par contre, les règles de CPG permettent plusieurs réalisa-
tions graphiques différentes, par exemple : /i/ -> « i » ou « y » ; /f/ -> « f » ou «
ph » ; /s/ -> « s » ou « c » ou « ss » ou « t » ou « ç », etc.

1 Adresse de correspondance : Helgard Kremin, Directeur de recherche au CNRS.


hkremin@infobiogen.fr - Tél. : 01 42 16 22 03 - Répondeur : 01 45 85 20 24 - Fax :01 53 79 08 25.

130
Production Production
orale écrite/épelée

Représentation des mécanismes impliqués lors de l’écriture sous dictée :


A : voie non lexicale ; B : voie lexicale
B1 : voie lexico-sémantique ; B2 : voie lexicale directe

Mentionnons à ce propos que l’écriture par CPG ne semble pas dépendre


des processus articulatoires : Bishop (1985 ; avec Robson, 1986) a observé que
des sujets atteints de dysarthrie congénitale ou d’anarthrie peuvent écrire des
logatomes au même niveau que les sujets témoins.
L’utilisation exclusive de la voie non lexicale en écriture sous dictée per-
met la bonne reproduction de logatomes, mais elle ne garantit pas la reproduction
de tous les mots de la langue. Ceci tient au fait qu’il n’y a pas de règles d’ortho-
graphe pour l’écriture de logatomes. L’écriture de mots, par contre, est régie par

131
les conventions orthographiques de la langue. Ainsi, notre dictionnaire écrit
contient une seule entrée lexicale pour la forme phonologique /fεzã/ -> faisan.
L’écriture par simple CPG permettra pourtant d’autres réalisations de ce même
stimulus auditif. Pour écrire correctement la plupart des mots de la langue, plus
précisément ceux caractérisés par un certain degré d’ambiguïté orthographique
ainsi que les mots irréguliers, il faut donc accéder au lexique orthographique.
Le lexique orthographique est l’aire où l’orthographe globale des mots
appris est stockée en mémoire. Il est généralement conçu comme contenant des
descriptions abstraites des séquences de lettres formant des mots. Contrairement
au postulat classique (cf. Geschwind, 1967) selon lequel la production écrite
serait toujours secondaire à la production orale et dépendrait ainsi de cette der-
nière, l’approche dite du traitement de l’information (cf. figure d’après Morton,
1980) accorde à chaque mode de production (oral vs écrit) un statut lexical indé-
pendant. De fait, la littérature présente des exemples témoignant d’une telle indé-
pendance. Elle a été décrite entre déficits en dénomination orale et déficits en
dénomination écrite (Bub & Kertesz, 1982a ; Hier & Mohr, 1977 ; Lhermitte &
Dérouesné, 1974 ; Michel, 1979). Ainsi, le patient étudié par Lhermitte &
Dérouesné (1974) dénomme bien par écrit noix, bicyclette et sauterelle tandis
que les réponses orales sont une dam, une fogram, une trenam respectivement.
L’indépendance des deux lexiques de sortie a également été décrite entre déficits
en répétion / lecture et en écriture. Enfin, les deux patients étudiés par Caramazza
& Hillis (1990) produisent de nombreuses erreurs sémantiques quand l’output est
oral tandis que ce genre d’erreur ne s’observe pas lors de la production écrite.
Initialement le lexique orthographique de sortie (en écriture) et le lexique
orthographique d’entrée (en lecture) ont été conçus comme un lexique unitaire
(Marshall & Newcombe, 1973). Ceci à cause du parallélisme parfois remar-
quable entre les performances en lecture et écriture de sujets atteints soit de dys -
lexie / dysgraphie 2 du type « profond » (par exemple Nolan & Caramazza,
1982 ; 1983) soit de dyslexie / dysgraphie du type « surface » (par exemple Kre-
min, 1980, 1985 ; Marcel, 1980). Il y a toujours des défenseurs du lexique
orthographique unique (Allport & Funnell, 1981 ; Coltheart & Funnell, 1987 ;
Katz & Deser, 1991) mais les modèles avec séparation entre un lexique ortho-
graphique graphique de sortie et un lexique orthographique d’entrée visuel
(Morton, 1980 ; Ellis, 1982) jouissent d’une acceptation plus générale - (cf. Bub
& Chertkow, 1989, et Tainturier, 1966, pour une discussion plus détaillée). Il est
en effet possible que les associations de syndromes similaires en lecture et écri-

2 Le terme « dysgraphie », dérivé de la terminologie anglo-saxonne, est employé pour parler des troubles de
l’orthographe et ne se réduit pas aux troubles concernant le graphisme.

132
ture soient fortuites et seulement dues à la proximité des substrats lésionnels
sous-jacents. Par ailleurs, les exemples de dissociations, c’est-à-dire des patterns
de performances différents en lecture et en écriture s’accumulent. Ainsi Bub &
Kertesz (1982b) ont présenté un cas de « dysgraphie profonde » sans « dyslexie
profonde » associée. Howard & Franklin (1988) décrivent MK, un cas de « dys-
graphie profonde » qui, en lecture, présente une « dyslexie de surface ». Une
constellation similaire est rapportée pour GI, le cas étudié par Kremin (1994).
Enfin, deux cas de « dysgraphie profonde » ont été décrits qui, en lecture, utili-
saient la voie lexicale directe non sémantique (Coslett, 1991 ; Kremin, 1987).
Da ns ce contexte, mentionnons égale ment qu’un suj et a tteint de
« dysgraphie/dyslexie de surface » (FRA - Kremin, 1980), montrait, en répéti-
tion, une « dysphasie profonde » (BF - Goldblum, 1979).
Rappelons encore que RG, le cas princeps de Beauvois & Dérouesné
(1979 ; 1981), pouvait écrire des logatomes qu’il ne pouvait pas lire et lire des
mots irréguliers qu’il ne pouvait écrire. Toutefois, selon Allport & Funnel
(1981) qui défendent l’hypothèse d’un lexique orthographique unique, commun
à l’écriture et à la lecture, le cas de RG serait « neutre » par rapport au problème
du lexique unique ou multiple : en effet, ils postulent, pour l’écriture non lexi-
cale, un mécanisme séparable, disconnecté du lexique orthographique.
En dictée, la transmission de l’information jusqu’au lexique orthogra-
phique de sortie se fait par les étapes suivantes : après l’analyse auditive, l’infor-
mation atteint le lexique phonologique d’entrée dans lequel sont stockées les
formes phonologiques des mots que l’individu est capable de reconnaître auditi-
vement. Si le sujet reconnaît la forme phonologique du mot dicté, cette informa-
tion va activer la représentation sémantique correspondante dans le système
cognitif qui, à son tour, va permettre l’activation d’une représentation graphé-
mique dans le lexique orthographique. Cette voie pour l’écriture des mots est
donc lexicale et sémantique (cf. figure voie B1).
Le niveau d’analyse sémantique n’a que très peu été discuté dans le cadre
des modèles théoriques. Seules les erreurs sémantiques produites par des
patients présentant une perturbation des mécanismes de transcodage ont donné
lieu à des essais de descriptions plus précises quant à la localisation de la lésion
fonctionnelle au cours du traitement du stimulus (par exemple Hillis et al.,
1990). Le niveau de l’analyse grammaticale, c’est-à-dire l’effet des parties du
discours sur les performances est également peu précisé et son interprétation
reste contradictoire. Selon le modèle de Morton les analyses grammaticale et
sémantique sont effectuées lors de l’étape de traitement par le système cognitif.
Un éventuel effet catégoriel se situerait donc à ce niveau central du savoir ou

133
relèverait d’un problème de transmission de l’information vers les lexiques de
sortie. Selon d’autres auteurs, l’organisation catégorielle concerne aussi les
lexiques de sortie (par exemple Baxter & Warrington, 1985 ; Caramazza & Hil-
lis, 1991).
Mais dès l’élaboration de son modèle cognitif pour l’écriture, Morton
(1980) envisage la possibilité d’une voie lexicale directe à côté de la voie
lexico-sémantique que nous venons de décrire. Cette voie traite les mots de la
langue, mais elle est non sémantique : elle procéderait par activation directe des
représentations orthographiques à partir des représentations phonologiques
contenues dans le lexique phonologique d’entrée, sans médiation sémantique
(cf. figure voie B2). Selon cette position, il devrait y avoir des patients qui écri-
vent correctement des mots qu’ils ne comprennent pas. Morton (1980) rapporte
ce cas de figure. En dictée, Gail écrivait correctement PLOUGH, un mot irrégu-
lier qu’elle ne pouvait pas définir : « J’ai oublié ce que c’est... je le vois dans un
champ... une espèce de machine... ça a à faire avec la terre... ». Le fait que la
patiente ait produit la forme graphique PLOUGH, orthographiquement correcte
(et non PLOW qui aurait été le résultat d’un traitement non lexical par CPG)
témoigne de l’utilisation de la voie lexicale directe.
Par ailleurs, Ellis (1982) a postulé l’existence d’une telle voie non séman-
tique pour rendre compte, dans la production écrite de sujets normaux, de lapsus
homophoniques, comme par exemple there -> their, wait -> weight. Ce qui rend
ces erreurs remarquables c’est que l’homophone produit répond à des règles de
CPG atypiques, l’exemple pertinent en français serait « vingt » pour « vin ». La
possibilité d’une médiation phonologique est donc exclue. De telles erreurs ten-
draient à prouver que, dans certains cas, l’entrée dans le lexique orthographique
de sortie résulterait d’une activation directe du lexique phonologique d’entrée,
sans médiation sémantique.
Enfin, les chaînes de graphèmes (transmises soit par le lexique orthogra-
phique de sortie soit par la voie de CPG) aboutissent au buffer graphémique,
une mémoire tampon dans laquelle ces séquences (correspondant à des mots et
des non-mots) sont temporairement stockées. Le maintien en mémoire de travail
de la séquence globale serait nécessaire pour empêcher que l’information gra-
phémique ne se dégrade pendant le temps requis pour sa réalisation concrète
écrite. Il a été démontré (Caramazza & Miceli, 1990) que les représentations
graphémiques ne consistent pas en simples séquences linéaires de graphèmes
mais correspondent à des structures multidimensionnelles spécifiant (I) l’iden-
tité des graphèmes, (II) leur statut en tant que consonne ou voyelle ainsi que
(III) la structure grapho-syllabique à l’intérieur de la séquence graphémique.
Les recherches en pathologie du langage suggèrent qu’une quatrième dimension

134
porte sur le nombre de graphèmes spécifiés : lettre isolée vs lettres doubles
(Miceli et al., 1995 ; Venneri et al., 1994).
Après le niveau du buffer graphémique les modèles postulent une sépara-
tion des voies de traitement selon les diverses modalités de production : écriture
manuelle, frappe à la machine à écrire, lettres mobiles, épellation orale (Ellis,
1982 ; Margolin, 1984). Pour l’écriture au sens propre (c’est-à-dire l’écriture
manuelle), le système allographique constitue la première étape de traitement
vers la réalisation de la lettre. On désigne sous le terme allographe les diffé-
rentes représentations possibles d’un même graphème quant au style (cursive /
imprimerie) et à la casse (majuscule / minuscule).
L’étape suivante concerne l’activation du programme moteur spécifique
de la lettre cible. Le pattern moteur déterminerait la forme envisagée de l’allo-
graphe : la taille, l’ordre et la direction des traits qui forment la lettre manus-
crite. Finalement, ce code activerait les instructions neuromusculaires spéci-
fiques pour l’exécution des mouvements d’écriture - (cf. Ellis, 1988, et Lambert,
1996, pour une présentation détaillée des « dysgraphies périphériques »).

◆ Les troubles de l’écriture caractérisés par une perturbation


de l’orthographe
Des patients manifestant une atteinte relativement sévère de la procédure
lexicale avec préservation du fonctionnement de la voie non lexicale par CGP
ont été décrits. Ils souffrent du syndrome de « dysgraphie lexicale » ou, par ana-
logie avec le trouble spécifique de lecture, de « dysgraphie de surface » (par
exemple Beauvois & Dérouesné, 1981 ; Hatfield & Patterson, 1983 ; Baxter &
Warrinton, 1987 ; Goodman & Caramazza, 1986a ; cf. aussi Patterson, Marshall
& Coltheart, 1985). Ces patients sont capables d’écrire des logatomes mais l’or-
thographe fait défaut quand il s’agit d’écrire des mots. Le premier cas « type »
étudié par Beauvois & Dérouesné (1981) réussit l’écriture sous dictée de loga-
tomes à 99%, tandis que l’écriture des mots se caractérise par de nombreuses
erreurs orthographiques reproduisant généralement une forme homophone au
mot cible (comme par exemple, moelle -> moile, sens -> cence ; ciseaux ->
sizo ; fuel -> fioul ; femme -> famme). Conformément à la notion de procédure
d’écriture par transcodage, on constate l’absence d’influence de tout paramètre
lexical : ni la concrétude, ni l’imagerie, ni la classe grammaticale du mot n’exer-
cent une influence sur les performances du sujet utilisant la voie non lexicale.
Par contre, l’orthographe c’est-à-dire le degré d’ambiguïté orthographique et
l’irrégularité constituent les variables cruciales de ce trouble de l’écriture. Dans
l’étude de Roeltgen & Heilman (1984), le groupe de 4 patients atteints de dys-

135
graphie lexicale écrivait bien 73% des mots réguliers pour seulement 44% de
réussite lors de la dictée de mots irréguliers. En ce qui concerne le degré (bas,
moyen et haut) d’ambiguïté orthographique des mots, les réussites du même
groupe de sujets se situaient à 95%, 88% et 65%.
Soulignons que les relations entre son et forme graphique ne dépendent
pas nécessairement d’une simple correspondance entre phonèmes et graphèmes
isolés. Baxter & Warrington (1987) ont en effet montré que le sujet K.T. était
capable de produire, pour chaque son étudié, les différents types de transcodage
possibles - sans toutefois les utiliser selon la fréquence avec laquelle ils survien-
nent dans la langue.
Il y a probablement plusieurs variétés de déficits responsables de l’utilisa-
tion prépondérante, voire exclusive, de la voie non lexicale, même si les déficits
sous-jacents n’ont généralement pas été recherchés. Rappelons cependant que
comme dans le cas du syndrome de « dyslexie de surface », les sujets se distin-
guent en ce qui concerne la compréhension du stimulus : KT (Baxter & War-
rington, 1987), un sujet atteint d’aphasie transcorticale ne possédait pas de com-
préhension sémantique tandis que HAM (Kremin,1985) comprenait bien les
stimuli. Ainsi, les lésions fonctionnelles sous-jacentes à l’écriture non lexicale
pourraient concerner (I) le système sémantique, (II) le lexique phonologique
d’entrée, (III) le lexique orthographique de sortie. En effet, la dysorthographie
de type « surface » a également été observée en dénomination écrite et en écri-
ture spontanée (Beauvois & Dérouesné, 1981). Ce cas de figure témoignerait
d’une perte des représentations orthographiques ou d’un problème d’accès au
lexique orthographique de sortie.

◆ Troubles de l’écriture caractérisés par la préservation relative


de l’orthographe
De nombreuses études ont confirmé le fonctionnement d’une procédure
lexicale pour l’écriture des mots malgré une atteinte parfois totale de la voie non
lexicale par CPG. Ces patients sont incapables d’écrire des logatomes. Quant à
l’accès au lexique orthographique, les performances de ces malades sont bonnes
en ce sens que l’orthographe conventionnelle de la langue est respectée. La
dimension régularité / irrégularité n’intervient donc pas sur les performances.
Le premier cas de « dysgraphie phonologique » due à l’atteinte spécifique
de la voie non lexicale a été présenté par Shallice (1981) : RP écrivait bien les
mots (94%) alors que l’écriture des logatomes était très déficitaire (18% de
réussites). Toutefois, comme plusieurs autres sujets atteints de dysgraphie pho-
nologique décrits par la suite (par exemple Baxter & Warrington, 1985 ; Good-

136
man & Caramazza, 1987 ; Roeltgen et al., 1983), RP montrait un effet de classe
grammaticale, les mots fonctionnels conduisant à plus d’erreurs. Que ce déficit
sur les mots fonctionnels (qui sont pourtant bien répétés) reflète un trouble asso-
cié ne relevant pas du dysfonctionnement de la voie non lexicale a été démontré
par la description de cas plus « purs » qui n’avaient aucune difficulté particu-
lière avec cette catégorie de mots (Bub & Kertesz, 1982a ; Roeltgen & Heilman,
1984 : cas n° 5 et 8).
Dans un autre syndrome qui témoigne également d’une atteinte de la voie
non lexicale pour l’écriture, appelé « dysgraphie profonde », on observe, de
manière systématique, un effet de la classe grammaticale des mots. Toutefois,
c’est la production de paragraphies sémantiques qui en est le signe majeur (par
exemple, Bub & Kertesz, 1982b ; Hatfield, 1982 ; Nolan & Caramazza, 1983 ;
Patterson & Shewell, 1987). La comparaison des performances de JC, un sujet
anglophone étudié par Bub & Kertesz (1982b), et de GI, un sujet francophone
étudié plus récemment (Kremin, 1994), montre une grande similarité d’un point
de vue quantitatif. Dans les deux cas, l’écriture de logatomes était sévèrement
atteinte : 5% de réussite pour JC et 0% de réussite pour GI. La dictée des mots
montre l’influence de la classe grammaticale et du degré de la concrétude : les
performances respectives sont 83% et 75% sur les noms concrets, 40% et 25%
pour les noms abstraits, 35% et 20% pour les verbes et 30% et 8% pour les mots
fonctionnels. Par ailleurs, chez les deux patients, on ne note aucune influence du
degré d’ambiguïté orthographique. Chez le sujet francophone, on a également
évalué l’influence de la fréquence des mots. Elle n’exerce aucune influence sys-
tématique sur les performances en écriture : les noms concrets de haute fré-
quence sont réussis à 65% (13/20) et ceux de basse fréquence à 85% (17/20) ;
les noms abstraits de haute fréquence sont réussis à 10% (2/20) et ceux de basse
fréquence à 40% (8/20) ; les verbes de haute fréquence sont réussis à 25%
(5/20) et ceux de basse fréquence à 15% (3/20).
Toutefois, les lésions fonctionnelles qui donnent lieu à ces performances
quantitativement similaires ne sont pas identiques. Chez JC, les auteurs
concluent à une atteinte au niveau du lexique orthographique de sortie puisque
la compréhension écrite et orale du sujet est relativement préservée. En
revanche, chez GI nous devons surtout évoquer une difficulté de transmission
entre le lexique phonologique d’entrée et le système sémantique. En effet, en
dépit d’une bonne reconnaissance des mots présentés auditivement (jugée
d’après les performances dans une tâche de décisions lexicales auditives), GI les
« comprend » beaucoup moins bien que lors de la présentation visuelle. Discu-
tons, à titre d’illustration, les performances de GI lors de tâches concernant les
verbes. Le patient qui souffre d’un déficit spécifique quant à la production de

137
verbes (Kremin, 1994), dénomme par écrit 60% (18/30) des images d’actions.
L’écriture sous dictée des mêmes noms d’actions pourtant ne donne lieu qu’à
23% (7/30) de réussite. Mais alors pourquoi ce même stock lexical de 18 noms
d’actions (qui est bien produit en dénomination écrite) ne peut-il pas être réalisé
sous dictée ? Pour répondre à cette question, nous avons comparé deux tâches
différentes : l’écriture sous dictée de noms d’actions présentés (I) comme mots
isolés et (II) dans un contexte phrastique (par exemple « SORTIR » : le
concierge sort de la maison). Quand les verbes sont dictés comme mots isolés,
l’échec du patient est élevé : seulement 23% de réussite, comme déjà men-
tionné. Par contre, quand ces mêmes noms d’actions sont dictés dans le contexte
d’une phrase, le sujet atteint un score similaire en dictée et en dénomination
écrite (56% et 60%). Ce pattern de performances paraît suggérer que le patient a
besoin d’un « surplus » d’information en présentation auditive pour atteindre le
degré d’information offert par une image lors de la dénomination. Sur la base de
ces constatations, on évoquerait donc un problème d’accès à la compréhension.
Ce trouble de compréhension n’est pas central mais bien spécifiquement lié à
l’accès en modalité auditive.
Chez d’autres sujets, la production d’erreurs sémantiques en écriture
semble liée à une perturbation au niveau du système sémantique. Une étude par-
ticulièrement détaillée de ce genre de lésion fonctionnelle a été présentée par
Hillis et al. (1990). Elle concerne le sujet KE : soulignons à ce propos que mal-
gré son incapacité d’utiliser les mécanismes de transcodage non lexical en écri-
ture et en lecture, KE ne présentait pas le pattern typique de perturbations « pro-
fondes ». Une telle constellation est toutefois en accord avec la notion d’une
indépendance relative des lésions fonctionnelles sous-jacentes à la production
d’erreurs sémantiques et l’effet des parties du discours (cf. Roeltgen et al.,
1983 ; voir aussi Kremin, 1982).
L’ensemble des données que nous venons de citer semble permettre d’en-
visager des « localisations fonctionnelles » bien différentes pour la production
d’erreurs sémantiques en dictée. Tout comme pour la lecture des mots isolés
(Kremin, 1989), on distinguera donc (I) la possibilité de problèmes d’accès
auditif (au niveau du lexique phonologique d’entrée ou au niveau de l’accès aux
représentations sémantiques), (II) des perturbations centrales au niveau de l’ana-
lyse sémantique et (III) des déficits post-sémantiques au niveau du lexique
orthographique, soit au niveau des représentations elles-mêmes soit au niveau
des processus permettant d’accéder à ces représentations à partir du système
sémantique.
Enfin, toutes les observations citées de patients avec perturbation de
l’écriture phonologique et préservation relative de l’orthographe - souffrant

138
donc de dysgraphie phonologique ou de dysgraphie profonde - sont compatibles
avec la notion d’une voie sémantique pour l’écriture sous dictée de mots. En
fait, les patients qui éprouvaient des difficultés lors de l’écriture de mots fonc-
tionnels en éprouvaient aussi pour les comprendre. Ceci s’applique aussi bien à
la dysgraphie phonologique décrit par Shallice (1981) qu’à des cas de dysgra-
phie profonde (par exemple JC - Bub & Kertesz, 1982b). Enfin, MH, le cas de
dysgraphie phonologique (Bub & Kertesz, 1982a) qui écrivait bien les mots
fonctionnels n’avait pas de difficulté de compréhension.
En revanche, un sujet atteint de dysgraphie phonologique (Baxter & War-
rington, 1985) présente un tableau tout à fait exceptionnel. Malgré la préserva-
tion d’une bonne compréhension orale et écrite, on observait un effet de la
classe grammaticale et du degré de concrétude en dictée. GOS (Baxter & War-
rington, 1985) écrivait seulement 6% (2/30) des logatomes. La dictée des mots
ne révélait aucune influence du degré de régularité phono-graphémique ou de la
fréquence. Par contre, on observait une influence du degré de concrétude (mots
concrets : 97% ; mots abstraits : 69%) et de la classe grammaticale qui, elle,
était indépendante de la dimension concret/abstrait (verbes : 62% ; noms : 86%
de réussites). Selon l’interprétation standard, ce pattern de performance pourrait
s’expliquer par des difficultés post-sémantiques d’accès au lexique orthogra-
phique touchant différemment les diverses catégories de stimuli. Les auteurs
préfèrent néanmoins une autre interprétation basée sur la notion d’un accès
direct (non sémantique) au lexique orthographique qui, lui, serait organisé de
manière catégorielle. En cas de disconnection entre le niveau de traitement
sémantique et le lexique orthographique (et en l’absence de toute écriture par
CPG), l’écriture sous dictée de la patiente dépendrait d’associations directes
entre le lexique phonologique d’entrée et le lexique orthographique de sortie. Si
la documentation du cas présenté par Baxter et Warrington ne permet pas de
trancher entre les deux interprétations possibles, d’autres cas peuvent être cités
en faveur de la notion d’associations directes pour l’écriture des mots.

◆ L’écriture asémantique : la notion d’associations directes


entre la forme phonologique et orthographique des mots
Quelques études de cas semblent en effet témoigner de la réalité psycho-
logique d’une voie directe, c’est à dire lexicale mais non sémantique, pour
l’écriture sous dictée de mots isolés.
Patterson (1986) décrit le sujet GE qui n’était pas tout à fait muet mais ne
produisait quasiment pas d’output oral que ce soit en langage spontané, dénomi-
nation et lecture. L’écriture sous dictée, en revanche, était possible et se caracté-

139
risait par la meilleure production de mots (entre 54% et 78% de réponses cor-
rectes) que de non-mots (environ 33%). Lors de la dictée, ni la régularité ni la
dimension concrète/abstraite des stimuli n’avaient d’influence sur les perfor-
mances du sujet. Par ailleurs, le patient ne produisait pas d’erreurs sémantiques
lors de la dictée, tandis que ce type d’erreurs se manifestait lors de la dénomina-
tion écrite (c’est-à-dire lors d’une tâche impliquant un traitement sémantique).
Enfin, Patterson observe également une différence quant au traitement des sti-
muli auditifs : lors de la compréhension de mots (testée au moyen de tâches de
choix multiples), la concrétude des stimuli jouait un rôle important ; toutefois,
cette variable n’intervenait pas sur les performances en dictée. En l’absence (I)
de la compréhension des stimuli et (II) d’écriture par CPG, l’écriture sous dictée
de GE se faisait par voie directe, lexicale mais non sémantique.
Le patient Michel (Kremin, 1987) doit également être cité quand on
aborde la possibilité d’une voie lexicale directe pour l’écriture. Dans un premier
stade, ce malade présentait une « dysgraphie profonde » typique (avec de nom-
breuses paragraphies sémantiques et l’impossibilité d’écrire des logatomes)
ainsi qu’un trouble sévère de la compréhension de mots présentés auditivement.
Quand nous avons pu réexaminer le patient 6 et 12 mois plus tard, les perfor-
mances dans diverses tâches de compréhension de substantifs étaient aussi
faibles que lors des premiers examens. Toutefois, malgré la persistance du
trouble massif de la compréhension de mots, le patient ne produisait plus d’er-
reurs sémantiques lors de l’écriture sous dictée. Soulignons à ce propos que ce
changement de pattern d’erreurs ne s’explique pas par la réutilisation éventuelle
de l’écriture par transcodage entre phonèmes et graphèmes : à ce stade, Michel
était toujours incapable d’écrire des logatomes. D’un autre côté, la (re)produc-
tion de mots écrits ne paraissait pas non plus être médiatisée par l’analyse ou la
compréhension sémantique comme le suggèrent les observations suivantes.
En effet, nous avions soumis au malade une liste de 60 noms présentés
auditivement. Pour chaque item, la consigne était la suivante : « Répétez le nom
et décidez par OUI/NON si vous le comprenez ; ensuite seulement écrivez le
mot cible ». Il s’avère alors que le malade écrit correctement autant de mots
avec et sans compréhension simultanée. La moitié des mots réussis en dictée est
donc bien produite même si le patient avoue ne pas les comprendre. Une telle
écriture sans compréhension constitue évidemment l’argument principal en
faveur d’une voie directe lors de l’accès auditif en dictée.
Finalement, Goodman & Caramazza (1986b) ont étudié le patient JG,
dont les performances tout à fait singulières en écriture sous dictée sont compa-
tibles avec la notion d’une voie directe. Soulignons tout d’abord que la conver-
sion acoustico-graphique par CPG était préservée. En fait, JG écrivait les loga-

140
tomes mieux que les mots (100% vs 65%). Lors de l’écriture de mots, on ne
notait aucune influence des facteurs sémantico-syntaxiques : les scores relatifs à
l’écriture de noms, verbes, et mots fonctionnels étaient identiques ; de même, la
concrétude des stimuli ne jouait aucun rôle.
Toutefois, l’écriture des mots était déficitaire. Les auteurs contrôlaient
d’abord les capacités d’accès auditif à la compréhension sémantique des
mots : or JG pouvait donner (par écrit) des définitions adéquates de mots pré-
sentés auditivement. La lésion fonctionnelle doit donc se situer à un stade pos-
térieur au traitement sémantique, c’est à dire au niveau de l’accès au lexique
orthographique de sortie. Si tel est le cas, le déficit devait être indépendant de
la tâche expérimentale mobilisant ce niveau de traitement de l’information.
C’est en étudiant les performances du sujet lors de la dénomination écrite
d’images que les auteurs constataient que la fréquence des items à dénommer
intervenait de manière significative (les items de basse fréquence entraînant
plus d’erreurs).
Sur la base de ces constations, Goodman et Caramazza décidaient d’ex-
plorer, de manière plus détaillée, l’accès au lexique graphique chez JG. Les
auteurs utilisaient la tâche d’écriture sous dictée de mots qui sont homophones
mais non homographes (comme, par exemple, sel-selle ; thym-teint ; etc.). Ces
mots étaient présentés auditivement et suivis d’une définition brève ; puis le mot
cible était à nouveau présenté isolément au patient qui devait l’écrire. Les sti-
muli homophones étaient répartis en trois listes expérimentales selon la fré-
quence des items : (a) une liste comportant des paires d’homophones de fré-
quence élevée ; (b) une liste comportant des paires de basse fréquence ; (c) une
liste comportant des paires d’homophones dont l’un est plus fréquent que
l’autre. Selon l’hypothèse de travail des auteurs, les paires de basse fréquence
risquaient de ne pas atteindre les seuils d’activation permettant un output écrit
par accès au lexique. (Les paires de basse fréquence pouvaient donner lieu à une
production de non-mots phonologiquement plausibles car JG disposait aussi de
l’écriture par CPG). En revanche, les paires de haute fréquence devaient être
écrites de manière orthographiquement correcte. Enfin, l’écriture sous dictée
des paires d’homophones « composites » était susceptible de produire un pattern
bien spécifique, caractérisé par une tendance à substituer son homologue de
haute fréquence, à un item de basse fréquence, c’est à dire à confondre les
homophones. Ces différents effets attendus ont été observés. En ce qui concerne
les paires « composites », on a relevé 65% de confusions entre homophones, les
erreurs se produisant selon la direction prévue. A nouveau, ces résultats sont
compatibles avec la notion d’une voie directe, lexicale mais non sémantique,
pour l’écriture de mots isolés.

141
◆ Troubles de l’écriture empêchant la réalisation de l’orthographe
L’information traitée par les voies lexicales ou par la voie non lexicale est
envoyée au buffer graphémique. Il s’agit d’une « mémoire tampon », un système
mnésique à court terme dont le rôle serait de maintenir l’information le temps
nécessaire pour l’application des traitements périphériques entraînant une forme
graphique (les lettres) ou en nom de lettres (en vue de l’épellation orale). De ce
fait, le buffer graphémique occupe une place centrale entre l’accès aux représen-
tations orthographiques et leur réalisation concrète. Il constitue la première
composante périphérique de la production écrite. En conséquence, une perturba-
tion à ce niveau affecte autant l’écriture des mots que celle des logatomes.
A ce niveau du traitement, les « graphèmes » sont des entités abstraites
qui ne sont pas encore dotées d’un format précis ; c’est le niveau de traitement
suivant, le système allographique, qui constitue la première étape de traitement
vers la réalisation de la lettre selon différents types de caractères (majuscule,
minuscule) et de style (cursive, imprimerie).
Initialement, le buffer graphémique était considéré comme spécifique-
ment lié à l’écriture. L’étude du patient LB (Caramazza et al., 1987) a permis de
définir un ensemble de critères servant à identifier une perturbation sélective à
ce niveau. Ainsi, le taux d’erreurs croît en fonction de la longueur des stimuli,
mots ou logatomes. Les erreurs consistent en des substitutions, omissions,
ajouts et transpositions de lettres, reflétant la dégradation de la représentation
graphémique lors de son stockage temporaire. Cette dégradation est indépen-
dante de la tâche (dictée, dénomination écrite, épellation orale, copie différée),
du statut lexical (mots, logatomes) et indépendante de variables psycholinguis-
tiques (fréquence, degré de concrétude, classe grammaticale des mots). Les
erreurs qui respectent la catégorie de la lettre cible (consonne, voyelle) produi-
sent des logatomes non homophones au stimulus auditif.
Récemment, on a avancé que le buffer graphémique jouait aussi un rôle en
lecture (Caramazza et al., 1996). Selon cette hypothèse, le buffer graphémique per-
mettrait également de maintenir le niveau d’activation de séquences graphémiques
préalablement à la préparation de la réponse verbale. Mais en lecture on n’obser-
verait une répercussion que sur la lecture de logatomes, processus séquentiel par
l’application des procédures de conversion grapho-phonémique. En revanche, l’ef-
fet de la longueur n’interviendrait point sur la lecture de mots à cause de l’accès
direct au lexique orthographique. Enfin, seul un nombre élevé d’erreurs de trans-
position permettrait de conclure à une perturbation du buffer, la production de sub-
stitutions, omissions et ajouts ne permettant pas de trancher entre perturbation des
mécanismes de conversion et déficit du buffer graphémique.

142
◆ Ecrire et épeler : des modalités différentes pour réaliser
l’orthographe
Après le traitement au niveau du buffer graphémique, qui est commun
pour tous les stimuli, s’opère le choix de savoir si l’information graphique doit
être réalisée en tant que lettre écrite ou en tant que nom de lettre. Le modèle
prédit qu’en l’absence d’une perturbation au niveau des allographes, les perfor-
mances en écriture et en épellation orale devraient être similaires.
Il existe peu de travaux sur la comparaison des performances de patients en
écriture sous dictée et en épellation orale des mêmes stimuli auditifs. Roeltgen &
Heilman (1984) ont comparé les résultats aux deux tâches chez sept de leur
patients. Les performances de deux sujets (n°2, 6) se situent au même niveau
(74%-75% et 80%-84% respectivement). Ces patients (bien que souffrant de
troubles centraux - l’un d’une dysgraphie de surface, l’autre d’une dysgraphie pho-
nologique) ne souffraient donc d’aucune atteinte (supplémentaire) des mécanismes
périphériques. Les autres patients manifestaient une différence de score entre
dictée et épellation. En fait, pour trois cas (n°1,3,4 - tous atteints de dysgraphie
lexicale), l’épellation orale était supérieure à l’écriture sous dictée. Chez deux
autres sujets (n°7,8), l’épellation était plus perturbée que la dictée (75%-35% et
93%-78% respectivement). Le cas de dysgraphie profonde récemment présenté
par Cipolotti & Warrington (1996) montrait également des performances supé-
rieures en dictée. Ces dissociations confirment l’indépendance des deux méca-
nismes de production entrant en jeu après le niveau du tampon graphémique : d’un
côté, ‘le code physique de la lettre’ et de l’autre, ‘le code du nom de la lettre’.
Enfin, quelques études (Roeltgen et al., 1986 ; Lesser, 1989) suggèrent
que plusieurs patients ont préservé la possibilité d’épeler des mots par une pro-
cédure lexicale mais non sémantique puisque l’épellation était indépendante de
la compréhension sémantique des stimuli.
Kinsbourne & Rosenfield (1974) ont présenté la première étude d’un
patient, CM, dont l’écriture sous dictée était plus perturbée que l’épellation
orale. Margolin (1984) cite cinq cas qui ont des performances supérieures en
épellation orale par rapport à l’écriture sous dictée. Généralement, ce cas de
figure est interprété comme témoignant de difficultés praxiques.
Toutefois, en ce qui concerne le cas CS récemment présenté par Lesser
(1990), un problème pour la réalisation des lettres ne peut être invoqué pour
expliquer le pattern observé. En fait, chez CS l’épellation orale est supérieure :
2/24 erreurs par rapport à 16/24 erreurs en dictée. Mais l’épellation orale est éga-
lement différente du point de vue qualitatif. D’un côté, le patient peut épeler des
logatomes (18/24) qu’il ne peut pas du tout écrire sous dictée. D’un autre côté, la

143
régularité phono-orthographique des mots ne joue aucun rôle lors de la dictée tan-
dis que, en épellation orale, les mots réguliers sont bien mieux réussis que les
mots irréguliers (19/24 vs 12/24). En résumé, le patient montre le pattern de ‘dys-
graphie de surface’ en épellation orale (par voie non lexicale) et le syndrome de
‘dysgraphie phonologique’ en écriture sous dictée (par voie lexicale).
Une différence qualitative des erreurs en épellation orale et en dictée a
également été observée chez deux autres patients (Goodman & Caramazza,
1986 ; Hodges & Marshall, 1996). Le patient JJH, présenté par Hodges & Mar-
shall (1996), ressemble au patient de Lesser (1990). En épellation orale, il mon-
trait le tableau d’une dysgraphie de surface : on notait un effet de régularité, et
les erreurs étaient en majorité (53%) des productions phonologiquement plau-
sibles. En revanche, seulement 13% des erreurs en dictée étaient de ce type, les
autres erreurs consistant en substitutions, omissions ou ajouts.
Les formes actuelles des modèles d’écriture ne peuvent pas rendre
compte de ce genre de dissociation. En effet, selon le modèle « standard »
auquel nous avons fait référence ici, une dysgraphie de surface devrait affecter
l’écriture sous dictée aussi bien que l’épellation orale puisque la lésion fonction-
nelle (perturbation au niveau des représentations orthographiques ou perturba-
tion au niveau de l’accès à ces représentations) se situe en amont de l’applica-
tion des processus périphériques. D’autres études de cas sont donc nécessaires
pour préciser les dissociations observées en vue de leur intégration dans un
modèle de l’orthographe éventuellement modifié.

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146
Contribution de l’imagerie fonctionnelle
du cerveau à la compréhension
des mécanismes neurobiologiques
des processus orthographiques
et de leurs troubles développementaux
Michel Habib, Jean-François Demonet

Résumé
Les méthodes d’imagerie du cerveau, depuis leur récente introduction, ont déjà contribué à
la compréhension des mécanismes neurobiologiques de divers domaines des sciences
cognitives, le langage, en particulier, mais également la mémoire, l’attention, le raisonne-
ment, la reconnaissance visuelle, entre autres. L’orthographe, pour sa part, s’avère un
domaine particulièrement difficile à aborder avec ces méthodes, dans la mesure où son
mode d’expression principal, la production écrite, se prête mal aux conditions de ce type
d’exploration. Le concept de lexique orthographique, en continuité avec la notion neurolo-
gique classique de « centre de l’image visuelle des mots », est elle-même très critiquée et
les preuves de sa réalité sont faibles.
Les premières données d’imagerie fonctionnelle obtenues à l’aide de la caméra positonique
(PET scan) ont attiré l’attention vers la région temporale interne gauche, alors que les tra-
vaux les plus récents semblent plutôt en faveur d’un rôle de la partie la plus ventrale de
l’aire 37. Des expériences menées par notre équipe à l’aide de cette méthode suggèrent le
rôle particulier de cette dernière région dans les processus complexes qui permettent l’ac-
cès lexico-sémantique à partir de l’analyse de la forme visuelle des mots réalisée par le cor-
tex visuel adjacent. Cette structure serait insuffisamment activée chez les sujets ayant été
dyslexiques pendant leur enfance.
Mots clés : Imagerie cérébrale, PET-scan, résonance magnétique, orthographe, lexique
visuel.

147
Contribution of functional brain imaging techniques to the
understanding of the neurobiology of spelling processes and their
developmental disturbances
Abstract
Although recently introduced, brain imaging techniques have already significantly contribu-
ted to the understanding of various neurobiological mechanisms within the field of cognitive
sciences, such as language, memory, attention, reasoning and visual recognition, among
others. Unfortunately, these techniques are not particularly suited for the exploration of spel-
ling, a skill which essentially expresses itself through writing. The concept of lexical ortho-
graphy, which follows the traditional neurological notion of a « center for visual images of
words », is highly criticized and evidence for its existence is scant.
The first functional imaging data collected with PET scan techniques have suggested the
importance of the left internal temporal area, but more recent investigations tend to ascribe
a more significant role to the ventral part of area n°37. Experiments conducted by our team
with these techniques confirm that this brain area plays a central role in those complex lexi-
cal-semantic processes which are based on visual analysis of word forms by the adjacent
visual cortex. A deficit in the activation of this brain structure is hypothesized to characterize
subjects who were dyslexic as children.
Key Words : Cerebral imaging, PET scan, magnetic resonance, spelling, visual lexical skills.

148
Michel HABIB*,
Jean François DEMONET**
* Laboratoire de Neurologie Cognitive
Service de Neurologie
CHU Timone, 13385 Marseille
** INSERM U 455
Service de Neurologie
CHU Purpan, 31059 Toulouse

D
epuis une dizaine d’années, l’essor considérable des méthodes d’image-
rie du cerveau vivant a littéralement révolutionné tous les domaines de
la neuropsychologie humaine, sinon encore pour les découvertes
qu’elles ont permis de réaliser, du moins par l’intensité de la recherche qui y est
consacrée. Comme cela a été le cas à maintes reprises dans l’histoire de la neu-
ropsychologie, un des domaines où ces nouvelles méthodes ont trouvé leurs pre-
mières applications est celui de la neuropsychologie du langage et tout particu-
lièrement du langage écrit (Habib et al., 1996). De même que l’approche
anatomo-clinique classique a fait ses premières démonstrations avec l’alexie et
l’agraphie (Dejerine, 1891 ; 1892), de même que la « révolution intellectuelle »
cognitiviste a aiguisé ses armes sur quelques études (Marshall et Newcombe,
1973) de cas de dyslexiques (au sens anglo-saxon du terme, ne présumant pas
de l’origine lésionnelle ou non du trouble), de même enfin que la mouvance
connexionniste a pris pour sujet principal d’étude la modélisation de la lecture
(Seidenberg et McClelland, 1989), de même, les différentes méthodes d’image-
rie cérébrale comptent d’ores et déjà le langage écrit comme domaine de prédi-
lection. Certes, l’étude, grâce au scanner puis plus récemment à l’imagerie par
résonance magnétique (IRM) du cerveau de sujets ayant souffert de lésion
focale responsable de troubles du langage écrit, a participé, modestement, il faut
bien l’avouer, à l’avancée des connaissances, essentiellement en confirmant les
données séculaires de l’anatomo-clinique. Mais lorsqu’on parle ici d’imagerie
cérébrale on fait essentiellement référence aux méthodes dites d’imagerie fonc-
tionnelle, permettant de décrire des « zones d’activation » (plus précisément des
zones d’augmentation du débit sanguin cérébral) lors de tâches cognitives aux-
quelles se prêtent les sujets volontaires sains. Ainsi, on fait de la physiologie du
cerveau, c’est-à-dire qu’on observe, certes indirectement mais avec une préci-
sion acceptable, la façon dont les différentes régions cérébrales sont mises en

149
jeu dans une tâche donnée, ce qui fournit des informations sur le rôle de chaque
région dans cette tâche.

◆ Quelques considérations méthodologiques préalables.


L’imagerie fonctionnelle cérébrale fait appel à deux types différents de
technologie : la technologie IRM (Imagerie par résonance magnétique) et la
technologie PET (Positron emission tomography ou caméra à positons).
L’IRM est à ce jour la méthode d’imagerie la plus largement utilisée dans
les protocoles de recherche en neuropsychologie, en particulier par rapport à son
« prédécesseur », le scanner à rayons X, qui n’est pratiquement plus utilisé
qu’en clinique. L’examen des sujets expérimentaux se déroule en totale inno-
cuité. Le principe de fonctionnement de l’IRM est complexe, mais peut globale-
ment se résumer par l’acquisition d’un signal électromagnétique émis par les
atomes d’hydrogène du corps humain lorsqu’ils sont placés dans un champ
magnétique intense et excités par une onde de radiofréquence appropriée. Ce
principe même explique les limitations de la méthode.
Il s’agit, tout d’abord, des contre-indications formelles dues à l’intensité
très importante du champ magnétique qui interdit de réaliser l’examen sur des
sujets porteurs de stimulateurs cardiaques ou de clips chirurgicaux ferromagné-
tiques. L’intensité du champ est telle que ces corps métalliques en prendraient ins-
tantanément l’orientation créant ainsi des lésions plus ou moins irréversibles. La
présence de ce fort champ magnétique limite en outre l’usage d’appareillages
électroniques ou autres nécessaires à la présentation, par exemple, de stimuli audi-
tifs ou visuels lors d’épreuves d’activation fonctionnelle. Ensuite, contrairement
au scanner dans lequel les sujets sont allongés sur la table d’examen et où seule la
tête est immobilisée, à l’IRM, les participants sont placés dans un tube d’une cin-
quantaine de centimètres de diamètre et de trois mètres de long figurant le cœur de
la bobine électromagnétique au centre de laquelle se développe le champ. Bien
que les extrémités du tube ne soient pas obturées, il est difficile de se défaire d’un
sentiment d’angoisse claustrophobe qui, dans maints cas au travers des protocoles,
a abouti à l’interruption de l’examen. En outre, la machine génère un fort bruit
régulier qui peut gêner les sujets, mais surtout complique la réalisation de toutes
les épreuves fonctionnelles utilisant le canal sensoriel auditif.
L’IRM est utilisée dans la recherche sur les fonctions cognitives dans
deux buts : elle fournit d’une part une information morphologique indispensable
à la localisation des signaux obtenus à partir d’autres méthodes d’imagerie
comme le PET ; elle peut également être elle-même utilisée à la fois pour les
informations morphologiques et pour la technique d’activation fonctionnelle.

150
Pour les protocoles d’imagerie fonctionnelle, on utilise des fonctions de la tech-
nique qui lui permettent de détecter les changements de contenu en oxygène de
l’hémoglobine, donnant au final une image représentant l’activité régionale du
cerveau. On parle d’IRM fonctionnelle ou IRMf. Mais l’utilisation la plus spéci-
fique de l’IRM concerne les études morphologiques, car l’IRM, par ses proprié-
tés intrinsèques, possède une excellente résolution spatiale, c’est-à-dire une
finesse de reproduction de la substance cérébrale de l’ordre du millimètre. En
particulier, cette résolution lui permet de visualiser parfaitement la morphologie
du cortex, qui est bien entendu la partie la plus intéressante à observer en
matière de sciences cognitives. Les ordinateurs qui contrôlent l’appareil permet-
tent en outre de reconstruire des images tri-dimensionnelles, ce qui autorise
toute sorte de manipulations spatiales et mesures en tous genres et ce dans tous
les trois plans de l’espace. Enfin, la pratique d’un examen par IRM morpholo-
gique est indispensable au traitement des données et à l’interprétation des
images de l’autre outil d’imagerie fonctionnelle : la caméra à positons.
La caméra à positons, ou PET (positron emission tomography, en français
TEP), est l’outil le plus utilisé pour l’imagerie fonctionnelle. Il ne possède pas
les inconvénients de l’IRM, en particulier ceux liés au champ électro-magné-
tique, mais possède, en raison de l’injection de produits radio-actifs, une toxicité
potentielle qui en limite l’usage principalement aux adultes et ne permet pas de
réitérer les examens chez une même personne car les effets toxiques de la sub-
stance radioactive s’additionnent dans l’organisme sur une période d’un an envi-
ron. Hormis cela, la méthode est certainement la plus souple et la plus fiable
actuellement, de sorte que la majorité des travaux réalisés dans le domaine du
langage l’ont été à l’aide du PET. La description de la méthodologie et le dérou-
lement des expériences elles-mêmes dépasserait le cadre de cet article, mais il
faut rappeler que la plupart des résultats obtenus l’ont été à partir de l’utilisation
d’un paradigme dit de « soustraction cognitive » qui consiste à comparer statis-
tiquement les niveaux d’activation de chaque région cérébrale lorsque le sujet
effectue la tâche à étudier avec le niveau d’un état dit de référence où le sujet
effectue une tâche similaire à tous égards à la tâche expérimentale mais ne com-
portant pas les composantes cognitives que l’on cherche à étudier.
Un dernier point de méthodologie concerne les populations étudiées. En
général, il s’agit d’un groupe de sujets volontaires sains, le plus souvent de
jeunes adultes, dont les résultats vont être moyennés pour procurer une informa-
tion jugée représentative de la fonction étudiée (même si les techniques
actuelles permettent en théorie l’étude de sujets uniques celles-ci sont très rare-
ment réalisées, contrairement aux études de sujets pathologiques en neuropsy-
chologie classique).

151
A cet égard, le cas des sujets ayant souffert durant l’enfance de troubles
de l’apprentissage du langage écrit se situe à la frontière entre la normalité et la
pathologie, et à ce titre peut précisément permettre de répondre à des questions
que l’on se pose tant du point de vue de la recherche fondamentale que de la
recherche appliquée. Il est clair que dans la mesure où la recherche ne peut
encore prétendre à déboucher sur un bénéfice direct de l’individu qui s’y sou-
met, les études de ce type consacrées à la dyslexie et à la dysorthographie
s’adressent, au même titre que celles réalisées chez le volontaire sain, à des
adultes plutôt qu’à des enfants.
Enfin, comme nous le verrons ci-dessous, l’approche fonctionnelle de
l’orthographe doit se contenter d’explorer son aspect afférent (lecture et repré-
sentation mentale) dans la mesure où les études de sujets en cours d’exécution
de l’acte d’écriture sont pratiquement impossibles à réaliser ou alors dans des
conditions physiquement très délicates en raison des contraintes de position
imposées par la machine.

◆ L’orthographe et le cerveau : idée-force et idées reçues


L’idée-force, c’est sans conteste celle selon laquelle le cerveau étant orga-
nisé en régions fonctionnelles modulairement connectées, l’orthographe ou du
moins les processus permettant l’acquisition d’une aptitude spécifique dénom-
mée orthographe sont nécessairement le fait de structures distinctes du cerveau,
structures ayant à voir à la fois avec le langage (donc situées dans l’hémisphère
gauche) et avec la vision, donc situées à la jonction entre l’aire du langage et les
aires postérieures de la vision. Cette intuition avait du reste mené dans un pre-
mier temps Jules Dejerine à postuler l’existence dans une petite région du lobe
pariétal gauche, le gyrus angulaire ou pli courbe, d’un centre qu’il dénommait
« centre de l’image optique des lettres » et auquel il attribuait le rôle de décoder
le langage écrit, mais aussi celui de le produire. Lorsque le centre était détruit,
comme il l’observa chez un premier patient (Dejerine, 1891), le patient perd la
faculté de lire et d’écrire. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui l’alexie-agraphie
de Dejerine. En revanche, lorsque une lésion laisse intacte cette région, mais la
déconnecte de toute afférence visuelle, le mot lu ne peut être décodé donc n’est
pas compris, mais le sujet peut encore écrire sans erreur le même mot, ce qui le
met dans la situation paradoxale de ne plus pouvoir relire ses propres produc-
tions.
Ce rôle spécifique du gyrus angulaire a été souligné et maintes fois mis en
avant par le précurseur de la neuropsychologie moderne, l’américain Norman
Geschwind. Geschwind avait en effet été frappé par la position et surtout la
constitution particulière du pli courbe dans le cerveau humain. Il s’agit d’une

152
région de cortex associatif aspécifique ou multimodal (par opposition aux deux
autres types principaux composant le néocortex, les cortex primaires - visuel,
auditif, moteur, etc.- et les cortex associatifs spécifiques à chacune de ces moda-
lités). Les deux seules régions du cerveau à mériter ce qualificatif, le lobe pré-
frontal et le lobule pariétal inférieur (incluant le pli courbe), ont la particularité
d’être considérablement moins développées, voire absentes, chez les singes
considérés comme les plus proches de l’homme parmi les primates, ce qui en fait
à l’évidence une construction évolutive spécifique de l’hominisation. Geschwind
avait en outre remarqué que le pli courbe était également, de par sa position, un
véritable carrefour où devaient nécessairement s’exercer des interactions com-
plexes entre les mécanismes perceptifs, en particulier - mais non exclusivement -
visuels, et les phénomènes linguistiques, et tout particulièrement, selon sa
conception, ceux inhérents à la forme sonore, phonologique, des mots, qu’il pla-
çait dans le cortex temporal postérieur, la fameuse aire de Wernicke. Selon un
schéma resté longtemps classique (Geschwind, 1979), Geschwind considérait
ainsi que le mot lu était dans un premier temps décodé du point de vue perceptif,
puis reconnu à un niveau plus cognitif dans le pli courbe, et enfin transformé ou
tout au moins confronté à l’image sonore stockée dans les régions temporales
pour pouvoir être prononcé et compris. On sait depuis lors que cette dernière
étape du modèle est probablement erronée, puisqu’elle ne résiste pas aux évi-
dences expérimentales apportées depuis lors par les cognitivistes, d’une voie de
lecture purement visuelle. Encore que de nombreux arguments existent à présent
pour montrer que les deux procédures de lecture, visuelle et phonologique, sont
loin d’être aussi distinctes que présumé dans les modèles à deux voies. Mais pour
ce qui nous concerne plus directement ici, on se contentera de remarquer que
l’idée suggérée par les neurologues d’un centre hémisphérique gauche ayant pour
rôle spécifique de décoder la forme visuelle du mot se superpose assez bien avec
celle suggérée ensuite dans les modèles cognitivistes, d’un lexique visuo-ortho-
graphique. En d’autres termes, il n’est pas absurde d’imaginer que le rôle de lieu
de stockage des formes lexicales puisse être attribuable à cette région pariétale de
l’hémisphère gauche du cerveau humain.

◆ Les premières preuves d’un lexique orthographique


dans le cerveau
C’est en tout cas ce que les chercheurs en imagerie fonctionnelle atten-
daient lorsqu’ils proposèrent les premières expériences dans ce domaine, expé-
riences réalisées à peu près simultanément à Saint-Louis aux USA et à Londres.
Les auteurs américains (Petersen et al., 1990) ont présenté à des adultes
volontaires sains 4 listes de stimuli visuels similaires d’un point de vue

153
perceptif : des suites de pseudo-lettres, des suites de consonnes réalisant un
pseudo-mot non prononçable (LTZMG), des suites de lettres réalisant un pseudo-
mot prononçable (TWEAL) et enfin des vrais mots de la langue anglaise. Alors
que les deux premiers types de stimuli provoquèrent une activation bilatérale
dans la région des aires visuelles primaires, suggérant un effet non spécifique sur
les centres de la vision, les vrais mots et les pseudo-mots prononçables, par
opposition aux suites non prononçables, entraînèrent une activation unilatérale
(figure 1) d’une zone de cortex visuel associatif dite « extra-striée », sur la face
interne du lobe occipital gauche (gyrus lingual). Les auteurs interprètent cette
activation inattendue comme traduisant la mise en jeu, par des stimuli orthogra-
phiquement corrects ou seulement plausibles, de processus de traitement de la
forme visuelle des mots. Il n’est encore pas question de lexique orthographique,
mais le concept est sous-entendu dans la description qu’en font les auteurs.
Un autre résultat important de ce travail, comme le soulignent les
auteurs, fut de montrer que contrairement aux modèles neurologiques classiques
(Geschwind, 1970), dans aucune des conditions le mot lu n’active ni le cortex
temporo-pariétal externe (gyrus angulaire) ni les zones temporales externes
gauches connues pour être impliquées dans le traitement phonologique. En
revanche, ces résultats sont en faveur des modèles cognitivistes de la lecture
dans la mesure où ils démontrent que la lecture de mots peut se faire sans pas-
sage obligé par la phonologie.
Un autre groupe, celui de Londres, a également étudié l’activation céré-
brale en TEP lors de tâches de lecture. Howard et al. (1992) ont ainsi proposé à
leurs sujets une liste de mots à lire à haute voix. Afin d’éliminer par soustraction
les composantes articulatoires (liées à la prononciation à haute voix) et percep-
tives, ils ont mis au point une condition de référence comparable à la condition
expérimentale mais utilisant des pseudo-lettres, à l’instar de Petersen et al.
(1990), et en demandant au sujet de répéter le mot « crime » à chaque présenta -
tion. La principale activation obtenue lors de cette soustraction fut localisée au
niveau de la partie postérieure du gyrus temporal supérieur (aire 22), une zone
de cortex auditif associatif, proche de la localisation théorique du gyrus angu-
laire, donc beaucoup plus compatible avec le modèle neurologique classique
que le travail de Saint-Louis. En particulier, ce travail ne montrait aucune activa-
tion particulière dans la zone extra-striée gauche dont l’importance était suggé-
rée par le travail de Petersen.

◆ A la recherche du « centre de l’orthographe »


En définitive, ces premiers travaux ne permettaient pas de définir une aire
spécifiquement dédiée au traitement orthographique. Au contraire, cette attribu-

154
tion semblait pouvoir être le fait de diverses régions selon les modalités précises
de chaque étude.
Il convient de noter que lors de telles études de sujets placés en situation
de lecture, que ce soit avec ou sans prononciation orale, l’interprétation des phé-
nomènes d’activation est en soi très délicate. En effet, comme dans toute étude
de ce type, les zones dont le débit sanguin augmentent pourraient n’être impli-
quées qu’indirectement dans la tâche étudiée, par exemple si elles traduisent un
effort cognitif ou attentionnel plus important que dans la tâche de référence. De
même la zone temporale postérieure observée par Howard et al. (1992) dans
leur soustraction entre lecture à haute voix et lecture de pseudo-lettres et pro-
nonciation du mot ‘crime’ peut être liée à la présence d’une composante séman-
tique incluse dans la présentation du vrai mot par rapport au pseudo-mot.
La notion même d’orthographe peut être interprétée de différentes
manières et donner lieu à des protocoles expérimentaux apparemment très éloi-
gnés les uns des autres. Par exemple, Pugh et al., dans une étude utilisant
l’IRMf proposent aux sujets plusieurs types de stimuli, correspondant chacun à
une situation expérimentale sensée explorer un mécanisme différent : une
épreuve de jugement d’orientation de lignes appelée tâche visuelle, une épreuve
de jugement majuscule/minuscule devant des lettres (en fait des séries de
consonnes, donc non prononçables), situation dénommée ‘orthographique’, et
deux autres tâches mettant en jeu des processus phonologiques et lexico-séman-
tiques. Ici donc, le simple fait de présenter des lettres est présumé imposer une
activation de type orthographique.
Les résultats montrent une activation prédominante, lors de la tâche
‘orthographique’, de « sites extra-striés », superposables à la région activée par
les séquences de lettres phonologiquement (et visuellement) plausibles dans le
travail de Petersen. Pour ces auteurs, les régions extra-striées latérales seraient
impliquées dans le traitement des lettres alors que la région extra-striée interne
(ou mésiale, celle retrouvée activée dans le travail de Petersen) serait impliquée
dans la « représentation de la forme des mots ».
Ces conclusions doivent cependant être tempérées par la faiblesse métho-
dologique de cette étude qui, outre les imprécisions sur les concepts, a choisi de
n’étudier qu’un nombre limité de régions cérébrales définies à priori (méthode
dites des ROI, ou régions d’intérêt).
Par la suite, un certain nombre d’études, utilisant les perfectionnements
les plus récents de la méthode PET (en particulier la superposition automatique
avec l’IRM morphologique), ont rapporté des résultats relativement concordants
lors de tâches de lecture. Ces études ont été résumées récemment par Fiez et

155
Petersen (1998). Au travers des 9 études examinées, le point concordant est la
présence de 3 foyers distincts d’activation dans l’hémisphère gauche de sujets
observés au cours de la lecture : un dans la région de l’aire de Broca (aires 44-
45), impliqué dans les processus phonologiques, un second dans la région extra-
striée (aires 18-19) et un dernier dans la région temporale inférieure, localisé à
l’aire 37. Nous reviendrons sur ce dernier site qui semble crucial à bien des
égards. Signalons d’ores et déjà son implication dans un travail comparatif entre
la lecture normale et la lecture Braille chez les aveugles, les deux types de popu-
lations se comportant de la même manière à cet égard (Büchel et al., 1998). En
d’autre termes, il semble que l’implication de cette région temporale inférieure
ne soit pas spécifique d’une modalité sensorielle d’entrée, du moins d’après les
auteurs qui en font une aire multimodale à rajouter aux aires du langage. Nous
verrons que d’autres interprétations sont possibles.

◆ Dyslexie et orthographe : un point de vue neurobiologique


Les études d’imagerie cérébrale fonctionnelle réalisées dans la dyslexie
sont déjà relativement nombreuses, mais leurs résultats ne sont pourtant pas
encore très concluants. L’idée de base de ces études est d’observer comment
les processus considérés comme dysfonctionnels se manifestent physiologique-
ment au niveau de la mesure de l’activation cérébrale qu’ils génèrent. C’est le
cas en particulier d’un certain nombre d’études ayant analysé le comportement
du cerveau de sujets dyslexiques en train de réaliser une tâche phonologique,
dans la mesure où on pense généralement que le trouble phonologique est à la
base du trouble de l’apprentissage de la lecture (et donc probablement de la
dysorthographie qui constitue souvent le seul symptôme persistant chez les
adultes dyslexiques). Plusieurs études ont également cherché à explorer de
manière comparative les effets sur l’activité cérébrale de tâches phonologiques
et orthographiques.
Rumsey et al. (1997) ont ainsi proposé à 17 dyslexiques et 14 témoins non
dyslexiques une tâche qui a à l’évidence le mérite de sa simplicité : il s’agissait
de présenter sur un écran deux mots situés de part et d’autre du point de fixation
central. Dans une première condition, dite phonologique, il s’agit de deux non-
mots dont l’un se prononce comme un vrai mot (par exemple pézon-mézon), et le
sujet doit choisir le mot phonologiquement correct. Dans une deuxième condi-
tion dite orthographique, on présente cette fois deux séquences homophones dont
l’une seulement est orthographiée correctement (mézon-maison), le sujet devant
reconnaître le mot correctement orthographié. Les résultats ont été relativement
décevants, montrant seulement une différence nette entre les deux conditions
dans la région frontale inférieure gauche, où l’activation est d’une part plus

156
importante dans la tâche phonologique par rapport à la tâche orthographique et
d’autre part chez le dyslexique par rapport au témoin. Des faits assez similaires
ont été rapportés par Shaywitz et al. (1998) qui montrent en outre une différence
inverse pour les zones postérieures (pariéto-temporo-occipitales) de l’hémisphère
gauche, sous-activées chez les dyslexiques. Mais en définitive, les dyslexiques
semblent paradoxalement différer plus nettement des témoins pour les aptitudes
phonologiques que pour les aptitudes orthographiques.
Cette interprétation est en accord avec d’autres travaux que nous ne
ferons que citer ici (Paulesu et al., 1996 ; Rumsey et al., 1992) montrant une dif-
férence significative d’activation cérébrale dans des tâches requérant par
exemple de juger si deux mots ou deux lettres riment.
Nous avons, pour notre part, réalisé une étude qui, bien que portant sur un
nombre réduit d’individus, nous semble apte à informer plus précisément sur les
processus cérébraux mis en jeu lors d’une recherche orthographique, sans sti-
mulation visuelle, mais auditive. Le sujet entend simplement des paires de mots
et doit appuyer sur la souris d’un ordinateur lorsque les deux mots entendus se
terminent par la même désinence orthographique. Par exemple chapeau / râteau,
mais non argent / volcan sont orthographiquement similaires ; lundi / ballon ne
le sont pas, mais mille / bille qui pourtant diffèrent phonétiquement, sont ortho-
graphiquement similaires. Pour effectuer cette tâche, il est donc nécessaire de
maintenir en mémoire l’information auditive et de réaliser un transcodage pour
« visualiser » mentalement les deux mots et pouvoir répondre sur leur similarité
orthographique ou non.
Les sujets étaient trois volontaires sains et un adulte dyslexique. Les
résultats sont schématisés sur la figure 2.
En premier lieu, il faut signaler que les performances des dyslexiques
sont largement déficitaires par rapport aux normaux, en particulier sur les paires
incongruentes qui leur posent d’importants problèmes. Chez le dyslexique
comme chez le non-dyslexique, on note la présence de deux foyers d’activation
sur l’hémisphère gauche, l’un frontal moyen, l’autre temporal inférieur. Le foyer
frontal est à la fois plus postérieur (en regard de la partie moyenne de l’aire
motrice primaire (aire 4) et moins intense chez les sujets témoins. Chez le dys-
lexique, il se trouve franchement dans l’aire de Broca (aires 44 et 45). Le rôle
de ces régions dans le processus étudié n’est que supposition, mais on peut pen-
ser, par analogie à d’autres types de tâche entraînant également une activation
de cette région, qu’elle est fonctionnellement impliquée dans les processus de
mémorisation à court terme de l’information, en particulier auditive (Démonet
et al., 1992). Par exemple, les tâches de remémoration immédiate d’une série de

157
lettres ou de mots entraînent une activité intense dans cette région. On peut donc
présumer que le sujet dyslexique ait besoin de recruter une énergie attention-
nelle importante pour réaliser la partie auditive de la tâche, c’est-à-dire la réca-
pitulation subvocale des deux mots entendus. Il est même possible que plus il
éprouve de difficultés à évoquer l’orthographe des mots, plus il doive se reposer
sur sa « boucle phonologique » (en faisant « repasser dans sa tête » le stimulus,
un plus grand nombre de fois que ne le fait le témoin).
A l’inverse, la deuxième zone d’activation, celle située sur la face latérale
inférieure au niveau de la jonction occipitale, est plus nette chez le sujet témoin.
Chez le dyslexique elle est moins intense, mais est toujours présente, se proje-
tant exactement à la jonction des faces interne et externe de l’hémisphère
gauche, au fond de la troisième circonvolution temporale, au sommet de l’aire
dite aire 37. Notre interprétation (Habib et al., 1995), était qu’il s’agissait proba-
blement d’un centre orthographique, puisque la procédure cognitive que nous
semblait essentiellement contenir la tâche expérimentale par comparaison avec
la tâche de référence, nécessitait de faire appel mentalement à une connaissance
visuelle sur la forme du mot. En revanche, il est probable que les autres compo-
santes du traitement des mots vus, lexicale, sémantique et phonologique, proba-
blement activées automatiquement par la présentation des mots, l’étaient égale-
ment dans la condition de référence, de sorte qu’elles étaient « effacées » par la
soustraction entre les deux conditions. Seules devaient « sortir de la
soustraction » les régions cérébrales impliquées dans l’effort cognitif nécessaire
pour maintenir en mémoire de travail les mots entendus (fonction pour laquelle,
nous l’avons vu, l’aire de Broca est le meilleur candidat) et celles impliquées
dans la recherche active en mémoire à long terme de l’orthographe du mot.

◆ L’aire 37 : un centre critique pour l’orthographe


Cette même région, l’aire 37, a été au centre de discussions que nous
avons menées plus récemment à la suite de travaux en PET comparant l’activa-
tion cérébrale produite par la lecture de mots et de non-mots chez des sujets
adultes normaux et dyslexiques. Les résultats de l’étude chez les sujets normaux
sont résumés sur la figure 3. Hormis une activation bilatérale des régions tempo-
rales supérieures (cortex auditif) et frontale inférieure gauche (aire motrice) on
note une activation plus importante pour les non-mots que pour les mots de
l’aire de Broca (suggérant sans doute une procédure de subvocalisation lors de
la lecture de non-mots) et également au niveau de l’aire 37, également plus acti-
vée par les non-mots. Ce dernier résultat, assez paradoxal si l’on considère que,
si cette zone est réellement orthographique, les non-mots devraient l’activer à un
degré moindre que les mots réels, peut cependant s’expliquer en présumant que

158
les sujets activent leurs processus orthographiques tout autant sinon plus devant
des non-mots qui nécessitent d’être confrontés plus activement avec le lexique
de par précisément leur absence de représentation lexicale.
Nous avons enfin comparé les résultats d’activation en PET de ces volon-
taires sains avec ceux de sujets adultes anciens dyslexiques (figure 4). Pour ce
faire, nous avons demandé au programme de traitement statistique de nous four-
nir la zone où la différence entre les deux groupes était la plus significative. Il
est très intéressant de noter que cette zone se situe précisément sur l’aire 37, à la
jonction entre les faces interne et externe de l’hémisphère gauche.
Alors quel peut être le rôle de cette aire 37 ? En premier lieu, il faut souli-
gner que cette aire n’existe pas chez les primates non humains et qu’elle semble
donc spécifique à l’homme. Par ailleurs, des chercheurs (Salmelin et al., 1996)
utilisant une méthode électrophysiologique (magnéto-encéphalographie) ont
précédemment démontré que lors d’une tâche de lecture, cette zone, qui s’active
normalement de manière assez précoce (autour de 120 millisecondes après le
stimulus), se mettait en jeu avec retard chez le dyslexique. Enfin, il faut souli-
gner la position de cette zone, à la jonction entre les aires visuelles en arrière,
l’aire du langage au-dessus, et les aires de la reconnaissance visuelle en dedans.
On ne peut qu’inférer de ce caractère anatomique un rôle complexe dans l’inté-
gration de signaux visuels ayant à la fois une signification verbale et un rôle
plus général dans la sémantique, comme celle qui s’acquiert chez le jeune
enfant par associations entre un mot et l’aspect visuel de ce qu’il représente.
Progressivement le système symbolique oral vient se doubler d’une symbolique
écrite, les lettres, les syllabes, les mots, dont l’ensemble réalise une combina-
toire complexe que l’on a coutume de désigner sous le vocable d’orthographe.
La lésion de l’aire 37 chez l’adulte provoque des symptômes aphasiques com-
plexes prenant parfois l’allure d’une véritable perte sémantique. Il est donc pos-
sible que cette région serve précisément de relais à l’information sémantique sur
le monde et sa représentation linguistique, qu’elle soit orale ou écrite. La partie
la plus ventrale du système, précisément celle qui apparaît sur la figure 4, pour-
rait en constituer la zone la plus spécifiquement en rapport avec la représenta-
tion écrite de ces concepts, et par conséquent mériter l’appellation de « centre
de l’orthographe ». Mais dire que cette zone est spécifiquement impliquée dans
les processus orthographiques n’éclaire en rien sur son rôle réel, qui devra sans
doute attendre de nouvelles et nombreuses expérimentations avant d’être révélé.

159
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160
161
162
163
Approches didactiques de l’orthographe :
quatre dimensions d’une analyse comparative
Linda Allal

Résumé
Cet article propose une comparaison entre deux catégories d’approches didactiques : des
approches centrées spécifiquement sur l’apprentissage de l’orthographe et des approches
intégrant l’apprentissage de l’orthographe dans des activités fonctionnelles de production
textuelle. Les approches sont comparées en fonction de quatre dimensions des processus
d’enseignement-apprentissage mis en oeuvre en classe : les savoirs en jeu dans la transpo-
sition didactique, le degré de contextualisation des activités d’apprentissage, la charge
cognitive induite par ces activités, les processus de régulations intervenant dans la
construction et l’utilisation des connaissances orthographiques. En conclusion, l’article sou-
lève la question de l’articulation de ces deux approches dans le déroulement d’une
séquence didactique « en boucle ».
Mots-clés : Orthographe, production textuelle, approches didactiques, apprentissage sco-
laire.

Instructional approaches to spelling : four dimensions of comparison


Abstract
This article proposes a comparison between two categories of instructional approaches:
those which focus on the acquisition of spelling skills and those which integrate spelling
acquisition into functional activities of text production. These approaches are compared with
respect to four dimensions of the teaching-learning processes used in classroom situations:
the knowledge involved in didactical transposition, the degree to which learning activities
are contextualized, the cognitive load induced by these activities and the regulation pro-
cesses involved in the construction and use of spelling skills. In conclusion, the article raises
the issue of linking these two approaches in a spiral instructional sequence.
Key Words : Spelling, text production, instructional approaches, learning academic skills.

165
Linda ALLAL
Université de Genève
FPSE
9 route de Drize
CH - 1227 Carouge
e-mail : linda.allal@pse.unige.ch

C
et article a pour but de comparer différentes approches didactiques qui
visent l’apprentissage de l’orthographe en situation scolaire 1. On peut
distinguer deux grandes catégories d’approches didactiques. La pre-
mière comprend des activités (mémorisation de mots, exercices, dictées) cen-
trées sur un apprentissage spécifique de l’orthographe. On fait l’hypothèse d’un
transfert des connaissances orthographiques acquises à travers ces activités aux
situations de production écrite dans lesquelles ces connaissances seront mobili-
sées. La deuxième catégorie d’approches didactiques propose un apprentissage
de l’orthographe intégré dans des activités fonctionnelles de production écrite
orientées vers un but de communication. Ces activités servent de cadre et de
point de départ pour l’étude de différents aspects de l’orthographe ; le recours à
des tâches spécifiques (exercices) est admis pour consolider l’apprentissage,
mais ce type de tâche est un aspect secondaire de l’enseignement.
Afin d’affiner la comparaison des approches, il est utile de tenir compte
de quatre dimensions qui caractérisent les processus d’enseignement-apprentis-
sage dans n’importe quelle discipline scolaire. Voici une brève description de
chaque dimension dont la pertinence pour le domaine de l’apprentissage de l’or-
thographe est présentée par la suite.
1. Le concept de transposition didactique (Chevallard, 1985 ; Bronckart
& Schneuwly, 1991) décrit la succession des transformations qui caractérisent
les passages entre différents états de savoir : les savoirs savants et les pratiques
sociales de référence dans un domaine donné, les contenus à enseigner et leur
autonomisation dans un curriculum particulier, les savoirs effectivement ensei-

1. Un traitement plus approfondi de cette question est présenté dans Allal (1997). Je remercie Yviane Rouiller
pour ses remarques sur la version condensée présentée ici.

166
gnés, les savoirs appropriés par les élèves. Les activités didactiques varient
selon le nombre et la complexité des savoirs en jeu.
2. La plupart des tâches scolaires présentent des savoirs fortement décon-
textualisés : par exemple, les exercices d’application d’une règle d’orthographe
sont généralement composés d’une série d’items non reliés entre eux et sans
insertion dans un contexte de communication. L’idée d’une plus forte contextua-
lisation des apprentissages scolaires, telle qu’envisagée dans les travaux sur la
cognition « située » (Brown, Collins & Duguid, 1989), repose sur le postulat
que l’élève pourra construire des compétences plus facilement mobilisables et
exploitables si les conditions d’apprentissage scolaire se rapprochent des
contextes (conditions d’interaction sociale, modes d’utilisation d’outils) dans
lesquels les compétences devront se manifester en dehors de l’école.
3. Les compétences acquises par l’élève à travers une activité d’apprentis-
sage dépendent fortement de la charge cognitive induite par deux aspects de
l’activité : ses propriétés intrinsèques (notamment l’interactivité entre compo-
santes de contenu) et les caractéristiques extrinsèques de sa mise en forme
(Sweller & Chandler, 1994). Dans le domaine de l’orthographe, on a pu montrer
que des erreurs sont commises par des experts qui connaissent bien une règle
mais ne parviennent pas à l’appliquer dans une situation de surcharge cognitive
(Fayol & Largy, 1992).
4. Selon la conception vygotskienne de la médiation sociale, les conduites
d’autorégulation de l’apprenant résultent d’un processus d’intériorisation impli-

Tableau 1 : Approches didactiques de l’orthographe : comparaison selon quatre dimensions

167
quant la reconstruction interne de régulations médiatisées au départ par l’inter-
action sociale (Vygotsky, 1978). En situation scolaire, les interactions de l’élève
avec l’enseignant, avec d’autres élèves, ainsi que l’exploitation de divers outils
ou procédures d’évaluation formative, peuvent favoriser le développement de
stratégies métacognitives facilitant une gestion plus autonome des apprentis-
sages (Allal, 1993).
Notre analyse de différentes approches didactiques de l’orthographe mon-
trera comment les quatre dimensions précitées sont prises en compte. Un
résumé des idées principales est présenté dans le tableau 1.

♦ Apprentissage de l’orthographe par des activités spécifiques


Des activités de mémorisation de mots sont souvent proposées comme
moyen d’apprentissage de l’orthographe lexicale au début de l’école primaire.
L’acquisition d’un « capital » de mots automatiquement accessibles par « adres-
sage » (Ellis, 1989) semble constituer une base nécessaire pour la réalisation
d’autres tâches orthographiques plus complexes. Les techniques de mémorisa-
tion mises au point par des recherches expérimentales comprennent des opéra-
tions de représentation et de manipulation auditives et visuelles, ainsi que des
démarches systématiques de contrôle et de correction (Graham, 1983). L’effica-
cité de ces techniques est plus grande si chaque élève dispose d’un matériel
individualisé élaboré à partir des erreurs relevées dans ses productions person-
nelles.
Des activités d’étude systématique des régularités orthographiques sont
proposées aux élèves, en parallèle aux activités de mémorisation, dès le début de
l’école primaire. La progression des contenus abordés dans ces activités est
basée sur des critères issus de recherches linguistiques et psycholinguistiques
(cf. par exemple, Ducard, Honvault & Jaffré 1995 ; Templeton, 1991). A travers
les situations animées par l’enseignant, avec l’ensemble de la classe ou en petits
groupes, les élèves apprennent à observer, comparer, découper, analyser, trans-
former des unités linguistiques (mots, groupes de mots, phrases). L’accent est
mis sur la découverte de configurations (patterns) inférées par les élèves grâce
aux opérations qu’ils effectuent sur le matériel et sur les réflexions métalinguis-
tiques qu’ils formulent à propos de leurs démarches. Les activités d’apprentis-
sage sont néanmoins assez fortement guidées par les interventions de l’ensei-
gnant et par la structuration préalable du matériel (corpus d’exemples). Par
ailleurs, afin de consolider les découvertes que les élèves ont réalisées, ils effec-
tuent des exercices individuels conçus selon les mêmes principes (exercices
lacunaires et transformationnels, classifications logiques et analogiques).

168
La dictée de textes a conservé une place centrale dans la didactique de
l’orthographe depuis plus d’un siècle, malgré les critiques (récurrentes) formu-
lées à l’égard de cet outil (Chervel & Manesse, 1989). On constate cependant
une diversification des pratiques de dictée (dictées à l’adulte, dictées préparées,
dictées lacunaires, séquences progressives de dictées) en articulation avec
d’autres activités didactiques. Souvent la dictée intervient comme situation de
mise en relation des savoirs abordés au préalable dans des activités de mémori-
sation ou des exercices plus ciblés ; d’autres fois elle constitue une situation de
diagnostique initiale permettant d’identifier les savoirs à aborder dans des acti-
vités ultérieures de mémorisation ou d’étude de règles orthographiques.
Comparons maintenant les activités didactiques que nous venons de
décrire par rapport aux quatre dimensions de notre cadre d’analyse. Sur le plan
de la transposition didactique, on constate une progression de la complexité des
savoirs abordés entre les trois types d’activités. Les activités de mémorisation
portent sur un ensemble restreint de savoirs codifiés : l’orthographe lexicale
telle que spécifiée dans le dictionnaire. Les activités d’étude systématique des
régularités orthographiques traitent, de manière progressive, tous les aspects de
l’orthographe lexicale et grammaticale, ainsi que les relations entre ces aspects.
Les dictées de textes placent la gestion des savoirs orthographiques, lexicaux et
grammaticaux, dans un cadre textuel exigeant le recours à d’autres savoirs (syn-
taxiques, discursifs) dépassant le champ de l’orthographe.
Cette complexité croissante des savoirs va de pair avec la contextualisa-
tion des processus d’apprentissage. La mémorisation de mots est une activité
strictement décontextualisée ; les recherches expérimentales montrent d’ailleurs
qu’elle est plus efficace lorsque les mots sont présentés isolément en listes au
lieu d’être insérés dans des phrases ou des textes (Graham, 1983). Les activités
d’analyse des régularités orthographiques présentent un assez faible degré de
contextualisation : on exerce des manipulations sur des groupes de mots et des
phrases en tenant compte du contexte linguistique immédiat mais les opérations
sont détachées de toute visée communicative. Les dictées de textes fournissent
davantage de contextualisation : les savoirs orthographiques en jeu sont traités
dans un contexte linguistique complexe (un texte porteur de sens), mais la situa-
tion ne présente aucun véritable enjeu de communication pour l’élève.
La charge cognitive des activités d’apprentissage varie inversement à leur
degré de contextualisation. Dans une activité fortement décontextualisée, l’ap-
prenant est confronté à une charge cognitive restreinte ; il peut se concentrer
avec facilité sur une seule opération cognitive (par ex., récitation de mots à
mémoriser) ou sur un objet bien délimité (par ex., exercice portant sur les
inflexions de l’imparfait). En revanche, dans une situation de dictée d’un texte,

169
l’élève doit gérer simultanément l’ensemble de ses savoirs orthographiques en
articulation avec d’autres savoirs ; de nombreuses erreurs peuvent résulter de la
surcharge cognitive provoquée par cette situation, surtout chez le jeune appre-
nant. La pratique de dictées « préparées », par des exercices préalables relatifs
aux principaux éléments orthographiques, ou de dictées « progressives », qui
présentent une adjonction systématique d’éléments nouveaux, peut permettre
une réduction de la charge cognitive et faciliter la gestion de la tâche par l’élève.
Les formes de régulation intervenant dans chaque activité didactique
varient. Dans des activités de mémorisation où chaque élève dispose d’un maté-
riel individualisé, des contrôles réciproques en dyade sont un moyen efficace
pour développer un apprentissage de plus en plus autogéré. Dans des activités
d’étude des régularités orthographiques, une régulation interactive entre élèves
peut intervenir à travers une confrontation des démarches déployées par chacun
face à un même corpus. Deux autres sources de régulation ont cependant une
place centrale dans ces activités : la structuration du matériel didactique doit
permettre des découvertes de régularités et des moyens de validation (contrôle,
généralisation et/ou délimitation) de celles-ci. Les interventions de l’enseigne-
ment - les questions posées aux élèves, les suggestions et contre-suggestions, les
mises en commun - sont également essentielles comme moyen de régulation du
processus de construction des connaissances orthographiques. Dans des situa-
tions classiques de dictée, ce sont surtout les analyses « post-écriture » menées
par l’enseignant qui sont censées réguler l’apprentissage, mais l’efficacité de
cette pratique dépend évidemment du degré d’implication active des élèves. Des
activités de dictée peuvent aussi s’élargir aux autres formes de régulation déjà
citées.

♦ Apprentissage de l’orthographe intégré dans des situations


de production textuelle
Une transformation significative de la didactique de la langue écrite est
proposée dans les approches qui tentent d’intégrer l’apprentissage de l’ortho-
graphe dans des situations de production textuelle. Dans ces approches, l’ortho-
graphe est abordée dans la même perspective que le processus de production
lui-même, c’est-à-dire en insistant sur son caractère « fonctionnel, social et
contextuel » (Bean & Bouffler, 1987, p. 7). Des approches intégrées basées sur
des principes sociocognitifs d’inspiration vygotskienne ont été élaborées par
Needels et Knapp (1994) et par Englert, Raphael et Anderson (1992). En obser-
vant des élèves pendant des ateliers d’écriture, on peut saisir la progression de
leurs constructions orthographiques dans des situations significatives d’énoncia-
tion et de révision (Bousquet, Cogis, Ducard, Massonet & Jaffré, 1999).

170
Les effets d’une didactique intégrée de l’orthographe ont été l’objet d’une
étude que nous avons menée pendant une année scolaire dans des classes de
deuxième et de sixième primaire (élèves de 8 et de 12 ans) en Suisse romande 2.
Pour chaque degré scolaire nous avons élaboré huit situations de production tex-
tuelle. Chaque situation est conçue pour permettre un traitement « ciblé » de
deux objectifs orthographiques en rapport avec la structure du texte à écrire : par
exemple, en sixième primaire, les accords dans le groupe nominal sont travaillés
lors de la production d’un texte descriptif, tandis que l’emploi des verbes au
passé composé est abordé dans une situation d’interview journalistique. Les
productions se situent dans une perspective fonctionnelle de communication : le
texte produit est adressé à un destinataire externe ou interne à la classe et de
nombreuses interactions sociales accompagnent les activités de composition et
de révision. La maîtrise des objectifs d’orthographe est favorisée par diverses
modalités de régulation liées aux interactions de l’élève avec l’enseignant, avec
d’autres élèves et avec les outils à disposition.
Résumons maintenant les caractéristiques des approches intégrées par
rapport aux quatre dimensions de notre cadre d’analyse. La mise en pratique de
ces approches implique un processus complexe de transposition didactique
englobant non seulement des savoirs d’orthographe lexicale et grammaticale,
mais aussi des savoirs linguistiques et métalinguistiques relatifs aux multiples
composantes (sémantiques, syntaxiques, discursifs, pragmatiques) de la produc-
tion textuelle. Une progression des activités didactiques au cours de la scolarité
primaire paraît nécessaire pour assurer l’articulation des savoirs et l’automatisa-
tion des démarches d’écriture.
Les approches intégrées se situent clairement dans une perspective de
contextualisation de l’apprentissage de la langue écrite. Leur but est d’amener
l’élève à construire des compétences orthographiques dans des situations d’écri-
ture proches des conditions de la vie extra et postscolaire dans lesquelles il sera
appelé à mobiliser et exploiter ses connaissances. Plutôt qu’un transfert de
connaissances entre situation d’apprentissage et contexte d’utilisation ultérieure,
les approches intégrées visent un apprentissage élaboré en contexte.
Cette forte contextualisation implique inévitablement une grande com-
plexité des composantes de la tâche et un risque de difficultés liées à la charge
cognitive des opérations que l’élève doit assumer. On peut chercher cependant à

2. Pour une description plus détaillée des séquences didactiques et les analyses des effets constatés dans
chaque année scolaire, voir Allal, Bétrix-Keohler, Rieben et Rouiller (1998) et Allal, Rouiller, Saada-Robert et
Wegmuller (1999).
Cette recherche a bénéficié du subside n° 4033-034811 attribué à L. Allal, D. Bétrix-Koeher, L. Rieben,
M. Saada-Robert et E. Weigmuller par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique.

171
délimiter certains aspects de la charge cognitive sans transformer les paramètres
essentiels de la tâche de production. Ainsi, dans notre recherche, nous mainte-
nons l’intégrité de la situation fonctionnelle de communication, mais nous pro-
posons aux élèves d’anticiper le contenu du texte dans une phase initiale de pré-
paration à l’écriture de façon à faciliter leur centration ultérieure sur les
opérations de mise en texte (y compris les opérations orthographiques). Par
ailleurs, nous encourageons l’appropriation de divers outils (ouvrages de réfé-
rence, guides personnalisés d’orthographe, techniques de relecture ciblée) qui
peuvent aider l’élève à résoudre les difficultés rencontrées au cours de chaque
phase de production.
Les approches de type intégré comprennent des régulations issues des
interactions de l’élève avec l’enseignant, avec d’autres élèves, avec un matériel
didactique. Une importance particulière est accordée au développement des
capacités d’autorégulation de l’élève à travers l’intériorisation progressive des
formes d’interaction et des outils utilisés dans les situations de production. On
vise non seulement l’acquisition par l’élève de compétences cognitives, en pro-
duction écrite et en orthographe, mais aussi le développement de compétences
métacognitives de gestion des différentes composantes de la tâche.

♦ Vers des séquences didactiques reliant activités spécifiques


et intégrées
Malgré les oppositions de principe qui distinguent les approches spéci-
fiques et intégrées de la didactique de l’orthographe, la question peut se poser
quant à la manière de les articuler dans le cadre d’une séquence didactique com -
prenant plusieurs composantes. Par exemple, dans la conception proposée par
Ducard (1995, p. 242), l’enseignement de l’orthographe est intégré dans des
activités de sémiologie de l’écrit et des situations fonctionnelles de lecture/écri-
ture, mais les élèves effectuent, en parallèle, des activités spécifiques ordonnées
selon des critères de complexité linguistique. Nos propres recherches ont permis
l’élaboration de séquences didactiques « en boucle » (Allal et al., 1999) : une
première activité complexe, intégrant le traitement d’objets orthographiques
dans la production textuelle, est suivie de tâches plus simples et plus spéci-
fiques, centrées sur des savoirs orthographiques qui ont posé problème dans la
situation de production ; la séquence est ensuite « bouclée » par une nouvelle
situation complexe de production permettant le réinvestissement des compé-
tences acquises sur les plans orthographique et textuel.

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173
BELEC et l’évaluation de l’orthographe
Christiane Baudesson, Olivia Sandevoir

Résumé
« BELEC est une batterie d’évaluation psycholinguistique qui a été conçue pour faciliter le
diagnostic des troubles spécifiques de la lecture et de l’orthographe ».
Les orthophonistes sont amenés à utiliser un tel outil dans le cadre de l’évaluation des
troubles de l’orthographe. Mais cet outil n’étudie pas tous les aspects de l’orthographe.
Mots-clés : Evaluation, diagnostic, orthographe, orthophonie, métalinguistique, morphogra-
phique.

The use of BELEC in evaluating spelling skills

Abstract
« BELEC is a battery of psycholinguistic tests developed to facilitate the diagnosis of specific
disorders in reading and writing. »
Speech and language therapists can use this type of tool to assess spelling disorders.
However this tool does not deal with all dimensions of spelling.
Key Words : Evaluation, diagnosis, spelling, speech and language therapy, metalinguistic
approaches, morphography.

175
Christiane BAUDESSON
Olivia SANDEVOIR
orthophonistes
C.R.E. - E.R.E.A.
54630 Flavigny/Moselle

L
es différents tests de langage écrit dont disposent les orthophonistes sont
liés historiquement aux diverses théories explicatives des troubles de la
lecture et de l’écriture.
Les tests traditionnellement utilisés sont des dictées.
Celles de S. Borel-Maisonny étalonnées par A. Girolami-Boulinier en
1977, varient suivant le niveau de classe. Elles sont conçues de manière à « pro-
voquer » un certain nombre de fautes, comme par exemple la dictée de fin de
CM2 qui est saturée en accords. Le nombre moyen d’erreurs pour ce niveau est
de 14 pour 8 phrases ! Il s’agit ensuite pour l’orthophoniste de classer les
erreurs dans des catégories qui reposent sur des critères linguistiques et/ou ana-
lytiques, ce qui ne laisse pas d’être litigieux. La notation peut varier d’un cor-
recteur à un autre.
D’autres tests proposent des dictées où les mots à considérer sont précisés
suivant les aspects phonétique, usage et grammaire pour la batterie de M. Savi-
gny (1976) (qui comprend aussi des épreuves de lecture et de mathématique), ou
suivant les catégories Règles, Usage et Phonétique pour le R.U.P. (1954) de
J. Simon.
La batterie Orlec (1973) de M. Lobrot, quant à elle, ajoute 4 épreuves
d’orthographe à ses 4 épreuves de lecture (plus une série « Disposition », D1
épreuve de vocabulaire et D2 épreuve phonétique, s’adressant aux enfants avant
l’apprentissage de la lecture). Ici, sont distingués les différents types d’ortho-
graphes : phonétique, lexical et syntagmatique.
Toutes ces épreuves ont pour objectif principal de situer l’enfant par rap-
port aux autres enfants de son âge ou de sa classe. Elles s’intéressent au com-
portement de surface, la classification de A. Girolami-Boulinier se différenciant
par un début d’analyse en relation avec la théorie instrumentaliste. Mais faute de
clarté, cette cotation est difficilement exploitable.

176
Les années 80 ont vu se multiplier les recherches et ouvrages concernant la
lecture, mais l’orthographe qui avait été étudiée sur la base des tests précités, res-
tait le parent pauvre des études et publications. Elle redevient avec notamment les
travaux de J.P. Jaffré et M. Fayol, qui abordent le traitement cognitif des informa-
tions linguistiques (texte, grammaire, orthographe), un sujet à part entière.

♦ Présentation de BELEC
L’évaluation en orthographe est une des préoccupations de l’orthopho-
niste, lorsqu’un enfant vient pour une rééducation en langage écrit. Aussi la
publication d’une batterie d’évaluation du langage écrit reposant sur un modèle
théorique de traitement de l’information écrite ne pouvait qu’éveiller notre inté-
rêt.
La batterie BELEC (1994) comprend des épreuves de lecture, une
épreuve d’orthographe et des épreuves métalinguistiques. Le but de cette batte-
rie, en référence à un modèle cognitif, est d’analyser les processus mis en œuvre
par l’enfant lors des activités de lecture ou d’écriture. Le versant compréhension
n’est pas envisagé.
La passation demande trois séances d’environ 40 minutes.
Notre contribution étant centrée sur l’orthographe, nous avons choisi de
présenter les épreuves de lecture, puis les épreuves métalinguistiques avant de
détailler l’épreuve ORTHO 3.
Les épreuves de lecture.
Test MIM (Mécanismes d’Identification des Mots).
Il se compose de deux séries équivalentes, MIM A et MIM B 1, de 72
items chacune, une seule des séries suffisant au bilan initial. L’autre série per-
met une évaluation ultérieure.
Il a pour but d’analyser le rôle de la lexicalité (mots / pseudomots), de la
fréquence d’usage (mots rares / mots fréquents) et de la longueur (items courts :
5 lettres / items longs : 9 à 12 lettres).
Il permet d’aborder également le rôle de la complexité orthographique :
pour assembler un item complexe, il faut intégrer un plus grand nombre de
lettres par syllabe.

1. Les fiches des épreuves MIM A et MIM B comportent des abréviations que l’on ne retrouve nulle part
ailleurs dans la batterie. Certes, l’utilisateur reliera l’abréviation F- à la catégorie « rares», F+ à «fréquents »,
F0 aux pseudomots, mais ce défaut de l’homogénéité de la nomenclature nuit à la clarté de la présentation.

177
Test REGUL.
Ce test complète le précédent en étudiant le rôle de la régularité orthogra-
phique. Il comporte 48 mots dont 24 sont réguliers et 24 irréguliers appariés en
fréquence et en longueur (nombre de lettres et syllabes).
Il met en évidence les erreurs de régularisation qui proviennent d’une
application stricte des règles de correspondance graphème - phonème.
Exemple : porc oralisé [pɔRk] ; second oralisé [səkɔ̃]
Les épreuves métalinguistiques
L’accès à l’écrit implique de multiples habiletés cognitives parmi les-
quelles les habiletés métalinguistiques, dont le rôle déterminant dans l’acquisi-
tion de la lecture et de l’orthographe a été mis en évidence par de nombreux tra-
vaux.
Afin d’analyser plus finement les causes possibles du dysfonctionnement
de l’écrit, la batterie BELEC propose une évaluation de trois habiletés métalin-
guistiques essentielles :
- la prise de conscience de la nature segmentale de la parole en relation
avec le principe alphabétique,
- la perception fine de la parole déterminante dans le décodage (lecture)
ou l’encodage (orthographe),
- la mémoire phonologique de travail, qui permettrait de maintenir en
mémoire une représentation exacte de la correspondance graphème-pho-
nème.
La connaissance des lettres et des graphèmes (10 mn)
Une première partie du test consiste à nommer les 26 lettres de l’alphabet
présentées de façon aléatoire, la deuxième à trouver le phonème correspondant à
37 graphèmes : consonnes, groupes consonantiques, é, è et voyelles de deux ou
trois lettres.
Les habiletés de perception de la parole et de la mémoire phonologique de
travail
Cette épreuve a pour but d’évaluer :
- l’empan de mémoire immédiate sur un matériel verbal sans
signification ;
- la qualité des habiletés de perception de la parole. Elle est préenregistrée
et comprend deux listes de pseudomots de complexité différente, ayant
chacune 5 séries de 4 items dont la longueur peut varier de 1 à 5 syllabes.

178
De mauvais résultats à ce test signifient des difficultés au niveau de la
mémoire phonologique ou des difficultés perceptives.
Cette épreuve peut être complétée par le test de mémoire immédiate de
chiffres de Weschler, afin de mieux cerner les problèmes de l’enfant.
Les habiletés métaphonologiques
Ce test comporte 3 épreuves préenregistrées, intégrant les consignes don-
nées à l’enfant, quelques exemples et un feed-back correctif régulier.
INVERSION SYLLABIQUE ET PHONÉMIQUE (10 MN)
Deux séries d’épreuves sont proposées à l’enfant : la première consiste à
inverser les syllabes des pseudomots bisyllabiques, la deuxième à inverser
les phonèmes des monosyllabes (CV ou VC).
SOUSTRACTION SYLLABIQUE ET PHONÉMIQUE (10 MN)
L’épreuve se compose :
- d’une partie syllabique de 16 items dont la consigne est de soustraire la
syllabe initiale de pseudomots (CVCV),
- de deux parties phonémiques où il s’agit de soustraire le phonème initial
de monosyllabes du type CVC (16 items), le phonème initial de mono-
syllabes du type CCV (10 items).
ACRONYMES AUDITIFS (10 MN)
La tâche consiste à fusionner les premiers phonèmes de deux mots enten-
dus pour créer un nouveau mot. Seize paires de mots sont ainsi proposées
à l’enfant. Ceux-ci ont été choisis de façon à pouvoir indiquer si l’enfant
a fondé sa réponse sur l’orthographe ou sur la phonologie des mots : la
référence à l’orthographe peut être une stratégie de compensation face à
la difficulté de réalisation de la tâche phonologique.

♦ ORTHO 3
Présentation.
Cette épreuve qui nous intéresse plus particulièrement est constituée de
38 phrases lacunaires à compléter par 70 mots, surtout des noms et des adjectifs.
L’analyse de la transcription de graphies particulières doit permettre l’éla-
boration d’un modèle des stratégies utilisées par le scripteur.
On envisagera notamment la maîtrise des correspondances simples, le
rôle de l’environnement orthographique dans le mot, les connaissances stockées

179
lorsqu’il existe plusieurs graphies pour un même phonème, le recours à la mor-
phologie de la langue (ici à la dérivation).
Quatre catégories de graphies sont étudiées :
Les graphies consistantes acontextuelles
Pour ces graphies les correspondances phono-graphémiques sont intan-
gibles, elles ne dépendent pas du contexte.
Les graphies concernées sont des consonnes simples (-f-, -p-,...) , des
consonnes complexes (-ch- pour [ʃ] , -gn- pour [ø]), des groupes consonan-
tiques (-gr-, -pr-,...) et des voyelles complexes (-ou-, -on-, -oi-,...).
Pour cette première catégorie de graphies, le rôle de la fréquence n’est
pas envisagé.
Les graphies consistantes contextuelles
Les règles de correspondance sont systématiques dans le contexte où elles
s’inscrivent. La règle choisie pour évaluer l’acquisition de ce type de graphie est
la suivante : devant les lettres -m-, -b-, -p-, les voyelles nasales s’écrivent en uti-
lisant la lettre -m-.
Les graphies inconsistantes contextuelles
D’une part, le phonème envisagé a plusieurs transcriptions possibles,
d’autre part, des règles contextuelles doivent être utilisées pour que la forme
sonore du mot soit respectée. Pour transcrire [s] devant les voyelles -e- et -i-,
deux graphies essentielles : -s- et -c-.
Pour chaque phonème étudié, il y a une graphie dominante, dans notre
exemple, il s’agit de -s- (cf. la notion d’archi-graphème de N. Catach).
Les graphies dérivables par la morphologie
Elles sont représentées ici par les consonnes muettes en fin d’adjectif qui
peuvent être actualisées lors de la mise au féminin (gris, haut).
On propose aussi, pour contrôle, des mots dont on ne peut déduire l’or-
thographe par la morphologie (jus, appétit).
Pour ces trois dernières catégories de graphies, le test envisage le rôle de
la fréquence d’usage des mots dans lesquels ces graphies s’insèrent.
Étude plus précise de l’épreuve Ortho 3
Le choix des mots
En ce qui concerne le choix des mots, les auteurs de Belec ne signalent
pas comment ils les ont retenus.

180
Ils s’appuient sur BRULEX, banque de données lexicales informatisée
interne à leur laboratoire, pour classer un mot dans les catégories « rares » ou
« fréquents ».
La batterie est censée tester des enfants de 7 à 12 ans, nous avons donc
regardé si ces mots appartenaient au vocabulaire orthographique de cette tranche
d’âge.
Sur 70 mots, seuls 39 mots sont répertoriés dans l’échelle Dubois-Buyse,
dont 2 acquis à partir de 13 ans.
Si on se réfère aux listes de N. Catach, seuls 22 mots sont répertoriés aux-
quels s’ajoute un mot dont l’orthographe peut être déduite : « guider » à partir
de « guide ».
On pourra objecter que les mots dits « rares » ne doivent pas apparaître
dans un échantillon des mots les plus fréquents. Si on se penche plus avant sur
la distribution suivant ce critère, on constate que 7 mots rares sont cotés dans
l’échelle Dubois-Buyse : ils se répartissent de l’échelon 18 (4e année d’appren-
tissage) à l’échelon 36 (9e année).
Par contre, 5 mots « courants » n’y sont pas cotés. Les 31 mots cotés se
distribuent de l’échelon 6 à l’échelon 25 (6e année d’apprentissage), avec une
concentration dans les échelons 12 à 15 (3e année d’apprentissage, enfants de 8
à 9 ans).
Cette dernière catégorie de mots est assez peu homogène d’après les
échelles en notre possession.
Le choix des graphies testées
Par principe, la batterie BELEC n’est pas destinée à permettre un inven-
taire exhaustif des erreurs commises par l’enfant, mais à participer à une évalua-
tion diagnostique.
Mais, cette évaluation se fait à partir de mots comportant des graphies
données. Les auteurs ne précisent pas les raisons du choix des graphies. Pour-
quoi étudier l’opposition f / v plutôt que m / n ? -gr- et pas -cr- , -tr- et pas -
dr ?...
Comment préciser la représentativité de telle graphie pour une des 4 caté-
gories proposées ?
Peut-on inférer qu’une stratégie utilisée majoritairement pour ces gra-
phies représentatives sera utilisée pour d’autres graphies classées dans la même
catégorie ? D’autant que la place de la graphie dans le mot n’est pas clairement
spécifiée - tantôt elle varie (fusain, café), tantôt elle est fixe (bambou, boudin)-

181
et que le nombre de mots où la graphie apparaît change - un seul mot pour -v-,
deux pour les autres graphies consistantes acontextuelles-.
Le classement des graphies proposé ne permet pas de mettre en évidence
l’acquisition de l’opposition sourde / sonore pour toutes les consonnes : par
exemple, certains des graphèmes transcrivant [k] et [g] apparaissent dans un
contexte particulier et dans des catégories différentes.
Quant à la partie morphologique de l’épreuve, elle nous semble restrictive
par le nombre et la nature des mots choisis (des adjectifs changeant phonologi-
quement au féminin). De plus, elle est insuffisante pour évaluer les processus
d’acquisition de la morphologie de la langue au niveau du mot (notamment les
préfixes et les suffixes).
Enfin, les auteurs de BELEC conseillent de procéder à une analyse
détaillée des mots dictés qui peut aller au-delà des graphies critiques étudiées
dans le test 2. L’étude du corpus fourni à cette occasion est certes possible et
intéressante, mais pas davantage que d’autres productions écrites de l’enfant.
Pourquoi alors utiliser un test standardisé ?
La nature grammaticale des mots dictés
Ce sont surtout des noms (55). Viennent ensuite les adjectifs (11), puis
seulement 2 verbes, 1 pronom (quoi), 1 adjectif numéral (quatre).
D’un point de vue linguistique, cette répartition pose problème si l’on
considère que 50% des productions écrites en français par les enfants d’âge sco-
laire normal sont constituées des mots-outils d’Henmon.
La signification des phrases
Le contenu des phrases n’est bien sûr pas la priorité dans ce type de batte-
rie. Il est néanmoins regrettable d’y trouver des phrases moralisantes (17, 18,
27) ou cette phrase parlant de David qui ne serait pas idiot car son quotient
intellectuel est très haut !
La démarche psycholinguistique des créateurs de Belec, centrée sur l’ana-
lyse des comportements linguistiques et métalinguistiques des enfants leur fait, à
notre avis, négliger certains critères linguistiques dans le choix de leur matériau.

♦ Présentation des résultats de deux enfants


Alix, jeune I.M.C., âgé de 12 ans au moment de la passation de la batte-
rie est scolarisé en classe de 6e, dans un collège relevant de l’enseignement spé-

2. Fascicule introductif de BELEC p. 19.

182
cialisé. Il marche, peut écrire à la main, mais utilise préférentiellement l’ordina-
teur pour des raisons de lisibilité et pour éviter la fatigue. L’épreuve ORTHO 3
lui a donc été présentée sur l’ordinateur où les phrases lacunaires avaient été
rentrées au préalable.
Alix a été suivi en orthophonie de l’âge de 6 ans à l’âge de 9 ans pour un
bégaiement et des troubles de la parole très invalidants qui ont complètement
régressé. Son niveau en langage oral est maintenant bon. Il est actuellement
suivi en orthophonie à raison d’une séance par semaine pour ses difficultés en
orthographe au sens large : par exemple, les règles de ponctuation dans la
phrase et le texte sont très difficilement appliquées.

Test MIM : pourcentage de réponses correctes et, entre parenthèses, temps de lecture moyen
(en seconde / item)
Pseudomots Mots rares Mots fréquents
Courts Longs Courts Longs Courts Longs
Simples 83,3 (1,4) 66,6 (3,77) 100 (1,49) 100 (1,74) 100 (1,46) 100 (2,41)
Complexes 66,6 (1,38) 33,3 (3,44) 66,6 (1,92) 66,6 (2,41) 83,3 (1,71) 100 (1,32)
Moyenne 74,9 (1,39) 49,9 (3,6) 83,3 (1,7) 83,3 (2,08) 91,6 (1,58) 100 (1,86)

Dans cette épreuve de lecture, si l’on compare les résultats d’Alix avec
la moyenne des performances des enfants de 5e année, on constate que ses
pourcentages de réussite sont inférieurs pour 7 catégories sur 12. Ils sont
supérieurs pour les mots simples, fréquents et rares - mais pas pour les pseu-
domots -, pour les mots fréquents simples courts et longs et plus étonnant
pour les mots fréquents, longs et complexes. Le temps est très allongé dans
tous les items.
D’une manière générale, l’effet de fréquence est très fort, les pseudomots
longs et complexes étant très mal lus (33,3%) avec un temps maximum (3,44 s
par item). La sensibilité à la longueur se fait sentir surtout dans les pseudomots,
là où le recours à la voie directe n’est pas possible.

Test REGUL (Même échelle que pour MIM)

Réguliers Irréguliers
100 (1,13) 75 (1,55)

Les mots réguliers sont très bien lus mais plus lentement que par les
enfants du même âge. Les mots irréguliers donnent lieu à trop de régularisations
avec là encore, un allongement du temps.

183
Test ORTHO 3

Mots rares fréquents


Graphies consistantes acontextuelles
Consonnes simples 100 %
Consonnes complexes 75 %
Groupes consonantiques 100 %
Voyelles complexes 100 %
Graphies consistantes contextuelles 16,6 % 50 %
Graphies inconsistantes
Dominantes 77,7 % 100 %
Minoritaires 44,4 % 88,8 %
Graphies dérivables par la morphologie
Dérivables 16,6 % 66,6 %
Indérivables 16,6 % 100 %

En orthographe, l’effet de fréquence est important, ce qui montre bien le


recours à la stratégie d’adressage. Mais l’effet de dominance n’est pas négli-
geable.
La supériorité du score obtenu pour les graphies indérivables par rapport
aux graphies dérivables (dans les mots fréquents) indique qu’Alix n’utilise pas
le principe morphologique qui devrait apparaître à cet âge (91,6% de réussite
chez les enfants de 5e année pour les mots dérivables fréquents).
Si l’on se penche sur la globalité des productions, les erreurs phonolo-
giques qui respectent la forme sonore du mot sont majoritaires. Elles relèvent de
deux origines :
- un non-respect de la forme orthographique du mot (« selleri » pour
« céleri »),
- une absence de prise en compte du contexte (« girlande » pour « guir-
lande ») ; les auteurs de BELEC parlent ici de graphies phonologique-
ment acceptables hors du contexte. L’absence d’accent sur la lettre -e- ,
répétée six fois chez Alix pourrait relever de cette catégorie d’erreurs.
La procédure phonologique est largement utilisée pour écrire les mots
rares.
Alix a encore des difficultés dans le maniement des correspondances
phono-graphémiques et se représente parfois mal la forme sonore du mot
(« dédi » pour « délit »...).

184
Enfin, on trouve d’autres erreurs plus complexes, difficiles à interpréter
dans ce cadre méthodologique (par exemple, « consen » pour « quotient »).
Les épreuves métalinguistiques
Connaissance de lettres : bonne, une erreur [ka] pour q
de graphèmes : correcte, 5 erreurs : [wa] pour -w- ;
[wa] pour -oin- ; [e] pour -è- ; [gn] pour -gn- ; [y] pour -eu-. Pour cette
dernière erreur, peut-on parler d’une lexicalisation, le participe passé du verbe
« avoir » se prononçant [y] alors que l’oralisation du graphème dans les mots
est [ø] ?

Répétition de pseudomots
Partie CV Partie CCV
% R.C. 65 66,6
empan 5 3

Cette épreuve évaluant la perception de la parole et la mémoire phonolo-


gique de travail est très révélatrice des difficultés d’Alix. Ses résultats sont infé-
rieurs à ceux d’un enfant de 8 ans.
Conclusion :
Les résultats en lecture et orthographe montrent que la voie d’adressage
est largement utilisée pour compenser les difficultés d’assemblage soulignées
par les mauvais scores en lecture de pseudomots et en orthographe de mots
rares. Néanmoins, d’autres effets interfèrent et on ne peut déterminer un
« profil » à une seule composante, ce qui est le cas pour la plupart des enfants
que nous suivons en rééducation.
Amandine, âgée de 11 ans 5 mois, est scolarisée en CM2 dans un centre
de réadaptation fonctionnelle, où elle bénéficie d’une rééducation kinésithéra-
pique intensive, successive à un allongement fémoral. Elle a présenté des
troubles de la lecture en CE1-CE2, qui ont nécessité une rééducation orthopho-
nique.
Actuellement, en dehors de troubles résiduels discrets, la qualité du
déchiffrement et de la compréhension de texte est globalement satisfaisante.
En revanche, des difficultés massives en orthographe existent (à mettre en
relation avec les difficultés d’apprentissage de la lecture ?) tant sur les plans
phonologique, morpho-syntaxique que lexical, ce qui a justifié la reprise de la
rééducation.

185
Test MIM

Pseudomots Mots rares Mots fréquents


Courts Longs Courts Longs Courts Longs
Simples 83,3 (0,98) 83,3 (2,31) 83,3 (0,98) 66,6 (1,68) 100 (0,65) 100 (1,53)
Complexes 66,6 (1,3) 33,3 (2,1) 100 (0,83) 66,6 (1,9) 100 (0,56) 100 (0,91)
Moyenne 74,8 (1,14) 58,3 (2,2) 91,6 (0,9) 66,6 (1,79) 100 (0,6) 100 (1,22)

Dans le test MIM, Amandine obtient des performances supérieures à


celles de l’échantillonnage (100% de R.C.) pour tous les mots fréquents, et pour
les mots rares courts et complexes.
Sa fragilité apparaît dans le décodage des mots rares longs et complexes,
mais surtout dans celui des pseudomots longs et complexes.
Sa vitesse de lecture est globalement plus rapide que celle des élèves
témoins.

Test REGUL

Réguliers Irréguliers
87,5 (0,5) 75 (0,7)

Dans le test REGUL, les résultats d’Amandine sont inférieurs à ceux de


la population témoin. En revanche, sa vitesse de lecture est plus élevée.
Test ORTHO 3
Mots rares fréquents
Graphies consistantes acontextuelles
Consonnes simples 100 %
Consonnes complexes 75 %
Groupes consonantiques 100 %
Voyelles complexes 83,33 %
Graphies consistantes contextuelles 33,33 % 100 %
Graphies inconsistantes
Dominantes 77,77 % 100 %
Minoritaires 22,22 % 88,88 %
Graphies dérivables par la morphologie
Dérivables 16,66 % 83,33 %
Indérivables 33,33 % 33,33 %

186
Amandine obtient des résultats inférieurs à ceux de la population de réfé-
rence dans la majorité des épreuves. Au niveau des graphies consistantes acon-
textuelles, les voyelles et les consonnes complexes ne sont pas complètement
dominées.
Pour les graphies consistantes contextuelles, et inconsistantes, le facteur
de fréquence joue un rôle essentiel.
Cet effet intervient également dans la transcription des graphies déri-
vables, mais n’améliore pas les résultats pour les indérivables. L’hypothèse
émise dans ce cas par les auteurs de BELEC est « que la morphologie et les
connaissances lexicales interagissent... Ceci pourrait vouloir dire que le recours
à la morphologie n’est pas systématique et dépend en particulier de la familia-
rité du mot. » 3
Le constat d’un effet de fréquence pour la majorité des items indiquerait
donc que la procédure d’adressage est utilisée pour les mots les plus familiers.
Si on examine l’ensemble des productions, on remarque une prédomi-
nance des substitutions phonologiques avec :
- une mauvaise utilisation des différentes représentations d’un même son
(« todie » pour « taudis »),
- un emploi erroné des graphies ayant plusieurs valeurs phonétiques
(« présie » pour « précis »).
S’y ajoute une connaissance insuffisante des correspondances phonème-
graphème avec une confusion entre les consonnes sourdes et sonores.
Épreuves métalinguistiques
Connaissance des lettres : on remarque une confusion réciproque entre les
lettres b et d.
Connaissance des graphèmes : des hésitations et 7 erreurs : [b] pour d ;
[k] pour p (en référence à la lettre q) ; [z] pour s ; [wε̃] pour oi ; [z] pour x ; [gn]
pour gn ; [ε̃] pour oin.

Répétition de pseudomots

Partie CV Partie CCV


% R.C. 80 83
empan 5 3

3. Fascicule introductif de BELEC p. 18-19.

187
Habiletés métaphonologiques (voir tableau page suivante)
Dans les opérations d’inversion, les erreurs ne portent pas sur les pho-
nèmes à inverser, mais sur les autres (assimilation entre bilabiales). Les autres
opérations sont totalement réussies.
Dans l’épreuve des acronymes, Amandine recourt une seule fois à une
représentation orthographique, avec un score de13/16, ce qui ne nous semble
pas significatif.
Conclusion :
Amandine rencontre des difficultés dans la procédure d’assemblage, ce
qui s’explique en partie par sa maîtrise encore incomplète des correspondances
grapho-phonémiques. Elle utilisera donc la procédure lexicale en lecture et en
orthographe, notamment lors de l’oralisation de pseudomots, comme stratégie
compensatoire (cf. l’effet de régularité).
L’effet de fréquence apparaît en lecture et en orthographe.
Tableau comparatif des résultats aux épreuves métalinguistiques
Alix Amandine Groupe contrôle de 2e année
Nom des lettres (/26) 25 24
Son des graphèmes (/37) 32 29
Répétition de pseudomots
Partie CV
empan 5 5 5
% RC 65% 80% 76%
Partie CCV
empan 3 3 3
% R.C. 66,6% 83,3% 53%
Inversion
syllabique 70% 80%
phonémique 90% 90% >90%
Soustraction
syllabique 92,5% 100%
phonémique CVC 92,5% 100%
phonémiqueCCV 100% 100%
Acronymes 100% 81,25% 83%
erreurs orthographiques 0 1

188
La lecture de ce tableau ne nous donne que peu d’informations complé-
mentaires :
Nous regrettons de ne pas disposer de résultats d’échantillons contrôles
pour l’épreuve de connaissance de lettres et de graphèmes et de ne disposer
que de ceux de 2e année d’apprentissage pour les autres épreuves métalin-
guistiques. La référence à une population nous permettrait d’affiner notre
analyse.
Quant aux épreuves métaphonologiques, nous rejoignons les conclusions
des auteurs de BELEC qui précisent que pour des enfants dyslexiques de plus
de 9 ans, « ces épreuves peuvent se révéler parfois peu sensibles si l’on ne prend
en compte que le taux de réussite » 4. Alix qui a exécuté sans erreur l’épreuve
des acronymes, observe un temps de latence relativement long avant de
répondre.
L’épreuve de répétition de pseudomots semble plus révélatrice car elle
met en évidence des empans équivalents à ceux des enfants de 8 ans. Pour Alix
le taux de réussite a un niveau inférieur (dans la partie CV), et pour Amandine
un niveau légérement supérieur. Mais il nous manque l’évolution ultérieure des
performances pour affirmer un déficit de perception et/ou de mémoire phonolo-
gique de travail chez Amandine.

♦ Intérêts et limites de la batterie


Dans le cadre théorique de la psychologie cognitive, les résultats obtenus
à la batterie BELEC par les groupes contrôles mettent en évidence le processus
développemental dans l’acquisition de la lecture et de l’écriture. En ortho-
graphe, ils soulignent l’effet de fréquence dès les débuts de l’apprentissage.
Dans l’abord des enfants en difficulté, BELEC devrait permettre l’établis-
sement d’un « profil » de comportement face au langage écrit. Par rapport à cet
objectif, la batterie nous paraît plus performante en lecture qu’en orthographe.
L’étude de l’orthographe est abordée plus en complément de l’étude de la lec-
ture qu’à part entière.
Utilisation de la batterie
La passation des épreuves est un peu longue et ne pose pas de difficulté
pratique, hormis le chronométrage des deux épreuves de lecture MIM et
REGUL.

4. Fascicule introductif de BELEC p. 2.

189
Par contre le dépouillement de tous les résultats prend du temps pour une
interprétation qui n’est pas forcément limpide. Il serait bénéfique que d’autres
études de cas, correspondant à des catégories d’âge et à des problèmes divers
soient publiées.
En tant que praticiennes de la rééducation de l’orthographe, nous
voyons des limites de deux ordres.
Si l’on se réfère aux mots testés dans Belec, il est très difficile d’élaborer
une progression de rééducation (cf. l’opposition sourde/sonore qui n’est pas
bien mise en évidence).
L’orthographe d’une langue ne se limite pas à l’orthographe de mots iso-
lés, même si l’on a pris soin de les présenter en contexte.
Les acquisitions en orthographe lexicale ne sont pas superposables aux
acquisitions en morphosyntaxe. Il serait intéressant que des études soient pour-
suivies dans une perspective linguistique.

REFERENCES
BOREL-MAISONNY S. (1960). Langage oral et écrit, vol.1, Neuchâtel et Paris : Delachaux et Niestlé.
CATACH N., JEJCIC F. (1984). Les listes orthographiques de base du français. Paris : Fernand Nathan.
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190
Etude d’un cas clinique de perturbation
développementale de l’accès à l’orthographe
lexicale : importance diagnostique et remédiative
d’une approche cognitive pluridisciplinaire
Jean-Pierre Walch
Résumé
Le présent document insiste, à partir de la présentation d’un cas clinique de carence déve-
loppementale de l’accès à l’orthographe lexicale, sur l’apport d’une démarche cognitive plu-
ridisciplinaire dans l’abord diagnostique et remédiatif des perturbations acquisitives de la
production écrite. Une place importante est consacrée à la description des actes curatifs
ciblés et coordonnés mis en oeuvre à partir du profil neurocognitif observé ainsi qu’à l’effet
objectivable de ces actes sur le tableau clinique initial, cela au travers des liens devant
nécessairement unir l’axe diagnostique et l’axe soignant. Des hypothèses sont émises et
discutées d’un point de vue théorique à partir des données évolutives différentielles obte-
nues. La question de la nature des dérèglements cognitifs associés aux dysorthographies de
« surface » est, notamment, posée et illustrée au travers de l’effet des actes curatifs sur le
profil neurocognitif d’ensemble.
Mots-clés : Orthographe lexicale, dysorthographie développementale, rééducation,
approche cognitive, pluridisciplinarité.

A case study of developmental impairment in a child’s access


to lexical orthography : diagnostic and remedial relevance
of a multidisciplinary cognitive approach
Abstract
In the present study, the author stresses the importance of using a cognitive approach in the
diagnosis and remediation of a case of developmental surface dysgraphia. Qualitative theo-
retically-based data from neuropsychologically-guided assessments were collected and
synthesized. The treatment strategy was developed on the basis of an analysis of the initial
profile of neurocognitive impairment. The present paper describes the proposed remediation
strategies and their possible influence on the data oobtained at different stages. Functional
hypotheses are thus put forward and discussed within recent theoretical frameworks. More
specifically, we raise the issue of the nature of those cognitive impairments associated with
developmental surface dysgraphia.
Key Words : Developmental surface dysgraphia, remediation, cognitive approach.

191
Jean-Pierre WALCH
Neuropsychologue
Maison d’Enfants à Caractère Spécialisé
« Les Lavandes »
05700 Orpierre

L
’orthographe d’un mot consiste en une séquence de lettres qui le repré-
sentent. Le système orthographique français est fondé sur la coexistence
de deux modes de représentation : une représentation phonologique
basée sur l’utilisation des règles de transcodage phonème-graphème et une
représentation lexicale permettant d’intégrer des particularités de transcodage
(alternatives et spécifications orthographiques).
Dans un système orthographique profond comme le français, produire
l’orthographe correcte d’un mot, même isolé, requiert très fréquemment la mise
en jeu de relations phonème-graphème non-prédictibles (voir Véronis, 1988, par
exemple). Cela réclame nécessairement l’acquisition, en cours d’apprentissage,
non seulement de connaissances alphabétiques générales (régularité des traduc-
tions phonème-graphème), mais aussi de connaissances spécifiques à des mots
particuliers (dépassement de la stricte prédictibilité).
Ces deux types de connaissances sont progressivement mémorisés au
cours de l’apprentissage du langage écrit.
Le stockage en mémoire de connaissances orthographiques au sens large
(c’est à dire portant sur le système alphabétique et sur l’orthographe spécifique
de mots) pourrait impliquer des mécanismes intéressant conjointement la lecture
et la production écrite (voir notamment Ehri, 1997). L’auteur insiste sur le fait
que l’orthographe des mots est, en effet, lue (extraction d’une forme phonolo-
gique et d’une signification), produite par écrit et vérifiée (soit après production
écrite, soit probablement même au cours de l’acte lexique).
Si certains auteurs mettent en avant le rôle d’une médiation phonologique
dans l’accès à la procédure phonologique et à la procédure lexicale (Bosman et

192
Van Orden, 1997 ; Sprenger-Charolles, Siegel et Béchennec, 1997...), d’autres
argumentent l’hypothèse selon laquelle le stockage progressif de spécifications
orthographiques (consécutif à l’identification des mots) dépendrait plutôt de
l’acte lexique en lui-même, c’est à dire, notamment, du nombre de rencontres
du sujet avec les mots écrits et, probablement, de la qualité fonctionnelle de ces
rencontres (Alégria et Mousty, 1997).
La littérature ainsi que la pratique clinique attestent de l’existence de
patrons contrastés de perturbations développementales de l’accès à la produc-
tion orthographique (voir Valdois, 1996, par exemple).
Certaines de ces perturbations touchent manifestement les capacités d’ac-
cès à la procédure lexicale, ce qui nous semble particulièrement intéressant par
rapport d’une part au caractère profond de l’orthographe française, d’autre part
aux considérations d’ensemble qui précèdent.
Nous insisterons une nouvelle fois, dans le présent document, sur l’apport
d’une démarche cognitive dans l’abord diagnostique et remédiatif des perturba-
tions développementales de l’accès au langage écrit (voir notamment Seymour,
1996 ; Walch, 1996).
Nous nous intéresserons tout particulièrement, à partir de l’étude d’un cas
de carence d’accès à la procédure lexicale, à la description de deux axes proba-
blement corrélés : l’analyse quantitative, mais surtout qualitative, des erreurs
commises sur le plan de la production orthographique et la nature des dysfonc-
tionnements cognitifs associés (incluant ceux relatifs à l’acte lexique).
Le principal développement du présent document consistera en une pré-
sentation du ciblage des actes curatifs coordonnés (au sens de pluridiscipli-
naires) mis en oeuvre à partir des deux points précités ainsi qu’à l’effet objecti-
vable de ces actes sur le tableau clinique initial.
Nous proposerons, enfin, une tentative d’interprétation et de discussion
d’un point de vue théorique des résultats évolutifs obtenus.

◆ Etude de cas
Présentation générale
Y.A.R. est âgé de 13;2 ans à son arrivée au sein de notre institution
(09/97). Cet enfant, de sexe masculin, correspond à la définition des troubles
développementaux d’acquisition du langage écrit donnée par la Fédération mon-
diale de neurologie : âge de lecture inférieur d’au moins 18 mois à l’âge chrono-
logique (niveau de 7;2 ans à l’Alouette pour 12 ans d’âge réel au moment de la

193
passation), scolarisation adéquate et régulière, absence de carence sur le plan
socio-culturel, quotient intellectuel supérieur ou égal à 90 (QIG 113, QIV 113,
QIP 110 au Wisc-R réalisé le 12/01/96), absence de déficience sensorielle ainsi
que d’atteinte d’ordre psychiatrique ou neurologique relevable.

Examen des caractéristiques de la production écrite


Comme nous l’avons précédemment écrit (Walch, 1996), il semble oppor-
tun de se donner les moyens d’éclairer, au travers d’une analyse la plus qualita-
tive possible, le type de fonctionnement sous-jacent que reflètent les produc-
tions, ici écrites, de l’enfant. Il apparaît intéressant, dans ce but, de coupler
l’interprétation de résultats tirés d’une analyse différentielle de l’effet de
variables lexicales à partir de listes d’items (corpus I) et celle de résultats tirés
d’une analyse totalement qualitative des erreurs commises (corpus II). Cela est
réalisé en prenant en compte les caractéristiques d’ensemble des items proposés
avec accès à un corpus plus large (provenant de la transcription d’un texte sous
dictée) et réutilisation, sous l’angle précédemment défini, du corpus I. Nous ren-
voyons le lecteur en annexe pour une description du matériel utilisé. Dans un
souci de clarification du propos et de la démarche, nous nous contenterons, ici,
de traiter de la production orthographique, sous dictée, d’items soit directement
isolés (listes), soit pris en compte d’une façon isolée par rapport à un texte, c’est
à dire sans inclure, sur ce plan, d’éléments relevant de la morphosyntaxe. L’ap-
prentissage des règles morphosyntaxiques nous semble, en effet, introduire une
forme de prédictibilité (tirée notamment de la logique) recouvrant une morpho-
logie en grande partie silencieuse et s’écarter ainsi de notre propos principal
(différencier l’accès à des traductions phonème-graphème prédictibles par trai-
tement alphabétique direct de l’accès, non-prédictible, à des spécifications).
Comme l’illustre le Tableau 1 (corpus I), Y.A.R. montre essentiellement
un effet de deux des variables lexicales utilisées sur le plan de la production
écrite : un effet de complexité phonologique en transcription de pseudomots et
un très net effet de la régularité orthographique. Ces deux effets peuvent être
considérés comme de probables indicateurs de l’utilisation d’une procédure de
traitement par médiation phonologique.
L’analyse différentielle de l’ensemble des erreurs commises en transcrip-
tion sous dictée (Tableau 1, corpus II) vient confirmer une probable difficulté de
stockage en mémoire de connaissances orthographiques spécifiques (c’est à dire
non-directement prédictibles) sur les mots.
Le taux d’erreurs phonologiques apparaît négligeable. L’utilisation de la
médiation phonologique domine de partout où cela est possible. Les mots irré-

194
guliers sont largement régularisés, des mots (« prédictibles ») sont couramment
sur-analysés et il existe une connaissance imparfaite (ou une mauvaise applica-
tion) des règles contextuelles « environnementales » (Y.A.R. utilise le son de la
lettre sans tenir compte de son environnement). Il semble il y avoir échec quasi-
constant de l’accès à une procédure lexicale (voir, au strict minimum, le pour-
centage très élevé de choix d’une mauvaise alternative orthographique ainsi que
d’oubli d’une lettre ne présentant aucun pendant sonore ou pas de pendant
sonore direct).

Transcription de pseudomots simples 87


Transcription de pseudomots complexes 60
Transcription de mots simples fréquents 87
Transcription de mots simples rares 86
Transcription de mots irréguliers 18
Tableau 1 (corpus I) : Résultats initiaux de Y.A.R. aux épreuves de production écrite testant
l’effet de différentes variables lexicales.
Les données chiffrées correspondent à des pourcentages de réussite.

Erreurs phonologiques 04*

Régularisations 69*
Sur-analyse (« acse ») 28*
Méconnaissance de l’environnement graphique (« médesin ») 27*

Choix de mauvaises alternatives orthographiques (« jensive », « sése ») 46*


Oubli d’une consonne muette**ou d’une consonne double*** 72*
Tableau 1 (corpus II) : Résultats qualitatifs initiaux de Y.A.R. sur le plan de la production
orthographique. Les données chiffrées correspondent au pourcentage d’erreurs commises
par rapport au maximum théorique possible au sein du corpus présenté (voir en annexe).
*Ce pourcentage d’erreurs ne concerne que les allographes d’un son donné. Il ne peut donc,
au pire, qu’être compris entre 50% et 67% sur un corpus d’ensemble. **Les morpho-
grammes sont exclus. ***Seules sont comptabilisées, ici, les consonnes doubles purement
graphiques.

Cet état particulier d’accès à la production écrite sous dictée s’accom-


pagne d’un profil neurocognitif que nous allons détailler selon trois axes : l’acte
lexique, les capacités de traitement des informations phonologiques (auditivo-
verbales) et les capacités de traitement des informations visuelles (visuo-spa-
tiales).

195
Lecture de pseudomots simples 87
Lecture de pseudomots complexes 80
Lecture de mots simples fréquents 100
Lecture de mots simples rares 62
Lecture de mots complexes fréquents 100
Lecture de mots complexes rares 86
Lecture de mots irréguliers 87
Tableau 2 (corpus I) : Résultats initiaux de Y.A.R. aux épreuves d’acte lexique testant l’effet
de différentes variables lexicales. Les données chiffrées correspondent à des pourcentages de
réussite.

Erreurs phonologiques 09 02*

Régularisations 04 31*
Méconnaissance des règles « environnementales » 03 16*

Paralexies visuellement proches 15


Confusions de graphèmes visuellement proches 03
Omissions de mots-outils 05
Inversions 03
Omissions de finales 02 000
Tableau 2 (corpus II) : Résultats qualitatifs initiaux de Y.A.R. sur le plan de l’acte lexique.
Les données chiffrées représentent le détail sectorisé des 44 erreurs commises pour 586 mots
lus ainsi que le pourcentage d’erreurs par rapport au maximum théorique possible lorsque
cela est déterminable*.

Profil neurocognitif associé


Acte lexique
Ce dernier apparaît d’un niveau non-négligeable, peu sensible (actuelle-
ment) à l’effet des différentes variables lexicales utilisées (Tableau 2, corpus I).

196
L’effet de régularité observé lors des évaluations initiales (08/96), avec 17% de
réussite sur les mots irréguliers, n’est plus objectivable ici. Actuellement, il
semble exister un effet de fréquence, mais uniquement sur les mots de structure
phonologique simple (ce qui en limite probablement la portée). Les mots irrégu-
liers sont, dans la plupart des cas, bien abordés.
L’analyse différentielle de l’ensemble des erreurs commises en situation
d’acte lexique (utilisation d’un corpus plus large tiré de la lecture d’un texte et
réutilisation du corpus I au niveau des caractéristiques d’ensemble de tous les
items proposés : voir en annexe) autorise à la mise en avant de traits fonction-
nels particuliers (Tableau 2, corpus II).
A partir d’une lecture assez fiable (7.5% d’erreurs seulement) dominent,
ici, des erreurs dénotant une probable imprécision de l’accès aux procédures
attentionnelles d’analyse visuelle ou pouvant, à notre avis, être interprétées
comme telles (principalement paralexies visuellement proches, c’est-à-dire
choix de voisins orthographiques, confusions de graphèmes visuellement
proches, omissions de mots-outils, inversions, omissions de finales). A noter,
ici, une nette tendance à la dégradation des performances dans la durée avec
accroissement du type d’erreurs précédemment décrites (ce qui va aussi dans le
sens de l’hypothèse).
Là encore, les règles contextuelles « environnementales » ne sont pas tou-
jours appliquées (Y.A.R. semblant alors guider sa prononciation sur le son de la
lettre sans tenir compte du contexte environnemental de cette dernière). Il existe
quelques régularisations dénotant aussi l’application probable d’une procédure
par médiation phonologique. Les erreurs phonologiques apparaissent peu nom-
breuses.

Capacités de traitement des informations phonologiques (auditivo-verbales)


Comme le montre le Tableau 3, Y.A.R. ne présente pas de problème
patent sur le plan phonologique (analyse auditive, conscience des chaînes pho-
nologiques, conscience phonémique, mémoire de travail auditivo-verbale et
phonologique, épreuves de répétition...) ni sur le plan, plus général, du langage
oral (dénomination sur images, fluences, capacités définitoires, capacités syn-
taxiques expressives...).
En outre, les capacités en mémoire permanente auditivo-verbale, mesurée
à la BEM 144 de Signoret sont dans la moyenne attendue (score de 53.5/72 pour
un âge réel de 12.1 ans au moment de la passation).

197
Analyse auditive 100*
Verlan 91*
Jugements de rimes 95*
Perception du son /R/ 80*
Suppression du 1er son 89*
Segmentation phonémique 100*

Tâches simultanées(1)
Empan total MDT AV 03
Répétition de mots rares (2) 100*

Dénomination d’images d’objets (3) 93*


Fluence sémantique (1’30’’)
Animaux 33
Fruits 11
Fluence phonémique (1’30’’)
/p/ 09
Vocabulaire passif (4) 100*
Vocabulaire actif 92*
Syntaxe réceptive (5) 100*
Syntaxe expressive 100*

Tableau 3 : Capacités de traitement des informations phonologiques et examen du lan-


gage oral chez Y.A.R. (état initial). Les données chiffrées représentent les pourcentages de
réussite aux épreuves, sauf en ce qui concerne les chiffres en italiques qui ne peuvent être
que des données brutes. *Les résultats passent à 100% de réussite si on accepte les auto-
corrections. (1) Epreuve empruntée à Baddeley et Hitch (1974) = jugements sémantiques
sur une série de phrases, puis restitution ordonnée du dernier mot de chaque phrase.
Concernant la mémoire de travail phonologique, voir aussi les résultats obtenus en sup-
pression du 1er son. (2) Epreuve de répétition de mots difficiles (Chevrie-Muller, Simon,
Decante, 1981). (3) Epreuve de dénomination d’images: LX2 (Chevrie-Muller, Simon,
Decante 1981), (4) TVAP (Deltour, Hupkens, 1979). L’item « Vocabulaire » du Wisc-R (qui
couple connaissances à ce niveau et capacités définitoires) est réussi. 5) NSST (Weil-Hal-
pern, Chevrie-Muller, Simon, 1981). Nous sommes conscients que la plupart des épreuves
standardisées utilisées dans l’évaluation du langage oral saturent à 8.6 ans. Cela entraîne
deux types de commentaires: 1) ces épreuves peuvent tout à fait servir, chez des enfants
plus âgés que ceux correspondant à leur étalonnage, à détecter des déviances dans l’acqui-
sition du langage oral (ce qui n’est absolument pas le cas chez Y.A.R.), 2) les données cli-
niques en notre possession (analyse qualitative de corpus de langage oral induit, semi-
induit et spontané, épreuves cliniques de dénomination rapide et d’accès au lexique selon
les deux modalités sensorielles...) confirment tout à fait l’absence de troubles patents sur
ce plan, chez Y.A.R. Les données soulignées indiquent la possibilité d’une légère faiblesse
au niveau de l’épreuve considérée.

198
Capacités de traitement des informations visuelles (visuo-spatiales)
Le Tableau 4 illustre l’existence, chez Y.A.R. de sévères difficultés
(pour la vitesse et la précision) dans une épreuve d’attention soutenue à base
de barrage de signes diversement orientés. En outre, les capacités de traite-
ment des informations visuo-spatiales en mémoire transitoire sont très
faibles. Par contre, il n’existe pas de problème patent sur le plan de la
mémoire permanente visuelle (voir les résultats à l’échelle visuo-spatiale de
la B.E.M.144 de Signoret).

Barrage de signes diversement orientés (1) :


Vitesse 8e Décile / âge réel
Exactitude 8e Décile / âge réel

Tâches simultanées
Empan total MDT VS (2) 01

Mémoire permanente sur entrée visuelle (3) Moyenne / 11 ans-12.6 ans*


Tableau 4 : Capacités de traitement des informations visuelles (visuo-spatiales) chez Y.A.R.
(état initial). (1) Epreuve d’attention concentrée BAMS (Lahy) : durée 10’. (2) Empan total
de la mémoire de travail visuo-spatiale = Epreuve clinique consistant, à partir d’un système
de grilles, en un jugement de similarité entre une configuration spatiale-cible et une autre
configuration (brièvement présentées successivement), suivi d’une demande de restitution
ordonnée d’un élément positionnel précis de la configuration-cible. (3) BEM 144 (Signoret,
1991). *Epreuve réalisée préalablement au séjour (Y.A.R. étant alors âgé de 12.1 ans).

♦ Actes curatifs coordonnés (pluridisciplinaires) proposés


Le principe curatif d’ensemble que nous avons tiré du profil neurocognitif
précédemment abordé consiste à chercher à améliorer la mémorisation de l’or-
thographe non-directement prédictible par application stricte des traductions
phonème-graphème.
Pour cela, nous avons proposé deux types généraux d’actes soignants mis
en balance selon la possibilité d’utilisation d’un pendant sonore à la représenta-
tion orthographique.
Principe 1
Quand un pendant sonore (phonologique) existe, nous proposons de l’uti-
liser pour (en quelque sorte) renforcer la prédictibilité de la production écrite. Il

199
ne s’agit pas, bien sûr, d’un travail systématique, mais plutôt d’une prise de
conscience en rapport avec le principe 2 (ce dernier étant, à notre avis et dans
les exercices proposés, dominant d’un point de vue curatif).
Toute prédictibilité basée sur le son passe et est illustrée par un travail
couplé en lecture et en transcription.
Cela est valable pour :
- les indices morphologiques marquant l’appartenance à une famille de
mots (exemple : on dicte « froide » à l’enfant et on travaille sur « froid »
en transcription et en lecture) ;
- les mots irréguliers qui conviennent et que l’enfant sait lire (« seconde »
correctement lu, on demande à l’enfant de lire, après coup, exactement
ce que l’on devrait lire normalement, puis de l’écrire sous dictée, c’est à
dire en l’absence du modèle) ;
- l’apprentissage des règles orthographiques contextuelles « environne-
mentales » (en allant là aussi de la lecture à la transcription sous dictée
vers une généralisation).

Principe 2
Quand aucun pendant sonore (phonologique) n’est utilisable, l’aide à la
mémorisation de formes orthographiques passe par deux grandes séries d’exer-
cices coordonnés :
A) une présentation technique des données posant problème (cette pré-
sentation utilise l’acte lexique) :
- abord des phonèmes présentant plusieurs options graphémiques (cela
recoupe d’ailleurs, par certains côtés, l’apprentissage des règles ortho-
graphiques contextuelles « environnementales ». Les différentes façons
d’orthographier /Z/ en sont un exemple) ;
- abord des homophones non-homographes ;
- abord de l’existence de graphèmes n’ayant aucun pendant sonore
(consonnes muettes) ou pas de pendant sonore direct (consonnes
doubles). Concernant certains doublements de consonnes non-purement
graphiques (doublement à la jonction du préfixe et du radical) ou l’utili-
sation (démultipliée à toute une famille de mots) de particularités ortho-
graphiques touchant préfixes, racines ou suffixes, la présentation de la
segmentation morphémique apparaît très utile.
B) une recherche de potentialisation des capacités de traitement et de
stockage de représentations orthographiques :

200
- exercices d’attention distribuée sur entrée visuelle :
. repérage de configurations de lettres existantes ou non. Il s’agit, par
exemple, après une brève présentation visuelle simultanée, de dire combien de
fois la configuration « eau » se trouvait sur une grille comportant d’autres confi-
gurations proches, mais non-existantes (« uae », « aue », « uea », « aeu »,
« eua ») ;
. présentation simultanée ou successive de mots comportant, par exemple,
une option graphémique du phonème /o/ et demande, après brève exposition, de
dire combien de fois l’on retrouvait la configuration « eau » dans l’ensemble de
ces mots. Les graphèmes peuvent être écrits en différentes couleurs, ce qui per-
met de poser des questions portant sur le nombre de lettres écrites en une cou-
leur donnée, ces lettres pouvant correspondre aux configurations que l’on veut
travailler. Nous signalons ici (bien que cela ne soit pas le lieu) que cet exercice
peut aussi être réalisé sur entrée auditive en demandant alors à l’enfant de men-
taliser les données (passage par une procédure d’imagerie visuelle).
Un principe important dans ce type d’exercice est de ne pas prévenir l’en-
fant des questions qui lui seront posées, de façon à conserver un caractère impli-
cite à l’activité ;
. exercices de « priming » portant sur la partie la moins directement pré-
dictible de l’orthographe (travail sur l’implicite). Il s’agit ici, dans un premier
temps, de proposer à l’enfant un exercice d’attention distribuée sur entrée
visuelle n’utilisant pas de constituants-lettres. Par exemple, nous proposons de
lire une série de chiffres en fonction de certaines règles de procédure (lire deux
fois les chiffres qui sont en italique par exemple, ou ne pas lire ceux qui sont en
caractère gras). Une fois cet exercice réalisé et sans aucune consigne supplé-
mentaire, nous proposons à l’enfant la lecture d’un petit texte où les éléments
les moins prédictibles de l’orthographe sont dactylographiés en italique ou en
caractère gras, c’est à dire selon les modalités de l’exercice attentionnel précé-
dent,
- exercices d’amélioration du suivi de la procédure attentionnelle d’ana-
lyse visuelle :
. en situation d’acte lexique, donner le nombre de lettres composant diffé-
rents mots,
. exercice de reconnaissance de mots mêlés avec modèle visuel, puis
sans, sur des mots connus (certains traits pertinents, certains patrons orthogra-
phiques travaillés par ailleurs devant « sauter aux yeux »), mais le repérage de
l’ensemble des lettres composant le mot apparaît aussi nécessaire ;

201
. exercices de reconnaissance de mots identifiés par relectures succes-
sives et de plus en plus rapides d’un même paragraphe ;
. test de reconnaissance orthographique à choix multiples. Ici, tout en res-
tant dans le domaine de la reconnaissance, nous plaçons l’enfant dans une situa-
tion intermédiaire par rapport à la production orthographique car il ne s’agit
plus de reconnaître un mot le plus rapidement possible, mais d’en choisir la
bonne forme orthographique tout en le lisant.
- exercices visant au passage de la reconnaissance au rappel :
. rappel à l’oral sur données explicites (association d’une forme visuelle
et d’une forme sonore par exercices de fluence en choix « orthographique ». Par
exemple, donner en 3’ un maximum de mots comportant le son /o/ écrit
« eau ») ;
. demande de rappel en production écrite sur données explicites (au cours
de l’acte lexique, l’enfant doit réagir par un taping à chaque fois qu’il rencontre
un mot comportant une particularité orthographique donnée, par exemple le son
/ε̃/ orthographié « ain ». Certains des mots sur lesquels l’enfant aura tapé lui
seront dictés après coup. Ici, il convient (bien sûr), de choisir l’option graphé-
mique la moins fréquente quand nous travaillons sur les alternatives orthogra-
phiques ;
. exercice proche du précédent, mais introduisant un caractère implicite
tout à fait nécessaire car le but n’est bien-sûr pas un apprentissage explicite de
tous les mots comportant des particularités orthographiques, ce qui serait d’une
part aussi déplacé que fastidieux, d’autre part contraire aux données qui étayent
l’idée du caractère largement implicite de ce genre d’acquisition (voir Gillet,
Billard et Autret, 1996, par exemple).
Dans ce cas, au cours de la lecture de l’enfant, c’est l’expérimentateur qui
tape sur certains mots dont l’enfant sait qu’il aura à les écrire sous dictée ulté-
rieurement. L’enfant s’arrête sur les mots et les relit. On peut jouer sur l’impli-
cite de la tâche d’une part parce que nous ne précisons pas le problème à l’en-
fant lorsque nous tapons sur un mot, d’autre part parce que nous nous
permettons progressivement de demander à l’enfant d’écrire des mots sur les-
quels nous n’avons pas tapé. Nous profitons de cet exercice pour réintroduire à
ce niveau l’insistance sur des mots irréguliers, sur des finales particulières,
créant ainsi un lien d’amalgame avec le Principe 1. Cet exercice autorise, bien
sûr, l’enfant à utiliser toutes les stratégies disponibles ;
. passage progressif à une production écrite sous dictée (rappel total et en
situation « standard » de séquences de lettres particulières).

202
♦ Résultats évolutifs
Examen des caractéristiques de la production écrite
Sur le plan de la production écrite (voir le Tableau 5, corpus I), seul
demeure (par rapport aux résultats précédents) un net effet de la régularité
orthographique (malgré le doublement du score en transcription de mots irrégu-
liers). L’effet de la complexité phonologique des items a disparu.
L’analyse différentielle de l’ensemble des erreurs commises en transcrip-
tion sous dictée (Tableau 5, corpus II) objective un renforcement sensible des
capacités de stockage en mémoire de connaissances orthographiques spécifiques.
A noter, même lorsqu’il y a échec, l’apparition de productions orthogra-
phiques dénotant un encodage partiel de caractéristiques spécifiques : par

09/97 02/99
Transcription de pseudomots simples 87 93
Transcription de pseudomots complexes 60 100
Transcription de mots simples fréquents 87 100
Transcription de mots simples rares 86 86
Transcription de mots irréguliers 18 36
Tableau 5 (corpus I) : Comparaison entre les résultats initiaux et les résultats actuels de
Y.A.R. aux épreuves testant l’effet de différentes variables lexicales. Les données chiffrées
contenues dans ce tableau et dans ceux qui vont suivre ont été (bien-sûr) calculées d’une
façon identique à celle décrite précédemment.

09/97 02/99
Erreurs phonologiques 04 01

Régularisations 69 53
Sur-analyse 28 11
Méconnaissance de l’environnement graphique 27 16

Choix de mauvaises alternatives orthographiques 46 19


Oubli d’une consonne muette ou d’une consonne double 72 50
Tableau 5 (corpus II) : Comparaison des résultats qualitatifs initiaux et actuels de Y.A.R.
sur le plan de la production orthographique

203
09/97 02/99
Lecture de pseudomots simples 87 100
Lecture de pseudomots complexes 80 93
Lecture de mots simples fréquents 100 100
Lecture de mots simples rares 62 87
Lecture de mots complexes fréquents 100 100
Lecture de mots complexes rares 86 86
Lecture de mots irréguliers 87 92
Tableau 6 (corpus I) : Comparaison des résultats initiaux et actuels de Y.A.R. aux épreuves
d’acte lexique testant l’effet de différentes variables lexicales.

09/97 02/99
Erreurs phonologiques 09 02* 05 01*

Régularisations 04 31* 03 23*


Méconnaissance des règles « environnementales » 03 16* 04 21*

Sous-total 1 (07) (07)

Paralexies visuellement proches 15 09


Confusions de graphèmes visuellement proches 03 03
Omissions de mots-outils 05 00
Inversions 03 01
Omissions de finales 02 00

Sous-total 2 (28) (13)

Total (pour 586 mots lus) 44 25


Tableau 6 (corpus II) : Comparaison des résultats qualitatifs initiaux et actuels de Y.A.R.
sur le plan de l’acte lexique.

204
exemple « hasard » écrit soit « hasar », soit « asard », soit (d’ailleurs) correcte-
ment à un autre moment.
Il existe ainsi et surtout une très nette diminution du pourcentage de choix
d’une mauvaise alternative orthographique ainsi que d’oubli d’une lettre ne pré-
sentant aucun pendant sonore ou pas de pendant sonore direct (types d’erreurs
les plus directement et sûrement concernés par le principe curatif 2).
De plus, les mots irréguliers sont moins souvent régularisés et les tenta-
tives de sur-analyse ainsi que les applications imparfaites des règles contex-
tuelles « environnementales » sont moins fréquentes, ce qui pourrait dénoter une
tendance moins systématique à l’utilisation d’une procédure de traitement par
médiation phonologique.
A noter enfin l’apparition d’un comportement de vérification du candidat
orthographique par relecture spontanée avec corrections successives amenant
souvent à l’orthographe correcte ou à un rapprochement de cette dernière, com-
portement totalement absent à l’état initial (par exemple : « ciseau » successive-
ment orthographié « sixau », puis « cixeau » et enfin « ciseau », ou encore
« affaiblir » successivement orthographié « afeblire », puis « afeblir » et enfin
« afaiblir », tout cela sans aucune intervention extérieure). Ce comportement de
vérification conduit parfois, comme nous l’avons précédemment signalé, à une
série d’encodages partiels, l’orthographe exacte ne parvenant pas à être activée
sur un seul essai (par exemple : « yeux » successivement orthographié « seux »,
puis « soeu », puis « syeu », puis « syoe », puis « sioe » et enfin « syeu », tou-
jours sans intervention extérieure).
Examen de l’acte lexique et des capacités de traitement des informations
visuelles (visuo-spatiales)
L’acte lexique apparaît d’un niveau encore supérieur au précédent, avec
toujours absence d’effet des variables lexicales utilisées (voir le Tableau 6, cor-
pus I) et surtout, comme l’illustre le Tableau 6 corpus II, une très nette diminu-
tion du nombre de paralexies visuellement proches ainsi que (notamment)
d’omissions de mots-outils.
Le type de résultats regroupés dans le Tableau 6 (corpus II) peut évo-
quer une meilleure précision de l’accès aux procédures attentionnelles d’ana-
lyse visuelle. Les signes apparentés à des tentatives d’application d’une procé-
dure par médiation phonologique demeurent, mais toujours en nombre très
restreint.
Les capacités de traitement attentionnel d’informations visuelles dans la
durée apparaissent en nette amélioration, sans toutefois atteindre à une normali-

205
09/97 02/99
Barrage de signes diversement orientés
Vitesse / âge réel 8e Décile 8e Décile
Exactitude / âge réel 8e Décile 3e Décile

Tâches simultanées
Empan total MDT VS 01 03
Tableau 7 : Comparaison des résultats initiaux et actuels de Y.A.R. sur le plan des capacités
de traitement des informations visuelles (visuo-spatiales).

sation (une lenteur d’exécution dans les épreuves de barrage de signes diverse-
ment orientés est toujours nécessaire, mais elle est désormais garante d’une pré-
cision normalisée par rapport à l’âge réel : voir le tableau 7). Le traitement des
informations visuo-spatiales en mémoire transitoire est nettement supérieur à
l’initial.

♦ Discussion et conclusion générale


Les hypothèses de travail que nous avons tirées de l’étude différentielle
du profil neurocognitif de Y.A.R. nous ont permis de mettre en place des actes
curatifs pluridisciplinaires coordonnés visant l’adaptation au cas présent. Il ne
s’agit (bien sûr) pas de suggérer ici que le travail que nous proposons est le seul
possible. Celui-ci est simplement le fruit d’un mouvement de double élagage
théorico-clinique avec validation à posteriori des techniques proposées (et de
leur enchaînement) au travers des évolutions préalablement constatées sur des
cas similaires. Nous tendons à passer les données tirées de la recherche (bilans,
diagnostics et utilisation de modélisations dans un but de guidage de la réflexion
sur les procédures remédiatives à employer) au travers du filtre de l’expérience
clinique quotidienne (mesure de l’effet évolutif différentiel des actes curatifs
vers une « validation » à posteriori), selon un axe interactif constant.
Cela étant posé, l’analyse du cas Y.A.R. nous autorise à nous attacher tout
particulièrement à la prise en compte de trois faits :
1) la maîtrise (voire la sur-utilisation) de traitements phonologiques et de
connaissances alphabétiques générales (prononciation, signification et transco-
dages) ne permet pas à Y.A.R. d’accéder au stockage en mémoire de certaines
représentations orthographiques non-directement prédictibles (la plupart des
alternatives orthographiques, les consonnes muettes ainsi que les doubles-

206
consonnes purement graphiques). Il convient cependant de noter, ici, que les
règles orthographiques contextuelles « environnementales » sont aussi mécon-
nues ;
2) chez Y.A.R., pouvoir identifier, sur le plan de l’acte lexique, un mot pré-
sentant une ou plusieurs particularités orthographiques ne suffit pas à l’orthogra-
phier correctement, c’est à dire à le traiter comme familier du point de vue de la
production écrite (très grande différence entre le pourcentage de mots de ce type
correctement lus et transcrits). Nous pouvons considérer que cela rejoint, au
moins en partie, un phénomène bien connu, attribué à la différence de nature entre
l’acte lexique (reconnaissance) et la production orthographique (rappel) ;
3) le stockage en mémoire de représentations orthographiques spécifiques
(au sens de séries de lettres en arrangement non-totalement prédictible par tra-
ductions phonème-graphème et/ou application de régularités alphabétiques,
stockage probablement consécutif à l’identification des mots) semble amélio-
rable, chez Y.A.R., à partir de séances de revalidation basées sur une recherche
de renforcement de la précision et du suivi des procédures attentionnelles d’ana-
lyse visuelle en situation d’acte lexique.
Une tentative d’interprétation de ces faits nous conduit à une réflexion à
plusieurs niveaux :
- la création de connaissances spécifiques sur l’orthographe des mots
pourrait impliquer la lecture (pour les lettres qui rendent difficiles la mémorisa-
tion de l’orthographe).
Si en lecture, l’absence de connaissances complètes sur les lettres peut
autoriser au succès d’un mécanisme d’identification, cela est problématique
pour les mots qui possèdent des voisins orthographiques. Y.A.R. semble fonc-
tionner ainsi (voir les nombreuses paralexies visuellement proches), suivant une
prise d’indices partiels en reconnaissance. Ce fonctionnement serait, par contre,
largement insuffisant pour la mise en place d’une procédure lexicale en rappel
de connaissances complètes sur les lettres, c’est à dire en situation de produc-
tion écrite.
- le fait que certains enfants dyslexiques semblent avoir besoin de plus de
rencontres que les normolecteurs avec des mots pour parvenir à les orthogra-
phier (même pour des niveaux de lecture appariés : Alégria et Mousty, 1997)
pourrait être lié, non seulement à la procédure d’identification des mots en elle-
même, mais (au moins en partie) à la qualité fonctionnelle des éléments qui
conduisent à cette identification lors de chaque rencontre.
Les données concernant Y.A.R. nous semblent aller dans le sens de la
possibilité de l’existence et de l’influence, à ce niveau, d’un trouble subtil de

207
l’engagement visuo-attentionnel en situation d’acte lexique approchable au tra-
vers des paralexies visuellement proches déjà citées, mais aussi des autres types
d’erreurs visuelles détaillées dans les tableaux de résultats correspondants. Rap-
pelons, encore, sur ce plan, la dégradation des performances dans la durée, avec
accroîssement dans le temps des erreurs dénotant une faiblesse probable de la
procédure attentionnelle d’analyse visuelle.
Cela pourrait être mis, avec toute la prudence nécessaire à ce niveau, en
rapport avec les résultats de travaux récemment publiés (Marendaz, Valdois et
Walch, 1996 ; Valdois, Gérard et Vanaud, 1995...).
- comme nous l’avons déjà dit, l’apprentissage des connaissances lexi-
cales est probablement implicite (voir Gillet, Billard et Autret, 1996). Il est par-
fois conçu et interprété comme rejoignant la connaissance des régularités alpha-
bétiques au sein d’amalgames orthographe-prononciation-signification (Ehri,
1997).
Si nous considérons que la composante orthographique peut inclure,
développementalement, une stratégie d’utilisation d’une représentation phono-
logique et d’une représentation lexicale, un des éléments liés à l’émergence de
cette dernière pourrait être la capacité à mettre en jeu une description orthogra-
phique visuelle complète des mots, permettant la maîtrise de l’orthographe cor-
recte.
Il y aurait, ici, prise en compte de configurations visuelles de mots ou de
séries de lettres en amalgames avec des régularités liées à la prononciation-
signification. Ces amalgames, élaborés en mémoire pour lire les mots, servi-
raient également à leur production écrite (voir toujours Ehri, 1997, par
exemple), en couplage probable avec l’utilisation de régularités entre les diffé-
rentes représentations.
Il pourrait y avoir, chez Y.A.R., un déficit initial des capacités à traiter et
stocker des segments multi-lettres qui composent des mots entiers (capacités
peut-être logographiques au sens de Seymour, 1997).
Cela aurait pour effet de diminuer le nombre et, surtout, la qualité des
items nécessaires au développement du système orthographique au sein des
amalgames précédemment cités et de privilégier donc, au travers de l’échec de
l’accès à une procédure lexicale, l’utilisation d’une procédure phonologique.
Le processus d’accès à une représentation lexicale échouant, Y.A.R. en
resterait initialement à la forme engendrée par les traductions phonème-gra-
phème, ou encore par un traitement analogique (au moins alphabétique dans le
cas présent : voir Gombert, Bryant et Warrick, 1997). Il y aurait, ainsi, échec

208
dans le rappel d’une séquence complète de lettres précises en correspondance
non-totalement prédictible.
Après la rééducation ciblée précédemment décrite, Y.A.R. semble actuel-
lement accéder à une phase d’orthographe transitionnelle pouvant correspondre
à l’émergence d’une nouvelle stratégie vers la possibilité d’activation de repré-
sentations lexicales.
En effet, même en cas d’échec, quand Y.A.R. écrit « parent » « parant »,
« hasard » « asard » ou « hasar », il semble exister un début de rappel fonction-
nel d’une série de lettres en arrangement non-totalement prédictible, mais sur
des connaissances encore manifestement incomplètement stabilisées en
mémoire (voir aussi l’apparition du comportement de vérification du candidat
orthographique par relecture spontanée décrit plus haut). Cela pourrait dénoter
l’utilisation alternée/conjointe, sur un plan temporel, d’une procédure lexicale et
d’une procédure phonologique (voir Perfetti, 1997, par exemple).
Après ces trop brèves considérations, nous tenons à rappeler que nous
avons seulement cherché, ici, à illustrer une façon d’agir par rapport à un
trouble de la production écrite très fréquemment rencontré dans la pratique cli-
nique (en tout cas dans la nôtre) : les enfants qui ont une orthographe dite « pho-
nétique ».
Cette façon d’agir a été précisée en fonction d’hypothèses de travail, dic-
tées par notre interprétation des faits. Même si les résultats obtenus vont dans le
sens de ces dernières (voir notamment le rapport entre le Principe curatif 2 et la
dernière partie du Tableau 5, corpus II) et s’il existe une cohérence dans l’évolu-
tion en retest de l’ensemble du profil neuropsychologique de Y.A.R., il ne s’agit
là que de strictes hypothèses nécessitant encore un très important étayage.
Nous désirions, aussi, insister sur l’importance d’une démarche cognitive
pluridisciplinaire aux niveaux à la fois diagnostique et curatif, au sein des liens
devant impérativement unir ces deux domaines de la clinique.
Enfin, l’analyse qualitative proposée, notamment au niveau de l’effet des
différentes variables manipulées, gagnerait (bien sûr et notamment) à s’appuyer
sur du matériel, prochainement étalonné, appartenant à des batteries d’évalua-
tion du type BELEC (Mousty, 1994. Voir aussi ce volume), ce qui permettrait
une meilleure validation des résultats ainsi que l’harmonisation des pratiques
diagnostiques et curatives qui en découlent.

209
Annexe :
Description des épreuves utilisées et non-décrites dans les commentaires
des différents tableaux.
Le matériel utilisé sur le plan de la production orthographique sur listes consiste
en 15 pseudomots de structure phonologique simple (cvccvc(v)), 15 pseudomots de
structure phonologique complexe (cc(c)vcvcv ou ccvccv(c)), de 2 à 3 syllabes et de 6 à
8 graphèmes, 8 mots de structure phonologique simple de haute fréquence, 7 mots de
structure phonologique simple de basse fréquence (présentant des caractéristiques
proches de celles des pseudomots) et 11 mots irréguliers.
Les mots pris en compte de façon isolée par rapport à un texte dicté et couplés à
une réanalyse des mots tirés des listes pour obtenir le corpus II, se décomposent en : 18
mots contenant une consonne muette ou une consonne double purement graphique (pour
un total de 18 possibilités), 20 mots présentant un degré important d’ambiguïté ortho-
graphique (générant 1, 2 ou 3 alternatives orthographiques pour un total de 37 possibili-
tés), 2 mots irréguliers (sur un total de 13), 4 mots pouvant se prêter à une sur-analyse
(pour un total de 18 possibilités), 8 mots demandant la prise en compte de règles ortho-
graphiques environnementales (pour un total de 19 possibilités). Il est évident que les
mêmes mots peuvent grouper plusieurs des particularités précédentes. Enfin, il existe
(dans l’absolu) 255 possibilités d’erreurs de CPG sur ces mots (pour un total de 500).
Le matériel utilisé pour l’abord de l’acte lexique (sur listes) consiste en 30 mots
de 2 syllabes et de 6 ou 7 graphèmes (15 mots de structure phonologique simple fré-
quents (N=7) ou rares (N=8), 15 mots de structure phonologique complexe fréquents
(N=8) ou rares (N=7)), en 30 pseudomots de structure semblable à celle des mots (15
simples et 15 complexes) et en 24 mots irréguliers. Le texte proposé à l’enfant en lecture
standard est composé de 476 mots appartenant à un vocabulaire courant mais non-élé-
mentaire, de longueur très variable, comprenant (notamment) 11 mots irréguliers.
Les habiletés métaphonologiques ont été appréhendées à partir d’une épreuve de
jugement de similarité phonologique (sur 50 paires de pseudomots de 2 syllabes et de 6
à 7 graphèmes, identiques ou différant à un phonème près). Il y a 20 items de structure
phonologique simple et 30 items de structure phonologique complexe. Nous avons aussi
utilisé une épreuve de manipulation inversée de syllabes réalisée sur 6 mots et 5 pseudo-
mots de 2 syllabes (Alégria, Pignot et Morais, 1982), une épreuve de jugements de
rimes sur entrée auditive (réalisée sur 44 paires de mots bisyllabiques rimant à droite :
11 orthographiquement proches et rimants, 11 orthographiquement proches et non-
rimants, 11 orthographiquement différents et rimants et 11 orthographiquement diffé-
rents et non-rimants), une épreuve de discrimination phonémique (réalisée sur 20 mots,
le phonème à discriminer étant également en position initiale, médiane, finale ou
absent), une épreuve de suppression du premier phonème de mots (sur 19 mots, le 1er
phonème correspondant soit à un graphème simple, soit à un graphème complexe, soit
étant à isoler d’un groupe consonantique) et une épreuve de segmentation phonémique
sur 14 mots de structure phonologique simple et complexe, de 4 à 5 syllabes.

210
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212
Récupération d’une orthographe lexicale
chez un patient cérébrolésé :
points de vue rééducationnels
et théorie descriptive des troubles
Roger Segobia, Nathalie Seibel

Résumé
Le propos est de décrire la prise en charge orthophonique longitudinale (sur 8 ans) d’un
patient de 61 ans présentant une aphasie de Wernicke réduite, consécutive à une ischémie
temporopariétale gauche. Cette description est axée sur la rééducation de l’expression
écrite, dans ses aspects cliniques et théoriques cognitivistes. L’agraphie est initialement
majeure, toutes les voies d’écriture sont atteintes. L’ébauche écrite permet assez rapide-
ment d’obtenir des productions qui témoignent d’une relative préservation du lexique ortho-
graphique. Les exercices de réhabilitation favorisent l’utilisation tantôt de la voie lexicale
(par ex., on demande au patient de compléter des mots écrits à partir de l’ébauche for-
melle), tantôt de la voie phonologique (par ex., en faisant produire des syllabes isolées ou
l’initiale de mots).
Progressivement, le patient récupère une expression écrite réduite en dictée notamment,
comportant des paragraphies littérales ou des régularisations. Le passage par la voie lexico-
sémantique n’est pas constant et la correspondance phonie/graphie est par moments privi-
légiée. Actuellement, le patient peut dénommer par écrit (mais après médiation phonolo-
gique) et écrire sous dictée des mots et des logatomes, ce qui était impossible au départ.
Ceci témoigne de la fonctionnalité des circuits phonologiques et lexicaux d’écriture du
patient.
Mots clés : Aphasie, agraphie, rééducation, écrit, orthographe.

213
Helping a brain-damaged patient regain lexical orthography :
remedial and theoretical perspectives
Abstract
The objective of this article is to describe a course of speech and language therapy over a
period of 8 years with a 61 year old patient suffering from Wernicke’s aphasia with reduced
language, following left temporal-parietal ischaemia. The paper primarily describes remedial
work with written expression from a clinical and cognitivistic theoretical standpoint. The ini-
tial level of agraphia was severe since all channels of writing were impaired. Providing help
with the beginning of words rapidly facilitated productions which reflected relatively intact
lexical spelling. Rehabilitation exercises either relied on the lexical channel (for example, the
patient had to complete written words which were initiated by the therapist), or on the pho-
nological channel (for example, having the patient produce single syllables or the beginning
of words).
The patient progressively regained a limited level of written expressive skills, particularly in
situations of dictation, including literal paragraphias and regularizations. The lexical-seman-
tic channel was not systematically used and the patient occasionally relied on phonic/gra-
phic correspondences. Presently, the patient is able to name in writing (through phonological
mediation) and to write dictated words and nonwords, something he was initially unable to
do. These skills reflect the existence of phonological and lexical circuits of writing which are
operational in this patient.
Key Words : Aphasia, agraphia, rehabilitation, writing, spelling.

214
Roger SEGOBIA
Orthophoniste
Nathalie SEIBEL
Orthophoniste, neuropsychologue
CHU Bicêtre
78, rue du Général Leclerc
94270 Le Kremlin Bicêtre Cedex

L
e propos est de décrire ici une rééducation de troubles orthographiques
acquis chez un adulte cérébro-lésé ; la conduite au long terme de cette
prise en charge s’est vue gouverner par des points de vue cliniques,
nécessairement empiriques, aux références théoriques souvent implicites ; ces
points de vue ont varié et orienté différemment le travail de réhabilitation.
Le recours à une modélisation des processus d’écriture telle que l’a pro-
posée l’approche cognitiviste en neuropsychologie et que nous rappellerons
(infra rappel théorique) a pu permettre de dégager une synthèse de ces points de
vue.

♦ Histoire de la maladie
En février 1992, Monsieur C., âgé de 61 ans, enseignant, est victime
d’une ischémie temporo-pariétale gauche entraînant une aphasie de Wernicke
réduite.
L’expression orale est quasi-suspendue et persévérative avec conservation
d’éléments de communication phatique sans troubles articulatoires.
Au BDAE (Boston Diagnostic Aphasia Examination), la compréhension
orale et la compréhension écrite sont très altérées et les transpositions abo-
lies.
L’expression écrite est massivement réduite, la copie servile paragra-
phique et persévérative.
L’urgence pour la rééducation est de tenter de développer l’expression
orale en s’appuyant comme moyen de facilitation sur les capacités résiduelles
d’appréhension globale, en lecture à haute-voix, de mots écrits.

215
♦ Evolution des capacités graphiques du patient et alternance
des stratégies de rééducation de l’écrit
1 - 1992 : La complétion de mots isolés à partir de l’ébauche écrite
devient possible (avec paragraphies littérales) : on fait donc appel chez
le patient au schéma orthographique des mots ciblés.
Exemples de ses productions dans cette situation :
balai => bale, bala, balea ;
jouet => joute ;
échelle => efelle ;
escargot => escarget ;
rouge => poufe, pouge ;
bijoux => bidoux, bigoux ;
carte => barte ;
plante => plente ;
ciseaux => ciseux ;
On constate que le lexique orthographique (cf. infra rappel théorique) de
Mr C. est assez bien préservé et que l’ébauche formelle est facilitatrice.
Plus tard, on sollicite une stratégie syllabaire et l’utilisation d’une voie
phonologique, de correspondances phonèmes/graphèmes (cf. infra rap-
pel théorique) dans des mots isolés : de nombreux exercices tendent à
faire produire l’initiale des mots.
2 - 1993 : on repasse à une stratégie lexicale (complétion de mots après
ébauche écrite). On obtient les mêmes types de productions : cigarette
=> ciget ; écharpe => charme, charte, écharte.
En même temps, on observe que les usages orthographiques ne sont pas
toujours bien maîtrisés : sonner => sauner, soner ; muguet => mugé.
A cette époque la dictée de syllabes isolées est assez bonne (15/2 ).
On propose beaucoup d’exercices de translations de nombres (chiffres/
lettres).
On entreprend un travail sur la dyssyntaxie (compréhension et utilisation
de fonctionnels).
3 - 1994 : L’évaluation au BDAE indique une récupération d’une expres-
sion écrite réduite ; le patient produit des paragraphies littérales avec
conservation relative du schéma orthographique des mots (exemples
de productions dictées : carré => cappe ; cercle => cerble; melon =>
meton).

216
Il y a une évolution parallèle des autres transpositions (répétition et lec-
ture) qui deviennent possibles pour les mots isolés avec transformations
phonémiques.
La rééducation emploie essentiellement une stratégie lexicale (la dictée
de mots bisyllabiques s’améliore).
Parallèlement la dictée de syllabes, logatomes bisyllabiques est de
meilleure qualité.
Les exercices visant à réhabiliter la syntaxe se poursuivent (génération de
phrases).
4 - 1995 : une nouvelle évaluation au BDAE montre une stagnation quan-
titative des performances pour l’écriture ; on peut faire les mêmes
observations que celles de l’année précédente pour le schéma ortho-
graphique, avec non-respect de certaines graphies et mécanisme de
régularisations selon une « règle » d’occurrences phonétiques du fran-
çais (force => forse).
Dans les épreuves de l’évaluation, les productions dictées sont intéres-
santes :
- pour les substantifs fréquents, il y a quelques paragraphies littérales
(papier => patier) ;
- pour les mots irréguliers, il y a des régularisations (physicien =>
fisicien) ; idem pour les phrases courtes (le garçon vole des gateaux =>
le garson vol des gateu) ;
- pour les phrases longues ou grammatisées, on observe un découpage
syllabaire et une tentative de transposition par la voie phonologique sans
recours à aucune règle orthographique, avec un rapport plus ou moins
proche de phonétisation entre les mots entendus et les mots écrits : (elle
ne les voit pas => el ne levoirble ; s’il ne fait pas attention, il va tomber
=> siln faita à tesan il vatan).
Mêmes types d’exercices en rééducation que l’année précédente.
5 - 1996 : au test du BDAE, des éléments dénotent un abandon partiel de
la référence orthographique et un recours, partiel également, à une
stratégie de correspondance phonie /graphie : particulier => particu-
neer ; 7 => sets. Parfois cette référence se dissout complètement et le
mot n’est plus perçu comme entité : ainsi, garçon est syllabé et logato-
misé : cras san.
En rééducation, le patient commence à pouvoir dénommer des images
par écrit : tube => tuj, tug, tube ; pelle => petelle, pelle ; citron => sitron.

217
6 - 1997 : Les efforts de rééducation s’attachent à la dyssyntaxie impres-
sive et expressive. On travaille sur l’ordre des constituants, les déter-
minants et les fonctionnels.
Exemples de génération de phrases écrites
il arrever de retard le métro
il arroser de l’eau
les vêtements est l’armoire
on de la sale est vaisselle
on les sont sales par chaussures
On aux dents à mal
les vacances est partir de le soleil
Texte écrit « spontané » ( à partir d’un dépliant publicitaire)
Entre le village les rives la méditerranée de plage
Enfin le soleil la bonne de saison
Les plus ensoleillés cet été les splendeurs une plage de la sable vue sur la
mer
Les sports et loisirs. la piscine plonge. La musique et la danse.
dictée de syllabes isolées n’est pas de meilleure qualité que les années
précédentes : plu + trou + gru => dru tar => car, tra, tar bro => gr, d,
dro, tro
L’évocation lexicale écrite à partir de questions orales est possible :
piscine => pisine , pissine ( régularisation )
Eiffel => tes, et pel, fet , effel
femme => famme (régularisation)
Impot => imto
suisse => suirre
cigarette => ciagette , cigarrtte , cigarette
chaud => chaut
pull => poll
7 - 1998 : Dans l’évaluation du BDAE on retrouve les mêmes éléments
qu’en 96.
Ainsi : soif est écrit souaf ; oncle => onble ; onple ; théatre => béatre,
peatre ; carré => caré ; 18 => tishuit ; vert => rert, pert.
La dictée de syllabes isolées est de meilleure qualité que l’année précé-
dente (pour 25% des items, il y a des approches graphémiques, toutes
réussies).

218
Pour l’évocation lexicale écrite, on a comme précédemment une référence
au modèle orthographique :
janvier => vanjier
aout => aut
épluche => etiche, etuché, eptuche
montagne => mantagne
chocolat => chacolat
et des productions attestant de régularisations « phonétiques » des
conventions orthographiques
natation => natasion (régularisation).
On poursuit le travail sur les troubles syntaxiques.
8 - 1999 : la dénomination écrite est possible (mais après tentative de ver-
balisation préalable). La plupart des productions comportent des
approches graphémiques, le nombre de syllabes des mots cibles est
respecté, les éléments vocaliques du mot sont souvent bons (les para-
graphies étant consonnantiques) ; il y a quelques paragraphies ver-
bales ou sémantiques et persévérations de mots.
Exemples :
télévision = > pel, pelejinion, telejison
chaise => table
mètre => mer, maire
mouchoir => maucher, moucher ,mouchour, moucheire, mouchaire
téléphone => telepision, telepone, telepoh, telephone.
Il arrive que le patient épelle correctement le mot : il respecte l’emplace-
ment des doubles lettres mais ce n’est pas pour autant qu’il peut écrire le
mot sans paragraphies littérales.
verre => (bonne épellation) bette, pette, rette, perre
L’écriture de mots sous dictée est possible également avec approches
(moins fréquentes qu’en dénomination) et paragraphies littérales (plutôt
sur les consonnes), métathèses.
La copie différée de mots est rapide et de bonne qualité.
L’écriture de logatomes est bonne (avec quelques erreurs « phonétiques »)

♦ Rappel théorique sur les dysgraphies centrales


L’essentiel de ce rappel se réfère à M.-J. Tainturier ( 1996 ).
On peut différencier plusieurs circuits d’écriture de mots avec ou sans
signification dans des tâches de dictée ou de dénomination.

219
1) Voie non-lexicale de conversion phonologie /orthographe : 3 étapes
a : segmentation de la séquence phonologique en unités de taille infé-
rieure au mot (phonèmes, groupes de phonèmes, syllabes), puis,
b : conversion de chacune de ces unités en unités orthographiques corres-
pondantes
c : assemblage des unités orthographiques.
2) Voies lexicales : pour la transcription des nombreux phonèmes ayant
une orthographe ambiguë.
Voie lexicale sémantique : 3 étapes principales pour l’écriture sous dictée
a : accès à la forme phonologique stockée dans le lexique phonologique
d’entrée.
b : activation de la représentation sémantique correspondante dans le sys-
tème lexico-sémantique.
c : accès au lexique orthographique de sortie.
Voie lexicale asémantique : pour accéder aux représentations lexicales
sans passer par le système sémantique.
NB : la dénomination écrite se ferait sans médiation phonologique (sans
passage par le lexique phonologique d’entrée) directement par le système
sémantique.
3) Buffer graphémique : mémoire à court terme chargée de maintenir le
niveau d’activité des chaînes de graphèmes issues du lexique orthogra-
phique de sortie ou de la voie de conversion Ph/Gr afin de permettre la
production écrite.

♦ Analyse du trouble dysgraphique du patient


Chez notre patient l’importance du trouble initial de la perception audi-
tive et du déficit lexical oblitère une analyse d’emblée selon les voies du schéma
décrit ci-dessus.
L’état initial est celui d’une agraphie majeure ; on a probablement une
atteinte conjointe de toutes les voies d’écriture ; même la copie servile est para-
graphique.
A propos de cette dernière, on peut faire l’hypothèse d’un trouble au
niveau du buffer graphémique provoqué par un défaut de mémoire à court terme
entrainant paragraphies ou persévérations (dans la copie, il n’y a pas de conver-
sion mais une transposition visuo-graphique pour laquelle on peut éliminer chez
le patient un trouble visuo-perceptif).

220
En début d’évolution, à cause des troubles de la compréhension orale, on
obtient donc peu de productions dictées ; à cause du déficit lexical, il existe peu
de capacités de dénomination (à l’oral et encore moins à l’écrit).
Les seules productions doivent être ébauchées : à cette occasion on peut
se rendre compte qu’une voie lexicale sémantique devient praticable. Ainsi,
beaucoup de productions - cf. liste des exemples ci-dessus - indiquent un pas-
sage dans le lexique orthographique de sortie impliquant une prise en compte
des ambiguïtés orthographiques ; les approches / productions de non-mots
phonologiquement plausibles (bijoux => bidoux) vont dans le sens d’un trouble
du buffer s’associant au trouble des autres voies.
Cependant les capacités de la voie phonologique s’améliorent : la dictée
de monosyllabes est réussie à 75%.
Postérieurement,
- la voie lexico-sémantique devient plus praticable : la dictée de mots
bisyllabiques est possible. Dans cette tâche, la production de paragraphies litté-
rales (sans rapport de « phonétisme » avec la cible) pourrait s’interpréter comme
un trouble du buffer, la forme orthographique quittant indemne le lexique ortho-
graphique de sortie et s’altérant dans le buffer ; a fortiori, les métathèses rele-
vées plus tardivement dans la même tâche relèveraient de cette interprétation.
Dans l’écriture de mots marqués par une ambiguïté orthographique, les
erreurs de régularisation signifient un recours partiel à la voie non-lexicale qui
devient plus fonctionnelle.
En fin d’évolution, on constate que, dans la tâche de dénomination, le
patient ne peut éviter une médiation phonologique préalable (donc un passage
dans le lexique phonologique d’entrée) à l’accès au système lexico-sémantique : il
ne peut dénommer par écrit qu’après avoir tenté de le faire oralement. On admet
que la dénomination écrite se fait, chez le sujet non-cérébrolésé, sans la médiation
évoquée ici. On remarque aussi que le patient peut se montrer capable d’épeler
sans erreur le mot à dénommer comportant un degré moyen d’ambiguïté orthogra-
phique : il peut donc utiliser correctement le circuit qui va du lexique phonolo-
gique d’entrée jusqu’à la sortie du buffer graphémique en empruntant (ou pas) le
système lexico-sémantique puis le lexique orthographique de sortie. Si, après
avoir emprunté ce circuit, il ne parvient pas à écrire le mot sans paragraphies, il
faut que le trouble se situe à une étape ultérieure de la réalisation graphique.
- la voie phonologique s’améliore également : elle est utilisée assez bien
pour la dictée de logatomes bisyllabiques et trisyllabiques ; on a vu ci-dessus
qu’elle intervenait dans la régularisation des ambiguïtés orthographiques.

221
- les capacités du buffer graphémique augmentent comme en témoignent
la bonne qualité de la copie différée et la possibilité d’épellation correcte.

♦ En guise de synthèse
L’évolution lente mais positive des capacités graphiques du patient incite
les rééducateurs à poursuivre leur démarche de réhabilitation.
Les points de vue ou « stratégies » de rééducation tantôt lexicaux, tantôt
analytiques et syllabaires ont assurément contribué à rétablir la fonctionnalité
des circuits phonologique et lexicaux d’écriture du patient.
Au moment présent et globalement, la récupération des potentialités
d’expression orale de Mr C. est moindre que celle de son langage écrit.

REFERENCES
M.-J. TAINTURIER (1996), « Les dysgraphies centrales : état de la recherche et nouvelles perspectives »
in Approche cognitive des troubles de la lecture et de l’écriture chez l’enfant et l’adulte - SOLAL
Editeurs.
BDAE (1981), Echelle française : J.M.Mazaux & J.M.Orgogozo . EAP.

222
Synthèse des modèles théoriques et réflexions
sur la rééducation de l’orthographe
Didier Roch, Carolyne François

Résumé
Ce texte tente de synthétiser les apports théoriques concernant l’orthographe, son acquisi-
tion et ses pathologies afin d’en dégager des axes de réflexion pour la pratique de l’évalua-
tion et de la rééducation.
Mots-clés : Ecriture, orthographe, développement, pathologie, modèles théoriques, réédu-
cation.

An overview of existing theoretical models on orthography


and remediation techniques
Abstract
This article tries to synthesize various theoretical models regarding the acquisition of ortho-
graphy and associated pathologies, in order to identify themes of discussion which are cen-
tral to diagnosis and rehabilitation.
Key Words : Writing, spelling, development, pathology, theoretical models, remediation.

223
Didier ROCH
orthophoniste Carolyne FRANÇOIS
association Orthophonissimo orthophoniste
S.E.S.S.D. association Orthophonissimo
A.P.F. 6, rue des Anglais
5, route de Stains 75005 Paris
94380 Bonneuil-sur-Marne

A
lors que les recherches sur l’écriture (dans le sens proposé par Jaffré) en
langue anglaise ouvrent sur des modèles aboutis, les études en français
en sont tout juste à la collecte et à l’analyse de données.
Pour certains auteurs les différences de structures entre langues entraînent
des différences sensibles au niveau de l’apprentissage (Sprenger-Charolles &
Casalis 1996, Sprenger-Charolles 1997).
D’autres auteurs au contraire, pensent que les invariants de traitement
dépassent ces différences (voir résumé Jaffré 1995 ).
Le français a un système orthographique « profond » (ou opaque), qui
représente le langage au niveau phonologique mais aussi morphologique et syn-
taxique.
Le langage écrit, comme le montrent les différentes spécialités qui l’abor-
dent, revêt plusieurs aspects intriqués dans son utilisation et son acquisition. Les
articles de ce numéro l’attestent. Il repose tout d’abord sur la linguistique qui
analyse les rapports entre l’oral et l’écrit, étudie l’historique du langage écrit et
en décrit la structure (Catach 1986).
La psycholinguistique, en particulier cognitive, s’intéresse à l’acquisi-
tion, ses modalités, ses contraintes, au fonctionnement des processus qui régis-
sent l’écriture chez l’adulte et aux causes d’éventuels dysfonctionnements (Jaf-
fré & Fayol 1997, Rieben, Fayol, Perfetti 1997).
La neuropsychologie, par l’étude de « cas uniques », a renforcé ou remis
en cause le bien fondé des modèles cognitifs tout en les utilisant. (Seron 1996,
Mac Carthy & Warrington 1994). En ce qui concerne l’écriture, deux cas sont
souvent évoqués. Ils montrent une double dissociation permettant de décrire
deux voies de fonctionnement : la voie de conversion phonographémique
(P.R. décrit par Shallice en 1981) et la voie lexicale (R.G. décrit par Beauvois &
Derouesné également en 1981) (voir Tainturier 1996, Zesiger & de Partz 1997).

224
Enfin, l’étude du fonctionnement de l’écrit serait incomplète sans l’évo-
cation des enjeux sociaux et psychologiques de l’orthographe (Cibois et Coutou,
dans ce volume) et des répercussions psychiques de l’échec (Nougaro & Vera
1997).
Les orthophonistes engagés dans la rééducation d’enfants ou d’adultes
pour qui le maniement de l’orthographe est, ou est devenu, une difficulté occu-
pent une position à l’intersection de toutes ces disciplines et de leurs théories.
L’orthophoniste trouve matière pour organiser son intervention en combi-
nant les apports de la neuropsychologie et de la psychologie cognitive, son
expérience personnelle et le corpus théorique propre à sa profession.
Ces dernières années, la théorie a considérablement évolué, alors que la
réflexion sur les pratiques rééducatives n’est pas aussi avancée. Nous parta-
geons, à ce propos les interrogations d’Emmanuelle Léderlé (1997) sur la perti-
nence de tel ou tel modèle, de telle ou telle théorie en matière d’évaluation et de
rééducation.

♦ Du langage oral au langage écrit


Les spécificités de l’écrit
a) La différence oral-écrit
L’écrit assure la pérennité de l’oral. Pourtant l’écrit n’est pas qu’une
simple transposition de l’oral. Malgré les liens qui unissent ces deux codes, les
différences sont nombreuses.
Médium de la distance entre émission et réception, l’écrit est en général
plus décontextualisé. Il dispose d’autres moyens pour faire du sens (ponctua-
tion, mise en page...). La permanence et l’organisation spatiale de l’écrit s’oppo-
sent au caractère éphémère et à la linéarité de l’oral (Fayol 1992).
De plus, le traitement de l’écrit, en lecture comme en écriture, demande
que soient réalisées des tâches linguistiques et métalinguistiques, qui se rencon-
trent rarement à l’oral (Gombert 1992).
En production, le scripteur doit gérer la formulation de ce qu’il veut
écrire, la récupération en mémoire des formes orthographiques, leur actualisa-
tion sous forme graphique, les contraintes morphologiques (souvent « muettes »
à l’oral) et la ponctuation. La relecture possible grâce au caractère permanent de
l’écrit, est un moyen de contrôle puissant car elle permet l’application de règles
explicites.

225
Si le scripteur focalise davantage son attention sur le contenu que sur la
forme, les capacités engagées dans l’écriture et le coût qu’elles occasionnent,
expliquent en partie les erreurs des adultes, connaissant pourtant les règles
explicites (Fayol 1995, Totereau 1997, Pacton, Kremin, dans ce volume).
b) Composantes linguistiques et cognitives engagées dans le traitement
du langage écrit et son acquisition.
Les compétences nécessaires à l’acquisition de la lecture et de l’écriture
sont maintenant bien connues. Elles entretiennent des liens de renforcement
mutuels avec la lecture-écriture, ce qui rend souvent difficile l’affirmation d’un
lien de causalité (Lecocq 1991, Gombert 1992).
Leur analyse nous fournit des indications précieuses pour une partie des
activités de rééducation.
Les études synthétisées par J.E. Gombert (1992) envisagent les liens
qu’entretiennent un certain nombre de compétences avec la lecture-écriture,
sans préciser leurs apports différentiels à l’un ou à l’autre de ces aspects du lan-
gage écrit.
La première de ces compétences est bien entendu la conscience phonolo-
gique (compétence métaphonologique pour Gombert) que Tunmer définit
comme « la capacité à manipuler les unités sous syllabiques de la langue »
(1989).
Les liens privilégiés qu’entretient la conscience phonologique avec la lec-
ture-écriture sont maintenant solidement établis (voir par exemple Rieben &
Perfetti 1989, Lecocq 1991, Sprenger-Charolles & Casalis 1996, Alégria 1997),
et son utilité, aussi bien pour l’évaluation que pour la rééducation est indéniable
(Rééducation Orthophonique n° 197, 1999).
L’écriture de mots sollicite des représentations phonologiques plus spéci-
fiées ; la conscience phonologique a donc un effet plus important en écriture
qu’en lecture, au moins au début de l’apprentissage (Alégria & Moraïs 1996,
Ellis 1997).
La capacité métalexicale correspond à « la possibilité d’isoler le mot et
de l’identifier comme étant un élément du lexique » (Gombert 1992).
Cette compétence est utile au développement de la lecture et est renforcée
par celui-ci (présence de blancs entre les mots). Cette séparation des mots contri-
bue sûrement à la constitution du lexique orthographique. En production, la fonc-
tion du blanc graphique évolue avec les compétences du scripteur, la notion de
mot dépend de la stabilisation des formes orthographiques (Jaffré 1990).

226
On peut voir la trace de la non maîtrise de cette compétence dans certaines
erreurs de segmentation entre les mots. Le découpage en mots « entités difficile-
ment isolables à l’oral » (de Boysson-Bardies 1994) se découvre lentement (Fijal-
kow & Liva 1994). Jaffré donne quelques exemples de procédures de segmenta-
tion propres à chaque enfant en découverte du système : groupes syntaxiques,
pronom+verbe, découpage en syllabes, phrase entière... (Jaffré 1992, 1995).
La capacité métasémantique « renvoie à la fois à la capacité de recon-
naître le système de la langue comme un code conventionnel et arbitraire et à
celle de manipuler les mots ou les éléments de taille supérieure aux mots, sans
que les réalités auxquelles ils réfèrent s’en trouvent automatiquement
affectées » (Gombert 1992).
Les enfants en situation d’écriture spontanée (voir par exemple Fijalkow
1991) se fondent dans un premier temps plus sur les caractéristiques du référent
que sur celle du signifiant. Cette capacité de mise à distance du signifié dans le
but de se centrer et d’opérer sur le signifiant, est importante pour accéder aux
stratégies phonographiques et orthographiques d’écriture.
La conscience syntaxique est surtout utile à la compréhension qui néces-
site à l’écrit un plus grand contrôle qu’à l’oral. « La compétence métasyn-
taxique renvoie à la possibilité que le sujet a de raisonner consciemment sur les
aspects syntaxiques du langage et à contrôler délibérément l’usage des règles de
grammaire » (Gombert 1992). Elle assiste également la reconnaissance des mots
et permet de lever les ambiguïtés sur les homographes (Gombert 1992, Demont
1994). En situation d’écriture une bonne conscience syntaxique est nécessaire à
la gestion des marques morphologiques et à l’apprentissage des règles qui y pré-
sident. On imagine en effet difficilement un « apprentissage compréhensif » de
la grammaire sans analyse de la langue. Le niveau d’habilité en conscience syn-
taxique préjugera du coût de son utilisation en situation car le lecteur scripteur
ne peut appliquer longtemps des stratégies attentionnelles volontaires sur tous
les aspects du texte à lire ou à écrire.
Par ailleurs, une composante de mémoire de travail est présente dans
tous les modèles de transcription. Cette composante est déficiente chez les
enfants et les adultes dyslexiques, mais elle n’explique pas la dyslexie de déve-
loppement si elle n’est pas liée à une déficience de la conscience phonologique.
Cette composante mnésique peut être atteinte de façon isolée. Elle est nécessaire
à la segmentation phonologique, au transcodage et à la réalisation graphémique
(écriture par voie d’assemblage). Dans la constitution du lexique orthogra-
phique, il semble que la mémorisation soit implicite (Gillet & al. 1996) à force
de rencontres répétées, précises et redondantes (Perfetti 1989).

227
c) Du trouble du langage oral au trouble du langage écrit
c-1 chez les enfants
Pour l’orthophoniste confronté aux troubles des apprentissages, les liens
entre les troubles du langage oral et ceux du langage écrit semblent une évi-
dence. Plus que la sévérité du trouble du langage oral, (qui n’est pas toujours
corrélée avec l’importance du trouble à l’écrit), c’est l’atteinte de plusieurs
niveaux du fonctionnement langagier qui est prédictif ; en particulier les
troubles de compréhension (Soprano & Chevrie-Muller 1996).
En règle générale, on note chez les enfants dyslexiques des troubles de la
dénomination rapide (Lecocq 1991), de la répétition de mots longs ou peu fré-
quents et de non mots (Valdois 1996). Comme décrit plus haut, la conscience
phonologique entretient des liens particulièrement étroits avec le développement
du langage écrit. Les troubles de cette habileté pourraient être liés à un déficit
subtil de la discrimination des sons de parole (Mousty et Alégria 1996) qui ne
seraient pas ou plus repérables à l’oral.
Des études de cas ont suggéré une relation causale entre les troubles de
l’output phonologique (sans trouble de la discrimination) et les troubles de la
lecture/écriture (Snowling 1992, Snowling & Hulm 1992). Les auteurs émettent
l’idée que les enfants pourraient s’appuyer sur leur sortie phonologique dans les
tâches de segmentation et d’appariement lettres et sons. La situation d’écriture
spontanée ou sous dictée est aussi tributaire de la qualité de ces sorties phonolo-
giques (du moins tant que le lexique orthographique n’est pas constitué).
L’écriture demande des représentations phonologiques plus complètes et
mieux spécifiées que la lecture ; la portée de ces troubles sera donc plus grande
en écriture qu’en lecture. Wells propose une analyse factorielle des processus de
traitement de parole susceptibles d’éclaircir les liens entre troubles du langage
écrit et troubles du langage oral (Wells & Stackhouse, 1992 ; Wells, Stackhouse
& Vance, 1999).
D’un point de vue développemental, Lecocq postule que l’enfant vers
4 ans a un système de représentation et de traitement de l’information phono-
logique avec une composante mnésique (mémoire de travail) et une compo-
sante de vitesse de traitement (liée à la vitesse de dénomination) ; l’état de ce
système au moment de la rencontre avec l’écrit serait prédicteur de la réussite
de l’apprentissage (Lecocq 1992). Bishop et Adams montrent que le déficit
phonologique doit être accompagné d’un déficit au niveau syntaxique pour
être prédictif de troubles de la lecture (Bishop & Adams, 1990, cités par
Gérard, 1994).

228
Ceci confirme les difficultés plus importantes à l’écrit des enfants qui pré-
sentent un trouble fonctionnel au niveau parole et langage, par rapport à ceux
qui ont seulement un trouble phonologique.
c-2 chez les adultes
Un individu acquiert l’écriture après le langage oral.
Par ailleurs, les troubles de l’expression écrite sont souvent associés, dans
leur description, aux syndromes aphasiques. Dans la littérature neuropsycholo-
gique, les troubles acquis du langage écrit ont été longtemps directement liés
aux troubles du langage oral. Par contre, tous les auteurs distinguent les compo-
santes purement motrices des éléments linguistiques et aphasiques (Lambert
1993).
Jules Déjerine (1891) est le premier à décrire une alexie-agraphie sans
aphasie. Ses recherches anatomocliniques mettent en évidence une lésion du pli
courbe dans le lobe pariétal gauche. Il a été également découvert que lorsque
cette région était intacte, le patient pouvait écrire sans erreur mais n’était pas
capable de se relire. Déjerine a donc nommé ce trouble alexie sans agraphie ou
alexie pure (Habib et Demonet, ce volume).
Par une approche dite du traitement de l’information, les modèles cogni-
tifs ont permis de décrire des systèmes orthographiques (Kremin, ce numéro).
Les modèles cognitifs (Ellis 1982, Morton 1980) proposent deux voies
pour l’orthographe : la voie lexicale et la voie phonologique. Dès lors les syn-
dromes qui en découlent sont l’agraphie phonologique ou profonde en cas d’at-
teinte de la voie phonologique et l’agraphie lexicale ou de surface en cas d’at-
teinte de la voie lexicale.
Langage écrit : de la lecture à l’écriture
a) Les traitements similaires de la lecture et de l’écriture
La question ici est de savoir si lire et écrire sont deux aspects en miroir de
la même activité ; les réponses à cette question influeront sur les modalités de
prise en charge et sur les activités à mettre en place, en particulier pour la
constitution du lexique orthographique.
Les modèles développés pour rendre compte de l’écriture des mots possè-
dent les mêmes caractéristiques que ceux développés pour la lecture, à savoir
deux stratégies (ou voies de traitement) par adressage et par assemblage ; les
connaissances en mémoire étant similaires, à savoir :
- le lexique et l’orthographe de mots spécifiques (Perfetti 1997, Ehri
1997),

229
- la connaissance sur le système alphabétique (Ehri 1997),
- le rôle de la médiation phonologique (Bosman et Van Orden 1997).
Mais, bien que ces deux activités soient interdépendantes dans leurs pro-
cessus et dans l’acquisition, elles présentent des différences non négligeables de
nature et de traitement, comme l’attestent le fait qu’on puisse lire beaucoup de
mots sans savoir les orthographier correctement, ainsi que les dissociations
observées en pathologie acquise.
La première différence a trait aux caractéristiques des unités à traiter : en
lecture, les graphèmes sont écrits donc permanents ; en production, les unités à
traiter (phonèmes) sont plus fugaces et posent des problèmes de discrimination
et d’identification avant d’être traduits (Jaffré et Fayol 1997).
Une seconde différence est liée à la nature dite « profonde » de l’ortho-
graphe du français. Une simulation sur ordinateur a en effet montré que par
une utilisation stricte des règles de conversion phonème-graphème, on ne
pouvait écrire que 50% des mots (Veronis 1988 cité par Mousty & Alégria
1996), alors que les règles de conversion graphème-phonème qui régissent la
lecture sont beaucoup plus régulières. L’éventail des possibilités est donc
plus large, et le choix de la « bonne forme » plus étendu en écriture qu’en
lecture.
Enfin, une troisième différence réside dans le fait qu’écrire est une acti-
vité de rappel (de formes orthographiques), alors que lire est une activité de
reconnaissance, la reconnaissance étant plus facile que le rappel (Mousty &
Alégria 1996).
Pour orthographier un mot il faut disposer de représentations orthogra-
phiques complètes alors qu’on peut lire avec des représentations partielles, soit
grâce au contexte, soit par un choix restreint de candidats dans le lexique
(Mousty & Alégria 1996, Ehri 1997, Perfetti 1997).
L’écriture mobilise des compétences plus complexes et plus variées que la
lecture (Mousty & Alégria 1996) qui s’exercent dans un plus grand nombre
d’étapes, chacune pouvant être déficiente (Tainturier 1996, Zesiger & de Partz
1997). En résumé, la lecture et l’écriture reposent sur les mêmes compétences
mais l’écriture est plus exigeante dans son traitement, ce qui rend compte de
l’asymétrie habituellement observée entre capacité de lecture et capacité d’écri-
ture.
b) Le développement
L’interdépendance de la lecture et de l’écriture, le traitement partielle-
ment différent dans ces deux situations devraient avoir des répercussions sur

230
l’apprentissage. C’est dans ce sens que les modèles « en stades » de la lecture-
écriture sont pertinents (pour une revue de ces modèles voir Sprenger-Charolles
1992). Celui décrit par Frith (1985) définit trois stades d’évolution : logogra-
phique, alphabétique et orthographique.
Ce qui nous intéresse ici c’est l’interaction entre la lecture et l’écriture
dans le développement (voir Ehri 1997). Ce modèle postule que la lecture est le
moteur de l’évolution pour l’accès au stade logographique en écriture. Mais les
avis divergent sur l’utilité du traitement logographique dans l’acquisition de la
lecture et de l’écriture (Ellis 1997) ; Sprenger-Charolles ne trouve pas de trace
de ce traitement dans le développement de la lecture-écriture en français (Spren-
ger-Charolles & Casalis 1996). Par contre, le traitement logographique est uti-
lisé de façon compensatoire, au moins en lecture, par les lecteurs déficients; en
orthographe il s’agirait plutôt d’un traitement alphabétique partiel (au sens
d’Ehri 1997).
Le second postulat du modèle conçu par Frith est que l’écriture constitue
le moteur pour accéder au stade alphabétique. La médiation phonologique est
une composante importante de l’habileté pour écrire des mots ; les enfants, à ce
stade, ne peuvent se baser que sur des unités de petite taille et l’entraînement
acquis en écriture leur permet de lire de façon alphabétique. Ainsi la conscience
phonologique joue un rôle plus important en écriture qu’en lecture au début de
l’apprentissage, et se trouve renforcée par cette activité. Les enfants répètent les
mots pour les découper en se fondant sur leur articulation afin de les écrire. Il se
constitue ainsi un stock de relations entre phonèmes et graphèmes qui peut être
réinvesti en lecture.
Ce moment de découverte du principe alphabétique est crucial dans le
développement de la lecture-écriture (Observatoire national de la lecture
1999). Cette activité de segmentation dans le but d’écrire les mots permet à
l’enfant de renforcer ses connaissances en conscience phonologique et de les
expliciter (Ellis 1997, Plaza 1999). Le passage d’un traitement alphabétique à
un traitement orthographique se fait sous l’influence de la lecture. La ren-
contre de mots lus fréquemment selon les principes de précision et de redon-
dance énoncés par Perfetti (1989), permet la constitution de représentations
orthographiques complètes nécessaires à l’écriture orthographique correcte (au
niveau lexical).
L’orthographe semble l’image la plus fidèle de la qualité des représenta-
tions orthographiques. Pour certains auteurs, l’habilité à utiliser des représenta-
tions orthographiques pour la lecture et l’écriture se situe à un stade plus pré-
coce du développement que celui déterminé par Frith.

231
c) En pathologie
c-1 chez les enfants
Les orthophonistes constatent quotidiennement que les enfants qui pré-
sentent des troubles de la lecture, présentent presque systématiquement des
troubles de l’orthographe au moins aussi importants. D’autre part, on remarque
que certains dyslexiques ayant compensé leurs difficultés en lecture restent
gênés en production écrite. Une étude des performances en orthographe lexicale
(Mousty et Alégria 1996, Alégria et Mousty 1997) montre :
- d’une part, que les enfants déficients en lecture ont des processus
d’identification des mots leur permettant la lecture mais pas la constitu-
tion d’un lexique orthographique efficient pour la transcription ;
- d’autre part, qu’ils « auraient besoin d’une exposition aux mots écrits
plus importante que les bons lecteurs pour parvenir à stocker des repré-
sentations orthographiques quantitativement et/ou qualitativement équi-
valentes » (Alégria et Mousty 1997, p. 177).
Selon Ehri (1997), un déficit en orthographe n’existe pas indépendamment
d’un déficit en lecture. La lecture de mots sans possibilité de recours au contexte
(massivement utilisée par les mauvais lecteurs) peut en être un révélateur.
Piérart (1995) part du constat que l’orthographe de scripteurs experts se
dégrade sous l’effet d’une surcharge cognitive et se demande si les enfants dysortho-
graphiques ne souffrent pas d’une sensibilité particulière à la surcharge cognitive.
c-2 la pathologie des processus centraux chez l’adulte
L’agraphie phonologique est caractérisée par l’impossibilité d’écrire des
non-mots et par des difficultés dans l’écriture des mots grammaticaux.
On retrouve dans l’agraphie profonde les mêmes perturbations auxquelles
s’ajoutent des erreurs sémantiques, ce qui pose la question de l’éventualité
d’une atteinte de la voie lexicale.
Enfin, l’agraphie lexicale ou de surface se traduit par des difficultés à
écrire des mots irréguliers ou ambigus sur le plan de l’orthographe, et donc des
erreurs phonologiquement plausibles.

♦ Quelles théories pour quels usages ?


Les modèles d’écriture experte
Les premiers modèles de psychologie cognitive ont concerné le langage
écrit (Morton 1980) - lecture et écriture.

232
Pour l’écriture, 2 voies sont décrites :
- la voie phonologique (par assemblage) qui s’établit tout d’abord par des
opérations de segmentation du mot entendu en phonèmes, puis par
conversion des phonèmes en graphèmes.
- la voie lexicale (par adressage) qui active une représentation orthogra-
phique dans sa globalité dans le lexique orthographique de sortie.
Une voie sémantique et une voie directe ont également été décrites paral-
lèlement à cette voie lexicale.
Les informations sont maintenues dans le bu ffer graphémique
(mémoire de travail activant des modules de conversion) pour aboutir ensuite
à la réalisation écrite suivant des processus périphériques (étape allogra-
phique, épellation orale, écriture dactylo-graphiée ou assemblage de lettres
mobiles).

Les modèles développementaux


Les modèles habituellement utilisés pour rendre compte des réalisa-
tions des enfants sont les mêmes que ceux développés chez l’adulte (Piérart
1995, Lecocq & Casalis 1992). Ces modèles doivent être complétés, pour
rendre compte de l’évolution, par des modèles développementaux comme
celui de Frith (1985) ou celui d’Ehri (1989, 1997). Ces derniers permettent
de définir d’une part les stratégies qu’utilise l’enfant de façon préférentielle
en lecture comme en écriture, et d’autre part les liens que ces stratégies
entretiennent avec les compétences linguistiques et métalinguistiques pré-
existantes.
L’intérêt du modèle d’Ehri réside dans le fait que chaque phase d’acquisi-
tion est définie en référence aux connaissances alphabétiques de l’enfant, cen-
trales dans l’acquisition (Ehri 1997).
Rieben ne constate pas de développement complètement synchrone de
l’écriture et de la lecture ni un décalage systématique comme dans le modèle de
Frith.
Les résultats de ses recherches accréditent l’idée que les enfants ne
peuvent se définir par une seule façon de faire à chaque moment de leur
développement, mais par une plus grande souplesse d’utilisation des diffé-
rentes stratégies ; la « trame évolutive » est, malgré tout, sensiblement la
même (Rieben & al. 1997, ce volume). (Pour l’évolution en français, voir
également Sprenger-Charolles, Siegel, Bechennec 1997, Sprenger-Charolles
1999).

233
Utilité pour l’évaluation des enfants
Les outils d’évaluation les plus récents s’élaborent d’après la théorie (Pié-
rart 1994, Mousty et al. 1994), mais les plus aboutis ne peuvent être utilisés
facilement en pratique courante au moins lors d’un bilan initial.
Les modèles cognitifs et développementaux ont fait faire un grand pas à
l’évaluation en permettant l’analyse factorielle et la compréhension des chaînes
causales des déficits constatés (voir Walch 1996 ou ce volume pour une illustra-
tion). La compréhension du trouble revient à construire un « modèle individuel de
fonctionnement » (Monfort 1996) respectant ainsi les particularités inter-indivi-
duelles et les différences intra-individuelles en fonction des tâches ou du matériel à
traiter. L’analyse qualitative et l’expérience clinique prennent ici toute leur valeur.
Ce que nous montrent également ces modèles, c’est l’intrication de
diverses compétences et donc l’importance de les évaluer conjointement (lec-
ture/écriture, mémoire de travail, dénomination, discrimination, conscience pho-
nologique, conscience syntaxique et plus généralement le langage oral).
Utilité pour la rééducation des enfants
La précision de l’évaluation, orientée par les modèles théoriques permet
de dégager de « grandes pistes » de rééducation.
La difficulté réside dans le fait que le trouble actuel est la conséquence
d’une construction sûrement déviante dès le début. Celle-ci comporte en outre
certainement des éléments de compensation, développés spontanément ou
induits.
Une autre source de difficultés vient du passé d’échec de ces enfants et du
vécu qu’ils peuvent avoir de certaines activités qu’on leur propose.
Un apport indéniable de la recherche pour la rééducation est l’analyse des
tâches et ce qu’elles engagent comme ressources cognitives (voir, par exemple,
l’analyse des tâches de conscience phonologique par Lecocq 1991).
Pour l’orthographe, un consensus s’est fait jour pour l’origine de la dys-
orthographie phonologique développementale (altération du traitement phonolo-
gique).
Par contre, en ce qui concerne la dysorthographie développementale de
surface et la constitution du lexique orthographique, deux hypothèses s’affron-
tent : l’une, phonologique (Alégria & Morais, 1996, Casalis 1995, Sprenger-
Charolles & al. 1999) et l’autre, visuelle (Valdois 1996, 1997). Cette dernière
évoque des déficits fins qui dépassent l’analyse courante mais dont il faudra
sûrement tenir compte.

234
Les études présentées insistent, pour la plupart, sur l’intrication des pro-
cessus de lecture et d’écriture et leur enrichissement mutuel à tous les stades de
l’évolution ; elles confortent la pratique conjointe de la lecture et de la transcrip-
tion en rééducation et en pédagogie (observatoire national de la lecture 1999).
Par ailleurs, la pratique de l’orthographe reste le meilleur moyen de ren-
forcer les représentations orthographiques (transcription à partir de représenta-
tions complètes, retour du geste graphique sur la connaissance, automatisation
de la suite des lettres, relecture...).

♦ Rééducation
Les enfants
Seuls quelques grands principes tirés des expériences décrites sont ici
suggérés :
- Un travail systématique conjoint en lecture et écriture ;
- Un entraînement de la conscience phonologique dans toutes ses modali-
tés, incontournable dans la prise en charge des enfants présentant des
troubles du langage écrit (Rééducation Orthophonique n° 197) ;
- La découverte du principe alphabétique ;
- Le renforcement des connaissances sur les relations graphèmes-pho-
nèmes ;
- Un enrichissement des connaissances lexicales et syntaxiques ;
- Un contrôle des contingences mnésiques.
Dans un deuxième temps, la question posée sera de chercher sur quel type
d’unités travailler ?
- pour l’orthographe morphologique, est-ce le syntagme ou la phrase
l’unité minimum ?
- pour l’orthographe lexicale, est-il préférable de travailler sur des mots
isolés ou en contexte ?
L’étude des situations didactiques (Allal 1997, ce volume) montre que les
approches spécifiques portant sur des mots sont efficaces pour l’orthographe lexicale.
Le corpus est alors constitué en fonction des difficultés en respectant les fréquences
d’usage. Il semble toutefois nécessaire de les réutiliser dans une approche intégrée
afin de les actualiser et de permettre une meilleure intégration par le biais du sens.
L’utilisation des analogies, dont la date d’apparition dans le développement
est discutée en anglais comme en français (Gombert, Bryant, 1997, Gombert
1997), peut être une approche très porteuse. En effet, le coût de traitement est
réduit par le fait que peu d’éléments varient en partant d’un, préalablement connu.

235
Selon Jaffré (1995) « apprendre l’orthographe, c’est d’abord la com-
prendre », le travail porte alors sur l’explication, la découverte et l’expérimenta-
tion des différentes règles présidant au fonctionnement de l’écrit.
Les adultes
La rééducation cognitive s’engage après une évaluation longue et rigou-
reuse. Le choix des épreuves et l’organisation de sa passation est un postulat de
l’évaluation cognitive.
Le matériel choisi est constitué de listes de mots de haute et basse fré-
quence, abstraits et concrets, imageables et non imageables, fonctionnels, loga-
tomes etc. Au terme de cette évaluation, il est alors possible même dans les cas
non purs, de définir l’origine du déficit et d’établir le programme de rééducation.
En cas d’agraphie profonde, on pourra utiliser des procédures de seg-
mentation phonologique, de pointage des constituants du mot, de reconstitution
des mots à l’aide de syllabes, et des techniques d’associations de mots (Ducarne
1993, de Partz 1986). La stratégie d’utilisation des capacités lexicales préser-
vées (Carlomagno 1994 cité par Lambert 1997, Hartfield 1982) et le rétablisse-
ment de la conversion phonème-graphème en associant la lettre à un mot clef
seront également des objectifs (de Partz).
Dans le cas d’agraphie de surface ou lexicale, de Partz (de Partz, Seron
& Van der Linden, 1992) décrit une stratégie d’imagerie mentale avec des
étapes très précises : copie du mot écrit avec un dessin, copie différée du mot-
dessin, écriture sous dictée du mot-dessin et création de mot-dessin par le
patient lui-même.
On utilisera également des techniques d’associations sémantiques.
Dans tous les cas, des exercices d’apprentissage classique peuvent être
proposés :
- copie différée ;
- traitement du sens des syllabes figurant dans des mots familiers ;
- stimulation de la conversion phonème-graphème ;
- épellation ;
- enrichissement de la phrase en cas d’agrammatisme (complétude,
conversion, dialogue, jeux de questions-réponses ...)
Pour la rééducation des processus périphériques, l’activation des codes
gestuels, la conversion motrice et l’entraînement graphique sont à exploiter.
Les thérapies cognitives ont été décrites essentiellement dans les cas des
troubles du langage écrit mais les méthodes classiques gardent leur pertinence.

236
Par ailleurs, le rééducateur devra sans cesse utiliser les fonctions préser-
vées pour stimuler les fonctions perturbées, veiller au transfert des acquis et
mettre en place des moyens de compensation, lorsque la fonction atteinte ne
peut être récupérée.
Ce long processus de rééducation tiendra compte également des progrès
constatés afin d’adapter la technique choisie, et essayera de placer le patient
dans une situation concrète d’utilisation afin qu’elle devienne transférable.
N’oublions jamais que cette personne a su écrire et que la récupération de
cette fonction perdue est primordiale pour la restauration de son identité.

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de la la lecture et de l’écriture chez l’enfant et l’adulte. Marseille, Solal. 253-274.
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l’écrit en français. In L. RIEBEN, C.A. PERFETTI, M. FAYOL : Des orthographes et leur acqui-
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C.A. PERFETTI (eds) : L’apprenti lecteur. Delachaux & Niestlé. 197-220.
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des troubles de la lecture et de l’écriture chez l’enfant et l’adulte. 137-152.
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société française de neuropsychologie. 131-142.
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luation psycholinguistique se l’enfant. Rééducation orthophonique; 197, 3-12.
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FETTI, M. FAYOL : Des orthographes et leur acquisition. Delachaux & Niestlé, 57-76.

240
◆ RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CATACH N. (1993) : L’orthographe. PUF, Coll. « Que sais-je ? ».
CATACH N. (1995) : L’orthographe française. Nathan.
GILLET P.,CARBONNEL S., VALDOIS S. (1996) : Approche cognitive des
troubles de la lecture et de l’écriture chez l’enfant et l’adulte. Solal.
GREGOIRE J., PIERART B. (eds) (1995) : Evaluer les troubles de la lecture.
Bruxelles. De Boeck.
HABIB M. (1997) : Dyslexie : le cerveau singulier. Solal.
JAFFRE J.P, SPRENGER-CHAROLLES L., FAYOL M. (éds) (1993) : Lec-
ture/écriture : acquisition. Les actes de la Villette. Nathan.
JAFFRÉ J.P., FAYOL M. (1997) : Orthographes : des systèmes aux usages.
Flammarion, coll. Dominos.
RIEBEN L., FAYOL M., PERFETTI C.A. (éds) (1997) : Des orthographes et
leur acquisition. Delachaux & Niestlé.
SPRENGER-CHAROLLES L., CASALIS S. (1996) : Lire. Paris. PUF.
VAN HOUT A., ESTIENNE F.(eds) (1994) : Les dyslexies : décrire, évaluer,
comprendre, traiter. Paris. Masson.
ZESIGER P. (1995) : Ecrire : approches cognitive, neuropsychologique et déve-
loppementale. PUF.
REEDUCATION ORTHOPHONIQUE ; 192, 1997. Le langage écrit.
REEDUCATION ORTHOPHONIQUE ; 197, 1999. La conscience phonolo-
gique.

241
◆ ASSOCIATIONS

A.P.E.D.A. France : 3bis, avenue des Solitaires - 78320 Le Mesnil Saint Denis.
Tél. : 01.34.61.96.43

Avenir Dysphasie : 20bis, Avenue Carnot - 78100 Saint Germain-en-Laye.


Tél. : 01.30.42.21.46

F.L.A. : Fédération Française des Troubles Spécifiques du Langage et des


Apprentissages - 26, avenue de Lamballe - 75016 Paris.
Tél./Fax : 01.45.69.07.94

UNADREO : Union nationale pour la recherche et l’évaluation en orthophonie


- 2, rue des deux gares - 75010 Paris. Tél. : 02.43.95.38.41

Orthophonissimo : 86, rue Notre-Dame-des-Champs - 75006 PA R I S .


Tél. : 01.56.24.48.60. - http :// assoc.wanadoo.fr/orthophonissimo

L’association ORTHOPHONISSIMO a été créée par de jeunes orthopho-


nistes tout juste diplômés qui souhaitaient créer un lieu susceptible de leur per-
mettre d’approfondir mais aussi d’élargir le travail de recherche entamé à l’oc-
casion de leur mémoire de fin d’études.
Dans ce but, les activités de l’association se sont progressivement déve-
loppées selon deux axes : d’une part, les groupes de recherche et les réunions
inter-groupes permettent aux adhérents qui le souhaitent d’approfondir leur
réflexion sur les sujets qui leur tiennent à coeur. D’autre part, les conférences et
journées de conférences régulièrement organisées à Paris (et ouvertes à tous),
créent des occasions d’échanges, de rencontres et de réflexion partagés avec des
professionnels de tous horizons.
Diverses publications ont vu le jour grâce à l’association, la revue
« l’Echo des Mots », la cassette vidéo « Aphasie : le mal des mots » d’Hélène
Lavenant et Frédérique Pacé, « la Dépêche » (publication interne).

242
NOTES

243
IVe Congrès scientifique européen du C.P.L.O.L.

Le langage oral :
qualité et efficacité en orthophonie
du 2 au 4 juin 2000
à la Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette
PARIS
Renseignements et inscriptions
C.P.L.O.L. Congrès Paris 2000
2, rue des deux gares, 75010 Paris
e-mail : cplol@wanadoo.fr – http://www.multimania.com/cplol

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DERNIERS NUMÉROS PARUS
N °1 96 : LANGAGE ORAL - PRODUCTION - Rencontre : Justine ou la difficile conquête de l’autonomie et du
langage (P. AIMARD) — Données Actuelles : De l’approche neuropsychologique en général et du langage
oral en particulier (J.-P. LASSERRE) - Etiologies des dysphasies : le point de la question (J.-J. DELTOUR)
- Développement des productions vocales : évaluation et implications cliniques (S. VINTER) - Pour une éva-
luation intégrative du langage oral (J.A. RONDAL) — Examens et interventions : Etude de cas : Emmanuelle,
née le 14 novembre 1969 (A.-M. ROBERT-JAHIER) - Qui dit quoi ? Le rôle de la reformulation dans la réédu-
cation du langage oral chez l’enfant de 4 ans (C. FOUASSIER, A. GADOIS, C. HÉNAULT, D. MOR-
CRETTE, L. BIHOUR, N. GUÉRET) - Quand le nombre est parlé avant d’être écrit : acquisition et élabora-
tion de la chaîne numérique verbale (A. MÉNISSIER) — Perspectives : Apports de la pragmatique et de la
psychologie du langage à la compréhension des troubles du développement du langage (G. DE WECK)
- Premiers pas dans l’acquisition du lexique (D. BASSANO) - Et si l’humour c’était sérieux ? (M.FOSSARD)
- L’oral : une tâche moins discriminante que l’écrit ? (K. DUVIGNAU)

N °1 97 : LA CONSCIENCE PHONOLOGIQUE - Rencontre : La conscience phonologique dans le cadre d’une


évaluation psycholinguistique de l’enfant (B. WELLS) — Données Actuelles : Sensibilité phonologique et trai-
tement métaphonologique : compétences et défaillances (M. PLAZA) - Déficits phonologiques et métaphono-
logiques chez des dyslexiques phonologiques et de surface (L. SPRENGER-CHAROLLES, P. LACERT,
P. COLÉ, W. SERNICLAES) - Evaluation de la mémoire de travail verbale chez six enfants présentant une
hémiplégie congénitale (M. SANCHEZ, S. GONZALEZ, A. RITZ) - Conscience phonologique et surdité
(A. DUMONT) — Examens et interventions : Approche rééducative de la conscience phonologique auprès
d’une enfant présentant une dysphasie et une dyslexie (G. BERTIN, I. RETAILLEAU, S. GONZALEZ) -
Phonorama : matériel d’entraînement de la compétence métaphonologique (N. ISSOUFALY, B. PRIMOT) -
Pratique de la D.N.P. et développement de la conscience phonologique (D. PRADO) — Perspectives :
Evaluation de la conscience phonologique et entraînement des capacités phonologiques en grande section de
maternelle (M. ZORMAN) - Entraînement à la parole et au langage acoustiquement modifiés : une relation
entre l’entraînement à la discrimination auditive du mot et les mesures d’évolution du langage (S.L.MILLER,
N. LINN, P. TALLAL, M.M. MERZENICH, W.M. JENKINS)

N °1 98 : LES APHASIES DE L’ADULTE - Rencontre : L’inénarrable aventure de P. (R. DEGIOVANI) —


Données Actuelles : Aphaises et imagerie cérébrale fonctionnelle (B. LECHEVALLIER) - Les formes cli-
niques des aphasies corticales (R. GIL) - Les aphaises sous-corticales : données actuelles (M. PUEL,
J.-F. DÉMONET, D. CARDEBAT, D. CASTAN) - Stratégies de compensation adoptées par des patients céré-
brolésés : définitions conceptuelles et principes de mise en œuvre (A. KIOUA) - De la nécessité de l’évalua-
tion des troubles de la compréhension dans l’aphasie (M.-N. METZ-LUTZ) — Examens et interventions :
Une nouvelle batterie de tests de compréhension orale en temps réel pour patients aphasiques (F.GROSJEAN,
I. RACINE, J. BUTTET-SOVILLA) - Rééducation des troubles de la compréhension de la phrase (M.-A.VAN
DER KAA-DELVENNE, A. SCHWAB) - Les techniques de communication alternatives ou supplétives
(M.-P. DE PARTZ) - Les thérapies de groupe en aphasiologie (J. BUTTET-SOVILLA) - Evaluer la commu-
nication de la personne aphasique dans la vie quotidienne : proposition d’une Echelle de Communication
Verbale (B. DARRIGRAND, J.-M. MAZAUX) — Perspectives : La neuropsycholinguistique à la veille de
l’an 2000. Réflexions et perspectives à partir d’un exemple : l’agrammatisme (J.-L. NESPOULOUS) - Les
perspectives rééducatives en aphasiologie (J.-M. MAZAUX, P.A. JOSEPH, M. CAMPAN, P. MOLY et
A. POINTREAU)

N °1 99 : LES ACTIVITÉS LOGICO-MATHÉMATIQUES - Rencontre : Petites histoires sur l’histoire d’une


grande invention : la numération (A. MÉNISSIER) - Le dénombrement : une activité complexe à deux
composantes (V. CAMOS) — Données Actuelles : Les élèves en difficulté : calculent-ils autrement ?
(J.-P. FISCHER) - Quelques dysfonctionnements dans l’appropriation du nombre, leur diagnostic et leur abord
pédagogique (R. BRISSIAUD) - Relations entre des performances à des épreuves perceptivo-tactiles et des
épreuves arithmétiques chez des jeunes enfants (C. MARINTHE, M. FAYOL, P. BARROUILLET) —
Examens et interventions : Compétences arithmétiques : une aide à l’évaluation et à l’action pédagogique
(F.DUQUESNE) - L’UDN 2 : un instrument révisé pour des évaluations plus fines (C. MELJAC) - Utilisation
du jeu de stratégie « Quarto » comme stimulus développemental du fonctionnement cognitif. Application chez
un enfant présentant un syndrome de William Beuren (S.W.B.) (OP DE BEECK) — Perspectives : Aspects cli-
niques des dyscalculies chez l’enfant (M. MAZEAU) - La délicate question de la compétence professionnelle
face aux dysfonctionnements dans le traitement des données numériques (P. DESSAILLY)

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