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Introduction «Daniversalisme européen se nie si, pour ne ‘bos tomber dans la tentation de ta barbari, il donne aux autres le droit d'étre barbares», Leszek Kolakowski Dans lavion qui me ramenait de Tirana vers Paris, Ie 12 avril dernier, je ne pouvais me défaire un sentiment de révolte. Je venais de passer quel- ques heures 4 la frontiére de PAlbanie et du Kosovo. Ces camps de toile dressés dans la boue et la désola- tion, ces hommes et ces femmes épuisés, brisés, hagards, ces enfants encore sous le choc : ne pou- vait-on éviter cela? Depuis des années, nous savions que le Kosovo était une poudritre dans cette région tourmentée des Balkans. Nous savions qu’il y avait, Belgrade, un dictateur communiste prét A toutes les folies nationa- listes pour garder son pouvoir. Nous le savions! Etait-l donc inéluctable d’en arriver 1a, & ces épu- rations massives monstrueuses, & ces centaines de 7 milliers de réfugiés jetés sur les routes, A ces bom- bardements d'un autre age? Aprés avoir pris la mesure de cette détresse, allais-je reprendre tranquillement le cours de la vie politique, de meeting en réunion, de discours en interview, comme si de rien n’était? «LEurope, l'Europe, l'Europe!» ironisait le général de Gaulle. A quoi sert-elle done, Europe, si ce n’est A éviter ce genre de drame? Que l'Union européenne, fabuleuse mise en commun pacifique et volontaire de richesses, d’intelligence et de culture, soit incapable d’étouffer dans oruf une telle crise & ses portes, quelle honte! Que sa capacité d’agir, sur le plan militaire et logistique, soit & ce point dépen- dante de la puissance américaine, quelle désolation! Le visage meurtri des réfugiés que je venais de rencontrer, les larmes silencieuses des vieillards chassés de leurs maisons, la voix brisée des femmes séparées de leurs maris & coups de kalachnikov, le regard vide des enfants du Kasovo, c’est aussi cela, YEurope! Ges malheureux sont aussi des Européens ~ Jes plus démunis, les plus faibles de tous. A quoi sert Europe, a quoi servent les Htats, a quoi servent les parlements, s'ils sont incapables de protéger le droit du plus faible? L’Europe se joue au Kosovo Lintervention de l'OTAN en Yougoslavie n’est pas qu’un fait militaire, c’est d’abord un fait politique. C'est une vraie révolution dans la vie internationale, 8 un bouleversement juridique majeur, une rupture fondamentale non seulement avec Pordre inter- national, mais aussi avec ordre du droit. Certes, personne ne peut se réjouir qu'une guerre vienne ainsi meurtrir le sol européen. Personne ne peut non plus assurer que l'action de TOTAN au Kosovo ne présente pas des risques et des faiblesses : jai moi-méme regretté, das le début de Vinter- vention, que lon n’ait pas mieux prévu ses consé- quences humanitaires, que l'on ait laissé la Russie & Técart des décisions finales, et que on ait semblé exclure par avance tout prolongement terrestre des frappes aériennes, au risque de laisser carte blanche aux épurateurs ethniques. Mais cela ne retire rien 4 la justesse du principe de Vintervention. Il fallait intervenir. Et peut-étre fal- Iait-il aussi prendre conscience plus tot des exactions et des crimes perpétrés par Milosevic depuis dix ans. Préter davantage attention aux intellectuels qui, avec leur lucidité, cherchaient a alerter opinion sur ce qui se passait la-bas, dans ces montagnes inconnues ~ en vain! Ne pas se décider eft 6té se rendre coupable de non-assistance d Européen en danger. On na pas le droit de laisser se perpétrer de telles pratiques! On n'a pas Ie droit non plus d’échouer dans une telle entreprise : ce serait une tragédie pour les Kosovars, d'abord, mais aussi pour ensemble de Europe. Je pese mes mots : Pavenir de PEurope se joue au Kosovo. Car Fenjeu de cette guerre dépasse large- ment les limites des Balkans. Crest l’équilibre de tout le vieux continent qui est en cause. Au sens politique et diplomatique, certes, 9 mais surtout en termes de valeurs, d’éthique, de civi- lisation. On ne peut laisser faire, laisser s'installer la barbarie au coeur de l'Europe sans renoncer 4 PEurope, a ce qui constitue l’arne méme de Europe —A savoir Pidée que l'on y a forgée de Yhomme et de sa dignité. ‘Le drame du Kosovo est peut-étre le dernier ava- tar d'un siécle a sa ressemblance — effrayante succes- sion d’épurations ethniques, de bombardements vengeurs, de déportations massives, de camps inhu- mains et de détresses multiples ~ si nous savons prendre la mesure des choses, analyser les événc- ‘ments, en tircr Jes legons qui s'imposent pour limiter le doit du plus for. La guerre en ex-Yougoslavie, en effet, s’inscrit dans une formidable évolution du droit et des men- talités. Une évolution accélérée par la chute du mur de Berlin, en 1989, et jalonnée, me semble-t-il, par le procés Papon et Parrestation de Pinochet. Lintervention au Kosovo sonne le glas dune cer- taine conception de la politique, de V’Etat et du droit. Crest la fin d'une époque. Le dernier spasme ’un xx" sidcle de sang et de larmes oi la force des Etats Ya trop souvent emporté, hélas, sur les droits de Phomme. A quelques mois de I’'an 2000, cela vaut la peine ey réflechir. 1 LE DROIT ET LA FORCE «Une chose n'est pas juste parce quelle est la oi, mais elle doit dre boi parce qu'elle et juste.» Montesquieu La fin de la non-ingérence La guerre du Kosovo est un tournant dans les relations internationales, car elle sanctionne un régime, celui de Slobodan Milosevic, par Pingérence caractérisée d'un groupe d’Etats dans les affaires intérieures d'un Etat souverain, ILy a eu d'autres interventions armées, ces der- nigres années. Mais le principe de la souveraineté des Etats avait continué de primer : soit il sagissait @un conflit de type classique entre deux Etats voi- sins, comme dans le cas de invasion du Koweit par Irak; soit il y avait contestation de frontiéres apres explosion d’un Etat fédéral, comme dans le cas de la Bosnie. Cette fois, le sacto-saint principe de la « non- ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat » a il été transgressé puisque les pays de LOTAN sont intervenus dans une province appartenant a un Etat souverain : la Serbie, ou plutét la Fédération de ‘Yougoslavie, qui comprend la Serbie ct le Monténé- gro, Cest-a-dire ce qui reste de la Yougoslavie communiste depuis son éclatement en 1991-1992. It n’y aaucune ambiguité : cet Etat yougoslave est clai- rement reconnu sur le plan international, au méme titre que la Slovénie, la Croatie, la Macédoine ou la Bosnie, qui sont aujourd’hui autant d’Etats indépen- dants. On a rappelé, a juste titre, que le Kosovo avait naguére un statut d’autonomie au sein de la répu- blique de Serbie, statut que Milosevic a supprimé en arrivant au pouvoir en 1989. Cela est vrai, mais cela ne change rien : méme « autonome », Ie Kosovo fai- sait bel et bien partie de la Serbie. Il y a incontes- tablement « ingérence dans les affaires intérieures dun Etat», Inutile de revenir sur ce qui a motivé cette inter- vention de POTAN au Kosovo. Chacun a pu constater les crimes perpétrés par Milosevic dans cette malheureuse province contre les Albanais, qui peuplent le Kosovo a plus de 80 %. Chacun sait que P« épuration ethnique » entreprise par Milosevic au Kosovo prenait des proportions si monstrueuses que les Européens ont décidé de réagir, aprés qu’eurent été épuisées toutes les tentatives de négociation, en s'appuyant sur le seul dispositif militaire possible, celui de POTAN, qui est en large part dominé par les Américains. Tous ces éléments sont connus de tous aujour- d’hui. 12 Retenons, en revanche, qu'il s’est produit au Kosovo, en mars 1999, une « premiére » historique : un principe moral — la défense des droits de Phomme ~ Pa emporté sur le droit international, sur le droit des Etats. Cette victoire sur Pimpuissance est une premiére diplomatique, juridique et éthique Pour comprendre qu’elle est tout a fait excep- tionnelle, regardons autour de nous : du Kurdistan au Sud-Soudan, du Tibet a PAlgérie, le principe de la « souveraineté de I’Etat » est encore sacré. On ne se méle pas des affaires des autres, point final! « Charbonnier est maitre chez soi». Bien entendu, ce principe est, en soi, respectable. I serait irresponsable @abolir cette régle simple qui permet d’éviter Panarchie internationale. Tl faut absolument qu’un code général de régles inter- nationales vienne réglementer les rapports entre les Etats. Et on sait bien qu'en certaines régions du monde le Brincipe de linviolabilité des frontiéres entre des Etats parfois artificiels, aux frontiéres naguére dessinées par telle ou telle puissance occupante au mépris des clivages ethniques, a per- mis d'empécher plus d'une guerre : qu’on pense A PAfrique noire, ou au Caucase. Le simple bon sens invite donc a se doter d’une reégle internationale, valable pour tous : une sorte de «code dela route » des Etats, qui, pour fonctionner, suppose que 'on reconnaisse les Etats, tous les Etats, quels que soient leurs régimes. Encore faut-il préci- ser que ce « code de la route », bien que nécessaire, ne suffit pas 4 empécher de tragiques accidents. Sévoquais Afrique et le Caucase : rappelez-vous, il 13

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