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CHIRURGIE D’URGENCE

EN SITUATION PRECAIRE

(Haïti, par exemple)

Ouvrage à l’intention de tous ceux qui s’intéressent, cherchent, étudient, la médecine et ses
applications thérapeutiques afin de venir en aide à leur prochain.

PP1 and WORLD ASSOCIATION of PLANETARIAN HEALTH.

FAITES UNE COPIE DE SAUVEGARDE

1
CHIRURGIE D’URGENCE
EN SITUATION PRECAIRE

(Haïti, par exemple)


Reflet de l'expérience de nombreux chirurgiens ayant exercé
en situation précaire (dénuement, guerre ou catastrophe), ce livre
reprend en quatre parties les différents aspects de l'urgence
chirurgicale en situation précaire.

• Les conditions d’exercice : les impératifs logistiques et


para-chirurgicaux de ces missions chirurgicales, les caractéristiques,
les limites et les principes de cette chirurgie.

• La chirurgie de guerre pratiquée ces dernières décennies


: guerres conventionnelles, civiles, ethniques ou terrorisme.

• La chirurgie tropicale : obstétrique, urgences


abdominales, traumatologie, plaies par animaux ainsi que les
problèmes liés au sida en chirurgie tropicale.

• Les techniques d'intervention d'urgence les plus


courantes. Pour plus de clarté, chaque situation est standardisée et
décrite en fonction de l'intervention, du cas clinique et des
conditions logistiques. Les nombreux schémas permettent d'utiliser
ce livre comme guide au bloc opératoire.

Ce manuel s'adresse à tout chirurgien militaire ou volontaire


d'organisation internationale devant partir en mission humanitaire.
Par son importante partie consacrée à la chirurgie tropicale, il
complétera efficacement la formation des internes en chirurgie ou
en médecine tropicale et sera des plus utiles aux coopérants.

2
Sommaire 3

Auteurs 6
Préface 11
Léon Lapeyssonnie 13

PARTIE 1 Conditions d'exercice 15


Avant-propos 16
Louis-José Courbil

A. Conditions logistiques 22
1. Mode d'intervention et logistique de la chirurgie au sein d'une organisation
médicale humanitaire non gouvernementale. 23
Jean Rigal
(Annexe I : Kit chirurgie, 300 interventions (100 lits/I mois)) 30
2. Approvisionnement en eau en situation d'exception 51
Philippe Eono, Claude-Pierre Giudicelli
3 Antennes chirurgicales du Service de Santé des Armées 66
Louis-José Courbil, Jean-Claude Latouche, François-Marie Grimaldi,
Jean-François Chaulet, Sylvie Dorandeu, Jean-Philippe Rault

B. Conditions techniques 91
4. Chirurgie en situation d'exception - Essai de définition des contours 92
Patrice Houdelette
5. Anesthésie et réanimation en situation précaire
Jean-Pierre Carpentier, Michel Aubert 103
6. Thérapeutique transfusionnelle 173
Rémy Courbil, Dominique Legrand, Jean-Pierre Zappitelli, Jacques Chiaroni

C. Témoignages - Libres propos 183


7. Éthique de la chirurgie d'urgence en situation précaire 184
Alain Ducolombier
8. Chirurgie de la guérilla 190
Mario Duran
9. Témoignages de missions militaires et humanitaires 201
François Pons, Sylvain Rigal, Christophe Dupeyron
10. Libres propos 213
Louis-José Courbil

PARTIE 2 Chirurgies de guerre 222


Avant-propos 223
Louis-José Courbil
11. Chirurgie de guerre - Approche d'une spécialité 229
Patrice Houdelette
12. Triage chirurgical 260
Louis-José Courbil
13. Notions de balistique lésionnelle à l'usage du médecin 272
Philippe Jourdan
14. Chirurgie et terrorisme 299
Jean-Louis Pailler
15. Blessés graves de guerre - Individualisation et principes de prise en charge 311
Patrice Houdelette

3
16. Plaies de l'abdomen - Traitement chirurgical en situation de précarité 321
Claude Dumurgier
17. Traumatismes balistiques de la face 336
Daniel Cantaloube, Luc Richard, Guy Payement
18. Plaies du thorax en situation d'exception 359
François Pons, Olivier Chapuis, René Jancovici
19. Indications et limites de la chirurgie dans les plaies pelvi-périnéales 367
Philippe Vicq, Jean-Marie Andréa
20. Plaies de guerre de la hanche 372
Jean-François Thiery, Jacques Limouzin, Hubert de Belenet, Christophe Drouin
21. Pieds de mine 380
François-Marie Grimaldi, Christophe Courant, Jacques Limouzin, Christophe Drouin,
Eric Demortière
22. Traitement des plaies des parties molles par blessure de guerre 392
Patrice Houdelette
23. Prise en charge chirurgicale d'une brûlure grave en situation précaire 407
Jean-Michel Rives, Anne Le Coadou, Gérald Franchi,
Jean-François Andréani, Daniel Cantaloube

PARTIES 3 Chirurgie tropicale 424


Avant-propos 425
Louis-José Courbil
24. Chirurgie en situation de catastrophe en Afrique tropicale 431
Anselme Mackoumbou-Nkouka
25. Urgences chirurgicales abdominales en Afrique 435
Jacques Richard
26. Traumatologie en milieu tropical 450
Michel Di Shino
27. Urgences en obstétrique 523
Jean-Claude Cazenave
28. Dystocies africaines 537
Luc Bellier
29. Traumatismes thoraciques 544
Alain Délaye, Claude Malmejac
30. Pied tropical 577
Jean-François Thiery, Patrick Vaujany, Hubert de Belenet, Yvan Merrien
31. Blessures par animaux marins en milieu tropical 586
Jacques Bahuaud
32. Neurochirurgie d'urgence en milieu tropical 606
Alain Ducolombier
33. Infection par le VIH (virus de l'immunodéficience humaine) 615
et chirurgie tropicale
Roland Laroche

PARTIE 4 Techniques chirurgicales 619


Avant-propos 620
Patrice Houdelette
34. Abord large du tronc ilio-fémoral 625
Louis Cador
35. Fracas diaphysaires de jambe par projectile de guerre 637
Jean-François Thiery
36. Amputation de jambe pour fracas 645
Jean-François Thiery

4
37. Plaie cranio-cérébrale 651
Alain Ducolombier
38. Hématome extra-dural 660
Alain Ducolombier
39. Césarienne 667
Gilles Charles
40. Rupture de grossesse extra-utérine 681
Gilles Charles
41. Hystérectomie obstétricale 691
Gilles Charles
42. Cystostomie et ponction vésicale sus-pubienne 703
Alex Altobelli
43. Torsion du cordon spermatique 712
Alex Altobelli
44. Plaies du globe oculaire 716
Christian Bouat
45. Énucléation 725
Christian Bouat
46. Suture-épiplooplastie pour perforation d'ulcère duodérial 731
Louis Cador, Thierry Boulanger
47. Colostomie pour plaie de guerre du côlon gauche 739
Louis Cador, Alain Collée
48. Hernie inguinale étranglée 753
Thierry Boulanger
49. Splénectomie pour rate traumatique 761
Thierry Boulanger
50. Trachéotomie 768
Jean-Luc Poucet
51. Thoracotomie en situation d'exception 782
François Pons. Olivier Chapuis. René Jancovici

Index 789

Coordonné par L.-J. COURBIL


Aidé par P. houdelette, A. ducolombier, L. cador
Préface de L. lapeyssonnie
Avant-propos de L.-J. courbil et P. houdelette
Illustrations de C. boudon

5
Auteurs.

Alex Altobelli
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Service d'Urologie, Hôpital d'Instruction des Armées
Sainte-Anne, Toulon.

Jean-François Andréani
Spécialiste des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Plastique, Hôpital d'Instruction
des Armées Percy, Clamart.

Jean-Marie Andreu
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Hôpital Principal, Dakar, Sénégal.

Michel Aubert
Professeur Agrégé du Service de Santé des Armées, Service d'Anesthésie-Réanimation,
Hôpital d'Instruction des Armées Alphonse Lavéran, Marseille.

Jacques Bahuaud
Professeur Agrégé, Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Chef du Service d'Orthopédie et de
Traumatologie, Hôpital d'Instruction des Armées Robert Picqué, Bordeaux.

Luc Bellier
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Service de Gynécologie. Hôpital d'Instruction des
Armées Alphonse Lavéran, Marseille.

Christian Bouat
Ophtalmologiste des Hôpitaux des Armées, Service d'Ophtalmologie, Hôpital d'Instruction
des Années Alphonse Lavéran, Marseille.

Thierry Boulanger
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Viscérale, Hôpital d'Instruction
des Armées Alphonse Lavéran, Marseille.

Louis Cador
Professeur Agrégé, Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Chef du Service de Chirurgie
Viscérale, Hôpital d'Instruction des Armées Alphonse Lavéran, Marseille.

Alain Callec
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Chef du Service de Chirurgie, Hôpital Principal de
Mayotte, Océan Indien.

Daniel Cantaloube
Professeur Agrégé, Chef du Service de Chirurgie Maxillo-Faciale, Hôpital d'Instruction des
Armées Percy, Clamart.

Jean-Pierre Carpentier
Professeur Agrégé, Service d'Anesthésie, Hôpital d'Instruction des Armées Alphonse
Lavéran, Marseille.

6
Jean-Claude Cazenave
Professeur Agrégé du Service de Santé des Armées, Gynécologue-Obstétricien, Marseille.

Olivier Chapuis
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Thoracique et Générale, Hôpital
d'Instruction des Armées Percy, Clamart.

Gilles Charles
Médecin en Chef, Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Chef du Service de Gynécologie-
Obstétrique, Hôpital d'Instruction des Armées Bégin, Saint-Mandé.

Jean-François Chaulet
Pharmacien Chimiste des Hôpitaux des Années, Hôpital d'Instruction des Armées
Desgenettes, Lyon.

Jacques Chiaroni
Docteur en Médecine, Chef de Service du Laboratoire d'Immuno-Hématologie, Centre
Régional de Transfusion Sanguine, Marseille.

Christophe Courant
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Orthopédique et
Traumatologique, Hôpital d'Instruction des Armées Alphonse Lavéran, Marseille.

Louis-José Courbil
Professeur Agrégé, Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Médecin Général Inspecteur (CR).

Rémy Courbil
Docteur en Médecine, Coordonnateur Régional d'Hémovigilance, Direction Régionale des
Affaires Sanitaires et Sociales, Toulouse.

Hubert de Belenet
Assistant des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Orthopédique, Hôpital d'Instruction
des Armées Alphonse Lavéran, Marseille.

Alain Délaye (f )
Chirurgien de l'Hôpital du Point G, Bamako, Mali.

Eric Demortière
Assistant de Chirurgie des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Orthopédique et
Traumatologique, Hôpital d'Instruction des Armées Alphonse Lavéran, Marseille.

Michel Di Shino
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Chef du Service de Chirurgie Orthopédique, Hôpital
d'Instruction des Armées Percy, Clamart.

Sylvie Dorandeu
Pharmacien, Chimiste des Hôpitaux des Armées, École du Service de Santé des Armées,
Lyon.

7
Christophe Drouin
Assistant des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Orthopédique, Hôpital d'Instruction
des Armées Alphonse Lavéran, Marseille.

Alain Ducolombier
Professeur Agrégé, Médecin en Chef, Service de Neurochirurgie, Hôpital d'Instruction des
Armées du Val-de-Grâce, Paris.

Claude Dumurgier
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Viscérale et Urologique, Institu-
tion Nationale des Invalides, Paris.

Christophe Dupeyron
Anesthésiste-Réanirnateur des Hôpitaux des Armées, Centre Hospitalier des Armées,
Calmette, Lorient Naval.

Mario Duran
Chirurgien, Ancien Professeur de Chirurgie, Université de Cordoba (Argentine), Paris.

Philippe Eono
Spécialiste du Service de Santé des Armées, Direction Centrale du Service de Santé des
Armées, Paris.

Gérald Franchi
Médecin Aspirant, Services des brulés, Hôpital d’Instructions des Armées Percy, Clamart.

Claude-Pierre Giudicelli
Professeur Agrégé, Inspecteur Général du Service de Santé des Années, IGSSA, Paris.

François-Marie Grimaldi
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Orthopédique et
Traumatologique, Hôpital d'Instruction des Armées Alphonse Lavéran, Marseille.

Patrice Houdelette
Professeur au Val-de-Grâce, Titulaire de la Chaire de Chirurgie de guerre, Médecin en Chef,
Service d'Urologie, Hôpital d'Instruction des Armées du Val-de-Grâce, Paris.

René Jancovici
Professeur Agrégé et Chirurgien des Hôpitaux, Service de Chirurgie Thoracique, Hôpital
d'Instruction des Armées Percy, Clamart.

Philippe Jourdan
Chirurgien des Hôpitaux, Service de Neurologie, Résidence du Parc, Marseille.

Léon Lapeyssonnie
Professeur Agrégé du Service de Santé des Armées, Médecin Général (CR).

Roland Laroche
Professeur du Service de Santé des Armées, Directeur de PIMTSSA, Le Pharo, Marseille.

8
Jean-Claude Latouche
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Médecin Chef adjoint, Hôpital d'Instruction des
Armées Alphonse Lavéran, Marseille.

Anne Le Coadou
Assistante des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Plastique, Hôpital d'Instruction des
Armées Percy, Clamart.

Dominique Legrand
Docteur en Médecine, Chef de Service de préparation et de distribution des Produits Sanguins
Labiles, Centre Régional de Transfusion Sanguine, Marseille.

Jacques Limouzin
Assistant de Chirurgie des Hôpitaux des Armées, Service d'Orthopédie-Traumatologie,
Hôpital d'Instruction des Armées Alphonse Lavéran, Marseille.

Anselme Mackoumbou-Nkouka
Professeur Agrégé du Service de Santé des Armées, Directeur Central du Service de Santé
des Forces Armées Congolaises, Brazzaville, Congo.

Claude Malmejac
Professeur de Chirurgie Thoracique, Service de Cardiologie, Hôpital Sainte-Marguerite,
Marseille.

Yvan Merrien
Professeur Agrégé, Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Orthopédique,
Hôpital d'Instruction des Armées Alphonse Lavéran, Marseille.

Jean-Louis Pailler
Chirurgien des Hôpitaux des Années, Ancien Chef du Service de Chirurgie Viscérale et
Vasculaire à l'Hôpital du Val-de-Grâce, Ancien titulaire de la Chaire de Chirurgie de Guerre,
Membre de l'Académie de Chirurgie, Service de Chirurgie Générale et Viscérale, Hôpital
Américain de Paris, Neuilly.

Guy Payement
Spécialiste des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Maxillo-Faciale et de Chirurgie
Plastique, Hôpital d'Instruction des Armées Desgenettes, Lyon.

Jean-Luc Poncet
Professeur Agrégé, Médecin en Chef, Chef du Service ORL et Chirurgie Cervico-Faciale,
Hôpital d'Instruction des Armées du Val-de-Grâce, Paris.

François Pons
Professeur Agrégé, Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Thoracique,
Hôpital d'Instruction des Armées Percy, Clamart.

Jean-Philippe Rault
Pharmacien-Chimiste, Hôpital d'Instruction des Armées Alphonse Lavéran, Marseille.

9
Jacques Richard
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Chef du Service de Chirurgie, Centre Hospitalier de
Soavinandriana, Antananarivo, Madagascar.

Luc Richard
Assistant des Hôpitaux des Armées, Service de Neurochirurgie, Hôpital d'Instruction des
Armées Desgenettes, Lyon.

Jean Rigal
Directeur Médical, Médecins Sans Frontières, Paris.

Sylvain Rigal
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Orthopédique, Hôpital
d'Instruction des Armées Percy, Clamart.

Jean-Michel Rives
Spécialiste des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Plastique, Hôpital d'Instruction
des Armées Percy, Clamart.

Jean-François Thiery
Professeur Agrégé, Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Orthopédique,
Hôpital d'Instruction des Armées Clermont-Tonnerre, Brest.

Patrick Vaujany
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Hôpital d'Instruction des Armées Alphonse Lavéran,
Marseille.

Philippe Vicq
Professeur Agrégé, Hôpital Principal, Dakar, Sénégal.

Jean-Pierre Zappitelli
Docteur en Pharmacie, Chef de Service du Laboratoire de Virologie, Centre Régional de
Transfusion Sanguine, Marseille.

10
Préface

L. LAPEYSSONNIE

Hormis le choix de ses géniteurs, de son état de santé et celui de l'heure de sa mort,
suicide exclu, tout le reste de son existence n'est pour l'être humain qu'un choix ou plus
exactement une kyrielle de choix successifs, celui des études puis du métier, celui de son
conjoint et, avec la pilule, du nombre de ses enfants, celui de ses amis et des biens matériels,
sans oublier les options politiques et les engouements sportifs. On n'en sort pas !

Au jeune médecin militaire qui avait jadis opté pour la Coloniale (encore un choix)
était toutefois épargné celui de balancer entre la médecine et la chirurgie, le laboratoire et
l'hygiène, l'obstétrique et la pédiatrie : il devait simplement tout faire ! Y compris la chirurgie.

Mais quelle chirurgie ? Il avait bien appris au Pharo (1) quelques bonnes manières
pour inciser et séparer les plans anatomiques, pour parer et réparer les plaies, suturer, voire
rabouter une anse intestinale (de chien). Sans parler de la réduction des luxations et des
fractures et de la confection des plâtres. Et, si nécessaire, l'amputation d'un membre ou d'un
segment de membre. Et même d'arracher proprement une dent pourrie.

Parvenu à son poste de brousse^ le jeune " Mon Docteur " à deux galons trouvait le
plus souvent une " salle d'opération ", mirobolant vocable pour désigner le seul local muni de
vitres, le reste de l'hôpital en étant dépourvu. Il trouvait aussi un Poupinel et parfois un
autoclave, les deux chauffés par un " Primus " à pétrole, quelques boîtes d'instruments
chirurgicaux, une paire de forceps de Tarnier et le fameux masque d'Ombredanne qui
carburait au mélange (hautement inflammable) de Schleich. Le tout assorti d'un infirmier
pouvant conduire une (brève) anesthésie générale et d'un autre capable de faire l'aide
opératoire.

S'il voulait ou s'il devait opérer, notre ami n'était pas tout à fait dépourvu. Et tout le
problème résidait dans ces deux mots : voulait et devait. Le texte reproduit en encadré dépeint
bien la situation : d'un côté il y avait les opérations que j'appellerais " de nécessité ". Elles ne
présentaient pas de caractère d'urgence et n'étaient pas effectuées en situation de précarité. La
seule limite en était la compétence de l'opérateur et la rusticité de ce que l'on appelle de nos
jours le plateau technique. À lui de décider s'il avait le goût de faire marcher ses mains
(étymologiquement, chirurgie = travail de la main) et l'envie de voir ses opérés s'en aller
soulagés et souvent guéris. Bien sûr, ce n'était pas le nouveau Val-de-Grâce ni l'hôpital
américain de Neuilly, mais dans l'ensemble tout le monde était content.

De l'autre côté il y avait les urgences, rares dans certains postes, fréquentes dans
d'autres, toujours dramatiques quand il n'y avait pas de possibilité d'évacuation. Elles étaient
très souvent au-delà de ce que l'on peut raisonnablement attendre d'un jeune praticien
généraliste qui devait opérer seul, sans radio, sans anesthésiste confirmé, sans une seule
goutte de sang à transfuser, sans suivi post-opératoire.

Même si la décision était dure à prendre, et angoissante, le problème se posait de


manière simple : si je l’opère. ses chances de survie sont faibles; si je ne l'opère pas^ elles
sont nulles. La précarité n'est donc pas un terme vaguement péjoratif pour définir une

11
situation de technicité et d’équipements insuffisants, mais la mesure calmement et
raisonnablement établie des chances même très faibles que peut apporter un acte opératoire.
Et si elles ne sont pas nulles, c'est le devoir du médecin d'opérer. C'est tout.

Où commence, où s'arrête la précarité ? L'exemple suivant pourra fournir des éléments


de réponse. Un biologiste, mutant-épidémio, féru d'obstétrique qu'il avait longuement
pratiquée pendant ses vertes années dans les hôpitaux de brousse, passa au cours d'une
mission en Afrique sahélienne dans un poste où le jeune médecin s'apprêtait à évacuer sur
l'hôpital le plus proche (400 km de piste, en pick-up Land Rover de surcroît) une parturiente
multipare et âgée dont le travail s'était arrêté au détroit inférieur. Le confrère n'osait pas, ne
savait pas ou ne voulait pas intervenir. Le voyage de huit heures (pannes exclues) signifiait la
mort certaine de l'enfant, peut-être celle de la mère. Comme d'habitude. Ce n'était pourtant
qu'une simple affaire de forceps bas qui fut résolue en un tournemain. Où était la précarité ?

Et ceci nous amène à la fin de ces propos dont la conclusion sera que la précarité est
une notion relative et évolutive : au temps jadis, elle était technique et matérielle, donc visible
et mesurable. De nos jours s'y ajoutent des notions plus subtiles qui la rendent plus
dissuasive : qui aura le vrai courage de risquer un échec opératoire prévisible si l'autorité
médicale dont dépend l'opérateur ne le soutient pas ou si quelque bavard mal intentionné ne
va pas s'empresser de dénoncer la " bavure médicale " ? Le Blanc touristique pourra toujours
appeler Mondial Assistance pour le sortir du pétrin où il s'est fourré lui-même. Mais le paysan
noir, le nomade, qui va lui donner sa chance ?

(1) École militaire d'application dans le domaine de la médecine tropicale à


Marseille. Actuellement Institut de médecine tropicale du Service de Santé des Armées.

12
Chirurgie à Gardénia-Mango Léon Lapeyssonnie

II y avait la chirurgie, grand mot pour désigner des actes somme toute assez simples.
Dans ces hôpitaux de la brousse les activités chirurgicales n'occupaient pas et ne pouvaient
pas occuper une place importante, d'abord parce que la plupart d'entre nous, à ce stade de leur
vie professionnelle, n'étaient pas des chirurgiens et surtout parce que l'équipement chirurgical,
l'absence d'appareillage de radiologie et de transfusion sanguine en limitait singulièrement le
champ. En gros les opérations se divisaient en deux catégories : d'une part la petite chirurgie
et d'autre part les urgences.

On ne devrait pas dire petite chirurgie. Il n'y a pas plus de petite chirurgie qu'il n'y a
de petite aviation ou de petite horlogerie. Tout acte chirurgical met en pratique les mêmes
principes de clarté, d'organisation du geste et le respect de certaines règles précises. C'est
l'environnement technique qui autorise des interventions de plus en plus audacieuses. On
devrait donc dire chirurgie à grand risque et chirurgie à petit risque, étant entendu que dans
les deux cas le risque que court le malade est compensé par les moyens et l'expérience
adéquats.

La chirurgie que nous faisions en brousse, hormis les urgences, n'entraînait que des
risques mineurs parce que nos objectifs étaient limités à ce que nous savions faire et à ce que
nous pouvions faire. La liste en était courte : hernies inguinales, tumeurs bénignes des parties
molles, éléphantiasis des bourses, plâtres sur fractures des membres, interventions
obstétricales dont le maximum était représenté par la césarienne. Le plus souvent l'anesthésie
était faite par voie lombaire; elle était simple à exécuter et ne nécessitait pas d'aide-
anesthésiste. Le masque d'Ombredanne qui utilisait l'éther ou le chloroforme n'était qu'assez
exceptionnellement utilisé. Les résultats en étaient généralement très bons et rehaussaient le
prestige du bon docteur.

Le problème des urgences chirurgicales était bien différent : il nous fallait à tout prix
aller au-delà de nos connaissances et au-delà de nos moyens. Ecoutez-moi : Gardenia-Mango
était à quinze cents kilomètres de la mer et donc du chef-lieu où se trouvait le seul vrai
chirurgien de la Colonie. En temps normal, c'est-à-dire en dehors des quatre ou cinq mois de
la saison des pluies qui emportaient routes et ponts, il fallait trois bons jours en voiture légère,
quatre en camion, pour y arriver. Maintenant mettez-vous à ma place et à celle de mes
camarades qui se trouvaient dans la même situation. De temps en temps, rarement, Dieu
merci, à Gardenia-Mango où il y avait peu de trafic routier et où la population locale était
assez paisible, vous voyiez arriver le brigadier des gardes pédalant comme un forcené sur sa
bécane et, tel le guerrier de Marathon, vous criait : "Coumandant y te demande venir vite",
avant de s'écrouler sur les marches du perron. Tantôt c'était pour annoncer l'arrivée d'un
villageois encorné par le buffle qui avait fait palabre deux jours plus tôt - ses copains le
transportaient sur une litière de branchages, il serait à l'hôpital dans une heure - tantôt c'était
le camion qui avait au passage d'un ponceau vomi dans la brousse tout son chargement et ses
passagers. Il y avait des morts et des blessés, y en a trop, mon docteur, coumandant y en a
envoyé la camionnette du Cercle. Et vous alliez presto à l'hôpital. Les deux acolytes
chirurgicaux prévenus par le téléphone-la-brousse étaient déjà là, et souvent aussi Robert
Filingué qui proposait son aide.

13
Et vous aviez devant vous des corps torturés, des membres rompus, des ventres et des
poitrines ouverts, du sang et déjà l'odeur de pourriture. Il y avait deux solutions et deux
seulement : expédier les blessés au chirurgien de l'hôpital de la côte ou vous débrouiller tout
seul avec les moyens du bord. La première était celle du parapluie, je ne suis pas chirurgien,
je n'ai pas ce qu'il faut. C'est malheureusement celle qu'emploient presque toujours les
confrères de nos jours. Ils ne veulent pas prendre le risque d'opérer dans les conditions
techniques et surtout politiques actuelles. Ils emballent les malheureux et les embarquent sur
le premier véhicule disponible. On ne peut les blâmer, même s'ils savent pertinemment que
leurs blessés n'iront pas plus loin que la première petite ville sur la longue route du sud. Pour
être juste, je dois ajouter que de mon temps la tentation d'évacuation ne se posait pas, car il
n'y avait que peu de passage à Gardenia-Mango et l'état des véhicules et du stock d'essence
était tel qu'on ne pouvait envisager une aussi longue route. Même s'il s'était agi d'un
Européen.

Il n'y avait donc d'autre issue que de rassembler son courage et de se mettre
humblement à l'œuvre. J'opérais torse nu tant la chaleur dégagée par les lampes Petromax
(toutes celles du poste étaient réquisitionnées pour l'occasion) était forte. Lorsqu'il fallait
endormir le malade à l'éther on ne pouvait les utiliser. Je me coiffais alors d'une lampe de
chasse dont le mince pinceau lumineux zigzaguait sur les plaies. Les interventions duraient
parfois des heures, lorsqu'il y avait plusieurs blessés. Je rentrais à la case, je me douchais
longuement pour chasser de mon corps l'odeur de sang et celle de l'éther, et je m'endormais
épuisé.

Je ne donnerai aucun détail technique ni aucune statistique, bien qu'à ma grande


satisfaction des cas que je jugeais désespérés consentaient souvent à s'en tirer. Mais j'étais
parfaitement conscient que tout ce travail à grand fracas avait un caractère exceptionnel et
que tous ceux qui étaient blessés ou gravement malades loin du poste étaient condamnés à
une mort certaine. Je pensais alors au docteur Trypano et à son travail silencieux dans la
brousse. Je dois ajouter que la situation est exactement la même en Afrique quarante ans
après, sinon pire, et que selon toute probabilité elle demeurera ainsi tant que la poussière
d'hommes se dispersera sur des espaces aussi vastes.

Le Jardin des mangues

Léon Lapeyssonnie

Chez l'auteur : le Moulin de Kerveno - 56770 Plouzay

14
PARTIE 1

Conditions d'exercice

15
Avant-propos

L.-J. COURBIL

Les missions dites « humanitaires » sont devenues une étape assez courante dans le
parcours professionnel d'un médecin des Armées. Un enseignement spécifique, dispensé dans
les écoles de santé, est destiné à préparer les jeunes confrères aux situations extrêmes. Mais,
même une formation idéale utilisant toutes les nouvelles technologies, comme la vidéo par
exemple, ne pourra jamais parfaitement préparer le praticien au choc qu'il va ressentir devant
un environnement fait de couleurs, d'odeurs, de bruits nouveaux, d'insécurité et parfois
d'hostilité.

Ce choc est, me semble-t-il, encore plus intense pour cette génération que pour la
mienne. Nous arrivions il y a quarante ans dans ces pays après une longue approche par mer
et par terre pour y pratiquer une médecine « exotique » à laquelle nous nous étions depuis
longtemps préparés parce que nous l'avions choisie à 18 ans. Actuellement, en moins de
quinze heures, on passe des bords de la Seine à ceux du Mékong.

Dans le cadre des organisations non gouvernementales (ONG), cet enseignement est
souvent très informel, la rencontre et le dialogue avec des confrères plus anciens et ayant
vécu en général des expériences de chirurgie de guerre étant enrichissant pour les uns et les
autres.

L'objectif de ce chapitre est de montrer que les conditions d'exercice et les solutions
proposées sont assez différentes pour l'humanitaire « d'État » et l'humanitaire « privé ». Mais
étant appelé à travailler souvent ensemble, ou à se succéder, il nous paraît important que ces
différentes structures se connaissent mutuellement.

La précarité a longtemps été le lot quotidien de ceux qui ont exporté la médecine
occidentale dans l'aventure coloniale.

C. Lenormand, professeur de pathologie chirurgicale à Paris, en préfaçant la Clinique


chirurgicale des pays chauds de B. Roussel (éd. Masson, 1938), évoquait alors « les hommes
qui, sous un climat pénible, dans des conditions matérielles souvent précaires, parfois isolés
en pleine brousse, gardent toute leur ardeur scientifique ».

En effet, dans les pays africains ou asiatiques « sous influence française » (quelle que
soit l'interprétation que l'on donne à la colonisation), un réseau médico-chirurgical permettait
de pratiquer dans des postes isolés les interventions courantes les plus urgentes, comme la
cure de hernie étranglée ou la césarienne. L'opérateur était en général un jeune médecin formé
à l'école du Pharo ou un médecin autochtone issu des écoles de Dakar, de Tananarive ou
d'Hanoi (études courtes), ou encore un infirmier. Le praticien pratiquait lui-même l'anesthésie
(le plus souvent une anesthésie péridurale) ou un auxiliaire maniait avec plus ou moins de
succès un masque d'Ombredanne.

16
Cette chirurgie « dépouillée », limitée à des techniques simples et standardisées, «
démythifiée » pour des non-chirurgiens, était enseignée en fin d'études et surtout rappelée au
cours de stages à l'hôpital central du territoire. Toutefois, il ne s'agissait pas d'une chirurgie au
rabais et les résultats étaient tout à fait honorables.
Ainsi, P. Delom a-t-il étonné en 1936 les membres de l'Académie française de
chirurgie en leur présentant plusieurs centaines d'interventions majeures, « exotiques »,
comme les cures des énormes éléphantiasis génitaux réalisées avec succès dans un poste isolé
d'Oubangui Chari.

Chaque année depuis le début de ce siècle jusqu'aux années soixante dix, quelques
dizaines de médecins formés à l'école du Pharo rejoignaient pour un séjour de deux ans, voire
plus, un poste isolé de brousse, le plus souvent dépourvu d'électricité. Ces trente dernières
années, le relais a été pris par des volontaires français du service national.

C'est grâce à ces hommes que la chirurgie moderne a pu apparaître et se développer au


cours de ce XXe siècle, dans des pays où existait une médecine traditionnelle à l'exercice
chirurgical très limité.

Leurs successeurs rencontrent de nos jours des conditions d'exercice au moins aussi
précaires, sinon aggravées depuis la décolonisation. En effet, les jeunes nations nouvellement
indépendantes ont dû assumer des charges assurées auparavant par les puissances coloniales
(administration, diplomatie, défense). Leurs responsables ont choisi à juste titre de privilégier
la médecine préventive, et on a vu des structures hospitalières se dégrader dans la plupart des
pays africains ou extrême-orientaux situés entre les tropiques du Cancer et du Capricorne.
Des conditions économiques défavorables et quelques conflits armés ont accéléré le
processus.

En termes de santé publique, la chirurgie est dans ces pays manifestement un luxe. La
conférence d'Alma-Ata (1978) se fixant comme objectif la santé pour tous en l'an 2000 n'y
faisait aucune allusion.

La situation en Afrique tropicale est actuellement préoccupante : ses médecins issus


des nombreuses facultés, souvent étrangères, ont reçu un enseignement mal adapté à la
pratique de brousse, à l'exception de quelques écoles comme celles du Service de Santé
militaire de Dakar, créée par Léopold Sédar Senghor. La fréquence des ruptures utérines et
des péritonites typhiques témoigne des carences des soins de santé primaire. Aussi, dans
plusieurs de ces pays assiste-t-on au retour des médecines traditionnelles. Il est difficile de
trouver hors des capitales une offre chirurgicale valable. Ainsi, le Quotidien du médecin («
Comment se soigner à l'étranger. Équipements sanitaires : état du monde ») dressait en juin
1989 un tableau alarmant... pour les expatriés.

Devant ce constat, la solidarité internationale a cherché à pallier les insuffisances les


plus dramatiques, plus particulièrement dans les situations de guerre. Le conflit du Biafra en a
été le principal facteur déclenchant : il a entraîné un élan de générosité se concrétisant dans la
création d'ONG dont les Français, à la suite de Bernard Kouchner, ont été les initiateurs.

Certes, ce sont les guerres qui ont motivé et mobilisé ces acteurs nouveaux sur le
terrain du tiers-monde. Mais lorsque l'urgence guerrière s'estompait, il fallait bien gérer la
précarité et déterminer la place de cette chirurgie importée d'Occident, chirurgie de pays
riches pour les pays les plus pauvres.

17
Les contraintes logistiques sont évidemment différentes s'il s'agit de mettre en place
dans les délais les plus brefs, en des sites éloignés, une équipe chirurgicale au milieu d'un
conflit armé ou s'il s'agit d'assurer une présence chirurgicale (soins et formation) dans la
structure hospitalière plus ou moins restaurée d'un pays en paix mais démuni.
Dans le premier cas, nous verrons que les approches de l'humanitaire d'État et de
l'humanitaire privé sont différentes, non seulement parce que les moyens des premiers sont
sans commune mesure avec ceux des seconds, mais aussi et surtout parce que l'un et l'autre «
relèvent de deux logiques totalement différentes ». Je cite MSF Infos (août-septembre 1993) :
« L'action humanitaire privée est présente auprès des victimes et leur apporte son assistance
quels que soient leur race, leur religion ou leur régime politique. L'humanitaire d'État, lui, sert
des intérêts politiques, stratégiques ou économiques qui priment sur ceux des victimes, quand
ils ne sont pas utilisés comme alibi, pour masquer la volonté de ne prendre aucune initiative
politique comme c'est le cas en Bosnie. » Cette polémique est importante au niveau des états-
majors. Nous en avons été les témoins, et même les provocateurs, comme à l'hôpital Laveran
en 1992 entre B. Kouchner et R. Braumann. Mais, sur le terrain, dans l'urgence, elle perd de
sa passion et je défie l'observateur qui regarde une infirmière soigner un enfant rwandais de
dire de quel humanitaire elle relève.

L'incidence de cette polémique sur les contraintes économiques n'est pas négligeable,
car installer à longue distance une équipe chirurgicale capable de traiter efficacement des
centaines de blessés a un coût considérable.

Dans l'humanitaire de l'ONU par exemple, la mise en place de ce soutien chirurgical


vise à couvrir en priorité les besoins de ses propres troupes.

Accessoirement, les populations civiles en profiteront.

L'humanitaire privé, lui, doit raisonner en termes de coût/efficacité. Il doit établir des
priorités entre les actions de santé publique (campagnes de vaccination) ou de soutien
nutritionnel et celles, plus spectaculaires, du geste chirurgical. Ce dernier est très médiatique.
Ainsi, une lettre très récente aux donateurs d'une ONG relatait la trépanation salvatrice d'un
petit Rwandais comateux et titrait « pour le sauver il suffirait d'une chignole ». Certes, mais
avant la chignole il avait fallu former une équipe, transporter des tonnes de matériel par voie
aérienne...

Enfin, il faut rappeler que la première contrainte logistique est la maîtrise du temps.
Non seulement la médiatisation de l'événement rend la réaction urgente, mais le résultat
dépendra du délai de cette réaction : arriver très rapidement, c'est prendre en charge les
urgences vitales (dites absolues) ; arriver plus tard, c'est n'assumer que les urgences différées
(ou relatives). Cette notion est évidente dans le cas des catastrophes naturelles, mais à
nuancer dans le cas du conflit armé qui se pérennise.

Dans le second cas, l'action humanitaire s'inscrit dans un cadre plus serein : il faut,
pour un temps, offrir un soutien chirurgical continu à des populations en détresse. Il faut aussi
restaurer les structures, moderniser l'équipement, former le personnel. Ce volet formation doit
primer pour permettre de transférer au plus vite les responsabilités aux chirurgiens locaux. Le
Cambodge et le Tchad en sont des exemples.

18
Dans les deux cas - l'urgence comme le long terme - certains impératifs sont
incontournables. Le temps des Schweitzer est révolu. Pierre Joudan. en 1953, dans un petit
traité de technique chirurgicale, ironisait sur « l'infirmier militaire isolé dans la forêt
équatoriale qui pourrait se trouver un jour dans la nécessité de commettre onaniquement un
acte chirurgical ». Si l'on rencontre encore de ces cas extrêmes, l'urgence chirurgicale est
maintenant gérée, dans l'action humanitaire, par des équipes de professionnels dont nous
avons retenu deux modèles significatifs :

- pour l'humanitaire privé, la logistique de Médecins Sans Frontières, actuellement


l'ONG française la plus performante dans le domaine chirurgical ;
- pour l'humanitaire d'État, l'antenne chirurgicale militaire répliquée dans les secteurs
civils français et étrangers.

Pour les uns et les autres, une grande part de la préparation des missions a porté sur le
choix des matériels et équipements, leur maintenance, leur transport, enfin, plus
généralement, le ravitaillement sanitaire et le fonctionnement quotidien de ces équipes.

Nous avons pensé que le problème du ravitaillement en eau méritait une étude
particulière qui a été présentée par les hygiénistes du Val-de-Grâce.

Les impératifs techniques vont nous permettre de définir le seuil acceptable qui
signe le passage du « secourisme chirurgical » à la « chirurgie vraie ».

L'environnement technique est bien évidemment différent s'il s'agit d'une mission de
guerre de courte durée ou d'une action de plusieurs mois. Mais, dans tous les cas, et malgré
les contraintes matérielles, on se doit de chercher à exercer une chirurgie de qualité.

Sauver une plaie thoraco-abdominale par projectile de guerre, diagnostiquer et traiter


avec des résultats honorables une perforation intestinale parasitaire ou infectieuse nous
paraissent des objectifs que l'on peut raisonnablement atteindre, sous réserve que les
conditions techniques soient bien précisées par une équipe constituée d'un chirurgien, d'un
anesthésiste, d'un réanimateur et d'un spécialiste de la transfusion sanguine.

Mais on ne doit pas perdre de vue que ces aspects techniques ne doivent pas rester la
propriété de quelques-uns ; ils ne doivent pas rester confidentiels mais au contraire être
transmis aux relais locaux.

L'objectif final de ces missions, au-delà de l'urgence qui les a induites, doit être le
transfert de responsabilités et de technologies aux hommes et femmes de ces pays en détresse.
Dans la majorité des cas, nous y avons rencontré des praticiens tout à fait capables de prendre
le relais, sous réserve d'une aide transitoire et surtout d'un soutien logistique.

Enfin, pour illustrer ce chapitre, nous avons présenté des témoignages vécus, récents
et personnalisés :

- une réflexion sur l'éthique de ces actions en situations extrêmes caractérisées par
l'insécurité, la pénurie des moyens et l'afflux des victimes. Les conditions géographiques et
morales de l'exercice solitaire de cette chirurgie d'urgence, faute de références habituelles de
la chirurgie, entraîne une absence totale de contrôle et d'évaluation des résultats, sauf parfois
a posteriori, et ne permet pas, sauf exception, une aide extérieure à la décision thérapeutique ;

19
- l'expérience d'un chirurgien civil humanitaire de la première génération, au profil et
au parcours particulièrement exemplaires ;

- le rapport d'activité d'une antenne chirurgicale militaire au Rwanda.


Mais il y a un témoignage que nous n'avons pas cité parce que les rares acteurs
survivants de cette épopée n'ont pas souhaité s'exprimer : c'est celui du camp retranché de
Diên Bien Phu, exemple inégalé depuis cinquante ans de la chirurgie d'urgence en situation
précaire.

Des libres propos clôturent ce chapitre. Ils reflètent l'avis de chirurgiens civils et
militaires qui consacrent une partie de leur disponibilité de retraités à des actions
humanitaires et qui m'ont fait part, en m'autorisant à les citer, de leurs réflexions, parfois
désabusées mais toujours constructives.

Le chirurgien récemment retraité est en effet une recrue intéressante pour une ONG :
techniquement, il a en général une formation polyvalente ; psychologiquement, son
expérience lui permet d'affronter sereinement l'isolement moral. Son seul handicap est son
âge qui limitera son activité à quelques années seulement, dans le cas le plus favorable où il
aura conservé une forme physique compatible avec des missions toujours éprouvantes.

Car le véritable problème de l'humanitaire, qu'il soit d'État ou privé, est celui des
ressources humaines qui sont, pour la chirurgie, singulièrement limitées en France.

Certes, les Armées disposent en permanence de quelques dizaines de chirurgiens «


opérationnels » (35 à 55 ans, entraînés physiquement et techniquement, et toujours
disponibles) mais leur départ en mission est lié à une décision gouvernementale et perturbe
toujours l'hôpital militaire où ils exercent normalement.

La tâche est encore plus ardue pour les ONG qui rencontrent de gros problèmes de
recrutement de chirurgiens compétents en nombre suffisant. Nous avons évoqué plus haut le
cas des chirurgiens retraités. Les chirurgiens plus jeunes, eux, ne peuvent assumer des
missions qu'aux dépens de leur activité professionnelle ou en prenant du temps sur leurs
congés.

On peut imaginer - et espérer - qu'un jour le cursus de la formation chirurgicale


comprendra un semestre réservé à une mission hors de France - ou, mieux encore, que les
jeunes chirurgiens puissent, au cours de leur service national, se porter volontaires pour de
telles missions. Ces candidats motivés, psychologiquement équilibrés, adaptables aux
situations extrêmes, recevraient un enseignement spécifique de courte durée, comme celui du
diplôme d'université de « chirurgie en situation précaire » créé par D. Gallot à la faculté de
Saint-Antoine.

Enfin rien n'exclut, bien au contraire, que ce chirurgien soit une femme, toujours très
appréciée des populations civiles. La saga des ONG a bien montré la qualité et la réussite des
infirmières françaises dans les missions dangereuses de pays en guerre.

Actuellement, la médecine dite humanitaire est l'apanage de quelques-uns, excluant


une grande part de la population médicale française. La chirurgie y a une place très modeste,
certes encensée par les médias, mais considérée comme un phénomène marginal.

20
Or, la réalité est tout autre. Il s'est créé ces deux dernières décennies un véritable corps
de professionnels de l'urgence chirurgicale dans les pays en développement. Certes, ce noyau
est réduit, et seule une volonté politique à l'échelon national pourra aider et développer l'élan
de solidarité internationale qui s'est manifesté il y a vingt-cinq ans.

21
A . CONDITIONS LOGISTIQUES.

22
Mode d'intervention et logistique
de la chirurgie au sein d'une organisation
médicale humanitaire non gouvernementale
J. RlGAL

Les conditions minimales de l'exercice chirurgical dépendent


essentiellement des situations auxquelles on est confronté et du résultat que
l'on souhaite obtenir.

Dans une association médicale et humanitaire dominent généralement


la précarité, la pénurie ou l'isolement. Il faut s'y adapter. On ne peut isoler le
bloc de l'hôpital auquel il appartient de sa région sanitaire, de la situation
générale géopolitique et économique. La plupart du temps, le «plateau
technique » reflète l'état des infrastructures qui l'entourent, infrastructures
bien souvent insuffisantes par rapport aux besoins.

Urgence et moyen ternie.


On peut très schématiquement distinguer deux situations auxquelles les organisations
non gouvernementales sont susceptibles d'être confrontées, chacune devant être abordée de
manière différente.

La situation la plus commune, la plus médiatique, c'est l'urgence, essentiellement


générée par les conflits militaires (Sri Lanka, Afghanistan, Somalie, Rwanda, Libéria, etc.). À
l'évidence, dans ces circonstances, les interventions d'urgence d'une organisation non
gouvernementale se déroulent dans un contexte d'insécurité parfois extrême.

Plus délicates à expliquer sont les situations où les projets de chirurgie sont intégrés
dans un programme de santé publique, car non seulement les conditions sont très différentes
d'un endroit à un autre, mais aussi de nombreuses variables interviennent au sein d'un même
endroit.

Dans les deux cas de figure, urgence ou assistance technique, le plus difficile est
d'assurer au mieux l'obligation de moyen : c'est-à-dire comment définir le minimum
acceptable pour la chirurgie dans un environnement défavorable.

Très sommairement, il faut signaler des points communs entre « urgence » et «


isolement », si l'on admet que ces termes désignent ces deux types de programme bien
différents. Pénurie et difficultés logistiques sont en effet habituelles, d'où l'importance de
l'évaluation initiale. Cette évaluation, difficile dans les situations de conflit, est en outre
souvent très partielle car il faut être rapidement opérationnel.

23
La réponse la mieux adaptée aux besoins est forcément moins précise en situation
d'urgence : les kits préconçus et stockés qui se sont révélés satisfaisants dans les expériences
précédentes sont ici particulièrement précieux. Au contraire, dans les régions stables, une
évaluation initiale complète et précise est absolument indispensable. Par cette évaluation
initiale, on se fixe des objectifs, on élabore et planifie un programme et, à partir de là, on
définit la nature du projet d'assistance technique.

L'urgence, si elle est bien assumée, reste inévitablement chère, alors que le souci du
meilleur rapport « coût/efficacité » doit être gardé à l'esprit dans le cas des situations stables :
il faut donc trouver un compromis entre coût et qualité minimale de soins, tous deux devant
être adaptés aux conditions locales.

Kits d'interventions d'urgence.


Même si bien des leçons ont pu être tirées de l'expérience du Service de Santé des
Armées du point de vue logistique, les moyens et les modes d'intervention d'une organisation
non gouvernementale (ONG) restent très différents. En effet, les militaires disposent de
moyens comparativement énormes, agissant sur un champ de bataille et s'intégrant dans une
stratégie militaire. Ils en connaissent les détails et peuvent assurer les premiers soins, en
sachant qu'ils pourront évacuer les blessés en zone plus calme pour une chirurgie secondaire
précoce.

Le chirurgien exerçant dans le cadre d'une mission médicale humanitaire en zone de


guerre se trouve quant à lui dans une situation très difficile : afflux parfois massif de blessés
arrivant dans des conditions extrêmes et donc plus tardivement des zones de combat, moyens
médicaux limités, devenir des patients et suivi parfois très aléatoires, et surtout problèmes de
sécurité majeurs. Quelles que soient les conditions de l'exercice, il faut, si la décision est prise
de s'installer dans un bloc opératoire proche d'une zone de conflit, pouvoir être
immédiatement opérationnel et autonome. L'expérience des années passées sur ce type de
terrain a montré qu'on pouvait assurer un certain nombre d'activités standard en utilisant un
matériel bien défini appelé « kit », comprenant un ensemble d'items facilement identifiables,
immédiatement disponibles et dont on connaît par avance la fonction, le coût, le poids et le
volume. Par exemple, le kit « chirurgie, 300 interventions » (Annexe 1) peut permettre
d'assurer une mission chirurgicale dans une zone de conflit telle que celles que nous avons
citées précédemment, dans une structure hospitalière de 100 lits, pour effectuer 300
interventions majeures sur une période d'un mois. Le kit ne comporte pas l'installation d'un
hôpital mobile arrivé par avion spécial livrant des conteneurs aménagés. L'idée est de
réactiver une structure hospitalière existante, plus ou moins dégradée, qui a perdu sa capacité
humaine et médicale à répondre aux besoins d'une crise : arrêt des approvisionnements,
disparition d'une partie de l'équipement, voire disparition du personnel médical local. Ce kit «
chirurgie, 300 interventions » pèse à peu près quatre tonnes et coûte environ 300 00 francs. Il
répond aux conditions minimales requises pour le type d'activité décrite, offrant des
conditions décentes et ne faisant pas courir le risque de rupture de stock pour la durée
escomptée de la mission. Le recours à ces kits suppose une logistique en France même : achat
du matériel, stockage et gestion du stock par une centrale d'achat, surveillance des dates de
péremption, conservation dans de bonnes conditions (avec notamment surveillance de la
température) et renouvellement. Le contenu de ce kit doit nécessairement être périodiquement
réévalué, soit à la suite des recommandations des utilisateurs de terrain, soit pour disposer

24
d'améliorations techniques notoires, comme l'introduction de tests de détermination rapide de
la sérologie VIH avant transfusion depuis sa commercialisation. L'expérience montre que ce
kit peut être expédié dans les 24 à 48 heures dans la plupart des capitales du monde et être
déployé sur le site d'action en quelques heures.

De toute façon, il faut que l'équipe chirurgicale, et en particulier le chirurgien, fasse un


bilan exhaustif de l'état de l'hôpital choisi, de l'équipement et des ressources humaines
locales, et ce qu'il y ait urgence ou pas.

Tous les intermédiaires sont possibles entre le bloc opératoire neuf, clé en main,
héritage d'une donation de la coopération italienne au sein de l'hôpital Médina à Mogadiscio
en 1991, et les entrepôts vides transformés en service de chirurgie à Bujumbura en 1994. Les
kits doivent donc pouvoir être adaptés par un certain nombre de modules optionnels, en
fonction de besoins correctement identifiés.

Malgré tout, la réponse « kit », pour être globale et rapide, n'en reste pas moins très
contraignante. Pour éviter d'en épuiser le contenu, il faut gérer sa pharmacie et effectuer des
commandes séparées, suivant la consommation de chacun des items, afin de poursuivre
l'activité si cela devait se décider. Le kit global ne s'utilise qu'une seule fois en début de
mission.

Évaluation des moyens et des contraintes.


Comme on l'a déjà signalé, l'évaluation initiale du site opératoire et des services qui en
dépendent reste un élément clé de la réussite de toute mission, et ce quel que soit le cas de
figure.

L'équipe d'évaluation doit être compétente en ce domaine : tous les chirurgiens et


toutes les infirmières de bloc ne connaissent pas forcément le fonctionnement d'un autoclave.
En urgence, l'équipe chirurgicale doit cumuler cette nécessaire expertise avec le besoin d'être
immédiatement opérationnelle.

Une équipe d'évaluation, dans l'idéal, se compose d'un chirurgien, d'une infirmière de
bloc opératoire et/ou d'un anesthésiste, et d'un technicien polyvalent, dénommé logisticien.
Celui-ci doit connaître l'équipement et posséder de solides bases en électricité, en bâtiment et
en approvisionnement en eau.

Si l'équipe doit être opérationnelle dans les heures qui suivent, comme ce fut le cas en
1994 à Kigali, d'autres contraintes viennent se surajouter : il faut répartir les tâches en
choisissant la personne la plus compétente pour un secteur donné, former une équipe
complète et organiser simultanément la sécurité de chacun et en particulier prévoir une
éventuelle évacuation rapide du site. Une équipe de 4 ou 5 personnes peut ici suffire, à
condition de bénéficier d'un bon soutien de la part du personnel local.

Parmi ces 4 ou 5 personnes, il est indispensable de nommer un chef d'équipe,


administrateur ou médecin, qui ne prend qu'une part modeste à l'activité médicale, voire
aucune, et qui doit gérer les problèmes de sécurité, de relation avec le ou les belligérants ou
tout autre partenaire, et l'accès aux blessés. Il est indispensable de libérer l'équipe chirurgicale
de toutes ces tâches.

25
Il existe plusieurs options concernant les différentes responsabilités médicales à
assumer : anesthésie, organisation fonctionnelle du bloc opératoire, réanimation et suivi
postopératoire. Lorsque les contraintes imposent un personnel minimum, il est possible de
cumuler l'anesthésie et le fonctionnement du bloc ou ce dernier avec la supervision du post-
opératoire sur une seule et même personne possédant deux compétences. Pour toute
intervention, il existe différentes tâches à assumer : préparation préopératoire (de la salle, du
matériel et du patient), intervention elle-même (fonctionnement du bloc) et suivi post-
opératoire. Si les contraintes font que le personnel est réduit au minimum, certains peuvent
assurer plusieurs activités, comme un anesthésiste ayant en charge l'anesthésie proprement
dite et le fonctionnement du bloc opératoire par exemple. Chaque modalité d'organisation est
ici cas d'espèce, en fonction du volume de l'activité opératoire, du support et de la
compétence de l'équipe locale.

Dans l'environnement de l'activité chirurgicale, on peut distinguer des éléments


visibles, en général faciles à évaluer, et d'autres plus occultes, d’exploration plus longue et
difficile.

Bâtiments et matériel : la partie visible.


En général, on commence l'évaluation du site opératoire par l'état des bâtiments
d'hospitalisation et du bloc : dimensions, ouvertures, éclairage naturel, état des sols, etc.

Ensuite, on dresse un bilan de l'équipement, habituellement initialement la table


opératoire, souvent délabrée, avec son vérin bloqué et ses accessoires inutilisables.
Qu'importé si elle a pu être fonctionnelle a minima jusque-là, on peut penser qu'elle peut
continuer à servir provisoirement à allonger correctement le malade.

Bien plus essentielle est l'étude de l'éclairage : est-il possible d'opérer à la lumière du
jour ? On connaît des centaines de modèles de Scialytique, fabriqués partout dans le monde.
Au minimum, on peut se contenter de travailler avec un éclairage de type lampe d'examen,
comme en commercialisent certains fabricants spécialisés dans le matériel adapté aux pays en
voie de développement. L'ampoule peut se remplacer, si elle ne fonctionne plus, par celle d'un
phare d'automobile.

Parfois, on dispose d'une climatisation, indispensable dans certaines conditions


climatiques, mais ayant l'inconvénient majeur de consommer beaucoup d'énergie électrique. Il
faut bien évidemment éviter tout ventilateur mobile qui disperserait les germes sur le champ
opératoire au cours de l'intervention.

Les appareils d'aspiration électrique sont plus adaptés mais difficiles à nettoyer et à
entretenir. Il existe des aspirateurs à pieds puissants et de grande capacité.

Le bistouri électrique n'est pas indispensable et sa maintenance réclame des


compétences spécifiques.

Cette liste, non exhaustive, permet de comprendre pourquoi il faut absolument évaluer
les besoins d'équipement par rapport au type de chirurgie que l'on se propose d'assumer et les
moyens déjà à disposition. Une règle fondamentale de ce type de chirurgie mérite d'être
toujours respectée : l'économie des objectifs, des gestes et des moyens. Il faut considérer que

26
toute introduction de matériel ou de procédure peut grever un équilibre précaire. On peut
opérer correctement avec peu de moyens, à condition de se fixer des limites acceptables.

Boîtes et fils de suture.


Toujours dans le domaine du matériel, il appartient au chirurgien de faire un bilan
exact de tous les instruments et de leur répartition dans les boîtes, en se référant si possible à
une liste standardisée. La dotation minimale pour opérer doit inclure une boîte de base, type
hernie, une boîte abdominale, une boîte d'amputation, une d'embrochage percutanée et une de
curetage.

Le recours à du matériel de fixation externe doit être mûrement posé, en fonction des
capacités d'absorption postopératoire et de la compétence du chirurgien pour les indications et
les reprises. Si on est extrêmement limité dans la disponibilité de matériel, on peut omettre la
boîte de trépanation, car les malades souffrant de pathologies intracrâniennes atteignent
rarement l'hôpital.

La même démarche doit guider le choix des fils de suture : ne sont retenus que ceux
qui sont indispensables. Moins le choix est vaste, plus il est facile de gérer les achats, le
réapprovisionnement et l'utilisation par le personnel local d'un panel réduit. Si l'on demande à
des chirurgiens ayant l'expérience de missions en pays en voie de développement et
comprenant les contraintes logistiques quels sont les besoins minimaux en fils de suture, il en
ressort généralement un consensus disant qu'il est possible de tout opérer avec 8 fils
différents.

Asepsie, décontamination, stérilisation.


Bien plus difficiles, et au moins aussi importants, sont tous les secteurs moins
immédiatement apparents de l'activité chirurgicale. Cependant, ils restent la responsabilité du
chirurgien qui doit les évaluer lui-même.

L'asepsie, la décontamination, la stérilisation et la circulation du matériel propre et


sale sont évidemment des points clés, essentiels à évaluer avant tout acte opératoire. La
perception du concept d'asepsie n'est pas universelle et une observation attentive des gestes
du personnel affecté au bloc opératoire permet d'en apprécier le niveau. De même, les
procédés de décontamination du sol, des plans de travail, du linge opératoire et des
instruments doivent être analysés en détail : solutions antiseptiques utilisées, rythme et durée
des nettoyages, etc.

Enfin, le chirurgien doit connaître certains impératifs techniques de l'auto-clavage ou


de la stérilisation à la chaleur sèche, comme les températures et les pressions par exemple,
pour pouvoir les contrôler. Il ne peut y avoir de chirurgie sans autoclave.

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Anesthésie.
Si le chirurgien n'est pas anesthésiste ou n'est pas accompagné d'un anesthésiste, il
doit connaître un minimum indispensable pour pouvoir grossièrement évaluer les capacités du
personnel local en cette matière.
Sans entrer dans les détails, on peut distinguer deux contextes d'anesthésie : l'un
confortable, permettant d'effectuer des anesthésies générales, avec disponibilités en gaz et
possibilité d'intubation et de curarisation. Rien de bien différent des conditions d'exercice en
France, hormis peut-être le système de respiration assistée et la précision du monitorage.
Dans un autre contexte, plus précaire, deux techniques permettent de faire face à
pratiquement toutes les situations mais au prix d'une sécurité moindre : ce sont les techniques
d'anesthésie locorégionale, en particulier avec les blocs nerveux centraux, et l'utilisation de la
kétamine intraveineuse. Ces modalités sont bien souvent à la base de l'anesthésie dans les
hôpitaux périphériques des pays pauvres.

Transfusion.
II est évidemment essentiel de connaître les possibilités de transfusion. La plupart du
temps, il n'existe pas de banque du sang. On prélève le sang d'un membre de la famille du
malade et, là encore, les limites sont serrées : on obtient généralement une, voire deux poches
de 400 ml. C'est dire qu'encore une fois il est indispensable de rester économe dans ses
indications chez des malades qui supportent des taux d'hémoglobine considérés comme trop
bas en Europe, et économe dans ses gestes afin de limiter les hémorragies peropératoires. Par
ailleurs, on n'oubliera pas les techniques d'autotransfusion peropératoire au cours des
hémothorax, comme des hémopéritoines aseptiques.

Enfin et surtout, la transfusion ne se conçoit plus actuellement sans un dépistage


systématique du VIH chez le donneur par l'utilisation des tests rapides, aujourd'hui très
sensibles, très spécifiques, faciles à l'emploi et relativement bon marché (30 francs le test). Là
encore, l'équipe médicale a des responsabilités et une obligation de moyen.

Contexte post-opératoire
II reste à évaluer l'environnement postopératoire. Les conditions sont, là encore, très
variables et vont influer sur les indications et les techniques opératoires. On pourrait citer ici
les conditions catastrophiques de l'hôpital Médina à Mogadiscio en décembre 1991 : les sujets
opérés de laparotomie pour plaie de guerre sortaient du bloc avec au minimum une perfusion,
une sonde urinaire, un drain, une sonde gastrique. Dans la cour de l'hôpital, sous les arbres, se
trouvaient environ deux cent cinquante opérés. Une seule infirmière expatriée supervisait le
personnel infirmier somalien chargé des soins et finalement, la survie du malade dépendait
essentiellement de l'attention de sa famille. La mortalité postopératoire avait été estimée entre
30 et 50 %.Heureusement, il est des sites plus paisibles mais le nombre, la qualification du
personnel local et sa motivation interviennent sur les résultats. Il faut prendre le temps,
surtout au début, de comprendre comment sont faits les pansements, comment sont distribués
les médicaments, si les perfusions tiennent la nuit et donner des recommandations qui soient

28
acceptables pour ce personnel. Mieux vaut laisser un pansement huit jours sur une plaie
propre que de le contaminer tous les jours par des soins inappropriés.
Évaluation et recueil de données
Pour adapter dans le temps ces conditions minimales d'exercice chirurgical dans un
environnement particulier, il faut périodiquement l'évaluer. Il est donc nécessaire d'établir un
système de recueil de données précis et de ne pas se baser que sur le cahier de compte rendu
opératoire, lorsqu'il existe.

La surveillance épidémiologique est un système de recueil d'informations destiné à


orienter l'action. L'objectif principal est de recueillir les informations qui seront utiles pour
adapter l'activité future. Elles peuvent aussi servir de support à une recherche
épidémiologique.

En pratique, il est extrêmement difficile d'instituer un système de surveillance sur ce


type d'activité véritablement utile car il n'est pas toujours évident de sélectionner les bons
indicateurs. Par exemple, si l'on veut évaluer la qualité de l'asepsie per- et postopératoire,
l'indicateur « propre, contaminé, infecté ou septique » est non seulement difficile à définir,
mais au quotidien difficile à utiliser. Ce type de recueil implique une formation des
utilisateurs et surtout leur motivation.

Un système de fiches de recueil de données par malade ou par intervention (Annexe


2) doit être accompagné d'un guide d'utilisation ; l'analyse peut être quotidienne ou
hebdomadaire en cas de chirurgie de guerre et mensuelle en période stable.

L'indicateur le plus important, et en fait le plus simple, est la mortalité péri-opératoire,


témoin direct de la nécessité et de la bonne utilisation de l'outil chirurgical.

Le Comité international de la Croix-Rouge a depuis des années mis en place un


système de surveillance sur tous les hôpitaux spécialisés dans la chirurgie de guerre dont il
assure la gestion. La compilation de plusieurs milliers de dossiers leur a permis de proposer
une classification des blessures de guerre, qui a permis non seulement d'évaluer ce type de
programme mais également de proposer des scores sur l'état des blessés afin d'améliorer le
pronostic et donc le triage en cas d'afflux massif.

Au total, on pourrait dire que l'économie de gestes et de moyens, l'adaptation à tout


l'environnement de l'acte opératoire et l'attention prêtée aux expériences antérieures pour
d'une part établir une certaine crédibilité, d'autre part une continuité des soins de qualité
auprès des populations assistées, sont les quelques règles simples à retenir en matière
d'exercice chirurgical dans des conditions certes parfois minimales mais qui doivent rester
acceptables.

29
Annexes

Annexe I : Kit chirurgie, 300 interventions (100 lits/I mois)

(reproduit avec l'aimable autorisation de Médecins Sans Frontières)


Code MSF : KMEDKSURl

Poids brut : 4 096,6 kgs


Volume (emballé) : 14,8 m3
Origine :
Dimensions (emballé - L x 1 x H) :
Prix indicatif en écus : 41 072,69 ECU
Nb colis : 290

Exemple type d'utilisation.

Ouverture d'une mission chirurgicale (capacité 30 lits/100 interventions chirurgicales


par mois/3 mois).

Activité chirurgicale dans une zone de conflit (capacité 100 lits/300 interventions
chirurgicales/1 mois).

Description.

Kit de médicaments, matériel renouvelable et d'équipement conçu pour répondre aux


besoins d'une mission chirurgicale dans une structure hospitalière existante.

- Il permet la prise en charge d'une activité chirurgicale et du péri-opératoire.

- Il permet de répondre à l'urgence.

- Il implique la présence d'une équipe spécialisée en chirurgie-anesthésie pré-, per- et


post-opératoire et logistique médicale.

- Il est sélectionné après évaluation sur le terrain car il doit être pertinemment géré en
raison de son prix, son poids et son volume.

Ce kit contient systématiquement des perfusions. En cas d'approvisionnement local


possible, bien préciser si les perfusions doivent être supprimées.

30
Composé de :

Modules spécifiques

KMEDMSUR01 = 1 (module chirurgie, 300 int.) MÉDICAMENTS


Oraux-injectables-externes

KMEDMSUR02 = 1 (module chirurgie, 300 int.) PERFUSIONS


Solutés-macromolécules-tubulures

KMEDMSUR03- = 1 (module chirurgie, 300 int.) MATÉRIEL RENOUVELABLE


Matériel de soins et d'examen

KMEDMSUR04 = 1 (module chirurgie, 300 int.) PANSEMENTS, CHIRURGIE


Matériel renouvelable pour pansements stériles-plâtres désinfectants

KMEDMSUR05 = 1 (module chirurgie, 300 int.) MATÉRIEL D'INJECTION


Matériel renouvelable pour ponctions veineuses-injections

KMEDMSUR07 = 1 (module chirurgie, 300 int.) SONDES ET DRAINS


Matériel renouvelable pour drainages-sondages

KMEDMSUR08- = 1 (module chirurgie, 300 int.) SUTURES


Matériel renouvelable-sutures chirurgicales

KMEDMSUR09- = 1 (module chirurgie, 300 int.) ÉQUIPEMENT MÉDICAL


Aspirateur et attelles

KMEDMSUR10 = 1 (module chirurgie, 300 int.) LINGE ET STÉRILISATION


Linges opératoires et tenues chirurgicales

KMEDMSUR11 = 1 (module chirurgie, 300 int.) INSTRUMENTS CHIRURGICAUX


Boîtes d'instruments chirurgicaux

31
PRIX (écus) POIDS (kg) VOLUME Nbre COLIS
(dm3)
KMEDMSUR 5524 409 883 12
01-
KMEDMSUR 5750 2538 5948 230
02-
KMEDMSUR 274 14 49 1
03-
KMEDMSUR 3996 371 1587 17
04-
KMEDMSUR 1029 50 344 2
05-
KMEDMSUR 2090 29 263 1
07-
KMEDMSUR 5958 2 98 1
08-
KMEDMSUR 1756 36 113 1
09-
KMEDMSUR 1609 61 343 2
10-
KMEDMSUR 3360 15 30 1
11-

32
Kit et modules standard

KMEDKFAI1- = 1 KIT MALLE D'URGENCE + option mission explo.

KMEDMDRS50- = 5 MODULES PANSEMENTS, 50 pansements


Matériel renouvelable pour 50 pansements (plaies septiques et
aseptiques)

KMEDMDRS40B = 5 MODULES PANSEMENTS, 40 pansements, brûlés


Matériel renouvelable pour 40 pansements stériles

KMEDMEXA1- = 3 MODULES MATÉRIEL D'EXAMEN


Équipement de base pour consultations médicales

KMEDMDRE1- = 15 MODULES MATÉRIEL DE SOINS


Équipement de base pour pansements

KMEDMINC01- = 3 MODULES INCINÉRATION, récupération déchets, 601 x


10

KMEDMSTE20- = 1 MODULE STÉRILISATION, 20 L


Autoclave 20 L Presto-accessoires

KMEDMSTE39- = 1 MODULE STÉRILISATION, 39 L


Autoclave 39 L Unipac-accessoires

KMEDMANA100 = 3 MODULES ANESTHÉSIE, 100 anesthésies


Médicaments injectables pour réanimation-anesthésie
Solutés-macromolécules-tubulures
Externes
(ce module doit être utilisé avec le module réanimation)

KMEDMRES1- = 2 MODULES RÉANIMATION


Matériel renouvelable pour sondages-drainages
Matériel d'équipement pour réanimation-anesthésie
Papeterie

KMEDMTRA01- = 1 MODULE TRANSFUSION


Tests groupage sanguin, tests HIV...

33
En option (*) :

DINJBUPR3A = 150BUPRÉNORPHINE, 0,3 mg/ml, 1 ml, amp.

DINJFENT1A = FENTANYL, 0,05 mg/ml, 2 ml, amp.

ESURVENT1S = 1 Ventouse, obstétricale manuelle + pièces détachées

KSUDBDEN18 = 1 BOÎTE DENTAIRE, 18 instruments

KSUDBCRA1 = 1 BOÎTE CRANIOCLASIE CRANIOTOMIE, 4 instruments

KSURBDEL5 = 1 BOÎTE ACCOUCHEMENT ÉPISIOTOMIE, 5 instruments

KSURBDER1 = 1 BOÎTE DERMATOME, 1 instrument + lames

KSURBENU1 = 1 BOÎTE ÉNUCLÉATION, 28 instruments

KSURBFIX1A = 1 BOÎTE FIXATEUR EXTERNE, complète, adulte

KSURBFIX1P = 1 BOÎTE FIXATEUR EXTERNE, complète, pédiatrie

KSURBFPER1 = 1 BOÎTE PÉRINÉORRAPHIE, 4 instruments

KSURBTRE1 = 1 BOÎTE TRÉPANATION, 14 instruments + fil de Gigli

(*) Attention : Les options ne sont pas livrées avec le kit.


Ces dernières doivent être commandées en complément.

KIT CHIRURGIE, 300 interventions (100 lits/1 mois)

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KIT CHIRURGIE, 300 interventions (100 lits/1 mois)

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1

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37
3

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13

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14

49
50
51
Approvisionnement en eau
en situation d'exception

PH. EONO, C.-P. GIUDICELLI

Dans les pays industrialisés et dans les métropoles, /' approvisionnement en eau ne
pose en général pas de difficulté majeure, en raison des moyens de traitement et de
distribution disponibles. Le développement de nouvelles techniques, en particulier de
filtration, a permis de beaucoup améliorer la qualité de l'eau ; certains réseaux n'utilisent
même plus le chlore dans leur circuit de distribution. De nombreuses régions dans le monde
ne disposent actuellement pas de stations de traitement ni de réseaux de distribution, ce qui a
conduit l'OMS à en faire une priorité.

Dans certaines circonstances comme les guerres, les catastrophes naturelles ou les
épidémies, l'approvisionnement en eau peut devenir particulièrement difficile en raison d'une
insuffisance quantitative ou qualitative (pollution). Savoir évaluer les besoins et la qualité
des ressources disponibles, connaître les principes généraux de traitement et les critères de
choix des appareils sont donc indispensables pour tout acteur de terrain confronté à de telles
situations.

Partout où il y a une catastrophe naturelle ou une guerre, l'approvisionnement


en eau et son traitement sont une priorité.

Besoins en eau
L'approvisionnement en eau doit répondre à des besoins quantitatifs et satisfaire à des
critères qualitatifs.

Besoins quantitatifs
Ils varient en fonction des situations, de l'environnement et des activités. Les données
du tableau 2.1 sont issues des expériences acquises lors des interventions militaires et des
opérations humanitaires. On distingue :

- les besoins normaux variables en fonction des conditions climatiques, calculés pour
satisfaire l'alimentation, le lavage corporel, celui des vêtements et éventuellement du matériel,
représentant 100 à 150 1 par homme et par jour l/h/j) ;

- les besoins minimaux en situation précaire, destinés à la boisson, à la préparation


des aliments et aux ablutions sommaires, de 10 1/h/j en Europe et 30 1/h/j outre-mer ; ils
peuvent, de façon exceptionnelle, être ramenés respectivement à 5 et à 10 1/h/j ;

52
- les besoins liés à une activité particulière qui exigent des quantités supérieures : une
antenne médicale demande 40 1 par malade et par jour, une antenne chirurgicale 100 1 par
blessé et par jour, en plus des besoins minimaux.

Quantités France Outre-mer


Boissons 3 5 à 10
Cuisine 10 10
Besoins normaux Ablutions 10 15 à 20
(1/h/j) Douche 30 40 à 60
Lavage vêtements 10 15
Nettoyages divers 50 à 100 50 à 100
En situation exceptionnelle 5 10
Besoins minimaux En situation « normale » 10 30
(1/h/j) (boissons et cuisine,
ablutions sommaires)

Tableau 2.1 : Besoins en eau en litres par homme et par jour (l/h/j)

En dessous de 5 1/j existe un risque majeur d'épidémie.

Critères qualitatifs
Une eau potable ne contient ni germes pathogènes ni substances toxiques.

Les dangers microbiologiques et parasitologiques, en ce qui nous concerne les plus


importants, sont essentiellement liés à la souillure fécale. Il n'est pas possible, en situation
d'exception, de pratiquer les analyses qui sont réglementaires pour les eaux de nos cités. Nous
verrons plus loin comment est palliée cette difficulté.

De même, il n'est pas concevable, en de telles circonstances, d'apprécier le degré


hydrotimétrique (dureté de l'eau) lié aux sels de calcium et de magnésium, ni surtout de
rechercher la présence de substances chimiques organiques ou minérales dangereuses.

Enfin, l'eau doit être agréable à consommer, c'est-à-dire limpide, fraîche, sans odeur ni
saveur, mais cela n'est pas toujours aisé à obtenir.

On pourrait envisager de différencier les usages alimentaires et domestiques mais un


double approvisionnement doit être formellement proscrit en raison des risques graves de
méprises.

53
Ressources
En situation précaire, le souci de disposer d'une ressource de bonne qualité, en
quantité suffisante, est primordial avant toute installation. Dans les pays d'outre-mer l'eau,
quelle que soit son origine, doit systématiquement être considérée comme suspecte et traitée.

Les ressources utilisables peuvent être d'origine souterraine, de surface ou provenir


des précipitations. Parfois, on est même amené à avoir recours à des eaux saumâtres ou à de
l'eau de mer.

Eaux souterraines
II peut s'agir d'eaux profondes accessibles par forage. Elles sont en général chargées
en sels minéraux mais de bonne qualité bactériologique, bien que le danger de contamination
par l'évacuation des eaux usées ne puisse toutefois pas être écarté. Les eaux peu profondes
correspondent aux nappes superficielles ou à l'émergence des sources ; le risque de pollution
est alors important.

Eaux de surface
Provenant des rivières, des lacs, des étangs, elles constituent une ressource
immédiatement accessible mais très exposée aux souillures ambiantes, en particulier
bactériologiques.

Eaux de pluies
Elles peuvent, ainsi que celles provenant de la fonte des neiges, être recueillies dans
des citernes par ruissellement et être ainsi contaminées.

Eaux saumâtres et eau de mer


Parfois seules ressources accessibles dans des zones désertiques, elles doivent être
dessalées, étape techniquement lourde. Leur qualité bactériologique ne peut pas être garantie
en raison de la possibilité de développement d'une flore halophile.

En situation précaire, l'eau est en général quantitativement insuffisante


et de mauvaise qualité.

54
Principes de traitement

Comment traiter l'eau ?


Le traitement de l'eau vise à la rendre potable, c'est-à-dire consommable sans danger.
Les méthodes utilisables dépendent de la qualité de la ressource et peuvent comporter :

- une clarification par décantation, floculation ou filtration lorsque la turbidité est


importante comme dans les eaux superficielles ;

- une décontamination microbiologique par filtration ou désinfection, destinée à


éliminer les bactéries et les virus provenant de pollutions domestiques ou liés à l'élevage ;

- une épuration chimique, en général plus difficile, faisant appel à des traitements
lourds et onéreux. Elle vise à éliminer les substances minérales, organiques ou
organoleptiques dangereuses, composés naturels ou polluants de l'environnement provenant
des activités agricoles, industrielles ou urbaines. On peut distinguer les corps à toxicité aiguë
comme le mercure et les nitrates (méthémoglobinémie du nourrisson) et ceux à toxicité
chronique par accumulation, comme les alcanes chlorés. L'épuration chimique peut se faire
par filtration à haut pouvoir de coupure (osmose inverse), par distillation ou à l'aide de résines
échangeuses d'ions. Aussi est-elle réservée aux appareils de traitement de grande capacité.

Quand traiter l'eau ?


La qualité de la ressource, le plus souvent inconnue, est le seul critère de décision. Si
l'analyse de l'eau brute est irréalisable, la désinfection doit être systématique. L'épuration
chimique pourra également être mise en œuvre en fonction des risques potentiels locaux. Il
faut donc disposer de renseignements permettant de mettre en œuvre des modalités adaptées
aux conditions locales.

Méthodes de traitement
Elles comportent différentes opérations qui peuvent être utilisées seules ou en
association.

Prétraitement
Ce sont des procédés qui retiennent les éléments flottants et les grosses particules en
suspension, pour faciliter les séquences suivantes. Les uns sont de nature physique : «
dégrillage », « dessablage », « déshuilage » et tamisage. Les autres, de nature chimique,
consistent en une préoxydation destinée à faciliter l'élimination de composés organiques et à
réduire la pollution bactérienne. Les oxydants utilisables en situation d'exception sont à base
de chlore. L'ozone, très employée dans les stations d'épuration, ne convient pas en de telles
circonstances.

Décantation
Elle consiste à laisser reposer l'eau pendant un temps plus ou moins long (au moins
1h). Les matières en suspension les plus lourdes, ainsi que les gros parasites, tombent au fond
du récipient et l'eau se clarifie.

55
Filtration
C'est le procédé de traitement le plus utilisé. Il consiste à opposer une barrière
physique au passage des particules et des micro-organismes. La capacité de filtration dépend
du seuil de coupure, lié au diamètre des pores des filtres (Fig. 2.1). Ceux-ci sont variables,
allant du simple tissu ou du sable (seuil de coupure 5 μm) jusqu'aux membranes
d'ultrafiltration (seuil de coupure 10-1 à 10-3 μm). L'osmose inverse est un procédé légèrement
différent qui utilise les différences de pression osmotique de part et d'autre d'une membrane
ayant un seuil de coupure de 10-3 à 10-4 μm. Depuis quelques années, les membranes se sont
multipliées et certaines sont maintenant capables d'éliminer des composés organiques dissous.

En général on utilise une filière de filtration étagée avec un seuil de coupure croissant,
pour éviter un colmatage trop rapide des pores les plus fins.

Floculation
Un produit chimique floculant est ajouté à l'eau qui est ensuite brassée pour permettre
l'agrégation des particules fines en suspension (colloïdes). Le « floc » ou floculat ainsi formé
peut ensuite être éliminé.

L'hydroxyde d'aluminium est ici le plus utilisé. Son efficacité varie en fonction du pH
et de la température. Les polyélectrolytes disponibles actuellement, comme le polychlorure
d'alumine, sont plus efficaces, et leur action est indépendante du pH et de la température ; ils
sont cependant plus onéreux et pas toujours disponibles.

56
Désinfection
Des procédés chimiques ou physiques permettent d'éliminer les micro-organismes
pathogènes. La désinfection, parfois nécessaire pour compléter le traitement, est toujours
indispensable pour le stockage et le transport, même lorsque l'eau est potable à la sortie de
l'appareil. De nombreux procédés peuvent être utilisés, de nature physique (ébullition,
irradiation par ultraviolets) ou chimique d'efficacité variable (résine pentaiodée, produits
chlorés, sels d'argent, ozone, etc.).

Avec les résines pentaiodées et les méthodes physiques, on ne bénéficie pas de la


rémanence de l'action nécessaire au stockage. Les rayonnements ultraviolets sont émis par des
tubes nécessitant un entretien et un changement réguliers, et leur efficacité dépend beaucoup
du temps d'exposition de l'eau qui passe devant le tube.

La durée d'action des sels d'argent est assez prolongée, mais il n'existe pas de moyen
simple de doser les ions argent résiduels, et la concentration d'effet bactéricide dépasse celle
admise par les normes françaises pour la consommation humaine.

Les produits à base de chlore sont les plus utilisés


- l'hydroclonazone, employée depuis longtemps par les voyageurs et dans les Armées,
a un délai d'action d'environ 120 min, trop long pour être respecté en pratique, lié à une
libération très lente du chlore libre ;

- le dioxyde de chlore, dorénavant disponible en solution à l'état stable, est également


très efficace, avec un délai d'action très court de l'ordre de 90 s, mais il ne peut être conservé
que pendant 6 à 8 mois ;

- l'hypochlorite de calcium agit rapidement mais il est difficile de le conditionner en


petites quantités ; il ne convient pas à un usage individuel ;

- l'isodichlorocyanurate de sodium, d'efficacité remarquable, de délai d'action très


court et de toxicité nulle, est employé par de nombreux organismes humanitaires mais il n'est
pas autorisé en France pour le traitement des eaux de boisson ;

- l'hypochlorite de sodium (eau de Javel) est très efficace, et ce très rapidement, mais
c'est un produit difficile à utiliser car il est liquide, instable, et il n'est conservable que 6 mois
dans les meilleures conditions (et seulement 2 à 3 mois en climat chaud).

La fixation des composés chlorés sur les matières organiques en suspension explique
leur faible action sur les eaux troubles car seul le chlore libre résiduel est actif sur les micro-
organismes.

Leur action désinfectante présente deux avantages : elle persiste plusieurs jours
(même si elle diminue sous l'action de la chaleur), et elle peut être facilement contrôlée par le
dosage (une à deux fois par jour) du chlore libre résiduel.

Tous ces produits font courir un risque mortel en cas d'ingestion accidentelle et,
lorsqu'ils se fixent sur les matières organiques en suspension, ils provoquent la libération de
dérivés halogènes qui sont nocifs à forte concentration.

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Toujours préférer les produits à base de chlore.

Utiliser le chlore sur une eau préalablement clarifiée.

Laisser agir au moins 30 min les agents agissant rapidement.

Distillation
II est possible, pour éliminer les substances dissoutes et les micro-organismes, de faire
évaporer de l'eau qui est ensuite récupérée après condensation. Pour économiser l'énergie
nécessaire à l'évaporation, on peut diminuer la pression ambiante, à 0,2 bar par exemple, ce
qui abaisse la pression de vapeur ; l'eau bout alors à 60°C. On utilise pour cela la thermo
compression.

Charbon actif
Des grains de carbone poreux de taille variable, sur lesquels s'effectuent à la fois
l'adsorption (adhérence physique sans réaction chimique) des composés organiques dissous et
l'absorption du chlore libre, éliminent les odeurs et les goûts désagréables.
Le charbon actif doit être changé régulièrement.

Traitements spécifiques
Ils sont destinés aux eaux présentant des caractères particuliers comme une
concentration élevée en fer, en nitrates ou en sulfates. Ils font appel à des procédés
d'oxydation de nature chimique ou biologique (bactéries dénitrifiantes) ou encore à des
résines échangeuses d'ions qui fixent les anions et les cations dissous après leur échange avec
l'hydroxyde OH- et l'hydrogène H+-.

Moyens disponibles
Le choix entre les diverses méthodes que nous venons de décrire dépend des
circonstances rencontrées.

Moyens de fortune
Parfois seuls utilisables en situation précaire, ils comprennent les séquences suivantes:

- décantation réalisée dans un récipient pendant 1 h à 3 h ;

- filtration sur un tissu ou une compresse tendue au-dessus d'un second récipient, ou
encore sur du sable à l'aide de deux fûts superposés (Fig. 2.2) ;

- désinfection finale indispensable qui peut se faire par ébullition (pendant au moins
cinq minutes) ou, mieux, à l'aide d'un désinfectant chimique comme l'eau de Javel (ou un

58
autre produit chloré) à raison d'une à trois gouttes par litre en fonction de la turbidité. La
solution ainsi préparée doit être agitée vigoureusement et ne doit être consommée qu'après 30
min.

Il est éventuellement possible de distiller l'eau de mer ou l'eau saumâtre à l'aide de


deux récipients séparés : la vapeur d'eau obtenue par chauffage du premier circule le long
d'une plaque de métal où elle se condense avant d'être récupérée dans le second (Fig. 2.2).

Utilisation des ressources locales

, L'utilisation d'un puits est parfois intéressante, sous réserve de respecter


quelques principes :

- construire une margelle ;

- établir une dalle autour de l'orifice ;

- placer un revêtement étanche sur une profondeur de 3 à 4 m ;

- éloigner les sources de contaminations potentielles (ordures, latrines, etc.) ;

- entretenir régulièrement en nettoyant et en désinfectant avec de l'eau de Javel.

La remise en état d'un réseau existant est parfois simple, en particulier la réparation
de la station de pompage ou des canalisations de distribution.

59
Importation d'eau préconditionnée
C'est une solution qui assure une bonne sécurité sous réserve d'une bonne solidité des
emballages et d'une conservation correcte. Elle reste d'un coût élevé et nécessite une
logistique importante pour le transport, le stockage et la distribution. Certaines embouteillées
sont fabriquées localement à l'aide d'extraits en poudre importés et d'eau n'offrant pas toutes
les garanties de sécurité. On peut ainsi être faussement rassuré.

Appareils individuels
Utilisant une filtration et une désinfection avec parfois passage sur du charbon actif,
ils donnent satisfaction dans des conditions normales d'utilisation mais peuvent être dépassés
quand les besoins deviennent importants. Les appareils disponibles assurent pour la plupart
une bonne clarification et, grâce à la désinfection finale, une action antimicrobiologique
correcte. Leur efficacité chimique est faible.

Devant la diversité des moyens disponibles, le choix doit reposer sur des critères
tenant compte de la qualité de la ressource et des conditions d'emploi :

- le seuil de coupure en filtration : 0,2 μm pour les virus à 1 μm pour les bactéries ;

- la filière de filtration, qui doit être étagée pour éviter un colmatage rapide des pores
les plus petits ;

- le procédé de désinfection utilisé : le chlore est le plus efficace mais il ne faut pas
l'utiliser simultanément avec les autres opérations ; l'emploi d'autres produits inclus dans
l'appareil est parfois préférable ;

- la robustesse : les matériaux doivent être solides et les tuyaux solidement fixés pour
éviter les fuites ;

- la capacité totale de traitement, qui varie selon le type de matériel. Les cartouches
de filtration doivent être changées après un certain volume (1 000 à 2 000 1). Les bougies de
porcelaine ont la capacité de filtrer environ 1 000 1, en fonction de la turbitude de l'eau. Elles
doivent pouvoir être nettoyées 200 à 300 fois ;

- l'encombrement, qui varie de 30 g à 1 kg ;

- le débit nécessaire : il dépend de la durée d'emploi et du nombre de personnes à


approvisionner. Certains appareils sont strictement individuels (10 1/j), d'autres sont prévus
pour les besoins d'une dizaine de personnes ;

- le coût de chaque appareil est de 80 à 2 000 F en fonction du débit et des


performances.

Un appareil individuel doit assurer une bonne clarification et une bonne désinfection.

60
La liste des appareils suit ci-dessous.

Indispensable-S (2SIT)
II s'agit d'une tubulure pour aspiration buccale, comprenant successivement une
membrane de 1 uni, un filtre à charbon actif, une résine iodée et un second filtre à charbon
actif additionné de sels d'argent. L'efficacité bactériologique est satisfaisante mais cet appareil
se bouche rapidement et l'eau présente un goût iodé prononcé en début d'utilisation. Sa
capacité de production est de 10 1. Son encombrement est faible (50 g) et son prix
raisonnable.

Pentapur travel cup (H2O Engineering international)


II fonctionne sur le principe de la gravitation sans aucun pompage. L'eau versée dans
un conteneur passe dans une cartouche contenant une résine pentaiodée.

Il existe également une version pouvant être branchée sur un robinet (Travel-pure),
fondée sur la même technique, et une version 200 1/h (Pentapompe) avec pompage manuel.

Explorer (CT Paris)


II comprend un tuyau d'aspiration muni d'une crépine, relié à un corps cylindrique
constitué d'un filtre creux percé de pores de 1 μm, contenant une résine iodée (cartouche
jetable). Le pompage de l'eau est manuel.

L'encombrement est faible (750 g) et la capacité annoncée est de 2 000 1.

Pocket filter (Katadyn)


Le pompage est également manuel à travers un tuyau d'aspiration relié à un corps
cylindrique comprenant un filtre céramique de 0,2 μm, avec une résine contenant des ions
argent. La capacité de traitement est de 1 000 1 et le filtre céramique supporte 300 nettoyages.

L'encombrement est faible (700 g).

Il existe une version fonctionnant par gravitation (modèle TRK) et une autre pouvant
être branchée sur un robinet (modèle HHT ou HFK).

Dessalinateur manuel (CT Paris)


Utilisant l'osmose inverse, il a un débit relativement faible, de l'ordre d'un litre par
heure, variable en fonction de la salinité de l'eau brute et du pompage (40 coups par minute en
moyenne). Ses performances bactériologiques et chimiques sont satisfaisantes et son
encombrement est faible (1,2 kg).

Kitopur (Molory chimie)


II comporte une filière de filtration de 5 à 0,45 μm, complétée par une préchloration
de l'eau brute (afin de protéger la cartouche filtrante) et une postchloration dans la gourde.

61
II comprend un conteneur en plastique, utilisé pour prélever l'eau brute à l'aide d'un
tuyau souple et d'une pompe manuelle. Il est muni dans le fond d'une mousse assurant une
préfiltration. La cartouche doit être changée après le traitement de 30 1 d'eau brute ou, au
plus, 5 j après la première utilisation.

Appareils de grande capacité


Principes

Ils sont de deux types :

- les uns basés sur une filière de filtration étagée avec un passage sur charbon actif et
parfois une floculation, d'efficacité bactériologique ou chimique variable en fonction du seuil
de coupure (celui-ci est très bas avec certaines membranes (Fig. 2.3) ;

- les autres basés sur la distillation, peu nombreux, très consommateurs d'énergie pour
le chauffage de l'eau (ce qui élève leur coût de fonctionnement) et nécessitant ensuite une
reminéralisation par du carbonate ou du chlorure de sodium.

62
Il existe là encore une grande diversité d'appareils, tant dans leur conception, leurs
performances que leur débit, et les enjeux humains et financiers rendent encore plus
nécessaire le recours à des critères de choix précis :

- pour le captage de l'eau, une pompe immergée et des tuyaux sont préférables ;

- un double circuit permet d'avoir un fonctionnement continu lors de l'entretien ou en


cas de panne sur un des circuits ;

- le seuil de coupure de filtration :

• il dépend de la méthode de filtration. Le sable ou une membrane de 1 μm peuvent


être satisfaisants si la désinfection finale est suffisante,

• les membranes les plus efficaces doivent être utilisées en continu. En cas d'arrêt
prolongé, elles doivent être conservées dans de la glycérine et il n'existe ensuite aucun moyen
simple pour contrôler leur intégrité ; elles résistent mal aux basses températures et leur
remplacement est très onéreux, ce qui explique qu'elles ne doivent être employées que
lorsqu'elles sont indispensables ;

- le débit : compris en général entre 10 et 100 m3/h ;

- les procédés de désinfection utilisés, qui sont variables (UV, chloration) ;

- le nettoyage des filtres, qui doit être automatique par rétrolavage ;

- la mobilité : monté sur remorque, transportable sur camion ou, au contraire, en


station fixe ;

- l'encombrement, qui varie en fonction du débit de 200 kg à plusieurs tonnes ;

- le coût d'achat : de 150 000 à un million de francs, voire plus pour les stations fixes ;

- le coût d'utilisation, extrêmement variable, et qui comprend la consommation des


produits de floculation et de reminéralisation, l'entretien et éventuellement le remplacement
des membranes, le changement régulier du charbon actif et des résines échangeuses d'ions, la
consommation énergétique (gasoil ou électricité).

Appareil en conteneur de l'Armée de terre


II est basé sur une filière de filtration suivie d'une chloration à l'intérieur même de
l'appareil.

L'eau aspirée par une pompe flottante dans un floculateur (polychlorure d'aluminium)
passe successivement sur un filtre à sable, sur du charbon actif et sur une membrane de 3 μm.
Un bac tampon de 3 m3 assure ensuite un contact avec du chlore pendant 30 min, permettant
d'obtenir une eau potable à la sortie de l'appareil. Le débit est de 7,5 à 10 m3/h.

63
Le traitement, bactériologiquement efficace, n'a aucune action sur les substances
chimiques. On peut cependant brancher sur l'appareil un module d'osmose inverse si
nécessaire.

L'ensemble des éléments est placé dans un conteneur facilement transportable par
voies maritime et aérienne. Cet appareil est conçu pour les opérations humanitaires, pour des
populations de 1 000 à 2 000 personnes ; le besoin d'épuration est alors essentiellement
bactériologique.

L'ensemble des éléments est placé dans un conteneur facilement transportable par
voies maritime et aérienne. Cet appareil est conçu pour les opérations humanitaires, pour des
populations de 1 000 à 2 000 personnes ; le besoin d'épuration est alors essentiellement
bactériologique.

Appareil aquachoc
Basé sur l'ultrafiltration, il comprend une filière de filtration de 200 um à 0,01 um. La
chloration finale est automatique. Le débit est de 7 à 10 m3/h.

Les capacités d'épuration bactériologique et chimique sont excellentes mais la relative


fragilité des membranes nécessite une utilisation continue afin d'éviter les ruptures de charge
préjudiciables à leur bonne conservation.

H3000 (H2O Engineering international)


Utilisant une résine pentaiodée (technique pentapure), cet appareil a un débit de 10
m3/h et peut éventuellement être utilisé avec une pompe manuelle. Les résines permettent de
traiter de 20 000 à 40 000 m3 en fonction de la nature de l'eau, mais il est inefficace sur les
substances chimiques. L'appareil, transportable sur camion, pèse 1,3 tonne.

AM 36 (Entropie)
Le procédé ici utilisé est une distillation à basse température par thermocompression.
Les changements de phase par évaporation et condensation successives séparent les polluants
dissous ou en suspension qui restent dans la saumure et sont évacués. L'appareil produit 36
m3/j.
Montée sur remorque, l'unité mobile a été conçue pour fournir à une formation de 250
à 400 hommes, sans limitation de durée et même en cas de pollution chimique, une eau
potable quelle que soit son origine. Le seul inconvénient est le rejet d'une quantité importante
de saumure.

Conditions particulières
Pour certains usages particuliers, comme ceux des formations chirurgicales, il peut
être nécessaire de disposer d'eau ultrafiltrée, voire stérile. Il faut alors envisager l'utilisation
de procédés osmotiques de grande capacité, en tenant compte des contraintes que cela
suppose (voir plus haut).
Un appareil de grande capacité doit fournir, à la sortie, une eau potable avant toute
désinfection.

64
Installation
II est possible, en aménageant correctement le point d'eau et en organisant la
distribution, d'augmenter la quantité et d'améliorer la qualité de l'eau disponible (Fig. 2.4).

Bien localiser le point de captation, évitant le pompage d'eaux stagnantes ou chargées


de matières flottantes et en suspension, améliore d'emblée la qualité.

La pompe doit être protégée par une digue déflectrice et amarrée au milieu du courant
ou entre deux eaux. Pour éviter une contamination accidentelle, il convient :

- de protéger le lieu de traitement des dangers de l'environnement ;

- de placer le site de remplissage des citernes ou des récipients de stockage à distance


de la distribution ;

- de nettoyer et d'entretenir régulièrement les appareils de production et les moyens


de stockage.

Toute la zone de production de l'eau doit être drainée ou installée sur caille-botis pour
éviter qu'elle ne se transforme rapidement en bourbier. Enfin, avec les appareils de grande
capacité, il y a production de déchets (saumure) qui doivent être rejetés en aval dans le souci
de ne polluer ni la ressource ni l'environnement.

L'eau obtenue par les appareils individuels peut être stockée dans des nourrices de 20
1 ou dans des gourdes. Ce stockage est généralement bref et la qualité de l'eau est
satisfaisante en raison du traitement final par le chlore.

65
L'eau produite par les appareils de plus grande capacité doit être stockée, avant
distribution, dans des citernes ou dans des réservoirs souples régulièrement nettoyés et
désinfectés, possédant éventuellement des rampes de distribution. La durée de stockage est
variable, et il faut régulièrement contrôler la qualité bactériologique de l'eau. Actuellement,
aucun moyen simple de détection n'est suffisamment fiable dans un court délai. C'est rappeler
l'intérêt des produits à base de chlore dont on peut facilement contrôler l'efficacité par des
procédés colorimétriques : il faut rejeter les eaux dont la concentration en chlore libre est
inférieure à 0,1 mg/1.

Les problèmes de distribution individuelle ne sont pas les plus faciles à résoudre. À
partir des citernes, l'eau peut être distribuée dans des récipients ou encore par accès direct à
des rampes de répartition branchées sur les réservoirs de stockage. Cette dernière solution,
susceptible de provoquer des files d'attente si le débit ou le nombre de robinets sont
insuffisants, doit être évitée. Certains appareils permettent d'ensacher l'eau qui peut ainsi être
facilement distribuée.

La distribution de l'eau pose toujours un problème difficile à résoudre.

Traitement des eaux usées


II est important, lorsque l'on aborde le problème de l'eau, de tenir compte des eaux
usées. Si on les rejette sans précaution, on risque de polluer l'environnement et d'aggraver le
risque épidémique. Il faut recommander le recours à des puisards afin d'y déverser toutes les
eaux usées, en veillant à bien les localiser pour qu'ils ne polluent ni la ressource utilisée ni
celles situées plus en aval. Si possible, il est souhaitable de disposer d'un réseau de collecte
des eaux usées qui pourront éventuellement être retraitées avant d'être rejetées.

Conclusion
L'alimentation en eau en situation d'exception pose toujours des problèmes difficiles
qui dépendent des ressources disponibles, de l'environnement et de l'effectif de la population
qu'il faut approvisionner. Quoi qu'il en soit, il faut toujours pouvoir y apporter des solutions.
Il existe de nombreux moyens que l'on choisit en fonction de quelques principes simples qu'il
faut connaître. L'installation et les considérations logistiques liées au stockage et à la
distribution conditionnent souvent la réussite de cette entreprise.

66
Antennes chirurgicales
du Service de Santé des Armées

L.-J. COURBIL, J.-C. LATOUCHE, FM. GRIMALDI

Héritières des formations chirurgicales mobiles des campagnes d'Italie et de France,


les antennes chirurgicales parachutistes et aérotransportables sont nées, durant la guerre
française d'Indochine (1945-1954), d'une nécessité tactique : en effet, le parachutage d'une
équipe chirurgicale est apparue comme la seule solution lorsque les combats ont lieu loin des
centres chirurgicaux. Tel a été le cas en Annam (1946) puis au Tonkin (1947). En 1952 on
comptait dix antennes dont quatre parachutables. Début 1954, elles étaient vingt-huit, dont
six parachutables. Cinq seront capturées à Diên Bien Phu.

Elles ont été conçues dans des buts très divers :

- soit mission limitée au triage et au relais technique entre l'avant et l'hôpital


d'évacuation ;

- soit mission avec implantation de plus ou moins longue durée à proximité d'une
base aérienne, avec sorties opérationnelles de courte durée : dans ce cas, outre une activité
chirurgicale de guerre, des interventions étaient pratiquées au profit de la population civile
(accouchements compris) et des prisonniers viêt-minh.

Ces antennes ont traité en dix ans 14 286 blessés militaires, soit environ le sixième du
total des blessés du corps expéditionnaire et des États associés.

Le dernier chirurgien consultant de cette guerre (C. Chippaux) posait en 1959 la


question : « Quel est l'avenir de l'antenne chirurgicale ? » S'il reconnaissait qu'elle ne pouvait
procurer l'idéal chirurgical, car elle représentait un compromis entre l'art chirurgical et les
obligations imposées par les conditions du combat, elle lui paraissait une formule
particulièrement utile - parfois la seule - au cours d'une guerre subversive.

Durant les opérations de maintien de l'ordre en Algérie de 1956 à 1962, deux antennes
chirurgicales parachutistes ont fonctionné. L'une, larguée sur les rives du canal de Suez, a
traité des Égyptiens civils et militaires ; l'autre, ultérieurement, fut utilisée dans l'orléanais
algérien puis en Kabylie.

Ainsi, par exemple, pendant six mois en 1959 (opération Jumelles), l'antenne occupa
successivement les blocs opératoires des hôpitaux de Miliana, Orléansville et Tizi-Ouzou,
réalisant 153 interventions majeures, tant en chirurgie de guerre qu'en chirurgie civile. On
relève dans notre cahier de protocoles en chirurgie de guerre 35 plaies de l'abdomen, 4 plaies
de poitrine, 5 plaies vasculaires, 2 amputations et 20 fracas ouverts de membres ; en chirurgie
courante avaient été effectuées 16 appendicites, 7 péritonites, 4 occlusions, 3 hernies, 6
prostatectomies, 5 hystérectomies, 4 urgences obstétricales et 24 ostéosynthèses.

67
En 1978, à la suite des interventions françaises au Tchad, au Zaïre et au Liban, les
antennes chirurgicales ont encore évolué : ce seront les antennes chirurgicales 80, comportant
notamment de nettes améliorations en anesthésie-réanimation. Ces nouvelles antennes vont
intervenir au Liban, au Tchad, en Nouvelle-Calédonie et aux Comores.

Les antennes chirurgicales actuelles, aérotransportables, parachutistes, navales, sont


l'aboutissement du concept d'antenne mobile, dont nous avons vu plus haut l'origine. Leur
utilisation actuelle conforte l'opinion qu'en avait le MGI Chippaux : leur mobilité et leur
souplesse d'emploi permettent de les utiliser au cours de missions humanitaires.

Il convient de souligner leurs caractéristiques principales et nous prendrons comme


exemple celles de l'antenne chirurgicale parachutiste (ACP) précisées par des textes officiels :

Missions de l'ACP
L'antenne chirurgicale parachutiste (ACP) constitue un échelon avancé, destiné à
assurer le soutien chirurgical initial d'un échelon d'assaut aéroporté engageant 1 200 à 3 000
hommes :

- triage médico-chirurgical des blessés ;

- réanimation ;

- mise en condition médico-chirurgicale d'évacuation ;

- traitement chirurgical sur place des blessés d'urgence absolue.

En dehors des missions spécifiquement militaires, l'ACP peut être employée dans le
cadre d'une action humanitaire de secours apportée lors d'événements graves.

Organisation et subordination de l'ACP


L'ACP comprend :

- une cellule opératoire ;

- une cellule réanimation ;

- une cellule hospitalisation (capacité hospitalière de 12 lits).

L'administration spécifique au Service de Santé (entrées, état civil, ravitaillement


sanitaire) est assurée par un sous-officier qualifié pour cette tâche, opérant sous la
responsabilité du commandant de l'ACP.

68
Personnel

II comporte :

- trois officiers : deux chirurgiens et un anesthésiste-réanimateur ;

- six sous-officiers de la branche santé ;

- trois militaires du rang, conducteurs de poids lourd et auxiliaires sanitaires.

Tous sont brevetés parachutistes.

Dotation en matériels de l'ACP


Véhicules

- une moto parachutable ;

- un véhicule tout-terrain radio parachutable.

Transmissions

- TRVP 213 (transmission-radio-véhicule-portable).

Unité d'équipement santé

La notion de poids et de volume prend, dans le cas d'une formation parachutiste, une
importance de premier ordre, le conditionnement et le choix des matériaux devant
s'accommoder des contraintes liées au transport aérien et au parachutage de la formation.

Le matériel chirurgical comprend notamment

- une table opératoire pliante et légère (20 kg) ;

- des boîtes de chirurgie ;

- une collection d'appareils pour fracture ;

- deux aspirateurs chirurgicaux ;

- un Poupinel.

Le matériel d'anesthésie-réanimation-transfusion comprend


essentiellement
- un appareil d'anesthésie complet ;

- un inhalateur d'oxygène ;

69
- du sang conservé (caisse isotherme).

Le matériel technique de complément comporte essentiellement


- deux tentes modèles 60 et un élément couloir ;

- une dotation d'hospitalisation de 12 lits ;

- deux groupes électrogènes de 2,5 kW ;

- une remorque parachutable.

Conditionnement du matériel
- il doit résister aux chocs à l'arrivée au sol ;

- il doit être léger et d'un faible volume ;

- il doit être facile à déployer et à mettre en œuvre.

Conditionnement de l'unité d'équipement santé : 87 colis dont le poids est de 3,5 t et le


cubage de 11 m3.

Lorsque l'ACP est larguée sans ses véhicules, un seul avion de type Transall C 160
permet l'acheminement du matériel et du personnel ; le parachutage se fait alors en deux
passages successifs.

Lorsque la mission ne nécessite pas un largage mais un simple aérotransport, un


Transall C 160 peut emporter l'ACP, son personnel et les deux véhicules fardiers LOHR.

Déploiement et fonctionnement de l'ACP


L'antenne doit être déployée dans une zone de sécurité et il importe de toujours
rechercher une installation sous dur.

Quel que soit le mode de déploiement, il doit offrir une surface suffisante (90 m 2 pour
les tentes, 500 m2 pour le parking et la circulation des véhicules), la proximité d'un point d'eau
et une aire d'atterrissage pour hélicoptère (2 500 m2).

L'ACP peut fonctionner de façon autonome ou être renforcée par une antenne
médicale parachutiste.

L'autonomie de fonctionnement initiale de l'ACP est de 48 h.

Le potentiel d'hospitalisation d'une antenne chirurgicale parachutiste étant limité à 12


lits, la formation risque bien souvent d'être rapidement saturée.

L'ACP peut être renforcé par l'élément parachutable d'une antenne médicale
parachutiste mis en place par aérolargage, et également par une antenne médicale parachutiste

70
complète ; l'ensemble constitue alors une formation médico-chirurgicale de traitement très
souple d'emploi et d'une capacité hospitalière de 62 lits.

L'ACP, après largage, est prête à fonctionner dans les 30 min qui suivent son arrivée
au sol.

Son rendement est celui d'une équipe chirurgicale classique :

- 10 à 12 interventions ;

- 100 blessés triés par 24 h.

L'ACP se replie en moins de 45 min ; elle peut alors être transportée par voie aérienne
jusqu'à sa base de rattachement, être complétée et être de nouveau opérationnelle après 24 h.
Ces caractéristiques méritent quelques commentaires sur l'évolution du concept «
antenne » depuis 50 ans.

Sur le plan des missions, nous savons par expérience qu'elle est très adaptable,
permettant de passer aisément de la chirurgie de guerre à une action humanitaire de secours,
voire les deux simultanément. Nous l'avons ainsi utilisée en Algérie, au Tchad, au Cambodge
et en Bosnie.
Au Tchad, l'antenne chirurgicale déployée initialement en soutien des forces
françaises a très rapidement participé à la prise en charge des blessés de l'armée tchadienne.
Depuis l'arrêt des combats, elle assure le traitement des séquelles des blessures de guerre et la
chirurgie d'urgence ou réglée des populations civiles.

Au Cambodge, le volet humanitaire a été d'emblée le plus important et s'est poursuivi


pendant les deux années de présence de l'antenne à Sihanoukville.

La mission a été identique, mais plus brève en Irak au profit des Kurdes. En ex-
Yougoslavie, les antennes déployées souvent simultanément à Gracac-Topusko-Bihac-
Sarajevo et sur le mont Igman ont permis de traiter chirurgicalement, à quelques heures
d'intervalle, les militaires de la FORPRONU et d'effectuer des interventions réparatrices ou
réglées chez la population civile. La chirurgie pratiquée était aussi variée que les patients pris
en charge. De la plaie par balle du thorax à la césarienne, les chirurgiens de l'antenne devaient
et doivent encore être préparés à toute chirurgie d'urgence.

Le souhait de notre maître C. Chippaux est maintenant parfaitement réalisé et cette «


performance » surprend certains confrères militaires étrangers, et choque souvent des
responsables de l'ONU, alors qu'elle est parfaitement acceptée de nos autorités, malgré ses
contraintes et ses coûts.

L'organisation et la subordination de l'antenne chirurgicale méritent d'être nuancées.


Lorsqu'elle est déployée pour une mission spécifiquement humanitaire, l'antenne sort du strict
cadre militaire. La personnalité du chef d'antenne joue alors un rôle essentiel, lors des «
négociations » avec des autorités étrangères et de la cohabitation avec des organisations non
gouvernementales. Comme le disait déjà C. Chippaux, l'antenne chirurgicale est une « école
des chefs ».

71
Le personnel de ces antennes a considérablement évolué. En Indochine, le « patron »
en était un jeune médecin lieutenant, ayant des compétences chirurgicales, sélectionné à son
arrivée en Extrême-Orient et formé en quelques semaines. En Algérie, c'était un assistant de
chirurgie des hôpitaux. Actuellement, l'équipe comprend, outre un réanimateur, deux
chirurgiens titrés : l'un viscéraliste, l'autre orthopédiste. Mais le schéma n'est pas rigide et,
selon la mission, d'autres spécialistes peuvent être incorporés à l'équipe chirurgicale :

- pédiatre (Kurdistan - Somalie - Rwanda - Cambodge) ;

- médecin tropicaliste ou épidémiologiste (Rwanda - Cambodge - Kurdistan) ;

- chirurgien maxillo-facial (Beyrouth - Bosnie) ;

- psychiatre (Rwanda - Bosnie) ;

- technicien de laboratoire, manipulateur radio, etc.

L'antenne est donc un véritable élément chirurgical de base. Exceptionnellement


réduit de moitié (Kigali au Rwanda en 1994), il est le plus souvent complété pour former :

- une antenne médico-chirurgicale (Cambodge) ;

- un groupe médico-chirurgical (Sarajevo).

De même, le personnel au départ exclusivement masculin est maintenant très souvent


mixte et les présences féminines sont particulièrement appréciées lorsque les patients
comprennent des femmes et des enfants.

Le matériel a considérablement évolué au fil des missions.

La réanimation peut disposer, si la demande en est faite, d'un moniteur avec


saturomètre à O2, d'un récupérateur et d'un réchauffeur de sang, d'un extracteur d'oxygène et
d'un stimulateur de nerfs pour anesthésie locorégionale. Le chirurgien peut demander à
disposer de pinces à suture automatique.

À cet équipement de base peuvent être ajoutés des lots complémentaires plus
spécifiques : lot outre-mer, lot pédiatrique, lot obstétrique, lot montagne ou froid avec les
matériaux et les médicaments correspondants.

Ces matériels seront emportés selon les caractéristiques de la mission ou peuvent être
demandés secondairement.

Ce matériel permet actuellement de pratiquer toute la chirurgie d'urgence chez l'adulte


et l'enfant. Il progresse d'ailleurs constamment et régulièrement.

L'originalité et l'efficacité de ces antennes tiennent au fait que, dans la majorité des
cas, elles sont rattachées à un seul hôpital, des armées dans ce cas. Le personnel se connaît

72
donc avant la mission et a eu l'occasion de déployer son matériel, ce qui permet une
coordination optimale.

Malgré l'ajout de personnel et de matériel nouveaux au fil des années, la rapidité de


mise en place et la possibilité de fonctionnement immédiat ont été conservées. En avril 1960,
nous faisions une démonstration devant l'OTAN de l'ACP 58, qui était opérationnelle 45 min
après le début du largage. Cela était possible grâce à l'utilisation d'une plate-forme unique
adoptée en 1958, larguée par la tranche arrière de l'appareil, qui évitait la dispersion
importante des paniers d'osier utilisés en Indochine. En 1996, les délais sont identiques. On a
pu constater, au cours de missions actuelles, que le premier blessé peut être admis et opéré en
moins d'une heure après l'arrivée sur le site (Cambodge -Comores).

Au terme de cette étude, la question que se posait C. Chippaux garde toute son
actualité : quel est l'avenir des antennes chirurgicales ?

Dans les missions de type humanitaire, elles ont largement fait la preuve de leur
efficacité mais leur principal obstacle est leur coût, très élevé, certainement très supérieur à ce
que peut assurer une ONG.

En chirurgie de guerre, dans un cadre strictement militaire, peut se poser le problème


de doctrines parfois incompatibles entre la France et les pays qui lui sont ou lui seraient
associés pour le soutien santé d'une armée européenne. L'échelon « antenne chirurgicale »,
qui met le chirurgien le plus près possible du blessé, n'est pas la stratégie américaine et
allemande, qui privilégie une relève très médicalisée et une évacuation la plus rapide possible
vers une formation chirurgicale polyvalente, relativement lourde, comme le MASH.

Mais comment évacuer par hélicoptère dans une zone où l'adversaire dispose de
missiles antiaériens portables ?

Mais que faire pendant les premières heures ?

Les années qui viennent confirmeront probablement que nos antennes, maintenant
cinquantenaires n'ont pas encore atteint l'âge de la retraite...

73
Annexes

Nous remercions les pharmaciens chimistes des Armées Chaulet, Dorandeu et Rault,
qui ont bien voulu rédiger ces fiches précisant les contraintes logistiques de ces formations
mobiles du Service de Santé des Armées.

Fiche 1 : Constitution d'une dotation chirurgicale


La constitution d'une dotation standardisée implique la participation d'un grand
nombre d'intervenants :

- membres de la Direction de l'organisme impliqué (gouvernemental ou non) ;

- personnel soignant (médecins, chirurgiens et infirmiers) ;

- personnel logisticien.

Rôle de la Direction de l'organisme

Définition des conditions d'intervention


La Direction définit le cadre de l'intervention, et c'est à partir de ce cadre que l'on
détermine la composition de la dotation. Elle doit s'attacher en particulier à répondre à
diverses questions :

- quand la formation doit-elle intervenir ?

- la dotation chirurgicale et son personnel assurent-ils seuls la mission ou bénéficient-


ils de l'aide logistique d'unités complémentaires ?

- combien de personnes y sont affectées, et quelles en sont les qualifications ?

- quelle doit être son autonomie ?

- quelles sont les conditions matérielles requises pour son installation (eau, électricité,
locaux, etc.) ?

- quels doivent être la capacité d'accueil et le potentiel opératoire ?

À chacune de ces questions correspondent des exigences qui influeront sur la


composition de la dotation.

Si sur le site même de la mission il n'y a pas d'équipements (électricité, locaux


fonctionnels), l'unité chirurgicale doit comporter, en particulier, un groupe électrogène, des
locaux mobiles (tentes gonflables ou tentes à base de tubulures, éventuellement schelters, en

74
fonction des délais où l'équipe médico-chirurgicale doit être opérationnelle et du nombre de
personnes disponibles pour réaliser l'installation) et un système d'alimentation en eau.

L'autonomie de la dotation dépend plus particulièrement de la quantité d'articles


consommables (médicaments, matériels à usage unique, etc.) et de vie courante pour le
personnel. Éventuellement, le recours à des lots de maintenance composés de matériels
consommables divers, nécessaires au fonctionnement de l'unité chirurgicale pendant une
durée déterminée, peut permettre de moduler l'autonomie de la formation sanitaire.

La capacité d'accueil conditionne, pour sa part, la dotation en matériel (consommable


et non consommable comme les lits d'hospitalisation, etc.) et en personnel.

Ressources financières
Un budget, de préférence en dollars ou en francs français, doit être mis à la disposition
du responsable de la formation sanitaire, afin d'une part d'en faciliter l'implantation, d'autre
part de permettre l'achat de matériels sur place.

Rôle du personnel technique (médecins, chirurgiens et infirmiers)


Ce personnel doit définir le type de matériel qu'il faut emporter, ainsi que sa quantité,
en fonction du contexte des interventions, celui-ci étant défini par la direction de
l'organisation.

Il faut ici toujours garder à l'esprit :

- la nécessaire polyvalence de la dotation ;

- la notion d'urgence et le manque probable de personnel sur le terrain ;

- les contraintes logistiques telles que les limitations en poids et en volume de la


formation ;

- la diversité des personnes amenées à travailler dans cette formation sanitaire et la


nécessité de choisir des techniques de soin et des appareillages classiques, connus du plus
grand nombre et faciles à mettre en œuvre ;

- la nécessaire robustesse des articles choisis, qui doivent, si possible, avoir été testés
dans des conditions extrêmes d'utilisation, en température et en humidité en particulier... Le
choix s'orientera donc vers des appareils dits « tropicalisés ».

Dans cette phase de constitution, il est essentiel de se fonder sur l'expérience des
personnes ayant déjà effectué des opérations humanitaires.

75
Le rôle du personnel technique est de définir la composition de la
formation.

Rôle des logisticiens

Création des fiches de colisage


Le personnel logisticien intervient dans la répartition dans des colis de tous les articles
préalablement sélectionnés par le personnel soignant.

Il doit aussi évaluer la quantité de matériel demandé, éventuellement la modifier,


adapter les conditionnements, regrouper les articles par type (médicaments, articles à usage
unique, etc.) dans les colis, séparer les articles inflammables, corrosifs ou toxiques qui
devront être emballés à part dans des colis spécifiques, assurer la continuité de la chaîne du
froid pour tous les articles devant être conservés à + 4 °C (curares, sang etc.), et ce en utilisant
des colis adaptés.

Emballage
L'emballage doit permettre une manutention aisée de la dotation. Pour cela, les
cantines semblent les plus utiles.

La continuité de la chaîne du froid peut être assurée par des colis isothermes type
Electrolux, qui permettent de maintenir une température de + 4 °C pendant 48 h.

L'emballage des produits dangereux (inflammables comme l'alcool, corrosifs comme


les acides, gazeux comme l'oxygène médical ou tous les médicaments conditionnés en flacons
pulvérisateurs sous pression) doit impérativement respecter les normes du IATA
(International Air Transport Association).

Les données les plus sévères doivent être retenues concernant l'emballage des
marchandises dangereuses, c'est-à-dire celles relatives à un embarquement sur un vol
transportant aussi des passagers.

Importance du ravitaillement sanitaire


Le rôle des logisticiens consiste par ailleurs à vérifier que tous les articles choisis
pourront être facilement réapprovisionnés, en particulier au cours des missions prolongées.
Pour cela, on recourt le plus souvent à des stocks « tampon », en métropole ou sur place, qui
permettent d'assurer la continuité de l'approvisionnement. Ces stocks peuvent être composés
exclusivement de lots de maintenance.

Transport
La constitution des dossiers de transport du matériel et des passagers incombe là
encore aux logisticiens.

À cet effet, de nombreux documents doivent être remplis et régulièrement mis à jour.
On peut ainsi réserver très rapidement de la place sur un vol, en disposant immédiatement du
poids, du volume et du prix des matériels à expédier.

76
Un guide des différentes compagnies aériennes et des destinations desservies peut
s'avérer très utile lors d'un départ précipité.

Fiche 2 : Gestion de la dotation chirurgicale


Stockage
Le stockage d'une dotation préconstituée doit se faire dans des locaux sains, tempérés
et de plain-pied, afin de pouvoir la transporter rapidement par voie routière.

Il doit exister une zone de travail pour permettre de réceptionner les colis et
éventuellement d'en changer la composition.

La gestion informatique des stocks présente l'avantage de pouvoir les consulter


directement et immédiatement, ainsi que les tableaux de composition. Le matériel peut être
stocké de deux manières :

- directement dans les contenants de transport. C'est la gestion dite « en caisse » qui a
l'avantage de permettre un départ extrêmement rapide et de limiter la surface de stockage. En
revanche, elle présente l'inconvénient d'avoir à ouvrir et refermer un colis lorsqu'il s'agit d'en
changer un seul article ;

- sur étagère. Même sur étagère les articles périssables doivent être classés par colis, et
le contenant qui va les recevoir lors de leur expédition doit être placé sous l'étagère.
L'avantage de ce type de stockage est de pouvoir accéder immédiatement aux articles
lorsqu'ils doivent être changés, mais l'inconvénient est d'avoir à préparer les colis au moment
du départ. De plus, la surface de stockage doit être plus importante : le double de la
précédente.

Les articles non périssables sont directement stockés dans leur contenant de transport.

À ce stade, il convient de rappeler l'utilité d'identifier les colis des différentes cellules
à l'aide de couleurs, d'abréviations ou de sigles. Le repérage des colis destinés à la chirurgie, à
la pharmacie, à l'anesthésie et au laboratoire s'en trouve facilité.

L'adoption d'un tel système confère trois avantages à court terme, et un à long terme :

- primo, on peut immédiatement attribuer les tâches de manutention, de stockage, de


déballage et de répartition du contenu des colis au personnel technique ;

- secundo, le délai de mise en œuvre de chaque cellule est raccourci ;

- tertio, en plaçant dans chaque cellule le matériel qui lui correspond (consommable y
compris), une cellule peut commencer à fonctionner alors même que les autres ne sont pas
installées ;

- enfin, la répartition des colis par cellules autorise un reconditionnement, voire un


renouvellement, par lot.

L'antenne chirurgicale aérotransportable (ACA) représente environ un volume de


3
15m et un poids de 4 t répartis en 100 colis, véhicules non compris.

77
Maintenance

Généralités
Une fois constituée et stockée, cette dotation chirurgicale ne peut, en aucun cas, être
laissée inutilisée. Lorsque l'on imagine les conditions de travail sur le terrain, les
conséquences de la panne d'un groupe électrogène, d'un appareil d'anesthésie ou de la
découverte de médicaments périmés peuvent être dramatiques.

La dotation doit être impeccablement maintenue : les véhicules, les appareils de


chauffage, les appareils médico-chirurgicaux doivent être périodiquement rigoureusement
contrôlés. Les dotations en médicaments et en matériels stériles à usage unique,
éventuellement en réactifs de laboratoire, sont régulièrement changées.

Gestion informatisée
Saisies et documents informatiques
Entretenir une dotation préconstituée demande un système informatique performant
sur lequel sont saisis :

- les fiches de colisage. Pour chaque colis, il faut préciser la quantité, la date de
péremption, la référence et le nom du fournisseur de chaque article ;

- le tableau de composition de l'unité constituée, qui permet d'apprécier globalement le


contenu de la dotation.

Un exemplaire de la fiche de colisage est placé dans chaque colis, afin de permettre au
personnel sur le terrain de connaître le contenu d'une caisse sans avoir à l'ouvrir.

De même, il faut placer un exemplaire du tableau de composition de la dotation et de


l'ensemble des fiches de colisage dans une cantine dite « administrative » qui part
systématiquement avec la formation sanitaire.

Gestion du stock
Le rôle du logisticien consiste enfin à assurer, à partir de ces saisies informatiques,
une rotation des stocks qui permet :

- d'une part de disposer en permanence d'articles non périmés ;

- d'autre part de permettre le remplacement de ces articles, avant leur péremption, pour
minimiser les coûts d'entretien de la dotation. Pour remplacer au moindre coût des articles sur
le point d'être périmés, on peut convenir d'accords avec des services de chirurgie hospitaliers
qui utiliseront les articles arrivant à péremption.

Concrètement, il faudra, au cours de cette rotation des stocks, tenir compte :

- de la durée de validité de l'article périssable le jour de sa fabrication. En effet, on ne


peut pas gérer de la même manière un matériel stérile à usage unique pouvant être utilisé dans
les cinq ans, et un réactif de laboratoire qui se périme au bout de trois mois ;

78
- de la capacité de remplacement du matériel chirurgical, sur la base d'accords conclus
avec des services chirurgicaux ;

- du délai de livraison de certains articles.

Pour déterminer un tableau de rotation du matériel périssable, on peut se référer au


tableau suivant :

Ce système de gestion de stock permet, dans le cas d'une gestion « en caisse », de


n'ouvrir les colis que tous les six mois, puisque les articles devant être remplacés tous les trois
mois sont généralement stockés en chambre froide.

Fiche 3 : Évolution de la dotation chirurgicale


Garder un élément médical en bonne condition ne consiste pas seulement à remplacer
les articles, médicaments ou matériels périmés ou en mauvais état. Toute opération de
maintenance doit intégrer une notion d'évolution qui, si elle paraît évidente, n'en a pas moins
des répercussions pratiques parfois difficiles.

Certaines modifications de tableau de composition comme les changements de


conditionnement d'un article ou l'arrêt de sa commercialisation posent peu de problèmes. Il
s'agit alors de trouver un article de substitution plus ou moins similaire. D'autres sont en
revanche plus complexes et nécessitent la participation de toute une équipe, intégrant le
personnel soignant, l'équipe chargée de la maintenance et les logisticiens. Les modifications
peuvent alors devenir majeures, devant tenir compte de l'apparition de nouvelles techniques
de soins, de nouvelles habitudes du personnel, de nouvelles techniques thérapeutiques ou de
nouveaux besoins, liés soit au progrès scientifique soit à l'apparition de nouvelles pathologies.
Pour ce qui concerne les articles ne pouvant être recyclés dans les services
chirurgicaux hospitaliers, il faut déterminer s'ils doivent ou non continuer à être intégrés dans
la formation ou être remplacés par d'autres plus modernes ou plus adaptés aux nouvelles
techniques de soins. C'est ainsi que l'information peut remonter des utilisateurs aux
personnels chargés de l'entretien.

Enfin, à chaque retour de personnes d'une opération humanitaire ayant déployé ce type
de formation, il faut tenir une réunion conjointe de travail qui permettra, en faisant évoluer le
contenu de la dotation, de garantir la meilleure adéquation possible entre le type de matériel
fourni et les besoins réels sur le terrain.

79
Dotation standardisée préconstituée de l'antenne chirurgicale
aérotrans-portable du Service de Santé des Armées
Cette antenne est conditionnée pour pouvoir être transportée sur un vol passager. Elle
peut être déployée sur les lieux d'une catastrophe naturelle ou d'un conflit armé en quelques
heures et permet d'entreprendre une activité opératoire même en l'absence totale
d'infrastructure préexistante.

Elle dispose d'une autonomie propre de 48 h, que l'on peut augmenter de 48 h en y


ajoutant des lots de maintenance.

Matériel technique
II comporte plusieurs éléments.

Boîtes chirurgicales
La dotation technique comporte des boîtes complètes permettant de disposer
immédiatement de tous les instruments nécessaires à une intervention chirurgicale. Ces boîtes
(trousses de première urgence, boîtes d'instruments pour amputation, boîtes de chirurgie
diverses : osseuse, thoracique, crânienne, vasculaire, etc., boîtes de fixateurs externes) sont
stérilisées et prêtes à l'emploi.

Matériel de bloc
La table opératoire, démontable, offre des conditions opératoires évitant la fatigue du
chirurgien. Le Scialytique, lui-même démontable, permet l'éclairage du champ opératoire.

Matériel divers
II est très varié : appareil d'anesthésie aux halogènes, aspirateurs électriques de
mucosités et pour gros épanchements sanguins, respirateur automatique portatif, Poupinel et
autoclave, etc.

Lots « usage unique »


Ces lots représentent une part importante de la dotation et leur contenu est déterminé
afin de faire face à l'urgence et au manque de personnel, et de garantir l'hygiène. Cela
explique pourquoi ces lots contiennent une grande quantité de champs opératoires et de
blouses stériles à usage unique.

Enfin, ces lots contiennent tous les articles nécessaires dans un bloc opératoire, en
nombre limité mais suffisant : nécessaires pour intubation ; systèmes de drainage ; nécessaires
pour sondages vésicaux, urétéraux, bronchiques et gastriques ; ligatures et sutures ; matériel
d'injection (aiguilles et seringues).

80
Médicaments
Ils sont pratiquement tous présentés sous forme injectable ou pour usage externe.

Tous ont une importance capitale, et une rupture de stock de l'un d'entre eux pourrait
gravement compromettre le fonctionnement du bloc opératoire. Ils appartiennent aux classes
thérapeutiques suivantes :

- sédatifs ;

- anesthésiques ;

- corticoïdes ;

- anticoagulants ;

- antibiotiques ;

- solutés de perfusion ;

- désinfectants et antiseptiques.

Y sont adjointes des poches pour prélèvements sanguins CPDA qui permettent en cas
d'urgence et de nécessité absolue de prélever du sang de sujets sains et de transfuser des
malades après groupage sanguin.

Gaz médicaux
II ne s'agit ici que de l'oxygène. Les lots contiennent huit bouteilles de 3,5 1, couvrant
2 j de fonctionnement.

Matériel logistique
Ce matériel permet le bon fonctionnement du bloc opératoire et il comporte divers
éléments :

- deux tentes, reliées par un carrefour, constituent l'unité au sein de laquelle l'antenne
est déployée ;

- deux groupes électrogènes de 2,5 kW assurent la production d'électricité nécessaire


au fonctionnement de l'éclairage et des appareils du bloc ;

- un système de chauffage à air puisé peut être adjoint à l'unité lors de missions en
pays tempérés ou froids ;

- l'alimentation en eau est assurée par une remorque citerne de 1 000 1.

Enfin, la dotation comporte des lots de pièces détachées pour les appareils ou
véhicules, des trousses à outils pour mécaniciens ou électriciens et des rations alimentaires
assurant une autonomie de 48 h pour toute l'équipe.

81
• Fiche 4 : Arrivée sur le terrain
En prélude à toute entreprise humanitaire, surtout à visée chirurgicale, il incombe aux
responsables des cellules administratives, logistiques et médicales, de choisir le site
d'implantation du personnel et de l'ensemble du matériel, véhicules compris.

Après s'être assuré de l'aval administratif, de l'assentiment moral, voire de la


contribution matérielle des autorités locales, le choix du terrain doit tenir compte des
éléments suivants :

- réseau routier contigu, possibilité d'aménagement d'un héliport à distance ;

- possibilités d'approvisionnement alimentaire ;

-proximité du théâtre d'opérations (réfugiés, blessés, épidémies, etc.) ;

- dénivelé ;

- existence (sinon réalisation) des structures d'hygiène visant à garantir des conditions
de salubrité au personnel soignant et aux malades ;

- proximité d'une fosse ou d'un four à incinération ;

- en l'absence d'un réseau d'alimentation en eau, établissement d'un système de


collecte, de traitement et de distribution d'eau ;

- en l'absence d'un réseau électrique, mise en fonctionnement de groupes électrogènes


dont le nombre et la puissance doivent suffire aux besoins de tous (éclairage général,
alimentation, douches, matériel médical et paramédical, pharmacie, laboratoire, etc.).

Après cette étape initiale, on peut envisager l'installation des différentes cellules
médicales (chirurgicales, réanimations, post-opératoires) et paramédicales (radiologie,
pharmacie, laboratoire) au sein du périmètre défini, ainsi que leur aménagement interne.

On peut définir à ce stade diverses responsabilités.

Chirurgien
II lui incombe la responsabilité des éléments suivants.

Concernant le local
- choix du (des) local (aux), en dur ou sous tente ;

- nécessité de travaux d'assainissement (décapage, peinture, bâchage) ;

- présence ou non d'un système de climatisation ou de chauffage.

82
Concernant le malade
- acheminement des blessés (procédure d'acheminement par voie routière, par
héliportage, procédure de brancardage, personnel brancardier) ;

- nécessité d'une salle de tri, de mise en condition ;

- mise en condition des blessés en vue de l'acte opératoire ;

- mise en place d'un local de pansement (plâtrage, petite chirurgie).

Concernant la salle d'opération


- présence d'un lavabo mural ou de campagne pour lavage des mains ;

- emplacement de la table opératoire permettant une répartition fonctionnelle du


personnel habillé, du matériel d'aspiration, du matériel d'anesthésie, du Scialytique, d'une
table instrumentale ;

- possibilité de nettoyage aisé (sol, murs) ;

- nécessité ou non d'un négatoscope mural.

Concernant le type et le nombre de trousses à pourvoir :


trousses vasculaires, digestives, orthopédiques, gynéco-obstétricales, crâniennes.

Infirmière instrumentiste
II lui incombe la responsabilité des éléments suivants :

- rangement, entretien et gestion des trousses chirurgicales, du matériel d'aspiration,


du matériel électrique (bistouri, Scialytique), du matériel à usage unique destiné à l'abord
chirurgical, des ligatures et des sutures, des solutés, des compresses, des pansements et objets
de pansements, des antiseptiques, des solutés ;

- entretien du bloc et gestion des produits détergents et désinfectants ;

- stérilisation.

Sur ce point, elle est responsable de la rotation des trousses chirurgicales, de


l'approvisionnement en compresses stériles et de l'entretien du matériel d'autoclavage
(enregistrement des cycles de stérilisation, vérification des éléments). Elle décide, en accord
avec le chirurgien, d'un local à part ou d'un endroit attenant au bloc pour disposer le matériel
de stérilisation chaude (autoclave 130 et 60 1, Poupinel) et froide (type Cydex), en tenant
compte des impératifs en eau et en électricité.

83
Anesthésiste-réanimateur et/ou infirmier-anesthésiste
II lui incombe la responsabilité des points suivants.

Concernant la salle d'opération


- type d'anesthésie (générale, locorégionale, locale), conditionnant le matériel
consommable (par exemple type de trocards, de sondes d'intubation, etc.) et non
consommable (contrôle ou non de la ventilation, neurostimulateur, etc.), le type de produits
anesthésiques (morphiniques, antalgiques IV, halogènes), les moniteurs ;

- mise en place du matériel d'anesthésie (disposition de la table d'anesthésie, sets de


bloc, de rachi-anesthésie, etc.) ;

- disposition et gestion des fluides médicaux (N2O, oxygène : avec ou non nécessité
d'un extracteur d'oxygène) ;

- mise en place du matériel de surveillance per-opératoire (tensiomètre automatique,


électrocardioscope-défibrillateur possédant un système de mesure de la SaO2, de la PaO2, de
la pression artérielle non invasive et de la température) ;

- gestion des produits stupéfiants (hypnotiques et antalgiques majeurs), des curares ;

- agencement et gestion des solutés (glucoses, cristalloïdes, colloïdes), du matériel à


usage unique (notamment sondes d'intubation endotrachéale souples et armées, sets
d'anesthésie, etc.) ;

- gestion de la banque du sang en l'absence d'un pharmacien et/ou d'un biologiste.

Concernant le malade
- nécessité ou non d'une salle permettant la mise en condition du malade (salle
attenante au bloc) ;

- nécessité ou non d'une salle de surveillance post-opératoire.

Pharmacien (ou son représentant)


II lui incombe la responsabilité des éléments suivants.

Concernant le local
- choix du local de stockage (dur fermant à clé, tente), climatisé si possible, à l'écart
du passage de la population bénéficiant des soins ;

- aménagement d'étagères, de réfrigérateur, de congélateur, d'une banque du sang;

- aménagement d'un préparatoire sommaire (préparation d'antiseptiques destinés à la


voie externe), d'un bureau, d'une banque permettant la dispensation journalière ;

84
- en fonction du climat, prévision de conditionnements généraux (type sacs à
congélation blistérisés, caisses métalliques) pouvant protéger le stock des aléas climatiques
(poussière, humidité) ;

- prévision d'une protection contre le feu (extincteur, bac à sable) et les vols (local
fermé, garde).

Concernant le stock
II n'est pas nécessaire de déballer tous les articles, pourvu qu'ils soient répertoriés sur
fiches (informatique ou papier), le colisage pouvant lui-même constituer un moyen de
rangement.

Si la gestion n'est pas informatisée, il faut instituer d'emblée des stocks critiques
visuels sur les produits pour lesquels il n'est pas admissible de tomber en rupture de stock
(antalgiques majeurs, antipaludéens, antibiotiques, antiseptiques, certains pansements,
compresses, matériel à usage unique destiné à l'abord vasculaire, liquides et gaz médicaux).

Il faut également, par le biais de fiches, connaître le stock contenu dans chaque
cellule.

Le plus simple est de stocker classiquement les médicaments par ordre alphabétique,
en disposant à part les antibiotiques, les antiparasitaires, les collyres, les pommades et les
collutoires. On prendra soin de stocker une partie des solutés au froid, ce qui peut se révéler
utile pour le traitement des hyperthermies. Il faut porter une attention toute particulière aux
produits thermolabiles (vaccins, sérums, insuline, sang, etc.). L'ensemble du matériel à usage
unique sera classé en fonction de la voie d'abord ou de l'utilisation finale (voies vasculaire,
digestive, orale, chirurgicale, pansements et objets de pansements, ligatures/sutures, etc.).

Les agents inflammables seront stockés à l'écart de la pharmacie, ainsi que les
produits larvicides, insecticides et raticides.

Il est utile de prévoir des antiseptiques (hypochlorite de soude, permanganate, alcool à


70°, eau oxygénée à 11 volumes, Javel) sous forme concentrée ou en poudre que l'on diluera
extemporanément. Dans le même ordre d'idées, il est également conseillé de disposer d'une
unité de filtration des eaux, qu'elle soit collective ou individuelle.

Concernant la gestion
- utiliser un ordonnancier pour apprécier qualitativement et quantitativement les
sorties des différents articles, de façon à « orienter » le réapprovisionnement ;

- informer les cellules de l'autonomie conférée par le stock initial ;

- se fixer une périodicité de commande ;


- recenser les éventuels fournisseurs locaux (laboratoires, grossistes, autres ONG), ce
qui implique de se faire attribuer dès l'installation un compte en valeur par le responsable
administratif ;

- commander en métropole des articles préstockés ;

85
- disposer d'un véhicule (chargement-déchargement des articles) ;

- se mettre en (bon) rapport avec le (les) responsable(s) du transit routier et/ou aérien
local ; en particulier il faut savoir négocier avec la structure douanière locale.

Installation du laboratoire (éventuel)


Le laboratoire devra être installé à distance des structures de soins et à l'écart des
passages, aussi bien du personnel soignant en dehors de ses heures de travail que des malades
ambulants.

Le local sera de préférence en dur pour trois raisons essentielles, à savoir la protection
du matériel, la protection vis-à-vis de l'environnement extérieur (conditions climatiques,
personnes extérieures) et la bonne pratique des examens, surtout bactériologiques.

À défaut, on utilisera une tente, avec vélum et surtente blanche.

L'intérieur sera compartimenté en attribuant chaque section à des catégories d'examen,


bactériologiques, biochimiques, immuno-hématologiques et hématologiques, parasitologiques
et sérologiques.

L'installation débute par l'agencement du mobilier de travail et par la mise en place


des appareillages ; cette dernière obéira à un découpage du laboratoire selon les principaux
domaines d'activités que nous venons de citer. Le responsable du laboratoire devra tenir
compte des limites de l'installation électrique (prises, raccordements, voltage, puissance
disponible) et du système de distribution d'eau (lavabos, quantité et qualité de l'eau
disponible, etc.).

Fiche 5 : Laboratoire et chirurgie en situation humanitaire


ou de catastrophe
Laboratoire

Contraintes générales
- un local adapté : de préférence en dur, sinon sous tente (avec vélum et surtente
blanche pour atténuer les écarts thermiques), protégé de l'environnement (personnes
extérieures, vent, poussière, chaleur et humidité), muni d'étagères, de plans horizontaux
(paillasses, administration-secrétariat), de poubelles, de lavabos, d'un système de recueil des
déchets liquides et solides et d'un système d'incinération ;

- encombrement du matériel propre au laboratoire : volume et poids non seulement


des appareils eux-mêmes, mais aussi du colisage : compteur hématologique, gazomètre,
analyseur(s) de biochimie en chimie sèche, centrifugeuse, réfrigérateur, congélateur,
autoclave, banque de sang, paillasse. Il faut y ajouter des conteneurs spécifiques assurant une
protection physique et thermique ;

86
- source obligatoire d'électricité pour assurer le fonctionnement des appareils cités
plus haut mais aussi du (des) microscope(s), du rhésuscope, du bain de coagulation ;

- emploi de réactifs thermolabiles, nécessitant une conservation à 4°C, voire une


congélation à -20 °C (chimie sèche) ;

- utilisation de liquides inflammables (alcool, éther, solvant d'extraction-


concentration type dichlorométhane, chloroforme), de liquides corrosifs (acides, Javel), de
gaz (butane, mélange étalonné pour la gazométrie) ;

- nombreux matériels et accessoires à usage unique (boîtes de Pétri, pipettes, tubes,


tout matériel de prélèvement).

Contraintes particulières

Biochimie
Elle nécessite un réfrigérateur, un congélateur, une source d'électricité, un local à
l'abri des gros écarts de température (surtente blanche et vélum, local en dur) pourvu si
possible d'une climatisation. En l'absence de climatisation, il faut aménager les horaires de
fonctionnement pour éviter les heures les plus chaudes de la journée, ce qui interdit une
utilisation permanente des appareils. Rappelons que les appareils sont très sensibles aux
chocs, à la poussière, à l'humidité et à la chaleur. La biochimie doit faire appel à des appareils
sophistiqués dans leur principe de fonctionnement, dans leurs composants internes et dans
leurs caractéristiques techniques, mais simples dans leur fonctionnement ; il est illusoire de
travailler autrement. L'emploi d'appareils rustiques nécessite paradoxalement un personnel
très compétent, sachant se servir au minimum d'un spectrophotomètre UV-visible et d'un
photomètre de flamme.

Hématologie
Comme pour la biochimie, il faut ici signaler la sensibilité des appareils et la nécessité
d'un système de réfrigération quand on utilise un compteur semi-automatique. Il existe des
systèmes manuels simples (type QBC, Compur) permettant d'apprécier les paramètres
courants de la numération sanguine, mais ils sont peu précis et peu sensibles, surtout dans la
plage de mesure des comptages.

Parasitologie
Elle ne nécessite qu'un matériel minimal, comprenant un microscope, une
centrifugeuse, des articles de verrerie et quelques réactifs (dont des solvants et/ou des
tampons).

Bactériologie
Elle nécessite un réfrigérateur, un autoclave, une étuve, du gaz, un microscope et de
grandes quantités de matériel à usage unique (boîtes et tubes d'isolement, d'identification,
pipettes, lames) et de réactifs (milieux d'isolement et d'identification, antibiogramme, kits
faisant appel aux réactions d'immunoprécipitation, colorants). Les manipulations doivent

87
s'effectuer dans un local à l'abri de la poussière. Elle est productrice de déchets contaminés et
nécessite un système complémentaire de recueil et d'élimination par incinération.

Le laboratoire est-il ou non nécessaire ?


Dans nos expériences outre-mer en matière de laboratoire (Tchad 1991 durée de 4
mois, et Rwanda 1994 durée de 2 mois), les services chirurgicaux n'ont que rarement fait
appel au laboratoire. Cela s'explique par le type de chirurgie effectuée durant nos deux
séjours, essentiellement orthopédique, compte tenu des délais d'acheminement. Quelques
interventions viscérales et/ou vasculaires ont toutefois été effectuées.

Le laboratoire n'est en fait généralement sollicité que par le réanimateur,


essentiellement pour une transfusion, qu'elle soit programmée ou en urgence. Plus
ponctuellement, le réanimateur peut demander par sécurité devant un tableau hémorragique
un bilan de coagulation associant temps de Quick et taux de céphaline activée. Plus souvent,
en post-opératoire, toujours par l'intermédiaire du réanimateur, peuvent être demandés des
bilans hydroélectrolytiques, acido-basiques, voire infectieux lors d'états fébriles persistants.

En fait, le laboratoire est le plus sollicité quand le chirurgien travaille avec l'aide d'un
réanimateur (situation quasi constante), d'un pédiatre ou en obstétrique. Toutefois, en
situation de catastrophe, l'urgence et les faibles possibilités de suivi post-opératoire
expliquent qu'il lui soit beaucoup moins fait appel.

De quel laboratoire faut-il disposer en priorité ?


Les priorités dépendent des circonstances mais, le plus souvent, on retrouve par ordre
d'importance les nécessités suivantes :

- déterminer les groupes sanguins et les compatibilités, estimer l'hématocrite et/ou les
érythrocytes et/ou les globules blancs ;

- selon la zone géographique, assurer un diagnostic de paludisme ;

- si la pathologie pédiatrique est fréquente, il faut pouvoir réaliser un bilan


biochimique combinant le volet hydroélectrolytique et le volet acido-basique ;

- dans un contexte épidémique, on doit pouvoir poser un diagnostic bactériologique


(méningites, diarrhées infectieuses) ;

- dans le cas d'une mission humanitaire, en dehors de toute situation de catastrophe, il


faut pouvoir assurer une numération, un diagnostic parasitologique et viral (VIH, BW).

Conclusion
Les contraintes nécessaires au bon fonctionnement d'un laboratoire et les réserves que
nous avons exprimées ci-dessus expliquent pourquoi la présence d'une telle structure semble
très discutable dans le cadre de l'exercice chirurgical en contexte humanitaire. De plus, une
telle structure nécessite la présence de personnels qualifiés, hormis pour la réalisation d'un
groupage standard qui reste à la portée d'un praticien averti, avec un matériel minimal.

88
Fiche 6 : Ravitaillement sanitaire
En termes de ravitaillement sanitaire d'une unité chirurgicale engagée en situation
d'exception, l'axiome à retenir est que la logistique doit précéder ou, au pire, accompagner
l'équipe chirurgicale. Les expériences récentes dans ce domaine mettent d'ailleurs de plus en
plus en évidence le rôle capital du ravitaillement sanitaire.

Suivant le contexte aigu ou chronique, le ravitaillement sanitaire présentera deux


aspects très distincts. Mais, quoi qu'il en soit, il doit être adapté à la situation :

- en situation aiguë, dans laquelle on doit habituellement mettre rapidement en place


une antenne chirurgicale pour une période brève, il faut utiliser des lots de matériel et de
médicaments préconstitués. Une autonomie initiale des capacités opératoires de 7 j apparaît
comme un bon compromis. Dans un tel contexte, il faut parfaitement cibler et adapter la
composition des lots de base à chaque mission ;

- lorsque la mission se prolonge, il faut modifier les modalités et le type de


ravitaillement puisqu'il y a le plus souvent augmentation du nombre d'actes et diversification
de leur nature. La création d'une antenne pharmaceutique devient alors en général la meilleure
méthode pour fournir à l'équipe chirurgicale les produits indispensables à la pratique de son
exercice.

Il existe ici deux possibilités, le ravitaillement planifié et le ravitaillement non


planifié.

Dans le premier cas on utilise des lots de ravitaillement dont la composition est
définie sur des bases statistiques pour une période déterminée en fonction du nombre et de la
nature des interventions : ce ravitaillement sera modulé selon la nature et l'intensité de
l'activité opératoire. Il a pour but de rétablir l'autonomie initiale de fonctionnement.

Dans le second cas, le ravitaillement non planifié, l'objectif est de répondre à des
besoins spécifiques.

Chaîne de ravitaillement
La chaîne de ravitaillement sanitaire, qui va assurer le flux logistique permettant de
maintenir les capacités opératoires, comporte deux composantes principales :

- en amont, un établissement d'approvisionnement ayant pour fonction de gérer et


d'organiser la logistique sur le territoire national ;

- en aval, sur le territoire d'intervention, une antenne de ravitaillement sous autorité


pharmaceutique dont le rôle est de gérer des lots de composition préétablie, mais aussi de
mettre en place une gestion pharmaceutique traditionnelle.

L'établissement d'approvisionnement, que l'on pourrait assimiler à une centrale


d'achat, joue un rôle fondamental avant, pendant mais aussi après les missions.

Ses activités recouvrent des domaines très variés. La composition et la constitution


des stocks sont assurément des étapes primordiales garantes d'un ravitaillement efficace. La

89
composition des lots de dotation ou de maintenance doit être évolutive afin de suivre les
progrès thérapeutiques ; la composition de ces lots ne doit cependant pas varier de façon trop
importante pour ne pas compromettre l'efficacité de l'unité chirurgicale. Les établissements
d'approvisionnement sont donc amenés à gérer des articles très variés tels que des
médicaments, du matériel à usage unique, du matériel médico-chirurgical, des désinfectants et
des antiseptiques, de l'oxygène et du sang.

La gestion de ces stocks résulte d'un compromis entre les contraintes financières d'une
part et le degré d'autonomie et d'urgence lié à ces interventions d'autre part.

L'acheminement de matériel fragile par des moyens de transport très variés, et en


général sur de longues distances, implique un conditionnement particulier protégeant des
chocs, de l'humidité et des variations thermiques. Seule une structure adaptée et maîtrisant de
surcroît des règles de colisage souvent très spécifiques, en particulier pour des transports par
voie aérienne, peuvent offrir ces garanties. Le succès de telles missions chirurgicales repose
aussi sur la possibilité de disposer immédiatement de boîtes chirurgicales stérilisées, une telle
logistique ne pouvant se concevoir qu'en amont de la chaîne de ravitaillement.

Stocker les différents éléments de ces unités chirurgicales à proximité d'un aéroport
doit permettre de répondre aux critères d'urgence qui caractérisent généralement ces
interventions.

Soutenir des missions chirurgicales suppose des charges importantes, la principale


consistant à planifier le flux de ravitaillement afin de répondre au mieux aux demandes, et ce
dans les délais les plus courts. Il est impératif de garantir la continuité dans l'acheminement
des produits sensibles tels que le sang et ses dérivés, imposant une chaîne du froid ou de
produits difficilement transportables tels que l'oxygène.

L'établissement sera sollicité pour acheminer des dotations complémentaires de


composition préétablie, mais aussi du matériel divers pour répondre aux besoins spécifiques
en consommables ou en matériel de rechange qui doivent être achetés auprès des fabricants.

À la fin de la mission, le reconditionnement de ces unités, l'entretien et la réparation


des matériels relèvent aussi des attributions de cet établissement.

La conception et l'élaboration de la mission sont du ressort du maillon situé en amont


de la chaîne de ravitaillement, mais c'est au maillon situé en aval que revient le rôle de
rationaliser la distribution du ravitaillement pour qu'il soit à la fois le plus efficace mais aussi
le plus économique possible. Le fonctionnement d'une cellule de ravitaillement autonome et
polyvalente, aux objectifs parfaitement définis, nécessite un personnel qualifié (pharmacien,
logisticien, technicien de maintenance des appareils médico-chirurgicaux, voire frigoriste),
ainsi que des moyens de transport et de manutention. La recherche d'une infrastructure
susceptible d'accueillir une telle cellule constituera la première tâche d'une équipe implantée
pour un certain temps. Il faut ici tenir compte des conditions climatiques ainsi que des
impératifs des modalités de stockage et de rangement d'articles très variés. Il faut disposer
d'une documentation de base (ouvrages de référence en pharmacologie, sur le matériel, etc.)
et de moyens informatiques de gestion.

90
Implanté dans un environnement ou règnent le plus souvent pénurie, précarité,
insécurité et isolement, cette cellule sera confrontée au problème majeur que constitue
l'adaptation du personnel.

Une des principales difficultés consistera à évaluer exhaustivement et précisément les


besoins, afin de passer d'une gestion par lots de maintenance à une gestion par articles. La
collaboration entre chirurgiens, réanimateurs et personnels chargés du ravitaillement doit être
totale, dans le but d'élaborer une liste d'articles restreinte et adaptée à la situation. En effet,
plus la liste est courte, plus la gestion de l'approvisionnement est simple ; l'exemple le plus
caractéristique en est celui des fils et des ligatures qui sont extrêmement variés, ce qui ne peut
que gêner l'approvisionnement si on en demande un panachage trop important, alors qu'il est
admis que l'on peut se tirer de toutes les situations avec dix articles différents seulement.

La définition d'un stock critique dépend de la périodicité des commandes, de la


fréquence des liaisons aériennes et de la durée de la mission. Dans tous les cas, il faut prévoir
un éventuel ravitaillement d'urgence et explorer les possibilités d'acquisition locales. Cela est
primordial pour des produits tels que l'oxygène qui, lorsqu'il n'est pas obtenu grâce à des
extracteurs ou par réaction chimique grâce à des générateurs à chandelles, doit provenir de
bouteilles remplies localement.

Tout devra donc être entrepris pour mettre en place une gestion rigoureuse qui
permettra d'éviter les ruptures dans la distribution, et ce au moindre prix.

Cette cellule de ravitaillement sanitaire doit donc optimiser le flux logistique sur la
base de différents critères tels que le coût, le poids et le volume, maintenir opérationnel le
matériel indispensable à l'activité chirurgicale, veiller à l'adéquation entre les besoins réels et
la demande, et apporter un service adapté et efficace dominé en permanence par la notion
d'urgence.

91
B. Conditions techniques

92
Chirurgie en situation d'exception.
Essai de définition des contours.

P. HOUDELETTE

Assurer des soins chirurgicaux dans les situations les plus difficiles relève d'une
double raison :
- d'une part d'une mission et d'un projet : « Allez où la Patrie et l'Humanité vous
appellent », disait le baron Percy, chirurgien d'Empire ;

- d'autre part d'un « survivalisme » : doctrine et pulsion tout à la fois, poussant


l'homme à s'organiser pour surmonter les conditions exceptionnelles les plus menaçantes pour
sa survie.

Ces situations d'exception, les êtres humains les ont de tous temps subies. La
naissance d'un humanitarisme international, voire d'une « société internationale » régie par
des organisations interétatiques, et servie par la diffusion de l'information, la mise au point au
cours de ce siècle d'un « droit dans la guerre » (jus in bello) qui limite les moyens et définit
les droits respectifs et minimaux des combattants et non-combattants, la naissance de
structures de secours humanitaires non étatiques (Croix-Rouge internationale et ONG) et d'un
droit de l'ingérence humanitaire permettent par de lents progrès, de mois en mois, au fil des
événements et de l'analyse de leur exemplarité, la prise en charge systématique d'un point de
vue politique, éthique, économique, juridique et sanitaire de situations souvent fort disparates
mais qui relèvent toutes de la même détresse collective et de la même nécessité de solidarité
et d'assistance.

Sur le plan de la chirurgie qui h est qu'une des composantes, parfois essentielle,
parfois accessoire, de cette réponse aux besoins multiples et extrêmes de ce que de Gaulle
appelait « des circonstances », se dégage un dénominateur commun, un savoir et un savoir-
faire dans la convergence des acteurs, des moyens et des organisations sanitaires adéquates.

La kaléidoscopie de cette chirurgie en situation d'exception fait cependant briller dans


l'actualité des 50 dernières années plusieurs facettes bien discernables, que nous analyserons
de prime abord dans leur singularité. Toutes, nous le verrons, répondent à leur définition
générique car elles ne ressemblent à aucune autre et s'individualisent des règles qui régissent
l'activité chirurgicale de tous les jours dans les nations prospères.

93
La chirurgie de guerre offre plusieurs visages.

Intégrée dans le cadre des moyens logistiques d'une armée moderne en « ordre de
bataille » au sein d'un conflit conventionnel ou « semi-conventionnel » (risque chimique
limité, voire possibilité d'emploi de l'arme thermonucléaire tactique) puisque l'hypothèse
d'une guerre « non conventionnelle » défie les prévisions, la chirurgie de guerre est souvent le
modèle type sur le plan de la constitution des équipes, de la réunion des matériels et des
équipements, de la planification des moyens d'évacuation et de l'organisation logistique que
tend à réaliser toute mission sanitaire en situation d'exception.

Rappelons que le schéma type de la chaîne logistique sanitaire comporte une relève
consistant à mettre les blessés à l'abri, à assurer les premiers soins élémentaires et à les
transporter vers les postes de secours de l'avant où sont effectués les premiers gestes de
survie. Tous les blessés sont convoyés vers un centre de triage où sont effectués leur
catégorisation, leur conditionnement médicochirurgical et la définition de leurs conditions
d'évacuation.
L'efficacité opérationnelle de cette chaîne sanitaire est de nos jours améliorée par
l'adoption de matériels et de principes nouveaux. Citons l'utilisation des véhicules de l'avant
blindés pour le ramassage des blessés, la mise au point d'éléments techniques modulaires, les
locaux techniques médico-chirurgicaux containérisés permettant d'accroître la capacité
opératoire d'une section de triage ou d'un hôpital de l'avant, les hélicoptères médicalisés
destinés exclusivement et en permanence aux évacuations.

Les moyens de traitement sont l'hôpital mobile de campagne (HMC), structure lourde
(40 camions sont nécessaires pour son transport), permettant d'effectuer 400 interventions
chirurgicales et d'hospitaliser 2 000 blessés par jour.

L'utilisation des antennes chirurgicales aérotransportables et des groupes chirurgicaux


modulaires améliore la souplesse tactique de ces formations de traitement.

Au cours du conflit vietnamien sont apparues de nouvelles tactiques sanitaires. Durant


les derniers temps du conflit coréen, l'évacuation héliportée des patients directement du
champ de bataille aux hôpitaux était devenue pratique courante. Au Sud-Viêt-nam, la
mauvaise qualité et l'insécurité des voies routières, la maîtrise aérienne absolue, la
disponibilité d'hélicoptères logistiques, les caractères du conflit avec le plus souvent des
engagements armés sporadiques de faible envergure, aboutirent à la règle d'évacuation
héliportée de principe, amenant en 1 à 2 heures les blessés aux centres de soins. Bien souvent,
la destination des blessés était décidée en vol en fonction de leur état, du type de leur blessure
et de la disponibilité des centres chirurgicaux. Les hôpitaux chirurgicaux de l'avant (front-Une
surgical hospital), situés dans les bases protégées, disposaient d'une capacité de 60 lits
pouvant être portée à 140 en cas de besoin. Tous les blessés ne pouvant rejoindre leur unité en
deçà de 14 jours étaient transférés vers un hôpital d'évacuation. De même, les blessés
nécessitant des soins spécialisés après les premières mesures ou ceux nécessitant des
traitements répétés étaient transportés sur des hôpitaux de l'arrière au Japon, aux Philippines
ou aux États-Unis.

94
Médicalisation des premiers soins, transport primaire ultrarapide héliporté, rapidité de
la prise en charge chirurgicale initiale, possibilité d'évacuation vers des centres dotés de
spécialités multiples ont à cette époque conféré aux caractéristiques sanitaires de ce conflit
l'image d'un idéal rarement reproductible.
Du côté de l'armée et des populations vietnamiennes du Nord régnait la pénurie en
cadres médicaux et en matériel.

Le Professeur Dang Kim Chau a décrit la situation créée par les bombardements du
Nord-Viêt-Nam de 1968 à 1972. Le pilonnage de jour et de nuit des provinces de la 4 e région
au nord du 17e parallèle a détruit les voies de communication, rendant impossible l'évacuation
des blessés sur Hanoi. La prise en charge sur place de tous les blessés avait donc imposé
comme mots d'ordre : « la transformation de tous les médecins en chirurgiens », « la
formation chirurgicale des cadres médicaux ».

« Les guerres ne se déclarant plus, écrit J.-F. Deniau, l'état actuel du monde est celui
de sous-guerre. »

De nombreux conflits « insurrectionnels » ou « contre-insurrectionnels » se sont


éteints depuis la fin de la guerre froide, relayés par les foyers de violences soutenus par des
idéologies nationalistes, ethniques, religieuses ou politiques, cas par exemple du Sentier
lumineux au Pérou. Dans ces situations de « crise », la distinction entre combattants et non-
combattants, forces structurées et forces « rebelles » non ou indirectement représentées au
niveau international, est souvent difficile. La prise en charge des blessés est réalisée par les
structures sanitaires préexistantes ou par des missions humanitaires ou sanitaires des Nations
unies, de la Croix-Rouge ou des ONG.

La chirurgie en situation de catastrophe

Calamité, cataclysme, désastre, fléau sont maintenant regroupés sous ce vocable de «


catastrophe », que le Général Favre définit comme « un renversement destructeur et brutal de
l'ordre préétabli d'un ensemble naturel et humain provoquant soudainement trois sortes de
faits destructeurs : des dégâts matériels très importants, des masses de victimes (sinistrés,
blessés, tués), une disparition plus ou moins totale des moyens nécessaires restant sur place
pour lutter contre les agressions, secourir les sinistrés ou soigner les blessés ».

En sont responsables des éléments naturels, inondations, incendies, séismes, raz-de-


marée, éruptions volcaniques, ouragans et des facteurs dus aux progrès technologiques :
accidents des moyens de transports (aériens, ferroviaires, maritimes ou routiers), des
installations industrielles avec leurs risques incendiaires, explosifs, chimiques et radioactifs.
À ces risques de nature de plus en plus diversifiée correspondront en cas d'accident des
problèmes nouveaux dans leur ampleur et leurs solutions.

La durée de la phase critique relativement restreinte rend compte de la brièveté


fréquente de la phase d'assistance.

Est-il nécessaire de rappeler que les besoins engendrés ne se résument pas aux besoins
médicaux, que la médecine de catastrophe ne se cantonne pas à la seule chirurgie et que celle-

95
ci est une traumatologie aussi volontiers fermée qu'ouverte ? La science des dangers, la
cyndinique, a vu le jour et s'applique tout d'abord aux risques industriels.

Sur le plan de la formation des intervenants, la capacité de médecine de catastrophe


enseignée dans les principales universités médicales et la création d'un diplôme de médecine
d'urgence sont à même de former des « urgentistes », spécialistes des premiers secours et
informés des implications logistiques des situations de détresse collective.

La chirurgie de la violence ou la chirurgie de guerre en temps de


paix.

Un certain nombre de situations survenant en temps de paix, dans des pays souvent
évolués sur un plan économique, se rapprochent souvent, par le type des lésions chirurgicales,
par les contextes d'insécurité qui les créent et par les afflux de blessés, des conditions de la
chirurgie de guerre. Elles en permettent au chirurgien une approche technique.
Le terme de chirurgie de guerre, trop restrictif et trop imprécis, pourrait laisser place à
celui de « chirurgie de la violence » (surgery of violence) créé par R.H. Livingstone.

La chirurgie de l'insécurité urbaine, réalisée dans les trauma-centers


nord-américains, répond à cette « pornographie de la violence » (J. Keegan) engendrée dans
les grandes métropoles.
Ces inner cities, qualifiées de « libanisées » par la formation de minorités et par
l'usage des armes à feu, réalisent ce que l'on a appelé le Home front (le « front à domicile »).
Avec 230 millions d'armes à feu en circulation, 24 000 morts par an, un nombre annuel de
blessés (environ 300 000) équivalant à celui des forces américaines durant le conflit
vietnamien, avec 39,3 % de meurtres commis par des individus qui ignorent tout de leurs
victimes (random homicides : homicides au hasard, drive by shooting : tir en roulant), avec
des « munitions idéologiques » fournies par les milices d'extrême droite, les « suprématistes
blancs » et la NRA (National Rifle Association), lobby des fabricants d'armes, et une
contribution de plus en plus importante des gangs et revendeurs de drogue, les États-Unis sont
bien le modèle de la violence civile. La prise en charge des blessés dans les grands centres
traumatologiques spécialisés urbains est riche en expérience technique pour les chirurgiens
appelés à traiter des lésions balistiques.

Les émeutes socio raciales urbaines ont inauguré un nouveau tableau de violence
collective. Celles de Los Angeles en avril 1992 opposant des gangs noirs aux forces de l'ordre
(mobilisant 16 500 hommes y compris la Garde nationale et les Marines), avec ses 58 morts,
ses 2 000 blessés, plus de 3 000 incendies et des centaines de millions de dollars de dégâts, en
apportent une illustration, pour ne pas dire un modèle exportable. La presse a souligné l'envoi
de chirurgiens militaires dans les centres hospitaliers pour se former à cette « pathologie de
guerre ». Cette « superproduction » coûteuse aurait fait plus de victimes que la guerre du
Golfe du côté américain.

Le Times écrivait en novembre 1991 : « Le monde entier devrait garder les yeux rivés
sur le drame qui prend forme en Californie, car le futur qui s'annonce là-bas va se généraliser
au monde entier ».

Ce risque est celui de toutes les mégalopoles, et l'on sait qu'en l'an 2000 le monde
comptera 414 cités de plus d'un million d'habitants, dont 264 dans les pays en développement.

96
Le terrorisme urbain peut être soit le reflet d'une guerre subversive avec sa triade
guérilla-propagande-terrorisme, soit la manifestation de groupes armés endogènes ou
exogènes à buts politiques ou économiques. Les explosions, qui sont l'archétype des urgences
collectives, peuvent viser des immeubles (ambassade des États-Unis à Beyrouth, explosion du
World Trade Center à New York en février 1993 avec 6 morts et plus de 1 000 blessés, d'un
building de 9 étages à Oklahoma City, début 1995 faisant 430 blessés et au moins 200 morts),
des grands magasins (rue de Rennes à Paris en 1982), des gares (gare de Bologne -aéroport
d'Orly), des stations de métro (station Saint-Michel à Paris en 1995) ou encore des véhicules
(à Bombay en Inde en mars 1993, des voitures, motos et valises piégées placées par la mafia
locale explosent dans les quartiers des affaires à midi, faisant un carnage inouï : 320 morts et
1 200 blessés).

Ces attentats permettent, en temps de paix, d'approcher cette pathologie de « guerre »


génératrice de blessés dont la prise en charge est la plus complexe. Services de secours
médicaux et de protection civile s'entraînent maintenant régulièrement dans toutes les grandes
cités à gérer ces situations.

Le narco-terrorisme des « zones grises », expression qui trouve son origine dans le
vocabulaire aéronautique, ce terme désignant les confins de l'exploration radar, touche de
nombreuses régions du monde, échappant ainsi aux États de droit : Pérou, Kurdistan,
Colombie, Afghanistan, etc. Les cartels de la production de drogue, superpuissances politico-
économico-criminelles, explique Xavier Raufer, établissent « un continuum sans précédent
entre guérilla, trafic de narcotiques, terrorisme, grande criminalité mafieuse », expliquant en
partie certaines situations précédemment décrites. De nombreux mouvements de libération du
tiers-monde, turco-kurdes ou tamouls par exemple, mènent de pair l'action politico-militaire
et les activités criminelles : trafics d'armes, de drogues, enlèvements, assassinats, etc. Dans de
nombreuses zones, l'insécurité et la violence chronique s'accompagnent de détresse
économique des populations civiles et de désorganisation des structures étatiques, dans leur
ensemble, et dans le domaine de la santé publique en particulier.

La guerre civile est une des formes actuellement les plus fréquentes des « conflits de
basse intensité » ou en tout cas de faible ampleur. On a pu, dans cette dernière décennie, en
observer des exemples de significations différentes : guerre civile religieuse interminable en
Irlande du Nord, conflit urbain à Beyrouth, luttes de clans à N'Djamena, guerre de siège à
Sarajevo, guérilla à Mogadiscio. La principale caractéristique de ces conflits est leur
urbanisation, dont la première conséquence est la prise en charge des blessés dans les struc-
tures sanitaires adaptées du temps de paix, et renforcées par les moyens des secours
humanitaires. Ces conflits évoluent par flambées (combats urbains, bombardements) sur fond
de violence endémique (effet des snippers notamment).

Chirurgie et action humanitaire


Sans épuiser les possibles intrications des situations ni les « glissements de sens »
donnés aux actions au fur et à mesure de leur déroulement, trois grands schémas
d'intervention se dégagent : humanitaires, de maintien de la paix et de rétablissement de la
paix.

97
Les opérations à caractère humanitaire
Elles s'adressent aux victimes de catastrophes, qu'elles soient naturelles ou technologiques, et
aux séquelles de conflits durables (Cambodge par exemple).

Les moyens à mettre en œuvre sont importants, variés et débordent la seule activité
médicale. Il s'agit le plus souvent d'actions de longue durée engageant de nombreux acteurs
institutionnels et non gouvernementaux.

Les opérations de maintien de la paix (.peaee heeping opérations)


Elles sont dirigées vers les populations victimes de conflits encore latents ou semi-
actifs et souffrant de disette, de déplacement ou regroupement, de pathologie de guerre. Le
rôle des forces intervenantes est double, militaire et humanitaire. Sur le plan militaire, arrêter
les combats et maintenir la trêve imposent une interposition de forces armées, la protection
des populations civiles et l'assistance à ces populations.

Les moyens nécessaires doivent donc combiner ceux d'une force armée crédible,
vigilante, dotée d'une forte légitimité internationale, et ceux d'une action humanitaire de
grande envergure.

Un exemple en est celui de l'intervention des forces mandatées par l'ONU en Somalie
en 1994.

Les opérations de rétablissement de la paix (.peace making


opérations)

Ne nous intéressent ici que les situations particulières : celle de la belligérance de


groupes armés mal structurés dans un pays ayant perdu toute organisation politique, ou celle
de l'activité délibérée de guerre ethnique ou de génocide créant une situation de drame
humanitaire disproportionné avec l'importance géopolitique du conflit en cause. Ces
situations, les plus difficiles à gérer, imposent à la fois des actions militaires dans le but de
contraindre les groupes armés en présence à baisser les armes et à protéger les populations
victimes, et des actions humanitaires dont l'insertion dans un contexte de conflit actif est
délicate. L'opération Turquoise, qui s'est déroulée au Rwanda en 1994 dans le cadre du
mandat de l'ONU formulant « d'assurer de manière impartiale la sécurité et la protection des
populations menacées », était placée sous commandement français et bénéficiait de
l'autorisation d'employer tous les moyens nécessaires, la durée de l'opération étant limitée à
deux mois. Elle a dû faire face à des problèmes militaires (désarmement des forces armées
rwandaises et pression armée du FPR : Front patriotique rwandais) et à un exode d'un million
de réfugiés dans des conditions sanitaires catastrophiques (épidémie de choléra). Cette
situation a permis une coordination nouvelle et complexe entre mission militaire et action
humanitaire. Le Général J.-C. Lafourcade, commandant de l'opération Turquoise, a résumé
ainsi les points essentiels de l'activité des forces armées :

- création de deux cellules « affaires civiles humanitaires » à Paris et sur le terrain,


jouant un rôle déterminant dans la coordination des actions de tous les acteurs humanitaires ;

- création par l'armée française, au prix d'une succession d'actions d'interdiction


armée, d'une zone humanitaire sûre (ZHS) ;

98
- évaluation des besoins dans la ZHS au profit des organisations humanitaires non
présentes sur le terrain ;

- coordination des actions de la force avec celles des agences humanitaires


internationales, nationales et non gouvernementales ;

- logistique de l'aide humanitaire gouvernementale française (transport et distribution


sur le terrain) ;
- prise en compte de missions que ne pouvaient assurer les organisations humanitaires
(ensevelissement de milliers de morts, création de réserves d'eau, parachutage de vivres) ;

- soutien à certaines ONG, notamment dans le domaine de l'aérotransport et du


transport routier ;

- action sanitaire des moyens déplacés sur le terrain : postes de secours, antenne
chirurgicale, bioforce ;

- coordination et gestion sur la plate-forme aérienne de Goma des mouvements


d'avions humanitaires mis en œuvre par l'UNHCR (Nations unies - Haut Commissariat aux
réfugiés) à partir de Genève.

Ainsi, « dans le cadre d'une action humanitaire, l'engagement des forces armées a pour
but principal d'assurer les conditions de sécurité pour que l'action humanitaire internationale
conduite par les organismes civils spécialisés puisse s'exercer » (Général J.-C. Lafourcade).

Comme on peut le voir, l'intrication des moyens gouvernementaux et notamment des


forces armées, le plus souvent dans le cadre juridique d'un mandat de l'ONU, et des
organisations humanitaires les plus diverses, est la règle dans les interventions d'envergure.

À l'action armée est dévolue l'intervention en première urgence : rétablissement ou


maintien de l'ordre, organisation des zones logistiques (zone de sécurité, aéroport et sa
régulation, couloirs de circulation) ; à l'action humanitaire est confiée : organisation des zones
d'activité sanitaire, réponse aux besoins des populations, pérennisation de l'aide. L'activité
chirurgicale s'exerce dans ces deux cadres : militaire (antennes chirurgicales, éléments
médicaux d'intervention rapide, hôpitaux mobiles de campagne) et civil (hôpitaux installés
par le Haut Commissariat aux réfugiés sous délégation de l'ONU, Comité international de la
Croix-Rouge ou organisations non gouvernementales).

La place des activités militaires dans ces situations que les stratèges nord-américains
qualifient d'Opérations Other Than War (OOTW : opérations autres que la guerre), et qui
correspondent à des conflits de basse intensité, est difficile à préciser. Une certaine
militarisation de l'action humanitaire semble actuellement admise, sous la pression des
réalités, par tous les intervenants.

Les préalables d'une mission humanitaire médicale ont bien été analysés par R.
Russbach (du Comité international de la Croix-Rouge). L'analyse préliminaire doit englober
des données concernant :

- le contexte local : culturel, politique, économique, sanitaire, épidémiologique ;

99
- le contexte juridique : convention de Genève et protocoles additionnels, droits et
devoirs des personnels médicaux dans les conflits armés ;

- le contexte de sécurité : quels sont les risques et comment les éviter ? ;

- l'objectif général de la mission et les composants de son action ;

- les objectifs de l'action chirurgicale : chirurgie de guerre adaptée à la situation et


chirurgie « de tous les jours » sans risquer d'être submergé dans ses possibilités ;

- les contingences imposées par les circonstances : chaîne d'évacuation éventuelle non
contrôlée par le Comité international de la Croix-Rouge, devenir ultérieur des blessés pris en
charge ;

- le mode de fonctionnement du système logistique mis en place ;

- les techniques utilisées en chirurgie de guerre « connues de tous, mais non comprises de
tous » ;

- les règles de service de la structure hospitalière et la gestion administrative.

On retrouve ici un cahier des charges et des contingences de l'action chirurgicale en


situation d'exception.

Ces actions humanitaires sont souvent l'objet de tentatives de récupérations politiques,


de discussions éthiques, de conflits internes, réalisant ce que V. Hugueux dans l'Express
qualifiait « d'humanitaire à haut risque » :

- la faiblesse des motivations : « À la moindre alerte, les bataillons occidentaux du


secours et de la générosité sont prêts au décollage... : les avions inemployés des armées
vrombissent dès l'annonce d'un désastre. Les équipes haletantes attendent le malheur,
dévorées par les fourmis de l'impatience. On s'ennuie tellement en Europe », écrivait B.
Kouchner dans « Charité Business ». « L'aventure, ajoutait-il, rôde encore parmi les
cataclysmes. » Mais n'a-t-on pas évoqué dans d'autres circonstances « un tourisme
humanitaire » ?

- la récupération ethnique de l'activité d'aide humanitaire taxée de « partisane » dans


les guerres ethno-religieuses ;

- les implications morales bien mises en évidence lors de l'opération Restore Hope en
Somalie au sujet de laquelle la presse américaine avait lancé le débat « Faut-il tirer pour
nourrir ? » (Shoot to feed ?) et fait poser le problème de la redéfinition du devoir d'ingérence
dans les régions aux peuples en danger, qualifié de « droit de l'urgence » par Roland Dumas à
l'assemblée générale des Nations unies du 23 septembre 1992 ;

- les implications politiques de la présence militaire occidentale prolongée, dans les


mêmes circonstances, suspectée d'imposer l'ordre « de l'homme blanc », d'appliquer un
schéma colonialiste.

100
Mais, affirmait Jacques Lebas, ancien président de Médecins du Monde : « Derrière
les bons sentiments de l'humanitaire se trouve un projet politique » qu'il soit porté par les
acteurs ou suspecté par les secourus.

La chirurgie de l'assistance technique aux pays en voie de développement

Historiquement, le Service de Santé, partie prenante de l'aventure coloniale de la


nation, a rapidement ajouté à sa tâche statutaire destinée au corps expéditionnaire la prise en
charge sanitaire des populations de l'empire colonial français, tâche qu'il assuma pendant trois
quarts de siècle en laissant, à la décolonisation, un maillage de structures d'enseignement
(universités), de prévention (luttes contre les grandes endémies), de recherche (Instituts
Pasteur), de soins aussi bien en milieu urbain qu'en « brousse », d'approvisionnement
sanitaire. L'activité d'assistance technique et de coopération médicale de la médecine militaire
aux pays en voie de développement reste, pour beaucoup, entachée de son origine historique
et de sa dépendance étatique.

L'actuelle médecine dite « humanitaire » - ce qualificatif n'est-il pas un pléonasme ? -


n'en est pourtant que l'héritière, même si ses structures et ses fondements moraux et juridiques
sont différents.

Toutefois, par ce passé médical ayant laissé jusqu'à récemment une infrastructure
sanitaire dans les pays redevenus indépendants, par leurs motivations précocement acquises
dans les écoles du Service de Santé, par leur formation aussi bien à la pathologie de guerre, de
catastrophe qu'à celle tropicale qui restent parties intégrantes de leur enseignement, par leurs
affectations éventuelles (en coopération technique notamment), par leur « conditionnement »
aux principes de rusticité d'une chirurgie « sous tente », par leur disponibilité matérielle et
mentale, les chirurgiens du Service de Santé « héritiers de la tradition généreuse et
injustement occultée de la médecine coloniale » (l'Express, octobre 1992 : « Les bistouris de
Diên Bien Phu ») sont particulièrement aptes à mener de telles missions. À l'heure actuelle,
nombreux sont les chirurgiens civils qui assument des missions de coopération ou mises en
œuvre par les ONG et interviennent dans les pays défavorisés. Le champ de leur activité
opératoire est celui de la chirurgie générale, très proche de celle qui était pratiquée dans les
pays nantis il y a une vingtaine d'années, mais bien différente de l'exercice spécialisé que
nous connaissons de nos jours. L'information sur les affections rencontrées et les techniques
chirurgicales employées reste peu publiée et enseignée, même dans les modules universitaires
consacrés à l'enseignement de la médecine tropicale, ceux-ci n'englobent pas en effet
l'ensemble du champ de la pathologie à traiter. Les manuels techniques raisonnablement
anciens restent souvent une excellente référence. L'adaptation au matériel disponible et de
plus en plus souvent « standardisé » est un gage d'efficacité et d'économie.

Un dénominateur technique commun : la polyvalence


Toutes les activités menées dans ces conditions d'exercice ont en commun un contenu
et des principes identiques.

Au chirurgien est demandée une compétence de chirurgie générale, concept qui perd
sa réalité dans les pays nantis, et recouvre la chirurgie des lésions balistiques (« Misère et
violence marchent souvent au même pas » D. Gallot), celle des urgences non traumatiques, le

101
traitement des lésions chirurgicales pluridisciplinaires les plus communes (gynécologie,
pédiatrie, ophtalmologie, oto-rhino-laryngologie, stomatologie, etc.). Connaître les
spécificités de la pathologie locale impose une formation de base (diplôme de médecine
tropicale par exemple) et une information préalable à la mission.

L'activité chirurgicale doit répondre à des critères de rusticité, d'efficacité, de «


rentabilité sur le plan humain », d'économie sur le plan du matériel consommable et non
consommable, d'adaptation aux circonstances, aux moyens et aux besoins.

« On ne fait pas, dit Brisgand, de la chirurgie pointue dans un contexte antérieur à


Semmelweis. »

Cette nécessité d'une chirurgie générale, d'urgence, polyvalente voire multi


spécialisée, adaptée et adaptable, pose en elle-même le problème de la formation des cadres
chirurgicaux.

Au devoir d'intervention humanitaire, voire d'ingérence, doit répondre, en miroir, un devoir


de compétence des intervenants. Au problème de l'aide d'urgence, souvent fortement
légitimée et nécessitée par les circonstances, doit répondre le souci, le projet prévu dès les
premiers moments de la conception de la mission, de la pérennisation souvent indispensable
de son activité, de la transformation de locaux sommaires en structures durables, de la
substitution de ses cadres soignants par la formation de relais autochtones, de son
approvisionnement ultérieur, car le premier des impératifs doit rester de sortir de la situation
d'exception.

Situation d'exception et précarités


Toutes les situations d'exception sont sources de chirurgie en situation précaire, qui
doit cependant pouvoir garantir le minimum.

La précarité naît de la disproportion entre les besoins sanitaires et les moyens


disponibles. Ce déséquilibre peut être créé par :

- l'environnement économique défavorable : populations déplacées (exodes, camps de


réfugiés), zones de désertification et de famine, contrées ravagées par les conflits, destruction
des ressources sanitaires ;

- l'environnement humain : sous-qualification technique du personnel, disparition des


cadres médicaux (Cambodge par exemple) ;

- l'environnement naturel : catastrophe naturelle (séisme, sécheresse, inondation, raz-


de-marée, etc.) ou difficultés climatiques d'adaptation des personnels des équipes en mission ;

- la carence des moyens médicaux : pays en voie de développement sans logistique


d'approvisionnement en matériel médical consommable ;

- l'environnement sanitaire défavorable : avec particulière fréquence des


polypathologies (endémies par manque d'hygiène individuelle et collective, écologie
bactérienne et parasitaire particulièrement riche des zones tropicales, sans oublier les troubles
psychologiques, les urgences obstétricales, etc.) ;

102
- parfois également un afflux de pathologie chirurgicale (guerre - catastrophe) à
laquelle s'ajoutent la pathologie chirurgicale d'urgence habituelle et celle spécifique des
régions atteintes (bilharziose, tuberculose, etc.).

Il importe, dans ces contextes de détresse collective et de dénuement, que cette


chirurgie en situation précaire réponde avec des moyens, qui restent suffisants. Le sérieux de
l'organisation tutrice, le statut du chirurgien, sa compétence technique en fonction des
circonstances, ses moyens sont ici mis à l'épreuve.

Conclusion
« L'époque est tragique, écrivait avec un humour noir Guy Lagorce dans une
chronique de l'Express (juin 1992). Certains vont même jusqu'à la qualifier de sérieuse. Le
printemps nous a offert des corruptions, des assassinats, des guerres civiles, des famines, des
massacres de toutes sortes, des pollutions, des feux de forêt, des émeutes et même des morts
dans un stade. Mais l'Homme ne désespère pas de faire mieux. »

La chirurgie en situation d'exception a de beaux jours devant elle.

Former des cadres à la prendre en charge, en prévoir la logistique, faire aboutir un


droit international d'intervention en situation sanitaire d'exception, telles sont les voies qui se
mettent en place et devront réunir des acteurs multiples et complémentaires, nationaux et
internationaux, privés et publics, civils et militaires, universitaires et hommes de terrain,
politiques et intervenants...

103
Anesthésie et réanimation
en situation précaire
I. Anesthésie

J.-P. CARPENTIER

Les catastrophes, naturelles ou non, les conflits armés, les postes isolés ont en
commun une situation de pénurie en matériels, en médicaments et en personnels qui sont à
l'origine d'une adéquation entre les besoins sanitaires du moment et les moyens en matériels
et en personnels disponibles sur place. Avant tout acte opératoire, il faut s'assurer que le
minimum de matériel est disponible et adapter la technique opératoire en fonction du
matériel, des possibilités anesthésiques et des moyens de surveillance et de réanimation.

En situation précaire, ce sont habituellement des équipes chirurgicales complètes qui


interviennent (chirurgiens, anesthésistes-réanimateurs, infirmiers, etc.). Dans certains cas
cependant, le chirurgien peut partir seul, d'où une situation encore plus précaire.

Le premier principe est de recourir autant que possible au personnel médical et


paramédical autochtone, souvent très motivé (médecins anesthésistes-réanimateurs,
infirmiers anesthésistes, infirmiers, etc.). Le deuxième principe est de faire confiance à ce
personnel sur le plan technique, même si leur compétence est variable selon le pays dans
lequel ils ont été formés. Il faut savoir que ce qu'ils savent faire est généralement bien fait. Si
des modifications de protocoles ou d'habitudes s'avèrent nécessaires, le tact et la patience
sont indispensables. Le troisième principe est de connaître quelques techniques anesthé-
siques de base qui permettront à un chirurgien isolé de réaliser un certain nombre d actes
opératoires.

Le quatrième principe est d'avoir au préalable appris ces techniques. La théorie est
nécessaire mais la pratique est indispensable. L'improvisation h est jamais de mise, surtout
dans cette situation de précarité. Les conseils de l'anesthésiste avec lequel vous avez
l'habitude de travailler et quelques exercices pratiques sont particulièrement précieux avant
le départ.

Le cinquième principe est sans doute le plus important. Comme il n'y a pas de petite
chirurgie, il n'y a pas de petite anesthésie. Tous les patients doivent être pris en charge avec
la même rigueur pour garantir la sécurité maximale de l'anesthésie.

Les techniques d’anesthésie sont nombreuses et il a donc fallu faire un choix. Les
anesthésies locales ne seront pas abordées ici. Le choix des méthodes d'anesthésie
locorégionale (ALR) s'est porté sur les techniques qui apparaissent comme les plus fiables,
ont un taux de réussite élevé et présentent le moins de risques potentiels. Dans certains cas,
le recours à l'anesthésie générale s'impose, mais les risques sont plus importants. La
kétamine est un produit maniable qui permet de réaliser des actes opératoires dans de
bonnes conditions de sécurité.

104
Anesthésies locorégionales
Ces techniques offrent de nombreux avantages en situation précaire : simplicité des
méthodes, risques moindres (surtout en cas d'estomac plein), alternative à l'anesthésie
générale. Mais elles ont des contre-indications qu'il faut bien sûr respecter : allergie aux
anesthésiques locaux, épilepsie non contrôlée, troubles de la conduction auriculo-ventriculaire
de haut degré non appareillés, patients instables sur le plan psychique, troubles de l'hémostase
(congénital ou acquis), antécédents neurologiques, porphyries et injections en zone infectée
ou inflammatoire. La pharmacologie et les posologies des anesthésiques locaux sont
rapportées en annexes 1.2, 1.3 et 1.4.

Anesthésie locorégionale du membre supérieur


Les ALR tronculaires (radiales, cubitales, médianes, crurales) permettent, avec des
moyens limités, de réaliser de nombreuses interventions distales. La recherche d'une
paresthésie pour localiser le nerf à bloquer expose à des complications neurologiques, en
pratique plus gênantes que vraiment douloureuses. Les aiguilles à biseau court ont permis de
limiter les lésions des fibres nerveuses. La neurostimulation a pour sa part amélioré la fiabilité
de la localisation du nerf et diminué le risque de séquelles neurologiques. En l'absence de ce
matériel spécifique idéal, il est toujours possible de pratiquer ces techniques, à condition de
respecter rigoureusement les précautions techniques.

Bloc du nerf radial


Ce bloc peut être réalisé pour une intervention sur les téguments de la face postérieure
de l'avant-bras et de la main ou une manipulation limitée dans ce territoire (Fig. 5.1). Il
nécessite souvent un bloc du nerf médian de complément.

Position du patient
Le patient est placé en décubitus dorsal, bras en abduction à 90°, avant-bras tendu,
main en supination complète ou en position indifférente posée sur une table latérale.

Au pli du coude
Le bloc ainsi obtenu est sensitif et moteur (paralysie de la supination de l'avant-bras,
de l'extension de la main et de l'extension des premières phalanges sur les métacarpiens).

Technique
Les repères anatomiques (Fig. 5.2) sont le pli du coude, le tendon du biceps et l'artère
humérale. L'aiguille est introduite à 2 cm du bord externe du tendon du biceps, au niveau du
pli du coude.

Après avoir réalisé un bouton intradermique d'anesthésique local, l'aiguille (Annexe


1.1) est enfoncée perpendiculairement à la peau jusqu'à l'obtention de paresthésies. Si le
contact osseux est obtenu sans avoir de paresthésies, il faut retirer l'aiguille de quelques
millimètres puis, après un test d'aspiration soigneux, injecter 5 à 10 ml de la solution
anesthésique (Annexe 1.4) sans rechercher de paresthésie.

105
Au poignet
Le bloc est ici exclusivement sensitif.

Technique
Les points de repère sont l'apophyse styloïde du radius, la tabatière anatomique et le
pli de flexion dorsale de la main sur l'avant-bras. L'aiguille est introduite sur le bord externe
de l'avant-bras, au-dessus de la tabatière anatomique, à la pointe de l'apophyse styloïde
radiale.

Après avoir repéré la tabatière anatomique par extension du pouce, l'aiguille


(Annexe1.1) est enfoncée à la base de la tabatière, puis dirigée en sous-cutané vers la face
antérieure de l'avant-bras où 3 ml de la solution anesthésique (Annexe 1.4) sont injectés (Fig.
5.3). L'aiguille est alors ramenée jusqu'au point de ponction, sans la sortir, puis dirigée vers la
face postérieure de l'avant-bras où 3 ml de la solution anesthésique sont de nouveau injectés.

106
107
Bloc du nerf médian
Ce bloc est utilisé pour des interventions ou manipulations limitées au territoire d'innervation
du nerf médian (deux dernières phalanges du 2e et 3e doigt, la partie externe du 4e doigt et
presque toute la face palmaire de la main). Le bloc moteur dépend du niveau d'injection (Fig.
5.1).

Position du patient
Le patient est en décubitus dorsal, bras en abduction à 90°, avant-bras en supination complète
posé sur une table latérale.

108
Au-dessus du coude (au 1/3 inférieur du bras)
À ce niveau, le bloc moteur entraîne la perte de la pronation de l'avant-bras, de la flexion de
la main et de l'adduction du pouce.

Technique
Les points de repère (Fig. 5.4) sont le tendon du biceps, le bord inférieur du biceps, l'artère
humérale et le pli du coude. Le point de ponction se situe au bord interne du biceps, 2 à 3
travers de doigt au-dessus du pli du coude, l'artère humérale étant en dedans. Après avoir
réalisé un bouton intradermique d'anesthésique local, l'artère humérale est refoulée en arrière
sous un doigt. L'aiguille (Annexe 1.1) est enfoncée perpendiculairement à la peau au-dessus
de l'artère jusqu'à l'obtention de paresthésies (Fig. 5.5). Cinq à 10 ml de la solution
anesthésique sont injectés (Annexe 1.4).

Au poignet
À ce niveau, le bloc moteur se limite à la seule motricité du pouce.

Technique
Les points de repère (Fig.5.6) sont le tendon du grand, palmaire en dehors, le tendon
du petit palmaire en dedans et la ligne circulaire passant par la styloïde radiale et la styloïde

109
cubitale. Le point de ponction (Fig. 5.7) se situe entre les tendons du petit et du grand
palmaire, sur la ligne circulaire passant par la styloïde radiale et la styloïde cubitale.

Les tendons palmaires sont repérés en demandant au patient de fléchir la main contre
une résistance. Après avoir réalisé un bouton intradermique d'anesthésique local, l'aiguille
(Annexe 1.1) est enfoncée perpendiculairement entre ces deux tendons, sur une profondeur de
1 à 2 cm, à la recherche de paresthésies. Cinq millilitres de la solution anesthésique sont
injectés (Annexe 1.4).

Bloc du nerf cubital


Le bloc du nerf cubital fait apparaître la caractéristique « griffe cubitale » et une
paralysie de l'adduction et de l'abduction des doigts. Il permet la réalisation d'interventions sur
le 5e doigt et le bord cubital de la main (Fig. 5.1).

110
Au coude

Position du patient
Le patient est placé en décubitus dorsal, bras surélevé et en abduction à 90°, avant-
bras fléchi en pronation, main sur le front.

Technique
Les points de repère (Fig. 5.8) sont l'épitrochlée, la tête olécrânienne délimitant la
gouttière épitrochléo-olécrânienne et le tendon du triceps brachial. Le point de ponction (Fig.
5.9) se situe au-dessus de la gouttière épitrochléo-olécrânienne. Le nerf cubital, que l'on sent
rouler sous les doigts, est repéré dans la gouttière épitrochléo-olé-crânienne. Après avoir
réalisé un bouton intradermique d'anesthésique local, l'aiguille (Annexe 1.1) tenue comme
une fléchette est enfoncée perpendiculairement à la peau sur quelques millimètres. Le
déclenchement d'une paresthésie irradiant vers le 5e doigt et le bord cubital est habituel. Si le

111
contact osseux est obtenu sans paresthésies, il faut retirer l'aiguille de quelques millimètres
puis, après un test d'aspiration soigneux, injecter 5 ml de la solution anesthésique (Annexe
1.4) sans rechercher de paresthésies.

Au poignet

Position du patient
Le patient est en décubitus dorsal, bras en abduction à 90°, avant-bras et main en
supination complète sur une table latérale.

Technique
Les points de repère (Fig. 5.10) sont le tendon du cubital antérieur avec le pisiforme,
l'artère cubitale et la ligne circulaire passant par la styloïde radiale et la styloïde cubitale. Le
point de ponction (Fig. 5.11) se situe au milieu de la gouttière formée par le tendon du cubital

112
antérieur en dedans et l'artère cubitale en dehors, sur la ligne circulaire passant par la styloïde
radiale et la styloïde cubitale.

Le tendon du cubital antérieur est facilement repéré en demandant au patient de fléchir


la main contre résistance. Après avoir réalisé un bouton intradermique d'anesthésique local,
l'aiguille (Annexe 1.1) tenue comme une fléchette est enfoncée perpendiculairement contre le
tendon du cubital antérieur sur une profondeur de 1 cm maximum, jusqu'à l'obtention de
paresthésies. Cinq millilitres de la solution anesthésique sont injectés (Annexe 1.4).

Bloc du nerf musculo-cutané


Le bloc du nerf musculo-cutané est rarement utilisé seul. En revanche, il complète
souvent un bloc du plexus brachial par voie axillaire (Fig. 5.1).

Position du patient
Le patient est en décubitus dorsal, bras en abduction, coude en extension et main en
supination complète reposant sur une table latérale. L'opérateur fait face au patient.

Technique
Les points de repère (Fig. 5.12) sont le tendon du biceps, l'artère humérale, les veines
médiane céphalique et médiane basilique, et le pli du coude. Le point de ponction se situe 2
cm en dehors de l'intersection entre le bord externe du tendon du biceps et le pli du coude.
Après introduction, l'aiguille (Annexe 1.1) est dirigée vers le bord externe de l'avant-bras.
Cinq millilitres de la solution anesthésique sont injectés (Annexe 1.4).

Bloc du plexus brachial par voie axillaire (selon Eriksson)


Ce bloc, réalisé au niveau des principales branches terminales du plexus brachial au
niveau du creux axillaire, permet toutes les interventions sur la main, l'avant-bras et le 1/3
inférieur du bras (Fig. 5.1). La durée du bloc est de 2 h à 2 h 30. Cette technique, simple et
fiable, ne fait pas courir le risque de pneumothorax (contrairement au bloc sus-claviculaire),
ni celui d'injection de la solution anesthésique dans le liquide céphalorachidien (comme dans
le bloc interscalénique). Un syndrome de Claude Bernard-Horner est fréquent et transitoire.

113
Position du patient
Le patient est en décubitus dorsal, tête surélevée ou non par un oreiller, bras et avant-
bras en abduction à 90° pour faire saillir le grand pectoral et dégager au maximum le creux
axillaire, coude fléchi à 90° et dos de la main à plat.

Technique
Les points de repère sont le biceps, le bord inférieur du grand pectoral et l'artère
axillaire sous le grand pectoral (Fig. 5.13).

114
Le point de ponction se situe dans la pyramide axillaire, aussi loin que les battements
de l'artère axillaire peuvent être perçus. Un garrot modérément serré est placé au niveau du
1/3 moyen-1/3 supérieur du bras, destiné à limiter la diffusion distale de la solution
anesthésique et à favoriser sa diffusion vers le haut pour imprégner le nerf musculo-cutané.
En se plaçant dans l'angle du bras, l'artère axillaire est repérée et gardée sous les doigts.
L'aiguille (Annexe 1.1), tenue comme une fléchette, est enfoncée en avant de l'artère au
contact des doigts. Elle est dirigée avec un angle de 10 à 20° par rapport au plan passant par
l'artère, sur une distance de 20 à 25 mm jusqu'à la sensation d'un crissement caractéristique
mais inconstant, qui signe la pénétration dans la gaine. Quand la pointe de l'aiguille est dans
la gaine, elle bat de façon synchrone avec le pouls axillaire. Trente-cinq à quarante millilitres
de la solution anesthésique (Annexe 1.4) sont injectés lentement après un test d'aspiration
rigoureux. L'interposition d'une tubulure entre l'aiguille et la seringue de 50 ml facilite les
manipulations. Le bras est ensuite ramené le long du corps, jusqu'à l'installation de
l'anesthésie qui demande un délai de 15 à 20 min.

Deux variantes techniques peuvent être proposées. L'une consiste à injecter la moitié
de la solution anesthésique en avant de l'artère, et l'autre en arrière. Après la première
injection, l'aiguille est retirée jusqu'au point de ponction sans être sortie et ensuite dirigée
avec un angle de 10 à 20° par rapport au plan passant par l'artère, vers le bord postérieur de
l'artère. Le reste de la solution anesthésique est injecté après un test d'aspiration. L'autre
technique consiste à utiliser l'artère comme repère. Deux tiers de la solution anesthésique sont
injectés en dehors de l'artère après avoir transfixié celle-ci. Un test d'aspiration rigoureux est
ici primordial avant d'injecter la solution anesthésique. Ensuite, l'aiguille est retirée lentement

115
et le reste de la solution anesthésique est injecté après être sorti de l'artère, c'est-à-dire en
dedans de celle-ci. Les tests d'aspiration sont ici primordiaux, puisqu'ils permettent de suivre
le trajet de l'aiguille de part et d'autre de l'artère.

Anesthésie locorégionale intraveineuse (ALRIV)


Cette technique consiste à injecter par voie intraveineuse une solution anesthésique
dans un segment de membre vidé de son sang et isolé de la circulation générale par un garrot
artériel simple ou double. Cette technique est simple, fiable et rapidement réversible après le
lâcher du garrot. En raison de l'interruption de la vascularisation du membre, l'acte chirurgical
ne peut dépasser 90 min, l'hémostase est plus difficile à contrôler, et il y a risque de surdosage
en anesthésique local par lâchage intempestif du garrot.

Position du patient
Le patient est placé en décubitus dorsal, bras en extension posé sur une table latérale.

116
Technique
Un cathéter veineux est mis en place en position la plus distale possible sur le membre
à opérer (Fig. 5.14a). Il est préférable d'utiliser un petit cathéter souple, mieux adapté aux
manipulations ultérieures et de le fixer solidement (Annexe 1.1).

Technique avec un seul garrot pneumatique. Le membre supérieur est placé


verticalement, main dirigée vers le plafond (au zénith), pendant environ 15 min pour vider en
partie le secteur veineux (Fig. 5.14b). Une bande d'Esmarch est enroulée, moyennement
serrée, des doigts jusqu'à la racine du membre. Les deux ou trois derniers tours sont fortement
serrés à la partie proximale du bras pour réaliser un garrot artériel et un clamp est mis en
place pour maintenir ce garrot (Fig. 5.14c). La bande d'Esmarch est ensuite déroulée en
commençant par les doigts. Seuls sont conservés les derniers tours de la bande qui font garrot
(Fig. 5.14d). L'injection de la solution anesthésique est alors pratiquée (Annexe 1.4). Après 5
à 6 min nécessaires à l'installation de l'anesthésie, un garrot pneumatique est placé juste en-
dessous de la bande d'Esmarch, en zone anesthésiée, puis à une pression assurant un garrot
artériel (350 à 400 mmHg) (Fig. 5.14e). Il est alors possible d'ôter la bande d'Esmarch et de
retirer le cathéter avant le début de l'acte opératoire (Fig. 5.14f).

Technique avec deux garrots pneumatiques. Le membre supérieur est placé


verticalement, main dirigée vers le plafond, pendant environ 5 min pour vider en partie le
secteur veineux. Les deux garrots sont mis en place l'un en-dessous de l'autre, le plus haut
possible sur le bras, puis une bande d'Esmarch est enroulée, moyennement serrée, des doigts
jusqu'à la racine du membre. Le garrot proximal est alors gonflé (350 à 400 mmHg). Il est
alors possible d'ôter la bande d'Esmarch et de retirer le cathéter avant le début de l'acte
opératoire. Après 5 à 6 min d'attente, le garrot pneumatique distal, situé en zone anesthésiée,
est gonflé. Après contrôle de son efficacité, on peut dégonfler le garrot proximal.
En fin d'intervention, le garrot ne peut être dégonflé que 45 min après l'injection de la
solution anesthésique. Pour éviter les effets d'un relargage rapide de l'anesthésique, le lâcher
du garrot doit être progressif et sous surveillance (Annexe 2.1).

Anesthésie locorégionale du membre inférieur

Bloc du nerf crural et bloc « 3 en 1 » du plexus lombaire selon Winnie

Le bloc du nerf crural seul par voie antérieure est utilisé pour la chirurgie de la région
antéro-interne de la cuisse et surtout pour l'analgésie des patients souffrant de fracture de la
diaphyse fémorale. C'est une technique simple, fiable, qui ne nécessite pas la recherche de
paresthésies. Le bloc « 3 en 1 » combine les blocs des nerfs crural, obturateur et fémoro-
cutané, et permet des interventions sur l'ensemble du membre inférieur. La réussite de cette
technique est plus aléatoire (Fig. 5.15).

Position du patient
Le patient est placé en décubitus dorsal, membre inférieur en position indifférente ou
en légère rotation externe.

Technique
Les points de repère (Fig. 5.16) sont l'arcade crurale et l'artère fémorale. Le point
d'injection est situé à 1 cm en dehors de l'artère fémorale, de 1 à 2 cm en dessous de l'arcade

117
crurale. L'aiguille (Annexe 1.1) est enfoncée de 2 à 4 cm sous un angle de 60° vers le haut. La
recherche de paresthésies n'est pas utile. Après un test d'aspiration, 15 ml de la solution
anesthésique (Annexe 1.4) pour un bloc crural simple ou 30 ml pour un bloc « 3 en 1 » sont
injectés en maintenant avec le doigt une forte pression sous le point d'injection, afin de forcer
la progression de l'anesthésique vers le haut.

Anesthésie locorégionale intraveineuse (ALRIV).

Cette technique est similaire à celle décrite pour le membre supérieur (voir plus haut)
et peut être utilisée pour des interventions chirurgicales de moins de 90 min. Il est possible de
réaliser une ALRIV de la cheville et du pied avec un garrot placé au niveau du mollet, à
condition de positionner ce garrot 5 cm en dessous de la tête du péroné pour ne pas
comprimer le nerf sciatique poplité externe. Le volume de la solution anesthésique à injecter
est le même que pour le membre supérieur.

Dans certains cas le garrot peut être placé juste au-dessus du genou. Le volume de la
solution anesthésique nécessaire doit être augmenté de 25 à 50 % suivant la morphologie du
patient. Le risque toxique par lâchage intempestif du garrot est plus important. Cette
technique n'est donc pas souhaitable.

118
Rachianesthésie
La rachianesthésie est une technique d'anesthésie régionale qui consiste à bloquer les
nerfs rachidiens par injection d'une solution anesthésique dans l'espace sous-arachnoïdien,
c'est-à-dire dans le liquide céphalorachidien.

La rachianesthésie est une technique simple de réalisation, d'installation rapide avec


un taux d'échec quasi nul, et qui permet le maintien de la vigilance. Elle est surtout indiquée
pour les interventions qui ne nécessitent pas un blocage sensitif supérieur à D8, l'urgence,
l'estomac plein, ainsi que pour l'allergique, l'asthmatique, l'insuffisant respiratoire, le
coronarien et le diabétique.

Attention
Le niveau D8 ne permet pas de réaliser toutes les interventions intra-abdominales
(Rappels anatomiques 1, 2 et 3) et ne protège pas le patient de l'agression chirurgicale.

La rachianesthésie procure un relâchement musculaire abdominal de moins bonne


qualité que les curares (Rappel anatomique 4).

La technique chirurgicale doit être adaptée à cette contrainte.

Il ne faut pas, par exemple, éviscérer pour une cure de hernie inguinale, utiliser des
écarteurs traumatisants et bourrer l'abdomen de champs pour mieux s'exposer.

Bases physiologiques
L'installation du bloc rachidien se fait de façon progressive. Le bloc sympathique
(fibres B) est le premier à apparaître et le dernier à disparaître. C'est le bloc le plus étendu et
sa durée est variable. Le bloc sensitif s'installe chronologiquement selon les fibres (fibres C et
A δ , Aγ puis A β). Le bloc moteur est le dernier à apparaître et le premier à disparaître.

119
Ces différents blocs n'atteignent pas le même niveau. Par rapport au niveau sensitif
qui peut être repéré cliniquement, le bloc sympathique remonte de 4 à 6 métamères au-dessus
et le bloc moteur reste 2 métamères en dessous.

L'installation du bloc rachidien entraîne une vasoplégie importante artérielle


(hypotension artérielle), capillaire (diminution du saignement) et veineuse (diminution du
retour veineux avec bradycardie). C'est principalement l'hypotension qui explique les troubles
de la conscience par diminution du débit sanguin cérébral. Au niveau respiratoire, la
diminution de l'efficacité de la toux est modérée tant que le bloc n'atteint pas un niveau trop
élevé (D6). La libération du tonus vagal entraîne une augmentation du péristaltisme et des
sécrétions qui peuvent être à l'origine de nausées et de vomissements. La rétention d'urine est
une conséquence fâcheuse mais transitoire jusqu'à la disparition du bloc sympathique.

Bases anatomiques
Le rachis présente trois courbures physiologiques : une lordose cervicale, une cyphose
dorsale et une lordose lombaire (Rappel anatomique 4). Ces courbures ont deux
conséquences. Au niveau dorsal les épineuses sont verticalisées, alors qu'elles sont
pratiquement horizontales au niveau lombaire (ponction perpendiculaire à la peau). En
décubitus dorsal, D5 est le niveau le plus bas et L4 le niveau le plus haut. Le risque de
migration dorsale des solutions hyperbares est donc important après une injection au niveau
lombaire, lorsque le sujet est allongé sur le dos.

Du fait d'une croissance inégale entre le rachis et la moelle épinière, le cône terminal
de la moelle se situe au niveau de Ll. Au niveau de L2, il n'y a que les fibres de la queue de
cheval. Une ponction à ce niveau ne risque pas de léser la moelle.

La vascularisation des régions médullaire et périmédullaire est tout particulièrement


importante. Le risque d'effraction vasculaire au moment de la ponction est majeur.
Cependant, il existe sur la face postérieure, au niveau médian, une véritable « ligne blanche »
qui permet d'aborder la région sous-arachnoïdienne avec un risque minime de lésion
vasculaire.

Contre-indications

Contre-indications formelles
Cette technique ne peut être utilisée que pour des actes opératoires dont le niveau ne
dépasse pas D8 (retentissement hémodynamique et respiratoire) et dont la durée n'excède pas
2 h (inconfort du patient). Une hypovolémie, un collapsus voire un état de choc doivent être
recherchés et corrigés avant d'envisager une rachianesthésie. Les autres contre-indications
sont les cardiopathies évoluées et sévères, les troubles de l'hémostase congénitaux ou acquis
et les infections locales (point d'injection) et généralisées.

Contre-indications relatives
Le refus du patient et l'absence de coopération interdisent a priori toute anesthésie
locorégionale. Des explications convaincantes et un peu de patience permettent souvent de
contourner ce problème. Une affection neurologique, une hypertension intracrânienne, des
migraines sévères sont des contre-indications habituelles. Les déformations rachidiennes

120
compliquent la recherche des points de repère, la ponction elle-même et rendent aléatoires
l'installation et le niveau final du bloc.

Choix du matériel et de la solution anesthésique


Les aiguilles à ponction lombaire peuvent être utilisées, mais leur diamètre important
favorise l'apparition de céphalées postrachianesthésie. Il existe des aiguilles spécifiques pour
rachianesthésie, stériles, à usage unique de petit calibre (22-25 Gauge). Les plus fines sont
munies d'un mandrin interne et d'un introducteur (19 Gauge) qui permettent de rigidifier
l'aiguille et de faciliter son introduction (Annexe 1.1). L'extrémité est soit en biseau court, soit
conique pour limiter le risque de traumatisme vasculaire et nerveux.

Les anesthésiques locaux utilisés en rachianesthésie sont hyperbares (de densité


supérieure à celle du liquide céphalorachidien). Les principaux produits disponibles et leur
utilisation sont rapportés en annexes 1.2, 1.3 et 1.4.

Réalisation d'une rachianesthésie

Installation du patient
La position assise sur le bord de la table d'opération, les jambes reposant sur un
escabeau, le torse fléchi au maximum sur un coussin placé au niveau de l'abdomen, est la plus
confortable pour le patient. Elle facilite le repérage osseux et la ponction lombaire en écartant
les apophyses épineuses.

En décubitus latéral, le repérage osseux est plus difficile. De plus, en cas de fracture
du membre inférieur, il faut coucher le patient sur le côté lésé (afin de latéraliser autant que
possible le bloc du côté de la lésion avec les solutions hyperbares), ce qui n'est pas toujours
facile.

Point de ponction
Le niveau de ponction se situe entre L2 et SI (Rappel anatomique 5). Les espaces les
plus accessibles sont L2-L3 et L3-L4. Le repère principal est la ligne reliant les crêtes iliaques
qui passe par L4-L5. La voie doit d'abord être strictement médiane (ligne blanche vasculaire).

Ponction lombaire
La ponction doit se faire avec une asepsie chirurgicale (désinfection de la région,
utilisation de gants stériles et d'un champ troué pour isoler la région).

Après repérage du point de ponction, une anesthésie locale peut être réalisée avec 2 à
3 ml de lidocaïne à 1 % (Annexes 1.2 et 1.4). L'introducteur est mis en place juste sous
l'épineuse supérieure, sur la ligne médiane, en se dirigeant perpendiculairement à la peau, et
enfoncé sur une profondeur de 3 à 4 cm (Fig. 5.17). L'aiguille et son mandrin sont glissés à
l'intérieur de l'introducteur qui sert de guide. Le liquide céphalorachidien reflue après le
franchissement du ligament jaune (que l'on perçoit par une résistance à l'introduction) et le
retrait du mandrin. Une fois en place, l'aiguille est tenue fermement pour éviter tout
déplacement intempestif et doit être verrouillée à la seringue. La solution anesthésique est
injectée après un test d'aspiration qui confirme la bonne position de l'aiguille (reflux de
liquide céphalorachidien) et élimine une effraction vasculaire (reflux de sang). L'aiguille et
l'introducteur sont alors retirés et le site de ponction est recouvert d'un pansement.

121
Installation du bloc rachidien
La position du patient joue ici un rôle important. Avec les solutions hyper-bares,
l'anesthésie va s'installer dans les zones déclives. En décubitus dorsal, la solution
anesthésique aura tendance à diffuser de L4 (point le plus haut) vers D5 (point le plus bas)
(Fig. 5.18a). La position proclive avec un coussin sous la tête, qui modifie la courbure dorso-
lombaire, permet de limiter l'extension du bloc et surtout d'en contrôler l'évolution (Fig.
5.18b). La position doit cependant être adaptée à la morphologie du patient (déformation du
rachis, sexe). Une anesthésie en selle est obtenue si le patient est laissé quelques minutes en
position assise après l'injection de la solution anesthésique. La position de Trendelenburg est
dangereuse (Fig. 5.18c). L'ascension du bloc augmente l'étendue de la vasoplégie
(hypotension artérielle) et fait courir le risque de perturbation de la ventilation par blocage
des muscles respiratoires (intercostaux, diaphragme).

La surveillance doit être particulièrement attentive pendant les 30 min qui suivent
l'injection de la solution anesthésique. Le niveau supérieur de l'analgésie est déterminé par le
test de la piqûre ou la disparition de la sensation de froid (Rappel anatomique 6).
L'importance du bloc sympathique est évaluée sur la pression artérielle, la fréquence
cardiaque et le niveau de conscience.

122
Incidents et complications au cours de la rachianesthésie
Le repérage et la ponction peuvent être difficiles et laborieux. L'apparition de
paresthésies doit faire modifier la position de l'aiguille (plus médiane) ou changer d'espace.
Si, lors du test d'aspiration, il apparaît un reflux sanguin qui se tarit rapidement pour laisser
place à du liquide céphalorachidien, la solution anesthésique peut être injectée. Si le
saignement persiste il faut changer d'espace. Au moment de la ponction lombaire, les
réactions vagales sont fréquentes et peuvent être prévenues par l'administration de 0,5 à 0,75
mg d'atropine (Annexe 1.6).

Suivant l'extension du bloc sympathique et la sensibilité du patient, il faut craindre


tout particulièrement dans les 30 min qui suivent l'injection une hypotension artérielle
(vasoplégie), associée à une bradycardie (diminution du retour veineux) (Annexe 2.4).

La surveillance doit se poursuivre tout le long de l'intervention. Il faut garder le


contact avec le patient, converser avec lui et pouvoir l'observer pour apprécier ses réactions

123
aux différents temps opératoires (limiter les champs entre le côté chirurgical et le côté
anesthésique).

Des bâillements, une somnolence, des nausées sont les premiers signes d'une
hypotension artérielle avec hypoperfusion cérébrale.

En fin d'intervention, le bloc sympathique va persister après la récupération motrice et


sensitive, et la mobilisation doit être prudente (hypotension avec désamorçage cardiaque)
ainsi que la surveillance maintenue. Il faut évoquer une rétention d'urine devant toute
agitation non expliquée et la confirmer en recherchant un globe vésical. Un sondage vésical
permettra de soulager le patient. Cette rétention est transitoire et il est inutile de laisser la
sonde en place.

Les céphalées postrachianesthésie sont moins fréquentes si on utilise des aiguilles de


petit diamètre, et elles sont différemment ressenties par les patients (sexe, race). Elles ne
s'observent pas avant l'âge de 10 ans et chez les sujets âgés. Elles apparaissent 24 à 48 h après
la ponction. De localisation fronto-orbitaire ou occipitale, elles sont majorées en position
debout et atténuées en décubitus dorsal. Des troubles visuels et auditifs les accompagnent
parfois. Le diagnostic différentiel est souvent difficile avec des migraines, une méningite
post-ponction, une hémorragie méningée, mais le contexte est très évocateur. Le traitement
est symptomatique, associant le décubitus strict pendant 48 à 72 h, une hydratation importante
(3000 ml/j minimum) et des antalgiques.

Anesthésie générale
L'anesthésie générale, contrairement à l'anesthésie locorégionale, permet de réaliser
tous les types d'intervention. Elle entraîne une perte de la conscience et habituellement de la
vigilance, fait courir le risque d'obstruction des voies aériennes supérieures (chute de la
langue en arrière, sécrétions) et fait disparaître les réflexes de protection des voies aériennes
(risque de régurgitation, d'inhalation de liquide gastrique). Ces inconvénients justifient
souvent le recours aux moyens de conservation de la liberté des voies aériennes supérieures.
Par ailleurs, de nombreux anesthésiques généraux dépriment la ventilation, justifiant une
assistance ventilatoire (Annexes 3.1, 3.2 et 3.5). En situation précaire, il faut préférer une
anesthésie générale qui préserve la liberté des voies aériennes supérieures et conserve une
ventilation spontanée efficace. La kétamine répond le mieux à ces impératifs, à condition d'en
respecter les posologies et d'avoir un peu de pratique anesthésique. Plus que les doses, c'est la
façon d'administrer ce produit qui est importante (Annexes 3.4 et 3.6).

Pharmacodynamie de la kétamine (Annexe 1.5)


La kétamine (Kétalar®) est un narco-analgésique qui procure une anesthésie dite «
dissociative ». Cette anesthésie est caractérisée par une « déconnexion » plutôt qu'un
endormissement. Les yeux restent ouverts et humides avec parfois un nystagmus, la bouche
est entrouverte, il existe des mouvements des extrémités et les masséters sont toniques,
évitant la chute du maxillaire inférieur et de la langue en arrière (liberté des voies aériennes
préservée). La période de réveil est souvent perturbée par des hallucinations, une
désorientation temporo-spatiale, une diplopie transitoire, une élocution difficile, des crises de
pleurs ou de rires et parfois par une agitation psychomotrice importante, qui durent entre 30
min et 1 h. Les autres effets pharmacologiques de la kétamine sont essentiellement : un
renforcement du tonus musculaire, un effet cholinergique qui se traduit par une

124
hypersialorrhée, un larmoiement et un risque de laryngo- ou de bronchospasme (Annexes 2.2
et 2.3). La ventilation spontanée reste efficace, à condition de ne pas injecter trop rapidement
des doses trop élevées. Enfin, elle exerce un effet stimulant cardio-vasculaire, avec
augmentation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle.

Voies d'administration et posologie de la kétamine


La kétamine peut être administrée par plusieurs voies, ce qui fait tout son intérêt et
son originalité. Cependant, pour limiter ses inconvénients (hypersialorrhée, hallucinations et
agitation du réveil), il faut lui associer en prémédication ou en per-anesthésique un
vagolytique, l'atropine (Annexe 1.6) et un sédatif, le diazépam (Annexe 1.7).

Voie intraveineuse (IV)


La kétamine peut être administrée par voie IV en bolus itératifs ou en perfusion
continue.

Injections itératives
- induction : 2 à 4 mg/kg
2 mg/kg - 8 min d'anesthésie
3 mg/kg =12 min d'anesthésie
4 mg/kg = 20 min d'anesthésie
- entretien :
la moitié de la dose d'induction
l/5e de la dose initiale toutes les 5 ou 6 min ou 1 mg/kg en fonction des signes de
réveil et de la durée de l'intervention.

Perfusions
- à la concentration de 1 mg/ml (250 mg dans un flacon de 250 ml de sérum glucose à
5 % ou 500 mg dans un flacon de 500 ml de sérum glucose à 5 %)
- induction ; à un débit de 0,12 mg/kg/min jusqu'à la posologie nécessaire en fonction
du poids
- entretien : 0,08 mg/kg/min.

Voie intramusculaire (IM)


Une injection IM de 8 à 12 mg/kg de kétamine induit une anesthésie de 15 à 30 min.
Pour une intervention de durée supérieure, l'entretien peut être fait par voie IV aux posologies
habituelles.

Voie intrarectale (IR)


Les doses préconisées de kétamine sont de 8 à 10 mg/kg, permettant un geste de
courte durée (15 à 20 min). L'administration se fait à l'aide d'une canule spécifique ou d'une
sonde d'aspiration bronchique 14 CH, coupée à 20 cm de son extrémité distale, introduite sur
3 à 5 cm dans le rectum. Une seringue, contenant juste la dose prescrite pour éviter toute
erreur, et 2 à 3 ml d'air, est adaptée sur la sonde et maintenue verticalement pendant
l'injection, de façon à injecter d'abord la kétamine, puis de purger la sonde avec l'air. Ensuite
la sonde est clampée et laissée en place quelques minutes pour éviter toute évacuation
intempestive.

Indications

125
Chez l'enfant, la kétamine rend de nombreux services du fait de son utilisation IM
toujours possible et IR moins traumatisante. Une injection IM initiale laisse le temps de
mettre en place une voie veineuse périphérique ou jugulaire externe fiable sans « se battre »
avec l'enfant. Du fait de sa bonne tolérance cardio-respiratoire, la kétamine est intéressante
chez le sujet âgé, le choqué et l'asthmatique.

En chirurgie, utilisée seule, c'est-à-dire sans analgésique de type morphinique et sans


curare, la kétamine ne permet de réaliser que des gestes de chirurgie de surface : parages de
plaies, greffes de peau, pansements de brûlés. En obstétrique, elle permet de réaliser des
extractions difficiles et dans certains cas des césariennes, à condition de diminuer les doses de
25 % pour éviter la dépression respiratoire du nouveau-né.

Contre-indications
La kétamine est classiquement contre-indiquée en cas de maladie psychiatrique,
d'épilepsie, d'éthylisme, d'hypertension artérielle, de thyréotoxicose, d'insuffisance
coronarienne, d'insuffisance cardiaque, d'hypertension intracrânienne (traumatisme crânien ou
non), de plaie du globe oculaire ou d'hypertension intraoculaire.

Complications
L'hypersialorrhée peut entraîner un spasme laryngé (Annexe 2.2) par stimulation
mécanique pharyngo-laryngée. Il faut éviter au maximum de mobiliser la tête au cours de
l'anesthésie pour limiter ce risque. La mise en place d'une canule de type Guedel est non
seulement inutile (tonus des masséters conservé) mais dangereuse.

Les rashes cutanés d'origine anaphylactoïde sont rares. Les nausées et les
vomissements sont fréquents mais ne surviennent qu'après la récupération des réflexes
pharyngo-laryngés. Les accès hypertensifs ne surviennent qu'avec des doses élevées injectées
rapidement, surtout chez l'hypertendu mal équilibré.

Impératifs à respecter avant toute anesthésie

Période pré-anesthésique

Consultation pré-anesthésique
Avant toute anesthésie, une consultation est impérative pour évaluer le risque
anesthésique en tenant compte du terrain et de l'acte opératoire. Elle comporte un
interrogatoire (antécédents, pathologie en cours, traitements) et un examen clinique. Les
constatations de cette consultation doivent être consignées par écrit. La demande d'examens
complémentaires n'a rien d'obligatoire, mais doit être guidée par les résultats de la
consultation (facteur de risque particulier) et par les répercussions prévisibles de l'acte
opératoire (hémorragie, néphrectomie). En situation précaire, les possibilités d'examens
complémentaires sont cependant réduites, voire inexistantes. Cependant, si on envisage une
anesthésie locorégionale, il faut pouvoir contrôler l'hémostase. La mesure du taux de
prothrombine, du temps de céphaline activée, nécessite un appareillage spécifique pas
toujours disponible. À l'inverse, le compte des plaquettes et le temps de saignement au lobe
de l'oreille sont des techniques de dépistage faciles à réaliser. Ensuite, il faut déterminer
quelle technique anesthésique choisir en fonction du type d'intervention et du site opératoire

126
(Tab. 5.1). Il faut bien évidemment rechercher et respecter les contre-indications de chaque
technique.

Site opératoire Niveau supérieur de l'anesthésie

Membre inférieur (extrémité inférieure) D12


Hanche D10
Vagin, utérus D10
Vessie, prostate D10
Membre inférieur (extrémité inférieure + garrot) D8
Testicules, ovaires D8
Région sous-mésocolique D6
Région sus-mésocolique D4
Césarienne D4
Thorax Dl

Tableau 5.1 : Niveau d'anesthésie à atteindre en fonction de l'intervention à réaliser.


Toute intervention dont le niveau d'anesthésie nécessaire est supérieur à D8 présente un
risque potentiel important d'hypotension artérielle.

Préparation et prémédication
Avant toute anesthésie, il faut rechercher et corriger une anémie, une hypovolémie, un
collapsus (voir Réanimation hémodynamique).

II faut que le patient soit à jeun depuis au moins 6 h pour limiter les vomissements et les
régurgitations, facteurs d'inhalation bronchique. Chez l'enfant, face au risque de
déshydratation, surtout en ambiance chaude, cette règle des 6 h de jeûne peut être
transgressée, à condition de n'administrer que des liquides clairs (eau salée ou sucrée). Dans
le cadre de l'urgence, le risque d'inhalation est majeur. Il faut alors autant que possible
préférer une anesthésie locorégionale, qui préserve la conscience et les réflexes pharyngo-
laryngés. Si une anesthésie générale s'impose, le contrôle des voies aériennes supérieures par
intubation endotrachéale est impératif.

La prémédication a pour but de diminuer l'anxiété du patient, d'améliorer son confort,


de limiter les sécrétions salivaires, bronchiques et digestives, et de diminuer l'activité vagale
cardiaque. Elle associe un sédatif, le diazépam (Annexe 1.7) ou l'hydroxyzine, et un
vagolytique, l'atropine (Annexe 1.6 et Tab. 5.2).

127
Période per-opératoire.

Préparation de la salle.
Il faut pouvoir immédiatement disposer en salle du matériel permettant d'assurer une
oxygénation efficace (Annexes 1.8 et 3.3), une assistance ventilatoire (Annexe 3.4) et dans
certains cas une ventilation artificielle (Annexe 3.6) après intubation orotrachéale (Annexe
3.5) et des médicaments de réanimation de base (Annexe 1.1) pour prendre en charge une
éventuelle complication per-anesthésique (Annexe 2).

Mise en condition du patient et surveillance.

Au moins un abord veineux périphérique de bon calibre (18 Gauge) est impératif,
pour injecter si nécessaire différents produits anesthésiques ou de réanimation. Avant une
rachianesthésie, il faut chez l'adulte assurer un remplissage vasculaire de 750 à 1 000 ml de
Ringer-lactate ou de gélatines fluides modifiées pour prévenir les conséquences de la
vasodilatation (hypotension artérielle, bradycardie) (Annexe 2.4).

Pour compléter la mise en condition et la surveillance des patients, un « monitorage »


doit être mis en place. Monitorage ne signifie pas obligatoirement appareillage sophistiqué.
La surveillance peut n'être que clinique : prise du pouls, compte de la fréquence cardiaque,
mesure de la pression artérielle avec un tensiomètre et un stéthoscope, évaluation du niveau
de conscience par la conversation et la réponse à des ordres simples. Les éléments de cette
surveillance per-anesthésique doivent être consignés sur une feuille de surveillance. Pour
améliorer la prise en charge per-anesthésique, deux appareils sont cependant particulièrement
importants : un scope-graphe-défibrillateur qui permet de visualiser le tracé de
l'électrocardiogramme (trouble du rythme ou de la conduction) et de disposer en permanence
de la fréquence cardiaque (bradycardie) ; un oxymètre de pouls pour apprécier l'efficacité de

128
la ventilation et de l'oxygénation grâce à la mesure permanente de la saturation de
l'hémoglobine en oxygène par voie percutanée (SpO2).

Période post-opératoire

La récupération d'une anesthésie peut être émaillée de diverses complications. La


phase de réveil d'une anesthésie générale avec la kétamine se caractérise souvent par des
hallucinations et une agitation. Lors du lâcher du garrot après une ALRIV on court le risque
de surdosage en anesthésique local.

La surveillance doit donc rester tout aussi attentive qu'en per-opératoire. Elle doit
durer au moins 2 h, dans une salle spécialement aménagée et non pas dans un lit
d'hospitalisation. La sortie de cette salle dite « de surveillance post-interventionnelle ou de
réveil » ne doit être autorisée qu'après récupération des grandes fonctions (en particulier
hémodynamiques et respiratoires), prise en charge de la douleur et mise en route d'une
réanimation hydroélectrolytique (voir plus loin la partie Réanimation).

129
II. Bases de la réanimation.

M. AUBERT

Le chirurgien isolé lors d'une mission humanitaire doit pouvoir régler un minimum de
problèmes de réanimation, parfois dans des conditions difficiles et dans un domaine qui n'est
pas sa spécialité, mais dont il a acquis quelques notions, soit au cours de sa pratique, soit au
cours de ses études de médecine.

Le plus souvent, ses ressources techniques seront limitées : peu de possibilités d


examens complémentaires (biologie inexistante ou limitée à une numération globulaire, un
groupe sanguin, un ionogramme) et peu d'imagerie, d'où la place prépondérante de la
clinique dans le diagnostic et le suivi. Il aura à sa disposition un matériel simple, et les
produits ou médicaments de réanimation seront rares, voire inexistants. Ses conditions
d'exercice seront difficiles, sur le plan climatique (souvent torride et facteur de
déshydratation, d'autant plus que l'eau manque fréquemment), avec une écologie hostile
surtout sur le plan infectieux et parasitaire, et des malades souvent difficiles (malnutrition
protéino-calorique chez l'enfant, pathologies vues à des stades très avancés, etc.).

Dans cet environnement, la réanimation comprendra deux niveaux d'activités.


D'abord, des gestes de secourisme simple pour passer un cap difficile, tels le massage
cardiaque externe et la ventilation à l'air ou l'oxygène. Ces gestes de sauvetage, mis en
œuvre devant un arrêt cardio-circulatoire ou une détresse respiratoire, n'ont rien de
particulier, mais il faut disposer d'une source d'oxygène, d'un insufflateur manuel (ballon
auto gonflant), du matériel d'intubation et d'aspiration (Annexe 1.1). Il est donc nécessaire de
constituer par avance un lot de matériel d'urgence et de se préparer à ces gestes par un stage
en milieu spécialisé, pour apprendre à poser rapidement une voie veineuse et une perfusion
(Annexe 3.7), à ventiler avec un masque facial (Annexe 3.4) et à intuber (Annexe 3.5). Tout
intervenant en conditions isolées doit connaître ces techniques, et ce quelle que soit sa
spécialité.

Ensuite, le second niveau, qui constitue l'activité principale des postes isolés, consiste
d'une part à corriger les perturbations des grands équilibres (hémodynamiques,
hydroélectrolytiques, nutritionnels), d'autre part à assurer le suivi post-opératoire.

130
Correction des grands déséquilibres.

Hémodynamique.
Le déséquilibre le plus fréquent est ici le choc hypovolémique, la diminution de
volémie abaissant la précharge et donc le débit cardiaque. Les étiologies sont multiples,
pouvant être hémorragiques (hémopéritoines, hémothorax, etc.), secondaires à des brûlures ou
à des déshydratations massives.

Le choc hypovolémique se traduit par une baisse de la pression artérielle avec un


pincement de la différentielle, une tachycardie, un collapsus veineux et une peau froide,
marbrée. Le patient est souvent hypoxique, avec une tachypnée et une cyanose bien que la
chute sévère de l'hémoglobine puisse masquer cette cyanose, et oligurique. Le traitement
repose sur un remplissage vasculaire rapide après avoir mis le patient en position couchée,
jambes surélevées pour améliorer le retour veineux. Tous ces gestes doivent être rapides,
avant que ne surviennent des lésions irréversibles du rein et du cerveau.

Moyens de restauration volémique (Tab. 5.3)

Cristalloïdes = Ringer-lactate.
Ce soluté ne possède aucun pouvoir d'expansion, un quart seulement du volume
perfusé restant dans le secteur vasculaire. Il a l'avantage d'hydrater le secteur interstitiel et de
faciliter la réintégration de l'albumine dans le sang par voie lymphatique. Il n'est pas
allergisant. Si on l'utilise pour rétablir la volémie, il faut en perfuser de grandes quantités. On
peut l'utiliser seul ou en association avec des colloïdes. Il est particulièrement adapté dans
l'hypovolémie des grandes déshydratations ou celle des brûlés.

CRISTALLOÏDES COLLOÏDES HYDROXY-ÉTHYL-


AMIDONS

RINGER-LACTATE PLASMION® ELOHES®

Na 130mEq/l 150 mEq/1 154 mEq/1


K 4 mEq/1 5 mEq/1 0
Ça 3 mEq/1 0 0
lact. 28 mEq/1 30 mEq/1 0

- 1/4 reste dans secteur vasculaire - 3 h dans secteur vase, - 6 h dans secteur vase,
– absence de pouvoir d'expansion -expansion 90- 110% -expansion 130-150%
- diffusion secteur interstitiel - diffusion sect. interstitiel - diffusion sect. interstitiel

Tableau 5.3 : Exemples de solutés de remplissage

131
Colloïdes.
Ces agents sont les meilleurs solutés de remplissage car ils restent plus que les
cristalloïdes dans le secteur plasmatique et ils exercent un pouvoir d'expansion. Ils peuvent
être allergisants.

Hydroxy-éthyl-amidons (HEA).
Ces solutés, les plus récents, ne sont pas toujours disponibles en situation de précarité
en raison de leur coût. Ils ont plusieurs avantages : maintien dans le secteur vasculaire,
pouvoir d'expansion et pouvoir oncotique. Il ne faut pas en perfuser plus de trois flacons chez
l'adulte car ils peuvent au-delà entraîner des troubles de l'hémostase. Les réactions allergiques
sont possibles mais rares.

Surveillance.
Dans le choc hypovolémique, la surveillance est essentiellement clinique : restauration
de la pression artérielle, élargissement de la différentielle, ralentissement du rythme cardiaque
et, surtout, reprise d'une diurèse au-dessus de 50 ml/h.

Points spécifiques.
Deux points sont à souligner dans le choc hémorragique ; le remplissage vasculaire est
primordial en première intention. On ne recourt à la transfusion sanguine qu'en deuxième
intention, quand le taux d'hémoglobine avoisine 7 g/1. Si, par d'autres moyens on parvient à
restaurer la volémie, ce seuil d'hémoglobinémie peut être plus bas, à condition d'oxygéner le
patient.

Le brûlé constitue un cas particulier. On administre du Ringer-lactate à un volume


qu'il est simple de déterminer à l'aide de la formule suivante :

2 ml/kg/% de surface brûlée/24 h, en ajoutant les besoins hydroélectroly-tiques de


base des 24 h. Il faut perfuser tout brûlé quand la surface corporelle concernée dépasse 10 %
chez l'enfant et 20 % chez l'adulte. À ce propos, il est utile de se référer à la « règle des 9 » de
Wallace : tête = 9 %, membre supérieur = 9 %, face antérieure du tronc = 18 %, face
postérieure du tronc = 18 %, membre inférieur = 18 % et périnée = 1 %. Il faut cependant
savoir que cette règle perd beaucoup de sa précision chez l'enfant.

Perturbations hydroélectrolytiques
Elles sont dues le plus souvent à des pertes extrarénales, digestives et parfois cutanées.

Pertes digestives (Tab. 5.4)


Les diarrhées aiguës bactériennes, surtout dues aux germes sécrétant une entérotoxine,
sont responsables de syndromes cholériformes avec une augmentation des pertes fécales d'eau
et de sel.

132
Elles peuvent accompagner toute infection sévère, en particulier le paludisme. Elles
réalisent des pertes faiblement hypotoniques, provoquant des déshydratations globales à
prédominance extracellulaire : si ces déshydratations étaient compensées par de l'eau pure, il
apparaîtrait un déficit en sel avec une déshydratation extracellulaire pure.

Les pertes hydriques sont aggravées par les vomissements, l'hyperthermie et la sudation.
Ces pertes diarrhéiques s'accompagnent d'une perte de base pouvant réaliser une acidose
métabolique. À l'inverse, des vomissements importants peuvent provoquer une alcalose
métabolique.

— Anesthésie et réanimation... —
TYPE DE PERTES ÉLECTROLYTES
Pour 1 000 ml NaCl KC1 Autres
Aspiration gastrique ou 4g 1 à2g Cl
vomissements
Pertes biliaires 3g 2g Ca2+ HCO3-

Fistules iléales, coliques 2à3g 2à3g /


Diarrhées 4g 3g /

Tableau 5.4 : Pertes digestives

Pertes cutanées
Elles sont la seconde grande cause de déshydratation (chez le sujet non acclimaté). Les
pertes sudorales par thermorégulation peuvent atteindre des chiffres élevés : 12 1/j de liquide
hypotonique (2 g Na/1) qui peuvent entraîner des perturbations hémodynamiques
importantes. Le risque est majoré chez l'enfant car la surface cutanée est élevée par rapport au
poids. Les pertes cutanées provoquent une déshydratation globale ; si on la compensait par de
l'eau pure, il apparaîtrait une déshydratation extracellulaire.

Clinique
Les signes cliniques de déshydratation sont donnés ci-dessous :

Déshydratation Déshydratation
extra-cellulaire intra-cellulaire

Collapsus Fièvre

Pli cutané Trouble de conscience

Hypotonie globes oculaires Soif


Dépression fontanelle Sécheresse muqueuse

Déplétion sodée Déplétion hydrique

133
Conduite à tenir
Le problème n'est pas tant de diagnostiquer une déshydratation que d'apprécier
l'importance du déficit hydrique.

Chez l'adulte
1) Apprécier les pertes : le poids antérieur n'est jamais connu, d'après Levy :

Tachycardie = - 3 % de pertes
TA normale 1,81/60 kg
Soif modérée = Déshydratation modérée

TA abaissée, oligurie =-3%à-6%de pertes


Pli cutané 1,8 1 à 3,6 1/60 kg
Soif ++ = Déshydratation grave

Collapsus, anurie =-6%à-9%de pertes


Trouble de conscience 3,6 1 à 5,4 1/60 kg
Fièvre, soif intense = Déshydratation critique

2) Remplacer les pertes


- S'il existe un collapsus, il faut donner la priorité au remplissage vasculaire par des
colloïdes artificiels tels que les gélatines fluides modifiées en solution équilibrée jusqu'à
amener la PA systolique à 9 ; on compensera ainsi environ le quart du déficit.

- Il faudra assurer une compensation per os chaque fois que possible, directement par
des boissons ou par l'intermédiaire d'une sonde gastrique, même dans les diarrhées aiguës où
l'absorption peut être conservée.

- Les solutés consistent en l'adjonction de glucose qui améliore l'absorption de Na.


L'OMS recommande 1 1 d'eau avec 20 g de sucre + NaCl 3,5 g + 2,5 g HCO3" + 1,5 g KC1.
Si on compense per os des pertes par diarrhée, il faut multiplier par deux les quantités que l'on
administrerait par voie veineuse, soit deux fois la perte de poids en 6 h.

- Les perfusions : il faut préférer les perfusions dans trois circonstances :


• troubles de conscience ;
• troubles de déglutition ;
• occlusion.

Les solutés peuvent être de deux types :


• en cas de déshydratation extracellulaire prédominante, on emploiera 1 l de glucose à
5% + 6 g de NaCl/1 ;
• en cas de déshydratation intracellulaire prédominante : 1 1 de glucose à 5 % + 3 g de
NaCl/1. On n'emploiera pas de potassium tant que la diurèse n'a pas franchement repris : à
partir de 50 ml/h = 1,5 à 2 g KC1 par litre ;
• en cas de diarrhée abondante, 1/4 des pertes sera administré sous forme de bicarbonates à 14
% O.

134
- Le débit : on corrige la moitié du déficit en 4 à 6 h, puis l'autre moitié plus les besoins de
base en 20 h environ. La ration de base en milieu tropical est de 3 000 ml environ pour un
adulte de 60 kg. Elle est beaucoup plus élevée chez le nouvel arrivant.

3) Surveiller
La surveillance repose sur la clinique (pouls, TA, pli cutané, diurèse horaire surtout). Pour
considérer que la compensation est suffisante, il faut que le pouls soit inférieur à 100, la PA
normalisée et la diurèse égale ou supérieure à 50 ml/h. Le débit de correction sera d'autant
plus lent, plus progressif, que le sujet est dénutri et qu'il est en mauvais état général.

Chez l'enfant jusqu'à 5 ans


1) Apprécier les pertes
- perte de moins de 5 %, asymptomatique ;
- de 5 à 10 % : pli cutané, hypotonie des globes oculaires, dépression de la fontanelle chez le
nouveau-né, hyperthermie et sensation de soif ;
- de 10 à 15 % : collapsus, troubles de la conscience.

2) Corriger les pertes


- S'il existe un collapsus, perfuser 10 à 20 ml/kg de gélatines fluides modifiées. Il faut ici être
prudent car les flacons de 500 ml exposent au risque d'excès de remplissage. Le mieux est
d'enlever le surplus de liquide avant de débuter la perfusion. Quant aux tout-petits, on
perfusera ces gélatines fluides modifiées à la seringue.

En cas d'indisponibilité de gélatines fluides modifiées, on peut utiliser du Ringer-lactate, mais


la quantité doit être au minimum multipliée par deux.

- Autant que possible, on utilisera la voie orale, en employant le soluté de l'OMS. En cas de
syndrome cholériforme, il faut comme chez l'adulte multiplier la posologie par deux.
- Par voie IV, il faut compenser la moitié du déficit en 4 à 6 h, puis l'autre moitié plus la
ration de base dans les 20 h restantes. La ration de base chez l'enfant de moins de 5 ans est de
100 ml/kg/24 h environ.

Équilibre nutritionnel
On peut être amené à restaurer l'équilibre nutritionnel au cours d'une période post-
opératoire de longue durée, surtout si le patient souffre de malnutrition. Il peut s'agir d'une
véritable dénutrition revêtant une forme grave chez l'enfant mais plus souvent fruste chez
l'adulte. C'est le marasme réalisant une dénutrition calorico-azotée ou le kwashiorkor qui est
une dénutrition protéique.

Besoins de base (Tab. 5.5 et 5.6)


Ils sont au minimum de 800 cal/j, avec des valeurs de 20 à 50 cal/kg/j selon l'état du sujet et le
type d'agression. Ils doivent respecter un certain rapport calorico-azoté, les calories étant
apportées par les glucides et lipides en proportions variables. Les apports azotés doivent
amener les acides aminés essentiels. L'apport vitaminique, ainsi que celui des oligo-éléments,
n'est nécessaire que pour les alimentations de longue durée (> 10 j) ou en cas de carence
avérée.

135
Adultes Enfants
base = 20 cal/kg/j 100 cal/kg/j
chirurgie = 30 cal/kg/j
Besoins traumatologie = 35 cal/kg/j
caloriques infection = 45 cal/kg/j
brûlés = 55 cal/kg/j

Besoins en azote 0,15àO,35g/kg/j 0,3 à 0,5 g/kg/j

Tableau 5.5 : Besoins calorico-azotés adultes-enfants

ÉQUIVALENCES
1 g d'azote = 2 g d'urée = 6 g de protides = 30 g de viande

ÉQUILIBRES

- Rapport calorico-azoté
1 g azote/150 calories

Glucides 1 g = 4 calories
Ration de base =150 g/24 h
Moyenne = 6 g/kg/24 h

Lipides 1 g = 9 calories
20 à 40 % ration de base

Tableau 5.6 : Équivalences et équilibres nutritionnels

Alimentation parentérale
II faut y recourir lorsque la voie digestive est inutilisable (iléus post-opératoire
prolongé, troubles digestifs, troubles de la conscience, etc.). Il faut, dès que possible, la
remplacer par la voie entérale naturelle, sujette à moins de complications, plus facile à utiliser
et plus économique, tant au plan financier qu'en travail infirmier.

Moyens : l'apport se fera par voie périphérique sous forme de solutés peu concentrés,
faiblement hyperosmolaires, donc mieux tolérés, aussi bien sur le plan local (veines) que
général (métabolique), ce qui facilite la surveillance. Les glucides seront apportés par du
glucose à 10 voire 15 %. Les lipides ne sont habituellement pas disponibles en situation
précaire car ils doivent suivre la chaîne du froid. Leur apport n'est indispensable que pour une
alimentation parentérale très prolongée supérieure à 10 j. Il faut limiter l'apport azoté à 6 à 9 g
d'azote par litre sous forme de solutés d'acides aminés (exemple Trophysan® simple = 6 g/1 ;
Totamine® = 9 g/1). On peut par exemple perfuser :

136
- 2 flacons de 500 ml de glucose à 15 %
- 1 flacon de 500 ml de Totamine® apportant :
- 1 000 ml x 150 g de glucides = 600 calories
- 500 ml = 4,5 g d'azote
- 3 000 ml/24 h apportant 1 200 calories ou 9 g d'azote

Une telle perfusion permet de couvrir les besoins de base. L'emploi de solutés
hypertoniques obligeant à recourir à une voie veineuse profonde et à une surveillance plus
complexe est hors de portée dans de telles conditions d'exercice.

La surveillance repose essentiellement sur l'état d'hydratation, la diurèse et un bilan


biologique comportant glycémie, ionogramme sanguin et urinaire lorsqu'il est réalisable.

Alimentation entérale
Cette voie naturelle a plusieurs avantages : elle permet de conserver le flux portai
nutritif et hormonal, elle évite l'atrophie de la muqueuse intestinale secondaire à
l'alimentation parentérale et elle diminue le risque d'apparition d'ulcères de stress et de
cholécystite alithiasique.

Sa modalité d'administration dépend du patient. Parfois, dans les cas simples, elle peut
être normale et par voie orale. Sinon, elle peut se faire par une sonde gastrique, de préférence
en polyuréthane ou en silicone, matériaux mieux tolérés. Sa mise en place se fera
prudemment, en demandant au patient de déglutir, et sa position sera vérifiée par auscultation
au niveau gastrique en injectant quelques millilitres d'air. Sa position doit être vérifiée chaque
jour et elle doit faire l'objet de soins 'particuliers, avec un rinçage régulier par de l'eau pour
éviter son obstruction.

Solutés nutritifs
Solution de base (solution de Levy) (Tab. 5.7)
Les produits destinés à l'alimentation entérale tels Sondalis, Nutrison, etc., sont
rarement disponibles en situation précaire. Le plus souvent, il faut se contenter de modifier
cette solution de base.

Différentes préparations
À partir de cette base, on peut élaborer d'autres préparations à l'aide de céréales
produites localement : le mil et le sorgho ont une teneur en protides autour de 10 %, le soja
autour de 35 %.

Il est possible, à l'aide de lait écrémé sec, de sucre et d'huile, d'élaborer une
préparation équilibrée et assez calorique : lait écrémé sec = 120 g ; sucre = 30 g ; huile = 30 g
pour 1 000 ml d'eau. Ce mélange apporte 650 calories avec un rapport glucido-lipidique
équilibré et un rapport calorico-azoté de 1/170.

Technique d'administration
L'apport peut être fractionné par bolus successifs de 300 ml, avec une vitesse de 30
ml/min au maximum dans les cas de vacuité gastrique et de bonne tolérance digestive.

137
L'apport continu par simple pesanteur est souvent utilisé car on ne dispose
habituellement pas de pompes péristaltiques. Le produit ne doit pas rester plus de 6 h à
température ambiante, surtout si elle est élevée.

Cette alimentation doit être progressive, ne dépassant pas la vitesse de 50 ml/h le


premier jour, 75 ml/h le deuxième jour pour atteindre 100 ml/h par la suite. Les quantités
seront également croissantes : 500 ml le premier jour pour atteindre progressivement un
maximum de 2 000 ml, voire 2 500 ml.

Quantité Calories

Lait en poudre 100 g .62


Sucre 100 g 380
Viande de bœuf 100 g
Purée de carotte 100 g
Jaune d'œuf 17 g 42
HPV 2 ml
Eau de riz 600 ml

Tableau 5.7 : Solution de Levy

Surveillance
Le contrôle de la vacuité gastrique se fera au départ toutes les 8 h en arrêtant
l'instillation et en vérifiant après 30 min s'il n'existe pas lors du siphonage un reflux
important. Le sujet est placé en proclive d'au moins 30° pour éviter les reflux et permettre le
contrôle de la perméabilité et la position de la sonde.

Si le transit est accéléré, il faudra diminuer le débit, voire l'osmolarité de la solution.


Si on en dispose, on peut ajouter à la solution de l'arobon ou de la caroube.

La surveillance est clinique : stabilisation ou prise de poids, absence de nausées,


vomissements, reflux. La surveillance biologique est la même que pour les alimentations
parentérales et l'on peut, si besoin est, ajouter des électrolytes comme le sodium voire le
potassium à la solution entérale.

Complications
- Elles peuvent être gastro-intestinales (voir paragraphe Surveillance). La diarrhée
peut être liée, hormis le débit et l'osmolarité, à une surinfection intestinale liée à une
pullulation microbienne, conséquence d'une mauvaise conservation ou manipulation des
solutés nutritionnels.

- Elles peuvent être mécaniques : la présence d'une sonde naso-gastrique peut en


quelques jours provoquer une sinusite ou une œsophagite favorisée par un reflux. Une sonde
mal placée favorise une broncho-pneumopathie de déglutition.
- Elles peuvent être métaboliques, liées à des troubles hydroélectrolytiques ou
glycémiques par excès ou défaut d'apport. Les carences vitaminiques ou en oligo-éléments
sont possibles, mais tardives.

138
Réanimation post-opératoire
Au cours de cette étape, il faut assurer la surveillance du patient, l'analgésie et le
maintien de l'équilibre hydroélectrolytique.

La surveillance doit être rapprochée en post-opératoire immédiat : toutes les 10 min la


première heure, puis toutes les 30 min les 6 h suivantes. Il faut former l'infirmier au dépistage
d'éventuels troubles respiratoires :

- mesurer la fréquence et l'amplitude respiratoires - apparition d'une cyanose ;


- troubles cardio-vasculaires (mesure du pouls, de la pression artérielle - circulation
capillaire);
- apprécier l'agitation post-opératoire dont on recherchera l'étiologie : gêne
respiratoire, chute de la pression artérielle, douleur, globe vésical, etc.

Analgésie
On aura recours aux antalgiques périphériques (paracétamol associé ou non à des
AINS) prescrits à titre systématique et non en fonction de la douleur. Ils permettent d'atténuer
nombre de douleurs. Dans les douleurs plus intenses, on pourra utiliser des morphiniques ou
dérivés, tels que les agonistes-antagonistes : buprénorphine (injection SC, IM ou IV d'une
ampoule à 0,3 mg toutes les 8 h) ; nalbuphine (injection SC, IM ou IV de 4 à 6 ampoules à 20
mg/j). Il faut, avec ces agents, tenir compte de deux points essentiels : d'abord ils ne doivent
pas être associés aux morphinomimétiques, dont ils diminuent les effets par un phénomène de
compétition ; ensuite, ils font courir un risque de dépression respiratoire, certes moindre
qu'avec les morphiniques, mais réel, et ce pendant plusieurs heures. La morphine base reste la
référence des douleurs intenses, réfractaires aux autres agents. Il faut la titrer et la doser en
fonction de l'état physiologique du patient (sensibilité des malnutris). La surveillance de la
fonction respiratoire doit ici impérativement être étroite (une bradypnée < 12/min est un signe
d'alerte).

Équilibre hydroélectrolytique

8 jours - 1 an 1-2 ans 2 ans - 15 ans adulte


Eau 100 ml/kg 80 ml/kg 60 ml/kg 30 ml/kg
Na 1,5 mEq/kg 1,5 mEq/kg 1,5 mEq/kg 1,5 mEq/kg
K 1 mEq/kg 1 mEq/kg 1 mEq/kg 1 mEq/kg
Ça 0,5 mEq/kg 0,5 mEq/kg 0,5 mEq/kg 0,1 mEq/kg
Cl apport suffisant avec NaCl + KC1

Tableau 5.8 : Besoins en eau + électrolytes/24 h

L'hydratation doit être régulière sur les premières 24 h et couvrir les besoins de base
(Tab. 5.8). Un apport de glucides à raison de 150 à 200 g suffit chez l'adulte. Il est inutile
d'apporter des acides aminés avant la 48e h. Les apports hydriques, chez un adulte de 70 kg,
doivent donc être au moins de 30 ml x 70 = 2 100 ml, auxquels il faudra ajouter 15 % de
liquide par °C de température au-dessus de 37 °C si le sujet est fébrile. De même, il faut
compenser d'éventuelles fuites digestives (perte en liquide gastrique, diarrhée) et ajouter 500

139
à 1000 ml/24 h quand la température ambiante dépasse 25 °C. Les solutés doivent contenir du
sodium, du potassium, du chlore et du calcium (Tab. 5.9).

— Anesthésie et réanimation... —

1 amp. NaCl 10 % = 2 g 1 g NaCl = 17 mEq Na+ et Cl'


1 amp. KC1 10 ml = 1 g 1 g KC1 = 13,6 mEq K+ et Cl'
1 g gluconate de Ça = 5 mEq Ca2+ 1 ml gluconate de Ça = 0,44 mEq Ca2+

Tableau 5.9 : Équivalences ions

140
Rappel anatomiques.

Rappel anatomique 1.
Niveaux supérieurs d’innervation sensitive des viscères : Les niveaux d’anesthésie
nécessaires ne correspondent pas aux niveaux d’innervation anatomique.

141
Rappel anatomiques.

Rappel anatomique 2.
Organes génitaux masculins : les niveaux anesthésiques.

142
Rappel anatomiques.

Rappel anatomique 3.
Organes génitaux féminins : les niveaux anesthésiques.

143
Rappel anatomiques.

Rappel anatomique 4.
Innervation musculaire : limites supérieure et inférieure.

144
Rappel anatomiques.

Rappel anatomique 5.
Repères osseux.

145
Rappel anatomiques.

Rappel anatomique 6.
Répartition m étamérique de la sensibilité cutanée.

146
Annexes

Annexe 1 : Matériels et médicaments indispensables pour une


anesthésie en situation précaire

l.l - Matériel de base indispensable

Matériel pour oxygénation et ventilation


- Sondes pour oxygénation nasale, lunettes, masques
- Tuyaux pour oxygénation (150 cm ou plus)
- Canules oropharyngées de type Guedel de différentes tailles (enfant, adulte)
- Ballon autogonflant avec valve unidirectionnelle de type Ambu
- Masques faciaux de différentes tailles (enfant, adulte)
- Système d'aspiration électrique, mécanique ou vide chirurgical
- Sondes d'aspiration 14 et 16 CH
- Sondes d'intubation adulte (7, 7,5 et 8) et enfant
- Mandrin et pince de Magill pour aider l'intubation
- Laryngoscope avec lames de tailles et de formes différentes

Matériel pour mise en place d'une voie veineuse et pour injections


- Flacons de 500 ml de soluté (Ringer-lactate, glucose 5 %, plasmion, etc.)
- Perfuseurs
- Cathéters 18, 20 et 22 Gauge
- Microperfuseurs à ailettes 21 Gauge
- Compresses stériles
- Solution désinfectante
- Sparadrap ou Opsite
- Garrot

Matériel pour anesthésie locorégionale


- Solution désinfectante
- Gants et champs troués stériles
- Cathéters 24 et 26 Gauge
- Seringues 50 ml
- Bande d'Esmarch, garrot pneumatique simple ou double
- Aiguilles 22 Gauge (0,7 x 50) avec biseau court
- Aiguilles pour rachianesthésie 25 Gauge avec introducteur
- Aiguilles pour ponction lombaire 22 Gauge

Matériel pour anesthésie générale


-Aiguilles 19 Gauge (1,1 x 40) pour prélèvement des produits
-Aiguilles 21 Gauge (0,8 x 50) IM
- Aiguilles 23 Gauge (0,6 x 25) IV
- Seringues 5, 10 et 20 ml

147
Matériel de surveillance
- Stéthoscope
- Tensiomètre
- Au mieux : scope-graphe-défibrillateur avec des électrodes
oxymètre de pouls avec capteur de doigt

1.2 - Lidocaïne (Xylocaïne®)

Présentation
- Formes injectables
Flacon de 20 ml de solution à 1 % (10 mg/ml), à 2 % (20 mg/ml)
(Formes adrénalinées à 1/100 000)
Flacon de 20 ml de solution à 0,5 % (5 mg/ml)
Ampoule de 2 ml hyperbare pour rachianesthésie (100 mg)
- Formes non injectables
Flacon de 24 ml de solution à 5 % (50 mg/ml)
Flacon de 24 ml de solution à 5 % naphtazolinée
Tube de 15 ml de gel à 2 % (20 mg/ml)
Nébuliseur de solution à 5 % (8 mg/nébulisation)

Indications
- Anesthésie locale par infiltration
- Anesthésie locorégionale : plexique, tronculaire, locale IV, rachianesthésie
- Anesthésie de contact : ORL (naphtazolinée), urologie (gel)
- Anesthésie locale par nébulisation en ORL, avant l'intubation
- Arythmie ventriculaire

Posologie
- En anesthésie locorégionale :
Dose unique maximale Avec adrénaline Sans adrénaline
Adulte 500 mg 300 mg
Enfant 7 mg/kg 5 mg/kg
- Prévention des poussées hypertensives lors de l'intubation : 1,5 mg/kg IV
-Antiarythmie : 1 à 1,5 mg/kg, puis 2 à 4 mg/min sans dépasser 1,5 g/24 h

Contre-indications
- Allergie aux anesthésiques locaux, porphyrie, épilepsie
- Troubles de la conduction auriculo-ventriculaire
- Formes adrénalinées : IMAO, antidépresseurs tricycliques, troubles du rythme,
insuffisance coronaire, hyperthyroïdie, myocardiopathies obstructives, anesthésie en bague
des extrémités (doigts, verge, blocs périorbitaires)

Interactions médicamenteuses
- L'adrénaline augmente la durée d'action et diminue la toxicité
- Diminution de la toxicité avec les benzodiazépines (diazépam)

148
Effets indésirables
- Nausées, vomissements, allergie (rare)
- Troubles de la conduction, du rythme, collapsus

Surdosage (Annexe 2.1)


- Troubles neurologiques : oxygénation +++, benzodiazépines (diazépam)
- Hypotension : remplissage vasculaire et vasoconstricteur
- Troubles de la conduction et du rythme
- Dépression respiratoire par rachianesthésie ascendante : assistance ventilatoire

1.3 - Bupivacaïne (Marcaïne®)

Présentation
- Flacon de 20 ml de solution à 0,25 % (2,5 mg/ml)
de solution à 0,5 % (5 mg/ml)
(forme adrénalinée à 1/200 000)
- Forme hyperbare : ampoule de 4 ml contenant 20 mg (5 mg/ml)

Indications
- Anesthésie régionale (tronculaire, plexique)
- Rachianesthésie (forme hyperbare)

Pharmacocinétique
Délai d'action : 10 à 20 min
Durée d'action : 2 h à 2 h 30

Posologie
- En anesthésie locorégionale
Dose unique maximale Avec adrénaline Sans adrénaline
Adulte 200 mg 150 mg
Enfant 3 mg/kg 2 mg/kg
- Forme hyperbare :2à4ml(10à20 mg)

Contre-indications
- Allergie aux anesthésiques locaux, porphyrie, épilepsie
- Troubles de la conduction auriculo-ventriculaire
- Formes adrénalinées : IMAO, antidépresseurs tricycliques, troubles du rythme,
insuffisance coronaire, hyperthyroïdie, myocardiopathies obstructives, anesthésie en bague
des extrémités (doigts, verge, blocs périorbitaires)

Interactions médicamenteuses
- L'adrénaline augmente la durée d'action et diminue la toxicité
- Diminution de la toxicité avec les benzodiazépines (diazépam)

149
Effets indésirables
- Nausées, vomissements, allergie (rare)
- Troubles de la conduction, du rythme, collapsus

Surdosage (Annexe 2.1)


- Troubles neurologiques : oxygénation +++, benzodiazépines (diazépam)
- Hypotension : remplissage vasculaire et vasoconstricteur
- Troubles de la conduction et du rythme
- Dépression respiratoire par rachianesthésie ascendante : assistance ventilatoire

1.4 - Indications et utilisation des principaux anesthésiques locaux

Anesthésie locale par infiltration


Lidocaïne 0,5 ou 1 % non adrénalinée : 5 à 20 ml

Anesthésie tronculaire

Produit Délai Durée Dose


anesthésique d'action d'action maximale
Lidocaïne à 2 % 5 min 60 min 300 mg
Bupivacaïne à 0,5 % 15 min 180min 150 mg

NB : les doses employées sont différentes suivant le bloc (voir chaque technique).

Anesthésie par bloc plexique du membre supérieur

Produit anesthésique Dose employée Délai d'action Durée d'action

Lidocaïne 1,5 à2% 500 mg 10 à 20 min 60 à 80 min

Bupivacaïne 0,5 % 150mg 20 à 30 min 360 à 720 min


0,25 à 0,5 %

Produit Bloc Bloc Dose


anesthésique sensitif moteur maximale
Lidocaïne ++ ++ 600 mg
1,5 à2%
Bupivacaïne +++ ++ 200 mg
0,25 à 0,5 %

Anesthésie locorégionale intraveineuse des membres

150
Produit Dose Délai Durée
anesthésique employée d'action d'action
Lidocaïne à 0,5 % 3 mg/kg 10 à 15 min 90min
non adrénalinée (150 à 200 mg) (garrot)
0,6 ml/kg
(30 à 40 ml)

Rachianesthésie

Produit anesthésique Dose employée Délai d'action Durée d'action

Lidocaïne à 5 % 1,5 à 2 ml 5 à 10 min 60 à 75 min


hyperbare (75 à 100 mg)
Bupivacaïne à 0,5 % 2 à 4 ml 10 à 20 min 180min
hyperbare (10à20mg)

1.5 - Kétamine (Kétalar®)

Présentation
-Ampoule de 5 ml à 50 mg (solution à 1 %, soit 10 mg/ml)
- Ampoule de 5 ml à 250 mg (solution à 5 %, soit 50 mg/ml)

Indications
- Anesthésie générale
- Complément d'une anesthésie locorégionale
- Intérêt : sujet âgé, enfant, asthmatique, brûlé, état de choc

Pharmacocinétique
- Délai d'action : 15 à 60 s IV, 2 à 5 min IM
- Durée d'action : 5 à 10 min IV, 15 à 25 min IM

Posologie
- Anesthésie classique
Induction : 2 à 4 mg/kg IV ou 6 à 13 mg/kg IM
Entretien : 1/2 dose d'induction (IV ou IM) en fonction des signes de réveil
- En perfusion continue en solution de 1 mg/ml (2 amp. de 250 mg dans un flacon de
500 ml de sérum glucose à 5 %)
Induction : 0,12 mg/kg/min IV
Entretien : 0,08 mg/kg/min IV

151
- Chez l'enfant
Induction : 2 mg/kg IV, 8 à 10 mg/kg IM ou 9 à 10 mg/kg IR
Entretien : 1 mg/kg IV en fonction des signes de réveil

Contre-indications
- Absolues
HTA, insuffisance coronarienne sévère non équilibrée, infarctus du myocarde
récent
Anévrisme, traumatisme crânien, AVC
Pré-éclampsie et éclampsie
- Relatives
Éthylisme, toxicomanie, épilepsie, maladie psychiatrique
Hyperthyroïdie, chirurgie ophtalmologique à globe ouvert
Chirurgie viscérale profonde
Intervention bronchique ou sur le carrefour pharyngo-laryngé

Interactions médicamenteuses
- Anticholinergiques (atropine) : suppression des effets centraux
- Benzodiazépines (diazépam) : suppression des effets psychodysleptiques

Effets indésirables et surdosage


- Douleur au point d'injection, nausées, vomissements
- Dépression respiratoire modérée et transitoire, apnée possible en fonction de la dose
et de la vitesse d'injection
- Hallucinations auditives et visuelles, agitation, troubles psychiques, parfois crises
comitiales
- Hypersécrétion salivaire et lacrymale, rash cutané
- Mouvements tonico-cloniques, toux, hoquet, laryngospasme (Annexe 3.2)

1.6 – Atropine

Présentation
- Ampoule de 1 ml dosée à 0,25 mg
- Ampoule de 1 ml dosée à 0,5 mg
- Ampoule de 1 ml dosée à 1 mg

Pharmacocinétique
- Délai d'action : 30 à 90 s IV
5 min IM

Indications
- Prémédication
- Bradycardie vagale

152
- Blocs auriculo-ventriculaires

Posologie
- Prémédication
0,50 à 0,75 mg SC ou IM, 30 à 45 min avant l'anesthésie ou
0,50 à 0,75 mg IV juste avant l'anesthésie
- Per-opératoire
0,50 à 0,75 mg IV sans dépasser 2 mg/24 h
- Enfant
10 ug/kg IV ou SC en prémédication et en per-opératoire

Contre-indications
- Absolues
Glaucome
Hypertrophie prostatique
Tachycardie et insuffisance cardiaque
- Relatives
Insuffisance coronaire
Bronchorrhée Hyperthyroïdie
Insuffisance rénale majeure
Déshydratation
Ralentissement du transit
Trisomie 21

Interactions médicamenteuses
- Antagonise les effets non antalgiques des morphiniques
- Potentialise les effets des anesthésiques locaux
- Diminue l'hypersécrétion salivaire et bronchique induite par la kétamine

Effets indésirables en fonction des doses et successivement


- Sécheresse de la bouche, mydriase
- Tachycardie, aggravation d'une ischémie myocardique préexistante, céphalées
-Asthénie, instabilité, hyperthermie, rétention d'urine
- Excitation, hallucinations, délire, coma

1.7 - Dïazépam CValïum®)

Présentation
- Ampoule de 2 ml dosée à 10 mg
- Goutte : 3 gouttes = 1 mg
- Sirop : 1 cuillère à café = 2 mg
- Comprimé dosé à 10 mg
- Suppositoire dosé à 10 mg
Indications

153
- Prémédication
- Sédation de complément au cours d'une anesthésie locorégionale
- Sédation du tétanos et des convulsions
- Prévention des effets psychodysleptiques induits par la kétamine

Pharmacocinétique
- Délai d'action : 2 min
- Durée d'action : 10 à 30 min (narcose)
1 à 3 h (sédation)

Posologie
- Prémédication
Adulte : 0,2 mg/kg per os, 0,15 mg/kg IM ou 1 suppositoire 1 h avant l'anesthésie
Enfant : 0,3 à 0,4 mg/kg per os avant l'anesthésie ou 0,35 à 0,40 mg/kg IR (utiliser la
solution injectable IV diluée dans du sérum physiologique), 10 à 15 min avant l'anesthésie
- Sédation
Simple : 0,12 à 0,16 mg/kg IM ou 0,10 à 0,12 mg/kg IV Forte : 0,15 à 0,20 mg/kg IV
- Réanimation
Tétanos : 500 mg/24 h en administration continue IV

Contre-indications
- Absolues
Absence de matériel de réanimation Myasthénie, porphyrie
- Relatives
Insuffisance respiratoire sévère et hépatique grave Myopathies, 1er trimestre de la
grossesse

Interactions médicamenteuses
- Diminution ou suppression des hallucinations dues à la kétamine

Effets indésirables et surdosage


- Douleur au point d'injection (surtout IM)
- Somnolence résiduelle, réactions paradoxales
- Dépression respiratoire en cas de surdosage : assistance ventilatoire

1.8 – Oxygène

Présentation
- Bouteille de couleur blanche (oxygène médical)
- Bouteille de couleur noire, ogive blanche (oxygène industriel)
Comprimé entre 150 et 200 bars
Détendu à 3 bars (prise à 3 crans)
Débitmètre (débit en 1/min)

154
Indications
- Hypoxie (hypoxémie, insuffisance cardio-circulatoire, toxique)
- Anesthésie
Oxygénation avant induction (préoxygénation, dénitrogénation)
Ventilation assistée (FiO2 entre 0,3 et 0,6)
Hypoxémie postopératoire (réveil)
- Convulsions induites par les anesthésiques locaux

Posologie
-FiO2 = 0,21 ai
- Ventilation spontanée : sonde nasale ou lunettes (1 à 6 1/min), masque simple ou à
haute concentration (6 à 15 1/min)
- Ventilation assistée au masque et au ballon type Ambu, ventilation manuelle après
intubation, ventilation contrôlée avec respirateur à cellule Logic de type fluidique

Précautions d'emploi
- Chez l'insuffisant respiratoire hypercapnique, ne pas utiliser de forts débits
d'oxygène (dépression respiratoire)
- Ne jamais utiliser de FiO2 > à 0,6 pour une ventilation assistée ou contrôlée
prolongée (toxicité cellulaire de l'oxygène)

1.9 - Adrénaline ou épinéphrine

Présentation
- Ampoule de 1 ml dosée à 0,25 mg
- Ampoule de 1 ml dosée à 1 mg (solution à 1/1 000)

Indications et posologie
- Médicament d'urgence des détresses cardio-circulatoires
- Bronchospasme qui ne cède pas : 1 amp. de 0,25 mg diluée dans 10 ml de sérum
salé ou glucose isotonique, ml par ml en IV, jusqu'à l'effet désiré
- Choc anaphylactique : 1 amp. de 0,25 mg diluée dans 10 ml de sérum salé ou
glucose isotonique, ml par ml en IV, jusqu'à l'effet désiré
-Arrêt cardiaque : 1 à 1,5 mg IV, choc électrique externe, entretien par doses de 0,1
pg/kg/min en perfusion continue
- Prolongation des effets des anesthésiques locaux et diminution de leur toxicité par
ralentissement de leur diffusion sanguine (solution de 1/20 000 à 1/200 000)

Contre-indications
- Forme adrénalinée : traitement par les IMAO, antidépresseurs tricycliques,
insuffisance coronarienne, troubles du rythme surtout ventriculaires, myocar-diopathies
obstructives, hyperthyroïdie, anesthésie locale au voisinage d'artères terminales (doigts,
verge, orbites)

155
Effets indésirables
- Crise angineuse avec possibilité d'infarctus du myocarde
- Tachycardie sinusale supérieure à 130 b/min et troubles du rythme ventricu-laire
avec risque de fibrillation ventriculaire

Annexe 2 : Principales complications au cours d'une anesthésie


Tout acte anesthésique expose à des incidents ou à des accidents parfois graves.
Connaître ces risques permet de les dépister rapidement, de les traiter et surtout de les
prévenir par une prise en charge pré-, per- et post-opératoire rigoureuse.

2.1 - Accidents liés aux anesthésiques locaux


Les anesthésiques locaux exposent aux accidents allergiques, aux intoxications par
administration excessive d'adrénaline (solution adrénalinée) et surtout au surdosage par
injection intravasculaire directe ou par résorption importante au niveau d'un tissu très
vascularisé (Fig. 5.19). Ce surdosage en anesthésique local se caractérise par des symptômes
d'apparition progressive et chronologique, en fonction de la concentration plasmatique du
produit (Fig. 5.20). Il se manifeste essentiellement par des troubles du système nerveux
central et des troubles cardiocirculatoires (Tab. 5.10). Pour prévenir ces accidents de
surdosage et assurer un diagnostic aussi précoce que possible, il faut respecter des règles
strictes (Tab. 5.11).

Signes cliniques Traitement

156
Surdosage en 1 ) signes prémonitoires -oxygénation +++
anesthésiques locaux - agitation, nausées -assistance ventilatoire
- secousses musculaires
- paresthésies
- vertiges, logorrhée
- troubles visuels
- goût métallique
-bourdonnements d'oreille

2) convulsions généralisées -liberté des voies


transitoires aériennes supérieures
-oxygénation +++
-diazépam 10-20 mg
--assistance
ventilatoire manuelle
-intubation et
assistance ventilatoire
mécanique

3) dépression cardiocirculatoire -remplissage


vasculaire
- hypotension artérielle -atropine 0,75-1 mg
- bradycardie progressive -adrénaline 0,25 mg
- résistante à l'atropine à renouveler
- fibrillation ventriculaire -défibrillation
- arrêt cardiaque -MCE

Surdosage à l'adrénaline - palpitations -oxygénation


- pâleur, sueurs, céphalées -sédation
- tachycardie, tachyarythmie -diazépam 5-10 mg
- hypertension artérielle -défibrillation
- fibrillation ventriculaire -MCE

Réactions allergiques - érythème, urticaire -corticoïdes


- agitation, angoisse prednisone 1 g
- nausées, vomissements -remplissage
- hypotension, tachycardie vasculaire
- choc, bronchospasme -oxygénation
-adrénaline 0,25 mg à
renouveler

Tableau 5.10 : Manifestations cliniques et traitement des principales


complications des anesthésiques locaux

157
Réactions vagales -sensation de malaise -décubitus dorsal
-pâleur, sueurs, nausées - jambes surélevées.
-bradycardie, hypotension artérielle - atropine 0,5- 0,75 mg
-remplissage vasculaire
-oxygénation

Tableau 5.10 suite

a) Installer le patient en décubitus dorsal ;

b) disposer d'une voie veineuse périphérique fiable ;

c) assurer une surveillance de la fréquence cardiaque, de la pression artérielle, si


possible du tracé électrocardioscopique, du niveau de conscience, en maintenant le contact
verbal ;

d) disposer du matériel et des produits de réanimation ;

e) préférer les amides (lidocaïne, bupivacaïne), plutôt que les esters plus allergisants
(procaïne, tétracaïne) ;

f) utiliser des solutions adrénalinées pour limiter la diffusion de l'anesthésique et


dépister précocement un passage vasculaire (tachycardie lors des doses tests), à condition de
n'employer que des solutions dont la concentration en adrénaline n'est pas supérieure à
1/200000 et de respecter les contre-indications ;

g) ne pas dépasser les doses maximales (Annexes 1.2, 1.3 et 1.4) ;

h) injecter lentement (1 ml/5 s) en évitant toute pression excessive (risque


traumatique) ;

i) éviter toute injection intravasculaire directe par la réalisation systématique d'un test
d'aspiration avant toute injection ;

j) en cas d'échec de la technique, ne pas s'acharner, ne jamais réinjecter (dose


toxique). Il faut savoir passer la main, reporter l'intervention ou convertir en anesthésie
générale.

Tableau 5.11 : Prévention des complications des anesthésiques locaux

158
Figure 5.20 : Échelle de progression des symptômes observés avec des taux plasmiques
croissants de lidocaïne.

2.2 – Laryngospasme

II survient en général au début de l'anesthésie ou au moment du réveil (anesthésie trop


légère). Il se caractérise par un spasme des cordes vocales qui restent fermées. La respiration
est bruyante, les mouvements thoraciques sont peu ou pas efficaces et une cyanose apparaît
rapidement. C'est le cas par exemple de la kétamine qui rend les cordes vocales plus sensibles
aux stimulations (sang, sécrétions, canule de Guedel) qui peuvent provoquer un
laryngospasme.

Traitement
- Ventiler au masque et au ballon en oxygène pur -Approfondir l'anesthésie
- Pulvériser de la lidocaïne sur les cordes vocales, visualisées à l'aide d'un
laryngoscope

159
Prévention
- Prémédiquer à l'atropine pour diminuer les sécrétions bucco-pharyngées
- Éviter toute stimulation douloureuse tant que l'anesthésie n'est pas installée ou au
moment du réveil
- Ne pas mettre de canule de Guedel sur un patient non ou insuffisamment endormi.

2.3 - Bronchospasme
II se caractérise par une dyspnée expiratoire sifflante (wheezing) puis, si le spasme est
majeur, par un silence auscultatoire, un thorax rigide impossible à ventiler même avec des
pressions d'insufflation élevées. Les principales causes sont l'asthme (crise et état de mal
asthmatique), l'inhalation après régurgitation de liquide gastrique et le bronchospasme dans le
cadre d'une réaction anaphylactique ou anaphylactoïde (éruption cutanée, accélération du
transit, hypotension artérielle, choc).

Traitement
- Éliminer une obstruction de sonde d'intubation
- Arrêter toute stimulation chirurgicale -Approfondir l'anesthésie si anesthésie
générale
- Intuber si le patient est ventilé au masque
- Forcer la ventilation sous oxygène pur avec un ballon
- Pulvériser du salbutamol (Ventoline®) en spray dans la sonde d'intubation
- Si échec : bêta-2-minétiques, terbutaline (Bricanyl®), salbutamol (Ventoline®) 0,5
mg dans 10 ml en IV lente, ml par ml jusqu'à effet désiré
- Si échec ou si bronchospasme dans le cadre d'une réaction anaphylactique :
adrénaline 0,25 mg dans 10 ml en IV lente, ml par ml jusqu'à effet désiré

Prévention
- Dépister avant l'intervention les asthmatiques et les sujets allergiques
- Préférer une anesthésie locale ou locorégionale
- Choisir la kétamine pour une anesthésie générale

2.4 - Hypotension artérielle


C'est une complication fréquente dont les causes sont multiples au cours d'une
intervention sous anesthésie.

Hypovolémie
Cette hypovolémie existait avant l'intervention (déshydratation, hémorragie
extériorisée ou non) mais était physiologiquement compensée (tachycardie), elle se manifeste
au cours d'une intervention hémorragique ou à l'installation d'une rachianesthésie. Il faut :
- surélever les membres inférieurs sans mettre en position de Trendelenburg, si cette
hypotension survient lors de l'installation d'une rachianesthésie (voir Installation du bloc
rachidien)
- augmenter le remplissage vasculaire et le débit de perfusion
- perfuser 8 à 10 ml/kg de Ringer-lactate ou de sérum salé à 0,9 %

160
- apporter de l'oxygène (6 à 8 1/min au masque)
Syndrome « utéro-cave »
II n'est pas uniquement dû à un utérus gravide. Une tumeur intra-abdomina-le
volumineuse peut entraîner le même phénomène, par compression veineuse cave, chez une
patiente en décubitus dorsal et endormie. Il faut ici placer la patiente en décubitus latéral
gauche et assurer un remplissage vasculaire.

Bradycardie (fc < 45 b/min) chez l'adulte


Cette bradycardie peut être due à un trouble de la conduction (BAV I, II ou III). Le
plus souvent, elle est secondaire à une réaction vagale ou à une hypotension artérielle par
diminution du retour veineux. Il faut :
- compenser une hypovolémie (rachianesthésie)
- administrer 0,5 à 0,75 mg d'atropine par voie IV
- renouveler par bolus de 0,25 mg sans dépasser 1,5 à 2 mg/24 h (Annexe 1.6).

Annexe 3 : Principaux gestes d'urgence

161
3.1 - Liberté des voies aériennes supérieures

Le libre passage de l'air dans les voies aériennes est la condition d'une bonne
oxygénation et d'une épuration suffisante du gaz carbonique. L'obstruction des voies
aériennes supérieures engendre une hypoxie et une hypercapnie. En anesthésie, les principales
causes d'obstruction des voies aériennes supérieures sont les corps étrangers (prothèse
dentaire en particulier) ou des sécrétions, la chute de la langue en arrière (Fig. 5.21) et
l'inhalation de liquide gastrique après régurgitation ou vomissement. En présence d'une
obstruction des voies aériennes, un certain nombre de gestes sont vitaux.

Désobstruction sommaire au doigt ou à la pince


Elle permet d'enlever rapidement un corps étranger, des débris alimentaires au niveau
du pharynx.

Subluxation en avant du maxillaire inférieur


Cette technique, simple et efficace, permet de remédier à la chute de la langue en
arrière. Il faut se placer derrière la tête du patient, allongé en décubitus dorsal ou latéral, la
nuque en hyperextension. Les 2e, 3e et 4e doigts de chaque main, repliés en crochet, viennent
se placer sous la branche horizontale du maxillaire inférieur (Fig. 5.22). Les deux pouces
prennent appui sur la saillie mentonnière et se rejoignent sur la ligne médiane. Les deux
auriculaires viennent se placer derrière la partie basse de la branche montante du maxillaire
inférieur. Une traction en haut et en avant sur le maxillaire inférieur amène les incisives

162
inférieures en avant des incisives supérieures. Cette subluxation peut être maintenue d'une
main, permettant de ventiler le patient au masque.
Mise en place d'une canule de Guedel
Elle permet d'éviter la chute de la langue en arrière, les morsures de la langue ou de la
sonde d'intubation et facilite l'aspiration des sécrétions.

Matériel
II en existe plusieurs tailles, pour l'enfant et l'adulte. Les n° 3 et 4 sont les plus
utilisées chez l'adulte. La longueur de la canule de Guedel peut être déterminée au mieux par
la distance entre la commissure des lèvres et l'angle du maxillaire inférieur (Fig. 5.23).

Technique

163
La mise en place de la canule se fait en se plaçant derrière la tête du patient maintenue
en extension. Le maxillaire inférieur est tiré vers le bas et en avant à l'aide de la main gauche.
La canule est introduite avec la main droite, entre la langue et le palais, en plaçant la partie
concave vers le haut (Fig. 5.29). Lorsqu'elle bute sur le palais, il faut la tourner sur elle-même
de 180° en la poussant, ce qui amène la partie concave vers le bas au contact de la langue et
l'introduire complètement (Fig. 5.23).

3.2 - Aspiration des sécrétions


Elle est nécessaire à la libre circulation de l'air dans les voies aériennes supérieures et
doit précéder toute ventilation.

Matériel
II existe différents types de matériels : les aspirateurs mécaniques à énergie humaine
(exemple Pedavid), robustes et inusables, qui permettent une dépression pouvant atteindre
-200 mmHg ; les aspirateurs à énergie pneumatique (système Venturi), gros consommateurs
d'oxygène ; les aspirateurs à énergie électrique avec ou sans batterie.
Les sondes d'aspiration de 50 à 60 cm de long et de différents calibres (14 et 16 CH)
doivent permettre d'aspirer la bouche, le pharynx et la trachée à travers une sonde
d'intubation.

Technique
Après avoir introduit la sonde, l'aspiration doit se faire en remontant doucement la
sonde sans mouvement de va-et-vient. Pour la cavité buccale et le pharynx, la sonde peut être
introduite à travers la canule de Guedel, de part et d'autre de celle-ci ou par voie nasale
perpendiculairement au massif facial. Pour la trachée et les bronches, la sonde doit être
introduite doucement dans la sonde d'intubation jusqu'à ce qu'elle déclenche un réflexe de
toux, puis remontée en aspirant. Après utilisation, la sonde doit être jetée (usage unique) ou
placée dans un liquide antiseptique, mais son utilisation ne doit pas, dans ce dernier cas,
excéder 24 h.

3-3 - Oxygénothérapie
L'air ambiant inspiré contient 21 % d'oxygène, concentration qui peut se révéler
insuffisante dans certaines circonstances ou en post-opératoire, comme dans l'obstruction
temporaire des voies aériennes supérieures, les pneumopathies ou l'hypoventilation alvéolaire.
Un apport supplémentaire en oxygène devient alors nécessaire. L'oxygène doit aussi être
utilisé au cours de certaines complications, comme par exemple les convulsions dues à la
toxicité des anesthésiques locaux, au cours desquelles le premier geste doit être la ventilation
en oxygène pur.

Les sources d'oxygène peuvent être constituées par les bouteilles délivrant de l'O2
comprimé à 200 bars avec un manodétendeur et un débitmètre pour régler le flux. Ce peut
être un extracteur d'oxygène délivrant au mieux un débit de 5 1/min directement par un tuyau
branché sur le débitmètre. En situation précaire, il peut exister des « chandelles » fournissant
de l'O2 par réaction chimique.

164
Quelle que soit la source utilisée, le débit d'O2 est déterminé par le débitmètre, et
l'oxygène est administré par l'intermédiaire de lunettes, d'une sonde nasale, d'un masque
facial léger en plastique perforé pour permettre l'évacuation du CO2 ou d'une sonde
d'intubation. Avec les lunettes et la sonde nasale, on utilise des débits avoisinant 3 à 4 1/min
et les concentrations inspirées sont limitées par la dilution avec l'air ambiant. Avec le masque,
les concentrations inspirées peuvent être plus importantes, en particulier avec les masques
haute concentration où une poche réservoir contenant l'oxygène est interposée dans le circuit,
le malade pouvant alors respirer une atmosphère très enrichie en oxygène.

3.4 - Ventilation manuelle au masque et au ballon


En dehors du bouche-à-bouche et du bouche-à-nez, la ventilation manuelle au masque
et au ballon est la technique de choix pour le traitement symptomatique d'urgence des
détresses respiratoires aiguës. Elle consiste à insuffler un mélange gazeux contenu dans un
ballon de caoutchouc par l'intermédiaire d'un masque appliqué de façon étanche sur le visage.
L'énergie motrice est fournie par la main qui comprime le ballon.

Matériel
Les ballons autogonflables (type Ambu) ou les soufflets (type Ranima) doivent être
équipés d'une prise pour oxygène. Les masques faciaux, qui existent en plusieurs tailles, sont
munis d'un bourrelet servant à l'étanchéité. La valve entre le masque et le ballon est une valve
unidirectionnelle qui permet d'évacuer à l'extérieur l'air expiré par le patient. Pour que la
ventilation soit efficace, il faut que ce matériel soit en parfait état.

165
Technique
Après avoir mis en place une canule de Guedel, il faut de la main gauche maintenir
l'hyperextension du cou et la subluxation en avant du maxillaire inférieur (Fig. 5.22). Le
masque est appliqué sur le visage avec la main droite et l'étanchéité est obtenue grâce au
pouce et l'index de la main gauche qui maintiennent le masque bien calé sur la pyramide
nasale en haut, le sillon mentonnier en bas et les joues latéralement. Le pouce et l'index
forment un « C » autour du col du masque (Fig. 5.24).

Le ballon est ensuite comprimé rythmiquement (15 à 20 fois/min) avec la main droite.
Lorsqu'elle est efficace, la compression du ballon entraîne le soulèvement symétrique du
thorax et la normalisation de sa coloration cutanée.

3.5 - Intubation orotrachéale.


L'intubation orotrachéale consiste à introduire par la bouche un tube à travers l'orifice
glottique.

Une détresse respiratoire quelle qu'en soit la cause (coma-pneumopathie) peut imposer
une intubation qui permet de contrôler la liberté des voies aériennes supérieures, d'aspirer
régulièrement des sécrétions et d'assurer une assistance ventilatoire au ballon ou à l'aide d'un
respirateur. Cet apprentissage de l'intubation, de même que la ventilation au masque ou à
l'aide d'un respirateur manuel, doit se faire au bloc opératoire ou en réanimation pour tout

166
chirurgien amené à exercer dans des conditions d'isolement, elle ne peut se faire uniquement
sur la lecture d'un manuel.

Matériel.
Avant toute intubation, il faut vérifier que le laryngoscope est en état de marche. Le
choix de la sonde d'intubation dépend de l'âge et de la morphologie du patient. Chez l'adulte,
on utilise les sondes n° 7, 7,5 ou 8 avec ballonnet ; chez l'enfant, on détermine le numéro de
la sonde par la formule : âge +16.
4

Technique
Le patient est installé en décubitus dorsal, épaules légèrement surélevées (drap roulé)
et tête en hyperextension.

Ouvrir le laryngoscope et maintenir le manche de la main gauche, en dirigeant


l'extrémité libre du manche vers le sternum.

Introduire la lame dans la cavité buccale à droite de la langue, en la refoulant vers la


gauche et en faisant progresser la pointe de la lame vers le sillon glosso-épiglottique (Fig.
5.25). Cette progression est facilitée par un mouvement de bascule de la tête autour de la lame
du laryngoscope, la main droite exerçant une pression sur le front du patient pour mettre la
tête en hyperextension forcée.

Lorsque la pointe de la lame est dans le sillon, il faut exercer une traction vers le haut
de l'ensemble du laryngoscope, dans l'axe du manche (Fig. 5.26).

167
L'orifice glottique devient visible, limité latéralement par les cordes vocales (Fig.
5.27). Il faut veiller ici à ne pas faire levier sur les incisives supérieures mais soulever le
laryngoscope en bloc, pour ne pas traumatiser les dents.

L'orifice glottique étant bien dégagé, la sonde d'intubation est introduite à travers cet
orifice, sa concavité étant dirigée vers le haut et la droite. Le ballonnet est alors gonflé (Fig.
5.28).

Sécurité après l'intubation

168
Après l'intubation, il faut s'assurer que la sonde est en bonne position :

- l'expiration est perçue à l'orifice externe de la sonde si le patient respire


spontanément ou après quelques pressions exercées sur le thorax ;
- perception nette et symétrique du murmure vésiculaire dans les deux champs
pulmonaires. Si l'intubation est sélective, la sonde doit être retirée de quelques centimètres
après avoir dégonflé le ballonnet.

Ensuite, il faut s'assurer que le ballonnet est correctement gonflé :


- pas de fuite perceptible au niveau du nez ou de la bouche ;
- le ballonnet extérieur de contrôle, qui reflète la pression régnant dans le ballonnet
trachéal, doit être dépressible au doigt. Trop gonflé, il peut entraîner une nécrose de la
muqueuse trachéale.

169
Une fois en place, la sonde doit être protégée des morsures par une canule de Guedel
et fixée solidement à l'aide de sparadrap ou d'un cordon (Fig. 5.29).

Figure 5.28 : Introduction de la sonde d'intubation.

3.6 - Ventilation avec un respirateur

Matériel
Les respirateurs volumétriques fluidiques (type Airox) permettent de réaliser des ventilations
de courte durée pour un transport ou une évacuation par exemple.

Mise en service d'un respirateur


La mise en service d'un respirateur nécessite :
- de raccorder l'appareil à la source d'oxygène (3 bars)

170
Figure 5.29 : Fixation de la sonde d'intubation. La fixation de la sonde d'intubation doit
être solide. Elle se fait à l'aide de sparadrap ou, mieux, par un cordon. ATTENTION : après
fixation, il faut vérifier la bonne position de la sonde par auscultation des deux champs
pulmonaires.

- de déterminer la fréquence des insufflations


• adulte = 15 à 20 c/min
• adolescent = 25 à 30 c/min
• enfant = 35 à 40 c/min
- de déterminer la ventilation minute (Vmin) ou le volume courant (Vx)
• Vmin = VT (0,7 ml/kg) x fr
- de choisir une fraction inspiratoire en oxygène (FiO2)
• oxygène pur = 1
• mélange air/oxygène = 0,5 à 0,6
- de raccorder le respirateur à la sonde d'intubation.

Surveillance
Elle porte sur le patient
- Le thorax doit se soulever de façon synchrone avec le respirateur ;
- le patient ne doit pas « lutter » contre le respirateur. Si tel est le cas, il faut
adapter les réglages du respirateur aux besoins du patient ;
- l'auscultation pulmonaire doit être symétrique ;

Elle porte aussi sur le respirateur


- Vérification des réglages affichés ;
- vérification des pressions d'insufflation qui ne doivent pas dépasser
40mmH2O;
- vérification du niveau de remplissage des bouteilles d'oxygène.

171
3.7 - Voies veineuses
Le choix de l'abord veineux et du site dépend du degré d'urgence, de la durée et du
débit des perfusions, du type de solutés à utiliser, de la morphologie du patient, de son âge et
de l'entraînement de l'opérateur. Abords veineux superficiels

II faut autant que possible préférer ici les veines du membre supérieur en évitant les
plis et en utilisant les zones les plus distales. La veine jugulaire externe sera utilisée pour une
perfusion de durée moyenne ou pour l'urgence. Abords veineux profonds

II faut y recourir quand le capital veineux est pauvre, quand l'abord périphérique est
impossible ou en cas d'impératifs thérapeutiques : utilisation de solutés hypertoniques, mesure
de la pression veineuse centrale. Le chirurgien, peu familiarisé avec ces techniques, pourra
utiliser l'abord de la veine fémorale, relativement facile et peu dangereux.

Matériel
Les aiguilles métalliques sont pratiquement abandonnées pour les perfusions, au profit
des épicrâniennes, qui comportent une aiguille courte de 2 à 3 cm et de 0,8 à 1,6 mm de
diamètre, munies d'une ailette et reliées à un tuyau souple. Elles permettent un débit de
perfusion correct.

Matériaux des cathéters


Le choix du matériau pour le cathéter dépend surtout de la durée du cathétérisme. Le
chlorure de polyvinyl, moins bien toléré par l'endoveine, est réservé aux cathétérismes de
moyenne durée. S'ils doivent être plus prolongés, il faut utiliser des cathéters en silicone ou en
polyéthylène.

Les canules sont de petits cathéters avec guide de 4 à 8 cm de longueur et de 0,7 à 2


mm de diamètre. Ils sont utilisables pour le cathétérisme périphérique. Les cathéters longs
utilisés pour les abords centraux ont une longueur de 30/50/75 cm avec un diamètre de 1 à 2
mm. Il en existe plusieurs sortes :

- une aiguille métallique externe dans laquelle on glisse le cathéter en plastique : avec
ces modèles, il ne faut pas retirer le cathéter sur l'aiguille lors de la mise en place car on
risque de le sectionner. Si on doit le retirer, il faut enlever en bloc le cathéter et l'aiguille ;
- un autre système est constitué d'une aiguille métallique externe, que l'on met en
place dans la veine ; on y introduit alors un guide métallique souple, on retire l'aiguille et on
place le cathéter sur le guide que l'on enlève

.
Technique
Le choix de l'abord veineux dépend du cathétérisme :
- pour des cathétérismes brefs on choisit les veines dorsales de la main ou la veine
saphène au cou de pied ;
- pour des cathétérismes de durée moyenne, on utilise les veines de l'avant-bras : les
veines du pli du coude, telle la veine basilique, peuvent permettre un abord central par la
veine humérale interne, soit à l'aide d'un guide, soit avec le système Drum Cartridge ;

172
- une autre voie de durée moyenne est la voie fémorale. Une bonne asepsie tant lors de
la pose que lors des renouvellements de pansements diminue le risque de surinfection.
Différentes études ont montré que le risque thrombolique était peu différent des autres voies
profondes. La veine est ponctionnée dans le triangle de Scarpa, en dessous de l'arcade
crurale ; la veine est située en dehors de l'artère. La ponction se fera 20 mm en dessous de
l'arcade crurale en repérant l'artère fémorale, l'aiguille formant un angle de 30° dans l'axe du
membre par rapport au plan cutané. La profondeur se situe selon les sujets entre 5 à 30 mm.

Voies veineuses chez le nouveau-né


En urgence chez le nouveau-né on peut utiliser la veine ombilicale. La première
semaine, l'orifice est large et béant, et on y introduit le cathéter pas plus de 7 cm et pas plus
de 7 j. Il ne faut pas forcer lors de l'introduction si on rencontre un obstacle, car le cathéter a
fait une fausse route dans le tronc porte. Le cathétérisme doit être bref et fait courir un risque
d'embolie gazeuse (purger soigneusement toutes les lignes), de thrombose et d'infection.

Les veines épicrâniennes constituent l'abord de choix ; visibles les premiers mois,
elles constituent un réseau dense. Seules les aiguilles épicrâniennes doivent être utilisées.

L'abord par le sinus longitudinal supérieur doit rester exceptionnel chez le nouveau-
né, réservé à l'extrême urgence. Le nouveau-né est installé en décubitus dorsal, bien
immobilisé par un drap. Le praticien repère l'angle postérieur de la fontanelle antérieure. La
ponction se fera avec une aiguille de calibre 22 à 24 Gange montée sur une seringue.
L'aiguille doit être introduite selon un angle de 60° avec le cuir chevelu en direction de la
ligne médiane de la fontanelle pour franchir le plan cutané superficiel, puis on l'incline en
faisant un angle de 30° en recherchant le reflux. Les risques de cette voie sont une ponction
sous-durale lors de la mise en place, puis de méningite, de thrombose du sinus et de
thrombophlébite cérébrale ensuite. Ces derniers risques expliquent pourquoi ce cathétérisme
doit rester bref.

Il faut toujours garder à l'esprit dans ces situations extrêmes que l'on ne doit recourir à
un abord veineux que quand il est réellement nécessaire. Il faut dès que possible remplacer
toute voie parentale par la voie entérale.

173
Thérapeutique transfusionnelle

R. COURBIL, D. LEGRAND, J.-P. ZAPPITELLI, J. CHIARONI


Toute thérapeutique en situation précaire pose des problèmes particuliers. Dans le
cas des transfusions, le problème se présente souvent sous forme d'un véritable dilemme,
surtout pour un esprit habitué à un environnement plus favorable. Ce dilemme consiste à
choisir la moins mauvaise solution entre :
- l'abstention transfusionnelle, inacceptable en cas d'indication vitale ;
- la transfusion, qui fait ici courir des risques immuno-hématologiques et infectieux
particulièrement importants.

Sélection du donneur (Tab. 6.1)


Compte tenu du contexte économique, culturel et religieux, le don anonyme et
bénévole est quasi inexistant en pays défavorisé. Le recours au don dirigé est bien souvent la
seule solution possible (appel aux familles).

Entretien et examen médical


La sélection des personnes par l'entretien médical est délicate du fait de :
- la barrière de la langue ;
- le manque de fiabilité des réponses de l'éventuel donneur, souvent biaisées, car le
sujet se sent dans l'obligation d'aider un membre de sa famille ;
- le contexte sociologique particulier, d'autant plus que le multipartenariat y est
extrêmement fréquent ;
- la forte prévalence des maladies transmissibles par voie sexuelle et transfusionnelle
(hépatites B et C, infection par le VIH, syphilis) ;
- le mauvais état d'hygiène et de nutrition.

Face à ces difficultés, il faudra souvent choisir le (ou les) candidat(s) qui paraît
(ssent) le(s) moins déficients aux seules vues d'un examen clinique général, forcément
succinct.

Test à pratiquer

Bilan immunologique
Seul un groupage ABO-Rh standard sera effectué.
Autant que possible, on ne retient que les donneurs ABO-Rh identiques ou
compatibles avec le patient. Toutefois, selon les types d'activités rencontrées, il peut être
nécessaire de constituer une réserve d'urgence vitale de produits sanguins. Dans ce contexte,
l’ensemble des donneurs aptes au don doit être prélevé. Une gestion rigoureuse de ce stock
est impérative.

174
175
176
Mélanger les réactants avec un fond de tube. L'interprétation n'est possible que si le
témoin est négatif. La réaction est positive (groupe Rh positif) si on constate une
agglutination avec l'anti-D.

Bilan sérologique
Ce bilan reste généralement succinct pour des raisons économiques et épi-
démiologiques. Il doit être effectué avant le prélèvement afin d'éviter de prélever inutilement
une unité de sang (destruction obligatoire des unités positives). Bien entendu, une sérologie
positive interdit le prélèvement.

La sérologie du VIH et la recherche de l'antigène Hbs sont impératives du fait de la


prévalence de ces maladies dans les pays défavorisés.

La sérologie syphilitique (VDRL) est importante du fait de la fréquence de cette


maladie, et de la transfusion habituelle d'unités fraîchement prélevées.

Le dépistage des anticorps anti-HCV et anti-HTLV est en revanche souvent difficile


du fait de leurs coûts, et ce malgré l'incidence probablement importante de ces pathologies
dans certaines de ces régions.

Enfin, la recherche de l'anticorps anti-Hbc et le dosage des transaminases n'auront pas


d'intérêt en l'absence de données épidémiologiques fiables.

Rappel des règles de base pour la réalisation de ce bilan sérologique

1. Les réactifs et leur conservation


- Eau distillée (régénération des tampons de lavage).
- Acide sulfurique 4N.
- Ac VIH : Organon Uniform II.
- Ag Hbs : Ag Hbs Ortho Elisa 3.

Les réactifs de dépistage se conservent à + 4°C jusqu'à date de péremption. En climat


chaud, en l'absence de climatisation, il convient de ne sortir que les réactifs que l'on va
immédiatement utiliser pour une étape donnée de la manipulation et les replacer à + 4 °C
après utilisation.

Organisation générale (règles de base) : il faut élaborer un cahier de paillasse


reproduisant le plan de distribution des échantillons. Les supports de réactions doivent être
étiquetés pour permettre d'identifier à tout moment les échantillons. En fin de manipulation,
les résultats doivent être reportés sur le cahier de paillasse.

2. Réalisation des tests


À chaque étape, amener les réactifs immédiatement nécessaires à température
ambiante (25 °C dans l'idéal), puis les replacer à 4 °C.
- Ac VIH : Organon Uniform II

177
• Distribution : distribuer 100 ml de diluant échantillon, puis 50 ml de témoins et
d'échantillons, mélanger et changer d'embout à chaque fois. Recouvrir la microplaque avec un
film adhésif.

• Incubation : 60 min à 37 °C.


• Lavage : Procédure manuelle.

Aspirer le liquide réactionnel en changeant d'embout à chaque fois. Distribuer 300 μl


de tampon de lavage dans chaque puits. Aspirer et renouveler l'opération cinq fois. Taper la
microplaque par retournement pour éliminer toute trace de tampon de lavage.

• Substrat : distribuer 100 μl de substrat reconstitué dans chaque cupule et incuber 30


min à l'obscurité à température ambiante.
• Arrêter la réaction avec 50 μl d'acide sulfurique 2 N.

- Ag Hbs Ortho Elisa 3

• Distribution : distribuer 150 μl de témoins et d'échantillons en changeant d'embout à


chaque fois pour éviter les contaminations croisées, puis 50 μl de conjugué reconstitué dans
chaque cupule. Recouvrir la microplaque d'un film adhésif.

• Incubation : 90 min à 37 °C.


• Lavage : procédure manuelle.

Aspirer le liquide réactionnel en changeant d'embout à chaque fois. Distribuer 300 μl


de tampon de lavage dans chaque cupule. Aspirer en changeant d'embout à chaque fois.
Distribuer 400 μl de tampon dans chaque cupule. Aspirer le tampon et renouveler cette
dernière opération cinq fois. Taper la microplaque par retournement pour éliminer toute trace
de tampon de lavage.

• Substrat : distribuer 200 (il de substrat reconstitué dans chaque cupule. Incuber 30
min à l'obscurité et à température ambiante.
• Arrêter la réaction avec 50 μl d'acide sulfurique 4 N.

- Dépistage de la Syphilis
Technique
• Prédiluer des échantillons à tester et des témoins : l/20e.
Distribuer 10 μl d'échantillons ou de témoins dans 190 μl de tampon de dilution.
• Transférer 25 (il de cette dilution au l/20e dans une microplaque de titration avec
puits en U, préalablement essuyée avec un tissu propre légèrement humide, afin de neutraliser
l'électricité statique.
• Distribuer 75 μl de suspension d'hématies sensibilisées, préalablement
homogénéisées par agitation douce, dans chaque puits. Mélanger le contenu en tapotant.
• Incuber 45 mn à température ambiante (15-25 °C) à l'abri de la lumière.
Interprétation - Validation
• Lecture « à l'œil », comparaison des agglutinais par rapport aux témoins.

En cas de positivité, renouveler le test en utilisant des hématies non sensibilisées.

Réaction négative : dépistage de la syphilis positif

178
Réaction positive : faux positif par réaction non spécifique

3. Validation – interprétation

La microplaque est lue « à l'œil » :

- témoins négatifs : absence de réaction colorée ;


- témoins positifs : réaction colorée d'intensité importante.

Les échantillons à tester sont interprétés par comparaison aux témoins. Les résultats
sont ensuite retranscrits sur le cahier de paillasse.

Entretien et examen médical


Écarter les sujets en mauvais état général et les sujets à haut risque de maladies
transmissibles (sida, hépatites, etc.)

Tests à pratiquer
- Groupage ABO - Rh standard
- Recherche de l'anticorps anti-VIH, de l'antigène Hbs et de la syphilis

Tableau 6.1 : Différentes étapes de sélection du donneur

Produit sanguin (Tab. 6.2)

Prélèvement
Le prélèvement est effectué sur poches anticoagulées avec du CPD. Il se fera dans des
conditions d'asepsie rigoureuses.

Le donneur est placé en position allongée.

La quantité de sang prélevé doit être de l'ordre de 8 ml/kg de poids avec un maximum
de 450-500 ml.

Une fois le sang prélevé, l'obturation de la tubulure de prélèvement doit être aussi
étanche que possible (nœud + clip métallique).

Préparation
La séparation de l'unité de sang total en concentré de globules rouges et plasma est
possible par sédimentation à 4 °C et sans autre matériel qu'une simple presse.

Pour séparer les deux composants, on utilise deux poches reliées par une tubulure de
jonction. Une fois la séparation effectuée, on coupe la tubulure de jonction, préalablement
clampée par deux clips métalliques de part et d'autre de la zone de coupure.

179
Il faut identifier les unités (date de prélèvement, groupage ABO-Rh, bilan sérologique
négatif) en notant à la main ces renseignements sur l'étiquette de la poche. Il faut ici être
particulièrement attentif, car la retranscription est une cause importante d'erreurs.
Conservation
Dans l'idéal, le sang prélevé doit être transfusé le plus rapidement possible, après
validation des unités. Théoriquement, les concentrés de globules rouges peuvent être
conservés à + 4 °C pendant 21 j mais c'est là une durée maximale, demandant une maîtrise
rigoureuse de la température de conservation. Toute rupture de la chaîne du froid fait courir le
risque d'accident bactérien.

Le plasma devrait être conservé congelé (- 25 °C) et après décongélation devrait être
utilisé dans les 6 h. Sur le plan pratique, si le plasma ne peut être congelé après séparation,
son utilisation doit intervenir dans un laps de temps très court suivant le prélèvement si l'on
veut bénéficier de l'effet thérapeutique des facteurs de coagulation qu'il contient.

Prélèvement : Aseptique sur poches doubles

Préparation : Séparation du sang total, par sédimentation, à l'aide d'une presse


manuelle, en un concentré de globules rouges et une poche de plasma. Identification
rigoureuse des unités

Conservation : Transfusion la plus précoce possible

Tableau 6.2 : Étapes de prélèvement et de préparation du produit sanguin

Transfusion (Tab. 6.3)

Bilan immunologique du receveur


Le groupage ABO-Rh standard du receveur est l'étape préalable à toute transfusion,
puisque c'est lui qui conditionnera le choix du donneur. La technique de groupage est
identique chez le donneur et le receveur.

Test de compatibilité (produit sanguin et receveur)


Transfusion de globules rouges
La recherche d'agglutinines irrégulières étant le plus souvent techniquement non
réalisable, il est souhaitable, afin d'assurer un minimum de sécurité immunologique,
d'effectuer un test de compatibilité entre les globules rouges du donneur et le sérum du patient
par un test de Coombs indirect.

Cependant, en cas d'urgence vitale, lorsque les délais sont incompatibles avec la
survie du patient, on peut se contenter d'une transfusion ABO compatible, et ce malgré le
risque d'accident hémolytique immédiat.

180
Transfusion de plasma
Puisque l'on ne peut pas en général rechercher des agglutinines irrégulières dans le
plasma du donneur, il faut, effectuer un test de compatibilité entre les globules rouges du
receveur et le plasma de la poche (test de Coombs indirect).

Rappels des règles de base pour la réalisation du test de Coombs


indirect
Coombs indirect

Réactifs : Antiglobuline polyvalente. Conservation à 4 °C.

Technique
- Lavage : laver trois fois les globules rouges au sérum physiologique, puis les diluer à
3 % dans du sérum physiologique.
- Sensibilisation : dans un tube de Khan, mettre en présence 1 goutte de sérum + 1
goutte de suspension de globules rouges. Laisser incuber 1 h à 37 °C.
- Lavage : laver trois fois les globules rouges au sérum physiologique.
- Phase antiglobuline (AGH) : ajouter 1 goutte AGH, centrifuger pendant 1 min à 1
000 t/min.
- Lecture : il y a incompatibilité s'il y a agglutination. Dans ce cas-là, NE PAS
TRANSFUSER.

Transfusion de globules rouges :


Globules rouges de la poche + sérum du patient

Transfusion de plasma :
Globules rouges du malade + plasma de la poche

Ne transfuser que si les tests ne montrent pas d'incompatibilité

Contrôle ultime au lit du malade


II faut contrôler immédiatement avant la transfusion de globules rouges et au lit du
malade la compatibilité entre le groupe de la poche à transfuser et celui du patient.

1 goutte Anti-A 1 goutte Anti-B

1 goutte globules rouges de la poche o o


1 goutte globules rouges du malade o o
181
Mélanger avec le fond d'un tube. Comparer les agglutinations.

Groupage ABO-Rh poche et patient identique ou compatible.

Pas d'incompatibilité au test de Coombs indirect avant la transfusion de globules


rouges.

Pas d'incompatibilité au test de Coombs indirect avant la transfusion de plasma.

Contrôle ultime au lit du malade avant la transfusion de globules rouges.

Tableau 6.3 : Rappel des règles transfusionnelles

Liste du matériel
- Poches doubles
- Presse manuelle
- Clampeuse + clips
- Enceinte réfrigérée à 4 °C
- Plaques d'opaline
- Tubes de Khan
- Pipettes
- Sérums tests pour groupage ABO-Rh standard
- Antiglobuline polyvalente
- Étuve à 37 °C
- Tubes secs pour prélèvements
- Embouts pour pipettes
- Films adhésifs
- Sérum physiologique
- Marqueurs indélébiles
- Pipettes réglables 10 à 50 μl (échantillons)
• 150 μl
• 200 et 300 [il (lavage)
- Verrerie
- Eau distillée (régénération des tampons de lavage)
- Acide sulfurique 4 N
- Ac VIH : Organon Uniform II
- Ag Hbs : Ag Hbs Ortho Elisa 3
- Centrifugeuse à tubes

182
Conclusion

Les principaux progrès technologiques en matière de transfusion sanguine


(transformation, conservation) ont été en grande partie réalisés lors de situations d'exception
(guerres mondiales, etc.) mais, paradoxalement, seuls les pays développés ont pu bénéficier
de ces avancées.

Aussi, avant de partir pour un séjour dans une zone difficile ou aux conditions locales
mal définies, il faut se préparer à un recours éventuel à la thérapeutique transfusionnelle.
Nous sommes souvent habitués au « confort » de l'organisation sanitaire des pays riches, avec
en particulier centralisation du recueil, de la préparation et de la distribution des dérivés
sanguins dans les centres de transfusion. En situation précaire, les conditions sont bien
différentes, et il faut prévoir d'éventuelles transfusions dans ce nouveau cadre, et donc
acquérir une formation de base qui doit porter sur plusieurs points :

- l'immuno-hématologie ;
- la virologie ;
- les techniques de prélèvement et de fabrication des produits sanguins labiles.

Il faut également s'assurer avant le départ que l'on pourra disposer du matériel
nécessaire.

Malgré cela, les risques transfusionnels (hémolytiques, bactériens, parasitaires et


virologiques) sont particulièrement importants. Ainsi, il faut repousser autant que possible les
indications des transfusions, et n'y recourir qu'en cas de nécessité vitale absolue.

183
C. Témoignages et libres propos.

184
Éthique de la chirurgie d'urgence
en situation précaire
A. DUCOLOMBIER

L'éthique étant le plus souvent qualifiée de médicale ou de biologique, il convient de


noter que parfois elle peut être plus particulièrement chirurgicale. Elle correspond alors à
une réflexion sur des pratiques et des comportements que ne sont à même de faire que les
chirurgiens eux-mêmes, s'opposant en tant que telle à la déontologie qui réglemente, codifie
et police ces mêmes comportements et ces mêmes pratiques, mais d'une manière plus
tranchée grâce à la force de l'écrit. Elle se fonde au contraire sur la réflexion et la
délibération, sur l'analyse et le dialogue. Devant la fréquence et l'importance des situations
de précarité que l'on peut rencontrer en pratique chirurgicale d'urgence, même sous les
latitudes qui sont les nôtres, une approche éthique raisonnée, si possible consensuelle,
semble indispensable pour pouvoir agir avec sérénité et efficacité.

L'urgence chirurgicale résulte d'un processus pathologique ou traumatique


d'évolution aiguë, compromettant à très court terme une ou plusieurs fonctions, vitales ou
non, et demandant de ce fait une évaluation diagnostique et un traitement chirurgical
rapides. Ici, la notion de temps est primordiale. Il s'agit d'une chirurgie non programmée,
non prévisible, mais dont il convient de prévoir toujours la possibilité, et qui demande de ce
fait une disponibilité permanente du personnel et du plateau technique opératoire.

Si l'on peut facilement cerner la réalité de la chirurgie d'urgence, il n en est pas de


même de la précarité de l'exercice chirurgical car les circonstances sont extrêmement
variables d'un endroit à l'autre ou d'un moment à l'autre. Faut-il parler des conditions
extrêmes dues au climat, à l'isolement, à l'absence de moyens techniques, à l'insécurité, à
l'afflux massif de blessés ou évoquer les conditions désastreuses habituelles du
fonctionnement sanitaire de certains pays ? En fait, plusieurs de ces facteurs s'entremêlent
dans la précarité d'une situation, et le fait qu'un chirurgien puisse la ressentir et la vivre
comme telle vient surtout du fait qu'il va pouvoir se trouver projeté en dehors de ses
habitudes de travail, qu'il sera en rupture avec la représentation habituelle qu'il a de son
exercice et qu'il va se trouver confronté à l'inconnu.

Gérer l'urgence en pratique chirurgicale peut paraître évident et relever du sens


commun, tant cette notion semble attachée à l'image de la chirurgie. En réalité, la précarité
des situations rencontrées va bouleverser ce schéma, /' urgence va se relativiser dans la
multiplication des cas et se diluer dans un environnement défavorable. La réflexion éthique a
ici un but essentiel : elle doit permettre de se projeter dans le futur pour faire des choix
rationnels et élaborer la stratégie de l'urgence la plus adaptée aux circonstances et aux
conditions d'exercice particulières à un lieu et un moment donnés.

J'ai en mémoire mon arrivée pour la relève d'une antenne chirurgicale, outre-mer, il
y a dix-sept ans, en pleine saison des pluies. C’était au Tchad, où l'antenne chirurgicale
soutenait une population de 2 000 hommes. Les facteurs de précarité étaient multiples :
isolement géographique d une part, sans structure hospitalière correcte à proximité, sans

185
moyen de réanimation et un délai minimal de 24 h pour toute évacuation sanitaire lourde,
isolement technique d'autre part, avec matériel chirurgical plus que sommaire, sans
radiographie, et avec une stérilisation à pétrole. La stratégie élaborée a d'abord consisté à
répartir les tâches pour le personnel, puis à construire des scénarios d'urgence en prévoyant
la possibilité de plusieurs interventions simultanées. La cohésion et la préparation de
l'équipe ont permis d'affronter au mieux des situations d'urgence extrême, avec utilisation
optimale des faibles moyens disponibles et développement du sens pratique de chacun. Pour
pouvoir choisir, il faut connaître l'ensemble des problèmes qui peuvent se poser. Nous
essaierons d'en faire l'analyse avant d'aborder les questions proprement éthiques.

Des questions d'ordre général se posent d'emblée

Doit-on se préparer ou se former à la précarité ?


Plusieurs organismes et universités dispensent un enseignement de la chirurgie en
conditions précaires, ce qui nous semble très utile. Contrairement à ce que l'on pourrait croire,
il ne s'agit pas de revenir à la pratique de nos grands anciens, car il faut tenir compte de
l'expérience de chacun, et toutes les expériences ne sont pas superposables. Il convient au
contraire de partir de sa propre expérience et de la transposer dans des conditions minimales,
en utilisant et en adaptant au besoin des techniques anciennes qui ont fait leurs preuves ; les
raisonnements, la conception et la finalité des traitements doivent, eux, rester en revanche
résolument modernes.

L'école du Pharo, à Marseille, dispense un enseignement totalement nouveau et


complémentaire de celui déjà reçu en faculté. En chirurgie, en particulier, les techniques de
base sont enseignées, et toutes sont réalisées sur des chiens vivants anesthésiés. Entre
plusieurs techniques possibles, l'option est de choisir celle qui utilise le moins de matériel et,
dans la mesure du possible, celle qui peut être réalisée par des non-chirurgiens. Sont ainsi
enseignés les principaux gestes chirurgicaux élémentaires, gastrotomie, cystostomie,
trachéotomie, suture intestinale et colostomie, splénectomie, drainage pleural, trépanation,
amputations de membre, etc. Une telle modalité d'enseignement permet à chacun d'occuper au
mieux des postes à orientation chirurgicale, relativement isolés en pleine brousse, outre-mer,
et la formation reçue permet d'être efficace d'emblée, même si les interventions ne se limitent
qu'aux urgences.

En situation précaire se pose d'abord le problème du diagnostic. Comment faire par


exemple un diagnostic d'abdomen aigu ou d'hématome intracrânien traumatique sans disposer
des moyens d'imagerie habituels, mais tout en gardant une marge d'incertitude acceptable ?
Pour cela, le sens clinique et l'expérience sont essentiels, comme l'est le fait de se limiter
strictement à ce qu'il est possible de faire avec les moyens disponibles. L'anxiété face à
l'absence de l'arsenal paraclinique habituel n'est ici pas de mise : le plus souvent, la seule
clinique permet d'exercer la chirurgie d'urgence dans de bonnes conditions.

Même en dehors de toute condition d'isolement, comme par exemple à Paris, on peut
être amené à recourir à une telle démarche. Lorsque le contexte lésionnel l'impose, comme
chez le grand brûlé ou chez le polytraumatisé intransportable, a fortiori quand un scanner ne
peut être réalisé dans l'enceinte de l'hôpital, il faut bien s'adapter aux circonstances, se passer
de l'imagerie et aiguiser son sens clinique. La précarité est ici due au contexte lésionnel
auquel il faut s'adapter.

186
Dans l'exercice chirurgical en situation précaire se pose également un problème de
formation. Nombre de jeunes chirurgiens, extrêmement compétents dans leur domaine,
peuvent éprouver des difficultés dans l'exercice de la chirurgie en conditions précaires, en
raison de l'extrême diversité des lésions à traiter. Il est préférable de conserver une
compétence de généraliste, en particulier pour les gestes les plus courants et surtout ceux qui
peuvent être salvateurs dans chaque spécialité. L'opposition classique entre chirurgies
orthopédique et viscérale et le cloisonnement en quatre spécialités de la chirurgie de la tête
sont ici hors de propos. Pour pouvoir assurer un maximum d'urgences, le chirurgien en
situation précaire doit être polyvalent et formé à la réalisation des gestes minimaux qui ne
sont pas de sa spécialité.

Doit-on se former à l'urgence ?


L'urgence fait partie intégrante de la chirurgie et ne saurait en être dissociée. On dit
que c'est la meilleure façon d'apprendre la chirurgie ; sans aller jusque-là, c'est en tout cas une
bonne manière de maîtriser son émotivité, de tester et de roder ses connaissances en se
trouvant en condition réelle d'exercice. Il s'agit en fait de développer des réflexes, de parfaire
des comportements devant des situations pathologiques aiguës qu'il faut apprendre à
reconnaître et à contrôler rapidement.

Le problème, lorsque l'on passe de conditions d'exercice standard à celui de la


précarité, est qu'il faut adapter ces réflexes et ces comportements à un environnement
nouveau. Dans ce cas, il est possible que la latitude de réflexion et de choix soit moins
grande, que les critères de jugement soient moins habituels et moins évidents. Une bonne part
de l'enseignement doit porter sur ces aspects car, par manque de prudence ou excès
d'enthousiasme, on peut être amené à décider d'options thérapeutiques qui ne seraient pas les
meilleures.

Deux facteurs entrent ici en ligne de compte : d'une part, comme toujours, la
hiérarchisation des urgences en fonction de leur gravité, d'autre part l'adéquation des
décisions thérapeutiques aux conditions d'exercice. Certaines pathologies sont parfois hors de
portée de toute thérapeutique lorsqu'il n'y a pas possibilité de réanimation, comme par
exemple le blessé comateux que l'on ne peut traiter que par sonde gastrique et position
latérale de sécurité. Il est toujours préférable de réparer une artère périphérique mais le temps
peut manquer, et il faut parfois décider de la ligaturer, ce qui peut laisser du temps pour
sauver d'autres malades. En fait, il faut répondre à la double question suivante : à quel niveau
doit-on placer la barre de technicité et l'intervention envisagée est-elle adaptée aux
circonstances ?

La médecine d'urgence est devenue mobile : c'est le cas de la réanimation avec les
SAMU, et celui de la chirurgie pour des interventions parfois salvatrices, comme les
amputations de désincarcération par exemple. Cette chirurgie est assez acrobatique, effectuée
dans des conditions de précarité extrême, mais elle peut être vitale et, avec les moyens
modernes, elle peut être très efficace. Cependant, plus le site de l'intervention est éloigné d'un
hôpital central, plus les conditions sont précaires, et plus les résultats sont incertains et
aléatoires. Cela est vrai à Paris pour les interventions effectuées dans les couloirs du métro,
cela est vrai au Tchad ou au Cambodge dans les antennes chirurgicales ou dans les hôpitaux
de brousse.

187
L'environnement est souvent inhabituel, parfois hostile
Le nouvel environnement, la fatigue, le stress, les horaires de travail peuvent poser
des problèmes d'adaptation à toute personne récemment arrivée. Les habitudes opératoires
peuvent enfin varier selon les équipes, et la programmation chirurgicale est souvent
problématique et en permanence modifiée en fonction de l'arrivée de nouveaux cas.

Le climat rarement tempéré se révèle souvent astreignant. En saison des pluies dans
un pays tropical, la chaleur, l'humidité et les moustiques seront difficiles à supporter, et le
sommeil réparateur difficile à trouver.

Les modalités de l'intervention peuvent varier considérablement selon qu'il s'agisse


d'une mission d'enseignement ou d'assistance technique, d'une catastrophe naturelle ou d'un
conflit armé. La notion d'équipe ou d'isolement, l'existence d'insécurité ou de risques pour
l'intervenant doivent faire évaluer l'utilité et l'efficacité, sinon la faisabilité de la mission.

Le statut de l'intervenant est plus ou moins confortable. Tout sépare la situation d'un
militaire accompagnant une antenne chirurgicale, même au contact des combats, celle d'un
coopérant placé dans un hôpital mal équipé mais ayant rang de notable local, ou celle du
membre d'une organisation humanitaire complètement isolé avec des moyens réduits, et
exerçant en milieu hostile. Le statut de l'intervenant autorise ou non à prendre les risques
habituels de la chirurgie, donne ou non une liberté décisionnelle normale. De même, la plus
ou moins grande expérience de la chirurgie et de l'urgence donne à l'opérateur une autorité et
une marge de manœuvre plus ou moins confortables.

Il convient de citer ici ces multiples interventions réalisées récemment à titre militaire
au Tchad et au Cambodge dans des conditions pénibles dues au climat, sans insécurité notable
mais avec des moyens limités, et actuellement en ex-Yougoslavie où règne une insécurité
permanente par les bombardements et les tirs de snipers mais où les moyens techniques sont
meilleurs.

Il faut également tenir compte du malade lui-même, car on n'opérera forcément pas de
la même façon quelqu'un qui sera évacué en métropole dans les heures qui suivent pour un
traitement complémentaire éventuel et quelqu'un qui restera sur place dans son pays sans
autre traitement possible. La pathologie rencontrée, souvent très inhabituelle, évolue en
fonction du délai d'intervention, du type d'événement, de la géographie et de la saison. Ce
sont souvent des urgences différées, les blessés ou les malades attendant depuis plusieurs
jours l'arrivée de la mission humanitaire. Leur état clinique est aggravé par les privations, la
fatigue, le stress, la famine, le polyparasitisme, etc.

Enfin, une autre possibilité est celle que l'on rencontre lors de missions programmées,
d'enseignement par exemple. En prévision du passage d'un spécialiste, des malades peuvent
être regroupés pour être opérés lorsque leur pathologie permet d'attendre. On peut ainsi être
amené à opérer en Afrique ou en Asie des pathologies rachidiennes dégénératives, des
hydrocéphalies ou des spina bifida. Il faut dans ce cas prévoir le matériel supplémentaire
nécessaire à une intervention donnée et, l'intervention ne se faisant pas en urgence, se
cantonner autant que possible dans sa spécialité (la notion de compétence polyvalente,
impérative en urgence, ne peut ici s'appliquer).

188
Les problèmes éthiques sont très particuliers
Dans les situations de précarité, les conflits entre plusieurs éthiques sont fréquents,
comme par exemple les incompatibilités entre guerre et médecine humanitaire, entre
diplomatie et droits de l'homme, entre éthique individuelle et collective. On doit donc souvent
concilier des impératifs contradictoires et, même ainsi, il est difficile de se limiter à une
approche strictement médicale ou matérielle des problèmes rencontrés. Comprendre les
implications socio-économiques, dialoguer avec les autorités politiques locales sont souvent
nécessaires pour un travail efficace car on peut alors se fixer des objectifs, établir des
hiérarchies et faire des choix sur des bases localement rationnelles.

Il convient de faire remarquer ici que le mot « précaire » a un autre sens, issu du latin
precarius, « obtenu par prière », et qui signifie « qui existe par autorisation préalable et
révocable ». Cela s'applique parfaitement aux circonstances où il faut obtenir des
autorisations politiques pour intervenir. La notion nouvelle d'ingérence humanitaire est venue
combler un vide juridique et apporter son lot de changements dans les rapports inter-états et
dans le rôle des organisations internationales : les expériences récentes dans le Kurdistan
irakien, en Somalie et en Bosnie sont là pour en témoigner. Mais le volet humanitaire des
interventions non « précaires » ne constitue souvent qu'une partie du problème et d'autres «
intérêts supérieurs » prennent parfois le dessus.

En dehors de ces questions politiques, sociales, économiques, etc., il se pose des


problèmes d'éthique pratique.

Le triage chirurgical est-il éthique ?


Le triage est sans aucun doute le choix le plus difficile à assumer, raison pour laquelle
il est souvent laissé à la charge du chirurgien ou du réanimateur le plus ancien. Il devient
impératif quand l'afflux des malades dépasse largement les possibilités opératoires de
l'équipe. Son but est de garder en vie un maximum de personnes, il correspond à une éthique
d'intérêt collectif et c'est ce qui le justifie. Le triage catégorise les blessés selon un critère
d'urgence à l'intervention, ne sont opérées d'emblée que les extrêmes urgences, en sachant que
la catégorisation va se modifier avec le temps.

La prise de risque est-elle disproportionnée ?


Le chirurgien fait toujours courir un risque calculé à ses patients pour obtenir un
bénéfice en termes de santé individuelle. En conditions de précarité, le risque serait surtout de
ne rien faire, de se retrancher pour cela derrière l'alibi de la précarité. Ce risque doit être au
contraire évalué pour être maîtrisé. Par exemple il y a une mise en danger délibérée de
certains patients dont l'état demande une intervention longue et difficile en ne les opérant pas
immédiatement, cela pour pouvoir opérer en priorité ceux dont la survie sera assurée par une
intervention simple et rapide.

Le respect des personnes est-il assuré ?


En situation de précarité, la relation avec les patients est souvent marquée par
l'anonymat du fait qu'un interprète est souvent nécessaire, et que les cas à traiter sont très
nombreux. La relation médecin-malade est souvent escamotée car l'urgence prime,

189
l'information habituelle est symbolique et le recueil du consentement à l'acte prévu est
souvent implicite. Dans ces situations d'exception on peut considérer que la seule présence du
malade ou du blessé vaut consentement à l'intervention. Enfin, peuvent s'ajouter aux
différences culturelles des problèmes d'animosité ou d'agressivité dirigées vers d'autres
malades ou vers les soignants (problème non spécifique aux situations précaires !), qui
compliqueront encore plus cette relation. Les blessés les plus bruyants ou les plus agressifs ne
sont pas toujours les plus gravement atteints. Enfin, il faut savoir se protéger et assurer sa
sécurité physique.

La technique chirurgicale choisie est-elle la plus actuelle ?


Le choix de la technique, pour une pathologie donnée, se fera selon le nombre et la
nature des cas à traiter, sur le matériel localement disponible et sur les possibilités
d'évacuation secondaire. Le choix du type d'intervention est surtout guidé par les
circonstances mais en gardant l'esprit ouvert au meilleur choix possible, le dogmatisme
restant le pire des choix. L'attitude moderne et scientifique qui prévaut à juste titre dans les
centres modernes et bien équipés, en temps de paix, se révèle bien souvent irréaliste. En effet,
un afflux massif de blessés ou des conditions matérielles limites imposent un tri par ordre
d'urgence et des interventions chirurgicales simples, rapides, en un temps et nécessitant peu
de matériel. L'exemple type en est ici le trou de trépan élargi à la demande, rapidement
exécuté, et non le volet crânien assez long à réaliser.

La responsabilité du chirurgien est-elle engagée dans ces conditions ?


Il est préférable de prévoir auparavant de quelle façon la responsabilité du chirurgien
sera engagée en conditions précaires car elle le sera de toute façon. Être responsable ne se
limite pas à réaliser correctement un geste chirurgical mais concerne tout ce qui l'entoure, en
amont et en aval, pour mettre en place les conditions de travail le plus sereines possible :
acquisition d'une compétence à l'urgence et à la précarité, entretien d'un esprit d'équipe,
motivation et enseignement de tous les intervenants, participation active à l'organisation
logistique locale, etc.

Conclusion
Traiter l'urgence en condition de précarité doit obéir à plusieurs impératifs : objectifs
de qualité, organisation du temps en fonction des patients à traiter, des circonstances et des
lieux. Il doit y avoir adéquation entre le type de pathologie rencontrée, les moyens techniques
à disposition, la nature de l'environnement immédiat, la compétence et le nombre du
personnel soignant. Tout cela pose des problèmes parfois difficiles, mais que l'expérience
aide grandement à résoudre.

Assurer des soins de qualité, optimiser les moyens disponibles, choisir les meilleures
méthodes thérapeutiques, s'adapter au nombre et à la nature des urgences à traiter, c'est aussi
cela l'éthique chirurgicale.

Cette chirurgie de la précarité, souvent exécutée dans des contrées lointaines, mérite
un certain respect car elle demande à la fois de la compétence et du courage. C'est une
chirurgie noble que chaque chirurgien sera peut-être amené un jour à pratiquer.

190
Chirurgie de la guérilla

M. DURAN

Au cours de ces dernières années, la médecine humanitaire a permis de faire face


d'une façon plus organisée et plus efficace aux problèmes nutritionnels, épidémiologiques ou
de santé publique. En revanche, dès qu'il y a plaie, problème obstétrical ou traumatologique,
c'est-à-dire dès qù il y a des gestes médicaux ou chirurgicaux individuels à réaliser, le
manque de personnel local ou expatrié capable de les effectuer est resté alarmant, comme on
a pu le constater au Cambodge, en Angola, au Mozambique, au Viêt-nam et au Rwanda,
malgré la présence parfois pléthorique d'organisations humanitaires.

L'individu qui réclame des soins chirurgicaux en situation de précarité fait figure de
parent pauvre pour la médecine humanitaire. Cette précarité peut se retrouver dans un
contexte de pauvreté, de catastrophes naturelles ou de guerre, le dénominateur commun de
ces situations étant le danger : isolement géographique limitant les possibilités d'évacuation
et de ravitaillement, isolement humain, pénurie des structures médicales et de personnel
qualifié, afflux massif de malades. Cette situation de pénurie ou de précarité « chirurgicale »
concerne les trois quarts de la population planétaire. Dans ce chapitre, ne sera évoquée que
la précarité en situation de guerre, que l'on intitulera plus précisément : « chirurgie de la
guérilla ». Cette guérilla caractérise les révolutions, les luttes armées contre un envahisseur
ou un pouvoir établi, d'où l'absence d aide ou de participation gouvernementales, la
clandestinité et la participation fréquente et majoritaire des ONG cherchant à palier
l'absence d'infrastructures officielles. Cette guérilla peut être urbaine ou rurale.

En se référant à notre expérience, la chirurgie dans ces conditions présente deux


aspects radicalement différents selon que le chirurgien est sur le lieu même ou à proximité
des affrontements, ou s'il en est éloigné. Dans le premier cas, la chirurgie est celle de
l'urgence immédiate (hémorragie essentiellement).

Dans le second, où les blessés arrivent après plusieurs jours à l'hôpital, la chirurgie
est réparatrice, mais sur un terrain habituellement infecté. La première concerne des blessés
« frais », la seconde des blessés « tardifs ».

Nous rapporterons notre expérience de la pathologie chirurgicale et de la logistique,


ainsi que les réponses que nous avons pu apporter en fonction des circonstances.

191
Chirurgie de l'hémorragie
En mars-avril 1976, au cours d'une mission organisée par MSF, nous avons
transformé en hôpital une maison d'habitation d'une ruelle du quartier pauvre de
Borghamoud. Il fallait faire face à un nombre croissant de blessés. Les huit lits créés sont
devenus l'hôpital MSF. Pas un instant nous n'avions imaginé que nous allions nous retrouver
totalement isolés en pleine guerre, et que nous serions la seule structure médicale à faire face
aux conséquences d'un affrontement impitoyable, parmi les plus féroces de notre époque.

La précarité était telle que, un après-midi, une quarantaine de blessés nous ont été
amenés et nous avons dû pratiquer six laparotomies consécutives avec la même boîte
d'instruments.

Les principaux critères de tri des blessés étaient avant tout le niveau de pression
artérielle, l'état d'hypovolémie et la possibilité d'intervenir efficacement sur la cause du
saignement. L'équipe était constituée d'un chirurgien, d'un infirmier-anesthésiste et de deux
infirmières. Dans un chassé-croisé infernal, l'équipe passait des aides opératoires au nettoyage
ou au réapprovisionnement en matériel, aux soins aux hospitalisés et à l'accueil des urgences.
L'ambiance pouvait sans aucune exagération être qualifiée de chaotique.

Dans un tel contexte, efficacité est synonyme de rapidité, tant dans les décisions que
les gestes. Il faut être rapide pour compenser l'hémorragie, et pour la tarir. On est loin ici de la
chirurgie « confortable ». Toute lenteur peut condamner le patient.

Pour ce qui concerne la compensation des pertes, il faut avoir préparé des ressources
pour pouvoir assurer des transfusions. Pour cela, le plus important est de disposer d'une
banque de sang et de suffisamment de donneurs (dont on connaît le groupe et qui doivent être
immédiatement disponibles). Il faut également, dès l'arrivée du blessé, poser un abord
veineux important permettant de perfuser à de forts débits (et donc ne pas perdre de temps à
tenter de cathétériser de petites veines périphériques).

Pour assurer l'hémostase, le problème n'est pas la recherche de la cause du


saignement. Le plus important ici est d'intervenir vite pour arriver au plus tôt au foyer
hémorragique.

Technique
Laparotomie
Pour les laparotomies, l'incision verticale, paramédiane, transversale présente
plusieurs avantages par rapport à l'incision verticale médiane : elle peut plus facilement être
agrandie et les risques d'éventration sont moindres. En cas d'hémorragie massive, la
visualisation de la lésion est difficile. En pratique, dans ces conditions d'exercice, il est rare
de disposer d'un aspirateur en état de marche. Si on en dispose, il faut pouvoir évacuer le sang
rapidement, et surtout sans aspirer l'épiploon, les anses intestinales, etc. En fait, en pratique, il
faut généralement renoncer à l'aspirateur idéal et recourir d'emblée à un jeu de petites cupules
d'évacuation qui permettent de vider rapidement un abdomen inondé. Une technique efficace
consiste également à mettre le patient en position proclive, un aide exerçant une pression sur
les flancs pour évacuer le sang qui s'écoule sur les côtés. Cette technique peut paraître
archaïque, mais elle est efficace.

192
Une fois que la visualisation du champ opératoire est suffisante, l'aide peut appliquer
un « garrot abdominal » dans lequel il clampe l'aorte abdominale entre deux compresses avec
une valve de Balfour, un Diver ou le poing (la pression exercée doit être importante). Cette
compression aortique peut être exercée haut dans l'abdomen, à travers les parois de l'estomac,
ce qui prévient toute lésion pancréatique. Cette hémostase provisoire permet au chirurgien de
bien dégager le champ opératoire et de réparer la lésion.
Si, devant le type de lésion, on évoque un traumatisme « haut », il faut tout d'abord
explorer les viscères pleins, le foie et la rate.

Lésions spléniques
En cas de lésion splénique, la sanction thérapeutique est la splénectomie. Le principal
temps de cette intervention est l'extériorisation et la luxation de la rate pour la sortir de sa
loge. D'éventuelles adhérences au diaphragme à la rate ou aux organes avoisinants sont en
général facilement levées à la main. Une fois la rate extériorisée, on clampe puis on ligature
les vaisseaux du pédicule. La ligature de l'artère doit toujours être double, l'un des deux points
étant un point de « transfixion », effectué avec du fil ou de la soie.

Lésions hépatiques
Le traitement des lésions hépatiques est plus complexe et ne peut être schématisé,
chaque cas posant un problème particulier. Quand la lésion est majeure, le seul geste possible
est l'hépatectomie partielle, qui est un geste majeur même dans les centres bien équipés, et
que nous ne décrirons pas ici. En premier lieu, devant toute lésion hépatique, il faut
correctement installer le patient, en position déclive, un billot soulevant les dernières côtes.
L'incision peut être une oblique sous-costale ou une verticale paramédiane ; parfois même,
dans les lésions des lobes gauche ou droit, on recourt à une thoracolaparotomie au cours de
laquelle la section des ligaments falciformes ou triangulaire permet d'abaisser le foie et
d'offrir une excellente exposition.

Les possibilités thérapeutiques des plaies du foie, surtout par balles, sont limitées. En
effet, aux lésions strictement parenchymateuses peuvent s'associer des atteintes des veines
sus-hépatiques (un blessé que nous avions pris en charge en Angola est décédé sur table de ce
type de lésion). Chez un autre blessé, la seule thérapeutique possible avait été un tamponnage
avec des mèches de gaze ; ce traitement s'est révélé très efficace pour juguler l'hémorragie,
mais retirer la gaze en post-opératoire a été particulièrement difficile. Pour les sutures
hépatiques, il est impossible de préconiser une quelconque technique, chaque cas restant
particulier, mais il faut toujours suivre le principe de suturer avec des grandes aiguilles
courbes et du catgut, en passant loin des berges de la plaie (1 cm au moins) et en serrant les
nœuds doucement, car le parenchyme hépatique est fragile.

On pourrait proposer des techniques plus élégantes, comme combler la plaie hépatique
avec du Spongel, recouvrir la plaie d'épiploon ou, mieux encore, avec des morceaux de
muscles prélevés au niveau de la paroi abdominale (comme nous avons pu le vérifier au
Liban, le muscle a un bon pouvoir hémostatique). Dans ces cas, on suture le parenchyme
hépatique une fois que l'hémorragie est jugulée. Cependant, on ne dispose pas toujours ni du
temps ni des moyens pour utiliser ces techniques.

Lésions vasculaires

193
Dans les explorations abdominales pour hémorragie, une fois que la rate et le foie ont
été mis hors de cause, il faut explorer le trajet des vaisseaux (aorte, veine cave, artères et
veines mésentériques, etc.).

Une lésion vasculaire est habituellement suturée directement. Cependant, s'il existe
des difficultés techniques par fragilité des parois vasculaires (sclérose par exemple), on peut
suturer le vaisseau sur une petite lame de Spongel (à Beyrouth nous avons eu recours avec
succès à cet artifice chez deux patients de 60 ans présentant des plaies de la veine cave
abdominale).

Les plaies vasculaires anfractueuses posent d'autres problèmes, car il est dans ce cas
impossible de localiser un foyer hémorragique susceptible d'être suturé. La gaze iodoformée
est ici très utile. Elle a des propriétés antiseptiques et hémostatiques, ce qui explique que tout
bloc opératoire en situation précaire devrait en être équipé. Cependant, avec cette technique,
il faut être très prudent lorsque l'on retire la gaze, surtout si le tamponnement intra-abdominal
a été étendu. En effet, cette gaze a tendance à adhérer et, pour pallier cet inconvénient, nous
conseillons de tenter de l'imbiber à partir du deuxième jour avec de la paraffine liquide à
partir de son bord extérieur, ce qui permet de la décoller et facilite son retrait qui, de toute
façon, doit être prudent et doux.

Nous avons pu ainsi sauver deux patients chez qui cette technique était la seule
utilisable. Le premier, blessé en Angola au niveau de l'hypochondre droit, présentait une
grosse perte de substance de la paroi costale antérieure, du diaphragme et de la face
supérieure du foie. Chez le second, blessé à Beyrouth, il y avait éclatement de l'os iliaque et
perte de substance importante de la paroi latérale de l'abdomen.

Perforation des viscères creux


En chirurgie abdominale de guerre, on peut être confronté à des perforations
digestives à tous les niveaux, et l'exploration abdominale doit être minutieuse. Au niveau de
l'estomac, la réparation, comprenant suture séromusculaire et épipléoplastie, n'a rien de
particulier par rapport aux ulcères gastriques.

Ensuite, on explore le duodénum, puis l'intestin grêle, de préférence de façon


méthodique s'il est possible de commencer par l'angle de Treitz. On repère l'angle de Treitz en
suivant le mésocôlon transverse jusqu'à la colonne vertébrale : à sa gauche, on trouve une
anse fixe qui correspond au début du grêle. Celui-ci sera ensuite exploré pas à pas jusqu'à
l'angle iléocæcal. En cas de lésion entérique dans des conditions précaires, la suture en deux
plans semble plus sûre. Si la résection et l'anastomose termine-terminale est inévitable, on
effectuera un surjet sur le premier plan, et des points séparés de lin sur la séro-séreuse. Une
des complications possibles de l'anastomose est sa sténose, qui sera prévenue par une section
en oblique de l'intestin et par une vérification du calibre qui doit être systématique. Si l'on
peut introduire l'index, le calibre enterai est a priori suffisant.

Au niveau du côlon se posent des problèmes particuliers, d'ordre vasculaire et


infectieux. Il ne faut pas hésiter à recourir à la colostomie caecale ou transverse
(Wagensteen), plus sûre, surtout en cas de plaies irrégulières et infectées. Dans les lésions
déchiquetées du côlon droit, en fait rares et surtout dues aux franc s-tireur s, on peut être
amené à effectuer une hémicolectomie droite avec anastomose iléotransverse.

194
En cas de plaie abdominale, avant la fermeture, nous administrons toujours des
antibiotiques dans le péritoine, et posons systématiquement au moins deux drains, l'un dans le
cul-de-sac de Douglas, le (ou les) autre(s) dans les sites qui semblent judicieux selon les types
de lésion. Il faut de préférence extérioser ces drains par des contre-incisions, puis les
mobiliser après 24 h.

Conditions d'exercice
Nous ne décrivons ici que la chirurgie abdominale, parce que d'une part le traitement
des lésions des membres est mieux codifié, et que l'utilisation d'un garrot permet de
temporiser. D'autre part, toute chirurgie lourde, notamment les thoracotomies, est exclue vu
les conditions d'exercice. Tous les types de lésion sont évidemment possibles en chirurgie de
guérilla mais, quand les moyens sont extrêmement limités, la pleine efficacité de l'équipe
chirurgicale se cantonne malheureusement bien souvent aux plaies abdominales. Les
pathologies abdominales urgentes que nous avons décrites ici ne se rencontrent plus chez les
blessés acheminés tardivement. Prendre en charge de tels blessés suppose des infrastructures
minimales, soit disponibles sur place, soit installées avec des moyens importants (Service de
Santé des Armées) bien supérieures à celles que nous venons de décrire, même si elles restent
précaires par rapport aux hôpitaux occidentaux. Pour pouvoir exercer dans de telles
conditions, il faut réunir plusieurs impératifs : engagement, sécurité et environnement
logistique lourd.

Engagement
Pendant la première période, le but de MSF était d'être présent là où les autres n'allaient
pas. Ses services étaient proposés aux deux protagonistes, à charge pour eux de s'engager à
laisser travailler les équipes. La montée des intégrismes et des fanatismes rend cette démarche
illusoire. De plus, il apparaît ici une contradiction déontologique : d'un côté, on ne peut pas
proposer ses services à des organisations terroristes, de l'autre le médecin ou le chirurgien ne
peut refuser ses services à l'individu blessé. Une organisation très structurée, comme le
Service de Santé des Armées, peut ne pas rencontrer une telle contradiction.

Sécurité
De l'engagement, on aboutit vite à des questions de sécurité tant des patients que des
équipes. Par définition, la guérilla est mobile, clandestine et secrète. C'est la condition même
de son efficacité et de sa survie qui lui impose d'être insaisissable. Dans ces conditions, on
voit mal comment un chirurgien, son équipe, son matériel pourraient se plier à cette mobilité
et assurer efficacement des interventions parfois majeures, ainsi que le post-opératoire. Par
exemple, Che Guevara en Bolivie a tenté une laparotomie sur un de ses compagnons blessé
au foie. Celui-ci est mort sur la table. Tous ont été massacrés quelques jours plus tard.

Le site d'installation du centre de soins doit en principe offrir des garanties de sécurité
minimale : rien ne sert de regrouper des blessés pour qu'ils soient collectivement écrasés sous
les bombes. En Afghanistan, deux projets de structures médicales fixes ont été détruits par
l'aviation russe dès le début de leur construction.

En fait, le chirurgien qui intervient en guérilla, ainsi que toute son équipe, sont en
perpétuelle insécurité, quel que soit l'abri qu'ils aient pu trouver.

195
Pour qui n'a aucune expérience de la guerre, la peur peut prendre des proportions
extrêmes, voire se muer en panique. J'ai pu personnellement observer des réactions
individuelles incontrôlables, allant de la personne figée et tremblante, littéralement paralysée,
à d'autres sujets se comportant de manière véritablement démente. En 1975, en Angola, nous
avons dû ligoter un délégué médical qui voulait se précipiter dans la fusillade.

L'insécurité est de toute façon la règle, mais la peur doit être maîtrisée, sans quoi rien
n'est possible.

Logistique
En cas de guérilla rurale, il est impossible de suivre directement les fronts qui, par
principe, sont mobiles, dispersés et multiples. Le transfert des blessés ne pouvant se faire par
hélicoptère, comme avec les armées régulières américaine et française au cours de la guerre
du Viêt-nam et du Tchad, la chirurgie n'est pas la chirurgie de l'hémorragie telle que nous
l'avons décrite, ces blessés décédant avant leur arrivée dans l'unité de soins. De plus, dans ces
conditions où l'on ne dispose pas souvent des ressources minimales (banque du sang, matériel
chirurgical et de réanimation, oxygène impérativement, personnel compétent), le meilleur
chirurgien qui pourrait théoriquement effectuer des splénectomies, des sutures intestinales,
des thoracotomies, des pontages vasculaires, l'hémostase hépatique, etc., se retrouve démuni.
De plus, viennent s'y ajouter le danger, l'insécurité et la mobilité permanente. Dans les rares
cas où le chirurgien est confronté à l'urgence hémorragique, il lui faut, dans des situations ici
toujours acrobatiques, tenter de réunir les conditions permettant une intervention, en
particulier les moyens de transfusion.

Chirurgie de l'infection
Lorsque l'on est quelque peu éloigné du front des combats, comme j'ai pu le constater
en Angola, au Sahara, au Tibesti, au Cambodge, au Kurdistan, en Afghanistan, on n'est que de
façon exceptionnelle confronté au problème de l'hémorragie aiguë, à prendre en charge
immédiatement. L'éloignement, et donc la durée du transfert, fait un tri drastique chez ces
blessés.

La chirurgie « de seconde ligne » répond, comme tout acte chirurgical, à des principes
généraux, mais chaque cas pose des problèmes particuliers. Nous pouvons l'illustrer par les
exemples suivants. En 1979, j'étais chirurgien à Sakéo, un camp de réfugiés cambodgiens en
Thaïlande. Beaucoup de Khmers arrivaient blessés par des mines. Parmi eux, un jeune Khmer
de 18 ans avait déjà été amputé au niveau du tibia et il y avait gangrène du moignon. Il fallait
donc le réamputer et la viabilité de l'autre jambe, elle aussi atteinte, était douteuse.

L'amputation, toujours constat d'échec et qui malheureusement est une pratique


courante dans ce genre de chirurgie, ne doit jamais être décidée parce que c'est le geste
techniquement le plus simple. Le réel problème ici est de bien poser son indication, ce qui
revient en fait à dire comment l'éviter, et non sa technique. Dans le cas de ce jeune Khmer,
avec une équipe médicale très solidaire et compétente, nous avons décidé d'avoir une attitude
conservatrice. Dans chaque plaie de sa jambe, nous avons introduit de petites lames
confectionnées avec des gants de chirurgien, et on a suturé par des points d'approximation. Il
y avait une fracture ouverte du tibia que nous avons immobilisée avec un plâtre fenêtre et on
immergeait tout le membre dans un bain d'eau de Javel diluée, un ou deux jours selon le degré
de l'infection. Cette méthode de débridement chimique, opposée au débridement chirurgical, a

196
dépassé nos espérances, et nous l'avons de nouveau utilisée au Kurdistan, au Mali, en
Thaïlande, en Angola, au Tchad, etc. En 1986, j'étais en charge de la mise en route d'un
hôpital MRCA (Médical Reflesher Course for Afghans) à Peshawar au Pakistan pour blessés
afghans. Là, j'ai pu constater que la principale séquelle de la chirurgie de guerre est
l'ostéomyélite, ce « cancer post-chirurgie de guerre ».

Pour cette raison et à cause également de la quantité de morts qui parsemaient les
routes de l'Afghanistan, lorsque B. Kouchner m'a contacté pour être le chirurgien de la
clinique Wardak, au centre de l'Afghanistan pour Médecins du Monde, nous avons donné
priorité à la chirurgie.

La province de Wardak avait été l'une des premières contrôlées par les résistants
afghans. Pendant l'invasion russe, on ne pouvait accéder à la clinique qu'à pied ou à cheval à
partir du Pakistan. La situation chirurgicale était très précaire, par l'isolement qui limitait les
possibilités de ravitaillement et d'évacuation, par l'absence de structures médicales
convenables, de personnel qualifié et de matériel médical adapté, enfin par l'isolement
humain accentué par la barrière socioculturelle et l'absence de communication avec le centre
coordonateur. Pour des raisons de sécurité, l'emplacement de l'hôpital avait été choisi à l'abri
des bombardements, à 3 000 m d'altitude, en dehors de toute zone habitée. L'isolement était
total durant les quatre mois d'hiver à cause de la neige. L'eau provenait d'une source, et nous
la distillions en permanence. L'énergie pour le bloc opératoire, la radiologie et surtout les
deux générateurs d'oxygène provenait d'un groupe électrogène. Les principales lésions
traitées dans cet hôpital étaient à 75 % des traumatismes des membres, 90 % des patients
arrivant avec des plaies qui avaient été suturées (l'erreur la plus courante en chirurgie de
guerre), et en moyenne avec 5 j de retard. On comprend donc pourquoi la pathologie la plus
courante à Peshawar était l'ostéomyélite (80 % des cas). La principale priorité était donc la
lutte contre l'infection. La responsabilité de cette lutte contre l'infection ne pouvait pas
incomber uniquement à l'équipe chirurgicale qui, risquant à tout moment d'abandonner le site,
devait impérativement former le personnel local. La formation, pour être optimale et se faire
le plus rapidement possible, portait essentiellement sur la lutte contre l'infection et l'économie
des gestes chirurgicaux. En une semaine, le personnel local, s'il est peu compétent, ne peut
apprendre l'anatomie et la hiérarchisation des tissus, d'autant plus que, dans certains cas, il
doit également intégrer des notions d'anesthésie, de radiologie et de laboratoire. Cependant,
bien souvent, le personnel local a une compétence certaine, et la formation peut alors être «
spécialisée » en fonction de chaque personne. Dans ces conditions de travail, nous avons
accueilli et soigné 379 blessés de mars à juillet 1988. Nous n'avons pu élaborer de statistiques
fiables quant à la mortalité ou la morbidité.

Dans les pays développés, la chirurgie c'est l'art de l'extirpation et de la réparation. Ce


côté réparateur est pratiquement inexistant dans la chirurgie de précarité, hormis les rares cas
très favorables de fractures fermées que l'on peut réduire et immobiliser ou les plaies simples
et propres. En revanche, dès qu'il y a infection, aucune greffe, plastie ou prothèse ne sont
possibles. La chirurgie est donc, dans l'extrême majorité des cas, limitée et dédiée en priorité
à la lutte contre l'infection, préoccupation que l'on se doit de transmettre au personnel local.
L'archétype de la pathologie infectieuse est l'abcès qui, s'il est correctement traité par
ouverture et drainage, évolue beaucoup plus rarement vers la myosite, l'ostéomyélite,
l'infection diffuse du membre imposant l'amputation ou la septicémie souvent létale.

En tant que stratégie thérapeutique, le parage de la plaie suit le même principe :


prévenir ou traiter l'infection. Il faut aseptiser en posant des drains qui vont permettre

197
l'irrigation des foyers infectieux par des antiseptiques, sauf dans les plaies superficielles ne
nécessitant pas d'irrigation profonde et où des bains antiseptiques suffisent. Toute plaie
considérée comme superficielle doit être explorée pour s'assurer qu'il n'existe pas de trajet en
profondeur. Toute plaie de guerre vue tardivement ne doit pas être suturée d'emblée : c'est la
règle de la delayed primary suture, selon laquelle quand la plaie semble propre, elle ne doit
être suturée qu'au quatrième jour.
Dans les plaies des parties molles et des parties osseuses il faut, outre traiter
l'infection, réduire la fracture ou mettre le membre en traction pour ensuite l'immobiliser. Ici,
dans les fractures ouvertes, la chirurgie orthopédique n'est pratiquement d'aucun recours.
Personnellement, je n'utilise pas de fixateur externe. On immobilise de façon artisanale.
Jusqu'à maintenant, nous utilisons le plâtre de Paris et je n'ai pas eu l'opportunité d'utiliser des
résines. Le plâtre devant généralement être ultérieurement mouillé (bains, humidification), il
faut le renforcer avec des baguettes de bois ou des fils de fer pour éviter ou retarder sa
détérioration. Mais, même ainsi, quand les bains sont quotidiens, le plâtre doit être refait tous
les huit jours. Quoi qu'il en soit, lorsque l'on confectionne un plâtre, il faut faire preuve
d'imagination, plus que se référer à des protocoles standardisés. Les plâtres seront presque
toujours fenêtres ou ouverts pour permettre la désinfection par humidification antiseptique. Il
faut autant que possible éviter le plâtre circulaire. Les complications ischémiques
apparaissent plus volontiers dans ces conditions de surveillance et d'immobilisation. Le but
principal n'est pas d'obtenir une réduction et une immobilisation parfaites, mais de prévenir
l'infection, donc l'ostéomyélite. Il ne faut pas oublier que l'on est moins démuni devant une
fracture mal consolidée que devant un os infecté. Le pansement, qui utilise des bains avec des
substances antiseptiques détergentes, doit permettre un débridement de la plaie et l'expulsion
de tous les tissus nécrosés pour mettre à nu les tissus vivants. Si on y parvient, les résultats
sont extrêmement satisfaisants, avec une fréquence de trois bains par jour, pour une durée de
1 à 2 h au moins selon le degré de l'infection. On peut même, avec une perfusion, assurer une
humidité permanente des pansements. Cette méthode rend obsolète le débridement
chirurgical. Les solutions utilisées sont l'eau de Javel, le dakin, le permanganate de potassium,
la polyvidone iodée ou la chloramine.

Les grands blessés sont ceux présentant de grandes pertes de substances, des plaies
géantes ou de multiples lésions ou fractures associées. Les principes d'hydratation et les
transfusions de sang sont en général à charge du personnel infirmier. Outre ce rétablissement
de l'état général, on applique les principes déjà énoncés : débridement chimique, traitement
antiseptique de l'infection, immobilisation en cas de fracture. Le traitement réparateur n'est
entrepris qu'une fois l'état général récupéré et l'infection jugulée. Enseigner les techniques de
base permettant une certaine autonomie du personnel local est possible pour les lésions des
membres, mais malheureusement pas pour les plaies abdominales, dont la prise en charge
nécessite une compétence qui ne peut être acquise rapidement. Les seuls gestes que l'on peut
enseigner dans les atteintes abdominales sont la pose d'une sonde naso-gastrique et d'une
sonde rectale et, si le trajet lésionnel le permet, la mise en place de drains. En aucun cas il ne
faut enseigner des techniques de laparotomie, même si après plusieurs mois un personnel
initialement incompétent réussissait à pratiquer des césariennes dans de bonnes conditions. Si
par chance le personnel local comprend un chirurgien, l'étendue de l'apprentissage peut bien
évidemment être plus vaste, incluant les laparotomies. Mais, quoi qu'il en soit, quelle que soit
la formation que l'on donne, il faut se montrer plein de tact et respecter les valeurs et
connaissances locales, même si cela n'est pas toujours facile dans des conditions extrêmes.

Au niveau du poumon, s'il n'y a pas de détresse respiratoire majeure, on peut éliminer
un hémopneumothorax médiastinal ou un hémopneumothorax sous tension. S'il n'y a pas de

198
cyanose ni de dyspnée, nous ne posons pas de drain mais attendons quelques jours le temps
que le poumon cicatrise. Nous avons jusque-là tenté de décrire les conditions chirurgicales en
condition de guérilla. Bien évidemment l'attitude définitive dépendra du contexte, en
particulier de la pathologie en cause et des moyens existants. C'est sur ces bases que l'on peut
établir pour chaque malade une attitude cohérente. Cette chirurgie, qu'elle se fasse en extrême
urgence (hémorragie) ou secondairement, nécessite une logistique minimale.
Conditions d'exercice

Localisation de l'antenne chirurgicale


Elle est conditionnée par des raisons de sécurité, c'est-à-dire à l'abri des
bombardements, et doit rester peu vulnérable aux attaques. Si la menace existe, il faut
construire des abris antiaériens et prévoir la possibilité d'évacuation en dernière extrémité. En
Afghanistan, des grottes recreusées, peu visibles et efficaces en tant qu'abri antiaérien, ont été
utilisées.

Bloc opératoire
II existe certes des tentes climatisées, ou « clinomobiles », que nous avons utilisées au
Sahara avec le front Polisario : elles constituent un ensemble climatisé qui regroupe un bloc
opératoire, la radiologie, une salle de consultation et une salle de huit lits d'hospitalisation. En
fait, on utilise le plus souvent des infrastructures ou des matériaux locaux : bambous à Sakéo,
boue et bois en Afghanistan, etc.

Nous avons toujours utilisé deux blocs, l'un septique pour le traitement des abcès, des
plaies souillées et très infectées, l'autre aseptique, qui doit rester le plus fermé possible et dans
lequel il faut respecter des conditions d'hygiène maximales. Il est presque toujours possible de
disposer d'une salle de décontamination per-opératoire, où le patient peut être dévêtu, lavé et
préparé avant d'entrer au bloc.

La construction doit autant que possible être adaptée au climat. -Par exemple, à Sakéo,
dès l'arrivée de l'équipe, une urgence se présenta. En l'absence de bloc opératoire,
l'intervention s'est déroulée sous une tente canadienne. La chaleur était extrême (d'autant plus
que chauffaient les ampoules pour l'éclairage), rendant l'intervention très pénible pour
l'équipe chirurgicale, et dangereuse pour le patient (déshydratation). Les conditions étaient en
revanche confortables quelques jours plus tard, avec un bloc en bois climatisé. En milieu
tropical, l'absence de climatisation rend la chirurgie non seulement pénible mais dangereuse.

En Afghanistan, la dernière intervention que nous ayons effectuée a été une


césarienne. C'était à la fin de l'hiver, et la patiente, en travail depuis quatre jours avait dû
voyager à dos d'âne pour arriver avec une présentation engagée au segment inférieur. Sa
pression artérielle était à la limite du mesurable, et sa fréquence cardiaque à 100/min. Nous
n'avions plus d'oxygène, pas de quoi transfuser, et il faisait -5 °C. Après l'intervention,
l'unique endroit chauffé qui pouvait l'accueillir était la salle de cours où nous dormions tous
ensemble. C'est là que la patiente a passé ses suites opératoires. Jamais il ne faut négliger
l'importance des conditions climatiques.

L'eau

199
Elle est essentielle et prioritaire. Elle doit de préférence venir d'une source naturelle,
rivière, source ou lac, mais il faut toujours prévoir une pompe qui permettra d'utiliser une
nappe souterraine. Si l'on dépend d'un approvisionnement, la situation devient très incertaine,
et il faut disposer d'une grande quantité de désinfectant d'eau de boisson (chloramine).

Source d'énergie
Elle reste un des éléments clefs. La batterie éternelle n'existe pas ; l'énergie solaire est
coûteuse et facilement repérable par les avions, les énergies éolienne ou hydraulique sont trop
complexes. Le bloc électrogène est en fait le plus adapté. Il doit pouvoir permettre de faire
fonctionner :

- un extracteur d'oxygène auquel bon nombre de patients doivent la vie, comme nous
avons pu le constater au Wardak (Afghanistan) ;
- un petit appareil radiologique portatif, ce qui est essentiel, sinon comment pouvoir
mobiliser et traiter un polyfracturé ?

Là est le minimum mais, si la puissance du générateur le permet, il est important de


pouvoir assurer l'éclairage de la salle, l'alimentation d'un bistouri électrique, celle d'un
réfrigérateur permettant d'avoir un minimum de sécurité dans la conservation des
médicaments, d'une pompe à eau (aspirateur), d'air conditionné. Comme le plus souvent la
puissance du bloc électrogène est insuffisante et qu'il n'est pas toujours disponible voire
complètement inexistant, il faut toujours avoir une lampe frontale qui peut être alimentée par
une batterie de voiture.

L'équipement
Qu'il s'agisse du matériel chirurgical proprement dit ou du matériel annexe, comme
celui de l'hôtellerie, on ne peut que recommander de se référer au catalogue de l'UNICEF
(articles standard) pour éviter les oublis. Même si la commande ne s'effectue pas auprès de
l'UNICEF, ce catalogue permet de faire le tour de l'équipement essentiel. De plus, il est
conseillé de rajouter du matériel dans les boîtes de pansement et de renforcer le matériel de
traction et d'immobilisation, sans oublier les brancards. Il faut également prévoir de grandes
quantités de matelas, d'attelles gonflables, d'antiseptiques et de seaux.

Formation
La formation du personnel local est de règle et doit être planifiée à partir de son
niveau de compétence. L'apprentissage élémentaire concerne d'abord le pansement, l'asepsie
et l'antisepsie, puis l'hydratation et la transfusion.

L'anesthésie se fait le plus souvent à base de kétamine (Kétalar®) et de dia-zépam


(Valium®) et le maintien d'une oxygénation correcte est fondamental. Du point de vue
chirurgical, il faut apprendre l'économie du geste car, quand la « mise en scène » chirurgicale
prédomine par rapport à la compétence et le souci d'être le plus conservateur possible,
surviennent les plus grandes catastrophes chirurgicales.

Au laboratoire, un microscope est très utile et, selon les compétences locales, il peut
ne servir qu'à la détection du paludisme ou à des examens plus divers : numération,
principaux parasites et dans certains cas tests rapides du sida.

200
Conclusion
Nous avons ici tenté de présenter l'expérience que nous avons acquise dans conditions
très variées. Nous ne prétendons donc pas être exhaustifs, mais avons repris les points qui
nous paraissaient prioritaires. Les circonstances, les scénarios et l'évolution des événements
sont extrêmement variables en condition précaire. En 1991, en Croatie, nous avons trouvé un
service de chirurgie de guerre tout à fait adapté et performant, avec possibilité d'évacuation
des blessés les plus graves par hélicoptère vers Zagreb. C'est évidemment sans commune
mesure avec le Rwanda, le Burundi ou la Tchétchénie qui échappaient à tout schéma
prévisionnel un tant soit peu cohérent.

D'un point de vue sociologique, éthique ou politique, la situation semble de plus en


plus préoccupante : en 1976 au Liban (Beyrouth), j'avais pu conserver un minimum de
critères moraux de la médecine occidentale en refusant la priorité aux soins que l'on voulait
m'imposer, et en exigeant de pouvoir soigner les civils. Actuellement, de telles exigences sont
de plus en plus souvent illusoires, tant s'aggrave le cloisonnement entre les combattants et les
autres. Femmes et enfants sont relégués au second plan, au profit de l'homme en âge de
combattre. L'exigence envers les chirurgiens est devenue infiniment plus partisane
qu'humanitaire... au chirurgien d'assumer son choix et sa décision personnelle.

201
Témoignages de missions militaires
et humanitaires

F. PONS, S. RIGAL, C.H. DUPEYRON

En avril 1994, l'assassinat du président du Rwanda marque le début d'une guerre


civile entre Utus et Tutsis accompagnée de très nombreux massacres. Le 22 juin 1994, en
accord avec la résolution 929 de l'ONU, la France, dans le but de mettre fin aux exactions
subies par les populations civiles, débute l'opération Turquoise qui fut conçue comme une
action à la fois militaire et humanitaire.

La quatorzième antenne chirurgicale parachutiste fit partie de l'opération.


Initialement prévue pour le soutien chirurgical des troupes françaises engagées au Rwanda
et au Zaïre, elle a rapidement été confrontée, en raison d'un environnement et de
circonstances assez exceptionnels, au traitement de réfugiés rwandais victimes de guerre et
d'affections chirurgicales diverses

Relation des événements

Le dispositif
Goma, ville frontière à l'extrême est du Zaïre, fut le siège du commandement et du
soutien logistique de l'opération. À partir de là, les troupes françaises se sont déployées au
Rwanda et y ont délimité au sud-ouest une zone dite humanitaire sûre (ZHS). L'antenne
chirurgicale (AC) fut aménagée sur l'aéroport de cette ville. Aucun bâtiment en dur n'étant
disponible, l'installation se fit entièrement sous tentes et le séjour fut marqué par
d'importantes nuisances : chaleur, empoussiérage et, surtout, bruit.

L'AC était composée de douze personnes : un chirurgien viscéral, un chirurgien


orthopédiste, un médecin anesthésiste, deux infirmiers anesthésistes, deux infirmiers de bloc
opératoire, un sous-officier administratif, un infirmier et trois auxiliaires sanitaires pour le
secteur d'hospitalisation. Ces personnes, pour la plupart affectées entre deux missions dans le
même hôpital des armées et rentrées récemment d'un séjour au Tchad, étaient habituées à
travailler ensemble en outre-mer.

L'AC était abritée sous deux tentes reliées par un élément intermédiaire : une tente
pour l'hospitalisation de douze blessés et une pour la réanimation et le bloc opératoire. Le
matériel technique du bloc opératoire, rustique mais complet, et une unité d'anesthésie-
réanimation avec oxymètre, scope et défibrillateur, ont permis de faire face à toute chirurgie
d'urgence. La stérilisation se faisait par Poupinel ou Cidex. L'AC put bénéficier en sus de sa
dotation habituelle, d'un extracteur d'oxygène type Dewilbiss, d'une unité de production
d'oxygène par chandelle chimique et d'un réfrigérateur pour la dotation initiale de sang (45

202
unités). En revanche, elle ne disposait, en raison du poids des appareillages qui auraient été
nécessaires, d'aucune possibilité d'examens radiographiques ou biologiques à l'exception des
groupages sanguins. La dotation initiale en matériel médical consommable, sang, oxygène,
eau et essence, offrait une autonomie de deux jours estimée sur la base de 10 à 12
interventions par jour.

Les étapes de l'activité de l'antenne chirurgicale


Les aléas politiques et militaires de la région ont en peu de temps modifié plusieurs
fois l'environnement pathologique, et donc le mode de fonctionnement de l'AC.
• Du 24 au 30 juin : déploiement de l'antenne et réalisation de quelques interventions
chirurgicales mineures.

- Afflux de blessés tutsis rescapés des massacres du Rwanda : le 30 juin, les


troupes françaises ont découvert en ZHS des Tutsis ayant échappé aux massacres et regroupés
dans des conditions d'extrême dénuement. Après triage, les blessés furent évacués par
hélicoptère vers l'antenne de Goma qui dut en moins de deux heures recevoir 94 blessés. Cet
afflux a imposé un nouveau triage, un traitement et une adaptation logistique.
• Le triage a posé relativement peu de problèmes sur le plan médical : les blessés,
dont les blessures remontaient parfois à plusieurs semaines, étaient tous à classer en urgence
relative. L'enregistrement et l'identification se sont en revanche révélés difficiles (peu de
francophones, présence de nombreux enfants orphelins, etc.), ce qui nous obligea à numéroter
les blessés en inscrivant les numéros sur le front.
• Les lésions observées étaient toutes très infectées : plaies par hache ou machette
(fracas du crâne avec embarrures surinfectées, mains amputées, plaies des parties molles,
etc.), plaies par balles (mutilations par plaies transfixiantes des pieds ou des mains, plaies du
périnée, fracas des membres supérieurs, lésions des membres inférieurs très infectées mais
avec peu ou pas de lésions osseuses ayant ainsi permis une fuite salvatrice...). Soixante-huit
de ces blessés ont nécessité une intervention chirurgicale et 23 interventions ont pu être
réalisées le premier jour, en ouvrant un deuxième poste de travail rudimentaire (brancard et
lampe frontale) pour les interventions les plus simples.
• l'AC a dû se métamorphoser pour, en une nuit, passer d'une petite structure conçue
pour l'hospitalisation brève d'une douzaine de blessés à un hôpital de plus de 100 lits sans
aucune possibilité d'évacuation secondaire. Il a fallu pour cela déployer 8 tentes
supplémentaires et une assistance logistique complète pour prendre en charge ces patients
démunis de tout. L'alimentation était assurée par distribution de rations de combats. La
déstructuration familiale, très fréquente chez ces réfugiés, explique que la majorité des
patients, y compris et surtout les enfants, n'avaient avec eux aucun membre de leur famille.
Ces familles « garde-malade » jouent habituellement en Afrique un rôle essentiel dans le
nursing et l'alimentation des patients hospitalisés ; leur absence a considérablement majoré le
travail demandé au personnel du secteur d'hospitalisation.

- Du 30 juin au 14 juillet, d'autre réfugiés blessés furent reçus dans des délais de
quelques heures à plusieurs semaines après la blessure ; l'AC a pu améliorer progressivement
l'organisation du secteur d'hospitalisation qui a culminé à 130 lits.

- À partir du 14 juillet, plus d'un million de réfugiés utus, fuyant l'avance du FPR ont
passé la frontière et littéralement envahi Goma et ses environs, installant partout des
campements de fortune, et en particulier autour de l'aéroport.

203
- 16 juillet : traitement et évacuation du premier soldat français blessé par balle au
Rwanda (fracas du coude traité par fixateur externe).
- Afflux de blessés par tirs de mortier sur la frontière et l'aéroport de Goma (17
et 18 juillet) : l'AC reçut en moins de douze heures 59 blessés graves dont un officier
présentant une plaie du cœur, et dut donc faire face à un afflux massif de blessés de guerre.
- Le triage fut beaucoup plus difficile en raison de la gravité des lésions et de la
présence de 17 enfants (de 1 à 15 ans). Initialement à charge des chirurgiens, il a ensuite été
assuré par l'anesthésiste-réanimateur en suivant les règles de classification en urgences
relatives et absolues ; un seul blessé (adulte blessé au crâne et au thorax) a été classé en
urgence dépassée ;
- l'AC a fonctionné sans arrêt pendant 48 h, effectuant dans cette période 24
interventions (1 sternotomie, 1 thoracotomie, 11 laparotomies, 1 plaie du crâne, 10 fracas ou
arrachements de membres). Les autres blessés, qui présentaient essentiellement des fracas de
membres, ont été opérés les jours suivants. Au cours de cet afflux, la mortalité a été d'environ
20 % : 3 blessés, préagoniques, sont décédés peu après leur arrivée et 3 avant l'intervention
chirurgicale (2 arrachements de membres supérieurs, 1 plaie de hanche) ; 7 blessés, dont 3
arrachements de bras, sont décédés dans les suites opératoires.

- Épidémies de choléra puis de dysenteries : à partir du 20 juillet, une épidémie


brutale de choléra s'est abattue dans la région, tuant des milliers de personnes et atteignant des
opérés très récents. L'AC dut recevoir aussi des patients cholériques, « non chirurgicaux » ; il
fallut transformer certaines tentes en unité de traitement de cholériques (mesures d'isolement
et de protection, désinfection du sol, brancards troués pour le recueil des selles, dispositifs de
réhydratation massive).

L'apparition du choléra chez les blessés de guerre, opérés deux ou trois jours
auparavant, pose des problèmes particuliers de protection de moignons d'amputation de cuisse
ou d'appareillages de colostomies. Les dysenteries à shigelles, qui furent également très
meurtrières, donnaient souvent un tableau abdominal pseudo-chirurgical, source de difficultés
diagnostiques.

• Fonctionnement de l'antenne comme un service de chirurgie d'urgences (20


juillet au 20 août) : à partir de la fin du mois de juillet, l'aide internationale s'est organisée
pour assurer le soutien médical et logistique dans les camps surpeuplés autour de Goma ; de
nombreuses organisations internationales ou non gouvernementales se sont alors déployées
ainsi qu'un hôpital militaire israélien. L'antenne a alors fonctionné comme un service de
chirurgie d'urgence pour traiter :

• des urgences traumatologiques, conséquences de multiples accidents dus à l'exode de


milliers de réfugiés sur les routes et à la multiplication des camions de l'aide internationale ;
• des plaies par balles ou par grenades liées à l'insécurité dans les camps, à des
affrontements avec les soldats zaïrois et à de nombreux accidents avec les armes confisquées ;
« des séquelles de plaies de guerre chez les soldats des forces armées rwandaises, dont plus
d'un millier de blessés s'étaient repliés sur Goma dans des conditions d'hygiène très
défavorables, décimés par la gangrène, le tétanos et le choléra. La majorité des blessures
étaient des fracas anciens de membres ; quelques-uns présentaient des séquelles de plaies de
l'abdomen et du thorax.

204
- Les modalités de sortie et le suivi des hospitalisés posa un problème permanent : il
n'était pas possible de renvoyer « à domicile » ces réfugiés sans toit ni famille et les autres
structures sanitaires, quasi inexistantes au début, furent par la suite saturées lors des
épidémies. Ce problème fut particulièrement délicat pour les enfants en majorité orphelins.

- L'AC fut relevée le 20 août par un groupement médico-chirurgical.

Le bilan de l'activité de l'antenne


En 8 semaines, environ 500 patients furent accueillis par l'AC qui réalisa 315
interventions chirurgicales imposant une anesthésie générale ou locorégionale.

- L'origine des opérés


• les Français (2 %) furent évacués rapidement vers la métropole ;
• les Zaïrois (7 %) pouvaient bénéficier d'un retour rapide en famille ;
• les réfugiés rwandais (91 %), parmi lesquels nous n'avons pas différencié Tutsis et
Utus, ont cohabité sous les tentes sans problème, contrairement à ce qui a pu être observé lors
d'autres conflits. Il faut souligner que, dans cette population rwandaise, les altérations de l'état
général, dont il était difficile de déterminer l'origine (malnutrition, SIDA, tuberculose...)
étaient fréquentes. Il faut également signaler, outre le choléra et les dysenteries, l'importance
des pathologies associées (paludisme, parasitoses diverses, tétanos).

- Âge et sexe : parmi les opérés, on a dénombré 18 % de femmes et 33 % d'enfants


(dont 21 % de moins de 10 ans) ; cette forte proportion d'enfants, inhabituelle mais signalée
en Afghanistan, s'explique vraisemblablement par une volonté délibérée à certaines périodes
du conflit d'éliminer les enfants.

- Les types de blessures étaient des plaies de guerre (69,9 %), de traumatologie civile
(25 %) et des urgences non traumatiques (5,1 %) ; parmi les plaies de guerre, 50 % étaient des
plaies par balles, 29 % par éclats de mortier de 120 ou de grenades, et on avait constaté une
proportion anormalement élevée de plaies par armes blanches (21 %) car haches ou machettes
ont, dans ce conflit, véritablement été des armes de guerre et d'extermination.

- Le délai de traitement des plaies de guerre a été de moins d'une heure à plus de deux
mois. Parmi les plaies vues plus de sept jours après la blessure, on avait relevé une
prédominance des lésions des membres, fait habituel, mais aussi 15 lésions du crâne ou de la
face, 3 plaies de l'abdomen et 4 plaies du thorax.

- Le nombre d'interventions chirurgicales par jour a varié de 2 à 23.


- Anesthésie et réanimation péri-opératoire

Les anesthésies ont été dans 192 cas des anesthésies générales (kétamine ou
thiopental) et dans 123 cas des anesthésies locorégionales se répartissant entre 80
rachianesthésies et 43 blocs plexiques de type interscalénique. Un seul décès semble
directement imputable à l'anesthésie (arrêt cardiaque irréversible après une rachianesthésie
chez une patiente présentant une plaie par balle à la hanche).

Pour décider de transfuser, on se basait sur l'examen clinique et le type de blessure.


Les transfusions ont été quasi systématiques pour les hémopéritoines, les plaies du bassin et

205
les amputations traumatiques ou les fracas de membres inférieurs ; en post-opératoire,
l'impossibilité de connaître hématocrite et taux d'hémoglobine a conduit à une économie de
transfusions, qui s'est sans doute révélée dommageable pour certains patients. La prévalence
de l'infection par le VIH, estimée de 30 à 40 % dans ces populations, interdisait formellement
tout prélèvement sur place. Au cours de cette mission, nous étions par chance bien
approvisionnés en concentrés érythrocytaires par comparaison avec ce que nous avions connu
au cours d'expériences précédentes, et environ 50 unités ont pu être transfusées. En l'absence
de possibilité de détermination du système Rhésus, nous avons dû soit utiliser des concentrés
Rhésus négatifs dans la limite de nos stocks, soit transfuser des culots Rhésus positifs malgré
les problèmes que cela pourra éventuellement poser ultérieurement.

L'oxygène a été utilisé sous deux formes (administration en inhalation d'oxygène pur à
la pression atmosphérique grâce à l'extracteur, oxygène comprimé pour le fonctionnement des
appareils d'anesthésie-réanimation grâce à l'unité de production par chandelle chimique).

La réanimation post-opératoire a toujours été limitée au strict minimum ; seuls deux


patients ont bénéficié d'une ventilation prolongée pendant 12 h, ce qui s'avère pratiquement
incompatible avec la poursuite du fonctionnement normal de l'antenne.

Une antibiothérapie prophylactique a été systématiquement prescrite : au début, nous


avons utilisé un protocole classique (pénicilline G-métronidazole), puis ultérieurement
l'association amoxicilline-acide clavulanique injectable qui a l'avantage de donner un spectre
voisin avec un mode de préparation plus simple pour le personnel infirmier. La doxycycline
fut prescrite lors de l'épidémie de choléra. La prophylaxie antipalustre, toujours souhaitable
chez un opéré en pays d'endémie, a pu parfois être effectuée en fonction des stocks
disponibles. La prophylaxie antitétanique n'a pu être systématique, et nous avons eu à
déplorer deux cas de tétanos dont un mortel. Un traitement antiparasitaire systématique des
enfants par flubendazole, s'il est possible, donne parfois de spectaculaires améliorations de
leur état général.

- La répartition du type de lésions (Tab. 9.1) montre une large prédominance des
lésions des membres, ce qui est très comparable à ce que l'on constate dans tout conflit.

Cou, face 2,7

Crâne 6,7

Thorax 3
Abdomen 10,7

Gynécologie obstétrique 1,5


Parties molles 15,2
Membres (lésions osseuses) 60,1

Tableau 9.1 : Répartition du siège des lésions traitées (en pourcentage)

206
• Lésions abdominales et périnéales : 34 laparotomies ont été réalisées, dont 29 pour
des lésions abdominales traumatiques. L'étiologie et les organes lésés sont rapportés dans les
tableaux 9.2 et 9.3. L'importance relative des lésions du côlon par rapport à celles du grêle
s'explique par l'existence de 5 lésions séquellaires, coliques ou rectales, fistulisées à la paroi
abdominale ou à la fesse. Les lésions coliques ont été traitées par 5 sutures résection-
anastomoses en un temps et 7 colostomies (dont trois colostomies latérales de dérivation pour
lésions périnéales ou rectales). Pour tous les patients, la continuité a pu être rétablie par notre
équipe ou celle qui nous a succédé dans des délais variant de 26 j à 2 mois.

Organe lésé Nombre


Grêle 9
Côlon, rectum 12
Estomac 2
Foie 5
Pancréas 1
Rate 1
Rein 1
Diaphragme 2
Urètre 1
Pas de lésion 3

Tableau 9.2 : Répartition des organes lésés dans les lésions abdominales

Récentes Anciennes
Plaies abdominales pures 15 3
Plaies thoraco-abdominales 3 0
Plaies pelvi-fessières 3 1
Traumatismes fermés 4 0

Tableau 9.3 : Origine des lésions abdominales

La mortalité des lésions abdominales traumatiques a été de 27 % et 7 décès sur 8 sont


survenus dans le jour qui a suivi l'intervention (Tab. 9.4). Ces décès ne sont pas a priori
imputables à la technique chirurgicale mais à l'importance des lésions associées (blast,
amputations) chez les blessés épuisés ou en mauvais état général, et aux conditions très
précaires de la réanimation. Une tentative de rétablissement de la continuité à J 26 s'est
révélée impossible devant l'existence d'un pyosalpinx, et la patiente est décédée un jour plus
tard, vraisemblablement de choc septique. Pour les 21 autres patients, la morbidité
postopératoire s'est limitée à quatre abcès de paroi et nous n'eûmes à déplorer ni fistule ni
péritonite post-opératoire.

207
Lésion initiale Remarque Décès à

Plaies éclat côlon, grêle, foie (5 ans) Tétanos Jl


Plaie éclat grêle, arrachement bras (6 ans) Jo
Plaie éclat paroi lombaire, éviscération (6 ans) Jo
Polytraumatisme par lynchage (rate, rein, sur table
hémothorax bilatéral) (adulte)
AVP hémothorax, foie, luxation épaule J10
Plaie balle, péritonite vue à 1 semaine (adulte) J2
Plaie éclat, foie (sujet âgé) Choléra J3
Tentative de remise en continuité à J 26, Choc septique J1
découverte d'un pyosalpinx, abstention

Tableau 9.4 : Causes de mortalité des lésions abdominales

• Lésions thoraciques : 14 plaies récentes du thorax ont imposé une sternotomie, trois
thoracotomies et quatre drainages. Le drainage thoracique se faisait par utilisation d'un petit
aspirateur ou, lorsqu'il n'était pas disponible, par aspiration au pied (Pédavid) ou par traite de
la valve de Heimlich. La sternotomie, décidée devant un tableau évident de tamponnade,
permit l'hémostase d'une plaie non transfixiante du ventricule droit. Le bilan, pratiqué après
évacuation sur la métropole, a montré la présence d'une balle de 5,56 fichée dans le septum
interventriculaire, sans lésion coronarienne ni atteinte des faisceaux de conduction. Le
projectile a pu être extrait sous circulation extracorporelle 48 h après la première intervention.

Trois patients ont été vus plusieurs semaines après leur blessure. Deux présentaient
une coque pleurale importante et purent bénéficier d'une décortication pulmonaire avec un
résultat radiologique à distance satisfaisant. Le troisième, blessé deux mois plus tôt, présentait
un thorax soufflant bilatéral par les orifices projectilaires et par les anciens orifices de drains,
et ne survivait vraisemblablement que grâce au lobe supérieur gauche accolé ; ce patient est
décédé dans un état avancé de cachexie et d'infection malgré des drainages itératifs et
plusieurs réfections pariétales.

• Lésions crâniennes et faciales : l'AC reçut 27 traumatismes crâniens dont 14 par


accident de la voie publique, 1 par éclat de mortier et 12 par arme blanche. Dix furent
perfusés et mis en observation et 17 subirent un ou plusieurs gestes chirurgicaux (15
craniectomies, 3 trépanations, 6 gestes de parage ou de lambeaux de recouvrement). Les
traumatismes crâniens fermés avec des signes de localisation furent trépanés par plusieurs
trous d'exploration, sans que l'on ait mis en évidence d'hématome extradural vrai. Les plaies
craniocérébrales vues tôt ont été traitées par craniectomies limitées, suture de la dure mère si
possible et lambeau de recouvrement selon la technique préconisée par Cairns. Les
embarrures surinfectées ont été traitées par crâniectomies larges pour enlever tout l'os
séquestré ; deux crâniectomies insuffisantes se sont soldées par la persistance d'une

208
suppuration et la nécessité de gestes itératifs. Sept blessés décédèrent (25 %) : 4 non opérés,
une plaie craniocérébrale par éclat de mortier et 2 hématomes intracrâniens trépanés.

Quatre fracas de face ont été opérés pour réaliser une stabilisation relative de la
mâchoire en utilisant soit le minifixateur du Service de Santé, soit un fixateur de fabrication
locale utilisant des broches et des dominos électriques. Cinq autres plaies importantes de la
face vues tardivement ont été simplement pansées et désinfectées, mais auraient justifié des
gestes ultérieurs de reconstruction.

• Lésions des membres et du bassin : nous avons traité 157 patients présentant une
lésion osseuse des membres, dont 108 plaies de guerre. Dans 92 % des cas, il s'agissait de
fractures ouvertes que l'on a traité de la façon suivante : 39 amputations, 77 immobilisations
par fixateurs externes du Service de Santé des Armées (FESSA), 9 ostéosynthèses et 41
parages et immobilisations. Les FESSA ont été posés à tous les étages des membres supérieur
et inférieur (Tab. 9.5). Les ostéosynthèses se sont résumées en 6 brochages de doigt, un
brochage de cubitus et deux cerclages de rotule. Pour les plaies de guerre, nous avons dû
recourir à l'amputation dans 50 % des blessures par mortier, contre 26 % pour les plaies par
balles. Nous avons laissé ouverts tous les moignons d'amputation. Sur 108 blessés de guerre,
18 (16 %) ont nécessité 34 gestes itératifs et 70 % de ces gestes étaient des pansements,
reprise ou fermeture de moignons. Sept blessés sont décédés : trois fracas ouverts du bassin
par accident de la voie publique et quatre amputations du bras droit après arrachement par
éclat de mortier.

Bassin - hanche Cuisse 10 Genou Jambe 19 Cheville 11


4 4
Épaule Bras Coude Avant-bras Poignet
3 8 7 7 4

Tableau 9.5 : Répartition des 77 fixateurs externes de membres.

Commentaires
Les AC sont les structures chirurgicales de base du SSA. Créées au cours de la guerre
d'Indochine et modifiées plusieurs fois depuis, elles sont conçues pour allier deux impératifs :
une grande rapidité opérationnelle et un plateau technique suffisant pour assurer le traitement
avant évacuation des urgences chirurgicales absolues. Leur mission théorique est d'assurer
pendant 48 h le soutien chirurgical initial d'une unité combattante. En fait, les troupes
françaises ayant souvent été appelées ces dernières années à agir au sein de pays sous-
médicalisés, les AC sont très souvent amenées à apporter leurs soins aux populations dans le
cadre de l'aide médicale gratuite.

Cette mission ayant été brève et les lésions que nous avons eues à traiter ayant été très
diverses, tant dans leur nature que dans le délai de leur prise en charge, on ne peut en tirer des
conclusions comparables aux grandes séries de guerres classiques (Viêt-Nam, Kippour, etc.).
Il faut plutôt se référer, pour en tirer des données générales et toutes proportions gardées, aux
conflits touchant d'autres populations défavorisées (Tchad, Afghanistan, Cambodge). Les
points importants à souligner sont :

209
- l'absence d'examens complémentaires (radiographie et biologie) ;
- l'impossibilité d'une surveillance post-opératoire rigoureuse et d'une réanimation
post-opératoire prolongée par manque de moyens (humains surtout, avec absence de la
famille, surchargeant d'autant plus le travail du personnel, déjà débordé, surtout lors de
l'épidémie de choléra) ;
- l'absence de toute possibilité d'évacuation, aggravée ici par la nécessité de l'accueil
des convalescents qui ne pouvaient être dirigés nulle part.

Toutes ces raisons expliquent les tactiques que nous avions adoptées : diagnostic
rapide et techniques thérapeutiques facilitant autant que possible les soins post-opératoires et
visant à redonner au plus vite l'autonomie aux patients.

Le triage d'afflux de blessés


Un triage devient nécessaire dès que la demande de soins dépasse les possibilités de
l'offre. Le triage comporte une double composante, logistique et médicale :

La composante logistique doit prévoir trois éléments :


- les lieux, d'une part du triage proprement dit (à l'abri des intempéries, avec des
possibilités d'éclairage, suffisamment vastes pour pouvoir allonger les blessés et en avoir une
vision d'ensemble), et d'autre part d'hospitalisation et de surveillance post-opératoire, en
tenant également compte de la compétence et du nombre de personnel disponible ;
- l'identification et l'enregistrement des blessés, souvent difficiles chez ces
populations réfugiées ne parlant pas la langue de l'équipe chirurgicale. Il ne faut pas hésiter si
nécessaire à recourir à un numéro d'ordre ;
- l'évacuation et l'insertion dans une éventuelle chaîne de santé (inexistante dans notre
cas particulier).

La composante médicale
- auparavant, la charge du triage était en général confiée au chirurgien le plus
expérimenté mais, à l'heure actuelle, ce rôle est habituellement dévolu à l'anesthésiste-
réanimateur, solution la plus rationnelle dans bien des circonstances car les chirurgiens, une
fois commencées les interventions, ne quittent quasiment plus le bloc et la rapidité
d'enchaînement des interventions est impérative. Le médecin anesthésiste-réanimateur peut
éventuellement demander conseil auprès des chirurgiens. Il a, lors de tels afflux, un rôle
capital de régulation et de surveillance des trois postes de travail : réanimation et triage, suivi
du bloc opératoire où travaille l'un des infirmiers-anesthésistes et de l'hospitalisation où la
surveillance post-opératoire est fondamentale.
- nous avons utilisé la classification du Service de Santé et de l'OTAN en urgences
absolues et relatives, en soulignant cependant certains problèmes :
• le dilemme entre l'extrême urgence qui vient d'arriver et la première urgence déjà
sur table peut s'avérer très délicat ; en l'absence de problème hémorragique chez le blessé sur
table, nous avons opté pour la prise en charge de l'extrême urgence.
• le problème du choix parmi ces urgences absolues entre les hémopéritoines et les
gros délabrements de membres ; nous avons, comme cela est le plus souvent rapporté, choisi
de prioriser les blessés présentant un hémopéritoine évident, mais plusieurs décès pré- et post-
opératoires survenus chez des sujets souffrant d'arrachements de membres nous ont poussé à
remettre en cause cette attitude. Ces décès n'étant survenus que dans les arrachements des
membres supérieurs, ils seraient peut-être dus, en partie au moins, à des lésions thoraciques

210
associées (blast pulmonaire, contusions cardiaques ?). En l'absence d'études complémentaires,
il nous paraît impossible de préconiser une attitude de principe.
• les urgences dépassées : différemment dénommées (hopeless, morituri, subfinem,
T4, P4, catégorie 2), elles résument tout le problème éthique du triage qui doit substituer une
morale collective à notre morale individuelle habituelle. Le problème ici n'est pas tant le
blessé agonique, souvent écarté, que le blessé grave mais a priori curable avec toutefois un
pronostic incertain, et au prix d'un investissement lourd en temps et en personnel, empêchant
la prise en charge d'un plus grand nombre. Les blessés à ranger dans cette catégorie varient
selon les auteurs et selon les circonstances : abdomens trop anciens pour certains, polyblessés,
gros délabrement pariétaux avec éviscération ; dans notre expérience, deux enfants (un
arrachement de paroi lombaire par éclat, un polyblessé avec amputation du bras, plaie de
l'abdomen et du thorax) auraient peut-être dû être écartés ; ils furent opérés et décédèrent dans
les suites.

L'anesthésie
Les anesthésies locorégionales pour les lésions des membres sont très précieuses car
elles augmentent la disponibilité du médecin anesthésiste, simplifient la surveillance post-
opératoire et permettent une économie d'oxygène. La kétamine est extrêmement utile pour
l'ouverture d'un deuxième poste de travail dans lequel on réalise des gestes simples sans
ventilation assistée, tels que le parage des plaies des parties molles qui peut, au besoin, être
confié à du personnel paramédical.

Plaies de l'abdomen
Devant une plaie abdominale dont on ne savait pas si elle était pénétrante ou non, ou
devant une contusion abdominale, notre attitude variait selon les circonstances : pendant la
période d'afflux et de triage, ces blessés ont été classés en urgence potentielle et mis en attente
avec une surveillance aussi attentive que possible ; en dehors de la période d'afflux, nous
réalisions au moindre doute une petite laparotomie exploratrice qui permettait rapidement un
diagnostic précis et un traitement complet, et simplifiait considérablement la surveillance ;
avec cette attitude, nous n'avons effectué qu'une laparotomie blanche et une laparotomie qui
s'est achevée par une simple extraction de balle dans la paroi lombaire.

Le principal problème reste, devant une lésion colique, de décider ou non d'une
colostomie ; selon les auteurs, l'attitude varie de la colectomie idéale quasi systématique à la
colostomie de sécurité, en passant par des attitudes plus éclectiques prenant en compte le
siège des lésions, le délai et les lésions associées. Il faut aussi tenir compte des conditions
logistiques locales car une colostomie dans ce contexte pose de nombreux problèmes ;
difficultés d'appareillage, risque d'absence de remise en continuité faute d'équipe chirurgicale
disponible ou faute de moyens financiers suffisants pour le patient, risques vitaux majeurs
bien supérieurs à ceux énoncés dans nos pays si la remise en continuité est effectuée dans des
structures locales au plateau technique très sommaire. Ces considérations, ajoutées à
l'incertitude sur la durée de notre présence, nous on fait tenter de limiter le nombre de
colostomies : pour les blessures traitées dans le cadre de l'afflux, nous avons choisi la
technique la plus rapide (souvent colostomie) ; en revanche, lors du traitement isolé de ces
plaies coliques, nous avons réalisé des colectomies idéales et ceci parfois dans des conditions
théoriquement défavorables (lésions du grêle associées, délai supérieur à 24 h) ; nous l'avons
fait quatre fois sans complication mais nous nous garderions bien de recommander
systématiquement cette attitude, d'autant plus qu'elle demande une surveillance très attentive.

211
Dans le même esprit, nous avons tenté de raccourcir le délai de remise en continuité : deux
tentatives furent faites à J 26 et J 27 avec un succès au prix d'importantes difficultés
techniques et un décès évoqué précédemment ; les autres remises en continuité furent faites
sans problèmes techniques particuliers, dans des délais de l'ordre de 7 à 8 semaines, délais au-
dessous desquels il ne nous paraît pas prudent de descendre.

Les lésions périnéales et rectales ont été traitées par colostomie de dérivation ; en cas
de lésion osseuse concomitante, la mise en place d'un fixateur externe stabilisant le bassin est
d'un apport très précieux pour traiter l'infection et faciliter les pansements quotidiens
indispensables mais le suivi est très contraignant. En revanche, nous avons été frappés,
contrairement à ce que nous avions observé dans notre expérience tchadienne, par la rapidité
d'évolution de ces lésions (cicatrisation, greffe et remise en continuité en moins de deux
mois). Ceci est vraisemblablement dû à l'alimentation hypercalorique apportée par les rations
de combat.

Plaies du thorax
L'absence de radiologie nous a conduit à ne drainer que les lésions avec pénétration
évidente et signes cliniques d'épanchement, ce qui a certainement fait méconnaître certains
épanchements. Les autres blessés, en particulier les blessés par éclats, présentant souvent des
polycriblages du tronc dont il est difficile de déterminer s'ils sont ou non pénétrants, n'ont pas
été drainés de principe mais surveillés et considérés comme des urgences potentielles. Aucun
patient n'a nécessité d'intervention secondaire. En revanche, devant une plaie pénétrante avec
hémothorax nous avons, comme le préconisent certains, préféré réaliser de principe une
thoracotomie permettant une hémostase, une pneumo-stase et un bon positionnement des
drains. Ceci permet d'éviter les séquelles liées à un mauvais drainage et simplifie la
surveillance post-opératoire en évitant les interminables doutes devant un drainage qui bulle
ou ne produit plus, et dont on ne peut apprécier sans radiographie, ni la position ni l'efficacité.

Les plaies du cœur par balle, fréquentes en milieu urbain, sont plus rares dans un tel
contexte et l'élément fondamental pour la survie est le délai du transfert qui fut ici inférieur à
15 min.

Plaies des membres


Nous avons limité les indications des amputations aux régularisations d'amputations
traumatiques, aux grands fracas par éclats de mortier intéressant tous les tissus ou aux lésions
vues tardivement et très infectées. Dans certains pays (mais ce ne fut pas notre cas), les
amputations se heurtent à des tabous religieux ou culturels. Un des gros problèmes est celui
de l'appareillage ultérieur de ces patients.

Les indications d'ostéosynthèse ne peuvent être qu'exceptionnelles dans un tel


contexte. Les traitements orthopédiques se limitent souvent à des immobilisations simples de
lésions des membres supérieurs ; les traitements par traction de fractures des membres
inférieurs posent de gros problèmes de nursing, ce qui nous a poussés à traiter quatre fractures
fermées du fémur par la mise en place (à foyer fermé) de fixateurs externes permettant de
redonner immédiatement une relative autonomie à ces patients.

Le FESSA a fait ses preuves en chirurgie de masse lors de divers conflits. Il présente
plusieurs avantages : grande facilité de mise en place, coût relativement modéré et réalisation

212
des pansements plus facile. Nous avons autant que possible privilégié des montages très
simples dans un souci d'économie des barres et des colliers. Le suivi maximal de ces patients
aura été de trois mois avec, au cours du dernier mois uniquement, la possibilité de pratiquer
des contrôles radiologiques permettant de corriger certains montages ; ce recul est tout à fait
insuffisant pour pouvoir apprécier les problèmes ultérieurs de pseudarthroses ou d'ostéites qui
imposeront des gestes complémentaires. Un autre problème qui se pose est celui de la
surveillance à distance de ces patients et de l'ablation de ces FESSA. Qu'adviendrait-il en
effet de ces patients si l'équipe devait être amenée à évacuer le site avant d'avoir pu les
retirer ?

Conclusion
Au cours de cette mission, nous avons pu constater le caractère judicieux du concept
d'antenne chirurgicale dans sa configuration de base (12 personnes et déploiement sous
tentes) pour intervenir rapidement et s'adapter aux circonstances dans des conditions souvent
précaires. Une telle antenne, dont l'efficacité repose sur la cohésion du personnel et un
matériel compact, permet de faire face aux premières urgences et d'évaluer les possibilités
locales avant l'arrivée éventuelle de structures plus lourdes.

Les circonstances parfois dramatiques dans lesquelles s'est déroulée cette mission
montre bien que la chirurgie de guerre et d'urgence doit être flexible et surtout ne pas
s'enferrer dans des dogmes immuables. Il faut au contraire s'efforcer de s'adapter aux
conditions logistiques, sociales et culturelles dans lesquelles elle s'exerce.

213
Libres propos

RECUEILLIS PAR L.-J. COURBIL


À l'occasion de la rédaction de ce livre, j'ai contacté de nombreux chirurgiens qui ont
connu ces situations de précarité. Si quelques-uns ont trouvé le temps de rédiger des
chapitres pour l'ouvrage, d'autres m'ont simplement adressé des réflexions en m'autorisant à
les citer.

J'ai regroupé ces réflexions par thèmes :


- les principes généraux de cette chirurgie dans la précarité, tels que les rappelle P.
Godefroy;
- la notion essentielle de consacrer, au cours de ces missions, un certain temps à la
formation. B. L'Huillier en donne un exemple convaincant. Les militaires (ici M. Brisgand et
B. Le Quellec) qui l'ont toujours fait par tradition sont en général partisans d'une formation
chirurgicale (pour l'urgence) de tout médecin « isolé » ;
- le « seuil acceptable » de cette chirurgie dans ces conditions rustiques. Ici P.
Fourrier l'a exigé, là Dousset ne l'a pas rencontré ;•
- enfin les divergences entre les actions humanitaires d'Etat et les autres, soulignées
par un responsable de MSF, B. Provensal.

P. Godefroy (Saint-Brieuc) qui avait été mon compagnon en antenne chirurgicale en


Algérie, il y a trente-cinq ans, a retrouvé la chirurgie de guerre dans les équipes de MSF au
Sri Lanka, au Cambodge et en Tchéchénie.

Il définit ce qu'il appelle le périmètre de soins. En amont de ce périmètre, dans les


meilleurs cas, le blessé aura reçu les premiers gestes de secourisme pouvant améliorer
l'évolution ultérieure. Son approche est celle d'un spécialiste de la médecine de catastrophe
qui porte, avant d'opérer, une attention soigneuse à l'aménagement, au fonctionnement et au
contrôle de la structure de soins qu'il va utiliser.

Il pose des indications larges de laparotomies, critiquant les « paracentèses » qu'il a vu


effectuer localement ; il ne s'obstine pas à rechercher à tout prix un projectile inclus et laisse
pratiquement toujours la plaie ouverte.

Enfin, il rappelle quelques principes qui méritent d'être reproduits intégralement :


1. La chirurgie de « précarité » doit être une chirurgie rapide, pour faire face à un
afflux important de blessés. Pour autant, elle ne doit pas être bâclée. Tout en étant rapide,
elle doit rester minutieuse.
2. Elle ne souffre pas d'improvisation. Le chirurgien doit y être préparé
physiquement et psychologiquement. En particulier, il doit analyser son comportement
éventuel, ses aptitudes et être capable de faire le bon choix lors du triage.
3. De même, il doit pouvoir s'entourer d'une équipe sérieuse, compétente et motivée,
savoir ne pas trop compter sur l'environnement local, mais ne pas hésiter à y faire appel en
l'encourageant et en le responsabilisant.
4. Bien réaliser que le geste chirurgical, pour important qu'il soit, ne prend son
intérêt que si en amont et en aval tout est fait pour que l'intervention soit réellement efficace.

214
5. Il ne faut pas faire « une chirurgie de pauvres pour les pauvres » ni considérer la
précarité des moyens comme une vertu monastique à cultiver. Au contraire, tous les moyens
techniques modernes disponibles ou accessibles doivent être passionnément recherchés.

Enfin, si comme c'est classique, il distingue la mission « substitution » de la mission


« formation », il me précise, et c'est je crois, essentiel : Encore que dans mon esprit, il y a
toujours formation si on veut bien s'en donner la peine.

B. L'Huillier (Sarrebourg), ancien interne et chef de clinique de Strasbourg, avait été


chirurgien à Gagnoa (Côte-d'Ivoire) en 1963 comme volontaire du service national,
chirurgien du CICR par deux fois (1969-1970) au Biafra, puis a assuré tous les ans une
mission humanitaire soit dans des conditions de guerre (Cambodge, Liban, Kurdistan, Sri
Lanka, Jordanie) ou en pratique « civile » (Burkina, Togo, Mauritanie). Après un parcours
aussi exceptionnel, il mérite d'être écouté :

Depuis trois ans, je m'occupe avec une ONG, la MAP, de l'hôpital d'Atar en
Mauritanie où je réactive le service de chirurgie et où je travaille à la formation du
personnel médical et paramédical.
Deux types d'activités très semblables et très différentes m'ont fait réfléchir sur mon
exercice de la chirurgie.
En France, j'ai de plus en plus le sentiment de participer à un système auto-
inflationniste dont le but consiste à consommer des soins, des examens de laboratoire et de
l'imagerie médicale.
Nous sommes censés travailler au moindre coût, mais cela n est pas réalisable à
cause de la pression du public avide d'examens, de bilans, etc., et du système en lui-même. Il
est difficile de marcher à contre-courant d'un tel système et l'on « suicide » son service en
récusant des indications chirurgicales abusives, en vidant son service et en autolimitant sa
consommation d examens que l'on estime inutiles.
Je l'ai fait... à mes dépens mais je ne crois pas être responsable de l’énorme déficit de
la Sécurité sociale.
Dans le tiers-monde, en Afrique plus particulièrement, la situation est inversée :
pathologie lourde, moyens limités.
J'y ai connu :
- le triomphe de la clinique que j'ai dû réapprendre ;
- la satisfaction d'être un authentique chirurgien généraliste sachant faire de tout un
peu...
J'y ai compris :
- l'importance de l'hygiène ;
- la nécessité d'avoir de solides connaissances biologiques.
Je me suis replongé dans le travail : lectures, réunions, cours de formation avec le
CICR à Genève, les médecins militaires du Val-de-Grâce ou de l'hôpital Laver an.
J'ai fait un gros effort de formation ou de reformation en redécouvrant de vieilles
techniques jugées obsolètes chez nous mais encore utilisables et modernisables.
J'ai bénéficié :
- d'une solide formation à la chirurgie générale, formation encore pratiquée lors de
mon internat ;
- de ce va-et-vient permanent pendant trente ans entre la chirurgie pratiquée en
France et la chirurgie à pratiquer sur place.

215
Mes conclusions risquent de paraître sévères :

- il est impossible de former en Europe un chirurgien africain. Il doit être formé sur
place dans les conditions réelles d'exercice et par des gens compétents ayant l'expérience du
terrain;
-faire venir chez nous des chirurgiens africains est non seulement inutile, mais
dangereux, car ils prendront de mauvaises habitudes, en particulier faire une chirurgie
souvent inutile comme les appendicectomies trop coûteuses (la coelio-chirurgie), alors qu'ils
devraient apprendre une chirurgie rustique, efficace et peu coûteuse.
Je suis devenu un bon chirurgien de brousse. J'ai dû faire un effort de formation et je
souhaite faire bénéficier mes jeunes confrères africains, et plus particulièrement
mauritaniens, de mon expérience.
Être un bon chirurgien de brousse nécessite beaucoup de qualités. Le chirurgien
africain devra être :
- un hygiéniste féroce, méticuleux, spectaculaire et ostentatoire. Il devra s'occuper de
l'hygiène de base, tâche jugée dégradante, laissée chez nous au personnel paramédical,
abandonnée en Afrique à des manœuvres illettrés ;
- un excellent clinicien habitué à faire des diagnostics sans toute la batterie de
moyens gaspillés chez nous ;
- un bon biologiste, au courant de V évolution de la pathologie et des effets de ses
traitements ;
- un gardien féroce des deniers de l'État et de ses malades, réfléchissant au prix de
chacun de ses gestes.
Il faudra leur apprendre que l'on peut être bon chirurgien sans faire de la
microchirurgie, des transplantations et de la coeliochirurgie.
Il faudra leur apprendre à avoir de bons résultats dans 95 % de la pathologie
rencontrée avec peu de moyens.
Ils retrouveront la joie et la fierté d'être utiles et cesseront de fuir leur pays, les postes
difficiles dans les hôpitaux de brousse.
Je me propose, début 1996, de m'installer pour quelques années à l'hôpital d'Atar en
Mauritanie et d en faire, aidé par le maximum de bonnes volontés, un centre de formation à
la chirurgie en conditions précaires en temps réel.
J'ai commencé ce travail qui me passionne et je souhaite le poursuivre à temps plein
et non plus au hasard de mes congés.
Je crois avoir fait comprendre l'intérêt de ce travail à quelques responsables.

Je me permets d'ajouter trois réflexions :

- la suppression du corps des médecins militaires qui quadrillaient les hôpitaux de


brousse en Afrique a été pour ces pays un véritable désastre, car ils assuraient les soins
chirurgicaux de base pour les populations hors de la capitale ;
- la création des CHU est une erreur. La plupart des CHU africains que f ai visités m
ont paru dans un triste état. La chirurgie pratiquée dans ces CHU s'efforce d'imiter la nôtre
et, à quelques exceptions près, elle entraîne des échecs : par exemple, les ostéosynthèses au
lieu du traitement orthopédique des fractures ;
- il est totalement illusoire de penser qu'un jeune et brillant chef de clinique ou un
interne des hôpitaux de Paris, transplanté brutalement dans un hôpital de brousse en
Afrique, puisse y rendre des services. Il a été formé à une chirurgie qui est beaucoup trop
loin des conditions locales, et il va essayer de reproduire la chirurgie qu'il a pratiquée en
France, et les résultats seront catastrophiques.

216
Bien entendu, de très nombreux camarades militaires ont prolongé leur carrière
professionnelle, au moment de leur retraite, dans des activités chirurgicales.

M. Brisgand, bien connu dans les milieux des ONG, a transmis sa riche expérience
dans des livres comme les Gestes de base du chirurgien en mission humanitaire (éd. Masson)
qui seront particulièrement utiles à des médecins polyvalents. Il m'écrit : Nous avons tous
connu des médecins qui pratiquaient la chirurgie avec bonheur dans les domaines qu'ils
connaissaient et des infirmiers formés par des chirurgiens qui pratiquaient correctement des
interventions simples ou salvatrices.

B. Le Quellec a travaillé pour les œuvres hospitalières françaises de l'Ordre de Malte


dans de nombreuses léproseries (chirurgie spécialisée des paralysies de la maladie de Hansen)
et en chirurgie générale dans un hôpital du Bénin. Il écrit : Je me souviens de ce que je dois à
/' expérience d'infirmiers africains rompus à la chirurgie courante dans mes débuts. Je reste
absolument persuadé qu’en quelques mois on peut former valablement des jeunes médecins
motivés à faire face à la majorité des urgences courantes... au moindre coût.

Le professeur P. Fourrier (Clermont-Ferrand), qui a effectué une douzaine de missions


au Kurdistan, au Libéria et en Mauritanie, me rappelait dans une lettre récente ce qu'il définit
comme « seuil acceptable » : Le temps capital de l'appréciation du seuil acceptable dépend
pour chacun d'entre nous, tout autant que pour la nature du geste initial, de sa conscience,
de son bon sens, mais aussi, pour l'essentiel, de son expérience personnelle et donc de
l'étendue et de la qualité de sa formation.

Pour moi, ajoute-t-il, « le seuil acceptable » est celui qui va différencier l'acte
chirurgical raisonné et à objectif efficace, et les simples soins infirmiers (pansements,
calmants, voire immobilisation éventuelle) ; c'est avant tout l'expérience et le bon sens qui
prévaudront.
On rejoint là les problèmes éthiques évoqués plus haut par A. Ducolombier.

Dousset (Reims), au cours d'une mission d'un mois au Cambodge en 1992, a


découvert la précarité dans un poste que je connais personnellement et qui était à l'époque
particulièrement sous-équipé, désorganisé et sans hygiène.

Il y a pratiqué une trentaine d'interventions (hernies, césariennes, parfois sur fœtus


mort, péritonites vues très tardivement, fractures ouvertes par balles ou par mines).
De ces interventions, m'écrit-il :

-je n'en ai faite aucune que le chef de service ou les assistants cambodgiens n
auraient pu assurer sans moi ; - en matière d'enseignement, mon apport a été nul.
Les assistants étaient demandeurs, mais leur inculture médico-chirurgicale les
enferme, malgré eux, dans une routine indépassable d'indications et de gestes.
Quant au chef de service, il est resté, malgré mes avis, ancré dans ses habitudes,
comme celle d'infliger une hystérectomie totale pour kyste de l'ovaire (sans histologie) à des
femmes jeunes.
En résumé, ma « mission » n'a été, à mes yeux, justifiée par rien. Je n ai rien fait que
les chirurgiens cambodgiens n'auraient fait sans moi. Le contexte humain et technique rend
l'enseignement impossible ;

217
- il y avait, en 1992, peut-être 80 ONG humanitaires à Phnom Penh, rivalisant entre
elles, pour des raisons variées, dont l'analyse serait aléatoire et, à coup sûr, hors de mon
propos.

D'autres confrères m'ont fait des réflexions analogues et ont arrêté là leurs expériences
dans « l'humanitaire », après un bref passage au Cambodge.

Je crois pouvoir dire que la situation s'améliore sensiblement, ainsi que le montre
l'analyse de Y. Breda (Annexe).

Actuellement, sur certains théâtres de missions humanitaires comme le Cambodge, la


Somalie, le Rwanda, SSA et ONG ont étroitement collaboré sur les mêmes sites. Leurs
doctrines sont souvent très différentes, comme les conditions logistiques qu'ils connaissent.
L'enseignement que nous dispensons en commun à MSF (chirurgie en situation précaire,
diplôme d'université) a amené B. Provensal à parfaitement exprimer les quelques
divergences:

La chirurgie humanitaire d'urgence doit se démarquer des conceptions militaires. Ces


derniers disposent de moyens non restrictifs, agissent sur le champ de bataille, sont préparés
pour cela et intégrés dans la stratégie. Ils connaissent le moment et les lieux d'attaque et
peuvent assurer les premiers soins avant d'évacuer les blessés en zone plus calme pour une
chirurgie secondaire optimisée. Le chirurgien humanitaire en zone de guerre rencontre une
situation différente. Afflux de blessés arrivant difficilement et donc plus tardivement des
zones de combat, moyens médicaux limités et devenir des patients problématiques, sans
ignorer les conditions d'insécurité environnante.

Néanmoins, cette opposition me paraît très théorique. On a lu plus haut les


témoignages de M. Duran et de F. Pons. Certes, leurs formations et leurs « parcours »
professionnels divergent. Mais leurs attitudes thérapeutiques se rejoignent dans l'adaptation
constante de la technique choisie en fonction des conditions logistiques éminemment
variables dans l'espace et dans le temps. M. Duran a rencontré les pires qui soient (Angola,
1975 ; Guatemala, 1976 ; Beyrouth, 1976 ; réfugiés des camps de Thaïlande, 1980-1982 ;
maquis kurdes, 1985 ; Afghanistan, 1988-1989 ; Yougoslavie, 1991), tandis que F. Pons,
chirurgien militaire, est resté dans le cadre strict des missions humanitaires des Armées, ce
qui n'exclut pas d'ailleurs des situations de précarité et d'insécurité.

Je crois qu'il ne faut pas opposer les uns aux autres, mais au contraire multiplier les
échanges comme nous le faisons lors des colloques dans les hôpitaux militaires ou au cours
d'enseignements donnés en commun dans les structures des ONG ou de la Croix-Rouge
internationale.

218
Annexe : Conditions d'exercice
de la chirurgie au Cambodge
Y. BREDA

Les conditions d'exercice de la chirurgie au Cambodge ne sont pas simplement celles


des pays en développement, caractérisées par une pénurie de moyens chirurgicaux (humain
et technique) associée à un afflux de pathologies. La situation au Cambodge résulte, dans ce
pays structuré sur le modèle français, de la conjonction d'éléments économiques (pauvreté,
pénurie), liés à des événements dévastateurs qui ont sinistré ce pays durant ces vingt
dernières années : génocide khmer rouge puis verrouillage politique du pays. La description
de la situation actuelle ne se conçoit qu'à travers l'histoire de ces vingt dernières années.

Historique
La faculté de médecine, créée en 1966 sur le modèle et avec une présence française,
s'est structurée afin de former des docteurs en médecine et des spécialistes. Les premiers
spécialistes et professeurs furent formés en France. Puis un CES fut organisé. Les chirurgiens
khmers, après des études de médecine de sept ans couronnées par une thèse de doctorat,
préparaient un CES de chirurgie en trois ans dans les services hospitaliers de Phnom Penh.
Chaque année de CES était validée par un examen qu' il fallait réussir pour accéder à l'année
suivante. En 1973, la faculté de médecine comportait :

- 21 professeurs agrégés (dont 3 Français), avec 6 chirurgiens ;


- 13 médecins chargés de cours ;
- 13 assistants de clinique, avec 1 chirurgien ;
- 37 moniteurs de travaux pratiques dont 6 chirurgiens.

Il existait en outre un chirurgien qualifié dans un hôpital de province (Battambang) ;


dans les autres hôpitaux, la chirurgie était assurée par des praticiens ayant une formation
chirurgicale sans qualification. La faculté avait alors formé plus de 700 médecins qui étaient
répartis dans le pays. Phnom Penh a été prise par les Khmers rouges le 17 avril 1975, et la
libération du pays par les troupes vietnamiennes a débuté le 7 janvier 1979. Il restait alors
moins de 30 médecins dont 2 chirurgiens.

-1979-1989

-1979 : ouverture de l'école d'infirmiers.

- 1980 : ouverture de la faculté de médecine avec environ 300 étudiants :


• les quelques médecins khmers imposent le français ;
• les vietnamiens détachent des professeurs et spécialistes parlant le français à la
faculté et dans les hôpitaux ;
• les besoins sont considérables, la formation est accélérée (stages de 6 mois,
formation de médecins assistants en 4 ans) ;

219
• pour la chirurgie, les stages s'effectuent dans les hôpitaux de Phnom Penh encadrés
par des spécialistes russes, vietnamiens, bulgares, allemands de l'Est, cubains. Certains
étudiants (environ 10) sont envoyés en stages techniques dans les pays satellites :
Viêtnam, Allemagne de l'Est, Cuba. La durée des stages est extrêmement variable : de 6 mois
à 5 ans, ne débouchant pas sur un véritable diplôme mais des attestations de stages.

- 1989 : chute du mur de Berlin, fin de l'aide extérieure.

- 1990-1991 : début de l'aide internationale (ONG, CICR). Des aides ponctuelles,


ciblées, sont mises en place :

• MDM à l'hôpital Calmette ;


• CICR à Mongol Borei et Takéo ;
• aide suédoise et CICR à Pursat ;
• MSF à Battambang, Siem réap.

Ces aides sont techniques, limitées dans le temps, permettant le redémarrage d'un
service hospitalier et/ou d'un service technique avec une formation pratique directe
(compagnonnage) mais le renouvellement rapide des chirurgiens expatriés s'avère être un
handicap.

- 1993 : signature d'un accord de coopération entre la France et le Cambodge avec


création de l'espace hospitalo-universitaire Calmette (mission d'experts auprès de la faculté de
médecine, de l'hôpital Calmette et de l'Institut Pasteur). Sur le plan chirurgical, la présence
d'un coordinateur des services et enseignements chirurgicaux permet de développer :
• au niveau universitaire, une réorganisation du cursus médical, une refonte des
programmes, la signature de conventions interuniversitaires avec les universités françaises :
Bordeaux-II (chirurgie, anatomie, anesthésie-réanimation), Aix-Marseille (pédiatrie,
gynéco-obstétrique, radiologie), Paris (spécialités médicales), etc. ;
• sur le plan hospitalier, réhabilitation de l'hôpital Calmette destiné à devenir l'hôpital
pilote de formation (CHU) avec un encadrement des services et du personnel.

Situation du milieu chirurgical en janvier 1993

Situation globale
Le milieu est extrêmement hétérogène, tant sur le plan humain que technique.

Ressources humaines : la disparité des formations, l'absence de qualification


véritable reconnue interdit tout recensement des chirurgiens. Il existe une trentaine de
praticiens pratiquant la chirurgie générale dans les différents hôpitaux de Phnom Penh et de
province. Les niveaux techniques sont extrêmement variables, liés essentiellement au type et
à la durée de leur formation technique.

Ressources techniques : très restreintes en raison d'un dénuement extrême lié à l'arrêt
de l'aide des pays communistes en 1989 et le peu de moyens propres. Les blocs opératoires
sont démunis, le matériel limité, souvent vétusté. La chirurgie pratiquée est essentiellement
une chirurgie d'urgences viscérales. L'orthopédie, par manque de moyens, se limite le plus
souvent à des tractions-extensions et plâtres. Des aides ponctuelles permettent à certains
hôpitaux de conserver une activité chirurgicale correcte.

220
La formation des jeunes chirurgiens s'effectue pour la plupart dans ces conditions de
dénuement au contact des chirurgiens khmers, sans possibilité de stages extérieurs. Seules
quelques unités techniques, soutenues par des organismes étrangers (CICR, ONG), permettent
la formation de quelques jeunes praticiens.

Situation en province
Chaque hôpital de province possède un service de chirurgie. Quelques-uns
fonctionnent grâce à l'aide extérieure : Mongol Borei (CICR), Battambang (MSF). Les autres
sont démunis, isolés, parfois sinistrés. La guerre majore les problèmes dans tout le quart ouest
du pays. Les unités chirurgicales du Service de Santé militaire, soutiens des forces khmères
en campagne, ne reçoivent aucune aide et se trouvent en situation terrifiante.

Situation à Phnom Penh


Elle est extrêmement variable selon les hôpitaux :
- totalement démunis :
• l'hôpital militaire : 600 lits,
• l'hôpital du 7-Janvier (gynéco-obstétrique) : 200 lits,
• l'hôpital municipal : 150 lits,
- en très grande difficulté : l'hôpital Norodom-Sihanouk, 600 lits (ex-hôpital de
l'amitié khméro-soviétique), qui, avant 1989, fonctionnait grâce à l'aide soviétique et à la
présence sur place de plus de 60 expatriés ;
- en partie secouru : l'hôpital Preah-Kossamak, exclusivement chirurgical (260 lits),
aidé par Action Nord-Sud qui a réhabilité le secteur technique : urgences, blocs opératoires,
post-opérés ;
- en voie de réhabilitation : l'hôpital Calmette (250 lits dont 50 de chirurgie générale
et 50 de gynéco-obstétrique), ciblé par la Coopération française, avec une aide et un
encadrement d'experts français. Pour la chirurgie exercent un chirurgien, une infirmière chef
de bloc opératoire et une surveillante des services médicaux ;
- privilégié : l'hôpital pédiatrique Kantha-Bopha entièrement financé par des fonds
privés étrangers qui ont permis sa réhabilitation et assurent tout son fonctionnement. Tous les
soins sont gratuits, l'équipement est correct et une importante présence étrangère assure
encadrement et fonctionnement dans d'excellentes conditions.

Exemple concret : l'hôpital Calmette


- Évolution des conditions d'exercice

• 1990-1991 : MDM remet en route la chirurgie, le bloc opératoire et rebaptise


l'hôpital ;
• janvier 1993 : arrivée de la mission de Coopération française. Les services de
chirurgie sont démunis, le matériel de base est ancien et le matériel consommable est souvent
acheté par les patients ;

• juin 1993 : équipement en matériel chirurgical. La mise en place de ce matériel


permet par exemple en traumatologie de poser les indications et de réaliser des fixations
externes et des ostéosynthèses à foyers fermés ;

• juin 1995 : fin de la réhabilitation des services d'hospitalisation ;

221
• septembre 1995-mars 1996 : construction des nouveaux blocs opératoires ;

• mars 1996-septembre 1996 : construction du service des urgences, etc.

-Activité chirurgicale (année 1994)


• Répartition globale
Viscérale 449 dont urgences 307
Gynéco-obstétrique 321 158
Urologie 60 1
Traumatologie 109
Total 939
• Par fréquence décroissante
Pathologie appendiculaire 132
Césariennes 92
GEU 52
Plaies par balles 40
Ulcères perforés 26
Perforations typhiques' 22
• En traumatologie
Ostéosynthèses 40
Fixateurs externes 31
Amputations 16
Ostéites 8
Lésions cranio-encéphaliques 5

Avenir

II dépend du développement des deux volets que nous avons évoqués : humain avec la
formation technique, et matériel avec la restructuration et l'aide aux services de chirurgie.

- Humain : il doit cibler les trois niveaux :


1. les chirurgiens en exercice que l'on doit aider à se perfectionner, en particulier par :
• un flux d'échanges avec les universités françaises : envoi d'ouvrages, de
missionnaires au Cambodge, accueil de chirurgiens khmers en stages de perfectionnement en
France,
• la dynamisation du milieu chirurgical : organisation de congrès, création de la
Société cambodgienne de chirurgie, ouverture vers les sociétés scientifiques étrangères, etc. ;
2. les chirurgiens en formation, pour lesquels nous avons mis en place un cycle de
perfectionnement et de préparation au DIS ;
3. les futurs chirurgiens pour lesquels il faut mettre en place un système de sélection
puis de formation. Un projet de mise en place d'un CES local soutenu par les universités
françaises qui seraient susceptibles d'accueillir les internes cambodgiens pour des stages de
durée limitée (AFS) est en cours d'élaboration.

- Matériel : il s'agit de rééquiper les services hospitaliers et de moderniser leur


équipement. Cet effort considérable passe par les aides extérieures et une amélioration des
ressources cambodgiennes.

222
PARTIE 2

Chirurgies de guerre

223
Avant-propos

L.-J. COURBIL
« II faut intervenir, il faut mettre le blessé dans les conditions d'intervention plus que
précoces, immédiates. Il faut aussi qu'il soit assuré d'arriver dans les mains d'un chirurgien à
qui cette chirurgie n'est pas étrangère. »

C'est ainsi que Henri Mondor parlait des plaies de guerre de l'abdomen dans son livre
remarquable : Diagnostics urgents (éd. Masson, 1930).

D'emblée, il soulignait les points essentiels de la chirurgie de guerre :

- la nécessité d'avoir des chirurgiens compétents pour cette forme très particulière de
pathologie ;
- l'importance des conditions d'intervention, que nous appelons maintenant la
logistique ;
- la notion capitale de délai.

Il parlait de l'expérience acquise pendant la Première Guerre mondiale. Les ouvrages


de chirurgie de guerre de l'époque ne s'intéressaient qu'au sort du combattant blessé au cours
d'un conflit armé conventionnel et traité par des professionnels. Une large part était consacrée
à la logistique de la relève et de l'évacuation primaire. L'acte chirurgical, nécessairement
pratiqué par des équipes mobiles, s'effectuait par étapes successives et était tributaire des
aléas du combat. Les traités modernes ne concernent toujours que les combattants et
s'intéressent peu aux « pertes annexes », c'est-à-dire aux populations civiles. C'est au Comité
international de la Croix-Rouge (CICR) que l'on doit les premières études portant sur les
civils blessés.

Il est très important de définir, en avant-propos de ce chapitre, de quelle chirurgie de


guerre on va parler. Toute étude, toute statistique devrait mentionner :

- le conflit considéré, l'époque précise ;


- le type de victime (combattant professionnel, « partisan », population civile) ;
- les conditions logistiques : relève, modalités et délais de l'évacuation première,
possibilité d'une médicalisation de la phase pré-hospitalière ;
- la notion d'afflux de blessés éventuellement ;
- la qualité de l'équipe opératoire et de son environnement technique.

Il faut pour cela établir un système de recueil des données, habituel en général chez le
combattant d'une armée régulière, exceptionnel dans les guerres insurrectionnelles actuelles.
On verra avec intérêt le suivi réalisé par MSF dans une mission de longue durée au
Cambodge.

De nombreuses publications ne sont que des narrations originales destinées au grand


public mais scientifiquement et épidémiologiquement inexploitables.

224
À l'opposé, nous avons connu en Algérie des contrôles très exigeants (vérifications de
tous les décès, de tous les protocoles opératoires par un chirurgien consultant), comme les ont
assurés les Américains quelques années plus tard au Viêt-nam.

Aussi avons-nous intitulé ce chapitre Chirurgies (au pluriel) de guerre. Le lecteur


comprendra que, sur un même champ de bataille et à blessure identique, les probabilités de
survie seront bien supérieures pour le combattant que pour le civil « égaré » dans ce conflit. Il
appréciera ainsi les limites de l'humanitaire. Au besoin, s'il part demain dans une zone de
conflits, il lira avec profit la directive permanente du Force Commander qui a géré le soutien
médical de la FORPRONU dans les Balkans et comprendra que la chirurgie de l'organisation
des Nations unies, très performante, est réservée à l'usage exclusif des personnels de la
FORPRONU.

Il y a donc une doctrine du soutien médical propre au combattant parfaitement définie


dans les armées modernes et dont l'objectif est de diminuer les « pertes santé ».

L'évolution du Service de Santé des Armées françaises en est l'illustration. Déjà en


1945 ce service apparaissait comme performant grâce à l'expérience des campagnes
d'Afrique, d'Italie et de France. Il avait acquis, avec l'aide américaine, un matériel de qualité.
Souvent en association avec les Alliés (l'ambulance Spears en est l'exemple), il disposait de
structures chirurgicales mobiles parfaitement adaptées à cette guerre de mouvement qui
amena les Français du Tchad à l'Allemagne, à travers le Fezzan, l'Afrique du Nord et l'Europe
du Sud. C'étaient les héritières des Auto-Chir du premier conflit mondial, à l'échelle
dorénavant intercontinentale. C'est ainsi que ce Service de Santé aborda les conflits successifs
de la décolonisation : Indochine, Algérie, Afrique noire.

J'ai pu mesurer personnellement l'évolution de cette chirurgie de guerre, depuis mes


premières gardes à Hanoi en 1948 jusqu'à l'époque actuelle.

Au plan du matériel d'abord, on a recherché une mobilité toujours plus grande


(apparition en Indochine des antennes chirurgicales parachutistes) et une amélioration des
conditions d'exercice (arrivée pendant la guerre du Golfe de blocs opératoires sheltérisés,
climatisés, conçus pour résister à une éventuelle guerre chimique).

Les agents vulnérants ont également évolué : l'apparition du fusil d'assaut (AK 47
soviétique ou Kalashnikov), l'utilisation de projectiles de petit calibre et de grande vitesse ont
alourdi la pathologie et augmenté le pourcentage de polyblessés. Comme expert en 1985
auprès de l'OTAN, j'ai eu l'occasion de travailler avec Fackler, chirurgien américain dont
l'influence fut prépondérante sur les tactiques chirurgicales préconisées en pathologie
projectilaire. On lira plus loin l'exposé de Jourdan, l'un des chirurgiens français le plus
compétent dans ce domaine.

Aussi, les techniques chirurgicales ont-elles évolué. La chirurgie vasculaire est


devenue routinière à l'avant. Dès 1980, au Tchad, Mine utilisait le fixateur externe et Pailler
réalisait les premières sutures digestives mécaniques sur des blessés de guerre.

Différentes autorités chirurgicales militaires ont été d'abord à l'initiative, puis ont
ensuite contrôlé tous ces progrès. Ont participé ici des inspecteurs techniques comme Mine
ou des titulaires de la chaire de chirurgie de guerre des Armées comme J.-P. Thomas, D.

225
Rignault, J.-L. Pailler et maintenant P. Houdelette. On lira avec profit les chapitres de ces
deux derniers.

Mais il existe de surcroît, dans le Service de Santé des Armées, une véritable
formation continue, avalisée par des concours et concrétisée par de nombreuses réunions
scientifiques.

Aussi les médecins militaires responsables de la chirurgie de l'avant ont eux-mêmes


beaucoup évolué. En Indochine, il s'agissait le plus souvent de jeunes médecins nouvellement
formés qui recevaient à Saigon un enseignement complémentaire de quelques semaines avant
de prendre la direction d'une antenne. En Algérie, la responsabilité était en général confiée à
des assistants des Armées ou des internes des hôpitaux effectuant leur service militaire. Mais,
très vite, le niveau requis fut celui de spécialistes : actuellement, dans chaque antenne
exercent d'une part deux chirurgiens des hôpitaux, l'un à tendance orthopédique, l'autre à
orientation générale, d'autre part un anesthésiste-réanimateur. Dans certaines missions s'y
ajoute un neurochirurgien ou un chirurgien maxillo-facial.

Mais, plus que les techniques, les matériels ou les projectiles, ce sont encore les
victimes dont le profil a le plus changé, avec notamment une augmentation du nombre de
blessés civils des deux sexes et de tous les âges. Certes, au cours des bombardements urbains
de la Seconde Guerre mondiale, les objectifs n'étaient pas uniquement militaires mais les
guerres conventionnelles terrestres concernaient avant tout des unités combattantes.

Actuellement, les différentes guerres insurrectionnelles et le terrorisme ont généré une


chirurgie de guerre qui s'écarte sensiblement des circonstances classiques car elle ne s'inscrit
pas dans une logistique préétablie. Ici, on peut réellement parler de chirurgie en situation
précaire. Les victimes ne sont plus des combattants sélectionnés, physiquement très résistants
et psychologiquement préparés, jeunes, vaccinés, etc., mais des sujets âgés, des femmes, des
enfants surpris par le conflit, épuisés par des déplacements incessants, malnutris et souffrant
des pathologies propres à des pays sinistrés. Les structures d'accueil sont sommaires,
désorganisées, inadaptées à l'accueil de nombreuses victimes et les matériels médicaux,
transportés sur de longues distances, sont forcément réduits. Mais, surtout, on ne peut ici
bénéficier de la logistique des forces combattantes permettant une relève adéquate, un triage
cohérent, une évacuation médicalisée. Tout au plus, dans le meilleur des cas, une organisation
internationale comme le CICR aura pu transporter tardivement les blessés vers une structure
d'accueil, dont la responsabilité incombe en général à une ONG. Là, ils sont reçus par des
personnels issus de milieux professionnels très divers.

B. Kouchner (le Malheur des autres, éd. Odile Jacob, 1991) en a fait un tableau
maintenant devenu en fait obsolète : « Au petit jour, devant les tables d'opérations débordées
par les premiers blessés des batailles de nuit nous avons commencé d'appeler à l'aide. Ainsi
s'est constitué le premier maillon de la chaîne des French Doclors. Et ils sont accourus pour
commencer la ronde autour du monde. D'abord en très petit nombre, des aventuriers de haut
vol, des traîne-bistouris et des têtes brûlées de la politique, de droite comme de gauche, les
meilleurs. »

II s'agissait de l'expérience du Biafra, relatée par ailleurs dans la presse médicale du


14 juin 1969 et qui n'a plus qu'un intérêt historique.

226
Les professionnels actuels de MSF ou de MDM ne se reconnaissent pas dans ces
descriptions folkloriques. Ils sont maintenant préalablement formés en milieu universitaire et
utilisent un matériel performant et sélectionné, comme cela a été exposé dans la première
partie de cet ouvrage.

À mi-chemin entre ces deux aspects de la chirurgie de guerre, celui de forces


combattantes et celui de l'humanitaire, se situe la chirurgie de la « violence », celle des
attentats, du terrorisme, hier à Beyrouth et à Saigon, aujourd'hui à Paris et à Alger. Les
médias ont parlé de chirurgie de guerre dans le RER parisien. Certes l'explosif est guerrier
mais la logistique est de très haut niveau.

Le Service de Santé des Armées françaises connaît bien tous ces aspects de la
chirurgie de guerre car il a été présent dans toutes ces circonstances :

- dans le soutien médical de ses combattants, il a atteint l'idéal puisque en Bosnie


aucun blessé français pris en charge au niveau des antennes n'a succombé ;
- dans l'action humanitaire, en situation précaire et souvent dans l'insécurité, il a fait la
preuve de sa compétence en Somalie, au Rwanda, au Tchad, au Cambodge, etc. ;
- enfin, au cours des attentats de Paris, les médecins militaires des sapeurs-pompiers
comme les chirurgiens du Val-de-Grâce ont montré leur savoir-faire.

Ce professionnalisme s'appuie sur une organisation qui a fait ses preuves, la


médicalisation de l'avant, le soutien chirurgical de proximité, le rôle capital des antennes
chirurgicales, enfin une disponibilité et une motivation exceptionnelles des personnels.

Plus que la qualité de la logistique, indiscutable, c'est sur les ressources humaines que
je voudrais mettre l'accent. Quelle organisation nationale ou internationale pouvait présenter
un bilan instantané comme celui réalisé le 15 octobre 1993 (« Opérations extérieures »,
Médecin et armées, t. 23, n°4, 1995) ? Ce jour-là, 450 personnes du SSA étaient sur un «
théâtre extérieur », à des milliers de kilomètres de leur base habituelle. Il y avait en particulier
92 médecins, dont 23 spécialistes des hôpitaux avec six antennes chirurgicales en activité,
simultanément au Cambodge, au Tchad, au Rwanda, en Yougoslavie.

Ce professionnalisme a été entretenu de façon permanente depuis 1962 dans des conflits qui
ne concernaient plus directement notre intégrité territoriale, nos ressortissants ou nos intérêts
nationaux. Je prendrais comme exemples des guerres comme celles d'Extrême-Orient ou du
Tchad où nous étions présents sans que notre pays soit réellement concerné.

En Asie du Sud-Est, de 1955 à 1975, après les accords de Genève (1954) et avant la
réunification du Viêt-nam (1975) et l'arrivée des communistes au Cambodge et au Laos, la
présence médicale française n'a pas été interrompue, en particulier dans certains hôpitaux
comme Calmette à Phnom Penh et Grall à Saigon.

Nous avons été les témoins des formidables moyens mis au service du combattant américain
et des remarquables résultats obtenus dans les hôpitaux d'évacuation américains. Si l'on
excepte les afflux de blessés de l'offensive du Têt (1968), à Hué en particulier, les unités
américaines n'étaient en général que sporadiquement engagées, pendant quelques heures et ce
sur tout le territoire du Sud-Viêt-Nam. L'évacuation primaire des blessés se faisait grâce à 140
hélicoptères sanitaires (« Medevac ») dispersés sur le territoire. La totale maîtrise du ciel, la
configuration du pays et la qualité des équipes héliportées permettaient des évacuations très

227
rapides, plus que celles des accidentés sur les autoroutes aux États-Unis ! En moyenne, ces
hélicoptères faisaient quatre missions par jour ; ils étaient trois fois plus touchés que les
hélicoptères de combat ou de transport.

Pendant les trois années que j'ai passées à Saigon (1970-1973), j'ai pu juger de l'efficacité du
système, comme à l'hôpital d'évacuation de Long Binh, proche de mon hôpital. Le dialogue
avec les chirurgiens du MASH était très « dérangeant », pour moi qui avais connu le triage en
Algérie. Ils avaient rendu le triage inutile, pouvant aligner simultanément jusqu'à 30 postes
d'accueil.

Mais cette remarquable organisation, aboutissant à une doctrine spécifique devenue


celle de l'OTAN (Emergency War Surgery - dernière édition du département de la défense
américaine en 1988), n'avait aucune commune mesure avec ce qu'avaient connu les blessés
sud-vietnamiens que nous recevions dans d'autres hôpitaux et qui correspondaient davantage
aux « situations précaires ». Nombre d'entre eux souffraient de pyothorax enkystés ou de
pseudarthroses infectées, témoignant de l'absence d'un traitement primaire correct. Et ce
n'était rien à côté des conditions dans lesquelles opéraient les Nord-Vietnamiens, dans des
hôpitaux souterrains, que nous n'avons connus qu'à la fin de la guerre.

C'est au cours de cette guerre du Viêt-Nam que nous avons compris pourquoi le
pronostic des blessés de guerre d'un même conflit pouvait être si différent, alors que notre
doctrine et nos structures de l'avant nous avaient permis en Algérie de traiter de la même
façon nos combattants, nos adversaires et les populations civiles. De nouveaux impératifs
(sécurité, coût en particulier) avaient conduit les Américains à des chaînes d'évacuation
totalement séparées. Nous devions retrouver cette attitude en Somalie, au Cambodge, en
Bosnie de la part des autorités onusiennes.

Le SSA français, de Diên Bien Phu à Sarajevo, a su réaliser un compromis


raisonnable entre le soutien des forces dont il avait la responsabilité et une authentique
activité humanitaire. Les différentes et successives guerres du Tchad en sont un exemple sur
lequel je voudrais insister.
Depuis son indépendance (août 1960) et en vertu d'accords de défense, le Tchad avait
conservé avec son ancien colonisateur des liens privilégiés bien que souvent orageux (l'affaire
Claustre, l'assassinat du Commandant Galopin). La France était intervenue contre les rebelles
du Frolinat en 1968, 1969 et 1977. Pendant la guerre de N'Djamena qui dura 9 mois en 1980,
le soutien médical français avait dû se partager équitablement entre les partisans des
différentes factions et, pendant plusieurs mois, la mission humanitaire militaire française fut
la seule formation en place, le CICR ayant quitté Kousseri. Quant à MSF, dont le chirurgien
avait été blessé en avril, ils ne regagnèrent le camp des réfugiés qu'en décembre. En août
1983 se déroula l'opération Manta motivée par l'intervention libyenne. En février 1986, ce fut
l'opération Épervier qui se pérennisa.

Une antenne chirurgicale, installée en permanence à N'Djamena, avait une grosse


activité au profit de la population tchadienne. La guerre civile étant pratiquement endémique
dans ce pays, le Tchad était devenu un véritable terrain d'études et d'observations pour le
chirurgien de guerre.

De nombreux pays étrangers y ont testé leur matériel militaire comme les fusils
d'assaut soviétiques, suisses, belges ; les « orgues de Staline » ; les mortiers 90 et 120 ; les
mitrailleuses 12.7 et 14.5.

228
Au plan logistique, nous avons connu des conditions d'exercice très variées :

- le combat urbain dans la capitale amenant à l'antenne des extrêmes urgences dans
des délais très rapides (abdomens et thorax hémorragiques) ;
- à l'opposé, les combats du Nord où l'on recevait plusieurs semaines après des
urgences différées, des membres essentiellement ;
- donc des modalités de transport très variables depuis le Transall Sanitaire jusqu'au
piroguier du Chari, rémunéré par le CICR ;
- et très souvent le pillage du matériel et l'insécurité (plusieurs membres du personnel
et sujets hospitalisés blessés par balles perdues) ;
- enfin, des afflux de blessés difficiles à gérer : 410 urgences absolues à l'Emmir
début avril 1980, 130 blessés dans une journée pendant les combats de la bande d'Aouzou en
1987, 192 en octobre 1989 pendant les combats du Darfour, 406 évacués du Tchad oriental en
novembre 1990...

Au plan technique ont été retenues les modalités de soins post-opératoires les plus
simples à standardiser. Le fixateur externe a acquis sa reconnaissance officielle.

Enfin, au plan éthique, nous avons connu les difficultés à imposer un triage sur des
critères médicaux (et non sur la qualité des combattants) et redécouvert les « urgences
dépassées ».

Au terme de ce long avant-propos, il importe de conclure sur quelques leçons à


retenir:

- ce qu'il faut éviter : une ingérence maladroite dans les affaires d'un pays étranger,
une exploitation médiatique humiliante pour les responsables de ces pays, une dispersion sans
coordination de la solidarité internationale ;
- ce qu'il serait souhaitable de développer : essentiellement une complémentarité des
moyens de l'humanitaire d'État et de l'humanitaire privé à la recherche d'un compromis entre
« l'interventionnisme forcé et l'option zéro » (B. Provensal, MSF), mais aussi le transfert le
plus rapide possible aux autorités locales.

En l'état actuel de la planète, tout laisse à penser que la chirurgie dite humanitaire
gardera une place notable dans les années à venir car « il n'existe aucun précédent pour
suggérer que l'homme et les nations aient appris à coexister sans conflits armés » (J. Thomas,
J.R. Whelan, Manuel de l'OTAN, 1988).

229
Chirurgie de guerre
Approches d'une spécialité

P. HOUDELETTE

L'ordonnance du 2 mai 1781 réorganisant, en France, les hôpitaux-amphithéâtres


qu’étaient à cette époque les écoles du Service de Santé militaire, instituait l'enseignement de
la chirurgie de guerre en créant dans chacun deux un cours « des plaies d'armes à feu ».

« En 1792, nous apprend Ch. Clavelin dans son Précis de chirurgie de guerre (1934),
ce cours disparut avec les hôpitaux-amphithéâtres supprimés par l'Assemblée législative
comme les facultés de médecine et collèges de chirurgie... Il fallut attendre 1890 pour voir
réapparaître dans l'enseignement de l'École d'application du Service de Santé militaire la
chaire de chirurgie de guerre. A première vue, l'absence de pareil enseignement... semble
une lacune surprenante. » Cependant, ajoutait-il, « si nous nous reportons à quelques années
seulement en arrière, nous retrouvons... l'affirmation qu'il h existe pas de chirurgie de
guerre».

Lecène (1878-1929) ri avait-il pas écrit : « La chirurgie de guerre n est pas une
spécialité » ?

Une chirurgie de guerre peut-elle être individualisée ? Existe-t-il des chirurgiens de


guerre ?

La chirurgie que l'on pratique à la guerre n est autre chose que l'adaptation aux
lésions de guerre des principes de la chirurgie courante, mais l'expérience de près d'un siècle
de conflits depuis que l'on recourt à des méthodes chirurgicales modernes lui a conféré un
contenu, a démontré des conditions particulières d'exercice qui permettent d'individualiser
une entité pratique que l'on se doit d'enseigner.

N'oublions pas que la difficulté ne réside jamais dans les principes mais dans leur
application.

Un certain nombre d'idées fortes doit être dégagé et compris. Pour rassembler
l'assentiment autour de ces propos, expériences et opinions diverses seront rapportées. Nous
esquisserons, chemin faisant, la silhouette d'une activité singulière.

230
Une chirurgie aussi ancienne que l'organisation des armées

Si l'existence de médecins dans l'armée grecque lors du siège de Troie a été rapportée
par Homère dans l'Iliade, il revient à l'armée romaine d'avoir organisé un corps de santé
rattaché à l'armée comportant un médecin par cohorte de mille soldats, des spécialistes des
blessures (vulnerarius), des hôpitaux de campagne (yaletudinarid) et même, nous enseigne
Cl. d'Allaines dans son Histoire de la chirurgie, sous l'empereur Maurice, un corps de
cavaliers ayant pour rôle d'aller chercher les blessés et de les ramener vers l'arrière.

Au Moyen Âge, la chirurgie fait figure de parent pauvre de la médecine, et il faut


attendre A. Paré « rénovateur de la chirurgie française » pour voir apparaître la première
figure de chirurgien militaire. C'est entre deux campagnes qu'en 1546 il publie La Méthode de
traiter les playes faictes par haquebutes et aultres basions à feu et de celles qui sont faites
par flèches, dards et semblables...

Plus tard, les structures suivent les nécessités des guerres. Louis XIV crée les hôpitaux
militaires des villes fortifiées et, en 1674, l'hôtel royal des Invalides. Larrey, chirurgien de la
garde, suit les campagnes napoléoniennes et organise « les ambulances volantes », apportant
les premiers soins « sous le feu », et Percy tente en vain de faire adopter par l'empereur, le 17
avril 1807, son projet de « chirurgie de bataille ». « Eh oui ! écrivait-il dans son préliminaire,
je propose à votre Majesté ses propres idées, ses propres expressions. C'est elle qui, en parlant
des chirurgiens, a dit :" Ils ne sont pas moins nécessaires sur le territoire que les médecins et
pharmaciens qui ne doivent jamais aller au-delà ; mais ils appartiennent plus spécialement à
l'armée qui se rend sur le terrain pour se battre et ils doivent l'y suivre dans ses camps et ses
bivouacs". » En janvier 1812, se plaignant de la médiocre technique des chirurgiens recrutés,
Napoléon devait écrire : « L'inexpérience des chirurgiens fait plus de mal à l'armée que les
batteries ennemies. »

Mais les grandes lignes que devaient suivre la chirurgie et les chirurgiens d'armée
étaient tracées vers l'avenir.

Une chirurgie dépendante des premiers soins

La place donnée à la médicalisation des premiers soins a été concrétisée par la


création d'un enseignement de la « médecine de l'avant ».

L'intérêt de ces premiers gestes dès la relève du blessé est connu de longue date.
« II faut se pénétrer, écrivait A. Talbot, dans son Manuel de chirurgie de guerre
(1953), de l'essentielle importance de cet appareillage. Le rôle d'"emballeur" pour peu brillant
qu'il apparaisse est le rôle fondamental du médecin de l'avant. Sans lui, rien n'est possible des
belles réussites de l'arrière. »

Au cours du conflit vietnamien, l'intérêt d'une réanimation sur le terrain telle qu'elle
était pratiquée dans le corps des Marines - mais non par VUS Army qui, dotée d'hélicoptères
plus disponibles car entièrement consacrés aux évacuations sanitaires, appliquait la technique
du scoop and run (« ramasser et courir ») - semble avoir été mis en évidence.

231
Pour Bzik et Bellamy, l'association d'une réanimation de l'avant et d'une évacuation
rapide apparaît comme le meilleur choix possible.

Les gestes simples sont les plus importants et, parmi les plus impératifs, il faut citer :

- le pansement : recouvrant une plaie des parties molles, comprimant une plaie
hémorragique, obstruant un thorax « ouvert », contenant une éviscération ;
- l'immobilisation (par moyens de fortune, écharpes, attelles, brancards) de toute
lésion grave de membre, même limitée aux parties molles. N'oublions pas que «
l'immobilisation est le premier des antibiotiques », qu'« une morphine ne dispense pas d'une
attelle » ;
- le contrôle des hémorragies extériorisées : avant tout artérielles par compression
d'amont, compression digitale dans la plaie, pansement compressif ou garrot ;
- le remplissage vasculaire de principe, préventif ou palliatif du choc trauma-tique,
hémorragique, toxi-infectieux ;
- le traitement d'une détresse respiratoire par le drainage thoracique des épan-
chements pleuraux sous tension, par l'intubation trachéale ou la crico-thyrotomie de
ventilation, plus aisée qu'une trachéotomie.

Une chirurgie indissociable de la réanimation péri-opératoire


Si le « blessé de guerre relève toujours de la compétence du chirurgien » écrit J.-J.
Buffat, le rôle du réanimateur dans l'équipe soignante est devenu de plus en plus primordial
pour la survie des blessés les plus graves. La mise en œuvre de la réanimation doit être
précoce et continue, au prix d'un équipement de plus en plus élaboré et adapté à ces situations
d'exception.

« Réanimation et chirurgie sont indissociables : il faut savoir réanimer pour opérer en


toute sécurité mais il faut, parfois, d'abord opérer pour que la réanimation soit efficace. » « En
chirurgie de guerre, ajoute le même auteur, il n'est pas de réanimation efficace loin du
chirurgien. »

Ces acteurs interdépendants sont désignés actuellement sous le terme de « couple


chirurgien-anesthésiste réanimateur ».

Une chirurgie qui s'adresse à une pathologie particulière


Certes, 15 % des blessés de guerre le sont par une traumatologie fermée, proche de
celle de paix, due notamment à la conduite des engins motorisés divers, à la progression tout
terrain, à l'activité du génie. Mais la blessure de guerre, au sens générique du terme, se
singularise soit par les agents étiologiques vulnérants, soit par les tableaux pathologiques
réalisés.

Les lésions par éclats sont les plus fréquentes et plus un conflit est « moderne », plus
s'en accroît le pourcentage, passant de 35 % lors de la Première Guerre mondiale à 70,9 %
lors de la Seconde Guerre mondiale, à 85 % en Corée, 76 % au Viêt-Nam, 70 % aux
Malouines et 75 % à Sarajevo.

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Ces éclats prennent toutes les caractéristiques balistiques possibles : volumineux ou
petits, irréguliers ou sphériques, uniques ou multiples, radio-opaques ou radio transparents,
lents ou à haute vélocité, primaires ou secondaires. Leur provenance est des plus diverses.
Citons pour illustration les données de la guerre israélo-arabe de 1973 (Yom Kippour) :
munitions à fragmentation : 63 % dont obus : 40 % ; armes antichars : 10 % ; bombes d'avion:
10 % ; mines et grenades : 3 % ; les armes légères intervenant pour 15 %.

Insistons sur quelques-unes de ces armes déflagrantes.

Les munitions à fragmentation à effet collectif, destinées à « traiter » au sens militaire


du terme, c'est-à-dire à blesser plus qu'à tuer le plus grand nombre possible d'individus sur un
large périmètre, ont été perfectionnées à l'occasion de la guerre du Viêt-Nam. Citons les
bombes à billes avec bombe mère dispersant de 500 à 600 bombes filles de 400 à 800 g
transportant chacune 250 à 300 petites billes d'acier, soit un total de 100 000 à 180 000
projectiles ; les cluslers-bombs dispersant des sous-unités explosant à retardement (et
surprenant les populations sorties des abris) ou au moindre contact.

Ces armes déflagrantes sont responsables des dommages matériels les plus étendus et
des pertes humaines les plus lourdes.

Les effets vulnérants sont multiples sur le corps humain : arrachement, projection,
écrasement, criblage, brûlure, asphyxie, blast injury. Toutes ces lésions peuvent se combiner
chez un même blessé, alors appelé le « 3 B » : blessé, brûlé, blasté.

Certains syndromes physiopathologiques traumatiques ont été décrits.

Le crush-syndrome ou syndrome « des ensevelis » a été individualisé par Bywaters et


Béai au cours du « Blitz » sur Londres. Atteignant les blessés dont un membre a été
comprimé de façon prolongée, il évolue en trois étapes successives : choc suivant le
désensevelissement, œdème du membre comprimé puis néphropathie.

Le blast-injury couvre les lésions provoquées par les ondes de choc des explosions les
plus diverses. Aérien (air-blast), il se présente dans sa forme classique immédiate comme un
tableau de commotion cérébrale. La signature est fournie par la lésion tympanique.
L'évolution est caractérisée à sa phase d'état par le développement d'une insuffisance
respiratoire progressive par œdème pulmonaire lésionnel.

En cas de solid-blast, la transmission de l'onde de choc se fait par une structure solide
(engin blindé, bâtiment de guerre : c'est la deck-slap, la claque de pont) aux points d'appui
anatomiques avec fractures du calcanéum voire du pilon tibial, ou du bassin (« cul de mine »)
voire du rachis.

Le liquid-blast, créé par une explosion sous-marine, provoque chez les naufragés des
lésions viscérales thoraco-abdominales prédominant sur les organes pleins.

Les brûlures sont une composante essentielle des blessures de guerre moderne. Le
perfectionnement des armes utilisées dans les conflits conventionnels se traduit par une
augmentation progressive du nombre de brûlés : 2 % en Corée en 1950, 10 % dans la guerre
israélo-arabe de 1975, 15 % lors du conflit des Malouines. Quatre-vingts pour cent des
blessés parmi les tankistes de l'armée israélienne durant la guerre du Kippour souffraient de

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brûlures. À bord d'un bâtiment de guerre au combat, le feu est « le pire ennemi » et l'on
apprécie à 30 % le taux des brûlés dans les combats en mer.

Ces lésions sont l'effet recherché par certaines armes : munitions au napalm (essence
gélifiée) associant aux brûlures une intoxication au carbone ; projectiles incendiaires au
phosphore blanc responsables, outre des brûlures, d'incrustation de matière projetée avec
ignition spontanée lors de la mise à l'air et intoxication systémique, hématologique et
hépatorénale.

Tous ces effets des armes se retrouvent avec les armes nucléaires, mais dans des
proportions démesurées. L'apparition des bombes thermonucléaires « propres » miniaturisées,
à emploi « tactique » (dites « mininucs ») rend théoriquement possible leur emploi en conflit
classique de grande envergure. Ces armes, si elles étaient utilisées, multiplieraient
considérablement le nombre des blessés complexes les plus graves : irradiés, brûlés, blastés,
contaminés.

Les mines sont très employées, et nous décrirons donc en détail les blessures qu'elles
infligent. Les mines antipersonnel déclenchées par la pression, agissant par effet de souffle,
ont un but incapacitant par mutilation des membres inférieurs. Ce sont les booby traps des
soldats américains. Leur prix de revient dérisoire, leur pérennité dans le milieu, leur non-
détectabilité, leur mise en place « sauvage » à des fins psychologiques ou économiques font
que ces mines sont de plus en plus utilisées, principalement dans les pays en voie de
développement. Les victimes sont essentiellement des civils, et principalement des enfants.
La diffusion de ces armements, que le journaliste P. Abramovici qualifie de « sentinelles
aveugles de la guerre des lâches », pose un problème aigu de droit international.

Les autres mines antipersonnel sont d'un usage plus militaire. Les mines « à effet
étendu », véritables grenades sur piquet enfoncé dans le sol, le plus souvent déclenchées par
un fil à trébuchement, projettent des éclats volumineux en tous sens. Citons les mines
bondissantes dont le déclenchement propulse la charge « à hauteur d'homme » avant de la
faire détoner. La mine antipersonnel à « effet dirigé » est représentée par la mine US (MIS)
Claymore et les mines apparentées (dont la mine MAPED française). Cette mine, au mode de
déclenchement varié (à vue ou automatique), disperse 700 billes métalliques, mortelles
jusqu'à 50 m, selon un angle de dispersion défini en hauteur et en largeur (80°). On l'a décrite
comme « l'équivalent militaire du fusil à canon scié ».

Les lésions provoquées par les mines sont assez caractéristiques.

Les micropolycriblages sont caractérisés par de très nombreuses plaies parfois très
petites, en tatouage. Les plaies des membres inférieurs sont de type les plus divers : parfois
flambage avec grosse escarre superficielle, parfois dénudations osseuses, le plus souvent
amputations dont le siège peut s'étendre de l'avant-pied à la cuisse avec avulsions et
pétalisation des parties molles, comminution et projectilisation osseuses.

Les lésions fermées du pied (fractures fermées tarso-métatarsiennes, pied en sac de


noix avec fragmentation osseuse dans un sac cutané non rompu et phénomènes d'ischémie),
décrites dans les explosions sous un engin de transport ou en terrain gelé (campagne des
Vosges), ne se rencontrent plus.

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Les lésions thoraco-abdominales sont des polyblessures par éclats multiples, et les
délabrements les plus extrêmes ont été décrits.

Les explosions par manipulation (souvent démineurs, enfants) sont caractérisées par
des lésions des membres supérieurs et de la face.

En 1991, R.M. Coupland, chirurgien du CICR, a publié une étude portant sur 757
victimes de mines antipersonnel témoignant de la fréquence et de l'actualité de ces lésions.

Les lésions par projectiles d'armes légères sont plus classiques mais deviennent plus
rares dans les conflits récents (15 % des blessés). Tous les facteurs de leur balistique ont été
étudiés.

Facteurs morphologiques
Ils sont multiples. Le calibre et le poids interviennent dans le pouvoir d'arrêt du
projectile mais les gros projectiles empêchent le tir en rafale, ayant fait préférer dans le fusil
d'assaut moderne (« Né, nous dit Stéphane Ferrard, du vieux rêve des états-majors de doter
chaque combattant de la puissance de feu d'une mitrailleuse pour le poids d'un fusil ») le
projectile léger mais plus rapide. La structure des balles intervient également. Les
conventions de La Haye interdisent les balles expansives (type « dum-dum », classique, mais
aussi toutes les balles malléables et fragmentables « de chasse » type soft noise ou hollow
point) et imposent pour l'usage militaire des projectiles blindés (full jacketed).

Facteurs dynamiques
Ils sont là encore multiples : déformation du projectile par un ricochet ou un obstacle
préalable à l'impact corporel ; fragmentation à laquelle Fackler attribue une partie de
l'efficacité balistique des projectiles à haute vélocité ; instabilité d'une balle qui bascule à
l'impact (tumbling) majorant son calibre apparent et son effet tissulaire ; et, surtout, vitesse
pour les projectiles dits à haute vélocité ou à haute énergie dont l'effet explosif de l'onde de
choc semble avoir été surestimé.

Au total, on discerne :

- les projectiles à faible pouvoir vulnérant : petits, stables ou non déstabilisés, de


faible vélocité, non déformés, ne rencontrant pas d'obstacles sur leur trajectoire terminale,
créant des lésions limitées en traversant les tissus en séton, « en coup de fleuret » (balles «
humanitaires » de la fin du XIXe siècle) ;

- les projectiles à haut pouvoir vulnérant : volumineux, instables ou déstabilisés, de


haute vélocité, déformables, expansifs, fragmentables.

Les projectiles d'armes légères réalisent les tableaux les plus divers. Seule la
reconstitution anatomique du trajet du projectile entre son orifice d'entrée et de sortie ou la
localisation radiologique d'un corps étranger non transfixiant permet de préjuger d'un bilan
lésionnel viscéral que l'exploration opératoire précisera. Des lésions fréquentes de nos jours
sont les lésions multiples des armes à répétition, les lésions cranio-cervico-thoraciques ou
abdomino-pelvi-fessières ou crurales des blessés porteurs de gilets pare-balles et atteints par
tirs de snipers.

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Soulignons pour conclure que la balistique n'influence que peu le geste du chirurgien
de guerre ; N. Rich notait d'ailleurs, à propos du Viêt-Nam, qu'une fois sur deux la nature de
l'arme lui était inconnue. Ainsi se justifie l'adage de Lindsey selon lequel : « On traite une
plaie et non une arme ».

On le voit cependant, les agents étiologiques, les tableaux lésionnels et les syndromes
physiopathologiques confèrent à la chirurgie des lésions de guerre une spécificité, une
coloration particulières.

Une « chirurgie de l'hémorragie »

Ainsi la qualifie avec justesse Mario Duran. Les premiers soins d'hémostase et de
remplissage sont les points clés de l'enseignement de la médecine d'urgence.

C'est à A. Paré que l'on doit une des plus grandes découvertes de la chirurgie : la
ligature des artères pour l'hémostase des plaies des membres et des amputations sur lesquelles
on ne faisait auparavant que cautériser à blanc pour arrêter l'hémorragie. Un gentilhomme de
la suite de M. de Rohan ayant été blessé d'un coup de couleuvrine à la jambe, Paré a coupé
cette jambe sans appliquer l'huile bouillante et les fers ardents comme le voulait la coutume.
Il ligatura l'artère avec du fil serti sur une aiguille. « C'est, écrivit-il, sans l'avoir vu faire à
aucun, ouï dire ni lu, qu'il plut à Dieu de me donner l'idée d'étreindre d'un fil l'artère béante
des amputés. »

Larrey, en Egypte, a traité Arrighi, futur duc de la Padoue et cousin de Bonaparte,


blessé « d'un coup de balle à la batterie de la brèche qui lui coupa la carotide externe à la
séparation de l'interne et à son passage dans la parotide ». Il ne dut sa survie qu'à un
canonnier qui se jeta sur le blessé, enfonça ses doigts dans la plaie et comprima l'artère.

Le traitement de la composante hémorragique du choc conditionne bien souvent la


survie du blessé. Les moyens palliatifs de l'exsanguination sont au nombre de trois.
L'hémodilution est le premier et parfois le seul traitement utilisable en urgence. La meilleure
démarche est ici schématique :

- l'essentiel est de « remplir » ;


- avec quelle solution ? Ce choix n'est pas toujours facile et est discuté dans le
chapitre6 ;
- la meilleure des solutions reste inutile... tant que l'hémostase n'est pas réalisée.

La transfusion sanguine est le moyen le plus efficace. Véritable « matière stratégique


» d'un Service de Santé au combat, le sang fait parfois l'objet d'un véritable trafic international
vers les pays en guerre. Tous blessés confondus, 2,9 unités de sang en moyenne par blessé ont
été transfusées au cours de la guerre du Viêt-Nam et 1,9 unité au cours de la guerre israélo-
arabe du Kippour. Pour les blessés de l'abdomen, qui représentent 5 à 8 % de l'ensemble, ces
chiffres passent à 6,3 unités pour le Viêt-Nam ; au cours de la guerre du Kippour, 30 % des
blessés ont reçu de 4 à 12 unités et 10 % de 12 à 60 unités.

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L'autotransfusion, séduisante car elle minimise les problèmes logistiques et surtout les
complications des transfusions, n'est pas toujours possible et n'est réservée qu'à quelques
centres, pour certaines pathologies.

On ne peut dissocier compensation de l'hémorragie et chirurgie d'hémostase, ce que


les anesthésistes appellent avec humour le « facteur 14 ». L'efficacité du chirurgien de guerre
dépend avant tout de sa capacité à contrôler les saignements majeurs : chirurgie des plaies des
axes vasculaires des membres avec leur impératif tactique d'abord chirurgical et de clampage
du tronc artériel d'amont, abord ensuite étendu permettant un travail « au large et au sec » et
une réparation du segment lésé ; chirurgie des lésions hémorragiques thoraco-abdominales
avec contrôle et réparation vasculaires et viscérales nécessitant culture et expérience
chirurgicales. Ces techniques, nous l'évoquerons, évoluent et s'adaptent.

Une chirurgie septique


II n'est pas - est-il nécessaire de le rappeler ? - de plaie de guerre aseptique.

Toute plaie de guerre est le siège d'une infection potentielle, latente, patente ou
évoluée. Tout concourt au développement de cette infection : la souillure, l'attrition tissulaire,
les corps étrangers, le retard thérapeutique, l'état du blessé.

Primaire et non spécifique, elle réalise les aspects les plus typiques de gangrène
gazeuse à anaérobie, de phlegmon diffus streptococcique ou de plaie suppurée simple.
Secondairement, la colonisation tissulaire, habituellement par les entérobactéries, est à
l'origine de plaies infectées à germes antibiorésistants. Infection spécifique, le tétanos doit
être redouté dans les populations, notamment civiles, non régulièrement vaccinées.

Rappelons, pour mettre en relief les règles de sécurité maintenant admises, les
errements du passé en matière de traitement des plaies des parties molles de guerre. Une plaie
des membres sur deux se limite à une plaie des parties molles. Cette atteinte n'est qu'une
composante des plaies cervico-facio-crâniennes et thoraco - abdominales.

Dès le XVIe siècle, A. Paré ligaturait les vaisseaux, parlait « d'amplifier les blessures»,
c'est-à-dire de les agrandir, et suturait les plaies.

L'exploration chirurgicale, qui constitua un progrès important du traitement des plaies


de guerre, fut introduite par Henry Ledran (1685-1770) qui, en 1737, créa pour ce geste le
mot « débridement ».

Contre la « plaie des plaies de guerre », la gangrène gazeuse, les chirurgiens


napoléoniens avaient déjà constaté qu'il fallait intervenir tôt, avant 24 h, et donc sur place.
Les ravages de la gangrène faisaient alors préconiser l'amputation ou la désarticulation
d'emblée des blessures graves des membres, en des gestes ritualisés de « médecine opératoire
», que le chirurgien réalisait en quelques minutes réduisant la douleur par sa virtuosité.
Dominique Larrey a ainsi effectué à Borodino deux cent cinquante amputations le premier
jour, et deux cents après la bataille de la Moscova.

En 1851, Pirogov (1810-1881) introduisit le plâtre circulaire dans le traitement des


plaies par projectiles, permettant ainsi de diminuer le nombre d'amputations.

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Les découvertes de Pasteur sur l'asepsie à la fin du XIX e siècle n'ont pas été suivies de
progrès pratiques immédiats.

Friedrich, en 1898, travaillant sur les plaies infectées, a permis de faire de gros
progrès en montrant qu'il existait une phase de latence avant le développement microbien et
en prônant l'excision précoce des plaies. Paradoxalement, ses travaux ont été suivis de peu
d'effets, car venaient d'apparaître les « balles humanitaires » entraînant des blessures petites et
propres, justifiant souvent une abstention thérapeutique.

Bergmann (1837-1907), qui fut chirurgien-consultant de « l'armée du Danube »


pendant la guerre russo-turque de 1877-1878, prônait le traitement conservateur des plaies par
projectiles. De fait, le nombre de chirurgiens était insuffisant pour opérer l'ensemble des
blessures et les projectiles de l'époque étaient balistiquement stables. Les résultats d'un simple
pansement des orificesd'entrée et de sortie étaient tout aussi bons qu'avec une chirurgie large.
Ces principes ont prévalu jusqu'au début de la Première Guerre mondiale mais ils sont vite
apparus inadaptés, dès les premiers mois de la guerre. La guerre des tranchées, avec la
souillure des plaies par de la terre septique, la fatigue des combattants, la modification des
agents vulnérants (éclats) a modifié les caractéristiques des lésions.

Gaudier, Lemaitre et Leriche en France étaient favorables à un traitement actif des


plaies avec utilisation large des antiseptiques. Mais les plaies étaient souvent mal débridées et
l'emploi des antiseptiques forts justifiait le mot de Delbet : « On vise le microbe et on tue la
cellule » ; souvent, les interventions se soldaient par une suppuration. La méthode d'irrigation
continue des plaies de Carrel-Dakin visait à améliorer ce procédé de détersion-antisepsie des
plaies.
Après deux ans de conflit, en 1917, Policard codifia le traitement de ces blessures.
Gaudier et Lemaitre ont eu le mérite de valoriser le principe de l'excision précoce de tous les
tissus dévitalisés, dans les 6 à 8 premières heures, dans le but de rendre aseptique une plaie
initialement infectée. Devant une plaie de bon aloi, bien excisée et bien propre, envisager la
suture immédiate devenait extrêmement tentant.

« La méthode idéale était née, elle supprimait du coup les suppurations prolongées
comme elle supprimait les cicatrices douloureuses. Son résultat était l'économie dans tous les
domaines : économie de souffrances... d'argent... de temps... de moral... Magnifique bilan en
vérité. Mais que de désastres à la suite de l'emploi sans discrimination de la méthode...»
(Talbot, Chirurgie de guerre}.

Les plaies susceptibles d'être traitées par excision-fermeture primitive sont


exceptionnelles en chirurgie de guerre. Les déboires furent immenses et risquèrent de
discréditer la totalité de la méthode. Beaucoup de chirurgiens de la Première Guerre mondiale
suivaient Brun qui disait : « L'éradication des plaies de Friedrich doit être éradiquée de la
chirurgie de guerre ! »
On dut admettre que toutes les plaies de guerre étaient contaminées par les bactéries et
ne pouvaient être stérilisées par le bistouri.

On condamna donc la suture primitive, pour en revenir à la fermeture secondaire des


plaies déjà décrite par E. Delorme en 1895. Ce principe reste de nos jours valide et doit, sauf
exception rare et justifiée, être toujours respecté. « II faut faire le parage comme si on voulait
fermer la plaie... et ne pas le faire » écrivait Curtillet.

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Entre les deux guerres mondiales, durant la guerre civile espagnole, en 1938, une
nouvelle méthode sembla naître. « Trueta de Barcelone, combattant du côté des républicains,
et ses assistants comme Angel Ruis, l'érigeaient en véritable révolution thérapeutique. Son
principe dérivait de la constatation qu'une lésion, quelle qu'elle fût, même des seules parties
molles, gagnait à être immobilisée. C'était la méthode préconisée par Ollier en 1872 du
"pansement rare" associée à l'immobilisation plâtrée de Pirogoff, reprise par Leveuf pendant
la retraite de Serbie et vantée par Lecene. » Or, aux États-Unis, on l'utilisera dans le civil.
Plus près de nous, Jones l'utilisa sur une vaste échelle dans l'armée anglaise (méthode du
closes plaster) ; Lagrot l'a reprise lors du débarquement de Normandie en 1944. Trueta à
Oxford, enfin, l'a codifiée.

La méthode consiste, après excision aussi correcte que possible de la plaie (parfois
réduite à un simple débridement), à appliquer un appareil plâtré circulaire directement sur la
plaie selon Trueta, et avec interposition d'une simple lame de gaze vaselinée selon Lagrot. Cet
appareil était laissé en place trois semaines environ, au terme desquelles la lésion était bien
souvent cicatrisée.

Les avantages de la méthode sont évidents : l'excision peut être moins parfaite, voire
se réduire à un simple débridement, les impératifs d'horaire sont moins rigoureux,
l'évacuation est plus souvent possible et elle est plus confortable, et les premiers soins sont
moins lourds. Ses échecs étaient cependant nombreux (suppurations de fractures ouvertes non
réduites, compressions sous plâtre) et ses inconvénients nets : difficulté relative et temps
passé à confectionner le plâtre (matériaux, séchage, etc.), immobilisation des fractures en
position vicieuse et fréquence des cicatrices fibreuses rétractiles.

Cette méthode, dite « espagnole », du débridement-immobilisation plâtrée dans le


traitement primitif des plaies de guerre, est en fait utile quand la méthode classique
d'excision-suture différée est contre-indiquée ou matériellement irréalisable. « Périodes
troublées d'encombrement brutal des formations sanitaires, incertitudes quant à l'état
biologique des plaies traitées, nécessité d'évacuation à longue distance, telles paraissent être
les indications de la méthode du plâtre hermétique qui reste, dit Talbot, celle des jours
difficiles. » On l'a qualifiée de « chirurgie de déroute » et de « chirurgie d'infortune », mais il
faut se souvenir cependant de son efficacité en situation chirurgicale précaire.

De cette évolution des conceptions thérapeutiques se dégagent ainsi les trois idées
forces de la prise en charge chirurgicale des plaies de guerre des parties molles : débridement-
parage précoce des lésions, dogme de la non-fermeture immédiate de ces plaies même parées,
immobilisation de principe sous couvert d'une antibiothérapie à large spectre et d'une séro-
anato-xinothérapie antitétanique chez le sujet non vacciné.

Une chirurgie qui concerne souvent les lésions « vieillies »


Là encore, les différences avec la pathologie chirurgicale habituelle ne sont pas des
moindres.

Bien souvent, la détresse collective, l'inorganisation de la relève et de l'évacuation des


blessés, l'éloignement géographique des conflits, la mise en œuvre retardée de l'activité
chirurgicale confronteront le chirurgien à des lésions vues tardivement, à une « pathologie des
survivants ».

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Larrey notait déjà au combat d'Echlingen, lors de la marche sur Vienne, en 1805 : «
L'amputation que nous fûmes obligés de pratiquer pour plusieurs blessés graves n'eut pas tout
le succès que nous en obtenions ordinairement, parce que la plupart de ces blessés avaient été
exposés aux injures du temps, presque sans secours pendant trente-six heures ».

Tel a été le cas - pour n'évoquer que quelques situations ayant été publiées -au Tchad
en 1980 lors de l'envoi de l'EMMIR (Élément médical militaire d'intervention rapide), au
Pakistan lors du conflit afghan pour les équipes du CICR (Comité international de la Croix-
Rouge), au Rwanda lors de la guerre civile de 1994 où le Service de Santé mit en place, dans
le cadre de l'opération Turquoise à caractère militaro-humanitaire, une antenne chirurgicale
aérotransportable.

Les blessés les plus graves n'auront pas survécu dans ces conditions défavorables mais
parfois le chirurgien se trouvera confronté à des « urgences dépassées » : plaies abdominales
vues tardivement avec péritonites évoluées, fistulisations digestives spontanées à la peau,
nécroses infectieuses ou gangrènes pariétales abdominales, lombaires ou périnéales,
empyèmes thoraciques, etc.

Il s'agira le plus souvent de lésions des membres non parées, surinfectées voire
gangrenées. Sur des blessés épuisés, anémiés, fébriles, faut-il souligner l'inadéquation, sauf
exception, de la chirurgie lourde ? On recourt ici plutôt à la chirurgie de drainage, aux
parages intrafocaux des plaies anciennes des parties molles, aux amputations de sauvetage (en
cas de gangrène), de nécessité (dans les fractures ou ostéo-arthrites graves avec syndrome
septique) ou de régularisation ; toute intervention doit être conduite sous antibiothérapie à
large spectre.

L'importance des « petits soins » et des pansements répétés, bien que « sans grandeur
» et accaparants, mérite d'être soulignée.

Une chirurgie de lésions aux lourdes séquelles


Cette chirurgie en milieu septique, souvent retardée, rarement techniquement idéale,
plus souvent vouée à sauver une vie qu'une fonction, a pour corollaire des séquelles lourdes
lors de la prise en charge en rééducation fonctionnelle. Les séquelles sont multiples :
- cutanées : avec cicatrices parfois glorieuses, souvent fâcheuses - douloureuses,
adhérentes, minces, fragiles ou saillantes, rétractiles gênant les mouvements, voire ulcérées ;
- musculo-aponévrotiques : avec avulsions de loges musculaires, blocs scléro-
inflammatoires ;
- osseuses : avec cals vicieux secs ou ostéitiques (« callite de guerre »),
pseudarthroses simples, serrées ou ballantes avec perte de substance, souvent surinfectées et
au foyer exposé ;
- articulaires : avec arthrites de présentation diverses (arthrite aiguë septique,
empyème articulaire, ostéo-arthrite suppurée fistuleuse) et plus tard séquelles des plaies
graves arthro-épiphysaires, raideurs articulaires allant jusqu'à l'ankylose souvent en attitude
vicieuse ou au contraire laxités articulaires avec parfois articulations ballantes, séquelles de
résections de nécessité ;
- vasculaires : avec ischémies chroniques distales des membres, faux anévrismes,
fistules artério-veineuses ;
- nerveuses : avec névrites sensitivomotrices ou séquelles de section nerveuse,
aggravant souvent les séquelles précédentes par leurs troubles trophiques ;

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- amputations : primitives, secondaires ou tardives, et l'on sait « qu'avec le moignon
tout commence et rien n'est terminé » dans une histoire qui confrontera dans la restauration
fonctionnelle l'amputé, le moignon et l'emboîture ;
- pleuro-pulmonaires : avec pariétites, pleurésies purulentes parfois enkystées dans
leur pachypleurite et pour laquelle Delorme inventa la décortication pulmonaire restaurant la
capacité fonctionnelle d'un parenchyme « déficelé », « dégangué » et tarissant le foyer
septique chronique pleural, abcès pulmonaires parfois fistulisés à la paroi, dans la plèvre ou
dans les bronches, corps étrangers de siège divers souvent bien tolérés ;
- abdominales : avec éviscération latente d'une perte de substance pariétale,
éventration fréquente des réparations précaires, stomies gastriques, iléales ou coliques de
nécessité ou de sécurité, fistulisations viscérales diverses pour ne citer que les situations les
plus fréquentes ;
- cranio-faciales et nous ne détaillerons pas les classiques « gueules cassées ».

Cette pathologie « seconde », souvent évolutive, aux traitements prolongés et


multiples, nécessitant de fréquents recours aux spécialités chirurgicales, fait une large place à
l'appareillage, à la rééducation, à la réadaptation professionnelle qui, s'ils sont relativement
aisés à mettre en œuvre pour un blessé évacué vers une « zone arrière » techniquement
évoluée et à l'abri des combats, sont beaucoup plus aléatoires et limités dans les situations
humanitaires, dans lesquelles il faut prévoir une pérennisation ou un relais, au-delà de la
phase de conflit, de la structure qui a pris en charge initialement ces blessés.

Pathologie primaire des lésions initiales, relevant du chirurgien généraliste de l'avant,


pathologie secondaire des séquelles, relevant des spécialistes de l'arrière, cette ancienne
hiérarchisation technique des soins reste, dans ses grandes lignes, inchangée.

Une chirurgie de sécurité


Sur des combattants fatigués et anémiés, sur des plaies souillées, pour des lésions où
les facteurs d'attrition et de contusion prédominent, et où les plaies nettes sont rares, les
réparations idéales ne peuvent être légitimes que si elles sont impératives, atteinte des axes
vasculaires notamment.

Dans les plaies de l'abdomen, le traitement « idéal » des plaies coliques récentes n'est
accepté que pour le côlon droit, zone intestinale où la densité microbienne autorise sutures et
anastomoses d'emblée. Pour les autres segments, la dérivation colique s'impose :
extériorisation en colostomie latérale de la lésion colique quand elle est possible, résection de
la zone lésée avec extériorisation du segment d'amont et fermeture du segment d'aval souvent,
parfois, pour le rectum notamment, suture de la lésion sous couvert d'une dérivation colique
d'amont. Les pinces à viscérosynthèse, si elles améliorent la sécurité de ces réparations sur
côlon non préparé, ne semblent pas devoir faire modifier ces règles de prudence confirmées
par l'expérience. « Mieux vaut, dit un adage classique et toujours valide, sauver un blessé en
deux temps que de le tuer en un temps. » Cette attitude est sans conteste la meilleure en
chirurgie de guerre, quand on peut compter sur une relève à l'arrière. Quand le futur est plus
incertain, la conduite à tenir est plus nuancée (Chap. 17).

La même attitude de sécurité s'est imposée, nous l'avons vu, pour les plaies des parties
molles avec parage-débridement-non-fermeture dans un premier temps et fermeture
secondaire précoce au 4-5e j quand l'état de la plaie l'autorise. Cette attitude a été confirmée
par les statistiques importantes de la Seconde Guerre mondiale : E.D. Churchil, sur le théâtre

241
italien de la Seconde Guerre mondiale, traita par parage initial et suture secondaire 25 000 cas
avec 95 % de cicatrisation sans amputation ni décès, et avec 5 % d'échec par rétention de
tissus infectés. Des résultats identiques ont été obtenus à l'Est pour les chirurgiens soviétiques
comme Burdenko, Dobichin, Krivorotov, Jelanski avec des séries de 9 520, 13 550, 12 163 et
22 000 cas respectivement.

Ces attitudes gardent de nos jours toute leur valeur, ce que confirment les publications
récentes de R.M. Coupland (Comité international de la Croix-Rouge). En particulier, cette
méthode a fait disparaître la gangrène gazeuse après plaie de guerre, quand il existe une
organisation sanitaire.

J.-Ph. Neidhardt souligne comment l'oubli de ces principes dans les plaies de la
traumatologie « de ville » de tous les jours a abouti à « ce curieux transport, cette
reconversion à la vie civile de la gangrène gazeuse, affection militaire par excellence et dont
les militaires avaient su, dès 1918, se défaire grâce à des principes simples ».

Une chirurgie rustique


Ce qui compte, a-t-on pu écrire, ce n'est pas la grande chirurgie, ce sont les bons
résultats. « Bien souvent, écrivait Rouvillois, le chirurgien sera dans l'obligation de limiter
son action à des gestes utiles et sans grandeur au détriment des tentatives héroïques, longues
et incertaines qui sont la récompense de son effort et l'orgueil de la profession. » II faut,
ajoute D. Rignault, « privilégier les techniques les plus fiables aux dépens des plus brillantes
».

Ce principe de rusticité a toutefois ses limites et ne doit pas masquer incompétence et


manque de moyens. Ainsi, face à une plaie artérielle, A.T. Zakharia à Beyrouth, durant la
guerre du Liban, a pu montrer que la suture simple aboutissait en cas d'atteinte par projectile à
haute vélocité à une désunion précoce dans 42 % des cas et qu'il était préférable de procéder à
un remplacement segmentaire par greffon veineux dans 72 % de ces plaies.

La prise en charge des plaies thoraciques, que nous détaillerons ici, illustre bien le fait
que si la chirurgie est rustique, elle doit néanmoins procurer des soins efficaces, et que l'on ne
peut se contenter de gestes a minima s'ils risquent d'être insuffisants. Le simple drainage
pleural, censé suffire au traitement de 60 à 80 % des plaies du thorax, ne convient que pour
les plus légères d'entre elles, mais reste trop « rustique » dans les plaies plus importantes. Les
indications thérapeutiques sont en fait plus nuancées, et nous les développerons pour tenter de
montrer que l'on ne peut se référer à un simple geste sommaire pour décrire la prise en charge
de problèmes complexes.

« Sans contester le danger de ces blessures, nous estimons qu'elles ne doivent pas être
considérées comme toujours mortelles ; nous pensons que l'on doit aux sujets qui en sont
atteints tous les secours qu'elles exigent » écrivait déjà D. Larrey.

Résumées en pratique civile avant le dernier conflit mondial par « la thora-cotomie a


minima des mauvais garçons et le 6,35 des amours déçues, chapitres de tout repos de la
traumatologie thoracique » (P. Laumonier) ; « jouissant d'une réputation euphorique usurpée
au temps des combats à l'arme blanche et de la "balle humanitaire", les plaies de poitrine

242
furent l'occasion d'un réveil pénible à l'heure des éclats d'obus et de la réalité des grandes
infections » (J. Pellegrino).

M.E. De Bakey, en 1942, a noté la réduction de la mortalité de ces blessures au cours


des conflits successifs, celle-ci passant de 85 % en 1870, à 56 % en 1914-1918 et 12% en
1943-1945 avec l'apparition des antibiotiques et des bases de la chirurgie thoracique. La
guerre de Corée a vu apparaître les prémices des principes thérapeutiques actuels, mais le
taux d'infections restait élevé ; la mortalité, selon Crawford et De Bakey, était descendue à
6,2 %.

La prise en charge des lésions thoraciques s'est manifestée par une querelle entre
abstentionnistes et interventionnistes. Cette querelle ne s'est apaisée que lorsque s'est imposée
en urgence la notion de la priorité initiale du fonctionnel sur les lésions viscérales.

Assurer la liberté des voies aériennes, fermer un thorax « ouvert », mettre en place un
drainage thoracique, sont les trois impératifs à mettre en œuvre pour maintenir la fonction
respiratoire devant tout blessé du thorax. Ces principes, les Américains les suivront pendant la
guerre du Viêt-Nam, non en application de directives officielles nées des conflits précédents,
mais selon les techniques éprouvées en pratique civile (P. Bourdet).

Médicalisation des premiers soins, évacuations sanitaires héliportées immédiates,


caractérisent l'attitude optimale.

La thoracotomie sur tube, le drainage thoracique de principe de tout blessé du thorax


est devenu, et reste encore, le maître geste qui non seulement assure la réexpension
pulmonaire immédiate, gage de l'hémopneumostase parenchymateuse, mais constitue aussi le
meilleur guide pour décider d'une thoracotomie éventuelle.

Les places respectives du traitement « conservateur » basé sur ce drainage thoracique,


les « petits gestes » du traitement interventionniste avec thoracotomie ou, plus précisément,
l'indication d'opérer (puisque comme le rappelait Cl. Vanderpotten : « La thoracotomie n'est
pas un traitement mais une voie d'abord » et que cette voie ne résume pas les abords
thoraciques) sont sans cesse remis en cause.

L'analyse de trois situations différentes permet d'illustrer ce débat.

La guerre du Viêt-Nam reste la référence à plus d'un titre en matière de soins aux
blessés de guerre. J.-P. Geiger, d'août 1968 à juillet 1969, a dénombré 3 058 patients traités
par drainage thoracique et 801 patients nécessitant une thoracotomie (21 % des blessés). JJ.
Mac Namara, dans un hôpital d'évacuation, en 14 mois, a reçu 547 blessés thoraciques dont
448 ont été traités par drainage et 78 par thoracotomies, soit 14,2 % des blessés. Il en a conclu
que : « La présente expérience suggère que des indications de thoracotomies plus généreuses
dans les blessures de guerre du thorax pourraient augmenter les survies » et ajoute « ceci
apparaît comme une évolution naturelle vers l'équilibre entre les risques d'une thoracotomie et
ceux d'un traitement plus conservateur ».

Les séries civiles nord-américaines de plaies du thorax sont importantes. Ce problème


aux Etats-Unis est d'une telle ampleur que K.L. Mattox à Houston put dire : « Nous voyons
actuellement plus de 1 000 personnes par an avec une plaie pénétrante du thorax ».

243
Pour P.K. Harmann et H.S. Floten, 80 % des plaies par projectile ou coup de couteau
de pratique civile ne nécessitent que la mise en place de drains thoraciques. K.L. Mattox
apprécie à 15 % les plaies du thorax imposant une thoracotomie, contre 85 % des cas pouvant
être traités par la mise en place d'un gros drain thoracique.

Une série de « guerre civile » en milieu de soins urbains contraste avec ces données :
A.T. Zakharia, à Beyrouth, a traité de 1969 à 1982 3 000 blessés thoraciques et cardio-
vasculaires. Sur 1 251 blessés souffrant de lésions thoraciques prédominantes, le nombre de
thoracotomies a été important (812, soit 54,5 % des blessés ayant nécessité un geste
thérapeutique thoracique). Pour cet auteur, des facteurs particuliers à la guerre du Liban
(usage des armes militaires modernes responsables de lésions étendues avec hémorragies
importantes et choc, sujets jeunes, équipes opératoires entraînées) ont fait de la «
thoracotomie précoce une option de choix ».

P.K. Harmann et H.S. Floten ont critiqué cette série « en contraste flagrant avec
l'expérience civile nord-américaine et même contraire à l'expérience du conflit du Viêt-Nam
». Mais A.C. Beall ne notait-il pas déjà, en 1964, que de plus en plus on signalait qu'une
attitude plus interventionniste dans les plaies du thorax pourrait être justifiée ?

Afin d'opter rationnellement pour une attitude donnée, il est utile de se référer à un
arbre de décision.

Après les premières mesures du traitement initial : évaluation et réanimation rapides,


radiographie thoracique, gaz du sang, monitoring du pouls et de la TA, typage et
compatibilité sanguine, drainage thoracique si nécessaire et mise en route d'une probable
autotransfusion, les éventuelles indications opératoires apparaissent de façon chronologique.

Indications opératoires d'emblée


Les thoracotomies de sauvetage, apanage des ‘trauma center’ nord-américains,
pratiquées en salle d'urgence, sont parfois effectuées chez les patients présentant, en l'absence
de pouls et de tension artérielle, quelques signes agoniques ou en cas de détérioration brutale
des fonctions vitales. La thoracotomie immédiate permet de clamper l'aorte descendante,
d'ouvrir et de vider le péricarde, masser le cœur, identifier et contrôler la source de
saignement.

Les thoracotomies de sauvetage sont effectuées chez des patients en état


hémodynamique instable qui ne pourraient tolérer les deux minutes du trajet vers le bloc
opératoire et le temps, même court, de préparation préalable : choc « réfractaire » par
hémorragie massive ou tamponnade cardiaque, états asphyxiques.

Les thoracotomies traumatiques se présentant comme une large plaie béante


thoracique avec traumatopnée (sucking wound) résultent des plaies par éclat, par projectile à
haute vélocité, de l'effet des projectiles de chasse (fusil à pompe notamment), de certains
accidents industriels et doivent, après les gestes immédiats adaptés (sur le terrain : pansement
occlusif et drainage pleural ; dès que possible, intubation de « rééquilibration » palliant le
pneumothorax ouvert), être opérés : agrandissement en thoracotomie ménageant les muscles
pariétaux, parage des berges et fermeture thoracique dans les cas simples, plastics
musculocutanées utilisant grand dorsal, grand pectoral ou grand droit dans les défects larges.

244
Indications immédiatement après pose du drainage thoracique
Avant d'introduire le drain par minithoracotomie sous anesthésie locale, on passe un
doigt ganté à travers l'incision pour vérifier la non-adhérence du poumon, et sa rétraction. La
constatation d'une déchirure diaphragmatique, d'une hernie viscérale dans la cavité
thoracique, impose une intervention immédiate.

Indications lors de la surveillance du drainage (60 %) : saignement et


« huilage »
Après mise en place du drain thoracique, on peut espérer une évolution favorable si
l'évacuation immédiate est inférieure à 1 1 de sang, d'environ 600 ml durant les premières 24
h, puis se tarit progressivement jusqu'au troisième jour, date à laquelle le drain est retiré. Les
seules modalités thérapeutiques sont dans ce cas l'évacuation de l'épanchement, la
réexpension du poumon et la compensation des pertes.

Quatre critères, déterminés par la surveillance, peuvent amener à une indication


opératoire :

L'équilibre cardio-circulatoire : tout collapsus immédiat important, toute


inefficacité de la réanimation, toute persistance d'une précarité hémodynamique, toute
aggravation secondaire brutale ou progressive de la situation hémodynamique peuvent
imposer l'intervention.

L'importance de l'hémothorax immédiatement évacué : pour Meredith et Trunkey,


tout épanchement initial de plus de 1 1 (1,5 1 pour Harmann et Floten) doit faire évoquer une
lésion hémorragique à contrôler chirurgicalement.

Les données de la surveillance horaire du drain thoracique dictent la conduite à


tenir. Divers auteurs ont proposé différents critères pour intervenir : pour Mac Namara, un
saignement qui atteint 500 ml dans l'heure suivant l'insertion du drain ; pour Meredith et
Trunkey, une déperdition supérieure à 300 ml/h ou un total de plus de 1 500 ml en 24 h ; pour
Harmann et Floten, des pertes sanguines entretenues de plus de 200 ml/h ; pour Oparah, un
débit horaire de 150 ml/h ou plus pendant 4 h consécutives. Ces saignements persistants
témoignent généralement de lésions des vaisseaux pariétaux (artères mammaires internes ou
intercostales), de dilacérations parenchymateuses, de lésions hilaires pulmonaires ou
d'atteintes de certains gros vaisseaux (sous-claviers). Mais un tiers des plaies du cœur se
révèlent ainsi.

Il faut corréler le volume évacué aux données des radiographies thoraciques. Un


volumineux caillot pleural, une opacité importante ou rapidement croissante du champ
pleuro-pulmonaire alors que le débit du drain se tarit signent un saignement persistant non
extériorisé qui impose une exploration.

Pour A. Ribeiro-Netto, dans 92 % des cas le saignement et le bullage des plaies


parenchymateuses se tarissent avec un drainage intercostal en moins de trois jours. Des fuites
aériques sévères surviennent dans 3 % des plaies par projectiles. Elles nécessitent une
investigation fibroscopique immédiate pour rechercher une lésion trachée-bronchique
majeure.

245
Indications posées par la reconstitution du trajet projectilaire
Balisée soit par le trajet intracorporel entre les orifices d'entrée et de sortie marqués,
avant radiographie, d'une agrafe sur la peau, soit par l'orifice d'entrée et la localisation
radiographique du projectile inclus, en sachant que les trajectoires sont des plus fantaisistes,
cette reconstitution mentale par le chirurgien de la trajectoire intracorporelle et des possibles
lésions viscérales permet de séparer les plaies simples « thoraco-pulmonaires » périphériques,
ne lésant a priori que le parenchyme pulmonaire, et les plaies « complexes » : plaie thoraco-
médiastinale ou plaie des confins (cervico-thoracique, thoraco-abdominale, thoraco-
rachidienne).

Plaies du thorax médian et trajets transmédiastinaux d'un projectile:


L’attitude, en cas de suspicion de plaie du cœur ou des gros vaisseaux médiastinaux, a
été clarifiée par les trauma surgeons nord-américains. Comme le souligne K.V. Arom, si tous
les chirurgiens thoraciques s'accordent pour dire qu'une plaie cardiaque doit être
immédiatement opérée, il est souvent difficile de déterminer le type précis de lésion en cas de
plaie pénétrante du thorax, et en particulier si les structures péricardiques et intrapéricardiques
ont été concernées. « Le trajet du projectile est tout à fait imprévisible et aucun signe clinique
de tamponnade n'est infaillible en situation d'urgence ». On peut cependant se référer à une
règle simple, que le patient soit stable ou instable sur le plan hémodynamique : toute plaie
pénétrante directe du thorax médian ou tout trajet possiblement transmédiastinal d'un
projectile doit être exploré chirurgicalement en urgence. La place de la péricardotomie
épigastrique reste discutée et l'évaluation non opératoire des blessés hémodynamiquement
stables ne se conçoit que dans des centres très équipés.

Plaies thoraco-médiastinales supérieures et cervico-thoraciques :


Tout point d'entrée dans le thorax antéro-supérieur doit de principe être exploré car le
projectile a pu concerner, outre le bulbe cardiaque, les gros vaisseaux médiastinaux, le défilé
cervico-thoracique (thoracic outlet) qui réunit en une zone étroite des structures vitales
vasculaires et œso-trachéales, ou la base du cou. L'indication est impérative et urgente quand
l'hémodynamique est instable ou s'il y a évidence de lésion vasculaire, notamment hématome
diffusant.

Quand l'hémodynamique est compensée, l'artériographie de la crosse aortique et des


gros vaisseaux médiastinaux est, si elle est possible, plus utile que la reconstitution soigneuse
du trajet du projectile, l'examen des pouls carotidiens et des membres supérieurs, et la
radiographie thoracique recherchant l'élargissement médiastinal, car elle permet de préciser la
topographie de la lésion et donc de guider les gestes opératoires en amont et en aval de l'axe
vasculaire lésé.

Plaies du thorax inférieur et thoraco-abdominales :


J.B. Moore a défini la région basithoracique comme située en dessous du quatrième
espace intercostal en avant, en dessous des pointes des omoplates en arrière, niveaux
supérieurs que peuvent atteindre en expiration les coupoles diaphragmatiques. Pour cet
auteur, 46 % des balles qui pénètrent dans cette région gagnent l'abdomen et près de 50 % des
plaies thoraciques pour D. Feliciano. Chez tous les patients présentant un orifice d'entrée

246
antérieur et en dessous des mamelons, ou postérieur et en dessous de la pointe des omoplates,
il faut donc suspecter une lésion abdominale. Les circonstances, la nature et le trajet de l'agent
vulnérant, les données de l'examen clinique, la radiographie abdominale (pneumopéritoine,
projectile inclus) suffisent trois fois sur quatre à l'affirmer ; la ponction-lavage péritonéale
diagnostique reste le geste indispensable au moindre doute. L'exploration par laparotomie
s'impose si l'on suspecte et a fortiori si l'on sait qu'il existe une atteinte abdominale. On l'a
prônée de manière systématique dans toutes les plaies pénétrantes du thorax inférieur.

Deux fois sur trois, les lésions thoraciques ne nécessitent qu'un simple drainage. S'il
faut intervenir, on utilise deux incisions séparées. A.T. Zakharia, dans sa série de
thoracotomies, a trouvé que dans 27 cas la source du saignement intrathoracique était une
lésion splénique saignant librement dans la cavité pleurale au travers d'une brèche phrénique.
Quatre patients seulement ont nécessité un deuxième abord pour le traitement de lésions intra-
abdominales complexes. Lors des thoracotomies droites, 14 hémothorax majeurs résultaient
de lésions diaphragmatiques, hépatiques ou des vaisseaux hépatiques ou rénaux. Inversement,
lorsque par laparotomie on ne peut expliquer un choc persistant, il faut rechercher une origine
thoracique. R. Siemens a, dans ces conditions, réalisé à plusieurs reprises une courte
péricardotomie transphrénique à la recherche d'un hémopéricarde.

L'indication opératoire peut être secondaire précoce, au-delà des 24


premières heures

Hémothorax inévacuable : 5 % des plaies par projectiles et 1 % des plaies par coup
de couteau nécessitent une courte thoracotomie d'évacuation d'hémothorax coagulé
(coagulectomy) (Harmann et Floten). L'évacuation précoce évite l'évolution vers l'empyème
ou le fibrothorax pouvant nécessiter dans le futur une éventuelle « décortication » vraie. Cette
complication survient en cas de drainage trop tardif ou incomplet (calibre du drain trop petit)
ou en cas d'infection a minima.

Contusion pulmonaire : elle est le fait des plaies par projectiles à haute vélocité et
n'est pas rare chez les blessés par impact tangentiel non pénétrant. La première description en
a été faite par les chirurgiens du Walter Read Army Institute of Research. Les conclusions de
Fischer ont été les suivantes : l'hypoxie artérielle sévère ne survient qu'en cas de contusion
atteignant au moins un lobe entier ; la contusion pulmonaire est le plus souvent confinée à un
lobe et le geste opératoire se limitera à une lobectomie ; l'indication doit être portée de
principe et précocement pour éviter le décès inéluctable, dans les circonstances suivantes :

- hypoxie sévère et réfractaire aux mesures de réanimation respiratoire survenant dans


les 48h, chez un patient chez qui l'on n'envisageait pas de thoracotomie ;
- présence d'une « consolidation » d'au moins un lobe entier lors d'une thoracotomie,
pour hémopneumostase notamment, même si par ailleurs l'hémorragie parenchymateuse
pouvait être contrôlée par sutures pulmonaires.

Cette attitude est proche de celle recommandée dans le traitement des lobes criblés,
contus et infiltrés, rencontrés dans les plaies du thorax par arme de chasse à courte distance.

Parmi les autres lésions pulmonaires, il faut citer :


- les lésions par projectile à haute vélocité qui ont pu faire accroître les indications
d'exérèses réglées parenchymateuses (Mattox, Zakharia) ;

247
- les cavités pulmonaires traumatiques qui guérissent en règle spontanément.
Infection secondaire, pneumothorax récidivants, bronchorrhée purulente persistante ont pu
constituer quelques indications chirurgicales ;
- les hématomes pulmonaires massifs qui relèvent de même d'une attitude
conservatrice, mais la résection s'impose en cas d'hémoptysie sévère ; elle est conseillée chez
les blessés présentant des lésions septiques d'autres localisations, notamment péritonéales car
il y a alors risque de surinfection de l'hématome.

En conclusion, 80 % des blessés du thorax peuvent être traités par drainage thoracique
et réanimation. Deux tiers des indications opératoires sont posés dans les deux premières
heures, essentiellement devant une instabilité hémodynamique et la forte suspicion d'une
lésion cardiaque. Les plaies de la région péricardiale, l'exploration des trajets
transmédiastinaux, l'abord des vaisseaux cervico-thoraciques, les thoracotomies traumatiques,
une nécessité d'abord abdominal, le traitement d'une lésion œsophagienne ou trachéo-
bronchique, les corps étrangers à l'intérieur ou près des structures vitales, les hémoptysies, la
multiplicité des impacts, la contamination massive de la plèvre par le contenu gastrique ou les
matières fécales, constitueront autant d'indications de la thora-cotomie ou de facteurs y
incitant.

Seuls 10 % des patients sont opérés au-delà de 24 h, dont la moitié pour caillotage
pleural, et le reste pour saignements persistants, hémithorax opaque, non-réexpension
pulmonaire, décortication pour empyème, hernie diaphragma-tique secondaire, corps
étrangers menaçants, fistules diverses (bronchique, bilio-bronchique, œsophagienne, gastro-
pleurale, méningo pleurale).

Aucune technique « rustique » ne pourra, on l'a compris, sauver une plaie grave du
thorax et de ses confins. Encore convient-il que le blessé arrive à temps au chirurgien et que
celui-ci, si le cas se présentait, en connaisse les voies d'abord et les principes tactiques de
traitement et, de façon plus générale, qu'il soit à la hauteur des circonstances souvent
inhabituelles parfois complexes, voire déroutantes, des situations médicales de guerre.

Une des dernières formes de la chirurgie générale


Rapportant son expérience de la chirurgie de guerre à Beyrouth, V. Nahas a bien
exprimé cette conception : « Le chirurgien de chirurgie générale a si l'on peut abusivement
dire "le beau rôle" car il faut qu'il fasse tout, absolument tout. En 1975, il était un "viscéral"
mais, très vite, et c'est là le mérite de certaines grandes écoles en particulier françaises, il est
devenu polyvalent. Raisonnablement, nous fûmes confrontés à toutes sortes de blessés, et il
fallait trépaner, pratiquer une thoracotomie, réparer des plaies vasculaires ou immobiliser des
fractures. »

Cette notion d'une formation chirurgicale polyvalente, bien adaptée aux conditions, se
retrouve à tout moment dans la chirurgie de guerre.

P. Godefroy, 64 ans, en retraite de ses fonctions civiles, a repris son activité


chirurgicale pour Médecins sans Frontières au Sri Lanka, au Cambodge, au Rwanda, en
Tchétchénie. Dans Ouest France du 3 août 1995 il témoignait : « J'y ai pratiqué une chirurgie
de guerre. Mais je fais partie de cette génération de médecins formés à la chirurgie générale.
Et j'avais l'expérience de la guerre d'Algérie, l'expérience de la médecine de la précarité,
comme on dit maintenant. La seule médecine dont disposent les trois quarts de la planète. Le
risque serait de nous y résigner. »

248
Arrêtons-nous un instant sur le problème des plaies osseuses et articulaires. Deux tiers
des blessés le sont aux membres et un quart présente une lésion osseuse ou articulaire. Le
parage de la plaie des parties molles, le parage osseux, l'abord électif d'un segment osseux ou
d'une articulation, appartiennent en règle au chirurgien généraliste, sauf en cas d'activité
simultanée d'un chirurgien viscéraliste et d'un orthopédiste, principe actuellement
régulièrement adopté par le Service de Santé des Armées mais en règle non retenu dans les
missions chirurgicales humanitaires (Comité international de la Croix-Rouge ou organisations
non gouvernementales). Dans leur article, « Chirurgie de guerre dans un hôpital chirurgical de
l'avant » au Viêt-Nam, W.G. Byerly et P.D. Pendse écrivent que la présence d'un orthopédiste
entraîné était a nicety and not a necessity. Si l'interdiction de la fixation osseuse intrafocale
n'est plus à répéter, si la mise en traction est un procédé inadéquat pour un blessé devant être
évacué, si la règle de l'exofixation de principe est admise, le moment de la mise en place du
fixateur externe reste discuté : immédiat dans la doctrine du Service de Santé des Armées
dont les équipes sont souvent largement pourvues en matériel spécifique (Fessa), retardé de
principe pour la majorité des équipes nord-américaines ayant travaillé au Viêt-Nam et pour
les chirurgiens du CICR.

Cette nécessité de polyvalence chirurgicale s'oppose de plus en plus à la formation et à


l'éventail technique des « spécialités » chirurgicales actuelles de temps de paix.
Un chirurgien ne pourra s'adapter à ces conditions techniques nouvelles que si ses
connaissances de base sont suffisantes, notamment anatomiques, ce que néglige de plus en
plus l'enseignement universitaire.

La chirurgie de guerre est essentiellement « de la chirurgie faite dans


de mauvaises conditions » (P. Bourdet)
Blessures atypiques, multiples, délabrantes, septiques, vues avec retard ; blessés
fatigués, dénutris, infectés ; afflux des blessés, limitation des possibilités et des moyens de
l'équipe médico-chirurgicale, impossibilité d'une chirurgie « réglée », insécurité et aléas des
manœuvres guerrières, précarité fréquente des locaux constituent une liste incomplète - et
impossible à compléter - de ce qui distingue la chirurgie de guerre de la chirurgie de tous les
jours dans laquelle le chirurgien cherche à réunir et reproduire des conditions idéales.

Une chirurgie à faible rendement


Face à un afflux de blessés, avec plusieurs urgences absolues simultanées, voire un
polyblessé aux atteintes multiples majeures, l'équipe chirurgicale se trouve vite saturée dans
ses activités, et ce souvent pour plusieurs heures.

Le rendement opératoire d'une équipe chirurgicale reste limité et de portée médiocre


face aux besoins.

II est admis qu'en 1 h un chirurgien est susceptible de traiter un abdomen ou un thorax


aigu, ou deux fractures diaphysaires ouvertes ou quatre plaies des parties molles ; qu'en 24 h,
une équipe peut traiter 12 blessés d'extrême urgence. Une équipe chirurgicale, compte tenu
des temps nécessaires de repos, ne peut être active que 8 à 12 h par jour. Il faut donc au moins
deux équipes pour qu'un chantier opératoire soit opérationnel 24 h sur 24.

Dès que les capacités de soins et d'intervention chirurgicale d'une unité sont dépassées
ou risquent de l'être, il devient impératif d'établir une priorité entre les blessés, un « triage »,

249
de choisir certains procédés techniques simples et rapides, et d'abandonner les procédures
opératoires longues, accaparantes et au succès aléatoire.

Une chirurgie dépendante des impératifs militaires


II faut insister sur le fait que cette activité chirurgicale doit s'adapter aux diverses
circonstances imposées par les événements militaires : « C'est dans cette adaptation que se
trouve la véritable chirurgie de guerre » (Ch. Clavelin, 1934).

Guerre de mouvement, imposant la mobilité des structures chirurgicales de l'avant et


la nécessité de ne pas les embouteiller (« un hôpital qui bouge n'opère pas »... mais « un
hôpital qui opère ne bouge plus »), guerres de position autorisant le parachèvement d'une
organisation sanitaire ; guérilla ou guerre insurrectionnelle autorisant l'installation d'hôpitaux
fixes en zones protégées ; missions militaro-humanitaires prenant en charge le plus souvent
des victimes « civiles », dans des locaux temporaires ; dans tous les cas, les nécessités mili-
taires priment, s'imposent ou confèrent à l'activité médicale une ambiance, un cachet, des
normes qualitatives ou quantitatives d'activité particulières.

Une chirurgie qui doit faire face aux afflux de blessés


En chirurgie de « grande guerre », classique, c'est par milliers que les blessés doivent
être pris en charge par un Service de Santé auquel il incombe de concilier idéal médical et
contraintes militaires.

Traiter tous les blessés dans les meilleures conditions de sécurité et d'efficacité grâce à
l'emploi de moyens permettant leur survie ou la préservation de leurs fonctions, dans des
délais compatibles avec les meilleures chances de survie et de guérison, autant que possible à
l'abri des risques de la zone des combats, tel est le cahier des charges médicales qui doit tenir
compte des contraintes d'ordre militaire : mobilité réelle ou éventuelle du front à laquelle
s'oppose la mobilité plutôt restreinte et difficile des formations sanitaires, impossibilité
d'installer de grosses formations sanitaires sous le feu de l'ennemi, nécessité de sortir les
blessés du théâtre des opérations, incertitude quant au nombre de blessés à venir, ce qui
impose aux formations sanitaires avancées d'avoir en réserve la presque totalité de leur
capacité hospitalière, et au Service de Santé de réaliser un dispositif capable de soutenir à tout
instant la manœuvre décidée par le commandement.

« Cette transaction, dit A. Talbot, est tout le problème de la chirurgie de guerre. » À


cette double nécessité contradictoire d'éloigner de la zone des combats le maximum de
blessés et de respecter le principe de la précocité du traitement chirurgical et de sa continuité,
la logistique santé répond par une organisation rationnelle à quatre étapes : le ramassage, le
triage, l'évacuation et le traitement. Ces étapes se déroulent en des sites différents, au début
sur le front, puis de 40 à 150 km en arrière.

Le terme de triage, mot français adopté dans ces circonstances par les Anglo-Saxons
depuis la Première Guerre mondiale, désigne la catégorisation des blessés en groupes en
fonction de leurs caractéristiques médicales.

Les modalités de classement des blessés sont décrites dans le chapitre 13. Nous
insisterons essentiellement ici sur les répercussions permanentes de cette notion d'afflux des

250
blessés sur les contraintes chirurgicales, et sur les divers visages et significations que peut
revêtir le mot triage.

La notion d'afflux de blessés, nous l'avons vu, est la règle pour de grandes unités au
combat avec des variations permettant le déplacement de l'unité sanitaire, la mise au repos des
équipes, le renouvellement du matériel. Dans cette organisation, tous les blessés sont
impérativement dirigés vers le centre de triage dans lequel le bilan médico-chirurgical initial
est établi, la mise en condition est réalisée, et les priorités de traitement et d'évacuation sont
déterminées en fonction des délais préopératoires que peut tolérer chaque blessé. Seules sont
traitées à cet échelon les extrêmes urgences, par des gestes simples « sans lesquels toute
réanimation serait inefficace ». Le plus grand nombre de blessés est évacué, selon des
modalités (évacuation médicalisée ou simple transport), avec une rapidité (héliportage ou
véhicule sanitaire) et pour une destination (hôpital mobile chirurgical ou hôpital
d'infrastructure) qui dépendent des impératifs d'évacuation et de traitement.

Dans les guerres insurrectionnelles type Viêt-Nam, les auteurs américains ont insisté
sur l'arrivée « par vagues » des blessés. Dans ce conflit, la rapidité des premiers soins, la
disponibilité et la rapidité de l'évacuation par hélicoptère, la possibilité du choix de la
destination du blessé pendant ce premier transport ont supprimé cette notion du triage
préalable qui s'effectuait à l'arrivée au centre chirurgical, dans lequel on distinguait les blessés
« instables », prioritaires, et les blessés « stables » qui étaient traités en fonction de la
disponibilité de la structure dans les délais compatibles avec la gravité de leurs atteintes.

Dans d'autres situations, telle celle décrite par C. H. Rochat du Comité international
de la Croix-Rouge à Kaboul, « le trieur était apparenté à un voltigeur ou à un chef d'orchestre
qui doit en même temps jouer d'un instrument, car n'étant que deux chirurgiens, il fallait à la
fois effectuer le triage et opérer les cas... Nous nous arrangions pour qu'un seul d'entre nous
s'absente régulièrement de la salle d'opération pour le triage. Pour ce faire, nous évitions
d'entreprendre deux interventions majeures en même temps, ceci de façon à garder une table
d'opération pour les cas urgents nouveaux et dont le traitement s'annonçait assez rapide. La
notion la plus importante qui ressort des admissions d'un grand nombre de blessés comme
nous l'avons vécu, c'est qu'à tout moment il fallait réévaluer l'ensemble de la situation, être
attentif à la fréquence des explosions, se rendre à la porte de l'hôpital pour voir soi-même le
mouvement des ambulances et enfin pour confirmer l'ordre d'arrivée des patients en salle
d'opération. » La classification adoptée était celle du CICR, dans laquelle un numéro de 1 à 4
est inscrit sur le front des blessés, en fonction des catégories suivantes :

- catégorie 1 : patients devant immédiatement être opérés (chocs hypovolémiques,


détresses respiratoires, lésions ischémiques des membres, plaies pénétrantes du thorax ou de
l'abdomen, fractures-luxations) ;

- catégorie 2 : cas à ne pas opérer (blessés sub-fine, morituri ou blessés avec peu de
chances de survie : plaies cranio-cérébrales avec coma d'emblée, lésions médullaires ouvertes,
délabrements thoraco-abdominaux et éviscérations avec pertes de substances pariétales,
brûlures au-delà de 60 %) ;

- catégorie 3 : blessés à opérer ultérieurement (plaies des parties molles, fractures


ouvertes sans lésion vasculaire, amputations traumatiques sans hémorragie grave, lésions
maxillo-faciales, brûlures) ;

251
- catégorie 4 : blessés légers pouvant être traités en ambulatoire, n'ayant pas besoin
d'une intervention chirurgicale.

Notons que le recours à ce procédé n'est licite que dans une structure réalisant à la fois
le triage et les soins et ne fonctionnant pas dans une chaîne logistique permettant l'évacuation
régulière, ordonnée, de blessés mis en condition.

On le voit, la notion de triage recouvre des concepts différents : prétriage du médecin


de l'avant, orientation du blessé lors de son évaluation au cours du transport primaire, triage
logistique dit chirurgical à la section de triage définissant des priorités d'évacuations, triage
hospitalier « de porte » entre blessés instables et stables, triage per-opératoire du chirurgien
qui, chez un même blessé, classe les lésions et définit un ordre de traitement.

Dans tous les cas, le principe est d'utiliser au mieux les moyens disponibles au profit
du plus grand nombre, les modalités pratiques pouvant considérablement varier en fonction
des ressources sanitaires disponibles.

Une chirurgie impliquée dans une logistique


Le chirurgien d'une armée en guerre est impliqué, à son échelon, dans une chaîne
logistique contraignante de soins aux blessés.

En poste à une section de triage, son rôle doit se limiter au triage des blessés, à leur
mise en condition, à l'appréciation de la gravité de leurs lésions, à la définition des délais
chirurgicaux tolérables, à leur classification en « urgences » (extrêmes, l rc, 2e ou 3e), à la
réalisation de gestes chirurgicaux simples « sans lesquels toute survie serait impossible », et à
la gestion de leur évacuation.

Chirurgien d'un hôpital de l'avant (hôpital mobile chirurgical, hôpital de combat), ses
rôles sont d'une part le triage des blessés en blessés « instables » imposant une prise en charge
médico-chirurgicale prioritaire, et blessés « stables » pour lesquels les délais et indications
opératoires sont habituels, d'autre part le traitement opératoire des extrêmes et premières
urgences. Les blessés plus légers ou nécessitant des soins spécialisés (lésions crâniennes,
ORL, maxillo-faciales) sont orientés après les soins indispensables vers les hôpitaux
d'infrastructure plus lourde (urgences dites « différées »).

Pour le chirurgien d'une structure hospitalière humanitaire (CICR, ONG), au sein d'un
conflit, la réalisation des actes techniques même sommaires implique de réunir des moyens «
non consommables » et « consommables » minimaux et leur renouvellement, ainsi que la
prise en charge sur place de tous les types de blessés.

Une chirurgie faite dans des installations précaires


II s'agit en effet, le plus souvent, d'une « chirurgie des champs » que les Britanniques
nomment encore Field Surgery. Le plus souvent, qu'il s'agisse d'une armée en campagne avec
ses antennes chirurgicales, ses sections de triage, ses hôpitaux chirurgicaux mobiles, ou d'une
activité humanitaire déployée au profit de populations en conflits, souvent déplacées,
l'installation est sous tente. Plus avantageuse est une solution mixte utilisant pour la mise en
fonctionnement rapide des locaux préexistants qui à eux seuls peuvent être insuffisants mais

252
permettront de gagner du temps et pourront être agrandis par des tentes ou constructions
précaires, destinées notamment à l'accueil, aux servitudes, à l'hospitalisation des blessés.

Certains locaux préexistants se prêtent admirablement à l'installation rapide d'une


équipe chirurgicale : les casernes, les locaux scolaires par exemple. De grandes salles sont
faciles à aménager en salles diverses ; escaliers et couloir sont de dimensions suffisantes ; les
dégagements, les locaux accessoires, cuisines, réfectoires sont importants. Les abords sont
aménagés. Les cours, vastes, facilitent l'accès et l'évolution des véhicules sanitaires et des
camions.

Les risques des combats, et notamment les bombardements, peuvent rendre impératifs
une installation dans des sous-sols de grands immeubles, ce qui procure une meilleure
protection mais il existe des risques d'effondrement.

Afin d'améliorer les possibilités opératoires des structures mobiles, des ensembles
techniques semi-mobiles, préaménagés en containers fonctionnels, dits « sheltérisés » ont été
mis au point. L'armée américaine utilisait déjà au Viêt-Nam des MUST (Médical Unit Self
Contained Transportable), structures cependant peu mobiles. L'armée française dispose
maintenant d'ETM (Éléments techniques modulaires) qui sont des ensembles compacts,
transportables par route ou par air, et contenant des salles d'opération, des locaux de
réanimation, des ensembles techniques de servitude (production d'oxygène, stérilisation,
filtration de l'air, traitement et réserve d'eau, groupes électrogènes) permettant de déployer
rapidement une activité chirurgicale.

Exceptionnellement, les conditions seront celles de la chirurgie « de ville », devenues,


par les nécessités des combats, le soutien sanitaire des affrontements. Tel a été le cas durant la
guerre du Liban à Beyrouth où les structures hospitalières se sont adaptées à ce nouveau
mode d'activité : « Tout ou presque tout le poids de la guerre, précise V. Nahas, est tombé sur
les hôpitaux "privés" ». Tel est celui de Sarajevo, et tel sera probablement celui des futurs
conflits qui, de plus en plus, tendent à devenir urbains ou périurbains.

Une chirurgie qui évolue dans son efficacité et ses méthodes


B.G. Hardaway avait exprimé l'idée que l'amélioration de la qualité des soins en temps
de paix avait eu pour corollaire une diminution de l'incidence des décès chez les blessés après
leur ramassage : il a calculé qu'il y avait eu 28 7c de décès chez les blessés de la Seconde
Guerre mondiale, contre 22 % durant le conflit coréen et 13 % durant la guerre du Viêt-Nam.
Si des soins identiques à ceux de la Seconde Guerre mondiale avaient été procurés aux
blessés du Viêt-Nam, 118 000 soldats blessés de plus seraient décédés, ce chiffre étant de 31
000 pour la guerre de Corée. Bzic et Bellamy ont signalé que, en excluant de la statistique les
blessés légers, le pourcentage des tués sur le terrain était identique dans tous les grands
conflits récents. De même, le taux de blessés ultérieurement décédés, indice de la qualité des
soins, serait, dans leurs calculs, resté stable depuis la Seconde Guerre mondiale ; il était en
revanche deux fois oindre que pour la Première Guerre mondiale et trois fois moindre que
pour la guerre de Crimée.

Un autre biais du calcul serait la plus grande gravité des blessures au cours du conflit
vietnamien qui viendrait atténuer voire annuler l'effet de l'amélioration des soins.

253
Toutefois, sur le plan qualitatif et fonctionnel, les progrès apparaissent évidents si l'on
s'intéresse au devenir et aux séquelles des blessés.

. À l'heure actuelle, le chirurgien militaire peut, en matière de pathologie et de


thérapeutique des lésions balistiques, tirer beaucoup d'enseignement des travaux des
chirurgiens des trauma centers des grandes villes des États-Unis d'Amérique où, on le sait, le
nombre annuel des tués et blessés par armes à feu avoisine les pertes militaires au combat
pendant la guerre du Viêt-Nam de 1965 à 1972.

R. Kennedy disait : « Une société a la criminalité qu'elle mérite et qu'elle crée ». En


l'occurrence cet état de fait a pour contrepartie l'acquisition d'une expérience médicale encore
inégalée dans le domaine des lésions balistiques.

Si B. Godquin a pu écrire : « Homère et Vésale ont raison : la chirurgie a toujours été


la fille de la guerre, l'héritière des batailles... Et ses progrès en temps de paix ont été jusqu'à
une époque toute récente le fruit des acquisitions au cours de nombreux conflits. Galien ne
conseillait-il pas aux jeunes médecins d'aller s'instruire en suivant les armées plutôt que de
rester en ville où ils n'apprendraient rien ? », L’heure est à l'inversion des rôles. La chirurgie
de guerre devient fille de la paix, de ses prouesses techniques quotidiennes d'une part, de son
expérience de prise en charge des plaies par projectile d'autre part.

Mais, si ces enseignements et éventuellement un tel entraînement opératoire sont du


plus haut intérêt dans la préparation technique du combat surgeon, les conditions de soins aux
blessés en situation de guerre ne rejoignent qu'exceptionnellement celles de ces centres de
traumatologie urbains.

L'expérience chirurgicale civile a régulièrement eu sur le traitement chirurgical des


lésions de guerre des répercussions remarquables. Avec la guerre du Viêt-Nam a disparu la
ligature de principe des plaies artérielles des membres au profit de la reconstitution rapide de
l'axe artériel avec des résultats similaires à ceux obtenus en temps de paix. Au cours de ce
conflit, il a été possible de traiter des lésions qui étaient auparavant quasi constamment
fatales; ainsi, cinquante plaies des carotides ont été traitées dans une série de mille plaies
vasculaires (N. Rich).

De cette pratique civile est née, face aux lésions hémorragiques, vasculaires et
viscérales thoraco-abdominales, les plus difficiles à maîtriser, la pratique du damage control
avec ses trois temps successifs : laparotomie première abrégée, permettant le contrôle des
lésions artérielles parfois par des procédés temporaires, celui des saignements profus par un
tamponnement d'organes, notamment périhépàtique, mais aussi des régions rétropéritonéales
ou pelviennes, difficilement maîtrisables par des procédés électifs et une viscérostase
expéditive des viscères creux ; un second temps voué à la réanimation ; une nouvelle
laparotomie permettant des actes thérapeutiques complémentaires.

La remise en vigueur de ces manœuvres de tamponnement proscrites durant la


Seconde Guerre mondiale, certes avec une technique différente et inscrite dans une procédure
codifiée, n'est pas le moins étonnant de ces apports certainement utilisables dans les
conditions d'urgence, d'afflux de blessé, de précarité technique.

254
Une chirurgie qui nécessite une formation préalable adaptée
Tous les Services de Santé se sont posé le problème difficile de la formation en
chirurgie de guerre des équipes médicales des armées mais aussi des réserves.

« La réalité de la bataille, écrivait Foch, est qu'on n'y étudie pas ; simplement on fait
ce que l'on peut pour appliquer ce que l'on sait, et, dès lors pour y pouvoir un peu, il faut
savoir beaucoup et bien. »

« Comment nos chirurgiens militaires peuvent-ils être préparés de façon optimale à


tenir leur rôle dans les situations de combat ? » Cette question, posée par M. A. Smith et SJ.
Hazen du Service de Santé américain, a été de tout temps la préoccupation des responsables
de cette formation.

Déjà, suivant dans leurs péripéties les armées napoléoniennes, Percy et Larrey ne se
contentaient pas d'opérer. Dès le cantonnement installé, ils formaient les apprentis et, dans les
étapes des grandes villes d'Europe, « les médecins des pays occupés en deviennent d'assidus
auditeurs » écrivait Forgue.

Cette volonté d'enseigner apparaît très tôt dans la carrière de D. Larrey. En 1794 déjà,
désigné comme chirurgien en chef de l'armée qui se prépare à la campagne de Corse, il rejoint
Toulon. Là, il organise pour les chirurgiens des cours d^anatomie et de chirurgie. Cet
enseignement eut un retentissement considérable et le Comité de salut public décida de lui
confier une chaire de professeur au Val-de-Grâce qu'un récent décret avait constitué en école.

Le même souci de formation transparaît encore en 1798 quand, nommé chirurgien en


chef de l'armée d'Orient pour la campagne d'Egypte, Larrey accompagna Desgenettes,
médecin chef du corps expéditionnaire à Toulon. En quelques jours il rassembla cent huit
officiers de santé qu'il formait à leurs nouvelles fonctions en leur donnant des cours à l'hôpital
militaire d'instruction de Toulon.

Au cours de ses campagnes il créera des écoles de chirurgie au Caire et à Milan. Les
champs d'application immédiate ne manquèrent pas, pour les chirurgiens de tous les pays
d'Europe, en ces périodes de fureurs guerrières.

Nous allons maintenant décrire les possibilités actuelles de l'information, en sachant


que celles de la formation pratique sont plus limitées. Exercices en fac-similé sur le terrain,
répétition des gestes médico-chirurgicaux sur mannequin ou animal anesthésié, séjours brefs
et réguliers dans une antenne chirurgicale en mission militaire ou humanitaire en résument les
moyens spécifiques utilisés un peu partout dans le monde.

Dans les années quatre-vingt-dix, l'affectation, pour formation pratique, des


chirurgiens militaires américains dans les trauma centers des grandes métropoles riches d'une
pathologie balistique impressionnante, a fait couler beaucoup d'encre. Sur le plan technique,
l'intérêt de cette modalité de formation est indéniable, mais ses conditions d'exercice, ses
moyens matériels, la complexité inhabituelle des interventions pratiquées, et par là même le
décalage entre ces activités et celles d'un chirurgien en temps de guerre, ont été soulignés.
Elles les préparent, a-t-il été écrit, « autant que l'activité d'un service de police civil
préparerait l'infanterie au combat, ou l'expérience de l'aviation commerciale préparerait des
pilotes à l'appui aérien en rase-mottes en temps de conflit ».

255
A. Smith et SJ. Hazen ont insisté sur le fait que, quels que soient les moyens de
formation, il ne peut y avoir de progrès s'il n'est pas tenu compte de ce qu'ils ont appelé thé
unique facets of combat médical care : la multiplicité et la sévérité des blessures de guerre,
les atteintes à l'intégrité physique dues à l'environnement, l'austérité matérielle et logistique
de l'équipement de guerre et l'obligation de confier ces blessés et malades à une organisation
échelonnée où les traitements sont fragmentés en étapes.

Une chirurgie... toute d'application


Quelle que soit la formation acquise, l'adaptation à cette forme de chirurgie dont une
grande partie de la spécificité tient aux « facteurs d'ambiance » ne pourra se faire qu'en
situation réelle. « Au cœur de l'action, ce ne sont plus les décisions découlant de situations
particulières, d'une science apprise sur les bancs de l'université ou la mémoire d'un empirisme
même parfaitement digéré. C'est un comportement spontané et juste où les décisions coulent
de source, ce sont des adaptations correctes instantanées aux circonstances même inattendues
» disait Togo Heihuchiro, le grand amiral japonais vainqueur de la flotte russe à Tsuschima
en 1940, dans son discours prononcé avant d'engager le combat.

« Ce n'est rien de feuilleter les livres, de gazouiller et de caqueter en chaire de la


chirurgie si la main ne met en usage ce que la raison ordonne » enseignait le premier des
chirurgiens de guerre, A. Paré, dans ses conférences du collège de Saint-Corne à l'Hôtel-Dieu
et, ajoutait-il, « le vrai livre, c'est le corps humain ». Ne dit-on pas que seule l'expérience
vécue compte ? Mais, sans formation préalable, elle reste sans portée.

Aux questions « qui enseigne et comment enseigne-t-on la chirurgie de guerre ? » se


posent en miroir celles de savoir qui la pratique et selon quel statut.

Personne n'a l'exclusivité de l'exercice de la chirurgie de guerre, et


tous ceux qui vont l'exercer doivent s'y préparer
Certes, quelques chirurgiens travaillent à plein temps au sein du Comité international
de la Croix-Rouge soit pour opérer, soit pour organiser des structures chirurgicales au profit
des populations victimes de conflits. Cela reste toutefois l'exception et, pour tous les autres, y
compris les chirurgiens militaires, la chirurgie de guerre n'est qu'une activité, certes prévisible
mais sporadique, liée aux circonstances. Il est dès lors aisé de comprendre dans un univers
chirurgical civil dédié aux spécialités et où personne ne pratique plus réellement la chirurgie
générale, qu'il soit difficile de faire acquérir par les futurs chirurgiens militaires une formation
sinon orientée, du moins rapidement adaptable aux circonstances de guerre.

Une approche précoce, dès les écoles de formation à la médecine de l'avant, un


enseignement de chirurgie de guerre lors de l'École d'application du Val-de-Grâce, un tronc
commun de chirurgie générale dans le cursus chirurgical, des épreuves écrites et orales
relatives à la pathologie et à la thérapeutique de guerre concourent à une motivation et une
formation qui restent toutefois incomplètes.

La participation régulière des jeunes chirurgiens à l'activité des missions permanentes,


notamment en Afrique, ou temporaires militaires ou humanitaires, améliore leur adaptation et
leur expérience. La chaire de chirurgie de guerre du Val-de-Grâce se donne pour buts de
rassembler les connaissances les plus actuelles en ce domaine et de maintenir le niveau de
formation et d'entraînement des chirurgiens des armées. Le Guide de préparation à

256
l'agrégation de chirurgie de guerre (P. Houdelette, 1995) comporte une liste de techniques
chirurgicales de guerre susceptibles de servir de référence.

Pour les chirurgiens civils, l'exercice de la chirurgie de guerre peut relever d'une
mobilisation comme ce fut le cas pour de jeunes chirurgiens nord-américains au cours du
conflit vietnamien. B. Eiseman, dans un exemplaire de Journal of Trauma de 1985, a bien
décrit le problème d'adaptation, le choc culturel que ressentent ces chirurgiens appelés face à
une chirurgie traumatologique rarement pratiquée antérieurement, aux longues périodes
d'inactivité, aux actes opératoires strictement définis par leur niveau d'activité dans la chaîne
d'évacuation des blessés et régis par des compromis techniques et humains. La réaction d'un
médecin très « programmé » par ses études à une chirurgie de haut niveau est, dit Eiseman,
prévisible : « II devient vexé, frustré et plein de ressentiment ». La peur, la fatigue, des
responsabilités techniques inhabituelles dépassant de beaucoup ce pour quoi ils s'étaient
préparés en milieu civil, l'immersion dans un milieu militaire bien différent de l'ambiance
universitaire et de leur niveau culturel, la solitude, la compassion, l'interruption, même
provisoire, de leur carrière, le dépaysement concourent à un trouble et à un stress
préjudiciables à leurs performances chirurgicales.

Depuis la fin de la guerre froide, de nombreux conflits, catastrophes, drames collectifs


ont provoqué dans les pays nantis la naissance d'un nouvel humanisme actif et l'émergence
d'organisations humanitaires non gouvernementales dans lesquelles médecins et chirurgiens
jeunes ou retraités peuvent s'impliquer et au cours de missions exercer la chirurgie de guerre.
Plusieurs modules universitaires peuvent préparer ces volontaires à ces nouvelles conditions
d'exercice :

- chirurgie en situation d'isolement enseignée aux volontaires du service national à


l'Institut de médecine tropicale du Pharo à Marseille ;

- médecine tropicale pour appréhender l'environnement et la pathologie exotiques,


formation souvent nécessaire dans des missions se déroulant fréquemment en milieu tropical ;

- capacité de médecine de catastrophe : permettant de comprendre l'organisation et la


logistique nécessaires dans les situations de détresse collective et l'importance du travail
d'équipe (logisticiens, médecins d'urgence, réanimateurs, spécialistes d'hygiène de
collectivité) ;

- capacité de médecine d'urgence : formant des « urgentistes » à la médecine


préhospitalière, aux premiers gestes médico-chirurgicaux ;

- diplôme universitaire de chirurgie en situation précaire enseignant les gestes


techniques adaptés, rustiques, peu coûteux et salutaires dans les conditions de dénuement
technique ;

- diplôme universitaire de chirurgie adaptée à l'action humanitaire ;

- enseignement spécifique à certaines ONG.

La formation spécifique initiale et continue des cadres chirurgicaux de réserve du


Service de Santé ne doit pas être omise dans cette liste des moyens de formation.

257
L'assertion de Lecène rappelée en introduction, formulée après le premier conflit
mondial qui avait vu la mobilisation du corps chirurgical français (ne parlait-on pas à
certaines phases de stabilisation du front et d'achèvement de l'organisation sanitaire de «
facultés de l'avant » ?), reflète sans aucun doute cette réalité, bien mise en évidence dans le
monde actuel, que la chirurgie de guerre d'une part n'est pas l'apanage du chirurgien militaire,
d'autre part ne doit pas s'improviser.

Une chirurgie utilitaire


La mission générale des Services de Santé est de maintenir l'état de santé optimal des
personnels en accord avec leur activité et de procurer les soins aux blessés, mais cette
dernière vocation a été différemment interprétée au cours du temps.

Certes, la prise en charge correcte des blessés a toujours été un garant du moral des
combattants qui reçoivent ainsi l'assurance de soins rapides et compétents s'ils étaient blessés,
mais derrière cette vertu « d'hygiène mentale » se dessine la volonté d'une récupération à des
fins militaires des soldats soignés.

Homère dans l'Iliade (chant XI) disait déjà : « Le médecin vaut beaucoup d'autres
hommes » et Nelson conseillait au commandant de bâtiment, assez heureux pour avoir à son
bord un chirurgien, de ne point l'exposer inutilement.

Le but de la chirurgie de guerre est bien souvent de permettre la « remontée en ligne »


des blessés (60 % des blessés qui survivent présentent des atteintes des membres). Certains
conflits, tel le siège de Diên Bien Phu, ont bien montré l'importance cruciale de ce facteur.

Le bilan de la Première Guerre mondiale a fait ainsi ressortir pour l'armée française
que « si l'on tient compte de la récupération totale, malades et blessés, on peut admettre que
sur 100 évacués, 10 sont perdus, 90 récupérés ; sur les 90 récupérés, 60 le sont dans la zone
des armées dans le délai d'un mois et 30 dans la zone de l'intérieur dans un délai de cinq
mois ; sur les 10 perdus, 1 est décédé, 9 sont réformés ».

« De telles activités ne peuvent apparaître aussi héroïques que le traitement chirurgical


d'une plaie du cœur par projectile dans un trauma center civil bien équipé, mais elles sont
sûrement plus propices au déroulement victorieux d'une guerre. » En écrivant ces lignes, une
cinquantaine d'années et plusieurs conflits plus tard, A.M. Smith et SJ. Hazen conjuraient une
tournure d'esprit fallacieuse que pourraient contracter les chirurgiens militaires nord-
américains lors de leur formation dans les centres de traumatologie des grandes métropoles.

Le caractère « précieux » de l'individu dans les grandes nations démocratiques


occidentales impose aux hommes politiques et stratèges militaires une « économie de vie
humaine ». Sans aller jusqu'au « conflit zéro mort » évoqué à l'occasion de la guerre du Golfe,
ce qui est de la poudre aux yeux à l'usage d'un seul camp, chaque combattant, chaque famille
de combattant, chaque corps social d'une nation exige l'assurance que tout blessé de guerre
recevra des soins rapides et compétents à l'exemple de ceux donnés en traumatologie civile,
routière notamment.

Une expérience récente de prise en charge des blessés, tels ceux de la FORPRONU à
Sarajevo, conforte cette idée, mais il ne faut pas oublier que les circonstances étaient
exceptionnelles : caractère sporadique des blessés, installation d'un ensemble de réanimation-

258
chirurgie suréquipé dans une structure « en dur », possibilité d'évacuation aérienne
médicalisée (avec réanimation en vol du meilleur niveau : ventilation artificielle,
autotransfusion, etc.) vers des grands centres parisiens.

Le rôle actuellement dévolu aux formations chirurgicales du Service de Santé en


temps de guerre doit donc répondre à un double but : d'un côté but d'humanité, de plus en plus
important dans des « démocraties d'opinion » largement informées par des médias exigeants ;
d'un autre, but militaire de conservation des effectifs.

Ch. Clavelin soulignait déjà en 1934 la pertinence de cette phrase de l'ordonnance


royale de 1780 portant sur l'organisation du Service de Santé : « La première économie est la
conservation des hommes ».

Une chirurgie humanitaire


D'Italie, Larrey avait écrit à sa femme : « Avant notre arrivée, le mot humanité était
proscrit. Les blessés et les malades étaient relégués dans des coins affreux privés de toute
espèce de secours. »

« On croirait, écrira P.F. Percy, dans son Journal de campagne (1799-1809) dans
lequel il décrit les difficultés inouïes rencontrées par les chirurgiens des armées, qu'un
malade, un blessé cesse d'être un homme quand il ne peut plus être soldat. »

« Rien n'égale, dit Percy à Eylau, l'égoïsme, la fureur rapace, l'inhumanité des soldats :
on marche sur les cadavres, ou foule aux pieds les membres coupés, on entend les hurlements
des blessés à qui on retranche douloureusement un membre et on n'en va pas moins son train :
chacun, occupé de soi, cherche sa vie. Ce n'est que parmi les chirurgiens que la compassion,
la philanthropie, l'amour du prochain se sont retirés. »

Paroles définitives qu'illustrent les conflits les plus récents, du Liban au Rwanda, de la
Yougoslavie à la Tchétchénie ; principes repris depuis par le Comité international de la
Croix-Rouge et les ONG humanitaires dont les activités chirurgicales, s'inscrivant dans des
situations de détresse collective avec leurs besoins prioritaires de sécurité (zones neutres,
camps, corridor) d'accueil, d'hygiène de collectivité, de fournitures alimentaires minimales,
concernent pour deux tiers des blessés des populations civiles (Beyrouth), otages des conflits
et premières de leurs victimes.

Conclusion
Après ces considérations tout à la fois état des lieux et cahier des charges de cette
chirurgie, nous laisserons pour conclure la parole à un des maîtres de la chirurgie française, le
professeur J.-P. Binet, qui écrivait dans la Presse médicale le 23 octobre 1993 : « En ces
temps-là, c'est-à-dire juste après la Seconde Guerre mondiale, la chirurgie était une, unie,
unique : elle était enfin devenue mature et portait le nom de chirurgie générale. Et puis, du
fait du progrès, sont nées toutes les spécialités que l'on connaît... Elles sont maintenant dix ou
onze suivant les auteurs et même plus, puisque l'on va enseigner, en ces temps où l'on croyait
la paix définitivement rétablie, la dernière-née après la chirurgie de la transplantation, "la
chirurgie de guerre" ».

259
Nous espérons avoir montré dans ces quelques lignes l'intérêt de l'individualisation de
cette spécialité.

Chirurgie de l'urgence, de l'hémorragie, faite en milieu septique, souvent tardive et


compliquée, concernant parfois des blessés ou des blessures complexes ou multiples,
exécutée par des équipes et avec des moyens limités, avec forte dépendance de la réanimation
péri-opératoire, cette chirurgie de guerre ne ressemble globalement à aucune autre. La
chirurgie des catastrophes qu'elles soient d'origine humaine ou naturelle, souvent exercée en
situation précaire, en partage cependant nombre des caractéristiques médicales, logistiques et
humaines.

260
Triage chirurgical

L.-J. COURBIL

Définition
Acte médico-militaire né au cours du premier conflit mondial
- a" une préoccupation (conservation des effectifs)
- à" un souci (humanitaire)
- de contraintes (logistiques).

La nécessité du triage est apparue dans la seconde moitié du XIXe siècle dans les
armées européennes. Il est mentionné par le Français Legouest en 1863, le Russe Pirogoff en
1870 et l'Allemand Herz en 1898 (Sichtung).

Certes, sa première justification a été la conservation des effectifs et il importait


surtout aux chefs militaires de distinguer très vite les blessés mineurs qui pouvaient reprendre
le combat (nombreux car les agents vulnérants n'avaient pas la puissance actuelle) et les
blessés plus sérieux effectivement hors de combat.

Plus tard s'est affirmée une motivation plus humanitaire avec Dunant après Solferino,
et Legouest dans son traité de 1863 indique que l'on doit s'occuper le plus rapidement
possible des blessés gravement atteints avec un sentiment de « haute et ferme charité ». À
cette époque, dans les armées françaises, les moyens de secours et de transport des blessés
dépendaient des intendants militaires, le « médecin chef d'armée » n'ayant qu'un avis
consultatif.

Le triage est considéré maintenant comme une technique de base d'une armée en
campagne.

Ce triage chirurgical, initialement strictement militaire, a été étendu à toute situation


d'exception (guerres civiles, insurrections, catastrophes naturelles ou technologiques)
générant un afflux de victimes souvent imprévisible, unique ou répétitif (cumulatif) et
aggravé par la panique et l'insécurité.

Au cours de conflits armés comme dans toute catastrophe, un grand nombre de blessés
peuvent brutalement affluer.

L'accueil et le traitement de ces blessés doivent se faire dans des sites spécialement
choisis et équipés pour ce genre de situation et le personnel doit être informé et préparé à des
choix difficiles.

261
En effet, dans de telles circonstances, on ne peut prodiguer d'emblée à tous les blessés
les soins que l'on considérerait ailleurs comme nécessaires.

Pour les blessés graves, on distingue deux cas de figure. Les blessés graves mais ayant
de bonnes chances de survie avec un traitement rapide doivent bénéficier de la plus grande
priorité. En revanche, quand le pronostic vital est sombra quelle que soit la modalité
thérapeutique, il ne faut monopoliser ni le temps du personnel ni le matériel consommable
(sang par exemple).

D'autres blessés moins gravement atteints peuvent tolérer un retard thérapeutique


pendant que seront traités des blessés plus urgents.

Enfin, des blessés « mineurs » peuvent assurer eux-mêmes leurs soins de secourisme
élémentaire.

Le triage associe donc d'une part une évaluation diagnostique et pronostique continue, d'autre
part une préparation à l'évacuation pouvant comporter des gestes de réanimation et des gestes
chirurgicaux que l'on choisit en fonction d'impératifs techniques, tactiques et logistiques.

D'emblée, on comprendra que les acteurs de ce triage seront :

- des cliniciens qui effectueront un bilan lésionnel et évalueront les conséquences de


la blessure sur les fonctions vitales, en localisant les atteintes topographiques ;
- des thérapeutes qui effectueront les gestes de réanimation d'extrême urgence ;
- des logisticiens qui décideront du circuit.

262
Ces différentes responsabilités sont en général partagées et l'ensemble parfaitement
orchestré dans le cadre d'une armée en campagne, au cours d'une guerre « conventionnelle ».
Il en est tout autrement après des catastrophes ou lors de conflits armés comme ceux observés
actuellement dans certains pays d'Amérique centrale, d'Europe de l'Est, du Moyen-Orient,
d'Extrême-Orient ou d'Afrique centrale et orientale.

Dans la pyramide des réfugiés et victimes diverses, le triage « chirurgical » ne


concerne que la partie supérieure de la pyramide (Fig. 12.1).

Justification du triage

Disproportion entre le nombre des victimes et les moyens disponibles (ressources


humaines, conditions matérielles).

Toute catastrophe n'entraîne pas forcément un afflux précipité de victimes et tout


afflux de victimes n'impose pas forcément un triage.

Le triage ne devient indispensable que lorsqu'il y a une disproportion évidente entre le


nombre de blessés et les ressources humaines et matérielles.

En voici quelques exemples vécus personnellement : -Algérie (24 janvier 1960)

Après une fusillade à Alger, 120 blessés affluent à l'hôpital Maillot en moins d'une
heure. Six équipes opératoires sont rapidement disponibles. Un triage est dirigé par le
chirurgien chef de la formation. En 48 h, tous ces blessés seront traités, dans d'excellentes
conditions ; -Viêt-Nam (1970-1973)

Nous sommes quatre chirurgiens à l'hôpital consulaire français de Saigon. Aucun


triage n'a jamais été nécessaire (sauf le 30 avril 1975 à la prise de la ville). Les Américains ne
le pratiquent qu'exceptionnellement : leurs hôpitaux d'évacuation primaire ont chacun des
dizaines de box d'accueil, tous pourvus de matériel de réanimation et de radiologie, avec du
personnel nombreux et entraîné ;

-Tchad (avril 1980)

Trois équipes chirurgicales françaises débarquent simultanément. À Kousseri, 410


blessés les attendent, dont certains ne pourront être opérés. Un triage rigoureux, impitoyable
(urgences « dépassées ») a été nécessaire.

À côté de ces exemples significatifs, nombre de chirurgiens d'antenne en situation


isolée et précaire se sont trouvés confrontés à un triage toujours difficile, devant quelques
dizaines de blessés, quand ils ne disposaient que des ressources J'une équipe réduite, d'un
matériel rustique et d'un ravitaillement sanitaire précaire et irrégulier.

263
But : « catégoriser »

Définir des priorités de traitement entre individus, ou entre différentes lésions chez le
même individu, puis les priorités d'évacuation (doctrines différentes).

Depuis le premier conflit mondial, le triage est devenu le pivot de l'organisation des
Services de Santé des Armées, à l'avant, et souvent une structure strictement autonome
comprenant des formations spéciales, une doctrine fixée par instructions, un personnel formé
à ce travail et affecté dès le temps de paix.

Le système a atteint son apogée dans les armées occidentales au cours de la Seconde
Guerre mondiale où les missions des « compagnies médicales » étaient clairement définies,
alternant le ramassage, le triage et la mise en condition pour l'évacuation.

Le transport aérien à longue distance, les opérations aéroportées ont modifié ce


système présentant une certaine inertie. Au cours de la guerre d'Indochine apparurent les
antennes chirurgicales parachutistes à qui furent confié le triage.

Classiquement, dans l'armée française on distinguait :


- les extrêmes urgences (nécessitant des soins immédiats) ;
- les premières urgences (avant 6 h) ;
- les deuxièmes urgences (avant 18 h) ;
- les troisièmes urgences.
Leurs proportions varient avec les conditions du conflit et du soutien logistique.

Selon le Manuel de l'OTAN, pour 100 blessés évacués d'un champ de bataille on
peut s'attendre à rencontrer :
- 30 blessures mineures superficielles ;
- 16 fractures ouvertes comminutives des os longs ;
- 10 plaies des parties molles ou des brûlures nécessitant une anesthésie générale pour
un parage ;
- 10 plaies nécessitant une laparotomie ;
- 6 fractures comminutives des extrémités des membres ;
- 5 plaies nécessitant un drainage thoracique ;
- 4 polytraumatismes à gestes chirurgicaux multiples ;
- 3 lésions graves des yeux.

Les interventions importantes comprendront :


- 3 amputations importantes et 2 d'extrémités ;
- 3 craniotomies ;
- 3 reconstructions vasculaires ;
- 2 reconstructions maxillo-faciales ;
- 1 thoracotomie réglée ;
- 1 exploration cervicale.

264
Nous nous référons ici à un cadre strictement militaire, où les blessés sont des
combattants relevés et évacués dans de bonnes conditions logistiques, permettant d'évaluer les
priorités de traitement et/ou d'évacuation primaire selon des risques bien déterminés
(respiratoires, hémorragiques, infectieux).

La classification militaire française a beaucoup perdu de son intérêt dans les conflits
actuels, car elle avait été établie (les règles des 6 et 18 h) sur la base de délais d'évacuation
maintenant obsolètes (abandon de l'évacuation en chemin de fer par exemple).

La classification de l'OTAN (urgent, immédiat, différé, morituri) n'a pas simplifié les
notions, bien au contraire, ni apporté un progrès évident.

La « catégorisation des blessés » publiée dans la dernière édition du Manuel de


l'OTAN a surpris de nombreux médecins militaires qui éprouvent des difficultés à trouver une
correspondance avec la classification française.

Schématiquement, l'étiquette « urgent » correspond à nos extrêmes urgences car elle


caractérise les blessés présentant une asphyxie progressive ou une hémorragie interne non
contrôlée. La catégorie « immédiat » caractérise, dans la pensée anglo-saxonne, des blessés
moins... urgents puisqu'il s'agit de blessés graves qui réagissent bien au remplissage
vasculaire. Le terme « différé » concerne des blessés mineurs ou ambulatoires et celui de «
morituri » est bien connu depuis le siècle dernier.

Impératifs

Dans tous les cas de figure, les impératifs sont les mêmes : précocité, rapidité,
précision, révision permanente, éthique inhabituelle.

L e triage doit être le plus précoce possible, selon les conditions du combat. Le
médecin de l'avant peut réaliser un tri dégrossisseur qui ne deviendra un tri réellement
chirurgical qu'au sein de la première formation médico-chirurgicale rencontrée (antenne).

Le triage ne peut être que très rapide dans ces situations d'afflux (2 à 3 min pour un
blessé couché, 1 min pour un blessé debout).

Néanmoins, il doit être le plus précis possible car il engage à l'évidence le pronostic
ultérieur.
Aussi faut-il prévoir une révision permanente, à la recherche de l'apparition de signes
péjoratifs en particulier, le pronostic n'étant ni figé ni définitif.

Enfin, le personnel doit être initié à une éthique inhabituelle où le dialogue singulier
médecin-malade est pratiquement inexistant.

265
Les armées françaises ont toujours essayé « d'humaniser » cet accueil impersonnel
dans des espaces rustiques aux moyens limités et de traiter de la même manière ses
combattants, ses adversaires et les populations civiles. L'attitude anglo-saxonne actuelle
évoluerait plutôt vers une différenciation des victimes, traitées par des méthodes différentes
(instructions de l'ONU).

Fonction (le trieur)

Classiquement, « le chirurgien le plus ancien » (dans le grade le plus élevé, écrivait


Talbot) assurait le triage.

Cette notion n'est dorénavant plus d'actualité pour plusieurs raisons :

- l'intégration dans les formations de l'avant d'un personnel spécialisé essentiel, le


médecin réanimateur (pendant la guerre d'Algérie pour l'armée française) particulièrement
apte à déterminer rapidement le pronostic vital ;
- la gravité des blessures imposant aux chirurgiens des interventions plus longues
pendant lesquelles ils n'étaient pas disponibles.
Nous pensons désormais que la fonction de trieur doit être confiée au

binôme complémentaire réanimateur-chirurgien, la priorité revenant dans la plupart


des cas au réanimateur qui souvent apprécie globalement mieux la gravité de la blessure, qui
peut immédiatement effectuer les gestes d'extrême urgence, et en évaluer l'efficacité, et qui
peut apprécier plus précisément la charge de travail des soins pré-, per- et post-opératoires.
Il faut de plus bien reconnaître que l'attitude classique qui consistait à désigner comme
trieur le chirurgien le plus compétent privait le bloc opératoire d'une ressource précieuse, très
expérimentée, et donc plus à même de sauver le maximum de blessés en un minimum de
temps (Larcan).

Limites et critiques de ces notions militaires

Classification anachronique inadaptée aux situations de catastrophe


et aux conflits actuels

En effet, les critères utilisés pour ce triage concernent presque exclusivement l'homme
jeune, combattant régulier, blessé par des projectiles connus et présentant des tableaux
cliniques assez stéréotypés caractéristiques de tous les conflits armés conventionnels. La
classification ignore en revanche la pathologie propre aux catastrophes naturelles ou
technologiques, aux attentats et au terrorisme, observée chez des sujets des deux sexes et
d'âges extrêmes.

266
Classification établie en vue d'une évacuation
Cette catégorisation est étroitement liée aux contraintes et aux ressources logistiques
d'une guerre en mouvement, dans laquelle l'évacuation sanitaire vers des zones de sécurité est
quasi constante.

Le triage moderne est différent


Si elle garde certes les mêmes définitions, but, justification et impératifs, la
catégorisation doit être plus physio-pathologique, elle doit distinguer le risque vital du risque
purement fonctionnel et elle doit être réalisée par le binôme chirurgien-réanimateur. Elle doit
de plus pouvoir être adaptée à toute circonstance dans laquelle il y a afflux de victimes,
catastrophe, conflit, etc.

Classification proposée :
L'urgence absolue risque vital évident (asphyxique, hémorragique,
infectieux)
L'urgence relative pas de risque vital
L'urgence potentielle à pronostic non évalué d'emblée
L'urgence dépassée

Les critères sont plus physio-pathologiques qu'anatomiques :


La détresse respiratoire l'arbre trachéo-bronchique
la paroi
pneumothorax et hémothorax

Le collapsus cardio-vasculaire hémorragies internes et externes


Le risque infectieux lésions abdominales
lésions des parties molles
La conscience coma ou non, et son stade doiventt être
systématiquement analysés.

Urgences absolues prioritaires

D'emblée traitées et conditionnées :


Les extrêmes urgences détresse respiratoire
(intubation, trachéotomie, drain)
hémorragies extériorisées (garrot, compression)

Ces blessés sont en danger de mort et le traitement doit être immédiat :

- traitement des insuffisances respiratoires aiguës par asphyxie d'origine thoracique ou


cervico-faciale ;
- traitement des insuffisances cardiocirculatoires par hémorragie massive. Ces deux
insuffisances sont souvent associées.

267
Les autres urgences à traiter au plus vite selon les règles de la chirurgie de
guerre (simplicité, sécurité, standardisation) :
- thorax (la part de la thoracotomie) ;
- abdomen (laparotomies, hémostases, résections, extériorisations) ;
- crâne ;
- lésions du squelette ;
- lésions de la face ;
- lésions des parties molles (le parage).

Ces blessés sont en danger de mort car il y a risque, dans de brefs délais, d'apparition de
troubles physiopathologiques irréversibles. Le traitement chirurgical peut tolérer un retard de
quelques heures, sous réserve de la mise en œuvre rapide d'une réanimation efficace et
continue.

Ce sont essentiellement :

- la plupart des polyblessés et polytraumatisés ;


- les gros délabrements des membres ;
- les blessures de l'abdomen et du thorax ;
- les hémorragies, garrottables ou non ;

- les traumatismes crâniens avec coma et choc progressif ;


- les brûlures graves (d'étendue supérieure à 15 %).

Choix thérapeutique
II doit être adapté en fonction :

- des conditions pré- et post-opératoires ;


- du temps disponible ;
- des moyens matériels et humains ;
- de la compétence du personnel.

En fait se pose ici le problème du nombre et de la compétence des équipes


disponibles, des possibilités de les renforcer rapidement et des moyens d'évacuation
secondaire.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, on estimait qu'une équipe chirurgicale


pouvait opérer 15 à 25 de ces blessés par 24 h et on évaluait à 1 h le temps nécessaire pour
traiter une plaie de l'abdomen. Si l'on comparait cela avec les durées des interventions
actuelles, on pourrait penser que le rendement est de nos jours beaucoup plus faible, mais ce
serait ne pas tenir compte de la complexité des blessures, imposant des équipes
pluridisciplinaires, une réanimation lourde et un traitement plus minutieux.

Des conflits récents, violents et imprévisibles, ont montré que rares étaient les pays
qui disposaient de chirurgiens polyvalents et instruits en pathologie de guerre.

Outre le nombre et la compétence du personnel, la disponibilité en matériel


consommable (le sang en particulier) et en temps (en cas d'afflux) pèsera lourd dans le choix

268
thérapeutique. Rien d'étonnant dans ces conditions de voir défendre par certains une chirurgie
en deux temps pour les abdomens complexes.
Urgences potentielles

Surveillées (réanimation), constamment réévaluées et évoluant vers :


- l'urgence absolue
- l'urgence relative.

Ce sont des formes particulières des urgences absolues dont le pronostic n'a pu être
précisément évalué par le triage initial très rapide.

C'est ainsi que dans des conflits comme celui du Tchad où les afflux massifs de
blessés étaient fréquents, nous avions dû ranger dans cette catégorie transitoire :

- des polycriblages des membres qu'il fallait surveiller pour dépister précocement un
syndrome ischémique

- des plaies des confins abdominaux où la pénétration péritonéale n'était pas d'emblée
évidente (pour éviter la laparotomie blanche)
- des plaies du thorax dont l'hémorragie devait être rigoureusement suivie par mesure
du volume d'aspiration pour discuter d'une éventuelle thoracotomie.

À côté de ces urgences « potentielles », Larcan a décrit des urgences « fonctionnelles


» qui méritent d'être assimilées, dans l'ordre de priorité, aux urgences absolues car leur
pronostic fonctionnel peut être dramatique si elles étaient négligées ou si leur traitement était
excessivement retardé. Ce sont, par exemple, les plaies de mains et celles du globe oculaire
(Cornand).

Urgences relatives

- menacent l'avenir fonctionnel


- traitées par les techniques les plus simples (le « rendement » chirurgical).

Le traitement de ces blessés peut être différé d'une journée, voire davantage, sous
réserve d'une couverture antibiotique dès qu'il y a plaie et risque infectieux.
Ce sont :

- les plaies des membres et des articulations sans délabrement


- la plupart des blessures de la face
- les fractures des membres

269
- les traumatismes crâniens sans coma
Mais il y aura toujours au milieu de ces urgences « relatives » ou « différées » un
pourcentage très important de « petits blessés », éclopés, éraflés, égratignés qui encombrent le
triage et dont il faut savoir se débarrasser rapidement, avec ou sans petits soins.

Urgences dépassées

Si conditions extrêmes, problème éthique.

On évoque rarement cette catégorie baptisée par certains : « morituri ».

Les atteintes sont ici particulièrement graves, soit du fait de la multiplicité des lésions,
soit du fait des délais d'évacuation difficilement, voire non compatibles avec les possibilités
de survie, soit encore du type d'intervention et de réanimation irréalisables avec les moyens
dont on dispose.

Personnellement, ce n'est qu'au Tchad que nous avons dû nous résoudre à cette
attitude et pendant quelques jours seulement. Dans de tels cas, on est parfois contraint à une
pure et simple abstention thérapeutique. Pour ces blessés, abstention thérapeutique ne signifie
pas abandon. Bien au contraire, ils doivent recevoir, au milieu des autres, une thérapeutique
d'accompagnement respectant leur dignité et celle de leurs voisins.

Cas particuliers

Les brûlés, les blastés, les intoxiqués, les psychiques, NBC


Selon l'OTAN, l'exposition aux radiations, aux agents chimiques ou biologiques
venant s'associer à des blessures conventionnelles, modifie la classification décrite plus haut.
Ces agents compliquent le pronostic, mais de façon assez variable, et on ne peut recourir à
des critères rigoureux d'évaluation de la gravi té lors d'afflux massifs de blessés.

Aussi, l'OTAN préconise de « déclasser » ces blessés exposés : ceux qui seraient sans
irradiation classés dans la catégorie « immédiat » et qui présentent des manifestations
d'irradiation que l'on estime à 400 rads doivent être transférés dans la catégorie « différé », et
ceux qui ont reçu une irradiation supérieure à 400 rads doivent être classés dans les «
morituri».

Les chances de survie chez les sujets irradiés qui présentent des convulsions ou des
vomissements dans les premières 24 h sont minimes, même en l'absence de toute blessure.

Dans ce type de triage très particulier, réanimateurs et chirurgiens sont rapidement


dépassés et la présence de spécialistes en radiobiologie et en toxicologie devient
indispensable, d'autant plus qu'il y a risque d'exposition du personnel lui-même.

270
De plus en plus, également, la présence de psychiatres s'est révélée nécessaire au
niveau du triage, souvent perturbé par des mouvements de panique lorsque apparaissent des
risques mal connus, comme une agression par les gaz.

Différences

Les différences entre catégorisations « civiles » et « militaires » sont :


- l'intégration (ou non) dans un système de santé étranger
- l'absence (le plus souvent) d'une logistique préexistante.

En effet, l'équipe chirurgicale d'une ONG arrivant subitement dans un pays étranger,
et s'intégrant dans des structures et une hiérarchie également étrangère, peut ne pas bénéficier
d'une logistique organisée. Elle doit s'adapter, accepter des compromis d'ordre doctrinaire ou
matériel.

À l'opposé, une équipe « humanitaro-militaire » soutenue par une logistique puissante


en connaîtra certes les contraintes, contraintes imposées par une hiérarchie impersonnelle,
internationale et... lointaine, pouvant même donner des ordres en contradiction avec l'éthique
« habituelle » ou « locale ».

D'où la nécessité :

- d'une évaluation préalable


- d'une analyse des moyens (locaux, approvisionnement, ressources humaines)
- d'une prévision quantitative des victimes.

Tous ces éléments doivent être discutés au cours d'une concertation entre ces
différents acteurs du soutien santé afin de déterminer une stratégie, voire un vocabulaire,
permettant une coordination et une efficacité optimales.

Points communs

Disproportion entre besoins et moyens, situation de pénurie et d'insécurité, conditions


géopolitiques difficiles.

Tout cela doit inciter les intervenants à trouver le terrain d'entente indispensable à
l'action.

271
Conclusion

Le triage « moderne » se caractérise actuellement :


- par un risque technologique aggravé (chimique, nucléaire)
- par une pathologie projectilaire gravissime
- par sa médiatisation
- par la notion d'ingérence et le déplacement des équipes à longue distance.

Pendant les grandes catastrophes de cette fin de siècle, qui ont fait naître des besoins
urgents et des conditions de dénuement majeures, le triage est devenu une nécessité plus ou
moins permanente, conditionnée par des impératifs de temps (il est bref), d'espace (il est
rustique) et de moyens (ils sont sommaires).

C'est un acte médical « dynamique », initié à l'avant, affiné au fur et à mesure de


l'évacuation jusqu'au centre de traitement définitif. Il peut devenir mutile lorsque cesse
l'afflux des victimes et ses conclusions peuvent être remises en question à chaque échelon de
la chaîne d'évacuation.

C'est un acte diagnostique qui évalue le type et l'intensité de l'agression subie, ses
conséquences sur les fonctions vitales, et localise les atteintes topographiques.

C'est un acte thérapeutique car il comporte obligatoirement la mise en condition de


survie par des gestes de réanimation d'extrême urgence.

272
Notions de balistique lésionnelle
à l'usage du médecin

PH. JOURDAN.

La pratique médicale outre-mer confronte le chirurgien à un certain nombre de


pathologies peu connues en France, en particulier les plaies par projectiles. En effet, dans
nombre de pays persistent des guerres civiles, des conflits larvés ou déclarés, voire une
criminalité importante du fait de la pauvreté et des faibles moyens de maintien de l'ordre.

Des notions de balistique lésionnelle sont-elles utiles pour comprendre et traiter les
plaies par projectiles ? A cette question certains peuvent répondre que T essentiel est que le
médecin connaisse la conduite à tenir devant de telles lésions, et que la science des
mécanismes et des effets des projectiles sur l'organisme humain n'a qu'un intérêt secondaire.
En fait, certains ont acquis des données balistiques mais qui sont malheureusement restées
insuffisantes, avec des conséquences très dommageables. En effet, on a pu prôner, en se
basant sur le fait que les projectiles à haute vélocité pouvaient créer des prétendues lésions
très à distance du trajet projectilaire, « un parage large, hémorragique long et dommageable
». En réalité, l'expérimentation, l'étude critique de la littérature et des observations cliniques
ont permis d'établir formellement que ces traitements mutilants, malheureusement encore
souvent pratiqués et enseignés, étaient dans bien des cas tout à fait inadéquats.

C'est essentiellement à partir des résultats des recherches en balistique lésionnelle


que M.L. Fackler aux Etats-Unis et J. Breteau du Service de Santé des Armées français, ont
codifié le traitement des plaies par projectiles (ces travaux ont été menés avec une extrême
rigueur, avec confirmations anatomo-pathologiques irréfutables). Pour le chirurgien et le
réanimateur confrontés à de telles lésions, il semble utile de connaître :

- quelques notions essentielles sur l'armement individuel civil et militaire et sur les
différents types d'engins explosifs utilisés sur les champs de bataille, pour qu'à l'avenir les
auteurs de publications ne confondent plus armes et calibres par exemple ;

- les différents mécanismes lésionnels provoqués par les projectiles civils et militaires.

Nous décrirons ensuite les principales lésions par régions anatomiques en se référant
toujours à la balistique, afin de tenter d'expliquer les paradoxes apparents que l'on peut
rencontrer dans l'étude des plaies par projectiles.

273
Mécanismes des plaies par projectiles
Plusieurs facteurs interviennent dans ces mécanismes :

- l'agresseur, c'est-à-dire les différents projectiles existants ;


- l'agressé, avec en particulier le comportement des projectiles en milieu ihomo-gène
et lors de la rencontre avec un obstacle dur ;
- le comportement général des tissus vivants dans ces circonstances, pour
appréhender les interactions tissus vivants-projectiles.

Différents types de projectiles


Ils sont variables :

- l'armement de guerre : l'agresseur cherche à blesser le maximum de personnes de


façon à encombrer et désorganiser les antennes chirurgicales du champ de bataille. Un
armement de guerre est donc principalement constitué :
• d'engins explosifs projetant de multiples éclats divers qui blessent au hasard les
personnes situées dans le voisinage,
• d'armes individuelles de poing ou d'épaule qui, en théorie, devraient respecter les
conventions de La Haye quant au type de projectile utilisé ;
- en milieu civil les circonstances sont beaucoup plus variables : il faut distinguer les
forces de l'ordre qui peuvent utiliser n'importe quelle arme de poing ou d'épaule sans être,
pour les munitions, soumises à aucune obligation, les chasseurs, assujettis à des
réglementations très peu contraignantes sur le plan balistique, les braconniers qui tirent avec
n'importe quoi, les truands et les terroristes qui ne connaissent aucune loi ;
- bien souvent il n'y a pas de guerre déclarée et tous les types d'armes coexistent. Le
pourcentage d'armes explosives et individuelles dépend directement du potentiel financier des
factions combattantes.

Éclats
Il convient de porter une attention toute particulière aux éclats, car ils sont largement
majoritaires sur les champs de bataille actuels où ils peuvent causer jusqu'à 80 % des plaies.
Provenant d'une explosion (bombe, grenade, roquette, mines, obus, etc.), ces éclats
constituent les projectiles primaires. Tout ce qui a pu être projeté par le souffle de l'explosion
(débris divers, terre, etc.) ou ce qui a été déplacé par l'éclat (fragment osseux par exemple)
fait office de projectile secondaire. On peut associer aux éclats les autres projectiles non
aérodynamiques tels que les balles déformées ou fragmentées par ricochet ou obstacle.

Ces éclats ou assimilés ont une taille, un poids, une vitesse très variables, et un trajet
aléatoire. Un éclat est instable, rapidement freiné par l'air et tournoyant dans les milieux
rencontrés. La présentation à l'impact de ces éclats est généralement quelconque.

II faut, en principe, distinguer deux catégories d'éclats :


- Les éclats par engins explosifs des dernières guerres, de type « ancien modèle' »
(encore souvent rencontrés), provoquent selon la loi du tout ou rien des plaies graves, souvent
mortelles à courtes distances du lieu de l'explosion, car il y a projection, en majorité, de gros
éclats.

274
- Les engins explosifs ont été conçus afin d'augmenter le pourcentage d'atteinte d'un
organe vital, et tout a été fait pour obtenir une projection maximale de fragments susceptibles
d'aller le plus loin possible. Ainsi, un travail particulier au corps des enveloppes favorise la
production de multiples petits éclats. Quatre-vingt-quinze pour cent de ceux-ci ont un poids
inférieur à 0,5 g. Ces éclats sont à l'origine de polycriblages et de polyblessures qui posent
des problèmes médicaux difficiles. Dans des conditions de précarité, ces polycriblages,
souvent vus tardivement, sont généralement très infectés.

Certains de ces éclats, contenus dans le corps des engins, peuvent avoir une forme
bien définie : ce sont les billes et les fléchettes. Ces projectiles, conçus pour être projetés plus
loin que les fragments de métal, sont, à l'inverse de ces derniers, stables et leurs
caractéristiques balistiques sont bien connues.
Rappelons que les blessures par éclats, qu'elles soient de guerre ou civiles, sont
souvent accompagnées de brûlures thermiques et/ou chimiques, auxquelles se surajoutent des
lésions dues au blast et à la projection brutale du blessé à terre. Bien souvent il s'agit alors de
polytraumatisés graves.

Balles
Une balle est un des constituants d'une cartouche. Cette dernière est le plus souvent
composée d'un étui, ou douille, rempli de poudre mise à feu par la percussion de l'amorce de
la cartouche. À l'extrémité de cette cartouche est sertie la balle proprement dite. On
caractérise cette balle principalement par son calibre (et, pour les spécialistes, par son poids et
son type). Ce calibre correspond théoriquement au diamètre existant au fond des rayures du
canon qui tirera la balle. Il existe actuellement plusieurs centaines de calibres différents et les
normes utilisées sont très confuses (une tentative de standardisation européenne détermine le
calibre en multipliant le diamètre du projectile par la longueur de la douille).

Le calibre d'une balle s'exprime en millimètres en Europe et en 1/100 ou 1/1 000 de


pouce dans les pays anglo-saxons. À titre d'exemple, les calibres 22 (22/100 de pouce), le
calibre 223 (223/1 000 de pouce) et le calibre 5,5 mm sont les mêmes, et les calibres 9 mm,
38 et 357 sont à peu près identiques. En revanche, les cartouches, leurs charges de poudre et
les armes qui les tirent sont très différentes.

275
Une balle est un projectile conçu pour être lancé dans une direction précise par
l'intermédiaire du canon d'une arme individuelle. Cependant, tout projectile cylindro-ogival
est instable ; c'est-à-dire que, obéissant aux lois de la balistique extérieure, il va avoir
tendance à culbuter en vol et surtout dès son arrivée dans un autre milieu. Pour qu'une balle
soit précise, on annule cette instabilité naturelle en volen lui imprimant un mouvement de
rotation par les rayures du canon. La rotation a pour effet de maintenir la balle dans son grand
axe, tout le long de son trajet. Dans les balles de guerre, nous le verrons plus loin, on cherche
à retrouver l'effet de capotage naturel de la balle dès son entrée dans le corps humain, en
agissant sur sa composition interne.

Outre son calibre que nous venons d'étudier, une balle se caractérise par :
- sa vitesse initiale : de 100 m/s pour un plomb de carabine à air comprimé, à 1 280
m/s pour le cal 220 Swift. Cette vitesse du projectile permet, avec son poids, de calculer
l'énergie cinétique : E = 1/2 MV2, Cependant, de nombreux auteurs parlent de projectile de
basse ou de haute vélocité, sans préciser le seuil de vitesse séparant ces deux types de balles.
En fait, il faut séparer :

• les publications civiles qui appellent balles à basse vitesse tout ce qui est tiré
par une arme de poing, un pistolet mitrailleur ou un fusil de chasse (< 450 m/s), et munitions
à haute vélocité tout ce qui est tiré par une arme d'épaule (entre 700 et 980 m/s),
• les publications militaires. Ici, certains adoptent la même classification que les
civils, mais d'autres ne qualifient de haute vélocité (à partir de 1962) que le calibre 5,56 mm
auquel a été attribué un pouvoir lésionnel considérable.

Insistons déjà sur une notion essentielle : l'augmentation de cette vitesse ne provoque
pas de lésions proportionnelles au carré de cette vitesse, car beaucoup d'autres paramètres
interviennent ;

- son poids, paramètre aussi important que la vitesse, est trop souvent oublié. Plus il
est élevé, plus le projectile, s'il reste stable, pénètre en profondeur dans le milieu. Ce poids
varie de 3 à 30 g ;
- sa forme, sa structure interne et sa composition qui permettent de différencier :

• les balles de guerre, obéissant aux conventions de La Haye, aérodynamiques et


obligatoirement blindées,
• les autres types de balles, non soumises à réglementation. Tout est alors
permis, et les constructeurs tenteront de concevoir des balles prévues pour s'écraser, se
fragmenter, exploser, etc., dans une épaisseur de tissu vivant donnée.

L'agressé : le corps humain


Le corps humain est une mosaïque de tissus hétérogènes et complexes, que l'on peut
globalement séparer en tissus durs que sont les os, et en parties molles, qui sont les autres
tissus. Pour étudier le comportement des projectiles, nous allons commencer par simplifier au
maximum le problème en prenant pour exemple ce qui se passe dans des parties molles
homogènes telles que le muscle.
Lorsqu'un projectile pénètre dans un milieu homogène mou, il produit une onde, de
type sonique, communément appelée « onde de choc aérienne », une zone d'attrition
(crushing) dite cavité permanente, faite de tissus broyés, définitivement détruits et un

276
phénomène de refoulement temporaire éventuel, pulsatif (stretching), appelé cavitation
temporaire.
Nous décrirons ensuite l'effet calorique des projectiles.

Onde sonique
Lors de son trajet dans l'air, avant l'arrivée sur la cible, une balle est accompagnée
d'un train d'ondes aériennes. Si la cible est traversée, il se forme d'autres « ondes de choc
aériennes » à la sortie. Cette « onde de choc aérienne », très fugace, a une capacité de
transfert énergétique quasi nulle, à peine capable de craqueler du papier vernis. De nombreux
auteurs continuent cependant, depuis trente ans, à incriminer cette « onde de choc
prétendument explosive ». Cette conception, fausse, est malheureusement encore très
répandue.

Cavité permanente et cavitation temporaire


Dans les parties molles deux phénomènes concomitants vont survenir :
- la formation d'une cavité résiduelle, ou cavité permanente, ou crushing. Constituée
de bouillie tissulaire, la cavité permanente correspond aux lésions qui resteront définitives. Il
s'agit du « trou » réel que laisse le projectile. Les dimensions de cette cavité résiduelle sont le
véritable reflet de l'effet vulnérant d'un projectile. Plus le trou formé est gros, plus le
projectile est potentiellement dangereux ;
- la cavité temporaire (celle-ci ne dure que quelques millisecondes). Elle correspond à
un étirement tissulaire (stretching) par refoulement brutal et bref des tissus, dont les
mécanismes varient selon le type de projectile en cause. Il est important de noter que la
formation de cette cavitation temporaire se produit après un temps de latence. Ce phénomène,
dû à l'inertie des tissus traversés, correspond à une dilatation transitoire axée sur le trajet du
projectile, dû à un refoulement élastique brutal et bref des tissus lorsque le projectile est
brusquement freiné par un changement de sa position ou de sa configuration.

Effet calorique des projectiles


Un projectile n'est pas brûlant. La notion de carbonisation causée dans les tissus par le
projectile « chauffé au rouge » est une vue de l'esprit. Ce prétendu effet calorique n'a jamais
pu stériliser une balle ni un plomb de chasse et il ne doit pas dispenser de l'antibiothérapie
devant toute plaie par projectile.

Classes de projectiles et effets


L'association des deux phénomènes - cavité temporaire et permanente - est très
variable selon les propriétés balistiques du projectile et le milieu traversé. Cette association
constitue, en milieu homogène, une véritable « signature » de chaque projectile. C'est le profil
lésionnel de Fackler qui permet de définir un projectile par le type de comportement qu'il
présente lorsqu'il traverse des parties molles. On en décrit ainsi plusieurs classes avec :
- des projectiles qui gardent dans le corps humain le tournoiement qu'ils avaient dans
l'air, des éclats ou de tout projectile ayant perdu son aérodynamisme ;
- des projectiles conçus pour basculer, cas des balles blindées d'armes d'épaule ;
- d'autres prévus pour s'écraser ou champignonner dès l'impact, cas des munitions de
la police et de certaines forces de l'ordre ;

277
- certains destinés à se fragmenter à une certaine profondeur, cas des balles des
carabines de grande chasse et des petites balles dites à haute vitesse de calibre 5,56 mm.
Nous traiterons des munitions de grande chasse qui combinent plusieurs effets et des
problèmes posés par les armes à canon lisse tirant des plombs de chasse et de la chevrotine
(Buckshot). Enfin, nous finirons par les munitions artisanales.

Tournoiement de l'éclat
Le tournoiement d'un éclat provoque une cavité de crush, relativement régulière, du
diamètre de l’éclat. Le freinage brutal de la part des parties molles est responsable de
cavitations temporaires successives, immédiates, chaque fois que l'éclat se retourne.
Rappelons que l'on retrouve un profil lésionnel semblable avec tout projectile assimilé aux
éclats, telles que les balles ayant ricoché ou tout autre projectile non aérodynamique.

Les plaies par éclats (comme celles par les balles) sont toujours contaminées, et de
formes très diverses. Tous les intermédiaires sont possibles entre le simple tunnel rectiligne
transfixiant, caractéristique des petits éclats modernes, et le délabrement majeur où
prédomine l'attrition, en général près de l'orifice d'entrée, type de l'éclat « ancien modèle ».
Ce dernier ajoute au stretching et au crushing le cutting, c'est-à-dire la coupure jusqu'en fin de
course qui peut léser nerfs et vaisseaux, à la différence des balles qui ont plutôt tendance, en
fin de trajet, à refouler les éléments devant elles.

Les éclats de forme définie, les billes, très stables, ont un trajet rectiligne jusqu'à ce
qu'elles rencontrent un obstacle dur qui les fait ricocher. Les fléchettes sont souvent placées
dans les bombes antipersonnel. Leur aérodynamisme et leur extrême stabilité leur confèrent
une portée beaucoup plus grande que les éclats. La fléchette, très stable, ne creuse qu'un petit
tunnel régulier qui n'est dangereux que si un organe vital est malheureusement concerné.
Dans le cas contraire, la cicatrisation est rapide et, en quelques jours les orifices d'entrée et de
sortie peuvent ne plus être retrouvés. En revanche, si la fléchette est tordue préalablement par
un ricochet, les dégâts tissulaires peuvent être beaucoup plus importants.

278
Retournement des balles de fusil blindées
Une balle blindée en rotation reste très stable dans l'air où elle est très peu freinée
grâce à sa forme aérodynamique et lisse. Elle a le même comportement dans les tissus mous
que dans l'eau ; la forme hydrodynamique d'un projectile en rotation le maintient en droite
ligne le plus longtemps possible sur une certaine distance, appelée neck.

Après ce trajet rectiligne, en fonction de la forme, du poids, de la vitesse et de la


structure du milieu, la balle a tendance à se mettre de travers et à être brutalement freinée
dans le milieu traversé. La cavité permanente augmente alors considérablement selon l'axe de
bascule de la balle - que son blindage a empêché de se déformer - puis cette cavité
permanente diminue lorsque la balle se réaxe. Ce qui, au début du trajet de la balle n'était
qu'un simple refoulement de matière localisé autour de la première partie du trajet, rectiligne,

279
devient un phénomène qui s'amplifie considérablement à mesure que le projectile se met de
profil. Le phénomène de cavitation induit par le freinage brutal de la balle réalise une cavité
temporaire. Celle-ci se forme en profondeur après un neck variable selon le projectile blindé
en cause. Ainsi, si on imagine une balle ayant un neck de 15 cm traversant une cuisse sans
toucher l'os, cette balle réalisera une simple transfixion car le phénomène de bascule ne
débutera qu'à la sortie de la cuisse.

Chaque projectile blindé a donc un comportement relativement stéréotypé dans un


milieu donné, variable selon sa vitesse, les autres paramètres étant fixes : il provoque un
tunnel d'attrition résiduel régulier, avec une ou plusieurs dilatations selon le nombre de fois
où la balle a basculé. Nous allons maintenant décrire, en fonction des armes les plus utilisées
de par le monde, les effets des projectiles de guerre les plus courants.

Les fusils de guerre sont des armes d'épaule, longues, au fort recul, faites pour tirer
loin (400 m). Dans les régions pauvres, on rencontre encore des modèles de la guerre 1914-
1918 (Mauser et Lebel), des vieux fusils anglais (Lee Ensfield), américains (Garand) et
français (MAS) de la Seconde Guerre mondiale. Les fusils de guerre actuels sont en fait peu
différents des vieux modèles. Muni d'une lunette, ce sont aussi les armes que les snipers
(tireurs embusqués) ont utilisées à Sarajevo.

Les principaux calibres de ces balles sont le calibre 7,62 x 51 de la balle NATO qui
est le projectile d'arme d'épaule du bloc OTAN et son homologue soviétique, la balle de
calibre 7,62 x 54 Dragunov. Cette munition blindée, aussi appelée « 7,62 long », d'un poids
approximatif de 9 g, est lancée à 850 m/s. Le neck moyen est de 15 cm et la cavitation
temporaire importante (17 cm de diamètre en parties molles). Elle a des caractéristiques
balistiques comparables à celles des balles de la guerre de 1914-1918. Il n'est donc pas
étonnant de constater que les lésions par fusils de guerre rencontrées au cours des conflits
suivants (1939-1945, Indochine, Tchad, Iran-Irak, Yougoslavie, etc.) aient toutes des
caractéristiques lésionnelles très proches.

Les fusils d'assaut sont des armes d'épaule pouvant tirer en rafale. On distingue :

280
- les fusils de guerre automatiques, calibre 7,62 mm, qui ont un recul trop fort pour
tirer en rafale (ex. : FAL belge, HK allemand, M 14 américain, etc.) ;
- l'AK 47 soviétique et chinois qui est l'arme la plus répandue au monde (on l'estime à
plus de 50 millions d'exemplaires) ;
- l'AK 74 soviétique qui est la nouvelle version en petit calibre de ce fusil d'assaut.
C'est l'arme qui est en passe de concurrencer...
- le Coït M 16, américain, de calibre 5,56 mm que nous étudierons plus loin.

L'AK 47 Kalachnikov des armées de l'ex-pacte de Varsovie équipe de nombreuses


armées dites révolutionnaires. La balle de « Kalach » est restée de très loin la plus incriminée
au Tchad, au Liban, en Yougoslavie (90 % des blessés de Sarajevo) en Extrême-Orient, etc.
Ce fusil d'assaut tire une balle de calibre 7,62 mm (« court ») à 710 m/s pour un poids de 7,89
g. Le neck de la balle 7,62 x 39 de l'AK 47 est de 9 à 25 cm en fonction de l'origine de
fabrication de la munition.

La nouvelle munition russe de calibre 5,45 x 39 tirée par le Kalachnikov AK 74 est


longue et de structure inhomogène, de façon à abaisser le neck en parties molles à 7 cm. Une
double bascule, qui freine la balle précocement, rend

cette petite munition particulièrement dangereuse, malgré l'absence de fragmentation.


Les vilaines blessures causées par ces armes en Afghanistan risquent de devenir de plus en
plus fréquentes, du fait de l'implosion du bloc soviétique qui va faire de cette munition
redoutable l'égal du calibre 5,56 mm occidental.

Les pistolets sont des armes de poing semi-automatiques tirant les mêmes munitions
que les pistolets mitrailleurs (ou mitraillettes). Les balles blindées d'armes de poing sont
courtes, plutôt arrondies, homogènes. Leur stabilité potentielle, associée à une faible vitesse,
peut les empêcher de se retourner en parties molles.

Citons les trois principaux calibres utilisés dans les conflits :

281
- le calibre 9 mm de la balle parabellum (1904). C'est encore le calibre le plus
employé par beaucoup d'armées et par la majorité des forces de l'ordre du bloc occidental
pour équiper leurs pistolets et pistolets mitrailleurs. La cartouche, quoique de petite taille,
contient une charge de poudre assez puissante pour envoyer une balle de 8 g à 350 m/s. Cette
munition présente un neck d'environ 15 cm pour basculer incomplètement une ou deux fois en
fonction de la longueur traversée. L'homologue soviétique est le Makarov 9 mm « court »
lancé à 326 m/s ;

- le calibre 7,65 mm de la balle Tokarev soviétique. Elle est moins lourde que son
homologue 9 mm. Lancée à 420 m/s, elle a cependant un comportement comparable dans les
parties molles ;
- le calibre 45 ou 11,43 mm (1905). Très apprécié des Américains (et des truands). La
balle, lourde (15 g) et de gros calibre, n'est lancée qu'à 270 m/s. Cette balle est si stable
qu'elle ne bascule pas et elle ne forme qu'un trou rectiligne. Cette munition présente donc
comme profil lésionnel un tunnel d'attrition régulier que le poids élevé de la balle porte à 70
cm. Néanmoins, cette balle de gros calibre (11,43 mm) creuse un tunnel quatre fois plus
important qu'une petite balle de 22 LR (5,5 mm).

282
« Champignonnage » des balles non blindées
Déjà cité par Delorme en 1893, lorsqu'il décrivait les lésions causées par les balles en
provenance de l'arsenal Dum Dum aux Indes, le « champignonnage » est un effet que l'on
recherche en concevant des projectiles qui s'écrasent dès l'impact pour augmenter leur
diamètre dans les parties molles. On doit, pour obtenir un « champignonnage », affaiblir
délibérément l'extrémité de la balle [absence de chemisage sur le nez, composition molle, trou
à son extrémité (hollow point)], qui se déforme alors en traversant des milieux même mous. Il

283
se produit alors un tunnel d'attrition de diamètre supérieur au calibre initial, proportionnel à
l'importance de l'écrasement de la balle. Le neck est ici très réduit.

Le « champignonnage » provoque une cavitation temporaire immédiate d'autant plus


marquée que le projectile augmente rapidement son diamètre apparent. Il faut noter :

- que cet effet peut aussi s'observer lorsqu'un projectile s'écrase partiellement en
traversant un milieu plus ou moins dur tel une porte, un pare-brise, une carrosserie, etc. ;
- que les balles conçues pour champignonner sont interdites par les conventions de La
Haye.

Elles ne devraient théoriquement être utilisées que par les forces de police et les
chasseurs. En fait, elles sont peu souvent utilisées, en général dans les conflits urbains ou au
cours d'affaires criminelles.

Effets des balles non blindées les plus courantes


- La balle de calibre 22 LR : on utilise rarement ce calibre dans les conflits de toute
sorte, mais nous isolons ce petit projectile car il est très fréquemment en cause dans les
accidents, les suicides, les affaires médico-légales, et du fait que son pouvoir vulnérant est
très souvent sous-estime. Cette balle, rapide (jusqu'à 400 m/s pour un poids de 2,5 g), est très
dangereuse et responsable, par exemple, de plus de 50 % de décès dans les plaies cranio-
cérébrales civiles. Cette petite balle en plomb est essentiellement transfixiante ;

- la police et les forces de maintien de l'ordre utilisent le plus souvent des revolvers,
armes de poing munies d'un barillet, pour tirer ce type de munitions. Elles peuvent avoir
toutes les formes et compositions possibles (pointe molle, pointe creuse, balle fragmentable,
etc.). Le profil balistique lésionnel de ces balles, bien différent de celui des balles blindées,
est essentiellement celui du « champignonnage ». On retrouve principalement dans cette
catégorie de projectile :

• le calibre 38 Spécial (1902) qui est une balle de 8,1 à 10,2 g projetée à une vitesse de
220 à 350 m/s suivant les munitions, avec un faible recul (d'où son utilisation pour le tir

284
rapide et dans des petits revolvers de poche). Cette balle est depuis quelques années délaissée
au profit de la mythique et médiatique 357 Magnum,
• le calibre 357 Magnum (1935) est identique au 38 mais avec une cartouche
beaucoup plus puissante qui propulse le même projectile à 450 m/s. Ce calibre 357 Magnum
provoque une cavitation temporaire plus importante avec un trajet d'attrition de 36 cm en
moyenne. Par rapport à la 38 Spécial précédente, la balle de calibre 357 Magnurn provoque
une pénétration quasi équivalente mais le recul de l'arme est très fort, ce qui limite son
utilisation pour le tir à cadence rapide.

Balles par fragmentation


Ce mécanisme s'observe pour les balles de grande chasse, conçues pour se briser en
profondeur, après un trajet plus ou moins long dans l'animal. Chaque éclat crée son propre
tunnel d'attrition, le tout potentialisé par une vaste cavitation temporaire. Il s'agit donc d'un
véritable polycriblage interne multipliant les probabilités d'atteindre un organe vital par le
nombre d'éclats réalisés par la balle. Ces balles, savamment mises au point d'après les
observations des chasseurs, sont donc rapidement à l'origine d'une importante zone de crush.
À cette catégorie de gros projectiles rapides et très dangereux pouvant associer divers
mécanismes (fragmentation et champignonnage), il faut rattacher le petit calibre 5,56 mm
militaire blindé qui a fait couler tant d'encre.

La munition de calibre 5,56 mm ou 223 Remington est connue depuis 1962, quand
l'armée américaine s'est équipée du fusil d'assaut Coït M 16. Aujourd'hui, ce calibre est
adopté par l'ensemble du bloc occidental (FAMAS français, SIG suisse, GALLIL israélien,
etc.).

Avec une balle de 3,5 g lancée à 980 m/s, les vilaines blessures causées lors des
combats au Viêt-Nam et au Liban par des balles de calibre alors mystérieux, allaient donner
naissance, faute de compréhension du phénomène, au mythe de « l'onde de choc des petits
calibres à haute vitesse ». Le pouvoir meurtrier de ce projectile n'est pas dû à une mystérieuse
onde de choc supersonique, mais à un effet de fragmentation associée. Il faut noter aussi que
cette fragmentation ne se produit que jusqu'à 120 m. Au-delà, le projectile bascule comme
une balle blindée ordinaire.

285
Les effets des balles de calibre 5,56 mm les plus courantes sont les suivants :

- la munition de calibre 5,56 x 45 de type M 193 OTAN est une munition blindée
(extérieurement) qui pèse 3,6 g pour une vitesse initiale de 960-990 m/s. La balle creuse en
partie molle un neck de 12 cm. Il s'agit là d'un neck moyen, celui-ci pouvant varier de 4 cm
(neck court) à 18 cm (neck long). Quoique rares, ces valeurs extrêmes peuvent expliquer des
observations fausses mais exprimées de bonne foi, en apparence contradictoires, qui ont pu
conforter l'idolâtrie de l'onde de choc ;
- enfin, la nouvelle balle de calibre 5,56 mm, dite SS 109 (code OTAN M 855), est
légèrement plus lente (925 m/s), plus lourde (4 g), plus stable en vol et capable de percer un
casque US à 600 m. En revanche, elle a un neck moyen abaissé à 10 cm et un pourcentage de
fragmentation augmenté à 50 %, ce qui la rend encore plus dangereuse que l'ancienne 5,56
mm. Notons que cette nouvelle munition ne se stabilise qu'à 80 m. Sur des distances courtes,
cette balle, non encore stabilisée, arrive franchement de biais, ce qui explique un orifice
d'entrée ovalaire pouvant être confondu avec un orifice de sortie.

Munitions de chasse

Munitions des carabines de grande chasse


Dérivées des armes de guerre, ces carabines doivent leur développement à la mode
des safaris et à l'interdiction de la chevrotine pour la chasse de nombreux animaux. Ce sont
des armes lourdes, longues, d'excellente finition et chères. Aucun accord n'a pu permettre
d'élaborer des normes de fabrication de ces armes, ce qui explique l'existence de centaines de
calibres différents et une grande confusion dans leur dénomination. Enfin, pour rendre la
situation encore plus confuse, chaque chasseur peut modifier librement une munition
d'origine. Les calibres des armes de grande chasse s'échelonnent du 17 Remington (4,4 mm)
au 600 Express (15,24 mm). Au total, les gros calibres des armes de grande chasse regroupent
des projectiles de 10 à 54 g tirés à des vitesses de 650 jusqu'à plus de 1 000 m/s, avec un
important recul. Ce type de balles, potentiellement beaucoup plus dangereux que les
projectiles de guerre, est rarement utilisé dans les conflits, sauf lors de guerre urbaine avec
tirs de snipper (Belfast, Sarajevo).

Fusils de chasse à canons lisses


- Ce sont des armes utilisées dans les conflits urbains et les guerres d'embuscade en
milieu rural. Elles tirent une cartouche chargée de plombs ou une balle pour canon lisse. Plus

286
légères, en général moins chères que les luxueuses carabines de grande chasse, on peut en
distinguer plusieurs types :
• le fusil juxtaposé où deux canons se situent l'un à côté de l'autre. C'est le fusil de
chasse classique, jadis le plus utilisé,
• le fusil superposé, plus lourd, où les deux canons sont l'un au-dessus de l'autre. C'est
aussi le fusil du bail trapp,
• les armes à un seul canon. Ce sont des armes semi-automatiques ou à répétition
manuelle comme le « fusil à pompe » ou fusil anti-émeute américain (Riot Gun). Ces armes
sont très dangereuses à courte distance, et leur emploi fréquent constitue un véritable fléau
aux États-Unis (Buckshot wounds) ;

- une mesure spécifique est affectée aux calibres des fusils de chasse à canons lisses.
Pour tirer une charge de plomb ou une balle pouvant aller jusqu'à 420 m/s, on peut distinguer
le calibre 10 (19,68 mm), le calibre 12 (18,54 mm), le plus utilisé, les calibres 16, 20, jusqu'au
calibre 410 américain. Les projectiles sont :

• du plomb, numéroté en France de 4 zéro (le plus gros) jusqu'à 11 (le plus petit).
Lorsque le nombre de plombs par cartouche est inférieur ou égal à 28 pour le calibre 12, il
prend le nom de chevrotine,
• des balles, de caoutchouc (anti-émeute), de plomb ou d'acier de différentes formes
pour canon lisse, appelées aussi « balles à sanglier ». Ces projectiles (Brenneke, Blondeau,
Prévost, etc.) sont très meurtriers jusqu'à plus de 200m;

- très fréquemment rencontrés, ces projectiles plus ou moins groupés selon la distance
obéissent à la loi du « tout ou rien » selon qu'ils sont pénétrants ou pas. De près, ils peuvent
causer un volumineux cratère de 10 cm de diamètre. Ces plombs sont séparés de la charge de
poudre par une bourre (liège, carton pressé, plastique, feutre graissé) qui pénètre dans le corps
lorsque l'on tire à courte distance (3-4 m). Ces bourres ne sont pas radio-opaques et, gorgées
de sang, elles sont fréquemment ignorées des chirurgiens qui n'ont pas été avertis de la
composition de la munition. Le diagnostic est alors évoqué devant une suppuration post-
opératoire tardive, traînante, due à ce corps étranger radiotransparent.

287
Munitions artisanales
II s'agit de projectiles artisanaux (balle de plomb ou morceau(x) de ferraille tiré(s)
avec un fusil de fortune) bricolés par des terroristes ou des combattants trop pauvres pour
acheter une arme. Ces armes peuvent aussi éclater dans les mains de leurs utilisateurs (plaies
graves de main, du visage, etc.).

Ces projectiles, sans formes définies, ont les mêmes effets mutilants que des gros
éclats. Ils sont le plus souvent tirés comme grenaille, réalisant un poly-criblage plus irrégulier
que les fusils de chasse. Ce type de munition tend à disparaître dans les conflits du tiers-
monde pour être remplacé par des balles le plus souvent militaires.

Pour conclure ce chapitre consacré à la balistique et aux munitions les plus


couramment utilisées, il convient de démystifier un certain nombre de notions fausses et
encore très répandues. Il apparaît donc :
- que jusqu'à 50 m, les éclats provoqués par les engins actuels, du fait d'une
augmentation de la capacité de polycriblage, ont potentiellement le même pouvoir vulnérant
que les projectiles d'armes légères ;
- que les projectiles actuels ne sont pas fondamentalement plus dangereux que les
anciens projectiles. Ainsi, les blessures causées par le fusil Lebel de 1914-1918 et celles
provoquées par un snipper à Sarajevo sont exactement les mêmes. Le danger futur ne vient
pas de ces nouvelles munitions, mais de l'augmentation du pouvoir vulnérant de l'arme qui est
conçue pour réaliser un polycriblage : polycriblage externe par des petits éclats de 0,5 g et
polycriblage interne par l'effet de fragmentation des balles de calibre 5,56 mm du bloc
occidental ;
- qu'il faut craindre pour l'avenir le nouveau petit calibre soviétique 5,45 mm, « en
pleine expansion » dans la conjoncture actuelle de l'ex-bloc soviétique. Il faut s'attendre à des
blessures au neck court, plus mutilantes que les autres.

Interactions avec les tissus vivants


Le corps humain est fait de tissus vivants, plus ou moins homogènes, et d'os. Il faut
considérer plusieurs facteurs.

288
Le facteur majeur est la valeur fonctionnelle de chaque organe
Quel que soit le type de projectile, s'il touche une structure essentielle de l'organisme,
comme un gros vaisseau, le cœur, ou une région cérébrale stratégique, il met tout de suite en
jeu le pronostic vital. Si les atteintes par éclats peuvent atteindre de manière aléatoire
n'importe quelle partie de la surface corporelle d'un être humain, tel n'est pas le cas des balles:

- celles-ci sont potentiellement plus dangereuses pour les organes profonds que les
petits éclats qui sont, en général, moins pénétrants ;
- les tirs par balles sont quelquefois ajustés. L'agresseur vise alors le plus souvent le
corps, parfois la tête.

À une réalité topographique de balistique extérieure ne correspond pas une réalité


fonctionnelle pour les plaies des organes vitaux (cœur, vaisseaux, foie, rate, etc.). En effet, le
nombre de blessés par lésions hémorragiques arrivés vivants aux formations sanitaires est
inversement proportionnel à la superficie de l'organe vital lésé. Si l'on considère par exemple
les vaisseaux, cela tient au fait que plus une artère ou une veine est volumineuse, plus
l'hémorragie est massive, et plus les chances de survie immédiate sont minces si l'on n'arrive
pas à la tarir au plus vite (d'où la plus grande fréquence des décès par atteinte des gros
vaisseaux du tronc, difficilement accessibles, par rapport aux lésions des vaisseaux des
membres, plus petits et facilement compressibles).

L'élasticité des tissus est variable lorsque se crée la cavité temporaire. Chaque
tissu mou de l'organisme a un coefficient d'élasticité qui lui est propre.

- Les tissus tels que le muscle, le poumon, l'intestin vide, sont élastiques et capables «
d'absorber » une cavité temporaire sans retentissement physiologique majeur. À refoulement
tissulaire égal, ces milieux vont « encaisser » l'impact ;
- à l'opposé, certains tissus peu élastiques tolèrent mal, voire pas, le refoulement
tissulaire de la cavité temporaire même quand le trajet du projectile ne les concerne pas
directement. Ce sont essentiellement les parenchymes tels que le foie, la rate, les organes
creux en état de réplétion (estomac, vessie, utérus, etc.). Par exemple, pour un même
projectile, un estomac peut n'être que transfixié de part en part s'il est vide, alors qu'il peut
éclater s'il est plein sous l'effet d'une cavitation temporaire.

Rencontre avec un obstacle dur (Fig. 13.13 et 13.14)


Comme nous l'avions souligné en début de ce chapitre, nous nous sommes référés par
souci de simplification à la balistique au sein de tissus mous, alors que l'organisme humain
n'est pas homogène, les os jouant ici un rôle particulier. Le choc du projectile sur l'os
abandonne une certaine énergie cinétique dont le mode impulsionnel est très bref (à l'opposé
des chocs plus « étalés » de la traumatologie routière). L'onde de compression tissulaire,
osseuse (qui n'a rien à voir avec l'onde de choc aérienne mythique dont nous avons contesté
plus haut le pouvoir vulnérant), réalise un choc de type brisant, à l'origine de traits de refend,
susceptibles de léser des vaisseaux ou des nerfs de voisinage qui passent dans des défilés
ostéo-fibreux (artères de la base du crâne, artère axillaire, nerfs crâniens, etc.). Les
circonstances énoncées ci-dessous peuvent se présenter :

289
Obstacle situé avant la cible
L'interposition d'un obstacle avant l'arrivée sur un milieu déstabilise le projectile.
- Les balles prévues pour basculer voient leur neck d'autant plus diminué que
l'obstacle préalable est résistant ;
- les balles qui champignonnent peuvent perdre leur forme, voire déjà se fragmenter ;
- les balles qui doivent fragmenter le font de façon plus précoce en réalisant un cône
de destruction plus élargi.

Au maximum, si le projectile s'est désintégré au sortir de l'obstacle, les lésions en aval


se rapprochent de celles provoquées par les éclats avec gros orifice d'entrée et attrition
majeure.

Obstacle sur ou dans la cible


- Dès que l'obstacle rencontré est dur (os), il se produit une modification des profils
lésionnels que nous avons décrits. Seule compte ici la poussée du projectile contre la
résistance de l'os, l'énergie transportée par le projectile jouant ici un rôle majeur. Contre un
gros fût osseux, une balle de pistolet, peu énergétique, transportant 400 joules, fera moins de
dégâts qu'une balle de fusil à haute énergie de 3 000 joules. Après le choc osseux, les neck
provoqués par la balle lors de son trajet ultérieur dans les tissus mous sont raccourcis, les
balles se retournent plus rapidement, et la fragmentation est plus précoce et plus complète ;

290
- dans l'organisme, les fragments osseux (mélangés éventuellement à des fragments de
projectile) constituent des éclats secondaires responsables chacun d'une attrition tissulaire
supplémentaire. Dans les statistiques civiles, on

Toute suspicion d'une atteinte osseuse impose des radiographies, afin de rechercher
une fragmentation du projectile associée à des débris osseux. Tous les intermédiaires sont
possibles entre un os mince ne modifiant ni le trajet, ni le comportement lésionnel d'une balle,
et une masse osseuse très dure, fracassée, responsable de la fragmentation d'un projectile qui
ne serait pas survenue en l'absence de contact osseux.

En fait, ce problème du contact osseux prend toute son importance quand l'os est très
proche de structures anatomiques importantes (crâne, face, os des membres à proximité de
vaisseaux ou de nerfs).

Formes anatomo-cliniques des plaies par projectiles

Revêtement cutané
L'examen de la peau, très élastique, peut avoir valeur médico-légale et permet
d'apprécier les dégâts survenus en profondeur. Si elle est possible, la description soigneuse
des orifices avant nettoyage et intervention chirurgicale est essentielle.

Orifice d'entrée
II est rond ou ovale pour les balles, irrégulier pour les éclats ou les balles qui ont
ricoché. Plus rare, si le tir est à bout touchant (appuyé) et s'il existe un plan osseux dur sous-
cutané (crâne), l'orifice d'entrée peut être étoile, éclaté, car la poudre et les gaz s'accumulent
sous les téguments. La confusion avec un orifice de sortie devient alors possible. Les orifices
d'entrée des balles présentent souvent une collerette d'essuyage dessinée par le projectile qui
s'est frotté contre la peau en laissant ses impuretés, et une collerette érosive qui correspond à

291
la distension de la peau lors de la traversée de la balle. La poudre de l'arme peut se déposer
autour de l'entrée (tatouage, incrustations, variables selon la distance et l'orientation du tir).

Orifice de sortie
Étoile, de taille variable, il dépend de la présentation du projectile à la sortie du corps.
Si celui-ci se présente de face ou par l'arrière, l'orifice de sortie est petit et étoile. S'il est de
travers, fragmenté ou si un os résistant vient d'être pulvérisé (membres et racines de membres
surtout), il existe un gros orifice de sortie en forme de cratère.

Orifice infecté
Cette circonstance, fréquente du fait des délais souvent importants d'évacuation,
empêche toute différenciation de l'orifice.

Extrémité céphalique
Le crâne et la face ont en commun d'être une mosaïque de pièces osseuses hétérogènes
et de parties molles. La juxtaposition de ces milieux différents explique pourquoi, à quelques
millimètres près, les résultats lésionnels peuvent, à projectile égal, être très différents.

Crâne
Le crâne est fait d'os de dureté hétérogène. Une partie du pronostic dépend de la
résistance de l'os au point d'entrée du projectile :

- si l'os est peu épais, et donc peu résistant, le projectile suit un trajet rectiligne (pour
ricocher éventuellement dans la boîte crânienne). L'os temporal, les sinus de la base du crâne
(entrée frontale ou intrabuccale) laissent facilement passer les projectiles ;
- si l'os est très dur, le projectile le fracasse, occasionnant une projection de fragments
osseux qui vont se comporter comme des projectiles secondaires, responsables d'une
aggravation des lésions sous-jacentes.

En cas de blessure par balle, quelle que soit la dureté de l'os, deux variétés
lésionnelles peuvent se rencontrer, isolées ou associées :

- le choc de type brisant, à l'origine de dégâts souvent spectaculaires, localisés, mais


dont le pronostic est bon si le blessé reste conscient ;
- le choc de type contondant, dont l'exemple est le choc tangentiel. La confrontation
énergie de la balle/résistance de l'os réalise tous les intermédiaires entre le choc tangentiel à
voûte fermée et le fracas latéral avec projection profonde de fragments osseux. Le type de
balle n'a alors que peu d'importance, le facteur principal étant le traumatisme réalisé sous le
crâne. Le mécanisme des lésions internes ressemble alors à celui des chocs crâniens fermés à
l'origine d'une propagation profonde des lésions, en particulier au tronc cérébral.

292
Phénomènes immédiats propres au contenu cérébral :
- la présence d'éléments vitaux et réflexogènes. Dans certaines zones cérébrales, la
plus petite transfixion entraîne une mort rapide (tronc cérébral, diencéphale, gros vaisseaux,
etc.) ;
- toute cavitation temporaire importante se traduit, pour le cerveau, par des lésions
majeures très souvent incompatibles avec la vie. Au maximum, comme on peut parfois
l'observer, il y a véritable éclatement du crâne (suicide par coup de fusil de chasse
intrabuccal) ;
- secondairement, l'œdème et l'hématome, dans une cavité close, vont rapidement
décompenser une situation déjà grave, en provoquant une hypertension intracrânienne. Là est
la principale cause des décès dans les heures qui suivent la blessure. Le meilleur facteur
pronostique des plaies cranio-cérébrales par projectiles est donc l'évacuation le plus
rapidement possible des hématomes. Le blessé a déjà été l'objet d'une sélection quasi naturelle
lorsqu'il a survécu quelques jours, voire quelques semaines après la blessure initiale. Le
problème posé alors est essentiellement celui du parage d'une ou de plusieurs plaie(s)
constamment suppurées.

Au total, un blessé par projectile intracrânien reçu en urgence présente des dégâts
cérébraux définitifs le long du trajet du projectile avec, parfois, une collection hématique et
œdémateuse débutante, prémice d'une hypertension intracrânienne irréversible. Deux facteurs
majeurs guident la conduite à tenir et influent sur le pronostic :

- l'état de conscience à l'arrivée. Un score de Glasgow en dessous de 5 est quasiment


un arrêt de mort et une incitation à l'abstention opératoire, surtout quand il y a afflux massif
de blessés (blessés exclus lors du triage) ;
- certains trajets de projectile, transventriculaires ou bihémisphériques sont d'aussi
mauvais pronostics que les cas précédents.
En dehors des exemples cités ci-dessus, si l'on peut disposer d'un scanner (conflit en
centre urbain « riche ») il doit être pratiqué en urgence à la recherche d'une cause
compressive qui sera à opérer.

Face et œil
La face, milieu ouvert, hétérogène, bien vascularisé, abrite des cavités septiques
entourées de parties molles se défendant très bien contre l'infection.

Les parties molles et les cavités aériennes du maxillaire, enveloppées d'un os


spongieux et papyracé, n'opposent qu'une résistance symbolique aux projectiles. Ainsi, même
une balle de calibre 5,56 mm, prévue pour se fragmenter facilement, peut simplement entrer
et sortir intacte si elle passe en dehors des gros obstacles osseux.

Le cadre orbitaire, la mandibule et les dents sont très résistants et susceptibles de


déstabiliser et/ou de fragmenter une balle. La face, contrairement au crâne, est un milieu
ouvert. L'œdème et l'hématome y sont rapides et très spectaculaires, mais la face supporte
certains traumatismes balistiques qui seraient mortels dans d'autres localisations. Les gros
éclats d'obus et les fracas de mandibule par fusil peuvent donc être responsables de lésions
très importantes mais compatibles avec une survie immédiate.

Le danger immédiat provient de l'asphyxie et de l'hémorragie.


- Qu'il s'agisse d'une obstruction de la filière aérienne par une glossoptose, d'un
œdème des parties molles ou d'un « effacement » des voies aériennes par destruction de la

293
face par chevrotines, l'urgence est l'intubation immédiate. Plutôt qu'une intubation rétrograde
difficile, la coniotomie permet de gagner un temps précieux avant une trachéotomie réglée ;

- une atteinte d'un gros vaisseau ou d'une collatérale généreuse peut nécessiter une
ligature de la carotide externe si un tamponnement appuyé et prolongé est inefficace.

L'œil obéit à la loi du « tout ou rien ». Il est en général perdu s'il est touché.

Le cou comprend des régions hétérogènes sur le plan balistique


C'est une zone étroite, de passage, où transitent des éléments anatomiques vitaux. Les
lésions peuvent siéger en n'importe quels sites, dont certains comportent des organes vitaux
qui, s'ils sont lésés, ne permettent pas la survie.

Si les balles blindées ne touchent pas le rachis ou la mandibule, elles ressortent


pour la plupart, sans avoir été déstabilisées. Ces transfixions font que le pronostic des plaies
du cou par balles de guerre obéit à la loi « du tout ou rien ». Il est lié à l'importance des
lésions des grandes voies de passage vasculaire ou nerveux et aux facultés de suppléance du
polygone de Willis.

Tout autre est le devenir des éclats ou des balles expansives civiles susceptibles de
couper et/ou créer une cavité temporaire dans une région étroite et peu extensible, à l'origine
de phénomènes compressifs graves, par hématome et œdème.

Les voies aériennes et l'œsophage se comportent comme les organes creux. La


résistance à l'expansion est grande du fait de l'élasticité de ces structures. Cette élasticité,
comme pour la peau, explique, lors de trajets transfixiants, la présence de très petits orifices
d'entrée ou sortie qui peuvent échapper à un examen endoscopique même bien mené.

La conduite à tenir en présence des plaies du cou par projectile n'est pas encore
déterminée avec précision. Certains préconisent une exploration systématique, d'autres un
attentisme « armé » dans lequel on n'intervient que sur des arguments cliniques évolutifs et en
fonction des résultats d'explorations complémentaires sophistiquées.

Région thoraco-abdominale
Les plaies du tronc par projectiles sont particulièrement graves pour les raisons que
nous avons exposées plus haut (abondance d'organes vitaux). La région thoraco-abdominale
présente deux caractéristiques. D'une part, il y a prépondérance de parties molles, qui vont
plus ou moins suivre les lois du profil lésionnel avec un coefficient de résistance des tissus
très variable ; d'autre part, si le projectile a pénétré sur une grande distance, des balles
blindées d'armes d'épaule au neck long peuvent complètement se retourner et réaliser alors
des lésions très importantes. Les trajets sont souvent thoraco-abdominaux (25 %), mais nous
séparerons ces deux régions dans un but didactique.

Le thorax peut « balistiquement » être divisé en plusieurs parties


La paroi thoracique forme un corset fenêtre. La résistance osseuse est importante
pour la clavicule, variable pour les côtes, faible pour l'omoplate. Trois situations sont
possibles :

294
- habituellement, quand une côte est touchée, elle se casse avec un défect en emporte-
pièce accompagné de fragments osseux projetés localement. L'atteinte d'une côte est
susceptible de déstabiliser précocement certains projectiles et d'aggraver les lésions en aval ;
- la souplesse des côtes (surtout chez le sujet jeune) fait dévier en dehors ou en dedans
de nombreux projectiles pour peu que l'incidence soit tangentielle (plaie en séton). Ceci est
particulièrement net dans les polycriblages par plombs de chasse où ces derniers glissent sur
le gril costal. En revanche, un projectile tangentiel peut transmettre un choc très violent et
bref, responsable d'une contusion pulmonaire grave ;
- les espaces intercostaux n'offrent aucune résistance aux balles. La lésion d'un
pédicule intercostal est souvent hémorragique, et peut donner lieu à un hémothorax
volumineux.

Plèvre et poumons
Tout projectile qui pénètre dans le thorax lèse systématiquement la plèvre et le
poumon. Certaines lésions volumineuses, comme celles provoquées par une décharge de
chevrotines à bout portant par exemple, peuvent provoquer un thorax soufflant. Aux
urgences, ce type de lésion est aussi spectaculaire qu'exceptionnel. Il ne faut pas obturer
hermétiquement, mais laisser l'air sortir (pansement à trois sparadraps).

Le plus souvent, les projectiles pénétrant dans le thorax sont à l'origine :

- d'un pneumothorax, qui est dû à une fistule broncho-pleurale provoquée par la


perforation du parenchyme ;
- d'un hémothorax, constant, dû à une plaie d'un vaisseau intercostal, de la plèvre et
du parenchyme pulmonaire.

Le poumon est très mou, élastique ; il oppose peu de résistance aux projectiles. Les
necks sont donc spontanément allongés et le refoulement tissulaire bien amorti. C'est le
retentissement des lésions vasculaires ou aériennes éventuelles qui détermine ici le pronostic.
Une décharge de chevrotines, ou une fragmentation importante peut cependant entraîner une
attrition volumineuse nécessitant une résection parenchymateuse.

Médiastin et gros vaisseaux


Ici encore règne la loi du « tout ou rien » en raison de l'importance des organes vitaux
de cette région. Dire que les plaies du cœur par balle sont en général mortelles reste
d'actualité. Quand, exceptionnellement, un patient arrive encore vivant à l'hôpital, il présente
une tamponnade qui l'a temporairement sauvé.

Les voies aériennes et l'œsophage se comportent comme les organes creux. Leurs
lésions ne sont, en général, jamais isolées et elles s'accompagnent d'un hémopneumothorax.
Dans le thorax supérieur, les lésions de la trachée sont le plus souvent associées à des
atteintes de l'œsophage, à l'origine d'un emphysème médiastinal et d'un hémomédiastin. Une
médiastinite d'installation rapide est quasi constante. L'œsophage, très élastique, résiste bien à
l'expansion car il « fuit devant la balle ». Cette élasticité, comme pour la peau, explique, lors
de trajet transfixiant, la présence de très petits orifices d'entrée ou sortie qui échappent
souvent à l'endoscopie. C'est parfois seulement devant un tableau de médiastinite gravissime
que l'on évoque une perforation de l'œsophage.

295
En résumé, les plaies thoraciques restent graves. Le pronostic peut être amélioré par la
mise en place, dès le ramassage des blessés, d'un drain thoracique avec valve anti retour et
poche à autotransfusion pour évacuer un hémopneumothorax en formation, et éviter une
décompensation cardio-respiratoire pendant l'évacuation.

Abdomen
La cavité abdominale se compose :

- du péritoine. Le problème qui se pose parfois est de savoir s'il y a pénétration ou non
de cette barrière chirurgicale du « ventre mou ». Une technique simple, en cas de doute et si
le temps presse, est l'exploration au doigt ganté d'un orifice suspect. Les règles de la chirurgie
de guerre imposent cependant la laparotomie devant toute suspicion de plaie pénétrante. Si, à
la radiographie, on retrouve un projectile fragmenté, il faut craindre des lésions étendues ;
- d'organes peu tolérants à l'expansion, comme le foie ou la rate, que l'on peut
considérer comme des organes vitaux, car leur atteinte est souvent létale chez le blessé de
guerre. Au niveau du foie, une blessure provoque une hémorragie, voire un éclatement local
en cas de cavitation temporaire responsable d'une hémorragie interne de pronostic très
sombre.
- d'organes très élastiques, mais de façon variable selon leur état de vacuité ou de
réplétion comme les anses grêles, le côlon ou l'estomac. Le contenu des anses peut se
répandre dans la cavité abdominale à l'origine d'une péritonite. Il faut séparer :

• les lésions directes, à l'origine de plaies transfixiantes ou en séton, voire de perte de


substance notable (40 cm) si une balle se retourne « en prenant en long » un côlon. Ces
lésions sont à réparer sans se préoccuper du type de projectile en cause ;
• les contusions produites par une cavitation temporaire au sein de la cavité
abdominale. Le refoulement brutal des anses intestinales et du côlon est à l'origine de
pétéchies et de bulles hémorragiques, à différencier des plaies provoquées directement par le
projectile ou ses fragments. Ces lésions guérissent spontanément sans résection.

- de nombreux vaisseaux dont l'atteinte assombrit le pronostic. En temps de guerre,


les décès post-opératoires sont en grande partie dus à un manque de sang.

Région rétropéritonéale
Les plaies balistiques urétéro-rénales se caractérisent par la fréquence des lésions
associées (foie, rate, côlon, vertèbre, etc.) qui font toute la gravité du pronostic, les plaies
rénales isolées étant rarement mortelles. Soupçonnée par la reconstitution théorique du trajet
du projectile, l'atteinte rénale est souvent découverte lors d'une laparotomie en urgence après
exploration d'un volumineux hématome rétropéritonéal. Les reins supportent mal une
cavitation balistique, et leur atteinte rend habituellement nécessaire une néphrectomie plus
souvent totale que partielle. Les uretères, fuyant le projectile, sont rarement directement
touchés. En revanche, ils sont fragiles et sensibles à une cavitation temporaire violente, très
proche du trajet du projectile. La blessure se manifeste alors par une chute d'escarre
secondaire.

296
Le pronostic des atteintes de l'aorte thoraco-abdominale est aussi sévère
que les plaies du cœur. Les blessures de la veine cave inférieure, jamais isolées, se révèlent
par un collapsus dans un cas sur deux seulement, du fait de l'hémostase compressive
provoquée par un volumineux hématome rétropéritonéal (le système porte n'a pas cette «
chance »). En fait, ces lésions sont rarement vues en urgence, car elles sont le plus souvent
mortelles d'emblée. Si le patient arrive vivant, le pronostic reste encore très sombre et il est
d'autant plus grave que la lésion est haut située, avec 30 % de mortalité pour les blessures de
la veine iliaque primitive, et jusqu'à 80 % pour les veines sus-hépatiques, en raison des
lésions des organes de voisinage et du temps nécessaire pour leur contrôle chirurgical.

Plaies abdomino-pelvi-fessières
Dans cette région il existe de très nombreux éléments défavorables responsables de
complications hémorragiques et infectieuses. Les projectiles sont déstabilisés et/ou
fragmentés par un entourage osseux très dur, les blessures colorectales sont très septiques,
avec des germes virulents, en particulier anaérobies. Ces germes colonisent d'importantes
masses musculaires contuses et de graisse. Cet ensemble de facteurs péjoratifs est à l'origine
de complications infectieuses secondaires gravissimes si le patient a survécu au choc
hémorragique. En effet, ce dernier est particulièrement fréquent car il existe dans cette région
une vascularisation artérielle et veineuse importante. Ces lésions s'accompagnent
d'hémorragies diffuses avec choc hémorragique sévère, souvent réfractaire aux moyens de
réanimation même modernes.

Le plus souvent, le projectile se fragmente en faisant éclater au passage une tête


fémorale, et il provoque un polycriblage redoutable de l'hypogastre. Le pronostic est plus
sévère si la vessie est pleine, ou l'utérus gravide.

Plaies vertèbre-médullaires
Les plaies vertébro-médullaires sont des blessures de guerre peu fréquentes (0,25 à 5
%). Ce faible pourcentage de survivants s'explique par l'extrême gravité de ce type de lésions.
Ainsi, en cas d'afflux massif de blessés, les plaies vertébro-médullaires ne sont pas
sélectionnées lors du triage (s'ils ont survécu aux lésions associées). On distingue plusieurs
mécanismes lésionnels.

Les blessures médullaires directes par lésion de la moelle par le projectile ou un


fragment osseux projeté dans le canal. Il y a alors presque toujours un tableau clinique
évident de paralysie complète et de troubles sphinctériens.

Les lésions par atteintes indirectes. À lésions apparemment égales, le tableau


clinique peut être très différent : le blessé peut être soit indemne soit paralysé transitoirement
ou définitivement.

- Si le blessé est sélectionné lors du triage, le traitement des plaies vertébro-


médullaires doit être très rapide pour tenter d'améliorer un pronostic souvent désastreux. Bien
souvent cependant, la présence de lésions associées, de pronostic vital, peut faire différer
cette prise en charge. Après parage chirurgical de la plaie des parties molles, il faut fermer la
dure mère, éventuellement par plastic aponévrotique suturée et collée. Une stabilisation
interne par ostéosynthèse, rarement possible, est en général remplacée par une contention

297
externe par corset ou minerve si le rachis est instable. Dans les lésions médullaires hautes,
l'atteinte des centres respiratoires impose une trachéotomie rapide ;

- le pronostic, demeuré effroyable pendant des siècles, a été bien amélioré par les
méthodes modernes de réanimation. Quand elles existent, les lésions associées, traitées en
priorité, guérissent en général sans séquelle mais l'atteinte de la moelle est responsable d'une
para- ou d'une quadriplégie définitive s'il y a eu section médullaire. Il est impossible, sauf
constatation per-opératoire d'une section franche, de déterminer dans l'immédiat le pronostic.
En fait, celui-ci reste pratiquement toujours très sombre sur le plan fonctionnel, même si
quelques cas de récupérations partielles inespérées ont été décrits.

Le pronostic est cependant bien meilleur pour les plaies de la queue de cheval, en
dessous de Ll, les racines « fuyant en souplesse » l'agression du projectile.

Les statistiques de guerre font ressortir une mortalité très basse des plaies de
membres. Actuellement se pose encore le problème de l'amputation, même si la hantise de la
gangrène gazeuse mortelle a disparu avec les progrès de l'antibiothérapie, du fixateur externe
et des techniques de réparation vasculaire en urgence.

Les membres sont composés d'axes vasculo-nerveux, d'os et de parties molles.

Axes vasculo-nerveux
Les artères sont très souples et très résistantes, du moins chez le sujet jeune. Leur
capacité d'« encaisser » l'effet de distension brutale d'une cavité temporaire est importante.
Quand bien même il se produirait des lésions intimales ou de la paroi, l'expérience des séries
cliniques et artériographiques à long terme montre qu'il y a le plus souvent guérison
spontanée de l'artère lésée. Il faut donc soigneusement palper les pouls et, si ces examens sont
réalisables, ne pas hésiter à pratiquer un Doppler ou une artériographie avant de décider une
exploration chirurgicale.

Les nerfs, peu fragiles, sont en général épargnés, sauf s'ils sont directement lésés par
le projectile, ou s'ils se trouvent refoulés par une cavité temporaire violente, à proximité
immédiate du trajet. Les nerfs récupèrent parfois rapidement après une période de sidération
immédiate, parfois au bout de plusieurs mois, quel que soit le type de projectile. À l'inverse,
des atteintes neurologiques plus tardives sont possibles, si le nerf est engainé au sein d'une
fibrose péri-neurale organisée.

Os
Comme pour le crâne, l'atteinte directe de l'os par le projectile peut être lourde de
conséquences.

Un os peu résistant peut ne présenter qu'une simple perforation (palette numérale,


tubérosité tibiale, etc.).

Si le projectile ne ricoche pas, l'atteinte directe d'un os dur entraîne habituellement un


fracas local ou à distance. Lorsque le fracas siège près d'une articulation, il faut rechercher un
trait de fracture articulaire, ce qui transforme un fracas diaphysaire en une fracture articulaire
au pronostic sévère. La faible épaisseur des membres explique pourquoi les orifices de sortie

298
faits d'un broyât d'os, de muscles à l'origine d'un fracas ouvert peuvent être très volumineux
(Fig. 13.14). Les fixateurs externes ont nettement amélioré la prise en charge des lésions
osseuses, mais il en va tout autrement de l'atteinte des axes vasculo-nerveux. Même si ces
éléments résistent relativement bien à une cavité temporaire, leur atteinte met en jeu la vitalité
du membre. Ce sont en général les lésions du nerf qui, en fin de compte, font le pronostic
fonctionnel.

Les règles du parage des plaies des parties molles semblent


maintenant relativement bien codifiées
Théoriquement, un parage insuffisant des parties molles peut être à l'origine d'une
infection sévère, voire d'une gangrène mortelle. Un parage « beaucoup plus large que ne le
voudrait le bon sens clinique », tel qu'il est encore parfois préconisé pour les plaies par balles
« à haute vitesse », est une mutilation inutile.

Il faut « traiter la plaie et non l'arme qui a tiré ». Ce principe s'applique pour tous les
tissus (vaisseaux, intestin, muscle, etc.), quel que soit le projectile. Il faut retirer
soigneusement toute souillure (débris de terre, de vêtements, de projectiles... et ne pas oublier
de chercher une bourre radiotransparente de cartouche de chasse). Il faut abandonner la
classique « loi des 4 C » (couleur, contractibilité, consistance, pouls capillaire), et enlever les
débris détachés (par des irrigations de sérum) et les tissus qui semblent manifestement
nécrosés. Dans le doute, il convient généralement de laisser le tissu suspect, et les limites de
ce doute restent, en dernier ressort, du seul jugement du chirurgien. Il faut rester très
conservateur vis-à-vis des esquilles osseuses et n'enlever que les plus petites qui sont
dévascularisées.

Les gros fragments, même libres, doivent en revanche être conservés car ils se
comporteront comme un greffon. Le drainage doit être généreux, et il ne faut pas fermer les
orifices. Ainsi, sous antibiothérapie systématique, Mère nature fera tranquillement le tri entre
le vif et le mort qui s'évacuera par des drains efficaces. Cette méthode sage nécessite souvent
des parages itératifs lors des pansements pratiqués sous anesthésie générale.

Conclusion
L'étude de la balistique lésionnelle soulève encore bien des passions
En voulant simplifier, la balistique lésionnelle pourrait se résumer à cet aphorisme : «
La gravité de la blessure dépend plus du type d'organe touché que du type de projectile
vulnérant ». Retenons pour conclure que :

- le blessé de guerre est avant tout un blessé par polycriblage par des petits éclats
responsables de polyblessures ;
- il n'y a pas, d'une part, de balles à haute vitesse responsables de « dégâts explosifs »
avec lésions à distance par une onde de choc, et, d'autre part, toutes les autres balles. Il n'y a
que des projectiles conçus pour un usage précis obéissant à des lois de bio-mécanique
lésionnelle en milieu homogène mou. La plupart des plaies par balles actuelles sont encore
causées par l'AK 47 Kalashnikov et, depuis longtemps, on peut aussi se procurer des armes
tirant des balles de calibre 5,56 mm qui se fragmentent. Très certainement, les plaies par la
nouvelle balle de calibre 5,45 mm qui bascule précocement devraient se multiplier.

299
L'attitude devant les plaies par projectile dépend du délai
d'évacuation et de l'équipement dont on dispose sur place
Le plus rationnel devant une plaie par projectile est d'avoir une attitude réglée et
souple, sans a priori, quel que soit le type d'agent vulnérant :

- examen et description soigneuse des orifices d'entrée et de sortie éventuels sur la


peau pour reconstruire approximativement le trajet ;
- recherche de signes cliniques orientant vers l'atteinte d'un organe « sensible »
(vaisseau, organe vascularisé, plèvre, péritoine, nerf, etc.) ;
- radiographie systématique, si elle est possible, pour déceler une fragmentation, l'axe
de bascule d'une balle blindée ou une atteinte osseuse. Une atteinte osseuse peut bouleverser
tous les comportements des projectiles en parties molles et occasionner de bien désagréables
surprises ;
- débuter une antibiothérapie, car tout projectile, quel qu'il soit, est contaminé ;
- au plan chirurgical, la suspicion d'une atteinte par une balle moderne ne doit donc, en
aucun cas, nécessiter des résections mutilantes des muscles, du poumon, des vaisseaux ou des
intestins, au-delà des principes de chirurgie appliqués pour les autres catégories de projectiles.
Il faut autant que possible essayer de rester conservateur.

300
Chirurgie et terrorisme

J.-L. PAILLER

« Le terrorisme est une des données de base de la guerre politique de notre temps. » (R.
Marcellin)

Le terrorisme, comme celui qui s'est abattu par vagues à Paris, crée des situations et
pose des problèmes particuliers que nous allons tenter de décrire ici.

Nous aborderons l'aspect proprement médico-chirurgical du sujet comportant la mise


en place de la chaîne de secours (du site de l'attentat jusqu'à l'hôpital), le type anatomo-
pathologique des lésions, les moyens diagnostiques et le traitement chirurgical.

Enfin, nous donnerons un aperçu des suites et des séquelles de ces blessures, avec les
différents problèmes d'indemnisation qui se posent.

Terrorisme
Le terrorisme n'est pas un phénomène nouveau mais il a connu un essor tout
particulier avec les événements en Europe et au Proche-Orient, pour atteindre de nos jours
une dimension internationale qui a fait dire de lui qu'il allait devenir la troisième guerre
mondiale.

Définition
Le terrorisme consiste pour un ou plusieurs individus à peser sur le cours des
événements par la violence, dans le but de provoquer la mort. Plus que l'acte terroriste en soi,
son objectif est l'impact médiatique qu'il peut avoir.

La victime est autant le messager que la cible car c'est au bout du compte des
gouvernements qu'il faut faire fléchir, en visant l'opinion publique qu'il faut terroriser.
Actuellement il vise le plus souvent les citoyens, véritables détenteurs du pouvoir dans les
démocraties modernes, grâce au relais des médias. C'est tellement vrai que le terrorisme est
quasiment absent des pays où la liberté de presse n'existe pas.

Frappant en France mais aussi dans d'autres démocraties européennes, le terrorisme,


souvent international, trouve ses racines dans des motivations d'ordre politique et stratégique.

Depuis 1980, on doit déplorer sur le territoire national environ 200 morts (sans
compter les 58 tués du contingent français de Beyrouth) et plus de 1 000 blessés.

301
Nous aborderons ici essentiellement le problème de l'attentat aveugle car c'est lui qui
nécessite une organisation rationnelle des secours.

Conduite à tenir sur place

L'attentat a toujours lieu de façon délibérée dans un quartier populaire, dans un lieu
public, à une heure de grande affluence, pour entraîner un, maximum de victimes et de
dégâts, et créer la panique.

Les victimes sont le tout-venant des piétons. Loin d'être des combattants des champs
de bataille, elles sont souvent des femmes et des enfants (majoritaires dans l'attentat de la rue
de Rennes).

Très rapidement, en quelques minutes les équipes de secours, les services de police et
les équipes de presse arrivent sur le site de l'attentat, et la suite des événements se déroulera
en permanence sous l'œil des caméras.

Les conditions de travail des équipes de secours sont alors particulièrement difficiles :
le grand nombre de victimes, l'encombrement des lieux, l'affolement des curieux, les
difficultés de circulation, rendent compte de la nécessité absolue d'une parfaite organisation
de la chaîne des secours. À cet attentat parfaitement préparé doit répondre une riposte
institutionnelle qui a été elle aussi minutieusement préparée, ne laissant aucune place à
l'improvisation.

Dans les grandes villes, les services concernés (sapeurs-pompiers, SAMU, police
secours) sont en relation permanente par le biais de leurs régulateurs, et par liaison radio.

Sur place, la coordination des différentes équipes est dévolue à un responsable


(directeur des secours) appartenant aux corps des pompiers ou au SAMU.

Ce responsable a pour rôle d'optimiser au maximum la prise en charge des blessés. Il


doit organiser les structures de soins, ménager l'espace (avec l'aide de la police), prévoir un
dégagement pour les blessés, définir les itinéraires, les aires de stationnement des véhicules
de secours, une drop zone (aire d'atterrissage pour hélicoptère), préparer les blessés pour
l'évacuation et prendre en charge les blessés légers et les familles. Il dirige la relève des
blessés et doit créer rapidement un centre de tri et ceci dans un endroit protégé.

Les soins aux blessés, comme en chirurgie de guerre, comportent trois étapes :
ramassage, mise en condition et évacuation.

Ramassage
II vise à regrouper tous les blessés vers le centre de tri. Il se fera sous la direction d'un
médecin qui fixe les priorités et dirige une équipe de brancardiers. Dès ce stade devront
intervenir une identification des blessés et un premier triage.

- L'identification d'un blessé dans ces conditions est parfois problématique, et l'on
devra alors l'étiqueter, lui, ses affaires et ses prélèvements ;

302
- le triage et la catégorisation sont ici plus simples qu'en temps de guerre car tous les
blessés sont rapidement pris en charge. Il importe, pour éviter la surcharge du centre de tri, de
distinguer les blessés graves de ceux qui ne le sont pas. Ce triage primaire grave/pas grave est
assuré dans des conditions d'urgence, bien souvent peu sereines.

Enfin, il faut, même sommairement, rédiger une fiche médicale d'évacuation.

Mise en condition
Minime pour les blessés légers, elle doit être rapide et permettre de maintenir les
fonctions vitales chez les plus gravement atteints. Ces gestes de sauvetage ou de réanimation
doivent répondre aux deux situations de détresse classiques :

Lutte contre la détresse circulatoire


- Par les gestes d'hémostase, de compression ou mise en place d'un garrot ;
- par remplissage vasculaire utilisant des voies veineuses périphériques et des solutés
macromoléculaires de façon à essayer de maintenir l'hémodynamique jusqu'à l'arrivée du
blessé à l'hôpital.

Lutte contre la détresse respiratoire


Par le contrôle de la liberté des voies aériennes supérieures qui peut aller de la simple
insertion d'une canule de Guedel à l'intubation d'un brûlé ou d'un traumatisé maxillo-facial.
La ventilation est assurée par un respirateur portatif ou par un ballon.

C'est également au centre de tri que pourra être institué le traitement antibiotique
initial en prévention de la gangrène gazeuse.

Un geste particulier peut être nécessaire en cas d'ensevelissement sous les décombres
d'un bâtiment : l'amputation de désincarcération.

Évacuation
Elle ne peut être envisagée que lorsque l'hôpital d'accueil est prévenu et le transport
possible et sans danger.

Le directeur des secours médicaux, par l'intermédiaire des régulateurs et des moyens
radio, doit trouver absolument une place dans un hôpital pour chaque blessé. Pour cela, il doit
pouvoir fournir en quelques instants des détails sommaires sur la gravité des blessures et que
l'hôpital d'accueil soit apte à prendre en charge ce polyblessé.

L'état du blessé et l'heure d'arrivée prévue sont indiqués. Il faut alors évaluer l'état du
blessé et le temps dont on peut disposer jusqu'à l'arrivée à l'hôpital. On peut alors définir
quelle est la meilleure modalité de transport en fonction de la gravité, de l'éloignement, des
disponibilités. Là, comme en temps de guerre, le moyen de transport le plus efficace pour les
blessés lourds est peut-être l'hélicoptère médicalisé. Le directeur des soins médicaux doit
impérativement avoir des compétences en réanimation chirurgicale.

303
Traitement à l'hôpital
À l'arrivée à l'hôpital, dûment prévenu, il faut que l'équipe d'accueil, compétente,
suffisamment nombreuse et équipée du matériel nécessaire, soit prête. En règle générale les
possibilités de traitement sont suffisantes mais il ne faut pas saturer les services d'accueil par
évacuation d'un nombre excessif de blessés, même légers. C'est ici que le régulateur joue un
rôle essentiel. D'après notre expérience, une solution généralement satisfaisante est d'adresser
les blessés lourds dans un centre (en s'assurant qu'ils pourront être accueillis) et les blessés
légers dans un autre.

À l'hôpital aussi, la présence d'un coordinateur, chirurgien ou réanimateur, peu


importe, mais toujours chevronné, est indispensable, pour :

- définir les priorités, organiser l'équipe et préciser l'action de chacun, prévoir les
locaux et en particulier les salles d'opération, et désigner les personnels de transmission. Une
équipe constituée de deux infirmières-anesthésistes, deux chirurgiens, deux anesthésistes-
réanimateurs, semble idéale ;
- identifier les blessés, éventuellement en les numérotant.

Dès l'arrivée à l'hôpital un nouveau bilan s'impose, mais sans qu'il y ait interruption
des soins commencés sur le site de l'attentat et pendant le transport. Il faut ici insister sur
l'impérative nécessité d'une coordination étroite entre réanimateur de terrain et réanimateur
hospitalier.

Types de blessures
Les blessures des victimes d'attentat sont parfois extrêmement sévères, ce qui les a fait
comparer aux blessures de guerre.

Les lésions multiples sont habituelles, tant dans leur localisation que dans leur nature,
et ce d'autant plus que le blessé était proche du site de l'explosion :

- plaies projectilaires ;
- brûlures ;
- lésions par blast ;
- éventuellement écrasement ;
- voire une ou plusieurs amputations traumatiques.
Le cumul de ces lésions rend compte de la gravité de l'évolution immédiate. Le décès
immédiat peut être dû :
- à une hémorragie massive ;
- à l'asphyxie ;
- à un traumatisme cranio-facial majeur ;
- ou à une contusion myocardique et pulmonaire par blast.
Les traumatismes thoraciques graves font courir des risques très rapides de détresse
circulatoire et respiratoire faisant de ces blessés des « morts en sursis ». L'existence de ce type
de blessés, inconnus sur les champs de bataille, s'explique par la précocité et l'efficacité de la
réanimation immédiate. Pour optimiser la prise en charge de ces blessés multiples, recourir à
une échelle de gravité est particulièrement utile.

Aux États-Unis, une telle échelle existe depuis quelques années pour quantifier
l'importance des blessures des accidents de circulation. À partir de cette cotation des lésions

304
AÏS on peut calculer pour chaque blessé un score de sévérité ISS qui, lui, tient compte des
trois lésions les plus graves. Ces scores permettent de déterminer un pronostic chez des
blessés présentant des lésions différentes. On a pu constater qu'ils étaient bien corrélés avec la
fréquence des décès et que, utilisés a posteriori, ils permettaient d'apprécier l'ampleur d'un
attentat donné. Recourir systématiquement à ces scores devrait permettre d'améliorer la prise
en charge de ces blessés et d'analyser plus rationnellement les conséquences des attentats.

Anatomie pathologique
Nous avons retenu cinq types lésionnels.

Lésions par projectiles et éclats


Le « polycriblage » est dû à des éclats et projectiles secondaires qui provoquent des
plaies multiples et septiques, avec inclusion de corps étrangers dans les plaies. On distingue :

- le polycriblage « superficiel » dans lequel les lésions sont toujours très étendues en
surface ;
- le polycriblage « profond », qui concerne les blessés proches du lieu de l'explosion.

Les projectiles dispersés sont animés d'une grande énergie et peuvent déterminer
plusieurs plaies pénétrantes, dont la gravité dépend de leur profondeur mais surtout de leur
localisation. Ainsi, les lésions cranio-faciales, hémorragiques, asphyxiques, sont gravissimes
tant dans l'immédiat que dans les suites. Les lésions thoraco-abdominales pénétrantes sont
responsables de thorax soufflants, d'éviscérations, de lésions hémorragiques. Les lésions par
projectiles des parties molles des membres sont souvent étendues et d'emblée infectées. Le
risque de gangrène est maintenant bien contrôlé avec l'utilisation judicieuse des antibiotiques,
mais l'ostéite reste un problème préoccupant.

Lésions par blast


On désigne ainsi les lésions dues à l'onde de choc (le souffle) qui accompagne
l'explosion. Le blast crée une surpression très énergétique dont la propagation est perturbée
par les obstacles ou majorée par la résonance dans un espace clos.

Blast primaire
Le blast primaire atteint les organes hétérogènes contenant de l'air, et donc tout
particulièrement la sphère ORL. La perforation tympanique est la lésion classique du blast
aérien (quasi constante chez les blessés proches de l'explosion). Le larynx ébranlé par l'onde,
peut, lui, présenter des pétéchies qui sont un signe d'alarme devant faire systématiquement
rechercher un blast pulmonaire.

Le blast pulmonaire représente une lésion, non par surpression, mais d'impaction de la
paroi thoracique brusquement comprimée sur son contenu. Il s'ensuit une contusion
pulmonaire sur laquelle on peut parfois distinguer l'empreinte des côtes ; cette contusion
pulmonaire, en fait assez rare, peut aller de simples pétéchies superficielles à l'hépatisation
complète des poumons avec possibilité de pneumothorax et de ruptures artério-veineuses.

305
Le blast abdominal intéresse les viscères digestifs creux contenant de l'air et peut
provoquer des hématomes intramuraux, voire des déchirures-dilacérations plutôt que de
véritables perforations à 1'emporte-pièce. Les lésions sont plus fréquentes au niveau du
caecum et du rectum (un des blessés de l'attentat de Mark & Spencer présentait une lésion de
ce type).

Enfin, le scrotum s'avère très exposé et nous avons rencontré deux cas d'émasculation
par blast.

Blasts secondaire et tertiaire


Les blasts secondaire et tertiaire sont les lésions qui ne sont pas induites directement
par l'explosion (comme celles dues à des projectiles).

Lésions d'écrasement
Ces lésions s'observent après l'effondrement d'un bâtiment soufflé par l'explosion.
Nous ne décrirons ici que les lésions par écrasement compatibles avec la survie.

Au niveau des membres, l'écrasement réalise le crush syndrome de Bywaters,


responsable s'il se prolonge d'un cercle vicieux œdème-ischémie qui va aboutir à la libération
dans la circulation, lors de la levée d'obstacle, de produits de dégradation musculaire. C'est la
rhabdomyolyse. Pour la prévenir, il faut systématiquement recourir au garrottage que l'on lève
ensuite progressivement si la compression a duré plus de 6 h. Mais, parfois, la seule solution
reste l'amputation de désincarcération, décision toujours pénible.

Les écrasements du bassin sont généralement compatibles avec la survie mais


occasionnent des lésions gravissimes, osseuses, urinaires, rectales et périnéales qui, avec
l'hémorragie, peuvent faire le lit d'une gangrène gazeuse périnéale de traitement difficile et
prolongé (souvent plusieurs mois).

Brûlures
Les brûlures sont très fréquentes chez ce type de blessés.

Elles sont dues à la chaleur de l'explosion proprement dite, au caractère incendiaire de


l'engin, voire à un incendie secondaire. Elles sont souvent cutanées, concernant plus
volontiers les zones découvertes, face et mains en particulier. Elles peuvent aussi être
respiratoires, par inhalation de gaz incandescents, provoquant des lésions trachéo-bronchiques
et alvéolaires. Ces brûlures respiratoires peuvent provoquer secondairement une détresse
respiratoire, surtout si elles sont méconnues au départ.

Amputations traumatiques
Les explosions au cours d'attentats peuvent provoquer de véritables arrachements de
membre par effet de souffle. Elles concernent le plus souvent les blessés proches de
l'explosion, et l'atteinte de plusieurs membres est malheureusement habituelle.
Ces lésions sont très hémorragiques, provoquant des chocs rapides, et les blessés ne
pourront gagner l'hôpital que si les gestes d'hémostase (garrot) ont été rapides et efficaces.

306
Moyens d'investigation
Le problème qui se pose ici n'est pas tellement la disponibilité des moyens
diagnostiques, souvent suffisante, mais l'urgence thérapeutique, toute perte de temps pouvant
avoir des conséquences dramatiques.

L'examen, déjà commencé sur les lieux de la catastrophe, est repris et complété à
l'admission.

Cet examen clinique doit être complet, sous l'angle chirurgical et de la réanimation. Il
peut parfois être complété par une échographie sur le chariot pour tenter d'éviter une
laparotomie inutile.

Il faut signaler que cet examen est difficile, et ce pour deux raisons principales.
D'abord, il doit être rapide et ne pas faire différer les décisions thérapeutiques. Ici se pose le
problème des examens radiologiques, même standard, des lésions ostéo-articulaires ou
thoraciques. Ensuite, il peut être difficile à interpréter chez un blessé inconscient ou ayant
reçu des sédatifs (on a pu ainsi méconnaître un hémothorax de 2 1). Enfin, cet examen peut
être complété en per-opératoire, voire diriger l'exploration chirurgicale (recherche d'éclats par
exemple). C'est dire que, dans certains cas, la priorité est le transfert urgentissime au bloc
opératoire, même si le bilan reste extrêmement sommaire.

Traitement
Le traitement des blessés par attentat en centre urbain en temps de paix répond à trois
principes : urgence absolue, multidisciplinarité et prise en charge de la totalité des soins, pour
tous les blessés.

L'objectif initial est de maintenir les grandes fonctions vitales (circulation et


respiration) et les gestes ne doivent en aucun cas être différés. Bien souvent, il faut se limiter
à ces aspects, toute tentative de soins complémentaires pouvant compromettre les chances de
survie.

Le traitement doit être multidisciplinaire, plusieurs spécialités chirurgicales pouvant


être simultanément concernées.
Enfin, contrairement à la chirurgie de guerre, il ne se pose pas ici de véritable
problème de triage, tous les blessés étant pris en charge, ni d'évacuation secondaire car le
traitement est d'emblée mené à son terme.

Les gestes de première urgence ayant été accomplis sur place, la réanimation à
l'hôpital va poursuivre et prolonger le traitement antérieur.

La réanimation repose essentiellement sur le remplissage vasculaire.

À l'arrivée à l'hôpital, les gestes de réanimation entrepris lors du ramassage doivent


être poursuivis. Ils concernent essentiellement le remplissage et la ventilation.

La transfusion sanguine pose deux types de problèmes :

307
- d'abord, il est parfois difficile de s'assurer du groupe sanguin, non seulement en
raison de l'urgence, mais aussi parce que la détermination du groupe peut être sujette à
caution chez un patient hémodilué et dont l'identité est incertaine. On peut parfois être amené
à transfuser du sang O-Rh" ;

- ensuite, l'approvisionnement en sang peut être problématique en cas de rupture de


stock (pour trois malades, nous avons dû à une occasion recourir à 80 unités de sang). Dans
certains cas, le transport par hélicoptère peut s'avérer nécessaire (en particulier en cas de
difficultés de circulation, où il est plus rapide qu'une ambulance, même précédée de motards).

Le traitement chirurgical comporte d'abord des gestes de sauvetage comme une


amputation de déchoquage ou l'hémostase efficace d'un moignon de membre arraché par
compression ou garrot. De même, il faut pouvoir réaliser très vite une laparotomie ou une
thoracotomie d'hémostase lorsque la réanimation s'avère inefficace.

Ensuite, une fois résolus ces problèmes de première urgence, le bilan lésionnel réalisé
au bloc opératoire permet de hiérarchiser les gestes à entreprendre. L'idéal est ici de réaliser
ces différents gestes de façon simultanée, par plusieurs équipes. En premier lieu, les lésions
vasculaires. L'hémostase définitive sera assurée soit par ligature qui peut parfois être
transitoire, avec possibilité de réparation secondaire une fois le cap critique passé (nous avons
pu réaliser des greffes veineuses chez 2 des 38 blessés que nous avions reçus), soit, cas
malheureusement fréquent, par amputation primaire de nécessité due à l'association quasi
constante de lésions vasculo-nerveuses à des lésions ostéo-articulaires et des parties molles
sur un même membre. Les lésions thoraciques relèvent en première intention d'un
drainage de la cavité pleurale s'il existe un épanchement.

Un grand volet pariétal mobile pourra être immobilisé par SPI mais il ne faut pas
négliger la possibilité de lésions pulmonaires sous-jacentes.

Enfin, rarement, il faudra entreprendre une thoracotomie si le drainage de


l'épanchement dépasse 100 ml/h après la première heure.

Les lésions abdominales relèvent d'une laparotomie dans trois circonstances :


- éviscération ;
- évidence d'une hémorragie interne ;
- évidence de la rupture d'un organe creux.

Les plaies parenchymateuses méritent une chirurgie simple, raisonnable, qui ne


sera pas à tout prix conservatrice pour ce qui concerne les lésions spléniques et rénales dans
ces circonstances.

Les lésions du grêle méritent plus souvent une résection qu'une suture simple, en
raison de la fréquence des lésions mésentériques associées.

Les lésions colorectales méritent, à notre avis, une chirurgie prudente en deux
temps.

308
Les lésions pariétales doivent être explorées chirurgicalement et le dogme de la
laparotomie systématique ne pourra être transgressé, devant une plaie pénétrante minime, que
sous réserve de possibilités conséquentes de surveillance.

Les problèmes de réparation de pertes de substance pariétale majeures n'ont pas


encore trouvé de solution idéale : Mickulicz ? Plaque résorbable ?

Les lésions cranio-cérébrales et maxillo-faciales.


Leur traitement doit répondre à deux impératifs :
- la décompression du cerveau ;
- l'hémostase obsessionnelle.

Les lésions ostéo-articulaires, plus fréquemment ouvertes, feront appel soit à


l'amputation, soit à la stabilisation extrafocale par un fixateur externe.

Enfin, les lésions de la peau et des parties molles, même si elles sont
superficielles, peuvent poser de difficiles problèmes lorsqu'elles sont étendues. L'association
criblage-plaie-brûlure fait de ces blessés de véritables écorchés vivants. Le parage, l'ablation
des corps étrangers sont à la base de leur traitement.

Suites opératoires
Elles se dérouleront dans un service de réanimation et seront quasi immanquablement
marquées par des complications et des interventions itératives. En effet le traitement primaire
n'est bien souvent que la première étape d'un long parcours thérapeutique où les embûches et
les obstacles pourront surgir à tout moment.

Parfois se pose le problème de la justification d'un acharnement thérapeutique,


problème d'autant plus crucial que toute relation directe avec le blessé est impossible et que sa
famille peut éventuellement rester inconnue. Ce drame, bien concret, pose des problèmes
éthiques et émotionnels considérables.

Les complications post-opératoires peuvent être classées en deux groupes :


complications dues aux lésions initiales et complications de la réanimation.

Complications consécutives aux lésions initiales


Au niveau des membres, une récidive hémorragique, un sepsis, pourront obliger à une
amputation secondaire qui sera vécue par le chirurgien comme un nouvel échec.

Au niveau de l'abdomen, un syndrome hémorragique, une péritonite postopératoire


pourront nécessiter une reprise chirurgicale avec le risque majeur d'éviscération et de fistule
amenant à discuter d'une laparotomie dont on connaît l'exceptionnelle gravité sur ce terrain.

Les lésions thoraciques et respiratoires peuvent amener à réaliser une trachéotomie,


une thoracotomie d'hémostase ou de pneumostase.

309
Enfin, les complications intracrâniennes sont dominées par l'œdème cérébral et
l'hématome sous-dural.

Le scanner, qui doit être systématique, permettra de différencier ces deux lésions
devant toute altération de l'état neurologique détectée lors de la surveillance.

Complications de la réanimation
Elles sont sur ce terrain particulièrement fréquentes, en raison de la gravité des lésions
initiales et de la lourdeur de la réanimation.

Les complications respiratoires à type d'œdème lésionnel, infectieux ou post-


transfusionnel, sont très fréquentes, ainsi que le syndrome de détresse respiratoire de l'adulte.

Les coagulopathies sont liées, en particulier, aux transfusions massives et à l'état de


choc.

L'anurie de choc, l'insuffisance rénale d'origine multifactorielle, guettent bien entendu


ce type de blessés.

Les complications digestives liées au stress et à la réanimation prolongée pourront à


l'occasion relever d'un nouveau geste chirurgical.

Enfin, les complications septiques de tous ordres pourront entraîner une défaillance
multiviscérale, mettant parfois un terme à plusieurs semaines de soins intensifs.

Bien souvent on se trouve pris dans une véritable « spirale infernale » de traitements
et de complications itératives.

Séquelles
Les résultats d'une enquête épidémiologique menée par l'INSERM montrant qu'il
existait des séquelles graves (entravant les activités de la vie quotidienne) chez une victime
sur deux n'ont rien de surprenant. Dans 75 % des cas, les victimes ont déclaré que l'attentat
avait bouleversé leur vie.

Les séquelles respiratoires et digestives n'ont rien de très particulier mais elles sont
particulièrement fréquentes.

Les séquelles neurosensorielles sont multiples : surdité, cécité, déficits moteur,


épilepsies post-traumatiques et syndrome des traumatisés crâniens.

Les séquelles motrices sont présentes à l'esprit de tous. Ce sont les raideurs et les cals
vicieux, les foyers septiques osseux et articulaires qui feront l'objet d'interventions
orthopédiques secondaires itératives. Les moignons d'amputation nécessiteront souvent des
retouches chirurgicales et des greffes pour améliorer l'appareillage. Le syndrome du membre
fantôme pose parfois des problèmes difficiles.

Les séquelles plastiques relèvent d'un traitement propre et spécialisé de chirurgie


réparatrice.

310
Toute blessure est susceptible de laisser des séquelles, dont les plus sévères sont dues
aux brûlures, en particulier par la longueur et le caractère particulièrement astreignant de leur
traitement qui vont ajouter aux séquelles psychiques sur lesquelles je voudrais insister
maintenant.

Ce ne sont pas les moindres. Elles sont de plusieurs types. La névrose post-
traumatique survient volontiers après un temps de latence ou de maturation de plusieurs
semaines ou mois et se caractérise par un constant état d'alerte, un syndrome de répétition où
le blessé revit dans ses cauchemars la situation traumatique. Les symptômes de conversion, la
sinistrose, les revendications paranoïaques majorent volontiers les séquelles réelles qui n'ont
pas ou mal été indemnisées et qui retardent la réinsertion de ces blessés. Tous ces troubles
psychiques ont motivé, à Paris, la création d'une structure de soutien psychologique des
victimes d'attentat, qui intervient immédiatement sur le lieu même de l'attentat, au sein du
SAMU, et qui assure un suivi à long terme.

Prévention des séquelles


La prévention de ces troubles passe par une évaluation juste et une réparation rapide
du préjudice, facteurs dont on n'avait pas forcément conscience.

N'a-t-il pas fallu en effet que ce soit sous l'impulsion d'une paraplégique que se crée
une association des victimes d'attentats qui a abouti le 9 septembre 1986 à l'adoption par
l'Assemblée nationale d'une loi proposée par le gouvernement prévoyant l'indemnisation des
dommages corporels et matériels résultant d'actes de terrorisme et d'attentats par un système
reposant sur le mécanisme de l'assurance ?

Là est peut-être une modification du regard que porte la société sur ces blessés. Il ne
faut plus que ce blessé anonyme, qui a donné tant de soucis à la période initiale, reste une
victime anonyme souvent délaissée au stade des séquelles
.

Conclusion
« Un être qui s'habitue à tout, voilà la meilleure définition de l'homme » a pu dire
Dostoïevski.

De fait, le terrorisme est une réalité incontournable à laquelle la société doit faire face.
Il revient bien sûr aux responsables politiques de lutter contre lui. Pour les citoyens des villes,
l'observation de règles de sécurité parfois contraignantes, l'acquisition de nouveaux réflexes
de prudence, sont devenues une nécessité. Pour les responsables des secours, il a fallu mettre
au point une organisation et une coordination entre tous les intervenants permettant d'apporter
très rapidement et le plus efficacement possible les soins aux blessés. Cette riposte adaptée
rassure la population. Elle reste une des meilleures parades aux objectifs terroristes.

Enfin, pour les médecins et les chirurgiens, le concept de nouveaux blessés


gravissimes fait que l'on ne peut plus se contenter du ramassage et de l'évacuation sauvage.
Au contraire, il faut disposer d'une réanimation préhospitalière sophistiquée qui permet
d'amener le blessé vivant à l'hôpital.

Là, une structure multidisciplinaire est la seule apte à faire face aux lésions de ces
polyblessés. Paradoxalement, la spécialisation des services chirurgicaux dans les hôpitaux des

311
grandes villes ne leur permet pas d'accepter n'importe quel type de blessé. Les formations
multidisciplinaires sont ici les plus performantes mais, même une équipe extrêmement bien
organisée, compétente et disposant de tout le matériel, peut être prise en défaut. En effet, des
blessés graves continuent de mourir au sein de l'hôpital. Il nous faut donc rester humble, et
toujours tenter d'imaginer de nouvelles méthodes thérapeutiques et d'améliorer l'organisation
des soins que l'on se doit d'apporter aux victimes d'attentats.

312
Blessés graves de guerre
Individualisation et principes
de prise en charge

P. HOUDELETTE

La « chirurgie de la violence »

Nous allons tenter ici de préciser les particularités de la prise en charge médicale et
logistique des blessés graves de guerre en soulignant, au passage, l'évolution progressive des
circonstances des conflits, souvent de plus en plus urbanisés, et des conditions tactiques et
techniques, réelles ou souhaitables, de ce que Livingston appelle de façon plus générale la «
chirurgie de la violence ».

Ces blessés graves, dont nous esquisserons une nosologie, ne peuvent survivre que si
se trouvent réunis des moyens et des compétences logistiques et médico-chirurgicales de haut
niveau. C' est dire que leur existence est rapidement compromise en situation précaire.
Toutefois, l'analyse des contraintes qu'ils posent esquisse les contours d'une évolution dans
certains conflits ou certaines situations civiles récentes ou actuelles, et désignent des défis
pour l'avenir.

La « part du feu »
« Pour un médecin, écrivait J.-P. Meyrueis, se battre c'est soigner les blessés. »

Comment statistiquement se répartissent les atteintes anatomiques ? Les données du


conflit vietnamien, considérées comme classiques, permettent de relever :

- 20 % de blessés multiples ;
- 14 % d'atteintes de tête-cou-face ;
- 12 % de plaies d'abdomen-thorax ;
- 54 % de plaies des membres dont 36 % pour les membres inférieurs seuls.

Cette prédominance des plaies des membres explique le grand nombre des blessés que
l'on doit prendre en charge au stade de séquelles. Ces statistiques rendent compte en revanche
du « gommage » des victimes les plus graves, précocement décédées, qui ont longtemps et
avec un peu de fatalisme constitué la « part du feu », les « non-arrivés vivants » à l'échelon
chirurgical, simplifiant de fait la tâche du réanimateur et du chirurgien.

Parmi ces blessés, nous allons donc décrire la prise en charge des plus graves, ceux
qui ont souvent fait et font parfois encore les frais de la non-médicalisation et des délais
imposés par la logistique. Ces blessés, les plus difficiles à prendre en charge, étaient bien

313
souvent abandonnés au profit du plus grand nombre, et ce sont ceux qui posent actuellement
les plus grands défis aux réanimateurs.

Hardaway avait montré en 1978 que quand l'intervalle entre une blessure grave et
l'hospitalisation dépasse 10 h la mortalité peut atteindre 75 % des blessés relevés vivants. On
retrouve là la notion d'importance vitale des premières heures : les golden hours de la
traumatologie routière.

Aspects étiologiques. Évolution des conflits


Notre époque, avec ses moyens techniques chirurgicaux et la possibilité de les
transporter rapidement en n'importe quel point du globe terrestre, n'est-elle pas propice à de
nouvelles conceptions de la chirurgie de guerre, notamment dans ses prétentions et ses
prestations techniques ? « Le réalisme, a écrit G. Gillibœuf, s'acquiert surtout dans l'étude
approfondie du présent et dans l'analyse intuitive de l'avenir. »

Les conflits récents ont en effet précisé certains visages particuliers de la chirurgie de
guerre actuelle : pour rester didactique, nous décrirons la prise en charge de ces blessés dans
ces grandes lignes, sans entrer dans les détails.

La première silhouette qui se dessine est celle d'un champ de bataille, d'apparence
classique, mais dans lequel on peut constater l'efficacité de la guerre moderne, avec ses
conceptions de « guerre automatisée », fondée sur l'électronique des capteurs ou de
l'observation par satellite et « traitant » le terrain avec des armes déflagrantes qui témoignent
de l'imagination des concepteurs : bombes aériennes (à fragmentation à sous-munitions :
cluster bombs, projectiles guidés par laser), missiles balistiques ou tactiques, bombes et obus
antipersonnel (Shrapnells de jadis, bombes à billes actuelles, parfois radiotransparentes pour
compliquer ultérieurement les soins), mines et grenades diverses.

Toutes les analyses démontrent que plus un conflit est « moderne », plus s'accroît le
pourcentage de plaies par éclats : Première Guerre mondiale : 35,3 % ; Seconde Guerre
mondiale : de 70,9 % (Europe) à 83,1 % (Méditerranée) ; Corée : 85 % ; Viêt-Nam : 76 %
(caractère « mixte » du conflit). Pendant la guerre israélo-arabe de 1973 (Yom Kippour),
environ 63 % des soldats blessés le furent par des munitions à fragmentation : 40 % par obus,
10 % par bombes d'avion, 3 % par mines et grenades, pour 15 % du fait des armes légères.

Ce concept de l'Air Land Battle de Morelli et Don Starry de 1981 a trouvé son
application optimale dans le conflit ONU-Irak. Dans la récente opération Tempête du désert,
le déroulement de l'action explique le très faible pourcentage dans les deux camps de
blessures par arme individuelle. La nouveauté de ce conflit où, comme le souligne Ph. Turpin
« le poids des armes l'a emporté sur celui des effectifs », a été « la révélation des armes
intelligentes », puisqu'il a pu être réglé au prix d'un emploi massif d'armes déflagrantes
guidées : près de 300 missiles de croisières Tomahawk à charge conventionnelle, environ 4
000 armes guidées laser, pour l'essentiel des bombes, dont une bonne partie tirée par le
chasseur-bombardier furtif F 117 A, plus de 1 000 missiles antiradar, en grande majorité des
Harm, plus de 5 000 missiles air-sol Maverick de divers types, environ 8 000 missiles
antichar.

Cette pratique guerrière évite la confrontation d'homme à homme et recherche


l'efficacité destructrice. L'automatisation de la guerre « classique » peut aboutir à des taux de

314
pertes humaines avoisinant celles que pouvaient provoquer des bombes nucléaires tactiques
et, sur le plan sanitaire, à une massification des urgences. Elle génère les blessés les plus
difficiles à prendre en charge, que nous allons maintenant décrire.

Ces blessés « complexes » sont aussi les victimes des blindés comme l'a démontré la
guerre du Sinaï en 1973, celles des explosions sur les navires de guerre.

Catastrophes et attentats de temps de paix (conflit d'Irlande du Nord, gare de Bologne


en 1980, Paris en 1986 et 1995, Oklahoma City en 1995, etc.) en permettent l'approche civile
régulière.

En situation de guerre, la prise en charge de ces blessés va à rencontre des conceptions


classiques du triage et du rendement opératoire (on admet comme ordre de grandeur qu'en 24
h une équipe médico-chirurgicale peut traiter 15 à 25 blessés d'extrême ou de première
urgence, qu'en 1 h un chirurgien traiterait au choix un abdomen ou un thorax ou deux
fractures diaphysaires ouvertes ou quatre plaies des parties molles). En effet, leur prise en
charge ne consiste pas en un acte salvateur opératoire unique, mais nécessite la mise en œuvre
d'une équipe pluridisciplinaire, de moyens techniques de réanimation lourde pour une
séquence de soins de longue haleine.

Ainsi, schématiquement, dans ce premier aspect de son activité, le chirurgien devra


prendre en charge des polyblessés lourds, ramassés depuis peu sur le champ de bataille, dans
les conditions techniques précaires de la chirurgie sous tentes.

En fait, il faut tenir compte de l'évolution des blessures : « La grande majorité des
blessures subies dans les guerres modernes est due aux munitions à fragmentation et la
plupart d'entre elles résultent des fragments eux-mêmes plus que des effets de souffle ou
incendiaires».

Le deuxième visage de la guerre contemporaine est celui d'une traditionnelle guerre «


d'homme à homme » privilégiant l'emploi des armes individuelles légères (small arms).

Le chirurgien sera donc confronté à des lésions par projectiles, dans leurs
configurations balistiques les plus complexes. La survie de ce type de blessés dépend avant
tout de l'acte opératoire. La difficulté de leur prise en charge chirurgicale naît de l'urgence
(collapsus, interventions « de sauvetage », voire « de ressuscitation »), de problèmes
techniques inhabituels et des régions anatomiques concernées (« confins », atteintes
multiples, trajets complexes, gros vaisseaux profonds, etc.).

Autrefois, ces blessés n'apparaissaient pas dans les statistiques chirurgicales de «


grande guerre ».

Deux questions méritent d'être posées :

- la survie de ces blessés est-elle possible techniquement ?


- est-elle accomplie dans certaines conditions de conflits armés ?

Certes « les armes n'ont jamais fait bon ménage avec la chair humaine » nous dit
l'historien anglais John Keegan dans son livre Anatomie de la bataille mais, comme le
souligne V. Graberek du Service de Santé allemand, « en comparant les taux de mortalité du

315
passé avec ceux des campagnes les plus récentes, chacun s'accordera à constater que le
pouvoir destructeur croissant des projectiles a été plus que contrebalancé par les progrès
réalisés depuis A. Paré dans les soins prodigués aux blessés ».

Si la létalité des armes déflagrantes dont souffrent au premier rang peut-être les
populations civiles, otages des guerres, reste inévitable, la survie des blessures les plus graves
par armes individuelles reste possible, comme l'a démontré notamment l'expérience
chirurgicale balistique nord-américaine. Ce home front - ce front à domicile - puisque les 30
000 morts et 300 000 blessures annuelles par projectiles aux États-Unis sont l'équivalent des
pertes américaines au combat pendant la guerre du Viêt-Nam de 1965 à 1972, est à l'origine
d'une expérience de la prise en charge des lésions balistiques encore inégalée et d'une portée
pédagogique exceptionnelle pour le chirurgien d'armée.

Nous ne reprendrons pas le détail de ces études dont l'intérêt dépasse tout ce qui avait
été publié jusque-là, mais soulignerons la qualité des résultats obtenus et évoquerons quelques
modalités thérapeutiques devenues monnaie courante, voire véritables doctrines dans les
trauma centers : thoracotomies expéditives de ressuscitation, usage de la CEC en
hémodilution, autotransfusion de routine et tactiques opératoires des plus hardies, notamment
dans les plaies vasculaires médiastinales, aux plus rustiques en réhabilitant le tamponnement
des plaies hémorragiques abdominales. Nous aborderons également la tactique en deux temps
(le damage controï).

Ce savoir-faire, même s'il reste impuissant face à certaines lésions gravissimes, est
d'un grand intérêt technique. En effet, la chirurgie de guerre, si elle est le plus souvent une
chirurgie « faite dans de mauvaises conditions », rejoint parfois dans ses résultats ceux de la
chirurgie de la violence civile nord-américaine.

La seconde question posée était : la survie des blessés les plus graves est-elle possible
dans certaines situations de guerre ?

La guerre du Viêt-Nam déjà, au cours de laquelle certains blessés avaient pu être


évacués rapidement par hélicoptère vers des centres spécialisés, avait vu apparaître dans ses
statistiques des lésions « inédites » en ce domaine (plaie des carotides notamment).

Les guerres urbaines, comme celle de Beyrouth avec son infrastructure sanitaire, et
qui a fourni pendant 15 ans un terrain d'observation de la prise en charge précoce des blessés,
sont aussi riches d'expérience.

La série personnelle de A.T. Zakharia - qui à Beyrouth traita, de 1969 à 1982, 3 000
blessés thoraciques et cardio-vasculaires comportant notamment 285 plaies du cœur (avec 73
% de survie), plus de 1 700 plaies thoraciques (avec 55 % d'interventions et 310 résections
pulmonaires réglées) et 1 008 blessures vasculaires périphériques dont 50 % (504 cas) au
niveau de l'axe fémoro-poplité -, montre bien que l'on est loin des statistiques lésionnelles des
conflits précédents.

De la Seconde Guerre mondiale à nos jours, avec la « guerre des rats » - la


Ratîenkrieg - de Stalingrad, les bombardements d'Hiroshima et Nagasaki, la guerre civile
raciale type Los Angeles et la guerre de siège type Sarajevo, on constate de plus en plus une
urbanisation des conflits, faisant passer la guerre des champs avec safield surgery à la guerre
des villes. Tel est le scénario probable des guerres du futur, puisqu'en l'an 2000 75 % des

316
habitants de la planète habiteront dans les grandes mégalopoles. Qui plus est, les guerres
modernes aéroportées et leur absence de front feraient des grandes villes de « l'arrière » le
soutien médical des champs de bataille, faisant probablement augmenter l'activité hospitalière
de guerre dans les structures sanitaires du temps de paix.

Cadres sémantiques et essai nosologique


D'un point de vue pédagogique et thérapeutique, ces blessés graves de guerre peuvent
être (sans que les éléments de la classification soient exhaustifs) répartis en trois groupes :

Blessés graves par risque hémorragique majeur : nous insisterons peu sur
les lésions des axes vasculaires des membres que l'analyse classique sépare en « garrottables
» (c'est-à-dire contrôlables ou maîtrisables par un pansement compressif) et « non garrottables
» représentées par les atteintes des racines des membres pour lesquelles, si le saignement
contenu procure parfois quelques délais, seule une prise en charge thérapeutique rapide -
associant correction du choc hémorragique et hémostase opératoire par une voie large
permettant le contrôle de l'axe artériel en amont de la lésion - permettra la survie.

Nous insisterons en revanche davantage sur les blessés thoraco-abdominaux


hémorragiques qui défient d'une part le réanimateur par les problèmes de remplissage et les
conséquences des transfusions majeures, d'autre part le chirurgien par les difficultés
techniques de l'hémostase.

II s'agit essentiellement de lésions des grands axes vasculaires thoraco-


abdominaux, des lésions hémorragiques d'organes pleins (foie essentiellement) et des
délabrements rétro- ou sous-péritonéaux.

En 1991, Burch et Mattox ont signalé, par ordre décroissant des atteintes : la veine
cave inférieure, les artères iliaques, les gros vaisseaux splanchniques, les artères rénales,
l'aorte, les autres vaisseaux, puis le cœur ; parmi les organes solides, le foie (une fois sur
deux) puis le rein, le pancréas et la rate ; enfin, les fractures ouvertes du pelvis (une fois
sur vingt mais mortelles une fois sur deux).

Les blessés en état critique tels que ceux présentant une plaie du foie grade V ou
des lésions vasculaires abdominales multiples peuvent nécessiter des transfusions de 20 à
40 unités par heure. Les problèmes de réanimation sont ceux de l'hémorragie massive :
décès pré- ou per-opératoire par exsanguination, syndrome de polytransfusion avec sa «
triade létale » (hypothermie, acidose, coagulopathie) cercle vicieux auto-aggravé par la
persistance du saignement et les efforts de compensation, aboutissant à l'arythmie
ventriculaire et au décès rapide.

Le chirurgien peut, face à ces situations, être amené à choisir une tactique
inhabituelle substituée à la procédure traditionnelle d'hémostase et de réparation idéales ;
bien souvent il faut privilégier la brièveté de l'intervention, en assurant une hémostase
rapide même si elle reste rustique, comme par des tamponnements par exemple.

Le deuxième cadre nosologique est la blessure complexe, dont l'exemple type est
la blessure unique, par projectile, avec lésions viscérales multiples, ayant des

317
conséquences différentes (hémorragiques, infectieuses, respiratoires) et posant des
problèmes complexes d'abord et de tactique opératoire.

Telles sont notamment les plaies des régions frontières, cervico-thoraciques,


thoraco-abdominales, abdomino-pelvi-fessières auxquelles le chirurgien de paix est peu
préparé : les séries nord-américaines des trauma centers, là encore, se révèlent
particulièrement intéressantes. C'est pour la prise en charge de ce type de blessés
notamment que la formation généraliste du chirurgien est essentielle.

Le troisième grand groupe de blessés est celui des blessés complexes. « Inventions
» de la réanimation moderne à laquelle ils doivent leur éventuelle survie, ce sont les
polytraumatisés, polyblessés et polyagressés que les agents vulnérants et les lésions
permettent d'individualiser.

Le polytraumatisé associe lésions fermées viscérales, crâniennes, thoraciques et


abdominales à des atteintes des membres, le plus souvent par un mécanisme de contusions
multiples. Soulignons que 20 % des blessés de guerre le sont par accident et non par arme.

Le polyblessé présente des blessures multiples dues à un même type d'agent agressant
(éclats ou projectiles d'armes automatiques).

Le polyagressé cumule les atteintes de plusieurs facteurs d'agression simultanés :


certes plaie, criblage, contusion par choc ou projection, avulsion tissulaire, amputation
traumatique, mais aussi brûlure, blast, syndrome d'écrasement (crush syndrome), voire
intoxications (CO dû à la combustion du napalm ; phosphore blanc des armes incendiaires
avec son risque hématologique et hépatorénal).

Le plus typique de ce polyagressé est le 3 B ou BBB, « blessé, brûlé, blasté », qui se


rencontre surtout après des explosions notamment en milieu clos. D'autres types de
polyagressés sont, en situation de conflit, le blessé par mine qui peut présenter un
arrachement distal du membre inférieur, et être criblé et blasté ; en situation de paix, il peut
s'agir d'un enseveli sous avalanche qui peut être gelé, comprimé, asphyxié ; en cas de
déflagration d'arme nucléaire il y aurait une véritable épidémie de victimes contuses, blessées,
brûlées, blastées, irradiées et contaminées.

Prise en charge sanitaire des blessés graves


Chez ces blessés en « urgence absolue », une réanimation précoce, lourde, continue,
des soins multidisciplinaires avec prééminence du couple réanimateur-chirurgiens, sont
impératifs pour leur survie.

Nous l'avons vu, les conceptions classiques du triage et du rendement opératoire avec
leurs taux horaires et quotidiens sont ici sans valeur.

Sur le plan de l'organisation logistique, ces blessés graves sont les « parents pauvres »
de la doctrine sanitaire classique avec sa caractéristique fondamentale de prise en charge
échelonnée de l'avant vers l'arrière, compromis efficace, soulignons-le, entre d'une part les
nécessités de la conduite des combats et les impératifs sanitaires (répondant à la nécessité de
« désencombrer l'avant » et de traiter en zone sûre, le Service de Santé étant le seul service en

318
temps de guerre à fonctionner de l'avant vers l'arrière) et d'autre part le grand nombre de bles-
sés à secourir avec des moyens de soins limités. Avec ce type d'organisation apparaissent, en
zone de combat, des sections de ramassage, assurant les premiers soins et amenant les blessés
au poste de secours, une « petite noria » de l'avant les transportant aux sections de triage
situées à 20-30 km vers l'arrière chargées de leur enregistrement, leur catégorisation (triage)
et leur mise en condition (réalisant ainsi la règle des 3 E « étiqueter, emballer, expédier ») ; la
« grande noria » réalisant leur évacuation soit sur les hôpitaux mobiles de compagnes (HMC)
accueillant les blessés en urgence absolue (extrêmes urgences + premières urgences devant
être opérées avant 6 h) soit vers les hôpitaux d'infrastructure.

Mignon, chirurgien militaire du premier conflit mondial, remarquait déjà avec justesse
que le triage ne remplit pas son objectif essentiel si les blessés à opérer d'urgence ne le sont
pas. Seul un sort particulier, dérogatoire de cette doctrine, pourrait - le conditionnel s'impose
car, après l'enjeu logistique, l'enjeu médico-chirurgical reste entier et aléatoire - permettre la
survie des blessés les plus graves.

Dans le passé, on avait déjà signalé l'existence de ces situations exceptionnelles bien
différentes de celles des derniers conflits mondiaux avec sa chirurgie sous tente.
L'organisation sanitaire américaine au cours du conflit vietnamien est restée la référence de
toutes les réflexions. Citons, en un résumé très idéalisé : médicalisation des premiers soins,
disparition du triage préalable à l'évacuation (concept « tous ramassés, tous évacués, tous
traités »), disponibilité tactique de l'hélicoptère et autonomie logistique du Service de Santé,
triage à l'arrivée à la structure sanitaire de l'avant (« hôpital de combat ») en deux groupes, les
« instables prioritaires » et les « blessés stabilisés », et évacuation secondaire sur des centres
hautement qualifiés. Les péripéties de ce conflit (ni bataille « en ligne », ni guerre de
mouvement), le contrôle permanent de l'espace aérien, le suréquipement technique en font un
conflit de nature exceptionnelle, mais l'expérience acquise en fait un modèle d'étude et
d'application.

En dehors des guerres proprement dites, nous avons souligné que, de plus en plus
fréquemment, on peut être amené à prendre rapidement en charge des blessés des combats
urbains ou périurbains dans les grands centres hospitaliers des villes, avec des possibilités
médico-chirurgicales proches de celles du temps de paix ; à Beyrouth, pendant les 15 années
de guerre, la qualité des soins avait presque rejoint celle des trauma centers nord-américains.

Il devient donc possible d'individualiser un certain nombre d'éléments nouveaux ou


souhaitables dont pourraient bénéficier les plus urgents des blessés : la médicalisation de
l'avant, le prétriage dès le poste de secours ; l'importance des liaisons radio et la régulation du
ramassage ; le transport primaire héliporté ultrarapide avec réanimation en vol et choix
possible de la destination vers l'hôpital le plus proche et le plus adapté (on a parlé de « SAMU
de l'avant ») ; l'accroissement des possibilités opératoires, chaque fois que possible, dans les
structures chirurgicales les plus avancées (concept de la « chirurgicalisation de l'avant »,
difficile à mettre en place) ; l'affranchissement du triage (qui, dans les conditions précédentes,
ne représenterait qu'une perte de temps), avec apparition de circuits courts ou directs pour les
extrêmes urgences. Tout cela suppose également la possibilité de recourir rapidement et en
continu à des méthodes modernes de réanimation, à des chirurgiens suffisamment formés
capables des abords les plus variés et connaissant les tactiques opératoires les plus pertinentes
et à des équipes médico-chirurgicales en nombre suffisant car « le chirurgien, dit Neidhart, est
un artisan à faible rendement ».

319
Par-delà la planification, la puissance logistique, la compétence des équipes
médico-chirurgicales, les circonstances dicteront le choix des grandes lignes de la
méthode de prise en charge des blessés les plus urgents, en recourant à trois conceptions
schématique:

- la doctrine « ramasser et courir » (scoop and ruri), qui privilégie la rapidité du


transport à la qualité des soins (avec le risque de « relever un blessé, transporter un
agonisant et hospitaliser un mort ») ;
- la médicalisation et la chirurgicalisation de l'avant, qui se veut un idéal. Si
l'importance des premiers soins est incontestable, la possibilité de mise en œuvre de
structures chirurgicales de proximité est soumise aux contraintes militaires des conflits ;
-la médicalisation de l'avant permettant la survie des blessés aux troubles
physiopathologiques graves mais accessibles aux moyens simples, associée à un prétriage
permettant tout à la fois l'orientation privilégiée des plus urgents vers le centre chirurgical
le plus proche et l'évacuation plus lointaine des plus légers évitant l'engorgement de celui-
ci. Il s'agit là d'un moyen terme plus adaptable aux différentes situations, une « chaîne
santé » plus souple mais moins rigoureuse.

Modalités modernes de prise en charge médico-chirurgicale des


blessés graves
À l'heure où l'évaluation médico-chirurgicale prend de plus en plus d'importance
dans la prise en charge des blessés, une double perspective s'impose et oriente la
démarche mentale du praticien qui doit successivement « penser en réanimateur » puis «
penser en chirurgien ».

Le bilan des grandes fonctions dépiste les risques vitaux immédiats et détermine
les gestes urgents de réanimation : prise en charge d'une détresse respiratoire (liberté des
voies aériennes supérieures, assurer une ventilation correcte), circulatoire (contrôle des
hémorragies externes ou internes, d'un choc traumatique qui doit systématiquement être
prévenu, d'une tamponnade cardiaque éventuellement par péricardiocentèse et
plasmorragie des brûlures) et neurologique (levée d'un hématome intracrânien, lutte
contre l'œdème cérébral dans les plaies cranio-encéphaliques).

La prise en charge chirurgicale concerne initialement le bilan traumatique. Face à


une lésion balistique, la reconstitution mentale du trajet du projectile entre orifices
d'entrée et de sortie (ou la localisation radiologique d'un corps étranger non transfixiant)
est la base du bilan lésionnel viscéral permettant de séparer des atteintes viscérales ou
tissulaires certaines, probables ou possibles, et de là de décider de l'option chirurgicale. Si
les lésions sont multiples, elles doivent être hiérarchisées.

Au terme de ce bilan initial, qui doit être répété, deux notions guident la marche à
suivre : sur le plan physiopathologique, la détermination du trouble prioritaire ; sur le plan
anatomique, celle de la lésion dominante, la plus urgente.

Décider d'opérer ces blessés incombe à la fois au réanimateur et au chirurgien. Il s'agit


avant tout d'une chirurgie de nécessité absolue, d'une « chirurgie de réanimation » qui seule
permettra de sauver le blessé : chirurgie d'hémostase, de viscérostase (permettant le contrôle

320
rapide des plaies des viscères aux abdominaux), d'amputation, de fermeture de la paroi
thoracique, d'une chirurgie limitée au traitement des lésions vitales à haut risque.

Face à des lésions multiples, l'approche « traditionnelle » privilégie les interventions


simultanées, en un temps, par plusieurs équipes spécialisées, ou des interventions successives
en un temps par la même équipe. Chez des polytraumatisés par accidents de la voie publique,
ce principe d'un traitement urgent et complet en un temps s'était avéré discutable, certains
blessés succombant avant la fin de l'intervention.

En chirurgie de guerre, les possibilités techniques limitées ont bien souvent fait
préférer, par nécessité et non par choix tactique, un traitement immédiat des lésions vitales,
les autres lésions (face, membres) ne faisant l'objet que de mesures conservatoires.

À propos de leur expérience acquise pendant le conflit vietnamien, G.B. Westley et


D.P. Prabhakar, chirurgiens nord-américains d'un MUST (Médical Unit Self-contained
Transportable : hôpital de l'avant semi-mobile) avaient déjà noté « la tendance à "y aller"
jusqu'à ce que tous les gestes nécessaires aient été effectués » et les limites de cette attitude :
« Estimer quand un patient "en a eu assez" demande beaucoup d'expérience et de jugement et
a souvent sauvé des vies ».

Face à cette « approche traditionnelle » d'une chirurgie notamment viscérale


abdominale complète (le « tout en un temps ») et à ses limites liées aux décès peropératoires
ou post-opératoires précoces par hémorragie incontrôlable ou apparition de la triade
métabolique hypothermie-acidose-coagulopathie, de sombre pronostic, certains ont proposé
une attitude différente née de l'expérience civile nord-américaine. Cette attitude prônait une
laparotomie abrégée (an abbreviate laparotomy) comportant la réalisation des seuls gestes ne
pouvant être différés sur le plan fonctionnel ou vital : plaies vasculaires à l'origine
d'hémorragie ou d'ischémie, lésions hémorragiques viscérales thoraco-abdominales.

Inventée en 1983 par Harlan Stone, puis théorisée par M.F. Rotondo sous le nom de
damage control, cette laparotomie abrégée comporte trois temps. Dans le premier, qui doit
être le plus rapide possible, s'effectue le contrôle chirurgical de l'hémostase et de la
contamination, les réparations définitives étant différées et la laparotomie refermée de façon
simplifiée et temporaire.

Citons quelques-unes de ces techniques « non orthodoxes » de contrôle viscéro-


vasculaire. Vis-à-vis des organes pleins, le packing se trouve réhabilité : exceptionnellement
packing des quatre quadrants, le plus souvent packing périhépatique, parfois rétropéritonéal
ou pelvien, voire rétro- ou sus-hépatique (pour une plaie de la veine cave inférieure rétro
hépatique ou une lésion veineuse sus-hépatique). Les plaies des organes creux doivent être
contrôlées soit par ligatures intestinales soit par agrafage aux pinces de viscérosynthèse, sans
rétablissement de la continuité digestive. Vis-à-vis des axes vasculaires, certaines procédures
traditionnelles sont souvent incontournables, avec parfois mise en place de shunts temporaires
artériels ; exceptionnellement, et avec un pronostic fâcheux, des clamps peuvent être laissés
temporairement en place (aorte, axes iliaques). Une hémostase salvatrice a parfois pu être
obtenue par le ballonnet gonflé d'une sonde de Foley glissée par un trajet de projectile
(notamment dans les plaies transfixiantes du bassin) ou en per-opératoire vers des zones peu
accessibles (carotide interne haute par exemple). Au niveau pariétal, la fermeture cutanée est
seule réalisée par des pinces à champ placées tous les centimètres, et actuellement par un
surjet de gros fil monobrin non résorbable. Le deuxième temps est consacré à une réanimation

321
intensive comportant le réchauffage, la correction de la coagulopathie, l'amélioration des
constantes hémodynamiques et respiratoires, et doit être efficace en moins de 48 h. Dans un
troisième temps, une ré intervention permet le traitement définitif des lésions intra-
abdominales.

Décider d'une telle tactique n'est pas toujours facile. La décision doit être rapide avant
qu'une hémorragie massive ne nécessite une transfusion massive. Féliciano retient comme
critère la présence d'une ou plusieurs lésions vasculaires associées à deux ou plusieurs lésions
viscérales d'organes pleins ou creux, en sachant que la lésion d'un organe plein, avant tout le
foie, est capable d'entraîner un saignement équivalent à celui d'un axe vasculaire.

Cette tactique de contrôle lésionnel (damage control) électivement utilisée sur les
lésions hépatiques et rétropéritonéales, permettrait de faire passer la survie de ces blessés de
11 à 77 %.

Recourir à cette tactique en chirurgie de guerre, ce qui a été le cas de façon limitée à
Sarajevo (J.-M. Andreu - groupement médico-chirurgical), n'est pas sans soulever des
problèmes complexes : maintien des blessés dans la structure chirurgicale initiale, nécessité
d'une réanimation lourde, choix du moment de l'évacuation et complexité médicale de la prise
en charge médicalisée.

Conclusion
Les chances de survie des blessés graves dépendent essentiellement de l'organisation,
des mesures d'urgence, des possibilités d'évacuation et d'une façon plus globale de
l'efficacité et de la flexibilité du dispositif sanitaire.

Il est évident qu'existé, théoriquement et bien souvent en pratique, une


incompatibilité entre le concept d'urgence collective (Pirogoff disait de la guerre qu'elle
est « une épidémie de traumatisme ») et la prise en charge individuelle du blessé grave de
guerre qui ne peut le plus souvent survivre que s'il est pris en charge de façon prioritaire.

Soulignons, mais nous avons dans ce chapitre choisi une perspective différente,
qu'en temps de guerre les soins optimaux ne peuvent être procurés à chacun, et que c'est à
la sauvegarde du plus grand nombre que s'adressent nos efforts. Ce concept garde toute sa
valeur mais il ne justifie en aucun cas de se contenter de moyens rustiques dans la
logistique sanitaire et la formation du personnel. À la guerre, ce serait faire trop belle la «
part du feu ».

Dans une civilisation qui n'accepte qu'un risque limité - n'oublions pas la notion
moderne du conflit « zéro mort » - la volonté de prise en charge des blessés les plus
gravement atteints devient légitime. Véritable défi, elle impose aux équipes d'anesthésie-
réanimation et de chirurgie des efforts majeurs : d'actualisation des connaissances,
d'entraînement, de pédagogie, d'évaluation sur le plan des personnels, de prévision et de
mise au point logistique.

322
Plaies de l'abdomen
Traitement chirurgical
en situation de précarité

C. DUMURGIER

Si le traitement chirurgical des plaies de l'abdomen h est plus discuté en cette fin de
e
XX siècle, les conditions de précarité vont influer sur la prise en charge des blessés, sur les
techniques chirurgicales proposées, sur les résultats.

La chirurgie est une partie de la médecine, dont le but est la guérison par des moyens
physiques, mains et instruments. Aussi, les techniques chirurgicales devraient pouvoir être
employées avec succès dans les situations les plus précaires.

Il n’en est rien pour deux raisons :

• la première est liée aux progrès de la chirurgie moderne qui sont tels que la réussite
d'une intervention donnée ne dépend plus seulement du talent opératoire ou du discernement
des seuls chirurgiens mais de plus en plus :
• de la mise au point de nouvelles technologies,
• des progrès immenses de l'anesthésie-réanimation qui ont transformé les soins pré-,
per- et post-opératoires, facilitant l'acte opératoire, voire autorisant des interventions
autrefois impossibles, mais nécessitant des moyens matériels considérables, d'autant plus
fragiles que performants,
• de la constitution d'équipes soignantes très homogènes, tant au bloc opératoire que
dans les unités de soins intensifs ;
• la seconde a trait aux stratégies de développement sanitaire, avec les orientations et
les recommandations des grands organismes qui restent pratiquement muets sur le rôle du
chirurgien dans le développement de la santé. Tout se passe comme si la chirurgie moderne,
dont bénéficient les pays industrialisés, est un produit d'exportation de luxe, auquel ne
peuvent prétendre les pays pauvres. Ainsi, à la conférence d'Alma-Ata (1978) organisée par
l'OMS et l'UNICEF, pas une discussion, pas une recommandation n'a intéressé la chirurgie :
la priorité a été donnée aux soins de santé primaires. À côté d'avantages plus théoriques que
réels, les inconvénients ne furent pas longs à apparaître sur le terrain :
• la notion de soins de santé primaires risque d'occulter les autres niveaux
d'intervention (secondaires et tertiaires),
• les soins de santé primaires peuvent être dispensés assez facilement dans un village
de brousse, au sein d'une communauté villageoise, par des agents de santé villageois. Mais,
du fait de l'urbanisation galopante (Tab. 16.1) avec ses transferts de population, la
déstructuration sociale, culturelle, familiale, on ne peut prétendre améliorer le niveau de
santé d'une population que par l'accès aux trois niveaux de santé. La santé est un tout
indissociable,
• dans les quartiers surpeuplés, la réussite chirurgicale, en particulier dans le
domaine de la traumatologie, contribue à renforcer la confiance dans la médecine moderne
et, partant, à mieux faire accepter la médecine préventive (règles d'hygiène et vaccinations).

323
Cette situation est en train de changer, car les organismes gouvernementaux et non
gouvernementaux sont de plus en plus sollicités pour évaluer et mettre en place des projets
de réhabilitation des services chirurgicaux.

Plusieurs raisons expliquent ce changement d'orientation par rapport à la conférence


d'Alma-Ata.

En l’an 2 000 près de 50% des populations seront citadines.

1960 1975 1990

LE CAIRE 3 500 000 6 000 000 12 000 000


LAGOS 650 000 2 000 000 8 000 000
KINSHASA 800 000 2 000 000 4 400 000
DAKAR 400 000 800 000 1 600 000

Tableau 16.1 : Urbanisation en Afrique

Instabilité politico-militaire
Dans les pays africains, sud-américains, asiatiques et même européens à faible PNB,
guerres civiles, guérillas et insécurité se sont multipliées. Les besoins des populations
bombardées, sur les routes d'exode, sont avant tout des besoins chirurgicaux et de médecine
d'urgence. Dans de telles conditions de précarité, les urgences abdominales, gynécologiques
sont d'autant plus graves que les évacuations sont plus retardées, à cause de Vinsécurité. A
l'inverse, les programmes de vaccinations sont plus difficiles à mettre en place (PEV : plan
élargi de vaccinations).

Difficultés économiques
Elles sont multiples et se sont encore aggravées en Afrique dans les anciennes
colonies françaises par la dévaluation du franc CFA : les médicaments, le matériel
consommable, les instruments chirurgicaux proviennent presque exclusivement en 1995 des
pays industrialisés et, en pratique, les coûts en ont doublé. Concrètement, cela se solde par
une diminution considérable de l'accès aux soins dans des hôpitaux dont l'infrastructure
pourrait pourtant être satisfaisante, car le malade ou sa famille doivent payer eux-mêmes les
anesthésiques, les honoraires des chirurgiens, des anesthésistes, etc.

Il faut ici rappeler les caractéristiques et les conditions du traitement chirurgical des plaies
de l'abdomen, afin de définir les conditions dans lesquelles le chirurgien et son équipe auront
à traiter le maximum de patients avec la morbidité la plus faible.

Le chirurgien doit disposer de moyens en personnel et en matériels, certes réduits voire


rustiques, mais néanmoins suffisants : chirurgie simple mais chirurgie quand même (Trimum,
non nocerej. Les besoins chirurgicaux peuvent varier d un pays à un autre, mais les
statistiques à grande échelle mettent en évidence que les proportions des grands domaines de
la pathologie chirurgicale restent les mêmes et, qu’en matière de plaies abdominales, le

324
pourcentage respectif des viscères touchés est à peu près identique, comme le sont les
différentes régions anatomiques intéressées chez les polytraumatisés. Enfin, il ne faut pas
oublier que, même en situation de précarité, il faut assurer la formation du personnel local.
Pour décrire les conditions chirurgicales de traitement des plaies de l'abdomen dans ces
circonstances, il nous faut donc aborder successivement les points suivants :

- les moyens en personnel et matériel, et comment définir les conditions minimales autorisant
le traitement des plaies de l'abdomen ;
- les compétences particulières d'un chirurgien devant opérer dans des circonstances
difficiles ;
- les techniques chirurgicales simples, fiables, reproductibles, pour traiter les plaies de
l'abdomen ;
- les conclusions qu'il faut en tirer.

Infrastructure minimale nécessaire

La chirurgie des plaies de l'abdomen requiert des moyens simples, peu onéreux, mais
il existe un seuil minimal, en dessous duquel la chirurgie devient impossible, le chirurgien
devenant un spectateur impuissant, et nous pouvons en donner deux exemples récents :

- au Libéria en 1990, à l'hôpital central de Moravia, l'équipe chirurgicale de Médecins


sans Frontières s'est retirée moins pour des raisons d'insécurité qu'à cause de l'absence de
moyens : arrêt de tout approvisionnement de matériel médico-chirurgical (combats très
violents, front mouvant, armistices non appliqués) et situation de dénuement complet ;

- en Bosnie en 1994, un responsable d'ONG déclarait à Goradze : « La chirurgie, c'est


fini ».

La gestion de tous les problèmes matériels, le financement, l'exécution des


commandes, le stockage, etc., relèvent du logisticien mais aussi du chirurgien, chef de
l'équipe chirurgicale.

Avant d'envisager les besoins en matériel, essayons de définir le contexte,


l'environnement dans lequel va devoir travailler le chirurgien. On peut distinguer
schématiquement trois situations, en sachant que tous les intermédiaires existent.

- L'équipe chirurgicale est implantée dans un hôpital plus ou moins neuf, mais sans
budget de fonctionnement. L'hôpital a été inauguré clef en main mais on n'y trouve pas une
seule compresse, pas d'alcool, pas de sparadrap, pas de carburant pour le groupe électrogène,
pas d'eau s'il y a nécessité de suppresseurs. Investissement lourd par une coopération
bilatérale, pour une efficacité nulle. Cette situation absurde n'est pas exceptionnelle. Après
évaluation des besoins, cette structure peut devenir très rapidement opérationnelle si on peut
disposer de kits chirurgicaux, tels qu'ils ont été mis au point par certaines organisations
humanitaires (MSF). Dès stockage et déballage du matériel, il est possible d'intervenir, sous
réserve de disposer de consommables. Le degré de précarité dépendra alors des moyens en
consommables ;

325
- le plus souvent, on est amené à opérer dans une structure chirurgicale ancienne, bien
adaptée aux conditions locales : hôpital « en dur » avec eau, électricité, instruments
chirurgicaux. Avec des adaptations sommaires et un approvisionnement en consommables de
première nécessité (pansements, ligatures, produits anesthésiques, etc.), on pourra intervenir
rapidement avec efficacité. L'exemple type en est les hôpitaux des districts, qui existent par
centaines en Afrique francophone et anglophone ;
- très différents des deux premiers cas, auxquels on est souvent confronté en situation
d'isolement, se trouvent les contextes de chirurgie des grandes catastrophes, comme les
tremblements de terre (Arménie, Amérique du Sud) et les exodes massifs de population
(Rwanda, Soudan, etc.). Dans de telles circonstances, les moyens manquent quand ils sont le
plus nécessaires, à cause de la soudaineté des événements (tremblements de terre) et bien
souvent de l'imprévision des États, des grands organismes internationaux (Rwanda).

Immédiatement après la catastrophe il y a souvent débauche de moyens et d'hommes à


cause de la médiatisation de plus en plus grande, et partant de l'émotion provoquée auprès de
l'opinion mondiale.

Malgré les efforts humanitaires spectaculaires, souvent tardifs et désordonnés, ils ne


correspondent pas toujours aux besoins.

Quel que soit le contexte (catastrophe, guérilla urbaine, guerre civile), quelles que
soient les structures chirurgicales, il faut essayer de définir la liste minimale des moyens dont
il faut disposer pour traiter les plaies de l'abdomen.

On doit pouvoir disposer de l'infrastructure et du matériel suivant :

- deux salles d'opération (l'une propre, l'autre septique, cette dernière pouvant être une
chambre d'hospitalisation aménagée avec un minimum de moyens) ;
- une climatisation est souhaitable ;
- eau à volonté ;
- électricité avec un groupe électrogène autonome en cas de panne, ce qui suppose un
approvisionnement et un stockage de carburant ;
- tables d'opération polyvalentes ;
- aspirateurs mobiles électriques puissants, ou même à pédales ;
- un bistouri électrique est utile mais non indispensable ;

- matériel de stérilisation : dans la plupart des cas, il existe des Poupinels pour la
stérilisation des instruments ou, beaucoup plus rarement, des autoclaves dont la maintenance
est beaucoup plus lourde (électricité et eau à volonté). La seule solution en l'absence de
moyens de stérilisation est l'emploi de matériel à usage unique, ce qui est paradoxal en
situation de précarité !

Quant au matériel d'anesthésie, nécessaire en salle d'opération, il se réduit à une table


d'anesthésie. L'approvisionnement en gaz est difficile, voire impossible, ce qui fait choisir
autant que possible les techniques d'anesthésie locale et locorégionale. Un extracteur
d'oxygène peut pallier l'absence d'oxygène. Le plus souvent, il n'y a pas de vide pour
l'aspiration.

L'approvisionnement en consommables est le point fondamental de toute activité


chirurgicale quelque peu soutenue. Nombreux sont les exemples récents où ne manquaient ni

326
les locaux, ni l'eau, ni l'électricité, ni les médicaments, ni même certains matériels
sophistiqués (nécessaires pour hémodialyse, prothèses, etc.), mais où on ne disposait ni de
compresses, ni de bandes, ni d'antiseptiques. Or, dans ces conditions d'exercice, les plaies
sont les pathologies chirurgicales le plus souvent rencontrées. Si dans beaucoup de cas on
peut limiter les pansements, en particulier pour les plaies opératoires (ce qui offre l'avantage
d'une économie de temps et, d'après le principe anglo-saxon no pain, no fever, no dressing,
une diminution des risques de contamination) beaucoup de plaies nécessitent des pansements
(péritonite, abcès, etc.), donc une grande consommation du matériel de pansements.

Les soins post-opératoires constituent un des principaux facteurs militants dans une
structure chirurgicale en situation de précarité, où les soins comprennent tous les stades du
traitement d'une plaie :

- premiers soins lors de l'admission ;

- pansements jusqu'à guérison complète puisque, dans la grande majorité des cas, la
structure chirurgicale constitue l'unique maillon de la chaîne de soins, contrairement à la
chirurgie de guerre classique qui comprend plusieurs maillons quand cela est possible :

• ramassage et premiers soins,


• triage,
• intervention chirurgicale,
• évacuation vers des structures plus lourdes ou plus spécialisées.

En conclusion, il est fondamental de mettre en balance les moyens disponibles et la


gravité des blessures avant d'entreprendre toute activité chirurgicale, même en situation de
précarité. Ainsi, pour la première équipe (chirurgien, anesthésiste, panseur, pharmacien,
logisticien) qui mettra en place la structure chirurgicale, les problèmes logistiques sont au
premier rang des préoccupations : approvisionnement et gestion des consommables,
médicaments, transferts, stockage et maintenance du matériel.

Le rôle d'un technicien polyvalent est fondamental pour le fonctionnement du bloc


mais il est de plus en plus difficile de recruter des personnes compétentes, surtout par le fait
que le matériel médico-chirurgical est plus sophistiqué, de provenance multiple, avec des
indications d'emploi écrites en langues étrangères (chinois, russe, etc.), ce qui complique
encore les réparations éventuelles.

Si l'on souhaite acheter du matériel, il faut toujours choisir le plus robuste et celui qui
pourra être réparé sur place en cas de panne. Le problème est plus simple quand les antennes
sont installées pendant une période suffisamment longue. L'équipe qui succédera à la
première équipe sera renseignée des contraintes et des besoins et, sauf afflux massif de
blessés, on peut prévoir et avoir en stock les quantités de consommables nécessaires pour une
période de deux ou trois mois. Il suffira de renouveler régulièrement le matériel existant.

Chirurgien en situation de précarité


Le chirurgien isolé est, et sera, de plus en plus confronté à une chirurgie
pluridisciplinaire, avec des moyens matériels limités, ce qui est loin des conditions d'exercice
dans un service universitaire où la chirurgie est de plus en plus spécialisée. Un jeune interne
de Paris ou de Lyon, un résident d'Edimbourg, un assistant de Diisseldorf pouvait il y a deux

327
ou trois décennies être envoyé sur le terrain. En huit ou dix semestres d'apprentissage
chirurgical, il avait des dizaines de fois vu pratiquer la plupart, voire tous les gestes
chirurgicaux d'urgence ou de chirurgie réglée (colostomie, colectomie, gastrotomie,
gastrectomie, hystérectomie, hépatotomie, thoracotomie, cystostomie, etc.). Il avait, sous la
direction de ses supérieurs hiérarchiques, lui-même pratiqué ces interventions de chirurgie
générale. Au cours du ou des semestre(s) de pratique en service d'urgences, il avait été
confronté à presque toutes les urgences chirurgicales chez l'adulte et l'enfant : diagnostic,
indications, résultats.

Qu'en est-il en 1996 ?


De nos jours, les connaissances de l'interne sont beaucoup plus approfondies dans telle
ou telle spécialité mais, à la fin de son cycle d'apprentissage, il sera moins opérationnel et
autonome pour l'exercice de la chirurgie générale en situation d'isolement que son confrère
d'autrefois.

Les nouvelles techniques de diagnostic (imagerie médicale, biologie, etc.), les


nouveaux moyens thérapeutiques (pinces, agrafeuses, vidéo-chirurgie, etc.) permettent dans
les pays riches une chirurgie précise, rapide, élégante et permettent d'abréger la durée
d'hospitalisation, mais elles ne peuvent malheureusement pas être reproduites dans des
conditions d'exercice difficile dans les pays en voie de développement en dehors de quelques
expériences ponctuelles, de durée limitée (missions MDM ou MSF de chirurgie cardiaque ou
chirurgie maxillo-faciale).

Comment préparer les jeunes chirurgiens ?


La formation du jeune chirurgien doit être complétée de données théoriques et
pratiques.

Sur le plan théorique, plusieurs diplômes ont été créés en Suisse, en Belgique, en
France (diplôme d'université de Chirurgie en situation de précarité par exemple), et il existe
également des séminaires et des congrès comme « Chirurgie en situation d'exception » à
Marseille (Pharo). Des réunions avec des chirurgiens plus anciens sur des thèmes consacrés à
la pathologie la plus fréquemment rencontrée dans ces circonstances (péritonites, gangrènes,
etc.) sont aussi organisées.

Sur le plan pratique, rien ne remplace l'expérience sur le terrain. Un premier séjour,
même bref, permettra non seulement d'affronter les premières difficultés chirurgicales en
situation de précarité, mais aussi les contraintes de la précarité : logistique, climatologie et
surtout environnement humain parfois hostile.

Pour cette première expérience, la meilleure solution est de travailler en binôme, avec
un jeune chirurgien et un de ses confrères plus expérimenté.

Dans tous les cas, le chirurgien doit être formé sur le plan des relations humaines. En
effet, toute action, même chirurgicale, dans un pays étranger, doit éviter tout esprit de
supériorité, d'autosatisfaction, d'arrogance technologique, et doit se faire dans un esprit de
respect de l'autre, de ses coutumes, de ses traditions...

328
Plaies de l'abdomen : techniques chirurgicales

Tactique chirurgicale générale


Deux facteurs entrent en compte pour déterminer une tactique chirurgicale : les
moyens disponibles et la pathologie en cause.

Plus les moyens matériels sont faibles, plus la compétence théorique et pratique du
chirurgien doit être étendue.

Contrairement aux autres pathologies chirurgicales, les plaies perforantes de


l'abdomen nécessitent après un examen clinique approfondi une exploration chirurgicale
presque systématique.

Cela a été résumé en quelques phrases par James Marrion Sims, après la guerre de
Sécession aux États-Unis : « Exploration douce et aseptique de la cavité péritonéale suivie de
l'exécution des gestes nécessaires :

- hémostase ;
- suture des plaies intestinales ;
- toilette de la cavité péritonéale. »

Cette conduite thérapeutique ne deviendra la règle que près d'un demi-siècle plus tard,
permettant d'abaisser la mortalité des plaies perforantes de l'abdomen :

- plus de 90 % (avant traitement chirurgical) ;


- environ 45 % (Première Guerre mondiale) ;
- 25 % (Seconde Guerre mondiale) ;
- < 10 % (Viêt-Nam).

L'amélioration du pronostic dépend certes d'une meilleure codification de


l'intervention, mais aussi des progrès considérables de l'anesthésie-réanimation et de
l'antibiothérapie.

Examen clinique, exploration chirurgicale, traitement des lésions peuvent être


pratiqués en situation d'isolement, même si les résultats sont moins bons que dans des
formations sanitaires lourdes bien équipées, bien approvisionnées, comme les antennes
chirurgicales et les hôpitaux de l'avant.

Etiologie
Les plaies de l'abdomen par arme blanche (couteau, flèche) sont relativement bénignes
si elles sont traitées rapidement et s'il n'y a pas atteinte d'un gros vaisseau entraînant une
hémorragie interne massive.

À l'inverse, les plaies par armes à feu, quand elles sont pénétrantes, atteignent un (ou
plusieurs) viscère(s) dans plus de neuf cas sur dix, surtout avec les projectiles à grande vitesse
(armes de guerre) qui provoquent des lésions étendues.

Quant aux fusils de chasse, l'importance des dégâts tissulaires dépend de la distance
entre l'arme et la victime. À bout portant, les lésions sont maximales.

329
Ces données balistiques confèrent une première orientation, mais seuls l'examen
clinique et l'exploration chirurgicale permettront le bilan exact des lésions et leur traitement.

Examen clinique
La prise en charge du blessé comporte, avant l'examen clinique proprement dit, les
premiers gestes de réanimation :

- assurer la liberté des voies aériennes ;


- contrôler les paramètres : TA, pouls, rythme respiratoire ;
- rechercher un déficit neurologique ;
- déshabiller complètement le blessé (en effet, le blessé a pu recevoir plusieurs coups
de couteau ou a pu être touché par plusieurs projectiles).

L'examen clinique sera donc fait de la tête aux pieds (tête, cou, thorax, membre) pour
se terminer au niveau de la région abdominale. S'il s'agit d'une plaie de l'abdomen isolée,
l'examen comporte plusieurs étapes.

- inspection du ou des orifice(s) d'entrée et éventuellement de sortie ;


- aspect de l'abdomen : plat ou ballonné ?
- existence ou non d'une respiration abdominale ?
- palpation : recherche d'une défense localisée, d'une contracture.

L'interrogatoire sera souvent difficile à cause des problèmes linguistiques


(vomissements ? hémorragies hautes ou basses ? heure de la blessure ?).

Les touchers pelviens sont systématiques, puis l'on met en place des sondes
gastriques, urinaire (noter la couleur des urines).

Enfin, l'examen de la plaie elle-même est capital, surtout dans le contexte de précarité
où les blessés sont souvent des hommes jeunes et minces : on explore digitalement le ou les
orifice(s) (d'entrée et de sortie) à l'aide d'un doigt ganté et stérile.

Cet examen confirme :

- le caractère pénétrant de la plaie de l'abdomen ;


- avec un peu d'expérience, sur des sujets de corpulence normale, on peut apprécier la
gravité des lésions viscérales intra-abdominales :

• en cas d'atteinte d'un organe creux (grêle, côlon) les anses sont affaissées et non
distendues,
• en cas de lésion parenchymateuse d'un organe plein (la convexité hépatique), on
perçoit à l'aide de l'extrémité du doigt le contact avec le tissu hépatique (intégrité de la
capsule de Glisson ?).

L'examen peut orienter sur l'atteinte de certains viscères. Le doigtier peut ramener du
sang mais aussi du liquide bilieux ou intestinal, des débris stercoraux, etc.

330
Après les gestes de réanimation pré-opératoire (perfusions, sondes, etc.), l'exploration
chirurgicale est indiquée dès que possible en cas de plaie de l'abdomen isolée et si
l'hémodynamique est instable.

Dans de telles circonstances, les autres examens sont rarement faits :

- clichés radiologiques (thorax, ASP) si possible ;


- groupage sanguin.

Sur le plan de la tactique chirurgicale, en cas de blessures multiples, d'autres gestes


peuvent être prioritaires, comme le drainage d'un pneumothorax, l'évacuation d'un hématome
extradural, d'une tamponnade, le parage des plaies du cou menaçant la liberté des voies
aériennes, etc.

Exploration chirurgicale

Voie d'abord
Le plus souvent l'incision est médiane sus- et sous-ombilicale. C'est la voie la plus
rapide, la plus adaptée, permettant des contre-incisions vers le thorax si nécessaire.

Parfois, en particulier en cas de gros dégâts pariétaux, la voie à partir de l'orifice


d'entrée peut se révéler plus judicieuse.

En cas d'hémorragie majeure, il faut utiliser de grandes compresses abdominales pour


faciliter la recherche de l'origine de l'hémorragie, ce qui permettra de contrôler les différents
quadrants. En pré-opératoire, le trajet du projectile peut faire suspecter l'atteinte de tel ou tel
organe mais seule l'exploration l'affirmera.

Au milieu des compresses imbibées de sang, éventuellement des sécrétions


intestinales, de débris parenchymateux, il faut rechercher :

- soit un saignement rouge ;


- soit un caillot (++) qui peut faire suspecter l'atteinte d'un organe plein (rate, foie).

Exploration
L'exploration commence par l'étage sus-mésocolique (quadrants supérieurs) puis par
les quadrants inférieurs de droite à gauche.

Elle doit être complète quelles que soient les conditions opératoires, car le bilan
lésionnel doit être le plus exact possible.

Techniques chirurgicales en fonction du type de lésions


Nous allons décrire maintenant organe par organe les techniques chirurgicales
proposées, en sachant qu'en situation de précarité il faut privilégier les gestes de réparation les
plus rapides, les plus simples, les plus sûrs et non pas toujours le geste « idéal » permettant de
tout traiter en un temps mais nécessitant parfois des soins post-opératoires lourds (laboratoire,

331
imagerie, etc.). Parfois les blessés sont nombreux et il faut pouvoir en traiter le plus grand
nombre, avec la morbidité la plus faible, ce qui pose souvent le problème des moyens
disponibles.

Plaies de l'intestin grêle et du mésentère


Organe creux le plus souvent concerné (près de 50 % des plaies de l'abdomen), le
grêle occupe une grande partie de la cavité abdominale. Les plaies sont assez faciles à repérer,
sous réserve d'une exploration rigoureuse et complète, du ligament de Treitz à l'angle iléo-
caecal.

Il faut examiner avec douceur toute la surface du jéjunum et de l'iléon en enlevant les
caillots, les dépôts fibrineux, les débris, à l'aide d'une compresse et de sérum physiologique. Il
faut étaler le mésentère à la recherche d'hémorragie de petites artères, d'hématomes, surtout
au niveau de sa zone d'insertion.

Les lésions du mésentère peuvent entraîner par ischémie une nécrose segmentaire du
grêle, suivie de perforation et de péritonite généralisée (dévascularisation intestinale).

Après l'exploration de l'ensemble des viscères, on débute le traitement des lésions :

- suture après avivement des plaies punctiformes ou des petites plaies ;

- résection d'un ou plusieurs segment(s) de l'intestin grêle (plaies ou zone


dévascularisée par atteinte artérielle mésentérique) ;
- rétablissement de la continuité d'emblée dans plus de 90 % des cas ou secondaire
après iléostomie terminale temporaire en cas de péritonite généralisée évoluant depuis 48 h ou
plus : c'est l'entérostomie de sauvetage. Même si les conditions sont précaires, le pronostic
sera meilleur et la guérison de l'infection péritonéale plus fréquente.

Plaies coliques
Statistiquement deuxième ou troisième organe atteint, le côlon occupe les quatre
quadrants de la cavité abdominale et il peut être atteint par des projectiles dont l'orifice
d'entrée est parfois très éloigné de l'abdomen (cou, thorax, fesses, etc.).

L'exploration complète du cadre colique se fait du caecum au rectum intra-péritonéal,


en décollant les parties fixées (côlon ascendant, angle colique gauche, côlon descendant).

Le traitement chirurgical dépend de la gravité des lésions, du délai écoulé entre la


blessure et l'heure de l'intervention, des lésions associées intra- ou extra-abdominales.

À côté des plaies classiques, punctiformes, transfixiantes, sont apparues avec des
projectiles à haute vitesse de véritables colectomies traumatiques, associées à des lésions
mésocolique majeures.

Le parage de la plaie colique dépend de son importance, allant du simple avivement à


la colectomie segmentaire réglée.

Ensuite, les méthodes de réparation sont multiples :

332
- sutures simples avec ou sans colostomie de protection d'amont ;
- extériorisation du segment lésé s'il s'agit d'une partie du côlon mobile (transverse ou
sigmoïde) ;
- résection en cas de plaies délabrantes ou de colectomie traumatique.
Deux attitudes sont alors possibles avec les extrémités coliques saines, bien
vascularisées :
- dérivation terminale (colostomie), si l'état hémodynamique est instable, si
l'intervention est faite au-delà de la 6e h ou si les plaies sont multiples (foie, grêle, etc.) ; en
chirurgie de guerre, en cas d'évacuation vers les hôpitaux de l'arrière, il faut
systématiquement pratiquer une intervention de Hartmann ou une stomie, même si certains
ont proposé dans certains cas la colectomie idéale ;
- en situation d'isolement, si les conditions sont favorables (délai, plaies isolées,
hémodynamique stable), il semble licite de rétablir la continuité immédiatement, après
résection, ce qui présente plusieurs avantages : la contamination est minime, l'intervention est
plus courte que pour une double colostomie, les suites opératoires sont plus simples et mieux
tolérées par les familles et le blessé et, surtout, le suivi post-opératoire (température, reprise
du transit) devant être effectué par le chirurgien qui a opéré le blessé car celui-ci ne peut être
évacué, les gestes opératoires sont parfaitement connus. Dans les cas favorables, bien
sélectionnés, nous avons obtenu des résultats satisfaisants.

Plaies du rectum sous-péritonéal


Elles peuvent être isolées (empalement, etc.) ou associées, avec atteinte de régions
anatomiques profondes, et sont parfois difficiles d'accès comme les plaies abdomino-pelvi-
fessières.

L'examen clinique initial (examen du périnée, touchers pelviens) est habituellement


insuffisant, sauf si les lésions sont basses. On dispose rarement d'un recto-sigmoïdoscope en
situation de précarité !

Le traitement comporte plusieurs éléments :


- hémostase, soit locale soit par ligature d'une ou de deux artères hypogastriques ;
- dérivation des matières par colostomie terminale type Hartmann ou type Bouilly-
Volkmann après irrigation-lavage du rectum, afin de diminuer les risques septiques ;
- parage-drainage des parties molles contaminées ou infectées (espace rétropéritonéal
présacré, espaces pelvi-rectaux, fosses ischio-rectales) ;
- parfois, certains gestes complémentaires sont nécessaires pour les lésions associées,
comme une stabilisation osseuse (fracas du bassin), dérivation urinaire, etc.

Les complications sont fréquentes malgré les soins post-opératoires itératifs


(pansements, drainages complémentaires sous AG). Elles sont à type de saignements, de
troubles de la coagulation, de suppurations profondes.

En situation d'isolement, le pronostic est médiocre, la mortalité secondaire restant


lourde, malgré le traitement chirurgical.

333
Plaies du foie
Troisième organe atteint par ordre de fréquence, il est peu accessible au traitement
chirurgical en situation d'isolement. Les lésions sont rarement isolées (trajet projectilaire) et la
seule exploration per-opératoire ne permet pas de toujours faire le bilan lésionnel exact et
donc d'entreprendre le traitement idéal. Les possibilités de compenser l'hémorragie sont
limitées, voire nulles.

Les modalités thérapeutiques dépendent du type de lésion :

- les plaies superficielles qui saignent sont le plus souvent traitées par un débridement
économique et adossement des deux berges hépatiques sur des lames de Surgicel fixées par
des points en U sur attelles. Les points ne sont pas trop serrés ;
- les plaies profondes avec hémostase spontanée sont difficiles à explorer si on ne
dispose pas de possibilités de transfusion. On doit se contenter d'un tamponnement (packing)
avec des compresses abdominales (hémostase temporaire) et traiter les lésions associées
(plaies des organes creux) ;
- dans certains cas, il faut effectuer des gestes de résection réglée ou atypique, si le
projectile a provoqué une avulsion parenchymateuse telle (explosion d'un lobe d'un segment
par exemple) qu'il n'y a plus qu'à régulariser les berges et compléter par un tamponnement ;
- la cholécystostomie de décharge est rarement nécessaire.

Plaies de la rate
Cet organe plein, profond, est plus rarement atteint que le foie. L'atteinte peut être
isolée, par arme blanche, mais elle est le plus souvent associée à d'autres lésions intra-
abdominales en cas de plaies par projectiles. L'exploration chirurgicale recherche des lésions
de la queue du pancréas, du diaphragme, de l'estomac, du côlon gauche, du rein, etc.

En situation d'isolement, le geste habituel est la splénectomie d'hémostase.

Plaies de l'estomac
L'exploration en cas d'atteinte gastrique est complète, du cardia au duodénum, avec
étude de la face antérieure et postérieure, après ouverture de l'arrière-cavité des épiploons
(possibilité d'orifices multiples).

Les plaies sont avivées et suturées en deux plans à points séparés pour rapprocher les
deux berges. Une sonde gastrique doit être laissée en place une semaine.

Beaucoup plus rarement, une gastrectomie atypique est nécessaire (perte de substance
pariétale trop étendue ne permettant pas de rétablir une filière gastrique fonctionnelle).

Plaies duodéno-pancréatiques
L'intimité des rapports anatomiques entre la tête du pancréas et le cadre duodénal fait
qu'en cas de plaies par projectiles, les lésions ne concernent rarement que l'un ou l'autre
organe, contrairement aux plaies par arme blanche. L'exploration du pancréas à ciel ouvert est
souvent très difficile (hématome +++).

334
La manœuvre de Kocher permet de bien examiner le cadre duodénal et la tête du
pancréas. Le traitement dépend de l'importance des lésions.

- en cas de lésions duodénales limitées, on réalise un avivement-suture ;


- si les lésions sont complexes en situation d'isolement, il faut se limiter à des gestes
de dérivation ou d'exclusion (gastro-entero-anastomose, drain de Kehr dans le cholédoque,
etc.) et pratiquer un tamponnement de la tête du pancréas ;
- enfin, en cas de lésion limitée de la queue du pancréas atteignant toute l'épaisseur du
parenchyme, il faut effectuer une pancréatectomie caudale ou une spléno-pancréatectomie
caudale.

Plaies rétropéritonéales
Toute plaie pénétrante de la loge rénale doit en général être explorée chirurgicalement.

Comme pour tout organe plein, sauf s'il s'agit de lésions superficielles qui peuvent être
parées et suturées, on ne peut que rarement par le simple examen per-opératoire envisager une
chirurgie conservatrice (pas d'imagerie médicale). Après s'être assuré de l'existence du rein
controlatéral, on doit réaliser une néphrectomie totale.

Les lésions urétérales sont très rares et le plus souvent méconnues si elles sont isolées.

Si une lésion est découverte lors d'une exploration abdominale pour lésions multiples,
on effectue une suture, une résection-suture de l'uretère sur sonde modelante.

Les lésions vésicales sont fréquentes et doivent être traitées par parage et suture de la
paroi vésicale sur sonde de cystostomie.

En cas de lésions urétrales associées, si le cathétérisme est impossible on met en place


une cystostomie.

Lésions vasculaires
Les lésions des gros vaisseaux intra-abdominaux (artères mésentériques) ou
rétropéritonéaux sont exceptionnellement isolées : et, en situation d'isolement, les patients ne
parviennent pas au bloc opératoire. En cas d'hématome rétropéritonéal (+++), les troubles de
la coagulation sont très difficiles à corriger dans de telles conditions. En l'absence de
possibilité transfusionnelle, il faut, en cas d'hématome rétropéritonéal associé à des lésions
intra-abdominales :

- traiter les plaies viscérales ;


- n'inciser le péritoine postérieur que si on dispose d'une boîte vasculaire et d'une
expérience de la chirurgie vasculaire d'urgence, ce qui peut permettre de contrôler, si l'état
hémodynamique est stable, une plaie simple des vaisseaux iliaques (arme blanche).

Lésions pariétales
Elles posent des problèmes souvent difficiles, si les dégâts cutanéo-muscu-lo-
aponévrotiques sont majeurs.

335
Premièrement, il faut choisir la voie d'abord (laparotomie atypique centrée sur la perte
de substance, laparotomie médiane ou incision latérale de décharge) qui permet la fermeture
de la paroi.
Ensuite le positionnement des stomies peut être délicat. Elles doivent être à distance
de la médiane et des zones de parage de la paroi abdominale.
En cas de délabrements pariétaux se pose le problème de la fermeture, d'autant plus
qu'il n'y a généralement pas de possibilité de ventilation assistée. Si le parage est tardif, il faut
laisser la plaie ouverte mais fermer la cavité péritonéale, parfois à l'aide du grand épiploon et
de grands pansements bétadinés.

Conclusion
On pourrait multiplier les descriptions des lésions anatomo-pathologiques, les
techniques chirurgicales les plus adaptées. En situation d'isolement, grâce à des moyens
simples, peu onéreux, on peut explorer et traiter efficacement une plaie perforante de
l'abdomen.

Exploration
Elle est uniquement chirurgicale. Elle doit donc être complète et guidée par les trajets
projectilaires. En cas de lésions multiples, l'exploration des organes creux est en général
relativement simple mais elle doit être complète. Sinon, toute plaie méconnue nécessitera une
reprise chirurgicale, très aléatoire en l'absence de moyens de réanimation post-opératoire
(choc septique, anurie, etc.).

L'exploration des organes pleins (foie surtout, pancréas) doit rester limitée, surtout s'il
y a hémostase spontanée. Il faut alors espérer que le tamponnement sera efficace. Dans les
lésions spléniques et rénales les gestes d'hémostase sont habituellement radicaux.

Réparation des lésions viscérales


Après l'exploration, il faut réparer en tenant compte de l'état hémodynamique du
blessé, des moyens à disposition, des capacités de l'équipe chirurgicale. Il faut donc
privilégier les techniques chirurgicales connues de tous, les plus rapides, les plus sûres, celles
dont les suites sont les plus simples, et où les reprises chirurgicales sont les plus
exceptionnelles.

Le bilan pré-opératoire est généralement limité : sur le plan biologique, groupage


sanguin, NFS (pratiqués par l'anesthésiste) et, sur le plan radiologique, clichés simples avec
parfois opacification (UIV, cystographie) dans les meilleurs cas.

En situation d'isolement on peut recourir aux gestes de réparation classiques :

- organes creux : du parage à la résection des tissus lésés, suivi ou non d'un
rétablissement de continuité. Dérivation colique en cas de plaie colique ou rectale ;
- organes pleins : parage a minima, tamponnement temporaire, exceptionnellement
exérèse sauf si lésions rénales, spléniques ou du pancréas caudal ;

336
- lésions associées qui posent le problème de la stratégie chirurgicale, surtout en
situation d'isolement et grèvent très sévèrement le pronostic (plaies thoraco-abdominales,
plaies abdomino-pelvi-fessières, plaies à distance).

Les gestes d'exploration chirurgicale, d'hémostase, de dérivation digestive permettent,


si les pertes sanguines initiales et si le délai n'ont pas été trop importants entre la blessure et
l'intervention, de prévenir les décès par hémorragie et infection profonde.

Les résultats, même s'ils sont moins favorables que ceux obtenus en chirurgie civile
dans les centres hospitaliers ou en chirurgie de guerre, dans les formations hospitalières de
l'avant, sont encourageants : guérison de la majorité des blessés au prix de séquelles minimes
si on les compare aux plaies des autres régions anatomiques traitées, dans les mêmes
conditions d'isolement, en particulier les lésions ostéo-articulaires et les délabrements
musculo-cutanés, où la mortalité initiale est moindre mais où les séquelles sont très
importantes.

337
Traumatismes balistiques
de la face

D. CANTALOUBE, L. RICHARD, G. PAYEMENT

La face, ou partie antérieure de /'extrémité céphalique, est à la fois une zone mal
protégée et exposée car toujours à l'affût. Elle est donc très souvent atteinte par les
projectiles d'arme à feu, immédiatement après les membres. Cette structure fragile abrite
l'extrémité supérieure des voies aériennes et digestives ainsi que cinq récepteurs de nos six
appareils sensoriels.

Tout cela explique d'une part la gravité potentielle des lésions de cette région -
pouvant mettre en jeu immédiatement le pronostic vital -, d'autre part l'importance des
séquelles fonctionnelles et réparatrices qui peuvent en découler. Ces données plaident en
faveur d'un traitement initial bien codifié.

Conduite à tenir

Anatomie
La face est une entité anatomo-fonctionnelle, pôle d'intérêt multidisciplinaire.
Une charpente légère, composée d'une mosaïque d'os petits, immobiles, minces, fixés
sous la base du crâne, forme une structure polyédrique, cavitaire et symétrique. Sur ce
squelette vient s'articuler le seul os impair et mobile de la face : la mandibule. La mandibule
répond au maxillaire avec lequel elle s'engrène par l'intermédiaire des dents.
On distingue habituellement trois étages dans le massif facial :
- l'étage supérieur, en fait cranio-facial, protège les fosses cérébrales antérieures. La
lame criblée de l'ethmoïde constitue une zone de faiblesse et la dure-mère, particulièrement
adhérente à ce niveau, peut être lésée lors de traumatismes centro-faciaux, même lorsque les
lésions osseuses sont mineures ;

- l'étage moyen est fixé à la base du crâne par des ancrages multiples. Cette structure
légère destinée à ne recevoir des contraintes que verticalement est constituée de piliers
encadrant les orbites, les fosses nasales et les sinus maxillaires. Les orbites abritent les globes
oculaires et leurs annexes (les glandes et voies lacrymales). Le départ des voies aériennes
supérieures (VAS) est composé des fosses nasales et des cavités sinusiennes, cavités
septiques tapissées par une muqueuse de type respiratoire très vascularisée. Les fracas de
l'étage moyen doivent faire redouter une obstruction des VAS par recul des structures décrites
ou inondation par hémorragie artérielle ou muqueuse ;
- l'étage inférieur, composé essentiellement par la mandibule, s'articule avec l'étage
moyen grâce à une triple articulation temporo-mandibulo-dentaire, dont le respect ou la
réparation est un des points essentiels du traitement. La cavité buccale contient la langue,
muscle richement vascularisé, protégé par le rempart alvéolo-dentaire.

338
Tour à tour les dents pourront servir de référence anatomique lors de la réduction
d'une fracture occluso-faciale, de point d'ancrage à un traitement orthopédique, mais aussi se
comporter comme le point de départ d'une contamination infectieuse, comme un corps
étranger en cas de luxation complète.
Il existe aussi, dans les lésions du massif facial inférieur, un risque asphyxique, soit
par rupture des ancrages du massif lingual (fracture plurifocale de la mandibule), soit par une
parésie du muscle (trouble de conscience) entraînant une glossoptose.

Sur cet échafaudage osseux se drape le revêtement tégumentaire. La peau de la face


présente des caractéristiques bien particulières :
- son épaisseur varie, ainsi que sa souplesse et sa mobilité ;
- sa texture est grossière au niveau de la pointe du nez, pour devenir très fine au
niveau des oreilles et des paupières ;
- sa coloration et sa pilosité ne sont pas uniformes, surtout chez l'homme.

Enfin, elle délimite des orifices (narinaires, oculaires, auriculaires, buccal) qu'il faudra
savoir préserver. La frontière entre peau et muqueuse constitue un repère important, à ne pas
négliger lors de la reconstruction. Les plaies cutanéo-muqueuses de la lèvre, du bord libre des
paupières, de la queue du sourcil par exemple, doivent être suturées sans aucun décalage.

Sous la peau se trouve un système musculo-aponévrotique superficiel (SMAS), de


faible volume mais dont le rôle fonctionnel est majeur. Ce système s'insère à la fois en
profondeur, sur les massifs osseux, et en superficie, dans l'hypoderme, régissant ainsi la
mimique et en partie le langage. Les muscles sont innervés par le nerf facial, VIIe paire de
nerf crânien qui chemine à la face profonde de cette nappe fibro-musculaire.

Noyées dans une atmosphère celluleuse, la glande parotide et la glande sous-


mandibulaire sécrètent la salive qu'elles déversent dans la cavité buccale par leurs canaux
excréteurs respectifs, le canal de Warthon et le canal de S tenon.

La vascularisation de la face est assurée par les branches de l'artère carotide externe
que sont l'artère linguale, l'artère faciale et l'artère maxillaire interne ; l'artère transverse de la
face, quant à elle, est une branche de l'artère temporale superficielle. Des anastomoses
existent entre les réseaux droit et gauche, mais aussi entre les branches terminales de l'artère
sphéno-palatine issue de l'artère maxillaire interne et l'artère ethmoïdale provenant du réseau
de la carotide interne.

La vascularisation des téguments est assurée par l'artère faciale qui, après avoir
cravaté le rebord basilaire de la mandibule, vient se terminer au niveau de l'aile du nez dans
78 % des cas. Mais plus que la topographie et la terminaison exacte de cette branche de la
carotide externe, il est intéressant de noter la richesse de la vascularisation des téguments de
la face, procurant une excellente résistance à l'infection, propice à une cicatrisation rapide.
Les parages doivent donc être le plus économiques possible.

La face est entourée d'éléments vitaux, expliquant que certaines lésions ne soient pas
compatibles avec la survie. Les éléments de voisinage sont la boîte crânienne et le système
nerveux central (SNC) en haut, le cou en bas avec les gros troncs artério-veineux.

339
Étio-pathogénie
Les projectiles sont de plusieurs types. L'étude balistique est importante : la balistique
intérieure et intermédiaire reste l'apanage des ingénieurs de l'armement, mais la balistique
terminale concerne tout chirurgien.

Éclats
Ils englobent les éclats d'armes à fragmentation, mais aussi les projectiles secondaires
mobilisés par l'effet de souffle (pierres, débris divers, souillures telluriques). De taille
variable, ces éclats peuvent être à l'origine de lésions diverses : vaste délabrement ou
polycriblage, perte de substance transfixiante ou non.

Balles
Toutes ne sont pas équivalentes. Il n'y a rien de commun entre les lésions
occasionnées par un fusil de chasse ou une arme de dissuasion (pistolet à grenailles) et celles
produites par les armes de poing de fort calibre, voire les fusils d'assaut. Remarquons que ces
armes de guerre sont utilisées même en temps de paix par certains milieux tels que le grand
banditisme ou le terrorisme.

Les balles classiques de fort calibre (9 mm), de faible vitesse de propulsion (inférieure
à 300 m/s) ainsi que les projectiles secondaires, sont responsables de lésions constituées d'un
orifice d'entrée, d'un trajet et d'un orifice de sortie, si leur énergie est suffisante. Les lésions
anatomiques sont limitées à ce parcours, et leur gravité est en général mineure lorsqu’aucun
organe vital n'est touché.

Il n'en est pas de même pour les plaies occasionnées par les fusils de guerre actuels.
Ces armes utilisent des balles de petits calibres, mais dont la vitesse initiale est grande. De ce
fait, de nouveaux phénomènes apparaissent dans le milieu traversé qui vont accompagner la
balle et accroître son pouvoir vulnérant.

Quelles sont les caractéristiques de ces projectiles ?


Il s'agit de balles de petits calibres (5,56 mm) pesant 3,5 g. Leur vitesse initiale est de
l'ordre de 1 000 m/s. Cette vitesse élevée, supérieure à la vitesse du son, est à l'origine d'une
onde de choc que l'on peut assimiler à un second projectile, ou projectile immatériel. Ce
rapport poids/vitesse lui confère une énergie cinétique élevée qu'elle restituera au moment de
l'impact.

De plus, la trajectoire de ce type de balles n'est pas rectiligne, uniforme. Les rayures
du canon lui impriment un mouvement de rotation afin de conférer stabilité et précision au
vol. Par rapport à son centre de gravité, la balle est animée d'oscillations qui se décomposent
en deux mouvements :

- mouvements de précession qui est un mouvement lent, hélicoïdal, à la façon d'une


toupie ;
- mouvements de nutation, ou battement rapide de part et d'autre de son centre de
gravité, à la manière d'un culbuto.

340
Les dégâts provoqués par ces balles ne se limitent plus aux lésions directes. La surface
de l'impact est plus importante et la décélération du projectile est plus rapide, le transfert
d'énergie complet et brutal après l'impact majorant les lésions secondaires.

Anatomo-pathologie
Les lésions anatomo-pathologiques sont complexes, d'autant plus que le milieu
traversé est hétérogène. Elles varient en fonction du type de projectiles décrits plus haut. D'un
point de vue pratique, on différenciera les effets locaux, les effets régionaux et les effets à
distance.

Effets locaux
Les éclats sont à l'origine d'une perte de substance cutanée importante, non
systématisable. L'orifice d'entrée est de taille supérieure au projectile. Le plus souvent il
n'existe pas d'orifice de sortie. La plaie est souillée par des débris telluriques et des corps
étrangers divers. Les balles des fusils d'assaut déterminent un orifice d'entrée plus petit,
ponctiforme, parfois difficile à mettre en évidence.

Sur le trajet de l'agent vulnérant, l'étendue des lésions diffère également suivant le
type d'arme. Avec une arme conventionnelle, les dégâts sont limités au trajet de la balle. On
peut donc se les représenter et les explorer entre les orifices d'entrée et de sortie.

Les balles de petit calibre, à grande vitesse initiale, sont en revanche responsables de
phénomènes de cavitation générateurs de lésions à distance que nous analyserons plus loin
(effets régionaux). La cavité résiduelle correspond à la cicatrice de la cavité temporaire : elle
ne rend pas compte de l'étendue et de la richesse des lésions.

L'orifice de sortie dépend de l'épaisseur et de la densité du segment corporel traversé.


Ainsi, après transfixion d'un membre, l'orifice de sortie se trouve à l'apogée des phénomènes
de cavitation et il se présente comme un vaste cratère hémorragique avec importante perte de
substance tégumentaire et existence de lambeaux dont la vitalité devra être contrôlée avec du
recul. Si le trajet est plus long, l'effet de cavitation est principalement interne, puis s'épuise.
Le projectile perd son énergie et l'orifice de sortie est de taille plus modeste. Dans ce cas, on
ne peut évaluer l'importance des destructions tissulaires par un simple examen de ces deux
pertuis.

Effets régionaux
Ils sont apparus avec l'utilisation des balles à haut transfert d'énergie. L'onde de choc
accompagnant la balle et l'énergie libérée immédiatement après l'impact sont à l'origine d'un
ébranlement des tissus avoisinants. De manière extrêmement fugace, il se crée une cavité dont
les limites dépassent celles du cône d'attrition. À l'intérieur de cette cavité, des lésions
gravissimes apparaissent : dégâts musculaires (tissus mortifiés), osseux (fractures
comminutives avec perte de substance corticale et spongieuse, fractures irradiées). La limite
des parties molles assurément vouées à la nécrose est difficile à apprécier d'emblée . Elle ne
sera jugée qu'avec 48 à 72 h de recul sur des critères de couleur, de vascularisation, de
contractilité des tissus.

341
Effets à distance
Les vaisseaux et les nerfs résistent bien sur le plan anatomique à l'expansion de cette
cavité. Ils peuvent cependant présenter de nombreux désordres structuraux se soldant par des
thromboses secondaires et des dévitalisations retardées aggravant encore les lésions initiales.

Plus à distance encore, on pourra observer des lésions ophtalmologiques (décollement


rétinien), tympaniques (perforation), cérébrales (attrition, hématome) des déchirures laryngo-
trachéales par effet de blast.

Ainsi, avec ces projectiles, reconstruire mentalement le trajet entre les orifices d'entrée
et de sortie ne suffit plus. Les lésions cliniques et infracliniques sont nombreuses, variées,
immédiates mais aussi retardées. Ces constatations anatomo-pathologiques nous conduisent à
modifier le schéma thérapeutique habituel. En dehors des gestes salvateurs, il ne faudra pas,
comme en traumatologie routière par exemple, vouloir réparer tôt, tout, totalement, en un
temps, règle des 4 T instaurée en traumatologie « conventionnelle », même si les
circonstances s'y prêtent.

Sur le terrain
Des complications aiguës peuvent engager le pronostic vital. Elles appellent des
gestes salvateurs immédiats permettant d'attendre l'arrivée d'une équipe médico-chirurgicale
qui prendra en charge le patient et assurera son transport.

Ces complications sont :


- l'obstruction des voies aériennes supérieures ;
- les hémorragies ;
- le choc traumatique.

L'obstruction des voies aériennes supérieures (VAS) après


traumatisme maxillo-facial a plusieurs origines :
- présence de sang, sécrétions, corps étrangers exogènes ou endogènes (prothèses,
fragments dentaires) dans les VAS. Un nettoyage rigoureux, un écouvillonnage puis une
aspiration de la cavité buccale sont impératifs ;
- hématome pelvi-lingual ou de la cloison nasale. L'évacuation-aspiration de cet
hématome doit être très rapide, avant d'assurer une compression par un système de
bourdonnets ou de mèches après mise en place d'une sonde nasale ;
- chute de la langue en arrière. Elle appelle des gestes immédiats :
• placer le patient en position latérale de sécurité (PLS),
• mettre en place une canule de Guédel,
• pratiquer, en cas de fracas symphysaire isolé, une glossopexie transjugale qui
permettra l'évacuation en position à demi assise,
• débuter une corticothérapie intensive en cas d'œdème laryngé important consécutif à
un blast ou une brûlure muqueuse.

Si ces mesures sont inefficaces, il faut à tout prix rétablir la liberté des voies aériennes
par :
- une intubation oro - ou naso-trachéale après avoir éliminé une lésion du rachis
cervical ;

342
- une trachéotomie expéditive (coniotomie) ou réglée selon le degré d'urgence et
l'importance des dégâts locorégionaux.

La coniotomie permet l'abord en extrême urgence de la trachée. Cet abord se fait au


niveau de l'espace intercricothyroïdien, évitant les obstacles vasculaires inhérents à un abord
bas de la trachée. Ceci est possible grâce à un kit ne nécessitant pas une instrumentation
particulière. On incise la peau avec une lame protégée, puis on transfixe la membrane
intercricothyroïdien avec le coniotome et son mandrin. Ce dernier est alors retiré et le
coniotome fixé par une lacette.

Hémorragies
Si impressionnantes qu'elles soient, les hémorragies faciales ne provoquent
qu'exceptionnellement un choc hypovolémique lorsqu'elles sont isolées.

Une plaie vasculaire peut être à l'origine d'une hémorragie interne, externe ou mixte.
Les hémorragies artérielles ou veineuses s'expriment différemment par des hémorragies en jet
ou en nappe.

Face à l'une de ces situations, il faut apporter une réponse adaptée au cadre de
l'urgence :

- hémostase intrafocale par ligature des extrémités du vaisseau lésé ; tamponnement


nasal antérieur et/ou postérieur ;
- bourdonnets placés au niveau jugal ou pelvi-buccal, noués sur des points en U
transfixants (Fig. 17.1) ;
- ligature de la carotide externe à son point d'élection, dans le triangle de Farabeuf.

343
Choc traumatique
Les associations lésionnelles sont fréquentes (fracas des membres, lésions
neurologiques) et doivent faire redouter un choc traumatique. La douleur, l'hypothermie,
l'anxiété s'ajoutent à l'hypovolémie.

Une ou plusieurs voies veineuses périphériques de diamètre suffisant (14 G) sont


mises en place. Elles permettent de restaurer une volémie efficace en perfusant des solutés de
remplissage de type cristalloïde (Ringer-lactate), des colloïdes artificiels tels que les gélatines
fluides (Plasmion) ou les dextrans (Rhéomacrodex). Ces derniers, d'utilisation plus délicate,
présentent l'avantage de procurer un volume de remplissage supérieur au volume perfusé.

On prévient une acidose métabolique en ajoutant un soluté alcalin (bicarbonate de


sodium à 24 %o).

Une sédation-analgésie doit être systématique. Elle pourra utiliser :

- des antalgiques non morphiniques : acide acétylsalicylique (Aspégic injectable),


propacétamol (Prodafalgan), néfopam (Acupan) ;
- des morphiniques : nalbufine (Nubain), péthidine (Dolosal). Si les morphiniques
restent les analgésiques de référence, les effets secondaires font réserver leur utilisation à des
cas d'espèce. Ces effets secondaires sont une dépression respiratoire, une action émétisante,
un myosis, pouvant gêner la surveillance neurologique d'un traumatisé crânien. Ce type
d'inconvénients est minimisé si on utilise des morphiniques agonistes-antagonistes comme la
nalbufine (Nubain) ;
- des anxiolytiques de type benzodiazépines (Valium, Tranxène), outre l'effet sédatif,
ont l'avantage de procurer une anxiolyse, un relâchement musculaire et une amnésie
antérograde.

Enfin, l'immobilisation des foyers de fracture, l'évacuation rapide et dans de bonnes


conditions du malade, son réchauffement participeront à la prévention du choc traumatique.

Mise en condition d'évacuation


Les fonctions vitales étant préservées, le transport du patient sera organisé vers une
structure d'accueil adaptée. Cette mise en condition d'évacuation va de pair avec la recherche
des lésions

Lésions neurochirurgicales

Une fracture de la colonne vertébrale sera systématiquement suspectée et les


manipulations du patient se feront en respectant l'axe tête-cou-tronc, de préférence avec le
soutien d'un collier cervical.

Les structures cranio-encéphaliques pourront présenter :

- des atteintes directes : fracture simple ou embarrure avec plaie cranio-cérébrale ;


- des atteintes indirectes dues au traumatisme ou à l'effet de blast :
• hématome sous-dural ou extradural,
• hématome intraparenchymateux,
• contusion avec œdème,

344
• fracture irradiée avec brèche ostéo-méningée et fistule de liquide céphalo-rachidien
(LCR). Secondairement, d'autres complications risquent de survenir : hypertension
intracrânienne (HTIC), méningite.

Ces lésions et complications potentielles appellent un examen clinique neurologique


rigoureux, complet, et qui devra être répété tout au long de la chaîne d'évacuation :

- évaluation de l'état de conscience grâce au score des comas de Glasgow ;


- recherche des réflexes du tronc cérébral ;
- recherche des signes de localisation régionaux ou périphériques ;
- recherche d'une rhinorrhée et d'une anosmie signant une lésion de la lame criblée de
l'ethmoïde. Une première indication sur la nature de cet écoulement pourra être fournie grâce
à un simple test au papier réactif mesurant sa concentration en glucose.

Lésions ophtalmologiques
Les plaies de la région oculaire sont nettoyées afin de mieux apprécier leur étendue
avant la survenue d'hématome et œdème, toujours importants. Cet examen du globe oculaire,
des paupières et de leurs annexes permet d'explorer les plaies franches ou contuses des
paupières, cutanées pures ou transfixantes, avec ou sans perte de substance, atteignant ou non
la cornée.

L'acuité visuelle, le champ visuel sont évalués œil par œil. Les pupilles sont
examinées à la recherche d'une mydriase, d'un myosis, et les réflexes pupillaires sont testés à
la recherche de lésions ophtalmologique ou neurologique centrale.

L'examen statique recherche :

- une ptôse du globe oculaire ou une énophtalmie faisant suspecter une lésion du
plancher ;
- une exophtalmie secondaire à un hématome rétrobulbaire ;
- un télécanthus ou épicanthus signant des lésions osseuses multiples des cadres
orbitaires ou du complexe naso-ethmoïdo-maxillo-fronto-orbitaire (CNEMFO).

L'examen dynamique teste l'oculo-motricité des globes oculaires dans les quatre
quadrants, avec apparition ou non d'une diplopie lors de l'élévation du regard. Cette
dysfonction du muscle droit inférieur plaide pour une fracture du plancher orbitaire, avec
incarcération des structures périorbitaires.

Sur le terrain, l'examen ophtalmologique débouche sur des gestes simples ne risquant
pas d'aggraver les lésions au niveau local (pansement binoculaire mettant l'œil au repos,
blépharroraphie assurant la protection du globe oculaire) et l'orientation du blessé vers un
centre spécialisé.

Examen maxillo-facial
II débute par un interrogatoire du patient si possible, des témoins ayant assisté à
l'accident, de la famille, afin de réunir les antécédents médicaux et chirurgicaux du blessé et
les circonstances de l'accident.

L'examen proprement dit débutera par :

345
Un examen exo-buccal
- Les signes fonctionnels sont la douleur ainsi qu'une perturbation des différentes
fonctions que sont la respiration, la déglutition, la mastication, la phonation (polypnée,
sialorrhée avec écoulement dû à l'incompétence labiale, économie du langage, etc.).

- Les signes physiques :

L'inspection note les asymétries et déformations des rebords osseux qui peuvent être
masquées par les œdèmes et les ecchymoses (péri-orbitaires en lunettes, jugaux, frontaux,
labiaux) survenant en quelques heures. Les plaies sont examinées :

• les orifices d'entrée et de sortie du projectile ;


• la reconstitution du trajet de l'agent vulnérant permet de prévoir une possible lésion
d'organe noble tel le canal de Sténon, le nerf facial ;
• l'importance des dégâts cutanés, osseux, muqueux, est évaluée. La plaie peut être
franche, contuse, transfixante, bordée par des lambeaux dont le parage sera toujours
économique au niveau de la face ;
• la mimique est analysée dans la mesure du possible, pour mettre en évidence une
parésie du nerf facial ou de l'un de ses rameaux ;
• les orifices naturels sont explorés à la recherche d'un écoulement de sang, de salive
ou de liquide citrin évoquant une fuite de LCR au niveau des conduits auditifs externes, des
narines, de la bouche. Une otoscopie recherchera un hématome du conduit auditif externe,
une plaie de l'os tympanal, une perforation tympanique. Une rhinoscopie pourra diagnostiquer
une hémorragie interne extériorisée, un écoulement de LCR, un hématome de la cloison
nasale ;
• la palpation situe les différents secteurs osseux, leur déplacement, leur mobilité
éventuelle : cadre orbitaire, auvent nasal, éminence malaire et arcade zygomatique, segments
dentés maxillaire ou mandibulaire. La sensibilité cutanée dans les différents territoires du nerf
trijumeau (VI, V2, V3) est testée. La palpation endaurable des condyles mandibulaires dans la
cavité glénoïde lors des mouvements d'ouverture et de fermeture buccale termine l'examen
exo-buccal.

Un examen endo-buccal
L'inspection et la palpation sont menées de pair, en débutant par l'examen du
contenant, paroi après paroi, puis du contenu. Les lésions muqueuses sont inventoriées :
plaies vestibulaires, pelvilinguales, jugales, palatines, vélaires.

L'existence d'une communication bucco-sinusienne (CBS) ou bucco-nasale (CBN) est


appréciée lors d'une expiration forcée (manœuvre de Valsalva).

Le rempart alvéolo-dentaire est examiné à la recherche d'une fracture dentaire ou


alvéolo-dentaire, d'une luxation dentaire complète ou partielle, de la disparition d'un secteur
denté.

L'engrènement des arcades supérieures et inférieures peut être perturbé et on peut être
confronté à plusieurs situations (Fig. 17.2) :

- l'une des arcades est déviée dans son ensemble et il faut suspecter une fracture
rétrodentée de la mandibule, une disjonction cranio-faciale ;

346
- une arcade est déformée par un chevauchement, une angulation, un décalage, signant
une fracture à ce niveau.

Examen général
L'examen général doit se faire membre par membre à la recherche de fractures,
luxations, etc., et appareil par appareil pour rechercher les conséquences d'un traumatisme
thoracique ou abdominal fermé ou ouvert.

Du bon contrôle des fonctions vitales, des lésions faciales et des lésions associées que
nous venons de décrire, découlent la mise en condition d'évacuation et la catégorisation de
cette urgence.

347
Mise en condition d'évacuation
Les plaies débarrassées des corps étrangers sont abondamment lavées avec du sérum
physiologique, puis avec un antiseptique iodé de type polyvidone iodée (Bétadine). Un
pansement occlusif est mis en place.

Une antibiothérapie est débutée, associant pénicilline (Pénicilline : 4 millions d'UI x


3) et métronidazole (Flagyl 500 mg x 3). Une injection de gammaglobulines antitétanique est
systématique.

Un collier cervical immobilisera une éventuelle fracture ou luxation du rachis


cervical.

Les fractures du massif maxillo-facial seront immobilisées avec les moyens


orthopédiques de contention dont on dispose :

- blocage intermaxillaire sur arcs vestibulaires fixés par des ligatures péridentaires au
fils d'acier 4/10 ou sur ligature d'Ivy. Ce blocage réclame une surveillance particulière du
blessé car il peut devenir urgent de libérer rapidement les voies aériennes supérieures en cas
de détresse respiratoire aiguë. Une paire de ciseau de type Beebee doit donc toujours
accompagner le patient ;

- si l'on ne dispose pas de ce matériel, une fronde occipito-mentonnière assurera une


contention provisoire.

Ainsi préparé, le blessé est évacué en position latérale de sécurité (PLS) ou en position
demi assise si son état général le permet. Le décubitus dorsal est toujours mal supporté chez
le traumatisé facial.

Les fonctions vitales doivent être surveillées durant le transport. Une sonde naso-
gastrique est nécessaire afin de permettre la réhydratation et l'alimentation du patient en
court-circuitant les lésions buccales, ou l'aspiration du contenu gastrique en cas de
vomissement chez un patient dont la mandibule est bloquée.

Le choix du centre spécialisé vers lequel est dirigé le blessé est dicté par :

- la durée du transport acceptable selon l'état du patient ;


- le type de transport disponible (routier, aérien, etc.).

Les insuffisances respiratoires aiguës d'origine maxillo-faciale ou thoracique, les


insuffisances cardiocirculatoires mal contrôlées nécessitent une prise en charge spécialisée la
plus rapide possible. Un délai d'1 h n'est acceptable que dans des circonstances particulières.

Le traitement primaire des lésions de la face peut être différé jusqu'à 6 h si la


réanimation est efficace. En cas de fracture simple ou de plaies sans signe de gravité, ce délai
est porté à 18 h grâce à une antibiothérapie débutée précocement.

Soins en milieu hospitalier

348
À l'arrivée à l'hôpital un nouvel examen clinique est pratiqué, afin de réévaluer l'état
du patient et de dépister des lésions passées inaperçues. Il hiérarchise les demandes
d'examens spécialisés.
Examens radiologiques
Si les clichés simples pratiqués dans les trois dimensions de l'espace sont toujours de
mise lorsque l'on suspecte une lésion des structures nobles, un scanner pratiqué en première
intention sera un gain de temps précieux. Il faut vérifier l'intégralité du rachis cervical si on
désire mettre le patient en position debout ou si on veut effectuer des clichés nécessitant
l'hyperextension du rachis cervical (incidences frontales, coupes coronales au scanner et
cliché en incidence de Hirtz). S'il est impossible d'étendre le rachis cervical, seules des coupes
axiales seront possibles. Des reconstructions scénographiques coronales, de moins bonne
qualité, pourront cependant aider le chirurgien suspectant une brèche dure-mérienne, une
fracture du plancher de l'orbite avec incarcération des muscles oculo-moteurs.

L'examen tomo-densito-métrique permet également d'analyser :

- la présence de corps étrangers, leur nombre et leur localisation ;


- les lésions osseuses, parenchymateuses, tégumentaires ;
- les hématomes dure-mériens, intracrâniens, rétrobulbaires ;
- une réaction œdémateuse, avec ou sans hypertension intracrânienne, une thrombose
veineuse cérébrale ;
- l'existence d'un pneumatocèle.

Le bilan radiologique standard comprend des clichés pratiqués dans les trois
dimensions de l'espace.

Pour l'étage moyen : incidence de Blondeau, de Waters


incidence face haute
os propres du nez, avec trois incidences
crâne de profil
incidence de Hirtz, latéralisée ou non

Pour la mandibule : incidence face basse


maxillaire défilé droit et gauche
ortho-pantomogramme si le patient peut s'asseoir
clichés rétro-alvéolaires, occlusaux

Formes cliniques

Formes anatomo-pathologiques
La systématisation des lésions maxillo-faciales est difficile. Tout au plus peut-on
dégager quelques tableaux cliniques les plus fréquents, et ce en fonction du point d'impact.

Si l'impact est antéro-postérieur, vertical ascendant, ce qui est souvent le cas des
tentatives de suicide par arme à feu, deux types d'associations lésionnelles se rencontrent :

- l'impact se situe sous le menton, l'étage inférieur de la face est ouvert comme un
livre, avec un défect osseux mandibulaire et maxillaire ;

349
- l'orifice d'entrée se trouve dans la bouche, et c'est alors le 1/3 vertical médian qui est
atteint, avec perte de substance osseuse et muqueuse du plafond buccal, valgisation des
malaires et des os propres du nez qui sont soufflés.
Si l'impact est latéral, ce qui est souvent le cas des blessés de guerre, il peut être :

- localisé au seul étage mandibulaire, dans sa partie symphysaire, horizontale ou


angulaire ;
- global, concernant à la fois l'étage médian et inférieur du massif facial, avec des
pertes de substance cutanée, muqueuse, osseuse, associées à des plaies de la parotide et du
nerf facial et possibilité d'atteinte des gros vaisseaux du cou.

Formes étiologiques

Elles varient avec le type d'armes utilisées. Nous les avons décrites plus haut.

Les lésions occasionnées sont très différentes et peuvent aller du polycriblage (arme
d'autodéfense à grenaille), au trajet simple sans lésion majeure (arme de poing), jusqu'aux
lésions les plus mutilantes (fusil d'assaut), non compatibles avec la survie si le tir intervient à
moins de 400 m et atteint la face.

Formes évolutives
- Complications précoces : un polytraumatisé pourra présenter des lésions
neurochirurgicales, orthopédiques, viscérales qui feront passer le traitement des lésions
maxillo-faciales au second plan. Des gestes simples, que nous détaillerons plus loin, devront
cependant être mis en œuvre précocement afin de préparer les étapes de reconstruction.

Du point de vue neurochirurgical, une complication infectieuse (méningite, abcès


cérébral) est toujours à redouter.

Du point de vue maxillo-facial, l'infection est moins fréquente mais possible compte
tenu des phénomènes de dévitalisation retardée (lambeau cutané, séquestre osseux) et de la
communication avec des cavités septiques ;

- Complications tardives : les séquelles peuvent intéresser les structures osseuses ou


les parties molles. Nous citerons ici les principales, sans les développer davantage :
• séquelles osseuses : il s'agit de la non-réduction voire la disparition de secteurs
osseux entraînant une déformation, une asymétrie faciale. De même, un cal vicieux
hypertrophique pourra provoquer une déformation ou une constriction permanente des
mâchoires,
• au niveau des parties molles, cutanées et muqueuses, peuvent s'associer des pertes
de substance et des rétractions, posant des problèmes lorsqu'elles siègent autour des orifices
naturels.

Traitement
L'extrême urgence étant réglée et les fonctions vitales contrôlées, on pourra passer au
traitement des lésions maxillo-faciales proprement dites.

350
Plusieurs dogmes doivent être ici impérativement respectés. Contrairement à l'attitude
habituellement prônée en traumatologie courante, le traitement ne pourra ici être radical, en
un temps, ni précoce. Les lésions décrites au chapitre Anatomo-pathologie dictent cette
conduite. Le traitement primaire consiste en une mise à plat des lésions préparant les étapes
futures.

Le parage doit être économe, car la face est très vascularisée, avec un excellent
potentiel de cicatrisation, mais il faut rester prudent en raison de la possibilité de
dévitalisation secondaire à court ou moyen terme.

Le traitement initial, comme le traitement secondaire, doit se faire de la


profondeur vers la surface, c'est-à-dire que les lésions osseuses devront être traitées
avant de tenir compte des problèmes posés par les plans de recouvrement.

Le traitement primaire débute par un nouvel examen des lésions, au niveau de


tous les tissus, sous anesthésie générale, avant d'entreprendre :

- le parage ou mise à plat des lésions ;


- la réduction puis la contention des fractures ;
- la prise en charge du problème tégumentaire.

Parage
II doit être ni trop généreux, ni trop modeste. Il pourra être effectué en plusieurs
temps, en fonction de l'évolution des lésions secondaires.

Les esquilles osseuses seront éliminées mais le parage osseux sera le plus
conservateur possible, évitant tout dépériostage inutile.

Le parage musculaire se fera à la demande, sur les critères macroscopiques de couleur,


saignement, persistance ou non de la contractilité. Au niveau cutané, les tatouages de poudre
seront soigneusement brossés. Tous les corps étrangers doivent être soigneusement
recherchés et retirés, sans toutefois aggraver les décollements.

Réduction et contention des fractures (Fig. 17.3)


La réduction puis la contention des foyers de fracture peuvent être orthopédiques ou
chirurgicales.

- Les moyens orthopédiques :

Les déplacements osseux sont réduits manuellement ou par traction sur fil d'acier, sur
arc vestibulaire ou sur un groupe dentaire. L'objectif est de restaurer l'occlusion dentaire
antérieure.

Le retour à un engrènement satisfaisant des arcades dentaires supérieure et inférieure


est pérennisé par un blocage intermaxillaire solidarisant les arcs de contention supérieur et
inférieur. Ce blocage est rigide par des fils d'acier si l'occlusion est satisfaisante ou il utilise

351
des élastiques durant les premiers jours s'il persiste un petit décalage dans l'articulé (contact
prématuré par exemple).

- Les moyens chirurgicaux :

La réduction et la contention des foyers de fracture se fait :

• par voie percutanée ou par les orifices naturels,


• à ciel ouvert, utilisant les plaies ou les voies d'abord chirurgicales cutanées,
muqueuses, mixtes.

La réduction peut être digitale ou instrumentale : davier de Rowe et Killey, crochet de


Ginestet, spatule de Gillis.

La contention utilisera des moyens extra focaux ou transfocaux, évitant dans ces
circonstances les ostéosynthèses intrafocales.

Plusieurs instruments ou méthodes permettent d'assurer la contention :

- les broches de Kirchner, permettant un embrochage malo-malaire transfacial, un


embrochage transversal ou en X de la mandibule (Fig. 17.4) ;
- une attelle de Péri, pontant une perte de substance osseuse mandibulaire ;
- un fixateur externe : comme l'attelle de Péri, il permet de rétablir la rigidité
mandibulaire et de mobiliser de manière précoce les ATM ;
- des suspensions à distance prenant appui sur les apophyses orbitaires de l'os frontal
(Adam), l'épine nasale, le rebord orbitaire, l'arcade zygomatique. Le but est de fixer en zone
saine l'ensemble de l'étage moyen et inférieur de la face rigidifié par le blocage
intermaxillaire;
- un cerclage mandibulaire (Black-Ivy) ou périmaxillaire (Paoli) ;

352
- une canthopexie transnasale au niveau des os propres du nez.

Traitement tégumentaire
La règle des 6 h imposée par Friedrich et Policard peut être transgressée grâce à une
antibiothérapie à large spectre entreprise précocement et la vitalité particulière des tissus de la
face.

Les pertes de substance minimes peuvent être suturées directement, éventuellement


avec autoplastie locale. Cela reste toutefois exceptionnel lors de traumatismes balistiques de
la face et il faudra se garder de vouloir fermer à tout prix.

Les pertes de substances majeures pluritissulaires seront consacrées en suturant les


berges muqueuses aux berges cutanées, sous couvert de drainage par lames. Les sutures
seront soulagées par des points transfixants noués sur bourdonnets. Cette attitude d'attente
permet un parage économique, une surveillance des tissus dont la vitalité n'est pas certaine,
une prévention des rétractions qui compliqueront le traitement définitif.

Le traitement secondaire devra être le plus précoce possible, lorsque les structures
osseuses seront stabilisées et l'environnement tissulaire favorable.

Pour les pertes de substance moins importantes, on pourra entreprendre une


cicatrisation dirigée sous pansement gras.

Certaines localisations des lésions appellent un traitement particulier. Pour prévenir


une rétraction péri-orificielle, les fosses nasales seront calibrées grâce à des sondes
d'intubation. En cas de plaie du conduit auditif externe (CAE), une fracture du tympanal, le
CAE sera mèche. Après une énucléation, la cavité orbitaire sera comblée par un
conformateur. Les éléments nobles lésés seront réparés au plus tôt : sutures nerveuses, greffes

353
si nécessaire, suture sur tuteur ou abouchement à la muqueuse des canaux lacrymaux ou du
canal de Sténon par exemple.

Grâce à ce traitement, les lésions osseuses sont stabilisées et les parties molles sont
cicatrisées en général en trois semaines à un mois. Le traitement secondaire débutera dès que
possible, sans attendre les rétractions toujours à redouter. Il met en œuvre toutes les
techniques habituellement utilisées en chirurgie plastique et reconstructrice utilisant des
lambeaux locaux, régionaux ou à distance, simples ou composites, pédicules, libres,
revascularisés ou non.

Thème clinique
Afin d'illustrer notre propos, nous allons envisager le cas d'un traumatisme balistique
de la face, dont l'impact latéral lèse à la fois les étages moyen et inférieur du massif facial. Ce
type clinique est généralement le résultat d'une agression par arme à feu, différent des lésions
médianes sagittales habituelles dans les tentatives de suicide.

Nous admettrons que le blessé présente des lésions maxillo-faciales isolées, à


l'exclusion de toute autre lésion orthopédique ou viscérale. Ce cas d'école est typique d'un «
blessé balistique », par opposition aux polytraumatismes routiers ou sportifs dont l'atteinte
cranio-faciale est rarement isolée.

Ce patient ayant reçu les premiers soins arrive à l'hôpital le plus proche dans les
meilleures conditions et la prise en charge chirurgicale est immédiate. Avant d'aborder le
traitement initial de ces lésions, il nous semble nécessaire de présenter un rappel anatomique
plus particulièrement abordé sur le plan traumatologique.

Rappel anatomique
Les structures anatomiques de la face ont été décrites précédemment et nous ne
reprendrons ici que les données ayant directement trait à la thérapeutique. De plus, la
complexité des lésions en rapport avec un traumatisme balistique rend caduques les
différentes notions d'architectonie habituellement évoquées. Au cours d'un traumatisme
balistique, les lésions anatomiques sont très complexes, et les descriptions classiques de
l'architecture de la face perdent de leur intérêt. En effet, la puissance de l'agent vulnérant se
joue des lignes de force et les traits de fracture différents de ceux habituellement rencontrés.
Dès lors, il est nécessaire pour décrire l'ensemble des dégâts de faire appel à des cadres
nosologiques plus vastes. Ainsi, les traumatismes s'étudient secteurs par secteurs, la face étant
divisée en trois tiers verticaux (latéral droit, médian, latéral gauche) et trois étages (inférieur,
moyen, supérieur).

Du point de vue osseux, le massif facial est une superstructure composite comportant
13 os de composition différente : os cortical, os spongieux, os papy-racé. Seules les zones de
résistance verticales (piliers canins et consoles maxillo-malaires, ainsi que leurs ancrages sur
la base du crâne) et horizontales (plateau palatin, continuité mandibulaire) méritent
réparation. Cette structure répond aux contraintes biomécaniques de la mastication, à travers
les dents qui représentent à la fois une référence de l'anatomie antérieure et un point
d'ancrage, pilier des traitements chirurgicaux et orthopédiques.

354
Cette structure rigide, appendue à la base du crâne, abrite de nombreux éléments
vitaux et sensoriels que sont les voies aériennes supérieures, les voies digestives avec la
langue, les globes oculaires et leurs annexes, les glandes salivaires, les pavillons auriculaires.

L'ensemble est recouvert par la peau, que l'on ne doit plus comme autrefois négliger
car des délabrements inesthétiques ont des répercussions importantes sur les plans
psychologiques et sur la personnalité. Sa coloration, sa texture, sa mobilité, sa pilosité varient
d'un secteur à l'autre. Elle délimite les orifices naturels cités plus haut. Les frontières peau-
muqueuse doivent faire l'objet d'une attention particulière : calibrage, alignement.

Sous ce revêtement cutané, les muscles peauciers jouent un rôle fonctionnel majeur
malgré leur faible volume. Ils sont innervés par le nerf facial et régissent la mimique. Cet
ensemble de muscles symétriques forme le système musculo-aponévrotique superficiel, ou
SMAS, de localisation péri-orificielle et présentant des insertions profondes para-osseuses, et
superficielles hypodermiques.

Dans le cas que nous allons décrire, les lésions sont nombreuses et étendues, non
systématisables ; elles concernent les secteurs moyen et inférieur de la face, et sont
latéralisées au tiers médian et latéral. Les dégâts osseux, bien analysés par l'imagerie médicale
moderne, ne demanderont pas tous une réparation ad integrum. Quant à l'atteinte des parties
molles, son exploration minutieuse ne sera possible que sous anesthésie générale.

Prise en charge
Dès l'arrivée à l'hôpital de ce patient ayant reçu les premiers soins, on peut être
confronté à plusieurs situations.

Les fonctions vitales peuvent être menacées immédiatement et leur traitement en salle
de déchocage s'impose. Elles peuvent à l'inverse être stables, un examen clinique rapide mais
complet a alors pour but de déterminer la priorité et la chronologie des gestes à entreprendre.

Complications immédiates

Détresse respiratoire
La liberté des voies aériennes supérieures peut être menacée de multiples façons :

- présence de sang, de caillots mêlés à la salive dans l'oro-pharynx chez un blessé


placé de manière intempestive en décubitus dorsal ;
- présence de corps étranger tel que des dents, des fragments d'os ou de prothèse ;
- hématome de la langue, du plancher buccal, du palais mou ;
- déplacement en arrière de la symphyse mandibulaire en rapport avec une fracture
plurifocale de cet os, responsable d'une chute du massif lingual contre la paroi pharyngée
postérieure ;
- œdème de l'oropharynx souvent important dès les premières heures.

Chacune de ces situations réclame une réponse adaptée. Après aspiration des
différentes sécrétions, écouvillonnage doux, exérèse des corps étrangers, un abord direct des
voies aériennes supérieures sera le plus souvent nécessaire.

355
Une intubation par les voies naturelles, c'est-à-dire par la cavité buccale très délabrée,
est toujours possible mais gênera le geste chirurgical. L'intubation naso-trachéale n'est pas
non plus retenue car la probabilité de lésion de l'étage moyen irradiant vers l'étage antérieur
de la base du crâne n'est pas négligeable, elle est donc dangereuse sans examen radiologique
précis. On court également le risque que la sonde suive un trajet sous-muqueux.

Enfin, la réparation des lésions maxillo-faciales graves nécessite de court-circuiter les


voies aériennes supérieures durant une période prolongée (une à plusieurs semaines). Au total
on réalise une trachéotomie soit en première intention comme ici, soit en remplacement d'une
intubation qui aurait pu être effectuée lors des premiers soins.

Trachéotomie réglée
Elle s'exécute sous anesthésie locale et prémédication non dépressive, ou sous
anesthésie générale, avant le geste chirurgical. Le patient est placé en décubitus dorsal, tête en
hyperextension.

L'incision cutanée classique est horizontale, à deux travers de doigt au-dessus de la


fourchette sternale, dans un pli du cou. Une fois les plans cutané et sous-cutané franchis, la
dissection devient strictement médiane, verticale, traversant les aponévroses cervicales
superficielle et moyenne au niveau de la ligne blanche avasculaire. Les muscles sterno-cléido-
mastoïdiens et sterno-thyroïdiens sont réclinés latéralement par deux écarteurs de Farabeuf.
La trachée est alors dégagée au niveau de ses deuxième et troisième anneaux. L'isthme
thyroïdien est en général repoussé vers le bas ; s'il gêne l'abord de la trachée, il sera lié. Après
avoir libéré les adhérences qui l'unissent à la trachée, l'isthme est sectionné entre deux pinces
de Kocher ensuite remplacées par des ligatures appuyées. L'hémostase des différents plans est
vérifiée avant l'ouverture trachéale. Une anesthésie intra trachéale est effectuée avant
l'incision proprement dite des anneaux, qui peut être faite soit en H couché, afin d'obtenir
deux volets, soit en U à charnière inférieure. Un écarteur bivalve (type Aboulker) est introduit
dans la lumière pour faciliter le passage d'une canule. Cette canule (canule de Sjoberg ou
Krishaber) doit être du plus gros calibre.

Défaillance circulatoire
Si impressionnantes qu'elles soient, les pertes sanguines d'origine maxillo-faciale ne
sont que rarement à l'origine d'hypovolémie. L'hémostase sera cependant soigneusement
contrôlée, ainsi que les constantes cardiocirculatoires :

- ligature intrafocale des hémorragies artérielles et veineuses. Une ligature de la


carotide externe à son point d'élection, entre les artères thyroïdienne supérieure et linguale, ne
sera effectuée qu'en cas d'hémorragies plurifocales non contrôlables localement ;
- contrôle des hémorragies muqueuses par tamponnement nasal antérieur, postérieur
ou mixte, bourdonnet jugal ou pelvi-buccal ;
- la volémie sera restaurée par perfusion de solutés de remplissage (Ringer-lac-tate,
Plasmion) sur des critères cliniques (pouls, pression artérielle) ;
- une transfusion sanguine sera indiquée si le taux d'hémoglobine est inférieur à 9
mg/100 ml, avec un retentissement clinique.

Bilan pré-opératoire

356
L'examen clinique a pour but d'évaluer l'étendue des lésions pluritissulaires et
d'orienter les examens complémentaires.
L'orifice d'entrée du projectile réalise une perte de substance concernant toutes les
tuniques du soufflet jugal. Cette plaie s'étend jusqu'à l'orifice buccal par une perte de
substance labiale et commissurale. La localisation de cette perte de substance laisse présager
une atteinte du canal de Sténon, ainsi que des rameaux buccaux et mentonniers du nerf facial.
La douleur et l'œdème rendent difficile l'examen de la mimique faciale.

L'orifice de sortie, de taille plus modeste, presque ponctiforme, se situe au niveau du


plancher buccal.

Les lésions endo-buccales sont également importantes. Il existe une disparition de la


canine et première prémolaire supérieure, ainsi que de l'os alvéolaire qui les soutenait. Le
vestibule supérieur est comblé par un volumineux hématome.

À l'étage mandibulaire, plusieurs dents sont également absentes dans les secteurs
prémolaire et molaire. Une fracture comminutive de la branche horizontale, ouverte du côté
endo-buccal, est responsable d'un trouble de l'articulé dentaire. La langue présente une perte
de substance intéressant la partie latérale de la pointe, en avant du V lingual. Enfin, un
volumineux hématome occupe l'hémi-plancher buccal homolatéral.

Devant ce tableau, un bilan radiologique est demandé. Il comprend les clichés simples
suivants :
- incidences de Blondeau et de Waters ;
- incidence face basse ;
- incidences des maxillaires défilés droit et gauche ;
- incidence de Hirtz centrée puis latéralisée du côté des lésions ;
- un ortho-pantomogramme.

Si l'on suspecte une atteinte de l'étage antérieur (lame criblée) ou de l'étage moyen de
la base du crâne (fracture du rocher), de la cavité orbitaire, il faut demander un scanner en
complément des clichés simples. Sur chacune des localisations suspectes, des coupes
bimillimétriques axiales et coronales permettent de visualiser les traits de fracture, les
déplacements des segments osseux, des éventuelles lésions des organes nobles de voisinage
(dure-mère, péri-orbite, nerf facial).

Dans notre exemple, un scanner du massif facial avait été demandé d'emblée, pour
gagner du temps et parce que le plateau technique le permettait. Les lésions étaient les
suivantes :

- fracture alvéolo-dentaire prémolaire, irradiant vers le haut et rejoignant une fracture


du plateau palatin homolatéral réalisant un hémi-Lé Fort 1.
- fracture comminutive de la branche horizontale de la mandibule, avec présence
d'esquilles osseuses et de corps étrangers métalliques au niveau du plancher buccal. Enfin, il
existe une fracture sous-condylienne haute contro-latérale peu déplacée.

Au terme de ce bilan radio-clinique, un traitement initial sous anesthésie générale est


programmé. Son double objectif, fonctionnel et esthétique, passe par un parage des lésions,
une réduction des déplacements puis une contention des différents fragments osseux, afin de

357
préparer les différents temps de chirurgie réparatrice. Ce traitement initial doit intervenir le
plus tôt possible, ou être différé de 5 à 6 j après la phase inflammatoire aiguë.

Traitement initial
Matériel
Les instruments nécessaires à l'intervention sont les suivants :

- boîte de chirurgie pour parties molles, comprenant des instruments adaptés à la


chirurgie cutanée du visage ;
- bistouri électrique uni- et bipolaire ;
- boîte de blocage intermaxillaire comprenant des arcs de Dautrey malléables, des fils
métalliques 4/10 et 3/10, des ciseaux de Beebee ;
- boîte d'ostéosynthèse maxillo-faciale ;
- broches de Kirchner ou fixateur externe ;
- moyen de drainage type lame de Delbet ;
- aspiration chirurgicale.
1 O

Installation
L'intervention est programmée sous anesthésie générale. Le problème de l'intubation
ne se pose pas car le patient est trachéotomisé. Le sevrage de la trachéotomie doit être le plus
rapide possible, dès que la liberté des voies aériennes est rétablie.

Une sonde naso-gastrique d'alimentation est mise en place en pré-opératoire. Elle


permet d'alimenter le patient et de protéger les sutures muqueuses ainsi que les ostéosynthèses
sous-jacentes.

Le patient est installé en décubitus dorsal ; le champage, habituel en chirurgie


maxillo-faciale, se fait en capeline. L'intervention dure habituellement environ 2 h.

Intervention Parage
Le premier temps est le nettoyage minutieux de la plaie opératoire avec une solution
antiseptique iodée. Cette toilette ne doit pas se limiter au plan superficiel mais, bien au
contraire, être méthodique, de la surface vers la profondeur, idéalement sous irrigation
abondante et brossage appuyé. En superficie, les abrasions dermo-épidermiques sont
nettoyées avec soin ; plus en profondeur, les lambeaux cutanés, musculaires et les fragments
osseux sont déplacés afin de retirer tous les corps étrangers, fragment dentaire ou prothétique.

Cette première étape de parage permet de faire un bilan exhaustif des lésions. Il doit
être le plus économique possible.

Au niveau cutané et muqueux ne sont excisés que les lambeaux assurément nécrosés ;
sur le plan osseux, seuls les fragments libres de petite taille dépériostés, c'est-à-dire privés de
vascularisation, seront éliminés. Afin de ne pas majorer les pertes de substance, ce geste
devra être le moins traumatique possible, en évitant les décollements et dépériostages inutiles.

Dans le cas présent, la perte de substance jugale de pleine épaisseur est située en avant
du muscle masséter. La parotide n'est concernée que par l'intermédiaire du canal de Sténon
qui est interrompu avant son ostium et s'abouche dans la plaie opératoire. La perte de

358
substance linguale est parée, et l'hémostase de sa tranche de section faite soigneusement au
bistouri électrique sur pinces.

La suture sera soulagée par de larges points en U. L'hématome du plancher buccal est
évacué et divers fragments et corps étrangers sont aspirés. La mandibule présente une perte de
substance de l'os cortical et spongieux rendant impossible une reconstruction immédiate
restaurant la continuité mandibulaire.

Réduction des foyers de fracture


Elle peut être réalisée par des voies d'abord percutanées, cutanées, muqueuses ou
mixtes. L'abord se fait ici par la plaie, agrandie par des incisions muqueuses vestibulaires
supérieure et inférieure pour atteindre les étages correspondants. La réduction des foyers de
fracture consiste à restaurer l'architecture détruite. Les dents servent de point de repère,
l'objectif étant de retrouver l'engrènement antérieur des arcades supérieure et inférieure. Dans
cette optique, des arcs métalliques vestibulaires sont fixés par des ligatures au fil d'acier 4/10
au collet des dents restantes. Ces arcs se servent des dents comme d'autant de fiches d'un
fixateur externe. Dans notre cas, deux hémi-arcs sont placés en haut ; en bas, l'arc n'est fixé
que du côté sain.

La mobilisation et la désimpaction de la fracture du plateau palatin homolatéral type


hémi-Lé Fort 1 est réduite par la conjonction de traction sur l'arc de Dautrey et mobilisation
au davier de Rowe et Killey. La réduction obtenue est maintenue en mettant en place un
blocage intermaxillaire sous forme de boucles métalliques au fil d'acier 3/10 solidarisant les
arcs supérieur et inférieur.

La réduction du déplacement de la fracture de la branche horizontale mandibulaire


s'obtient manuellement.

Contention
Les fractures du pilier canin et du cintre maxillo-malaire sont ostéosynthésées par des
fils d'acier ou par plaques fixées par quatre vis unicorticales de 7 mm. Ces plaques sont
modelées extemporanément au relief de l'étage moyen. On peut assurer la contention de la
mandibule de plusieurs manières :

- mise en place de broches de Kirchner placées en X entre les régions angulaires


droite et gauche ;
- grâce à un fixateur externe, pontant la perte de substance osseuse, et prenant appui
sur les secteurs parasymphysaire et angulaire ;
- par une attelle de Péri fixée sur les mêmes segments osseux sains.

La contention stable des foyers de fracture par des moyens intra- et périfocaux
présente plusieurs avantages :

- au niveau de l'infrastructure maxillaire, en cas d'ostéosynthèse par plaques


miniaturisées, la consolidation n'impose pas un blocage intermaxillaire de 45 j, toujours mal
supporté. Quant à l'étage mandibulaire, il est impératif de maintenir l'espace correspondant à
la perte de substance osseuse. Il s'agit de préparer le lit d'une greffe osseuse libre ou

359
revascularisée en maintenant les espaces, en évitant les rétractions cutanéo-muqueuses à
l'origine de brides jugales et commissurales qui compliqueront le traitement secondaire ;

- le blocage intermaxillaire pourra être rapidement supprimé, ce qui présente plusieurs


avantages. La rééducation des articulations temporo-mandibulaires est débutée plus précocement.
Il s'agit de mouvements d'ouverture et de fermeture buccale, de propulsion, de diduction droit et
gauche, essentiel à la rééducation de la fracture articulaire (ATM). Enfin, une hygiène rigoureuse
de la cavité buccale, seule garante d'une bonne cicatrisation des lésions muqueuses, est plus
facilement obtenue.

Fermeture
La fermeture se fait en sens inverse du parage, de la profondeur vers la périphérie.

Les voies d'abord vestibulaires sont suturées à l'aide de fils à résorption rapide. La perte
de substance est pérennisée en suturant la peau à la muqueuse. L'abouchement du canal de Sténon
est dérivé sur drain tuteur, afin de créer un nouvel ostium situé en muqueuse saine. L'extrémité
prémassétérine de la plaie est protégée par un large point en U noué sur bourdonnets.

L'orifice de sortie, au niveau du plancher buccal, ne bénéficie que de quelques points de


rapprochement. Une lame de drainage est fixée à ce niveau.

Soins post-opératoires
L'antibiothérapie à large spectre et à bonne diffusion osseuse (associant pénicilline-
métronidazole ou amoxicilline-acide clavulanique), débutée en pré-opératoire, est poursuivie en
fonction des données cliniques. On y associe une corticothérapie brève mais intensive. Le blocage
est laissé en place durant 5 j, pour améliorer les suites post-opératoires immédiates (diminution de
la douleur, des œdèmes, etc.). Dès la libération de ce blocage, et à condition que les sutures soient
de bonne qualité, l'alimentation par sonde naso-gastrique sera remplacée par une alimentation
liquide per os. Les lavages-irrigation de la cavité buccale doivent être pluriquotidiens.

Les antalgiques mineurs (paracétamol par exemple) deviennent rapidement inutiles


lorsque les fragments osseux sont immobilisés.

La lame de drainage est laissée en place le minimum de temps, elle permet des lavages du
trajet balistique avec des solutions antiseptiques. Ces manœuvres ne doivent pas être poursuivies
sous peine de pérenniser un orostome.

La diminution rapide des œdèmes s'accompagne de la récupération de la liberté des voies


aériennes supérieures, ce qui permettra un sevrage de la trachéotomie au bout de 8 à 10j.

La cicatrisation complète doit survenir dans un délai de trois à quatre semaines. C'est à ce
moment que doit être proposé un nouveau geste chirurgical, afin de rétablir la continuité osseuse
mandibulaire et d'effectuer une reconstruction jugale et commissurale.

Le traitement initial des délabrements faciaux, aujourd'hui mieux codifié, doit être
effectué avec le souci constant de préserver l'avenir, en tentant de simplifier autant que possible
les interventions futures. Il doit aussi tenir compte de préoccupations esthétiques, pour minimiser
au maximum les cicatrices, et rendre plus rares les « gueules cassées » issues des derniers conflits
mondiaux.

360
Plaies du thorax
en situation d'exception

F. PONS, O. CHAPUIS, R. JANCOVICI

La prise en charge d'une plaie du thorax peut, en conditions précaires, être une
situation extrêmement angoissante, compte tenu de la gravité immédiate potentielle de
certaines de ces plaies et de l'appréhension que peut avoir un chirurgien à réaliser une
thoracotomie d'hémostase s'il n'a pas l'habitude de cette chirurgie.

Rappelons les particularités de la prise en charge et du traitement de telles plaies


dans ces situations dites d exception, de précarité ou de pénurie :

- au niveau du ramassage : sauf exception, comme en milieu urbain quand


l'évacuation peut être très rapide, les plaies très hémorragiques ne seront pas vues par le
chirurgien, le blessé décédant le temps du transfert ;
- au niveau du diagnostic : bien souvent on n'a pas la possibilité d'effectuer une
radiographie pulmonaire (et encore moins bien sûr les examens plus sophistiqués comme le
scanner ou lafibroscopie, etc.) ;
- au niveau des possibilités de réanimation : une réanimation lourde ou une
ventilation prolongée sont souvent de réalisation impossible, et il n'y a généralement pas ou
peu de possibilité de transfusion sanguine et d'oxygénothérapie ;
- au niveau de l'acte chirurgical : paradoxalement, c'est sur ce plan que la différence
se fait le moins sentir car la réalisation d'une thoracotomie ne demande en fait que peu
d'instruments spécifiques (un écarteur et des instruments de laparotomie suffisent) ;
- au niveau des suites et de la surveillance post-opératoire, en revanche, la pénurie
liée aux conditions de travail sera durement ressentie : pas d'oxygène, pas ou peu de
possibilités d'aspiration continue, peu de personnel pour la surveillance, pas de possibilité de
contrôle radiographique régulier.

Tous ces éléments font que la prise en charge d'un blessé du thorax en situation
précaire sera souvent difficile et en tout cas différente de ce que l'on connaît dans nos
structures européennes.

Agents vulnérants
Les plaies thoraciques sont généralement dues à des armes blanches ou des
projectiles.

361
La fréquence des plaies par armes blanches (poignards, lances, sagaies, machettes) est
très variable selon le type de conflit : elle est généralement faible mais peut parfois être
prédominante comme cela a pu être observé lors du récent conflit du Rwanda. Le pronostic
est souvent assez bon si le patient a pu arriver vivant jusqu'à l'hôpital.

Les projectiles sont de plusieurs types :

- les éclats proviennent d'explosion d'obus de mortier, de roquette, de grenade, de


bombe, etc., et il faut distinguer l'éclat primaire (le projectile) et les éclats secondaires (débris
divers projetés par l'explosion). Ces éclats pouvant avoir n'importe quelle taille, poids ou
vitesse et provoquer des lésions extrêmement variables, depuis le délabrement pariétal majeur
jusqu'à l'orifice punctiforme : ces plaies par éclats s'accompagnent souvent de lésions de
polycriblage donnant de très nombreux petits orifices thoraciques et abdominaux devant
lesquels il est toujours très difficile de savoir si l'un d'eux n'est pas responsable d'une lésion
grave ;

- les balles ont fait l'objet de nombreuses études balistiques sur leur trajet et les lésions
qu'elles peuvent provoquer en fonction de leur calibre et de leur vitesse (voir chapitre 14).
Ces notions de balistique sont en fait plus utiles pour les concepteurs d'armes qui veulent
connaître leur pouvoir vulnérant que pour le chirurgien. En effet, ces notions théoriques
perdent toute leur valeur si la balle a touché un obstacle dur avant de pénétrer dans le corps
(gilet pare-balles, ricochet sur un obstacle, etc.) ou dans le corps même (côte, sternum,
vertèbre pour le thorax). Dans ce cas, la reconstitution du trajet est très hasardeuse et même la
notion classique de petit orifice d'entrée et de gros orifice de sortie peut être mise en défaut.
En fait, pour le chirurgien, la détermination du projectile n'a pas d'intérêt pratique réel : on ne
traite pas un projectile mais les lésions qu'il provoque. Le plus important est d'essayer de faire
le bilan des lésions dues au projectile, quel qu'il soit, une attention toute particulière devant
être portée à la possibilité de passage dans la cavité abdominale ou de trajet transmédiastinal ;

- les fusils de chasse, souvent utilisés actuellement dans les conflits à type de guerre
civile, donnent des lésions variant avec la distance de tir et le calibre des plombs ; un tir à
moins de trois mètres avec de la chevrotine provoque de très grosses lésions pariétales ; dans
les tirs plus distants, les projectiles sont plus dispersés, donnant un aspect de polycriblage
posant les mêmes problèmes que ceux d'une plaie par éclats : chaque orifice peut
correspondre à une lésion potentiellement grave.

Lésions
Elles peuvent concerner toutes les structures anatomiques thoraciques.

Au niveau de la paroi thoracique, les lésions peuvent aller de l'orifice punctiforme au


grand délabrement, avec possibilité de lésions osseuses, musculaires et vasculaires (vaisseaux
intercostaux). Les lésions vertébrales sont particulièrement redoutables si elles sont haut
situées et si elles s'associent à une plaie pulmonaire, car il peut y avoir une atteinte des centres
respiratoires majorant considérablement le risque de détresse respiratoire. De plus, une
paraplégie en situation précaire constitue une véritable catastrophe.

Une atteinte pleurale peut faire apparaître un thorax soufflant ayant de graves
conséquences physio-pathologiques lorsqu'elle accompagne une grosse plaie pariétale ;
lorsque l'orifice s'est collabé, il peut alors y avoir un hémopneumothorax fermé qui, surtout

362
s'il s'accompagne de fuites aériennes importantes, risque de devenir compressif, pouvant
entraîner un arrêt cardiaque.

Les lésions pulmonaires peuvent être directes avec hémorragies et fuites aériennes ;
les lésions du hile (concernant souvent les artères ou veines pulmonaires) sont pour la plupart
rapidement mortelles et sont rarement vues par le chirurgien. Le plus souvent donc, il faut
prendre en charge des lésions touchant les branches périphériques des bronches ou des
vaisseaux. Le parenchyme pulmonaire est souvent dilacéré. À côté de ces lésions pulmonaires
directes, il existe aussi des lésions indirectes, à type de contusion pulmonaire, qui peuvent
être graves secondairement car elles font courir de gros risques de surinfection et de
perturbation de la ventilation. Ces lésions nécessitent normalement une ventilation prolongée,
souvent illusoire en situation précaire.

Les plaies du médiastin, compte tenu de l'importance des organes que celui-ci
contient, répondent le plus souvent à la loi du « tout ou rien ». Les plaies des cavités
cardiaques ou des gros vaisseaux sont habituellement rapidement mortelles ; lorsqu'elles
arrivent au chirurgien, il s'agit souvent de plaies du cœur peu délabrantes (alors plus souvent
par arme blanche que par balle) dans lesquelles un hémopéricarde a pu réaliser une hémostase
provisoirement salvatrice. Sans traitement (péricardiocentèse ou ponction), cet hémopéricarde
évolue vers une tamponnade mortelle. Les plaies de l'œsophage sont rares mais très graves
car, sans possibilités d'endoscopie, elles restent généralement méconnues et provoquent
secondairement des médiastinites gravissimes.

Les lésions de la trachée intrathoracique sont extrêmement rares et le plus souvent


létales, de même que les lésions des bronches souches accompagnant le plus souvent des
lésions majeures du hile.

Bilan et indications thérapeutiques


À l'arrivée, il faut rapidement examiner le blessé et établir un premier bilan :

- aspect général, état hémodynamique, ventilation ;


- examen du ou des orifice(s) (retourner avec précaution le blessé pour rechercher un
orifice postérieur) : le but de cet examen des orifices n'est pas de déterminer le type de
projectile ni de préciser quel est l'orifice d'entrée et de sortie, mais de tenter de préciser le
trajet lésionnel (passage dans le médiastin, lésion d'un ou des deux hémithorax, pénétration
abdominale?) et de guider ainsi la conduite à tenir (voie d'abord, type d'intervention) ;
- auscultation et percussion des deux hémithorax à la recherche de signes
d'épanchement gazeux ou liquidien, auscultation des bruits du cœur qui peuvent être plus ou
moins déplacés ou assourdis ;
- palpation de l'abdomen à la recherche d'une lésion abdominale ;
- si possible, radiographie pulmonaire, recherchant surtout un épanchement et
abdomen sans préparation recherchant un éventuel projectile.

Au terme de cet examen, on peut individualiser quatre tableaux dont trois imposent (si
les conditions le permettent) un geste immédiat :

- tableau de détresse circulatoire majeure par hémothorax massif qui nécessite à la fois
une réanimation lourde et une thoracotomie d'extrême urgence ;

363
- tableau de tamponnade avec une plaie isolée de l'aire cardiaque évoquant une plaie
du cœur qui impose une sternotomie ou une thoracotomie d'hémostase en urgence,
éventuellement précédée d'une ponction péricardique ;
- tableau de détresse respiratoire, soit avec un thorax soufflant évident, qu'il faut
obturer et drainer, soit avec des signes de pneumothorax important justifiant un drainage ou
une exsufflation en urgence.
Le quatrième tableau est. celui d'un blessé du thorax relativement stable sur le plan
circulatoire et respiratoire, et chez qui on peut réaliser un bilan un peu plus poussé avant de
décider d'un geste thérapeutique.

Les principaux gestes, en cas de plaie du thorax, peuvent donc être :

- des gestes de réanimation ;


- un drainage thoracique ;
- un geste chirurgical éventuel par sternotomie, thoracotomie et/ou laparotomie.

Réanimation
La réanimation dans ces circonstances précaires se borne souvent à la mise en place
de voies veineuses et de perfusion.

Drainage
Le drainage est le geste de base devant toute plaie du thorax. Les quatre qualités du
drainage sont d'être :

- aseptique (autant que possible) ;

- irréversible (impossibilité de retour vers la cavité pleurale de liquide ou d'air et ce


malgré la dépression provoquée par les mouvements respiratoires) ;

- perméable (permettre l'évacuation permanente du liquide et de l'air sans risque


d'interruption, tout particulièrement en cas de fuites aériennes où une obstruction du drainage
provoquera au minimum un emphysème pariétal et un risque de pneumothorax compressif) ;
- et éventuellement aspiratif (ce qui facilite l'évacuation complète de la cavité pleurale et
facilite la réexpansion du poumon).
Il faut donc, pour appareiller un drain, installer au minimum un dispositif antiretour et
un « récipient » pour recueillir le liquide et, éventuellement, aspirer.

Dispositif antiretour et de recueil des liquides


On peut utiliser plusieurs méthodes en fonction du matériel dont on dispose :

- mettre en place une valve antiretour de Heimlich et un dispositif de recueil du


liquide qui peut être un simple récipient (bassine, etc.) ou une poche à urine (aucun obstacle
ne doit bien sûr gêner l'évacuation de l'air et il faut penser à fendre la poche à urine) ;
- fabriquer une valve de Heimlich de fortune avec un doigt de gant troué ;
- installer un dispositif à un bocal qui fait aussi office de système antiretour : le fond
du bocal est rempli de liquide stérile ; le drain est relié à ce bocal et le tuyau provenant du
patient plonge de 2 cm dans le liquide ; un tube court ne plongeant pas dans le liquide ou un

364
orifice fait communiquer le bocal avec l'atmosphère : ainsi, tout reflux d'air est impossible
lors des mouvements inspiratoires mais une remontée liquidienne reste possible lors de
mouvements très amples. Pour l'éviter, il faut que le bocal soit au moins à 40 cm en dessous
du thorax du patient ; au fur et à mesure que le niveau du liquide monte, l'aspiration devient
moins efficace et il faut changer le bocal ou remonter le tuyau qui plonge dans le liquide.
Méthodes d'aspiration
On peut ne pas aspirer et laisser ainsi en siphonage simple les dispositifs précédents.

Il est toujours préférable de maintenir une aspiration branchée directement sur la valve
de Heimlich ou sur le dispositif à un bocal (les dispositifs à deux voire trois bocaux, plus sûrs
mais plus complexes et plus volumineux, sont peu réalistes dans ce type de situation) :

- ce sera au mieux une aspiration continue par une source de vide (vide mural,
aspirateur électrique), rare en fait dans ces conditions ;
- ce peut être une aspiration discontinue par le personnel utilisant un aspirateur à pied
type Pédavid ou un aspirateur portable et faisant régulièrement le tour des blessés drainés du
thorax ;
- ce peut être la traite régulière de la valve de Heimlich (que l'on peut enseigner à un
membre de la famille ou à un accompagnant).

Indications d'un geste chirurgical


Les indications habituelles d'une thoracotomie dans nos structures européennes bien
équipées sont :

- détresse circulatoire aiguë chez un blessé agonisant, imposant une thoracotomie


antérolatérale dite de « ressuscitation » ou de sauvetage ;
- tamponnade évoquant une plaie du cœur, devant faire pratiquer une sternotomie (ou
une thoracotomie) d'hémostase ;
- plus rarement, hémorragies importantes ou persistantes (les chiffres les plus souvent
admis sont de plus de 300 ml/h ou plus de 1,5 1 à l'arrivée), soit hémothorax incomplètement
drainé au cours de l'évolution, nécessitant là encore une thoracotomie d'hémostase.

Le pourcentage de ces thoracotomies en pratique « civile » est en fait très variable


puisqu'il varie selon les auteurs de 21 à 78 %.

Les indications d'une thoracotomie en situation de pénurie ou d'exception peuvent être


différentes :

- les thoracotomies « de ressuscitation » sont en fait rares car soit le blessé est décédé
pendant le transport, soit les moyens de réanimation lourde et de remplissage faisant défaut,
l'intervention est vouée à l'échec. Pour décider d'une telle thoracotomie, il faut tenir compte
non seulement des possibilités techniques locales mais aussi du contexte social, politique ou
culturel (un décès sur table peut être interprété soit comme un échec que l'on pourra reprocher
au chirurgien, soit, inversement, comme la preuve d'avoir fait tout ce qu'il pouvait devant une
telle situation). Il est donc impératif, avant l'intervention, de prévenir l'entourage des très
fortes probabilités de décès ;
- une tamponnade témoigne souvent, comme nous l'avons vu, de plaie assez limitée
des cavités cardiaques et justifie un abord chirurgical qui peut sauver le patient au prix d'un
geste relativement simple qui sera éventuellement précédé d'une ponction péricardique ;

365
- pour les autres plaies avec hémothorax, les indications de thoracotomie nous
paraissent devoir être plus larges dans ce type de circonstances car elle offre plusieurs
avantages : d'abord, elle permet de limiter la réanimation et les besoins de remplissage d'un
hémothorax qui continue à saigner ; ensuite, on peut immédiatement faire un bilan lésionnel
et traiter précisément les lésions en assurant une hémostase et une pneumostase soigneuse ;
enfin, on peut s'assurer de la bonne position des drains, ce qui simplifie grandement la
surveillance post-opératoire dont nous avons vu les difficultés dans les drainages « à
l'aveugle». Cette attitude plus interventionniste permet également de limiter les complications
infectieuses et les séquelles à distance. Elle a été en particulier appliquée lors des conflits
tchadiens (Dumurgier, Courbil, Malchair) et la proportion de thoracotomies a pu atteindre 68
% dans la série de Dumurgier (thèse Emanuely). Il est difficile de définir des critères stricts
d'indication qui dépendront beaucoup des conditions d'exercice mais il nous semble que toute
plaie du thorax avec pneumothorax et hémothorax de moyenne abondance, même stable sur
le plan hémodynamique, justifie une thoracotomie de « mise au propre ». En effet, ce geste ne
s'accompagne que d'une faible morbidité (lorsqu'il n'y a pas d'exérèse majeure), contrairement
à un drainage inefficace ;
- pour les plaies thoraco-abdominales : au moindre doute sur la possibilité d'une plaie
abdominale, il est indispensable de réaliser une laparotomie de principe. On rejoint ainsi le
principe de la laparotomie systématique devant toute plaie de l'abdomen en chirurgie de
guerre. Cette laparotomie permet de confirmer ou d'infirmer le diagnostic de plaie
pénétrante : si la pénétration abdominale est confirmée, elle permet de traiter une lésion
abdominale associée et de réparer la lésion diaphragmatique ; même si on ne retrouve pas de
lésion, la laparotomie a l'avantage de simplifier la surveillance ultérieure, car on ne sera pas
préoccupé par la possibilité d'une telle lésion. Cette laparotomie sera associée soit à un simple
drainage, soit à un abord thoracique.

Technique chirurgicale
Sur le plan anesthésique, l'intubation sélective est rarement possible dans ce type de
situation mais peut toujours s'avérer intéressante si l'on a la chance de disposer d'une sonde
type Carlens et surtout d'un anesthésiste habitué à ce type d'intubation.

Voies d'abord
Pour une thoracotomie « de ressuscitation » la thoracotomie antérolatérale sous le
grand pectoral est la seule voie possible, compte tenu de l'impossibilité de mettre ce patient en
décubitus latéral. A gauche, elle permet en outre le clampage de l'aorte thoracique
descendante.

Devant un tableau de tamponnade avec suspicion de plaie cardiaque, on peut choisir


entre une thoracotomie antérolatérale gauche et une sternotomie. La sternotomie, si l'on
dispose du matériel nécessaire (scie à plâtre ou sternotome et marteau) donne une meilleure
exposition et permet au besoin d'aborder les deux hémithorax. La thoracotomie antérolatérale,
de réalisation plus facile en l'absence de matériel spécifique, expose moins bien les cavités
cardiaques.

Pour les autres plaies du thorax, la thoracotomie postéro-latérale dans le 5 e espace


intercostal, effectuée sur un patient en décubitus latéral, est la voie de choix car elle procure
une exposition excellente. Il est préférable d'éviter les thoracotomies atypiques utilisant un
orifice existant, car elles sont souvent difficiles à fermer.

366
Pour une plaie thoraco-abdominale, la voie d'abord sera, après drainage thoracique,
une laparotomie médiane pour la plaie abdominale généralement traitée en premier. Si un
abord thoracique est jugé nécessaire, il pourra se faire soit par une petite thoracotomie
antérolatérale chez le patient laissé en décubitus dorsal, soit, en cas de difficultés
importantes, par un grand élargissement en thoraco-phréno-laparotomie.

Gestes intrathoraciques
Une fois réalisée la thoracotomie, il faut :

- évacuer les caillots et l'hémothorax et faire le bilan des lésions en appréciant


l'importance des lésions parenchymateuses (dilacérations, bullage, etc.) et l'origine d'un
saignement ;
- réaliser un geste d'hémostase. L'hémostase pariétale est assurée par ligature d'une
artère intercostale. L'hémostase du parenchyme pulmonaire doit rester la plus économe
possible, et il faut résister à la tentation de réaliser une exérèse même devant des lésions
importantes car un parenchyme pulmonaire contus, « hépatisé », a d'étonnantes
possibilités de récupération ; il faut donc se contenter d'hémostases et de pneumostases
par des points et des petits surjets et d'exérèses limitées de « régularisation » de zones
périphériques dilacérées (résection le long d'une pince et surjet sur la tranche). Il ne faut
réaliser une lobectomie ou une pneumonectomie d'hémostase que lorsque tous les autres
moyens sont inutilisables, comme devant une plaie vasculaire majeure qui pourra
nécessiter au préalable un clampage, électif ou en masse, du hile pour assurer une
hémostase provisoire ; ces plaies, nous l'avons dit, sont exceptionnelles dans un contexte
de pénurie ; réaliser la pneumostase : par des points ou de petits surjets, on ferme les plus
grosses fuites que l'on détecte mieux (si l'on dispose de sérum en quantité suffisante) en
remplissant de liquide la cavité thoracique ; il ne faut pas s'acharner pour obtenir une
pneumostase parfaite, difficile sur une zone cruentée. Là encore les possibilités de
cicatrisation pulmonaire sont importantes.

Drainage - fermeture
Le drainage est indispensable ; il sera assuré au mieux par deux drains, l'un
antérieur et l'autre postérieur. Le temps de fermeture sera parfois long, dominé par la
nécessité d'obtenir l'étanchéité : fermeture de la thoracotomie, mais aussi fermeture du ou
des orifice(s) qui sera parfois difficile en cas de délabrement important. Il faut
éventuellement s'aider de « synthèses » costales par des fils et utiliser les masses
musculaires pariétales pour assurer cette étanchéité.

Suites opératoires
Elles font toute la difficulté de cette chirurgie et l'on peut là aussi évoquer la loi du
« tout ou rien » : soit le blessé peut être rapidement extubé et aucune complication
infectieuse majeure n'émaille l'évolution, et les suites seront relativement simples, soit des
complications respiratoires liées à la contusion et/ou à la surinfection apparaissent, et elles
seront alors souvent fatales car toute ventilation ou réanimation prolongée est
habituellement impossible. Dans les suites il faut :

367
- mettre en place l'antibiothérapie dont on dispose ;
- appareiller et surveiller le drainage comme nous l'avons évoqué plus haut ;
- assurer une kinésithérapie est illusoire mais aider le patient à tousser, faire du
clapping, éduquer l'entourage pour le faire est possible et peut s'avérer très utile.
Les complications que l'on redoutera seront :
- une reprise hémorragique ;
- un huilage prolongé témoin d'une brèche broncho-pleurale persistante pour
lequel il faut savoir être patient car un drainage prolongé pourra souvent en avoir raison ;
- des complications infectieuses, avec pyothorax surtout, pouvant nécessiter
drainages itératifs et lavages pleuraux ;
- à distance, ce seront les séquelles : persistance de corps étrangers
intrathoraciques souvent psychologiquement très mal ressentis dans certains pays et pour
lesquels il faudra résister à la demande d'ablation parfois très pressante du patient ou de
son entourage ; constitution d'une poche pleurale enkystée, plus ou moins infectée, ou
d'un pneumothorax chronique qui seraient alors l'indication théorique d'une décortication
pulmonaire ; il s'agit cependant d'une intervention parfois difficile, souvent hémorragique,
dont il faut poser les indications avec circonspection en tenant compte du plateau
technique, de l'état général du patient et des compétences du chirurgien.

Conclusion
En situation d'exception, avec des possibilités très limitées de réanimation, les
plaies du thorax par arme blanche ou par balles peuvent être graves soit immédiatement,
et alors souvent mortelles, soit secondairement en particulier par les complications
infectieuses liées aux difficultés de drainage et de surveillance. L'indication, plus large
qu'en chirurgie « civile », de thoracotomies de « mise au propre », nous paraît pouvoir
faciliter la prise en charge de ces blessés et limiter les complications et séquelles par
rapport aux simples drainages.

368
Indications et limites de la chirurgie
dans les plaies pelvi-périnéales

PH. VICQ, J.-M. ANDREU

Dans le cadre plus vaste des plaies de l'abdomen, il faut faire une place particulière
aux plaies pelvi-périnéales, qui représentent 5 % des plaies abdominales. Elles associent des
lésions vasculaires ou viscérales intra-pelviennes et une ouverture périnéale, ce qui rend
compte de leur particulière gravité.

Les facteurs de gravité


Leur sévérité tient à une série de facteurs péjoratifs propres aux plaies pelvi-
périnéales.

Anatomie
Là est le premier de ces facteurs : elle explique en particulier les fréquentes
associations lésionnelles, le risque hémorragique et le risque septique.

- la cavité pelvienne et le plancher musculo-fibreux du périnée sont traversés par les


deux filières uro-génitale et ano-rectale, profondément enchâssées et fixées au diaphragme
périnéal. Dans le pelvis, la vessie, la prostate et l'urètre d'une part, le rectum d'autre part ainsi
que l'utérus et le vagin chez la femme, contractent des rapports très intimes, surtout lorsqu'ils
sont en état de réplétion. Plus bas, à travers le diaphragme périnéal, la filière uro-génitale et la
filière digestive sont solidaires des très fortes tractions exercées sur elles au cours des
fractures de l'anneau pelvien. Ainsi s'explique la grande fréquence (50 à 80 %) des
associations lésionnelles urinaires, digestives et périnéales ;
- le contenu du pelvis est protégé par un cadre osseux (os iliaques, sacrum) dont les
parois ostéo-musculaires internes sont tapissées par l'important réseau artériel et veineux
iliaque. Les anastomoses y sont très riches, responsables en cas de plaies ou de déchirures
vasculaires du développement de volumineux hématomes sous- et rétropéritonéaux, qui sont
la première cause de la mortalité immédiate (10 %) de ces lésions ;
- enfin, les espaces sous-péritonéaux (espaces de Retzius, Bogros, espace pelvi-rectal
supérieur et fosses ischio-rectales) communiquent entre eux et avec les espaces celluleux
sous-cutanés, de telle sorte qu'une plaie potentiellement septique de la région périnéale peut
contaminer l'ensemble de ces espaces. Ainsi peuvent se développer des cellulites extensives,
parfois gangreneuses, qui sont la principale cause de mortalité secondaire de ces plaies.

Mécanismes lésionnels

369
Dans les plaies pelvi-périnéales les traumatismes sont très fréquemment violents.
Les fractures du bassin sont fréquentes, avec rupture de l'anneau pelvien et déplacements
parfois importants qui exposent au traumatisme indirect des organes qui transitent dans le
pelvis. Le mécanisme est soit un choc frontal (motocycliste, piéton) soit un choc vertical
(chute d'une grande hauteur), soit enfin un écrasement sous un bâtiment ou un véhicule.

Les plaies pénétrantes périnéales directes résultent soit d'un empalement, soit d'une
blessure par arme blanche ou projectile, qui tous entraînent les lésions multiples et
septiques.

Les lésions périnéales par blast (mines antipersonnel ou autres explosifs) sont
toujours associées à des lésions graves des membres inférieurs.

Difficultés du diagnostic
Le troisième facteur péjoratif des plaies pelvi-périnéales est la difficulté d'établir
un bilan lésionnel précoce et complet. Le retard au diagnostic est parfois imputable à une
évacuation tardive, mais aussi à la difficulté de l'exploration clinique de ces lésions dans
le contexte traumatique. Le diagnostic relève d'un examen clinique soigneux, mais il y a
une place pour des examens complémentaires simples, pourvu qu'on dispose d'un appareil
de radiographie.

La plaie périnéale doit a priori être recherchée chez tout traumatisé de l'abdomen
ou du bassin, mais aussi chez tout polyblessé ou écrasé, par un examen systématique du
périnée. En cas de douleur très vive ou de lésion associée interdisant tout examen, celui-ci
sera réalisé sous anesthésie générale, après rasage périnéal, pour ne passer à côté d'aucune
plaie, même minime, même à distance. Le périnée antérieur, les organes génitaux
externes, la racine des cuisses et la paroi abdominale doivent eux aussi être inspectés.

On analysera la topographie de la plaie, on dépistera un écoulement et on


recherchera par la palpation une crépitation neigeuse, témoignant de la présence de gaz
dans les espaces celluleux sous-cutanés du bassin et de l'abdomen. Une radiographie sans
préparation, indispensable si elle est réalisable pour rechercher des lésions osseuses et en
faire le bilan, permet par ailleurs de mettre parfois en évidence des gaz extradigestifs.

Les lésions de la filière anorectale font l'objet d'un examen clinique : une
plaie de l'anus, du sphincter ou du rectum doit être suspectée a priori lorsqu'il existe une
plaie du périnée ou un traumatisme violent du bassin.

Certains éléments cliniques d'orientation lors de l'examen initial sont très


évocateurs, comme une rectorragie, même minime, ou des signes d'irritation péritonéale
lors de la palpation abdominale. L'examen ano-rectal doit être complet dès l'admission du
blessé et lors de la première anesthésie générale.

Au toucher rectal systématique et bimanuel, dont la sensibilité n'excède pas 80 %, on


associera si possible une rectoscopie au tube rigide pour explorer le rectum jusqu'à la
charnière recto-sigmoïdienne.

370
Les lésions de la filière uro-génitale doivent également être recherchées. Les organes
génitaux externes doivent être examinés avec soin : il faut se rappeler de la fréquence des
lésions du scrotum et de son contenu dans les blessures par explosifs, et leur atteinte
secondaire en cas de cellulite ou de gangrène périnéale. Le vagin fera l'objet d'un examen au
spéculum et au toucher vaginal.
Une uréthrorragie. Une hématurie, une rétention aiguë d'urine ou une fistule urinaire
précoce doivent faire évoquer une atteinte des voies urinaires. Pour la prouver, il faut réaliser
un sondage uréthro-vésical prudent et dans de bonnes conditions d'asepsie :

- si la sonde de Foley n°16, convenablement lubrifiée, passe sans difficulté dans la


vessie, trois cas de figures sont possibles :

• l'émission d'urines claires témoigne de l'intégrité des voies urinaires,


• l'émission d'urines sanglantes témoigne d'une lésion du haut appareil ou de la
vessie. Il faut laisser la sonde en place pour mesurer la diurèse et suivre l'évolution de
l'hématurie.
• l'absence d'urines dans la vessie peut résulter soit d'une plaie du dôme vésical
avec uro-péritoine, symptomatique par ailleurs, soit d'une anurie transitoire que le
remplissage vasculaire doit combattre efficacement en quelques heures. Dans le doute, une
cystographie par injection de produit de contraste dans la vessie permet facilement de vérifier
l'intégrité vésicale ;
- si la sonde bute sur un obstacle, il ne faut pas insister et drainer la vessie par une
cystostomie ou un cathéter sus-pubien, après s'être assuré de la réplétion vésicale.

Modalités pratiques du traitement


Relève et premiers soins
Les conditions du ramassage et de la prise en charge vont influer sur le pronostic au
moins autant que la gravité propre des lésions. Pour une même plaie de guerre abdomino-
pelvi-fessière, le pronostic sera sensiblement différent si l'évacuation primaire se fait en 1 h
d'hélicoptère avec transfusion à bord, ou en pirogue sanitaire avec un verre de thé. La
présence du médecin et une bonne logistique sanitaire sont donc les premiers garants d'une
prise en charge de qualité.

Réanimation et traitement médical


En cas de choc hémorragique, le remplissage vasculaire est primordial. Précoce,
utilisant les solutés disponibles (le Ringer-lactate est le plus pratique), il doit être ajusté sur la
diurèse horaire (une diurèse de 100 ml/h traduit une hydratation correcte). Dès que possible,
on compensera la perte sanguine par une transfusion de sang isogroupe, en se fondant sur le
taux d'hémoglobine ou sur l'hématocrite.

Le traitement anti-infectieux constitue le deuxième volet de la réanimation médicale.


Il associe systématiquement, compte tenu de la flore bactérienne habituelle dans ces plaies, la
pénicilline G, un dérivé de l'ornidazole et un aminoside.

Indication chirurgicale

371
En l'absence de moyens sophistiqués d'imagerie, l'indication d'une exploration
chirurgicale doit être très large. Il faut intervenir précocement en cas de :

- syndrome hémorragique avec état hémodynamique précaire, lorsqu'il n'est pas


efficacement et durablement stabilisé par le remplissage vasculaire et les transfusions ;
- tableau de péritonite ou de pelvipéritonite débutant ou franchement installé avec
syndrome septique ;
- doute sur de possibles lésions digestives malgré la négativité des examens cliniques
et endoscopiques répétés. À la laparotomie exploratrice, il faut ici toujours associer
l'exploration de la plaie ano-périnéale.

Dans tous les cas, il faut que l'intervention soit complète d'emblée, permettant donc
une exploration exhaustive des organes intra-abdominaux et de leur portion sous-péritonéale
et périnéale. Le blessé doit donc être installé de façon à permettre la laparotomie et l'accès au
périnée. Les membres inférieurs, soutenus par des supports bien capitonnés (pour éviter une
compression vasculaire, nerveuse ou musculaire prolongée), sont écartés et modérément
surélevés. Le sondage urinaire, s'il n'a pas été mis en place auparavant, est pratiqué de façon
aseptique. Après rasage et toilette, on isole le champ opératoire par deux champs séparés.

Gestes d'hémostase
La présence d'un hématome sous-péritonéal n'impose pas systématiquement une
hémostase chirurgicale. Seule une hémorragie en cours ou une augmentation évidente du
volume de l'hématome en cours de laparotomie doit faire explorer la région sous-péritonéale
du côté qui saigne. Ce geste peut s'avérer très difficile en cas de plaie(s) veineuse(s), et
conduire, si l'hémostase directe reste inefficace, à une ligature d'une ou des deux artères
hypogastriques (efficacité respective de 10 et 80 %), voire à la mise en place précoce d'un
tamponnement intrapelvien à l'aide de champs textiles secs - éventuellement après
cathétérisme des uretères pour prévenir leur compression. Il faut très rapidement, dès le début
de l'intervention, décider de recourir ou non au tamponnement, une fois l'exploration viscérale
terminée, et avant que ne surviennent les troubles de la coagulation. Si l'on recourt au
tamponnement, une fois l'hémostase obtenue, on referme la paroi abdominale et on
programme une nouvelle laparotomie après 48 ou 72 h, en fonction de l'état du blessé, pour
l'ablation des champs.

Traitement des lésions ano-rectales


II s'agit de lésions de l'anus, de ruptures ou déchirures sphinctériennes, ou de plaies du
rectum intrapelvien.

Toute lésion ano-rectale impose la réalisation d'une dérivation digestive d'amont, qui
constitue le geste digestif essentiel. La colostomie doit être pratiquée au site électif, dans la
fosse iliaque gauche. C'est une colostomie latérale sur baguette, à laquelle on doit adjoindre
deux gestes complémentaires importants :

- une vidange complète du segment digestif d'aval, grâce à l'irrigation par une sonde à
ballonnet et la vérification de la vacuité du rectum par une dilatation anale au doigt ;
- une « terminalisation » de la dérivation à l'aide d'une bourse de fil ou d'un agrafage
immédiatement en dessous de la stomie. Ainsi, on s'assure qu'aucune contamination ne pourra
venir empêcher la cicatrisation des lésions ano-périnéales.

372
Ce n'est que dans certains cas que l'on pourra traiter d'emblée les lésions ano-rectales :

- suture directe d'une déchirure sphinctérienne au fil résorbable, lorsque les lésions
sont nettes et qu'elles ne dépassent pas une hémicirconférence du sphincter ;
- suture directe en un plan, après parage, d'une plaie du canal anal ou du rectum sous-
péritonéal, par voie transanale ;
- suture directe au cours de la laparotomie d'une plaie nette du rectum, après
mobilisation éventuelle de la charnière recto-sigmoïdienne et du rectum jusqu'aux releveurs.
Dans le cas exceptionnel d'un délabrement rectal important, on peut être amené à pratiquer
une résection réglée de type Hartmann ;
- dans tous les autres cas, la plaie anale ou rectale ne doit pas être suturée d'emblée, et
il faut drainer les espaces périrectaux par des lames caoutchoutées après colostomie.

Traitement des lésions urinaires


II se résume en première intention à un drainage des urines en amont des lésions :

- sondage uréthro-vésical tuteur en cas de rupture de l'urètre. Sa mise en place peut


être facilitée par un montage en va-et-vient après taille vésicale ;
- une cystostomie sus-pubienne sur sonde de Pezzer est la solution habituelle pour les
lésions vésicales ou urétrales non cathétérisables ;
- enfin, la montée de sondes urétrales peut être la solution en cas de lésions du trigone
ou des uretères.

La réparation définitive des lésions des voies urinaires est le plus souvent un geste
secondaire qui incombe à l'urologue, à distance du traumatisme (urétrotomie endoscopique,
urétroplastie, cure de fistule vésicale ou recto-vési-cale).

Drainage des espaces celluleux


II s'effectue en fin d'intervention, par un abord péritonéal, une exploration digitale et
l'installation de plusieurs lames caoutchoutées dans les espaces décollés périrectaux, sus-
pubiens et sous-cutanés, assurant un drainage efficace et permettant une irrigation. Les plaies
cutanées ne doivent jamais être suturées, quelles que soient leurs tailles, et il faut programmer
des pansements itératifs, sous anesthésie générale, en modifiant le cas échéant le nombre et la
position des drains. Même en l'absence de lésion ano-rectale, une simple plaie périnéale peut
amener, si l'évolution précoce est défavorable, à réaliser une colostomie de dérivation pour
faire cesser la contamination des espaces celluleux pelvi-périnéaux.

Conclusion
Les plaies pelvi-périnéales sont de véritables urgences chirurgicales, car elles peuvent
avoir un pronostic vital, soit d'emblée lorsque les lésions hémorragiques prédominent, soit
secondairement par le développement d'infections (cellulites gangreneuses ou non)
entretenues par la contamination fécale. Les séquelles sont fréquentes du fait des associations
lésionnelles. L'expérience des conflits récents permet de dégager une attitude thérapeutique
univoque, valable en pratique civile, dont les principes généraux sont l'exploration
chirurgicale précoce, le drainage d'amont des lésions urinaires, la colostomie terminalisée, le
drainage large des parties molles et le traitement réparateur sélectif de la lésion ano-rectale.

373
Plaies de guerre de la hanche

-F. THIERY, ]. LIMOUZIN, H. DE BELENET, C. DROUIN

Les plaies articulaires de guerre ont un pronostic bien différent selon qu' elles siègent
sur une articulation distale, intermédiaire ou proximale.

Dans le premier cas, comme au niveau du poignet et du pied par exemple, seul le
pronostic fonctionnel est en jeu. Dans le deuxième cas (coude, genou), le devenir du membre
est engagé. Dans le dernier cas enfin (racines des membres, épaule ou hanche) s'ajoute le
problème du pronostic vital.

Les plaies de guerre de la hanche représentent l'ensemble des lésions ouvertes par
projectiles de guerre avec effraction de V articulation coxo-fémorale.

Leur fréquence est certainement sous-estimée puisqu’on les a chiffrées à I % des


lésions de l'appareil locomoteur en temps de guerre.

Elles sont toujours graves car elles engagent le pronostic fonctionnel, le pronostic du
membre et le pronostic vital.

Leur expression clinique est extrêmement variée car les lésions associées sont
particulièrement nombreuses : atteintes nerveuses, vasculaires et viscérales. La plaie de
hanche en temps de guerre est en quelque sorte la « plaie articulaire de toutes les spécialités
chirurgicales ».

II faut, lorsque l'on étudie les plaies de guerre de la hanche, reprendre l'évolution de
leur prise en charge puis, à la lumière de données balistiques, replacer cette prise en charge
dans un contexte moderne. Les rapports anatomiques de la hanche permettent de comprendre
les données anatomo-pathologiques des lésions et de décrire quatre principaux tableaux
cliniques.

À ces quatre principaux tableaux cliniques correspond une attitude thérapeutique qui
dépend des lésions rencontrées et du contexte chirurgical. Parfois, il faut passer par des
gestes chirurgicaux à distance pour obtenir un résultat fonctionnel optimal.

Historique
La prise en charge des plaies de guerre de la hanche est passée par trois périodes.

374
La première était celle du fatalisme. Pendant les guerres d'Empire, Larrey, Blandin et Perret
côté français, Cooper et Guthrie côté anglais, pratiquaient la désarticulation coxo-fémorale
avec une effroyable mortalité. Legouest, après la guerre de Crimée, a condamné cette
intervention. Au cours de la guerre de Sécession, la mortalité était de 85 %, quel que soit le
traitement. Langenbeck, après la guerre de 1870, a publié une série de blessés de guerre de la
hanche avec 77 % de mortalité.

Vient ensuite la période euphorique qui commença au début du siècle puis se continua
au cours de la Grande Guerre. L'amélioration de l'asepsie et une meilleure connaissance des
techniques chirurgicales a permis d'abaisser la mortalité en dessous de la barre des 50 %.
L'apparition de la réanimation de l'avant et l'avènement de l'antibiothérapie vont alors
bouleverser les données, à tel point que l'on a péché par excès d'optimisme : les Américains
n'ont plus systématiquement exploré les plaies de guerre de la hanche à la fin de la guerre
1939-1945. Au début des années soixante, ils réalisaient en urgence des arthroplasties
prothétiques.

Cette attitude a provoqué bien des déboires à moyen terme et a conduit à l'époque
actuelle où l'on semble bien avoir enfin trouvé l'attitude rationnelle. Les plaies de guerre de la
hanche restent redoutables, mais par une prise en charge primaire bien codifiée et une
chirurgie réparatrice secondaire de plus en plus performante on en minimise beaucoup les
séquelles.

Anatomie
La hanche est la plus volumineuse énarthrose de l'organisme. Elle met en présence
l'extrémité supérieure du fémur et la face exo-pelvienne de l'os coxal. Ce sont les pièces
osseuses de l'articulation.

L'extrémité supérieure du fémur comprend :

- la tête fémorale reposant sur le col du fémur et le massif trochantérien. Le versant


coxal de l'articulation est représenté par le cotyle, creusé sur sa face exo-pelvienne ;
- le cartilage céphalique et coxal, d'une épaisseur de 2 mm.

L'orientation spatiale de ces pièces osseuses est fondamentale pour assurer un


fonctionnement harmonieux de l'articulation : l'angle cervico-diaphysaire est de 130°, l'angle
d'antéversion du col de 20° et l'angle d'antéversion du cotyle de 20°. Ces angles doivent
toujours être restaurés.

La capsule articulaire est un manchon fibreux tronconique tendu du pourtour de la


cavité cotyloïdienne à la base du col fémoral où elle s'insère de manière asymétrique, plus
latéralisée en arrière qu'en avant. Elle est tapissée d'une synoviale épaisse, jouant un rôle
fondamental de lame porte-vaisseau pour la vascularisation de la tête fémorale. Cette
vascularisation est assurée essentiellement par un pédicule postéro-supérieur courant sur le
col fémoral. La lésion de ce pédicule conduit à la nécrose de la tête du fémur. Cette synoviale
présente de nombreux replis qui sont autant de nids à germes.

Cette articulation est profonde, recouverte par d'abondantes masses musculaires qui se
répartissent en trois groupes : antérieur, externe et postérieur. Le groupe antérieur, avec le
pectine bordant en dedans l'articulation et le psoas iliaque tapissant la capsule, forme un

375
matelas protecteur. Plus en avant, le droit antérieur et le couturier limitent avec les précédents
l'entonnoir fémoral. Le groupe externe est constitué d'avant en arrière du tenseur du fascia
lata, du petit fessier et du moyen fessier dont le rôle est fondamental pour la stabilisation de la
hanche. Le groupe postérieur, très vascularisé, comprend les pelvitrochantériens, rotateurs
externes et le grand fessier.
L'articulation de la hanche est donc profonde en avant et en arrière, et relativement
superficielle en dehors.

L'importance des plaies de la hanche dépend de ses rapports anatomiques :

- en avant : ce sont des rapports vasculaires et nerveux avec l'artère et la veine


fémorale cheminant dans l'entonnoir fémoral, veine en dedans, artère en dehors se projetant
au bord interne de la tête fémorale. En dehors des vaisseaux le nerf crural est déjà divisé au
regard de la hanche en ses quatre branches terminales ;
- en arrière : ce sont également des rapports vasculo-nerveux avec les vaisseaux
fessiers dans le canal sus-pyramidal, les vaisseaux ischiatiques et les nerfs grand et petit
sciatiques dans le canal sous-pyramidal. Tous ces éléments sont protégés par le grand fessier
et cheminent dans un tissu celluleux où se développent volontiers les infections ;
- en dedans, la hanche est en rapport avec le pelvis, ses vaisseaux et ses organes creux,
vessie, uretère ; rectum et vagin, utérus chez la femme : c'est une ambiance septique.

Anatomie pathologique
L'impact de l'agent vulnérant sur la hanche va déterminer des lésions anatomo-
pathologiques que nous décrirons d'abord sur le plan analytique puis synthétique, permettant
de définir les grands tableaux anatomo-cliniques.

Étude analytique
Par définition, la plaie de guerre de la hanche va associer de manière « certaine » des
lésions cutanées, musculaire et aponévrotique, capsulaire et synoviale. Les lésions osseuses
sont « probables » et les lésions vasculo-nerveuses et viscérales « possibles ».

Lésions certaines
Les lésions cutanées varient en fonction de l'agent vulnérant. Tous les types de
lésions sont possibles, de la plaie punctiforme au vaste délabrement, mais la transfixion est
exceptionnelle. Une lésion tient une place particulière : le polycriblage. En effet, cette lésion
multi-orificielle d'allure superficielle peut cacher une pénétration articulaire par un micro-
éclat. Le diagnostic en est difficile.

Les lésions musculaires : on retrouve à des degrés divers les lésions traumatiques
suivantes : contusion, dilacération, ischémie et nécrose. Seule cette dernière est définitive,
irréparable, mais toutes ces atteintes participent à la déperdition sanguine, à favoriser
l'infection et aux séquelles fonctionnelles.

Les lésions capsulaires : lorsqu'elles existent, elles définissent la « plaie


articulaire ». Elles ne peuvent être systématisées, l'atteinte capsulaire allant de la plaie
punctiforme discrète à la grande avulsion traumatique.

376
Les lésions synoviales jouent un rôle important. La synoviale assure, par son rôle
de « porte-vaisseaux », la vascularisation de la tête fémorale. Les lésions dangereuses sont
celles touchant la frange postéro-supérieure de la synoviale, interrompant le pédicule
principal postéro-supérieur qui assure les 3/4 de la vascularisation de la tête fémorale.

Lésions probables
Ce sont les lésions osseuses, qui manquent rarement mais, là encore, elles sont très
diverses. Elles peuvent toucher le massif trochantérien ou le col fémoral. Elles peuvent porter
sur une zone cartilagineuse, la tête fémorale ou le cotyle engageant à terme le pronostic
fonctionnel.

Lésions possibles
Les lésions nerveuses peuvent être transitoires ou définitives. Les nerfs peuvent
effectivement être comprimés par un hématome, par une esquille osseuse. Ils peuvent aussi
être directement lésés (plaie ou avulsion), posant alors le problème d'une chirurgie réparatrice
secondaire.

Les artères : leur lésion peuvent mettre en jeu immédiatement le pronostic vital. Il
peut s'agir de simple compression mais aussi de rupture sous-adventitielle, d'une plaie voire
d'une avulsion avec une conséquence physiologique commune : l'ischémie d'aval.

Les veines peuvent être le siège de lésions hémorragiques mais aussi avec
interruption du retour veineux s'il s'agit de la veine fémorale avec exclusion vasculaire du
membre.

Les organes pelviens peuvent également être concernés. Il peut y avoir des
ruptures vésicales sous- ou intrapéritonéales. Les atteintes urétérales (plaies ou avulsions)
sont traitées définitivement par des interventions réparatrices secondaires. Les plaies rectales
sont toujours de traitement délicat. Enfin, chez la femme, l'utérus et le vagin peuvent être
atteints.

Cette étude analytique montre la grande diversité des lésions accompagnant ces
plaies de guerre de la hanche.

Étude synthétique
On peut, à partir des différentes associations lésionnelles, définir quatre grands
tableaux anatomo-cliniques :

- la plaie articulaire pure : l'orifice d'entrée est antéro-externe ou externe. Les lésions
osseuses, musculaires et articulaires, sont très prédominantes ;
- la plaie à ambiance vasculaire : l'orifice d'entrée est antéro-interne, exposant aux
lésions les vaisseaux fémoraux ;
- la plaie à ambiance vasculo-nerveuse : l'orifice d'entrée est postérieur, avec risque
d'atteinte du sciatique, des vaisseaux et des nerfs fessiers ;
- la plaie à ambiance pelvienne : l'orifice d'entrée est interne, postérieur ou antérieur.
Ces plaies se confondent avec les plaies pelvi-abdomino-fessières dont elles représentent une
des formes anatomo-cliniques.

377
Ces différents tableaux anatomo-cliniques présentent une unité : leur caractère
septique.

L'ensemencement est massif par des germes banaux mais il peut être spécifique par le
Clostridium, expliquant jusqu'au début du siècle la grande fréquence des décès par gangrène
gazeuse parmi les blessés qui survivaient à la blessure initiale. Ces tableaux cliniques sont en
revanche très divers quant à leur pronostic. Les plaies articulaires pures n'engagent que le
pronostic fonctionnel, mais les plaies à ambiance pelvienne sont de pronostic vital. Les plaies
à ambiance vasculaire engagent, elles, le pronostic vital et le pronostic du membre. Cette
diversité explique la catégorisation de ces plaies de guerre de la hanche, catégorisation qui
évolue avec le temps et dépend des lésions associées. Les lésions vasculaires avec choc sont
des extrêmes urgences nécessitant une prise en charge chirurgicale immédiate.

Les plaies à composante pelvienne sont des premières urgences et doivent être gérées
dans les 6 h. Les plaies articulaires pures, sont, elles, des deuxièmes urgences.

Traitement
La hiérarchie des objectifs thérapeutiques répond au degré d'urgence de ces plaies :
ces objectifs sont sauver la vie, sauver le membre, préserver la fonction.

La réanimation est un préalable indispensable avant tout geste chirurgical. Elle est
poursuivie et adaptée en per- et en post-opératoire. Elle est à visée hémodynamique et anti-
infectieuse, faisant appel à une prévention des infections, globale mais aussi spécifique de la
gangrène gazeuse. L'association classique de pénicilline G et de métronidazole est la plus
utilisée.

Le parage initial : c'est le geste fondamental en chirurgie de guerre, qui va déterminer


le résultat final. Il doit préparer la chirurgie réparatrice secondaire.

Son but est d'éradiquer la nécrose et l'infection sans créer de mutilation excessive. Il
doit être marginal et parfois itératif. Par marginal on entend un parage qui doit emporter les
tissus nécrosés mais respecter le reste, en particulier les zones périfocales ischémiées qui,
sous couvert d'une réanimation efficace et d'une antibiothérapie, peuvent récupérer. Le parage
doit parfois être itératif, c'est-à-dire complété à la 24e ou 48e h ; en pratique, avec un opérateur
expérimenté, cette deuxième exploration se résume bien souvent à un simple pansement sous
anesthésie générale.

Comment parer une plaie simple


- L'installation du blessé est fondamentale. Elle doit tenir compte du trajet de l'agent
vulnérant et permettre une exploration complète de l'articulation.

Le parage proprement dit peut concerner toutes les structures anatomiques traversées
par l'agent vulnérant. Au niveau de la peau, l'orifice d'entrée est paré à la limite de l'attrition.
On agrandit alors la voie d'abord, pour bien pouvoir explorer l'articulation.

Le tissu adipeux doit être largement réséqué. Les aponévroses sont non seulement
réséquées sur le trajet de l'agent vulnérant mais également largement ouvertes dans l'axe du

378
membre pour éviter des lésions compressives par l'œdème et permettre l'évacuation des
hématomes.

Les muscles doivent être rincés abondamment avec des solutions antiseptiques, puis il
faut exciser complètement toutes les zones nécrosées, en préservant les zones saines ou
ischémiées mais encore contractiles. L'hémostase des tranches de section doit être soigneuse
par points en X, sans utiliser le bistouri électrique.

L'exploration chirurgicale se poursuit ensuite à la capsule et la synoviale pour


confirmer la pénétration articulaire. Il faut éviter d'aggraver le risque vasculaire pour la tête
fémorale. Cependant, la toilette de l'articulation impose une capsulotomie qui sera réalisée en
arbalète, avec une incision verticale périphériques cotyloïdienne et une incision horizontale
dans l'axe du col du fémur préservant au mieux la vascularisation. L'hémostase de la
synoviale sera soigneuse et prudente.

- On peut ensuite refermer les lésions en suturant la capsulotomie sur deux drains de
Redon autorisant soit un drainage simple, soit une irrigation-lavage. Dans les parties molles il
faut placer de gros drains, voire des lames, et refermer la peau par des points lâches.
- L'immobilisation est impérative pour mettre l'articulation en détente complète. La
traction transtibiale à l/7e du poids du corps, hanche fléchie à 30°, paraît la méthode la plus
simple. Elle doit être maintenue pendant trois semaines en poursuivant l'antibiothérapie
pendant cette période.

Traitement des lésions associées


Traitement conservateur

Lésions osseuses
Dans les plaies de la hanche, les lésions osseuses sont probables. Si les fractures
ou les avulsions de la région du grand trochanter ne présentent pas de grands dangers, il
n'en est pas de même avec les lésions de la région cervico-céphalique. Le parage de cette
région doit rester minimal, mais il faut savoir que les fragments de col détachés et surtout
les fragments céphaliques sont voués à la nécrose. Au maximum, le parage (en un ou
plusieurs temps) peut conduire à la résection de la tête du fémur.

Ces lésions osseuses doivent, après avoir été parées, être fixées :

- dans le cas le plus rare où il faut réséquer la tête, l'objectif est de maintenir un
espace « articulaire » autorisant une chirurgie réparatrice secondaire. Pour cela, une
simple traction peut suffire, à condition qu'elle soit importante, de l'ordre de 10 kg ;
- quand, cas le plus fréquent, il existe une ou plusieurs fractures de l'extrémité
supérieure du fémur, il faut assurer une immobilisation parfaite favorisant la consolidation
osseuse, et pour cela utiliser impérativement un fixateur externe. Dans ces lésions
épiphysaires, seul un montage en ligamentotaxis pontant l'articulation est possible. D'un
point de vue technique, il faut réaliser une fixation ilio-fémorale. Le fixateur externe du
Service de Santé des Armées permet grâce aux fiches à os spongieux et aux colliers munis
de réducteurs un ancrage iliaque solide, l'ancrage fémoral étant assuré par une barre

379
classique de diamètre 18 à 4 fiches. Le système de liaison utilise un montage en V par des
barres d'union ou des tubes de 18 montés sur double collier.

Dans certaines fractures sous-trochantériennes, on peut parfois recourir à un


montage trochantéro-diaphysaire, ce qui permet d'éviter le pontage de l'articulation.

Lésions viscérales et vasculaires


Lorsque ces lésions existent, elles sont souvent au-devant de la scène clinique. Le
damage control anglo-saxon (que l'on pourrait traduire en français par « contrôle
lésionnel ») est une tactique qui a été élaborée dans le but de raccourcir le temps
opératoire, facteur essentiel de la prise en charge de ces blessés. Cette tactique, mise en
application à Sarajevo par Andreu et Vaujany, implique une chirurgie en deux temps
séparés par une période de réanimation. Elle s'adresse aux blessés choqués ne pouvant
supporter une intervention longue.

Les principes de cette tactique sont les suivants :

- les lésions vasculaires sont réparées s'il s'agit de gros vaisseaux. L'hémostase des
parenchymes pleins peut être obtenue par compression ;

- les lésions digestives sont traitées par une résection-exclusion sans rétablissement
immédiat de la continuité. La dérivation digestive n'est impérative que pour les lésions
rectales ;
- l'élimination des urines se fait par dérivation.

Ainsi, dans le premier temps chirurgical on assure l'hémostase, la copro-stase et


l'élimination des urines. C'est le temps de contrôle des lésions. Celles-ci ne seront
réparées que 48 h plus tard après une réanimation énergique.

Désarticulation
Nous n'avons envisagé jusque-là que le traitement chirurgical conservateur, mais
quelle est à l'heure actuelle la place de la désarticulation de hanche, opération vedette des
guerres d'Empire ? Elle peut en fait être primitive ou secondaire. Primitive, la
désarticulation est un véritable geste de réanimation, correspondant à un parage que l'on
pousse à son extrême, devant des lésions majeures qu'il est impossible de systématiser.
Les désarticulations secondaires peuvent, quant à elles, être précoces ou tardives. Les
désarticulations secondaires précoces peuvent être décidées dans les jours qui suivent la
blessure, pour traiter un choc qui peut être infectieux (résection de la hanche en période
fébrile) ou métabolique (par lésions de revascularisation par exemple). Les
désarticulations secondaires tardives, au-delà du premier mois, sont psychologiquement
extrêmement mal supportées. Elles sont cependant parfois inévitables devant un échec de
revascularisation, devant des ostéo-arthrites subaiguës non contrôlables ou devant des
délabrements séquellaires majeurs des parties molles.

380
Pronostic
Traitement conservateur
L'évolution peut se faire vers la guérison complète mais aussi vers des
complications au retentissement fonctionnel important, avec :

- arthrites chroniques ;
- nécrose de la tête fémorale ;
- arthrose.

Le traitement de ces complications tardives va essentiellement dépendre du risque


septique. Lorsqu'il est important, on proposera l'arthrodèse, la résection tête-col ou la
coaptation trochantéro-iliaque. Lorsqu'il est minime, on peut proposer un remplacement
articulaire par une prothèse totale de hanche.

Lésions ayant nécessité d'emblée une résection de la tête fémorale


Après trois mois de traction, on propose une verticalisation grâce à une orthèse
stabilisatrice de hanche. La mise en place d'une prothèse peut s'envisager à un an si le
risque infectieux est mineur.

Désarticulation de hanche
Le suivi psychologique de ces patients est fondamental. Les appareillages de ces
désarticulés font appel à des orthèses à double recurvatum et n'autorise qu'une marche «
approximative ».

Conclusion
II faut souligner deux points particuliers concernant les plaies de hanche :

- elles sont graves, beaucoup plus que les plaies articulaires courantes, et nécessitent
des équipes chirurgicales multidisciplinaires ;

- l'importance majeure d'une prise en charge rigoureuse de ces blessés. Seul un


traitement initial rigoureux et complet autorisera une chirurgie réparatrice secondaire limitant
autant que possible les séquelles fonctionnelles.

381
Pieds de mine

F.-M. GRIMALDI, CH. COURANT, J. LIMOUSIN, CH. DROUIN, E. DEMORTIÈRE

Munitions spécifiques de « la guerre des lâches », mais aussi de la guerre des


pauvres, les mines antipersonnel provoquent des lésions des membres inférieurs qui ont été
regroupées sous l'appellation de « pied de mine » (FDM).

Utilisées de plus en plus du fait de leur coût dérisoire (de 5 à 150 F pièce), de leur
facilité de mise en œuvre, de leur efficacité à polluer toute une zone, elles ralentissent la
progression de l’adversaire. Depuis les années soixante-dix, ces engins se retrouvent sur tous
les théâtres, qu'il s'agisse de guerre civile, de guérilla, de révolution ou de guerre
internationale.

Si leur pose est facile, le déminage est une opération délicate et dangereuse,
mobilisant des moyens importants en personnels. On estime le coût du déminage à 5 000 F
par mine... De tels coûts expliquent pourquoi les mines sont souvent laissées sur place,
restant efficaces pendant des dizaines d'années, devenant un danger permanent et sournois
pour les populations civiles, en particulier rurales et pour les enfants. Plus de cent millions
de mines sont actives dans le monde aujourd'hui.

Définition
Le pied de mine (land-mine injury des auteurs anglo-saxons) est une entité regroupant
classiquement une lésion du pied et de la jambe par blast localisé avec atteinte ostéo-
articulaire et des parties molles dans un sac cutané intact. Le pied de mine, dans sa définition
classique, est fermé. En fait, les lésions ouvertes par explosion de mines sont actuellement de
loin les plus fréquentes. Cependant, on gardera le terme classique de pied de mine en
élargissant la définition qui associe à une unité étiologique (la mine et l'onde de choc) un
polymorphisme anatomo-clinique.

Historique
Les chirurgiens de la Marine ont été les premiers à décrire ces lésions du pied lors de
l'explosion de chaudières dans les soutes de navires ou de mines sous le bateau, dès la
Première Guerre mondiale. La gifle de pont (desk-slap) entraîne une fracture fermée du
calcanéum. Devant la multiplication des blindés

au cours de cette guerre, on a mis au point et utilisé à grande échelle des mines antichar,
également pourvoyeuses de FDM fermés.
La Seconde Guerre mondiale sera la période de développement et d'utilisation des
mines antipersonnel, en particulier, déjà, en Extrême-Orient par les Japonais. L'association du
piégeage au minage et l'usage de Dispositifs explosifs improvisés (DEI), véritable bricolage

382
diabolique, ajoutera au raffinement de ces guerres pour créer une psychose chez les
combattants comme chez les civils. Le piégeage des matériels (armes, radios, caisse de
munitions, véhicules, etc.) ainsi que des corps des soldats tués deviendra monnaie courante.
Les mines ont fait des ravages dans bien des conflits. En Indochine, comme en
Algérie, les chirurgiens militaires français eurent surtout à traiter des lésions fermées. Pour les
Américains au Viêt-Nam, les mines ont représenté 40 % des causes d'amputation des
membres. En 1982, aux Malouines, la moitié des 19 Britanniques amputés du membre
inférieur avaient été blessés par mine antipersonnel au cours du débarquement. Enfin,
l'expérience du Service de Santé des Armées français au Tchad de décembre 1986 à janvier
1988 a porté sur 33 blessés dont 31 avaient des lésions ouvertes.

De nombreux pays, dont l'Afghanistan, le Kurdistan irakien, l'Angola, le


Mozambique, le Rwanda, la Somalie, l'ex-Yougoslavie et surtout le Cambodge sont encore
largement pollués par des mines. Au cours de l'année 1990, un Cambodgien sur 300 a été
amputé après blessure par mine (6 000 amputations). À titre de comparaison, au cours de
l'année 1989, un Américain sur 22 000 a subi une amputation d'origine traumatique..

Oubliées pendant de nombreuses années par les Européens, et même par les
chirurgiens militaires, ces lésions sont donc redevenues d'actualité avec le nombre grandissant
de mouvement de résistance ou de libération. On estime, actuellement, à 18 000 le nombre de
victimes des mines antipersonnel par an dans le monde, soit une cinquantaine par jour...

La médiatisation de ces accidents, touchant souvent les enfants, a fait prendre


conscience à la communauté internationale de la nécessité d'une réaction à ce type de guerre.

Mines
Tout à fait opposées aux munitions d'artillerie plus classique (obus, bombe, missile),
les mines « attendent leur client » aussi longtemps qu'il le faut. On distingue différentes
catégories de mines selon l'usage qui en est fait

383
Mines antipersonnel (Fig. Zl.l)
II en existe plus de 300 modèles. Elles ont une action limitée entraînant en général des
lésions localisées sur l'individu qui a déclenché l'explosion. Indétectables ou détectables à
volonté, elles contiennent de 50 à 100 g d'explosif et explosent sous une pression de 5 à 10
kg. Elles peuvent aussi être mises à feu par action sur des fils de traction.

Légèrement camouflées sous quelques centimètres de sable, de terre ou de feuilles,


elles peuvent depuis quelques années être éparpillées par voie aérienne à partir de conteneur
largable (cluster bomb) ou par obus d'artillerie. Toute une zone est ainsi « traitée »
rapidement et sans danger par plusieurs centaines de sous-munitions actives. Leur aspect, leur
couleur sont autant de pièges pour les enfants. Ces nouvelles mines ont vu leur pouvoir
vulnérant augmenter en associant les effets des charges creuses et ceux des grenades par
fragmentation de l'enveloppe.

Déclenché involontairement, cet engin pyrotechnique est plus destiné à mettre hors de
combat, à mutiler, qu'à tuer. Atteinte physique du blessé, atteinte psychologique de
l'entourage et des sauveteurs, immobilisation de 4 à 5 personnes pour le brancardage, coût des
soins sont les éléments recherchés par le poseur de mines. Un blessé doit être pris en charge,
un mort est rapidement enterré...

Mines antichar
Contenant 4 à 5 kg d'explosif, elles arrivent à soulever et à détruire un blindé. C'est ce
type de mines qui provoque le FDM fermé par effet de souffle à travers le plancher du
véhicule.

Autres mines
Nous ne décrirons pas ici les mines éclairantes ni les mines bondissantes et les mines à
fragmentation et à effet directionnel dont les conséquences sont le plus souvent
immédiatement mortelles dans un rayon de 50 à 100 m.

L'origine des mines est très diverse. Tous les pays en fabriquent : ceux de l'Est,
comme les pays occidentaux, engageant leur responsabilité... Il s'agit d'un marché florissant
où l'évolution des techniques, l'augmentation de la puissance des explosifs sous un plus faible
volume, l'utilisation de matériaux indétectables rendent ces munitions encore plus efficaces.

Pathogénie
Trois phénomènes se succèdent lors de l'explosion d'une mine.

Un effet de souffle Clé blast)


Par un train d'ondes vibratoires, il entraîne des lésions variables selon les tissus, à
proximité mais aussi à distance. Ce blast est le fait d'une surpression brutale, immédiate et
très intense, véritable coup de marteau, suivie d'une dépression moins importante. Au
centre de l'explosion, la victime est soumise à un solid-blast, à l'origine de lésions
osseuses parfois étagées, et à un blast aérien lésant souvent des organes contenant de l'air,
comme l'oreille, le thorax et l'abdomen.

384
Un dégagement de chaleur
II provoque des brûlures superficielles et des marques de tatouage.

Une projection de corps étrangers


Qu'ils soient métalliques, plastiques ou telluriques, ce sont autant de projectiles
secondaires. Le blessé par mine est en général un polycriblé dont les plaies pénétrantes
abdominales ou vasculaires peuvent être au premier plan. L'importance des dégâts dépend
de la puissance de l'engin.

Anatomie pathologique
L'onde de choc engendre un véritable « tremblement de terre moléculaire » aux
conséquences multiples.

Lésions osseuses
Parfois minimes, elles sont en fait le plus souvent considérables. Selon la zone de
pression du pied sur la mine, elles siègent sur l'arrière pied, l'avant-pied, les bords ou
l'ensemble du pied.

Type postérieur (Fig. 21.2)


Statistiquement, les lésions postérieures semblent les plus fréquentes avec fracture
systématique du calcanéum. Fragmenté, éclaté, explosé, parfois méconnaissable, il peut
même avoir disparu. Cette atteinte du calcanéum déstabilise le bloc astragalo-calcanéen,
crée des éperons osseux, rend l'appui douloureux ou impossible.

385
L'onde de choc peut se poursuivre vers le haut pour s'épuiser progressivement,
atteignant l'astragale, le pilon tibial, la jambe, voire plus haut, fracturant tous ces os.

Dans ces formes postérieures, c'est l'atteinte de la coque talonnière et du paquet


vasculo-nerveux tibial postérieur qui fait le pronostic immédiat quant à une éventuelle
conservation.

Type antérieur
L'atteinte des métatarsiens ou des phalanges les fracture ou les ampute. L'atteinte des
interlignes articulaires disloque ou fracture la médio-tarsienne (interligne de Chopart) ou la
tarso-métatarsienne (interligne de Lisfranc).
Si l'appui sur la mine est latéralisé, la lésion siège sur le bord interne ou externe de
l'avant-pied en fonction du côté de l'appui.

Type mixte
Les lésions possibles sont ici extrêmement multiples : fractures complexes des os du
pied, atteinte étagée du tarse et de la jambe, amputation du pied et même de la jambe, etc.

Atteinte cutanée
Elle est constante, et on distingue le FDM fermé et ouvert.

- Le FDM fermé. Il correspond à la description princeps.


Malgré des lésions osseuses parfois majeures, la peau peut ne pas présenter de plaie.
Souvent violacée, mal vascularisée, toujours tendue, infiltrée, sur laquelle apparaissent
rapidement des phlyctènes, elle est généralement vouée à la nécrose. Dans une étude portant
sur 58 cas vus en Algérie, Rignault avait observé 60 % de pieds de mine fermés.

- Le FDM ouvert. Lorsque la lésion est ouverte, on constate toutes sortes de


lésions, de la plaie localisée aux délabrements majeurs déshabillant le tarse, détruisant la
coque talonnière, amputant l'avant- ou l'arrière-pied, exposant l'articulation tibio-tarsienne,
créant une véritable « pétalisation » du pied. Le pied peut être arraché et n'être retenu que par
quelques lambeaux cutanés. L'ensemble largement souillé de débris tellurique ou
vestimentaire est parfois indescriptible, impressionnant. Ces lésions sont actuellement les plus
fréquentes.

Atteinte des parties molles


- Les lésions vasculaires font le pronostic. « L'onde de choc entraîne une artériopathie
traumatique associée à des lésions du squelette du pied. »

II s'agit en général de lésions par spasme et vasoconstriction, mais aussi de contusion


et de thrombose. L'évolution vers l'ischémie est fréquente en cas de FDM fermé. C'est dire la
nécessité d'un traitement médical rapide.

386
L'hémorragie, si elle existe, est rarement importante, et n'est généralement pas la
cause des décès.

On a proposé une artériographie en urgence, mais elle est le plus souvent irréalisable.
Le doppler est d'un usage beaucoup plus aisé dans une structure d'urgence.

- Les nerfs sont peu sensibles au blast.


- Les muscles. Contus ou sectionnés en cas de plaie, ils sont souillés par toutes sortes
de débris. Ils sont le siège d'un œdème et, en l'absence d'ouverture de l'aponévrose,
inextensible, ils peuvent s'infarcir - créant un terrain favorable à l'infection par les germes
anaérobies. En quelques heures une gangrène peut s'installer, obligeant à l'amputation parfois
bien à distance du pied.

Dianogstic
II est évident au vu des circonstances. L'interrogatoire ne fait que préciser les délais
entre la blessure et la prise en charge, et si possible le type de la mine ou du piège.

FDM fermé
Extrêmement douloureux, le pied est énorme, tuméfié, violacé, froid, insensible.
L'aspect est typique d'une oblitération artérielle aiguë avec un pied tendu. La palpation des
pouls est difficile et le doppler prend toute sa valeur.

Après examen clinique général, le bilan radiographique est indispensable lorsqu'il est
possible. Il montre l'importance des lésions osseuses sous-jacentes dans ce « sac de noix »,

L'évolution peut se faire vers la gangrène ischémique, la surinfection et donc vers


l'amputation de nécessité. Mais, immobilisé et traité avec succès (voir plus bas), le pied peut
se réchauffer, l'œdème se résorber, les téguments reprendre un aspect normal.

FDM ouvert
Tous les degrés de gravité sont possibles mais il s'agit au moins d'un stade III de
Cauchoix et Duparc, IV de Méchelany ou 3B de Gustilo et Andersen.

Le blast peut d'ores et déjà avoir provoqué une amputation traumatique, en particulier
au niveau de l'avant-pied, exposant les os du tarse. Le pied peut aussi pendre, éclaté, rattaché
par un lambeau antérieur ou postérieur ; parfois il a été complètement arraché, ainsi que le
pilon tibial.

Même dans ces lésions majeures, le choc hémorragique reste rare et la régularisation
ou l'amputation, en bonne place, règle le problème. L'infection est en revanche constante.

Lésions associées de polycriblage


Elles mettent en jeu le pronostic vital, d'autant plus que les orifices d'entrée parfois
punctiformes passent inaperçus.

387
La plaie vasculaire parfois contro-latérale ou la plaie pénétrante périnéo-abdominale
sont des urgences chirurgicales. Les plaies du scrotum ou de l'urètre, les plaies de la fesse
dont on connaît le risque infectieux rendent impératif un examen général. Tout blessé par
mine doit être systématiquement et rapidement déshabillé pour faire l'inventaire des lésions.
L'examen radiographique de face et de profil de l'abdomen, à la recherche d'éclats, est une
aide importante au diagnostic.

Traitement
Prise en charge d'un blessé par mine sur les lieux de l'accident
II est impératif de se rappeler que l'explosion d'une mine signifie que l'on se situe dans
une zone dangereuse. À titre d'exemple, les consignes du Guide sur les mines de la Force de
protection des Nations unies en Bosnie-Herzégovine énoncent :

« Ne pas se précipiter pour aider la victime ;

- si possible, appeler de l'aide et une équipe de démineurs ;


- avancer lentement jusqu'au blessé en vérifiant l'absence de piège, et lui procurer les
premiers soins ;
- être prudent évite de devenir également un blessé. »

Le premier point, lourd de charge émotionnelle et malheureusement le moins respecté,


est le plus important.

Ramassage
II détermine le pronostic mais ses possibilités dépendent des moyens sur place. Il
faut :

- extraire le blessé de la zone minée ou exposée aux tirs pour que les sauveteurs
puissent agir dans les conditions le plus sûres possible ;
- calmer la douleur ;
- faire un premier bilan des lésions du pied et à distance, en déshabillant la victime ;
- nettoyer les plaies avec des antiseptiques liquides et les recouvrir de pansements
stériles ;
- immobiliser le membre par un moyen adapté, même de fortune ;
- débuter une antibiothérapie, au mieux par voie IV, sinon par voie IM ou per os. La
pénicilline G (5 à 10 MUI/j) et le métronidazole (1 500 mg/j) restent encore les plus adaptés.

On ne mettra un garrot en place qu'en cas d'hémorragie importante. L'heure de pose


notée, il est étroitement surveillé et périodiquement desserré. Ce geste est souvent plus
dangereux qu'efficace. Placé très à distance de la lésion par des sauveteurs inexpérimentés, il
déterminera souvent le futur niveau de l'amputation.

Évacuation vers un centre chirurgical


Effectuée rapidement et par le moyen le plus confortable et médicalisé (hélicoptère
dans le meilleur des cas), elle donne plus de chances au blessé. Malheureusement, les
conditions sont bien souvent mauvaises, à pied ou dans un véhicule léger, sans surveillance
particulière.

388
Prise en charge à l'accueil à l'hôpital
Un nouveau bilan clinique des lésions locales et à distance est réalisé, ainsi qu'un
examen général à la recherche d'un polycriblage. Si une intervention chirurgicale s'impose en
urgence, le pansement de l'extrémité lésée ne sera refait qu'au bloc opératoire.

Pendant ce bilan les gestes de réanimation, en particulier le remplissage pour lutter


contre le choc, sont mis en œuvre.

La prophylaxie antitétanique est systématique, surtout pour les victimes civiles


rarement vaccinées dans ces pays.

L'antibiothérapie par voie IV est entreprise ou poursuivie, ainsi que les antalgiques.
À ces moyens s'ajoutait autrefois un traitement pour lutter contre l'ischémie des FDM
fermés. L’injection intra-artérielle s de Novocaïne, les infiltrations du sympathique lombaire
n'ont pas donné les résultats escomptés. La sympathectomie lombaire chirurgicale proposée
par certains est souvent impossible à réaliser quand les conditions sont précaires. En
revanche, les vaso-dilatateurs par voie générale peuvent être utiles. De même, la rachi-
anesthésie par son action sympathoplégique et antalgique a peut-être une place dans les
premières heures du traitement des FDM fermés. Ce geste connu des anesthésistes-
réanimateurs, doit être enseigné aux infirmiers-anesthésistes appelés à travailler dans ces
zones de conflit. Il facilite les premiers soins, participe efficacement pendant quelques heures
à lutter contre la douleur, et donc indirectement contre le choc, et facilite le transport de la
victime.

Une fois ce traitement entrepris, un bilan radiographique à travers le pansement est


réalisé si on a la chance de disposer de tout le matériel.

Prise en charge au bloc opératoire


En urgence absolue
II faut rapidement explorer des lésions vasculaires ou digestives quand l'atteinte de ces
organes met en jeu le pronostic vital.

En urgence relative
L'intervention est effectuée sous garrot pneumatique et anesthésie locorégionale ou
générale.

Le parage chirurgical, temps essentiel comme pour toutes plaies de guerre, doit être
limité à une intervention de propreté au niveau des tissus dévitalisés, cutanés, musculaires et
aponévrotiques, de résection osseuse, de toilette des débris de toute sorte ; il est initialement
le plus conservateur possible, puis répété si nécessaire.

Ces parages itératifs de toutes les lésions sont indispensables à la lutte contre
l'infection et au bourgeonnement local. La conservation du plan de couverture cutané est un
souci constant.

Il ne faut pas suturer la plaie après parage mais panser à plat.

389
En urgence différée
Devant des lésions moins graves ou en l'absence de chirurgien disponible ou d'afflux
de blessés, il est possible de temporiser quelques jours. Des soins locaux bien conduits
réalisent un véritable débridement chimique comme le propose Mario Duran. Utilisant des
lames de Delbet introduites le plus profondément possible et une irrigation abondante ou des
bains prolongés avec antiseptiques (permanganate et eau de Javel à 5 %, etc.), cette technique
procure plusieurs avantages :

- lutte efficace contre l'infection ;


- préparation au geste chirurgical dans les jours suivants, car la limite entre tissus
dévitalisés et tissus sains est alors plus nette, ce qui permet d'avoir une attitude plus
conservatrice ;
- méthode pouvant être employée même dans des conditions très précaires et par des
personnels que l'on peut facilement former localement.

Cette méthode utilisée en Afghanistan a donné des résultats particulièrement


intéressants.

Amputation
Elle s'impose parfois. De nécessité, elle s'effectue au niveau même de la lésion à ce
premier stade chirurgical (avant-pied, pied, jambe voire cuisse). Il ne faut jamais refermer les
loges, et laisser suffisamment de muscles pour que l'os ne soit pas exposé et afin d'éviter la
rétraction cutanée. Un pansement à plat non compressif termine cette intervention,

Immobilisation
En cas de FDM fermés et en l'absence de fixateur externe, l'immobilisation dans une
attelle plâtrée la plus confortable possible permettra de faire passer le cap de la première
phase, mais rend difficile la surveillance du pied. Les lésions osseuses seront alors traitées au
stade des séquelles.

Devant un FDM ouvert, la stabilisation par fixateur externe tibio-métatarsien participe


à lutter contre la douleur et l'infection, à préparer les temps de réparation ultérieurs.
L'utilisation de ce matériel permet souvent des attitudes conservatrices. Sa mise en place,
parfois difficile, doit éviter l'équin et maintenir la longueur. Il minimise considérablement la
douleur lors des soins de ces lésions hyperalgiques.

Soins post-opératoires
Les pansements sont refaits tous les deux jours sous anesthésie au début puis sous
antalgiques. L'antibiothérapie est poursuivie pendant plusieurs jours. La prévention de la
phlébite est systématique si l'on dispose des agents nécessaires.

Indications
II faut toujours se rappeler qu'« explosion » veut dire « projection » et donc rechercher
les lésions associées, parfois plus graves que l'atteinte évidente du membre inférieur.

390
FDM fermé
Le traitement chirurgical a peu de place mais le traitement médical (antalgique,
antibiotique et vaso-dilatateur) est systématique.

L'anesthésie locorégionale, si elle est techniquement réalisable et si les conditions


d'asepsie la permettent, aide à lutter contre la vasoconstriction des premières heures.

L'immobilisation, puis la stabilisation des lésions osseuses est impérative. Le fixateur


est bien adapté à ces lésions, le plâtre ne permettant pas de contrôler facilement ce pied «
vasculaire ». En effet, la surveillance du membre doit être très attentive. En cas d'aggravation
des lésions ischémiques, il faut faire un examen Doppler et éventuellement des
aponévrotomies avant de décider d'une amputation.

FDM ouvert
Pied conservable
II s'agit habituellement d'un fracas ouvert du pied, largement souillé, souvent au-delà
des classifications habituelles. Le parage économique initial est le garant d'un résultat
fonctionnel satisfaisant. Le parage par irrigation d'antiseptiques est très utile lorsque la
chirurgie n'est pas réalisable en urgence. La fixation externe est réalisée de façon simple en
urgence par montage tibio-métatarsien. Trois ou quatre fiches tibiales sont solidarisées aux
fiches mises en place dans le premier et le cinquième métatarsiens,

Ce montage peut d'emblée ou secondairement être complété par une stabilisation de


l'arrière-pied à l'aide de deux fiches transfixiant le calcanéum. Est ainsi réalisé un montage en
« pyramide » particulièrement rigide, qui a été décrit par Ph. Tripon et Ph. Willems.

En l'absence d'avant-pied, il est mis en place un montage tibio-calcanéen.

Pied non conservable


Dans certains cas, malheureusement fréquents, l'importance des lésions osseuses et
des parties molles, l'infection déjà majeure altérant l'état général, conduisent à l'amputation de
première intention du pied, à la jambe, parfois à la cuisse.

Dans les cas intermédiaires, il faut tenir compte du contexte local, en sachant les
difficultés à faire accepter une amputation secondaire après les espoirs mis dans la
conservation. L'expérience du chirurgien sera ici son seul guide...

Complications et séquelles
Comme dans les fracas osseux ouverts de la pratique civile, les principaux problèmes
de suites sont les difficultés de consolidation et de cicatrisation pouvant parfois faire décider
d'une amputation. Le devenir de ces blessés est donc une succession de temps chirurgicaux de
greffe osseuse et cutanée.

Selon l'importance de la perte de substance cutanée ou en cas d'échec de la


cicatrisation dirigée, une greffe de couverture par peau mince sera réalisée. Mieux adaptées,
les techniques de couverture par lambeau fascio-cutané ou musculaire, utilisables à distance

391
de l'accident, après régression de tous les phénomènes infectieux, permettent la cicatrisation
des zones à problème comme le quart inférieur de jambe ou la plante du pied ou après échec
de la greffe mince.

Malgré une prise en charge rapide, l'amputation reste parfois l'ultime recours, les
blessés devant alors être appareillés secondairement.

Si l'appareillage à la jambe ou à la cuisse est facile, même avec des moyens de


fortune, il n'en est pas de même au pied. À ce niveau, il faut opposer les amputations de
l'avant-pied (phalanges, transmétatarsiennes et Lisfranc) à celles du médio-pied ou du
Chopart (Fig. 21.3). Les premières sont relativement bien supportées d'autant plus que la
couverture cutanée plantaire est de bonne qualité et la cheville souple. Les secondes peuvent
évoluer vers une attitude vicieuse en équin, imposant alors la révision du niveau d'amputation
(désarticulation tibio-tarsienne avec résection des malléoles de Syme ou amputation plus
haute, à la jambe) ou une arthrodèse pour permettre la marche avec appareillage. Plusieurs
types d'arthrodèse peuvent être proposés : double arthrodèse (tibio-tarsienne et sous-
astragalienne) ou tibio-calcanéenne après résection de l'astragale qui semble donner de
meilleurs résultats.

Conclusion
Lésion grave de l'extrémité distale du membre inférieur, le pied de mine est de nos
jours le plus souvent ouvert. Il associe des lésions des os, des parties molles et un
polycriblage.

La prise en charge chirurgicale consistera, sauf en cas d'amputation d'emblée, à :

- conserver tous les éléments vivants, en particulier cutanés, dans les fracas ouverts ;

392
- obtenir la consolidation, de préférence par fixation externe ;
- obtenir la cicatrisation.
Ce n'est que dans un second temps que seront traitées les séquelles, éventuellement
révisée l'amputation et envisagé l'appareillage.

Tout chirurgien en mission militaire ou humanitaire, quelle que soit sa spécialité, peut
être confronté au pied de mine. Il doit savoir le prendre en charge.

393
Traitement des plaies des parties molles
par blessure de guerre

P. HOUDELETTE

La plaie de guerre des parties molles (ppm) est une « solution de continuité des tissus
» (plaie), due à un agent vulnérant et suffisamment grave pour mettre le blessé « hors de
combat ». Nous exclurons ici les plaies posant des problèmes lésionnels spécifiques d'organe,
c'est-à-dire les plaies pénétrantes du thorax, de l'abdomen, du crâne et les lésions osseuses.
Ces lésions font l'objet d'autres chapitres.

Même si nous excluons ici les lésions spécifiques d'organe, il faut noter que les
principes du traitement des plans de couverture restent les mêmes pour toute plaie de guerre.
Le traitement, essentiellement chirurgical, repose sur un maître mot, le parage des plaies, et
sur un concept général : ne jamais fermer immédiatement une plaie de guerre. Les plaies des
membres supérieurs et inférieurs sont les blessures de guerre les plus fréquentes : elles ont
représenté 65 % des blessures durant la Seconde Guerre mondiale, 67 % durant la guerre de
Corée, 54 % durant la guerre du Viêt-Nam. Au cours de ce conflit, 60 % de ces plaies ne
concernaient que les parties molles.

Leur traitement repose sur des bases historiques rappelées ailleurs et justifiant
l'attitude actuelle, bases anatomo-pathologiques, dans lesquelles on effectue un bilan
topographique des lésions, bases physio-pathologiques ensuite, dans lesquelles on évalue le
risque infectieux en fonction de l'ancienneté de la blessure. Nous ne décrirons pas ici les
plaies des parties molles présentant des lésions infectieuses spécifiques (gangrène gazeuse,
phlegmon diffus, tétanos).

Anatomie pathologique des plaies de guerre


On différencie les plaies en fonction de plusieurs critères : selon le nombre d'orifices,
les plaies borgnes et transfixiantes ; selon la profondeur, les plaies non pénétrantes,
superficielles ou simples qui restent sous-cutanées ; les plaies pénétrantes « qui franchissent
les aponévroses superficielles » au niveau d'un membre.

L'aspect classique servant de modèle de description est la plaie par éclat avec son «
cône d'attrition » de Policard qui comporte une zone centrale de destruction tissulaire directe
par le projectile et une zone périfocale de dévitalisation conique à base périphérique.

Pour chaque plan tissulaire, les lésions ont des caractéristiques propres.

Au niveau des téguments (résistants et élastiques), l'orifice d'entrée (OE) est en règle
plus petit que le projectile, plus ou moins déchiqueté en étoile, avec parfois tatouages de

394
poudre, brûlures superficielles, criblage par microprojectiles secondaires ; l'orifice de sortie
(OS) est classiquement plus large que l'orifice d'entrée, parfois éclaté.

Les aponévroses sont solides mais inextensibles, créant des phénomènes de loge
(risque de compression musculaire avec ischémie) et de cavité close (développement de
germes anaérobies). Des lésions locales banales et limitées (trou, déchirure) cachent souvent
des lésions sous-jacentes plus importantes.

Les muscles, très fragiles, sont le siège de lésions habituellement extensives, toujours
plus considérables que ne le laissent prévoir l'orifice d'entrée et la perforation aponévrotique.
Elles sont classiquement de forme conique, avec des lésions centrales de destruction (tunnel
de pénétration du projectile et chambre d'expansion contenant l'éclat, parfois « foyer vidé »
par un large orifice de sortie), et des lésions périphériques de dévitalisation par contusion,
blast (projectile air) ou ischémie (infarcissements musculaires, hématomes, infiltrat séro-
hématique en « gelée de groseille » des espaces cellulo-adipeux ; parfois compression dans
une loge ostéo-fasciale inextensible).

Aspects des lésions selon les types de projectiles


Les plaies par armes blanches sont linéaires, avec des tranches de sections nettes.
Les lésions par éclats sont caractérisées par l'importance de la contusion (effets de
cutting et de crushing).

Une très grande énergie cinétique initiale des projectiles, leur poids et volume parfois
considérables (de quelques grammes à quelques kilogrammes), leur nombre parfois très grand
(micropolyéclats), leurs surfaces irrégulières, déchiquetées, coupantes, entraînant souvent des
projectiles secondaires (vêtements, équipements), leur souillure tellurique fréquente rendent
compte de la diversité de leur présentation clinique et de leur fréquente gravité évolutive.

Pour ce qui concerne les projectiles d'armes individuelles, nous évoquerons, sur le
plan historique, la prétendue « balle humanitaire » (plaie en séton avec tunnellisation de petit
diamètre, simple, à parois régulières, peu dévitalisées, sans lésion extensive), notions en fait
inexactes en raison de la déstabilisation, la déformation, le morcellement, le calibre, une
masse importante, la souillure du projectile et surtout la haute vélocité de certains projectiles
modernes. Dans leur mécanisme vulnérant, on a incriminé l'onde de choc (« projectile
immatériel » de Lorain et Ferrard) et la création d'un « effet explosif » (de Woodruff) à
l'origine d'un phénomène de « cavitation temporaire ». Dans ces types de lésions, il est
possible de distinguer une zone centrale de « cavitation permanente » d'attrition maximale, et
une zone périphérique de « cavitation temporaire » où la dévitalisation tissulaire reste
partielle, potentielle voire différée. L'importance de cette cavitation temporaire a parfois été
exagérée, tant dans son ampleur que dans ses sanctions chirurgicales.

Physiologie des plaies de guerre


Évolution de l'infection
L'infection domine la physio-pathologie des plaies des parties molles de guerre, et elle
a plusieurs conséquences physio-pathologiques.

395
Sur le plan général, le choc non spécifique lié à la douleur et le choc hémorragique
sont rares en cas de ppm sauf s'il existe des délabrements musculaires étendus ou des lésions
associées.

Sur le plan locorégional, l'infection, complication constante des plaies de guerre,


évolue par stades : d'abord stade initial de contamination (projectilaire, vestimentaire,
tellurique), puis phase de latence de Policard pendant un délai classique de 6 h, enfin phase de
développement bactérien engagée nettement à partir de la 10e h et qui conduit à la suppuration
: celle-ci évolue soit vers la guérison (phase de réparation avec cicatrisation souvent vicieuse,
rétractile), soit vers l'infection extensive aux tissus sains.

Cette infection peut être banale (phlegmon diffus). Elle peut aussi être due à des
anaérobies, réalisant la « gangrène gazeuse », la « plaie des plaies de guerre » dont nous
décrirons ici la prévention. Enfin, le tétanos qui réalise plus un tableau toxique qu'infectieux
demande une prise en charge particulière. En fait, il est efficacement prévenu chez les
combattants par la vaccination.

Cette chronologie de développement de l'infection amène à la notion de délai du


traitement : idéal avant 6-12 h, encore précoce avant 24 h si une anti-biothérapie a été
instaurée, tardif au-delà de 24 h (plaie infectée).

Indication opératoire
Quand faut-il donc opérer ? Sur le plan individuel, dès que possible ; sur le plan
collectif, en fonction des impératifs du triage s'il existe de nombreux blessés. Le degré
d'urgence augmente pour les plaies avec garrot non toujours justifié et souvent aggravant, les
plaies avec atteinte ischémique du membre (lésion artérielle, compression prolongée), les
atteintes des grosses masses musculaires (cuisse et fesse) et les plaies localisées en des sites
très septiques (périnée par exemple).

L'antibiothérapie n'autorise aucun retard chirurgical.

Bases cliniques
Le recueil des données cliniques doit établir un diagnostic de gravité et comporter :

- l'appréciation des grandes fonctions vitales (circulation, respiration, conscience)


imposant parfois la mise en œuvre des premières mesures de réanimation ;
- l'interrogatoire sommaire permettant le recueil éventuel de données étiologiques
(conditions du tir et de la blessure, son horaire) et thérapeutiques (anti-biothérapie,
désinfection par antiseptiques...) ;
- l'examen clinique recherche et étudie les orifices d'entrée et de sortie, ce qui permet
de reconstituer mentalement le trajet de l'agent vulnérant. Il faut analyser les caractères de la
plaie (transfixiante, pénétrante), évaluer l'état des loges musculaires, la vascularisation distale,
rechercher des déficits neurologiques distaux, effectuer un bilan clinique et radiologique
d'une fracture associée, d'une pénétration articulaire, et rechercher un projectile inclus. En son
absence, la plaie est habituellement transfixiante, mais certains corps étrangers peuvent ne pas
être radio-opaques : fragments telluriques ou de chaussure dans les blessures par mine
antipersonnel à effet de souffle, projectiles plastiques de certaines armes, etc.

396
La présence de gaz dans les tissus n'implique pas forcément une gangrène gazeuse,
toujours évidente cliniquement et en per-opératoire. Les projectiles à haute vélocité peuvent
être responsables d'une infiltration gazeuse décelable cliniquement et radiologiquement
autour du trajet lésionnel.

Traitement
Le traitement est médico-chirurgical, une grande place étant dévolue à la chirurgie.

Le but du traitement est de permettre la cicatrisation rapide, en toute sécurité, sur le


plan local et général. L'objectif essentiel de tout traitement chirurgical est le même pour
toutes les plaies de guerre : extirper de la région atteinte les corps étrangers et les tissus
dévitalisés, aider et renforcer le processus naturel de cicatrisation inhérent au tissu vivant. Les
modalités du traitement chirurgical sont les mêmes quelle que soit la plaie de guerre :
extirpation de tout corps étranger et des tissus nécrosés, facilitation du processus naturel de
cicatrisation.

La rapidité de la cicatrisation est déterminée en grande partie par :

- le laps de temps écoulé entre la blessure et le traitement chirurgical primaire ;


- l'efficacité de cette chirurgie primaire ;
- le traitement local et général anti-infectieux.

Les méthodes de traitement sont médico-chirurgicales.

Traitement médical
Le traitement médical doit procurer une protection locale et générale contre
l'infection.

L'utilisation de l'antibiothérapie dans les plaies de guerre reste classique pour assurer
la prophylaxie de la gangrène gazeuse : il faut associer ici la pénicilline G à fortes doses (5 à
20 MUI/j, soit une injection de 5 MUI toutes les 6-8 h) et le métronidazole (1,5 à 2 g/j).

Il faut cependant se souvenir qu'une antibiothérapie, même remarquablement efficace,


ne justifie aucun retard au traitement chirurgical, ni un geste chirurgical approximatif. Elle est
indispensable en cas de retard thérapeutique, de gros délabrement, de souillure massive.

Traitement chirurgical
Sur le site même de la blessure, il faut recouvrir la plaie d'un pansement protecteur,
qui doit être compressif en cas d'hémorragie.

Ensuite, le traitement chirurgical primaire associe trois temps essentiels : le parage de


la plaie, la (non-) fermeture, l'immobilisation du membre atteint.

Le traitement chirurgical ultérieur comporte un éventuel parage itératif et la fermeture


différée de la plaie parée.

397
Parage
Le parage est par définition un nettoyage mécanique de la plaie aux ciseaux et au
bistouri de façon à « parer », c'est-à-dire exciser tous les tissus contus et mortifiés qui sont des
foyers de pullulation microbienne.

La préparation du patient pour le parage comporte plusieurs étapes : anesthésie,


section large des vêtements ou, mieux, déshabillage complet, nettoyage du membre sur toute
sa circonférence avec lessivage aux ammoniums quaternaires des régions avoisinantes en
maintenant fermement un tampon de gaze stérile sur la plaie elle-même, rasage excentrique
puis décapage à l'éther et désinfection à l'iode.

Un garrot est classiquement mis en place, non serré, à la racine du membre. Pour
Coupland, un garrot pneumatique a une valeur inestimable dans la chirurgie initiale des plaies
distales des membres. Sa mise en place avant l'ablation du premier pansement minore la perte
sanguine, et il procure un champ opératoire exsangue, ce qui facilite le parage. « Avant de
donner du sang, écrit Brisgand, il faut éviter d'en perdre. »

L'installation doit permettre de pratiquer d'éventuelles contre-incisions (d'où


l'importance également d'aseptiser toute la circonférence du membre).

La mise en place des champs stériles isole la zone opératoire.

L'instrumentation devra prévoir un double jeu d'instruments (un pour les tissus de
surface a priori souillés, un autre pour les tissus profonds).

Technique
II faut, lors du parage, respecter un certain nombre de principes classiques :

- « La technique d'un parage correct ne peut être apprise qu'en salle d'opération ; »
- procéder de la surface à la profondeur. Éviter de mettre en contact une zone déjà
parée et une zone encore souillée ;
- faire l'hémostase à mesure ;
- l'excision totale de tous les tissus dévitalisés est obligatoire, mais il faut respecter
tous les éléments vitaux tels que nerfs ou vaisseaux sanguins majeurs ;
- la restauration des axes vasculaires est prioritaire ;
- tous les corps étrangers doivent théoriquement être enlevés mais il ne faut pas perdre
de temps ou créer des délabrements supplémentaires en recherchant des éclats métalliques ;
- les tendons souillés et lacérés sont parés, mais leur continuité ne doit être rétablie
que secondairement.

La réalisation du parage procède au bistouri, plan par plan, et réalise l'excision


de la plaie (parage extrafocal).

Au niveau de la peau, deux gestes sont successivement réalisés :

- l'excision : elle doit être parcimonieuse, débordant de 2-3 mm les bords contus. Cela
facilite la fermeture ultérieure tout en évitant les pertes de substance imposant le recours à
une chirurgie itérative ;

398
- le débridement : ce terme a été pour la première fois utilisé par Ledran au XVIII e
siècle. Le débridement consiste à agrandir la plaie par une ou deux incisions habituellement
longitudinales à partir de la plaie, en évitant tout abord surplombant une surface osseuse sous-
cutanée. Le tracé d'incision sera décroché en baïonnette au niveau d'un pli de flexion.

Le tissu sous-cutané est excisé en bloc, avec la peau, dans les mêmes limites.
Les aponévroses sont des éléments anatomiques susceptibles de provoquer des
complications car elles sont de faible vitalité et enserrent les muscles dans des loges
inextensibles. En cas d'œdème musculaire, il y a risque de « syndrome des loges » dans lequel
la pression dans le tissu musculaire augmente, avec apparition d'une ischémie pouvant d'une
part créer des lésions irréversibles, d'autre part faire apparaître un milieu propice au
développement des germes anaérobies avec possibilité de gangrène. Tout ce qui est dilacéré
doit être largement réséqué, et toute attrition des plans profonds impose de larges
débridements dits « aponévrotomies » permettant l'indispensable exposition des lésions sous-
jacentes.

L'aponévrose profonde doit être incisée sur toute la longueur de l'incision cutanée afin
d'exposer les lésions profondes. Ajouter un refend transversal à une des extrémités de cette
incision permet souvent d'améliorer l'exposition.

Au cours de l'exploration, il faut éviter d'utiliser un stylet explorateur qui peut créer
des faux trajets, et donc privilégier l'exploration par parage et l'exposition pas à pas. Le geste
classique, efficace, reste l'exploration au doigt ganté qui permet d'apprécier trajets et
décollements, d'évacuer les caillots, les débris libres, les esquilles, les amas collectés, les
corps étrangers.

Le parage musculaire est un temps essentiel : on excise aux ciseaux et au bistouri, en


bloc, tout le muscle dévitalisé, c'est-à-dire foncé, noirâtre, ne se contractant pas sous la pince
et ne saignant pas à la section jusqu'en un muscle sain rouge, saignant et contractile, en
respectant les éléments nobles (vaisseaux et nerfs), et sans se préoccuper de la gêne
fonctionnelle ultérieure. Le tissu musculaire sain se reconnaît à sa texture, sa couleur, sa
contractilité, son saignement.

L'hémostase se fait par ligatures au fil résorbable ou par tamponnement.

Le parage ne doit pas être excessif (« carcinologique » a-t-on même pu dire), il doit
rester marginal. Les masses musculaires nécrosées laissées en place sont à l'origine de
complications ultérieures. Coupland souligne que lorsqu'un groupe musculaire est atteint, ne
sont visibles que les muscles conservés ou partiellement sectionnés. Une transsection
musculaire complète s'accompagne d'une rétraction des deux extrémités à distance de la plaie.
Seuls un abord et une dissection suffisants permettent alors l'exposition des extrémités
dévitalisées.

L'extraction des corps étrangers doit être aussi complète que possible mais sans être
délabrante.

Rich, dans son étude portant sur 750 blessures de guerre au Viêt-Nam, a noté qu'«
approximativement 2/3 des patients avec plaies pénétrantes restaient porteurs après le parage
soit du projectile lui-même soit de ses fragments ».

399
L'exploration digitale de la plaie peut permettre de localiser ou d'extraire un corps
étranger. La localisation clinique ou radiologique d'un projectile peut faire choisir un abord
d'extraction séparé et limité, préférable à une exploration par la plaie existante si elle risque
d'être inutilement délabrante pour les muscles non lésés.

Au total donc :

- on débride la peau ;
- on débride et on excise l'aponévrose ;
- on excise le foyer musculaire.

Ce parage, dit parage extrafocal de Fruchaud, doit être complet.

Une fois terminé, il doit être systématiquement suivi de lavages répétés et d'irrigations
au sérum physiologique. Les solutions antiseptiques ne sont pas de mise ; elles ne pallient pas
l'insuffisance d'un parage. « Le traitement des plaies de guerre est chirurgical et non chimique
» (Coupland).

Il existe un principe essentiel pour toute plaie parée, celui de la non-fermeture. Le


chirurgien de guerre doit se plier à cette interdiction de toute fermeture immédiate : « II faut
faire le parage comme si on voulait terminer par une suture primitive et ne pas la faire »
(Curtillet).
Le meilleur drainage est de laisser la plaie ouverte, évitant ainsi le développement des
infections anaérobies.

Toutes les plaies doivent donc être laissées largement ouvertes, mais un axe
vasculaire, un nerf, un tendon, une extrémité articulaire doivent être recouverts.

Il convient de décrire les modalités du pansement. Il faut panser à plat, c'est-à-dire


recouvrir la plaie d'un pansement absorbant sans bourrage et sans serrage.
La première couche doit être absorbante (épaisse couche de gaze absorbante) et non
occlusive (éviter les mèches tassées et les pansements vaselines qui gênent le drainage). «
Une mèche draine 5 mm puis se bouche jusqu'à ce qu'on l'ait enlevée. En revanche, une
mèche peut faire l'hémostase en maintenant un caillot au contact ; c'est la seule indication.
Elle devra être enlevée dès que possible (24 ou 48 h) » (Brisgand).

La deuxième couche est constituée par un lit de compresses, coton cardé ou


pansements américains.

La troisième couche réalise une contention non compressive par un pansement large
adhésif ou des bandes élastiques souples. Il faut éviter tout bandage circulaire inextensif
susceptible de devenir compressif en cas d'œdème postopératoire d'un membre.

L'immobilisation ne doit jamais être différée. Elle est le troisième temps


indispensable, même en l'absence de fracture. Elle permet de lutter contre l'infection («
l'immobilisation, dit Brisgand, est le premier des antibiotiques ») et facilite la cicatrisation.

Le membre doit être fixé en position physiologique, soit par une attelle, soit par un
plâtre bien capitonné qui sera fenêtre en regard des lésions et fendu en long et comportera les
renseignements concernant la plaie (date, niveau). Le membre sera surélevé.

400
Les lésions, après le traitement chirurgical initial, peuvent être quantifiées et codifiées
en utilisant la classification de la Croix-Rouge qui se réfère à 6 paramètres (EXCFVM) : E
(pour entry, en centimètres), X (pour exit, en centimètres ; X = 0 en l'absence d'orifice de
sortie), C (pour « cavité » C = 0 ou C = 1 selon que la cavité est supérieure ou inférieure,
avant parage, à deux travers le doigt), F (pour l'existence d'une fracture, simple : FI, ou
comminutive : F2), V (pour l'atteinte d'une structure vitale : VO ou VI) et M, (MO, 1, 2 selon
l'absence ou l'existence d'un ou plusieurs corps étrangers métalliques).
L'évacuation « fait partie, en chirurgie de guerre, du traitement ». Les plaies des
parties molles sont des urgences relatives différées. Classiquement, il s'agit de deuxièmes
urgences, autorisant un délai d'évacuation de 18 h, ou de troisièmes urgences, si le parage a
pu être réalisé sur place.

Toutefois, des critères de gravité particulière (atteinte des grosses masses musculaires
de la fesse, cuisse, importance du délabrement, de la souillure), justifiant un traitement avant
la 6e/12e h, doivent la faire classer en première urgence.

Les gros délabrements musculaires, une lésion des gros vaisseaux, peuvent convertir
ces plaies en urgences absolues.

Les résultats de cette modalité thérapeutique sont maintenant bien connus.

Quelques chiffres confirment l'excellence de la méthode :

E.D. Churchill, sur le théâtre italien de la Seconde Guerre mondiale, traita par parage
et suture secondaire 25 000 plaies avec 95 % de cicatrisation sans amputation ni décès et 5 %
d'échec par rétention de tissus infectés. Des résultats identiques ont été obtenus à l'Est par les
chirurgiens soviétiques comme Burdenko, Dobichin, Krivorotov, Jelanski, avec des séries de
9 520, 13 550, 12 163, 22 000 cas. La validité de ces principes reste entière.

Un certain nombre de facteurs d'évolution défavorable découlent des données


précédentes (Manuel de l'OTAN - 1975) :

« - retard dans le traitement chirurgical ;


- excision insuffisante de la plaie ;
- lésions vasculaires graves provoquant une ischémie tissulaire régionale ;
- hémostase insuffisante à la chirurgie initiale de la plaie avec une formation
d'hématomes consécutive ;
- rétention de corps étrangers ;
- drainage inefficace ;
- fermeture de la plaie sous tension ou utilisation de bandages circulaires ou de plâtres
trop serrés ;
- fermeture primaire des blessures de guerre ;
- fermeture tardive de la plaie sous tension, ou bien au-dessus d'une importante cavité
morte, ou bien dans une zone d'ischémie ;
- immobilisation insuffisante ;
- introduction d'une contamination secondaire par des pansements humides et
souillés, par les matières fécales ou par une inspection fréquente des plaies ;
- incapacité de reconnaître et de traiter un viscère creux perforé ou une plaie rectale ;
- résistance des germes aux antibiotiques ;

401
- confiance exclusive dans la thérapie antibiotique prophylactique ;
- contamination secondaire par le contact du blessé avec le personnel porteur de
bactéries pyogènes ;
- présence d'une maladie métabolique, comme le diabète, qui prédispose au
développement et à l'extension de l'infection. »

Problèmes tactiques et techniques


Cas particuliers
Nous décrirons maintenant quelques points particuliers :

- le problème de l'orifice de sortie ;


- le parage incomplet, le parage itératif ;
- les sétons ;
- l'abord électif associé (vaisseaux) ;
- les exceptions et variantes tactiques du dogme de la non-fermeture ;
- les plaies vues tardivement : « l'épluchage intrafocal » de Fruchaud ;
- les atteintes massives ;
- les plaies « simples » ;
- les gros délabrements musculaires :
• l'amputation primaire,
• les plaies de la fesse,
• les plaies du périnée.
- la plaie par projectile à haute vélocité : faut-il ici modifier le parage ?
- la plaie par projectile de basse vélocité : faut-il renoncer au parage ?
- la place du fixateur externe ;
- les aponévrotomies de principe ;
- les plaies par projectiles au phosphore.

Reprenons un par un tous ces points particuliers :


- L'orifice de sortie, à distance, doit être mis à plat ; il peut servir d'orifice de sortie
pour un éventuel drainage (lame caoutchoutée).
- Le parage incomplet - le parage itératif

II n'est pas rare que l'état général des patients interdise un parage initial complet.
Dé même, une altération per-opératoire de l'état général peut faire interrompre le geste.-

« Un chirurgien de guerre mature, écrit Byerly à propos de son expérience


vietnamienne, est celui qui a appris à en rester là et à y retourner quelques heures ou jours
plus tard pour un nouveau contrôle ou une reprise du parage s'il en est besoin. »

- Un séton superficiel peut être mis à plat entre ses deux orifices s'ils sont
rapprochés. En règle, son traitement consiste en l'excision cutanéo-graisseuse des deux
orifices et le nettoyage par écouvillonnage de l'un à l'autre à l'aide d'une compresse
imbibée d'antiseptique (pull through technique). Un drainage de part en part sera laissé en
place.

402
Soulignons que la petite taille de l'orifice de sortie ne permet pas d'affirmer qu'il
n'existe pas de dégât sous-jacent. Un projectile ayant perdu son énergie peut ne créer qu'un
orifice de sortie modeste. L'erreur d'appréciation est donc ici possible et la négligence d'une
attrition musculaire profonde majeure et non drainée peut être cause d'infection grave ou de
gangrène. Au moindre doute (séton profond, loge musculaire tuméfiée), un débridement
cutané et une aponévrotomie permettront de déterminer précisément s'il existe des lésions
profondes.
- Une incision typique complétant les incisions de parage orificielles peut être
nécessaire pour l'exploration d'un axe vasculaire ou d'un os.

- Il existe des exceptions et des variantes tactiques au dogme de la non-fermeture :


plaies de la face, plaies des parties molles du thorax, plaies cranio-cérébrales, plaies
articulaires, recouvrement des réparations vasculaires ;

• les plaies de la face : les mécanismes de défense contre l'infection sont


particulièrement efficaces au niveau de la face, et les phénomènes ischémiques sont rares, ce
qui peut faire proposer des sutures primitives. Cette notion est remise en question dans les
lésions par projectiles à haute vélocité, par la dévi-talisation extensive et différée des tissus (J.
Pons). La suture primitive reste cependant en règle licite ;
• les plaies des parties molles du thorax doivent être parées. La suture du plan
musculaire doit permettre de refermer une brèche thoracique (plaies « à thorax ouvert »), mais
la peau est laissée ouverte ;
• plaies cranio-cérébrales : la dure-mère doit être refermée directement ou à l'aide
d'une greffe d'aponévrose temporale. La peau est refermée en utilisant parfois un lambeau de
rotation ;
• plaies articulaires : la synoviale doit être fermée ou, à défaut, la capsule ;
• une plaie des gros vaisseaux doit, une fois réparée, être recouverte par au moins un
plan musculaire sain, éventuellement par transposition d'un corps musculaire.

- Les plaies vues tardivement : le traitement initial est le plus favorable avant 12 h,
avant 24 h en cas d'antibiothérapie. Au-delà et si la plaie est manifestement infectée il faut
éviter le parage extrafocal qui disséminerait l'infection aux tissus sains ; « on ne devance plus
la lyse tissulaire, on ne devance plus la pullulation microbienne et son extension. Force est de
reculer d'un pas dans la hiérarchie des traitements des plaies de guerre. Il faut revenir aux
pratiques de débridement et d'antisepsie » (Talbot).

Face à de telles plaies, l'attitude classique consiste à débrider modérément la plaie,


évacuer les éléments mortifiés, le pus, les corps étrangers (c'est l'épluchage intrafocal de
Fruchaud : contrairement à l'excision qui s'adresse aux plaies fraîches, cet épluchage
supprime ce qui est voué à l'élimination, hâtant ainsi la mise à net de la plaie), laver avec des
solutions antiseptiques et drainer largement avec des lames de caoutchouc (lames de
Delbet). Pour Coupland, les blessures anciennes peuvent prendre deux aspects opposés :
soit putréfaction ou gangrène, imposant une chirurgie plus agressive, soit plaie en voie de
guérison où le parage restera plus limité.

Du fait de l'exsudation de ces plaies, les pansements seront refaits une à plusieurs fois
par jour. Les parages répétés sont ici souvent nécessaires. La fermeture secondaire est
fréquemment retardée de quelques jours par rapport à celle d'une plaie vue précocement.

403
- Atteintes massives : dans les atteintes massives, les lésions multiples sont fréquentes,
et il est rarement possible d'entreprendre ce traitement optimal. On se contentera, si les
conditions le permettent, de simples incisions de débridement de la peau et de l'aponévrose
autour des plaies importantes, voire d'un simple pansement protecteur.

- Les plaies « simples » : 20 à 25 % des plaies ne nécessitent pas d'intervention :


plaies superficielles nettes, non contuses, sans hématome du trajet. On se contente d'un
nettoyage chirurgical antiseptique. Le geste est ici une toilette et non plus un parage. En cas
de criblage, de blessures minimes multiples, le membre sera cependant immobilisé.

- Les gros délabrements musculaires : ils exposent au choc hémorragique et à la


gangrène gazeuse. Il existe trois tableaux distincts selon la topographie des lésions ;

• au niveau des membres : la gravité de l'atteinte initiale, l'association d'atteintes


osseuses, nerveuses, vasculaires, l'importance de la souillure font parfois poser le problème de
l'amputation d'emblée, toujours d'indication difficile. Cette amputation a pu être qualifiée de «
forme la plus achevée du parage ». L'état général du blessé, les lésions viscérales associées
sont des éléments emportant parfois la décision d'amputer ;
• les plaies hémorragiques de la fesse : leur hémostase nécessite une ligature première
de principe de l'artère hypogastrique (ou artère iliaque interne) homolatérale par une voie
sous-péritonéale (en l'absence de lésion intrapéritonéale associée). Le parage fessier, réalisé
dans le second temps, impose un changement de position per-opératoire parfois mal supporté
sur le plan hémodynamique quand le blessé est hypotendu ;
• les plaies graves du périnée imposent de principe, même en l'absence d'atteinte ano-
rectale, une colostomie précoce pour éviter leur contamination fécale.

- La notion de plaie par projectile à haute vélocité doit-elle faire modifier le parage ?

« Croire que les projectiles à haute vélocité sont à l'origine de plaies où les lésions
vont "au-delà de ce qui est visible" et que, dans leur excision, le chirurgien doit être
davantage agressif, allant au-delà de ce que son jugement lui dicterait, est une erreur répandue
et dangereuse » (Fackler). Il faut d'autant plus tenir compte de cette opinion que, dans 1/3 des
plaies de pratique civile, la nature de l'arme responsable n'est pas connue et que l'on ne peut
donc en tirer aucune conclusion pratique.

« De plus, ajoute Fackler, ce n'est pas parce qu'un projectile à haute vélocité bien
particulier est capable de créer une atteinte musculaire massive qu'il en est de même pour tous
les projectiles à haute vélocité ni que si l'atteinte n'est pas évidente c'est qu'elle doit être
occulte.

Chez le porc, des études concernant le traitement des plaies des parties molles ont bien
montré l'inopportunité d'un parage large systématique, pour peu qu'une bonne couverture
antibiotique soit mise en place le plus précocement possible. »

Toutes ces données font que, à l'heure actuelle, il ne faut plus se fonder sur les notions
de parage élargi de principe, de parage différé, de parage en deux temps, qui avaient été
proposées devant l'étendue et l'évolution de l'atteinte tissulaire créées par ces projectiles.

404
Le parage doit rester marginal et être parfois itératif. Il convient donc de toujours
garder en mémoire le principe de Lindsey selon lequel il convient de « toujours traiter la plaie
et non l'arme ».

- La notion de projectile à basse vélocité doit-elle faire renoncer au parage ?

Bien évidemment, le principe de Lindsey reste ici pertinent. Il convient de rejeter


l'assertion, parfois exprimée, selon laquelle le parage n'est pas nécessaire pour ce type de
projectile, notamment au niveau des membres et dans les plaies civiles.
- La place du fixateur externe

Nous ne ferons qu'évoquer ce problème. Par définition, la plaie des parties molles ne
concerne pas l'os. Cependant, les atteintes osseuses sont fréquentes dans les lésions des
membres, et il semble donc nécessaire de les aborder. Le parage osseux sera limité aux
esquilles libres, les fragments pédicules devant être reposés sur leurs attaches musculo-fascio
périostées ; les irrigations seront abondantes. L'immobilisation osseuse s'impose ; l'ostéo-
synthèse intrafocale est prohibée par le risque infectieux, et il faudra donc recourir à un
fixateur externe.

« Un large approvisionnement en matériel de fixation externe est essentiel à la guerre


et les chirurgiens militaires doivent être entraînés à son utilisation » écrit Trouwborst.

Pendant la guerre du Viêt-Nam, les chirurgiens américains ont souvent différé la pose
de fixateurs externes : « La chirurgie réparatrice et reconstructive n'a pas sa place dans un
hôpital chirurgical de l'avant et la présence d'un orthopédiste entraîné, à ce niveau, était un
luxe et non une nécessité » (a nicety and not a necessity)... L'immobilisation de réduction et
d'évacuation a toujours pu être obtenue par plâtre, écrivait Byerly.

Le problème est actuellement considéré comme résolu dans le Service de Santé des
Armées, en raison d'une part de la disponibilité d'un fixateur externe de concept de type I
(fixation simple, réduction initiale approximative, modification ultérieure possible), d'autre
part de l'entraînement des chirurgiens militaires - « généralistes » - à sa mise en place
immédiate ; en l'absence de fixateur, l'immobilisation plâtrée reste la ressource classique...

Certains continuent cependant à prôner une mise en place secondaire. Pour Coupland,
l'excision de la plaie est gênée par la fixation. La mise en place d'un fixateur externe est
moins prioritaire que le parage de la plaie et devrait être différée au premier pansement, 4 à 5
j après. Cela facilite un éventuel parage secondaire, avant l'immobilisation par fixateur. En
première intention, il suffit d'immobiliser le membre par une attelle plâtrée ou une mise en
traction. Selon cette conception, la fixation externe apparaît être une démarche ultérieure de
routine et non une procédure d'urgence.

L'utilisation de ce matériel a été remise en cause dans les antennes chirurgicales du


fait de ses inconvénients logistiques : poids prohibitif, temps de pose non négligeable. Quand
l'évacuation peut être rapide, sa mise en place, dans de meilleures conditions, peut être
différée de quelques heures.

- Les aponévrotomies de principe

405
Les compartiments ostéo-faciaux indemnes de toute atteinte directe doivent parfois
être ouverts pour éviter une ischémie par l'hyperpression due à l'œdème. Au niveau sural, la
fasciotomie ou aponévrotomie d'abord doit être prolongée pour obtenir une « décompression
» complète de la loge. Pour certains auteurs toute atteinte grave d'une des loges tibiales
impose de principe l'aponévrotomie de l'autre (loges tibiales antérieures et postérieures). Le
syndrome de loge est particulièrement fréquent au niveau de la loge antéro-externe ; il faut le
redouter dans toute plaie en dessous du genou, qu'il y ait ou non fracture tibiale. Une
aponévrotomie par une ou deux incisions latérales de jambe, réalisée au cours de la première
intervention, préviendra la survenue de ces lésions. Secondairement, par ces ouvertures
aponévrotiques, on peut dépister une nécrose des muscles d'une loge qu'il faudra alors
réséquer.

Tout chirurgien de guerre doit être averti de cette nécessité de réaliser ces
aponévrotomies ouvertes systématiques de jambes lors du parage initial.

Pour les plaies de guerre de la main également, l'ouverture des compartiments ostéo-
fasciaux est un geste essentiel.

- Plaies par projectiles au phosphore

Ces dernières années, l'utilisation de plus en plus répandue du phosphore dans les
projectiles et les roquettes est à l'origine de brûlures avec intoxication systémique gravissime
par résorption (toxicités hépatique, rénale et hématologique). Localement, le phosphore blanc
produit des brûlures du second et du troisième degré. Il s'enflamme spontanément au contact
de l'air, même dans l'épaisseur des tissus où il peut être retrouvé plusieurs jours après la
blessure.

Le principe le plus important dans la prise en charge de ces patients est l'ablation la
plus précoce possible de toutes les particules de phosphore résiduelles au niveau de la peau et
des tissus profonds. L'irrigation de la plaie par une solution de sulfate de cuivre à 5 %
empêche l'ignition au contact de l'air et minore les lésions. Cette solution est toutefois toxique
et son utilisation doit être prudente. Après parage et lavage au sérum salé isotonique,
recouvrir la lésion d'un pansement imbibé en permanence de percarbonate de soude,
substance inactivant le phosphore, est l'attitude actuellement recommandée.

Fermeture secondaire
Premier pansement
Après parage correct d'une plaie fraîche, le pansement n'est pas refait dans les
premiers jours jusqu'à la 5 date élective de fermeture. L'apparition d'une douleur excessive,
d'un œdème, de signes locaux ou généraux d'infection, peuvent rendre nécessaire une révision
de la plaie, sous anesthésie, en salle d'opération, et le plus souvent une reprise du parage des
tissus mortifiés et du drainage.

Évolution normale de la plaie


Pour Owen-Smith, après l'excision correcte et précoce d'une plaie par projectile :

- une exsudation séro-hématique persiste pendant 2 j ;

406
- entre le 3e et le 5e j, un tissu granuleux précoce apparaît à la surface du coagulum
fibrineux.

Date élective de fermeture


Cette période du 3e au 5e j constitue, pour le même auteur, le moment optimal pour la
fermeture secondaire. Cette date a d'abord été fixée empiriquement, puis confirmée ensuite
par la pratique. Les échecs thérapeutiques seraient plus fréquents pour les plaies fermées
avant le 3e j ou après le 5e j.

Protocole opératoire
Le premier pansement est donc refait au 4-5e j, sous anesthésie, en salle d'opération.
Les berges sont séparées avec douceur, les caillots éventuels enlevés avec précaution et la
plaie est irriguée avec du sérum physiologique. Il faut alors examiner soigneusement la plaie
et réséquer tout fragment tissulaire mortifié ; l'hémostase doit être obtenue par compression
douce ou par quelques points en X. Aucune suture profonde ne doit être pratiquée, et il faut
éviter les drainages.

Si nécessaire, les berges cutanées peuvent être clivées, pour permettre une suture sans
tension des berges. Cette méthode reste valable pour une plaie profonde de 6-8 cm.
L'hémostase doit être soigneuse et il faut autant que l'épaisseur des tissus où il peut être
retrouvé plusieurs jours après la blessure.

Le principe le plus important dans la prise en charge de ces patients est l'ablation la
plus précoce possible de toutes les particules de phosphore résiduelles au niveau de la peau et
des tissus profonds. L'irrigation de la plaie par une solution de sulfate de cuivre à 5 %
empêche l'ignition au contact de l'air et minore les lésions. Cette solution est toutefois toxique
et son utilisation doit être prudente. Après parage et lavage au sérum salé isotonique,
recouvrir la lésion d'un pansement imbibé en permanence de percarbonate de soude,
substance inactivant le phosphore, est l'attitude actuellement recommandée.

Fermeture secondaire
Premier pansement
Après parage correct d'une plaie fraîche, le pansement n'est pas refait dans les
premiers jours jusqu'à la 5 date élective de fermeture. L'apparition d'une douleur excessive,
d'un œdème, de signes locaux ou généraux d'infection, peuvent rendre nécessaire une révision
de la plaie, sous anesthésie, en salle d'opération, et le plus souvent une reprise du parage des
tissus mortifiés et du drainage.

Évolution normale de la plaie


Pour Owen-Smith, après l'excision correcte et précoce d'une plaie par projectile :
- une exsudation séro-hématique persiste pendant 2 j ;
- entre le 3e et le 5e j, un tissu granuleux précoce apparaît à la surface du coagulum
fibrineux.

407
Date élective de fermeture
Cette période du 3e au 5e j constitue, pour le même auteur, le moment optimal pour la
fermeture secondaire. Cette date a d'abord été fixée empiriquement, puis confirmée ensuite
par la pratique. Les échecs thérapeutiques seraient plus fréquents pour les plaies fermées
avant le 3e j ou après le 5e j.

Protocole opératoire
Le premier pansement est donc refait au 4-5e j, sous anesthésie, en salle d'opération.
Les berges sont séparées avec douceur, les caillots éventuels enlevés avec précaution et la
plaie est irriguée avec du sérum physiologique. Il faut alors examiner soigneusement la plaie
et réséquer tout fragment tissulaire mortifié ; l'hémostase doit être obtenue par compression
douce ou par quelques points en X. Aucune suture profonde ne doit être pratiquée, et il faut
éviter les drainages.

Si nécessaire, les berges cutanées peuvent être clivées, pour permettre une suture sans
tension des berges. Cette méthode reste valable pour une plaie profonde de 6-8 cm.
L'hémostase doit être soigneuse et il faut autant que possible refermer les espaces morts.
Toute tension est à proscrire lors de la suture cutanée, sous peine de désunion secondaire.

Après 4-5 j, l'œdème musculaire s'est résorbé et il est possible (et justifié) de refermer,
s'il n'y a pas de perte de substance cutanée et sous-cutanée et même en présence d'un
bâillement des berges. Si la plaie est étendue, elle sera refermée autant que faire se peut, le
reste étant recouvert d'une greffe cutanée mince.

La plaie suturée ou greffée est alors pansée. Si la lésion siège au niveau d'un membre,
celui-ci sera placé dans une attelle plâtrée bien rembourrée jusqu'au 10-14e j ; aucun autre
traitement n'est nécessaire, sauf indication particulière.

La fermeture peut être difficile et il faut alors confier le blessé à un chirurgien


plasticien.

Pour Owen-Smith, 95 % des plaies par projectile relèvent d'une fermeture différée et
cicatrisent sans complication dans plus de 90 % des cas.

Conclusion
La plaie des parties molles de guerre est un domaine essentiel de la pathologie
balistique : c'est en effet la lésion la plus fréquente et la première composante de toutes les
plaies complexes.

Le parage reste ici le facteur fondamental pour éviter les complications infectieuses
graves, parmi lesquelles la redoutable gangrène gazeuse demeure au premier plan. Ce geste
est malaisé mais là est la première étape de l'apprentissage du chirurgien nouvellement
confronté à la chirurgie de guerre.

408
Prise en charge chirurgicale
d'une brûlure grave en situation précaire

J.-M. RIVES, A. LE COADOU, G. FRANCHI, /.-F. ANDREANI, D. CANTALOUBE

II est classique de dire qu'une brûlure est grave quand elle menace à plus ou moins
brève échéance le pronostic vital. Il ne faut pas pour autant méconnaître qu'elle peut
également l'être si la fonction d'un organe (œil en particulier) est altérée, même isolément, ou
encore si celle d'un membre est compromise (brûlure circulaire par exemple). Les gestes de
réanimation (en particulier le remplissage vasculaire) ne tolèrent parfois aucun délai, mais
là n'est pas le seul traitement, et ce plus encore dans des conditions difficiles. Il faut savoir
exécuter, si la situation l'impose, quelques gestes « salvateurs » simples, immédiatement
efficaces.

Le but de ce chapitre est de les détailler et d'indiquer pour certains quand et comment
les réaliser. Pour d'autres, il ne sera fait état que de quelques particularités, dictées par le
type de la brûlure en cause. Volontairement, nous faisons abstraction de toute notion de
réanimation et de traitement médical. Seule la conduite à tenir, au plan chirurgical, sera
abordée.

Histopathologie de la brûlure
Les critères de gravité d'une brûlure concernent son étendue, sa profondeur et sa
localisation.

Surface
L'étendue de la brûlure joue un rôle essentiel dans le pronostic vital de la brûlure et
dans la stratégie chirurgicale au stade de l'excision-greffe. La détermination de la surface
corporelle est décrite dans le chapitre 5.

Profondeur
II faut impérativement la connaître pour le pronostic chirurgical d'excision-greffes, à
réaliser en centre spécialisé. Schématiquement, on distingue :
- le premier degré : il correspond à une atteinte dermique superficielle.
Cliniquement, il s'agit d'un érythème fugace qui évolue vers la guérison en 2 à 4 j laissant
place à une fine desquamation ;
- le deuxième degré : on lui distingue deux stades anatomo-pathologiques :

409
• le deuxième degré superficiel : il est caractérisé par une nécrose de l'épidémie
jusqu'à la couche basale de Malpighi. Cliniquement, il se traduit par une phlyctène séreuse et
douloureuse qui guérit en moins de 12 j,
• le deuxième degré profond : il correspond à une nécrose épidermique totale qui
laisse intact le derme profond et les annexes épidermiques situés à ce niveau. Cliniquement, il
se traduit par une lésion plutôt blanchâtre, piquetée de rouge, dont le sous-sol est souple. La
cicatrisation spontanée est possible et se fera en plus de 21 j à partir des enclaves
intradermiques des annexes pilo-séba-cées, mais aussi à partir de la métaplasie des cellules
myo-épithéliales des glandes sudoripares.

Entre ces deux degrés existe une entité (le deuxième degré intermédiaire) qui mêle les
deux tableaux cliniques du fait de la destruction quasi totale de la couche basale et du respect
des crêtes épidermiques. Son évolution dépend de facteurs extérieurs tels que l'infection et la
qualité des pansements. Par conséquent, la cicatrisation peut survenir en moins de 21 j mais
parfois plus ;

- le troisième degré : il est caractérisé par une destruction du plan dermo-épidermique


et parfois même des plans sous-jacents. Sur le plan clinique, une telle brûlure est de couleur
blanche, brune ou noirâtre ; elle est insensible, cartonnée et ne peut guérir spontanément à
partir des éléments profonds.

En pratique, on distingue trois types de brûlures qui déterminent les modalités


thérapeutiques (chirurgicales ou médicales) :

- les brûlures superficielles (premier et deuxième degré superficiel) dont la guérison


est obtenue en moins de 21 j. Le traitement de ces brûlures est médical ;
- les brûlures intermédiaires que l'on considère comme des brûlures profondes si elles
n'ont pas cicatrisé au bout de 21 j pour l'ensemble du corps à l'exception du dos et des fesses
(cinq semaines), l'épaisseur de la peau à ce niveau étant plus importante ;
- les brûlures profondes qui sont traitées chirurgicalement par une couverture cutanée
conventionnelle à type de greffe dermo-épidermique (amplifiée ou non) ou par les autogreffes
d'épiderme de culture.

Indices de gravité
Au total et en pratique, il est important d'établir rapidement les indices de gravité
d'une brûlure. Ces scores conditionneront bien sûr le type de réanimation mais aussi la
rapidité d'évacuation vers une structure spécialisée.

Deux indices de gravité nous paraissent utiles sur le terrain :

- la règle de Baux : créée par S. Baux en 1961, elle consiste à additionner l'âge et la
surface brûlée exprimée en pourcentage : le pronostic est sombre quand l'indice dépasse 100
(10 % de survie) ;

- le taux UBS : indice quantitatif, le taux UBS (Unit Burn Standard) associe surface
et profondeur des lésions. Défini en 1969 par Sachs et Watson, il est calculé en additionnant
la surface brûlée totale (en pourcentage) et trois fois la surface brûlée au troisième degré (en
pourcentage).

410
Ainsi, pour un adulte jeune, les taux UBS sont :

• de 0 à 50 UBS : brûlure bénigne ;


• de 50 à 100 UBS : brûlure moyenne ;
• de 100 à 150 UBS : brûlure grave ;
• de 150 à 400 UBS : brûlure gravissime.

Lésions associées
Elles conditionnent la stratégie thérapeutique chirurgicale et peuvent influer sur le
pronostic vital. En effet, les brûlures de la région cervico-faciale sont particulièrement graves
par leurs atteintes fonctionnelles, essentiellement respiratoires, et générales et ce d'autant plus
que l'accident est survenu en espace clos avec inhalation de fumées. Ces brûlures respiratoires
vont majorer les complications générales et imposer d'emblée une intubation naso-trachéale,
bien souvent suivie d'une trachéotomie. Les brûlures de la région péri-oculaire justifieront une
tarsorraphie de protection des globes oculaires. De même, des brûlures profondes circulaires
des membres, du cou ou du tronc imposeront les incisions de décharge ou des escarrotomies
dans les meilleurs délais pour préserver la vascularisation périphérique distale (doigts) et la
compliance pulmonaire.

Enfin, il ne faudra pas sous-estimer dans la prise en charge du patient les facteurs
aggravants que sont les traumatismes associés (brûlé et polytraumatisé).

Prise en charge chirurgicale d'un brûlé grave


Nous entendons par brûlure grave nécessitant une prise en charge chirurgicale toute
lésion profonde supérieure ou égale à 15 % de la surface corporelle. Le traitement initial doit
ici comporter :

- des soins locaux (nettoyage et détersion des phlyctènes) ;


- des escarrotomies ;
- éventuellement une tarsorraphie de protection ;
- une trachéotomie ;
- le pansement final.

Soins locaux
Ils intéressent l'ensemble des surfaces brûlées et ont un double objectif, le nettoyage
des lésions et la détersion des phlyctènes.

Cette phase doit être réalisée de la façon « la plus propre possible » avec des gants
stériles et sous sédation analgésique. Les antiseptiques communément utilisés à cet effet sont
la Bétadine Dermique (solution de polyvidone iodée à 10 %) ou l'Hibitane (chlorexidine)
dilué chez l'enfant. Les phlyctènes sont alors réséquées avec des pinces à disséquer et des
ciseaux.

Après cette détersion, on peut alors évaluer très précisément l'étendue et


l'importance des lésions en profondeur, et en déduire les modalités thérapeutiques
initiales.

411
Incisions de décharge ou escarrotomies
Introduction
La réalisation d'incisions de décharge (ou escarrotomies) est l'un des gestes
chirurgicaux urgents que tout médecin devrait pouvoir pratiquer chez un brûlé grave lors
de la préparation à l'évacuation.

Les incisions de décharge sont parfois vitales au niveau du cou et du thorax car
elles sont susceptibles de maintenir la liberté des voies aériennes et d'améliorer
l'ampliation pulmonaire. Au niveau des membres, elles peuvent permettre de prévenir des
ischémies distales en cas de brûlures circulaires qui peuvent réaliser de véritables garrots.

Leurs indications doivent être larges, les escarrotomies prophylactiques étant tout à
fait licites si les conditions de prise en charge et de surveillance du brûlé sont aléatoires
(temps de crise, avec afflux massif de blessés et difficultés d'évacuation). On les décide
essentiellement sur des données cliniques, même si des examens complémentaires comme
le doppler peuvent se révéler utiles. Elles sont en général techniquement simples, et nous
les décrirons en détail pour chaque région anatomique.

Pourquoi pratiquer des escarrotomies ?


Après des brûlures graves apparaissent des phénomènes vasomoteurs complexes
qui aboutissent à de volumineux œdèmes diffus. Lorsque les téguments sont restés
relativement souples, comme dans les brûlures superficielles, ils se laissent
progressivement distendre par l'œdème, ce qui se manifeste cliniquement par une
augmentation de volume de la région. En revanche, dans les brûlures profondes avec
formation d'escarres inextensibles, celles-ci vont se comporter comme de véritables
carcans vis-à-vis des tissus sous-jacents. Quand le volume des œdèmes croît, il y a dans
ce cas augmentation progressive de la pression intra tissulaire qui se traduit cliniquement
au niveau des membres par une compression initialement veineuse avec stase d'amont,
puis artérielle avec ischémie distale. Au niveau cervical, une brûlure circulaire peut d'une
part comprimer le larynx et la partie haute de la trachée, compromettant la liberté des
voies aériennes, d'autre part gêner les flux artériels et veineux jugulo-carotidiens à
destinée cérébrale. Au niveau thoraco-abdominal, la compression se traduit par un
manque d'ampliation pulmonaire avec un déficit ventilatoire et des troubles de l'hématose.

II faut donc effectuer des incisions de décharge dans l'axe des membres ou du
tronc pour supprimer l'effet de carcan et permettre l'expansion de l'œdème. Seules les
incisions de décharge permettent d'éviter l'augmentation des pressions tissulaires sous-
jacentes.

Quand pratiquer des escarrotomies ?


L'œdème devenant majeur dans les 24 premières heures, les incisions de décharge
doivent idéalement être réalisées auparavant.

412
Le plus souvent, le seul examen clinique suffit à poser l'indication. Il faut d'abord
apprécier la surface corporelle brûlée et la profondeur des lésions. La « règle des 9 » de
Wallace est la plus couramment utilisée en urgence. Rappelons que toute brûlure
profonde, estimée à plus de 20 % de la surface corporelle totale chez l'adulte et 10 % chez
l'enfant, impose des mesures de réanimation rapides, dont les modalités sont décrites dans
le chapitre 5.

Porter une indication d'escarrotomie est simple devant une brûlure circulaire à
l'évidence profonde, avec des téguments cartonnés et indolores, dont la couleur blanc
nacré, rouge ou brune, tranche sur la peau saine, et dont les phanères se détachent sans
effort.

Le diagnostic clinique peut toutefois être plus difficile devant des téguments
d'aspect faussement normal, à peine rosés ou décolorés. La palpation est alors essentielle
pour mettre en évidence l'insensibilité des lésions, la disparition de l'élasticité cutanée et
l'absence d'adhérence de l'épiderme et des annexes. Les brûlures « en mosaïque », qui
associent brûlures superficielles et profondes, sont également très difficiles à évaluer.

Les escarrotomies doivent être pratiquées avant que n'apparaissent les signes de
compression aérienne ou vasculaire.

Les brûlures profondes et circulaires du cou peuvent entraîner une véritable


strangulation, avec dyspnée inspiratoire, protusion de la langue et exophtalmie. Au niveau
du tronc, elles diminuent considérablement la compliance thoracique et entraînent des
troubles de la mécanique ventilatoire avec risque de détresse respiratoire.

Au niveau des membres, la compression des axes vasculaires se traduit tout


d'abord par une stase veineuse d'amont, avec un aspect bleuté des téguments et une
turgescence des veines superficielles (en dehors des zones brûlées). Lorsque la pression
interstitielle des tissus œdématiés devient égale à la pression artérielle diastolique, une
ischémie distale apparaît, qui ne pourra être correctement évaluée qu'en peau saine chez
un blessé non choqué qui présente un membre blanc, froid, avec diminution ou abolition
des pouls distaux. Les troubles neuromusculaires sont plus tardifs et traduisent l'ischémie
tissulaire. C'est le stretch test, le plus significatif chez le brûlé, qui se caractérise par la
survenue d'une douleur aiguë lorsque l'on étire passivement les muscles.

Au niveau des mains, le diagnostic précoce de compression est difficile. L'existence


d'une tension à ce niveau, de douleurs précoces régressives et de paresthésies, doit attirer
l'attention, ainsi que la flexion des articulations intermétacarpo-phalangiennes et
interphalangiennes, avec douleurs à l'étirement passif.

Les examens paracliniques ne sont pas utiles, à notre avis, pour porter l'indication
d'escarrotomie. L'examen doppler des flux artério-veineux est théoriquement possible sur le
terrain grâce aux appareils simplifiés et miniaturisés mais il est difficile à réaliser et
interpréter sur des téguments brûlés et œdématiés. La mesure des pressions intra tissulaires ne
présente pas d'intérêt pratique chez le brûlé, de même que les examens IRM. Les incisions de
décharge doivent être systématiques devant toute suspicion de brûlure profonde et
circulaire, à titre prophylactique, sans attendre l'apparition des signes de compression
profonde.

413
Comment pratiquer des escarrotomies ?
Principes généraux
Une escarrotomie peut toujours être pratiquée hors d'une salle d'opération, mais un
minimum de matériel est nécessaire :

- bistouri à lame (type 23) ;


- bistouri électrique ou thermo-cautère ;
- pinces hémostatiques, fils de suture (tressé résorbable 2/0 ou 3/0) ;
- compresses hémostatiques (Pangen, Surgicel).

Aucune anesthésie n'est en principe nécessaire puisque le geste est réalisé au niveau
d'une escarre insensible mais, en pratique, il faut le plus souvent procurer une sédation.

L'escarre est incisée le long de l'axe du membre, du cou ou du tronc afin de permettre
le drainage de l'œdème vers les veines centrales. Au niveau des plis de flexion, les incisions
seront au contraire transversales pour optimiser la décompression des axes vasculo-nerveux à
ce niveau.

Il est préférable de progresser depuis la racine du membre vers son extrémité afin
d'éviter de blesser les veines superficielles turgescentes avant la levée de l'obstacle.

414
En profondeur, l'incision doit atteindre le fascia superficialis, mince couche
conjonctive qui sépare en deux plans, superficiel et profond, le tissu adipeux sous-cutané. Il
n'est pas nécessaire d'atteindre l'aponévrose qui recouvre les muscles sous-jacents,
excepté dans le seul cas des brûlures électriques où les lésions musculaires profondes
peuvent être assimilées au crush syndrome (Fig. 23.1).

Le geste ne doit pas être pratiqué à main levée, même par un opérateur entraîné. Il faut
maintenir une garde, bord cubital de la main en appui sur la peau à inciser, un mouvement
brutalement trop ample ou trop profond risquant de blesser les structures sous-jacentes. Il
faut être tout particulièrement prudent au niveau des zones où le revêtement cutané est
mince : face interne du bras et de la cuisse, face antérieure de l'avant-bras, articulations
digitales.

On peut juger immédiatement de l'effet décompressif de l'escarrotomie devant :

- l'écartement franc des berges de l'incision par les tissus sous-jacents œdématisés;
- l'exsudation de liquide interstitiel au niveau de l'escarrotomie ;
- la recoloration de l'extrémité du membre et la réapparition des pouls distaux et
capillaires ;
- une meilleure efficacité respiratoire et l'amélioration de l'hématose pour les incisions
cervicales et thoraciques.
L'hémostase doit être draconienne au niveau de l'escarrotomie :
- ligature par fil noué des principaux pédicules veineux ;
- électrocoagulation des capillaires dermiques et sous-dermiques ;
- protection de toute l'incision par des compresses hémostatiques, avant la réalisation
du pansement de la zone brûlée.

Au niveau cervical
Le principal danger est le rameau mentonnier du nerf facial et les veines jugulaires
externes. En pratique, il faut éviter d'inciser à l'aplomb des angles mandibulaires (Fig. 23.2).

415
Au niveau thoracique
Les escarrotomies thoraciques ne posent pas de problème particulier, à condition de
respecter la région sus-claviculaire et le sommet du creux axillaire, point de passage des
éléments vasculo-nerveux.

Les incisions sont d'abord réalisées sur les deux lignes axillaires antérieures, environ 1
cm sous la clavicule et jusqu'au bord inférieur du grill costal. On les double éventuellement
d'incisions parallèles, plus internes ou plus externes, ou d'une incision horizontale sous le
rebord costal, pour encore améliorer la compliance thoraciques. Pour des raisons esthétiques,
toutes ces escarrotomies thoraciques doivent éviter le mamelon (Fig. 23.3).

Figure 23.3 : Membre supérieur.


1. veine céphalique ;
2. veine basilique ;
3. pédicule radial ;
4. nerf médian ;
5. nerf cubital.

Au niveau du membre supérieur


Au niveau du bras, les incisions suivent les bords interne et externe, en respectant
autant que possible les veines superficielles (basilique et céphalique).

Au coude, l'incision est transversale pour débrider les vaisseaux huméraux au niveau
du pli de flexion. Elle peut se poursuivre à la face postérieure en cas de brûlure circulaire,
sans ouvrir toutefois la gouttière des tendons épitrochléens qui protègent le nerf cubital.

Au niveau de l'avant-bras, les principaux dangers se situent au poignet. Les


incisions prolongent les incisions du bras, aux bords interne et externe du membre. On
conservera si possible les veines superficielles radiales et cubitales. Au poignet, il faut
absolument éviter d'ouvrir le ligament annulaire du carpe, pour ne pas léser les vaisseaux et
nerfs profonds, en fait relativement proches du revêtement cutané.

416
À la main, les incisions sont radiaires, dans l'axe des métacarpiens. Au niveau des
doigts, elles sont effectuées sur la face latérale un peu postérieures (à la jonction peau
palmaire - peau dorsale) pour éviter les paquets vasculo-nerveux collatéraux. Elles doivent
également éviter les commissures digitales, dont la reconstruction chirurgicale ultérieure
serait difficile (Fig. 23.3).

Au niveau du membre inférieur


À la cuisse, le seul danger est le saignement de la veine saphène interne ou de sa
crosse, au bord interne du membre.

Au genou, le débridement doit être transversal, en évitant l'axe de la saphène interne,


postéro-interne et la crosse de la saphène externe, au niveau du pli de flexion poplité. Il est
également impératif de respecter le tronc du nerf sciatique poplité externe qui est très
superficiel quand il croise la tête du péroné.

417
À la jambe, les incisions sont internes et externes pour ne pas découvrir la face
antérieure du tibia.

À la cheville, le débridement est transversal en respectant l'artère tibiale postérieure


dans la gouttière rétro-malléolaire.

Les incisions de la face dorsale du pied sont radiaires (Fig. 23.4).

Surveillance post-opératoire
La reprise du saignement au niveau des berges de l'incision est un phénomène
fréquent, par labilité tensionnelle ou décollement du caillot si l'exsudation est majeure.
L'hémostase doit être reprise comme nous l'avons signalé plus haut : ligatures, thermo-
coagulation ou compresses hémostatiques.

Les examens cliniques répétés permettent de vérifier la trophicité du membre : chaleur


cutanée, pouls. Si la décompression est insuffisante, les incisions doivent être étendues aux
régions avoisinantes, voire approfondies.

Enfin, le syndrome de revascularisation d'un membre ischémie peut s'accompagner de


douleurs majeures ou de complications rénales. L'escarrotomie est un geste aisément
réalisable avec un minimum de moyens et de conditions d'asepsie, sur le terrain comme en
secteur hospitalier. Elle joue un rôle pronostique essentiel chez le brûlé grave et doit donc être
largement pratiquée devant toute suspicion de lésion profonde susceptible de comprimer les
pédicules vasculaires.

La blépharroraphie de protection pour les brûlures oculo-


palpébrales
Dans 40 % des brûlures graves, il existe une atteinte faciale avec, dans environ une
fois sur cinq, existence de brûlures palpébrales.

La blépharroraphie temporaire est un geste chirurgical simple qui procure une


fermeture continue de la fente palpébrale, protégeant ainsi la cornée sous-jacente.

Après un rappel anatomique succinct concernant l'appareil de protection du globe


oculaire, nous exposerons la conduite à tenir au stade initial d'une brûlure oculo-palpébrale,
ainsi que les intérêts et indications d'une blépharroraphie.

Enfin, nous décrirons la technique opératoire de cette intervention.

Rappel anatomique
Les paupières supérieures et inférieures sont deux voiles musculo-membraneux qui,
en se fermant, protègent le globe oculaire contre les agents extérieurs. Par ailleurs, elles
assurent l'hydratation permanente de la cornée, en étalant le film lacrymal.

Les paupières sont formées de la profondeur à la superficie par : un plan muqueux (la
conjonctive), un plan fibro-élastique (le tarse), un plan musculaire (le muscle orbiculaire des
paupières) et un plan cutané.

418
Figure 23.5 : Coupe parasagittale de la région orbito-palpébrale passant par le milieu
du globe. 1. muscle releveur de la paupière supérieure ; 2. peau palpébrale ; 3. muscle
orbitaire ; 4. cul-de-sac conjonctival supérieur ; 5. tarse ; 6. bord libre de la paupière ; 7. cil ;
8. cornée ; 9. paupière inférieure.

Le bord libre de chaque paupière mesure 25 à 30 mm de long et 2 mm d'épaisseur. La


portion interne de la paupière contient dans son épaisseur le canalicule lacrymal, qui
s'abouche au bord libre de la paupière (points lacrymaux).

Les voies lacrymales drainent vers les fosses nasales les larmes sécrétées par la glande
lacrymale située dans l'angle supéro-externe de l'orbite.

Les points lacrymaux (punctum lacrimale) supérieurs et inférieurs sont situés sur le
bord libre de chaque paupière, à 6 ou 7 mm de l'angle interne de la fente palpébrale. Ces
orifices sont petits mais peuvent être vus à l'œil nu.

De ces orifices naissent les canalicules lacrymaux supérieurs et inférieurs qui s'unissent
puis gagnent le sac lacrymal.

419
Figure 23.6 : Vue antérieure de la région orbito-palpébrale droite après résection de la
moitié externe de la paupière supérieure.
1. iris ; 2. globe oculaire ; 3. trajet des larmes ; 4. glande lacrymale droite ; 5. muscle
orbiculaire en coupe ; 6. tarse en coupe ; 7. hémi-paupière supérieure (moitié interne) ; 8.
point lacrymal supérieur ; 10. sac lacrymal ; 11. canalicule lacrymal inférieur ; 12. canal
lacrymo-nasal ; 13. point lacrymal inférieur.

Conduite à tenir devant une brûlure oculo-palpébrale récente


Les brûlures oculo-palpébrales par projection d'agent chimique doivent immédiatement
être traitées (sur les lieux mêmes du traumatisme) par un lavage abondant de la cornée, des
culs-de-sac conjonctivaux et des paupières, pendant 30 min, à la seringue, avec du sérum
physiologique, de l'eau stérile ou de l'eau du robinet. Ce lavage étant douloureux, il peut être
précédé de l'application d'un anesthésique cornéen de contact comme l'oxybuprocaïne
(Novésine, Cébésine) à condition que cela ne retarde pas le lavage (en fait, en pratique, on n'a
pas le temps d'attendre les effets de l'oxubuprocaïne, même s'ils sont rapides, en 1 à 2 min).
L'emploi de produits neutralisants pour la réalisation de ce lavage est
formellement contre-indiqué car inutile et au contraire souvent délétère.

Les brûlures thermiques doivent bénéficier du même lavage au sérum physiologique ou


à l'eau mais 10 min suffisent (cooling).

Devant toute brûlure de la région orbito-palpébrale, il faut suspecter une lésion du globe
oculaire et la traiter en conséquence.

Buts et indications de la blépharorraphie


La blépharorraphie consiste à suturer les bords libres palpébraux pour maintenir la fente
palpébrale fermée dans le but de protéger la cornée, anormalement exposée suite à une

420
défection de son système de protection. Elle devra être réalisée chaque fois que l'occlusion
palpébrale est incomplète.

Ce geste chirurgical, simple, ne nécessite pas d'instrumentation spécifique. La


protection cornéenne qu'il procure est fiable jusqu'à la date de transfert dans un centre
spécialisé.

Technique opératoire
Le matériel nécessaire comprend :
- un fil monofilament non résorbable, décimale 1,5 (soit calibre 4/0), serti sur aiguille
courbe triangulaire 3/8e de cercle (Surgipro, Prolène, etc.) ;
- un porte-aiguille fin ;
- un cathlon veineux souple de 1 mm de diamètre.

Nous limitons cette blépharorraphie, dite de protection, aux 2/3 externes des
paupières. Ne pas suturer le 1/3 interne de la fente palpébrale permet de conserver un abord
oculaire pour les soins locaux (instillation de collyres, voir plus bas).

Deux portions identiques de cathlons, d'environ 5 mm de long, sont préalablement


préparées (Fig. 23.7).

On introduit l'aiguille courbe sertie de fil monofilament, montée sur porte-aiguille, à


travers la peau de la paupière supérieure, 2 mm au-dessus de la partie la plus interne de son
bord libre. On la fait ressortir environ 5 mm plus en dedans, toujours à 2 mm au-dessus du
bord libre (Fig. 23.8).

Le trajet de l'aiguille entre ces points d'entrée et de sortie doit impérativement être
dans le plan situé en avant du tarse et ne pas être transfixiant afin d'éviter une irritation
cornéenne par frottement du fil.

421
Un segment de cathlon initialement préparé est enfilé sur l'aiguille et le fil (Fig. 23.9),
puis on fait pénétrer l'aiguille de nouveau 5 mm plus en dedans, toujours à 2 mm au-dessus du
bord libre, pour la faire ressortir 5 mm plus en dedans (Fig. 23.10).

Au niveau de la paupière inférieure, on effectue une suture symétrique, du dedans vers


le dehors (Fig. 23.11).

422
Les deux extrémités du fil sont ensuite nouées sous une tension qui ne doit pas être
excessive (risque de cisaillement des tissus par les fils) mais toutefois suffisante pour
mettre en contact les bords libres des deux paupières, ce qui permet de protéger la cornée
(Fig. 23.12).

Il faut placer le nœud en dehors (en regard du canthus externe) pour qu'il ne risque
pas de traumatiser la cornée. Il faudra s'assurer également qu'il n'y ait pas enfouissement
de cils au contact de la cornée qui serait un facteur irritant.

Si nécessaire, l'occlusion peut être complétée par 2 à 3 points séparés placés côte à
côte.

Soins oculaires post-opératoires


Laisser libre le 1/3 interne de la fente palpébrale permet l'instillation de collyres
dans le but de prévenir l'infection. Six fois par jour, en écartant délicatement la portion
interne des paupières, on effectue un rinçage par un collyre antiseptique ou du sérum
physiologique, puis on instille un collyre antibiotique type Rifamycine.

La blépharorraphie de protection du globe oculaire est donc un geste simple,


accessible à tous avec une instrumentation non spécifique. Connaître quelques éléments
d'anatomie et quelques règles simples permet à tout praticien de réaliser ce geste chirurgical
et de protéger ainsi le globe oculaire dans l'attente du transfert du patient dans un centre
spécialisé.

Trachéotomie
Elle est souvent indiquée de principe devant une brûlure cervico-faciale avec lésions
d'inhalation de l'arbre trachéobronchique. Aux brûlures cutanées faciales s'associent des
atteintes muqueuses nasales voire buccales, avec fréquemment présence de suie ou de
vibrisses calcinées. La muqueuse bucco-laryngée est érythémateuse et rapidement le siège
d'un œdème. L'intubation naso-trachéale est urgente et la trachéotomie doit suivre dans un
délai si possible inférieur à 24 h. En effet, au-delà, un œdème majeur est constant après des
brûlures cervico-faciales, et il rend la trachéotomie beaucoup plus difficile. Donc, plus la
trachéotomie sera précoce, plus elle s'apparentera à une trachéotomie réglée avant la survenue
de la phase œdémateuse. Nous ne détaillerons pas cette technique opératoire bien connue de
tous les chirurgiens rompus à l'exercice en situation d'urgence ou de catastrophe. Nous

423
préciserons simplement quelques points de détail importants pour la facilité du geste
chirurgical et des suites opératoires (changements de canules).

- La voie d'abord cutanée cervicale antérieure est verticale et d'autant plus grande que
le cou est œdémateux.
- Les volets trachéaux devront être montés sur fils tracteurs qui seront eux-mêmes
amarrés aux muscles du losange de la trachéotomie pour faciliter le changement de canule,
l'orifice trachéal se trouvant très rapidement au fond d'un puits (œdème).
- Il faut toujours mettre la sonde la plus grosse possible au stade initial, celle-ci jouant
ainsi le rôle de « conformateur endo-trachéal ».
- Enfin, il faut autant que faire se peut refermer partiellement la voie d'abord cutanée
au-dessus et en dessous du puits trachéal. On évite ainsi de laisser ouvertes à l'infection des
zones anfractueuses qui rapidement pourraient évoluer en fonte purulente. La sonde de
trachéotomie sera fixée à la peau par deux fils de suture solides pour éviter les extubations
intempestives pendant les pansements ou la phase d'évacuation.

La technique chirurgicale de la trachéotomie est décrite dans le chapitre 51.

Pansement final
Le pansement chez le brûlé a plusieurs objectifs : minimiser les pertes thermiques qui
font courir le risque d'hypothermie, diminuer les pertes liquidiennes par exsudation, lutter
contre l'infection et préparer le sous-sol lésionnel pour d'éventuelles greffes ou une
cicatrisation dirigée. L'infection est incriminée dans plus de la moitié des décès chez les
brûlés, les germes étant originaires soit de l'environnement, soit du patient lui-même.

L'infection est d'autant plus fréquente que :


- la surface brûlée est supérieure à 30 % ;
- la brûlure est du troisième degré ;
- la brûlure est localisée au périnée, avec particulière incidence des infections à Gram
négatif et à anaérobies ;
- il existe des lésions respiratoires post-inhalations (particulière fréquence des
pneumopathies).

Le pansement idéal chez le brûlé doit posséder quatre propriétés


(Lister) :
- il doit contenir un antiseptique fiable ;
- cet antiseptique doit être atoxique ;
- il doit être non irritant ;
- il doit pouvoir absorber les sérosités qui pourraient suinter de la lésion.

Il est maintenant classique de traiter d'emblée les patients brûlés par des topiques
dérivés de la sulfadiazine argentique (Flammazine) :

- si la brûlure fait moins de 30 % de la surface corporelle, la Flammazine est


appliquée en couche épaisse et protégée par des compresses stériles et un bandage de
contention ;

424
- si elle est supérieure à 30 % de la surface corporelle, le Flammacérium (Flammazine
+ nitrate de cérium) est recommandé car plus efficace sur la flore bactérienne à Gram négatif.

En l'absence de ces topiques, un pansement gras (Tulle Gras, Jelonet, etc.), additionné
si possible de crème à la polyvidone iodée (Bétadine) fera tout aussi bien l'affaire.

Enfin, devant des conditions de dénuement matériel extrême, un simple pansement sec
stérile (compresses, champs stériles, etc.) permettra de recouvrir

et d'isoler les téguments brûlés.


Il faut ici noter que certaines couvertures à usage unique dites à « Hydrogels »
permettent de conditionner les patients brûlés pour des évacuations courtes (Brulstop,
Watergel) ; elles restent souvent l'apanage des services d'urgence (pompiers, SAMU, etc.).

Il faut si possible renouveler le pansement quotidiennement dans l'attente d'une


évacuation sur un centre spécialisé.

Enfin, il faut souligner qu'une part essentielle du traitement des brûlés graves repose
sur la réanimation, décrite dans le chapitre 5 et que nous ne reprendrons pas ici. Rappelons
toutefois qu'il faut de principe administrer une couverture antibiotique devant toute brûlure
supérieure à 15 % de la surface corporelle, qui doit être évacuée. Au départ, cette
antibiothérapie doit être dirigée contre le staphylocoque (pénicilline G par exemple), puis par
la suite adaptée.

Conclusion
Connaître et effectuer les quelques gestes chirurgicaux fondamentaux dans le
traitement des brûlures graves ne doit pas être relégué au second plan sous prétexte que seule
la réanimation parentérale est ici une urgence.

Une tarsorraphie de protection peut sauver un œil, une escarrotomie éviter une
amputation d'un membre, un pansement bien conduit favoriser une cicatrisation et surtout
éviter l'infection.

Autrement dit, le traitement de tels brûlés, gravement atteints, ne sera efficace que
sous certaines conditions. Il ne doit pas se cantonner à un seul aspect de la prise en charge, et
plus il sera multidisciplinaire (chirurgie, réanimation, prévention des complications, etc.),
plus les perspectives d'avenir de ces blessés seront favorables.

425
PARTIE 3

Chirurgie tropicale.

426
Avant-propos

L.-J. COURBIL

Une des particularités de l'Institut du Pharo est de dispenser un enseignement


spécifique de « chirurgie tropicale », domaine non abordé dans les facultés françaises.

« La chirurgie est une » disait Lecène, et il n'a jamais été dans l'intention de cette
école de créer une spécialité chirurgicale supplémentaire, mais d'apporter une information
sur les problèmes chirurgicaux spécifiques à la pratique en pays tropical.

Beaucoup de ces affections tropicales, parasitaires, microbiennes, mycosiques, se


rencontrent en métropole, soit sur des travailleurs immigrés, soit sur des touristes européens
de retour de pays chauds, et cette pathologie commence à être bien connue. Cependant, une
attitude thérapeutique licite dans un CHU français peut ne pas l'être dans un poste isolé
d'Afrique. Enfin, sur le plan strictement chirurgical, si les gestes de base sont les mêmes sous
tous les deux, le choix entre différentes techniques dépend beaucoup des conditions
matérielles locales (dans le domaine de l'orthopédie par exemple).

De façon générale, la chirurgie sous les tropiques revêt plusieurs points particuliers :

- l'intrication constante de multiples parasitoses entraîne des tableaux


d'interprétation difficile. Ces « confins médico-chirurgicaux » nécessitent, outre une
expérience du milieu tropical, une collaboration médico-chirurgicale étroite ;
- la particulière virulence de la pathologie microbienne cosmopolite
en pays chauds explique l'existence de complications oubliées en Europe (comme les
perforations digestives typhiques) ou très particulières (comme les myosites) ;
- le terrain est souvent particulier. Ainsi, chez le Noir africain par exemple,
l'équilibre endocrinien diffère de celui du Blanc européen, ce qui explique des différences
biologiques. Il peut exister des tares héréditaires (drépanocytose en particulier) ou acquises
(malnutrition, sevrage de l'allaitement), et des personnalités psychiques propres. Ainsi, les
réactions à l'agression traumatique ou chirurgicale sont-elles différentes du sujet européen sur
le plan cutané (les chéloïdes), sur le plan osseux (ostéogenèse), sur le plan vasculaire
(résistance au choc hémorragique, rareté de la maladie thrombo-embolique et, à l'inverse,
possibilité de crise drépanocytaire) et sur le plan viscéral et général (en postopératoire réveils
du paludisme et de l'amibiase, décompensation rénale du bilharzien méconnu, etc.);
- les conditions d'exercice sont en fait le principal facteur expliquant les
particularités de cette chirurgie. Elle est exercée dans des pays en développement, avec des
moyens matériels inégalement répartis. Les budgets de santé publique sont faibles et la
médecine préventive, à juste titre, est prioritaire. La chirurgie devient alors un luxe, dont
bénéficient certaines populations privilégiées, essentiellement urbaines. Dès que l'on quitte
les capitales, on déplore une infrastructure hospitalière médiocre, voire inexistante, et des
moyens de communication et donc d'évacuation sanitaire limités.

427
Ce sont ces conditions d'exercice qui posent les problèmes les plus délicats. Limité par
sa propre expérience et ses moyens matériels, le chirurgien hésitera souvent entre plusieurs
attitudes qui peuvent aller, aux extrêmes, de l'abstention chirurgicale pure et simple, avec ou
sans évacuation, jusqu'aux indications opératoires les plus démesurées... Seul devant ses
responsabilités, si faciles en général à faire partager en Europe, il prendra ses décisions en
totale autonomie, sur des critères qui lui sont propres. Sans vocation chirurgicale particulière,
tel médecin devra prendre le bistouri, tandis que tel autre, pourtant motivé et déjà
expérimenté, sera déçu par les limites qu'il devra s'imposer.

Pour mieux décrire la pratique quotidienne de cette chirurgie en zone intertropicale,


nous prendrons comme exemple l'activité chirurgicale d'une semaine au Sénégal, telle que
nous l'avons évaluée dans une enquête réalisée personnellement. Nous avions demandé à tous
les postes et services chirurgicaux du Sénégal de nous adresser le compte rendu de leurs
interventions du 6 au 13 septembre 1976.

Parmi les Républiques francophones d'Afrique, le Sénégal faisait relativement figure


de privilégié car il bénéficiait de l'importante infrastructure sanitaire laissée par
l'administration française. Les premiers établissements français remontent au début du XVIIIe
siècle et les premiers hôpitaux (Dakar et Saint-Louis) à la fin du XIXe siècle. Une école de
médecine a été fondée en 1918.

En septembre 1976, la trentaine de chirurgiens exerçant au Sénégal avaient une


activité à plein temps. Plein temps réel et d'ailleurs fortement occupé ; ainsi, en 1972, une
étude de Richir montrait que le médecin de l'hôpital principal de Dakar passait deux fois plus
d'heures dans son service que le médecin de l'hôpital Saint-André de Bordeaux.

Les origines, les nationalités et les statuts de ces chirurgiens sont très divers. À Dakar,
le CHU sélectionne ses chirurgiens sur des normes classiques (internat, assistanat) et l'hôpital
principal selon les critères des hôpitaux militaires français. Hors de Dakar, les normes sont
très souples... Cette diversité caractérise tous les pays d'Afrique noire d'expression française,
où la Chine, les deux Corées, l'Union soviétique, les pays de l'Est et Cuba, ont envoyé des
missions médicales. Elle nuit évidemment à la cohésion de l'activité chirurgicale générale, les
indications et les techniques étant différentes selon l'origine et la formation des chirurgiens.

Mais il n'y a pas que les médecins (et les chirurgiens) qui opèrent. Dans certains
postes, des infirmiers ont une activité importante. À Saint-Louis et à Kaolack par exemple,
nous connaissions personnellement deux infirmiers très anciens, excellents opérateurs, qui
réalisaient la chirurgie courante (hernies, césariennes) avec une compétence et une conscience
professionnelle dignes d'éloges.

L'enquête a enfin pu montrer que, dans l'immense majorité des cas, les malades sont
d'origine autochtone. À cette époque de l'année, période des congés, les étrangers sont rares
au Sénégal.

Nous avons choisi cette période chaude et humide car les pathologies spécifiques aux
tropiques y sont bien évidemment plus fréquentes. Le Sénégal a des climats assez variés
puisque le nord est sahélien, tandis que le sud a des zones forestières, que la côte est favorisée
par les vents alizés et que l'intérieur, continental, est très chaud.

428
L'étude qualitative et quantitative de cette pathologie nous a permis de dégager trois
éléments :

- l'importance de la chirurgie d'urgence dans l'activité générale ;


- les aspects spécifiques aux pays chauds ;
- la faible « consommation chirurgicale ».

Chirurgie d'urgence
Elle dominait l'activité quotidienne et recouvrait plusieurs spécialités.

Avant tout, les urgences étaient gynécologiques et obstétricales. Ainsi, au cours de


cette période, il avait été pratiqué 17 césariennes, deux hystérectomies pour rupture utérine, 5
interventions pour rupture de GEU, 1 basiotripsie, 3 forceps, 29 curetages pour hémorragie du
post-partum et du post-abortum. Cette particulière incidence de la pathologie gynéco-
obstétricale explique pourquoi il faut bien connaître les bases de l'obstétrique et certains
gestes simples comme la césarienne, l'annexectomie et le curetage.

Quantitativement moins nombreuses mais équivalentes si l'on utilise comme critères


le K opératoire ou le temps passé, suivaient les interventions de chirurgie abdominale
générale. Dans la même période ont été opérées 2 hernies étranglées, 2 occlusions, 3
péritonites, 7 appendicites, 1 cholécystite, 1 plaie de l'abdomen, 1 diverticule de Meckel
(résection du grêle).
La « petite chirurgie » n'a pas été comptabilisée de façon précise car, dans certains
postes, les petits actes courants sont réalisés par des infirmiers et ne sont inscrits sur aucun
registre. Les rétrécissements de l'urètre en sont un exemple très banal : dans tous les postes,
un infirmier est spécialiste des sondages et des dilatations par béniqué. Il faut noter
néanmoins que 4 cystostomies ont été nécessaires. On ne peut chiffrer également la multitude
d'abcès et de phlegmons.

Au cours de cette enquête, les chirurgiens ont simplement noté la particulière


fréquence à cette époque des myosites et l'aggravation habituelle des ulcères de jambe.
La traumatologie était le dernier volet, et non des moindres, de l'urgence. L'hivernage
est la période des cultures, les accidents y sont fréquents, et on note, à côté de l'habituelle et
constante traumatologie routière et du travail, les chutes d'arbres, les chutes dans les puits, les
éboulements par les tornades, etc. Comme pour les abcès, les fractures n'ont pas été
comptabilisées. Seules ont été mentionnées 6 fractures ouvertes du crâne (dont une seule a été
évacuée sur le centre spécialisé de Dakar-Fann), 10 fractures des membres ayant nécessité
une ostéo-synthèse, toutes traitées à Dakar, en urgence différée, et 1 prothèse de Moore.

Chirurgie réglée
Elle occupe le temps que veut bien lui laisser l'urgence chirurgicale. C'est dire que, par
manque de personnel et de locaux, les programmes opératoires fixés à l'avance sont
fréquemment perturbés. Dans les grands hôpitaux, une liste d'attente est courante pour les
interventions usuelles : se faire opérer d'une hernie suppose, de la part d'un paysan du Ferlo,
patience, persévérance et... une dépense importante. Comme on peut le constater
pratiquement partout dans les pays en développement, la chirurgie est un luxe, accessible à
une seule minorité.

429
Chirurgie spécifiquement tropicale
Elle n'est pas négligeable et, là encore, il faut différencier la chirurgie urgente de la
chirurgie réglée.

Chirurgie d'urgence
Plusieurs interventions urgentes ont été réalisées : péritonites, l'une due à une amibiase
colique perforée, associée à un abcès du foie, l'autre à des perforations multiples du grêle
d'origine typhique ; occlusion relevant d'une étiologie mixte, mécanique et fonctionnelle chez
un polyparasité (ascaridiose en particulier). De nombreuses infections des muscles et des
articulations étaient staphylococciques, réalisant des tableaux (myosites) spécifiques aux pays
en voie de développement.

Chirurgie réglée
Quatre amputations, qui auraient pu être évitées avec des diagnostics et des
traitements plus précoces, ont été réalisées : l'une pour ulcère phagédénique cancérisé ; une
autre pour mycétome ; deux enfin pour mal perforant plantaire lépreux. En outre, ont été
effectuées des interventions pour paralysies séquel-laires de la lèpre et de la poliomyélite,
pathologies que l'on ne retrouve plus en Europe, une cure de rétrécissement uréthral chez un
bilharzien, de nombreuses réfections de périnée qui, comme les fistules vésico-vaginales,
relèvent d'une mauvaise surveillance obstétricale, et deux exérèses de chéloïdes majeures.

Ce sont les conditions d'exercice de cette chirurgie sous les tropiques qui déterminent
le dernier élément sur lequel nous insisterons.

La « faible consommation chirurgicale »


En effet, si l'on compare ce bilan d'activité hebdomadaire avec celui d'une journée en
France où il avait été pratiqué 535 cures de hernies ou d'éventra-tions, 282 hystérectomies ou
myomectomies (enquête de Sournia, le mardi 7 novembre 1972, présentée à l'Académie de
chirurgie), on s'aperçoit que la Sénégalaise, chez qui les fibromes sont pourtant si fréquents, «
bénéficie » vingt-cinq fois moins souvent que la Française de la chirurgie, et que le
Sénégalais, en ce qui concerne sa hernie, a cinq fois moins de « chances » que le Français de
rencontrer un chirurgien qui veuille bien l'opérer.

Différentes hypothèses ont été proposées pour expliquer cette faible consommation
chirurgicale :

- l'âge moyen de la population concernée (l'espérance de vie à la naissance était de 38


ans au Sénégal) ;
- les faibles revenus, problème aggravé par l'absence de Sécurité sociale et
d'assurance maladie en général ;
- le faible nombre de chirurgiens (ils étaient en France, à la même époque,
proportionnellement dix fois plus nombreux) ;
- l'éloignement des centres chirurgicaux pour toute la population de l'intérieur (à titre
d'exemple, dans la totalité du Sénégal, sont effectuées 6 césariennes pour 1 000
accouchements contre 30 pour 1 000 à l'hôpital principal, proportion équivalente à celle de
l'Europe) ;
- la période spécifique de l'enquête (hivernage, congés, Ramadan).

430
Plusieurs mémoires réalisés par des volontaires du service national ces dernières
années en Afrique et adressés au Pharo ont confirmé les chiffres de cette enquête.

Cependant, à ce propos, les données les plus précises ont été obtenues par G. Fournier,
chirurgien et épidémiologiste, qui, en 1989, a étudié sur le plan statistique et géographique les
dystocies obstétricales au Sénégal. Département par département, il prenait en compte la
population, les naissances attendues, les césariennes réalisées, le nombre attendu de
césariennes pour sauver la mère (1 % en principe) et l'enfant (5 %), ainsi que les décès par
défaut d'intervention.

II a relevé l'origine géographique précise des césariennes, des ruptures utérines et des
fistules vésico-vaginales. À partir de ces données, il a pu déduire les insuffisances des
consultations prénatales et définir les « zones à risque » où le dépistage des dystocies n'était
pas systématique. Dans ces zones, il a proposé la création ou la réactivation de petites unités
de chirurgie d'urgence et le recyclage de certains personnels, voire des mutations.

Cette vision épidémiologique de la chirurgie en Afrique - à laquelle Gateff, au Pharo,


a beaucoup apporté - a eu le mérite, pour chacun de nous, chirurgiens d'urgence et du
quotidien, de resituer notre activité et de nous rappeler combien dans ces pays en
développement la chirurgie simple devrait être privilégiée par rapport à la prouesse
chirurgicale, de rentabilité discutable.

Il appartient à tout intervenant dans les situations précaires qui font l'objet de ce livre
de bien connaître la place des techniques de base de la chirurgie d'urgence, ses indications et
ses limites, savoir indispensable pour le personnel de santé responsable des postes du « bout
de la piste ». En effet, dans les cas où la vie est en danger immédiat (dystocie majeure, hernie
étranglée, rupture de rate), il n'y a pas d'alternative au geste chirurgical d'urgence. La
médecine traditionnelle, universellement répandue et à laquelle les populations ont de plus en
plus recours, a certes des réussites indiscutables dans le domaine de la phytothérapie et dans
les maladies psychosomatiques, auxquelles s'ajoutent certains succès reposant sur un système
élaboré de croyances métaphysico-religieuses. Dans le domaine chirurgical en revanche, la
médecine traditionnelle est très pauvre : je n'ai guère vu que des fistules stercorales des
bourses témoignant d'une ouverture délibérée par un tradipraticien d'un phlegmon herniaire et
des éviscérations abdominales par corne de buffle, protégées par un fragment de calebasse
cousu aux bords de la plaie. J'ai eu surtout quelques conflits, au Tchad en particulier, avec un
guérisseur « titré » passant la nuit auprès des blessés de guerre pour appliquer quelque
emplâtre sur des fracas ouverts, parés et immobilisés par fixation externe.

On remarquera à juste titre que nous nous référons ici essentiellement à l'Afrique. Les
différents auteurs de ce deuxième chapitre y ont passé une grande partie de leur vie
professionnelle et le corps de santé militaire y a une expérience d'un siècle de présence
ininterrompue, et une vue géographique très large basée non sur des frontières d'État très
artificielles mais sur des zones bien définies : le Sahel, la savane, la forêt. Les leçons de
Jamot garde toute leur actualité : elles ne portent plus sur la maladie du sommeil, mais restent
valables pour d'autres pathologies comme le Sida. Le pronostic des perforations du grêle est
toujours sévère, depuis cinquante ans, des rives du Niger à celles du Congo.

En fait, il semble possible d'extrapoler aux régions tropicales d'Asie, d'Amérique et


d'Océanie. La pathologie générale est la même, comme le montrent les rares ouvrages de

431
synthèse sur les chirurgies sous les tropiques, comme la Clinique chirurgicale des pays
chauds, de Botrau-Roussel (éd. Masson, 1936) ou, plus près de nous, les Urgences en
chirurgie tropicale de Carayon (dans le traité des urgences chirurgicales de Detrie, éd.
Masson, 1985).

Ainsi, en Asie du Sud-Est où nous sommes de nouveau présents après avoir été
(presque) totalement oubliés, nous retrouvons dans les hôpitaux du Viêt-Nam et du
Cambodge la pathologie que décrivait Meyer May dans son livre La Chirurgie tropicale
d'urgence (éd. Masson, 1940). Dans sa statistique de 1 144 urgences abdominales relevées en
trois ans à Hanoi, il notait que 353, le quart environ, présentaient un aspect propre aux
tropiques. Il y avait 7 % de ruptures utérines, 3 % de torsions de kystes ovariens, 5 % de
perforations d'ulcères gastro-duodénaux et 5 % de péritonites typhiques. Un demi-siècle plus
tard, ces chiffres restent les mêmes, dès qu'on s'éloigne des grands centres.

Finalement, l'urgence chirurgicale sous les tropiques pose partout les mêmes
problèmes, toujours difficiles à résoudre dans la précarité, où les examens paracliniques et les
moyens de réanimation sont bien souvent rudimentaires.

Les grands syndromes abdominaux, péritonéaux et occlusifs sont souvent des formes
asthéniques, mal identifiées par l'auxiliaire médical et donc adressées tardivement au
chirurgien. On sera très attentif au cas particulier de la femme présentant une grossesse
connue, probable ou « possible ».

On peut pécher par défaut et temporiser parce que des parasitoses (amibiase,
bilharziose, ascaridiose) camouflent d'authentiques indications opératoires (volvulus,
perforations d'origine infectieuse). Mais on peut aussi pécher par excès et intervenir pour ces
« syndromes abdominaux aigus pseudo-chirurgicaux » auxquels Merle à Abidjan a consacré
un excellent livre (éd. Doin, 1961).

Les problèmes de traumatologie courante peuvent certes être résolus facilement, si on


respecte les recommandations prônées par des orthopédistes tropicalistes comme Bezes ou
Bourrel ; il faut ici être avare d'indications opératoires et utiliser autant que possible la
fixation externe. Mais il ne faut pas oublier que les traumatismes graves, comme les
polytraumatisés par accident de circulation, deviennent très rapidement une urgence dépassée,
parfois dès le ramassage ou le transport (absence de structure médicalisée).
C'est dire que l'on ne peut aborder l'urgence chirurgicale en conditions d'isolement et en
environnement exotique sans un minimum de formation tropicale et sans une bonne dose de
tolérance à l'égard des milieux étrangers à notre culture.

Le chirurgien expatrié ou l'opérateur occasionnel, exerçant auprès de populations


déshéritées, a un double devoir : devoir de compétence d'abord, devant posséder un minimum
de connaissances et d'expérience, devoir stratégique ensuite, l'assistance qu'il apporte ne
devant pas se convertir en une ingérence plus ou moins déguisée mais au contraire s'intégrer
dans un projet à ternie défini, la substitution initiale devant dès que possible se convertir en
une coopération. Les efforts de formation prennent ici toute leur valeur.

432
Chirurgie en situation de catastrophe
en Afrique tropicale

A. MACKOUMBOU-NKOUKA

Depuis plusieurs décennies, l'Afrique tropicale est le théâtre de nombreux conflits :


guerres, affrontements interethniques, etc. Cet état de choses entraîne, entre autres, un afflux
massif de blessés qui doivent être pris en charge dans les meilleurs délais. Cette chirurgie
d'urgence se pratique dans un environnement difficile : structures de santé inexistantes,
ravitaillement en médicaments et en matériel médico-sanitaire aléatoire, personnel non
entraîné. Ces difficultés sont, de plus, exacerbées par la forte prévalence de l'infection par le
VIH qui nécessite des précautions particulières de la part du chirurgien et du personnel
paramédical, et rend dangereuse la transfusion sanguine hétérologue. Nous évoquerons,
pour cette pratique de la chirurgie d'urgence en situation de crise en Afrique tropicale,
quelques aspects sanitaires des conflits de ces dernières années, avant d'analyser les
tableaux pathologiques les plus fréquents et la conduite thérapeutique proposée pour chacun.

Contexte sociopolitique
Depuis plusieurs années, l'Afrique, surtout sub-saharienne, est le théâtre de plusieurs
affrontements : guerres de libération, guerres civiles, affrontements tribaux. Certaines de ces
guerres durent depuis longtemps : l'Angola est en guerre depuis 30 ans, et le Soudan connaît
depuis 1983 une guerre qui ravage le sud du pays avec 600 000 morts. En Somalie, au
Libéria, en Sierra Leone, des conflits civils et ethniques continuent leurs ravages. La guerre
vient à peine de s'éteindre au Mozambique, en Erythrée. Le drame le plus affreux est celui du
Rwanda en avril 1994, qui a fait 500 000 morts environ, entraînant un véritable génocide qui
dépasse l'imagination.

La fin de la guerre ne signifie pas toujours l'absence de blessés, car sur le terrain sont
disséminés des mines terrestres et des engins explosifs qui gardent leur potentiel destructeur
bien après la fin des conflits ; en Angola, on compte environ 10 millions de ces engins
répandus dans tout le pays.

Ces différents conflits ont entraîné le déplacement d'un nombre considérable de


personnes mais surtout, et c'est cela qui nous intéresse, de nombreux blessés pour lesquels
il a fallu mettre en place une assistance médicale d'urgence.

Contexte médical
Aucun État de la région n'a l'organisation ni les ressources nécessaires pour prendre en
charge ces blessés. En effet, dans tous ces pays, il n'existe pas de personnel spécialisé pour
cette chirurgie en situation de catastrophe et le matériel fait souvent défaut. C'est ici qu'il faut
louer l'action des organisations humanitaires (MSF, CICR, MDM, AMI), de certaines unités

433
spécialisées de pays occidentaux (EMIR de la DCSSA) dont le travail mérite la
reconnaissance des Africains.

L'exercice de la chirurgie se complique dans cette partie du monde par la forte


prévalence de l'infection par le VIH qui oscille entre 15 et 20 %, voire plus dans certains
foyers, comme dans les grandes agglomérations du Botswana où ces valeurs dépassent 20-30
% chez les adultes. Il devient difficile dans ces conditions de recourir aux transfusions
sanguines, d'autant plus que, dans ces situations de précarité, on ne dispose habituellement
pas du matériel nécessaire au contrôle systématique du sang des donneurs. Les nouvelles
techniques d'autotransfusion seraient ici les plus utiles.

Cet accroissement de l'infection par le VIH complique donc la chirurgie, mais elle
constitue aussi un danger pour le personnel soignant. Dans la pratique courante de la chirurgie
dans les pays du nord, le risque de contamination après exposition à du sang VIH positif est
faible puisque estimé à 0,3 % ou 0,4 %, mais il devient non négligeable dans le contexte de la
chirurgie en situation de crise dans nos régions. En effet, outre la forte prévalence de
l'infection par le VIH, il n'est pas toujours possible de mettre en œuvre toutes les mesures de
prévention.

Pathologies observées
Différentes statistiques, comme celle du WHO/GPA/TCO/SEF/94.4, ont permis au
cours de ces conflits de déterminer la fréquence respective des lésions observées.

Lésions des membres


fractures 45,43 %
lésions des parties molles 31,33
amputations 8,62
Lésions thoraciques 3,81
Plaies abdominales 7,35
Lésions de la tête et du cou 2,27
Brûlures 0,19

Le plus souvent ces blessures étaient dues à des projectiles d'armes d'assaut et à des
éclats d'obus. Une dernière arme, redoutable, vient de faire son apparition dans l'arsenal
guerrier africain : c'est la machette, utilisée dans le dernier conflit du Rwanda et du Burundi.

Délais de prise en charge des blessés


Le délai de prise en charge d'un blessé est un facteur pronostique important. Ce
délai était en moyenne de 10h05 pendant la seconde Guerre mondiale, de 06h03 pendant
la guerre de Corée, de 02h08 pendant la guerre du Viêt-Nam, contre plus de 18 h pendant
la guerre civile du Nigeria. Au Tchad, les médecins français de l'EMIR ont reçu des
blessés après plusieurs jours.

434
Conduite thérapeutique
Lésions ostéo-articulaires des membres
Le plus souvent, en raison des délais d'évacuation, la chirurgie était une chirurgie
de l'infection, avec en particulier hématomes infectés, voire franchement purulents.
Le traitement de ces lésions doit obéir aux règles de la chirurgie de guerre et rester
le plus simple possible. Il repose sur le parage économique, mais enlevant tous les tissus
mortifiés. Le lavage se fait à la solution de Dakin car les autres moyens ne sont pas
disponibles : lame de Delbet, drain aspiratif. Les membres étaient immobilisés par un
appareil plâtré le plus souvent. Ce plâtre, confectionné en bonne position, était fenêtre au
niveau de la plaie dans un délai de 48 h. Les autres techniques de stabilisation, traction
transosseuse, fixateur externe, ont rarement été utilisées.

En post-opératoire, le pansement était renouvelé tous les deux jours.

Chez certains blessés vus tardivement, face à des tableaux associant fièvre, état
confusionnel et anémie, la seule solution était l'amputation, que l'on effectuait en tissus
sains, le moignon étant laissé ouvert. La suture primaire était réalisée entre le 3e et le 7e j
post-opératoire, à condition que le moignon soit propre. Dans tous les cas, nous avons
entrepris une sérothérapie antitétanique et une antibiothérapie de couverture à la dose de 5
millions d'UI de pénicilline par jour.

Ces lésions ont parfois évolué vers une consolidation de première intention, mais
une reprise chirurgicale par plaque ou par clou ou autres gestes (greffes cutanées,
séquestrectomies) a ailleurs été nécessaire.

Plaies de l'abdomen
Les plaies de l'abdomen, plaies pénétrantes par des projectiles de petit calibre ou
éviscérations par coups de machette, étaient les secondes en fréquence.

Le traitement des lésions doit autant que possible rester simple. Par une
laparotomie médiane à cheval sur l'ombilic, on explore minutieusement le contenu
abdominal et on suture d'emblée les plaies simples du grêle. Quand elles sont complexes
ou étendues, on résèque les zones atteintes, puis on rétablit la continuité par une
anastomose terminoterminale. Au niveau du côlon, seules peuvent être traitées d'emblée
les plaies punctiformes, toute autre lésion imposant une dérivation à la peau, technique
simple, sûre et rapide. Les plaies du rectum sont suturées, avec colostomie gauche d'amont.
Les plaies hépatospléniques peuvent engager très rapidement le pronostic vital car elles sont
souvent très hémorragiques, dépassant nos capacités de compensation. Les atteintes
spléniques sont traitées par splénectomie, et les plaies hépatiques par suture avec des points
larges en U. Dans ces conditions d'exercice, il faut noter que les abcès de paroi sont fréquents,
imposant un drainage post-opératoire.

Plaies du thorax
Les plaies thoraciques qui arrivent aux chirurgiens sont pour la plupart des plaies
pénétrantes avec pneumo-hémothorax. Elles sont traitées par drainage à l'aide d'un drain de
Joly ou d'un trocart de Monod, qui sont introduits soit à un niveau antéro-latéral, entre ligne

435
axillaire antérieure et moyenne, à mi-hauteur des 4e ou 5e espaces intercostaux, soit à mi-
hauteur de la ligne unissant le milieu de la clavicule au mamelon. Le drain est raccordé de
façon étanche à un tube souple qui plonge dans un bocal rempli d'une solution de Dakin, dont
le niveau initial est repéré. Nous n'avons que rarement utilisé une valve de Heimlich, car non
disponible.
Les hémothorax dont le drain débite beaucoup nécessitent une thoracotomie
d'hémostase de pronostic souvent réservé.

Plaies de la tête et du cou


Les plaies les plus graves n'arrivent pas à l'hôpital. Il s'agit le plus souvent de
décollements du cuir chevelu par coup de machette. Le traitement en est simple :
esquillectomie si nécessaire, suture sur un drainage filiforme.

Conclusion
La chirurgie en situation de crise en Afrique tropicale se pratique encore de nos jours
dans des conditions fort précaires :

- manque d'équipes entraînées à cette chirurgie ;


- pénurie de médicaments et de matériel médico-sanitaire ;
- délais prolongés entre moment de la blessure et opération ;
- forte prévalence du VIH limitant les possibilités de transfusion.

Les responsables politiques de chaque État de cette région devraient réfléchir à un


mode propre d'organisation de l'activité chirurgicale, afin d'éviter les initiatives improvisées et
donc forcément désorganisées, ou l'attente d'une aide extérieure, en particulier des ONG, qui
de toute façon ne peuvent être immédiatement opérationnelles.

436
Urgences chirurgicales abdominales
en Afrique

J. RICHARD

Les urgences chirurgicales en Afrique sont comparables sémiologiquement à celles


que l'on rencontre en Europe, mais elles revêtent certaines particularités dues
essentiellement à un délai de traitement supérieur. En Europe, les urgences sont
habituellement vues dans les 6 h au plus, ce qui est exceptionnel en Afrique, où les délais
peuvent atteindre 48 h, voire plus. Ce retard, tant diagnostique que thérapeutique, relève de
plusieurs causes :

- les délais d'évacuation sur des routes souvent difficiles ;


- les retards imputables à des erreurs initiales de diagnostic, motivant des traitements
dont on attend un résultat... Je citerai la classique confusion paludisme, typhoïde.

Il n est donc pas rare que le tableau clinique ne comporte plus les premiers signes
fonctionnels de la maladie, car la plupart des patients arrivent aux urgences au stade de
péritonite ou d'occlusion que nous décrirons ici. A Ouagadougou, dans le service des
urgences chirurgicales que j'avais créé, 60 % des urgences viscérales étaient des occlusions
et des péritonites évoluées. Le reste se répartissait entre les grossesses extra-utérines, les
hernies étranglées (avant le stade de l'occlusion franche) et la traumatologie abdominale.

Le manque de moyens d'exploration complémentaire est aussi une caractéristique des


conditions d'exercice en Afrique : la clinique prime et il n' est pas rare de devoir porter un
diagnostic sur les seuls signes fonctionnels et physiques ; c'est dire l'importance de
l'interrogatoire et de l'examen clinique.

Les appareils de radiologie sont relativement répandus, mais les films peuvent
manquer, et il n est pas rare de ne pas pouvoir disposer d'un ASP. L'écho graphie, qui n' a
pas cet inconvénient, prend de plus en plus d'importance, et elle aide énormément au
diagnostic direct. C'est un examen facile et peu onéreux. Tous les examens radiologiques
spécialisés utilisant des produits de contraste ont en revanche des coûts prohibitifs,
interdisant souvent leur emploi en dehors des grands centres. Enfin, pathologie évoluée est
synonyme de malade fragile, nécessitant un minimum de réanimation, sous peine d'une
lourde mortalité per- ou post-opératoire précoce.

C'est en tenant compte de ces caractéristiques particulières qu'il faut aborder les
urgences abdominales chirurgicales en Afrique.

437
Péritonites
Définition
Le péritoine est une séreuse qui tapisse la cavité péritonéale et se réfléchit sur les
viscères abdominaux, délimitant ainsi une cavité virtuelle à multiples récessus. Cette cavité
contient normalement quelques millilitres de liquide, perpétuellement renouvelé, qui facilite
la mobilité des viscères. La péritonite, inflammation aiguë du péritoine, est toujours grave et
impose un traitement énergique et précoce.

Les péritonites secondaires à une lésion intra-abdominale (généralement perforation


d'un organe creux) sont de loin les plus fréquentes. Elles s'opposent aux rarissimes péritonites
secondaires à une contamination hématogène du péritoine à partir d'un foyer infectieux à
distance.

Étiologie
Péritonite secondaire à une contamination hématogène
Ces péritonites comprennent de nombreuses formes chroniques et des formes aiguës.
Ces dernières, qui ne constituent guère plus de 1 % de l'ensemble des péritonites aiguës, sont
le plus souvent liées au développement d'un germe spécifique.

Péritonite secondaire à une lésion abdominale


En pratique, cette inflammation aiguë est due :
- à la perforation spontanée ou traumatique d'un viscère creux, dont le contenu est
toujours septique. Le liquide gastrique et la bile sont fort peu septiques et exercent au début
une action caustique chimique qui leur est propre. L'infection dans ces cas survient
secondairement.

La cause la plus fréquente de ces péritonites aiguës généralisées est la perforation


appendiculaire. Ensuite, on incrimine les perforations ulcéreuses duodénales et gastriques, et
enfin les affections gynécologiques et les sigmoïdites.

Les causes traumatiques relèvent des contusions et plaies abdominales (que l'impact
soit abdominal ou non). On y rattache les atteintes péritonéales des avortements provoqués et
les péritonites post-opératoires, ces dernières constituant une entité particulière en raison des
problèmes diagnostiques et thérapeutiques spécifiques qu'elles posent ;

- à la diffusion d'une infection intra-abdominale, le plus souvent appendiculaire,


gynécologique ;
- à la rupture d'un abcès, compliquant lui-même l'évolution d'un foyer infectieux.

Physiopathologie
Le péritoine est un feuillet séreux qui tapisse viscères et paroi abdominale. La surface
de cette membrane, égale à la surface corporelle, explique que le retentissement clinique de
ses atteintes soit précoce et rapide. Sa capacité d'absorption est grande. Il sécrète

438
normalement quelques millilitres de liquide séreux riche en leucocytes et histiocytes. En cas
de péritonite, cette sécrétion peut devenir abondante et le péritoine peut réabsorber 8 % du
poids du corps par heure. On comprend alors la gravité du syndrome toxique des péritonites.

Pour qu'apparaisse une péritonite, il faut généralement que s'associent une


contamination microbienne et un facteur irritatif (liquide digestif).

Trois types de péritonites peuvent être individualisées :

- les péritonites chimiques : le type en est la perforation d'ulcère gastroduodénal ;


- les péritonites bactériennes : le type en est la perforation appendiculaire ;
- les péritonites combinées (bactéries + liquide digestif) : le type en est la perforation
d'une anse intestinale étranglée.

On s'explique facilement le choc initial si l'on se rappelle la surface du péritoine.

Secondairement, le retentissement est multiviscéral :

- insuffisance respiratoire (paralysie des coupoles et augmentation des besoins en


oxygène par hypermétabolisme) ;
- collapsus vasculaire ;
- acidose métabolique ;
- insuffisance rénale aiguë avec anurie et, enfin, possibilité d'insuffisance hépatique
aiguë.

Anatomie pathologique
À l'ouverture de l'abdomen, et dans les formes moyennement évoluées, on trouve des
anses intestinales distendues, rouges, épaissies, immobiles, fragiles, saignant au contact, plus
ou moins recouvertes de fausses membranes (blanc d'œuf cuit), le tout baignant dans un
liquide trouble qui se collecte aux points déclives (culs-de-sac de Douglas, coupoles
diaphragmatiques, région sous-hépatique).

À un stade plus évolué se forment des agglomérats d'anses intestinales réunies par des
adhérences de plus en plus « solides » qui peuvent transformer l'iléus réflexe initial en une
occlusion mécanique.

Péritonite aiguë généralisée


Le début est le plus souvent brutal, typique.
Au choc primitif succède « une accalmie traîtresse, "la péritonite asthénique" », qui
peut conduire le malade à la mort dans un tableau de « péritonite dépassée ».

Stade initial, dit « chirurgical »


À ce stade, le choc est patent, avec hypotension artérielle et tachycardie. Le patient est
fébrile et toute dissociation du pouls et de la température fait redouter une forme grave. La
respiration est rapide, superficielle. Le malade est immobile, redoutant tout mouvement
susceptible d'accentuer sa douleur. Son faciès est plombé et gris (faciès péritonéal).

439
Signes fonctionnels
La douleur est généralement d'apparition brutale et elle est permanente avec des
paroxysmes. Son siège initial et ses irradiations ont une grande valeur pour localiser son
origine ; il faudra y porter une grande attention pour le choix de la voie d'abord chirurgicale.

Les vomissements sont souvent précoces, d'abord alimentaires puis bilieux ; ils
contribuent à majorer la déshydratation.

L'arrêt des matières et des gaz est généralement net et absolu car la péritonite entraîne
un iléus paralytique (occlusion réflexe).

L'oligurie est un signe de gravité.

Le hoquet est inconstant.

Signes physiques
Le maître symptôme est la contracture abdominale (Mondor). Le ventre « ne respire
plus ». Le malade ne peut tousser (toux avortée). Il existe une hyperesthésie cutanée que l'on
met en évidence par effleurement de la paroi abdominale.

La palpation doit être douce (chez ce malade qui redoute le palper de son ventre
douloureux), les deux mains étant réchauffées et posées bien à plat. Elle met en évidence la
contracture abdominale qui est une résistance musculaire permanente, invincible et
douloureuse qui s'accentue lorsque la palpation tente de devenir plus profonde. La
décompression brutale est douloureuse. Parfois localisée au début, la contracture se généralise
ensuite à tout l'abdomen réalisant le classique « ventre de bois », immobile et contracture,
parfois rétracté (ventre en bateau).

La percussion est douloureuse. Elle recherche une disparition de la matité


préhépatique ou une matité des flancs.

Le toucher rectal retrouve une douleur provoquée à la palpation des culs-de-sac de


Douglas.

Examens complémentaires
L'hyperleucocytose confirme le syndrome infectieux.

La radiographie de l'abdomen sans préparation recherche un pneumopéritoine qui est


un excellent signe d'orientation.

L'échographie abdominale peut montrer des zones de collection qui aide au diagnostic
et oriente l'acte thérapeutique.

Stade plus tardif

440
Survenant 2 à 3 j après la phase initiale, c'est la péritonite asthénique au cours de
laquelle le diagnostic est plus difficile car les signes abdominaux sont atténués.

Le choc s'atténue progressivement, la douleur devient chronique, avec disparition des


paroxysmes, et la contracture régresse pour faire place à un ballonnement abdominal.

L'état général s'altère progressivement, avec anoxie, acidose, hypotension artérielle et


anurie.

Stade terminal
La principale caractéristique est ici l'altération majeure de l'état général, aboutissant au
décès par toxémie, collapsus cardiovasculaire et septicémie.

Au total, le diagnostic de péritonite aiguë est assez simple et doit imposer une
intervention chirurgicale en urgence.

Traitement
II est chirurgical et toujours urgent, le délai d'intervention conditionnant le pronostic.
Il a une importance vitale et comporte plusieurs gestes standard :

- laparotomie médiane permettant d'explorer la majeure partie de l'abdomen ;


- exploration et toilette de tout l'abdomen, en portant une attention toute particulière
aux zones déclives ;
- drainage large et efficace.

La laparotomie doit être large, afin de permettre plusieurs gestes : déterminer la cause
de la péritonite (perforation, abcès, etc.), la traiter et assurer une toilette péritonéale soigneuse
et abondante avec des solutions antiseptiques.

Le traitement chirurgical doit toujours se doubler d'un traitement médical


complémentaire : réanimation et antibiothérapie adaptée aux prélèvements faits au décours de
la laparotomie.

Enfin, certaines pathologies nécessitent des gestes spécifiques. Pour l'ulcère perforé,
une aspiration peut suffire en période initiale, mais la surveillance doit être étroite. Le geste
chirurgical consiste à suturer la perforation et il doit se doubler d'un traitement médical bien
adapté comportant des antihistaminiques H2, des inhibiteurs de la pompe à proton et/ou une
anti-biothérapie pour éradiquer Helicobacter pylori. Dans les formes résistantes à un
traitement médical bien mené, on pourra effectuer une vagotomie avec ou sans vidange
gastrique.

Les perforations appendiculaires sont traitées par appendicectomie et drainage. Les


perforations typhiques peuvent être simplement suturées si possibles mais, bien souvent, il
faudra recourir à une résection du grêle et utiliser des procédés d'intubation pour ces
rétablissements de continuité sur tissus fragiles. Quand des résections coliques s'avèrent
nécessaires, il faut rester très prudent et recourir largement aux gestes en deux temps. Enfin,
dans les pelvi-péritonites, il faut essayer de temporiser (glace sur le ventre, antibiothérapie) et
n'intervenir que quand l'évolution est défavorable.

441
Elle doit s'accompagner d'une réanimation la plus intensive possible, tant pré-
opératoire (préparation à l'intervention) que per- et post-opératoire, et d'une antibiothérapie
adaptée à la cause de la péritonite.

Formes cliniques
Les péritonites secondaires (généralement par perforation d'un
organe creux)

Péritonites par perforation gastroduodénale


II s'agit la plupart du temps d'un ulcère perforé.

À l'interrogatoire, on recherche : des antécédents ulcéreux, une prise médicamenteuse


(aspirine, corticoïdes, phénylbutazone, ACTH), une notion de stress, l'heure du dernier repas.

La douleur Coup, en « coup de poignard » et dont le malade peut préciser l'heure, est
d'abord épigastrique ; elle s'étend ensuite vers la fosse iliaque droite. Les vomissements sont
inconstants, le plus souvent absents (le malade vomit dans son ventre). Le malade est prostré,
mais l'état général est bon. La température est normale au début.

À l'examen, la contracture est nette ; elle débute en général au creux épigastrique mais
les premiers signes peuvent se situer dans la FID simulant une appendicite.

On note une disparition de la matité préhépatique et, à la radiographie de l'abdomen


sans préparation, un croissant gazeux sous-diaphragmatique.

La perforation de l'ulcère peut se colmater (ulcère perforé bouché) par des adhérences
ou l'ulcère peut s'ouvrir dans l'arrière-cavité des épiploons. Les signes cliniques sont alors
atténués, trompeurs, et il n'y a pas de pneumopéritoine.

Péritonites appendiculaires
On distingue ici les péritonites localisées (abcès appendiculaire de diagnostic
relativement facile avec, outre les signes classiques appendiculaires, la perception d'une
masse de la fosse iliaque droite) et les péritonites généralisées. Celles-ci sont de plusieurs
types : primitives (péritonite progressive par diffusion), péritonite en deux temps par
perforation d'un appendice gangrené, et péritonite en trois temps par rupture d'un abcès
appendiculaire. En faveur de l'origine appendiculaire, on retiendra le mode de début avec un
maximum de signes dans la fosse iliaque droite, le syndrome infectieux sévère et l'absence de
pneumopéritoine.

Péritonites biliaires
Le plus souvent lithiasiques, elles sont exceptionnellement traumatiques ou post-
opératoires. Elles sont rares mais graves. La perforation peut survenir en un (péritonite
d'emblée) ou deux temps (péritonite secondaire par perforation d'une cholécystite aiguë). Il
peut également exister des cholépéritoines sans perforation (vésicule distendue de laquelle on
voit sourdre la bile).

442
Le tableau associe un choc marqué, un sub-ictère et des urines foncées, une douleur
maximale dans l'hypochondre droit, irradiant dans l'épaule droite et les lombes, des
vomissements constants et une contracture débutant dans l'hypochondre droit.
Il existe des formes frustes avec tableau d'iléus paralytique et atteinte marquée de
l'état général.

Péritonites par perforation du côlon


Elles ont en commun leur grande gravité du fait du contenu très septique du côlon.

Elle peut compliquer une sigmoïdite (perforation diverticulaire, perforation au niveau


d'une zone inflammatoire, perforation en deux temps par rupture secondaire d'un abcès péri-
sigmoïdien) ou un cancer. Dans ce cas, il peut s'agir soit d'une perforation diastatique (à
distance) du caecum sur cancer sigmoïdien sténosant (cette perforation évolue parfois à bas
bruit), soit d'une perforation péritumorale d'un cancer colique.

Péritonites par perforation de l'intestin grêle


Elles peuvent survenir au cours de la fièvre typhoïde (relativement fréquente en
Afrique, surtout chez l'enfant). Il faut y penser car elles ont pu être masquées par le traitement
d'autres pathologies (paludisme en particulier). Elles tiennent leur gravité du retard fréquent à
leur diagnostic. Elles siègent sur l'iléon terminal (plaques de Peyer) et peuvent prendre
plusieurs formes : formes asthéniques, de diagnostic difficile (survient en plein tuphos), et
formes sthéniques de début, à la convalescence ou dans les typhoïdes non hospitalisées. Le
diagnostic est le plus souvent per-opératoire.

Enfin, la perforation peut être la complication d'une urgence chirurgicale méconnue


ou négligée : anse volvulée, infarctus intestinal, hernie étranglée, plaie par arme blanche
méconnue.

Péritonites par rupture secondaire d'une collection intra-abdominale


Plusieurs collections peuvent être incriminées : pyosalpinx (TV), kyste hydatique du
foie ou de la rate, abcès du foie ou de la rate, etc.

Péritonites post-opératoires
Apparaissant chez un malade affaibli mais protégé par la réanimation et les
antibiotiques, ces péritonites se manifestent essentiellement par des signes généraux :
fébricule, retard à la reprise du transit, tendance au collapsus, pression artérielle pincée,
hyperazotémie non expliquée. Il s'agit d'une complication grave, de diagnostic toujours
difficile, qui impose une réintervention délicate.

Pelvi-péritonites
Les pelvi-péritonites d'origine gynécologique sont très fréquentes. Le tableau est
typique d'une péritonite, mais les signes se localisent dans une zone abdominale limitée au

443
pelvis. Elles naissent d'une affection de proximité, par diffusion (salpingite, métrite), par
perforation d'un pyosalpinx ou par complication traumatique d'un avortement.
Péritonites primitives
Elles sont rares, consécutives à l'ensemencement par voie hématogène du péritoine à
partir d'un foyer à distance. La distinction se fait à partir d'un foyer à distance. On les
différencie en fonction du germe responsable :

- péritonites primitives à streptocoques. Elles surviennent surtout chez le nouveau-né,


par infection ombilicale. Elles s'accompagnent fréquemment d'une septicémie. Elles sont de
diagnostic difficile et leur pronostic est grave ;
- péritonites primitives à gonocoque, consécutives à une infection génitale de la
femme ;
- péritonites primitives à pneumocoque. Graves et plus fréquentes chez la femme,
elles sont secondaires à un foyer pulmonaire, ORL ou génital ;
- péritonite tuberculeuse : il faut y penser dans les zones où la tuberculose est
endémique. Le diagnostic est le plus souvent per-opératoire chez un sujet opéré pour d'autres
raisons. Son traitement est essentiellement médical.

Occlusions intestinales aiguës

Définition
L'occlusion intestinale aiguë est l'arrêt brutal, complet et persistant, du transit des
matières et des gaz.

L'obstacle peut siéger sur le grêle ou sur le côlon. Les causes en sont multiples mais
on distingue les occlusions mécaniques, fonctionnelles et inflammatoires.

L'occlusion est toujours grave et son traitement est le plus souvent chirurgical, après
préparation médicale et réanimation.

Physiopathologie
L'occlusion entraîne la constitution à l'intérieur du tube digestif d'un troisième secteur
liquidien qui se fait au détriment des secteurs liquidiens normaux de l'organisme. Cette stase
liquidienne d'une part aggrave l'occlusion causale, d'autre part provoque un déséquilibre
hydroélectrolytique et métabolique, puisque le liquide qui passe dans la lumière intestinale
n'est pas réabsorbé.

Toutes ces manifestations s'accompagnent d'un certain nombre de perturbations


cliniques et biologiques : déshydratation extracellulaire (fuite de Na+), alcalose métabolique
(fuite de H+) et hypochlorémie.

Par ailleurs, pour ce qui concerne la motilité intestinale, après une phase
d'hyperpéristaltisme, l'intestin se dilate et devient atone, entraînant par un déséquilibre du
système nerveux végétatif une chute du débit sanguin qui ne fait qu'aggraver les
conséquences de l'occlusion.

444
Si l'occlusion est négligée peuvent survenir des complications locales (nécrose, stase,
etc.) et générales (tableaux toxique, infectieux, etc.).

En l'absence de traitement, le tableau s'aggrave et aboutit au décès en 2 ou 3 j. L'état


général s'altère de plus en plus, l'oligurie puis l'anurie s'installent avec tous les troubles
hydroélectrolytiques qui leur correspondent. Une péritonite par sphacèle ou perforation
diastique, souvent asthénique, peut modifier ce tableau et hâter l'évolution fatale.

Diagnostic
II passe par quatre étapes : affirmer l'occlusion, préciser son siège, préciser son
mécanisme et, enfin, affirmer sa cause.

Affirmer l'occlusion
Le tableau clinique d'occlusion peut être très polymorphe mais on y rattache toutefois
un syndrome type, le syndrome occlusif, comportant trois symptômes fonctionnels (douleurs,
vomissements, arrêt des matières et des gaz) et un symptôme clinique (météorisme). Les
douleurs, parfois brutales, violentes, variables dans leurs sièges et leur intensité, s'installent
le plus souvent progressivement. Leur siège initial a peu de valeur localisatrice. Elles peuvent
évoluer par crises, entrecoupées de périodes d'accalmie, mais d'un seul tenant, sans intervalle
libre. Les vomissements, d'abord alimentaires puis bilieux et enfin fécaloïdes, sont
inconstants, pouvant être remplacés par de simples nausées ou une intolérance gastrique. Ils
sont d'autant plus précoces et abondants que l'occlusion est haut située. L'arrêt des
matières et des gaz est signe cardinal puisque c'est celui qui définit l'occlusion. L'arrêt des
gaz est plus fiable. En effet, il est parfois difficile d'affirmer l'arrêt des matières en raison de
la vidange possible du segment situé en aval de l'obstacle. Le météorisme abdominal, plus
ou moins précoce, consiste en une augmentation variable du volume de l'abdomen mais sans
contracture. Il faut en préciser l'étendue, la symétrie et la mobilité, ce qui oriente le diagnostic
topographique et étiologique.

Ces différents signes peuvent coexister à des degrés divers ; leur importance donne
une idée du temps d'évolution et de la gravité.

L'examen doit être complet. Les touchers pelviens (TR, TV) vérifient la vacuité de
l'ampoule rectale, recherchent un fécalome ou une tumeur recto-sigmoïdienne. Ils constituent
un élément important dans le diagnostic. La palpation des orifices herniaires doit être
systématique, à la recherche d'une hernie étranglée. Ce diagnostic peut ne pas être facile dans
l'hernie crurale étranglée de la femme obèse. Enfin, il faut examiner l'abdomen à la
recherche de cicatrices qui peuvent faire évoquer une occlusion sur bride.

Les signes généraux sont une altération de l'état général plus ou moins précoce.
Son intensité dépend du siège et de la cause de l'occlusion et sera jugée sur le faciès,
l'importance de la déshydratation, la TA et la diurèse. Elle est d'autant plus rapide que
l'occlusion est haut située sur l'intestin grêle.

Un bilan biologique complet est obligatoire et guidera la réanimation. Les


vomissements, la fuite plasmatique et l'arrêt plus ou moins volontaire de l'alimentation

445
entraînent hypochloronatrémie, hypokaliémie, hyperglycémie et hyperazotémie. Outre ces
éléments constants, il est fréquent de rencontrer une hyperprotidémie, une hyperleucocytose,
une acidose métabolique et une élévation de l'hématocrite.

La radiologie, si elle est possible, a une valeur essentielle et doit comporter un


abdomen sans préparation et éventuellement un lavement baryte. L'abdomen sans
préparation est l'examen essentiel que l'on peut répéter en cas de doute pour apprécier
l'évolution d'un syndrome sub-occlusif. Il doit comporter trois incidences, face debout, profil
couché et cliché prenant les coupoles. Le signe radiologique typique d'occlusion est l'image
hydroaérique, niveau liquide surmonté d'une bulle gazeuse. L'aspect, le nombre et le siège de
ces images permettent de localiser le site de l'occlusion (grêle ou côlon). Le lavement
baryte, non indispensable, peut être fait en urgence (s'il n'existe pas de contre-indication), en
particulier chez l'enfant ou le nourrisson. Il permet d'affirmer l'obstacle colique et parfois d'en
déterminer la cause. Quand il est normal, il signe l'origine grêle de l'occlusion.

Il existe plusieurs variantes au syndrome occlusif typique. Une occlusion franche peut
évoluer sur un mode aigu ou subaigu. Dans le premier cas, les douleurs apparaissent
brutalement et l'évolution est rapide avec apparition précoce des signes de gravité. Dans la
forme subaiguë, l'évolution se fait à bas bruit et les signes généraux vont progressivement
occuper le devant du tableau. Il existe par ailleurs des formes frustes, avec une
symptomatologie incomplète. Ce « camouflage » peut être dû à la localisation (occlusion
haute à ventre plat), à l'étiologie (cancers plus ou moins sténosant ou péritonites) ou à
l'évolution (asthénique).

Diagnostic différentiel
II faut ici surtout éliminer les autres syndromes abdominaux aigus, qu'ils soient
médicaux ou chirurgicaux.

Des occlusions réflexes peuvent survenir au cours des coliques néphrétiques, des
coliques hépatiques, des pancréatites aiguës et des infarctus mésentériques.

Des occlusions symptômes peuvent accompagner des péritonites ou des hernies


étranglées : il faut toujours y penser et rechercher et palper les orifices herniaires. Beaucoup
d'hernies étranglées sont vues à un stade évolué, avec occlusion franche, posant des
problèmes de tactique chirurgicale parfois difficiles. Enfin, il peut s'agir d'atrésies diverses
qui de toute façon doivent être opérées.

Diagnostic positif
Préciser le siège de l'occlusion, grêle ou colique
L'occlusion du grêle se manifeste cliniquement par un début brutal, des douleurs
violentes et des vomissements précoces. L'arrêt des matières et des gaz est tardif, et le
retentissement général et biologique est précoce et intense. À l'examen, le météorisme est
modéré, du moins au début. Sur le plan radiologique, on retrouve des images hydro-aériques
centrales multiples, plus hautes que larges, indépendantes les unes des autres, d'autant plus
nombreuses que l'obstacle est bas situé. Le lavement baryte permet d'affirmer l'intégrité du
cadre colique.

446
L'occlusion colique s'oppose pratiquement point par point à l'occlusion du grêle. Son
début est insidieux et progressif, les vomissements sont rares et de toute manière tardifs.
L'arrêt du transit est plus net. Les douleurs sont peu intenses. L'état général est longtemps
conservé. En revanche, le météorisme est précoce et majeur, parfois asymétrique. Sur le plan
radiologique, il existe des images hydro-aériques sur les clichés sans préparation, plus hautes
que larges et d'aspect bosselé. Ces images « coliques » encadrent parfois des images grêles.
Le lavement baryte affirme souvent l'obstacle colique par un arrêt de la colonne barytée. Il en
précise le niveau et, quelquefois, la cause exacte.

Mécanisme de l'occlusion
Préciser le mécanisme d'une occlusion est capital pour déterminer l'attitude
thérapeutique à adopter. En effet, les occlusions mécaniques compromettent à plus ou moins
brève échéance la vascularisation et la vitalité d'un segment intestinal et doivent être
rapidement opérées, alors qu'un traitement médical plus long peut se justifier dans d'autres
formes.

Occlusions mécaniques
Elles sont de deux types, occlusion par obstruction et occlusion par strangulation.

Dans les occlusions par obstruction, le début est progressif avec des crises
douloureuses paroxystiques. Les signes fonctionnels (vomissements et arrêt des matières et
des gaz) sont progressifs mais nets. Il existe un ballonnement diffus associé à des contractions
péristaltiques. On note de nombreux niveaux hydro-aériques à la radiologie.

Les obstructions par strangulation compromettent très rapidement la vitalité


du segment intestinal concerné. Le début est brutal avec des signes fonctionnels alarmants. Le
météorisme est localisé, immobile (l'intestin étranglé ne lutte pas). Radiologiquement, il
existe une large image unique avec des branches inégales associées à de petits niveaux
liquides.

Occlusions inflammatoires
Ces occlusions sont liées à un phénomène inflammatoire intra-abdominal, la plupart
du temps d'origine infectieuse. Leur début est progressif avec des douleurs vagues, peu
intenses, et un météorisme plus ou moins important. Aux signes de l'occlusion s'ajoutent les
signes de l'affection en cause, comme une fièvre, une hyperleucocytose, une défense ou une
contracture.

Occlusions mixtes
Ce sont les occlusions dans lesquelles les deux mécanismes s'intriquent, rendant le
diagnostic difficile.

Étiologie
Occlusions coliques
Volvulus du côlon sigmoïde

447
Le plus fréquemment en cause dans les occlusions coliques, il correspond à une
torsion de l'anse sigmoïde non accolée autour de son axe mésentérique. Cette occlusion est
favorisée par une longueur anormale de l'anse. On retrouve dans les antécédents une
constipation, souvent des crises douloureuses subocclusives spontanément résolutives.

Lors du volvulus, la symptomatologie persiste et s'aggrave, avec des douleurs diffuses


mais prédominant dans la fosse iliaque gauche. L'arrêt des matières et des gaz est absolu.
L'état général, au début, est conservé. C'est l'aspect du météorisme qui permet le diagnostic :
il est localisé, asymétrique, oblong, allant de la fosse iliaque droite à l'hypocondre gauche.
Les clichés sans préparation montrent un arceau gazeux, oblique, avec au pied de l'anse deux
niveaux liquides. Le lavement baryte objective un arrêt total dessinant un rétrécissement
effilé, classiquement en flamme ou en bec d'oiseau.

En l'absence de traitement, l'évolution se fait vers la perforation de l'anse volvulée


avec péritonite stercorale rapidement létale.

Volvulus du côlon droit


Beaucoup plus rare, il peut intéresser le caecum libre et la dernière anse grêle, mais
aussi le côlon ascendant et le tiers droit du transverse lorsque celui-ci n'est pas accolé.

Le volvulus aigu réalise un tableau d'apparition brutale, avec douleurs importantes,


continues, localisées dans la fosse iliaque droite ou dans la région péri-ombilicale. Les
vomissements sont importants. L'arrêt des matières et des gaz est complet.

L'examen retrouve un météorisme localisé dans le flanc ou l'hypocondre droit, parfois


péri-ombilical. La fosse iliaque droite est vide.

L'abdomen sans préparation objective une image gazeuse, arrondie, avec un niveau
liquide généralement unique. Le lavement baryte confirme le diagnostic en montrant l'arrêt de
la progression de la baryte, plus ou moins proche du caecum.

Sans traitement, l'évolution est la même que pour le volvulus du sigmoïde.

Occlusions par cancers coliques


Ces occlusions sont surtout dues à des cancers du côlon gauche puisque,
classiquement, les cancers du côlon droit sont moins occlusifs. Cancer du côlon gauche, le
plus souvent de l'anse sigmoïde.

L'occlusion est ici progressive, avec des douleurs paroxystiques mais peu importantes,
et un ballonnement diffus. Dans les antécédents, on retrouve des crises semblables
spontanément résolutives, un amaigrissement, une alternance de diarrhée et de constipation.
Parfois, on relève des rectorragies qui orientent d'emblée vers le diagnostic.

À l'examen, le météorisme est diffus, en cadre. Au toucher, on palpe parfois une


tumeur invaginée ou prolabée dans le cul-de-sac de Douglas.

Le diagnostic est affirmé par la radiologie, pas tant par le cliché sans préparation qui
montre des images hydro-aériques d'obstruction colique, mais surtout par le lavement baryte

448
montrant un rétrécissement irrégulier, excentré, avec des images d'invagination (image en
culotte de golf), parfois une sténose complète. Cancer du côlon droit

La symptomatologie est sensiblement la même. Il n'est pas rare de palper une tumeur
dans le flanc droit. Là encore, la clef du diagnostic est le lavement baryte.

Occlusions du grêle
Volvulus du grêle
C'est la cause la plus fréquente des occlusions. En général, il existe un obstacle qui
fixe l'anse qui « capote » autour ou en amont de cette fixation. La nature de cette fixation est
variable : brides congénitales, adhérences dues à une inflammation locale (appendicite,
salpingite ou sigmoïdite), adhérences ou brides post-opératoires pouvant suivre toute
intervention intra-abdominale, en particulier en sous-méso-colique.

Le début est brutal, par une douleur violente médio-abdominale profonde, et les
vomissements sont rapides ainsi que l'arrêt des gaz, sinon des matières. L'altération de l'état
général est rapide, avec déshydratation et oligurie.

L'examen objective un météorisme localisé, péri-ombilical, immobile.

Le traitement est chirurgical. En son absence, l'évolution vers la perforation et la


péritonite est rapide.

Iléus biliaire
II s'agit d'un accident rare lié à la migration d'un calcul biliaire (le plus souvent
vésiculaire) dans le tube digestif à la faveur d'une fistule bilio-digestive (cholécysto-
duodénale le plus souvent). Ce calcul, le plus souvent volumineux, vient se coincer dans les
dernières anses grêles et provoque une occlusion par obstruction.

C'est une occlusion d'installation rapide qui peut aboutir à la perforation et à la


péritonite. Le plus souvent, il s'agit d'une femme obèse, dont la lithiase vésiculaire est connue.
Parfois, seule l'anamnèse permet de retrouver des signes vésiculaires dans les antécédents.

La radiologie sans préparation montre des images hydro-aériques très évocatrices


lorsque s'y associe une aérobilie. Parfois, on retrouve la tache claire du calcul au niveau de la
dernière anse iléale.

Invagination intestinale aiguë


II y a pénétration d'un segment intestinal dans le segment d'aval. Elle survient
essentiellement chez le nourrisson mais aussi chez l'adulte, le point de départ étant alors le
plus souvent une tumeur. Dans leur grande majorité (90 % des cas), elles sont iléo-caecales,
le reste se partageant à parts égales entre les formes colo-coliques et iléo-iléales pures.

La clinique est typique : survenue brutale d'une crise abdominale douloureuse, chez un
enfant de 4 à 8 mois, garçon le plus souvent, à « état florissant ». La douleur évolue par crises
entrecoupées de périodes d'accalmie. L'enfant refuse son biberon. Il n'a pas de fièvre ni
d'altération de l'état général.

449
À l'examen, l'abdomen est souple en dehors des crises douloureuses. On s'attardera à
rechercher le boudin d'invagination qui est pathognomonique ; malheureusement, il est
rarement perçu et on retrouve souvent en revanche une fosse iliaque droite vide. Le toucher
rectal peut ramener du sang.

Le diagnostic fait, ou fortement suspecté, il faut confier l'enfant en milieu chirurgical


où sera réalisé un lavement baryte avec de la baryte fluide, tiède, sous faible pression, après
avoir éliminé une contre-indication (formes vues tard, fièvre, hémorragie). Il montre
classiquement au niveau du caecum une image en cupule, en cocarde ou en pince de homard.
Parfois, on ne retrouve que des signes indirects : cupule du bord interne du caecum, mauvais
remplissage de la dernière anse. Ce lavement baryte peut être curatif, en levant l'invagination.

Occlusions fébriles
Elles sont l'apanage du sujet âgé. Le plus souvent les occlusions fébriles sont dues à
une appendicite qui réalise un syndrome occlusif complet avec fièvre élevée et
hyperleucocytose. À l'examen, les signes prédominent dans la fosse iliaque droite. Quoi qu'il
en soit, toute occlusion fébrile doit faire évoquer une appendicite. Plus rarement, la cause en
est une cholécystite aiguë (antécédent de lithiase, signes prédominants dans l'hypocondre
droit) ou une péritonite.

Occlusions particulières
Ce sont des occlusions mécaniques comme les occlusions dues à des paquets d'ascaris
qui peuvent faire capoter une anse grêle, ou les occlusions saisonnières, comme celles dues à
des amas de grains de raisin, etc. De toute manière, même si on ne les suspecte pas, le
diagnostic sera per-opératoire car leur traitement est chirurgical.

Traitement
Quel que soit le type d'occlusion, le traitement comporte deux étapes :

- d'abord, soins de réanimation comportant l'aspiration des sécrétions digestives et la


correction des désordres hydroélectrolytiques dus à l'occlusion. Plus l'occlusion est ancienne,
plus la réanimation doit être soigneuse et la plus brève possible. Il faut se souvenir que ces
malades sont très fragiles. Parfois, dans les formes débutantes ou dans les occlusions
fonctionnelles, ce traitement peut suffire à lui seul ;
- ensuite, traitement chirurgical pour lever l'obstacle en cause et rétablir le circuit
digestif.

Le traitement dépend d'abord du type de l'occlusion.

Les occlusions fonctionnelles sont souvent résolutives avec le traitement de leur


cause. Les occlusions mécaniques doivent être opérées. Pour les occlusions inflammatoires,
l'attitude n'est pas univoque. L'occlusion d'une cholécystite aiguë peut se résoudre
médicalement et permettre une chirurgie à froid, mais il n'en est pas de même de l'appendicite
aiguë qui doit toujours être opérée.

450
Dans tous les cas, quand la dilatation des anses est importante, il peut être utile de
réaliser une vidange du grêle par expression vers l'amont ou l'aval, par entérotomie ou par la
bouche d'une éventuelle résection, ce qui facilitera la fermeture et accélérera la reprise du
transit.

Le traitement dépend ensuite de la localisation de l'occlusion. Dans les occlusions


du grêle, il faut lever l'obstacle découvert à la laparotomie : section de brides, détorsion,
désinvagination. Parfois, il faudra recourir à une résection intestinale devant des anses
nécrosées. Au niveau du grêle, la continuité digestive est rétablie en un temps. Dans les
occlusions coliques, les modalités du traitement dépendent de la cause. Un cancer colique
sera traité par exérèse ou dérivation et un volvulus par détorsion, parfois suffisante si l'anse
n'est pas nécrosée, mais pouvant à l'inverse nécessiter une résection immédiate ou secondaire.
Pour décider de rétablir immédiatement ou non la continuité, il faut se baser sur plusieurs
facteurs dépendant du malade, du type de lésion, de l'urgence et des possibilités de
surveillance post-opératoire. Sur le côlon, on privilégie généralement les gestes en deux
temps, surtout si le syndrome occlusif a longtemps évolué et s'il n'y a pas eu de préparation
colique.

451
Traumatologie en milieu tropical

M. Di SCHINO

Ce qui caractérise une « situation précaire », c'est l'absence d'adéquation entre les besoins
des patients et les moyens de diagnostic et de traitement. Cela peut être lié à un afflux de blessés
dépassant les capacités d'un centre de soins, à la destruction des infrastructures (catastrophe
naturelle, guerre...) ou à une situation chronique due à la pénurie des moyens et à l’absence de
consommables suffisants. La précarité est fréquente en milieu tropical.

Les conséquences en sont sensibles en chirurgie : un geste chirurgical nécessite des


infrastructures, du personnel, des moyens anesthésiques, chirurgicaux et de réanimation. Il suffit que
l'un des éléments manque, le produit anesthésique ou les gants chirurgicaux par exemple, pour que
l'ensemble de la chaîne de soins devienne inutilisable. Et la chirurgie orthopédique et
traumatologique est ici particulièrement concernée, avec ses matériels sophistiqués et ses besoins
d'asepsie rigoureuse. La chirurgie orthopédique et la chirurgie traumatologique en milieu tropical
sont confrontées :

- à un déficit de moyens techniques : matériels et consommables anesthésiques ou


chirurgicaux, capacité de réanimation et de transfusion ; -à un déficit des moyens diagnostiques :
imagerie en particulier ;
- à une absence de rééducation ;
- à des conditions locales défavorables : hygiène, asepsie des locaux et des matériels, climat
chaud et humide favorable à la prolifération des germes ;
- à un environnement social défavorable : recours à des moyens traditionnels, absence de
voies de communication et fatalisme de la population concourent à un retard de traitement et à des
lésions négligées ;
- parfois à des conditions géopolitiques particulières : guerre civile ou ethnique créant des
lésions septiques par arme blanche, éclats ou arme à feu ;
- à des patients fragilisés par des maladies intercurrentes : malnutrition, paludisme,
drépanocytose, etc.

Mais la chirurgie traumatologique et la chirurgie orthopédique présentent des différences


importantes : la traumatologie est confrontée à des lésions dont l'étiologie est parfois inhabituelle,
souvent septique et dont le traitement est souvent tardif. Mais les lésions restent bien connues de tous
les praticiens : plaies, luxations, fractures ouvertes ou fermées, etc. Par contre, la chirurgie
orthopédique nécessite des compétences particulières. En plus des lésions européennes, l'orthopédie
présente un visage spécifiquement tropical : lèpre, poliomyélite, pied bot, tuberculose, rachitisme,
ostéomyélite séquestrée. Elle demande une formation spécifique. Nous n’aborderons pas ici les
aspects de l'orthopédie tropicale.

Ce travail, destiné à des chirurgiens plus ou moins expérimentés placés dans des conditions
difficiles, ayant un but pratique, nous n'envisagerons que les aspects particuliers de la traumatologie
tropicale, d'autant plus que les traitements des traumatismes nécessitent des réactions immédiates
sinon urgentes. Nous insisterons sur les moyens dits « de fortune » que les conditions européennes
d'exercice interdisent. Il est bien évident que si on dispose du matériel adéquat, il faut l'employer, et
ne pas se référer aux « recettes » que nous décrivons ici.

452
Buts des traitements.

Plus les conditions sont difficiles plus le but du traitement doit être modeste :

- éviter et traiter l'infection (germes banals et tétanos) ;


- permettre la consolidation des fractures sans défaut d'axe ni raccourcissement ;
- garder les articulations mobiles ;
- éviter les positions vicieuses.

Moyens de traitement
Tractions

Au membre inférieur
Divers matériels peuvent être confectionnés avec des matériaux locaux et par un
forgeron de village ou un mécanicien.

Fabrication d'une attelle de Thomas (Fig. 26.1)


Un fer rond de 2,20 m est façonné en U, un second fer rond de 90 cm est forgé en un
cercle de 30 cm de diamètre et l'ensemble est réuni par deux points de soudure ; la base
circulaire est protégée par des pansements américains maintenus par un bandage. Le berceau
est confectionné à l'aide de bandes de toile larges ou par un linge replié et maintenu par des
épingles à nourrice. L'attelle peut être inversée pour les membres droit et gauche ; elle permet
le transport de patients en traction. Dans un lit, l'extrémité doit être surélevée pour éviter les
appuis sur le talon.

453
Fabrication d'une attelle de Brown Bope (Fig. 26.2)
Les dimensions correspondent à une attelle pour adulte. Deux fers ronds de 185 cm
sont courbés en forme de U asymétrique, un fer rond de 165 cm est courbé en forme de U et
l'ensemble est réuni par des points de soudure, puis renforcé par deux traverses en bout et
deux traverses en croix. Le berceau est fait à l'aide d'une bande large. Cet ensemble est conçu
pour que ni le membre ni le pied ne soient en contact avec le matériel métallique. La stabilité
peut être améliorée en ajoutant deux expansions latérales à la base. Les cordes de tractions
peuvent coulisser sur les fers ronds au bout de l'attelle en l'absence de poulie. Une attelle du
même type de 15 cm de haut et 50 cm de long peut être fabriquée pour l'enfant (la traction est
alors collée) ;

Figure 26.2 : Fabrication d'une attelle de Brown Bope. 1 et 2. parties latérales ; 3.


partie verticale ; 4. assemblage des parties latérales et de la partie verticale ; 5. assemblage de
l'ensemble. • point de soudure. - traverses d'union.

Traction au zénith (Fig. 26.3)


Matériel : un lit berceau à barreaux, un fer rond. Un arceau de la largeur du lit et de
1,20 m de haut est fabriqué en coudant un fer rond (ou avec trois morceaux de bois). Il est
fixé, par soudure ou autre, en travers du lit, au milieu de sa longueur. Sa partie horizontale
doit se trouver environ à 1,20 m du plan du lit. Une poulie est si possible fixée en son milieu.

Une traction collée est placée sur le membre. Celui-ci est installé verticalement sous la
barre. La corde passe dans la poulie ou sur la barre horizontale, puis sur le bas du berceau.

454
Les poids sont calculés de façon à ce que la fesse de l'enfant soit décollée du plan du lit ; il
faut pouvoir passer la main à plat en dessous (environ 1/10 poids du corps).

Indications : chez l'enfant jusqu'à six ans ou 30 kg environ pour les lésions du fémur et
de la hanche.

Traction collée (Fig. 26.4)


Des ensembles de traction existent dans le commerce. À défaut, on peut confectionner
une traction collée de la façon suivante.

455
Matériel. Plaquette de bois de 7,5 x 7,5 cm percée d'un trou en son centre, rouleau de
bande adhésive, bande Velpeau, corde de 1,5 m et poids, ciseaux.

Découper la bande adhésive. Sa largeur est de 7,5 cm pour un adulte, 5 cm pour un


enfant. Sa longueur est mesurée sur le membre. Pour un fémur ou une hanche, elle est de
deux fois la distance entre malléole externe et grand trochanter, plus 40 cm ; pour une jambe,
elle est de deux fois la distance entre plateau tibial et malléole, plus 40 cm ; pour une fracture
ouverte, la bande doit être collée en dessous de la plaie et mesurée en conséquence.

Étaler la bande sur un plan lisse. Placer la plaquette de bois en son centre. Couper un
autre morceau de bande adhésive de 30 cm, et l'appliquer sur la plaquette qui est ainsi fixée
entre les adhésifs. Percer un trou dans les adhésifs en regard de l'orifice central de la
plaquette. Passez-y la corde de 1,5 m et faites un nœud du côté adhérent, de façon à ce qu'il se
bloque dans l'orifice lorsqu'on exerce la traction.

Mise en place de la traction. Préparer le membre (lavé, rasé, séché). Le tirer


fermement dans son axe. Protéger les malléoles, la tête du péroné et le tendon d'Achille avec
du coton cardé. Appliquer l'adhésif, un aide tenant la plaquette de bois centrée à 10 cm de la
plante du pied. Coller la bande, sans faire de pli, sur les deux faces latérales du membre.
Celui-ci a tendance à se placer en rotation externe ; pour l'éviter, il faut placer l'adhésif
légèrement en arrière de la ligne médiane du côté externe et légèrement en avant du côté
interne. Entourer l'ensemble avec une bande Velpeau en commençant au-dessus des
malléoles. Placer le membre sur une attelle de Brown ou au zénith et attacher les poids.

Inconvénients. Cette technique est inutilisable en cas de brûlures et d'excoriations


étendues. Il existe un risque d'avulsion cutanée qui augmente avec le poids appliqué et la
durée de la traction et diminue en fonction de la surface où s'applique l'adhésif. Les poids ne
doivent pas être excessifs (4 à 5 kg sont largement suffisants chez l'enfant) et il faut coller
l'adhésif sur une surface cutanée la plus grande possible.

Indications. La traction collée est très utilisée chez l'enfant, et pour un temps limité
chez l'adulte (transport avec attelle de Thomas par exemple).

Surveillance. Des lésions de compression sur les malléoles et la tête du péroné avec
paralysie du nerf sciatique poplité externe sont possibles, ce qui impose de protéger ces
points. De même, il faut éviter la rotation externe, source de compression du nerf sciatique
poplité externe. Si la traction glisse, des abrasions cutanées peuvent survenir, et la bande
Velpeau peut s'appuyer sur le dos du pied et créer une compression. Il faut vérifier chaque
jour la position de l'ensemble.

456
Traction transosseuse (Fig. 26.5, 26.6 et 26.7)
Matériel
Disposé sur une table recouverte d'un champ stérile, le matériel permettant la mise en
place de la fiche comporte :

- le matériel pour préparer l'emplacement de la fiche transosseuse : un antiseptique,


des compresses, des gants stériles, deux champs, une seringue et aiguille stériles, un
anesthésique local et un bistouri ;
- le matériel pour la mise en place de la fiche : un clou de Steinman stérile de 4 mm de
diamètre, ou une grosse broche de Kirschner, une « poignée américaine » ou une chignole à
main non spécifique achetée dans le commerce. Pour l'installation de la traction, le matériel
placé après le pansement peut ne pas être stérile. Il comporte :

- un étrier de traction (Fig. 26.5). À défaut, on peut le remplacer par plusieurs


systèmes (Fig. 26.6). Le plus simple est le suivant : faire deux nœuds coulants aux extrémités
d'une cordelette de 30 cm de long. Nettoyer et protéger par une compresse stérile les points
d'entrée et de sortie de la fiche. À 4 cm de l'extrémité de la fiche, coller un petit cercle étroit
de sparadrap puis planter en force jusqu'au sparadrap un demi-bouchon de liège ou un
bouchon de flacon de perfusion conservé dans l'alcool. Introduire ensuite un des deux nœuds
coulants sur la fiche jusqu'au bouchon, puis un second demi bouchon. Celui-ci bloque le
nœud et protège en même temps l'extrémité vulnérante du clou. Répéter la même manœuvre
à l'autre extrémité de la fiche. L'ensemble forme un arc qui ne coulisse pas trop sur le clou et
peut servir d'appui à la traction.

Ce système peut être amélioré en « porte manteau » : la cordelette, divisée en deux,


est attachée aux deux extrémités d'une barre de bois de 20 cm (les deux brins sont ainsi
séparés de 15 cm). La fixation sur la fiche est identique mais la traction s'exerce sur la barre.
L'ensemble a moins tendance à glisser. On peut également passer la cordelette dans deux
trous d'une plaquette de bois distants de 15 cm. Les brins de traction restent ainsi parallèles
(Fig. 26.6) ;

457
- une attelle de Brown Bope ou, pour un court laps de temps, de Thomas ;
- une corde de 1,5m reliée à des poids : pour exercer une traction sur la hanche ou le
fémur, les poids sont de 1/10 du poids du corps, et de 1/20 pour une traction
transcalcanéenne. Ces poids sont augmentés progressivement lors du suivi. Des sacs de sable
ou des briques conviennent parfaitement.

Différentes tractions transosseuses par ordre décroissant de fréquence d'utilisation

Traction transtibiale haute. Le danger est le nerf sciatique poplité externe. La


fiche est introduite à 2 cm en dessous de la tubérosité tibiale antérieure et à 2 cm en arrière de
la crête du tibia, sur la face externe de jambe. Chez l'enfant, si une traction collée est
impossible, la fiche doit bien être en dessous de la tubérosité tibiale antérieure pour ne pas
risquer de léser le cartilage de conjugaison de la tubérosité. Cette traction est indiquée dans
les fractures du fémur, du cotyle, la luxation de hanche après réduction. Le poids doit être de
1/10 à 1/7 du poids du corps.

Traction transcalcanéenne. Le danger est le paquet vasculo-nerveux tibial


postérieur et ses branches. La fiche est introduite à 4 cm en dessous et à 4 cm en arrière de la
pointe de la malléole interne, sur la face interne du calcanéum. Cette traction est indiquée
dans les fractures des plateaux tibiaux et les fractures de jambe. Le poids est de 1/20 du poids
du corps.
Traction transtibiale basse. Les dangers sont les paquets vasculo-nerveux tibial
antérieur et tibial postérieur. La fiche est introduite à 4 cm au-dessus de la partie la plus
saillante de la malléole externe et à 2 cm en arrière de la crête antérieure du tibia, en avant du
péroné, à la face externe de la jambe. Les indications sont les mêmes que celles de la traction
transcalcanéenne.

458
Traction transcondylienne fémorale. Le danger est le paquet vasculaire
poplité. Les repères pour l'introduction sont l'interligne tibio-fémoral externe, le bord
postérieur du condyle externe et le bord externe de la rotule. Le point d'introduction se situe à
la face externe du genou, à 2,5 cm au-dessus de l'interligne et à 2 cm en arrière du bord de la
rotule. Il faut veiller à ne pas introduire la fiche trop en arrière pour éviter un passage dans
l'échancrure intercondylienne. Les indications sont les mêmes que celles de la traction
transtibiale haute.

Mise en place de la traction transosseuse (Fig. 26.5)


La zone d'introduction du clou est d'abord rasée, nettoyée et badigeonnée
d'antiseptique, puis on place un champ stérile sous le membre et deux champs autour du point
d'introduction. On effectue alors une anesthésie locale jusqu'au contact du périoste. Ensuite,
après incision de la peau au bistouri, on introduit la fiche transosseuse (clou de Steinman),
perpendiculairement à l'axe du membre et parallèlement au plan du lit, par des mouvements
de rotation avec une poignée américaine, à l'aide d'une chignole à main, ou avec un petit
maillet.

Dès que le clou a franchi la deuxième corticale, on anesthésie localement la zone de


sortie du clou jusqu'au périoste. On introduit alors le clou jusqu'à la peau, que l'on incise
lorsque celui-ci arrive à son contact. Les points d'entrée et de sortie, sont nettoyés et protégés
par une compresse stérile. Enfin, on installe Terrier, la corde et les poids, puis on place le
membre sur une attelle de Thomas ou de Brown (Fig. 26.7).

459
Au membre supérieur
Traction collée
Le matériel et la technique sont identiques à ceux décrits pour les membres inférieurs
mais les indications en sont plus larges du fait que les poids utilisés sont plus faibles. En
particulier, une traction collée au zénith peut être utilisée pour les fractures de l'humérus chez
les polytraumatisés alités.

Traction digitale
Les « doigtiers » japonais sont bien connus. Toute traction au long cours sur les doigts
par des matériels « de fortune », anneau ou autres, est déconseillée car elle fait courir des
risques d'ischémie. Provisoirement, on peut recourir à une traction verticale par des
bandelettes passées autour du poignet et du pouce, et à un contrepoids sur le bras pour
faciliter la réduction des fractures de l'avant-bras.

Traction transosseuse transcubito-olécrânienne


II faut ici préférer une broche de Kirschner à un clou de Steinman. Sinon, le matériel
est identique à celui utilisé pour le membre inférieur. Le danger est le nerf cubital dans la
gouttière épitrochléo-olécrânienne. La broche est introduite de dedans en dehors, à 4 cm au-
dessous de la pointe de l'olécrâne, à 0,5 cm en arrière de la crête cubitale. Cette traction est
indiquée dans la fracture de l'humérus chez un patient alité.

Complications et surveillance des tractions des membres


Des lésions des paquets vasculo-nerveux avoisinants sont possibles, mais on les évite
en introduisant précisément les fiches. Les escarres du talon et la compression de la sciatique
poplitée externe doivent être prévenues en positionnant correctement le membre et en
matelassant soigneusement les points d'appui. L'équin du pied est prévenu en mobilisant la
cheville et une mettant une petite attelle nocturne à 90°. Le clou peut être arraché par des
poids excessifs qui doivent donc être évités. Les pansements quotidiens des orifices cutanés
minimisent les risques d'infection sur broche.

Traction cranio-cervicale
Traction par étrier (Fig. 26.8)
Le matériel ici nécessaire est un étrier de traction crânienne type Cône ou Crutchfield,
une chignole à main, une mèche à butoir spéciale, un bistouri, une seringue et aiguille stériles,
un anesthésique local, une cordelette, une poulie et des poids.

Après rasage et badigeonnage du cuir chevelu par des antiseptiques, on détermine les
points de repère, en traçant sur le crâne une ligne médiane sagittale et une ligne frontale
réunissant les deux mastoïdes (à 1 cm en arrière du conduit auditif). On place l'étrier de façon
à ce que son milieu soit en regard de la ligne médiane et ses deux pointes sur la ligne frontale
(Fig. 26.8). On marque alors l'emplacement des pointes de l'étrier et on repère leur direction.
Après anesthésie locale, on incise au bistouri les tissus mous jusqu'à l'os. Ensuite, on perfore
la table osseuse externe à l'aide de la chignole et de la mèche à butoir en forant l'os sur une
profondeur de 4 mm. En l'absence de mèche à butoir, on utilise une mèche à os classique

460
stérile de diamètre de 2,7 mm que l'on passe dans un drain de redon stérile Charière n° 12
sectionné à 4 mm de la pointe pour éviter une pénétration trop profonde. On crée ainsi un
butoir, mais il faut rester prudent car le redon peut se déplacer ou se raccourcir en s'appuyant
sur l'os. Les pointes des étriers ne sont pas perpendiculaires au crâne mais obliques. Il faut
respecter cette obliquité lorsqu'on fore la corticale externe. Enfin, on met l'étrier en place, en
plaçant ses pointes dans les orifices que l'on vient de creuser dans la table externe et en le
serrant modérément pour assurer la prise. Bloquer le montage en mettant la vis de blocage en
place pour éviter un serrage intempestif. Augmenter légèrement le serrage au bout de 24 h.

Ensuite, on exerce une traction dans l'axe avec la cordelette, une poulie et des poids
(de 1/20 à 1/10 du poids du corps) que l'on peut ensuite augmenter progressivement à 1/7 du
poids du corps si nécessaire (pour réduire une luxation par exemple).

Le patient est placé dans le lit en position déclive, rachis cervical en extension, un
champ roulé sous les épaules. La poulie est fixée en tête de lit à une hauteur respectant l'axe
de traction.

Traction par mentonnière (Fig. 26.9)


Pour cette traction, on utilise un Jersey tubulaire étroit ou un fourreau de tissu cousu
de 5 cm de largeur, du coton cardé, une cordelette, une poulie et des poids.

On découpe deux longueurs de Jersey de 90 cm environ et on garnit les 20 cm médian


de ces fourreaux par du coton cardé. On place le premier fourreau sous le cou du malade, en
position strictement médiane, et le deuxième sous le menton, là encore en position médiane.

On réunit ensuite les deux fourreaux de chaque côté par une cordelette nouée à 5 cm
de part et d'autre du cou. L'anneau ainsi formé autour du cou est rembourré et lâche, mais pas
suffisamment pour passer autour de la tête.

461
Enfin, on réunit les deux bouts libres des Jersey aux extrémités d'un « porte manteau » ou
d'une barre de bois de 30 cm de longueur puis on applique la traction au milieu du « porte
manteau » et on installe le malade comme précédemment.

La traction mentonnière est bien supportée chez l'enfant chez qui on l'utilise
systématiquement devant toute cervicalgie post-traumatique. Chez l'adulte, elle est
cependant moins confortable qu'un étrier. Ce mode de traction est indiqué dans les
fractures du rachis cervico-dorsal, pour réduire progressivement les luxations du rachis
cervical et pour mettre au repos le rachis en cas de spondylodiscite infectieuse cervico-
dorsale haute.

Plâtres
Critères d'un bon plâtre- Ne pas être serré pour éviter toute compression.
- Être ajusté pour assurer une bonne immobilisation et maintenir la réduction de la
lésion.
- Ne pas être en contact avec les saillies osseuses pour éviter les escarres.
- Laisser le membre en position de fonction.
- Prendre les articulations sus- et sous-jacentes pour une fracture.
- Prendre l'articulation concernée pour une entorse ou luxation.

462
Confection de bandes plâtrées
Des bandes plâtrées de 5, 10, 15, 20 cm de largeur sont commercialisées. Lorsqu'on
n'en dispose pas, plusieurs solutions sont possibles.

On peut utiliser des rouleaux de tarlatane (gaze enduite de colle qui devient adhérente
au trempage) découpés en bandes de 500 cm x 15 cm et du plâtre de Paris (présenté sous
diverses formes, jusqu'au fût de 50 kg). On déroule une bande de tarlatane de 15 cm de large
et sur une longueur de 1 m environ, sur une surface sèche et régulière, et on saupoudre sur sa
surface une couche mince de plâtre de Paris sec (le plâtre doit représenter 90 % environ du
poids de l'ensemble). On fait pénétrer le plâtre dans les mailles de la tarlatane, puis on enroule
le mètre de bande préparée et on renouvelle l'opération mètre après mètre sur toute la
longueur de la bande. Celle-ci peut alors être conservée dans un endroit sec, enroulée dans du
papier, et utilisée ultérieurement comme des bandes plâtrées du commerce. On peut préparer
d'avance plusieurs bandes.

Une autre solution, si l'on ne dispose pas de tarlatane, consiste à préparer


extemporanément les plâtres, avec de la gaze et du plâtre de Paris. On prépare le rouleau de
gaze en une attelle de la longueur et la largeur voulues (voir confection d'une attelle plâtrée).
Au moins 10 à 12 épaisseurs de gaze sont nécessaires pour confectionner un plâtre de
membre supérieur, et 12 à 24 pour le membre inférieur.

Verser du plâtre de Paris dans une cuvette, puis progressivement de l'eau jusqu'à
obtenir la consistance d'une pâte liquide. Si le mélange est trop pâteux, la gaze ne s'imprègne
pas ; s'il est trop liquide, beaucoup de plâtre tombe et le séchage est très long.

Tremper l'attelle de gaze dans le plâtre pour l'imprégner. Mettre l'attelle en place.
Maintenir le membre en position de fonction jusqu'au durcissement du plâtre.

Il est difficile d'effectuer un plâtre circulaire de la façon habituelle en déroulant une


bande imprégnée. Le plus simple, pour effectuer un plâtre circulaire, est de laisser sécher
l'attelle quelques minutes puis de confectionner une seconde attelle que l'on pose sur la
surface du membre laissée libre. On réalise un plâtre « en bivalve » maintenu par une bande
de gaze. Ces plâtres ont cependant des inconvénients : ils sont longs à sécher, ils sont
fragiles et se fissurent aux points de flexion.

Confection d'un appareil plâtré


Préparation du membre
Réduire la lésion. Retirer les bracelets, bagues et amulettes et réduire la lésion. Le
membre doit, après réduction, être maintenu par un aide en position de fonction le temps que
le plâtre soit posé et durci. Protéger la peau par un Jersey tubulaire ou à défaut un linge posé
sans pli sur le membre et maintenu par du sparadrap.

Afin de limiter les risques de compression, recouvrir le membre d'une couche de coton
cardé de 0,5 cm d'épaisseur. Les saillies osseuses doivent être particulièrement protégées en
raison du risque d'escarre.

463
Préparation d'une attelle plâtrée (Fig. 26.10)
Étaler la bande plâtrée en couches successives sur une surface sèche et plane de façon
à former un trapèze. La longueur du côté proximal est égale aux 2/3 de la circonférence de la
base du membre, et celle du côté distal au 2/3 de la circonférence de l'extrémité du membre.
Les côtés latéraux sont de 10 % plus longs que la longueur du plâtre à effectuer.

Le nombre de couches dépend du plâtre utilisé, de l'appareil plâtré à effectuer, et de la


corpulence du malade : pour un membre supérieur d'adulte, il faut superposer 8 épaisseurs
environ, contre 12 à 15 pour un membre inférieur.

Pour le membre supérieur, percer au bistouri à travers l'attelle une ouverture linéaire à
proximité de l'extrémité distale, pour laisser passer le pouce.

Tremper l'attelle dans un seau d'eau jusqu'à ce qu'elle s'imprègne, puis la maintenir
verticalement pendant qu'un aide la lisse à deux mains pour l'exprimer sans la tordre.
Positionner l'attelle sur le membre et bander avec un rouleau de gaze. Maintenir la position
jusqu'à ce que l'attelle soit durcie.

Plâtre circulaire
Le plâtre circulaire doit être absolument évité :

- devant un traumatisme récent, surtout chez l'enfant : en effet, un œdème peut se


développer, avec risque de compression et de syndrome de Volkmann par compression ;

464
- devant un membre très œdémateux car, lorsque l'œdème disparaît, la contention n'est
plus efficace et il y a risque de déplacement secondaire.

Pour confectionner un plâtre circulaire, on place d'abord une attelle comme décrit ci-
dessus. Ensuite, on trempe une bande plâtrée dans l'eau jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de bulle,
on l'exprime sans la tordre et on la déroule sans la serrer autour du membre et de l'attelle.
L'appareil est alors moulé sur le membre sans le serrer et en l'appliquant sur les points d'appui
que l'on a préalablement choisi pour qu'il ne glisse pas. La tenue du plâtre dépend de son
ajustement. Une fois le plâtre confectionné, surélever le membre.

Plâtre pendant (Fig. 26.11)


Utilisé dans les fractures de l'humérus, il exerce une véritable « traction ambulatoire ».
Le matériel consiste en du Jersey, une bande plâtrée, du coton cardé, une cordelette et
un poids de 1 kg. Recouvrir le membre de Jersey tubulaire et de coton cardé. Confectionner
un plâtre circulaire brachio-antibrachial (BAB) laissant libre le poignet. Son extrémité
supérieure doit monter haut sur la face externe du bras, le coude étant fléchi à 90°. Placer un
petit anneau plâtré sous l'olécrâne. Lorsque le plâtre est sec, suspendre un poids de 1 kg à cet
anneau et placer l'avant-bras dans une écharpe lâche. Le poids est enlevé lorsque le cal est
formé, à la quatrième semaine. Le plâtre est laissé en place jusqu'à consolidation de la
fracture (quatre à six semaines supplémentaires).

Le principe du plâtre pendant est que le poids exerce une traction continue sur
l'humérus quand le sujet est en position verticale (assis ou debout). Il ne peut donc être utilisé
chez le patient alité. Cette technique est indiquée dans les fractures de l'extrémité supérieure
de l'humérus et de la diaphyse lorsqu'existe un chevauchement.

465
Les plâtres « armés » (Fig. 26.11)
Intermédiaire entre plâtre, fixateur externe et traction, le plâtre armé est surtout utilisé
au niveau de la jambe. Son avantage est le contrôle de la rotation et la traction correcte entre
les fragments osseux. Pour le confectionner, il faut disposer de clous de Steinman ou de
broches de Kirschner, et du matériel de confection de plâtre.

On place d'abord deux clous de Steinman comme dans les techniques des tractions
transtibiales haute et basse (voir plus haut).

Si la fracture est ouverte, parer les plaies comme décrit dans le paragraphe Plaies des
parties molles. Réduire la fracture en exerçant une traction sur les deux clous. Effectuer alors
un plâtre cruro-pédieux circulaire noyant les broches. Ouvrir des fenêtres en regard des plaies
dès qu'il est sec. Compléter éventuellement la réduction par gypsotomie.

Gypsotomie (Fig. 26.12)


Le matériel nécessaire est une scie à plâtre (oscillante ou à main) ou un couteau scie à
bout rond, un bouchon de liège et une bande plâtrée. Le plâtre est fendu sur la moitié de sa
circonférence en regard du foyer, du côté du sinus interne de l'angulation fracturaire.

On introduit dans cette ouverture une pince distractrice afin d'écarter progressivement
le plâtre, ce qui permet de réduire l'angulation. Un morceau de bouchon de liège coupé à
l'épaisseur adéquate maintient l'écart. Enfin, on place circulairement une bande plâtrée pour
refermer le plâtre.

466
Surveillance des plâtres
Elle comporte plusieurs éléments :

- surélévation du membre plâtré jusqu'à ce que le risque d'œdème disparaisse ;


- surveillance de la couleur, de la température, de la sensibilité des extrémités et
vérification de la présence des pouls distaux, si le plâtre permet leur accès ;
- fendre le plâtre longitudinalement et le desserrer au moindre doute de compression ;
- ouvrir une fenêtre devant toute douleur localisée pouvant révéler une escarre
débutante ;
- ouvrir une fenêtre en regard de toute plaie, même propre, lorsque le plâtre est sec,
afin de pouvoir la surveiller. Un plâtre circulaire fenêtre se révèle souvent plus commode
qu'une attelle lorsqu'il faut effectuer des pansements : en effet, en sortant le membre de
l'attelle pour refaire les pansements, on risque de déplacer une fracture réduite.

Complications des plâtres


Phlébites
Contrairement à ce que l'on a pu avancer, les phlébites existent dans les pays en
développement. Une douleur du mollet sous plâtre doit les faire évoquer. Il faut alors enlever
la contention et examiner le membre : signe de Haumans, tension du mollet... Dans le doute,
entreprendre une héparinothérapie même si la surveillance biologique est difficile.
L'utilisation d'héparines de bas poids moléculaire est possible. Leur administration par
injections sous-cutanées et leur surveillance (par contrôle des plaquettes) est plus simple que
celle de l'héparine « normale ». Si possible, chez les patients à risques immobilisés pour une
longue durée, on préviendra les phlébites par des héparines de bas poids moléculaire.

Raideur et ankylose
La rançon du plâtre est la raideur articulaire. La récupération est la règle chez l'enfant
mais, chez l'adulte, une limitation des amplitudes articulaires, surtout en l'absence de
rééducation, n'est pas rare. Le membre doit être immobilisé en position de fonction. Les
articulations qui ne sont pas sous plâtre, surtout à la main, doivent être mobilisées
régulièrement. Les métacarpophalan-giennes s'enraidissent très rapidement si elles sont mises
en extension.

Syndrome de Volkman (ou syndrome des loges)


Étiologie. Ce syndrome a initialement été décrit chez l'enfant après traumatisme
ostéo-articulaire du coude et des deux os de l'avant-bras. Ces lésions restent les plus grandes
pourvoyeuses de syndrome de Volkmann. Ce terme a ensuite été largement étendu : il désigne
une ischémie aiguë d'un membre, supérieur ou inférieur, après une fracture ou un écrasement
et même des ischémies sévères par lésions vasculaires. Il est le fait d'une ischémie musculaire
et nerveuse par hyperpression mécanique extravasculaire. L'œdème tissulaire et les
hématomes enfermés dans une loge aponévrotique inextensible ou dans un plâtre circulaire
sont responsables de cette hyperpression.

Les lésions ischémiques portent sur les muscles, les nerfs et les vaisseaux. Leur
étendue dépend de l'importance et de la durée de l'ischémie. En quelques heures, les muscles

467
sont gris, pâles et non contractiles. En quelques jours, une rétraction musculaire irréversible
se constitue.
Signes cliniques. Le début est brutal. Quelques heures après la confection du
plâtre, il apparaît une douleur vive à type de constriction ou de brûlure, irradiant vers la
périphérie et exacerbée par l'extension des doigts ou des orteils. Ceux-ci sont froids,
cyanoses, œdémateux, en demi flexion, peu sensibles au piqué et peu mobiles. Le pouls radial
n'est pas toujours absent.

Conduite à tenir. C'est une urgence thérapeutique : il faut enlever le plâtre, retirer
tout bandage circulaire, réduire le mieux possible et stabiliser la fracture par une attelle non
compressive ou une traction et surélever modérément le membre. Si celui-ci est hyperfléchi
comme dans la méthode de Blount, il faut diminuer la flexion. Aucun traitement
médicamenteux ne peut remplacer ces gestes mais les anti-inflammatoires, les anticoagulants
et les vasodilatateurs sont des adjuvants utiles.

Aponévrotomies. Si la symptomatologie ne s'améliore pas en quelques heures,


avec recoloration des extrémités, récupération de la mobilité des doigts et régression de la
douleur, il faut effectuer une aponévrotomie décompressive.

Celle-ci s'effectue sous anesthésie générale, et consiste en la réalisation de longues


incisions longitudinales des aponévroses en regard des loges musculaires concernées :
l'incision est sinueuse sur la face antérieure de l'avant-bras, du pli du coude au poignet ; à la
jambe, elle est antéro-externe et postéro-interne. Après incision et hémostase de la peau et du
tissu cellulaire sous-cutané, on incise l'aponévrose sur toute la longueur. Le muscle
œdémateux fait hernie dès son ouverture. La plaie n'est pas refermée et est recouverte d'un
pansement à plat.

Pour être efficace, l'aponévrotomie doit être précoce, avant que la nécrose ne soit
définitivement constituée. L'inconvénient est de laisser de vastes plaies opératoires, avec un
risque d'infection locale. Les chirurgiens qui en ont l'expérience préféreront une
aponévrotomie percutanée.

Évolution. En l'absence de traitement, et même parfois malgré l'ablation du plâtre,


le syndrome de Volkmann évolue en quelques jours vers une régression progressive de
l'œdème et des douleurs mais aussi vers une déformation définitive en griffe par rétraction des
muscles fléchisseurs. Si l'aponévrotomie est suffisamment précoce, la vitalité musculaire peut
être conservée, et la plaie peut être secondairement refermée lorsque l'œdème s'est atténué, ou
greffée.

Ablation d'un plâtre


II existe du matériel spécifiquement commercialisé pour retirer les plâtres : scie
électrique oscillante, scie à plâtre ronde manuelle, pince coupante à plâtre, pince distractrice.

À défaut de ce matériel, il existe plusieurs possibilités.

468
On peut d'abord, dès la conception du plâtre, prévoir son ablation future à l'aide de deux
méthodes :

- soit placer un tuyau de caoutchouc souple (arrosage) sur le membre avant de circulariser.
Retirer le tuyau lorsque le plâtre commence à être sec. Le tunnel ainsi confectionné permet de passer
facilement des ciseaux forts (Fig. 26.13) ;
- soit fendre au bistouri le plâtre sur toute sa longueur avant la fin du séchage et écarter les
deux berges de 5 mm, puis le maintenir par une bande de gaze. Le plâtre pourra facilement être retiré
en écartant ses berges par une pince (Fig. 26.13).

On peut également utiliser du matériel « de fortune » :

- ne jamais recourir à des outils agressifs : scie électrique ou scie à main par exemple ;
- ne jamais ouvrir le plâtre en regard d'une saillie osseuse ;
- amorcez la coupe à la surface du plâtre sans atteindre le coton sous-jacent avec un
instrument tranchant (gouge, ciseaux à bois, etc.). Puis scier le dernier millimètre de l'épaisseur avec
un instrument peu agressif et contrôlable (couteau à dents à bout rond), et si possible de l'intérieur vers
l'extérieur ;
- on peut aussi tremper le plâtre pendant 15 min dans une mare, baignoire ou bassine, ce qui
permet de le dérouler comme une bande, ou de le sectionner proprement au bistouri en glissant le
tranchant de l'intérieur vers l'extérieur.

Positions de fonction

Position Appareil d'immobilisation


Membre supérieur
Épaule antépulsion 10° Gerdy plâtré, Dujarrier,
abduction 20° Mayo Clinic
Coude flexion 90° Brachio-antébrachial (BAB)
Poignet pronosupination 0° Br achio- antébrachial ,
extension 10° (1) manchette plâtrée
Pouce (scaphoïde) abduction, opposition, Brachio-antébrachial,
position « tenir une bouteille » manchette plâtrée
Métacarpien poignet extension 10° Manchette plâtrée
MPP flexion 90°
Phalange MPP flexion 90° Main sur boule de compresses
IPP flexion 30° et syndactilisation
IPD flexion 10° (2)
Membre
inférieur
Hanche flexion 10° Pelvi-pédieux, traction
Genou flexion 10° (3) Genouillère, cruro-pédieux
Cheville 90° <4> Botte, cruro-pédieux
Pied cheville 90° Botte
Orteil extension Syndactilisation
* Sauf :

469
- (1) Pouteau Colles = flexion du poignet 20°
- (2) Lésion extenseurs = extension des doigts
- (3) Lésion appareil extenseur = extension du genou
- (4) Lésion tendon d'Achille = équin du pied

Durée moyenne d'immobilisation (en jours)


Entorses et luxations réduites : 21 jours. Fractures fermées :

Membre supérieur Membre inférieur


Adulte Enfant Adulte Enfant
Clavicule 40 21 Cotyle 45 45
ES humérus 60 30 ES fémur 120 90
D humérus 90 60 D fémur 120 90
El humérus 60 30 El fémur 90 60
Avant-bras 60 60 ES tibia 60 45
El avant-bras 60 30 D tibia 90 60
Scaphoïde 90 60 El jambe 60 45
Métacarpe 45 30 Calcanéum 60 45
Phalange 30 21 Métatarse 45 30

ES = Extrémité supérieure, El = Extrémité intérieure, D = Diaphyse

470
Pour les fractures ouvertes, les durées moyennes citées ci-dessus doivent être
augmentées de 50 % environ.

Fixateurs externes
Principe
Maintenir la réduction entre les fragments osseux à l'aide de broches ou « fiches »
transosseuses extrafocales solidarisées entre elles par un matériel rigide. Celui-ci est à
distance de la fracture et de la peau.

Indications
Stabilisation des fractures ouvertes des membres, après le parage de la plaie qui est le
geste essentiel. En situation précaire, toute ostéosynthèse intrafocale d'emblée d'une fracture
ouverte, quels qu'en soient le stade et le délai de prise en charge, est dangereuse.

Avantages
L'utilisation d'un fixateur externe en situation précaire doit être comparée aux plâtres
fenêtres, aux plâtres armés et aux tractions. Le fixateur externe offre les avantages suivants :

- accès plus facile aux pansements ;


- mobilisation plus aisée des articulations et du malade ;
- stabilisation plus efficace qu'un plâtre dont l'efficacité de contention dépend du
volume des parties molles.

Fixateurs externes de fortune


Les fixateurs externes du commerce sont étudiés pour répondre à la sollicitation des
différents segments de membres. Les fixateurs externes de fortune manquent en général de
rigidité et stabilisent difficilement les foyers de fractures mécaniquement sollicités, en
particulier dans les fractures du fémur de l'adulte musclé. Divers matériaux peuvent être
utilisés.

Matériel
Cohésion entre les fiches transosseuses. Elle peut être assurée par :
- des bandes de plâtre, du ciment acrylique dentaire ou chirurgical. Tous ces
matériaux ont en commun leur modelabilité mais ils risquent de se déplacer pendant le temps
du séchage et de s'user au niveau du contact des broches avec le temps, ce qui les rend peu
fiables ;
- des matériaux « traditionnels » comme les cadres de bois ou bambou, etc. Ils sont
légers mais peu rigides et rapidement usés par les broches métalliques, voire les termites... La
fixation des broches sur le cadre n'est pas très stable (fil de fer, clous cavaliers) ;
- des matériaux « modernes » de quincaillerie ou chantier : PVC, mais qui est peu
rigide et difficilement stérilisable, ou métalliques.

471
Fiches transosseuses.
- Au niveau des extrémités. Les matériaux les plus adaptés sont les broches de
Kirschner, de différents diamètres. À défaut, les rayons de bicyclette, stérili-sables et que l'on
peut facilement couper en biseau à l'aide d'une pince coupante, sont assez couramment
utilisés. Mais ils sont souples et difficiles à orienter correctement. Ils ne sont pas destinés à
rester longtemps dans l'os, même s'il n'a jamais été décrit d'intolérance.
- Au niveau des segments de membres « sollicités ». On ne peut utiliser les rayons de
bicyclette que si l'on dispose de fixateurs circulaires de type Illisarov. Sinon, il est impératif
de recourir à des implants plus volumineux et rigides : broches de Kirschner de grand
diamètre, fiches de fixateurs externes du commerce, clous de Steinman. Je n'ai
personnellement jamais osé utiliser des implants intra-osseux volumineux non
chirurgicalement « licites ».

Quelques principes « biomécaniques »


La rigidité des fiches est un facteur important. Moins elles sont rigides, plus il faut en
augmenter le nombre. La rigidité diminue avec la distance entre l'os et la contention :
l'appareil ne doit pas être trop éloigné de la peau..

On utilise ici des clous de Steinman stériles de 4 ou 5 mm de diamètre, une


chignole à main du commerce stérilisable (autoclave ou formol) ou une perceuse (formol),
et un tube métallique (section ronde ou carrée) de 20 à 30 mm de diamètre. Les tuyaux
PVC ne sont pas assez rigides et les tuyaux de plomberie sont trop lourds. Le matériel
idéal est le tube type « pied de table de cuisine ». Ce fixateur est inspiré du fixateur
externe du Service de Santé des Armées ou de celui de Judet.

II faut préparer une boîte stérile comprenant des tubes de différentes longueurs, voire
diamètres, pour pouvoir les utiliser pour des os différents. Ces tubes sont perforés
préalablement à l'aide d'une mèche à métal et d'une chignole, de part en part et à intervalles
réguliers de 2 ou 3 cm (Fig. 26.14). Le diamètre des perforations doit correspondre à celui des
clous de Steinman dont on dispose : le clou doit pouvoir coulisser sans forcer mais « juste »
dans l'orifice. Ce travail peut être effectué dans un atelier de mécanique. Il faut que les
perforations soient les plus parallèles possible, surtout dans le plan du tube, sinon les clous de
Steinman ne seront pas alignés dans le plan de l'os.

Mise en place du fixateur (Fig. 26.14)


Le patient reçoit à son arrivée une prévention antitétanique et une antibiothérapie à
large spectre. L'anesthésie peut être locorégionale ou générale. Des prélèvements sont
effectués sur la plaie, puis le membre est rasé, lavé au savon, brossé et séché. Si
l'emplacement de la lésion le permet, on place un garrot à la base du membre (voir Plaie des
parties molles). On aseptise alors en débordant largement le site opératoire (alcool iodé) que
l'on isole par des champs stériles.

L'intervention comporte plusieurs temps opératoires.

Le premier, le plus important, est le parage de la plaie (voir Plaie des parties
molles).

472
Le second est la réduction du foyer. Si nécessaire, la plaie est agrandie en haut et en
bas pour bien exposer le foyer. Éviter de dépérioster les extrémités osseuses. La réduction est
maintenue provisoirement à l'aide de daviers, broches, et par traction par les aides opératoires.

Le troisième temps est la mise en place du fixateur qui comporte plusieurs étapes :
- on dispose à 3 cm de la peau, parallèlement à l'os aligné et réduit, un tube perforé de
longueur adéquate ;
- on place ensuite les deux clous de Steinman les plus distants du foyer en premier, en
les faisant pénétrer dans la peau et les muscles, jusqu'au contact osseux. Ensuite, à l'aide de la
chignole, on fait pénétrer le clou plus avant jusqu'à ce que la deuxième corticale soit
traversée. Il faut éviter une échappée transfixiante de la pointe qui pourrait menacer un axe
vasculaire. On place en premier lieu les clous proches du foyer, puis les clous intermédiaires
au-dessus et en dessous du foyer.

Les clous « coincent » généralement dans les orifices prévus à leur diamètre exact car
les perforations de fabrication artisanale ne sont en général pas parfaitement parallèles, mais
cela laisse présager d'une bonne stabilité de l'ensemble. Au niveau du fémur, les clous sont
introduits à la face externe de la cuisse de dehors en dedans. À la jambe, ils sont placés soit à
la face antéro-interne du tibia que l'on perçoit sous la peau, soit à la face externe de dehors en
dedans, 1 cm en arrière de la crête. Pour l'humérus, le danger est le nerf radial qui cravate sa
face externe de haut en bas et d'arrière en avant. Les fiches sont placées de dehors en dedans
en raison du paquet vasculaire humerai interne mais doivent éviter le tiers moyen du bras.

Le quatrième temps est la fermeture. Le davier est enlevé, la plaie nettoyée, le


garrot dégonflé et l'hémostase réalisée. Un drain tubulaire, si possible aspiratif, est mis en
place. Dans la mesure du possible, il faut recouvrir l'os de muscles sains. Les aponévroses ne
doivent pas être fermées pour éviter un syndrome « des loges », c'est-à-dire une ischémie
distale par effet de garrot aponévrotique. Il ne faut pas fermer la peau de façon étanche même
avec un drainage. On peut, si la plaie est récente et propre, la rapprocher lâchement mais il
faut la laisser ouverte si elle est souillée ou ancienne car c'est là la meilleure prévention d'une
infection anaérobie. Enfin, on recouvre la plaie d'un pansement gras et d'un pansement
absorbant stérile puis on la fermera ou on la greffera après quelques jours.

473
À la fin de l'intervention, il faut parachever la cohésion du système. En effet, le
tube n'est solidarisé aux fiches que par « coincement ». Il faut éviter qu'il ne glisse sur ces
axes. Il existe pour cela plusieurs méthodes : cerclage au fil d'acier, pose d'un petite bille de
ciment acrylique sur la fiche au niveau des orifices du tube ou d'un bouchon de liège planté
sur la fiche en dehors du tube. Personnellement, j'ai utilisé un ruban de « chatterton » étroit
toile, collé sur chaque fiche contre l'orifice et entouré en 8 autour de la fiche et du tube.

La principale difficulté réside dans les pertes de substances osseuses avec


impossibilité de réduction. On peut alors utiliser le montage que nous venons de décrire pour
aligner le membre en vue d'une évacuation et d'une greffe osseuse ultérieure.

Un fixateur de fortune doit rester simple. Nous avons décrit ici un fixateur
d'alignement monobarre. Sa rigidité tient au nombre et au diamètre des clous de Steinman. La
cohésion du foyer tient dans la qualité de la réduction initiale.

On peut envisager des montages à deux barres en V, plus complexes mais plus rigides.
Un montage en cadre transfixiant au niveau de la jambe serait plus stable mais il est
impossible à monter avec du matériel de fortune : le parallélisme imparfait des perforations
des barres métalliques et la flèche prise par les clous font qu'il est impossible de pénétrer
exactement dans les orifices d'une barre placée du côté opposé, et il est contre-indiqué si un
lambeau de couverture est envisagé.

Mise en place d'un fixateur externe de fortune au niveau des


métacarpiens et de l'avant-bras (Fig. 26.15)
Pour les fractures de ces os, le fixateur précédent est lourd et les clous trop
volumineux. On peut utiliser « une volée » de broches de Kirschner noyées dans un plâtre ou
prises dans une barre de plâtre ou de résine acrylique ou encore utiliser des barrettes de
dominos électriques.

Le matériel consiste en des broches de Kirschner, une chignole à main ou une


perceuse stérilisée au formol, des barrettes de dominos d'électricien de tailles différentes et un
tournevis d'électricien stérilisé.

La préparation du patient n'a rien de particulier : rasage, anesthésie, garrot,


asepsie, parage de la plaie, réduction de la fracture comme ci-dessus.

Au niveau métacarpien
Un domino électrique stérilisé au formol et de la longueur du métacarpien est posé en
regard de l'os. On fait pénétrer des broches de Kirschner successivement dans les orifices du
domino, la peau et les deux corticales osseuses, en évitant les tendons extenseurs, puis on les
bloque à l'aide du tournevis d'électricien par les vis du domino.

Les doigts sont enroulés autour d'une petite boule de compresses placée dans la
paume, métacarpophalangiennes fléchies à 90°, interphalangiennes libres permettant une
mobilisation précoce. Si le diamètre des broches est suffisant et si tous les orifices du domino
sont occupés, le montage est stable (Fig. 26.15).

474
Une autre technique est celle de Mitz : le métacarpien fracturé est solidarisé au voisin
(cinquième avec le quatrième ou troisième avec le deuxième) par deux broches transversales
placées à distance du foyer.

La technique d'Iselin pour les fractures de la base du premier métacarpien est


comparable : elle solidarise par deux broches transversales le deuxième métacarpien avec le
premier en abduction.

Au niveau de l’avant-bras
Deux dominos électriques sont placés de part et d'autre de la fracture sur des broches
de Kirschner transosseuses. L'ensemble est scellé dans une barre de plâtre ou de ciment
acrylique (Fig. 26.15). La plaie doit être protégée pendant qu'un aide effectue cette
manipulation. Le plâtre tient mieux les dominos que les broches isolées et on peut de plus le
renforcer par une tige métallique coupée et coudée de façon à ce que les coudes se trouvent
face aux dominos. La tige métallique est coudée pour ne pas glisser dans le plâtre.

Fracture transversale de l’olécrâne


On utilise ici deux broches, une poignée américaine ou une chignole à main, et deux
élastiques forts.

Le danger est le nerf cubital dans la gouttière épitrochléo-olécrânienne. Après


préparation du membre, badigeonnage d'antiseptique et sous anesthésie locale, on introduit
une première broche perpendiculairement au cubitus, à 4 cm au-dessous de la pointe de
l'olécrâne et à 0,5 cm en arrière de la crête, puis une seconde, parallèle à la première dans le
fragment olécrânien à 1 cm de sa pointe. On étend alors le coude et on recourbe les deux
broches que l'on réunit par les deux élastiques. Le membre est ensuite placé dans une
gouttière postérieure à 30° de flexion et le coude peut être mobilisé à partir du 21e jour.

475
Au niveau des phalanges
Les dominos électriques sont trop volumineux. On peut les utiliser différemment (Fig.
26.16).

Le matériel consiste ici en deux broches de Kirschner ou rayons de bicyclette, un


tournevis d'électricien stérile et un petit domino électrique que l'on préparera de la façon
suivante : à l'aide d'un couteau, on enlève le plastique, ce qui fait apparaître des petits
parallélépipèdes de laiton, percés par un tunnel dans leur grand axe, et portant deux vis sur un
côté. Dans certains modèles de dominos, la circonférence du tunnel de laiton est incomplète.
Il faut les éviter car, en absence de leur enveloppe de plastique, ils s'ouvrent lorsque l'on serre
les vis. Les parallélépipèdes peuvent être utilisés ainsi ou, s'ils semblent trop gros, on peut les
scier par le milieu entre les deux vis pour obtenir des petits cubes à une vis. Ils peuvent être
stérilisés à la chaleur. Il peut être utile de disposer d'une boîte stérile contenant quelques
cubes de laiton et des rayons de bicyclette.

Mise en place des fixateurs. Comme pour toute fracture, l'intervention


commence par la préparation du membre, un parage et la réduction.

Le premier domino est placé à une extrémité de la face dorso-latérale de la phalange


en place, et on y introduit la première broche que l'on fait pénétrer obliquement par rapport à
l'axe du doigt afin d'éviter le tendon extenseur.

Une broche de Kirschner est coudée en forme de U. La distance entre les deux
branches du U est égale à celle qui séparera les deux fiches transosseuses. On introduit une
branche du U dans le premier domino au contact de la première fiche. La barre horizontale du
U est parallèle à la phalange, proche de la peau. On serre alors la vis du domino. Un
deuxième domino est ensuite placé sur la deuxième branche du U. Par son orifice, on met en
place la deuxième fiche transosseuse et on serre la vis de blocage. Il faut impérativement
respecter cet ordre de montage car il est impossible de réaliser un U de longueur exacte
lorsque les fiches sont en place et la fracture se déplace lorsqu'on serre les vis.

Les doigts sont enroulés autour d'un cylindre de compresses. Les extrémités sont
laissées libres et la mobilisation des phalanges doit être précoce. La rigidité dépend du

476
diamètre et de la longueur de la broche utilisée pour le U. La montage peut être doublé « en
V».

Remarque
Après le parage, devant une fracture ouverte fraîche de l'avant-bras ou de la main,
datant de moins de six heures, propre, peu délabrée, de dedans en dehors, avec une ouverture
minime, il est plus simple de maintenir une réduction chirurgicale par deux petites broches
intrafocales et une attelle plâtrée sous couverture antibiotique. Le faible volume du matériel
peut autoriser cette technique. Mais il ne faut pas oublier qu'en conditions précaires, il faut
autant que possible limiter les ostéosynthèses internes.

Conduites à tenir
Plaie des parties molles

Prévention de l'infection
La prévention du tétanos repose sur la sérothérapie selon la méthode de Besredka et la
vaccination antitétanique.

Si la plaie est ancienne ou souillée, on effectue des prélèvements bactériologiques que


l'on fait suivre, après résultats, d'une antibiothérapie adaptée. Une antibiothérapie
systématique aveugle ne doit pas être préconisée. En effet, les réserves en antibiotiques ne
sont pas toujours inépuisables et, si l'on peut recourir aux examens bactériologiques, il faut en
faire un large usage. Ils sont moins onéreux qu'une antibiothérapie prolongée inefficace. De
plus, aucune antibiothérapie ne remplace un parage soigneux.

Exploration et parage de la plaie


Étapes capitales, l'exploration et le parage permettent d'effectuer le bilan exact et la
mise à plat des lésions. Là est la meilleure prévention de l'infection.

Problème du garrot au cours du parage


La préparation du patient pour un parage ne revêt aucun aspect particulier : le membre
est rasé, lavé, brossé, séché, badigeonné d'antiseptiques, puis le champ opératoire est protégé
par des champs stériles. Dans la mesure du possible, il faut éviter le garrot lors du parage, car
le saignement a beaucoup de valeur pour juger de la vitalité des tissus. Néanmoins, si l'on
craint une hémorragie importante, si le saignement risque de gêner l'exploration ou si l'on
dispose de peu de moyens de remplissage, il faut poser un garrot à la racine du membre. On
surélève le membre pendant 1 minute, puis on gonfle le garrot à 350 mmHg pour le membre
inférieur et à 250 mmHg pour le membre supérieur.

Pendant le temps de pose du garrot, on retire les débris, on excise les zones
manifestement dévitalisées, on nettoie la plaie, on réduit la fracture et on parachève
l'exploration.

Ensuite, on dégonfle le garrot, on effectue l'hémostase et on complète le parage des


zones qui ne saignent pas. Le garrot doit être dégonflé au bout de 1 h 30 maximum.

477
Parage chirurgical
II doit être adapté à chaque lésion : trop économe, il laisse évoluer des nécroses ; trop
large, il peut aboutir à une perte de substance excessive, empêchant par exemple la couverture
osseuse, alors qu'un parage plus économique aurait pu la permettre.

Il doit laisser une plaie propre et sans zone nécrotique. On excise plan par plan : la
peau contuse, le tissu cellulaire sous-cutané puis les zones musculo-aponévrotiques
dévitalisées jusqu'à obtenir un saignement de qualité. Les muscles doivent être rouges et se
contracter sous la pince.

Il faut enlever tous les débris vestimentaires, métalliques ou telluriques, explorer les
pédicules vasculo-nerveux en évitant de les léser s'ils sont intacts et nettoyer au sérum
physiologique.

Si un lambeau cutané est douteux on peut le dégraisser, le perforer et le reposer sur un


muscle sain et propre, à la façon d'une greffe de peau.

S'il existe une fracture ouverte, nettoyer minutieusement les extrémités osseuses.
Veiller à ne pas détacher des fragments pédicules et viables mais enlever toutes les esquilles
libres. Réduire la fracture sous contrôle de la vue et recouvrir si possible le foyer fracturaire
de muscles sains. La conduite à tenir pour la contention est décrite au paragraphe Fractures
ouvertes des membres.

Si des lésions vasculo-nerveuses ou tendineuses sont décelées, elles peuvent imposer


une réparation d'emblée.

Couverture
Les aponévroses sont laissées ouvertes pour éviter un syndrome des loges.

En l'absence de perte de substance


La couverture cutanée peut parfois être effectuée sans tension. Si la plaie est petite,
peu souillée et récente (type 1 de Cauchoix et Duparc), on peut en rapprocher lâchement les
bords après parage sur un drainage éventuellement aspiratif. Si, dans les suites, une
suppuration survient, ouvrir largement la plaie, nettoyer, effectuer des prélèvements, instaurer
une antibiothérapie puis l'adapter aux prélèvements.

Dans tous les autres cas


Toute plaie contuse, souillée, ancienne ou dont la fermeture se ferait sous tension doit
être laissée ouverte. L'antibiothérapie initiale est à visée anaérobie : pénicilline et
métronidazole, puis elle est adaptée aux prélèvements. Certaines plaies a priori très septiques
ne doivent jamais être fermées d'emblée : ce sont en particulier les morsures animales et
surtout humaines.

Plusieurs méthodes sont alors possibles.

478
Cicatrisation dirigée. Si la perte de substance expose le muscle, la cicatrisation
dirigée est la meilleure méthode. Elle vise à obtenir un bourgeonnement propice à une
cicatrisation par progression des berges ou à recevoir une greffe cutanée en cas de grosse
perte de substance. On effectue des pansements d'abord humides (Dakin, sérum salé) puis,
lorsque la plaie est propre, des pansements gras renouvelés tous les 48 h. On obtient une
surface régulière rouge et saignante, propre à recevoir la greffe. Cette méthode a des limites :
un os dépériosté, un tendon ou une aponévrose ne sont pas aptes à donner un sous-sol
greffable. L'exposition du foyer de fracture, d'un pédicule vasculo-nerveux ou de tendons
contre-indiquent la méthode. Il faut alors recourir à une couverture par lambeau local.

Les lambeaux locaux. On recouvre une perte de substance ne pouvant recevoir


une greffe par un lambeau vascularisé prélevé dans le voisinage. Le prix en est la découverte
d'un autre site pouvant, lui, être greffé.

- Lambeau musculaire : un corps musculaire voisin est amené dans la plaie par
rotation ou translation. Il procure une vascularisation importante. Le lambeau jumeau interne
est particulièrement utile dans la moitié supérieure de la jambe.
- Lambeau fascio-cutané : le transfert inclut ici l'aponévrose, le tissu cellulaire
sous-cutané et la peau. Utile à la jambe, il est contre-indiqué en présence de phénomènes
infectieux.
- Lambeau cutané : il ne peut couvrir que des pertes de substances cutanées, en
particulier au membre supérieur (Fig. 26.17).

Quelques éléments techniques :

- plus un lambeau est long, plus sa base doit être large, sous peine de voir son
extrémité se nécroser ;
- les lambeaux les plus simples s'effectuent par rotation. Ils doivent se mettre en place
sans aucune traction ;
- après un parage laissant un foyer fracturaire ou des axes vasculo-nerveux découverts
dans une plaie propre, si les éléments anatomiques de voisinage le permettent, il faut couvrir
l'os de préférence par un corps musculaire. Une cicatrisation dirigée permettra ultérieurement
de le recouvrir par une greffe ;

479
- devant une perte de substance, il faut choisir la méthode de couverture la plus simple
et qui ne « coupe pas les ponts ».

Plaies anciennes superficielles chroniques et scléreuses


Elles posent des problèmes de bourgeonnement empêchant la greffe. Si les
granulations sont pâles et avasculaires, il faut les exciser à la curette, en enlevant la sclérose
sous-jacente.

Il existe des méthodes non conventionnelles de pansement :

- papaye : la papaye fraîche écrasée appliquée entre deux gazes provoque une
détersion de la plaie ;
- sucre en poudre : poser une gaze mouillée sur la plaie et la recouvrir de sucre jusqu'à
ce qu'il ne se dilue plus. Il fait rougir et bourgeonner la plaie.

Plaie des nerfs


Généralités
En cas de plaie siégeant sur le trajet d'un nerf, l'examen clinique recherche un déficit
moteur périphérique et une perte de sensibilité du territoire correspondant. Le dogme est ici
intangible : une plaie siégeant sur le trajet d'un nerf doit être explorée chirurgicalement.
L'exploration est un temps du parage.

Les moyens modernes de suture nerveuse sont sophistiqués : microchirurgie,


stimulateur de nerf. En milieu précaire ils ne sont pas disponibles, et il faut recourir à d'autres
méthodes :

- si une évacuation vers un centre équipé est possible, repérer les deux extrémités du
nerf par un fil placé sur la gaine et coupé long. Parer et panser la plaie et évacuer le blessé
sous antibiothérapie ;
- quand l'évacuation est impossible, il faut traiter sur place. La suture d'emblée est
possible si la plaie est franche (verre, arme blanche, etc.), peu contuse et peu souillée. Sinon,
il faut rapprocher les deux extrémités des nerfs et les fixer par un point de fil 5/0 entre la
gaine et un élément de voisinage pour éviter leur rétraction. La suture nerveuse est effectuée
secondairement, « à froid », après pansements et antibiothérapie, entre huit jours et six
semaines lorsque la plaie sera propre.

Matériel
II faut utiliser un fil monobrin non résorbable le plus fin possible et une aiguille 1/3 de
cercle si possible. Un fil 5/0 ou 6/0 peut être manipulé sans microscope ni matériel spécifique.
Il faut également disposer d'un bistouri, de pinces à disséquer, de ciseaux, d'un porte-aiguille
fin.
Technique d'une suture épipérineurale
Rappel
Les fibres nerveuses sont groupées en fascicules entourés par une gaine conjonctive,
le périnèvre. Entre les fascicules se trouve un tissu conjonctif, l'endonèvre. L'ensemble est

480
entouré d'une gaine résistante, l'épinèvre (Fig. 26.18). Le mésonèvre est une fine lame porte-
vaisseaux qui rattache l'épinèvre aux tissus voisins.

Technique
L'intervention s'effectue sous anesthésie générale et garrot. La dissection et la
manipulation du nerf doivent être atraumatiques : les pinces ne doivent saisir que l'épinèvre. Il
faut éviter une dissection étendue et dévascularisante.

La suture doit être faite sans tension. Si nécessaire, la flexion des articulations amène
les extrémités en contact. Celles-ci sont nettoyées au sérum puis orientées pour que les
fascicules d'amont correspondent à leurs homologues en aval. Pour cela, on se base sur la
forme de la tranche de section, la position des vaisseaux qui parcourent la superficie du nerf,
le diamètre des fascicules ou la position du mésonèvre.

Une recoupe la plus économique possible des extrémités du nerf avec une lame de
bistouri neuve permet d'affronter les extrémités saines. Le premier point au fil 5/0 sur
l'épinèvre rapproche et oriente le nerf (Fig. 26.18).

La suture proprement dite est effectuée par 4 à 5 points pour un gros nerf : il est
inutile de multiplier les points car on multiplie également les risques de réactions à corps
étranger autour de chaque fil. S'il s'agit d'un petit nerf digital par exemple, 1 à 2 points
suffisent. Chaque point de fil monobrin 6/0 charge l'épinèvre puis le périnèvre d'un gros
fascicule à une extrémité, puis le périnèvre du fascicule correspondant et l'épinèvre à l'autre
extrémité. Les points ne doivent pas être trop serrés pour ne pas créer de « bourrelet ».

Après fermeture, il faut immobiliser les articulations en flexion modérée par une
attelle pendant trois semaines, afin d'éviter toute traction sur la suture. Le nerf repousse à la
vitesse de 1 mm par jour.

481
Traumatisme des tendons
Lésions fermées
Des ruptures tendineuses peuvent survenir au cours d'efforts brusques ou de
contusions, en particulier sur des tendons dégénératifs. Les tendons les plus souvent
concernés sont le tendon d'Achille et les tendons extenseurs des doigts.

Rupture du tendon d'Achille


Diagnostic. Il est évoqué devant une douleur vive sur le tendon, une ecchymose en
regard, une dépression palpable, l'impossibilité de se dresser sur la pointe des pieds. L'examen
montre une « chute » du pied par rapport au côté exposé et l'absence d'extension du pied par
pression manuelle du mollet lorsque le patient est placé en décubitus ventral, les pieds libres
en bout de table.

Traitement orthopédique. Il repose sur une botte plâtrée en équin pendant


quatre semaines suivie d'une botte à 90° pendant de nouveau quatre semaines.

Arrachement ou rupture distale d'un tendon extenseur des doigts


C'est le doigt en « maillet », avec flexion de l'IPP dont l'extension active est
impossible. Si la lésion est récente, placer une petite attelle, IPD en extension pendant six
semaines. La MP est laissée libre et mobilisée.

Plaies tendineuses
Elles sont fréquentes et d'étiologie variée. Fréquemment, l'atteinte concerne les
tendons de l'avant-bras ou de la main que ce soit au cours des accidents domestiques, du
travail, ou de l'usage inconsidéré des « coupe-coupe », machettes et sabres d'abattis.

Devant une plaie en regard d'un tendon, on recherche un déficit des mouvements
actifs correspondants. Les plaies du fléchisseur profond des doigts et du long fléchisseur du
pouce se caractérisent par l'absence de flexion de la dernière phalange. Celles d'un fléchisseur
superficiel par le défaut de flexion de P2 sur PI, la dernière phalange étant étendue. Mais
seule l'exploration systématique de la plaie au cours du parage permet le bilan exact des
lésions.

Rappel
Un tendon est formé de faisceaux de fibres collagènes parallèles. Il est entouré d'une
mince enveloppe, l'épitendon. Au niveau des poulies de glissement, il est entouré d'une gaine
séreuse.

Une lésion tendineuse cicatrise en trois semaines si les deux extrémités sont
maintenues en contact. Des adhérences peuvent apparaître, surtout si la gaine séreuse a été
réséquée et l'articulation immobilisée. Le matériel de suture entraîne des réactions
inflammatoires.

482
En cas de section franche, l'extrémité dirigée vers le muscle a tendance à se rétracter.
Lors de l'exploration, il faut la rechercher à distance de la plaie cutanée.

Suture tendineuse
Matériel. On utilise des pinces à disséquer, des ciseaux et bistouri fins, un fil
lentement résorbable (polyglycolique). Son diamètre est variable selon le tendon : 4/0 (déc 1)
pour un tendon de la main, à décimal 4 pour un tendon d'Achille.

Technique. L'intervention s'effectue sous anesthésie générale ou locorégionale et


garrot. La plaie est parée et explorée. Lorsque les extrémités tendineuses sont rétractées, il
faut agrandir longitudinalement la plaie cutanée. L'incision doit être brisée pour respecter les
décrochés des plis de flexion.

Les extrémités du tendon sont amenées en contact en fléchissant les articulations. Si


l'extrémité musculaire du tendon est très rétractée, glisser dans sa gaine un cathéter pour
repérer sa position par palpation. Contre-inciser la gaine en regard de l'extrémité du cathéter
et y fixer le tendon pour le ramener au contact de l'autre extrémité. Pour empêcher la
rétraction et maintenir le contact entre les deux extrémités, on transfixe le tendon à 2 cm de
part et d'autre de sa section par des aiguilles. Le tendon est nettoyé au sérum et recoupé
économiquement pour obtenir des tranches de section nettes.

Suture. De nombreuses techniques ont été décrites. Il faut éviter les sutures
parallèles aux fibres tendineuses qui les dilacèrent et sont peu fiables. Les sutures
transversales résistent mieux aux forces de traction musculaire longitudinales. Ce sont les
sutures en cadre, en laçage ou par boucle d'ancrage (Fig. 26.19).

On fait pénétrer l'aiguille dans une tranche de section tendineuse, on la fait sortir
quelques millimètres plus hauts dans le corps du tendon, puis traverser transversalement le
tendon, pénétrer à nouveau dans son corps pour revenir à la tranche. La même manœuvre est
répétée du côté opposé. Le nœud ne doit pas être serré pour ne pas créer de bourrelet. Si le
tendon est dilacéré, on rétablit son aspect tubulaire par quelques points superficiels de fils
résorbables fins.

Indications. Lorsque la plaie est propre, il faut toujours réparer d'emblée une lésion
tendineuse. Si elle est souillée, contuse et surtout lorsqu'elle s'accompagne d'avulsion
empêchant une couverture, il faut recourir à une suture « secondaire précoce ». Elle reste
possible plusieurs semaines. L'anastomose du bout distal à un tendon synergique intact peut
être une alternative de rattrapage.

Plaies des tendons de la main


II faut éviter l'enraidissement des articulations MP (métacarpophalangiennes) en
extension. Dans les cas complexes, il faut assurer la consolidation des fractures et la
cicatrisation des avulsions cutanées, les métacarpophalangiennes étant placées en légère
flexion.

483
Plaie des extenseurs des doigts

Au niveau de l'articulation IPD (doigt en maillet).


- Si la plaie est nette, une broche fine longitudinale maintient la troisième phalange en
légère hyperextension sur la deuxième. Les tendons sont suturés d'emblée en cadre par du fil
résorbable lent 5/0 ou 6/0. Les tendons sont superficiels et minces. Le doigt est immobilisé
sur une attelle, IPD en hyperextension, IPP fléchie à 45°. L'attelle et la broche sont maintenus
quatre semaines.
- Si la plaie est contuse, on place une broche comme précédemment pendant sept
semaines, puis on recouvre l'articulation. Une réparation secondaire est rarement nécessaire.

Au niveau de l'articulation IPP.


- Si la plaie est nette, on répare la bandelette médiane et les bandelettes longitudinales
au fil 5/0 ou 6/0. Le doigt est immobilisé sur une attelle, MP en flexion à 30°, IPP en
extension, pendant quatre semaines.
- Si la plaie est contuse : il faut recouvrir au mieux l'articulation, si nécessaire par un
petit lambeau de rotation homodigital. Une réparation secondaire pourra être effectuée dans
un centre équipé..

Au niveau de l'articulation MP. La section du tendon s'accompagne de


l'ouverture de la capsule et d'une déchirure de la dossière des interosseux.

484
II faut réparer ces trois éléments. Le poignet est immobilisé en extension, MP
légèrement fléchie, doigt en extension pendant quatre semaines.

Au dos de la main. Il faut suturer et immobiliser pendant quatre semaines, poignet


en extension à 45°, MP légèrement fléchie pour éviter une raideur, doigt en extension.

Au poignet. La rétraction du bout proximal est importante, et la réparation


proprement dite n'a rien de particulier.

Plaie des tendons fléchisseurs des doigts


Ces tendons sont entourés d'une gaine synoviale. Leur réparation est difficile du fait
des risques d'adhérences, des coulisses ostéofibreuses qui forment des tunnels ajustés et de
l'intrication anatomique entre tendon fléchisseur profond et superficiel.

Plaies distales. En aval du milieu de P2 n'existe que le seul FCP, proche de son
insertion sur P3. On peut suturer ce tendon si le fragment distal est suffisamment long ou
réinsérer l'extrémité sur la base de P3, mais il ne faut jamais risquer de sacrifier la fonction du
fléchisseur commun superficiel, s'il est intact, pour réparer un fléchisseur commun profond.

L'immobilisation est de quatre semaines, poignet fléchi à 40°, MP fléchie à 70°, IPP
fléchie à 40°, IPD en extension. Si la réparation immédiate est impossible, on peut recourir à
une stabilisation secondaire de l'IPD.

Plaies situées entre MP et le milieu de P2. Cette zone (zone 2) se caractérise


par des poulies de réflexions autour des deux tendons fléchisseurs commun et superficiel :
c'est l'ex « no man's land » de Bunnel. La réparation à ce niveau est difficile et les échecs
lourds de conséquences pour l'avenir.

Toute réparation d'emblée est interdite si la plaie ne peut pas être fermée ou si des
fractures associées empêchent une mobilisation précoce. La gaine fibreuse doit si possible
être préservée et reconstituée après la réparation tendineuse mais elle ne doit pas
compromettre le jeu des tendons par un rétrécissement.

Si le fléchisseur commun profond est sectionné et que le fléchisseur commun


superficiel reste intact, la réparation ne doit pas compromettre le jeu du fléchisseur commun
superficiel. Quand les deux tendons sont sectionnés, ils ne seront réparés tous les deux que si
les conditions sont idéales et si leur suture ne risque pas de les faire adhérer entre eux et à la
gaine. Dans le doute, il ne faut réparer que le seul fléchisseur commun profond et exciser le
bout proximal du fléchisseur commun superficiel pour qu'il se rétracte en amont de la poulie
métacarpophalangienne.

La main est immobilisée par la technique de Kleinert (Fig. 26.20) : attelle postérieure,
poignet fléchi à 30°, MP fléchie à 60°. L'attelle recouvre en arrière la deuxième phalange.
Elle empêche l'extension complète des doigts et du poignet mais ne gêne pas la flexion des

485
doigts. Un fil est fixé sur l'ongle. Il est relié à la face antérieure distale du poignet par un
élastique fixé sur une bande qui entoure l'attelle. L'élastique est dans le plan du flexion du
doigt. Il doit être tendu de façon à ne pas empêcher l'extension active jusqu'au niveau de
l'attelle mais il doit assurer une flexion passive. Une mobilisation semi-active doit être
précoce. L'appareil de Kleinert est enlevé au 25e jour.

Plaies en amont de l'articulation MP. La réparation n'a rien de particulier. Il


existe une rétraction du bout d'amont.

Plaie du tendon d'Achille


La technique de suture n'a rien de particulier. Elle est effectuée le pied étant en équin
et il faut utiliser un gros fil (décimal 4). Une botte plâtrée est posée en équin pendant un mois,
puis à 90° pendant encore un mois.

486
Plaie articulaire
Une plaie articulaire est définie comme une effraction de la synoviale, quelle que soit
son importance. Les articulations les plus souvent concernées sont le genou et les
articulations des doigts.

Mal traitée, elle évolue vers une arthrite infectieuse. Toute plaie en regard d'une
articulation synoviale doit être explorée et parée.

Devant une effraction synoviale, il faut effectuer des prélèvements, nettoyer


abondamment l'articulation au sérum, puis refermer la synoviale et la capsule sur un drainage,
aspiratif s'il s'agit d'une grosse articulation. Les plaies articulaires des doigts sont en général
fermées par suture du plan de l'extenseur.

L'articulation est ensuite immobilisée en position de fonction pendant trois semaines.


Le drainage est enlevé lorsqu'il ne donne plus. Une antibiothérapie initiale à l'aveugle est
systématique puis elle est adaptée aux résultats des prélèvements.

Les plaies vues tardivement se présentent comme une arthrite infectieuse : douleur,
fièvre, articulation chaude et tendue. Toilette, drainage articulaire, prélèvements,
antibiothérapie et immobilisation sont les éléments du traitement.

Traumatisme vasculaire
Une plaie vasculaire peut être évidente, avec une hémorragie extériorisée contenue par
un pansement compressif, un garrot ou un hématome pulsatile. Elle peut aussi être plus
trompeuse : ce sont les « plaies sèches » liées au spasme artériel et au caillot. Toute plaie
siégeant sur un trajet vasculaire doit être explorée.

Il existe également des traumatismes vasculaires fermés.

Diagnostic d'une lésion artérielle


Le diagnostic de lésion artérielle est porté devant :

- l'ischémie, qui peut être complète ou partielle : absence ou diminution de


l'amplitude des pouls, pâleur du membre, douleur et paralysie (puise, palor, pain, paralysis) ;
- le choc et l'hémorragie.

En l'absence de moyen d'exploration, on se base sur la localisation de la plaie ou d'un


foyer fracturaire pour déterminer le site de la lésion. Devant une contusion artérielle, le
niveau d'interruption du pouls ou la présence d'un hématome donnent une idée approximative.

Conduite à tenir à l'arrivée à l'hôpital


Noter l'heure de la pose d'un éventuel garrot. Il faut si possible le remplacer par un
pansement compressif : on pose un pansement serré sur la plaie et on lâche le garrot 15 à 20
minutes plus tard. Cela peut suffire à assurer l'hémostase. Sinon, il faut resserrer le garrot.

Il faut évaluer l'importance de l'hémorragie, en se basant sur la pâleur des


conjonctives, la sueur, l'hypotension artérielle et la tachycardie. On place deux voies

487
veineuses et on compense les pertes sanguines, de préférence avec des colloïdes (voir chapitre
5 Anesthésie et réanimation en situation précaire).

On effectue alors un bilan rapide (hémoglobine, hématocrite, groupe sanguin) puis, si


possible, on prévoit du sang compatible (voir chapitre 6 Thérapeutique transfusionnelle).

Traitement de la lésion artérielle


Amputation
Une interruption artérielle complète datant de plus de six à huit heures (ou, ce qui
revient au même, un garrot posé depuis le même laps de temps), des signes de nécrose
musculaire, un sujet polyblessé ou taré, la coexistence de lésions osseuses, nerveuses et
musculaires étendues, ou encore une infection du membre contre-indiquent un rétablissement
vasculaire. L'amputation doit être effectuée en urgence et être la plus distale possible.

Devant une interruption artérielle isolée incomplète, l'attitude doit être moins radicale.
Lorsque l'ischémie est modérée, en l'absence de paralysie et s'il existe une circulation
collatérale suffisante pour assurer une perfusion de la périphérie du membre, il faut se
baser sur la surveillance clinique. Le problème n'est plus ici une question d'heures mais de
bon sens.

Ligature
Certaines artères peuvent être liées en raison de l'importance du réseau anastomotique.
Si le niveau lésionnel l'autorise, on effectue une simple ligature en amont et en aval au plus
près de la plaie artérielle.

Au niveau distal, on peut lier une artère si les autres axes sont intacts : radiale ou
cubitale, tibiale antérieure ou postérieure.

Au niveau proximal, on peut lier les artères fémorale profonde et numérale profonde.
La ligature des artères sous-clavière moyenne et humérale basse peut laisser des séquelles
mais elle reste possible s'il faut assurer rapidement une hémostase.
Dans les autres cas, il faut rétablir la continuité.

Technique de la réparation artérielle


Matériel
II faut disposer de ciseaux, de pinces à disséquer, d'un porte aiguille, de bistouris fins,
de clamps bull-dogs, de fil monobrin non résorbable et si possible d'aiguilles demi cercle. La
taille du fil dépend de celle de l'artère : elle est en général de 5/0 ou 4/0.

Technique
Préparation à l'intervention. Le membre doit être entièrement préparé pour
pouvoir prolonger l'incision. Éventuellement, il faut également préparer une cuisse pour
prélever un greffon saphène.

488
Abord de la lésion. Les lésions des gros axes vasculaires doivent être abordées
avec prudence pour ne pas être surpris par une hémorragie per-opératoire.

- Un garrot est mis en place si l'emplacement de la plaie le permet. Il peut être gonflé
pour le parage et doit être dégonflé pour le temps de réparation, lorsque la plaie artérielle est
reconnue et l'artère contrôlée en amont et en aval.
- Une plaie artérielle, surtout en l'absence de garrot, doit être abordée à distance. Il
faut commencer par l'amont, en contrôlant l'artère par un clamp bull-dog ou à défaut par un fil
passé deux fois autour de l'axe vasculaire et tendu par une pince. Ensuite, on effectue le
contrôle en aval. C'est seulement à ce stade que l'on découvre la lésion en enlevant les caillots
qui parfois sont les seuls à assurer l'hémostase.

Principes généraux d'une suture vasculaire.


- Il faut affronter des extrémités saines, au besoin en effectuant une recoupe
économique des zones contuses au bistouri fin ou à la lame de rasoir stérile.
- Le fil doit traverser toute la paroi artérielle : l'aiguille doit prendre l'intima pour
éviter qu'elle ne se retourne dans la lumière et ne provoque une interruption du flux. De plus,
le fil doit être passé de dedans en dehors de l'artère pour prévenir un décollement intimai qui
favorise les thromboses précoces postopératoires.
- La suture ne doit pas créer de sténose, et les nœuds ne doivent pas être serrés pour
éviter un bourrelet de la ligne de suture. Elle doit être faite sans tension : fléchir les
articulations aide à amener les extrémités en contact.
- Il faut toujours préférer si possible une suture terminoterminale, bout à bout. Si la
suture est sous tension, il faut interposer un greffon saphène mais cela n'est malheureusement
pas toujours possible.
- Aucun instrument agressif ne doit être utilisé pour manipuler l'artère, en particulier
pour le clampage. À défaut de clamps, on utilisera un fil passé deux fois sur l'artère et tenu
par une pince.

Technique de suture artérielle (Fig. 26.21).


- En cas de section franche totale, la recoupe doit être la plus économique possible
pour permettre une suture bout à bout sans tension par des points séparés.

Une héparinésation modérée de l'artère peut être effectuée en per-opératoire. On


prépare une cupule de sérum héparine (1 ampoule de 5 000 UI d'héparine dans 100 ml de
sérum salé) à 50 UI par millilitre. On irrigue l'artère à l'aide d'un cathéter fin placé dans sa
lumière sans dépasser 30 UI d'héparine par kilo de poids au cours de l'intervention (soit pour
un adulte de 60 kg, 30 ml environ de sérum héparine).

Le premier point rapproche les deux extrémités. Le fil, coupé long, est tenu par une
pince. Le second point est diamétralement opposé, et le fil est là encore laissé long. La
traction sur les deux fils affronte l'artère. Des points séparés prenant toute l'épaisseur de la
paroi sont effectués sur une face d'un fil tracteur à l'autre, puis sur l'autre face.

Avant de serrer les deux derniers points, on relâche le clamp d'amont quelques
instants pour vérifier le flux, puis le clamp d'aval pour vérifier le reflux. Cette manœuvre
expulse les caillots résiduels. On termine la suture, on enlève les clamps et on parachève

489
l'hémostase en assurant une compression avec une compresse humide pendant quelques
minutes.

- En cas de plaie latérale, il faut veiller à ce que la suture n'entraîne pas une sténose
importante, sinon il faut interposer une pièce (Patch) prélevée sur la paroi, d’une veine.
- En cas de lésion contuse nécessitant une large recoupe ou devant une perte de
substance, la suture terminoterminale ne peut être effectuée sans tension. Il faut alors prélever
un greffon veineux saphène interne à la face interne de la cuisse. Lier ses collatérales. Il faut
inverser le greffon en raison des valvules veineuses : le haut du greffon est suturé à l'artère
distale et le bas du greffon à l'artère proximale.

La réparation veineuse
Les veines sont en général liées mais la ligature d'une grosse veine de retour, fémorale
par exemple, peut être à l'origine de thromboses et d'œdèmes. Si les conditions le permettent,
une suture peut être effectuée, comme nous l'avons décrit pour les artères. Cependant, la paroi
veineuse est fine et fragile et la suture en est délicate.

Les aponévrotomies associées


Une aponévrotomie peut être indiquée dans le même temps que la réparation
artérielle, surtout si elle est tardive, s'il y a des délabrements des parties molles, si une ligature
a été effectuée, si les veines ont été liées, s'il existe un œdème et s'il s'agit d'une réparation
fémoro-poplitée. Elle est donc souvent indiquée. Le danger est l'infection de la plaie
d'aponévrotomie.

Les lésions osseuses associées


S'il existe une fracture associée, la stabilisation osseuse doit être efficace : il faut donc
recourir à une fixation externe ou à des broches coulées dans un plâtre en bivalve, permettant
l'accès au pansement. La réparation artérielle doit être séparée de l'os par une interposition
musculaire.

490
Suites opératoires
Après l'intervention, il faut surélever le membre et surveiller sa couleur, sa chaleur, les
pouls, l'œdème. Il doit être dégagé pour cette surveillance.

L'antibiothérapie est systématique mais les anticoagulants ne le sont pas. Ils doivent
être maniés avec prudence surtout si des lésions viscérales sont associées, et en l'absence de
laboratoire. L'héparine intraveineuse nécessite une surveillance attentive. Les héparines de
bas poids moléculaire sont plus aisées à manipuler, à doses préventives.

Il faut immobiliser le membre, bien sûr en cas de fracture, mais aussi si la plaie siège à
proximité d'une articulation, afin de minimiser les risques de tension sur la suture si elle était
mobilisée.

En cas d'échec de la restauration, si le membre reste froid, si les pouls ne


réapparaissent pas, si la paralysie et l'anesthésie des extrémités persistent, si l'œdème
augmente ou si des complications septiques graves apparaissent, il faut se résigner rapidement
à une amputation. Si l'ischémie n'est que relative, sans signe de souffrance neuromusculaire,
on peut temporiser. C'est l'examen clinique et le bon sens qui guident la décision, en tenant
compte des éléments pronostiques.

Pronostic
La mortalité immédiate d'une plaie artérielle tient au choc hémorragique.

La mortalité secondaire peut être due à l'ischémie tissulaire quand elle concerne des
organes nobles ou aux accidents de revascularisation comparables au « crush syndrome » des
ensevelis qui associe acidose, hyperazotémie, hyperkaliémie, myoglobinurie et néphropathie
secondaire allant jusqu'à l'anurie. Sur le plan local, il se manifeste par un choc au moment du
rétablissement de la continuité artérielle, puis d'un œdème du membre. Plus tardivement
encore, les décès peuvent être dus à l'infection, en particulier septicémies et surtout gangrène
gazeuse sur nécrose ischémique.

Brûlure
La conduite à tenir devant une brûlure est décrite dans le chapitre 23.

Fractures fermées des membres


Chez l'adulte
En Europe, le traitement des fractures fermées des membres repose surtout sur les
ostéosynthèses qui nécessitent une technique particulière, des matériels spécifiques (clous,
plaques, vis, etc.) et des conditions d'asepsie parfaites.

En situation précaire, il faut privilégier le traitement orthopédique, et éviter d'ouvrir


un foyer.de fracture au moindre doute sur l'asepsie pré-, per- et post-opératoire. Si on est
contraint d'aborder une fracture, il convient d'éviter tout matériel à demeure volumineux :

491
deux broches ou une vis doublées d'une contention plâtrée fenêtrée valent mieux qu'une
plaque infectée. Tractions et plâtres gardent ici une place prépondérante.

Chez l'enfant
Même en Europe, le traitement orthopédique est le plus souvent indiqué et donc bien
sûr toujours en conditions précaires. L'enfant n'est pas un petit adulte. La consolidation
osseuse est plus rapide, le périoste étant épais et très actif. Il ne faut pas systématiquement
rechercher une réduction osseuse parfaite. En effet, la croissance permet le remodelage des
angulations fracturaires si elles ne sont pas trop importantes. Les défauts de rotation en
revanche se corrigent mal.

Les cartilages de conjugaison ne doivent pas être perforés par un matériel. À la


rigueur, on peut admettre une transfixion de ces cartilages par des broches de moins de 7/10
mm. Si un matériel plus volumineux a malencontreusement traversé un cartilage de
conjugaison, il faut le laisser en place jusqu'à la fin de la croissance. Son ablation crée une
épiphysiodèse.

Pour les fractures-décollements épiphysaires, on se réfère à la classification de S aller


et Harris (Fig. 26.22) :

- type I : décollement épiphysaire pur ;


- type II : le trait passe dans le cartilage de conjugaison et détache un fragment
métaphysaire. Ces deux types ont un bon pronostic ;
- type III : le trait passe dans le cartilage de conjugaison et détache un fragment
épiphysaire. C'est une fracture articulaire ;
- type IV : le trait traverse le cartilage et détache un fragment métaphyso-épiphysaire.
Imparfaitement réduite, une telle fracture évolue vers une épiphysiodèse. Ce type est
chirurgical ;
- type V : difficile à reconnaître, c'est un écrasement du cartilage, de mauvais
pronostic.

492
Membre supérieur
Fracture de la clavicule

Adulte. L'immobilisation est assurée par un bandage en 8 américain : un tube de


jersey étroit est rembourré par du coton cardé. Le patient est assis à califourchon sur un
tabouret, mains sur les hanches. On lui porte les épaules en arrière en rapprochant les coudes.
Le jersey est passé en 8 autour des deux épaules et sous les aisselles, puis noué à lui-même
derrière le dos pour maintenir les épaules en arrière. Il faut vérifier les pouls brachiaux car un
8 trop serré peut faire garrot. Le bandage est enlevé au bout de six semaines, et il faut le
retendre régulièrement (Fig. 26.23).
Enfant. La technique est la même, mais le bandage n'est laissé en place que pendant
trois semaines.

Fractures de l'extrémité supérieure de l'humérus


Adulte. La modalité thérapeutique dépend de la localisation de la fracture. Dans les
fractures du col chirurgical déplacées, on utilise un plâtre pendant. Le poids est enlevé à
quatre semaines, le plâtre est maintenu six à huit semaines, puis on commence la
mobilisation. Dans les fractures du col chirurgical non déplacées, on recourt à un bandage
Dujarrier pendant six semaines (Fig. 26.23). Dans les fractures du col chirurgical du trochiter,
on assure une immobilisation en abduction par un appareil thoraco-brachial.
Enfant. Dans la fracture-décollement épiphysaire de l'extrémité supérieure de
l'humérus, on utilise un bandage Dujarrier laissé en place trois semaines.

Fracture de la diaphyse humérale


II faut ici vérifier la fonction du nerf radial. Chez l'adulte, on pose un plâtre pendant
avec poids quatre semaines puis sans poids pendant quatre semaines. Chez l'enfant, le
traitement dépend de l'âge : avant dix ans, bandage Dujarrier pendant un mois ; après dix ans ;
plâtre BAB pendant 1 mois.

Fractures de l'extrémité inférieure de l'humérus


Chez l'adulte, ce sont les fractures articulaires sus- et intercondyliennes traitées
chirurgicalement en Europe. En situation précaire, sous anesthésie générale, on réduit la
fracture en tirant sur le haut de l'avant-bras, le coude fléchi à 90°, on effectue un modelage
manuel et on place une attelle postérieure. Commencer des exercices de mobilisation dans
l'attelle après trois semaines et remplacer l'attelle par une écharpe au bout de cinq semaines.
Cette mobilisation précoce peut donner des résultats fonctionnels acceptables. Néanmoins si
la réduction initiale est mauvaise, il faut si possible transférer le patient. (Le pronostic
fonctionnel des fractures articulaires est mauvais si la réduction de l'articulation est
imparfaite. Ce sont des fractures chirurgicales. En l'absence d'une réparation chirurgicale
adéquate, elles sont suivies de raideur. Néanmoins, le modelage et la mobilisation active
semi-précoce peuvent en limiter les conséquences.)

493
Chez l'enfant, il en existe plusieurs types.
- Fractures de la palette humérale. Très fréquentes, elles font partie du « syndrome du
manguier », quand les enfants tombent des arbres à la saison des fruits.

On distingue quatre stades :

• I : non déplacée. Plâtre BAB trois à quatre semaines.


• II : déplacement en angulation postérieure du fragment inférieur. Le périoste
postérieur est ici intact. Sous anesthésie, on repousse le fragment inférieur vers l'avant puis on
plie doucement le coude jusqu'à amener le poignet sous le menton. À l'aide d'un tube de
jersey étroit, on confectionne un bracelet autour du poignet et on l'attache autour du cou (Fig.
26.23). Ne laisser que quelques centimètres entre le cou et le poignet. Laisser le coude en
flexion pendant trois à quatre semaines. Il faut surveiller le pouls radial et la chaleur des
doigts pendant 48 heures car cette position hyperfléchie fait courir un risque vasculaire. C'est
la méthode de Blount (voir technique ci-dessous).
• III : angulation postérieure et translation mais fragments osseux en contact. Le
périoste est décollé mais intact. On recourt encore ici à la méthode de Blount après réduction
sous anesthésie générale.

494
Technique de la méthode de Blount : un aide étend le membre en tirant sur la
main. On empaume le bras, les deux pouces placés derrière la partie distale de l'humérus, puis
on pousse le fragment inférieur en bas et en avant en exerçant un mouvement de rotation des
poignets. On maintient ce fragment pendant que l'aide fléchit le coude jusqu'en position de
Blount. Attacher alors le poignet sous le menton par un jersey ou un bandage non agressif
pendant 4 semaines. Surveiller le pouls radial et les doigts pendant 48 heures. Les erreurs les
plus fréquentes sont la correction insuffisante du varus (cal vicieux en cubitus varus) et de la
rotation. Ne faites jamais de plâtre, surtout circulaire, en flexion (Fig. 26.23).
• IV : les deux fragments ne sont plus en contact. Ce stade nécessite normalement un
abord chirurgical postérieur et une ostéosynthèse par deux broches. En l'absence de cette
possibilité, tenter une réduction par la méthode de Blount décrite ci-dessus. Vérifier l'état
vasculo-nerveux.
- Fractures de l'épicondyle, du condyle interne et de l'épitrochlée. Leur traitement est
normalement chirurgical. En situation précaire, si elles ne sont pas déplacées, effectuer un
plâtre BAB pendant 3 semaines

Fracture transversale de l’olécrâne


Si elle n'est pas déplacée, on pose une attelle plâtrée, le coude en légère flexion (30°),
pendant six semaines chez l'adulte, quatre chez l'enfant. Si elle déplacée ou ouverte, il faut
recourir à la technique décrite dans le paragraphe fixateur externe. Vérifier l'état du nerf
cubital.

Fracture du col et de la tête radiale


Une fracture peu déplacée est immobilisée par une attelle BAB pendant trois
semaines. Commencer des mouvements de pronosupination au dixième jour. En cas de
déplacement important, il faut vérifier la fonction du nerf radial. La réduction sans
amplificateur de brillance est très aléatoire. Évacuer si possible le patient.

Enfin, dans les fractures multifragmentaires, on effectue chez l'adulte une ablation
chirurgicale de la tête radiale. Chez l'enfant, il faut conserver la tête radiale. En l'absence
d'amplificateur de brillance, les fractures déplacées imposent un traitement à foyer ouvert.

Fracture isolée de la diaphyse radiale ou cubitale


Vérifier le coude (fracture de Monteggia) et le poignet (fracture de Galéazzi). Les
fractures du cubitus par choc direct (coup de bâton) sont fréquentes.
Chez l'adulte, on réduit manuellement la fracture sous AG et on immobilise par un
plâtre BAB pendant 45 jours, coude à 90°, pronation indifférente.
Chez l'enfant, les déplacements sous plâtre des fractures d'un seul os de l'avant-
bras sont fréquents. Il faut répéter les contrôles radiologiques.

Fracture des deux os de l'avant-bras


Dans ces fractures, les cals vicieux retentissent sur la pronosupination.
Chez l'adulte, le traitement repose sur la réduction manuelle (traction) sous
anesthésie générale. Elle peut être très difficile sans amplificateur de brillance. Le membre est

495
ensuite immobilisé par un plâtre BAB en position de réduction. Ces fractures sont souvent
instables et leur traitement idéal est souvent chirurgical. L'immobilisation est de 60 à 90 jours.

Chez l'enfant, la réduction se juge à l'alignement des os. L'accrochage d'une seule
corticale suffit. Ces fractures sont instables et il faut répéter les contrôles radiologiques sous
plâtre. Le membre est immobilisé coude à 90°, avant-bras placé dans la position où l'on
obtient la meilleure réduction. La consolidation est longue, et il ne faut pas retirer trop tôt le
plâtre car il y a risque de fractures itératives. Le plâtre BAB doit être gardé au moins 60 jours
et jusqu'à 90 jours.

Fracture de Monteggia
Elle associe une fracture du cubitus et une luxation de la tête radiale. La réduction,
sous anesthésie générale, s'effectue en exerçant une traction forte sur le poignet, coude fléchi,
l'avant-bras étant en supination pour réduire le cubitus. Dans le même temps, le pouce appuie
sur la tête radiale pour la réintégrer. On pose ensuite un plâtre BAB en supination forcée.
Transférer si possible le malade en cas d'échec.

Fracture de Galéazzi
Elle associe une fracture du radius et une luxation cubitale inférieure. En situation
précaire, on réduit orthopédiquement la fracture radiale sous anesthésie générale et on pose
un plâtre à 90° pendant six semaines.

Fractures du 114 inférieur du radius ou des deux os de l'avant-bras


(Fig. 26.24)
Selon la direction du déplacement du fragment inférieur, on distingue la fracture de
Pouteau Colles (déplacement en arrière avec aspect en « dos de fourchette ») et la fracture de
Goyrand (déplacement en avant).

496
Chez l'adulte, il existe plusieurs types de fractures, souvent plurifragmentaires. La
réduction sous anesthésie locale (par injection de lidocaïne (Xylocaïne) dans le foyer
fracturaire à la face postérieure du poignet) s'effectue par traction et modelage. On
désengrène la fracture en tirant sur le pouce, et on corrige la bascule externe puis la bascule
postérieure. Lorsqu'il existe un fragment unique avec chevauchement, on peut recourir à la
méthode décrite chez l'enfant (voir ci-dessous). La réduction est de bonne qualité si les axes
sont corrects dans le plan frontal (disparition du dos de fourchette) et si la styloïde radiale est
en position plus distale que la styloïde cubitale, de 13 mm environ chez l'adulte. Sur la
radiographie de contrôle de profil, la surface articulaire radiocarpienne doit faire un angle à
10° avec l'axe du radius : elle « regarde » en avant. L'immobilisation est ensuite assurée par
une attelle BAB tant que l'œdème est menaçant, puis par un plâtre circulaire pour une durée
totale de 45 jours. On peut immobiliser avec une légère flexion du poignet les fractures de
type Pouteau Colles (position de « Judet »). Les doigts doivent être mobilisés précocement.
Chez l'enfant, ces fractures sont fréquentes. À la rigueur, on peut se contenter
d'une anesthésie locale en cas d'angulation simple que l'on réduit en poussant sur le fragment
inférieur. Dans les fractures avec chevauchement, il faut, sous anesthésie générale, accentuer
l'angulation de la fracture jusqu'à 90°, pousser fortement le fragment inférieur vers le bas,
accrocher les corticales et basculer le fragment sur cette charnière (Fig. 26.24).
L'immobilisation est assurée par attelle BAB les premiers jours, puis par plâtre circulaire
lorsque l'œdème disparaît. Dans les fractures de type Pouteau Colles, le poignet est
immobilisé en flexion à 20°. Dans celles en motte de beurre, on pose une manchette pendant
trois semaines. Enfin, dans les décollements épiphysaires, le traitement dépend du type du
décollement : dans le stade 1 de Salter non déplacé, on pose un plâtre BAB pendant trois
semaines. Dans les stades 2, 3 et 4, on réduit orthopédiquement la fracture sous anesthésie
locale et on pose un plâtre BAB pendant trois à quatre semaines. Dans les fractures des deux
os, après réduction orthopédique, le plâtre BAB est laissé en place pendant quatre semaines.

Fracture du scaphoïde
Chez l'adulte, on place un plâtre BAB pendant 45 jours puis une manchette plâtrée
là encore pendant 45 jours, prenant le pouce en abduction dans la position « de la bouteille ».
Ces fractures ne sont pas toujours visibles précocement, ce qui explique l'intérêt de la
radiographie une semaine après le traumatisme.
Chez l'enfant, ces fractures sont rares et sont traitées par manchette plâtrée
maintenue 60 jours.

Fracture de la base du premier métacarpien (fracture de Bennett)


C'est une fracture articulaire. Le petit fragment interne reste en regard du trapèze, et le
grand fragment se luxe en dehors. Non réduite, elle entraîne une perte de l'abduction du
pouce. La réduction se fait par traction sur le pouce en abduction et en pressant sur la base du
premier métacarpien. On maintient la réduction pendant que l'aide confectionne une
manchette plâtrée prenant le pouce en abduction, et que l'on laisse en place pendant six
semaines.

Fracture diaphysaire des métacarpiens


Sous anesthésie générale ou locale par infiltration du foyer, on corrige les
déplacements importants par traction sur le doigt et pression directe. Il faut veiller à l'absence

497
de rotation, ce que l'on apprécie en pliant les doigts. Ceux-ci doivent être parallèles, ne pas se
chevaucher et les ongles doivent rester dans le même plan. Si la fracture est instable, on
immobilise ensuite par une manchette plâtrée prenant la première phalange MP en flexion
pendant quatre semaines. IPP et IPD doivent être mobilisées précocement. Si la fracture est
stable, on peut se contenter d'une syndactylisation : réunir le doigt correspondant au
métacarpien fracturé et un doigt adjacent, à l'aide de deux cercles de sparadrap. Le premier
cercle est placé sur les premières phalanges et le deuxième plus distal. Ils ne doivent pas créer
de striction. Puis la mobilisation des doigts est entreprise précocement.

Chez l'enfant, on replie les doigts sur une boule de compresse, et on immobilise les
MP à 90° pendant trois semaines.

Fracture du col du cinquième métacarpien


Après infiltration anesthésique du foyer, on réduit la fracture en pliant la cinquième
MP à 90° et en repoussant la première phalange vers le haut tout en maintenant de l'index la
diaphyse du métacarpien. Vérifier l'absence de rotation. On immobilise ensuite par une attelle
postérieure maintenant la position, le doigt enroulé sur lui-même MP à 90°, pendant 21 jours
chez l'enfant et 30 jours chez l'adulte ; la position étant inconfortable, le doigt peut être déplié
au quinzième jour.

Fractures des phalanges


On réduit la fracture par traction sur le doigt sous anesthésie en bague infiltrant les
deux pédicules à la base de la première phalange. Vérifiez l'absence de rotation. On réunit le
doigt fracturé au doigt adjacent par une syndactylisation, puis on immobilise l'ensemble par
une attelle MP à 90°, IPP et IPD étant à 30°. La position doit être celle de « la main sur une
boule ». Si on place effectivement une boule, celle-ci doit être petite et placée dans la paume,
sinon la MPP est en extension. Mieux vaut utiliser un cylindre de compresses tassées.

Les fractures des troisième phalanges sont fréquentes (doigt dans une porte ou coup de
marteau). Si un hématome soulève l'ongle il faut l'évacuer : chauffer un trombone de
papeterie tenu par une pince sur un réchaud et appliquer rapidement la pointe portée au rouge
sur l'ongle. Dès que l'ongle est traversé l'hématome s'évacue. L'ongle constitue la meilleure
attelle pour la fracture. S'il est arraché, sous anesthésie en bague, nettoyer et suturer son lit et
le reposer en le maintenant par quatre points transfixiants.

Membre inférieur
Fractures du bassin
Les fractures du cadre obturateur sont fréquentes. Il faut vérifier l'absence
d'hématurie (rupture de l'urètre). Le blessé est laissé en décubitus pendant dix jours.

Les fractures du cotyle, quand elles sont peu déplacées, sont traitées par traction
transtibiale haute de 1/10 du poids du corps, pendant 45 jours chez l'adulte. Il faut ensuite
respecter un délai de 45 jours sans appui. Chez l'enfant, le délai est raccourci à 30 jours et 30
jours. En cas de déplacement, le traitement est chirurgical.

498
Fractures du col du fémur
Chez l'adulte, une fracture non déplacée, déplacée en valgus ou engrenée peut être
traitée par traction transtibiale haute de 1/10 du poids du corps pendant 90 jours. Si elle est
déplacée en varus, le traitement est chirurgical.
Chez l'enfant, cette fracture est rare et en général traitée chirurgicalement en
Europe. En situation précaire, si elle est peu déplacée, poser une traction collée pendant 30
jours, au zénith si l'enfant est petit, et dans l'axe du lit s'il dépasse 30 kg. On pose ensuite un
plâtre pelvi-pédieux pendant 60 jours.

Fractures de l'extrémité supérieure du fémur (per-trochantérienne,


inter-trochantérienne et trochantérodiaphysaire)
Chez l'adulte, une fracture peu déplacée est traitée par traction transtibiale haute de
1/10 à 1/7 du poids du corps pendant 60 jours ; ensuite, le lever est autorisé, mais sans appui
pendant 30 à 60 jours. En cas de déplacement, le traitement est chirurgical.
Chez l'enfant, on place une traction collée au zénith si l'enfant est petit, et dans
l'axe du lit s'il dépasse 30 kg, pendant 30 jours. On pose ensuite un plâtre pelvi-pédieux
pendant 60 jours.

Fracture de la diaphyse fémorale


Chez l'adulte, on pose une traction transtibiale haute (de 1/7 du poids du corps) sur
attelle de Brown et on adapte ensuite la position en fonction des radiographies. La traction, de
90 jours, est difficile à supporter pour un adulte.
Chez l'enfant, on pose une traction collée, au zénith jusqu'à 30 kg et dans l'axe du
lit au-delà. Un chevauchement des extrémités fracturaires de 2 cm est non seulement
admissible, mais recommandé. Le cal englobera l'ensemble et la croissance rattrapera la
longueur. Si la réduction est « parfaite », le membre fracturé sera plus long que l'autre en fin
de croissance. La traction doit être surveillée chaque jour. Le poids doit être tel qu'il décolle
la fesse du plan du lit, permettant de passer la main au-dessous. La traction est enlevée après
trois semaines et suivie d'un plâtre pelvi-pédieux jusqu'au 90e jour.

Fractures de l'extrémité inférieure du fémur


Chez l'adulte, dans les fractures sus-condyliennes, le traitement orthopédique peut
être calqué sur celui d'une fracture diaphysaire mais il est difficile d'obtenir une bonne
réduction sur le profil. Le fragment inférieur bascule en antécurvatum sous la traction des
muscles jumeaux.
Une fracture intercondylienne est articulaire et doit être normalement traitée
chirurgicalement. On peut tenter une traction transtibiale et un modelage manuel sous AG. Si
le contrôle radiologique est satisfaisant, on diminue les poids progressivement et on mobilise
le genou à la quatrième semaine.
Chez l'enfant, il s'agit en général d'un décollement épiphysaire. S'il n'y a pas de
déplacement, on pose un plâtre pelvi-pédieux pendant 60 jours. En cas de déplacement, la
réduction se fait sous anesthésie générale ou par traction collée sur attelle de Brown puis
plâtre pelvi-pédieux pendant 60 jours.

499
Fractures de la rotule
En l'absence de déplacement ou s'il n'y a pas d'interruption de l'appareil extenseur, on
recourt à une genouillère plâtrée en extension pendant trois semaines chez l'enfant, et six
semaines chez l'adulte.

Dans les fractures transversales interrompant l'appareil extenseur avec écart inter-
fragmentaire, on peut utiliser une technique comparable à celle décrite pour l'olécrâne. Sous
anesthésie locale, et après asepsie, on place transversalement une broche dans le fragment
supérieur, à proximité de sa face antérieure, le fragment étant bien tenu entre deux doigts. On
place ensuite une broche parallèle à la première dans le fragment inférieur. Le genou est mis
en extension. Les deux broches sont coudées et réunies par deux élastiques forts. Si le
contrôle de profil est correct, on pose une attelle en extension pendant 30 à 45 jours, puis on
conseille une mobilisation progressive. Sinon, il faut si possible évacuer le malade.

Fractures de l'extrémité supérieure du tibia


Chez l'adulte, dans les fractures des plateaux tibiaux, on pose une traction
transcalcanéenne forte (4 à 5 kg). L'attelle de Brown est remplacée par une planche
matelassée surélevée et munie d'une poulie à son extrémité distale. Il faut mobiliser le genou
(flexion active contre le poids) dès le cinquième jour. Il faut diminuer le poids au 15 e jour et
l'enlever au 30e jour. Ensuite, le lever doit se faire sans appui pendant 30 jours. Avec cette
méthode (de « de Mourgues »), les raideurs sont beaucoup plus rares qu'avec une
immobilisation plâtrée.
Chez l'enfant, le décollement épiphysaire est traité par réduction sous anesthésie
générale puis plâtre cruro-pédieux pendant 3 semaines. Dans l'arrachement de la tubérosité
tibiale antérieure déplacé, on recourt à une fixation chirurgicale puis à un plâtre pendant trois
semaines.

Fractures diaphysaires de jambe


Chez l'adulte, les fractures isolées du tibia ne sont pas de meilleur pronostic que
les fractures des deux os. Le péroné fait attelle, cause de pseudarthrose. Les fractures non ou
peu déplacées sont traitées par plâtre cruro-pédieux de 45 à 60 jours. Puis, lorsque le cal est
apparu, il est remplacé par une botte plâtrée de marche avec une semelle. Un appui est alors
indiqué entre deux cannes pour impacter le foyer jusqu'au 90e jour. On peut préférer un plâtre
de Sarmiento qui est un plâtre circulaire moulé au niveau des plateaux tibiaux et des
malléoles laissant libre le genou et la cheville, ce qui permet de les mobiliser.

Dans les fractures déplacées, il faut au préalable assurer la réduction et le


rétablissement des axes du membre. Cela s'effectue soit sous anesthésie générale, soit par
traction transcalcanéenne, soit par gypsotomie s'il ne s'agit que d'une angulation.
Chez l'enfant, la fracture diaphysaire des deux os de la jambe est traitée par
traction collée sur la jambe avec un poids de un à deux kg selon l'âge, dans le plan du lit, les
pieds du lit étant surélevés. Dès que l'œdème le permet, on parachève la réduction sous
anesthésie générale si la traction n'a pas aligné le membre. La réduction est correcte si les
axes du membre sont préservés ; une corticale tibiale « accrochée » suffit. Ensuite, on place
un plâtre cruro-pédieux bien rembourré, en flexion du genou car la traction du triceps entraîne
un recurvatum. Si des défauts d'axes subsistent sous plâtre, ils pourront être corrigés par
gypsotomie.

500
La fracture isolée du tibia évolue chez l'enfant vers un varus du fragment inférieur. On
pose un plâtre cruro-pédieux en valgus du pied et légère flexion du genou.

Fractures du quart inférieur de jambe


Chez l'adulte, les fractures du pilon tibial et les fractures bimalléolaires non
déplacées sont traitées par botte plâtrée pendant 60 jours. Si elles sont déplacées, on tente une
réduction par manœuvre de « l'arrache botte » sous anesthésie générale ou par traction
transcalcanéenne et modelage manuel. En cas d'échec, évacuer si possible le patient.
Chez l'enfant, le traitement varie selon le type de fracture :
- décollement épiphysaire du tibia : réduction sous anesthésie générale et plâtre cruro-
pédieux pendant un mois, genou en flexion, pied placé en position de réduction de la fracture
(en général en varus pour réduire un décollement épiphysaire tibial interne) ;
- fracture du quart inférieur de la diaphyse : corriger sous anesthésie générale le varus
ou le valgus puis poser un plâtre cruro-pédieux pendant 60 jours. On peut aussi effectuer le
plâtre cruro-pédieux en premier puis corriger l'angulation par gypsotomie ;
- fracture de la malléole interne (Mac Farland) : c'est un décollement épiphysaire
Salter IV. Le traitement repose sur la réduction chirurgicale et une botte plâtrée pendant 30
jours ;
- fracture triplane : elle associe un trait frontal et un trait sagittal dans le cartilage de
conjugaison tibial. Le traitement consiste en une réduction chirurgicale et un plâtre cruro-
pédieux pendant un mois, puis une botte pendant un mois.

Fractures du calcanéum
Chez l'adulte, une fracture non déplacée doit être mobilisée immédiatement sans
appui pendant deux mois. Les résultats sont meilleurs qu'avec une immobilisation. En cas
d'enfoncement important, tenter un « modelage » sous anesthésie générale puis poser une
botte plâtrée pendant 30 jours et une mobilisation sans appui pendant 45 jours. Sinon, évacuer
le patient.
Chez l'enfant, ces fractures sont rares. On peut les traiter par immobilisation en
botte pendant trois semaines ou, si l'enfant est suffisamment grand pour marcher avec des
cannes, préconiser simplement trois semaines sans appui.

Fractures des métatarsiens


Ces fractures sont réduites sous anesthésie locale par traction manuelle et bottillon
plâtré pendant un mois.
Fractures des phalanges des orteils
Elles sont réduites sous anesthésie locale puis syndactylisation (réunir le doigt fracturé
par un sparadrap à l'orteil voisin).

Complications des fractures fermées


Ce sont les cals vicieux et la pseudarthrose.
Les cals vicieux, en rotation, chevauchement, angulation ou raccourcissement
doivent être prévenus par une réduction initiale correcte.

501
La pseudarthrose est définie comme l'absence de consolidation osseuse après un
délai de six mois. Elle peut être due à une mobilité du foyer ou à une absence de contact ou de
compression entre les fragments osseux. On la prévient en assurant une bonne réduction
initiale, et une immobilisation correcte et de durée suffisante. Pour les fractures transversales
des membres inférieurs, lorsque le cal est apparu, un appui partiel entre deux cannes est
indiqué pour favoriser l'impaction du foyer.

Fractures ouvertes des membres


Généralités
Comme pour toute plaie, la prévention du tétanos par sérum et anatoxine doit être
systématique.
La prévention des infections à germes banals repose essentiellement sur le parage
soigneux sous anesthésie. Toute antibiothérapie est inefficace si le parage n'est pas fait. Si
possible, il faut effectuer des prélèvements bactériologiques. Une antibiothérapie à large
spectre précoce est systématique (pénicilline et métronidazole), et elle est ensuite adaptée aux
résultats des prélèvements.

Classification de Cauchoix et Duparc


II existe plusieurs classifications dont celle anglo-saxonne de Gustilo. Nous
retiendrons celle de Cauchoix et Duparc pour sa simplicité :
- type 1. Plaie sans contusion ni décollement, de petite taille, dont les berges après
excision saignent bien et peuvent être suturées sans tension ;
- type 2. Risque de nécrose cutanée : décollement étendu, contusion, lambeau ;
- type 3. Perte de substance cutanée en regard du foyer d'origine traumatique ou liée
au parage.

Intérêt pratique
Les plaies de type 1 traitées avant la sixième heure, peu souillées, de dedans en dehors
présentent peu de risques infectieux. En Europe, ce type de fracture est assimilé à une fracture
fermée. On recourt ici à une ostéosynthèse intrafocale et une fermeture primitive. En
condition précaire, on peut proposer une fermeture après le parage et la réduction sous
contrôle de la vue, éventuellement sur un drain aspiratif. Il faut en revanche rester
extrêmement prudent vis-à-vis d'un matériel intrafocal volumineux. Une fois la fracture
réduite, une contention orthopédique adaptée reste le moyen le plus sûr.

Dans les plaies de type 2 et 3, l'ostéosynthèse d'emblée est contre-indiquée en


Europe, et à plus forte raison en milieu démuni.

L'os doit être si possible couvert à la fin du parage par du muscle sain mais il ne faut
jamais fermer les aponévroses ni la peau de façon hermétique, même sur un drainage. Mieux
vaut un pansement « à plat » sur une plaie qu'une pullulation de germe en dessous. Une
fermeture secondaire ou une greffe de peau est proposée ultérieurement lorsque l'état de la
plaie le permet.

Une fois le parage effectué, la fracture est réduite ou alignée sous contrôle de la vue.
Le foyer doit être immobilisé par un fixateur externe, par des broches noyées dans le plâtre ou

502
par un plâtre fenêtre si la réduction est stable. Une traction permet également de maintenir
l'alignement du membre et les pansements de la plaie.».

Complications des fractures ouvertes


Ostéites
L'ostéite est une infection osseuse chronique consécutive à une plaie traumatique ou
chirurgicale. La présence de corps étrangers, de fragments dévitalisés, de séquestres osseux
entretient l'infection. Le parage soigneux en est la meilleure prévention.
Lors de l'évolution apparaissent des fistules cutanées qui communiquent avec les
foyers infectieux profonds. Elles permettent des prélèvements pour identifier les germes en
cause. La mise à plat des foyers, l'ablation chirurgicale des séquestres, le curetage des abcès
osseux, l'antibiothérapie prolongée et adaptée, et l'immobilisation sont les éléments du
traitement.

Pseudarthroses infectées
C'est la complication la plus grave : elle associe une infection osseuse et une absence
de consolidation du foyer. L'infection est une cause de non-consolidation.

L'os infecté et dévitalisé prend un aspect atrophique radiologique moucheté, en sucre


mouillé. La présence de matériel d'ostéosynthèse ou de séquestre entretien le phénomène. Le
traitement consiste à éradiquer chirurgicalement le foyer, à poser une fixation externe, à
traiter l'infection par une anti-biothérapie adaptée et prolongée et à apporter une greffe
osseuse pour relancer l'ostéogenèse. C'est un traitement toujours long et parfois décevant. Une
pseudarthrose infectée, après des mois de thérapeutique infructueuse, peut aboutir à une
amputation de nécessité.

Fracas des membres


Le terme « fracas » associe toutes les lésions que nous avons décrites plus haut :

- de l'os : fracture parfois multifragmentaire avec ou sans perte de substance ;


- des parties molles : les lésions cutanées sont importantes, avec avulsions, brûlures,
nécroses. Elles posent des problèmes de couverture. Les délabrements musculo-tendineux, les
lésions artérielles et nerveuses concomitantes compromettent la viabilité de la périphérie du
membre. Ce sont surtout ces lésions des parties molles et non l'état osseux qui font le
pronostic des fracas.

Conduite à tenir
Tout d'abord, le bilan lésionnel lors du parage doit être précis, sous anesthésie
générale, car il existe des lésions trompeuses. On retrouve ici schématiquement deux grands
tableaux bien distincts.

- L'axe vasculaire est intact, les nerfs peuvent être mis en continuité, les muscles sont
sectionnés et rétractés mais il n'y a pas de grande perte de substance. L'aspect impressionnant
du membre est lié à l'importance de la plaie et au raccourcissement par chevauchement
osseux, mais le rétablissement des axes par traction permet de rétablir des rapports

503
anatomiques acceptables. La périphérie du membre est viable et chaude. Ce tableau, qui
correspond à un stade III de Cauchoix et Duparc, doit faire tenter de conserver le membre, si
nécessaire au prix d'un raccourcissement osseux modéré.

- Si en revanche la continuité vasculaire est interrompue au milieu d'une vaste plaie, si


la souillure rend le rétablissement vasculaire aléatoire, si les avulsions cutanées et
musculaires empêchent toute couverture des vaisseaux et de l'os, si les lésions nerveuses
rendent peu probables la récupération d'une sensibilité périphérique, si la lésion est déjà
ancienne, se pose d'emblée le problème de la conservation du membre.

Cette décision ne peut être systématisée : elle dépend des associations lésionnelles, de
l'expérience du chirurgien et des moyens dont il dispose.

Il ne faut pas omettre qu'une tentative de conservation mal justifiée peut exposer le
patient à des phénomènes infectieux de pronostic parfois vital, et qu'après des mois de
traitement laborieux et aléatoire la « réussite » de la conservation peut aboutir à un membre
non fonctionnel, raccourci, insensible ou douloureux et aux articulations figées.
Les fracas des membres posent le problème des amputations traumatiques. En
condition précaire, les indications d'amputation pour fracas sont d'autant plus larges que les
capacités techniques permettant d'envisager une conservation sont faibles. L'appareillage est
par ailleurs souvent limité.

Amputations d'urgence
Elles sont effectuées dans trois circonstances :

- traumatiques pour les lésions dépassant toute possibilité de conservation ;


- vasculaire pour syndrome de revascularisation ou occlusion artérielle ;
- infectieuse pour gangrène gazeuse ou infection traumatique osseuse grave.

Matériel
Le matériel d'amputation comporte bistouri, couteau à amputation, bistouri électrique,
pinces à hémostase, fil bobine non résorbable (lin), pinces à disséquer, ciseaux, rétracteur de
Larrey, scie à main, lime.

Amputations traumatiques
La règle générale est d'amputer en tissu sain mais le plus bas possible. La limite entre
tissu sain et contus est parfois difficile à déterminer dans l'urgence. Chez l'enfant, il faut
toujours couper au plus bas et épargner les cartilages de conjugaison.

Choix du niveau d'amputation (Fig. 26.25)


Au niveau du membre supérieur. L'amputation le plus bas possible permet en
général de confectionner un moignon définitif.
Au niveau du membre inférieur. La section des parties molles doit passer en
tissu sain. Celles-ci ont tendance à se rétracter et le modelage du moignon nécessite une
couverture musculaire. Le niveau idéal de la section osseuse se situe donc en amont de la

504
section cutanéo-musculaire. La règle de la section « au plus bas » peut poser un problème
quant à l'appareillage ultérieur. En Europe, on effectue une « amputation en deux temps »
pour bien adapter le moignon à l'appareillage. En pays démuni, le choix entre appareillage
classique, par emboîture, succion ou contact se pose peu et les circonstances ne permettent
pas toujours un deuxième temps. On adopte donc généralement les attitudes suivantes :

- conserver autant que possible un appui plantaire (traumatismes de l'avant-pied). Il


peut éviter un appareillage. Un équin du moignon succède toujours aux amputations
transtarsiennes. Il devra être traité ultérieurement ; le quart inférieur de jambe est une zone
mal vascularisée où la couverture musculaire est impossible en cas de fracas. Mieux vaut
d'emblée faire porter la coupe des parties molles en bas du corps musculaire du triceps et
sectionner l'os au 1/3 moyen de la jambe ;

- plus haut, les masses musculaires permettent une bonne couverture osseuse. Les
niveaux d'amputation appareillables (Figure 26.25) sont, chez l'adulte :
- à la jambe : limite supérieure = 4 cm sous la TTA (tubérosité tibiale antérieure),
limite inférieure = 20 cm sous la TTA ;
- à la cuisse : limite supérieure =15 cm sous le grand trochanter, limite inférieure = 10
cm au-dessus de l'interligne du genou.

505
Technique
La technique est identique pour toutes les amputations. Seules changent les données
anatomiques, les groupes musculaires, l'emplacement des axes vasculaires.

La peau : il faut conserver les lambeaux. S'ils se nécrosent, ils pourront être excisés
secondairement. Il faut empêcher la rétraction cutanée par une traction collée ou un jersey
tubulaire collé par du vernis chirurgical en amont du pansement exercée par un poids de 1 kg
au bout du lit. La fermeture cutanée ou une greffe peuvent être réalisées tardivement.

Les aponévroses et muscles : il faut enlever tous les tissus dévitalisés (voir plus
haut paragraphe Parage chirurgical). Si les muscles ne peuvent être recouverts par la peau,
une greffe sera effectuée ultérieurement.

Les vaisseaux : il faut lier les gros vaisseaux au fur et à mesure de leur découverte
avec un fil non résorbable (lin), séparément et au plus bas, et faire l'hémostase. Si un garrot
est placé sur le membre, il faut l'enlever avant la fermeture pour compléter l'hémostase.

Les nerfs : ils sont sectionnés par un bistouri neuf ou une lame de rasoir,
franchement et le plus haut possible pour éviter les névromes proches de l'extrémité.

L'os : le foyer de fracture est nettoyé puis régularisé à la gouge et à la lime. Le


périoste est suturé au bout de l'os si possible. En cas de fractures étagées, il faut traiter les
fractures sus-jacentes comme à l'habitude.

La fermeture : il faut couvrir l'extrémité osseuse par un plan musculaire : les


muscles sont rapprochés et croisés par des points de fil lentement résorbable, sur un drainage
par lame de Delbet par exemple. Si la plaie est souillée ou douteuse, le rapprochement de la
peau doit rester lâche.

Pansement : on utilise du tulle gras et un « pansement américain » (compresses et


coton), une traction collée ou un jersey collé comme décrit plus haut, pendant trois à quatre
semaines.

Amputation pour infection aiguë


En cas de gangrène gazeuse ou d'infection aiguë de pronostic vital, l'amputation est de
type « saucisson » ou « guillotine » pour les anglo-saxons (Fig. 26.25) : tous les plans cutanés
et musculo-aponévrotiques sont coupés au même niveau, l'hémostase est réalisée, puis les
parties molles sont attirées par un rétracteur de Larrey ou des champs (Fig. 26.25) vers
l'amont. L'os est sectionné à la scie un peu plus haut. En fin d'intervention, tout est laissé
ouvert et pansé à plat. Quand les phénomènes infectieux ont disparu, on met en place une
traction sur les parties molles qui se rétractent, et trois à quatre semaines plus tard, on peut
reprendre le moignon. On effectue alors une section osseuse réglée et une couverture.

506
Amputations vasculaires
En cas de syndrome de revascularisation ou d'oblitération vasculaire traumatique, le
niveau de l'amputation dépend du site de la lésion artérielle. Si elle correspond à un niveau
appareillable, on peut effectuer d'emblée deux valves musculocutanées permettant de
matelasser l'os comme dans les amputations réglées, en veillant à se trouver dans un muscle
sain. Les valves, dont la longueur doit être égale aux 2/3 du diamètre du membre, sont
effectuées de façon à ce que la suture soit postérieure au membre supérieur, dorsale au pied,
et postérieure à la jambe et à la cuisse (Fig. 26.25). Il faut ruginer au contact osseux jusqu'au
niveau de la base de la valve.

La section de l'os se fait à la scie à main. Afin de ne pas être gêné par les parties
molles, il faut les refouler vers l'amont, soit avec un rétracteur du Larrey, soit avec une bande
stérile large passée autour du moignon (Fig. 26.25). À l'avant-bras et à la jambe, il faut
sectionner la membrane interosseuse et chacun des os séparément. Le péroné doit être coupé
plus court que le tibia pour éviter qu'il ne pointe à l'extrémité du moignon. Les aspérités
osseuses sont enlevées à la gouge et à la lime.

La fermeture en revanche diffère de celle d'une amputation réglée. Il existe un risque


septique et le rapprochement musculo-cutané doit donc être très lâche sur une lame de Delbet.
On peut aussi laisser le moignon ouvert sous couvert d'une traction cutanée collée. La reprise
du moignon est ainsi plus facile qu'avec l'amputation « saucisson » dans laquelle des valves
musculaires ne sont pas effectuées d'emblée.

Entorses et luxations

Entorses
Elles résultent toujours d'un traumatisme indirect par mouvement forcé. Sur le plan
lésionnel, ce sont des déchirures plus ou moins profondes et étendues du plan capsulo
ligamentaire. Les articulations les plus concernées sont les chevilles, les genoux, les poignets
et les doigts.

Diagnostic. Il existe une douleur à la palpation et à la mobilisation articulaire, un


œdème, une hydarthrose, des ecchymoses. On provoque une douleur sur le trajet ligamentaire
lorsque l'on renouvelle le mouvement traumatique initial.

Diagnostic de gravité. L'articulation ne présente pas de mouvement anormal à


l'examen clinique dans les entorses bénignes. Dans les entorses graves, on objective des
bâillements articulaires lors des mouvements forcés : tiroir ou ballottement à la cheville,
tiroir, Lachman et laxité latérale interne ou externe au genou, valgus dans les entorses
métacarpophalangiennes du pouce.

Traitement. En milieu précaire, les entorses bénignes justifient une immobilisation


monoarticulaire de deux à trois semaines, et les entorses graves une immobilisation de un
mois.

507
Luxations
C'est la perte des rapports anatomiques entre les extrémités osseuses dans une
articulation, sans lésion de l'os proprement dit. Toutes les luxations

Luxations de l'épaule
Les luxations antérieures sont les plus fréquentes : 50 % de toutes les luxations,
95 % de celles de l'épaule. Elles se manifestent par des douleurs, une impotence et un coup de
hache humeral. Il faut vérifier l'état vasculo-nerveux. Si le malade se détend et si la luxation
est récente, la réduction est souvent possible sans anesthésie, le cas échéant sous sédatif
(diazépam). En cas d'échec, recommencer la manœuvre sous anesthésie générale.

Il existe deux méthodes de réduction des luxations de l'épaule :

- Méthode de Kocher : le malade est en décubitus dorsal, un champ est placé dans
l'aisselle et un aide le maintient en tension vers le haut. On plie le coude à 90°, puis on tire
fortement sur le bras dans l'axe en effectuant doucement une rotation externe en se servant de
l'avant-bras fléchi comme levier (Fig. 26.26).
- Manœuvre d'Hippocampe : elle est plus brutale et en général mutile. Placer la
plante du pied dans le creux axillaire et effectuez une traction et une rotation externe sur
le membre.

508
La réduction se manifeste par un claquement perceptible et une mobilisation
immédiatement restaurée et indolente. Il faut si possible la contrôler par radiographie.
L'immobilisation se fait coude au corps pendant trois semaines. Il existe des formes
récidivantes de luxation antérieure de l'épaule. Normalement, on propose une intervention
chirurgicale après trois récidives.

Les luxations postérieures sont rares, faisant parfois suite à une crise d'épilepsie.
Sur la radiographie de face, la tête humérale se projette sur la glène.
La réduction est en général facile sans anesthésie, le cas échéant sous sédatif, par
traction en abduction et rotation externe. En revanche, ces luxations sont instables : il faut
éviter la récidive en immobilisant l'épaule avec le coude décollé du corps et le bras en rotation
externe.

Luxations du coude
Ce sont en général des luxations postérieures par chute sur la main. Les rapports
anatomiques du triangle olécrâne, épicondyle, épitrochlée sont perdus. Vérifier la fonction du
nerf cubital.
Sans anesthésie, le patient est installé en décubitus ventral, le bras posé sur la table,
l'avant-bras pendant dans le vide. On attache au poignet un seau que l'on remplit
progressivement d'eau. Si le malade est détendu cela peut suffire. En cas d'échec, la réduction
s'effectue sous anesthésie générale, par traction dans l'axe du membre légèrement fléchi et
pression directe sur l'olécrâne (Fig. 26.26). On immobilise ensuite le coude à 90° par écharpe
ou attelle plâtrée postérieure, pendant trois semaines. Rappelons qu'un coude traumatisé ne
doit jamais être traité par massage ou mobilisation passive sous peine d'ostéomes

Luxations métacarpophalangiennes
Elles sont en général postérieures. La réduction se fait sous anesthésie locale, en
exagérant la dorsiflexion et en pressant sur la base de la phalange luxée. Le doigt est ensuite
ramené et immobilisé en flexion modérée de la méta-carpo-phalangienne. Ces luxations se
fixent rapidement, la réduction devenant difficile après quelques jours.

Luxations de hanche
La luxation postérieure est la plus fréquente et survient en général après un
traumatisme violent (choc du tableau de bord). Le membre est raccourci en adduction, flexion
et rotation interne. L'association avec une fracture de la paroi postérieure du cotyle ou de la
rotule et des lésions viscérales ou crâniennes est fréquente. Dans 10 % des cas, il s'y associe
une paralysie sciatique habituellement régressive après réduction.

La réduction est effectuée dès que l'état général le permet, et impérativement sous
anesthésie générale. En décubitus dorsal (le patient est parfois placé à même le sol), la hanche
et le genou sont pliés à 90%. L’opérateur change le creux poplité (sur son épaule si le blessé
est sur une table) pendant qu'un aide maintient le bassin. Il soulève verticalement le membre
inférieur en effectuant un mouvement de rotation interne de la cuisse (Fig. 26.26). La
réduction se signale par un ressaut. L'immobilisation se fait par traction transtibiale pendant

509
30 à 45 jours. La marche sans appui est autorisée à la sixième semaine, puis avec appui à la
douzième semaine.

La luxation antérieure est rare. Le membre se présente en adduction, flexion et


rotation externe. On évoque souvent une fracture de l'extrémité supérieure du fémur et la
radiographie corrige le diagnostic. La conduite à tenir est identique à celle des luxations
postérieures.

Traumatismes du rachis
Rappelons que devant toute suspicion de traumatisme du rachis, celui-ci ne doit pas
être mobilisé avant qu'un bilan lésionnel ait été réalisé. Toute mobilisation d'un traumatisme
rachidien doit être effectuée « en bloc ».

Sans lésion médullaire


Rachis cervical
Fractures de C1-C2. Elles sont traitées par traction cranio-cervicale pendant trois
semaines, puis par minerve plâtrée ou collier avec appui mentonnier et frontal pendant deux à
trois mois.

Fracture de C3-C7. On applique une traction cranio-cervicale pendant trois à six


semaines puis une minerve pendant deux à trois mois (Fig. 26.27).

510
Entorses. Sur le cliché initial de profil, on ne note pas de lésion osseuse ni de
luxation. Il faut systématiquement poser un collier pendant 10 jours. Au 10e jour, on effectue
une radiographie du rachis de profil en flexion (cliché dynamique). S'il n'existe pas de «
glissement » d'une vertèbre, l'entorse est bénigne, et on maintient le collier 10 jours de plus.
Si en revanche on constate une instabilité d'une vertèbre par rapport à la vertèbre sous-jacente
(écart interépineux augmenté, découverte des articulaires supérieures de la vertèbre
inférieure, avancée de la vertèbre supérieure) (Fig. 26.27), la lésion est grave. Il faut alors si
possible transférer le patient sous couvert d'une minerve (Fig. 26.27).

Luxations. Dès le cliché initial, on constate une anomalie de position d'une vertèbre
(Fig. 26.27). Le traitement repose sur une traction cranio-cervicale, cou en hyperextension,
augmentée rapidement à 1/7 du poids du corps. Cela permet en général de réduire la luxation
en quelques heures. Le risque d'une instabilité résiduelle étant très important, mieux vaut si
possible transférer le malade sous couvert d'une minerve, après réduction.

Rachis dorso-lombaire
Devant tout traumatisme dorso-lombaire, il faut vérifier l'absence d'hématurie. Il peut
exister un iléus réflexe qui empêche une alimentation orale les premiers jours.

Fractures stables. Il y a ici un tassement corporéal, inférieur à la moitié de la


hauteur de la vertèbre. Le patient doit être laissé au lit sur un plan dur pendant trois semaines.
Ensuite, il faut lui apprendre à se lever « en bloc » sans se courber en avant, et entreprendre
un programme de musculation dorso-lombaire.

Fractures instables et luxation. Elles sont en général dues à un traumatisme en


flexion et s'associent souvent à un déficit neurologique. Les fractures instables sont les
tassements vertébraux supérieurs à 50 % de la hauteur du corps et les fractures des pédicules.
Les luxations sont rares au niveau dorso-lombaire et toujours accompagnées de déficit
neurologique.

En l'absence de paraplégie le patient doit rester en décubitus au lit sur un plan dur
pendant un mois, puis le lever est autorisé sous un corset plâtré pendant deux mois.

Une autre attitude est de confectionner au bout de quelques jours un plâtre de Böhler :
le patient sous sédation est placé en décubitus ventral en extension entre deux tables, l'une
sous le bassin, l'autre sous le haut du thorax. Un grand plâtre, s'appuyant sur les ailes iliaques,
le sacrum, le pubis, le haut de la colonne dorsale et du sternum est effectué. Il ne doit pas être
serré mais moulé. Il faut placer une grosse boule de coton cardé sous le jersey devant
l'abdomen pour le « garde manger ». Le coton est enlevé lorsque le plâtre est sec et cet espace
permet d'éviter une compression due à l'alimentation. Le plâtre de Bohler (Fig. 26.27) permet
de réduire partiellement le tassement vertébral s'il est fait assez tôt, de mobiliser plus
facilement le patient et d'autoriser le lever dès la troisième semaine.

511
Avec lésion médullaire
Les lésions médullaires peuvent être transitoires : il ne faut pas risquer de les
aggraver. Les patients doivent être mobilisés en bloc. Si possible, les déplacer à plat sur une
planche et un matelas. Des lésions de contusions et d'écrasement médullaire peuvent
coexister. Une paralysie partielle ou une dissociation sensitivomotrice témoignent d'une
lésion médullaire incomplète. Dans les contusions, la régression de la paralysie débute en 48
heures et peut être totale en quatre à six semaines selon le niveau.

À l'inverse, si la moelle est sectionnée, la réapparition d'un réflexe anal sans signe de
récupération sensitive ou motrice est de mauvais pronostic. En 4 semaines, un réflexe cutané
plantaire en extension apparaît, ainsi que des signes de spasticité : réflexes exagérés, clonus,
sans amélioration de la sensibilité. En cas de quadriplégie, l'atteinte de la capacité respiratoire
rend le pronostic très sombre.

Dans tout traumatisme médullaire, les seuls gestes possibles sont les soins de «
nursing ». Ils doivent être commencés immédiatement :

- décubitus dorsal sur « plan dur » (une planche placée sous le matelas) ;
- soins cutanés et prévention d'escarres des talons et du sacrum. Eviter que les draps
ou les pagnes forment des plis. Mobiliser le malade en bloc toutes les 3 heures, et le tourner
d'un côté et de l'autre. Apprendre à l'entourage à effectuer cette mobilisation correctement et
régulièrement. Frotter les zones d'appui (dos, sacrum) et les sécher à l'alcool. Protéger les
talons (pansements américains ou peau d'orange évidée) ;
- rééducation vésicale : dans les premiers jours existent un iléus intestinal et des
mictions par regorgement sur une vessie distendue. Placer aseptiquement une sonde vésicale à
demeure. Clamper la et vider la vessie toutes les quatre à six heures. Au bout de trois
semaines, apprendre au patient à déclamper sa sonde et à vider manuellement sa vessie par
pression sus-pubienne ou à déclencher une miction par tapotements sur la vessie pleine. Une
fois ces réflexes acquis, enlever la sonde et insister pour que le patient continue à vider sa
vessie régulièrement ;
- le contrôle intestinal : il peut être obtenu si un réflexe anal persiste. Les premiers
jours, provoquer les défécations par laxatifs à heures régulières, puis par pression manuelle
sur l'abdomen ;
- mobilisation articulaire : mobiliser les articulations plusieurs fois par jour, et éviter
les positions vicieuses. Enseigner aux paraplégiques à mobiliser eux-mêmes leurs membres
inférieurs à l'aide des deux mains ;
- marche : lorsque la lésion est consolidée au bout de 60 à 90 jours, les paraparétiques
peuvent parfois être mis en position verticale avec des appareillages.

Muscler les membres supérieurs en position assise. Faire marcher le malade de façon
pendulaire entre deux barres parallèles ou deux aides puis avec deux béquilles.

Traumatismes crâniens
Fractures du crâne
Fractures fermées de la voûte
En l'absence de signe neurologique ou de perte de connaissance initiale, les
traumatismes crâniens avec ou sans fracture ne nécessitent pas de mesure particulière. La
fracture ne fait que refléter que la violence du choc.

512
En Europe, la présence d'une embarrure (enfoncement osseux) fermée fait proposer
une intervention pour relever le fragment. En conditions précaires en revanche, s'il n'y a pas
de signe neurologique justifiant un abord chirurgical, l'embarrure ne revêt aucune urgence et
mieux vaux laisser l'enfoncement que de le transformer en fracture ouverte.

L'hématome pariétal chez le nourrisson est fréquent et ne doit pas être incisé.

Plaies de la voûte
Les plaies du cuir chevelu saignent abondamment mais leur infection est rare.
Elles justifient à elles seules un parage sous anesthésie locale et une suture hémostatique par
un surjet passé sur la tranche ou des points de fermeture appuyés sur des « bourdonnets ».
Dans les plaies tangentielles (scalps) on réalise d'abord l'hémostase, puis on replace le scalp
après toilette soigneuse pour obtenir une couverture. Si l'hémostase est difficile à obtenir,
prendre les berges de la plaie dans des pinces : il existe des pinces spéciales (en T de Martel).
En leur absence, utiliser les pinces « en cœur » qui se trouvent dans toute boîte d'abdomen.
Suturer alors la tranche par un surjet pas à pas en enlevant une pince après l'autre.

En cas de fracture sous-jacente, il faut appliquer les principes généraux des


fractures ouvertes : parage, ablation des corps étrangers et des esquilles osseuses, toilette et
fermeture sur un drain non aspiratif et antibiothérapie systématique.

S'il existe une embarrure ouverte, la plaie réalisant un abord, il faut relever le
fragment enfoncé. La difficulté est de relever la table interne car la spatule sépare
fréquemment les tables interne et externe. Il est difficile de passer un instrument sous le
fragment enfoncé. Il faut généralement ronger la berge de l'orifice à la gouge pour permettre
le passage de la spatule et relever le fragment en faisant levier sur la berge, ou effectuer un
trou de trépan à proximité pour passer la spatule.

Il existe cependant ici une exception importante : ne jamais manipuler une embarrure
située sur la ligne médiane, car elle surplombe le sinus veineux longitudinal. Si le patient est
vivant c'est qu'il n'est pas perforé. En tentant de relever l'embarrure, on risque de léser le sinus
et de se trouver face à une hémorragie grave qui nécessite expérience et rapidité pour pouvoir
être contrôlée par un patch aponévrotique.

Fractures de la base du crâne


Elles sont évoquées devant une otorragie, un écoulement clair de liquide
céphalorachidien par le nez ou une lésion d'un nerf crânien. Elles sont difficiles à mettre en
évidence sur les radiographies (le LCR peut être reconnu par une bandelette réactive au
glucose).

Il faut ici assurer la liberté des voies aériennes, nettoyer le conduit auditif mais sans le
mécher. Placer le patient en position demi assise et administrer des antibiotiques traversant la
barrière méningée (triméthoprime-sulfaméthoxazole) tant qu'un écoulement persiste et au
moins dix jours. Si les radiographies montrent la présence d'air intracrânien et que son
volume augmente, transférer si possible le patient.

513
Lésions intracrâniennes
Ce sont les lésions neurologiques et non les lésions osseuses qui font la gravité des
traumatismes cranio-encéphaliques. Ce sont elles qui dirigent la conduite à tenir et c'est
l'examen clinique qui dicte les décisions.

Examen clinique
Interrogatoire. Il existe des comas non traumatiques : médicamenteux, éthyliques,
épileptiques ; l'interrogatoire de la famille oriente vers l'étiologie. Devant une cause
traumatique, il faut rechercher s'il a existé un « intervalle libre » (avec épisode initial de perte
de connaissance, suivi d'une phase de conscience normale ou subnormale, puis une
disparition de la conscience, une confusion, une somnolence, avec parfois vomissements,
etc.) ou s'il y a eu coma d'emblée.

L'examen apprécie la profondeur du coma, selon l'échelle des comas de Glasgow :

- réponse à une stimulation par l'ouverture des yeux :


spontanée = 4,
à la parole = 3,
à la douleur = 2,
aucune = 1 ;

- réponse verbale à un ordre ou une demande :


orientée = 5,
confuse = 4,
inappropriée = 3,
incompréhensible = 2,
aucune = 1 ;

- réponse motrice d'un membre à un ordre ou une stimulation :


obéit à l'ordre = 6,
localise la douleur = 5,
flexion de retrait = 4,
flexion inadaptée = 3,
extension = 2,
aucun = 1.

La somme de la cotation de ces trois réponses donne un score de 15 (normal), à 3


(coma dépassé).

Il recherche l'existence de signes de localisation :

- diminution ou abolition unilatérale de la motricité ou de la sensibilité, hypo-ou


aréflexie ;
- état des pupilles et leur réactivité à la lumière : pupilles normales et réactives,
myosis, mydriase réactive, mydriase aréactive, uni- ou bilatérale.

Il apprécie l'état général : lésions associées, vertébrales, viscérales ou des membres,


retentissement végétatif (température, pouls, pression artérielle, rythme respiratoire).
L'hypotension n'est pas un signe de traumatisme cérébral : elle doit faire rechercher un choc

514
hypovolémique dont il faudra rechercher l'origine. En revanche, une hypertension artérielle et
une bradycardie peuvent témoigner d'une hypertension intracrânienne.

Tableaux cliniques
Absence de perte de connaissance ni initialement, ni après.
La conscience est normale et il n'y a pas de signe de localisation. Aucune mesure n'est
indiquée.

Perte de connaissance initiale


Conscience normale ou bonne au moment de l'examen, absence de signe de
localisation : surveiller pendant 48 h. Une aggravation de l'état de conscience est possible, par
hématome extradural.
Coma après intervalle libre (ou simple obnubilation, vomissement, crises
convulsives). Rechercher des signes de localisation : aréactivité pupillaire, mydriase
unilatérale, hémiparésie controlatérale. C'est une hypertension intracrânienne par hématome
extradural. L'hématome est homolatéral à la mydriase, et controlatéral à l'hémiparésie.
L'intervention (trépanation, évacuation de l'hématome et hémostase) est urgente et, en
particulier, il ne faut pas que le coma s'aggrave et que la mydriase devienne bilatérale.
L'évolution sans traitement est mortelle à court terme.

Faire un bilan rapide : groupe sanguin, hématocrite. Si l'état du patient le permet, faire
une radiographie qui peut montrer un trait de fracture pariétal en regard de l'aire de l'artère
méningée moyenne (espace décollable de Gérard Marchand). Si le patient est comateux,
assurer la liberté des voies aériennes, placer une sonde urinaire et deux voies veineuses.
Préparer l'intervention et prévoir un moyen de remplissage vasculaire.

Coma d'emblée. Sa profondeur peut être variable.


S'il existe des signes de localisation, comme une mydriase unilatérale, une
hémiparésie, la décision thérapeutique peut être difficile. En milieu précaire, des signes
d'hypertension intracrânienne (par hématome ou œdème), avec bradycardie, hypertension
artérielle, œdème au fond d'œil et de localisation peuvent justifier un trou de trépan
explorateur. En l'absence de signe de localisation, il faut :

- assurer la liberté des voies aériennes soit en évacuant le contenu de la cavité buccale
et en posant une canule de Guedel si le patient respire spontanément, soit par intubation
endotrachéale si le coma est profond. L'intubation permet des aspirations répétées mais elle
peut être délicate en cas de fractures de la face. En cas d'échec, une trachéotomie peut
s'imposer mais il faut toujours essayer de l'éviter ;
- placer une sonde urinaire qui permet de surveiller la diurèse et d'apprécier le
remplissage ;
- placer une voie veineuse : il ne faut pas perfuser plus de 1,5 à 2 litres de liquides par
24 h car une hyperhydratation augmente l'œdème et l'hypertension intracrânienne (bien
entendu, les conditions de température locale et d'hygrométrie doivent être prise en compte, et
il faut s'aider de la diurèse horaire pour adapter cette donnée) ;

515
- placer une sonde nasogastrique pour vider l'estomac et éviter les vomissements. Elle
peut permettre ultérieurement une réalimentation orale (le SRO, soluté de réhydratation orale
convient au début) ;
- sur le plan médicamenteux

II faut éviter les sédatifs puissants qui peuvent masquer des signes de réveil et
provoquer une hypoventilation, alors que l'on ne dispose pas toujours des moyens de
ventilation artificielle. En cas de convulsion : injecter par voie IM de la phénytoïne sodique,
200 mg/12 heure chez l'adulte, 100 mg chez l'enfant ou du diazépam. Pour lutter contre
l'œdème cérébral, après avoir éliminé un hématome sous-dural ou en post-opératoire, éviter
l'hyperhydratation, perfuser du mannitol à 20 %, à raison de 0,25 g/kg toutes les trois heures
pendant 24 heures (maximum 250 g pour un adulte). Ne pas utiliser de corticoïdes. Éviter une
hyperglycémie. Une analgésie efficace (qui évite l'agitation) et le maintien du patient en
position semi-assise permettent également de lutter contre l'hypertension intracrânienne.

La surveillance porte sur plusieurs niveaux : état de conscience, réactivité pupillaire,


diurèse, pouls, pression artérielle, rythme respiratoire, toutes les heures au début, puis toutes
les trois heures.

Indications chirurgicales
Trépanation (trou de trépan)
But : rechercher, évacuer un hématome et assurer l'hémostase.
Indications : troubles de conscience avec signes de localisation succédant à un
intervalle libre ou signes de localisation et d'hypertension intracrânienne chez un traumatisé
crânien dans le coma.

Principe : lever la compression en évacuant un hématome et éviter des phénomènes


d'engagement. Après l'intervention, l'état de conscience doit s'améliorer rapidement.

Matériel : bistouri, pinces à hémostase, pinces en T ou pinces en cœur, chignole,


fraises à trépanation : lancéolée, conique et en boule, pince gouge.

Technique. Le patient est placé de façon à ce que sa tête soit en bout de table. On rase
le crâne et on prépare le champ opératoire (asepsie large et pose des champs). L'intervention
peut être effectuée sans anesthésie si le blessé est dans le coma ou sous anesthésie locale.

- Choix du côté : celui de la mydriase, et celui opposé aux signes déficitaires. Si les
signes de localisation ne sont pas francs et si le premier trou n'apporte pas de confirmation de
l'hématome, on peut être amené à effectuer une craniotomie controlatérale. Le côté de la
fracture est certes évocateur mais n'est pas toujours un critère absolu, car il existe des
hématomes controlatéraux par contrecoup.

- Choix du site de trépanation (Fig. 26.28) : le trou de trépan est creusé en zone
temporale, sur la zone décollable de Gérard Marchand, dans l'aire de l'artère méningée

516
moyenne, toujours au moins à quatre travers de doigts de la ligne médiane pour ne pas léser le
sinus longitudinal veineux supérieur.

- Incision (Fig. 26.28) : elle est arciforme entre l'orbite et l'oreille. Verticale, elle se
recourbe en haut à quatre travers de doigt au-dessus de l'oreille. Inciser la peau et l'épais tissu
sous-cutané. L'hémorragie est importante. Effectuer l'hémostase sans s'attarder au bistouri
électrique. Si on dispose d'une série de pinces en T ou de pinces en cœur abdominales plus
communes, accrocher les berges de l'incision entre leurs mors. Elles assurent l'hémostase le
temps de l'intervention et la rendent plus simple à la fin. L'aide expose la plaie en écartant
les deux rangées de pince. Inciser au bistouri l'aponévrose du muscle temporal, et séparer
au ciseau les fibres du muscle pour atteindre l'os. Exposez l'os en incisant le périoste et en
ruginant de chaque côté. Maintenez l'ouverture par deux écarteurs ou un écarteur
autostatique.

- Trépanation : elle s'effectue à deux travers de doigt en arrière du bord externe de


l'orbite et en regard de son bord supérieur. Attaquer l'os avec la chignole et la fraise lancéolée,
puis poursuivre avec la fraise conique et enfin sphérique que l'on peut faire progresser sans
danger jusqu'à la dure mère qu'elle refoule (Fig. 26.28). S'il existe un hématome extradural
(qui a un aspect typique de jus de groseille), on l'évacué. Il ne faut pas le confondre avec le
saignement normal de l'os. Élargir à la demande le trou de trépan à la gouge vers l'arrière.
Evacuer l'hématome et laver avec du sérum tiède. Si on constate un saignement rouge, en jet,
de l'artère méningée, on lie l'artère avec un point de part et d'autre, appuyé sur la dure-mère à
l'aide d'une aiguille ronde et d'un fil fin (4/0). On peut utiliser une électrocoagulation à faible
intensité.

517
- Fermeture : elle se fait sur un gros drain de redon sans aspiration. Un surjet «
passé » facilite l'hémostase de la tranche de scalp. Le drain sera enlevé quand il ne donne
plus.

Difficultés de l'intervention.
Plusieurs difficultés peuvent apparaître :

- Absence de fraise à trépanation. Le geste est justifié par un faisceau


d'argument. On ne peut laisser le blessé mourir faute de fraise. Utiliser alors une mèche à os
classique, habillée par un redon à 4 mm de son extrémité (technique décrite dans le
paragraphe Traction cranio-cervicale}. Percer trois à quatre trous rapprochés en allant jusqu'à
la table interne. À la gouge, on relie les trous entre eux et on agrandit l'orifice. On peut aussi
utiliser un perforateur large et un petit marteau, puis enfin la pince gouge. La trépanation est
alors laborieuse et il faut veiller à ce que les instruments ne s'échappent pas vers l'encéphale.
- Saignement à distance de l'orifice. Un opérateur entraîné peut ouvrir un
volet en reliant des trous de trépan à la scie de Gigli. Sinon, fermer sur un drain et transfuser
le patient.
- La lésion est un hématome sous-dural aigu. Il n'y a pas d'hémorragie en
dehors de la dure mère mais celle-ci est tendue et bleutée. Si l'on n'a pas l'expérience de cette
intervention, il faut s'en tenir là. Si on est expérimenté, si les conditions le permettent (en
particulier si on dispose des moyens d'hémostase nécessaires), et si on pense que le blessé ne
pourra supporter le délai d'évacuation, ouvrir la dure mère, évacuer l'hématome, faire
l'hémostase si un vaisseau saigne, fermer et suspendre la dure-mère aux pourtours du volet.
Administrer une antibiothérapie.
- Il n'y a pas d'hématome ni sous- ni extradural. Recommencer le même
protocole opératoire de l'autre côté. On peut aussi effectuer des trépanations frontales et
occipitales exploratrices (Fig. 26.28).
- L'os saigne. Appliquer de la cire de Horsley ou un collagène hémostatique. À
défaut, ramener le muscle temporal dans l'orifice et fermer sur un drainage.

Plaie cranio-encéphalique
La peau, l'os et la dure mère sont ouverts, par divers mécanismes : instrument
contondant, plaie par balle... L'intervention s'effectue sous anesthésie générale ou à défaut
locale avec administration de sédatifs.

Parage. Retirer les caillots, les corps étrangers, les esquilles osseuses libres.
Agrandir l'orifice osseux si nécessaire pour accéder aux berges rétractées et déchirées de la
dure mère. L'encéphale fait généralement hernie sous l'effet de l'œdème. À l'aide d'une
seringue et de jets de sérum tiède enlevez la matière cérébrale déchiquetée et contuse. On
peut être amené à en retirer une quantité inquiétante. Sauf quand l'atteinte est localisée dans
les zones motrices ou sensitives, on est parfois surpris du peu de séquelles observées. Il faut
cependant rester au maximum économique.

Réaliser l'hémostase au bistouri électrique avec des pinces bipolaires (ou, en leur
absence avec une très basse intensité) ou à l'aide de fils fins. Les saignements veineux sont
difficiles à contrôler : on utilise une compression temporaire, de la gélatine résorbable ou un
lambeau de muscle temporal appliqué sur la plaie veineuse.

518
Régulariser les berges de la dure mère. Sa fermeture est impossible en raison de
l'œdème sous-jacent et on la rapproche donc lâchement. Placer un drain non aspiratif et à
distance de la substance cérébrale. Couvrir le cerveau avec le muscle temporal si la plaie est à
ce niveau ou avec la peau, même au prix d'un petit lambeau de rotation. Les zones de crâne
dénudées par le lambeau sont recouvertes de tulle gras.

Infections ostéo-articulaires de l'enfant


Un processus infectieux des parties moites, de l'os, ou d'une articulation se signale
par :
- des signes cliniques : douleur, chaleur, rougeur, gonflement ;
- des signes biologiques : hyperleucocytose avec polynucléose et vitesse de
sédimentation accélérée ;
- des signes radiologiques.

Cependant, aucun de ces signes n'est spécifique :

- la douleur peut être atténuée ou projetée (douleur du genou pour une atteinte de la
hanche par exemple) ou s'exprimer par une attitude pseudo-paralytique chez le jeune enfant ;

- la température n'est pas un signe permettant de localiser un site infectieux ;


- la rougeur peut être absente si l'infection est profonde ;
- le gonflement d'une articulation peut être lié à une synovite inflammatoire ;
- la vitesse de sédimentation peut être élevée dans une infection chronique ou une
affection inflammatoire. On ne peut en général doser ni la CRP ni la fibrinémie ;
- les signes radiologiques sont absents dans l'arthrite ou l'ostéomyélite débutante ;
- enfin, les signes peuvent être abâtardis par des antibiothérapies aveugles.

C'est donc sur un faisceau d'argument que l'on évoque habituellement le diagnostic.

Arthrite infectieuse
Elle est fréquente dans la petite enfance. La douleur siège sur l'articulation dont la
mobilisation est très douloureuse voire impossible. Il existe un gonflement articulaire plus
moins évident. On trouve en général une notion de porte d'entrée en regard ou à distance,
surtout chez l'enfant. Le syndrome infectieux est important, avec forte fièvre. La biologie est
perturbée mais la radiographie est normale au début.

La conduite à tenir est stéréotypée :

- il faut d'abord ponctionner rapidement l'articulation sous sédation et anesthésie


locale. Aucun antibiotique ne doit être administré avant la ponction. Celle-ci permet à la fois
une recherche bactériologique et la vidange de l'articulation. La ponction articulaire est un
geste chirurgical qui exige une asepsie soigneuse. Elle peut être répétée ;
- ensuite, il faut assurer une immobilisation stricte de l'articulation par traction
(hanche) ou plâtre en position de fonction et antibiothérapie parentérale initialement à large
spectre et qui sera ensuite adaptée aux résultats bactériologiques. L'immobilisation et
l'antibiothérapie doivent être maintenus tant que les signes cliniques et biologiques ne sont
pas amendés ;

519
- si l'articulation est facilement accessible et si la quantité du liquide le justifie, un
abord chirurgical permettant sa toilette et son drainage est indiqué.

Technique des ponctions


Matériel : II consiste en un anesthésique local, une seringue, une aiguille de fort
diamètre, des flacons de prélèvements, un antiseptique et des champs stériles.

Ponction de la hanche. L'abord se fait en dessous et en avant du bord saillant


palpable du grand trochanter, sur un patient en décubitus dorsal. Une aiguille longue et de
gros calibre montée sur une seringue est introduite à 45° par rapport à l'axe de la cuisse et en
la dirigeant en dedans, en haut et légèrement en arrière, tout en assurant une aspiration.

Chez le petit enfant, on introduit l'aiguille en arrière des tendons adducteurs de la


hanche et on la fait progresser horizontalement vers le haut en visant l'épaule homolatérale.
Pour cet abord, le membre doit être placé en flexion abduction, sous anesthésie générale, car
la mobilisation est très douloureuse.

Ponction du coude. La ponction est effectuée à mi-chemin entre la pointe de


l'olécrâne et la tête radiale que l'on sent rouler en effectuant des mouvements de
pronosupination.

Ponction du genou. Le point d'introduction de l'aiguille est situé en arrière de


l'angle supéro-externe de la rotule.

Ostéomyélite
II faut différencier ostéite par infection de contiguïté (fracture ouverte, plaie) et
ostéomyélite qui survient en dehors d'une ouverture cutanée, par voie hématogène.

Ostéomyélite aiguë
La douleur siège en-dehors de l'articulation. Un examen patient permet de constater
que la mobilisation de l'articulation n'est pas la cause de la douleur mais que celle-ci est
provoquée par la palpation à quelque distance, au niveau de la zone métaphysaire. Les
syndromes infectieux et biologique sont plus ou moins marqués. La radiographie est normale
au début puis apparaît rapidement un liseré périoste et enfin un aspect flou, grignoté de l'os.

Si une hémoculture est possible, l'effectuer avant d'instaurer une antibiothérapie. Le


germe en cause est souvent Staphylococcus aureus, mais d'autres germes peuvent être
incriminés, en particulier des salmonelles chez les drépanocytaires. Avant les résultats
bactériologiques, l'antibiothérapie est à visée antistaphylococcique (cloxacilline, oxacilline,
etc.).

Il faut cureter l'os concerné dès qu'il existe des risques cliniques ou radiologiques
évoquant la formation d'un abcès péri- ou intra-osseux. Ces curetages sont de plus en plus

520
supplantés en Europe par des traitements « conservateurs ». Mais le diagnostic y est souvent
fait fort précocement. Le curetage permet les prélèvements en regard de la métaphyse et
l'évacuation des collections. En situation précaire il reste très utile, surtout à un stade précoce
suppuratif.

Le matériel pour curetage comporte une chignole, une mèche, des curettes, un drain.

L'abord de l'os se fait sous anesthésie générale. Les tissus nécrotiques sont évacués et
l'os est perforé à l'aide d'une chignole puis cureté en ayant soin de ne pas léser le cartilage de
croissance chez l'enfant. Le curetage doit être assez large pour permettre une évacuation
satisfaisante du pus intra-osseux. L'incision est ensuite fermée lâchement sur un drainage.

L'immobilisation est systématique et doit, comme l'antibiothérapie, être prolongée


pendant un mois après normalisation des signes cliniques et biologiques.

L'évolution de l'ostéomyélite aiguë est variable. Précocement traitée, elle guérit sans
séquelles. Si le cartilage de conjugaison est atteint, une perte de longueur est inévitable. Mal
traitée, elle évolue vers une ostéomyélite chronique et beaucoup d'enfants sont
malheureusement vus à ce stade dans les pays en développement.

Ostéomyélite chronique
C'est une suppuration chronique, avec multiples fistules et séquestrations osseuses,
déformation, raccourcissement, fractures pathologiques.

Il faut rechercher le germe en cause sur les fistules, surélever le membre, drainer les
abcès et retirer les séquestres visibles sur les radiographies.

Les séquestres enlevés sont parfois très volumineux, aboutissant parfois à la


disparition quasi complète d'une diaphyse. Celle-ci, chez le petit enfant, peut se reconstituer
spontanément à partir de la gaine périostée. Mais, quand l'enfant est plus grand, il n'est pas
rare que ces pertes de substances étendues nécessitent des ostéosynthèses externes, puis des
greffes osseuses après guérison de l'infection.

Tuberculose osseuse
Non exceptionnelle dans les pays en développement, elle concerne le plus souvent le
rachis (mal de Pott), la hanche et le genou.

Le mal de Pott. Il s'agit d'une spondylodiscite se manifestant par une douleur, une
cyphose progressive et l'atteinte géodique ou la disparition d'un corps vertébral sur les
radiographies. Elle se complique plus tardivement d'une paraplégie.

En milieu précaire, le traitement repose sur le décubitus dorsal prolongé sur plan dur
accompagné d'un nursing et une antibiothérapie antituberculeuse : pyrazinamide, rifampicine
et isoniazide pendant deux mois puis rifampicine et isoniazide pendant quatre mois. Le
décubitus doit être strict durant au moins trois mois puis, lorsque le lever est autorisé, ce
dernier se fait sous couvert d'un corset pendant trois mois.

521
La récupération des signes neurologiques est spectaculaire. La cyphose par contre
persiste et va même s'aggraver avec la croissance chez l'enfant jeune.

Arthrites tuberculeuses. La hanche (« coxalgie ») et le genou (« tumeur blanche


du genou ») sont les plus souvent concernés. Les signes sont ceux d'une arthrite, avec
douleur, raideur, gonflement articulaire pour le genou, mais plus frustes que dans l'arthrite
septique, avec un syndrome infectieux moins prononcé, voire absent.

Le plus souvent, les patients sont vus alors qu'existent déjà des lésions radiologiques à
type de géodes, voire des déformations épiphysaires.

Un prélèvement biopsique est toujours intéressant pour affirmer la présence de BK,


mais le traitement doit être commencé sans en attendre les résultats : il repose sur une
antibiothérapie antituberculeuse pendant six mois et une immobilisation. Le lever est possible
au troisième mois mais l'appui sur le membre doit être plus tardif, vers le cinq-sixième mois.

Ostéomyélites tuberculeuses. Plus rares, elles sont une découverte du curetage


qui met en évidence un pus caséeux. La bactériologie confirme l'origine de l'ostéomyélite.
L'immobilisation et la tri-antibiothérapie sont la base du traitement. L'atteinte d'une phalange
ou spina ventosa est « classique », avec un aspect boursouflé de l'os.

La cuti-réaction et l'intradermoréaction ne sont pas toujours positives et l'association à


une tuberculose pulmonaire n'est pas systématique (moins d'une fois sur trois). NB : Chez
l'adulte, il existe un « couple » tuberculose/infection par le VIH.

Prévention de l'infection par le VIH


Le syndrome d'immunodéficience acquise est un problème de santé publique dans
beaucoup de pays démunis. Ce n'est pas parce que les conditions sont précaires qu'il ne faut
pas mettre tout en œuvre pour éviter de mettre en danger la vie du personnel médical, ou celle
des patients. Ce problème est suffisamment important pour que nous y revenions ici.

En conditions précaires, les conditions d'hygiène des services chirurgicaux ne sont pas
toujours satisfaisantes, les patients ne comprenant pas toujours la nécessité de mesures de
propreté de base. Parfois même, le personnel n'en a pas pleine conscience. Les gants
chirurgicaux, les boîtes d'instruments, les plateaux d'instruments, etc. peuvent manquer.
Grande peut alors être la tentation de « faire sans ». La pénurie ne justifie pas le laxisme.

Protéger le personnel
- Placer les aiguilles et lames de bistouri jetables dans des récipients ne permettant pas
leur récupération.
- Ne jamais recapuchonner les aiguilles.
- Se laver les mains fréquemment à l'eau et au savon.
- Placer les aiguilles réutilisables (il en existe encore) dans un bocal contenant un
désinfectant pendant une heure avant que d'autres personnes ne les manipulent pour les laver
et les stériliser.
- Porter des gants épais pour ces manipulations.

522
- Porter des gants chirurgicaux pour les pansements.
- Porter des gants pour manipuler les draps, champs et compresses souillés.
- Informer le personnel des méthodes de prévention personnelle (voir plus bas). Ne
pas omettre d'informer tout nouvel arrivant.

Protéger les malades


- Transporter la lingerie dans des sacs étanches, puis la laver avec un détergent
pendant 25 minutes à 71°C minimum, ou la détremper dans de l'hypochlorite de sodium avant
le lavage.
- Évacuer les déchets liquides (sang, etc.) vers un égout ou une fosse septique et
incinérer les déchets solides (pièces chirurgicales).
- Stériliser les instruments : le VIH est tué à l'autoclave pendant 20 minutes à 200 kPa
ou au poupinel pendant deux heures à 170° C.
- Ne pas réutiliser les mêmes gants chirurgicaux pour plusieurs malades. Si les gants
font défaut, les enlever après utilisation et les jeter dans une bassine d'hypochlorite de sodium
(pendant une heure minimum). En fin de journée, récupérer tous les gants dans la bassine,
puis les laver, les sécher, les talquer, les vérifier, éliminer les gants troués et stériliser ceux
qui sont intacts à l'autoclave. Ils peuvent alors être réutilisés (c'est encore parfois inéluctable).
- N'employer que des produits sanguins contrôlés, ce qui n'est pas toujours facile :
devant la nécessité vitale d'une transfusion en urgence, il arrive de passer outre. C'est là un
problème de conscience personnelle.
- Recourir autant que possible à l'autotransfusion en chirurgie réglée. Cela est
impossible en chirurgie d'urgence.
- Utiliser le plus souvent possible un garrot et faites des hémostases soigneuses pour
minimiser autant que possible les pertes sanguines.

Se protéger soi-même
- Si vous présentez une plaie cutanée, la protéger par des pansements étanches.
- Si vous recevez un liquide corporel dans l'œil, le rincer immédiatement à grande eau
ou au sérum physiologique pendant dix minutes.
- Si vous vous coupez pendant une intervention, l'interrompre, enlever les gants,
nettoyer largement la plaie au dakin, faire tremper pendant dix minutes. Se relaver les mains,
remettre des gants et reprendre l'intervention.
- Ne pas se rincer trop fréquemment les mains à l'alcool car cela peut entraîner des
lésions cutanées.
- S'il est arrivé à beaucoup de chirurgiens d'opérer sans gant par nécessité, les temps
actuels ne le permettent plus.

Conclusion
Ficelle, bouchons de liège, bouchons de flacons de perfusion, rayons de bicyclettes,
fers ronds, plâtre de Paris, chignole, dominos d'électricien, tubes métalliques, chatterton, sacs
de sable...

Tout cela évoque plus une encyclopédie du bricolage que le matériel élégant et
onéreux que nous utilisons en Europe.

523
Néanmoins, les recettes décrites ici peuvent permettre de faire face à bien des
situations difficiles.

D'autres peuvent être imaginées : l'imagination des chirurgiens est grande.

L'important est d'obtenir le résultat le plus acceptable possible lorsqu'on est démuni. Il
faut parfois savoir renoncer, et ne pas entreprendre des interventions si l'on ne dispose pas du
plateau technique suffisant.

524
Urgences en obstétrique

J.-C. CAZENAVE

Ce chapitre est destiné au médecin qui n'a jamais fait d'obstétrique et est appelé en
urgence pour un accouchement difficile, circonstance au cours de laquelle il est illusoire
d'ouvrir un quelconque traité d'obstétrique, même le meilleur.

Pour tout geste médical, l'étape initiale est de connaître et savoir reconnaître ce qui
est normal et, dans le cas de la femme sur le point d'accoucher, si la grossesse est à terme et
si le travail a commencé. Rappelons d'abord quelques définitions :

- la femme est en travail quand il existe des contractions vraies six à sept fois par
heure. Il est impératif de savoir depuis quand ce travail a commencé ;
- le terme est la date normale pour l'accouchement, soit fin du 9e mois ou 40 à 41
semaines d'aménorrhée. Il est parfois dépassé, nécessitant alors un examen particulier si on
dispose du matériel et du personnel nécessaire, l'amnioscopie. L'accouchement peut à
l'inverse débuter avant ce terme, et cest l'accouchement prématuré. Le principal risque est ici
la détresse respiratoire de l'enfant par immaturité du système pulmonaire. La date fatidique
est la 36e semaine d'aménorrhée (fin du 8e mois) ; au-delà, le système pulmonaire est
suffisamment mature. Nous commencerons par décrire l'examen d'une femme enceinte en
train d'accoucher.

Examen de la mère
Avant tout, il faut rappeler cette règle impérative : avec ou sans doigtier, il est
interdit de se précipiter sur une femme pour faire un toucher vaginal avant un examen
complet.

À l'interrogatoire, il faut rechercher les antécédents suivants :

- césarienne antérieure, qui fait courir le risque de rupture utérine ;


- grande multiparité, avec risque de présentation vicieuse. Dans l'association
grande multipare et accouchement prématuré, les présentations par l'épaule ou le siège
avec tête défléchie sont particulièrement fréquentes ;
- antécédent de poliomyélite qui doit faire craindre une asymétrie du bassin.

Examen de la femme
1. Recherche d'une anémie : en principe, la clinique suffit. Il faut regarder la
coloration de la conjonctive. Rappelons que la plupart des femmes des pays en voie de
développement ont une hémoglobine en dessous de 10 g et que toute spoliation sanguine peut
devenir rapidement grave.

525
2. La pression artérielle : elle doit être systématiquement mesurée. Si les chiffres sont
élevés en décubitus ventral (supérieur à 14 pour la maxima, égal ou supérieur à 9 pour la
minima), il faut placer la femme en décubitus latéral gauche et renouveler la mesure 5 min
après.
Une hypertension artérielle doit faire craindre les complications suivantes : hématome
rétro-placentaire, retard de croissance intra-utérin et éclampsie.
3. Pouls et température : tous deux doivent également être mesurés, surtout en zone
tropicale. En zone paludéenne, toute fièvre doit faire évoquer une crise de paludisme qui
nécessite alors une injection de Fansidar intramusculaire ou une injection de quinimax.
Une diarrhée fébrile doit faire penser à l'amibiase intestinale qui doit impérativement
être traitée pour éviter les nécroses coliques amibiennes.
4. Examen des membres inférieurs à la recherche d'un œdème. S'il existe un œdème
qui prend le godet, avec une pression artérielle élevée, il faut craindre une éclampsie. Vérifier
les urines : couleur, abondance, existence d'une dysurie.
5. Enfin, bien examiner l'abdomen à la recherche d'une cicatrice de césarienne,
parfois cachée dans des replis cutanés chez la femme obèse (risque de rupture utérine).

Examen obstétrical
Hauteur utérine
II doit toujours débuter par la mesure de l'utérus qui, à terme, avoisine 32 cm. La
mesure est prise comme le schématise la figure 27.1 : c'est la distance qui sépare le bord
supérieur du pubis et la main empaumant le fond de l'utérus.

526
4 cm/mois jusqu'au 1e mois inclus
+ 2 cm pour le 8e mois
+ 2 cm pour le 9e mois

Si la hauteur utérine est nettement plus élevée que ne le laisserait supposer la date de
la grossesse, il faut se méfier des grossesses gémellaires ou d'un hydramnios qui survient en
général avant le terme et qui témoigne d'une anomalie fœtale ou d'une macrosomie avec
risque de dystocie d'épaule.

Si à terme la hauteur utérine est moindre, il peut s'agir d'un retard de croissance intra-
utérin qui, quand il est associé à une hypertension artérielle, à des œdèmes, doit faire prévoir
un accouchement à risque : on préfère alors la césarienne à l'accouchement par voie basse. Il
peut également s'agir d'une présentation transverse (Fig. 27.2) : la recherche des pôles du
fœtus et des bruits du cœur sont ici impératifs.

Examen du bassin
À l'interrogatoire, il faut rechercher un antécédent de poliomyélite, très fréquente dans
les pays en développement et qui rend le bassin asymétrique, pouvant interdire
l'accouchement à terme par voie basse.

527
À l'examen, les ischions doivent être distants de 8 cm, ce qui témoigne d'un bassin
osseux normal. Le toucher vaginal appréciera ensuite le détroit supérieur (Fig. 27.3).

Bruits du cœur fœtaux


Ils doivent être écoutés dans l'idéal avec un stéthoscope à ultrasons sinon avec un
stéthoscope de Pinar. Le rythme cardiaque fœtal normal est aux alentours de 140. Il faut
toujours prendre simultanément le pouls de la patiente pour différencier bruits du cœur
fœtaux et battements aortiques car ils sont alors

528
Une bradycardie fœtale, voisine de 110, témoigne d'une souffrance fœtale.

Une tachycardie témoigne le plus souvent d'une fièvre mais aussi d'un traitement
médical inadéquat : bêta-mimétiques à terme ou drogues locales de la pharmacopée
traditionnelle. Il faut alors interroger l'entourage.

Localiser les bruits du cœur dans la grossesse à terme permet de déterminer la position
du fœtus : s'ils sont entendus au-dessus de l'ombilic, il s'agit toujours d'un siège ; au-dessous,
la présentation est céphalique (Fig. 27.4 et 27.5). Dans la présentation transverse, les bruits du
cœur sont sous l'ombilic, c'est-à-dire au milieu.

S'ils sont très nets et de bonne intensité, le dos est en général en avant, position
favorable pour un accouchement par voie basse. S'ils sont faibles et d'intensité modérée, le
dos est en général en arrière : il s'agit alors d'une présentation avec tête défléchie (Fig. 27.6).

Palpation de l'utérus
La palpation utérine, en dehors des contractions, en refoulant le dôme utérin, permet
de sentir un des pôles fœtaux et souvent le dos. Cette manœuvre est utile pour prévoir la
présentation du fœtus quand on ne dispose pas d'échographie.

529
Toucher vaginal
Le toucher vaginal (Fig. 27.7) permet d'apprécier plusieurs paramètres :
- la largeur du bassin : on ne doit pas sentir le détroit supérieur ;
- l'état du col ;
- la présentation : soit elle est haute et refoulable (l'accouchement n'est alors pas imminent),
soit la tête appuie, notamment au moment d'une contraction, soit encore la tête est engagée (Fig. 27.8)
- enfin, l'état des membranes : il est utile d'effectuer un toucher vaginal lors d'une contraction
pour bien apprécier l'état des membranes (Fig. 27.9).

Accouchement normal
Dans l'accouchement normal, la présentation est céphalique.
Lorsque le travail a débuté, les contractions sont régulières. La tête appuie bien, c'est-à-dire
qu'on ne peut pas la refouler lors du toucher vaginal. Le col se dilate progressivement et
régulièrement, ce que l'on vérifie par des touchers vaginaux toutes les 30 min.

530
Après dilatation complète, il apparaît une envie de pousser et, si le rectum n'est pas
vide, il y a souvent une exonération de selles.

Au cours de la contraction utérine, la tête descend en position très fléchie. La tête


s'engage en oblique iliaque gauche antérieur, puis descend sous la symphyse, et l'occiput va
se bloquer sous la symphyse pubienne en position médiane. La tête descend ensuite au niveau
du détroit moyen et du détroit musculaire en 10 à 15 min maximum. Au cours de
l'accouchement normal, il n'y a rien à faire sauf si les efforts d'expulsion sont trop importants.
Il faut alors protéger le périnée en mettant une main au-dessus de l'anus pour protéger les
parties molles et en retenant la tête fœtale pour prévenir une expulsion trop rapide. Cela
évitera la déchirure du périnée (Fig. 27.10).

531
Anomalies - difficultés
Quelquefois, le rythme cardiaque fœtal peut diminuer de 140 à 100. Il s'agit
alors soit :
- d'un engagement trop rapide ;
- d'un enroulement du cordon, qui peut être simple ou double et, dans ce cas, à l'arrêt
de la contraction, les bruits du cœur remontent spontanément à 140. Lorsqu'il existe un
enroulement du cordon avec un tour de spire, il faut accélérer l'accouchement en utilisant des
spatules. Lorsqu'il existe un seul tour, on dégage une épaule puis une autre en passant le
cordon sur l'épaule. S'il existe deux circulaires, il faut sectionner le cordon lorsque la tête
apparaît à la vulve.

Parfois, la bradycardie fœtale peut être plus importante, avec un rythme cardiaque
inférieur à 60-80 par minute. Il s'agit alors d'une procidence ou d'une latérocidence du cordon.
Cette dernière est plus grave car on ne la détecte pas au toucher vaginal (Fig. 27.11). Il faut
effectuer une césarienne, soit un refoulement de la tête en haut et mettre la patiente en
procubitus.

Une autre difficulté possible est la stagnation de la dilatation du col, qui survient en
général entre 4 ou 5 cm de dilatation. Au toucher vaginal, l'ouverture du col est identique à ce
qu'elle était 30 min auparavant. Le col est souvent œdématié au niveau de sa lèvre antérieure
ou postérieure et, au niveau de la présentation, on perçoit une bosse séro-sanguine en
formation. Il s'agit ici toujours d'une présentation mal fléchie avec une tête qui n'arrive pas à
tourner spontanément sur le pelvis et sur les muscles releveurs. On peut mettre la patiente en
décubitus latéral gauche ou en position accroupie, si les bruits du cœur sont normaux entre
chaque contraction, et examiner de nouveau la femme après 30 min pour voir si ces mesures
se sont avérées efficaces.

Si le problème s'aggrave, avec constitution d'un œdème cervical antérieur ou


postérieur ou augmentation de la taille de la bosse séro-sanguine, il faudra à ce moment-là
prévoir soit une extraction par voie basse par forceps s'il n'existe pas de disproportion fœto-
pelvienne, soit une césarienne si les dimensions osseuses interdisent la voie basse.

532
Enfin, il peut y avoir une absence complète de dilatation malgré les contractions
utérines parfaitement régulières. Il s'agit alors d'une disproportion fœto-pelvienne. La tête ne
passera pas par voie basse et il faut recourir à la césarienne.

Ruptures des membranes : la rupture ne peut être effectuée que s'il existe une
présentation céphalique lors d'une contraction vers 4 à 5 cm de dilatation du col. Avec une
demi-pince de Kocher, il faut érailler la poche des eaux et contrôler la sortie du liquide avec
un doigt (Fig. 27.12) :
- liquide clair : normal ;
- liquide blanc + floconneux : prématuré dont la tête doit être protégée ;
- liquide noirâtre (méconial) : souffrances fœtales. Il faut accélérer l'accouchement
(spatules).

Accouchements interdits par voie basse : plusieurs présentations interdisent


l'accouchement par voie basse et font proposer d'emblée une césarienne :
- face/menton en arrière ;
- présentation transverse ;
- présentation du front.

Accouchement par forceps


Le forceps dit de Tarnier avec ses barres transversales et son système de traction est
très mal accepté dans les pays en développement (Fig. 27.12'). Il s'agit de la mise en place de
spatules : soit de spatules de Thierry ou de forceps de Tarnier. La spatule nécessite un
mouvement d'enroulement en 1/2 tour de spire, et la 2e spatule, elle aussi 1/2 tour
d'enroulement.

533
L'utilisation de spatules de Thierry est plus utile car, placées correctement à dilatation
complète sur une tête engagée, ne font courir aucun risque (sauf bien sûr pour les parties
molles) et elles permettent de tourner la tête en la tirant vers le bas avec des petits
mouvements d'asynchétisme qui doivent rester modérés. Il ne faut pas non plus exercer de
traction excessive.

La mise en place de ces spatules est expliquée dans la figure 27.13 : l'examen clinique
a permis en principe de repérer la position de la tête, de l'occiput et du dos. On place d'abord
la spatule de gauche, puis celle de droite. Ne pas oublier d'enfoncer profondément les spatules
pour avoir une prise la plus fiable et la moins traumatisante possible.

À dilatation complète, tête engagée, il faut attendre une contraction utérine. Dès que
celle-ci apparaît, il suffit dans la présentation la plus commune (oblique gauche antérieure) de
tourner d'un quart de tour dans le sens contraire des aiguilles d'une montre (Fig. 27.14a). Dans
la présentation droite antérieure, la rotation se fera d'un quart de tour dans le sens des aiguilles
d'une montre (Fig. 27.14b). Dans la position droite postérieure, soit la tête devra sortir en
occipito-sacré, faisant courir un risque majeur pour les parties molles, soit les conditions sont
favorables pour une grande rotation. La rotation se fera soit dans le sens des aiguilles d'une
montre pour les droite postérieure (Fig. 27.14c), soit au contraire dans le sens inverse des
aiguilles d'une montre pour une gauche postérieure (Fig. 27.14d).

Déterminer le sens de traction est souvent difficile. Si la petite fontanelle n'est pas
perçue, il est souvent conseillé d'effectuer la rotation dans le sens qui offre le moins de
résistance. On est alors souvent surpris de voir la tête descendre spontanément. Puis, en
essayant d'abord à droite et à gauche, la tête descendra facilement dans sa meilleure position,
la plus favorable.

534
Ensuite, par des mouvements de traction vers le bas, c'est-à-dire vers le sol, on peut
mobiliser et attirer la tête qui franchira ensuite la symphyse pubienne. On réalise alors une
épisiotomie verticale médiane, ce qui permet d'obtenir une expulsion plus rapide sans
occasionner de dégâts pour les parties molles.

535
Rétention de l'épaule
Une fois que la tête a franchi le périnée, elle est quelquefois « aspirée », comme
ventousée sur le périnée. Il s'agit d'une rétention de l'épaule antérieure qui est bloquée au
niveau de la symphyse pubienne. Le plus simple est ici d'appuyer au-dessus de la symphyse
pubienne pour dégager cette épaule en essayant simultanément par un mouvement de traction
vers la droite ou vers la gauche d'enrouler le tronc du fœtus pour la débloquer.

Accouchement par le siège


S'il s'agit d'un siège unique repéré par les bruits du cœur ou par une présentation
haute, s'il ne s'agit pas d'une primipare et si le bassin est normal, il faut s'abstenir de tout
geste. La dilatation est spontanée.

Surtout, il ne faut jamais rompre la poche des eaux car elle va permettre une
meilleure dilatation cervicale. Ce n'est qu'à la dilatation complète que l'on peut fissurer la
poche des eaux lors d'une contraction, si elle ne s'était pas spontanément rompue. Les
mouvements expulsifs lors de l'accouchement vont faire descendre le siège soit pieds en
avant, soit fesses en avant. Il ne faut surtout pas tirer, ni même retenir le fœtus. Il faut
laisser l'accouchement se réaliser tout seul.

Quand le tronc apparaît, le dos est toujours tourné vers l'opérateur, vers le haut. Il
faut à ce moment-là, à l'aide des deux mains, l'une sur le ventre l'autre sur le dos, dévisser
le tronc pour faire passer les épaules (Fig. 27.15). On dévisse d'abord le tronc vers la
droite en tirant vers le bas : l'épaule supérieure apparaît. Ensuite, on dévisse vers la
gauche, toujours en tirant vers le bas : les épaules se dégagent facilement.

Pour la tête, il existe plusieurs possibilités : soit ne rien faire si la progression est
spontanée. Sinon, la manœuvre de Mauriceau est la meilleure méthode pour dégager la
tête.

536
537
L'extraction d'un deuxième jumeau en position de siège constitue la grande extraction
du siège (Fig. 27.16).

Épisiotomie
II est toujours plus utile et plus facile de pratiquer une épisiotomie verticale, c'est-à-
dire sectionner avec les ciseaux sur 3 cm entre la fourchette naviculaire et l'anus. Il ne faut
jamais sectionner le sphincter anal mais, si cela survenait, on peut le suturer en plusieurs
plans sans aucun problème.

La suture de l'épisiotomie s'effectue par des points séparés de catgut ou par un surjet
au niveau du vagin, puis par des points séparés sur le muscle releveur avec du fil à résorption
lente, en commençant par le haut, puis en descendant progressivement vers le bas (Fig.
27.17). Ensuite, on effectue un surjet sous-cutané avec un fil à résorption lente et on termine
la réparation par un surjet cutané avec du fil à résorption très rapide. En l'absence de ce
dernier, on peut se contenter du surjet sous-cutané. Il n'y aura donc pas de points à enlever.

Bien entendu, il faut explorer la paroi de la cavité vaginale au doigt, et au moindre


doute avec les écarteurs, et ne pas omettre de vérifier qu'il n'y a pas de déchirure du col. Il
faut savoir que la plupart des hémorragies du post-partum sont dues à des plaies vaginales ou
cervicales, voire à des ruptures utérines très basses que l'on ne peut détecter que par un
examen approfondi par voie basse.

Plaie ano-vulvaire
En cas d'atteinte du sphincter anal, il faut suturer la muqueuse anale avec du fil de
catgut, puis les muscles, en portant une attention toute particulière au sphincter avec du fil à
résorption lente, enfin les fascias avec du fil à résorption lente. Les autres plans d'épisiotomie
sont alors suturés comme décrit ci-dessus.

538
Dystocies africaines

L. BELLIER

Les causes majeures de mortalité materno-fœtale dans les pays en développement - et


singulièrement les pays de l'Afrique francophone - sont les mêmes que celles que l'on
retrouvait il y a cinquante ans dans les pays industrialisés, à savoir : dystocie, hémorragie,
infection, souffrance fœtale et prématurité.

Le risque de mortalité maternelle, de l'ordre de 10 à 25 décès pour 100 000


naissances dans les pays développés, est évalué de 500 à 2 000/100 000 dans les pays en
développement, soit 50 à 100 fois plus. Comme il y a cinquante ans en Europe, on peut
constater dans les pays en développement :

- une grande fréquence des accouchements à domicile, au « quartier », sans


entourage « médicalisé » ;
- la précarité des moyens (de transport, de soins) ;
- l'équipement rudimentaire des structures sanitaires ;
- la formation inégale des matrones et des sages-femmes ;
- la qualification insuffisante des praticiens. Les manœuvres obstétricales sont bien
souvent mal ou tardivement réalisées - sur enfants morts -ce qui peut surprendre voire
déconcerter les jeunes médecins occidentaux amenés à exercer dans ces contrées, d'autant
plus qu'ils sont en général formés dans l'environnement hypersécurisant et sophistiqué des
maternités modernes.

Nous allons maintenant décrire les dystocies africaines telles qu'on les observe
encore actuellement, surtout dans le but de préparer ces jeunes médecins à cette «
obstétrique sans monitoring ».

Définitions - généralités
II y a dystocie lorsqu'une ou plusieurs anomalies viennent perturber l'évolution du
travail, de l'accouchement.

Il existe plusieurs causes de dystocie qui peuvent avoir une importance et une gravité
variable, avec possibilité de retentissement fœtal, et on distingue les dystocies que l'on peut
corriger par des manœuvres obstétricales, autorisant un accouchement par voie basse, et
celles qui constituent un obstacle définitif, imposant une césarienne.

539
Enfin, chez une femme donnée, il faut distinguer la dystocie fortuite, qui caractérise
un seul accouchement, et la dystocie permanente qui imposera une nouvelle césarienne à
chaque naissance.

Il paraît donc utile d'aborder l'étude des dystocies africaines à partir de leurs causes,
des indications thérapeutiques qui en découlent et des résultats des césariennes pratiquées
dans une formation sanitaire donnée. Le nombre de césariennes effectuées reflète l'incidence
des dystocies, et il peut de prime abord apparaître relativement faible (moyenne « habituelle »
de 10 césariennes pour 100 accouchements), si l'on tient compte du fait que ces chiffres
reflètent l'activité d'une structure sanitaire dans laquelle sont transférés les cas difficiles. En
effet, la plupart des accouchements s'effectuent en dehors de toute structure sanitaire. Ces
chiffres sont retrouvés tant dans les postes isolés de brousse que dans les centres urbains.

Cette faible valeur statistique du nombre de césariennes explique pourquoi il est


préférable de se rapporter aux chiffres de mortalité in utero, néo- et périnatale, encore
considérables, même dans les centres de référence, pour constater que le problème de la
dystocie obstétricale revêt en Afrique une importance considérable et une gravité certaine, pas
seulement fœtale mais encore maternelle tant au plan de la morbidité (endométrites, mais
aussi fistules obstétricales, délabrements sphinctériens et périnéaux), que de la mortalité
encore loin d'être nulle.

L'étude rétrospective portant sur 1 000 césariennes pratiquées dans le même centre,
dirigé par l'auteur, permet de se représenter l'étendue actuelle du problème.

Rappel étiologique
On peut schématiquement distinguer trois types de dystocies qui peuvent d'ailleurs se
combiner ou se compliquer réciproquement :

La dystocie mécanique, en relation soit avec une anomalie de la filière génitale,


soit osseuse (bassins malformés, symétriques ou non, étroitesse pelvienne), soit consécutive à
une lésion des parties molles (col, vagin, périnée), soit en relation avec une anomalie fœtale
(présentation vicieuse, excès de volume).

La dystocie dynamique, en relation avec des anomalies de la contraction utérine


ou/et de la dilatation cervicale.

Les dystocies en rapport avec des anomalies des annexes fœtales


(placenta praevia, décollements prématurés de placenta normalement inséré, anomalies
funiculaires - comme les procidences). Ces dernières sont plus volontiers cause de souffrance
fœtale aiguë, mais elles peuvent néanmoins provoquer une dystocie.

540
En fait, une surveillance adaptée de la grossesse et de l'accouchement permet dans la
quasi-totalité des cas de corriger les causes de dystocie, qu'il s'agisse de bassins pathologiques
ou d'excès de volume fœtal (soupçonnables ou détectables avec un suivi soigneux de toute
grossesse), d'anomalies de la dynamique utérine (contractilité utérine, dilatation cervicale)
évaluées au cours du travail ou de la survenue de signes de souffrance fœtale aiguë. Cette
surveillance est essentiellement clinique et demande par chance habituellement peu de
matériel (mètre de couturière, stéthoscope de Pinard, tensiomètre et doigtiers), car
l'échographie, l'amnioscopie, voire la tocographie et l'enregistrement en continu du rythme
cardiaque sont bien souvent irréalisables.

Malheureusement en fait, ce suivi, même élémentaire, est très exceptionnellement


assuré, et la tentative de mise en place de partogrammes traduisant l'observation dynamique
du travail de l'accouchement est demeurée pour l'instant infructueuse.

Aussi avons-nous coutume de considérer toute grossesse africaine non


régulièrement suivie par un praticien expérimenté comme une grossesse à
haut risque.

Contexte de l'étude : « l'obstétrique sans monitoring »

Du 30 octobre 1992 au 29 mars 1995, soit sur une période de 29 mois, 1 000
césariennes ont été effectuées à la maternité de l'hôpital communautaire de Bangui
(République centrafricaine). Cette structure sanitaire, considérée comme la référence du pays,
draine la quasi-totalité des accouchements dystociques dirigés à partir des huit maternités de
quartier disséminées dans la capitale, celles-ci étant sous la responsabilité de sages-femmes et
d'assistantes accoucheuses de formation locale.

L'activité de la maternité de l'hôpital communautaire a été de l'ordre de 350


accouchements mensuels, soit 4 200 accouchements par an ou 10 150 pour l'ensemble de la
période étudiée, la proportion étant donc de 10 césariennes pour 100 accouchements
(en incluant les césariennes itératives).

Il convient de préciser que dans l'immense majorité des cas la grossesse des femmes
que nous avons césarisées n'avait pas été suivie dans le service. Ces femmes étaient le plus
souvent reçues en urgence, généralement en travail parfois très prolongé, avec ou sans dossier
précisant les antécédents, la parité, le profil biologique (groupe, sérologies) et le résumé du
suivi de la grossesse actuelle et du travail en cours, ainsi que des médications prescrites
(ocytocique notamment) ou des manœuvres obstétricales déjà tentées.

Le degré d'épuisement maternel était variable et les signes patents de souffrance


fœtale étaient fréquents, avec liquide méconial et modification des bruits du cœur fœtal.
Quand la poche des eaux était rompue, spontanément, de façon intempestive ou du fait de la
répétition des touchers vaginaux, l'infection ovulaire ascendante était quasi constante. Il faut
noter que très souvent, en l'absence de doigtier, une seule paire de gants est utilisée pendant
tout le travail, depuis l'admission de la patiente jusqu'à l'accouchement et la délivrance !

Les tableaux cliniques étaient eux aussi variables : ici, l'hémorragie prédominait
(placenta praevia) ; là, le plus marquant était le choc (fréquence des ruptures utérines) ;
ailleurs, le principal problème était la dystocie (procidence d'un membre, du cordon, etc.).

541
Toutes ces constatations concordent bien avec ce que nous avons pu observer, le
retard pour effectuer les césariennes. De ces 1 000 césariennes, 230 n'ont pas permis de
sauver l'enfant (soit enfants décédés in utero, parfois en état de macération, soit enfant en
détresse néonatale réfractaire à toute tentative de réanimation, soit grands prématurés n'ayant
survécu que quelques heures ou quelques jours) (Tab. 28.1).

1 000 césariennes/10 150 accouchements, soit 10/100


234 césariennes itératives
236 enfants décédés à l'extraction ou en salle de réveil
129 menaces de rupture utérine ou rupture franche : 81 décès fœtaux

Tableau 28.1 : Répartition et mortalité fœtale des césariennes effectuées entre le 30


octobre 1992 et le 29 mars 1995 à la maternité de l'hôpital communautaire de Bangui
(République centrafricaine)

Résultats
Âge : les âges extrêmes étaient de 14 et de 46 ans.

Parité : de la multiparité à la grande multiparité G 14 P 14 de femmes de 42 ans.

Étiologie (Tab. 28.2)

Dystocies mécaniques
Dystocies liées au fœtus
Certaines présentations (siège, face) sont considérées comme eutociques mais peuvent
devenir parfois facteurs de dystocie. D'autres, véritablement dystociques, interdisent
l'accouchement par voie basse. Tel est le cas des présentations transversales ou de l'épaule,
dites encore épaules négligées : nous en avons recensé 92, avec fréquemment procidence du
bras : le diagnostic en est évident, et le recours à la voie haute impératif, une telle présentation
étant incompatible avec l'accouchement par voie basse (ce n'est qu'exceptionnellement qu'une
version grande extraction peut être tentée sur un second jumeau de petite taille). Nous avons
observé cette dystocie de l'épaule sur second jumeau à 43 reprises, les césariennes s'étant
alors accompagnées d'une forte mortalité fœtale.

Nous avons dénombré 15 présentations du front, 26 présentations de la face, enclavées


ou accompagnées d'une autre cause de dystocie justifiant une césarienne, et 28 présentations
du siège.

Enfin, nous avons observé plusieurs malformations fœtales (4 hydrocéphalies, 1


anencéphalie, 2 spina bifida) et 3 grossesses abdominales ayant nécessité des laparotomies
pour extraire les enfants vivants.

542
Dystocies mécaniques 415

Présentations Epaules 92
Face 26
Front 15
Siège 28

Étroitesses pelviennes Bassins rétrécis 87


Disproportion fœto-pelvienne 156
Bassins asymétriques (poliomyélite) 8

Parties molles Cloison 1


Séquelle d'excision 1
Condylomatose géante 1

Dystocies dynamiques 234


Dilatation cervicale 177
Contraction utérine 57

Dystocies liées aux annexes fœtales 167


Placenta praevia 99
Hématome rétroplacentaire et 8
décollement de placenta
normalement inséré
Procidence du cordon 60

Tableau 28.2 : Répartitions des dystocies

Dystocies liées au bassin


Nous avons dénombré 87 bassins globalement rétrécis, symétriques, 156
disproportions fœto-pelviennes et 8 bassins asymétriques (séquelles de poliomyélites).

Dystocies liées aux parties molles


Elles ont été rares en comparaison, avec un cloisonnement vaginal, une sténose vulvo-
vaginale séquelle d'excision et une condylomatose vulvaire géante (patiente infectée par le
VIH).
Dans l'ensemble de ces dystocies mécaniques, nous avons dû recourir 234 fois à la
césarienne itérative et à 54 césariennes pour menace de rupture utérine, contre 15 césariennes
pour rupture utérine franche.

543
Dystocies dynamiques
Anomalies portant sur la dilatation
Nous avons constaté 177 anomalies de la dilatation, dont des dystocies de démarrage,
des dilatations traînantes ou des stagnations de dilatation, des agglutinations et des œdèmes
du col.
Anomalies portant sur la contraction
Elles ont consisté en 52 inerties et 5 hypertonies utérines.

Dystocies liées aux annexes fœtales


Placenta praevia
Le placenta était recouvrant dans 74 cas et marginal ou latéral dans 25 cas.
La dystocie créée par le placenta praevia est parfois liée à une difficulté de
progression du fœtus et de la dilatation avec anomalies de la contraction utérine
(hypercinésie), mais elle fait surtout courir des risques hémorragiques et de souffrance fœtale.

Autres anomalies placentaires


Des hématomes rétroplacentaires ou des décollements prématurés de placentas
normalement insérés ont été relevés 8 fois.

Procidences du cordon
La chute du cordon au-devant de la présentation est favorisée en cas de présentation
mal appliquée, anormalement haute ou anormalement petite, en cas de rétrécissement du
bassin, en cas de présentation irrégulière de l'épaule ou du siège, et en cas de placenta
prævia : nous l'avons observée 60 fois.

Au total, les dystocies les plus meurtrières (Tab. 28.3) ont été en ordre décroissant :

- les ruptures utérines, puisque parmi les 129 cas de menaces de rupture et de ruptures
franches, on a constaté 81 décès fœtaux et 5 morts maternelles sur table (la mortalité post-
opératoire n'a pas été comptabilisée). En ce qui concerne les ruptures utérines, leur fréquence,
estimée à 1/1 000 accouchements en pays industrialisé, était ici de 12,9/1 000, chiffre assez
voisin de celui observé en 1958 à Saint-Louis du Sénégal 15,7/1 000 ;

- les présentations transversales ou épaules négligées, responsables de 50 décès


fœtaux, dont 19 sur dystocie gémellaire avec second jumeau en position transverse et
procidence du bras ;

- les dystocies liées aux annexes fœtales, avec 46 décès fœtaux par placenta prævia
ou hématome rétroplacentaire et 19 où était intervenue une procidence du cordon ;

- enfin, 36 décès ont été imputés à une souffrance fœtale aiguë in utero (fœtus mort-
nés macérés) ou per partum.

544
Total de 236 enfants décédés au cours de 1 000 césariennes
- 81 après rupture utérine
- 50 après présentation transversale
- 46 après anomalie placentaire
- 36 par souffrance fœtale aiguë
- 19 procidences du cordon
- 4 de cause diverse

Tableau 28.3 : Répartition de la mortalité néonatale après césarienne pour


dystocie

Conclusion
II est bien entendu illusoire de prétendre prévenir les dystocies, qu'elles fussent
mécaniques, dynamiques ou liées aux annexes fœtales, mais on doit s'astreindre en tout
premier lieu à les dépister.

En raison du contexte, une particulière vigilance est de mise et impose de :

- considérer toute grossesse chez la femme africaine comme une grossesse à risque
s'il n'y a pas eu de suivi régulier, en particulier pour les raisons suivantes : trop jeune âge,
répétition des grossesses, grande multiparité, grossesses multiples, infection materno-fœtale ;
- suspecter une rupture utérine et/ou une infection materno-fœtale chez toute patiente
non suivie venant « de brousse » ou même « du quartier », d'autant plus que le travail a été
plus traînant, plus prolongé ;
- bien poser les indications de césariennes pour en limiter le nombre comme on a pu le
constater ces dernières années en Europe et aux États-Unis. Leur réalisation doit être aussi
soigneuse que possible, particulièrement l'hystérorraphie ;
- munir toute femme antérieurement césarisée d'une « pancarte » ou carnet de santé
comportant le groupe sanguin et l'indication de (ou des) intervention(s) antérieure(s). La
surveillance du travail doit être particulièrement minutieuse car il faut au moindre doute
réintervenir afin de prévenir la rupture, si fréquente sur utérus cicatriciels, et si meurtrière ;
- tout faire pour convaincre les femmes enceintes de la nécessité du suivi périodique
de leur grossesse : information (centre de PMI, émissions radiodiffusées, télévisées),
multiplication des centres de soins de santé primaire et incitation à les fréquenter,
multiplication des séances d'éducation et des programmes de dépistage des grossesses à haut
risque, formation périodique du personnel soignant, amélioration de la surveillance des
femmes enceintes (partogrammes).

Dans le contexte de la pandémie actuelle du sida, l'importance qu'a prise la


médiatisation des campagnes de prévention, dépistage et traitement des maladies
sexuellement transmissibles, la multiplication des centres de conseil, le développement de la
surveillance pré- et post-natale (allaitement, contraception), entraînera, on peut l'espérer, une
amélioration du niveau de santé publique, et de l'obstétrique en particulier.

545
Traumatismes thoraciques

A. DELAYE, C. MALMEJAC

Chez le polytraumatisé, les traumatismes fermés du thorax représentent la deuxième


cause de mortalité après les atteintes cranio-cérébrales. En dehors des lésions rapidement
mortelles (ruptures vasculaires ou cardiaques), les traumatismes thoraciques tirent toute leur
gravité des déséquilibres cardio-respiratoires qu ils provoquent, faisant courir des risques
importants d'anoxie tissulaire immédiate ou précoce. Le pronostic dépend de la précocité des
soins. Des gestes initiaux de réanimation précis et simples suffisent dans 85 % des cas à
éviter une bascule vers l'irréversible. La thoracotomie n est indiquée que dans 15 % des cas.

Lésions

Mécanismes
Le traumatisme thoracique grave est toujours violent : écrasement appuyé, heurt à
grande vitesse. Comme pour tout traumatisme fermé, les lésions sont consécutives à des
transferts d'énergie brutaux responsables d'un effet de cavitation. L'importance de l'énergie
nécessaire à ces grands traumatismes explique la fréquence des lésions multiples. Toutes ces
associations compliquent les tableaux cliniques et la démarche thérapeutique.

546
Types de lésions (Fig.29.1)
Le type de lésions dépend beaucoup de l'âge.
Chez le sujet jeune à thorax souple, le traumatisme provoque des fractures qui restent
habituellement rares, et les dégâts endothoraciques prédominent ; chez le sujet plus âgé,
les lésions pariétales sont plus importantes et absorbent davantage d'énergie cinétique.

Fractures costales et volet costal


Les fractures costales, souvent multiples, en biseau ou avec esquilles multiples,
peuvent léser les grands muscles pariétaux, les intercostaux et la plèvre, voire le
parenchyme pulmonaire. Elles provoquent habituellement un hémothorax qui peut
survenir à la suite de lésions même minimes. Du fait des déchirures périostées, les
fractures sont toujours très douloureuses et limitent ventilation, toux et expectoration.

Le volet costal est un fragment de la paroi thoracique qui s'est désolidarisé


anatomiquement et fonctionnellement du reste de la paroi ; il est bordé par une ou
plusieurs lignes de fractures ; une seule ligne peut suffire si elle s'accompagne de
disjonctions et/ou d'entorses articulaires. Son incidence a diminué en France depuis
l'obligation du port de la ceinture de sécurité, mais il reste relativement fréquent,
accompagnant 20 à 40 % des traumatismes thoraciques.

547
Le volet est classiquement animé d'une respiration paradoxale, c'est-à-dire en
opposition de phase : impaction inspiratoire (avec diminution des pressions négatives
intrathoraciques), refoulement expiratoire ; mais il peut être flottant, animé de
mouvements anarchiques, engrené si la respiration est très superficielle (avec risque de
mobilisation secondaire quand l'encombrement, augmentant les résistances bronchiques,
va nécessiter un surcroît d'énergie ventilatoire), ou embarré en une thoracoplastie
immédiate ou progressive, vite irréductible. Le mouvement asynchrone du volet a
longtemps été considéré comme facteur principal de l'insuffisance respiratoire des
traumatismes thoraciques (théorie de l'air pendulaire). En fait, maintenant, on attribue
surtout le trouble de l'hématose à un épanchement, un encombrement bronchique, une
hypoventilation alvéolaire due à la douleur provoquée par les mouvements respiratoires qui
deviennent donc moins amples et/ou une contusion pulmonaire. Il n'en reste pas moins vrai
qu'un volet mobile peut nettement aggraver une hypoventilation alvéolaire et qu'il fait perdre
son appui costal à tout effort de toux.

La consolidation spontanée du volet se fait souvent en position vicieuse, avec


impaction, rétraction du thorax par pincement des espaces intercostaux, synostoses, blocage
partiel du diaphragme ; le syndrome restrictif qui en découle peut être important. Ces
déformations sont précoces, commencent à se fixer dès J5-J7 et, si une synthèse est décidée,
c'est avant ce délai qu'il faut la pratiquer.

Le comportement des volets costaux dépend en partie de leur localisation (Fig. 29.2).

Les volets postérieurs résultent soit d'une seule rangée de fracture siégeant sur la ligne
axillaire postérieure, soit de deux lignes fracturaires, l'une située à l'angle costal postérieur,
l'autre au niveau de l'arc moyen (Fig. 29.2a) ; ils sont peu mobiles, fixés par des masses
musculaires épaisses et la ceinture scapulaire, si elle est intacte. Rapidement, la douleur
devient moins intense et la toux possible. Ces volets peuvent cependant évoluer vers une
thoracoplastie très vite irréductible (Fig. 29.3).

Les volets axillaires, les plus fréquents (Fig. 29.2b), sont volontiers très mobiles ; ce
sont aussi les plus accessibles à une synthèse simple et immédiatement efficace sur la
cohésion pariétale et la douleur.

Les volets antérieurs (Fig. 29.2c) sont les plus complexes et les plus sollicités par les
mouvements respiratoires et la toux. Ils isolent soit un double plastron costal et sternal, soit
un plastron sternocostal articulé sur la jonction chondro-costale opposée ou une autre ligne de
fracture. Il peut s'y associer une fracture transversale du sternum et/ou une fracture
claviculaire (parfois bilatérale) entraînant une détresse cardio-respiratoire par « thorax en
entonnoir traumatique » mobile. La synthèse costale par broches y est délicate (appuis
instables sur des cartilages friables, risque ultérieur de chondrite chronique), et la synthèse
sternale, plus solide, ne résout pas toujours le problème costal ; la traction au zénith par étrier
trouve ici sa meilleure indication. Une fracture biclaviculaire doit être traitée par
ostéosynthèse. Enfin, devant toute lésion pariétale antérieure, il faut suspecter une lésion
cardio-péricardique sous-jacente. Les fractures du défilé thoracique ou une fracture
concomitante de la ceinture scapulaire doivent, elles, faire suspecter une lésion des gros
vaisseaux supra-aortiques ou de l'axe aérodigestif.

548
Le « thorax mou », par volet constitué de multiples esquilles, détruit toute
homogénéité pariétale ; sa gravité respiratoire immédiate impose une assistance
ventilatoire. Le bilan initial des lésions osseuses peut se révéler complexe.

Parfois, on retrouve le volet à la seule inspection (s'il est mobilisé, en cas d'effort
respiratoire, d'agitation, de toux, etc.), mais aussi à la palpation douce, par une seule main
posée à plat qui peut ressentir un crépitement osseux, une respiration paradoxale ou un impact
engrené ; les limites exactes de la lésion restent cependant indécises. Quand le volet est peu
ou pas mobile, il peut être masqué par les hématomes pariétaux et un emphysème sous-
cutané.

Au début, en fait, le volet est le plus souvent fixé par la contracture musculaire
antalgique et ce n'est que secondairement que peut apparaître la respiration paradoxale, sous
l'effet d'un traitement antalgique et/ou parce que l'hypoxie consécutive à une contusion
parenchymateuse sous-jacente est à l'origine d'une polypnée.

En urgence, les clichés thoraciques « standard » sont habituellement peu utiles car de
qualité médiocre : seuls les arcs postérieurs sont bien visibles, parfois en partie masqués par
les images pleuro-parenchymateuses : le plastron sternocostal est invisible de face ; de profil,
seul le sternum est nettement visualisé. Un cliché « dur » peut améliorer la qualité mais, en
pratique, il n'est pas indispensable de multiplier incidences et pénétrations pour tenter d'en
savoir plus : les renseignements fournis restent toujours incomplets.

Lésions musculo-aponévrotiques
Les lésions musculo-aponévrotiques et pleurales sont très fréquentes dans les
traumatism.es thoraciques : les muscles intercostaux sont dilacérés et désinserrés ; les
pédicules déchirés saignent dans la plèvre ; les grands muscles (dorsal, pectoral, dentelé) sont
le siège d'hématomes, de contusions, de suffusions, de lacérations. La plèvre pariétale,
déchirée par les biseaux costaux, peut aussi être décollée par un hématome sous-pleural.

En cas d'effraction pleuro-parenchymateuse, la surinfection des parties molles est


habituelle dès J5. Ces lésions majorent la douleur, le dysfonctionnement pariétal et
compliquent nettement les suites.

Parésie, paralysie et ruptures diaphragmatiques


La paralysie diaphragmatique, presque habituelle en cas de traumatisme
thoracique, est le plus souvent due à une « sidération » en relation avec un épanchement ; elle
est régressive mais c'est un facteur immédiat d'hypoventilation, et elle provoque très
fréquemment une atélectasie lobaire inférieure. Exceptionnellement, elle résulte d'une
attrition phrénique ou d'une élongation en relation avec un traumatisme cervico-sus-
claviculaire, ou d'une déchirure péricardique longitudinale.

Les ruptures diaphragmatiques sont plus fréquentes à gauche, mais aussi plus
souvent diagnostiquées qu'à droite où elles sont moins parlantes.

549
À droite, la rupture n'est symptomatique que si elle s'accompagne d'une hernie aiguë
du foie, de lésions de la veine cave inférieure ou des veines sus-hépatiques.

À gauche, l'évolution spontanée se fait vers le passage intrathoracique de viscères


abdominaux (rate, grosse tubérosité ou portion d'estomac angle gauche du côlon, épiploon).

Trois modalités évolutives sont en fait possibles :

- dilatation des viscères creux avec insuffisance respiratoire aiguë (déviation et


compression médiastinale) ;
- étranglement viscéral sur un collet étroit et sthénique ;
- tolérance fonctionnelle et révélation tardive sur le suivi radiologique.

Traumatismes parenchymateux
Le parenchyme pulmonaire peut être le siège de lésions diverses à type d'effractions
corticales et de lésions plus ou moins étendues de contusion ; ce sont les causes directes les
plus fréquentes de morbidité et de mortalité.

Les embrochages corticaux sur les biseaux costaux ou les déchirures pleurales sur
brides avec effraction de la plèvre viscérale sont les plus fréquents. Ces lésions sont le plus
souvent superficielles et se traduisent habituellement par un hémopneumothorax. Isolées,
elles cicatrisent en quelques jours sous simple drainage aspiratif, à condition que rien
n'empêche une réexpension satisfaisante.

Le concept de contusion pulmonaire est mieux connu depuis ces vingt dernières
années tant au plan anatomopathologique que physiopathologique ; les lésions résultent d'un
traumatisme direct du gril costal sur le parenchyme pulmonaire. La gravité de la contusion
dépend de l'intensité et de l'étendue des lésions parenchymateuses qui peuvent déterminer une
insuffisance respiratoire irréversible. Seules les formes graves sont réellement connues et ont
fait l'objet de publications ; les formes mineures, peu étendues, sont sans doute fréquentes,
mais elles sont paucisymptomatiques et passent souvent au second plan dans le tableau
général.

Grossièrement, la lésion réalise une « inondation » alvéolaire, conséquence d'un


œdème et d'une suffusion hémorragique qui s'installent en quelques heures, avec trouble
immédiat des échanges alvéole-capillaires ; ces modifications atteignent également les
capillaires, obstrués par des microthromboses, et le tissu interstitiel. L'ensemble est évolutif :
réaction inflammatoire, puis prolifération fibroblastique conduisant à une fibrose interstitielle
secondaire.

Macroscopiquement, en phase aiguë, le parenchyme est œdémateux, congestif,


hépatisé. Le traumatisme causal est violent : la contusion s'accompagne presque toujours de
fractures costales plus ou moins nombreuses et d'un volet dans 25 % des cas.

Au plan fonctionnel, la diminution de la compliance parenchymateuse, avec baisse du


volume résiduel (VR), et l'augmentation du volume de fermeture font apparaître des
atélectasies multiples ; l'hypoventilation alvéolaire et le déséquilibre du rapport
ventilation/perfusion, avec shunt droit-gauche, se traduisent par une hypoxémie, autrefois dite

550
« réfractaire ». Les transfusions abondantes et la surcharge hydrique sont des facteurs
nettement aggravant.

Les mécanismes de défense des voies aériennes sont rapidement effondrés et la


colonisation bactérienne est précoce, en particulier à germes à Gram négatif ; le traitement
repose ici essentiellement sur l'antibiothérapie et les aspirations trachéo-bronchiques répétées.

Ce type de lésion, avec de telles conséquences physiopathologiques, entre dans le


cadre plus général des syndromes de détresse respiratoire aiguë de l'adulte (SDRA). Dans les
formes graves, seule la ventilation avec PEP (pression expiratoire positive) est efficace ; elle
vise à améliorer l'hématose en favorisant l'ouverture d'unités pulmonaires perfusées mais non
ventilées ; mais elle se heurte à l'effet toxique de l'oxygène sur le parenchyme lésé.

Le tableau initial est le plus souvent préoccupant, associant tous les signes de gravité
d'un traumatisme thoracique important. La première radiographie a peu de valeur pour
apprécier l'importance des lésions parenchymateuses. Le diagnostic repose en fait à ce stade
sur la clinique : hémoptysie, décompensation immédiate ou rapide d'un volet, hypoxémie
devant faire très rapidement recourir à une ventilation assistée. Les signes radiologiques
apparaissent secondairement ; ils sont parfois découverts à l'occasion d'un cliché de
surveillance d'un drainage : opacités alvéolaires inhomogènes et multiples, non systématisées,
réalisant au maximum le « poumon blanc ». L'hypoxie, mesurée par la gazométrie, reflète
mieux que la radiologie la gravité et l'étendue de l'atteinte parenchymateuse.

Dans les formes étendues, l'évolution est grave : en contexte équipé, le décès survient
une à deux fois sur quatre par défaillance respiratoire non corrigeable par la ventilation
mécanique. Passé le cap initial, elle peut se faire vers la « guérison », mais au prix d'une
fibrose pulmonaire parfois invalidante. D'autres complications peuvent survenir : constitution
d'un hématome de cicatrisation lente, surinfection avec abcédation, pneumatocèle, etc. La
responsabilité de ces lésions de contusion est aujourd'hui soulignée dans la genèse des
insuffisances respiratoires post-traumatiques immédiates et dans la mobilisation secondaire
d'un volet jusque-là engrené.

Le diagnostic différentiel est la pneumopathie par inhalation, l'embolie graisseuse


(mais dans tous ces cas les besoins de ventilation assistée sont analogues), l'œdème
pulmonaire par surcharge volémique et des foyers atélectasiques par obstruction bronchique
(caillots, sécrétions), de traitement plus « accessible » (kinésithérapie, endoscopie).

Conséquences des lésions pariétales et viscérales


La physiopathologie des traumatismes thoraciques est relativement complexe, faite de
cercles vicieux et d'enchaînements pathologiques difficiles à résumer simplement.

On peut cependant considérer que les épanchements, toujours plus ou moins


compressifs et restreignant les volumes pulmonaires d'échange, l'encombrement
trachéobronchique et la douleur sont, avec la spoliation sanguine, les conséquences initiales et
immédiatement accessibles à un traitement. Elles dessinent la symptomatologie de début et
déterminent les premiers gestes de réanimation. L'évolution dépend ensuite de l'efficacité de
ces gestes et de l'existence ou non d'une lésion viscérale grave.

551
Épanchements aériques
Le pneumothorax, retrouvé dans 40 % des cas et où il domine parfois le tableau,
résulte le plus souvent d'une déchirure corticale du parenchyme (biseau costal, bride) et
exceptionnellement d'une rupture de l'axe aérodigestif des voies aériennes.

L'effet compressif dépend du débit de la fuite aérique : minime et transitoire ou


volumineuse et permanente. Il peut exister un effet de soupape responsable d'un
pneumothorax suffocant avec détresse respiratoire et collapsus vasculaire avec dilatation des
jugulaires et chute du débit cardiaque. On retrouve un hémithorax dilaté, tympanique et
silencieux, et un déplacement médiastinal clinique (trachée, pointe du cœur) et radiologique.

Le diagnostic de pneumothorax n'est pas toujours facile en cas de tachypnée qui ne


ventile que l'espace mort ou presque, quand les signes sont masqués par un emphysème sous-
cutané (auscultation gênée par un matelas aérique crépitant, radiographies « marbrées » avec
dissociation des fibres pectorales) ou quand il est bilatéral, supprimant l'asymétrie
auscultatoire...

Le pneumothorax peut être le facteur le plus immédiatement menaçant, mais c'est


aussi le plus rapidement contrôlable par le drainage aspiratif qui doit obligatoirement
précéder toute intubation et toute ventilation artificielle.

L'hémopneumothorax est sans doute plus fréquent que le pneumothorax isolé, d'autant
plus que l'épanchement aérique interdit la réexpension pulmonaire et son effet hémostatique.

Le pneumomédiastin dissèque les espaces celluleux sous-pleuraux et médiastinaux


pour fuser au cou et au visage essentiellement. Il résulte le plus souvent d'une déchirure située
sur l'axe aérodigestif ; il est ici exceptionnel.

L'air peut fuser à travers une déchirure des espaces intercostaux et des plans
musculaires, et faire apparaître un emphysème sous-cutané par dissection gazeuse des espaces
celluleux. L'emphysème est parfois très impressionnant par son volume et son extension, mais
il est sans gravité propre et ne reflète pas toujours fidèlement l'importance des lésions
causales. S'il persiste ou s'aggrave, il faut cependant évoquer un contrôle insuffisant de la
fuite responsable. Une fois la fuite aérique contrôlée, il est long à se résorber...

Épanchements sanguins
L'hémothorax, conséquence des délabrements pariétaux, des lésions des vaisseaux
intercostaux ou mammaires internes, d'embrochages ou de déchirures pulmonaires, plus
rarement de lésions des gros vaisseaux, y compris des vaisseaux hilaires, est pratiquement
constant dans les traumatismes thoraciques ; il est responsable de la symptomatologie initiale
dans 30 % des cas.

Pour l'apprécier radiologiquement, il faut effectuer un cliché du thorax en position à


demi assise ; s'il est important, il opacifie tout l'hémithorax et masque toutes les structures ;
s'il est relativement minime, il se manifeste par un niveau hydroaérique ; sur des clichés pris
en décubitus, il donnerait des images pommelées faisant évoquer une contusion pulmonaire.
L'hémothorax s'accompagne d'une spoliation sanguine souvent importante : chez l'adulte, un
niveau situé à 6 cm au-dessus de la coupole diaphragmatique correspond à un épanchement
de 1 à 1,5 1, et un hémithorax entièrement opaque à 2,5 à 3 1 de sang. Il provoque également
une compression parenchymateuse et médiastinale, avec des conséquences respiratoires

552
(exclusion d'une partie de poumon qui devient atélectasique) et hémodynamiques (qui
majorent l'hypoxémie hypovolémique).

L'évacuation complète de l'hémothorax par ponction est souvent difficile, et sa


tendance au caillotage complique le drainage pleural, geste qui reste cependant le meilleur
moyen initial d'assurer l'hémostase. S'il est rapidement évacué, il peut être rapidement
défibriné et transfusé si le recueil était aseptique. La quantité initialement drainée et le débit
ultérieur du drain sont deux facteurs importants de la décision chirurgicale.

L'évolution spontanée d'un hémothorax « isolé » n'est jamais simple car une réaction
inflammatoire précoce transforme le tableau en pleurésie hémorragique : poches pleurales
exclues, surinfection, récidives entretenues par une fibrinolyse locale sont alors habituelles. Si
le drainage s'avère insuffisant, la prévention de ces complications fait appel à une toilette
pleurale précoce, à ciel ouvert ou par thoracoscopie ; cette dernière démarche,
malheureusement pas toujours réalisable en situation précaire, a l'avantage de permettre un
bilan lésionnel, de pouvoir coaguler une lésion pariétale qui saigne et de décider ou non d'une
thoracotomie.

L'hémomédiastin peut être soit une suffusion hématique médiastinale diffuse soit, plus
souvent, un hématome localisé qui peut limiter pour un laps de temps variable une
hémorragie d'un gros vaisseau. S'il est compressif, il donne le tableau de « collapsus bleu »
avec dyspnée aiguë, hyperpression veineuse du territoire cave supérieur et dysphagie ; il est
ici exceptionnel. Il n'est pas toujours simple à apprécier radiologiquement (clichés excentrés,
décubitus dorsal, etc.) et son diagnostic est peut-être plus souvent posé par excès que par
défaut.

Encombrement broncho-pulmonaire
L'encombrement broncho-pulmonaire après traumatisme thoracique peut être précoce
(décompensation rapide d'une pathologie antérieure, saignement intrabronchique, inhalation
de liquide gastrique) ou plus souvent retardé (hypersécrétion, stase, surinfection).

Il est dû à plusieurs facteurs qui se cumulent : douleur empêchant la toux,


épanchements atélectasiants, parésie diaphragmatique et lésions broncho-pulmonaires. Tout
cela concourt à la séquestration périphérique des sécrétions et des caillots sanguins, puis à
l'installation de foyers confluents d'atélectasie (Fig. 29.3).

L'hypercapnie, due à une diminution des surfaces d'échange alvéolaire, provoque une
hypersécrétion bronchique (cercle vicieux encombrement-hyper-capnie) qui, à son tour,
augmente l'encombrement et les résistances ventilatoire. Cela peut provoquer une
augmentation des pressions ventilatoires et une respiration paradoxale par mobilisation d'un
volet costal jusque-là engrené. L'hypercapnie est en elle-même source d'agitation, avec
perturbation de la ventilation et épuisement. Enfin, chez le sujet ventilé, les fortes pressions
d'insufflation peuvent faire passer de l'air dans l'estomac, avec risque de compression
diaphragmatique. Enfin, dès J3-J4, il peut y avoir une surinfection broncho-pulmonaire, avec
épaississement des sécrétions, apparition de foyers de broncho-alvéolite, gêne à la diffusion
des gaz au niveau alvéolaire, surinfection pleuro-pariétale secondaire et retentissement sur
l'état général.

553
Figure 29.3 : Traumatismes thoraciques fermés : genèse de l'insuffisance
respiratoire ; l'hypoventilation initiale peut être rapidement aggravée par un encombrement
broncho-alvéolaire entraînant une hypercapnie, elle-même facteur d'hypersécrétion
bronchique.

L'encombrement peut être évident (respiration bruyante, gros râles humides, audibles
et perceptibles à travers la paroi) ou discret bien que patent (sujet épuisé à ventilation
superficielle, bouchons mucosanglants adhérant et obstruant complètement, bronches
segmentaires ou lobaires avec alors silence respiratoire).

Rôle de la douleur
La douleur post-traumatisme thoracique joue toujours un rôle important dans la
pathogénie des complications et de la décompensation respiratoire.

Majorée par la mobilisation de la paroi thoracique, la douleur limite l'amplitude des


mouvements respiratoires avec une ventilation superficielle, une chute du volume courant et
une diminution de la ventilation alvéolaire. Elle limite la toux et l'expectoration, voire les
supprime, ce qui majore l'encombrement. Elle bloque le thorax en rétraction et fixe les
déformations costo-pariétales qui deviennent rapidement irréversibles. Enfin, elle est le
principal obstacle à une kinésithérapie efficace.

Ainsi donc, la douleur qui a longtemps été négligée, est un facteur d'aggravation
incontestable, et elle doit être traitée vigoureusement.

Conséquence sur l'hématose


Sur le plan strictement respiratoire, les traumatismes thoraciques graves isolés ou avec
atteinte parenchymateuse (pathologie antérieure, encombrement négligé ou blessé vu tard,
contusion pulmonaire plus ou moins étendue) évoluent classiquement en deux temps
successifs : phase de lutte et phase de décompensation.

Le premier temps peut être bref : c'est une phase d'hyperventilation avec hypoxémie et
alcalose respiratoire : SaO2 < 92%, discrète élévation du pH autour de 7,48, PaCO2 autour de

554
35 mmHg, HCO3- autour de 22 mEq/1. Ce profil gazométrique initial est aussi celui de la
contusion pulmonaire au tout début, mais l'oxygénothérapie seule est ici inefficace.
L'évolution spontanée se fait vers l'épuisement, en raison du surcroît de travail induit
par l'hypoxie et de la majoration progressive de la dette en oxygène. L'encombrement
broncho-pulmonaire puis la surinfection hâtent l'aggravation.

Au cours de la phase de décompensation, l'hypoventilation alvéolaire est étendue


(cause mécanique et/ou lésionnelle) ; elle est plus ou moins précoce, parfois manifeste dès
réception du blessé. L'hypoxie s'accentue et une acidose respiratoire apparaît : SaO 2 nettement
inférieure à 90 %, baisse du pH, élévation nette de la PaCO2 autour de 60 mmHg, élévation
modérée des bicarbonates. L'hypercapnie provoque agitation, sueurs abondantes,
hypertension artérielle ou une tension subnormale faussement rassurante et pouvant masquer
une hypovolémie. Ici, l'oxygénothérapie ne peut que compenser en partie l'hypoxie, mais elle
reste sans effet sur la rétention de CO2.

Ces tableaux purement respiratoires sont en fait schématiques : un choc


hypovolémique concomitant peut entraîner d'emblée une acidose métabolique, un rein de
choc peut modifier l'hydratation, des atteintes viscérales antérieures, la bilatéralité des lésions,
des associations lésionnelles extrathoraciques auront autant d'effets compliquant
l'appréciation de la situation.

Traumatismes fermés : traitement des aspects habituels


Réanimation immédiate
Les traumatisés du thorax doivent être installés en position semi-assise car ils tolèrent
mal le décubitus, d'autant plus que l'atteinte respiratoire est plus grave et/ou que la
compression médiastinale est plus importante.

Les gestes initiaux doivent être à la fois thérapeutiques (réanimation initiale) et


diagnostiques (évaluation de la gravité ainsi que de l'évolution immédiate et dans les
premières heures). Les deux premiers objectifs visent à rétablir une oxygénation satisfaisante,
par corrections de la volémie et du désordre respiratoire (liberté des voies aériennes,
évacuation des épanchements).

1. Le rétablissement de la volémie, après groupage immédiat, nécessite une voie


veineuse à grand débit. En cas de collapsus, la dénudation de la saphène interne à la malléole,
volontiers prônée dans les pays anglo-saxons, peut être le geste le plus rapide et le moins
iatrogène. On peut également poser une voie fémorale.

L'appréciation de la spoliation sanguine et sa correction doivent être aussi strictes que


possible afin d'éviter une surcharge, l'aggravation d'un œdème par contusion et une
inondation broncho-alvéolaire. Pour cela, il est souvent très utile de poser dès que possible un
cathéter veineux central qui permettra de mesurer la PVC et ainsi guider le débit de
transfusion. On se base ici également sur le volume du drainage, la réponse clinique et la
diurèse horaire.

Une acidose installée doit faire perfuser rapidement du sérum bicarbonaté, d'autant
plus que la réouverture vasculaire s'accompagne immédiatement d'une mise en circulation des
ions H+ stockés en « périphérie ».

555
2. Il faut impérativement maintenir la liberté des voies aériennes pour contrôler
l'hématose et assurer une oxygénothérapie efficace (8-12 1/min avec humidification si l'on
dispose de ventilateurs).
L'aspiration bucco-pharyngée, puis naso-trachéale, et éventuellement sous
laryngoscopie directe, peuvent suffire. Il faut parfois intuber d'emblée, toujours après
aspiration et oxygénation généreuse (risque d'arrêt cardiaque si hypoxie profonde et
hypercapnie), et toujours après avoir drainé un éventuel épanchement compressif. Une
hémoptysie importante peut imposer une intubation sélective pour protéger le poumon sain et
le désencombrer correctement, mais ce geste nécessite du matériel très particulier et une
expérience poussée, facteurs rarement réunis dans des conditions précaires d'exercice.
La trachéotomie immédiate n'est indiquée que si l'intubation est impossible : fracas maxillo-
facial ou laryngé, brûlures hautes, etc.

3. Le drainage d'un épanchement peut être l'urgence prioritaire en cas de « thorax en


compression ». La ponction évacuatrice, à l'aiguille ou au trocart, n'est que palliative mais elle
permet de temporiser. La surveillance du volume de drainage, avec établissement d'une
courbe horaire, sont indispensables pour pouvoir apprécier l'évolution. Il faut compenser
volume pour volume le sang récupéré par les drains et il peut être prudent de récupérer ce
sang sur citrate ; tous ces gestes doivent être parfaitement aseptiques.

4. La pose d'une sonde gastrique doit être un geste de routine pour prévenir ou traiter
une dilatation digestive réflexe très habituelle et diagnostiquer éventuellement une
éviscération diaphragmatique. Une sonde urinaire permet de contrôler simplement la fonction
rénale.

Traitement de la douleur
II faut prendre en charge la douleur dès l'orage initial contrôlé. La contention pariétale
par sparadrap élastique ou par bourdonnet doit être évitée : non seulement elle n'a que des
effets antalgiques mineurs mais elle diminue l'amplitude des mouvements respiratoires en
fixant le thorax. Au total, on obtient l'inverse de l'effet recherché.

Les antalgiques mineurs sont souvent insuffisants pour autoriser une ventilation ample. Les
opiacés par voie générale ont plusieurs inconvénients : ils dépriment la toux, sont émétisants
et font courir le risque de dépression respiratoire. Ils peuvent cependant être utilisés dans les
conditions idéales, c'est-à-dire chez un patient intubé et ventilé artificiellement, car les
aspirations trachéales sont possibles et les voies aériennes sont protégées par le ballonnet de
la sonde d'intubation.

L'anesthésie locorégionale par blocage des nerfs intercostaux est efficace mais
astreignante, car l'effet analgésique est relativement bref, obligeant à répéter les injections.
Pour pallier cet inconvénient, on peut poser d'emblée dans l'espace intercostal un cathéter
court, comme un cathéter épidural, ce qui autorise des réinjections. Elle reste cependant bien
souvent la meilleure solution, pratiquement toujours réalisable. L'analgésie qu'elle procure est
excellente, ce qui permet une ventilation efficace et la mise en œuvre d'une prévention vraie
des complications immédiates et des séquelles ; sous analgésie, on peut débuter très
précocement les massages de la paroi, la mobilisation scapulaire, les mouvements
respiratoires amples, le travail abdomino-diaphragmatique et le drainage bronchique. Cette
technique a cependant l'inconvénient de faire courir des risques de surdosage en
anesthésiques locaux, ce qui en limite l'intérêt dans les traumatismes thoraciques étendus.

556
L'injection est effectuée au niveau de l'angle costal postérieur, soit à 4 ou 5 cm en
dehors de la ligne des épineuses (et non dans le foyer fracturaire puisqu'il s'agit de réaliser un
blocage métamérique) : à ce niveau, le nerf qui se ramifie en ses branches perforantes
antérieure et postérieure tend à se localiser en avant du bord inférieur de la côte supérieure. Il
faut donc piquer au bord inférieur de la côte supérieure de l'espace jusqu'au contact osseux.
On retire ensuite l'aiguille d'un demi-centimètre, puis on la réenfonce d'une même longueur et
légèrement plus vers le bas de manière à passer juste sous le rebord costal (et en aucun cas à
plus de 2 mm sous le rebord). On aspire alors avec la seringue et, s'il n'y a pas de reflux de
sang, on peut pratiquer l'injection (Fig. 29.4). Avec cette technique, le risque de
pneumothorax est minime (mais il existe et il faut assurer une surveillance respiratoire après
tout bloc intercostal). Le geste n'est cependant pas toujours facile chez un sujet obèse ou en
cas d'emphysème sous-cutané important.

La lidocaïne, à raison de 3 ml par espace, procure une analgésie plus brève que la
buvipacaïne dont l'effet se prolonge de 6 à 8 h. La posologie de la buvipacaïne est de 2
mg/kg, soit une dose totale par injection de 24 à 30 ml d'une solution à 0,5 % (150 mg
environ pour 70 kg). À défaut de buvipacaïne, l'effet de la lidocaïne peut être renforcé et
prolongé par l'infiltration, dans le même temps, de 3 ml par espace d'alcool à 60° ; cette
injection d'alcool ne doit pas être répétée.

L'effet ne sera net que si l'on bloque au moins trois pédicules contigus. Il ne faut pas
réaliser de bloc en dessous du 7e espace, car il y a risque de paralysie des muscles
abdominaux.

557
Les injections sont surtout nécessaires au début pour faciliter la ventilation, puis
ensuite pour préparer le patient aux séances de kinésithérapie et d'expectoration qui
mobilisent toujours douloureusement les foyers fracturaires. Il faudra les répéter en fonction
des besoins pendant les 5 à 7 j qui suivent l'accident, terme au bout duquel les foyers
commencent à se fixer et à devenir moins douloureux...

D'autres techniques procurent une analgésie continue et de meilleure qualité : voie


péridurale thoracique, voie intrapleurale directe ; elles ne sont pas sans inconvénients
(nausées et vomissements, céphalées, somnolence, rétention vésicale, troubles respiratoires
possibles, diffusion dans la grande circulation) et exigent sans doute un contexte de
réanimation plus riche que celui dont on dispose habituellement...

L'ostéosynthèse enfin, si elle est indiquée, immobilise les foyers, ce qui atténue
rapidement la douleur et peut permettre une mobilisation effective et le lever dès la 48e h.

C'est un des meilleurs arguments en sa faveur.

Traitement de l'encombrement
Le traitement de l'encombrement doit être une préoccupation immédiate et
permanente chez tout traumatisé du thorax ; il implique la participation effective du patient et
celle, conjointe et attentive, de l'équipe soignante. Il faut multiplier les séances déclives, les
aides à l'expectoration, sans toutefois saturer ni fatiguer le patient. Le pronostic dépend
beaucoup de cette seule astreinte.
- L'aspiration trachéale par voie nasale, chez le sujet conscient, plus que d'assurer une
véritable aspiration endoluminale déclenche en fait un réflexe de toux. Pénible et
douloureuse, elle n'est pas toujours vraiment efficace et demande une bonne dose de patience
de la part de l'opérateur.

- L'aspiration bronchique peut être faite selon trois modalités :

• par une sonde d'intubation temporaire : elle se fait à l'aveugle, mais on peut la faire
précéder d'un décubitus latéral déclive qui peut en améliorer le rendement ;
• par un bronchoscope rigide : elle est efficace sur les grosses bronches et parfois
seule indiquée quand les sécrétions sont épaisses, quand il existe mucus et/ou sang séché ;
• par un fibroscope qui permet de laver plus précisément les orifices plus distaux.

C'est par le bronchoscope rigide que l'on peut le plus facilement extraire à la pince les
véritables corps étrangers que sont les caillots sèches ou le mucus concrète ; la fibroscopie,
bien supportée et de mise en œuvre moins lourde, peut être plus facilement répétée ; si
nécessaire, elle peut se faire à travers une sonde d'intubation.

Ces manœuvres ne doivent pas aggraver la dette en oxygène et le geste doit être
encadré par une oxygénation large et se faire si possible sous anesthésie locale. L'analgésie
pariétale préalable rend plus tolérables ces aspirations souvent douloureuses.

- La trachéotomie de seconde intention facilite les aspirations itératives, soit par une
simple sonde, soit sous fibroscopie. Chez un sujet asthénique, expectorant peu et supportant
mal la douleur, elle peut éviter la décompensation par inondation bronchique et le recours à
une assistance ventilatoire. Elle reste, dans ce contexte précis, un traitement de

558
l'encombrement non maîtrisé. Enfin, ses inconvénients sont moindres lorsqu'elle est utilisée
seule (sténoses orificielles moins fréquentes et de traitement plus simple) que lorsqu'elle
s'associe à une ventilation mécanique prolongée.

Le contrôle médicamenteux des sécrétions est décevant, voire dangereux.

L'atropine, autrefois conseillée pour diminuer les sécrétions bronchiques, a des effets
non maîtrisables et peut dépasser les objectifs visés en créant de véritables concrétions
bronchiques obstructives, très difficiles à traiter, même sous bronchoscopie. Cet agent doit
être abandonné dans cette indication.

Les fluidifiants sont d'utilisation très discutée ; pour certains, ils fluidifient les
sécrétions, ce qui rend la toux plus efficace, au point de pouvoir entraîner une inondation
broncho-alvéolaire en cas de surdosage ; pour d'autres, ils sont parfaitement inutiles. Si les
sécrétions ont tendance à s'épaissir, le maintien d'une bonne hydratation générale et une
humidification permanente de l'air inspiré sont sans doute plus efficaces.

L'antibiothérapie doit être systématique tant les facteurs d'une surinfection sont
nombreux. En cas d'infection patente, elle doit dès que possible être dirigée par
l'antibiogramme.

Thoracotomie d'hémostase et d'aérostase, anesthésie


Dans ces thoracotomies, c'est aux deux pôles de l'intervention que les problèmes
anesthésiques se posent avec le plus d'acuité.

Avant toute induction, il faut avoir rétabli une hématose correcte (perméabilité des
voies aériennes, vacuité des cavités pleurales, volémie satisfaisante). Douleur et hypercapnie
peuvent masquer une hypovolémie, et le remplissage vasculaire préalable est obligatoire pour
éviter un collapsus vasculaire. Le drainage des épanchements est impératif pour éviter de
majorer l'effet compressif d'un hémopneumothorax sur le médiastin lors de l'insufflation du
respirateur. L'oxygénation doit être généreuse pour compenser la dette. Une prémédication
n'est pas indispensable. Il faut éviter l'atropine et les dépresseurs de la ventilation. La mise en
décubitus latéral est un moment à surveiller (risque de collapsus par redistribution du volume
sanguin).

En fin d'intervention, une toilette bronchique complète est indispensable, au besoin


après changement de la sonde d'intubation. Le patient ne sera extubé que lorsque plusieurs
conditions seront remplies : ventilation spontanée satisfaisante (à vérifier au spiromètre),
efficacité du drainage, auscultation satisfaisante des deux champs pulmonaires et stabilité de
l'hémodynamique. La ventilation peut être prolongée quelques heures (parfois plus selon les
besoins) ; en cas d'encombrement persistant ou de surinfection chez un sujet asthénique, il
vaut mieux recourir à une trachéotomie d'emblée.

Traction-suspension pariétale
La traction-suspension a pour objectif de réduire et fixer un volet mobile, ou qui
risque de le devenir, par une méthode « non sanglante ». Elle est surtout indiquée dans les
fractures transversales du sternum (isolées ou dans le cadre d'un fracas antérieur) et dans les
volets latéraux (mais la technique est alors plus difficile). Elle est « rustique », mais peut

559
devenir complexe si l'on est obligé d'improviser vis-à-vis du matériel : il faut en effet disposer
d'un cadre externe solide fixé au lit, de poulies, de tables, de poids, d'étriers ou de pinces type
Museux de grande taille, de pinces d'Ombredanne ou de gros fil, soit de tout un matériel pas
toujours disponible quand la salle n'est pas spécialement équipée pour l'orthopédie.

Pour le sternum, il faut utiliser un étrier prenant largement les deux berges fracturaires
(type Vanderpooten, Couraud ou étrier façonné localement), ou deux étriers accouplés, ou
encore deux gros fils dec. 8 que l'on peut éventuellement doubler avant de les passer en rétro-
sternal, en amont et en aval de la fracture (Fig. 29.5). Le tout est mis sous traction au zénith,
sous 3 à 7 kg au début ; la force optimale dépend du déplacement sternal et du poids du sujet.

La mise en place peut se faire sous anesthésie locale.

L'immobilisation en décubitus dorsal est de 15 j à 3 semaines, temps pendant lequel


on diminue progressivement le contrepoids. La kinésithérapie est possible dès les premiers
jours (douleurs atténuées), mais elle se limite aux gestes possibles en position déclive et à la
respiration abdominale ; elle est plus simple (et donc plus efficace) si l'on assure une
analgésie.

Localement, les incidents peuvent être multiples : si le montage n'est pas d'emblée
solide et si la stabilité est précaire, les prises peuvent progressivement déraper ; avec des fils,
le risque est une section des bords sternaux. Les autres inconvénients de cette technique sont
la contrainte des pansements la nécessité d'un nursing attentif et la possibilité de surinfection
cutanée avec risque d'ostéite.

En revanche, avec une technique et une surveillance correctes la méthode rétablit une
ventilation satisfaisante et améliore rapidement l'hémodynamique en cas de volet antérieur
avec respiration paradoxale. Elle peut éviter l'assistance respiratoire (c'est son objectif) ou
raccourcir nettement le temps de ventilation artificielle à quelques heures ou jours.
L'élargissement radiologique du médiastin contre-indique de principe cette méthode.

560
Pour un volet costal latéral, appliquer une traction efficace est bien plus complexe tant
les difficultés et complications peuvent être nombreuses : nécessité de multiples prises
costales pour immobiliser effectivement le volet, ce qui signifie montage délicat et « fragile »,
risque d'effraction pleurale lors de la mise en place, dérapage et/ou section progressive des
côtes sur le matériel de traction, infection à point de départ cutané avec possibilité
d'ostéochondrite traînante, même contrainte d'une immobilisation de 21 j, résultats
fonctionnels et physiques aléatoires (déformation, synostoses avec rigidité pariétale, douleurs
résiduelles).

Ostéosynthèse pariétale
L'ostéosynthèse costale a plusieurs intérêts : elle réduit le volet, rétablit la
morphologie et la cohésion de la paroi, conserve la mobilité physiologique, a un effet
antalgique presque immédiat (que l'on peut compléter en per-opératoire par un bloc
intercostal) et autorise une rééducation respiratoire précoce et efficace (toux et expectoration
rapidement acceptées).

Le matériel est « rustique » : broches de Kirchner n° 18, pièce en main en T, pointe


carrée pour forer les corticales, pince coupe-broche efficace ; une chignole peut remplacer
pièce en main et pointe carrée.

La voie d'abord est une thoracotomie large pour contrôler aussi la face pleurale des
foyers de fracture, et elle sera donc postéro-latérale le plus souvent. Il faut éviter la mise en
place d'un écarteur autostatique qui risque d'aggraver les déchirures des espaces intercostaux ;
cependant, s'il est impératif d'obtenir un large écartement pour le temps intrathoracique, on
peut l'utiliser mais il faudra être le moins traumatisant possible. Même dans ces conditions, il
faut autant que possible préférer un écartement manuel.

561
La technique de l'enclouage centromédullaire est simple, et le seul incident habituel,
mais difficilement évitable, est la déchirure des gants sur les biseaux costaux, ce qui doit
inciter au port d'une double paire.

Pendant l'anesthésie
- Toilettage bronchique complet
- Reventilation des zones atélectasiées
- Toilette et drainage pleuraux optimaux

Dans les jours immédiats


- Cohésion pariétale : suppression du mouvement paradoxal et de l'évolution vers une
thoracoplastie ; normalisation de la mécanique ventilatoire
- Effet antalgique : meilleure ampliation thoracique spontanée ; toux et expectoration
facilitées ; kinésithérapie efficace, confort accru

Dans les suites


- Évolution plus rapide : diminution de la durée des soins ; autonomie précoce
- Séquelles fonctionnelles

Tableau 29.1 : Avantages de l'ostéosynthèse des volets thoraciques

De la main endothoracique, on apprécie exactement le nombre et le type des fractures


(bien mieux que ne le fait la radiographie), en particulier pour les lésions antérolatérales. Elle
réduit globalement le volet et il suffit souvent de remettre en place les côtes 4, 5 et 6 pour que
l'ensemble soit stable.

La libération des foyers fracturaires qu'il va falloir impacter doit être minutieuse pour
préserver au maximum le périoste porte-vaisseaux et éviter les

séquestres osseux « dévitalisés ». Les esquilles libres doivent être enlevées ; en revanche, les
fragments pédicules sur un lambeau de périoste viable doivent être conservés et
éventuellement fixés par une anse de fil d'acier.

La corticale costale est perforée à la pointe carrée ou directement avec la broche montée sur
l'outil en T, à 6-7 cm en avant du foyer fracturaire (Fig. 29.6). La broche introduite dans le
canal médullaire progresse à la rencontre du foyer de fracture, sans difficulté si elle reste
parfaitement dans l'axe ; les gestes doivent être prudents, pour éviter l'éclatement longitudinal
des corticales qui séparerait la côte en deux lames osseuses friables ; si cela survenait, on peut
recourir à un cerclage au fil d'acier, mais qui ne donne jamais un montage très stable.

Une fois le foyer atteint, la main gauche réduit la fracture et présente le canal
médullaire « distal », tandis que l'on continue à faire progresser la broche. Les deux surfaces
entrent au contact, et elles sont alors plus ou moins bien impactées, mais correctement
engrenées. Dans l'embrochage monofocal, la broche s'appuie sur la corticale opposée ; dans

562
l'embrochage bifocal, elle est poussée jusqu'à la perforer, pour sortir de 4 mm environ. Cette
dernière solution, plus stable, est préférable mais pas toujours possible

En utilisant l'élasticité de la broche, on peut parfois la plier pour fixer deux foyers
successifs sur la même côte (Fig. 29.7). En avant, le « trop de longueur » est sectionné à 4
mm environ de la corticale, de façon à laisser cette extrémité enfouie dans les plans profonds.

Il faut commencer par fixer les côtes les plus hautes et les plus basses pour terminer
par celles de la thoracotomie. L'embrochage est laborieux pour les premières et dernières
côtes (au-dessus de la 3e en haut et au-dessous de la 8e en bas). En fait, les arcs-boutants les
plus importants sont les côtes 3, 5 et 6.

En avant, il n'est pas nécessaire de décoller les plans musculo-cutanés pour pénétrer
les côtes hautes ou basses par rapport à l'incision : l'accès se fait par voie transcutanée et
toujours sous contrôle de la main gauche intrathoracique ; le geste doit être prudent car la
côte, aplatie, et plus encore le cartilage, sont friables et peuvent éclater sous les broches. On
peut encore réaliser la synthèse en cheminant à contre-courant, d'arrière en avant, et en
fichant l'extrémité de la broche sur le bord sternal, en monofocal.

À distance, les broches sont généralement bien tolérées. Elles peuvent cependant se
déplacer, parfois plusieurs mois après l'intervention et pointer sous la peau en provoquant un
petit hématome. Elles sont alors faciles à retirer sous anesthésie locale et avec une pince à
forte préhension.

D'autres matériels de synthèse sont proposés dans le commerce, parfois mieux adaptés
à certaines lésions. Les agrafes de Judet 29.8) en sont l'exemple le plus connu, mais il faut

563
disposer de tout un jeu de différentes tailles ; on trouve également d'autres attelles, mais de
diffusion assez « confidentielle ».

En cas de fracture transversale du sternum par enfoncement sternocostal,


l'ostéosynthèse peut utiliser un clou de Rocher intramédullaire, placé par la base de
l'appendice xiphoïde, ou par deux broches en X, également insérées de bas en haut et en
monofocal. Face à un fracas bilatéral, il faut parfois aborder ces lésions par une double
thoracotomie sous-mammaire ; la fixation sternale suffit souvent à assurer une cohésion
pariétale satisfaisante. Il faut éviter le cerclage métallique des cartilages car il est instable et le
risque de chondrite est trop important.

Avant la fermeture, on peut bloquer les nerfs intercostaux 2 à 7 par de la lidocaïne et


de l'alcool à 60°. Le drainage pleural utilise deux drains que l'on installe avant la réalisation
des ostéosynthèses costales.

La fermeture de la voie d'abord n'est pas toujours simple lorsque le délabrement est
important : on assure l'étanchéité en appuyant les points intercostaux sur les muscles
superficiels. En cas de gros hématome pariétal, il est conseillé de poser un drain entre gril et
masses musculaires ; il ne sera pas relié au même bocal que les drains pleuraux aspiratifs.

Aide à l'hématose - ventilation contrôlée


Dès 1965-1970, on a proposé de traiter tout volet thoracique par intubation (ou
trachéotomie) et ventilation sous pressions positives ; c'était la « stabilisation pneumatique
interne ». Cette technique a duré un temps, mais ses indications en sont aujourd'hui plus
nuancées.

Dans les volets engrenés, voire légèrement mobiles, avec une insuffisance respiratoire
mineure, il est possible d'éviter le recours à la ventilation assistée tant que la PaO 2 reste
supérieure à 60 mmHg en respiration spontanée à l'air libre, ou à 80 mmHg sous
oxygénothérapie.

564
Si la participation d'une contusion est certaine, la restriction hydrique initiale doit être
sévère (maximum de 1 1 par 24 h), puis les apports sont progressivement augmentés, sous
surveillance attentive ; seuls les colloïdes sont employés au début, les cristalloïdes risquant de
majorer l'œdème alvéolaire pulmonaire.

L'oxygénothérapie par voie naso-pharyngée, l'administration de corticoïdes toutes les


8 h pendant les trois premiers jours, les blocs nerveux intercostaux et une kinésithérapie
douce sont les autres éléments du traitement. Des séances de respiration spontanée contre
frein expiratoire peuvent aider à déplisser les territoires collabés. On peut aussi utiliser une
ventilation spontanée en pression positive continue à l'aide d'un masque ; cette technique
exige une coopération parfaite du blessé et augmente le travail musculaire. Enfin, le matériel
qui permet un tel mode ventilatoire est peu répandu.

Une trachéotomie précoce n'est pas à exclure ; on tire ici profit de tous ses avantages :
réduction de l'espace mort avec moindre dépense énergétique ventilatoire, facilité de la
toilette trachéobronchique, diminution des à-coups de pression (efforts de toux en particulier)
pouvant mobiliser un volet.

Dans les atteintes respiratoires plus graves, on utilise une ventilation contrôlée avec
pressions expiratoires positives (PEP) ; la FIO2 de départ est < à 0,6 et doit être diminuée dès
que possible pour éviter la toxicité de l'oxygène sur le parenchyme contus. La PEP déplisse
les atélectasies, augmente la CRF et immobilise un volet en position inspiratoire de réduction
mais ses effets indésirables sont nombreux : le plus important est la baisse du débit cardiaque.

- Obligation d'une trachéotomie et d'une ventilation sur ballonnet gonflé, nursing


astreignant, surinfections fréquentes, complications propres de la trachéotomie

- Effet hémodynamique indésirable

- Toxicité de l'oxygène

- Risque de fuites aériques corticales prolongées

- Immobilisation en décubitus dorsal pendant 21 j, nécessité d'un nursing attentif,


amyotrophie généralisée

- Environnement lourd, coût important

Tableau 29.2 : Traitement des volets ; inconvénients de la ventilation prolongée en


pression expiratoire positive

Traumatisme fermés - indications dans les aspects habituels


Les indications thérapeutiques des traumatismes fermés du thorax ont évolué ces vingt
dernières années, parallèlement à l'amélioration des premiers soins au ramassage, la création
d'équipes spécialisées, les progrès réalisés dans les techniques et les moyens de surveillance.

565
La réanimation, avec des gestes initiaux simples, niais aussi avec un appareillage de
surveillance sophistiqué, a définitivement pris le pas sur la chirurgie de première intention
dont les résultats étaient globalement extrêmement décevants ; les indications de la
thoracotomie sont dès lors devenues beaucoup plus précises et au total relativement rares.

Dans les pays en développement, on ne peut prétendre disposer des ressources


énormes, tant humaines que matérielles, nécessaires au fonctionnement des centres
hospitaliers des pays occidentaux. Il faut ici s'adapter et sans doute élargir les indications de
l'ostéosynthèse des volets afin de contrôler, au moins, l'aspect pariétal du tableau.

Très schématiquement, les tableaux initiaux les plus classiques des traumatismes
thoraciques isolés reflètent une défaillance respiratoire et/ou circulatoire. La détresse
circulatoire peut être au premier plan, et il s'agit le plus souvent d'un choc hypovolémique «
pur » par hémothorax. Ailleurs, le tableau respiratoire prédomine, en particulier chez les
blessés vus tardivement. L'intolérance au décubitus reflète ici la gravité de l'atteinte avec, au
maximum, un patient assis, encombré et cyanose, et dont la polypnée superficielle ventile
l'espace mort. Les causes en sont multiples et peuvent parfois se cumuler : épanchement
pleural sous tension, obstruction des voies aériennes par des caillots et des sécrétions,
délabrement pariétal, contusion parenchymateuse étendue.

Les gestes de la réanimation initiale, impératifs, ont plusieurs objectifs : assurer la


liberté des voies aériennes, améliorer l'hématose par oxygénothérapie, drainer les
épanchements et corriger la volémie. Ensuite, dès que l'hémodynamique se stabilise, il faut
traiter la douleur et aider au drainage bronchique et à l'expectoration. Il semble prudent, chez
un fumeur et/ou un bronchitique chronique, d'instaurer d'emblée une antibiothérapie mais on
peut tenter de l'éviter chez un sujet jeune à poumon antérieurement sain.

Bilan du traitement médical et décisions thérapeutiques ultérieures


Le plus souvent ces mesures médicales suffisent à rééquilibrer le patient.

Retour au calme, atténuation de l'angoisse et des sueurs, modération de la polypnée


avec meilleure ampliation thoracique, recoloration rosée des muqueuses et des ongles et
stabilité hémodynamique sont autant de critères d'une évolution favorable qui est confirmée
d'une part par l'atténuation progressive du saignement et/ou du bullage par les drains, d'autre
part par l'amélioration des radiographies.

La kinésithérapie progressive devient alors l'élément thérapeutique majeur pour


assurer une bonne évolution immédiate et prévenir les séquelles : l'objectif est d'obtenir et
d'entretenir la souplesse de l'hémithorax blessé afin d'éviter rétraction et installation d'un
syndrome restrictif trop important.

Plus rarement, le tableau évolue plus ou moins rapidement vers une décompensation
respiratoire, imposant d'emblée ou secondairement une intervention chirurgicale.

Intubation trachéale, trachéotomie, ventilation contrôlée


L'intubation trachéale est parfois immédiatement ou rapidement indispensable. Elle
est indiquée dans trois types de circonstances :

566
- si, après les gestes initiaux de réanimation et une correction effective de la volémie,
la fréquence respiratoire reste supérieure à 25, la fréquence cardiaque supérieure à 100, la
pression artérielle systolique inférieure à 100 ;

- s'il existe une insuffisance respiratoire patente avec signes d'anoxie-hyper-capnie :


agitation, cyanose, sueurs abondantes, pression artérielle paradoxale, hypoxie, acidose et
élévation de la PaCO2 aux gaz du sang ;

- si l'encombrement broncho-pulmonaire dépasse les possibilités de l'aspiration naso-


trachéale ou lorsqu'il se reproduit rapidement après assèchement apparent.

Dans les deux premiers cas la ventilation mécanique est obligatoire. Dans le troisième,
l'intubation peut n'être que temporaire ; il faut la remplacer par une trachéotomie si la
nécessité d'aspirations répétitives reste nette.

La trachéotomie n'est que très exceptionnellement indiquée en urgence (fracas


maxillo-facial ou laryngé) ; elle est réalisée en seconde intention si, en dépit d'une
amélioration, le blessé reste asthénique ou encombré. Réalisée précocement et non en dernier
recours, elle peut prévenir une décompensation respiratoire par épuisement et inondation
broncho-alvéolaire et éviter une assistance mécanique. La trachéotomie est encore indiquée si
la ventilation assistée doit se prolonger au-delà de 72 h.

Il faut immédiatement recourir à une ventilation assistée quand il existe une


insuffisance respiratoire patente ; elle le devient secondairement, quand, sous traitement
conservateur, la PaO2 s'affaisse entre 60 et 80 mmHg sous oxygénothérapie. Beaucoup
d'auteurs la recommandent également devant tout volet mobile ou secondairement
désengréné, ou devant l'association volet-contusion. Il faut ici mettre en balance les bénéfices
escomptés et la lourdeur de la procédure.

Quand l'équipement du service hospitalier est satisfaisant, ce traitement médical


permet d'obtenir la guérison dans 85 % des cas, avec des séquelles fonctionnelles réduites au
minimum. Dans les publications actuelles, il est difficile d'apprécier le pourcentage de
patients ayant nécessité une ventilation prolongée. En effet, les patients sont immédiatement
répartis dans différents services en fonction de la gravité du tableau, et on ne dispose que de
statistiques ponctuelles. Le besoin d'une ventilation prolongée dépend certes de la gravité de
la lésion initiale, mais aussi de la rapidité de la prise en charge. Le choix peut enfin être un
choix d'école.

Indications chirurgicales
Sous réanimation, on décide en général d'intervenir chirurgicalement sur le constat
d'une évolution défavorable. Les indications chirurgicales sont énumérées dans le tableau
29.3. Les indications urgentes relèvent ici essentiellement d'un hémothorax : saignement
immédiat supérieur à 1,5 1, saignement continu sans tendance à l'amélioration avec débit situé
entre 50 et 100 ml/h.

567
Thoracotomie immédiate
- Rupture d'un gros vaisseau médiastinal

Les premières heures


-Hémothorax (drainage initial > 1 000-1 500 ml, poursuite saignement autour de 100-
200 ml/h)
- Fuite aérique massive avec hypoxie
- Rupture œsophagienne
- Rupture diaphragmétique gauche
- Rupture diaphragmétique droite + syndrome hémorragique

Dans les trois premiers jours


- Volet, thoracoplastie traumatique
- Reprise hémorragique
- Rupture trachéo-bronchique
- Éventration diaphragmatique

Les jours suivants


- Hémothorax cailloté, poche pleurale, empyème

Tableau 29.3 : Traumatismes thoraciques purs ; indications de la


thoracotomie

De nos jours l'ostéosynthèse d'un volet est moins indiquée qu'elle ne l'était auparavant
mais, quand il semble difficile de pouvoir assurer une réanimation respiratoire prolongée, ses
indications devraient rester assez larges. La cohésion de la paroi et l'analgésie que procure
l'immobilisation sont sans doute deux facteurs d'importance pour éviter une décompensation
respiratoire. Les indications de la synthèse sont résumées dans le tableau 29.4.

L'indication typique est le sujet sthénique ayant subi l'accident dans les 48 h, c'est-à-
dire avant l'installation d'un encombrement bronchique important et sa surinfection. On
recourt également plus volontiers à l'ostéosynthèse chez le sujet âgé, le patient non coopérant
ou l'insuffisant respiratoire, avec l'objectif de prévenir une décompensation et de raccourcir la
durée des soins. L'aggravation secondaire d'une thoracoplastie doit être rapidement décelée et
opérée avant J4 ou J5 au plus tard. Passé le 5e j, la réduction devient beaucoup plus difficile et
la surinfection pariétale majore le risque d'ostéite et de pleurésie purulente. La synthèse est
encore indiquée en « sortie » d'une thoracotomie d'indication autre.

568
En cas de volet
- Latéral, antéro-latéral, sternal,
et/ou mobile, ou impacté en thoracoplastie

Chez un blessé conscient


- Sujet jeune et sthénique
- Sujet plus âgé, non coopérant, asthénique

Le plus précocement possible


- Avant J5 (foyers englués)
- Avant la surinfection broncho-alvéolaire

Pour éviter une ventilation prolongée


- Quand il n'existe pas d'autre indication de ventilation prolongée
- Si, sans la synthèse, le seul traitement possible serait une assistance ventilatoire

Tableau 29.4 : Volet thoracique ; indications de l'ostéosynthèse sterno-


costale

L'ostéosynthèse est inutile ou discutable si les lésions d'accompagnement nécessitent


pour leur propre compte une ventilation assistée prolongée, comme au cours d'une contusion
pulmonaire étendue par exemple.

La traction-suspension est beaucoup plus contraignante que l'ostéosynthèse ;


l'indication n'est simple que dans les fractures sternales et s'il y a contre-indication
chirurgicale nette. Pour les volets latéraux, la technique est trop complexe et trop difficile à
surveiller pour qu'on puisse le conseiller.

Les indications chirurgicales différées relèvent de causes analogues à celles des


indications d'urgence : reprise hémorragique ou hémothorax cloisonné, récidive d'un
pneumothorax ou réexpension insuffisante, surinfection d'un épanchement ; la décortication
doit être ici précoce après quelques jours seulement de drainage.

Les complications après thoracotomie pour traumatisme thoracique concernent 20 à


30 % des patients. Elles sont liées à l'âge et à l'état antérieur, à la gravité initiale du
traumatisme (pathologie liée aux polytransfusions, surinfection pulmonaire, pleurésie
exsudative ou purulente, récidive d'hémothorax, etc.). Elles sont plus fréquentes chez le
patient ventilé de façon prolongée.

Au plan fonctionnel et plus à distance, la situation ne devient réellement stable qu'en 1


an environ. Un syndrome restrictif de 10 à 30 % est pratiquement constant. Une bonne
kinésithérapie prolongée, minimise les séquelles de façon nette.

569
Polytraumatismes
On peut être amené, dans les polytraumatismes, à modifier ces schémas
thérapeutiques.

Le traumatisme crânien est l'association la plus habituelle et malheureusement celle


qui pose le plus de problèmes. Un hématome extradural doit être évacué en priorité et la
nécessité d'une ventilation prolongée rend, en principe, inutile la synthèse d'un volet associé.
Mais la ventilation en pression positive nécessaire à la contention d'un volet mobile aggrave
considérablement l'œdème cérébral ; la correction précoce par synthèse costale peut diminuer
le temps de ventilation et éviter la nécessité de recourir à des pressions positives respiratoires.
Un hématome sous-dural avec volet thoracique et/ou contusion pulmonaire peut être au-
dessus de toute ressource thérapeutique.

La rupture splénique est l'association abdominale la plus fréquente ; il faut


systématiquement la rechercher dans les impacts gauches (ponction-lavage du péritoine,
échographie) et peut être traitée par une thoracotomie ; cet abord permet en outre l'hémostase
pariétale, une toilette pleurale, un drainage percutané et éventuellement la synthèse d'un volet.

Une laparotomie effectuée pour traiter une autre lésion abdominale prioritaire (organe
creux ou plein) risque de conduire à une décompensation respiratoire secondaire par
hypoventilation alvéolaire, atélectasies et encombrement, dyskinésie abdomino-thoracique et
parésie diaphragmatique. Un éventuel volet devra si possible être synthèse dans le même
temps, pour éviter sa mobilisation secondaire.

Dans le cas de fractures associées des membres, il faut si possible effectuer une
réparation en un temps ; l'objectif est de régler immédiatement le plus grand nombre de
problèmes.

Parfois, elles ne se manifestent que dans les jours qui suivent l'admission. Nous ne
ferons que les citer : traumatismes trachéo-bronchiques, plaies des gros vaisseaux
thoraciques, plaies et contusions cardiaques.

Drainage à ciel fermé de la grande cavité pleurale


Nous ne décrirons ici que le drainage d'un épanchement libre dans une cavité pleurale
non symphysée ; le drainage des collections exclues et cloisonnées relève des mêmes
principes, mais il est plus délicat et requiert un repérage topographique précis.

Principe
Par rapport au « zéro » de la pression atmosphérique, la pression pleurale inspiratoire
oscille de - 6 à - 40 cmH2O. Pour éviter toute entrée d'air dans la plèvre due à cette
dépression, le drainage pleural doit être protégé par un système à « soupape », ne permettant
un flux de gaz que dans le sens patient - bocal de recueil.

Avant toute mise en place d'un drain, on doit être certain de la réalité de
l'épanchement de la grande cavité (bilan clinique, radiographique et ponction exploratrice).

570
Deux solutions sont possibles
« Siphonage » ou « scellé sous eau » (Fig. 29.9) : le drain, par une tubulure
intermédiaire, est relié au tuyau qui plonge dans un volume connu d'eau (250 ml environ)
placé dans un bocal de recueil.

À l'inspiration, ce niveau empêche le reflux d'air dans la tubulure et donc dans l'espace
pleural. L'autre orifice du bocal est ouvert à l'air libre : il y a ici équilibration de la pression
pleurale avec le « zéro » atmosphérique ; le drainage se fait par débordement, dès que la
pression intrapleurale dépasse ce « zéro », mais aussi par simple gravité. L'oscillation
respiratoire de la colonne d'eau dans le tube plongeant témoigne des variations de la Ppl et de
la perméabilité du montage. Le bocal doit rester sous le niveau du thorax (à 60 cm environ) et
ne jamais être relevé au-dessus du plan du lit, car il y a risque de siphonage inverse.

Figure 29.9 : Le drainage thoracique peut se faire soit a) en « siphonage » (ou, mieux,
par scellé sous eau), ce système ne nécessitant qu'un bocal de recueil ouvert à l'air libre, ou b)
en aspiration, un second bocal (2) étant ici interposé en protection, entre bocal de recueil (1)
et manomètre d'aspiration.

Pour les épanchements purement aériques, une valve unidirectionnelle (Fig. 29.10) est
une alternative au siphonage, mais elle ne permet pas de surveiller le bon fonctionnement du
drainage (alors qu'un bullage en témoigne dans le système de scellé sous eau).

Aspiration (Fig. 29.9b) : le 2e orifice du bocal est relié à une aspiration (via un 2e bocal
protecteur). Encas d'hémopneumothorax, quand le drain ramène à la fois de l'air et du sang,
un montage à trois bocaux est utile : le moussage est alors cantonné dans le premier bocal et
n'envahit pas tout le système jusqu'au manomètre, risque possible avec le système à deux
bocaux.

571
Figure 29.10 : Valve unidirectionnelle de Heimlich (ici à double chambre) utilisée
dans les pneumothorax : branchée sur un simple sac en matière plastique (ou une poche à
urine) elle n'autorise la circulation d'air que dans le sens thorax vers l'extérieur et s'oppose à
toute entrée d'air dans la plèvre. Elle permet la déambulation.

La source d'aspiration peut être le vide central ou une pompe électrique ; pour réguler
et surveiller le niveau de pression, une valve de Jeanneret (Fig. 29.11) est beaucoup plus
fiable que les manomètres, souvent imprécis et qui ont tendance à se bloquer, indiquant alors
des niveaux de pression erronés.

Figure 29.11 : Régulateur (ou valve de Jeanneret) : ce système, indéréglable, permet


de réguler exactement la dépression appliquée dans la plèvre, en modulant la hauteur de la
colonne d'eau ; il permet également de s'assurer de l'effectivité de l'aspiration, ce dont
témoigne un fin bullage dans la colonne. Deux montages sont possibles : a) en dérivation
entre les deux bocaux, b) en fin de ligne, avant le module d'aspiration.

L'aspiration, réglée habituellement autour de - 50/- 100 cmH2O, vise un triple objectif:
évacuer en continu les épanchements, favoriser la réexpension pulmonaire et rétablir la
solidarité poumon-paroi.

572
Matériel
On utilise un drain transparent souple de gros calibre (24-32 Fr, soit 8 à 10 mm de
diamètre externe chez l'adulte, et 14 à 20 Fr chez l'enfant, soit 4,6 à 6,6 mm), dont l'extrémité
est perforée d'œillets latéraux sur 4 à 6 cm de longueur ; un drain type Joly armé d'un trocart,
un trocart de Monod ou plus simplement un drain monté sur une pince courbe ; des raccords,
une tubulure, un bocal d'un minimum de 2 1 contenant 250 ml de solution antiseptique ; une
trousse type « petite chirurgie » contenant deux pinces assez solides pour clamper
efficacement le drain pendant les différentes manœuvres.

Site du drainage
Le patient est placé en décubitus dorsal (mal toléré en cas d'épanchement abondant)
ou en position semi-assise, bras en rétropulsion et surélevé pour ouvrir la région axillaire
inférieure et les espaces intercostaux (Fig. 29.12).

Le drain est introduit au niveau de la ligne axillaire moyenne, dans le 4e ou 5e espace :


ici, le grand dentelé, facilement dissociable dans le sens de ses fibres (celui de l'incision
cutanée), recouvre seul le plan costal. L'espace est repéré au doigt : l'angle de Louis, en avant,
signale le 2e cartilage costal ; le rebord costal inférieur indique la 10e côte.

Figure 29.12 : Site axillaire du drainage intercostal : la paroi thoracique n'est


recouverte ici que des digitations horizontales du grand dentelé ; les structures anatomiques
dangereuses sont situées en avant du bord antérieur du grand pectoral ou au-dessous de la 5e
côte.

Voie d'abord
Sous asepsie chirurgicale, on effectue une anesthésie locale infiltrant tout le trajet,
insistant sur la zone sous-pleurale, signalée par le bord supérieur de la côte inférieure ; en fin
d'infiltration, l'aiguille pénètre la plèvre : une aspiration sur le piston de la seringue confirme
la réalité de l'épanchement.

573
On incise alors la peau sur 10 à 15 mm, puis on crée un cheminement pariétal jusqu'à
la plèvre et au ras de la côte inférieure ; il faut ouvrir un tunnel suffisant pour le diamètre du
drain, par dissection aux ciseaux ou à la pince type Kelly, ou encore au bistouri, la lame étant
orientée à plat et le doigt étant fermement maintenu sur le manche en guise de garde, jusqu'à
faire une moucheture sur la plèvre, ce qui est indispensable pour éviter de déchirer le feuillet
pleural lors de l'insertion du drain (Fig. 29.15a). On effectue alors une bourse périorificielle et
on place un fil d'attente sous l'incision (fil synthétique tressé dec. 4/1 monté sur aiguille
courbe triangulaire).

Insertion du drain
Le drain est inséré vers le haut et au ras du gril costal pour un pneumothorax, vers
l'arrière et le bas pour un épanchement liquidien (Fig. 29.13).

Figure 29.13 : Drainage d'un épanchement liquidien ; ici, lors de son insertion, le
drain doit être dirigé vers l'arrière et franchement vers le bas.

On a souvent tendance à placer le drain trop bas, ce qui peut d'une part se révéler
dangereux pour les viscères sous-diaphragmatiques (voir infrà) et d'autre part rendre le
drainage inefficace (Fig. 29.14).

En extrême urgence, et en particulier en l'absence de radiologie pour confirmer la


réalité de l'épanchement, il peut être prudent de s'assurer de l'absence de symphyse pleurale
en passant un doigt dans la plèvre ; ce geste est obligatoire sur le plan médico-légal aux États-
Unis (Fig.29.15b), mais il n'est pas toujours facile ni possible (enfants, espaces pinces). De
plus, il peut être douloureux pour l'opérateur, le doigt pouvant être pincé entre deux côtes à
l'expiration.

L'utilisation d'un drain armé type Joly est en théorie dangereuse, mais c'est en
revanche la technique la plus simple (Fig. 29.16) ; on retire le mandrin de quelques
millimètres dès l'espace franchi, tout en le laissant appuyé sur la côte inférieure où il aide à
bien orienter le drain. Celui-ci est poussé de 3 à 5 travers de doigts (chez l'adulte) ; on retire le
trocart pendant que simultanément on clampe le drain en son milieu ; pour éviter qu'il ne
tombe, le drain est maintenu par un aide ; on le raccorde alors au bocal de siphonage et on le

574
déclampe pour vérifier l'efficacité du drainage ; ensuite, on le fixe en le ligaturant avec le fil
d'attente. Suivant les circonstances, le drain sera mis ou non en aspiration douce,
progressivement augmentée, et toujours sous surveillance.

Figure 29.14 : Insertion trop basse d'un drain pleurai : a) dans les épanchements
liquidiens, un drain placé dans le cul-de-sac costo-diaphragmatique peut s'exclure par
accolement du diaphragme à la paroi ; b) dans les épanchements purulents, il peut se situer au
sein de dépôts fibrineux qui vont rapidement l'obstruer et empêcher l'évacuation du contenu
liquidien sus-jacent ; c) dans les épanchements sériques, il peut « ventouser » le lobe inférieur
sans assurer l'évacuation de tout le contenu pleural, et créer ainsi une poche pleurale
supérieure.

Incidents/accidents
Ils restent exceptionnels si l'on s'astreint à des gestes doux :

- blessure de l'artère intercostale : l'hémostase spontanée est habituelle mais on est


dans de rares cas amenés à recourir à une thoracotomie d'hémostase ;
- blessure parenchymateuse (par diagnostic erroné, maladresse, brutalité) : elle se
manifeste par une toux et une hémoptysie. Si la plèvre est libre, il faudra drainer
l'hémopneumothorax qui en résulte ; si elle est symphysée, il faut panser à plat et surveiller. Il
est rarement nécessaire d'intervenir ;

575
- drain intermusculocostal (dans le creux axillaire !) : il s'agit d'une erreur technique,
et cette circonstance n'est pas exceptionnelle ;
- plaie des structures anatomiques avoisinantes : gros vaisseaux thoraciques, foie et
voies biliaires, estomac, rate, côlon gauche, etc. (tout a été décrit !) ; l'intervention est ici
urgente.

Figure 29.15 : Insertion d'un drain pleural : a) on peut dessiner le trajet du drain aux
ciseaux, à la pince de Kelly ou à l'aide d'un bistouri ; dans tous les cas, il faut ouvrir la plèvre
avant d'insérer le drain ; b) il peut être prudent de vérifier au doigt qu'il existe bien un espace
pleural (absence de symphyse).

Surveillance
Elle doit concerner le patient, les constantes vitales habituelles et l'émission par le
drain : qualité, quantité (courbes des liquides, intensité du bullage) le liquide recueilli par le
drain (courbes de volume, intensité du bullage).

Il faut également vérifier le fonctionnement du montage (perméabilité, étanchéité,


effectivité de l'aspiration) en utilisant plusieurs manœuvres :

- la mise en siphonage temporaire (débranchement de l'aspiration) qui permet de


vérifier l'existence ou non d'oscillations respiratoires dans la tubulure plongeante et
éventuellement un bullage à la toux ; si la colonne d'eau est immobile et en l'absence de
bullage, le système est bouché ou coudé en amont (coudure sous le patient, caillots au niveau

576
des raccords, obstruction du drain par caillot moulant fibrino-cruorique ; dans ce dernier cas,
le drain devient inutile, et de fait un corps étranger qu'il faut enlever) ;
- en cas de bullage spontané permanent, il faut déterminer si la fuite aérique provient
du poumon ou d'un défaut d'étanchéité du système ; on vérifie l'étanchéité de la ligne de
drainage en clampant à différents niveaux de la tubulure à l'aide d'une pince ; la prise d'air
peut encore provenir d'un drain avec œillet latéral qui a glissé dans le pansement ;
- l'aspiration fonctionne correctement s'il y a bullage dans une colonne de Jeanneret ;
les manomètres sont en revanche beaucoup moins fiables et peuvent se bloquer en position
haute. Dans ce cas, pour s'assurer du bon fonctionnement du montage, il faut clamper un
instant le drain et le débrancher du premier bocal ; la tubulure plongeante bulle à gros
bouillons et le manomètre descend par perte de charge si l'aspiration fonctionne ; sinon, il y a
panne de l'aspiration qui équivaut à un clampage du drain, imposant une mise immédiate en
siphonage.

Figure 29.16 : Insertion d'un drain armé de type Joly : a) l'index de la main gauche est
posé en garde sur le drain pour éviter toute échappée brutale dans le thorax au passage de
l'espace ; b) le trocart n'est pas poussé dans le thorax mais reste en appui sur la côte inférieure
pour aider à bien orienter le drain.

Ablation du drain
II faut l'envisager devant des signes cliniques et radiologiques de retour à la paroi,
devant un drain muet depuis 24 h (après épreuve de siphonage ou, mieux, de valve antiretour
et déambulation) ou devant un drain exclu (caillotage).

Après section du fil de fixation, le drain doit être retiré par deux opérateurs qui
doivent agir de façon coordonnée : le premier doit retirer le drain d'un geste sec et continu
pendant que l'autre serre la bourse d'attente ; au préalable on aura demandé au patient de
bloquer sa respiration en fin d'expiration ou de réaliser une manœuvre de Valsalva, ce qui

577
positive les pressions pleurales et minimise le risque d'entrée d'air dans la plèvre lors de
l'ablation.

On peut également enlever seul un drain thoracique : la main gauche tend les chefs de
la bourse pendant que simultanément elle occlut l'orifice cutané à l'aide d'une compresse
imbibée d'antiseptique (ou de vaseline) ; le drain est enlevé de la main droite d'un geste sec et
la bourse est serrée en gardant ses chefs tendus. Là encore, il faut demander au patient de
bloquer sa respiration en fin d'expiration ou de réaliser une manœuvre de Valsalva pendant le
retrait du drain.

Points importants
Aucune complication ne doit venir émailler la mise en place d'un drain à condition:
- de se baser sur un examen clinique précis ;
- de lire attentivement les clichés radiologiques ;
- d'insérer le drain par voie axillaire ;
- de confirmer l'existence de l'épanchement par ponction préalable à la seringue.

La surveillance doit être méthodique et régulière, le moindre défaut de drainage


pouvant avoir des conséquences graves : insuffisance respiratoire par effet compressif,
caillotage, poche pleurale exclue, empyème secondaire, toutes circonstances pouvant motiver
une ou plusieurs ré interventions. Toute panne d'aspiration équivaut à un clampage du drain
qui rend impératif la mise immédiate du drain en siphonage. Le personnel de surveillance doit
en être informé. Un drain exclu ne peut être débouché et il faut au plus vite le retirer pour
éviter les surinfections. De même, pour les mêmes raisons, un drain ayant glissé dans le
pansement ne doit pas être réintroduit.

578
Pied tropical

J.-F. THIERY, P. VAUJANY, H. DE BELENET, Y. MERRIEN

Le double constat d'un développement de plus en plus important de l'action


humanitaire et de l'impossibilité d'exporter dans les pays en développement nos techniques
médicochirurgicales sophistiquées impose de « réviser » spécifiquement la pathologie et la
thérapeutique dans ces conditions d'exercice.

Nous décrirons la pathologie du pied en milieu tropical en privilégiant, sur le plan


thérapeutique, les techniques simples donc exportables. Ce travail est le fruit de l'expérience
acquise sur le terrain par les chirurgiens militaires, et plus particulièrement sous l'égide des
chaires de chirurgie tropicale et de thérapeutique chirurgicale de l'Institut de médecine
tropicale du Service de Santé des Armées du Pharo. En cette fin de siècle, l'action
humanitaire est née de la prise de conscience qu'il fallait apporter de l'aide aux populations
défavorisées, que ce soit par dénuement chronique ou dû à des circonstances de guerre ou dé
catastrophe.

Cette action humanitaire s'est longtemps cantonnée à la médecine mais elle intéresse
de plus en plus la chirurgie, pratiquée par des chirurgiens qui exercent en zone tropicale soit
à titre personnel, soit au sein d'organisations non gouvernementales. Les impératifs pour ces
chirurgiens sont simples : être le plus efficace possible en connaissant certaines pathologies
spécifiques, ainsi que leur traitement qui doit combiner simplicité et efficacité.

Nous décrirons ici les principaux aspects de la pathologie du pied en milieu tropical
pour en montrer la diversité et en proposer quelques techniques chirurgicales simples et
fiables, permettant de résoudre l'essentiel des problèmes qui peuvent se poser.

Définition
Le pied tropical regroupe l'ensemble des lésions siégeant en dessous du plan du pilon
tibial, et dont la spécificité tient soit à leur étiologie, soit à l'environnement social, culturel et
technique dans lequel elles surviennent.

Pour étudier le pied tropical, il faut tenir compte de trois acteurs : l'agressé (le pied
avec les particularités du milieu tropical), l'agresseur (le facteur étiologique et ses
conséquences anatomo-pathologiques et cliniques) et le thérapeute (avec les moyens dont il
dispose, les techniques chirurgicales qu'il choisit, en fonction des indications thérapeutiques
qu'il pose).

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Agressé
L'agressé, c'est le pied.
Anatomiquement, le pied est constitué d'une charpente osseuse recouverte de parties
molles, tendineuses, vasculaires et nerveuses, le tout étant enveloppé dans un double sac
aponévrotique et cutané.

D'un point de vue biomécanique, le pied joue un rôle statique de transmission des
contraintes en position debout. C'est alors le calcanéum et l'arche externe qui absorbent
l'essentiel des forces. À la marche, après l'appui taligrade solide et sans souplesse, survient
l'appui digitigrade où les contraintes se transmettent essentiellement par l'arche interne qui
joue le rôle de ressort de propulsion. Dans le contrôle de la répartition des zones d'appui du
pied, l'innervation de la sole plantaire joue un rôle fondamental.

Agresseurs
Ils doivent leur existence (ou leur particulière virulence) au biotope particulier du
milieu tropical, avec des conditions climatiques rudes et une flore et une faune souvent
agressives. Ils émergent aussi en raison de l'existence de facteurs socioculturels spécifiques,
avec une hygiène souvent rudimentaire, une sous-alimentation, facteurs ayant pour corollaire
le polyparasitisme et les multicarences. Enfin, il est caractérisé par le dénuement médical, le
recours aux guérisseurs, le retard au traitement et bien souvent la guerre.

Parasites
Ils sont spécifiques aux régions tropicales.

La puce chique, ou Tunga penetrans, est un ectoparasite vivant dans le sable. Elle
se fixe au bord d'un ongle du pied. « La sensation d'abord agréable devient ensuite
douloureuse jusqu'à l'extraction. »

La filaire de Médine, ou ver de Guinée, est un nématode pouvant mesurer 120 cm


de long : Dracunculus medinensis. L'homme s'infeste en ingérant de l'eau contaminée
contenant des microfilaires qui, à l'âge adulte, vont s'extérioriser au niveau de la peau. La
localisation au pied est possible. Ce parasite infeste 50 millions d'individus dans le monde.

L'éléphantiasis tropical est l'expression majeure, caricaturale, de l'obstruction


lymphatique par une filaire, Wuchereria bancrofti, en zone africaine tropicale et subtropicale,
Brugia malayi en Asie. Cette maladie est transmise par les piqûres de moustiques du genre
Culex qui injectent des microfilaires. La filaire se développe au niveau des lymphatiques
qu'elle obstrue progressivement. La maladie peut ne se localiser qu'au pied et au membre
inférieur, ou s'accompagner de localisations urinaires, génitales ou du membre supérieur.

Cliniquement, la maladie se manifeste d'abord par des épisodes de lymphangite aiguë,


récidivante, avec fièvre et œdème inflammatoire. Le passage à la chronicité se fait par une
phase d'éléphantiasis glabre avec hypertrophie sclérofibreuse de l'hypoderme. Cette
hypertrophie atteint ensuite le derme, réalisant une pachydermie ou éléphantiasis verruqueux,
véritable image d'Épinal de l'Afrique coloniale.

580
À ce stade, le diagnostic est évident. Dans les formes précoces, il est affirmé par la
mise en évidence de microfilaires dans le sang (microfilarémie nocturne de W. bancrofti), la
découverte d'une hyperéosinophilie et le test thérapeutique à la méthylcarbamazine
(Notézine).

Le traitement médical par la Notézine est efficace dans les formes précoces (M. Pelât,
1992). Dans les formes tardives, seule la chirurgie se révèle efficace.

Mycétoines
Définition
Ce sont des tumeurs inflammatoires causées par des champignons (mycétomes
fungiques) ou des bactéries (mycétomes actinomycosiques) caractérisées par l'existence
d'abcès profonds interconnectés et de trajets fistuleux avec ulcérations cutanées. Au niveau
des foyers de suppuration, on trouve des grains de colonies mycosiques ou actinomycosiques
de taille et de couleur variables selon l'agent en cause. La présence de ces grains est
caractéristique de l'affection.

Agents pathogènes
Maduromycètes : ils sont responsables des mycétomes fungiques. Ils sont
caractérisés par l'élimination de grains noirs, et leur sensibilité aux antibiotiques est nulle.
Andreu en 1986, et plus récemment Fahal et Hassan en 1992, ont montré l'efficacité relative
d'un antifungique, le kétaconazole.

Aactinomycètes : ils sont responsables des mycétomes bactériens. Caractérisés par


l'élimination de grains rouges, ils ont une sensibilité médiocre aux sulfamides.

Expression clinique
La contamination se fait par une piqûre d'épineux. Cela explique d'une part la
localisation préférentielle des lésions au niveau du pied, d'autre part la répartition
géographique en zone sahélienne.

L'extension de la lésion est centrifuge, tant en surface qu'en profondeur. Tous les
intermédiaires sont possibles entre le nodule sous-cutané et l'historique pied de Madura.
L'aponévrose oppose une barrière longtemps efficace à la dissémination mais, lorsqu'elle est
franchie, l'os va être atteint avec des images d'encoches, de lacunes et de condensation
osseuse. Ces mycétomes sont toujours surinfectés.

Ulcère phagédénique tropical


Le pied nu est exposé à toutes les plaies banales qui peuvent, lorsqu'elles ne sont pas
traitées, évoluer vers l'ulcère phagédénique tropical. Le phagédénisme est défini par la
présence, au niveau d'une plaie, de l'association fusospirillaire de Le Dantec et Vincent. La
surinfection à germes banaux est constante.

581
Expression clinique
Au début, la lésion est une ulcération nécrotique très douloureuse qui s'étend
progressivement, formant un cratère à bords surélevés dont le fond est recouvert de fausses
membranes. Le cratère évolue vers la cicatrisation sur fond de sclérose, mais celle-ci est
fragile et fait le lit de la récidive. Sans traitement, vont apparaître des complications locales à
type de rétractions tendineuses ou d'ostéite chronique. Mais surtout, le risque est la
cancérisation réalisant l'aspect classique d'ulcère phagénédique cancérisé. Ce
cancer est un épithélioma spinocellulaire infiltrant ou ulcérant qui s'étend localement (à l'os
en particulier), par voie lymphatique (ganglions) et générale (métastases hépatiques,
pulmonaires et cérébrales). Cette complication peut être rapprochée des cancers épidermoïdes
développés sur ostéite chronique décrit en France par Ch. Mabit ou des dégénérescences des
cicatrices rapportées en 1991 par Lefebvre et coll.

Pied neurologique
Parmi les maladies neurologiques responsables d'atteinte du pied, deux sont
particulièrement fréquentes sous les tropiques : la poliomyélite et la lèpre.

La poliomyélite est une maladie virale ubiquitaire transmise par voie


essentiellement digestive et accessoirement aérienne. La prophylaxie par vaccination est
efficace mais souvent non réalisée sous les tropiques. La maladie installée se traduit par des
paralysies en partie régressives mais responsables de séquelles parfois lourdes.

L'atteinte des nerfs respiratoires peut être mortelle. L'atteinte des nerfs du membre
inférieur se traduit, en l'absence de kinésithérapie, par la fixation en attitude vicieuse avec, au
niveau du pied, un valgus, un équin, un creux ou un talus isolés ou associés.

Ces déformations entrent dans le cadre plus large des déformations du membre
inférieur et posent le problème de leur traitement et de leur appareillage.

La lèpre, due au bacille de Hansen, a un tropisme neurologique et cutané : c'est une


maladie très répandue sous les tropiques, le nombre de lépreux étant estimé par l'OMS à 12
millions, essentiellement en Asie et en Afrique, mais aussi en Amérique et en Océanie. La
transmission est aérienne.

Le traitement médical de la lèpre est efficace mais fait appel aux antituberculeux qui
sont des médicaments chers.

Les atteintes neurologiques sont de trois types :

- les réactions névritiques avec nécroses neuronales (souvent liées au traitement qui
entraîne une destruction massive du bacille avec phénomènes immunologiques intranèrveux);
- l'hypertrophie nerveuse des formes tuberculoïdes ;
- l'atteinte nodulaire des formes lépromateuses.

Les nerfs sont particulièrement exposés à ces lésions au niveau des canaux
ostéofibreux inextensibles : sciatique poplité externe au niveau du col du péroné, sciatique

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poplité interne et sa branche tibiale postérieure au niveau du canal calcanéen. L'atteinte, au
niveau du pied, est motrice et sensitive.

L'atteinte motrice prédomine au niveau du sciatique poplité externe avec step-


page d'abord puis fixation des attitudes vicieuses et pied équin irréversible.

L'atteinte sensitive intéresse surtout le sciatique poplité interne avec une


anesthésie de la plante. Cette anesthésie est responsable des maux perforants plantaires et de
leur cortège de complications : infectieuses cutanées bien sûr mais aussi osseuses avec
l'ostéite aspécifique et l'ostéopathie nerveuse lépreuse ostéolytique. À moyen terme,
l'évolution se fait vers des mutilations des pieds interdisant l'appui, d'autant plus invalidantes
qu'elles s'accompagnent de lésions touchant d'autres nerfs périphériques, au membre
supérieur en particulier.

Pied héréditaire
II est dû à la drépanocytose, hémoglobinopathie caractérisée par la présence
d'hémoglobine S dans laquelle la valine remplace l'acide glutamique comme 6e acide aminé
au niveau de Thème. L'hématie se trouve ainsi fragilisée, se déforme (elle est dite falciforme,
en forme de faux), se rigidifie et obstrue les capillaires. Cette hémoglobinopathie est
responsable d'une part d'une anémie hémolytique non spécifique, d'autre part d'un syndrome
vasoocclusif avec deux manifestations au niveau du pied :
- la crise vasoocclusive, rencontrée chez l'enfant homozygote avec le syndrome pied
main caractérisé par un gonflement et des douleurs au niveau de ces extrémités ;
- les ostéites, habituellement plus tardives. Les ostéites peuvent être staphylococciques
mais aussi et plus spécifiquement salmonéliennes. Le diagnostic bactériologique repose sur la
ponction des abcès périostiques et le traitement est médical, associé à l'immobilisation
plâtrée.

Pied congénital
La pathologie congénitale du pied en zone tropicale est dominée par le pied bot varus
équin (PBVE). Cinquante mille enfants en Afrique en seraient atteints. Cette affection a des
origines diverses qui peuvent de plus s'intriquer : mécanique, génétique et neuromusculaire.
On distingue cliniquement :

- le PBVE réductible modéré ;


- le PBVE intermédiaire ;
- le PBVE fixé ou sévère.

Chez le nourrisson, la décision thérapeutique pose l'épineux problème du suivi


orthopédique et de l'importance du geste chirurgical, mais tel n'est pas le cas des pieds bots
irréductibles malheureusement rencontrés chez l'adulte, où l'appui se fait sur la face dorsale
externe du pied. Dans ces cas, il faut, avant d'engager une bataille chirurgicale, relire
Flaubert: « Redresser des pieds bots, est-ce qu'on peut redresser les pieds bots ? C'est comme
si on voulait par exemple rendre droit un bossu. »

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Pied traumatique
Les agents traumatiques en zone tropicale sont nombreux. Nous en retiendrons quatre.

Morsures et piqûres d'animaux


Une faune abondante, souvent dangereuse, caractérise le milieu tropical, aussi bien sur
terre qu'en mer.

Serpents
Quelle que soit leur espèce, vipéridés, colubridés ou crotalidés, les serpents venimeux
ont une toxicité générale et locale. La morsure, le plus souvent localisée au pied, n'est pas
forcément mortelle, mais elle provoque toujours des lésions locales par un mécanisme de
cytotoxicité. Il apparaît une nécrose qui peut s'étendre jusqu'aux parties molles, mettant à nu
les tendons ou la charpente osseuse. Bien souvent, cette nécrose s'auto-entretient par la
surinfection et la thrombose. Elle posera des problèmes de reconstruction.

Poissons
L'agressivité du requin ou du barracuda est connue. La toxicité de la piqûre de raie ou
de celle du poisson pierre dans les eaux chaudes du Pacifique peut être responsable de lésions
tégumentaires étendues. Le venin de ces animaux est injecté par une piqûre hyperalgique,
parfois syncopale entraînant la noyade. Localement, après une phase inflammatoire banale, va
se développer une escarre nécrotique dont l'élimination laissera une zone bourgeonnante de
plus ou moins grande taille. Contrairement aux morsures de serpents, cette zone n'a pas
tendance à s'étendre après la chute de l'escarre, mais son étendue initiale peut cependant poser
un problème de reconstruction.

Brûlures
Elles sont fréquentes, surtout chez l'enfant, la vie sous les tropiques s'organisant
autour du feu familial. Elles sont généralement plus graves que dans les pays occidentaux en
raison du retard apporté au traitement et, surtout, elles sont responsables de séquelles
fonctionnelles invalidantes à type de brides et de rétractions cutanées.

Accidents de la voie publique


Ils présentent quelques particularités, en particulier leur grande fréquence (véhicules
surchargés, mal entretenus, sur des routes ou des pistes en mauvais état) et leur particulière
gravité (gravité des lésions bien sûr, mais aussi afflux massif de blessés dans des structures
non adaptées).

Pieds de mine
Les pays tropicaux, souvent politiquement instables, sont fréquemment en guerre. Le
pied paie son tribut sous forme du classique pied de mine. La puissance des mines modernes,

584
l'absence de protection du pied fait que les lésions rencontrées sont de véritables fracas plus
ou moins étendus et surtout aggravés par l'effet ischémiant du solid blast associé.

Quel que soit l'agresseur, on peut schématiser les lésions en fonction des structures
atteintes :
- la peau : elle est presque toujours lésée. C'est le problème majeur, d'autant plus
qu'elle est alors une porte d'entrée pour l'infection, en particulier la gangrène et le tétanos ;
- les parties molles sont souvent concernées, posant un problème de mobilité
articulaire ;
- l'os est parfois atteint, mais là n'est pas l'essentiel du problème.

Thérapeute
Face à ces différents types de lésions, le thérapeute doit agir en fonction des moyens
dont il dispose. La plupart du temps, on se trouve dans un grand dénuement, avec un plateau
technique extrêmement sommaire. Les techniques de base doivent donc rester simples et
efficaces.

Techniques de base
Réparation cutanée
Pour que la cicatrisation soit possible, quel que soit le type de plaie, il faut passer par
un premier temps de détersion et de nettoyage. Devant une plaie récente, le parage permet
d'atteindre ces deux objectifs. Devant une plaie chronique, le nettoyage et la détersion doit
faire appel à une technique ancienne : le « goutte-à-goutte percutant ». Ce goutte-à-goutte
nécessite, pour être efficace, une séance quotidienne de 3 h pendant au moins 5 j. La solution
est un mélange de sérum salé aseptisé par du Dakin. Après détersion, la cicatrisation d'une
perte de substance cutanée peut être conduite par cicatrisation dirigée. Si elle est trop
importante, il faudra faire appel à des greffes.

Plusieurs techniques permettent d'obtenir une réparation cutanée.

La greffe en pastille, décrite et vulgarisée en zone tropicale par Nosny, est un


véritable Papineau cutané. Elle peut être réalisée sur un sous-sol encore contaminé. Le
prélèvement se fait sous anesthésie locale, par exemple au pli de l'aine. Une aiguille soulève
un cône cutané que l'on sectionne au bistouri à sa base. La pastille ainsi prélevée est posée sur
la zone à greffer. On peut mettre en place plusieurs pastilles, et leur nombre doit être
suffisant. La zone est ensuite recouverte d'un pansement confectionné d'une compresse collée
sur les berges de la plaie, puis de tulle gras, et enfin d'un pansement occlusif. La réfection du
pansement devra attendre le 10e j. La zone de prélèvement est réséquée en quartier d'orange et
suturée. Avec ce type de greffes, l'épidermisation se fait de manière centrifuge à partir de
chaque pastille, et la cicatrisation est d'assez bonne qualité.

Les greffes en peau mince nécessitent un sous-sol propre et bourgeonnant. Leur


évolution est dans ces conditions rapidement favorable. Il faut disposer bien sûr d'un
dermatome pour le prélèvement.

585
Les lambeaux fascio-cutanés peuvent être utiles s'ils sont simples. Le lambeau
saphène interne inversé est envisageable sous les tropiques. Il permet de couvrir les pertes de
substances antérieures du cou de pied. On peut aussi utiliser les lambeaux hétérojambiers en
cross leg. Le fixateur externe utilisé en Occident peut être remplacé par un appareil plâtré
nécessitant une surveillance attentive.

Les lambeaux pédiculés sont peu nombreux au niveau du pied. Nous en retenons
deux, réalisables sans matériel de microchirurgie : le lambeau pédieux couvrant les pertes de
substance du dos du pied et le lambeau plantaire interne couvrant les pertes de substance du
talon. Ce lambeau est particulièrement intéressant car il redonne au talon sa sensibilité.

Réparation des parties molles


Les gestes de libération nerveuse peuvent être intéressants. Il faut connaître le
geste de neurolyse du nerf tibial postérieur dans le canal calcanéen. C'est un geste simple de
décompression qui rend de grands services dans les syndromes de compression à ce niveau,
en particulier chez les lépreux.

Les gestes sur les tendons sont de deux types.


Les transferts tendineux au niveau du pied se résument pratiquement au
traitement de la paralysie du sciatique poplité externe par l'opération de Carayon de
réanimation du jambier antérieur et de l'extenseur du gros orteil par le jambier postérieur et le
fléchisseur commun des orteils. C'est une intervention simple et fiable qu'il faut connaître.
Les ténotomies, avec ou sans allongement, sont facilement réalisables avec peu de
matériel. Elles s'adressent essentiellement au tendon d'Achille, rétracté et fixé en équin.

Réparation osseuse
En ce qui concerne les lésions septiques, il faut impérativement respecter les grands
principes classiques de curetage et de résection jusqu'en zone saine, sauf pour les ostéites
drépanocytaires salmoléniennes qui doivent être traitées par ponction et immobilisation.

Toute lésion traumatique du pied, a fortiori ouverte, est à haut risque infectieux en
zone tropicale. Il faut donc bannir les ostéosynthèses intrafocales par plaques et faire appel
soit à des ostéosynthèses a minima par broches, soit à une exofixation par fixateur externe.
Ces modes d'ostéosynthèse sont également ceux qu'il faut utiliser pour fixer les arthrodèses et
les ostéotomies.

Orientations thérapeutiques
Amputation
C'est souvent le seul recours face à un traumatisme majeur, en particulier un pied de
mine. C'est également la solution logique face à un mycétome ayant franchi l'aponévrose. Elle
est souvent indiquée devant un ulcère phagédénique cancérisé et face aux ostéites évoluées de
l'avant-pied et du pied.

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Les amputations posent, en zone tropicale, le problème de leur appareillage. Celui-ci
étant souvent impossible, il faut autant que possible conserver une coque talonnière. Les
amputations transmétatarsiennes et de Lisfranc sont bien tolérées. Les amputations de
Chopart le sont moins bien et nécessitent une arthrodèse tibio-astragalo-calcanéenne. Enfin,
l'amputation de Pirogoff modifiée par Camilleri avec arthrodèse tibio-calcanéenne, le
calcanéum étant verticalisé pour compenser partiellement le raccourcissement dû à la
résection de l'astragale, est une opération de sauvetage de l'appui qui donne de bons résultats
malgré l'inévitable inégalité de longueur.

Gestes palliatifs
Ce sont les transferts tendineux, les arthrodèses ou les ténotomies que l'on peut
proposer devant des pieds neurologiques lépreux ou poliomyélitiques. Dans ces indications, il
faut tenir compte de l'ensemble des déficits, en particulier sus-jacents, au niveau du genou et
de la hanche.

Le problème du pied bot varus équin fixé mérite d'être soulevé. Le programme
thérapeutique est trop lourd pour être envisagé en zone déshéritée ; l'abstention est de règle
dans ces conditions.

Gestes curatifs
Certains gestes curatifs sont cependant possibles.

La décompression du nerf tibial postérieur par ouverture du canal calcanéen va sauver


l'innervation de la plante du lépreux en phase de névrite aiguë.

L'opération de Servelle ou l'opération de Gibson diminuent les éléphantiasis avec


d'excellents résultats. Ce sont des interventions simples mais hémorragiques.

Le pied bot varus équin jeune doit bénéficier si possible d'une prise en charge
identique à celle de l'Occident mais les problèmes qui se posent ne sont pas simples.

Les lésions limitées à la peau et au tissu cellulaire sous-cutané, comme les mycétomes
sus-aponévrotiques, les ulcères phagédéniques, les plaies par morsures d'animaux et les
brûlures, peuvent bénéficier des gestes plastiques décrits plus haut.

Conclusion
Ce panorama de la pathologie tropicale du pied montre sa diversité et son intérêt.
Certes, la médecine préventive fait des progrès sous les tropiques mais il reste, pour
longtemps encore, une place à la chirurgie tropicale dans ces zones instables, à bas niveau
socio-économique. Pour que le chirurgien soit pleinement efficace, il doit réapprendre une
pathologie souvent oubliée et surtout s'exercer à des techniques simples réalisables à moindre
frais.

587
Blessures par animaux marins
en milieu tropical

J. BAHUAUD

Il y avait deux façons d'aborder cette question de pathologie tropicale chirurgicale :

- soit essayer de synthétiser tout ce qui avait été décrit à travers le monde sur ces
blessures. Nous avons préféré éviter cette approche qui, tournant rapidement au catalogue,
ne peut donner qu'une idée très artificielle et théorique du sujet ;
- soit exposer une expérience vécue dans les zones les plus exposées du globe.

On pourrait reprocher à cette démarche, plus descriptive, son caractère partiel. En


fait, tel n est pas le cas car plus de 90 % de ces blessures sont observées dans le Pacifique
Sud.

Nos observations reposent sur une pratique de chirurgie traumatologique tropicale


hospitalière partagée entre la Nouvelle-Calédonie et les îles avoisinantes (pratique de trois
ans) et la Polynésie française (pratique de trois ans), ainsi que des contacts étroits avec
l'Australie. Nous nous référerons ici essentiellement à la Nouvelle-Calédonie où ces lésions
abondent et illustrent pratiquement tout ce que l'on peut rencontrer sur le sujet et signalerons
les quelques spécificités concernant l'Australie et la Polynésie.

Introduction
Que l'archipel néo-calédonien rassemble bon nombre d'animaux marins susceptibles
d'infliger des traumatismes parfois sévères à l'homme n'a rien d'étonnant, puisque à 1 400 km
à l'ouest les côtes australiennes du Queensland, flanquées de la Grande Barrière dont la faune
est très voisine, offrent la plupart des observations mondiales de lésions par créatures
marines.

Aucune synthèse n'a à notre connaissance été effectuée à ce sujet en Nouvelle-


Calédonie et ses alentours. Pourtant, la population de ce territoire français, dont
l'appartenance à l'immense province biogéographique indo-pacifique fait toute l'originalité,
reste notablement exposée à ces blessures.

À la suite d'une étude que nous avons menée à l'hôpital Gaston-Bourret (Nouméa) et
dans les différents dispensaires, nous avons essayé de ramener à leurs justes proportions ces
blessures qui font l'objet de débats souvent passionnels, peu objectifs et où l'affabulation est
monnaie courante.

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Matériel d'étude et méthodes
Notre matériel d'étude a été tiré des observations médico-chirurgicales de différents
services de l'hôpital Gaston-Bourret à Nouméa, des registres du service des urgences
chirurgicales et médicales, des observations adressées par les médecins-chefs des dispensaires
de la région et des observations rapportées par des médecins d'exercice privé, et cela sur une
période s'étalant de 1975 à 1979.

Nous décrirons ces blessures en précisant leur fréquence, leurs caractères puis nous
exposerons l'essentiel de leurs aspects.

Résultats et observations

Épidémiologie
Fréquence
Elle est difficile à apprécier du fait de l'absence de diagnostic étiologique ; l'agent
causal est en effet souvent ignoré, soit que le blessé ne l'ait pas vu, soit qu'il ne le connaisse
pas. De plus, on constate qu'une infime partie de ces blessures est médicalisée, surtout en
dehors des agglomérations.

Dans les registres des consultations des urgences chirurgicales et médicales de


l'hôpital G.-Bourret, nous avons relevé de 1975 à 1979 (soit cinq ans) un total de 267
blessures par animaux marins.

Nous avons bien entendu éliminé l'ichtyosarcotoxisme ou toute intoxication


alimentaire par consommation de chair de poisson ou autre animal marin, ainsi que les
accidents tels que l'ingestion d'arête de poisson qui représentent une part importante des
urgences.

Dans les dispensaires de l'intérieur et des îles, les médecins interrogés fournissent peu
d'observations, mais celles-ci sont toujours intéressantes. Les médecins de pratique privée et
les médecins du travail sont sollicités par les blessés de fin de semaine, en particulier le lundi
matin à Nouméa.

Sur place ou dans les populations autochtones, beaucoup de blessures sont traitées
avec des procédés ancestraux. Ainsi, par exemple, le docteur Zettelmaier de l'hôpital de
Koumac a réussi à faire établir la statistique du petit dispensaire d'Arama tenu par une
infirmière. En cinquante ans, ce dispensaire a reçu 38 blessés par animaux marins ; 7 étaient
venus consulter d'emblée et 31 secondairement, pour surinfection, après avoir été traités par
des moyens indigènes (un blessé sur cinq est donc accouru d'emblée au dispensaire).

On peut estimer que pour une population de 130 000 habitants, il existe environ 300
blessures par an (une centaine traitée en milieu hospitalier, une centaine pour le secteur privé
et une centaine par des méthodes traditionnelles).

589
Types de blessures
Ils sont très divers en raison de la multitude des animaux marins, mais également du
grand nombre de situations mettant en présence l'homme et la mer.

Étiologie
À l'hôpital G.-Bourret, les blessures les plus fréquentes sont celles dues à des animaux
marins venimeux.

Rascasses 33 %
(dont poissons-pierres) 7%
Raies 20 %
Méduses 5%
Oursins 5%
Piqûres par animal indéterminé 33 %
Morsures par poisson non venimeux 2%
Divers. 2%

Gravité
Elle dépend de trois facteurs :

- l'endroit où a eu lieu la blessure (qui conditionne également la qualité des soins). On


distingue les blessures :

• hors de l'eau, sur le bateau généralement, de pronostic habituellement favorable. Les


blessures en bord de mer sont les plus fréquentes,
• si la victime échappe à la noyade, elle est menacée par l'évolution quelquefois
gravissime de certaines piqûres par poissons ou mollusques venimeux. La rapidité du
transport vers un centre équipé est le meilleur garant du succès thérapeutique,
• enfin, on retrouve les blessures en pleine eau, qui sont les plus graves si le sujet est
seul. La blessure type en est l'attaque de requin. Elles nécessitent un traitement urgent ;

- les conséquences cliniques immédiates (envenimation pouvant atteindre les


fonctions vitales, hémorragies) ;
- l'âge et le poids de la victime, d'où une particulière gravité chez l'enfant.

Type
II dépend lui aussi de trois facteurs :

- l'activité de la victime au moment de la blessure, qui conditionne la localisation


(marche dans l'eau, nage, etc.) ;
- la nature de l'organe vulnérant de l'animal, donnant des irritations, des piqûres, des
morsures, des dilacérations, des pertes de substance, etc. ;
- l'angle d'attaque lors de la blessure (simple piqûre ou dilacération par le dard de raie
par exemple). ;

590
II existe de plus un facteur saisonnier évident ; les accidents sont plus fréquents de
novembre à février, c'est-à-dire en saison chaude.

Raisons pour lesquelles la victime entre en contact avec les animaux


La raison peut en être les loisirs. La plaisance et le tourisme offrent un terrain
particulièrement propice aux accidents quand s'associent amateurisme et ignorance, surtout
quand la victime connaît mal l'écologie locale.

Elle peut être culturelle. La pêche de subsistance, traditionnelle et très artisanale,


est pratiquée essentiellement par les tribus mélanésiennes en bordure de mer. Ses techniques
sont très diversifiées, mais peuvent exposer ces populations à des accidents (marche pieds
nus, rabattage ou pose des filets, recherche de crustacés, pêche au thon, aux serpents de mer,
etc.). La communauté tahitienne (12 % de la population) s'adonne également à des activités
traditionnelles mais de façon plus sporadique et plus anarchique, ce qui accentue les risques.

Elle peut enfin être professionnelle. La pêche de rapport pour la


consommation locale, peu développée en Nouvelle-Calédonie, présente certains risques
lorsqu'elle est pratiquée hors des circuits structurés. La pêche pour collections et objets de
commerce n'est pas négligeable et pratiquée souvent par des solitaires téméraires, quelquefois
très exposés (pêche au coquillage la nuit, pêche à la tortue, pêche au requin, etc.). L'industrie
de la nacre mobilise les pêcheurs de « trocas » sur toutes les côtes ; cette pêche prédispose
aux attaques de requins. Enfin, l'exploration et la recherche scientifique sous-marines
comportent pour des plongeurs, même entraînés, des risques certains. Un accident à grande
profondeur peut prendre des proportions dramatiques.

Blessures par animaux marins en Nouvelle-Calédonie et ses environs

Blessures par animaux marins non venimeux


Ces blessures, dont l'aspect est parfois impressionnant, sont rares et résultent la
plupart du temps d'une réaction de défense de l'animal.

Aspect clinique général


Ces blessures vont de la simple éraflure, coupure ou plaie punctiforme, jusqu'aux
blessures graves par plaies étendues avec grand délabrement, voire même amputation. Deux
facteurs expliquent la particulière gravité de ce dernier type de plaies : l'hémorragie d'une
part, de pronostic parfois vital lors de lésions vasculaires en pleine mer et la rapidité de la
prolifération microbienne d'autre part, favorisée par l'attrition tissulaire.

Principes généraux du traitement en milieu hospitalier


La plaie est parée en milieu chirurgical, sous anesthésie locale, locorégionale ou
générale et désinfectée aux antiseptiques. Un drainage est mis en place dans les plaies
contuses. Toute plaie vue tardivement (après 6 h) doit être laissée ouverte. L'antibiothérapie

591
doit être systématique, les plaies étant toujours septiques. La prophylaxie antitétanique est
obligatoire.

Blessure par morsure

Requin
Caractères généraux et identification :

Le requin est considéré en Nouvelle-Calédonie et ses alentours comme


particulièrement dangereux, ce qui semble peu justifié au regard des observations colligées. Il
est vrai que la presse locale ne manque en aucune occasion de relater les prises spectaculaires
de pièces impressionnantes. Par ailleurs, même si les blessures dues aux requins restent
objectivement rares, l'imagination est frappée par le fait que certaines espèces comme le
requin tigre, le requin-marteau, voire le fameux requin blanc qui hante périodiquement les
eaux du lagon, peuvent être redoutables, ayant ailleurs dévoré des plongeurs occasionnels ou
avertis.

En dix ans, cinq observations de cas sérieux nous ont été rapportées par les médecins
des dispensaires.

En Nouvelle-Calédonie comme ailleurs, la motivation alimentaire est rare.

L'espèce en cause serait souvent Carcharodon melanopterus car les accidents ont
essentiellement lieu sur le récif mais l'identification en est toujours difficile.

Il faut noter que la richesse animale du lagon minimise l'agressivité du requin vis-à-vis
de l'homme, bien que la région du nord semble plus exposée (peut-on ici évoquer des
accidents mortels anciens et surtout l'attaque de cerfs en pleine eau quand ceux-ci migrent
vers la Grande Terre, ce qui aurait en ce lieu « habitué » les requins à apprécier la chair de
mammifère ?).

Quoi qu'il en soit, la capture non exceptionnelle en plein port de Nouméa (baie de la
Moselle) de requins tigres d'une taille impressionnante, ainsi que la disparition périodique de
plongeurs, inquiètent toujours la population tournée vers le lagon.

Appareil vulnérant :
L'appareil vulnérant des requins est impressionnant. La peau, recouverte de denticules,
est abrasive et décolle les plans cutanés (épanchement type Morel Lavalée). Les mâchoires
portent des dents ou écailles phacoïdes modifiées et plantées en plusieurs rangées très acérées
et constamment renouvelées, constituant des « machines à saisir et à couper » dans
tous les sens.

592
Symptômes :
Cliniquement, les plaies sont profondes et contuses avec bouillie musculaire,
tendineuse et osseuse quelquefois. Sur d'autres zones cutanées, on trouve des lacérations
parallèles et des zones abrasées témoignant du contact avec le corps du requin.

Rappelons surtout la classification de ces blessures :

- 1er degré : atteinte de deux gros vaisseaux. Le pronostic est rapidement fatal ;
- 2e degré : atteinte d'un gros vaisseau ou blessure abdominale avec éviscéra-tion.
Lésion grave à traiter d'urgence ;

- 3e degré : lésion d'une petite artère ou blessure superficielle. Le pronostic est bon
mais il faut traiter rapidement.

Ces plaies sont très septiques (Clostridium tetani et welchii).

Conduite à tenir :

Conduite d'urgence : il faut sortir le blessé rapidement de l'eau car l'hémorragie


incite le requin à réattaquer. La pose d'un garrot est souvent nécessaire.

En milieu médical : il faut corriger le choc hypovolémique et désinfecter les


lésions pour pratiquer les réparations électives. Chez le sujet vu tardivement, une gangrène est
possible. Il faut prescrire une antibiothérapie intensive et si possible mettre le sujet sous
oxygène hyperbare.

Prévention :
Le principal mode de prévention consiste à respecter les règles élémentaires de
prudence : ne pas porter de poisson capturé à sa ceinture et respecter la loi : « l'exercice de
la pêche sous-marine est interdit entre le coucher et le lever du soleil ».
Parmi les nombreux moyens proposés, seul le sac de survie, isolant complètement le
naufragé, serait efficace.

Pour se protéger en cas d'attaque, le mieux est se munir de flèches à tête explosive ou
de shark dart au CO2 dont devrait se munir tout plongeur professionnel (mais ces armes sont
vite débordées en cas d'attaque massive).

Les totems de nombreuses tribus mélanésiennes représentent un requin considéré


comme l'ancêtre (îles Loyauté en particulier). Cet animal a donc une signification sacrée qui
explique que les autochtones réagissent différemment en sa présence ; certains utilisent les «
repellents » végétaux, qu'ils jugent très efficaces en friction (graminée : Thuarea involuta) ou
en bracelet (rhamacée : Ventilago pseudo-caliculata), à vertu théoriquement répulsive.

En cas de rencontre avec un requin (et rares sont les plongées en mer où l'on n'en
rencontre pas !), il faut faire face et se retirer doucement, ce qui n'est pas toujours aisé.

593
En fait, la littérature abonde sur les requins. En Nouvelle-Calédonie les accidents sont
rares, mais le danger ne doit pas être sous-estime. En Australie en revanche, le problème se
pose de façon plus aiguë. Les eaux, plus froides et plus proches de grandes métropoles,
comme Sydney, abritent en particulier le grand requin blanc (White Death) très agressif
envers l'homme.

Loche géante
Une seule observation de blessure par loche géante nous a été rapportée. La loche
géante, ou mère-loche, très répandue, est redoutée des plongeurs pour sa taille.

Son appareil vulnérant consiste en une gueule énorme de diamètre impressionnant et


assurant une aspiration considérable. Ses dents, petites, résistantes et disposées en plusieurs
rangées, constituent des râpes qui dilacèrent la proie ; ainsi s'expliquent les éraflures cutanées
et la contamination par des reliquats alimentaires interdentaires putréfiés. Les plaies sont donc
contuses et se surinfectent constamment.

Tazard
Ces poissons, très prisés par les pêcheurs sportifs en Nouvelle-Calédonie, provoquent
fréquemment des blessures mais la plupart du temps hors de l'eau, particulièrement sur les
bateaux de pêche.

On rencontre Scomberomorus commerson, Acanthocybium solandri (2 mètres et 50


kg) et Gymnosarda unicolor.

Son appareil vulnérant est constitué d'une gueule large et pourvue de dents acérées,
résistantes, triangulaires et très coupantes, expliquant les plaies nettes, larges, à 1'emporte-
pièce et découvrant de larges pertes de substance nécessitant parfois une greffe.

Barracuda
L'espèce la plus abondante est Sphyraena bleckeri (1,20 m) mais on trouve S.
barracuda, S. forsteri, S. génie, S. jello ; ces deux dernières espèces sont très agressives.

Les blessures sont rares ; quelques-unes ont été vues en tribu, mais aucune en milieu
hospitalier.

Son appareil vulnérant est constitué d'une mâchoire hérissée de dents coupantes et
pointues. Les blessures sont de larges lacérations souvent hémorragiques.

Blessures par animaux marins non liées à des morsures


Ces blessures dues à des poissons non prédateurs ou d'autres animaux comme les
crustacés, tortues, bivalves, sont peu connues, souvent ignorées du public (car peu
spectaculaires) et du médecin (car peu courantes). Elles peuvent provoquer de graves atteintes
nécessitant un geste chirurgical.

594
POISSONS

Soldat
Les Holocentridés sont appréciés des pêcheurs. Les genres Adioryx et Flamméo
possèdent une longue et forte épine à l'angle du préopercule sans glande à venin. Au plan
clinique, la piqûre (le plus souvent au doigt) est instantanément douloureuse. On peut la
soigner en administrant des antalgiques généraux et des anti-inflammatoire s locaux.

Batiste
Le Baliste fuscus a une forte épine à cran d'arrêt sur le dos, susceptible de provoquer
des blessures. Les mâchoires destinées à broyer les coquillages peuvent blesser dans certains
comportements agressifs.

Nason
Les nasons possèdent sur leur pédoncule caudal deux paires d'épines fixes et carénées
capables d'infliger de sérieuses blessures dans des comportements agressifs. On rencontre
dans le lagon sept espèces, dont Naso unicornis ou dawa. Nous avons traité une section avec
dilacération du tendon d'Achille provoquée par cet appareil vulnérant chez un chasseur sous-
marin. La manipulation de ce poisson doit être très prudente.

Orphie
On rencontre surtout ici Hemirhamphus far, Strongylura leiura et urvilli, Tylosurus
crocodilus (1,30 m). On conçoit que ces animaux puissants qui portent une mâchoire
supérieure et inférieure allongée en un bec robuste et pourvue de dents, et qui sont des
poissons sauteurs, peuvent entraîner des lésions parfois graves. Nous en avons constaté deux
cas dont l'un chez un véliplanchiste (perforation du mollet).

AUTRES

Tortue
Les populations indigènes qui chassent la tortue marine peuvent être blessées par le
bec acéré de certaines espèces (Eretmochelys imbricata et Caretta gigas) et cela dans deux
circonstances : lors de leur capture au moment des pontes quand elles sont sur le sable et lors
de la chasse, pratiquée le plus souvent par les Tahitiens, en crochetant leur aileron à l'aide
d'un croc muni d'un filin. Les lésions sont à type de section de doigt ou de coupure profonde
infectée d'emblée.

Bénitier géant
La taille de certains bénitiers est impressionnante ; on a décrit des cas où la main ou le
pied de plongeurs ont été saisis par les deux énormes valves dont la force de fermeture est
considérable. Dans ce cas, il faut sectionner les muscles qui les commandent.

595
Crustacés
Lors de la pêche au crabe, on a décrit des sections de phalanges ou de tendons. Les
langoustes et divers crustacés peuvent blesser avec leurs antennes et leurs pattes très
vulnérantes quand on les saisit dans de mauvaises conditions de visibilité.

Divers
La liste des blessures possibles est inépuisable ; à la limite, tout poisson peut piquer, et
tout mollusque bivalve peut blesser lorsque on l'ouvre. Plusieurs blessures au pied par peigne
de Vénus (Murex triremis) ont été décrites. Toutes ces blessures, souvent négligées, tendent à
se surinfecter.

Blessures par animaux marins venimeux


Les animaux marins venimeux sont munis d'un organe spécialisé ou d'un groupe
cellulaire capable de sécréter une substance toxique. Celle-ci, destinée à paralyser les proies,
est inoculée par morsure ou par piqûre le plus souvent, soit dans l'eau lors d'une attaque de
l'animal, soit hors de l'eau à l'occasion d'une manipulation maladroite. À l'action traumatique
de la piqûre ou de la morsure se surajoute l'action toxique du venin qui domine rapidement le
tableau clinique.

Blessure par morsure

Murène
Les espèces rencontrées, pouvant atteindre trois mètres pour certaines, attaquent
rarement sans provocation.

L'appareil vulnérant comprend deux mâchoires de dents acérées mais non venimeuses
(ce point a longtemps été controversé), mais sa salive a des propriétés neurotoxiques.

Cliniquement, ces blessures siègent aux extrémités et sont contuses ; nous n'avons
jamais remarqué les frissons, polypnée, anxiété et secousses musculaires signalés par d'autres
auteurs.

Octopus
Les Octopodidés du genre Hapalochlaena maculosa et lunulata ont provoqué sur les
côtes australiennes des blessures graves. Ils sont rares en Nouvelle-Calédonie.

Aucune blessure par cette petite pieuvre mesurant 10 à 15 cm n'a ici été signalée. Ses
glandes salivaires entourant l'orifice buccal au centre de ses huit tentacules contiennent une
maculo-toxine pouvant tuer en quelques minutes. La prudence est donc de rigueur.

Serpents venimeux
Les serpents du lagon soulèvent de nombreux commentaires car ils sont mal connus.
Redoutés par la plupart des habitués de la mer, ils font courir en fait un risque minime en
Nouvelle-Calédonie.

596
En réalité, comme nous le verrons, les morsures par serpents sont assez fréquentes et
toujours bénignes chez les indigènes qui les pèchent (Ouvéa). Ce fait n'a pas été assez
souligné pour « dédramatiser » le problème.

Cette relative bénignité n'est pas due à la faible toxicité du venin car celui-ci est très
dangereux, mais plutôt à la configuration de l'appareil venimeux adapté pour la capture des
petites proies.

Les espèces du lagon sont nombreuses. On en rencontre environ 14 (il y a une


cinquantaine d'espèces entre le golfe Persique et les Samoa) qui sont des espèces
australiennes mais aussi du Sud-Est asiatique venues par l'arc mélanésien.

On distingue approximativement deux familles :


- les Laticaudinae qui abondent dans les îlots, viennent à terre et comprennent les
fameux « tricots rayés » et les serpents gris qui « accompagnent » souvent le plongeur ;
- les Hydrophinae mieux adaptés à la vie marine (vrais serpents de mer) et toujours
rencontrés dans l'eau.

Ces serpents peuvent être dangereux dans trois circonstances :

- leur manipulation directe, notamment par des enfants ;


- leur rencontre en pleine eau car ils sont curieux, voire agressifs, pouvant s'enrouler
autour d'un membre ;
- leur chasse (chasse aux serpents à Ouvéa et capture à la main par les indigènes qui
les consomment).

À ce propos, nous avons pu vérifier sur place que les morsures n'étaient pas rares et
remarquablement bien tolérées par les pêcheurs quand il n'y avait pas injection du venin. En
cas d'injection, le tableau peut en revanche être grave.

Appareil venimeux
II est fait de crochets très petits (1,8 mm) souvent flanqués de glandes à venin ; la
mâchoire de ces serpents est trop petite et leurs crochets sont le plus souvent trop faibles pour
percer les téguments.

Le venin des serpents semble 2 à 10 fois plus toxique que celui du cobra ; c'est une
protéine thermostable non enzymatique qui bloque les effets de l'acétylcholine.

Clinique
Nous ne décrirons pas la simple morsure sans injection de venin car elle est bénigne et
n'a rien de particulier. Quand le venin a été injecté, la morsure laisse sur les téguments en
général quatre points correspondant aux crochets dont certains peuvent être nichés dans la
plaie.

Les signes généraux apparaissent après un laps de temps pouvant atteindre plusieurs
heures. Le tableau est très similaire à un syndrome de Guillain-Barré, avec paralysie
ascendante qui s'accompagne de nausées, de vomissements, de détresse respiratoire, de
défaillance cardiaque aboutissant au décès. Un syndrome myoglobinurique peut apparaître

597
avec insuffisance rénale. Curieusement, aucun cas mortel n'aurait été rapporté en Australie
mais, en Mélanésie par exemple, la mortalité est notable. Dans l'île d'Ouvéa, la
symptomatologie se résume à une fièvre avec vomissements cédant rapidement en quelques
heures.

Traitement
- Sur place : étendre le sujet et mettre un garrot au-dessus de la morsure.
- En milieu hospitalier : il faut hospitaliser ces blessés en réanimation. Le sérum
antivenin de serpent de mer doit être utilisé avec précaution : il faut d'abord le tester en sous-
cutané puis l'injecter par voie intraveineuse sous corticoïdes, antihistaminiques et adrénaline.
C'est un sérum de cheval polyvalent disponible à l'Institut Pasteur de Nouméa et qui doit être
stocké entre 2 et 10 °C.

Prévention
Elle concerne surtout les enfants à qui il faut interdire d'approcher ces serpents dont
certains pullulent sur les îlots.
En pleine eau, il faut éviter des gestes qui pourraient être interprétés par l'animal
comme agressifs et le laisser évoluer librement (certains nageurs peuvent paniquer, d'où
nécessité de connaître le problème).

Blessure par piqûre : envenimation par une ou plusieurs piqûres

Lésions de grande taille


Raie
Caractères généraux et identification :

Les blessures par raies sont très fréquentes.

On distingue deux types de raies en fonction de leur comportement :


- les raies de pleine eau qui ne se laissent pas approcher et sont peu dangereuses ;
- les raies de sable qui sont enfouies dans le sable et peuvent blesser lorsque l'on
marche dessus ou lors de leur fuite en pleine eau.

Appareil vulnérant et mécanisme :


L'appareil vulnérant et venimeux est fait d'une épine rétrodentée et d'une gaine
venimeuse.

Le dard est un véritable harpon : il pénètre facilement dans les téguments mais ne peut
être retiré qu'en dilacérant les tissus. Cette lacération favorise l'intoxication.

Nous avons noté trois mécanismes lésionnels possibles :

- la victime marche par inadvertance sur la raie dont la queue se rabat vers le lieu
du stimulus : la blessure siège le plus souvent à hauteur de la cheville ;

598
- la victime est attaquée en pleine eau : la raie, apeurée, fouette de son dard n'importe
quelle partie du corps ;
- la victime est blessée hors de l'eau par une raie morte ou apparemment morte.

Le venin est une toxine protéique d'un poids moléculaire de 100 000 Da contenant de
la sérotonine, de la 5e nucléotidase et de la phosphodiestérase. Elle est thermolabile et
hydrosoluble (notion essentielle).

Sa toxicité est cardio-vasculaire, respiratoire et neurologique.

Symptômes :

Cliniquement les blessures sont caractéristiques et l'identification de l'animal est


généralement aisée.

La douleur prédomine, très vive d'emblée, irradiant vers tout le membre. Elle disparaît
entre 6 et 48 h. Elle peut être spasmodique ou continue. Dans notre expérience, les lésions
n'ont pas excédé 3 cm : il s'agissait d'une simple piqûre d'une petite lacération ou plus souvent
d'une perforation tégumentaire à 1'emporte-pièce reproduisant la « coupe horizontale du
dard».

En revanche, la plaie est souvent profonde. L'œdème est habituel, le pourtour cyanose
puis rouge. La nécrose apparaît au voisinage probablement par une action protéolytique du
venin. La plaie peut saigner, ce qui atténue voire fait disparaître la douleur. Dans la plaie, on
trouve souvent une membrane noirâtre adhérente aux bords : c'est la gaine venimeuse du dard
qu'il faut essayer d'extraire. Ulcération et nécrose sont fréquentes, et la surinfection est
constante. Les lymphangites sont habituelles.

Dans 80 % des cas, le délai de guérison des plaies est anormalement prolongé en
raison des surinfections et des troubles trophiques. Les septicémies sont fréquentes. D'autres
complications peuvent être redoutables, en particulier les lymphœdèmes chroniques et les
névrites tenaces.

En milieu hospitalier a été décrit un cas de gangrène du pied (blessé initialement traité
traditionnellement par des plantes) nécessitant l'amputation rapide. La piqûre directe en une
cavité ou un organe vital est gravissime : thorax, foie, péritoine, cœur. La mort est alors
constante.

Les signes généraux ne sont pas rares : douleurs abdominales, paralysie,


troubles du rythme (de la conduction par bloc auriculo-ventriculaire), ischémie, dépression
respiratoire, délire, état confusionnel, paralysie, fièvre. Les septicémies secondaires revêtent
leur tableau habituel.

Traitement :
- Sur place : il faut laver la blessure (éliminer en particulier la membrane qui adhère
aux bords de la plaie), quelquefois extraire le dard mais cela n'est pas toujours possible, puis
la plonger dans l'eau chaude pendant au moins 1 h (théoriquement l'eau devrait être à plus de
50°C).

599
- En milieu hospitalier : outre les traitements ci-dessus (s'ils n'avaient pas été institués),
on peut calmer la douleur par une injection d'anesthésique local. Un pansement antiseptique
sera appliqué quotidiennement. Certains cas nécessitent une radiographie (un dard cassé dans
la plaie est un corps étranger redoutable). En cas de pénétration cavitaire, il faut opérer. Dans
tous les cas, il faut administrer une antibiothérapie et une protection antitétanique. Enfin si,
cas fréquent, l'évolution se fait vers la nécrose, on doit exciser chirurgicalement l'escarre et
quelquefois effectuer une greffe ultérieure. Le traitement est long (3 mois minimum).

Les injections d'essence, proposées par les praticiens autochtones, sont à proscrire
(toutes les plaies ainsi traitées se sont soldées par une infection grave). On peut réparer
électivement des structures atteintes (tendons).

Prévention :
La prévention consiste à éviter de marcher sans chaussures montantes dans les zones
suspectes.

Lésions de petite taille

Rascasses
Caractères généraux et identification :

Ces animaux marins sont responsables de la plupart des blessures (un tiers des cas).

Il est important de différencier les trois genres de Scorpaenidae (ou


rascasses venimeuses) :

- le genre Pteroïs « rascasse poule », « poisson diable ». Ce sont de magnifiques


poissons vivant à proximité des coraux ;
- le genre Scorpaena. Ce sont des poissons d'aspect très étrange, aux brillantes couleurs,
qui vivent dans les rochers et se tapissent dans les algues et coraux usés ;
- le genre Synanceia (stone-fish ou poisson-pierre). D'une taille pouvant dépasser 45 cm
de long, le poisson-pierre est presque informe, recouvert de verrucosités multicolores et doué
d'un mimétisme particulièrement développé.

Appareil vulnérant et mécanisme :


Le type Pteroïs comporte 13 épines dorsales flanquées de petites glandes
venimeuses, sans conduit, de type holocrine.
Le type Synanceia comporte lui aussi 13 épines dorsales, plus petites mais tout
aussi vulnérantes et capables de traverser une chaussure de sport. Sous une gaine de
revêtement se trouvent deux glandes à venin qui se vident par des conduits sur chaque épine
quand une pression s'exerce sur elle (il s'agit d'une véritable injection).
Le type Ptéroïs blesse en pleine eau (nageur) ; le type Synanceia dans le sable
(quand on marche dessus).

Gail et Rageau (en 1956) ont étudié le venin de ce dernier à Nouméa. C'est une
protéine thermolabile d'un PM de 150 000 Da qui est une myotoxine entraînant une paralysie

600
musculaire et des troubles respiratoires et cardio-vasculaires (troubles du rythme). Le tableau
dépend de la dose de toxine qui est identique pour les trois genres.

Symptômes :
Les signes cliniques sont communs aux trois genres mais plus graves pour le genre
Synanceia.
- Localement : on note une, deux ou plusieurs piqûres, avec une douleur très vive
irradiant le long du membre atteint et un œdème parfois considérable. Apparaissent ensuite
une cyanose, puis une nécrose avec possibilité d'abcédation et de surinfection.
- Au plan général : la douleur s'accompagne quelquefois d'une agitation avec état
confusionnel, de paralysies diverses, de signes cardio-vasculaires (bloc auriculo-ventriculaire,
arythmie, fibrillation ventriculaire), de signes respiratoires (dyspnée), de pâleur, de
vomissements et de diarrhée. Le décès est possible mais reste exceptionnel.

Les piqûres chez l'enfant semblent redoutables et quand on voit la taille de certains
stone-fishes on ne peut que s'inquiéter quant à l'évolution d'une éventuelle blessure (rapport
quantité de venin/poids).

Traitement :
- Sur place : en urgence, il faut laver la plaie, étendre le sujet, appliquer un garrot au-
dessus de la lésion (avec les précautions habituelles) et plonger la zone concernée dans de
l'eau très chaude pendant 1 h au moins.
- En milieu médical : on injecte du sérum znii-stone-fish en milieu médical (1 ml
neutralise 10 ml de venin) : 2 ml en intramusculaire ou quelquefois en intraveineux
(Commonwealth Sérum Laboratories, Melbourne, Australia).

Ce sérum est réservé théoriquement aux formes sévères. Une antibiothérapie et une
protection tétanique sont systématiquement prescrites. Le transfert en réanimation peut se
révéler nécessaire.

Les indigènes connaissent l'affection. On a observé dans la région de Yate le


traitement traditionnel : la plaie ou la piqûre est débridée par une incision avec un morceau de
verre ou une lame de rasoir. De la sève de palétuvier est recueillie dans une cuillère puis
chauffée à la bougie. Le contenu est ensuite versé dans la plaie et une feuille de palétuvier est
appliquée dessus. Un pansement serré tient le tout. Ce traitement permet une sédation rapide
de la douleur, mais l'infection est fréquente.
Plus tard, on peut être amené à traiter une infection et/ou exciser une nécrose.

Prévention :
La prévention est théorique : la population achète des chaussures dites
chinoises (en toile caoutchoutée), qui semblent efficaces pour marcher sans risque dans l'eau,
mais cela est astreignant.

Les habitats de ces animaux sont connus et doivent être évités, surtout par les enfants.
En pleine eau, il ne faut pas s'approcher de ces poissons qui attirent le baigneur par leur
beauté.

601
Enfin, soulignons que l'identification précise de l'animal est souvent difficile. On a
toujours trop tendance à parler de « poisson-pierre » alors qu'il s'agit la plupart du temps des
autres genres.

Mais, quoi qu'il en soit, le sérum anti-stone-fish est prescrit quel que soit le genre et
même sans identification lorsque les symptômes l'exigent. Mais il ne faut pas en abuser car
les accidents sériques sont notables.
Poissons chirurgiens
Leur appareil vulnérant, situé de chaque côté de l'appendice caudal, est fait d'une lame
érectile, tranchante comme un rasoir et acérée comme un scalpel, baignant dans une
dépression où est sécrété un mucus toxique. L'érection de ces épines se produit lorsque ces
poissons se sentent menacés. Les plaies peuvent être profondes et l'envenimation se traduit
par l'apparition de nausées et, surtout localement, par un aspect dévitalisé qui aboutit à
l'infection. Sur place, il faut traiter la plaie par l'eau chaude ou froide pour déstabiliser le
venin par lavage abondant. À la rigueur, on peut utiliser du permanganate de potassium, de
l'ammoniaque ou du vinaigre. L'essentiel est de lutter contre l'infection par une
antibiothérapie systématique.

Picots
Ces Siganidés portent 13 épines dorsales, 4 pelviennes et 7 anales. C'est la première
épine dorsale qui est le plus souvent en cause. Le venin sécrété par des glandes venimeuses
adjacentes est encore mal connu, mais on sait qu'il est thermolabile. La piqûre se produit
quand on saisit ces poissons très prisés pour la consommation. Elle est très douloureuse et
l'infection est assez fréquente à la main. Des cas mortels ont été décrits ailleurs mais, dans le
lagon, ces piqûres restent la plupart du temps bénignes. Il est préférable là aussi de prévenir
l'infection par antibiothérapie.

Poissons-chats
Ils sont représentés par Plotosus anguillaris. Ce Plotosidé mesure 30 cm à l'âge adulte
et 4 à 12 cm chez l'animal plus jeune ; il vit en pelote. Ses épines venimeuses (1 dorsale et 2
operculaires) provoquent des lésions très douloureuses à type de piqûre. Le venin renferme
une plototoxine à action neuro- et hémo-toxique. Les signes généraux restent cependant
exceptionnels. Le traitement est symptomatique et rejoint celui des blessures par raie.

Mollusques venimeux
Parmi les mollusques venimeux, les cônes occupent une place prépondérante ; les
lésions qu'ils produisent sont certes très rares mais très graves.

Archipel néo-calédonien et cônes


Ce territoire d'outre-mer, lointain, rassemble 25 % de ces espèces. Bon nombre de
lésions échappent au praticien, car elles surviennent loin des centres médicaux et la plupart du
temps en milieu tribal. Aux îles Belep, par exemple, on sait que les enfants sont très exposés à
la piqûre de ces coquillages dangereux car ce sont eux qui sont chargés de les ramasser sur les
récifs pour la consommation. Des décès très rapides en bord de mer ont été signalés mais les
preuves manquent et on ne peut en tirer aucune conclusion objective.

602
Espèces venimeuses
Les cônes piscivores seraient les plus dangereux pour l'homme. En Nouvelle-
Calédonie, Conus geographus a été incriminé dans quatre décès. En Australie et Polynésie, il
est le seul considéré comme mortel.

Appareil venimeux et notions toxicologiques du venin


L'appareil venimeux se compose d'une glande volumineuse (glande de Leiblin) et d'un
long canal sinueux auquel est annexé un sac ou gaine de la radula contenant des dents qui
sont en réalité des projectiles.

Ces éléments gagnent le pharynx prolongé par le proboscis qui sert à la fois par ses
propriétés extensives et rétractiles à l'alimentation et à la projection des dents.

Au plan toxicologique, le venin de Conus geographus cause une paralysie musculaire


qui ne semble pas faire intervenir un blocage de la transmission au niveau de la plaque
neuromusculaire mais une action directe sur les muscles.

Mécanisme de l'envenimation
C'est en manipulant les coquillages que la victime peut être piquée. Même en les
saisissants par la grosse extrémité, cela peut être dangereux car le proboscis extensible est
capable de rétroprojection.

De plus, les dents peuvent traverser les vêtements.

Symptômes
Localement
La piqûre initiale va d'une simple gêne à une douleur très vive. D'abord blanche puis
cyanotique, elle s'accompagne presque toujours d'un œdème volumineux (spectaculaire à la
face) ; parfois, cette douleur irradie dans tout le membre, voire dans le reste du corps et ceci
en 10 min.

Signes généraux
Dans les formes bénignes, le tableau est souvent fruste. Il peut exister des céphalées,
des nausées et parfois des troubles visuels à type de diplopie. Une paralysie des muscles
squelettiques peut s'installer. Dans les formes graves, c'est la paralysie des muscles
respiratoires qui est responsable du décès qui survient en 2 h, parfois moins.

Évolution
Elle est variable mais souvent grave, rapide et aboutissant au décès dans 50 % des cas.
Dans le meilleur des cas, les troubles peuvent régresser en quelques heures, mais les douleurs
peuvent persister plus d'une semaine. Les décès sont dus à Conus geographus et concernent
surtout les enfants. On retrouve ici l'association de deux facteurs défavorables : le cône le plus
toxique et un des plus gros, atteignant un organisme de faible poids. Le rapport quantité de
venin/poids de la victime entre bien évidemment en ligne de compte.

603
Traitement
II est purement symptomatique. Il n'existe aucun sérum, aucun traitement spécifique.
Son but consiste donc à répondre à une situation d'extrême urgence visant à lutter contre les
effets rapidement irréversibles de l'envenimation (paralysie des muscles respiratoires
essentiellement).

- Sur place : il faut avant tout allonger la victime, essayer de débrider le point de
piqûre qui n'est pas toujours évident et, si possible, poser un garrot au-dessus de la lésion,
avec les précautions habituelles. Si la paralysie s'installe, on peut être amené à pratiquer une
respiration artificielle au bouche-à-bouche, voire un massage cardiaque externe si elle se
complique d'un arrêt cardiaque. En cas de piqûre par Conus geographus, tout dépend du lieu
d'éloignement et des moyens mis en œuvre pour l'évacuation. Le pronostic est sombre chez
l'enfant et tout doit être tenté pour retarder l'action du venin.

- En milieu hospitalier : ces blessés doivent tous être hospitalisés en réanimation où


une assistance respiratoire ou cardiaque peut être entreprise à tout instant. L'œdème semble
réagir aux corticoïdes mais ceux-ci, utilisés seuls, semblent relativement inefficaces pour
lutter contre le choc. On peut prescrire une injection d'anesthésique local en cas de douleurs
intenses au point de piqûre. En réalité, on reste actuellement très démuni devant les formes
graves. Une assistance ventilatoire prolongée permet de passer un cap, avec récupération
ultérieure.

Prévention
La gravité du pronostic de ces piqûres par cônes venimeux doit inciter la population à
ne pas ramasser ces coquillages heureusement faciles à identifier.

Les touristes, toujours avides de sensations, collectionneurs occasionnels souvent


ignorants, doivent connaître ce problème et le grave manque de moyens thérapeutiques. Le
vrai collectionneur doit employer des pinces et un sac étanche.

Les enfants doivent être très avertis par des panneaux affichés dans les lieux publics et
les écoles.

Conclusion
Tout cône rencontré en Nouvelle-Calédonie et dans l'Indo-Pacifique en général doit a
priori être considéré comme dangereux.

L'enfant, par ses jeux, son imprudence, sa curiosité, est particulièrement exposé à la
piqûre.

Seul Conus geographus semble capable d'entraîner la mort. La gravité du pronostic


s'explique par l'absence de thérapeutique spécifique, comme un sérum ou un antidote, ce qui
explique l'importance qu'il y aurait à mener des études complémentaires, en particulier pour
déterminer la structure du venin.

604
Le traitement est purement symptomatique : réanimation intensive et rapide dans les
cas graves.

Échinodermes venimeux

Étoile de mer venimeuse


UAcanthaster planci possède des épines redoutables sécrétant un venin aux propriétés
encore mal connues. C'est une blessure envenimée assez sérieuse qu'il faut traiter activement
sur place : eau chaude ou glacée, ou application de la face podale de l'étoile (effet antidote).
On peut calmer la douleur par des anesthésiques locaux et il faut administrer une
antibiothérapie. Dans un cas, un plongeur a failli se noyer après s'être blessé. La blessure a
cicatrisé en 3 mois.

Oursins
Les Diadematidés sont peut-être vénéneux car les douleurs que provoquent leurs
longues épines sont hors de proportion avec l'importance des piqûres. Mais ces lésions, très
fréquentes, sont bénignes.

Les Toxopneustidés (Toxopneustes pileolus notamment), à épines plus courtes, sont


en revanche beaucoup plus toxiques par leurs pédicellaires venimeux dont le venin est une
substance acétylcholine like provoquant une paralysie musculaire généralisée. C'est dire que
tout oursin à épines courtes doit être considéré comme dangereux. En cas de blessure, il faut
laver les zones de contact et surtout transporter les victimes dans un service de réanimation
car des cas mortels ont été décrits. Ces Toxopneustidés, fréquents dans le lagon, vivent
heureusement loin des plages. Aucun cas mortel n'a été enregistré en milieu hospitalier, mais
des indigènes ont signalé des morts suspectes dans leur tribu.

Envenimation par de très nombreuses piqûres de petite taille Ces lésions sont
provoquées par les Cœlentérés.

Corail de feu
Ces Milléporidés, qui ont l'apparence de coraux de récifs, provoquent des brûlures qui
peuvent se surinfecter.

Physalie
Cette méduse à fil bleu ou portuguese man-owar, très répandue, provoque des
lacérations couvertes de vésicules avec possibilité de choc pouvant à l'extrême entraîner des
noyades.

Hydraire urticante
Ces Plumaridés donnent des brûlures de type urticariennes avec toujours des signes
généraux. L'évolution est bénigne.

605
Méduses
Elles sont fréquentes et banales, et peu de blessés consultent. L'identification de ces
Scyphozoaires est difficile. Exceptionnellement, certaines cubo-méduses ont été rendues
responsables de cas mortels en Australie, pour lesquels on prescrit un sérum.

Anémones de mer
II s'agit de lésions identiques aux précédentes avec également possibilité de choc.

Glaucus
Le Glaucus atlanticus est un mollusque qui ne dépasse pas 3 cm et se nourrit de
Cœlentérés venimeux. Le tableau est le même, sans lacération.

Traitement
Le traitement de toutes ces lésions est identique : sur place, on peut laver la blessure à
l'eau, au sable, à l'alcool (une boisson alcoolisée fait l'affaire) pour décoller certains tentacules
adhérents. On peut ensuite prescrire des pommades anesthésiantes ou aux corticoïdes. On
peut parfois être amené à traiter un choc. L'infection est prévenue par antibiothérapie.

Blessures par autres mécanismes


Coupure de corail (Coral cut)
Ces coraux de l'ordre des Scléractiniés (Madreporiés) se cassent et restent dans la
plaie, entraînant des brûlures que l'on peut mettre sur le compte des nématocystes.
L'infection est constante.

Le traitement doit être immédiat : nettoyage soigneux de la plaie et prévention de


l'infection par pansements réguliers.

Spongiaires venimeux
Ces porifères, dont l'identification est en cours, agissent par les cristaux de silice
qu'ils contiennent mais aussi par une toxine puissante. Une irritation simple peut
gravement se surinfecter.

Le traitement est ici dermatologique (en général, pommade aux corticoïdes et aux
antibiotiques).

Annelides venimeux
Fréquentes, ces blessures sont provoquées par les Amphinomioés, qui blessent par
leurs soies venimeuses, ou les Eucinidés par leurs mâchoires. Piqûres ou morsures
peuvent se surinfecter.

Les soies (aspect d'épines de cactus), peuvent être enlevées à l'aide d'une bande
adhésive. Ammoniaque et alcool sont des sédatifs.

606
Pour les morsures, il faut laver à l'eau salée ou bicarbonatée, ou encore par un
antiseptique. Il faut administrer une antibiothérapie.

Holothuries
Le Bohadshia argus (Échinoderme) émet des filaments collants qui contiennent
une holothurine, toxine hydrosoluble et thermolabile, pouvant provoquer des blessures
oculaires avec cécité temporaire. Il n'existe pas de traitement sauf le lavage à l'eau douce.

Conclusion
La liste des blessures possibles est inépuisable. Tout peut se voir dans cette
immense province biogéographique si riche en espèces dangereuses. La plupart des
blessures observées en Nouvelle-Calédonie et ses alentours sont rarement dues à des
comportements agressifs ou alimentaires de l'animal. Le lagon calédonien est un équilibre
où l'homme est toléré. Il y est agressé quand il dérange ou lorsqu'il néglige le
comportement naturel d'un hôte marin armé, pour se défendre de ce qui le menace,
moyens fournis par sa condition biologique finalement fragile.
Il faut laisser de côté le mythe du danger permanent et du monstre marin ; en fait,
une étude objective ne peut que montrer que les risques qu'encourent les Néo-Calédoniens
tournés vers la mer sont minimes, l'attrait l'emportant largement sur le danger.

607
Neurochirurgie d'urgence
en milieu tropical
A. DUCOLOMBIER

Lorsque l'on parle de neurochirurgie en milieu tropical, on ne se réfère pas tant aux
conditions climatiques qu'aux modalités d'exercice, à la fois inhabituelles et difficiles. Certes,
la pathologie rencontrée peut présenter des caractères propres à l'environnement ; certes,
l'insouciance proverbiale des malades explique l'existence de stades pathologiques devenus
plus qu'urgents. En fait, en définitive, le dénominateur commun de ces pays est la pauvreté
des infrastructures sanitaires et la précarité des moyens aptes à les faire fonctionner.

Nous avons pu exercer la neurochirurgie épisodiquement dans plusieurs pays


tropicaux à l'occasion de missions de courtes durées, par exemple au Tchad, au Niger, au
Congo et au Cambodge. Cependant, notre expérience principale se situe au Sénégal qui
possède un système sanitaire plus complet que ces autres pays, avec en particulier un hôpital
neurologique et un service de neurochirurgie. Pour cette étude, nous ferons donc
principalement référence à un séjour de 1979 à 1981 au Sénégal, dans le service de
neurochirurgie du professeur B. Alliez. La grande expérience de ce service a fait l'objet de
nombreuses publications.

Environnement sanitaire et social particulier


Le budget du ministère de la Santé du Sénégal assure le fonctionnement de tout le
système de santé. Il ne représente que 5,4 % du budget national (9 % sont préconisés par
l'OMS), soit 204 400 000 FF en 1985, ce qui est peu pour environ 7 millions d'habitants.
Cette somme, qui n'a été que très faiblement actualisée, est devenue dérisoire en termes de
pouvoir d'achat depuis la dévaluation du franc CFA.

On compte à Dakar, petite capitale située sur la presqu'île du Cap-Vert, 20 % de la


population sénégalaise, les trois quarts des 400 médecins du pays, la moitié des lits
d'hôpitaux, l'institut Pasteur et la faculté de médecine.

Il y a dans tout le pays 1 médecin pour 17 000 habitants, 1 infirmière pour 8 500
habitants (normes OMS : 1 pour 10 000 et 1 pour 300 respectivement) et 1 neurochirurgien
pour 15 millions d'habitants si l'on ajoute la population des pays voisins (1 pour 200 000 en
Europe). Le service de neurochirurgie est en fait le seul de toute l'Afrique de l'ouest et son
recrutement se fait dans les pays limitrophes, en Mauritanie, au Mali, en Gambie, en Guinée,
en Guinée Bissao, et dans des pays plus lointains francophones, Bénin et Togo.

En 1985, on comptait 7 510 lits avec 16 hôpitaux, 43 centres de santé, 347 postes de
santé, soit 1 hôpital pour 400 000 habitants, 1 centre de santé pour 150 000 habitants (normes
OMS : 1 pour 150 000 et 1 pour 50 000 respectivement).

608
Outre la faiblesse des crédits, le caractère essentiel du système sénégalais est la
disparité de l'offre sanitaire à travers le pays. Il y a peu ou pas de structures de ramassage des
blessés en dehors de la région du Cap-Vert, et l'intérieur des terres connaît une grave pénurie
de moyens techniques, de médicaments et de personnel médical. Les cases de santé, premier
échelon sanitaire au niveau du village, sont dirigées par un agent de santé communautaire,
hygiéniste ou secouriste. Le poste de santé se trouve dans le chef-lieu d'arrondissement ; il est
dirigé par un infirmier qui supervise les cases de santé. On ne trouve de médecins qu'au
niveau du centre de santé départemental.

Lorsqu'un malade ou un blessé est évacué en neurochirurgie, la prise en charge est


assurée par le village dont les habitants cotisent. Le transfert jusqu'au service de
neurochirurgie est bien souvent difficile et se fait en plusieurs étapes.

Conditions d'exercice précaires


L'hôpital de Fann est un centre hospitalier universitaire comprenant un secteur
neurologique avec trois services, 42 lits de neurochirurgie, 65 lits de neurologie et 130 lits de
psychiatrie. La réanimation neurochirurgicale comprend 8 lits de soins attentifs. Il n'y a pas
de possibilité de ventilation assistée en dehors du bloc opératoire car l'approvisionnement en
gaz médicaux est trop faible et les appareils de ventilation sont trop anciens, sans alarme,
utilisables uniquement pour l'anesthésie. Le bloc opératoire comprend deux salles climatisées,
assez vastes et équipées d'un matériel de bonne qualité. Il n'y a pas de stéréotaxie.

La neuroradiologie reste conventionnelle, avec un craniographe de type Princeps, un


appareil d'artériographie de type Multiplex et une table automatique de type Futuralix. En
raison de graves problèmes de maintenance dus essentiellement à des carences budgétaires, le
fonctionnement de ces appareils est aléatoire. Par exemple, pendant environ un an la table
Futuralix est restée en panne, et les examens de contraste de la colonne se pratiquaient sur le
craniographe.

Un scanner vient d'être implanté à Dakar en secteur privé, et ses coûts sont prohibitifs
pour la majorité de la population.

L'absence d'installation de radiothérapie et le coût excessif de la chimiothérapie


rendent illusoire tout geste chirurgical à visée oncologique. La chirurgie est donc
essentiellement palliative pour ces pathologies, la majorité des interventions concernant
surtout l'urgence. De plus, la faiblesse des compétences locales en anatomopathologie rend
problématique tout diagnostic précis et rend encore plus aléatoire ce type de chirurgie.

Le budget annuel de fonctionnement du service de neurochirurgie est de 200 000 FF,


inchangé depuis des années. Il ne peut fonctionner que grâce à des aides extérieures, en
particulier pour le matériel consommable spécialisé relativement onéreux comme les clips
anévrismaux et les valves de dérivation.

Pour des raisons techniques, ce service ne peut accueillir des urgences que pendant les
heures ouvrables. Le reste du temps, les patients sont dirigés sur le « CHU Le Dantec » ou sur
l'hôpital principal de Dakar où sont appelés les neurochirurgiens de garde. De ce fait, la
neuroradiologie est rarement utilisable en urgence et c'est la clinique qui reste toujours
déterminante pour poser les indications opératoires.

609
L'hôpital principal de Dakar est un hôpital militaire fonctionnant sur des normes
européennes et dirigé par des coopérants militaires français. Il ne reçoit que des patients
solvables, c'est-à-dire des fonctionnaires, des expatriés ou de riches commerçants. Les hautes
personnalités préfèrent se faire traiter en France.

Nature des urgences particulière


En Afrique, la représentation individuelle de la maladie diffère notablement de ce que
nous connaissons en Europe car, très souvent, les patients prennent d'abord conseil auprès
d'un marabout qui instituera une thérapeutique traditionnelle. Dans ces conditions, l'urgence
quand elle existe n'est pas véritablement perçue, et on imagine mal qu'une quelconque
intervention puisse se pratiquer rapidement, les patients arrivant souvent à l'hôpital en état
désespéré ou dépassé. Si on ajoute à cela les difficultés habituelles d'évacuation, on comprend
pourquoi le nombre des urgences est relativement faible en milieu tropical.

Les infections sont les pathologies neurochirurgicales les plus fréquentes et les plus
graves en milieu tropical.

Les abcès cérébraux et les empyèmes juxta-duraux représentaient, au début


des années quatre-vingt, 12 % des processus expansifs du service. Cette grande fréquence,
reflet du faible niveau d'hygiène d'une population fragilisée par un polyparasitisme chronique,
est loin de tendre à s'amoindrir, en particulier en raison de l'extension de l'épidémie de sida.

Parmi les cas de suppurations intracrâniennes colligés de 1971 à 1981 on compte 44


abcès cérébraux et 20 empyèmes juxta-duraux. Les patients étaient jeunes, avec une moyenne
d'âge de 25 ans, ce qui rend plus désolant encore le retard au traitement et l'état souvent
désespéré des malades.

Le diagnostic est évoqué par l'interrogatoire des familles. Il retrouve la notion de


fièvre et de céphalées dans les jours ou les semaines précédentes, faisant suite à une infection
de voisinage négligée (plaie cutanéo-crânienne, otite suppurée, furoncle de la face). À son
arrivée à l'hôpital, le patient présente généralement une hypertension intracrânienne (HIC)
avec un déficit neurologique et des signes d'engagement plus ou moins sévères, et souvent un
coma profond.

L'artériographie quand elle est possible confirme le diagnostic, mais une fois sur deux
seule la clinique guide le geste de trépano-ponction-drainage de la collection suppurée. On
peut utiliser l'échographie transfontanellaire chez le nourrisson ou une transcraniotomie chez
l'adulte pour localiser le processus. C'est un geste de sauvetage vital, parfois réalisé au lit du
malade.

Il faut ici noter la bonne sensibilité des germes aux antibiotiques usuels, comme la
pénicilline G en perfusion à la dose de 10 à 20 MUI/j qui reste heureusement encore efficace,
ce qui explique des résultats assez inespérés avec seulement un tiers de mortalité. Les
séquelles, en revanche, sont lourdes.

Les paraplégies pottiques constituent une urgence chirurgicale toute relative car il
est rare que les patients qui en sont victimes consultent rapidement.

610
Sur les 65 observations de spondylodiscite tuberculeuse avec paraplégie traitées en 5
ans à Dakar, de 1975 à 1980, 30 d'entre elles ont été opérées. Dans la genèse des troubles
neurologiques, la gibbosité et l'épidurite sont accessibles à un traitement chirurgical mais les
indications de celui-ci sont discutées. Certains opèrent systématiquement, d'autres jamais,
d'autres enfin réservent le traitement chirurgical à l'échec du traitement antibiotique.

Nous pensons qu'une décompression médullaire relativement urgente est utile quand il
existe une volumineuse épidurite et/ou une cyphose angulaire importante, de façon à faciliter
l'action des antibiotiques, l'idéal étant de pouvoir y associer une fixation par arthrodèse. Cela
permet de raccourcir la durée de l'antibiothérapie spécifique de 12 à 9 mois (mais les
problèmes de compliance thérapeutique sont fréquents). Les résultats à long terme sont pour
cette raison assez décevants.

Nous avons eu cependant des surprises évolutives heureuses. En particulier, chez un


homme de 50 ans, une tétraplégie spastique par mal de Pott cervical a été traitée par
intervention décompressive et antibiothérapie. En 3 mois, la tétraplégie avait régressé, pour
guérir complètement en 9 mois.

Les autres processus expansifs intracrâniens comprennent les tumeurs


proprement dites et les processus infectieux chroniques.

Pendant la même période de dix ans, 212 processus expansifs intracrâniens (PEIC) ont
été observés à Dakar. La plupart étaient des tumeurs mais on avait aussi dénombré 16
processus infectieux chroniques, représentant 7,5 % des cas, dont 14 tuberculomes, 1
syphilome et 1 kyste hydatique. La proportion de ces diverses pathologies ne reflète que
l'activité du service et non leur incidence réelle dans la population, car la maladie est bien
souvent longtemps négligée et nombre de patients décèdent avant leur arrivée en service de
neurochirurgie.

En effet, dans plus de la moitié des cas, les malades souffrent d'HIC évoluée, avec
presque toujours une baisse importante de l'acuité visuelle souvent motif de l'hospitalisation.
La comitialité, présente chez 25 % des patients, permet parfois un diagnostic plus tardif.

Les méningiomes sont les tumeurs les plus fréquentes avec une incidence de 22 % des
cas. Cela reflète certainement leur évolution plus lente que celle des gliomes malins ou des
métastases qui représentent chacun 14 % des cas. L'incidence des gliomes bénins, 8 %, est
certainement sous-estimée car ils sont surtout diagnostiqués au scanner.

Les méningiomes se révèlent par une HIC progressive ou par une comitialité tardive,
ce qui laisse le temps aux malades d'arriver en neurochirurgie. Néanmoins, ces tumeurs sont
souvent très volumineuses et elles ont souvent envahi leur base d'insertion, en particulier au
niveau de la voûte où elles peuvent devenir accessibles à la biopsie superficielle. Lorsque l'on
doit opérer en urgence un méningiome pour décompensation rapide d'une HIC, le pronostic
est généralement sombre.

Le principe du traitement chirurgical d'urgence de tous les processus expansifs


intracrâniens, s'il est indiqué, est de diminuer l'HIC soit en dérivant le LCR lorsqu'il existe un
obstacle sur ses voies d'écoulement, soit en réduisant le volume tumoral lui-même, soit enfin
en diminuant le volume de la masse cérébrale par une lobectomie polaire. Ces traitements ne

611
sont que palliatifs dans les tumeurs malignes. Ils ne peuvent être curatifs que dans les tumeurs
bénignes et les tuberculomes.

La mortalité péri-opératoire de ces interventions est assez élevée, avec 67 décès le


premier mois, soit 31,6 %. Cela s'explique par le mauvais état neurologique des patients et par
la précarité des moyens de réanimation neurologique. De plus, les gliomes malins récidivent
très rapidement en l'absence de thérapeutique complémentaire, avec des survies très courtes.

Les urgences traumatiques sont relativement peu fréquentes du fait de la sous-


médicalisation du ramassage et des difficultés à l'évacuation rapide des blessés. Dans 54 %
des cas, il s'agit d'accidents de la voie publique grevés d'une lourde mortalité chez les
polytraumatisés. Typiquement, il s'agit d'un accident de camion transportant des dizaines de
passagers qui seront évacués de façon très rudimentaire sur des charrettes ou des bennes de
camion vers le poste de secours le plus proche.

Sur les 1 200 cas de traumatismes du crâne hospitalisés de 1969 à 1980, il n'y a
donc rien d'étonnant à constater que seuls 83 blessés (50 hématomes intracrâniens et 34
plaies cranio-cérébrales) aient pu être opérés en urgence, avec une mortalité assez lourde
de 35 %.

Nombre Décédés
Hématome extradural 12 5
Hématome sous-dural aigu 11 7
Hématome sous-dural chronique 17 1
Hématome intracérébral 9 4
Plaie cranio-cérébrale 34 12

Total 83 29 soit 35 %

De même, dans 407 cas de lésions encéphaliques diffuses graves avec coma profond
sans signe de localisation, on a noté 22 décès à l'arrivée dans le service et 120 décès retardés,
soit ici encore 35 %.

Sur 90 cas de traumatismes graves du rachis cervical recueillis entre 1977 et 1981,
correspondant à la moitié des traumatismes rachidiens de la même période, 51 présentaient
des signes neurologiques déficitaires majeurs, ce qui est un bon critère d'une intervention en
urgence, mais une myélographie n'a pu être réalisée que trois fois en urgence.

Au point de vue thérapeutique, la mise en traction par halo crânien a été entreprise
d'emblée chez 45 blessés dont 40 avec signes neurologiques ; elle a toujours été le premier
geste chirurgical en cas de lésion déplacée et parfois le seul traitement chez les nombreux
patients décédés rapidement de troubles neurovégétatifs.

Par voie postérieure, il a été essentiellement réalisé en urgence des laminectomies


décompressives stabilisées par des greffons osseux apposés sur les lames ou les massifs
articulaires, en l'absence de moyens d'ostéosynthèse disponibles. Les voies antérieures sont

612
destinées à stabiliser par arthrodèse les luxations préalablement réduites et à traiter les hernies
discales. Dans tous ces cas, on a assuré une immobilisation stricte par 3 mois de minerve.

Il faut noter l'extrême gravité immédiate de la tétraplégie complète, responsable de 29


décès sur 40 cas dont seuls 7 cas ont pu être opérés.

Les urgences vasculaires sont essentiellement les ruptures d'anévrismes artériels


intracrâniens dont on connaît la gravité vitale et fonctionnelle par complications dues à
l'hémorragie méningée ou cérébroméningée. Leur traitement est complexe mais peut toutefois
être réalisé convenablement en milieu tropical, à condition de disposer d'un minimum
d'équipements (artériographie, microscope opératoire et clips anévrismaux en particulier).

De 1975 à 1982, 64 cas ont été colligés, avec pour particularité principale le long délai
entre le saignement et l'hospitalisation en neurochirurgie, seuls 8 patients ayant été transférés
dans cette unité dans les premières 48 h. Le plus souvent en effet, ces patients sont traités en
première intention pour méningite, affection beaucoup plus fréquente sous ces latitudes.
Comme autre cause de ce retard, on peut évoquer la fréquence de l'hypertension artérielle en
Afrique, ce qui lui fait attribuer nombre d'accidents vasculaires cérébraux. Ce retard explique
pourquoi l'évolution naturelle de la maladie joue ici un rôle primordial : les cas les plus
graves décèdent avant tout traitement étiologique, et les survivants ont spontanément échappé
aux complications de la rupture anévrismale.

Pour évaluer la gravité de l'atteinte, le score de Glasgow semble en milieu tropical


plus approprié que la classification de Hunt et Hess ; en effet, le premier est plus connu et
plus accessible, en particulier par les services de médecine générale et d'urgence qui adressent
ces malades, alors que la seconde n'est utilisée que par les neurologues et les
neurochirurgiens.

La ponction lombaire reste, en l'absence du scanner, un examen d'orientation capital,


d'autant plus qu'elle permet, dans certains cas, de diagnostiquer une méningite atypique. Elle
se pratique sur un malade en décubitus latéral, après examen du fond d'œil, en prélevant peu
de liquide, même dans les cas où il existe un déficit neurologique associé au syndrome
méningé.

L'artériographie cérébrale est l'examen clé qui affirme l'existence et permet de préciser
le caractère anatomique de la malformation vasculaire. Elle seule permet de mettre en
évidence le type de complication, vasospasme, hématome et hydrocéphalie. La multiplication
des incidences, en particulier de trois quart, s'est parfois révélée nécessaire mais, pour des
raisons économiques, il n'a pas toujours été possible d'opacifier systématiquement l'ensemble
du réseau artériel intracrânien après visualisation de l'anévrisme présumé responsable du
saignement. Cela explique peut-être que l'on retrouve peu d'anévrismes multiples (8 % contre
20 % habituellement). Pour ces mêmes raisons économiques, la moitié des malades opérés
n'ont pas eu de contrôle agiographique postopératoire.

La chirurgie anévrismale est généralement pratiquée en urgence pour prévenir les


complications évolutives. Elle vise à exclure l'anévrisme du flux artériel en posant un clip sur
son collet. Elle se réalise sous hypotension contrôlée, l'anesthésie étant conduite par un
infirmier aide-anesthésiste très entraîné mais ne disposant que d'un minimum de matériel de
monitorage. Ce qui manque le plus en réalité dans ces conditions est une réanimation
postopératoire digne de ce nom.

613
Les indications opératoires sont dictées par l'âge du patient, son état neurologique, son
délai d'admission en neurochirurgie et les résultats de l'artériographie. Dans cette série, la
majorité des 40 cas n'ont pu être opérés qu'au-delà de la 2e semaine, et la question de
l'intervention urgente ou différée ne s'est que peu posée.

L'existence d'un hématome ou d'une hydrocéphalie précoce incite à intervenir en


urgence, ce que nous avons réalisé trois fois avec un bon résultat. Un spasme artériel
important, au contraire, fait classiquement retarder l'intervention mais, en l'absence de
traitement endovasculaire spécifique, nous avons opéré précocement 8 patients qui en étaient
porteurs, dans le but de libérer les citernes bloquées par l'hémorragie et d'apporter localement
des vasodilatateurs. Les résultats ont été mitigés.

L'intervention chirurgicale a été réfutée 24 fois pour diverses raisons : coma d'emblée
d'aggravation rapide, âge très avancé ou refus du patient.

Sur les 40 malades opérés, 9 sont décédés dans les suites opératoires par ischémie
cérébrale, par récidive hémorragique, par méningite, par embolie pulmonaire. Pour les 31
survivants, le résultat fonctionnel est donné ci-dessous :

Catégorisation Nombre

Groupe 1 Activité normale 15


Groupe 2 Reclassement 6
Groupe 3 Vie familiale 2
Groupe 4 Tierce personne 4
Groupe 5 Grabataire 4

Total 31

Les meilleurs résultats ont été obtenus chez les sujets jeunes en bon état neurologique,
chez lesquels il n'y a pas eu de décès et où les séquelles sont restées minimes, même dans les
conditions assez précaires que nous avons décrites. Malgré des carences thérapeutiques
évidentes, comme l'absence de médications anticalciques, trop onéreuses, et des moyens en
réanimation peu importants, on peut obtenir des résultats que l'on peut considérer comme
satisfaisants.

Les 292 cas de malformation du système nerveux central observés de 1970 à 1980
s'expliquent par un taux important de consanguinité en milieu rural.

La malformation urgente la plus fréquente était le spina bifida aperta (44 cas). Il s'agit
d'un défaut de fermeture congénital de l'axe rachidien avec exposition de la moelle épinière
qui apparaît en surface sous la forme d'une plaque cruentée. Les autres types de dysraphies ne
doivent pas nécessairement être traités en urgence, sauf en cas de rupture.

614
L'intervention consiste à pratiquer une dissection de l'aire médulloradiculaire, qui est
ensuite placée à l'abri d'une couverture méningée et cutanée de bonne qualité. Ce geste n'a
aucun effet sur les déficits neurologiques qui préexistaient et qui resteront définitifs, mais il
laisse espérer une préservation du capital neurologique existant. De plus, seule cette
intervention, aidée par l'échographie, permettra de différencier une myélocèle, de piètre
pronostic fonctionnel, car la moelle est ici ouverte et étalée en surface, et une myélo-
méningocèle ulcérée, de meilleur pronostic, dans laquelle la moelle est normalement fermée.

Un entretien préalable avec la famille est indispensable car l'enfant présentera toujours
des séquelles, avec au minimum des troubles sphinctériens et souvent une paraplégie plus ou
moins complète. De plus, dans 10 à 20 % des cas il existe des malformations concomitantes :
hydrocéphalie, pieds bots, luxations congénitales de hanche, arthrogripose, malformations
cardiaques, pour ne parler que des plus fréquentes. L'intervention est récusée dans plus de la
moitié des cas, en raison des lésions incompatibles avec l'autonomie motrice.

Ces nouveau-nés sont rarement vus avant la 6e h, malgré le tableau impressionnant et


les risques neurologiques et infectieux. Là encore, l'évolution naturelle de la maladie prend
une place prépondérante. Tous les malades ou presque sont vus tardivement, et le problème si
controversé de l'intervention d'urgence ou de l'intervention différée ne se pose donc plus.

Les malformations se manifestant par une hydrocéphalie ne demandent pas, sauf


exception rare, de dérivation urgente. Les enfants sont souvent vus très tard, à un stade très
évolué, avec une macrocéphalie très importante, sauf si une dysgraphie opérée a fait surveiller
l'enfant.

Les urgences radicule-médullaires dégénératives sont dues aux hernies


discales et aux canaux lombaires étroits compliqués.

La hernie discale est classiquement rare chez l'Africain qui souffre plus volontiers de
canal lombaire étroit. Dans cette expérience de dix ans n'ont été pris en charge que 83 hernies
discales et 27 canaux lombaires étroits, ce qui est relativement faible.

Dans cette série publiée, 23 interventions urgentes ont été motivées par une
hyperalgie, par un déficit moteur radiculaire ou par un syndrome de la queue de cheval plus
ou moins complet. Il faut souligner la valeur de la clinique qui permet dans bien des cas à elle
seule de poser le diagnostic et d'envisager l'intervention.

La neuroradiologie en urgence a rarement été nécessaire car il n'y a habituellement pas


de problème diagnostique dans ces pathologies, sauf pour les syndromes de la queue de
cheval où il est préférable d'avoir un niveau supérieur par une myélographie, ou lorsque l'on
suspecte un canal lombaire étroit de façon à prévoir l'étendue de la laminectomie à pratiquer.

La chirurgie a ici un double intérêt : diagnostique car les lésions sont directement
visualisées, thérapeutique car elle permet une décompression. Il n'est pas rare de devoir
explorer un ou plusieurs étages adjacents lorsque la lésion constatée semble mal concorder
avec la symptomatologie.

Les résultats n'ont ici rien de particulier par rapport aux statistiques générales, sauf si
le patient est vu trop tardivement.

615
Conclusion
Pour ce qui concerne la neurochirurgie dans les pays en développement, les
perspectives paraissent au premier abord plutôt sombres en raison du sous-équipement, de la
faiblesse des crédits dans le domaine sanitaire et des politiques locales, peu concernées par
cette spécialité.

Cependant, il faut noter que la neurochirurgie peut être performante, même dans les
conditions assez précaires que nous avons décrites. Bien entendu, il est ici impératif de
sélectionner soigneusement la pathologie et le malade, et de disposer d'un minimum de
moyens techniques. On ne peut prétendre aux possibilités qu'offre le « confort » dont nous
disposons en Europe, mais on est loin d'être totalement démuni.

La précarité est une notion relative, car elle se réfère à des conditions qui peuvent être
meilleures ou à l'inverse, pires. Rien d'absolu ne contre-indique la pratique de la
neurochirurgie en condition précaire, ne réservant cette spécialité qu'aux pays aisés. On peut
toujours faire quelque chose, à condition de le vouloir et de s'adapter aux circonstances.

Cette expérience de neurochirurgie tropicale menée à bien depuis des décennies a


ainsi donné des résultats intéressants. Cela justifie si besoin était sa poursuite et son
développement avec si possible une remise à niveau de ses moyens techniques, en particulier
l'installation d'un scanner et la création d'une unité de réanimation moderne. Au Sénégal, les
choses semblent être à ce sujet en bonne voie.

616
Infection par le VIH
(virus de l'immunodéficience humaine)
et chirurgie tropicale
R. LAROCHE

En 1996 si l'incidence de l'infection par le VIH se stabilise aux États-Unis et en Europe, elle
progresse inexorablement dans le monde tropical.

L'Afrique sub-saharienne reste le continent le plus touché (8 à 12 millions de séropositifs) et


l'épidémie s'étend en Amérique latine, tandis qu’elle flambe en Inde (+ 1,5 million de cas) et en Asie
du Sud-Est avec plus de 1,7 million de sujets infectés.

La diffusion épidémique de l'infection par le VIH chez l'homme remonte aux années quatre-
vingt ; elle est certainement en rapport avec des modifications récentes portant sur les milieux et les
comportements humains. Le « mal développement » dont souffrent de nombreux pays tropicaux a
pour corollaires l'exode rural, l'urbanisation sauvage, les migrations massives de populations suite
aux conflits et guerres, la déstructuration de la cellule familiale africaine, l'effondrement des
économies, etc.

Toutes ces raisons expliquent la rapidité et l'importance de la diffusion du VIH,


principalement chez l'adulte jeune des grandes villes : hommes célibataires, migrants, prostitué(e)s,
20 à 30 % de ces sujets à risque vivant en zones urbaines d'Ouganda, Rwanda, Zambie, Malawi,
Zimbabwe sont séropositifs.

Quant à la progression rapide de la séropositivité au stade de Sida avéré, elle s'explique par
quatre facteurs qui peuvent d'ailleurs s'intriguer :

- le virus : avec une plus grande incidence de souches plus virulentes (sous-type : A, E et C)
en Afrique et en Asie ;
- une hyperstimulation du système immunitaire comme c'est la règle dans les pays où
l'environnement infectieux est riche, multipliant ainsi le nombre de cellules cibles au VIH ;
- l'existence de maladies sexuellement transmises et ulcérantes;
- le multipartenariat sexuel.

Mais le dénominateur commun de la rapide dissémination du VIH dans les pays tropicaux
reste la pauvreté. Celle-ci favorise la propagation du virus, non seulement par les conditions de
vie qu’elle induit, mais aussi par la précarité et l'insuffisance des ressources sanitaires. En effet, le «
mal développement » a pour corollaire une mauvaise accessibilité aux soins qui, de plus, tendent à se
dégrader.

La chirurgie réglée cède souvent le pas à la chirurgie d'urgence, avec une place de
plus en plus importante de la traumatologie routière, la persistance de la chirurgie de guerre,
auxquelles viennent s'ajouter les classiques urgences gynéco-obstétricales et abdominales. Aussi les
points de rencontre entre l'acte chirurgical et le VIH se multiplient aujourd'hui.

617
Acte chirurgical et Sida
L'acte chirurgical, à l'heure de la pandémie de sida, génère de nouvelles situations à
risque.

Le choc opératoire est susceptible de donner un coup de fouet évolutif à l'infection.

Le risque septique, vu la très grande richesse de l'environnement tropical en


germes pathogènes, est majoré chez des patients accueillis souvent à un stade
d'immunodépression évoluée.

Malgré des progrès théoriques réels dans le domaine de la sécurité


transfusionnelle, celle-ci n'est en pratique bien souvent pas effective : absence de
sélection des donneurs, dépistage sérologique non exhaustif sinon absent, rareté des banques
de sang et des produits sécurisés, difficultés d'une politique d'économie du sang, etc. Aussi
dans de nombreux pays pauvres, la transfusion sanguine reste responsable d'environ 5 % des
séroconversions de l'adulte et de 15 à 20 % de celles des enfants.

En revanche, la transmission du VIH par un personnel médical


contaminé à son patient est exceptionnelle, comme le confirme l'étude menée par le C
enter for Disease Control d'Atlanta en 1995. Le risque théorique d'un passage du virus d'un
soignant à un soigné est de 2 pour 100 000. Aucun cas de transmission chirurgien-opéré n'a, à
notre connaissance, été formellement établi.

Mais ce qui préoccupe surtout les équipes chirurgicales opérant sous les tropiques sont
les accidents d'exposition au sang (AES) lors de l'acte opératoire. L'appréciation du
risque professionnel de contamination sanguine pour le VIH repose
essentiellement sur les données occidentales car peu d'études probantes ont été menées dans
les pays en développement. L'exposition au VIH est importante pour les personnels de santé
exerçant dans les pays africains les plus touchés. Une enquête conduite en 1995 auprès du
personnel médical d'un hôpital tanzanien a montré que 30 % des membres du personnel ne
portaient pas de gants, que 50 % utilisaient des seringues mal ou non stérilisées et que 20 %
ne disposaient pas de désinfectants.

La transmission nosocomiale en Afrique (piqûres, instruments souillés, etc.) est


difficile à chiffrer : dans une étude menée en Tanzanie, on a constaté que les antécédents
d'injection parentérale multipliaient par trois le nombre de séropositifs, donnée qui n'a pas été
confirmée par de mêmes travaux menés au Zaïre et au Rwanda.

En 1995, en milieu chirurgical dans un hôpital zambien, où la séroprévalence chez les


opérés est de 22,3 %, ce « risque VIH » s'avère 15 fois plus élevé que dans une structure
occidentale.
Les seules données chiffrées concernant les accidents professionnels d'exposition au sang ont
donc été obtenues dans des séries occidentales (États-Unis, Europe).

En 1995, 182 cas d'accidents d'exposition au sang ont été répertoriés dans le monde, et
seuls 66 ont été prouvés. Aux États-Unis, les 39 cas prouvés ont tous concerné des
infirmières, tandis que les 83 cas présumés affectaient deux chirurgiens et 81 infirmières.

618
En France, 30 cas d'infections professionnelles par le VIH ont été notifiés mais seuls 9
ont été prouvés. La crainte qui entoure l'infection par le VIH explique que les déclarations
soient bien effectuées, et proches de l'exhaustivité. Il est rassurant de constater que les
chiffres sont restés stables ces dernières années.

Le risque de contamination est estimé en France à 0,37 % pour la voie percutanée et


de 0,05 % pour la voie cutanéo-muqueuse. En Europe, une étude multicentrique a retenu le
même chiffre moyen de 0,37 % (0,29 % en Espagne, 0,17 % en Italie contre 16,2 % pour
l'hépatite C).

Les chirurgiens ont le plus fort taux d'accident d'exposition au sang, mais ce sont les
infirmières qui sont infectées dans les deux tiers des cas, puis viennent les techniciens de
laboratoires.

Les deux tiers des contaminations sont dues à des piqûres par des aiguilles creuses de
gros calibre qui sont responsables de la majorité des séroconversions en France.

Le risque de contamination lors de l'exercice chirurgical en pays développé est donc


faible (0,37 %) mais réel. Il est certainement plus important en pays tropical et suscite de la
part des professionnels de la santé dans les pays de haute prévalence bien des interrogations et
bien des craintes.

Nombreux sont ceux qui exigent un dépistage systématique et, pour les équipes
de soins, la connaissance du statut sérologique des opérés.

Les mêmes principes éthiques en cours dans l'Hexagone doivent être appliqués sous
les tropiques. Après avoir recueilli le consentement éclairé du patient, le prescripteur est dans
l'obligation de l'informer du résultat du test et de lui proposer une prise en charge
adaptée ; mais le corps médical africain n'a le plus souvent, hormis sa compassion, rien à
offrir.

Aussi ces règles sont-elles régulièrement transgressées : le secret médical n'est pas
respecté, l'accès aux soins est aléatoire et l'annonce de la séropositivité souvent bien difficile
à assumer par des populations déshéritées. À Nairobi, seulement un tiers des femmes qui
apprennent leur contamination en avertissent leur(s) partenaire(s) de peur de représailles ;
d'autres revendiquent « le droit de ne pas savoir ».

Il n'est pas non plus certain que connaître le statut VIH du patient soit très utile.
Négatif, du fait d'une possible fenêtre sérologique, il génère une fausse sécurité. Positif, il
permet certes de prendre toutes les précautions pour une chirurgie réglée, mais ne résout en
rien les problèmes de l'urgence.

Il est de plus évident que la séropositivité d'un patient ne modifiera pas l'indication
opératoire posée par un praticien responsable devant un polytraumatisé, une grossesse extra-
utérine, une blessure de guerre, etc.

619
Prévention et conduite à tenir en cas de contamination
II existe donc un risque incontournable de contamination par le VIH lors de la
pratique chirurgicale en pays tropical, mais le respect de certaines règles permet d'en
diminuer l'impact.

- Rappelons qu'en France un accident potentiellement contaminant chez le personnel


de santé est considéré comme accident du travail si la preuve de la séroconversion est
apportée entre la 4e semaine et le 6e mois (décret n° 93-74 du 18 janvier 1993).

- Le nettoyage immédiat et soigneux de la porte d'entrée (eau de Javel, alcool,


bétadine, etc.) réduit sensiblement le risque d'infection.

- Le traitement précoce par l'AZT n'a pas fait la preuve de son efficacité et on se
dirige aujourd'hui vers l'administration précoce d'associations de molécules en bi- ou
trithérapie. On espère ainsi contribuer, conjointement aux défenses immunitaires, à éradiquer
le virus avant qu'il ne se multiplie.

- Les précautions universelles vis-à-vis du sang et des liquides biologiques


jouent un rôle essentiel dans la prévention. Le personnel doit cependant être bien formé et il
faut disposer d'un minimum de moyens qui font bien souvent défaut dans les pays en
développement.

Cependant, on estime que 64 % des accidents d'exposition au sang peuvent être évités
si on respecte les mesures préventives et si on adopte le recours systématique au matériel de
sécurité. Aux États-Unis, on a pu montrer que même les gants neufs ont des défauts et que les
perforations, qui passent souvent inaperçues, sont très nombreuses au cours des interventions
chirurgicales. Certaines mesures visent à mieux protéger le personnel soignant : systèmes de
prélèvement rétractables, utilisation d'orthèses par les infirmières, doubles gants, gants
anticoupures, etc. L'Agence nationale de recherche contre le sida (ANRS) prône la
fabrication en France d'un gant virucide et bactéricide. Beaucoup de recherches en cours
visent ainsi à améliorer la sécurité en procurant un matériel « sans risque ».

La chirurgie tropicale est souvent qualifiée de chirurgie d'exception.

Pratiquée dans des conditions précaires, elle nécessite une grande maîtrise
technique, mais surtout elle exige, du fait de l'insécurité, beaucoup d'abnégation et de
courage.

620
PARTIE 4

Techniques
Chirurgicales.

621
Avant-propos
P. HOUDELETTE

Thème de technique chirurgicale : bases pédagogiques et valeur


psychotechnique

« Ne vous exposez pas à tout mal faire, disait Farabeuf, en ne vous préparant à rien. »

Les « thèmes » qui vont suivre peuvent paraître bien incomplets en nombre et bien
particuliers dans leurs formes.

Ils ne prendront leur saveur qu'à la lumière de quelques préambules.

Les techniques exposées ici ne sont pas exhaustives, mais se limitent au domaine des
urgences ou aux interventions chirurgicales de nécessité absolue. Néanmoins, la
méthodologie du « thème de technique chirurgicale » est applicable à l'apprentissage de toute
pratique opératoire ou instrumentale.

« II y a, c'est certain, une différence entre le médecin et le chirurgien dans le cadre du


raisonnement et de la méthode, une différence dans le comportement habituel, peut-être une
différence dans les appréciations morales » écrivait P. Jourdan dans son livre, Misère de la
philosophie chirurgicale.

Cette différence se reflète dans l'acquisition du savoir et du savoir-faire.

La méthodologie de l'enseignement chirurgical « abstrait » qui passe par les écrits


pathologiques, les traités de thérapeutique, les traités de technique, les monographies, les
articles de revues, laisse toujours l'opérateur débutant sur « sa faim », car il y manque une
synthèse d'emblée applicable, allant en ligne droite d'un tableau pathologique mis en exergue
à la fin des soins de l'opéré, un montage qui associe au scénario intelligible de la démarche
pré- et post-opératoire, un vécu fictif, une participation active de l'enseigné, réalisant ainsi
une anticipation de la maîtrise espérée.

Il ne s'agit pas ici de cérébraliser l'acte technique dans une fiction qui permettrait
d'opposer, parmi les opérateurs, d'un côté le « cérébral » et de l'autre le « manuel » ou, plus
crûment, dans l'argot du métier, le « médullaire », le « chirurgien tout en avant-bras » qui
n'aurait que faire de ce bagage ; il s'agit tout au contraire de définir et de fournir un SMIC - un
savoir minimum conseillé - et un plan d'action préétabli directement applicables.

Il y a, dans cette épreuve méconnue des autres branches de la médecine, retournement


d'un paradoxe : « N'est un brillant technicien que celui qui a antérieurement fait le tour des
multiples incidences de la pathologie à laquelle il applique son talent, écrivait P. Jourdan.[...]
Le technicien pur est en fait un homme terriblement averti dont la connaissance préalable est
considérable. »

622
« L'improvisation, nous disait un jour L. Zitrone, voilà la source de tous les maux...»

Héritée du concours difficile permettant, dans la première moitié de ce siècle,


l'obtention du titre de Chirurgien des Hôpitaux de Paris, l'épreuve du « thème de technique
chirurgicale » s'est perpétuée dans les concours chirurgicaux militaires du deuxième et du
troisième niveau, c'est-à-dire du chirurgical et de l'agrégation avec des champs variables selon
les évolutions, le niveau recherché, la spécialisation de l'impétrant, allant de la chirurgie
générale à la chirurgie de spécialité, de la chirurgie d'urgence à la chirurgie de guerre.
L'intervention discutée et décrite est celle que le candidat juge lui-même nécessaire chez un
blessé ou un malade dont la situation a été établie par le jury sous forme d'une observation
clinique écrite, courte et précise.

Épreuve reine de ces concours, elle exige du candidat un travail de préparation long et
régulier : préparation du discours, mise au point du montage texte-dessins (les adages et
recommandations sont nombreux : « un mot - un trait » ; ne dessiner que ce qui est utile à la
réalisation de l'intervention ; tout démontrer sur les dessins ; « opérer au tableau ») et
entraînement au tableau noir pluri-hebdomadaire au dessin anatomique associant un schéma
d'anatomie topographique régionale de face dit « schéma de prestige » et une coupe le plus
souvent horizontale, parfois sagittale ou frontale, « montée », c'est-à-dire dessinée élément
par élément, en parallèle au schéma précédent.

Cette étude anatomique permet dans un premier temps de mettre en évidence le bilan
lésionnel viscéral, par exemple, en cas de plaie, en reconstituant le trajet de l'agent vulnérant
(notamment par projectile entre les orifices d'entrée et de sortie ou le siège radiologiquement
défini de celui-ci), permettant ainsi de pressentir les lésions certaines ou possibles, les
conséquences pathologiques, les implications thérapeutiques et, sur ces bases, de définir une
voie d'abord, les cheminements opératoires, c'est-à-dire la compréhension des plans de
clivages, des décollements opportuns, les éléments concernés par la chirurgie dite « d'organe
» (loge et pédicules vasculo-nerveux) et les modalités tactiques du geste réalisé.

Cette épreuve permet donc d'ordonner une procédure opératoire en une séquence
logique.

Quels sont donc les « points de passage » obligés de cette méthodologie chirurgicale ?

Quatre « actes » peuvent être distingués : les préalables cliniques, les bases
anatomiques, le déroulement technique et les suites opératoires.

Les préalables cliniques, vite expédiés, doivent converger vers l'indication opératoire
précise. Citons : l'énoncé de la pathologie ou de l'intervention choisie, la description des
symptômes clés de la situation et leur interprétation, la définition et la localisation
anatomique du processus pathologique, la caractérisation de l'affection (forme anatomo-
clinique, stade, complication, évolution sans traitement), les buts du traitement, ses moyens
(médicaux, chirurgicaux avec pour chaque méthode ou procédé : son principe, ses indications
de choix, ses limites), l'indication retenue et sa pertinence (imposant de répondre aux
questions suivantes : est-elle logique ? adaptée à la situation, est-elle licite ? : force de
l'indication face à la gravité évolutive), le bilan pré-opératoire, le choix du moment opératoire
(réanimation, antibiothérapie préalables par exemple).

623
Du deuxième temps de cette procédure, le rappel d'anatomie topographique, dite
chirurgicale, nous avons déjà évoqué les contraintes techniques, la finalité et l'usage
didactique.

Soulignons pour le chirurgien l'importance du savoir anatomique qui trouve ici toute
sa justification dans cette mise en situation.

Sur cette langue morte des études médicales... et chirurgicales actuelles, la parole de
Vie d'Azyr citée par H. Mondor n'a cessé de se confirmer : « L'anatomie est peut-être de
toutes les sciences celle dont on a le plus célébré les avantages et dont on a le moins favorisé
les progrès ».

Pourtant : « Tout artisan est tenu de savoir ou cognoistre le sujet sur lequel il travaille,
autrement il erre en œuvrant... Il s'ensuit donc qu'il est nécessaire aux chirurgiens de savoir
l'anatomie » écrivait G. de Chaulliac (1300-1370, Chirurgia Magna). Propos qui ne datent
pas puisque N. Rich, chirurgien américain pendant la guerre du Viêt-Nam notait : « Savoir
l'anatomie est extrêmement important : il peut s'avérer nécessaire pour certains chirurgiens de
revoir leurs connaissances sur les régions anatomiques auxquelles ils ne sont pas
fréquemment confrontés », pour être à même de pratiquer comme le soulignait V. Nahas, à
propos de son expérience libanaise La Chirurgie de guerre dans toute sa variété anatomique.

Mais il est vrai que « science..., plus que toutes indispensables mais difficile à
l'extrême et requérant un pénible labeur » (A. Vésale, De Humant Corporis Fabrica, 1555)
s'il est agréable de la connaître, il est ardu de l'acquérir.

Cette épreuve de thème chirurgicale est donc l'occasion de la revoir « par le menu » et
en situation motivante.

L'intérêt de cette remise à niveau anatomique est souligné. C'est un investissement


d'avenir ; le jour dit, un coup d'œil sur une coupe du tiers inférieur de cuisse ou du tiers
moyen de jambe, ou un effort de mémorisation suffit à rappeler l'indispensable à savoir pour
une amputation.

Le chapitre essentiel, objectif de ces préalables, est constitué par une description
précise des temps opératoires énoncés puis décrits, « vécus » un à un.

La mise en condition de l'opéré, l'installation de sa position, les limites du champ


opératoire, le matériel standard ou spécifique nécessaire, la voie d'abord, sa longueur et ses
repères, l'exposition et ses exigences, précédant les différents temps de l'acte lui-même menés
pas à pas avec un souci « chosiste » du détail, ces « petits soins » dont P. Jourdan nous dit
qu'ils font en partie la grandeur du chirurgien mais qui à l'heure de l'intervention sont faits de
connotations pathologiques, de procédés, de points tactiques et tout simplement du choix
pertinent d'une aiguille et d'un fil.

Les variantes techniques, les difficultés per-opératoire s et les ressources possibles, les
complications éventuelles et la façon de les pallier précèdent le « repli en bon ordre » : toilette
et fermeture avec une mention particulière pour le drainage qui conditionne bien souvent la
sécurité des suites opératoires.

624
« Le dernier point ne termine pas l'opération », car le chirurgien ordonne les soins
post-opératoires, préside au suivi de l'opéré dont les phases habituelles (reprise du transit,
etc.) et les critères de surveillance généraux et locaux doivent être énoncés.

L'évocation des résultats ultérieurs en terme de qualité fonctionnelle, d'accidents


évolutifs ou de survie fait office de conclusion.

Cette technique d'exposition verbale ne peut prétendre remplacer l'expérience et la


formation pratique mais elle offre un vécu anticipé d'une situation opératoire.

Nombreux sont bien évidemment les points abordés sans être démontrés. Citons pêle-
mêle, en une liste incomplète : le positionnement de l'opéré ; l'exposition du champ opératoire
qui exige un savoir-faire propre et conditionne l'aisance des actes ultérieurs, la qualité de
l'hémostase, « pont aux ânes » du jeune opérateur ; la maîtrise du rythme opératoire ; la
stabilité émotionnelle et la vigilance d'esprit de l'opérateur (« la vraie maîtrise, écrivait
Okinczyc dans son opuscule Les Petites Règles de la chirurgie parfaite, est une patience qui
ne fléchit pas ») ; la qualité de la gestuelle élémentaire (le « tour de main », la « patte » du
chirurgien) ; l'habileté dans les ligatures du bout des doigts (« sur les pointes ») ; l'intelligence
de la situation pathologique ; et la présence d'esprit, seule repartie à la hauteur de cette «
malice des choses » qui bien souvent tourmente l'opérateur.

La portée pédagogique de cette épreuve alliant la mise au point d'un scénario


chirurgical, une mise en scène et une prestation du candidat, qui en est tout à la fois l'auteur et
l'acteur, se trouve prolongée par sa valeur symbolique et psycho-dynamique.

Le degré d'implication de l'élève y est essentiel ; et l'on a pu évoquer pour cette


épreuve un rituel d'initiation, une métamorphose vécue de manière active par celui-ci. Et il est
vrai que cette prestation peut devenir révélatrice comme l'avait perçu le médecin général
Bazot qui ajoutait : « II reste alors à méditer l'aphorisme de T. Nathan : " On ne peut être
initié qu'à soi-même... " »

En effet, par-delà la maîtrise minimale des techniques de communication qu'elle


exige, le jury jauge le sang-froid, « le végétatif [...] qui tient lieu de qualité maîtresse quand
on parle de chirurgien » (P. Jourdan).

Il cherche à percevoir également, au-delà de ce tempérament requis, « l'esprit


chirurgical » que R. Leriche (dans La Philosophie du chirurgien) cernait comme « cet état
d'âme où une certaine intrépidité, la confiance en soi, l'aptitude à prendre des décisions
s'équilibrent à la mesure et au sens aigu des réalités du moment ».

Technique d'analyse situationnelle chirurgicale, test de stabilité émotionnelle, rite de


passage hérité de la tradition hospitalière, le « thème de technique chirurgicale » constitue de
surcroît une méthode d'autoprogrammation, de mise en situation fictive qui rejoint de façon
actuelle les procédés les plus modernes et les plus performants de préparation psychologique
des athlètes de haut niveau, ce que L. Fernandez, dans son livre Savoir gagner, la réussite en
compétition, appelle « mettre en place le tapis roulant de la performance ». Nous
simplifierons, pour l'adéquation à notre propos, ces techniques en les résumant à trois
procédés :

625
- « ne pas avoir un dialogue de sourd avec son cerveau » et pour cela lui parler sa
langue : les images mentales et les produire par deux procédés ;
- la visualisation externe : en se voyant comme un personnage dans le scénario
projeté, facilitant ainsi la maîtrise de l'apparence, du « rôle » (les Anglo-Saxons ne parlent-ils
pas de « théâtre » à propos de la salle d'opération ?) ;
- la visualisation interne : où toute la préparation consiste à vivre fictivement l'action
projetée, à la rêver.
« Images mentales, sentiments, sensations, voici les trois voies pour se programmer. »

La méthode comprise, le « logiciel » est prêt, l'individu et la main suivront.

Peut-être n'est-il pas indifférent pour le résultat que celui qui souhaite accéder à la
maîtrise de cette discipline soit au préalable averti de sa portée.

Tel était, par-delà l'analyse didactique du procédé, l'objectif de ces quelques propos
dont chacun pourra faire son profit par l'adhésion ou la discussion.

626
Abord large du tronc ilio-fémoral

L. CADOR

Que ce soit parce que l'on redoute la complexité des blessures de guerre ou parce que
les moyens mis à disposition restent précaires, l'utilité de voies d'abord larges ou pouvant
être élargies s'opposant en tout aux classiques et étroites voies de la ligature artérielle ne fait
guère de doutes.

Le tronc ilio-fémoral :

- profond à son origine, à la bifurcation iliaque ;


- superficiel à sa terminaison, à la bifurcation fémorale ;
- transite de la région abdominale dont il vascularise la paroi ;
- au membre inférieur dont il est un élément du hile vasculo-nerveux.

Son système anastomotique est précaire, ce qui explique pourquoi il faut réparer ce
tronc chaque fois que cela est techniquement possible. Pour l'aborder, il faudra s'affranchir de
certains obstacles anatomiques, ce que nous illustrerons par un thème clinique.

Tronc artériel (Fig. 34.1)


II naît au même niveau que l'artère iliaque externe, dans le prolongement du plan du
disque L5-S1 (promontoire) à 3,5 cm de la ligne médiane, poursuivant le trajet de l'artère
iliaque primitive.

Il suit ensuite un trajet oblique en bas, en avant et en dehors sur le bord interne du
psoas, marque un angle ouvert en bas et en arrière en franchissant la branche ilio-pubienne
sous l'arcade crurale et chemine immédiatement sous l'aponévrose superficielle dans le
triangle de Scarpa. Il se termine ensuite à un niveau très variable en fémorale superficielle
(nourricière de jambe) et fémorale profonde (nourricière de cuisse).

Ses dimensions sont de 14 à 16 cm répartis en 10 à 12 cm pour la portion iliaque et


4 à 5 cm pour la partie fémorale. Au cours de ce trajet, son calibre décroît de 10 à 8 mm
environ chez l'adulte.

Sa structure, classique, comprend trois tuniques :

- l'intima qui peut être le siège de lésions isolées de diagnostic difficile dans les
conditions de l'urgence ;
- la média où se déposent les séquestres athéromateux qui peuvent modifier l'évolution
spontanée d'une lésion traumatique (collatéralité préexistante plus développée par exemple),
ainsi que la décision thérapeutique, en règle, plus difficile ;
- enfin, l'adventice toujours clivable, utilisée comme voie d'abord.

627
La plaie artérielle est définie comme l'atteinte simultanée des trois tuniques mais
sa nature et son évolution varient selon le type d'atteinte. Les parois artérielles, élastiques et
musculaires, ayant la capacité de se rétracter, l'hémostase spontanée d'une plaie complète,
circonférentielle, sera plus souvent possible que celle d'une plaie latérale, celle-ci étant
toujours éminemment précaire.

La lésion d'une ou des deux tuniques internes (contusion sous-adventitielle) aboutira


inexorablement à la thrombose.

Les variations anatomiques concernent essentiellement la bifurcation fémorale,


mais nous verrons comment, avec une technique opératoire adaptée, en déjouer les pièges
dans la pratique de l'urgence.

La collatéralité du tronc reste minime :

- Pour la portion iliaque, on ne retrouve que les artères épigastrique et circonflexe


iliaque profonde, juste en amont de l'arcade crurale.

628
- Pour la partie fémorale, on trouve les artères circonflexe iliaque superficielle et sous-
cutanée abdominale, souvent nées d'un tronc commun antérieur, juste en aval de l'arcade
crurale d'une part, et les artères honteuses externes supérieure et inférieure d'autre part,
branches internes encadrant la crosse de la saphène interne.

Indications de l'abord
Par ces différentes branches, les anastomoses du tronc ilio-fémoral se font avec l'artère
sous-clavière homolatérale, l'aorte abdominale, l'artère hypo-gastrique, le tronc lui-même et
son homologue controlatéral pour ce qui concerne l'amont, et avec les artères fémorales
profonde et superficielle en ce qui concerne l'aval, mais toutes ces anastomoses ne sont
fonctionnelles que sur artère pathologique, lorsqu'elles ont pu se développer progressivement.

En pratique, on a pu montrer que l'interruption brutale et définitive du flux vasculaire


dans le tronc (comme le réalise la ligature chez le sujet jeune à l'occasion d'un traumatisme
vasculaire) impose une amputation au membre inférieur dans 44 % des cas si cette
interruption concerne l'iliaque externe, et 81 % des cas s'il s'agit de la fémorale commune.

L'amputation étant toujours synonyme d'intolérable, on comprend pourquoi toutes les


tentatives de restauration doivent être entreprises chaque fois que possible.

La chirurgie vasculaire réglée (et même de nombreuses techniques endoluminales), la


chirurgie d'urgence dans l'ischémie aiguë (embolie, thrombose) abordent quotidiennement
l'axe ilio-fémoral par des voies sélectives, plus rarement extensives.

Il peut en aller tout autrement dans certaines indications :

- contrôle vasculaire à l'occasion d'une chirurgie de voisinage. Il peut s'agir de curages


extensifs, d'abords complexes du bassin ou pour certains transplants, de séquelles de
traumatisme à type d'anévrisme ou de fistule artério-veineuse ; de traitement d'ulcère
phagédénique dégénéré en chirurgie tropicale, etc. ;
- en chirurgie de catastrophe, plaies complexes et souillées, sur des patients affaiblis
et polyagressés, évacués dans des conditions très précaires et chez qui on souhaite travailler «
au large et au sec » par des voies d'abord larges et surtout susceptibles d'être agrandies. Ces
voies, relativement stéréotypées, permettent d'assurer avec un maximum de sécurité le
traitement de lésions même complexes.

C'est dans cette indication et dans cette « ambiance » que nous décrirons l'abord large
du tronc ilio-fémoral.

Contraintes anatomiques (Fig. 34.2)


Repères
Définissant la classique « ligne de ligature », le trajet du tronc se projette d'abord sur
une ligne unissant la bifurcation aortique, normalement en regard de l'ombilic, au milieu de la
ligne de Malgaigne dont on rappelle qu'elle-même rejoint l'épine iliaque antéro-supérieure à
l'épine du pubis.

Cette ligne s'infléchit ensuite pour se diriger vers le tubercule du troisième adducteur,
au-dessus et en dedans du genou.

629
Dans son trajet abdomino-pelvien, le tronc qui suit le détroit supérieur est satellite du
muscle psoas, à son bord interne ; c'est ici qu'on le cherchera.

À la cuisse, la terminaison du psoas en dehors forme, avec le pectiné et le moyen


adducteur en dedans, le plancher du triangle du Scarpa. Limité en dedans par le droit interne
et en dehors par le droit antérieur, celui-ci est surtout recouvert par le muscle couturier
satellite, à la cuisse, du trajet artériel qu'il croise en formant un X très allongé de dehors en
dedans et de haut en bas.

Écueils
Ils sont, tout le long du trajet, veineux, lymphatiques ou nerveux : - la veine fémorale
superficielle monte en arrière, puis en dedans de l'artère et reçoit le confluent veineux fémoral
profond dans l'aisselle de la bifurcation artérielle, rapport dangereux lors d'un abord rapide
dans des tissus infiltrés ; la veine fémorale commune reçoit ensuite la crosse de la saphène
interne dont le tronc pourra être utilisé comme matériel de pontage si une lésion veineuse
associée imposait sa ligature (dans le cas contraire, on préférera la veine contro-latérale) ; au

630
plan iliaque, la veine, interne, devient progressivement postérieure, et il convient à ce niveau
de passer le dissecteur péri-artériel de dedans en dehors, la veine, fragile, restant ainsi sous le
contrôle de la vue ;

- la présence de nombreux ganglions lymphatiques inguino-cruraux justifie un


contrôle minutieux de la lymphostase et, si possible, la réalisation d'un abord arciforme à
convexité externe évitant et soulevant la lame cellulo-ganglionnaire pré-aponévrotique ; les
vaisseaux lymphatiques se drainent ensuite par les chaînes iliaques puis lombo-aortiques ;
- le nerf crural, cheminant dans la gaine du psoas, ne s'approche de l'axe artériel qu'à
sa terminaison, en quatre branches, sous l'arcade crurale, juste en dehors de la bandelette ilio-
pectinée ; le nerf génito-crural abandonne en regard du canal inguinal une branche pour le
cordon et une branche qui suit l'artère ; le nerf obturateur reste en dedans et en arrière de l'axe
iliaque, marquant la limite des curages cellulaires de la région ; enfin, le nerf fémoro-cutané
est intéressé dans l'abord par le fait qu'il chemine au bord interne de la gaine du couturier.

Nous y reviendrons.

Selon le segment artériel, on rencontre :

- à l'origine, l'uretère qui croise à droite le tronc à 1,5 cm de son origine ; le gauche
croise l'iliaque primitive avant sa bifurcation ; lors du contrôle d'amont, il faut veiller à ne pas
léser les vaisseaux hypogastriques, en particulier la veine ;
- plus bas, le fascia transversalis s'invagine d'une part dans l'orifice profond du canal
inguinal, rapport supérieur et interne recevant le déférent et le pédicule spermatique qui vient
de surcroiser l'artère iliaque externe, d'autre part dans l'entonnoir fémorali-vasculaire dont la
pointe s'insère sur la gaine vasculaire au sommet du triangle de Scarpa ;
- l'artère traverse ici, avec la veine et le ganglion lymphatique de Cloquet, un canal
ostéo-fibreux entre arcade crurale au-dessus, ligament de Cooper au-dessous, bandelette ilio-
pectinée en dehors et ligament de Gimbernat en dedans ;
- elle chemine enfin dans le canal crural pour abandonner la fémorale profonde entre
moyen adducteur et pectiné.

Technique
Elle sera illustrée par un « thème clinique ».

Homme de 22 ans, blessé il y a 4 h par corne d'animal, présentant une plaie


anfractueuse et souillée de la région inguinale droite ;
Pouls ; 120 ; TA : 7/5 ; pâleur, angoisse, soif, etc. ;
Hématome pulsatile de la racine de cuisse droite, pouls distaux non perçus ; le
membre est froid, douloureux, paralysé, etc.

Bilan
Le diagnostic, ici évident, de plaie artérielle impose :
- des gestes immédiats de réanimation :
• mise en place d'un double abord veineux de gros calibre,
• prélèvement d'échantillons sanguins (groupage, bilan sanguin, etc.),

631
• remplissage cristalloïdes, colloïdes, transfusions, etc.,
• oxygénothérapie au masque,
• réchauffement (patient et membre),
• sonde urinaire,
• antibioprophylaxie,
• contrôle et/ou mesures de prévention antitétanique ;
- un examen clinique rapide et complet :
• contrôle l'efficacité immédiate des premières mesures sur les signes généraux,
• vérifie le caractère pulsatile de la tuméfaction hématique inguinale,
• affirme surtout l'ischémie complète et globale du membre inférieur (« 4 P » de
Griffith : Pain, Paralysis, no Puise, Palor),
• recherche une lésion associée : locale (os, veine, nerf, brûlure, etc.) ou à distance, en
particulier crânienne, thoracique ou abdominale, une tare viscérale majeure.

Hormis les contrôles biologiques initiaux, les examens complémentaires peuvent se


limiter à : si possible un doppler au lit du blessé pour lever un doute sur les flux distaux, une
radiographie éventuellement simple du bassin (os, corps étrangers, etc.), une radiographie
pulmonaire.

L'artériographie pré-opératoire n'a sa place ni dans ce contexte, ni devant ce tableau.


En effet, nous sommes déjà à la quatrième heure d'une lésion vasculaire de la racine du
membre inférieur droit, entraînant une ischémie complète chez un blessé de 22 ans a priori
sans tare ni lésion associée.

Évolution
L'évolution spontanée est toujours péjorative :
- reprise hémorragique attendue : pronostic vital immédiat ;
- une gangrène ischémique d'apparition d'autant plus rapide qu'il n'existe pas de
collatéralité initiale, que l'attrition musculaire est importante, que les phénomènes de
compression œdémateuse dans les loges musculaires s'installent. Cette gangrène est d'autant
plus dangereuse que la plaie est souillée. Le pronostic vital et fonctionnel est alors
précocement engagé ;
- enfin, quand les lésions sont plus discrètes, le problème principal concerne le
pronostic fonctionnel tardif, par apparition de faux anévrisme, de fistule artério-veineuse, de
sténose artérielle ou de séquelles d'ischémie distale, etc.

Traitement
Le traitement est donc impératif et urgent en raison de la gravité du pronostic.

Il a une double composante, médicale et chirurgicale. Le traitement médical,


indispensable, concerne la prise en charge initiale et l'encadrement de l'acte opératoire. En
aucun cas il ne doit retarder l'intervention. Le traitement chirurgical a un triple but : le parage,
l'hémostase et la réparation vasculaire.

Parage
II n'a ici rien de particulier et doit concerner tous les tissus avant leur éventuelle
réparation.

632
Hémostase et restauration
Nous avons vu que la ligature comportait un risque majeur d'amputation secondaire ;
on ne doit donc y recourir que dans les formes tardives, quand les lésions sont irréversibles.

Dans quelques cas exceptionnels, l'intubation vasculaire peut permettre de passer un


cap critique :
- en per-opératoire, pour lever l'ischémie pendant la durée d'un geste premier de
stabilisation osseuse ;
- pour permettre une évacuation sur un centre chirurgical ;
- vouée à la thrombose secondaire certaine, elle ne peut en aucun cas être une solution
à long terme.

En fait, la restauration fait appel aux techniques classiques de la chirurgie


vasculaire, que nous détaillerons plus loin.

Pour prévenir les séquelles ischémiques et le redoutable syndrome de


revascularisation…

La revascularisation doit être effectuée avant la 6e h.

L'abord comportera une voie élargisable permettant le contrôle d'amont, puis d'aval et,
si nécessaire, l'exposition complète de l'axe vasculaire.

Dispositif opératoire

Intervention
Préparation à l'intervention
Le patient est placé en décubitus dorsal, dans l'idéal sur une table permettant de
prendre des clichés en per-opératoire. Le torse et les deux membres inférieurs sont rasés et
nettoyés, puis on isole par des champs stériles l'abdomen et les deux cuisses (un prélèvement
veineux contro-latéral reste possible). Il faut effectuer le rasage et la toilette du buste et des
deux membres inférieurs.

L'anesthésie est de préférence générale, sous intubation et ventilation assistée. En


effet, lors d'une anesthésie péridurale, il est souvent difficile d'étendre l'abord vers l'aorte, le
relâchement abdominal est moindre et le geste, s'il se prolonge, peut être mal supporté.

Les instruments comportent : boîte courante, valves de Leriche, de Beckmann,


instruments longs et fins, clamps vasculaires atraumatiques, pinces gainées, lacs, fils à suture
vasculaire, sondes de Fogarty, sérum héparine à 2%c, champs et compresses comptées,
bistouri électrique, aspiration, etc.

L'opérateur se place du côté de la lésion, un ou deux aides lui faisant face.

633
Temps opératoires (Fig. 34.3)
Contrôle d'amont

L'incision cutanée suit une ligne parallèle au bord externe de la gaine des droits,
depuis le rebord chondral du 10e arc costal jusqu'au pli inguinal ; cette incision s'arrête à deux
ou trois travers de doigt en dedans de l'épine iliaque antéro - supérieure.

Après incision et hémostase du tissu sous-cutané, on expose les fibres du grand


oblique que l'on dissocie selon leur direction en bas et en dedans, ce qui permet de faire
apparaître le petit oblique qui sera ici sectionné, avec le transverse, dans la même direction
que le grand oblique, en repérant bien d'une part en arrière le fascia transversalis (qu'il faut
franchir sous peine de s'égarer ensuite lors de la libération postérieure) et d'autre part le
péritoine qu'il faut respecter ou, le cas échéant, réparer par un fil résorbable de petite taille.
Chemin faisant, il faudra réaliser l'hémostase d'un ou deux pédicules vasculo-nerveux (12e
intercostal, grand abdomino-génital).

Le décollement péritonéal en arrière, facile si la région est vierge d'intervention, peut


se faire au doigt ou au tampon monté, toujours sous contrôle de la vue. Une, puis deux valves
de Leriche confiées à l'aide maintiennent le sac péritonéal vers l'intérieur.

634
Le seul écueil, ici, est de s'égarer en arrière du psoas si l'on n'a pas franchi d'emblée le
fascia transversalis. Il faut se diriger vers la colonne que l'on devine très proche.

Lors de ce temps, on repère les vaisseaux spermatiques d'abord, puis l'uretère ; ils
montent normalement avec le péritoine (ce n'est que dans les cas où on doit aborder l'axe plus
haut, au niveau de l'iliaque primitive, qu'il est préférable de laisser ces éléments vers l'arrière).

En suivant le relief du psoas, on atteint, sur son bord interne, l'artère que l'on aborde là
où elle est aisément accessible, au-dessus de l'infiltration hématique. Il faut bien rejoindre le
plan adventitiel et en profiter pour faire le tour de l'artère avec un dissecteur de dedans en
dehors puisque le danger est, ici, veineux. Un lac est alors passé, sous l'artère que l'on peut
d'ores et déjà clamper si nécessaire (clampage d'amont). Plus rarement, il peut être utile de
contrôler également l'axe veineux ; on se souviendra alors du danger majeur au niveau de la
convergence iliaque dont il faut rester à distance.

Contrôle d'aval
II est illusoire dans ce contexte de chercher à se repérer sur le battement artériel :
l'incision part au-dessus du milieu de la ligne de Malgaigne et se poursuit arciforme pour
rejoindre la ligne de ligature un bon travers de main plus bas, voire plus si nécessaire. En
pratique, elle doit être adaptée aux circonstances et, particulièrement ici, aux nécessités du
parage : elle peut soit l'englober, soit le contourner pour autoriser une fermeture «à distance»,
soit encore se situer plus bas sur l'axe artériel, pour atteindre, en zone saine, le fil conducteur
de la fémorale superficielle.

Dès que l'on entre en contact avec l'aponévrose, il faut contourner le couturier par en
dedans, en restant, autant que possible, hors de sa gaine (lésion du fémoro-cutané).

On reconnaît facilement la fémorale superficielle dans le canal crural (elle n'a pas de
collatérale). Sa veine, interne, tend à passer en arrière. On aborde alors le plan adventitiel, on
passe le dissecteur de dedans en dehors puis le lac autour de l'artère. Celle-ci peut alors être
clampée si nécessaire.

Quel que soit le mode de division fémorale, aucune collatérale antérieure ne naît au-
delà du tronc sous-cutané-circonflexe, immédiatement en aval de l'arcade crurale ; on peut
donc, à partir du lac inférieur, ouvrir rapidement les tissus situés en avant de l'artère (il existe
une collatérale de la veine saphène de contrôle simple) et repasser un lac à un niveau plus
haut situé, là où on pense être en fémorale commune ; en tirant simultanément sur les deux
lacs, on peut mettre en évidence le départ postérieur de la fémorale profonde (quelquefois
déjà bifurquée).

Plutôt que de contrôler la fémorale profonde en passant directement le dissecteur


(danger de la confluence veineuse), il peut être plus aisé de passer le lac en deux fois : de
dehors en dedans au-dessus de la bifurcation, puis de dedans en dehors au-dessous.

Ainsi contrôlés l'amont et l'aval, il est possible d'exposer sans risque la lésion et, si
nécessaire, d'élargir la voie.

635
Élargissement de la voie à" abord
L'incision cutanée complémentaire relie simplement par une courbe directe (ou plus
souvent, en complétant le parage de la plaie) les deux incisions précédentes.

On effectue alors un parage sous-cutané soigneux, une toilette, une désinfection, etc.
Pour prévenir une plaie latérale du tronc artériel, il faut sacrifier la circonflexe iliaque
superficielle avant de sectionner l'arcade crurale.

L'idéal est d'effectuer cette section en dehors de l'artère et de la bandelette ilio-


pectinée, en regard du psoas (prévention d'une éventration post-opératoire). Elle sera, bien
entendu, poursuivie sur les fibres inférieures du grand oblique pour rejoindre l'ouverture
pariéto-abdominale initiale.

On peut, dès lors, effectuer le bilan lésionnel.

Bilan
II est mené simultanément au parage.

Sur l'artère, le parage doit conduire en zone saine, c'est-à-dire là où les trois tuniques,
y compris l'intima, retrouvent leur aspect normal, sans décollement.

Sur la veine, les nerfs et, bien sûr, le matelas musculo-aponévrotique, le bilan est
mené de façon habituelle.

Restauration (Fig.34.4)
La restauration artérielle obéit aux principes habituels de la chirurgie artérielle : il
faut utiliser des instruments (clamps et pinces) atraumatiques et du fil monobrin non
résorbable monté sur une aiguille 3 ou 4/8 de cercle, et avec une pointe ronde de calibre 5
ou 6/0. Le point est toujours passé de dedans en dehors sur la section distale de l'artère, pour
prévenir un décollement intimai et la constitution d'un « flap » source de thrombose précoce
post-opératoire. La suture peut se faire par points séparés, par deux ou trois surjets réunis ou,
plus simplement, si on en connaît bien la technique, par un surjet continu, « téléphone » qui
répartit bien la tension du fil.

Avant la suture, on aura vérifié la qualité des flux d'amont et d'aval et on aura, si
nécessaire, retiré un thrombus en passant une sonde de Fogarty n° 4 ou 5. Les axes artériels
sont alors héparinés (sérum héparine à 2 %o), puis on effectue un nouveau contrôle des flux
avant de poser le dernier point. Un clampage final permet de serrer le nœud sans tension
excessive. Le geste se termine par un déclampage d'aval, puis d'amont.
Très rarement, la plaie peut être réparée par suture simple sans sténose ; quelquefois,
il faut interposer un patch veineux.

En règle générale, il faudra réaliser une anastomose termino-terminale, possible


lorsque la perte de substance artérielle, en fin de parage, ne dépasse pas 2 cm. Il ne doit
pas exister de tension de l'anastomose lorsque le membre inférieur est mis en extension

636
complète. Si la perte de substance est plus importante, il faudra recourir à un pontage,
toujours veineux dans ce contexte.

Enfin, dans les gros délabrements ou les risques infectieux importants (couverture
impossible, etc.), il faudra parfois se résoudre à un pontage extra-anatomique déroutant le
trajet de l'artère native.

La restauration veineuse de l'axe veineux réussit rarement à ternie, mais elle doit
toujours être tentée afin de passer le cap difficile des premiers jours avec son risque de
syndrome des loges par développement d'œdèmes et de compression des éléments
anatomiques contenus dans les loges aponévrotiques

La réparation nerveuse ne peut être entreprise dans ce contexte mais il faudra


cependant repérer les extrémités nerveuses pour faciliter les temps de réparation secondaire.

Enfin, si un geste de stabilisation osseuse s'avère nécessaire, il est habituel de le


réaliser en premier, sous couvert, parfois, d'une intubation artérielle provisoire.

Contrôle et fermeture
Après déclampage, on contrôle, bien sûr, la réapparition des pouls périphériques, on
complète la toilette et on vérifie hémostase et lymphostase. On referme l'abord abdominal en
rapprochant séparément les plans musculaires par un fil lentement résorbable de bon calibre
(déc. 5), puis le tissu sous-cutané et la peau ; l'arcade crurale est soigneusement réparée lors
de ce temps ; au niveau du Scarpa, un premier plan est réalisé sur la lame ganglionnaire, un
deuxième pour le sous-cutané, puis un troisième pour la peau ; on place enfin un drain
aspiratif de Jost-Redon dans la profondeur des deux régions et, à la demande, en sous-cutané
si les circonstances le justifient (sujet obèse, décollements, etc.). L'ensemble est recouvert
d'un pansement sec.

637
Variantes
Les variantes de l'abord ne portent guère ici que sur son extension vers le haut, en
direction de l'artère iliaque primitive (l'abord transpéritonéal en urgence de l'aorte étant un
autre problème) ou vers le bas sur l'axe de la fémorale superficielle, plus rarement sur l'artère
fémorale profonde ou ses branches.

Il ne faut pas oublier l’importance fondamentale de l’aponévrotomie initiale


des loges de jambe dès que l’ischémie a été sévère et durable.

Surveillance et soins post-opératoires


La surveillance porte comme après toute intervention sur les constantes vitales : pouls,
pression artérielle, température, fonction rénale et ionogramme, numération sanguine.

Localement, il faut s'assurer du réchauffement et de la recoloration du membre et


surveiller la vascularisation distale (pouls, oxymètre de pouls, doppler, etc.).

La prévention de la maladie thrombo-embolique reste simple (héparines de bas poids


moléculaire), sauf en cas d'artériopathie connue qui pose des problèmes spécifiques.

Complications post-opératoires
Elles peuvent avoir plusieurs origines.

Quand l'intervention a été tardive, un choc, une toxémie, un sepsis, une néphropathie
aiguë sont possibles, justifiant une réanimation attentive.

Les complications peuvent aussi être liées au geste chirurgical lui-même. Une récidive
hémorragique peut être précoce, liée à un défaut technique justifiant une reprise chirurgicale,
ou secondaire (10-12e jour), liée à un sepsis larvé à traiter par reprise chirurgicale et pontage
extrafocal. Une ischémie précoce est due à une thrombose. Si elle est complète, il faut
réintervenir en urgence. Si elle est partielle, une simple surveillance peut parfois suffire. Si
possible, on effectuera bien sûr une artériographie. En cas d'œdème extensif, il faut mettre en
œuvre un traitement médical et une physiothérapie attentive, et réaliser une aponévrotomie
précoce.

Enfin, il peut exister des complications à distance : faux anévrysme artériel, fistule
artério-veineuse, sténose résiduelle, séquelles de l'ischémie ou de la nécrose initiale, œdèmes
résiduels, etc.

En réalité
Les résultats de cette chirurgie sont, sous réserve de minutie, satisfaisants. Si la
mortalité globale, compte tenu des facteurs impondérables de l'urgence, est de 1 à 2 %, les
résultats fonctionnels restent à long terme excellents dans près de 95 % des cas. Il ne faut
donc pas hésiter d'exposer largement pour réparer au mieux ce type de lésions

638
Fracas diaphysaires de jambe
par projectile de guerre

J.-F. THIERY

Dans le cadre d'un conflit armé, un homme de 25 ans est admis 2 h après une blessure
par balle du tiers moyen de la jambe droite. Il présente une plaie étendue de la jambe avec
délabrement cutané et musculaire de la loge antéro-externe sur une surface de 8 cm2 à grand
axe vertical. La vitalité du membre est bonne, le retentissement sur l'état général est discret,
la radiographie révèle un fracas diaphysaire étendu sur 6 cm environ.

Cet homme de 25 ans est victime de la plus fréquente des blessures de guerre : le
fracas diaphysaire ouvert. Il pose le problème du traitement en urgence de cette lésion.

Le diagnostic positif est évident devant cet os exposé, explosé au sein d'une plaie du
tiers moyen de jambe.

La fiche d'évacuation précise l'horaire de la blessure, 2 h auparavant, et la nature de l'agent


vulnérant, ici une balle.

L'examen local est mené sans perte de temps.


Il montre la plaie dont on note la localisation au tiers moyen de jambe, l'étendue de la perte de
substance axiale avec une attrition musculaire importante. Il faut apprécier l'importance de la
souillure de cette plaie (constante dans les plaies par balle).

L'examen locorégional doit rechercher les lésions vasculo-nerveuses par


l'appréciation des pouls périphériques, de la sensibilité et de la motricité. Cet examen est ici
normal.

L'examen général doit éliminer les lésions associées osseuses ou viscérales et


apprécier le retentissement de cette blessure sur les constantes vitales qui, là encore, sont
normales.

Les premiers gestes thérapeutiques sont alors réalisés avec la pose d'une voie
veineuse permettant un remplissage et la mise en route d'une antibiothérapie à large spectre à
visée aéro-anaérobie. La plaie est recouverte d'un pansement antiseptique et on pose une
attelle radiotransparente pour immobiliser provisoirement le membre.

La radiographie : cette mise en condition initiale permet de réaliser deux clichés


radiographiques orthogonaux prenant l'articulation du genou et de la cheville. Ils objectivent
ici un fracas diaphysaire étendu sur 6 cm de hauteur.

639
Au total, il s'agit d'un fracas diaphysaire ouvert de jambe par projectile de guerre avec
perte de substance cutanée axiale sans lésion vasculo-nerveuse associée (fig. 35.1). Cette
lésion correspond à un stade III de Cauchoix et Duparc, un type 3b de Gustilo-Anderson, un
type 3 de Byrd. Il s'agit d'une première urgence qui doit être traitée avant la 6e h.

Que s'est-il passé ? : Cette plaie de guerre confronte deux acteurs : l'agent vulnérant
et la cible.

- L'agent vulnérant est ici une balle. Les lésions induites par cette balle dépendent de
sa capacité vulnérante qui correspond à son énergie cinétique (E = 1/2 mV2). Il faut remarquer
le rôle primordial joué par la vitesse dans le déterminisme de cette capacité vulnérante. Trois
phénomènes constants coexistent dans ce type de blessure : l'aspiration, responsable de
souillures, la cavitation, responsable de nécrose plus ou moins étendue, et la fragmentation
responsable de la création de nombreux projectiles secondaires ;
- la cible : c'est la jambe qui, d'un point de vue anatomique, est constituée d'un sac
cutané, d'un squelette osseux et de parties molles :

• le sac cutané est largement ouvert puisqu'il existe une perte de substance de 8 cm2 :
c'est une porte d'entrée pour l'infection, qu'elle soit aspécifique ou spécifique comme la
redoutable gangrène gazeuse ou le tétanos,
• l'os est fracturé, multi-esquilleux, avec des décollements et des avulsions périostées
qui vont compromettre sa vascularisation,
• les muscles sont nécrosés, dilacérés, contus sur des étendues plus ou moins
importantes. Ces lésions peuvent mettre en jeu le pronostic fonctionnel. Elles représentent
surtout un excellent milieu de culture,
• les lésions des vaisseaux et des nerfs, a priori absentes ici, peuvent ailleurs mettre en
jeu le pronostic fonctionnel du membre,

640
• les aponévroses limitant les différentes loges sont inextensibles et des phénomènes
de compression peuvent apparaître secondairement par le développement d'un œdème
ou d'hématomes.

L'évolution d'une blessure de ce type est dominée par trois problèmes :


- un problème infectieux ; selon Byrd, la plaie est souillée jusqu'à 6 h, contaminée
jusqu'au 6e j et infectée au-delà ;
- un problème cutané qui ne peut être réglé qu'en l'absence d'infection ;
- un problème osseux évident de consolidation.

Aussi se dessine le spectre de la pseudarthrose septique de jambe qui ne peut être


évitée qu'avec une prise en charge immédiate, rigoureuse et adaptée.

Le but du traitement sera de restaurer la fonction du membre, et donc de


sauvegarder sa vitalité et de permettre une bonne consolidation, en luttant contre l'infection et
en stabilisant le fracas.

Les moyens médicaux consistent en la préparation pré-opératoire,


l'antibiothérapie péri-opératoire systématique et le contrôle post-opératoire de la douleur et de
la coagulation.

Les moyens chirurgicaux peuvent être radicaux ou conservateurs :

- la chirurgie radicale est l'amputation. Ce geste ne répond pas aux buts que nous nous
sommes fixés. C'est un geste de sauvetage ou de nécessité quand les lésions dépassent toute
possibilité thérapeutique ;
- la chirurgie conservatrice est la règle. Elle associe un geste d'éradication de tout
foyer infectieux potentiel, le parage, à la réduction et la stabilisation du fracas.

Cette stabilisation peut être obtenue par traction simple transcalcanéenne sur attelle de
Boppe ; elle est alors approximative. La méthode de Carlo Ré, associant une traction
divergente par broches noyées dans un plâtre fenêtre sur la plaie, peut rendre service en zone
défavorisée. Mais la meilleure solution dans ces conditions précaires est l'exofixation par
fixateur externe : il s'agit d'une ostéosynthèse rigide, modulable. L'appareil le mieux adapté à
l'utilisation en chirurgie de guerre et de masse est le FESSA (fixateur externe du Service de
Santé des Armées). Encore faut-il s'assurer, surtout si l'on est amené à traiter des populations
civiles, que l'on pourra garantir le suivi post-opératoire, en particulier jusqu'au retrait du
fixateur.

Dans le cas de notre blessé, l'indication opératoire est formelle après la mise en route
de l'antibiothérapie.

Quand opérer ? : le plus rapidement possible de manière à éviter la pullulation


microbienne au niveau du foyer de fracture.

Comment opérer ?
Un rappel anatomique est ici nécessaire.

641
Après le parage, on mettra en place un fixateur externe dont les fiches vont perforer
les parties molles de part et d'autre du fracas et les extrémités osseuses au-dessus et au-
dessous du fracas diaphysaire. Sur deux coupes, aux tiers supérieur et inférieur de jambe, on
voit bien que les faces chirurgicales du tibia sont la face interne, plane, et la face antéro-
externe où seul le jambier antérieur sera transfixié.

Le montage pris comme type de description est le montage le plus rigide possible
associant deux tubes axiaux inclinés l'un par rapport à l'autre à plus de 90° et renforcé par des
tubes perpendiculaires. C'est un montage dit « triangulaire renforcé ».

Anesthésie
L'anesthésie sera générale, la seule envisageable en urgence.
Installation

Le patient est installé en décubitus dorsal, et un garrot pneumatique est posé à la


racine de la cuisse. On le gonfle d'emblée si la plaie saigne, sinon on le pose simplement en
attente des gestes ultérieurs.

Il faudra utiliser deux tables, la première pour le parage, la seconde pour la mise en
place du fixateur externe. Les instruments nécessaires sont pour le parage ceux de chirurgie
courante, avec un aspirateur et un bistouri électrique. Pour la pose du fixateur, il faut disposer
de l'ancillaire de pose que nous décrirons plus loin avec la technique de mise en place.

Préparation du membre
La préparation du membre commence par une toilette centrifuge de la plaie. Après
extraction des gros corps étrangers, cette plaie est rincée puis nettoyée à l'aide d'une brosse
stérile et d'une solution antiseptique. Le membre est ensuite badigeonné d'antiseptiques, puis
isolé par un champ de membre inférieur.

Parage
C'est un geste chirurgical majeur qui va en grande partie conditionner l'avenir. Il est
réalisé plan par plan-et doit rester marginal.

- Le temps cutané : il faut réséquer les lambeaux de peau dévitalisée et régulariser les
berges contuses pour obtenir des berges cutanées franches et propres.
- Le temps adipeux : le tissu graisseux peut être excisé largement.
- Les aponévroses sont réséquées sur le trajet de la balle et largement ouvertes en
prévention d'un syndrome des loges.
- Les muscles sont régularisés jusqu'en zone saine, contractile. L'hémostase doit être
soigneuse, au fil, en évitant le bistouri électrique.
- L'os doit autant que possible être préservé. Seules les esquilles osseuses totalement
dévascularisées sont enlevées. Attention au parage endo-canalaire.

Il faut éviter de laisser des esquilles corticales dans le canal médullaire car elles
vont évoluer vers la séquestration.

642
Au cours de ce parage, le site opératoire est abondamment rincé avec une solution
antiseptique.

Réduction et stabilisation osseuse (Fig. 35.2)


Après changement de gants, d'instruments et de table, le geste osseux peut être réalisé.

La réduction : par manœuvres externes, on aligne le foyer de fracture. On assure une


stabilisation temporaire par une courte plaque d'ostéosynthèse maintenue par deux daviers de
part et d'autre du foyer. On peut alors fermer la peau au-dessus et en dessous du foyer.

Figure 35.2 : Méthode de stabilisation osseuse, dans les fracas diaphysaires de jambe
par projectile de guerre (FESSA).

643
Pose du FESSA
Le FESSA est un fixateur tubulaire de 18, 12 ou 8 mm de diamètre.

En ce qui concerne la jambe, il faut utiliser un fixateur de 18 mm de diamètre.

Le tube représente le corps du fixateur. Il est solidarisé à l'os par des fiches
transfixiant le tube.

Nous envisageons successivement les techniques :


- de pose d'une fiche ;
- de pose du premier tube ;
- de pose du second tube.

• Pose d'une fiche : le tube est utilisé comme gabarit. Après moucheture de la peau au
bistouri, on introduit le guide-mèche à travers le tube. Un pointeau coulissant dans le guide-
mèche permet de perforer les parties molles jusqu'à ce que le guide-mèche vienne s'appuyer
sur l'os. On retire alors le pointeau et on introduit une mèche de 4 mm, montée sur une
chignole à main, dans le guide. On perfore alors les deux corticales puis on retire la mèche
avec son guide, sans modifier le sens du méchage, ce qui évite le bourrage du trajet. Une
fiche filetée autotaraudante de 5 mm est introduite à travers le tube et posée à la chignole à
main en prenant les deux corticales. Cette fiche est solidarisée au tube par deux vis à fond
plat.

• Pose du premier tube : elle s'effectue sur la face interne de jambe. Principes : le tube
doit être le plus près possible de la peau pour que le montage soit le plus rigide possible. Il
faut poser trois fiches de part et d'autre du foyer de fracture. Elles doivent être équidistantes.

Réalisation : on introduit d'abord par méchage la fiche la plus éloignée du trait de


fracture sur le segment proximal de jambe, et on laisse en place la mèche dans le guide-mèche
(Ml). On introduit ensuite la fiche la plus éloignée du trait de fracture sur le segment distal, en
laissant là encore en place la mèche dans le guide-mèche (M2). Puis on pose les deux fiches
les plus proches du trait de fracture, et les fiches intermédiaires. Enfin, Ml et M2 sont
remplacés par deux fiches.

• Pose du second tube : ce second tube doit faire avec le précédent un angle de plus de
90°. Sa technique de pose est identique à la précédente. Il faut légèrement décaler les fiches
vers le haut sur le segment distal pour pouvoir en poser six. La plaque et les daviers peuvent
alors être enlevés.

- Renforcement : ce montage en V doit être renforcé pour obtenir une rigidité


maximale. Pour cela, deux tubes courts sont solidarisés en T par des doubles colliers en distal
et en proximal. À travers chacun de ces tubes, on pose une fiche qui se place généralement
sur la crête tibiale (Fig. 35.3).

Fermeture-drainage
Lorsque le parage le permet, la fermeture primitive doit être la règle. Elle est réalisée
sur un double drainage aspiratif de diamètre 12 autorisant une éventuelle irrigation-lavage.

644
L'intervention s'achève en recouvrant la plaie et chaque fiche d'un pansement non
compressif.

Difficultés per-opératoires - variantes


- Lésions vasculaires associées : c'est une extrême urgence et la réparation vasculaire
doit être rapide mais nécessite une stabilisation provisoire. Celle-ci peut être assurée par la
plaque et le davier mais aussi par la pose rapide d'un fixateur articulé avec deux tubes et une
barre d'union, ce montage étant ensuite renforcé en triangulaire. La réparation de la lésion
vasculaire proprement dite est décrite dans le chapitre 26.
- La réduction peut se révéler difficile et, si elle semble approximative, il faut se
contenter d'un montage en fixateur articulé secondairement renforcé
en triangulaire.
- Les difficultés de couverture : elles font le pronostic à moyen et long termes de ces
fracas. En urgence, dans un contexte de précarité, on ne peut réaliser que des gestes de
couverture simples, voire ne suturer que la berge interne du jambier antérieur à la berge
interne de la plaie, réalisant le « tout ouvert, os couvert ».

Ce geste nécessite une greffe dermo-épidermique secondaire.

Suites opératoires

645
- Les antibiotiques sont poursuivis au moins 3 semaines, et l'anti coagulation jusqu'à
reprise de l'appui.
- La surveillance comporte plusieurs éléments : pouls, pression artérielle, température
et vitalité du membre.
- En l'absence de signes d'appel infectieux locaux ou régionaux, le pansement est
refait au 3e j, date à laquelle on peut retirer les drains si l'aspect de la plaie est satisfaisant. S'il
apparaît des signes d'infection, il faut recourir à un débridement et un parage itératif.
- La dynamisation, c'est-à-dire la remise en charge progressive avec allégement du
fixateur, commencera à partir du 3e mois et s'étendra sur une période de 3 à 6 mois. L'ablation
définitive du fixateur pourra alors être envisagée, sous couvert d'une orthèse.
- Les complications sont essentiellement l'infection pouvant conduire à la
pseudarthrose septique. Un syndrome des loges est possible si l'ouverture des aponévroses a
été insuffisante.
- Le traitement de la pseudarthrose septique est long et difficile. Il faut assécher
l'infection et assurer une bonne couverture cutanée pour obtenir la consolidation. La
technique de base du traitement de cette pseudarthrose septique est la greffe intertibio-
péronière (GITP).
- Les séquelles : ce sont essentiellement les rétractions des parties molles, en
particulier des tendons, que l'on doit prévenir par une rééducation précoce, possible si le
montage est solide.

Ainsi, face à un fracas diaphysaire ouvert de jambe sans complication vasculo-


nerveuse, la meilleure attitude est le parage soigneux associé à une exofixation rigide. Là sont
les meilleures garanties du succès de la conservation, avec un minimum de complications et
de séquelles.

646
Amputation de jambe pour fracas

J.-F. THIERY

Soldat de 25 ans blessé deux heures auparavant par éclat d'obus au tiers inférieur de
la jambe droite. Admis à Vantenne chirurgicale, garrotté au-dessus du genou, pansé et
immobilisé sur attelle, son hémodynamique est stable et une voie veineuse périphérique est en
place. La fiche d'évacuation précise qu'il existe un vaste délabrement du tiers inférieur de
jambe avec une perte de substance pratiquement circulaire et qu' il y avait une vaste
hémorragie en jet.

Les progrès de la réanimation ont permis de reculer les limites de la conservation


en chirurgie de guerre. L'amputation est devenue un geste de sauvetage ou de nécessité
devant des lésions dépassées, et elle doit malheureusement être parfois pratiquée d'emblée
quand il est impossible de contrôler les lésions de façon satisfaisante. C'est ce problème
d'indication que pose ce blessé de guerre du tiers inférieur de jambe.

La lecture de la fiche d'évacuation ne permet pas d'être optimiste. En effet, la


blessure remonte à deux heures et le blessé est garrotté. La mesure des constantes vitales,
faite immédiatement, montre que l'hémodynamique est stable, mais il n'en reste pas moins
que les premiers gestes nécessaires sont des gestes de réanimation. Une seconde voie
veineuse est mise en place permettant un prélèvement sanguin avec groupage, numération
formule sanguine et hématocrite. Ce prélèvement effectué, un remplissage par colloïdes
est débuté, ainsi qu'une antibiothérapie à large spectre.

Le blessé est déshabillé et, par un examen complet, on s'assure que cette blessure
est isolée. Dès lors, on peut centrer son attention sur la jambe. Le garrot étant laissé en
place, on examine la plaie pour évaluer l'importance du délabrement. La lésion est
circulaire, avec une perte de substance cutanée dont on précise la hauteur. On apprécie
également l'importance des lésions musculaires et, en particulier, l'existence de perte de
substance musculo-tendineuse et osseuse. L'examen de la continuité vasculo-nerveuse
n'est pas réalisable sans anesthésie. On pourra cependant prudemment lever le garrot
après alcalinisation pour mettre en évidence une hémorragie en jet. L'absence de cette
hémorragie ne signifie pas forcément intégrité vasculaire, l'hémostase provisoire pouvant
être assurée par un spasme ou une thrombose.

Au total, ce blessé présente un délabrement du tiers inférieur de jambe avec


probablement une interruption vasculaire. Il s'agit donc d'une lésion (Fig. 36.1) :
- du stade 3 de Cauchoix-Duparc ;
- du stade 4 de Mechelany ;

647
- du stade IIIc de Gustilo-Anderson ;
- du stade IV de Byrd.

De quoi s'agit-il ?
Ces lésions sont probablement celles les plus graves de l'appareil locomoteur. L'agent
vulnérant, ici un volumineux éclat d'obus, a véritablement broyé la jambe, avec lésions de la
peau, des parties molles et de l'os. Il s'agit pratiquement d'une amputation traumatique de
jambe. C'est une première urgence.

Que faut-il faire ?


Le geste chirurgical dépend de l'environnement technique et des délais d'évacuation.
En pratique civile de temps de paix et avec de bonnes infrastructures médico-chirurgicales,
un tel blessé pourrait être évacué rapidement sur un centre spécialisé de chirurgie réparatrice
où pourrait être pratiquée une réimplantation immédiate au prix d'une intervention de
plusieurs heures, faisant intervenir plusieurs spécialistes. Le contexte est ici différent.
L'équipement est rustique, orienté vers l'urgence, sans équipement de microchirurgie. Les
délais d'évacuation sont longs. Il faut donc opérer ce blessé à l'antenne et se résoudre à
l'amputation.

Quand opérer ?

648
On opère après un bilan général rapide et une mise en condition préopératoire qui
comporte deux aspects : technique, avec pose d'une voie veineuse centrale, mais aussi chaque
fois que possible psychologique : quelques minutes suffisent à expliquer, rassurer et
dédramatiser autant que faire se peut.

Les impératifs anatomiques sont essentiellement vasculaires et on voit, sur une coupe
au tiers moyen de jambe, que trois pédicules doivent être contrôlés :
- le pédicule tibial antérieur ;
- le pédicule tibial postérieur ;
- le pédicule péronier.

Comment opérer ? (Fig. 36.2)


Le blessé est installé en décubitus dorsal, un coussin sous la fesse. Un garrot
pneumatique est placé à la racine de la cuisse et gonflé. Le garrot provisoire est enlevé.

Le matériel est celui nécessaire à la chirurgie des parties molles, auquel on ajoute des
couteaux à amputation, un rétracteur à parties molles, une scie.
L'anesthésie est générale.

La préparation du champ est large, après toilette centrifuge de la plaie à la brosse et


aux antiseptiques. Le membre est totalement autonomisé sous gersey.

Il faut respecter les principes suivants : l'amputation en urgence n'est pas un geste
définitif mais au contraire une intervention de régularisation et de sauvetage. Le geste doit
donc tenir compte de l'appareillage ultérieur qui sera d'autant plus aisé que le bras de levier
distal sera long. Il faut donc conserver le plus possible d'étoffe distale.

Les parties molles ont toujours tendance à se rétracter en post-opératoire. Il faut donc
couper l'os plus haut que les parties molles.

L'amputation se fait ici en ambiance septique. Il ne faut pas « emprisonner » les


germes. Il est interdit de fermer la tranche d'amputation. Il faut recourir au principe du «
saucissonnage ».

Le contrôle des nerfs doit être rigoureux. Les moignons douloureux sont dus au
développement de névromes irritatifs. Pour les éviter, il faut que le névrome, qui est le terme
de la cicatrisation normale du nerf, se développe en zone saine et à distance des zones
d'appui. Le nerf doit donc être sectionné nettement au-dessus de la tranche d'amputation.

Protocole opératoire
Temps cutané
La régularisation cutanée se fait au bistouri froid. Elle est circulaire, suivant la limite
des lésions mais elle doit conserver les grands lambeaux bien vascularisés.

L'hémostase des grosses veines superficielles est réalisée par ligature au fil n° 3
décimal résorbable.

649
Temps antérieur
Le couteau à amputation, tranchant, fil légèrement incliné vers le haut, permet de
sectionner franchement les masses musculaires antérieures. Cette section se fait
progressivement jusqu'à repérer les paquets vasculo-nerveux. Ceux-ci sont isolés et disséqués.
Les artères et les veines sont contrôlées par ligatures appuyées au fil n°3 décimal, puis
sectionnées. Il faut ensuite tirer sur les nerfs, pour les sectionner le plus haut possible à la
pointe des ciseaux courbes après les avoir infiltrés à la Xylocaïne.

Temps postérieur et externe


II est réalisé de la même manière. Le couteau à amputation permet de sectionner le
biceps sural et les péroniers. On peut alors repérer le paquet vasculo-nerveux tibial postérieur
que l'on traite comme précédemment. On sectionne ensuite les fléchisseurs et le jambier
postérieur, puis la membrane interosseuse.

Temps osseux
Les parties molles étant sectionnées, il faut libérer sur quelques centimètres les fûts
osseux du tibia et du péroné. Cette libération permet de placer le rétracteur à parties molles.
L'aide tire fermement sur ce rétracteur et les os peuvent être sectionnés au ras de celui-ci. Si
l'on ne dispose pas de rétracteur, on peut utiliser un champ opératoire troué.

Contrôles
L'amputation est maintenant terminée et il faut à ce stade contrôler plusieurs points.

650
L'hémostase : le garrot est lâché et les hémostases complémentaires, en particulier
des tranches musculaires, doivent être faites. Le saignement est contrôlé provisoirement par
des pinces de Halstead puis chaque hémostase est faite au fil serti résorbable n°3 décimal. Il
ne faut pas utiliser le bistouri électrique.

Les tranches osseuses peuvent être responsables d'une hémorragie abondante. Le


problème peut être résolu soit en suturant le périoste sur la tranche osseuse, soit en réalisant
des bouchons osseux obstruant le canal médullaire. La cire de Horsley peut assurer
l'hémostase du péroné. La crête tibiale, agressive, doit être abattue et limée.

Pansement (Fig. 36.3)


II est réalisé lorsque l'hémostase est parfaite. Le cône de l'amputation est pansé à plat
par des compresses. La peau est nettoyée et un gersey, remontant jusqu'au genou, est collé au
vernis chirurgical sur la peau. Il est ensuite fendu en deux jusqu'à la limite de l'amputation.
Un pansement absorbant est alors apposé sur la branche d'amputation. Le gersey collé va
permettre d'appliquer sur la peau une traction de 1 kg, afin d'éviter la rétraction cutanée.

Suites
II faut en post-opératoire poursuivre le traitement antibiotique et prévenir les
thromboses. Le pansement sera contrôlé à la 72e heure s'il n'est pas souillé.

Les complications de cette technique sont rares

651
- la reprise hémorragique par lâchage d'une hémostase relève d'une faute technique ;
- l'infection d'un moignon laissé ouvert relève d'une insuffisance de résection musculaire ;
- la rétraction cutanée avec exposition progressive des fûts relève d'une insuffisance de
résection osseuse.
Les variantes sont nombreuses et on y recourt en fonction des lésions rencontrées.
Retenons l'artifice décrit par Chauvet qui utilise un fixateur externe permettant de conserver
un bras de levier plus long en cas de lésion osseuse bifocale.

En l'absence de complication, un moignon de ce type cicatrisera en dix à douze


semaines mais on peut l'accélérer par une greffe en peau mince lorsque le sous-sol est
bourgeonnant. Il faut, au cours de cette évolution, lutter contre un possible flessum du genou
et entreprendre le plus tôt possible la rééducation.

Le membre est ensuite appareillé, ce qui peut nécessiter des retouches chirurgicales. Il
faut bien entendu assurer tout au long de cette évolution un soutien psychologique.

Conclusion
Au total, devant un broiement de jambe, lorsque les conditions sont précaires, il faut
bien souvent savoir se résoudre à amputer, même si l'attitude doit être de tenter le plus
possible de conserver le membre. Une technique simple, sans ambition plastique, permet
habituellement d'obtenir des suites opératoires simples, autorisant d'aborder rapidement la
phase d'appareillage de ce membre amputé.

652
Plaie cranio-cérébrale

A. DUCOLOMBIER

Situation de conflit armé. Arrivée de 20 blessés dont un de 23 ans présentant un


traumatisme crânien ouvert. Coma stade II, E3 V3 M3, hémiparésie gauche, mydriase droite.
Le blessé, ramassé 2 h auparavant, était conscient, sans déficit neurologique. Plaie frontale
droite avec gros délabrement cutané. Radiographie simple du crâne : éclat d'obus dans le
lobe frontal droit.

Ce soldat de 23 ans pose le problème du traitement en urgence d'une plaie cranio-


cérébrale. En effet, tout blessé crânien dont l'état s'aggrave est une extrême urgence en
chirurgie de guerre, et l'on connaît la fréquence des hématomes intracrâniens venant
compliquer précocement ces blessures ouvertes.

Le diagnostic positif n'offre guère de difficulté. Dans le groupe de 20 blessés que


reçoit le chirurgien préposé au tri, l'un porte un pansement de tête.

La lecture de la fiche d'évacuation va d'emblée le faire classer dans les extrêmes


urgences. Conscient sans déficit neurologique lors de son ramassage 2 h auparavant, le blessé

653
arrive en état de coma stade II, avec une réactivité adaptée. Le score de Glasgow est à 6, il
existe une hémiparésie gauche mais, surtout, l'examen des nerfs crâniens découvre une
mydriase droite. On diagnostique un syndrome alterne par engagement temporal droit.

L'examen local, pansement ouvert, retrouve l'orifice d'entrée (Fig. 37.1), unique,
avec un gros délabrement cutané. On recherche avec un gant stérile l'issue de matière
cérébrale, l'écoulement de LCR, et on pose des pinces à hémostase sur les principales artères
du cuir chevelu pour contrôler d'emblée l'hémorragie externe.

L'examen général évaluera ensuite les grandes fonctions vitales, cardio-


vasculaires, à la recherche d'un état de choc, respiratoires à la recherche d'une détresse par
inhalation, obstruction aérienne supérieure, épanchement pleural ou blast pulmonaire. Enfin,
l'abdomen sera soigneusement examiné, de même que les membres et les ceintures.

Une radiographie du crâne de face et de profil (Fig. 37.2) permet de découvrir et


de localiser un éclat d'obus au niveau frontal droit ; il faudra analyser la fracture et rechercher
une irradiation au niveau de la base du crâne. Le siège de l'éclat sera précisé par rapport au
sinus longitudinal supérieur et au sinus frontal.

Au total, le blessé présente une plaie cranio-cérébrale frontale droite par éclat d'obus,
avec orifice d'entrée borgne. L'aggravation, survenue après un intervalle libre de 2 h, fait
suspecter une complication suraiguë par hématome intracrânien et engagement temporal, il
s'agit d'une extrême urgence neurochirurgicale.

Dès l'arrivée du blessé, des gestes de réanimation s'imposent : intubation trachéale


pour ventilation d'oxygène, pose de voie veineuse pour perfusion d'antibiotiques, de
corticoïdes, de mannitol et d'anticomitiaux. L'artériographie ou le scanner sont irréalisables

654
dans ce contexte de guerre, et le blessé doit être préparé à l'intervention, au moins par un
groupage sanguin et des tests d'hémostase.

Que s'est-il passé ?

L'éclat d'obus a créé une plaie cranio-cérébrale (Fig. 37.3) avec effraction du cuir
chevelu, de la voûte du crâne, de la dure-mère et une lésion cérébrale. Il s'est produit une
chambre d'attrition frontale avec des esquilles osseuses, des débris de casque, des cheveux, de
la bouillie cérébrale, qui constituent un excellent milieu de culture bactérienne.

Les conséquences immédiates de ce traumatisme (Fig. 37.4) vont expliquer


l'aggravation clinique secondaire : après un œdème cérébral périlésionnel immédiat, il s'est
certainement constitué un hématome frontal, probablement d'origine artérielle. Cet
hématome, qui pourra être intracérébral ou sous-dural, entraîne un engagement temporal avec
une souffrance aiguë du tronc cérébral et une menace vitale immédiate par arrêt respiratoire.
C'est dire l'urgence à décomprimer le cerveau.

655
Les complications infectieuses sont plus tardives et justifient un parage minutieux des
lésions avec fermeture de la dure-mère.

Le traitement aura donc pour but de lever la compression cérébrale en évacuant


l'hématome et de parer les lésions pour prévenir l'infection.

Les méthodes médicales sont représentées par la réanimation qui sera débutée en
pré-opératoire et qui préparera le malade à l'intervention : traitement anti-œdémateux
cérébral, mannitol et corticoïdes, équilibration ventilatoire et circulatoire avec oxygénation,
antibio-thérapie, anticomitiaux.

Du point de vue chirurgical, c'est le dogme de l'intervention précoce, complète et


définitive, mise en honneur par Cushing en 1917.

Les principes reposent sur l'excision des tissus dévitalisés, au mépris de la fonction,
l'ablation des hématomes et l'hémostase soigneuse, la fermeture de la dure-mère et du cuir
chevelu. L'ablation du projectile est plus accessoire. On a le choix entre un parage à la
demande de la cheminée d'attrition avec respect de l'éclat, et une lobectomie frontale si la
lésion est polaire, en cas d'éclatement du lobe frontal, avec ablation de l'éclat.

L'avantage est de permettre la décompression rapide du tronc cérébral, donc de sauver


la vie et de prévenir les complications secondaires.

L'inconvénient est de laisser des séquelles neurologiques parfois importantes.

Faut-il opérer ?
L'intervention en urgence est ici indiquée, au vu du type de lésion, du fait qu'elle seule
puisse empêcher l'évolution gravissime, et devant le jeune âge du patient.

Quand opérer ?

656
L'indication opératoire est portée selon l'effet de la réanimation initiale : si la situation
s'améliore, il s'agit d'un œdème cérébral, le blessé est classé en première urgence, et on peut
temporiser de quelques heures, 6 h au plus. S'il n'y a pas d'amélioration, il faut opérer
d'emblée en extrême urgence.

Pour réaliser cette intervention, un rappel anatomique est nécessaire, avec une
vue latérale droite du cerveau (Fig. 37.5). Les obstacles sont les plans superficiels (Fig. 37.3),
cuir chevelu très vasculaire et hémorragique en raison de la présence de l'artère temporale
superficielle dont il faudra faire l'hémostase, muscle temporal et son aponévrose qu'il faudra
inciser et ruginer, plan osseux frontal et temporal qui sera trépané, dure-mère sur laquelle
transite l'artère méningée moyenne qu'il faudra clipper et coaguler.

Le risque opératoire est dû à la proximité des vaisseaux, des artères corticales pré-
rolandiques, du sinus longitudinal supérieur et des zones corticales fonctionnelles qu'il faudra
s'efforcer de respecter.

Comment opérer ?
Pour la voie d'abord, il y a deux possibilités :

- soit volet ostéo-plastique frontal ou fronto-temporal avec scalp arciforme qui a


pour avantage de bien exposer les lésions, mais qui a pour inconvénient d'être long à réaliser
(15 à 20 min), et de faire courir des risques d'ostéite secondaire ;
- soit la craniectomie de Cairns par agrandissement de l'orifice d'entrée qui a pour
avantage sa rapidité et sa facilité de réalisation avec peu d'instruments. Elle doit cependant
être large pour une bonne exposition, mais ce n'est pas ici un inconvénient.

Cette dernière est choisie ici en raison des conditions opératoires (guerre, afflux de
blessés, matériel réduit, extrême urgence, large plaie agrandissable facilement).

657
La préparation du patient comporte une anesthésie générale avec intubation
trachéale, et une réserve de sang isogroupe suffisante.

Le patient est opéré en décubitus dorsal, tête en rotation gauche. L'instrumentation,


limitée, comprend, outre une source de lumière et une aspiration, un trépan à main, une pince
gouge, une électrocoagulation monopolaire ou, mieux, bipolaire, de la cire de Horsley, des
clips vasculaires, des cotons neurochirurgicaux et des écarteurs de Clovis-Vincent.

Le protocole opératoire comprend cinq temps : Temps cutané


- Parage économique et hémostase du cuir chevelu ;
- agrandissement de la plaie, sans angle aigu, avec décollement d'un lambeau temporal
(Fig. 37.1) ;
- parage large de l'aponévrose et du muscle temporal avec hémostase du plan
superficiel ;
- changer de gants et d'instruments après lavage antiseptique.

Temps osseux
- Forage d'un trou de trépan en zone saine, près de l'orifice d'entrée (Fig. 37.6) ;
- craniectomie large, circonscrivant cet orifice ;
- ablation des esquilles osseuses superficielles ;
- évacuation d'un hématome extradural éventuel ;
- hémostase des tranches osseuses à la cire de Horsley.

658
Temps dure-mérien
- Parage économique de la dure-mère, hémostase de ses vaisseaux ;
- complément d'ouverture durale par refends radiaires (Fig. 37.7) ;
- suspension des lambeaux duraux.

Temps cérébral
- Le parage cérébral se fait par une aspiration douce sur petits cotons d'une main et
une pince à coaguler ou une curette mousse de l'autre.

L'aide opératoire irrigue les lésions en permanence avec du sérum physiologique et


une poire, ce qui permet de séparer le tissu nécrosé du tissu vivant ;

- exérèse de la bouillie cérébrale, des esquilles osseuses, des cheveux. L'éclat est
enlevé si cela ne pose pas de difficulté particulière ;
- évacuation des collections sanguines extra-, sous-durales ou intra-cérébrales ;
- lobectomie frontale de nécessité (Fig. 37.8) si l'œdème cérébral est important pour
traiter l'hypertension intracrânienne et réduire l'engagement temporal, si possible en avant de
la circonvolution frontale ascendante qui se trouve à 2 cm en arrière de la suture fronto-
pariétale ;
- hémostase soigneuse de tout le foyer opératoire, artères, veines et tranche de
substance cérébrale. Le sinus longitudinal supérieur doit être vérifié s'il est à proximité. Le
liquide de lavage doit revenir parfaitement clair ;
- lavage à l'eau oxygénée diluée à moins de 10 volumes pour 100 pour parfaire
l'hémostase et pour désinfecter le foyer opératoire.

Figure 37.7 : Craniectomie, ouverture en croix de la dure-mère.

Fermeture
- Drain intracavitaire non aspiratif en siphonage ;
- suture étanche de la dure-mère en s'aidant d'une plastic d'épicrâne. Suspension en
périphérie ;
- suture du muscle temporal et de son aponévrose ;

659
- suture étanche du cuir en deux plans, galéa et peau, grâce à la rotation des deux
lambeaux pour combler le défect cutané, sur drain de redon aspiratif sous-cutané.

Soins post-opératoires
- Antibiothérapie à fortes doses (ampicilline + flagyl) pendant 10 j en intraveineuse
puis 1 mois par voie orale ;
- anti-œdémateux et anticomitiaux ;
- drains enlevés à J+2, points à J+10 ;
- greffe cutanée au 10e j si perte de substance ;
- contrôle scanner en milieu bien équipé.

Difficultés, incidents, accidents per-opératoires


Une hémorragie importante peut apparaître en cas de blessure du sinus longitudinal
supérieur. L'hémostase temporaire se fait en tassant des cotons. Le sinus peut se réparer si la
lésion est linéaire, sinon il faut le ligaturer.

L'extraction de l'éclat nécessite le plus souvent une lobectomie frontale.


Une blessure de l'artère sylvienne ou de la cérébrale antérieure est possible : attention
aux limites de la résection.

Lésion de la base du crâne : crânialisation du sinus frontal, exclusion des cellules


ethmoïdales et des trous fronto-nasaux par des taquets osseux, plastic durale sur la base.

Complications post-opératoires

660
L'absence de réveil peut être expliquée par une lésion irréversible du tronc cérébral ou
par la lésion d'un gros vaisseau intracrânien.

Les infections, à type d'ostéite du volet, de méningite, d'abcès ou d'empyème, sont des
complications qu'il faut toujours rechercher en cas de fièvre post-opératoire.

L'œdème cérébral et l'hématome post-opératoire sont des complications classiques.

Les mesures visant à diminuer la pression intracrânienne doivent être systématiques


(anti-œdémateux, traitement des poussées d'HTA, de la douleur, surélévation de la tête).

Les séquelles peuvent être multiples :


- le syndrome frontal est d'intensité variable ;
- l'épilepsie post-traumatique survient dans 50 % des cas ;
- l'hémiparésie est plus ou moins invalidante ;
- la perte de substance du crâne sera traitée par une cranioplastie après plusieurs mois.

Conclusion
Chez ce blessé grave, une intervention urgente et complète peut donner un excellent
résultat en dépit de ces multiples écueils. Le résultat définitif dépend directement de
l'importance des lésions initiales.

661
Hématome extra-dural
ALAIN DUCOLOMBIER

Homme de 20 ans. Traumatisme crânien avec perte de connaissance brève,


obnubilation légère, fracture temporale gauche. Deux heures après, coma stade II,
hémiparésie droite, mydriase gauche. Scanner : hématome extra-dur al temporal gauche
volumineux..

Nous recevons en urgence un homme de 20 ans en état d'engagement temporal droit,


ce qui, dans les suites d'un traumatisme crânien, représente une extrême urgence
neurochirurgicale. L'urgence est telle que ce problème incombe à la chirurgie générale, car
tout chirurgien doit pouvoir opérer un hématome extradural s'il n'y a pas de neurochirurgien à
proximité.

En effet, dès l'arrivée du blessé, Y examen neurologique constate qu'il est en état de
coma stade II, c'est-à-dire encore réactif et adapté, et surtout qu'il existe une mydriase gauche.
Ce tableau de souffrance aiguë du tronc cérébral doit faire pratiquer d'emblée des gestes de
réanimation : intubation trachéale, ventilation assistée, oxygénation, voie veineuse pour
perfusion de mannitol et de corticoïdes.

Parallèlement, 1’interrogatoire de l'entourage nous apprend que cet homme a présenté


il y a deux heures un traumatisme crânien avec perte de connaissance brève et qu'il était

662
depuis resté obnubilé. Une telle chronologie fait évoquer d'emblée l'évolution en trois temps
de l'hématome extradural, d'autant plus que la radiographie du crâne présentée (Fig. 38.1)
objective un trait de fracture temporal gauche.

La poursuite de l'examen sera local, à la recherche d'un point d'impact sur le cuir
chevelu, facial pour étudier les autres nerfs crâniens, et général dans l'éventualité d'une lésion
associée. Une sonde urinaire est mise en place.

Après les prélèvements sanguins du bilan pré-opératoire, le patient est conduit au


scanner qui confirme le diagnostic clinique et radiologique : hématome extra-dural temporal
gauche volumineux, sous la forme d'une image hyperdense en forme de lentille biconvexe,
exerçant un effet de masse sur la ligne médiane et sur l'uncus de l'hippocampe, disparition de
la citerne péripédonculaire gauche (Fig.38.2). L'existence d'une obnubilation pendant
l'intervalle libre doit faire rechercher en plus une contusion temporale associée ou un
hématome sous-dural aigu.

Que s'est-il passé ?


L'hématome extra-dural est une collection de sang coagulé développé entre l'os et la
dure-mère, ici de localisation temporale dans le classique espace décollable de Gérard-
Marchand. La fracture temporale a certainement cisaillé le trajet de l'artère méningée
moyenne dont le saignement en jet explique la constitution suraiguë de cet hématome.

L'effet de masse exercé sur le lobe temporal a ensuite entraîné l'engagement de l'uncus
de l'hippocampe dans l'incisure tentorielle, avec compression du pédoncule cérébral gauche,
expliquant ainsi le coma, par compression de la substance réticulée, et la mydriase, par
compression du noyau du III (Fig.38.3).

663
En l'absence de traitement, l'évolution est rapidement fatale par troubles respiratoires
et nécrose du tronc cérébral. Une décompression chirurgicale d'extrême urgence est
impérative pour éviter ce drame et limiter les séquelles neurologiques.

Le traitement aura donc pour but l'évacuation de l'hématome extra-dural et la


prévention de sa récidive
.
Les moyens sont tout d'abord médicaux et nous avons vu l'urgence à mettre en œuvre
un traitement anti-œdémateux à type de mannitol et de corticoïdes à fortes doses.

Mais c'est la chirurgie qui est le traitement réellement curatif : il s'agit d'évacuer la
masse de l'hématome pour décomprimer le cerveau sous-jacent, d'assurer l'hémostase du
vaisseau qui saigne et de suspendre la dure-mère pour éviter sa récidive.

Faut-il opérer ?
L'intervention ne se discute pas ; elle seule est salvatrice.

Quand opérer ?
En extrême urgence, car le blessé est en état d'engagement temporal.

Comment opérer ?
Pour cela, un rappel anatomique (Fig.38.4) semble nécessaire, avec étude des
différents plans de couverture : cuir chevelu et galéa qui sont décollés avec la taille du scalp,
aponévrose temporale et muscle temporal qui sont incisés et ruginés, voûte osseuse temporale
qui sera trépanée avant d'atteindre l'espace extra-dural où siège l'hématome.

Sur une vue latérale, on remarque le siège de l'écaillé temporale et le trajet de l'artère
méningée moyenne dont on devra faire l'hémostase.

664
Pendant l'intervention, la réanimation sera poursuivie pour protéger au maximum le
cerveau.

Il n'y a qu'un seul problème chirurgical, celui de la voie d'abord : faut-il faire un volet
ou une craniectomie ?

Le volet ostéoplastique temporal avec scalp arciforme a pour avantage de bien


exposer la lésion, mais il a pour inconvénient d'être long à réaliser, 15 à 20 minutes, et de
faire courir des risques d'ostéite.

La craniectomie par agrandissement d'un trou de trépan a pour avantage sa rapidité et


sa simplicité, avec peu d'instruments. Elle doit cependant être large pour une bonne
exposition, ce qui en pratique ne pose pas de problème.

En réalité, on peut combiner les deux méthodes, commencer par un trou de trépan
pour évacuer le principal de l'hématome et soulager le cerveau, puis confectionner un volet
temporal circonscrivant l'hématome. C'est l'intervention que nous réaliserons en pratique.

Préparation du patient
Elle comporte une anesthésie générale avec intubation trachéale et ventilation assistée.
Le patient est placé en décubitus dorsal, tête en rotation droite maximale (Fig.38.5).
L'instrumentation est celle d'une boîte d'urgence en chirurgie crânienne avec trépan et
craniotome pneumatiques, clips vasculaires, électrocoagulation, aspiration.

665
Protocole opératoire
II comprend plusieurs temps.

1er temps : craniectomie (Fig.38.6).


- Incision cutanée verticale temporale prétragale gauche, hémostase sous-cutanée,
mise en place d'un écarteur autostatique.
- Incision verticale de l'aponévrose et du muscle temporaux avec ruginage du plan
osseux.
- Perçage d'un trou de trépan au milieu de l'écaillé temporale, sur le trait de fracture.
- Agrandissement a minima du trou à la pince gouge pour pouvoir aspirer une grande
partie de l'hématome.

2e temps : volet (Fig.38.7).


- Complément d'incision du scalp en arbalète.
- Forage de cinq trous de trépan sur les limites de l'écaillé temporale.
- Résection de la partie externe de la petite aile du sphénoïde et du reste de l'écaillé
temporale.
- Exérèse du reste de l'hématome.
- Hémostase de l'artère méningée moyenne à la coagulation bipolaire, par clip ou par
fil trans-dural, avec cirage de la tranche d'os temporal.
- Vérification de l'espace sous-dural par une courte incision méningée si la dure-mère
est bleutée et tendue, pour évacuer un épanchement sous-dural.

666
3e temps : fermeture.
- Suspension de la dure-mère à l'épicrâne adjacent par des points non résorbables sur
chaque angle.
- Drain de Redon aspiratif extra-dural.
- Reposition du volet osseux fixé par quatre points trans-osseux.
- Suture de l'épicrâne et de l'aponévrose temporale.
- Points séparés en deux plans sur le cuir et drainage sous-cutané aspiratif.

Soins post-opératoires
Le réveil du patient se fait classiquement sur la table d'opération.

- Traitement anti-œdémateux sous forme de méthylprednisolone (Solu-Médrol)


120 mg x 3.
- Anticomitiaux de principe.
- Lever précoce.
- Ablation des drains au 2e jour, des fils au 10e.
- Contrôle scanner avant la sortie.

Difficultés, incidents, accidents per-opératoires


L'hémostase de l'artère méningée moyenne peut être difficile, et parfois on en est
réduit à le faire dans le trou petit rond par une bille de cire de Horsley après l'avoir poursuivie
sur la base du crâne.

667
L'extension antérieure ou postérieure de l'hématome oblige parfois à des contre-
incisions d'agrandissement, de façon à lever la totalité de la compression.

L'absence de réexpension cérébrale conduit parfois à désenclaver l'engagement du


lobe temporal après avoir ouvert largement la dure-mère.

Complications post-opératoires
Un œdème cérébral ou une ischémie du tronc cérébral post-engagement peuvent
provoquer une absence de réveil. Un nouvel hématome est toujours possible, et le recours au
scanner est alors systématique. En l'absence de scanner disponible, les indications opératoires
sont posées sur la clinique.

L'infection locale est à évoquer en cas de fièvre post-opératoire.

Les séquelles sont d'importance variable : syndrome subjectif des traumatisés du


crâne, épilepsie post-traumatique, hémiplégie plus ou moins complète, paralysie du III,
état arelationnel.

Conclusion
Globalement, l'évolution est favorable dans 40-50 % des cas quand l'intervention
est pratiquée en urgence.

668
Césarienne

G. CHARLES

Tout médecin qui effectue des accouchements peut être amené à effectuer des
césariennes.

Encore appelée hystérotomie, cette intervention consiste à effectuer l'accouchement


artificiel d'un enfant vivant, après ouverture chirurgicale de l'utérus, habituellement par voie
abdominale, exceptionnellement par voie vaginale.

C'est une intervention obstétricale courante et sa technique est maintenant bien


réglée. Elle a largement contribué à améliorer le pronostic maternel et néonatal. Cependant,
elle n' est pas et ne doit jamais être la solution à toutes les difficultés obstétricales.

Indications
Les indications de la césarienne varient d'un pays à l'autre.

En Europe, ses indications ont beaucoup évolué et évoluent encore. La sécurité


obstétricale s'est améliorée, la pathologie du bassin osseux est devenue rare, mais de
nouveaux critères qui peuvent faire décider d'interrompre une grossesse en fin d'évolution ou
pendant le travail sont apparus : les impératifs médicaux d'une part, qui poussent plus
fréquemment à achever chirurgicalement une grossesse, les meilleures techniques de
surveillance du fœtus par le monitorage et l'imagerie d'autre part, qui augmentent le nombre
d'interventions obstétricales en fin de grossesse et pendant le travail.

Dans les pays en développement en revanche, notamment en Afrique, la surveillance


de la grossesse est insuffisante, voire inexistante. La majorité des femmes arrivent pour
accoucher sans avoir été suivies. Par ignorance, certaines parturientes sont laissées en travail
plusieurs jours avant d'être conduites à la maternité.

Il faut distinguer plusieurs types d'indications.

Indications formelles
La dystocie mécanique par disproportion fœto-pelvienne :

- bassin rétréci avec épreuve du travail négative ;


- bassin normal avec excès du volume fœtal (poids supérieur à 4 500 g).

Les présentations dystociques :


- transversale avec engagement de l'épaule en début de travail ;
- bregma, front, face en variété initiale mento-postérieure.

669
Les présentations non dystociques (siège, face) avec arrêt de la dilatation. Les
dystocies dynamiques, en présentation céphalique, quand il est impossible de recourir au
forceps :
- troubles de la contractilité utérine ;
- troubles de la dilatation du col.

Dans toutes ces circonstances, l'apparition d'une souffrance fœtale aiguë (bradycardie,
liquide méconial) peut faire hâter la décision.

La grossesse gémellaire avec premier jumeau en siège.


L'obstacle prævia :
- tumeur enclavée dans le pelvis (fibrome prævia fixé, kyste de l'ovaire supérieur à 8
cm) ;
- antécédent de césarienne corporéale, tumeur cervicale.

Indications d'urgence
Ce sont les plus fréquentes dans les postes isolés ou en milieu obstétrical non
spécialisé.

Le placenta prævia, central ou marginal bas inséré, souvent méconnu en Afrique


et révélé par une hémorragie massive.

Le décollement prématuré d'un placenta normalement inséré (DPPNI),


survenant dans un contexte de toxémie gravidique. L'intervention s'impose en urgence si le
fœtus est encore vivant pour sauver non seulement le fœtus, mais aussi la mère (trouble de
l'hémostase, accès hypertensif).

L'éclampsie :
- en début de travail, si le col n'est pas dilaté, la césarienne permet d'extraire un enfant
vivant et souvent d'améliorer l'éclampsie de la mère ;
- en fin de travail, la césarienne est indiquée s'il apparaît une souffrance fœtale.

La souffrance fœtale aiguë au cours du travail quand la voie basse n'est pas possible.

La rupture utérine :
- sur un utérus fragilisé par une césarienne antérieure, l'extraction en urgence peut
sauver l'enfant ;
- chez une femme épuisée, évacuée d'un dispensaire de brousse, en travail depuis
plusieurs jours, l'intervention est réalisée pour sauvetage maternel (hystérectomie), le décès
fœtal ayant déjà eu lieu dans de telles circonstances.

La procidence du cordon où seule la césarienne rapide permet, sauf cas particulier, de


sauver l'enfant.

670
Contre-indications
Césarienne sur fœtus mort (indication d'embryotomie).

Césarienne corporéo-segmentaire
Elle est réalisée à cheval sur le segment inférieur et sur le corps. Son avantage est
d'être relativement simple, et ses inconvénients sont les mêmes que ceux de la césarienne
corporéale. C'est une incision que l'on effectue en complément lorsque l'accès au segment
inférieur est insuffisant pour extraire le fœtus.

Césarienne segmentaire
L'incision est effectuée sur le segment inférieur, de façon transversale ou
longitudinale. L'incision transversale, réalisée dans 90 % des césariennes, a plusieurs
avantages : la perte sanguine est faible, les adhérences post-opératoires sont exceptionnelles,
la réparation est simple et le risque de déhiscence cicatricielle ultérieure est minime. Une
seule réserve existe lorsque le segment inférieur est mal amplié, car il y a risque de déchirure
latérale avec atteinte des vaisseaux des pédicules utérins. Dans ce cas, certains proposent une
incision verticale basse. Cette incision, qui doit rester théoriquement strictement segmentaire,
est plus difficile à réaliser car elle empiète souvent vers le haut sur la partie inférieure du
corps utérin. Vers le bas, il y a un risque, lors de l'extraction fœtale, d'extension de l'incision
vers le col, le vagin et la face postérieure de la vessie.

Quelle que soit la direction de l'incision, la césarienne segmentaire est celle qui
entraîne à l'heure actuelle le moins de morbidité. Sur le segment inférieur abordé en position
sous-péritonéale, le risque infectieux est moindre. La suture segmentaire est solide et la
cicatrice de césarienne transversale est d'excellente qualité.

Césarienne vaginale
Réservée au spécialiste, elle permet de se sortir de certaines situations obstétricales
difficiles (échec d'une interruption thérapeutique de grossesse, extraction pour mort fœtale in
utero après échec de la dilatation cervicale ou apparition d'une hémorragie grave).

Elle est simple et rapide pour l'opérateur entraîné à la chirurgie par voie vaginale et a
le mérite de préserver l'avenir obstétrical. Pour l'opérateur non expérimenté, elle expose- en
revanche à des complications (hémorragies du segment inférieur et plaies vésicales).

La voie d'abord pariétale peut être transversale sus-pubienne ou verticale sous-


ombilicale. C'est cette dernière que nous décrirons car elle est plus facile à réaliser en milieu
obstétrical non spécialisé.

Avant d'entreprendre cette intervention, il faut connaître l'anatomie de l'utérus gravide,


sa vascularisation et ses rapports dangereux.

Anatomie
Les conséquences anatomiques de la grossesse sur le pelvis sont importantes : les
rapports de l'utérus gravide avec les organes pelviens sont modifiés, la vascularisation

671
artérielle et surtout veineuse est hypertrophiée et le segment inférieur se développe aux
environs du terme.

À la fin de la grossesse, l'utérus gravide est un muscle creux, ovoïde, de 31 cm de long


sur 23 cm de large, dont le fond est en contact avec les coupoles diaphragmatiques. Mais plus
que l'augmentation du volume utérin, propre à l'utérus gravide, c'est la formation du segment
inférieur qui modifie l'anatomie de la région.

Segment inférieur
À terme, le segment inférieur s'individualise par distension progressive de la région
isthmique de l'utérus gravide. Ce n'est pas une entité anatomique définie (Lacomme), car sa
forme et ses limites anatomiques sont variables.

Sa paroi antérieure, lieu de l'hystérotomie segmentaire, est plus développée que la


postérieure. Elle mesure environ 8 à 10 cm de haut sur 9 à 12 cm de large. Son épaisseur, de 3
à 5 mm à terme, est trois à quatre fois moins importante que l'épaisseur du corps utérin.
Constitué de deux couches musculaires, superficielle (fibres longitudinales) réduite, profonde
(fibres principalement transversales) plus développée, il est néanmoins solide car recouvert
par le fascia pré-segmentaire, lame blanc nacré, qui est l'élément de solidité de la cicatrice
d'hystérotomie. La proportion du tissu conjonctif est beaucoup plus importante qu'au niveau
du corps utérin, ce qui procure une meilleure cicatrisation. La muqueuse utérine y est moins
épaisse, ce qui diminue le risque de l'inclure dans une suture à ce niveau.

Le segment inférieur est moins vascularisé que le corps utérin. Au niveau artériel,
l'irrigation de la partie basse et centrale du segment inférieur est pauvre ; au niveau veineux,
les plexus sont transversaux mais ils sont peu abondants dans la partie basse du segment
inférieur.

Le segment inférieur constitué entre le col et le corps de l'utérus est largement


recouvert de péritoine sur ses faces antérieure et postérieure. Le péritoine de la face
antérieure, qui se poursuit avec celui du dôme vésical, n'adhère pas intimement au segment
inférieur dont il est chirurgicalement décollable. C'est donc un plan à franchir, puis à réparer,
car il protège la cicatrice utérine.

Rapports chirurgicaux (Fig. 39.1)


Les rapports antérieurs vont conditionner la voie d'abord. En avant et en haut, le corps
de l'utérus entre en contact direct avec la paroi abdominale et, en avant et en bas, c'est la
vessie qui est le rapport le plus important. Les rapports respectifs de la vessie et du segment
inférieur varient selon l'état de réplétion vésicale et le travail. La vessie devient sus-pubienne
quand elle est pleine et masque le segment inférieur et, lorsque la présentation s'engage, le
cul-de-sac vésico-utérin peu profond accentue son ascension. Le risque vésical est alors
majoré lors de l'incision du péritoine pariétal et la limite du cul-de-sac vésico-utérin est plus
floue (nécessité d'un sondage vésical).

Latéralement, le segment inférieur est en rapport avec la base des ligaments larges très
étalés sur 4 à 5 cm dans le sens antéro-postérieur. L'uretère ne constitue pas en principe un
danger lors de la césarienne car il reste collé sur la paroi pelvienne. Le segment inférieur
développé lui donne un trajet concave en dedans.

672
L'accroissement du volume utérin éloigne l'uretère de l'artère utérine. Elle le surcroise
à distance et sa boucle se situe à 2,5 cm au-dessus du cul-de-sac vaginal. Puis, l'artère utérine
s'accole plus précocement à l'utérus avant d'avoir donné ses branches cervico-vaginales.
Cependant, la dextro-rotation de l'utérus à terme peut modifier ces rapports : l'artère utérine
gauche et ses branches s'accolent à l'utérus plus en avant qu'à droite. Lors de l'agrandissement
latéral d'une hystérotomie transversale, c'est presque toujours le pédicule gauche qui est lésé.
C'est pourquoi il faut toujours commencer l'incision à gauche. Enfin, l'uretère gauche, dans le
cas d'une dextro-rotation trop prononcée, peut avoir un court trajet sur la face antérolatérale
du segment inférieur et être exceptionnellement blessé à ce niveau

L'état de gravidité confère aux artères et surtout aux veines une fragilité particulière
qui les expose à la rupture lors des déchirures du segment inférieur, à l'occasion d'extraction
fœtale laborieuse. Le risque de blessure urétérale en cas d'hémostase à la volée est alors
majoré (Fig. 39.2).

Technique
Préparation pré-opératoire
L'intervention doit être la plus rapide possible mais la préparation ne doit pas être
négligée. Une ou deux bonnes voies veineuses aux membres supérieurs, avec perfusion de
macromolécules sont nécessaires. Il faut prévoir éventuellement du sang isogroupe isoRH.

Un sondage urinaire doit être posé.

673
Il faut prendre certaines précautions pour minimiser le risque infectieux au cours de
cette césarienne réalisée en urgence :

- lavage soigneux de la région péri-ombilicale et de l'hypogastre ;


- rasage large abdominal et pubien ;
- badigeonnage large de la peau avec des antiseptiques (alcool iodé ou, mieux, Bétadine).

Anesthésie
L'anesthésie obstétricale comporte des dangers et répond à des impératifs précis. Elle peut
être générale ou locorégionale.

L'anesthésie générale permet une induction rapide dans le cadre de l'urgence et n'entraîne
qu'une hypotension modérée. Ses inconvénients sont dus à la difficulté d'intubation,
surtout en milieu non spécialisé, au risque d'inhalation de liquide gastrique chez cette
femme enceinte considérée par les anesthésistes comme ayant l'estomac plein, à la
difficulté de la surveillance pendant le réveil, et à la dépression respiratoire qu'elle
entraîne chez le nouveau-né.

Au contraire, l'anesthésie locorégionale permettant à la mère de rester consciente


minimise les risques d'inhalation et évite au nouveau-né la dépression médicamenteuse.
Son inconvénient majeur est l'hypotension artérielle liée au bloc sympathique et majorée
par la compression aorticocave.

674
En poste isolé, on recourt le plus souvent à la rachianesthésie par ponction lombaire au
niveau de L4-L5. Elle est facile, rapide, échoue rarement et peut être réalisée en urgence.

675
Elle confère un bon silence abdominal. Elle a l'inconvénient de sa brièveté (1 h à 1 h
30) et entraîne une hypotension brutale. L'anesthésie péridurale est plus délicate et ne
convient pas à l'urgence ; elle est en revanche plus facile à contrôler sur le plan
hémodynamique.

Dans notre observation, l'anesthésie proposée est une rachianesthésie.

Matériel
Le matériel nécessaire à cette intervention est une boîte de chirurgie abdominale, un
écarteur autostatique type Cotte, Gosset ou Ricard avec une valve sus-pubienne de Rochart.
Un aspirateur puissant est très utile. Le matériel de désobstruction, d'oxygénation et de
réchauffement du nouveau-né doit être prévu.

Installation
La patiente est en décubitus dorsal, avec une inclinaison latérale gauche de 15 à 20°,
réalisée avec un drap roulé sous la fosse lombaire droite pour éviter la compression de la
veine cave par l'utérus gravide.

L'opérateur est en règle à gauche, un aide opératoire lui faisant face.

Intervention
Laparotomie médiane sous-ombilicale
L'intervention débute par une laparotomie médiane sous-ombilicale par incision
cutanée, commencée à 2 cm au-dessus du bord supérieur du pubis et menée franchement
jusqu'à un travers de doigt sous l'ombilic (Fig. 39.3).

Cette paroi, amincie, est très facilement traversée et il faut être prudent, même chez
l'obèse.

Après traversée de la peau et du tissu cellulo-graisseux dont il faut négliger


l'hémostase, on incise l'aponévrose aux ciseaux de Mayo après avoir réalisé une boutonnière à
proximité de l'ombilic. Le diastasis des muscles droits permet d'accéder facilement au
péritoine qui est incisé sous couvert d'une boutonnière haute puis entre deux doigts introduits
dans l'abdomen pour suivre l'incision vers le bas, en veillant, à la partie inférieure de
l'incision, à ne pas léser le relief vésical qu'il faut repérer avant de compléter l'incision
péritonéale.

Exposition
L'utérus n'est pas extériorisé mais on expose son pôle inférieur à l'aide d'une valve
sus-pubienne de Rochart placée au niveau de l'extrémité inférieure de l'incision. On isole le
champ opératoire de la cavité péritonéale par un champ abdominal imbibé de sérum chaud
placé dans chaque gouttière pariétale. pour éviter que du sang ou du liquide amniotique ne
pénètrent dans la cavité péritonéale.

676
Incision du péritoine viscéral (Fig. 39.4)
Le péritoine pré-utérin est décollé facilement de la face antérieure du segment
inférieur bien formé, à 2 à 3 cm au-dessus du relief vésical, puis incisé sans hésitation sur la
ligne médiane. À travers la boutonnière ainsi créée, on poursuit l'incision latéralement, en
direction des bords utérins après avoir glissé les ciseaux de Mayo fermés pour compléter le
clivage sous-péritonéal, très aisé, qui permet d'abaisser la vessie de la zone d'incision
segmentaire.

L'hystérotomie segmentaire transversale (Fig. 39.5)


Avant de l'effectuer, on trace l'incision en surface ; elle est arciforme, concave en haut,
en forme de U large. À l'aide d'un bistouri léger à lame, on effectue une pré-incision sur les
fibres longitudinales. Sur la partie médiane de la pré-incision, le myomètre est incisé sur 2 ou
3 cm de long jusqu'aux membranes (chorion et amnios) dont l'incision est sans gravité. Cette
incision du segment inférieur doit être prudente : souvent, il est très fin, et la présentation
fœtale est proche. Par cette boutonnière, le chirurgien introduit les deux index en crochet,
dont la traction divergente suit le trajet de la pré-incision ce qui agrandit l'hystérotomie en
dissociant latéralement les fibres du segment inférieur jusqu'à proximité des pédicules. Cette
manœuvre doit être effectuée avec douceur car les échappées brutales sur un segment
inférieur fragile risquent de déchirer les vaisseaux pédiculaires. À ce stade, l'exposition doit
être bonne : le liquide amniotique, le sang, qui peut jaillir abondamment des sinus veineux
utérins dilatés et béants, et éventuellement le méconium fœtal, sont alors soigneusement
aspirés.

Extraction fœtale
Ce temps est le plus dangereux de l'intervention, spécialement en cas de présentation
engagée et fixée. Il ne doit pas être réalisé « à la volée » mais au contraire avec une lenteur

677
réfléchie. Lorsque le pôle céphalique est au-dessus de l'incision, on ne rencontre en général
aucune difficulté pour extraire l'enfant, après avoir enlevé la valve sus-pubienne. Lorsque le
pôle céphalique est plus bas, il faut introduire la main gauche dans l'hystérotomie ; elle
contourne le vertex pour s'appliquer au pôle inférieur de la présentation sur laquelle adhère la
partie distale du segment inférieur qui fait souvent ventouse. On supprime alors l'effet de
succion par un mouvement d'ascension de la main sur la présentation qui la libère du segment
inférieur et la désenclave du détroit supérieur. Il est alors facile de faire tourner la
présentation céphalique, nez en arrière occiput en avant, dans l'hystérotomie (le diamètre
sous-occipito-bregmatique est le plus petit : 9,5 cm).

À ce moment, en combinant une déflexion de la tête par la main gauche et une poussée
du fond utérin avec la main droite, on fait sortir la tête, ce qui permet d'aspirer
immédiatement la cavité buccale avec l'aide de l'aspirateur guidé par l'index droit. La tête
extraite, l'accouchement des épaules antérieures puis postérieure, et celui du tronc et des
membres inférieurs suivent sans difficulté. Le cordon est massé pour en exprimer le sang vers
le fœtus, clampé puis sectionné entre deux pinces de Kocher. L'enfant est confié à la sage-
femme qui l'enveloppe dans un champ stérile.

Extraction placentaire
L'anesthésiste injecte alors par voie intraveineuse une ampoule d'ocyto-cique lors du
dégagement de l'enfant, ce qui permet une délivrance assistée qui minimise les pertes
sanguines maternelles.

La face fœtale du placenta apparaît très vite dans l'incision ; d'une main, on tire
doucement sur le cordon, et de l'autre on décolle facilement les membranes à l'aide de pinces
en cœur pour éviter leur déchirure intempestive. Pendant que l'opérateur contrôle la vacuité
utérine en effectuant une révision à la main, le globe utérin se constitue instantanément.

Suture de l'utérus
Les berges de l'hystérotomie continuent à ce stade de saigner. Les gros vaisseaux,
branches des vaisseaux cervico-vaginaux, peuvent saigner près des angles de l'incision
utérine. Quatre pinces en cœur, une sur chaque berge de l'hystérotomie et une sur chaque
commissure de l'hystérotomie, assurent une hémostase temporaire et exposent les berges de
l'hystérotomie pour la fermeture. La suture utérine, qui est le temps délicat de l'intervention,
va assurer le tarissement définitif du saignement.

L'écarteur autostatique est mis en place, pour éloigner les berges de l'incision pariétale
et la valve sus-pubienne est reposée pour éloigner en bas le relief vésical.

La suture est effectuée en un plan extra-muqueux à points séparés de fil


polyglycolique à résorption lente (Vicryl, Ercedex, Polysorb ou, à défaut, au Catgut chromé à
l'aiguille sertie).

On commence par placer les points d'angle. Un point en X total peut être effectué à ce
niveau pour assurer l'hémostase. Les chefs sont gardés longs pour pouvoir les tirer et mieux
exposer les lèvres de l'incision. Les points, prenant largement le muscle en évitant de
traverser la muqueuse, sont espacés d'1 cm.

678
Après avoir vérifié soigneusement l'hémostase utérine, la péritonisation viscérale est
effectuée à l'aide d'un surjet non passé de fil fin à résorption lente, ne prenant que le bord
libre des lèvres de la séreuse pour éviter les adhérences ultérieures. La qualité de la rétraction
utérine est contrôlée, éventuellement après massage du globe utérin.

Fermeture pariétale
Après ablation des champs abdominaux et des compresses qui seront recomptées,
toilette péritonéale minutieuse, notamment au niveau des gouttières pariéto-coliques, et
vérification des annexes, la paroi est fermée plan par plan sans drainage :

- surjet de PDS 2/0 ou de catgut fin sur le péritoine pariétal ;


- suture aponévrotique à points séparés à l'aide d'un fil résorbable lent ;
- capitonnage sous-cutané au Catgut ;
- suture cutanée par agrafes métalliques ou points séparés de fil non résorbable. La
contention abdominale est assurée par un bandage du corps modérément serré.

Variantes techniques
Technique d'ouverture pariétale

L'incision transversale, voie de choix en Europe, est plus esthétique. Elle est
moins recommandée en poste isolé ou sous-équipe, parce que l'anesthésie utilisée ou le degré
de l'urgence nécessitent souvent une extraction rapide. Elle crée des décollements des plans
musculaires et aponévrotiques, facteurs de sepsis post-opératoire en milieu défavorisé. Elle
augmente la durée de l'intervention et n'est pas à recommander aux opérateurs
inexpérimentés. En milieu équipé, elle permet une cicatrisation beaucoup plus solide,
minimisant le risque d'éventration post-opératoire.

On utilise habituellement l'incision de Pfannenstiel pour les césariennes


segmentaires. Elle nécessite une section et un décollement aponévrotique vers le haut.

L'incision de Mouchel est une incision transversale de tous les plans, qui donne
un jour important sur l'utérus. La section au bistouri électrique des muscles grands droits de
l'abdomen au-dessus des muscles pyramidaux n'intéresse que la moitié interne de leur corps.
Elle est rapide, ne nécessite pas de décollement, donc limite le risque d'infection et
d'hématome et peut être utilisée par un opérateur peu expérimenté, en cas de césarienne
itérative par incision transversale ou lorsqu'on craint une extraction fœtale difficile.

Technique d'incision utérine


L'incision utérine peut être segmentaire verticale, segmentaire corporéale ou
corporéale.

Extraction fœtale
Plusieurs cas peuvent ici se présenter.

679
Tête enclavée dans le pelvis
On peut alors soit faire refouler la présentation par voie vaginale mais cela fait courir
un risque infectieux soit, mieux, faire tourner la présentation céphalique occiput en avant et
appliquer un forceps de Pajot, qui doit toujours être disponible en salle d'opération.

Siège complet
Dans ce cas, on refoule le siège vers le haut et on fait de la main gauche tourner le
fœtus dos en avant. Avec prudence, on dégage alors, par les deux index introduits en crochet
sur la face antérieure des cuisses, le siège de l'hystérotomie pour extraire les deux membres
inférieurs.

Pour extraire les épaules, on saisit le thorax du fœtus, pouces sur les omoplates, et on
le fait tourner à gauche de 90°. L'épaule droite du fœtus apparaît dans l'hystérotomie. Avec
l'index droit glissé en attelle le long de l'humérus, on extrait le membre supérieur droit.
Ensuite, on effectue une rotation de 180° dans le sens contraire, de sorte que le moignon de
l'épaule gauche apparaisse dans l'hystérotomie, ce qui permet d'extraire le membre supérieur
gauche. C'est la manœuvre de Lovset, identique à celle effectuée pour l'accouchement des
épaules dans la présentation du siège.

Enfin, on tourne le fœtus de façon à amener l'occiput en avant et on effectue une


manœuvre de relèvement du corps du fœtus sur le ventre de la mère ; l'index gauche appuie
sur le plancher de la bouche.

Si la manœuvre échoue, appliquer un forceps tête dernière en prise symétrique : l'aide


tient le corps du fœtus en position verticale : on effectue alors une prise au forceps en position
symétrique, une traction douce vers le bas et une déflexion de la tête.

Siège décomplété
On refoule ici le siège vers le haut, on fait tourner le fœtus dos en avant, puis, par les
index glissés en attelle le long des fémurs, on extrait avec douceur les deux membres
inférieurs et le tronc.
Le dégagement des épaules et de la tête s'effectue alors comme pour le siège complet.

Césariennes itératives
Sur des sutures utérines précaires, il existe un risque de rupture d'utérus gravide, qui
apparaît généralement après la troisième césarienne. Une stérilisation tubaire peut être
indiquée après une troisième césarienne devant un segment inférieur pellucide ou déficient.
Elle est souvent mal vécue et mal acceptée en Afrique. La parturiente devra être convaincue
de l'utilité du geste qui devra également recueillir l'assentiment du conjoint.

Suites opératoires
Soins post-opératoires
II faut assurer des soins de réanimation et une rééquilibration hydroélectrolytique
jusqu'à la reprise du transit, administrer des antipaludéens et une anti-biothérapie (ou la
poursuivre si la mère recevait auparavant des antibiotiques) en cas de fièvre maternelle.

680
Le lever doit être précoce et la mobilisation rapide au lit. Les agrafes ou les fils
sont retirés au 10e j post-opératoire.

Complications
Mortalité maternelle
Bien que très faible, la mortalité maternelle de la césarienne n'est pas nulle. Son ordre
de grandeur actuel est de 2 °/00. Les accidents responsables de décès encourus dans les suites
d'une césarienne sont l'inhalation de liquide gastrique, les septicémies, les syndromes
hémorragiques et l'embolie pulmonaire par migration d'un embole veineux ou amniotique.

Dans les pays en développement, ce chiffre est plus élevé. Cela tient à plusieurs
facteurs : manque d'éducation sanitaire, difficultés de communication entre les villages de
brousse et les centres médicaux ou hospitaliers, majorées lors de la saison des pluies,
faiblesse des parturientes due au confort plus que sommaire des évacuations sanitaires et
malnutrition souvent latente chez les femmes enceintes.

Complications per-opératoires
Les complications liées à l'anesthésie générale sont les plus fréquentes :
- accident respiratoire par bronchospasme ou inhalation bronchique ;
- accident hémodynamique allant jusqu'à l'arrêt cardiaque chez des patientes
choquées, insuffisamment réanimées.

Ensuite viennent les complications hémorragiques :

- hémorragie d'un sinus veineux de la tranche de section : refaire un point en X ;


- blessure d'un pédicule utérin. C'est un accident grave par l'abondance de
l'hémorragie et la difficulté d'hémostase due à la fragilité des veines, à la rétraction de l'artère
utérine et à l'infiltration hématique rapide du ligament large qui va gêner le repérage et le
clampage des vaisseaux à ligaturer, à proximité de l'uretère, ce qui proscrit l'utilisation de
pinces hémostatiques à l'aveugle. L'hémostase temporaire par deux doigts pinçant le ligament
large peut permettre d'isoler et de lier électivement les vaisseaux ;
- l'hémorragie par atonie utérine peut être traitée par une révision utérine associée à un
massage utérin bi-manuel et par l'injection par voie veineuse ou intra-murale d'ocytocique ou
de prostaglandines ;
- certains syndromes hémorragiques ne sont pas dus à la césarienne mais à des
troubles de la coagulation qui sont gravissimes lorsqu'ils sont installés. Le traitement en est
médical et se double de l'hémostase de tous les saignements visibles ;
- en cas de persistance de l'hémorragie, la ligature de l'artère utérine et le contrôle de
l'artère hypogastrique à son origine après repérage de l'uretère, ou même la ligature de
l'hypogastrique après l'émergence de l'artère fessière, voire l'hystérectomie d'hémostase,
peuvent constituer le dernier recours.

Plaies des voies urinaires. La plaie vésicale est généralement évitée par une
bonne exposition du segment inférieur et en refoulant la vessie par une valve. Si elle survient
ou si on la suspecte, notamment en cas de césarienne itérative avec des remaniements

681
cicatriciels locaux, il faut la déceler par une révision minutieuse, au besoin en s'aidant d'une
injection de bleu de méthylène par la sonde urinaire.

La plaie vésicale, qui survient essentiellement au niveau du dôme vésical. est


facilement réparée, si elle est diagnostiquée, par une suture soigneuse en un plan extra-
muqueux étanche au fil résorbable lent après la suture de l'hystérotomie. Une sonde urinaire
sera maintenue pendant 8 j.

La plaie urétérale, surtout du côté gauche, peut être réparée par suture au fil résorbable
3/0 sur sonde urétérale.

Plaies intestinales. Rares, elles ne surviennent qu'en cas d'adhérences des anses à
la paroi.

Complications post-opératoires
Elles sont cinq fois plus fréquentes que lors des accouchements par voie basse. Elles
restent en général bénignes, et sont dominées par les complications infectieuses.

Complications infectieuses :
- la pelvipéritonite, l'abcès pelvien, la septicémie éventuellement associée sont rares,
sauf en cas de césarienne tardive de sauvetage maternel, cas malheureusement fréquent en
Afrique ;
- l'infection urinaire, l'endométrite et l'infection pariétale sont beaucoup plus
fréquentes.

L'occlusion post-opératoire est rare, surtout dans la césarienne segmentaire.


Pour la prévenir, il faut s'efforcer de ne pas inciser le corps utérin, effectuer une toilette
péritonéale soigneuse en fin d'intervention au niveau des gouttières pariéto-coliques.

Complications thromboemboliques. Leur incidence oscille entre 1 et 2 % en


Europe, mais elles sont en revanche très rares en Afrique. La phlébite pelvienne est le plus
souvent due à une endométrite.

Les éventrations sont plus fréquentes dans la laparotomie médiane que dans les
incisions transversales qui donnent une cicatrice pariétale très solide.

Conclusion
La césarienne segmentaire avec abord abdominal par incision transversale, de
préférence selon la méthode de Mouchel, techniquement plus délicate que la césarienne
corporéale est plus fiable, car elle préserve l'avenir obstétrical. Cela est particulièrement
intéressant en conditions précaires où les conditions particulières de l'exercice obstétrical
rendent difficile et aléatoire la surveillance des parturientes porteuses d'un utérus cicatriciel.

682
Rupture de grossesse extra-utérine

G. CHARLES

Nidation et développement de l'œuf en dehors de la cavité utérine, la grossesse extra-


utérine (GEU) est à l'origine d'accidents hémorragiques qui relèvent du traitement
chirurgical.

Sa fréquence est en augmentation constante (0,3 % des grossesses en France).

Indications
Le degré d'urgence est variable selon le tableau clinique au moment du diagnostic.

Tout peut se rencontrer entre d'un côté l'hématosalpinx non fissuré qui, lorsqu'il est
diagnostiqué ou même simplement évoqué, impose une prise en charge rapide pour un
traitement conservateur par cœlio-chirurgie, et de l'autre la rupture tubaire cataclysmique à
l'origine d'un hémopéritoine massif, qui constitue une urgence chirurgicale dramatique,
mettant rapidement en jeu le pronostic vital. Elle nécessite l'hospitalisation au plus vite pour
laparotomie immédiate.

Actuellement rare dans les pays développés, la rupture se présente en Afrique comme
la forme évolutive habituelle des grossesses extra-utérines. C'est une urgence quotidienne
pour le chirurgien qui pratique outre-mer.

Thème clinique
À titre d'exemple, nous décrirons le cas d'une jeune Ivoirienne de 26 ans, mère de
deux enfants admise aux urgences de l'hôpital de Bouaké pour des douleurs abdomino-
pelviennes aiguës, ayant débuté 3 h auparavant après avoir fait une syncope au marché. La
patiente est en état de choc, comme en témoignent son faciès angoissé, sa respiration
superficielle, son pouls petit, rapide, filant, à 130, et sa pression artérielle abaissée avec
différentielle pincée à 8/6.

L'abdomen est météorisé, sensible.

L'interrogatoire de l'entourage révèle des métrorragies peu abondantes, noirâtres,


depuis plusieurs jours, ayant succédé à un retard de règles de quatre semaines.

Diagnostic
Le diagnostic de rupture de GEU est évident.
Évoqué sur l'existence de ce syndrome douloureux abdomino-pelvien aigu apparu
brutalement, sans notion de traumatisme, d'un état de choc avec tableau d'anémie aiguë, sans
hémorragie extériorisée, il est suspecté rapidement par la notion de pertes sépia, après une
aménorrhée d'un mois et demi. À l'examen clinique, l'abdomen est ballonné, souple, jamais

683
contracture. La pression digitale brusque sur l'ombilic déclenche un cri de douleur (cri de
l'ombilic). Le toucher vaginal perçoit une masse latéro-utérine plus ou moins volumineuse et
surtout le bombement du cul-de-sac de Douglas. Son extrême sensibilité lors de l'exploration
arrache un gémissement à la patiente : c'est le « cri du Douglas », signant l'hémopéritoine
massif.

La laparotomie doit être la plus rapide possible pour assurer l'hémostase. Aucun
retard, aucune tentative de confirmation du diagnostic ne peuvent être admis.

La patiente doit être hospitalisée en réanimation chirurgicale pour mise en route d'une
réanimation immédiate.

Anatomie pathologique
Implantation de l'œuf hors de la cavité utérine, la localisation ectopique de la
grossesse est tubaire dans 99 % des cas. Le lieu d'implantation est le plus souvent ampullaire
(70 % des cas) ou isthmique (20 %) (Fig. 40.1).

Évolution
L'évolution se fait rarement vers la mort de l'œuf ou la guérison spontanée. Au
contraire, en grossissant, l'œuf finit par fissurer puis rompre la paroi tubaire, entraînant des
accidents hémorragiques. La rupture peut être intra-péritonéale ou se faire au bord inférieur
de la trompe, avec constitution d'un hématome du ligament large.

684
L'œuf se décolle et perd tout contact avec l'organisme maternel. Le lit trophoblastique
saigne et peut entraîner un hématome intra-tubaire (hématosalpinx), une hémorragie qui
gagne l'utérus avec extériorisation de sang noirâtre ou une hémorragie intra-péritonéale
progressive qui va constituer une hématocèle. Il peut se produire également une rupture
tubaire par un hématome expansif ou un avortement tubo-abdominal.

Traitement
But
II est double :

- toujours, sauver la patiente en prévenant ou en tarissant l'hémorragie ;


- si possible, préserver au mieux la fertilité ultérieure, en fonction de la situation.

Méthodes
Médicales
La réanimation doit être entreprise dès le diagnostic d'anémie aiguë. Dans le même
temps, on se prépare à l'acte chirurgical :

- la patiente est mise en décubitus dorsal, tête basse ;


- on pose deux grosses voies veineuses au membre supérieur, avec au mieux une voie
veineuse centrale, pour prélèvements sanguins demandés en urgence (numération formule
sanguine, groupe sanguin, rhésus) et mise en place d'une perfusion de macromolécules pour
restaurer rapidement la volémie en attendant une transfusion ;
- une oxygénothérapie par sonde nasale est entreprise, puis on pose un sondage
urinaire et un sondage gastrique en fonction de l'heure du dernier repas.

Si l'hémodynamique reste instable, la chirurgie s'impose sans délai. Il est illusoire de


chercher à réanimer complètement la patiente avant d'avoir assuré l'hémostase. Sous aucun
prétexte on ne doit retarder l'intervention en tentant vainement de normaliser la pression
artérielle. Le passage au bloc opératoire doit être immédiat ; c'est une extrême urgence
chirurgicale.

Chirurgicales
En situation précaire, le traitement chirurgical de la rupture de GEU avec état de choc
s'effectue par laparotomie. La cœlio-chirurgie, outre le matériel adapté, non disponible en
poste isolé, impose une formation spécifique de l'opérateur aux techniques de l'endoscopie
opératoire. Elle n'est pas indiquée en cas d'inondation péritonéale par hémopéritoine massif.

La voie d'abord la plus couramment utilisée en urgence est la laparotomie médiane


sous-ombilicale, étendue de la région pubienne à deux travers de doigts sous l'ombilic. Cette
voie est simple, rapide, facilement agrandissable.

La cœliotomie transversale sus-pubienne de Pfannenstiel est plus esthétique et plus


solide, mais elle est de réalisation plus longue et offre un jour plus exigu.

685
Pour effectuer cette intervention, il faut connaître l'abord chirurgical de la trompe, sa
vascularisation et ses moyens de fixité.

Ce traitement chirurgical peut être :

- radical le plus souvent, pour réaliser l'hémostase par exérèse de la trompe ou de


l'annexe lésée. La salpingectomie est totale, au ras de la trompe pour préserver la
vascularisation ovarienne. Ce geste est rapide, simple, efficace. Il faut y associer une
annexectomie lorsque l'ovaire lui-même est englobé par le processus lésionnel ou lorsqu'il
s'agit d'une grossesse ovarienne, par ovariectomie totale ou partielle.

Citons ici le cas particulier de l'hématocèle organisée où le pelvis est cruenté,


nécessitant une décortication complète faisant redouter des saignements incontrôlables et une
dépéritonisation du pelvis ;

- conservateur, très rarement possible devant une rupture franche, par résection tubaire
partielle et reconstruction.

Anatomie
La trompe et l'ovaire et leurs deux mésos, le mésosalpinx et le méso-ovarium, lames
porte-vaisseaux, constituent l'annexe qui représente la partie postéro-supérieure du ligament
large orientée normalement en arrière et en bas. La trompe est reliée au ligament large par son
méso ; normalement, elle est libre, non fixée. En cas d'adhérences, la trompe peut être fixée
en arrière à la face postérieure de l'utérus et du ligament large, voire sur le recto-sigmoïde ou
son méso.

Le mésosalpinx est formé par l'accolement des deux feuillets antérieur et postérieur du
ligament large qu'il est possible de séparer sous la trompe, ce qui rend possible une
péritonisation.

La vascularisation artérielle de la trompe provient de l'artère utérine en dedans, et de


l'artère ovarienne en dehors. Leurs collatérales sont anastomosées le long du bord tubaire du
mésosalpinx pour former l'arcade artérielle tubaire. À partir de cette arcade prennent
naissance des vaisseaux parallèles, des vasa recta, surtout denses et volumineux au niveau de
la région de l'isthme.

Lors de la salpingectomie, il faut respecter la vascularisation de l'ovaire, très proche


de la vascularisation tubaire car venant de la même source.

Technique
Nous décrirons la laparotomie pour hémopéritoine aigu, par rupture de GEU.

Préparation pré-opératoire
L'hémodynamique de cette patiente est instable, et elle doit donc être déshabillée avec
douceur (les changements de position peuvent être mal supportés) et installée sur table. On
pose deux voies veineuses et une sonde urinaire et gastrique en cas de suspicion d'estomac
plein. On rase les poils pubiens sur table.

686
L'anesthésie est générale, avec intubation à entreprendre si possible quand la pression
artérielle remonte sous l'effet de la réanimation (mais, encore une fois, il ne faut pas perdre de
temps à attendre que la pression artérielle remonte, et la patiente sera intubée même en état de
choc).
Il faut prévoir en moyenne quatre flacons de sang. Les techniques d'autotransfusion
sont particulièrement utiles, mais malheureusement pas toujours disponibles.

Matériel
II faut disposer d'une boîte de chirurgie abdominale, d'une valve de Rochard, d'un
écarteur autostatique à trois branches et, si possible, d'une aspiration et d'un bistouri
électrique. Les compresses abdominales et les petits champs abdominaux seront comptés. Il
faut également disposer de sérum physiologique tiède en abondance.

Installation
Le chirurgien se place à gauche de la patiente, un ou deux aides lui faisant face.

Intervention
L'incision est médiane sous-ombilicale. Peau, tissu cellulaire sous-cutané, aponévrose
au niveau de la ligne blanche sont ouverts successivement.

On ouvre ensuite le péritoine que l'on reconnaît à son aspect bleuâtre, signant
l'hémopéritoine, en le saisissant très superficiellement par deux pinces entre lesquelles on
pratique aux ciseaux une boutonnière. L'orifice péritonéal est alors agrandi aux doigts, puis
l'incision est étendue aux ciseaux vers le haut et le bas, sur deux doigts tendus qui soulèvent
les berges péritonéales. Il faut rester à distance des anses grêles vers le haut, et les doigts
présentent le relief vésical vers le bas. Dès l'ouverture, on note une irruption de sang rouge
dans l'incision.

Il faut dans l'immédiat négliger l'hémopéritoine et repérer l'utérus, ce qui permet de


part et d'autre de localiser chaque annexe et de rechercher la trompe rompue. La main droite
de l'opérateur, après avoir refoulé les anses grêles vers le haut, plonge, au milieu du sang, au
fond du petit bassin, pour saisir le corps utérin placé juste en arrière de la vessie repérée grâce
à la palpation du ballonnet de la sonde urinaire.

La main droite saisit le fond de l'utérus et l'attire vers le haut, de façon à tendre les
annexes. À partir du fond utérin, la main se dirige latéralement d'un côté, puis de l'autre, en
suivant la trompe jusqu'à l'ovaire, pendant que l'aide commence à aspirer l'hémopéritoine.

Dès que la main sent, au cours de ce trajet, la masse boursouflée de l'œuf rompu, la
trompe correspondante doit être extériorisée au niveau de l'incision (plus de 90 % des
grossesses extra-utérines sont situées dans les deux tiers externes de la trompe et sont
évidentes à la palpation), ce qui permet de la visualiser, l'aide refoulant les anses intestinales.
Parfois cependant, aucune masse n'est décelée et il faut alors exposer l'utérus lui-même. Il
peut s'agir d'une grossesse isthmique, souvent de petit volume, mais très dangereuse car
particulièrement hémorragique.

687
Une fois l'œuf localisé et le bilan des lésions tubaires effectué, l'hémostase provisoire
est assurée par deux pinces placées sur la trompe et le mésosalpinx attenant de part et d'autre
de la masse sanguinolente. L'hémorragie étant provisoirement tarie, toute précipitation n'a
plus cours. Si l'anesthésiste le demande, on peut surseoir au geste opératoire d'exposition et
attendre que la pression artérielle remonte à un niveau correct. Dès que l'hémorragie est
contrôlée, l'état clinique de la patiente s'améliore en fait rapidement.

Exposition
II est alors possible d'aspirer le sang et les caillots, de faire une toilette péritonéale
avec du sérum physiologique, de transfuser la malade si nécessaire et de mettre en place un
écarteur de type Gosset en vérifiant bien avec la main que les branches ne prennent pas une
anse grêle sous la paroi.

La trompe pathologique est isolée de l'abdomen par des champs abdominaux, l'aide
maintenant l'utérus en traction.

Salpingectomie proprement dite


Si la trompe est libre, sa libération se fait du pavillon vers son insertion utérine.

La ligature du mésosalpinx est réalisée par des ouvertures du mésosalpinx, centimètre


par centimètre. Les vaisseaux sont isolés, clampés et ligaturés au Catgut (Fig. 40.2 à 40.4).

Cette manœuvre préserve les arcades vasculaires repérées par transparence dans le
mésosalpinx et la vascularisation de l'ovaire. La libération de la trompe au niveau de la corne
utérine se fait par simple ligature tubaire au ras de celle-ci, avec un fil à résorption lente (Fig.
40.5).

688
La résection de la portion utérine de la trompe n'est pas recommandée car elle ne
prévient pas les grossesses cornuales et peut entraîner des lésions locales du myomètre,
compromettant des grossesses ultérieures. La pièce opératoire est alors examinée par
l'opérateur.

Toilette de la cavité péritonéale


Elle doit être soigneuse, pour éliminer le sang épanché dans tous les recoins de la
cavité abdominale afin d'éviter les complications post-opératoires précoces et les adhérences
secondaires. Un flacon de sérum physiologique tiède est répandu dans l'abdomen et mélangé
aux anses intestinales, la malade étant en position de Trendelenburg ; la toilette permet un
bon lavage des coupoles. Le liquide hématique est alors réaspiré au niveau des gouttières

689
pariéto-coliques puis dans le cul-de-sac de Douglas, après avoir placé la malade en position
proclive. Des caillots individualisés sont aspirés ou décollés des anses intestinales à la
compresse ou la pince atraumatique. Le drainage est inutile.

Fermeture
Après avoir vérifié le compte des compresses, la paroi est suturée plan par plan :
- surjet de catgut ou de fils à résorption lente sur le péritoine pariétal ;
- points séparés de fils à résorption lente ou de Nylon sur l'aponévrose ;
- capitonnage sous-cutané au Catgut ;
- suture cutanée au Nylon 2/0 ou par agrafes métalliques.

Variantes techniques
On peut être amené à effectuer une salpingectomie rétrograde par section première de
la trompe et section progressive du mésosalpinx de dedans en dehors, à partir de la corne,
lorsque l'extrémité distale de la trompe est fixée en profondeur par des adhérences qui ne
peuvent être levées sans risque. Il faut parfois recourir à une annexectomie de nécessité
devant un magma indisséquable au niveau de l'ovaire et si l'ovaire controlatéral est sain, en se
méfiant de la ligature du ligament lombo-ovarien, proche de l'uretère pelvien.

Parfois, on n'effectue qu'une salpingectomie partielle, si la patiente est jeune, si la


trompe controlatérale n'est pas de bonne qualité et si l'état de la trompe pathologique le
permet (rupture localisée). On peut tenter une résection segmentaire ampullo-isthrnique ou
une amputation proximale qui doit conserver le pavillon et une portion tubaire proximale
suffisamment longue pour permettre une suture de l'anastomose secondaire.

Suites opératoires

690
Soins post-opératoires
Avant de déplacer la patiente, s'assurer que sa pression artérielle est stable, au besoin
poursuivre Sa réanimation.

Hospitalisation de 48 h jusqu'à la reprise du transit.

Le lever doit être le plus précoce possible et la sonde urinaire sera retirée dès le
lendemain.

Réalimentation progressive, antibiothérapie s'il existe des signes infectieux ou si l'on a


tenté une chirurgie conservatrice. Antipaludéens.

Fils et agrafes sont retirés au 10e j.

Complications post-opératoires
Hémorragiques par troubles de la coagulation. Occlusion intestinale.

Accidents thromboemboliques. Infections : abcès de paroi, péritonite, infection


généralisée.

Résultats à distance
Que le traitement soit radical ou conservateur, on note 50 % de stérilité et 15 % de
récidives.

Pièges
Parfois, l'éventualité d'une grossesse est niée par la patiente (situation fréquente en
Afrique chez les jeunes femmes ou les jeunes filles) ou paraît peu vraisemblable. Au moindre
doute, il ne faut pas tenir compte de ces facteurs et hospitaliser la patiente. Rappelons ici
l'adage précieux : toujours penser chez une femme jeune à une grossesse extra-utérine et,
même quand on y pense, on n'y pense pas assez.

Les formes trompeuses de la grossesse ectopique sont extrêmement fréquentes outre-


mer. Elles peuvent simuler une appendicite, une péritonite, une occlusion intestinale aiguë. La
gravité de cette équivoque est atténuée par le fait que toutes ces pathologies conduisent à
l'intervention, mais un retard thérapeutique peut en résulter.

La forme pseudo-abortive, parfois déjà « traitée » par aspiration ou curetage, est


sournoise.

La forme simulant une salpingite évoque une infection pelvienne génitale. La


cœlioscopie diagnostique, si on dispose de l'appareillage, permet de redresser le diagnostic.

Conclusion
Tout médecin confronté à une métrorragie ou à des troubles du cycle, dans un
contexte de retard de règles, doit penser en premier lieu à un début de grossesse anormal et,
en particulier, à une localisation ectopique de la grossesse.

691
Cette attitude permet de faire un diagnostic plus précoce même en poste sous-équipe,
autorise parfois un traitement conservateur et préserve ainsi la fertilité ultérieure. La
méconnaître c'est exposer la patiente à la rupture cataclysmique déjà fréquente spontanément
outre-mer, rançon de la négligence, qui met enjeu le pronostic vital et nécessite toujours une
chirurgie d'exérèse.

692
Hystérectomie obstétricale

G. CHARLES

L hystérectomie sur utérus gravide est une hystérectomie totale ou subtotale réalisée
au cours de la grossesse.

Cette chirurgie mutilatrice est l'exception en Europe. Dans les pays en


développement, et particulièrement en Afrique noire, sa fréquence reste alarmante en raison
du défaut de prise en charge obstétricale, de la faiblesse de l'infrastructure médicale et du
manque déduction sanitaire.

Indications
Les indications posées en poste isolé ou sous-équipe sont toutes « de nécessité », mais
on peut toutefois recourir à la classification classique (Zorn) distinguant l'hystérectomie « de
nécessité » et « d'opportunité ».

Hystérectomie de nécessité
Liée à une urgence obstétricale majeure, mécanique, hémorragique ou infectieuse, elle
est destinée à sauver la mère et son indication ne soulève guère de discussion.

Rupture utérine
De tous temps, les déchirures de l'utérus ont été connues. En Europe, leur pourcentage
par rapport au nombre d'accouchements a progressivement diminué pour atteindre un niveau
stable grâce à la surveillance de la grossesse et de l'accouchement, et aux précautions prises
pour obtenir des cicatrices de qualité lors des césariennes segmentaires.

En zone intertropicale, cet accident est beaucoup plus fréquent, atteignant parfois le
taux de 1 %, en raison des circonstances étiologiques particulières et des conditions actuelles
de la pratique obstétricale.

Ce sont surtout les multipares qui paient un lourd tribu à la rupture utérine.

Les antécédents d'ouverture utérine (césarienne corporéale) et le traumatisme


obstétrical sont le plus souvent à l'origine de ces ruptures :

- rupture spontanée au cours du travail, rançon de la négligence, pour laquelle les


causes favorisantes peuvent être maternelles, (dystocie osseuse et des parties molles, en
particulier cicatrice de césarienne corporéale), fœtales (excès de volume fœtal ou présentation
dystocique négligée, grande pourvoyeuse des ruptures non cicatricielles, en particulier la
présentation de l'épaule négligée) ;

693
- rupture provoquée, qui se produit surtout en présentation de l'épaule avec bras
procident. Elle est souvent le fait de manœuvres, d'expressions et de tractions sur le membre,
effectuées à domicile par des matrones. Dans les villages de la brousse africaine, ces
manœuvres de force sont encore de pratique courante dans les accouchements dystociques et
sont certainement un des principaux facteurs à l'origine de la rupture, de même que les
versions par manœuvres internes lorsque ne sont pas respectées les conditions indispensables
à leur réalisation : dilatation complète du col, présentation mobile, absence de rétraction
utérine et de dystocie osseuse.

La mauvaise utilisation des forceps sur des cols incomplètement dilatés ou des
présentations au détroit supérieur, et les injections abusives d'extraits post-hypophysaires ?)
chez les grandes multipares constituent les autres causes classiques de rupture utérine.

L'insuffisance de la surveillance obstétricale pendant la grossesse et le travail dans un


grand nombre de pays d'Afrique, le déroulement des accouchements dystociques loin des
maternités, l'évacuation tardive dans les centres hospitaliers des cas compliqués et les
manœuvres intempestives habituelles dans les villages de brousse sont responsables de leur
grande incidence et de leur hospitalisation à un stade déjà bien avancé.

La précarité de l'état général des parturientes et l'étendue des lésions anatomiques


rendent alors habituellement absolue l'indication d'hystérectomie.

Hémorragie incoercible
L'hystérectomie d'hémostase doit être effectuée pour une hémorragie par décollement
placentaire ou trouble de la coagulation, car outre-mer un traitement médical adapté est
rarement possible.

De même, l'atonie utérine persistante du post-partum reste une indication non


exceptionnelle d'hystérectomie, après échec des manœuvres habituelles (massage utérin,
ocytociques), en l'absence de possibilité d'injection intra-murale de prostaglandines.

L'hémostase peut être impossible à obtenir après la délivrance sur un placenta prævia
recouvrant. Une hémorragie masquée peut s'évacuer par le vagin, se collecter sous la table
d'opération ou entre les cuisses de la malade où elle reste méconnue, les champs la
dissimulant à l'opérateur occupé à suturer son hystérotomie.

Certaines insertions vicieuses du placenta de type increta ou percreta peuvent elles


aussi conduire à l'intervention radicale.

L'hystérectomie en bloc peut être le traitement de sauvetage maternel des pyométries


massives et de la putréfaction fœtale négligée.

Hystéreotomies d'opportunité
Dans ces circonstances, l'hystérectomie est plus discutable puisque la vie de la
parturiente n'est pas immédiatement en jeu.

Elle est alors réalisée pour une pathologie gynécologique associée (utérus
polymyomateux, néoplasie cervicale intra-épithéliale, cancer de l'ovaire au stade I a).

694
Thème clinique
Pour illustrer la technique de l'hystérectomie sur utérus gravide, nous décrirons le cas
d'une parturiente ivoirienne de 25 ans, 3e geste, 2e pare, évacuée de brousse sur le centre
hospitalier régional de Bouaké pour présentation de l'épaule négligée. En travail depuis 18 h,
la patiente présente à l'admission un état de choc. La palpation abdominale décèle un fœtus
situé immédiatement sous la peau et l'examen gynécologique une procidence du membre
supérieur. Les bruits du cœur fœtal ne sont pas perçus.

Chez cette parturiente, qui présente ce travail long et difficile malgré des contractions
utérines fortes, et une procidence du membre supérieur, l'interrogatoire pourrait retrouver la
notion d'une rupture sur l'existence d'une douleur suraiguë survenue après une phase de
contractions utérines fortes et d'une accalmie traîtresse secondaire. En fait, le diagnostic est
évident devant les simples données de l'examen clinique avec :

- l'état de choc plus ou moins intense ;


- à la palpation abdominale, la perception d'un fœtus très superficiel sous la peau,
alors que l'utérus gravide a changé de forme et est moins gros ;
- l'absence de bruits du cœur fœtal.

Anatomie pathologique
Chez cette parturiente, la longueur excessive du travail (18 h) marquée par des
contractions utérines intenses a fragilisé le muscle utérin.

La dystocie fœtale expliquant elle-même la durée du travail, par présentation


transversale incompatible avec un accouchement par voie basse, a abouti à une procidence du
membre supérieur. La main est à la vulve. Cette situation se prolongeant, les contractions
utérines ont fini par bloquer la présentation, puis par rompre le muscle utérin.

Sur le plan anatomo-pathologique, l'utérus gravide à terme comprend deux parties de


résistance et d'épaisseur inégales :

- le corps utérin, épais, volumineux, d'environ 27 cm de haut, est recouvert d'un


péritoine viscéral très adhérent ;
- le segment inférieur, situé entre le corps et le col, mince, d'environ 6 cm de haut, est
recouvert d'un péritoine facilement clivable.

La rupture utérine peut intéresser le corps de l'utérus (souvent sur une cicatrice
corporéale de césarienne antérieure). Entraînant une déchirure du péritoine, elle fait
communiquer directement la cavité utérine et la cavité abdominale. La rupture peut siéger sur
la face antérieure de l'utérus ou sur ses faces latérales où elle est beaucoup plus hémorragique,
car elle intéresse souvent les grosses veines du pédicule utérin.

Elle peut aussi intéresser le segment inférieur, n'entraînant pas obligatoirement une
déchirure péritonéale isolant ainsi la cavité utérine de la cavité péritonéale. Elle n'est
reconnue qu'à l'incision du péritoine du cul-de-sac vésico-utérin, effectuée devant la présence
d'un épanchement sanguin plus ou moins abondant.

Enfin, la rupture peut intéresser à la fois le corps et le segment inférieur.

695
L'aspect de la brèche peut aller de la petite rupture linéaire à la grande rupture
anfractueuse, étoilée, pouvant se poursuivre sur le col ou le vagin, avec des berges plus ou
moins sphacélées ou nécrotiques.

Dans certains cas, une lésion vésicale peut s'y associer.

Physiopathologie
Sur le plan physiopathologique, la rupture utérine a un retentissement sur la mère et le
fœtus.

Sur la mère, deux éléments font toute la gravité du tableau.


Dans un premier temps, le choc déterminé par la composante algique de la perforation
utérine en péritoine libre, est vite aggravé par l'hémorragie locale (déchirure de la paroi
utérine, désinsertion placentaire et rupture des gros vaisseaux latéraux, lorsqu'ils sont
intéressés par la brèche). Cette hémorragie locale peut donner naissance secondairement à des
troubles généraux de la coagulation.

Cet état de choc s'installe d'autant plus facilement qu'il survient chez une parturiente
épuisée par un travail pénible et long, sur un terrain souvent altéré par une dénutrition, une
anémie chronique ou une polyparasitose et que l'évacuation sanitaire s'est souvent effectuée
dans des conditions sommaires.

Une infection secondaire avec septicémie va rapidement s'installer (rétention intra-


abdominale du fœtus mort, tissu utérin ischémie). Si la patiente survit à l'hémorragie et à
l'infection, les conditions locales défavorables interdisent tout traitement conservateur sur
l'utérus.

Sur le fœtus, la rupture entrave la circulation fœto-placentaire, d'autant plus qu'il


existe souvent un décollement placentaire et que le fœtus ext expulsé en dehors de l'utérus
expliquant son décès, le plus souvent en pré-partum.

Traitement
Toute rupture utérine reconnue ou soupçonnée, qu'elle soit survenue au cours du
travail avec alors décès du fœtus, comme dans l'observation clinique, ou qu'elle ait été
dépistée après l'accouchement par voie basse, l'enfant pouvant alors être vivant, doit être
opérée.

Le but de l'intervention est de sauver la malade de la mort par hémorragie ou infection


secondaire, en traitant les lésions utérines.

L'intervention chirurgicale doit s'accompagner d'une réanimation lourde pour corriger


l'état de choc, les perturbations métaboliques et l'infection.

696
Traitement médical
La réanimation pré-, per- et post-opératoire conditionne en grande partie le pronostic
vital.

Ses modalités doivent dans l'idéal reposer sur des données biologiques et
bactériologiques mais ses possibilités sont extrêmement variables d'un centre à l'autre. Elle
comporte :

- le traitement du choc : perfusion de macromolécules pour rétablir une pression


artérielle correcte avant l'intervention, en attendant les transfusion de sang frais, isogroupe,
iso-rhésus. Le remplissage comporte également des perfusions de solutés ioniques chez cette
patiente déshydratée et oligo-anurique, en fonction des résultats du ionogramme ;
- l'oxygénation à la sonde nasale ;
- la pose d'une sonde gastrique pour réduire le ballonnement abdominal, dû à l'iléus
intestinal ;
- la pose d'une sonde urinaire pour surveiller la diurèse et la couleur des urines (une
hématurie faisant suspecter une rupture vésicale associée) ;
- le traitement de l'infection, qui repose sur l'administration par voie parenté-raie de
pénicilline G 10 à 20 millions d'unités par jour, de métronidazole (Flagyl) ou d'ornidazole
(Tibéral) pour lutter contre les anaérobies, et de gentamicine intramusculaire 3 fois 0,80 g/j.

Les autres antibiotiques font souvent défaut dans les postes isolés. Il faut également
associer des antipaludéens.

Traitement chirurgical
II a deux composants : traitement de la rupture et drainage de l'abdomen.

Le traitement de la déchirure peut se faire soit par suture idéale, soit par
hystérectomie.

La suture idéale, qui préserve la possibilité de maternités ultérieures, doit être


effectuée avec une grande rigueur car une infection secondaire de la suture et son lâchage
entraînent une péritonite secondaire fatale.

Rarement réalisable dans les conditions difficiles de la pratique obstétricale en milieu


isolé, elle n'est autorisée qu'en cas de rupture récente s'étant produite à proximité, sans
contexte infectieux, chez une primipare.

Elle doit être minutieuse : après excision des berges contuses, on effectue la suture à
points séparés de catgut chromé ou de fils à résorption lente, avec repéritonisation soigneuse
sur la suture.

Aussi, vu les conditions précaires, l'hystérectomie est le plus souvent la règle, et il faut
signaler l'existence de facteurs de gravité : évacuation secondaire, rupture remontant à
plusieurs heures, rupture large sur une paroi utérine de mauvais aîoi, infection patente,
multipare,

L'hystérectomie est subtotale ou totale selon les niveaux de la déchirure, avec


conservation des annexes.

697
Le drainage de l'abdomen est indispensable, que la suture ait été idéale ou qu'il y ait
eu hystérectomie.

Après suture idéale du segment inférieur, le drainage se fait par une lame sous-
péritonéale après réparation au niveau du corps, il faut drainer le cul-de-sac de Douglas,

Après hystérectomie, la tranche segmentaire ou vaginale est fermée sur un drain


tubulaire intra-vaginal.

Anatomie
L'imprégnation gravidique facilite la dissection des plans de clivage. Le^ tissus sont
souples, ce qui explique que l'on puisse attirer aisément l'utérus et ta région cervicale hors du
pelvis. Toutefois, l'hystérectomie sur utérus gravide n'exclut pas la prudence car elle expose à
deux risques, l'hémorragie, en raison des dilatations vasculaires énormes, et les lésions des
voies urinaires puisque les rapports sont modifiés par l'utérus gravide et les lésions locales.

La grossesse a d'importantes répercussions sur l'anatomie pelvienne, et n faut bien


évidemment tenir compte de ces modifications lorsqu'on effectue une hystérectomie sur
utérus gravide : les rapports de l'utérus gravide avec les organes pelviens sont modifiés, la
vascularisation artérielle et surtout veineux est hypertrophique, le segment inférieur se
développe aux environs du terme (voir anatomie dans le chapitre Césarienne).

En amont, le développement du segment inférieur fait ascensionne: \: vessie.


Latéralement, l'utérus se rapproche des parois pelviennes.

Le dôme vaginal, distendu en fin de grossesse, se rapproche de l'uretè re entre à son


contact sur sa face latérale.

L'uretère est solidement fixé à la paroi vésicale et le tissu cellulaire qui le contient
peut être décollé latéralement du segment inférieur. Ce geste n'est pas hémorragique.

Plus le segment inférieur s'étire en hauteur, plus le point de rencontre entre artère
utérine et muscle utérin se trouve ascensionné et latéralisé, ce qui l'éloigné de l'uretère et du
cul-de-sac vaginal homolatéraux. Cependant, après l'évacuation utérine, les vaisseaux
reprennent en quelques heures un trajet proche de leur disposition habituelle.

L'anatomie peut être modifiée par des délabrements utérins, des suffusions
hémorragiques et des hématomes du ligament large.

Sur le plan vasculaire, les veines du col et du corps utérin aboutissent à un plexus
veineux important qui englobe l'uretère. En cas d'hémorragie veineuse difficile à contrôler,
celui-ci risque d'être accidentellement lésé si des pinces hémostatiques sont placées « à la
volée ». Le calibre des artères des ligaments ronds et des pédicules tubo-ovariens est
augmenté. Les veines ovariennes sont variqueuses, parfois monstrueuses, en fin de grossesse.
Leur ligature sans « ratage » est impérative sous peine de voir se développer des hématomes
rapidement extensifs, compliquant la poursuite du geste d'exérèse et aggravant la déperdition
sanguine.

698
Intervention
Le moment de l'intervention dépend de l'importance du choc et de sa réponse à la
réanimation. De toute façon, il ne faut pas trop attendre.

Avant d'entrer en salle, le chirurgien doit informer la patiente, ou à défaut la famille,


de la gravité de la situation, de la non-perception des bruits du cœur fœtal, de l'importance de
l'intervention avec l'éventualité d'une hystérectomie de sauvetage et donc de stérilité
définitive.

Position
La patiente est en décubitus dorsal. Le chirurgien se place à gauche, deux aides lui
faisant face. Abdomen et cavité vaginale sont badigeonnés d'antiseptiques.

Anesthésie
Le plus souvent, elle est générale avec intubation trachéale, mais on peut aussi
recourir à une anesthésie locorégionale (péridurale ou rachianesthésie).

Matériel
II faut disposer d'une boîte de césarienne ou d'hystérectomie, de matériel d'aspiration
d'une valve sus-pubienne de Rochart, d'un écarteur autostatique de Cotte, Ricard ou Gosset et
de sérum physiologique tiède.

Technique
Incision médiane sous-ombilicale
Elle est agrandie à la demande en sus-ombilicale. On incise la peau, le tissu sous-
cutané, l'aponévrose et le péritoine, en prenant garde lors de son ouverture aux anses
intestinales et, au bas de l'incision, au relief vésical.

L'extraction du fœtus mort et de son placenta ne posent guère de problème s'il est dans
l'abdomen au milieu des anses intestinales. S'il est intra-utérin, il faut l'extraire par la
déchirure si celle-ci est antérieure. La présentation transversale négligée avec épaule bloquée
dans le pelvis peut nécessiter une hystérotomie longitudinale à partir de la brèche utérine.

On explore ensuite les lésions après aspiration du sang et du liquide intra-péritonéaux,


prélèvement de liquide du cul-de-sac de Douglas pour examen bactériologique, refoulement
des anses intestinales vers le haut à l'aide de champs abdominaux humides, mise en place de
l'écarteur autostatique et d'une valve sus-pubienne.

Bilan lésionnel
II est effectué après avoir attiré l'utérus vers le haut, et on peut retrouver plusieurs
types de lésions :

- rupture complète intéressant toutes les tuniques et ouvrant la cavité utérine dans la
cavité péritonéale ;

699
- rupture incomplète sous-péritonéale reconnue par la palpation et l'incision du
péritoine viscéral ;
- rupture compliquée d'une brèche vésicale.

Décider de la tactique chirurgicale est ici facile. Il faut effectuer une hystérectomie :
rupture remontant à plusieurs heures, évacuation sanitaire de brousse, infection patente du fait
de la mort fœtale, patiente multipare.

Hystérectomie interannexielle
Elle consiste en fait à compléter la rupture dont la réparation compromettrait le
pronostic vital maternel du fait du risque de lâchage de suture ou de l'infection secondaire.

L'utérus est extériorisé vers le haut par traction à l'aide de deux grandes pinces de
Kocher placées latéralement au ras de l'utérus, prenant trompes et ligaments ronds.

Cette hystérectomie est le plus souvent atypique car les délabrements tissulaires et
l'infiltration hématique rapidement extensible, lorsque les pédicules sont blessés, modifient
l'anatomie pelvienne. La dissection est souvent hasardeuse et fait courir un risque urétéral si
survient une hémorragie veineuse. L'état précaire de la patiente exige un geste rapide
interdisant une dissection trop basse du segment inférieur (risque hémorragique) et un clivage
vésical trop important. L'hystérectomie sera subtotale au niveau de la partie basse de la
déchirure sur le segment inférieur.

Section et hémostase des ligaments ronds (Fig. 41.1)


Les ligaments ronds sont chargés au doigt ou au dissecteur d'avant en arrière et de bas
en haut, en effondrant le péritoine du toit du ligament large, ce qui est facile compte tenu de
l'imbibition gravidique des tissus. L'hémostase est appuyée par un fil serti de Catgut chromé
ou un fil à résorption lente.

Section et hémostase des pédicules utéro-ovariens et tubaires


La section première des ligaments ronds permet d'ouvrir la face antérieure du ligament
large et de bien repérer par transparence la riche vascularisation du ligament utéro-ovarien et
du mésosalpinx gonflé par des varices souvent énormes. On charge les pédicules au doigt ou
au dissecteur, en effondrant de bas en haut et d'avant en arrière, sous contrôle de la vue, le
feuillet postérieur du ligament large. La section se fait entre deux pinces, l'une placée côté
corne utérine (la longue pince de Kocher qui permet la traction sur l'utérus), l'autre côté
annexe, (pince de Jean-Louis Faure). La ligature est immédiate, appuyée au Catgut chromé
n°2 et si possible doublée sous la pince de Jean-Louis Faure qui est enlevée. Ces ligatures
seront très serrées et aussi électives que possible, car les tissus se désengorgent rapidement de
leur œdème et les ligatures ont tendance à flotter rapidement lorsque les prises ont été larges
et les nœuds trop lâches.

Dissection des ligaments larges et ligature des pédicules utérins


Le feuillet postérieur du ligament large est disséqué par incision de la pointe des
ciseaux, sous contrôle de la vue, selon une direction oblique en bas et en dedans, sans
descendre trop bas pour ne pas ouvrir les volumineuses varices para-utérines. L'utérus est

700
tracté au maximum vers le haut pour passer la pince de Jean-Louis Faure sur les vaisseaux
utérins, les mors de cette pince étant perpendiculaires au muscle utérin. La pince doit
s'appuyer sur le myomètre, à l'aide des doigts intra-utérins qui repèrent le relief du col et
exposent la prise segmentaire élective, sans risque pour l'uretère à ce niveau.

Une pince est placée sur le retour vasculaire, à un centimètre au-dessus de la


première prise.

La même manœuvre est réalisée du côté opposé. On libère ensuite les pinces
hémostatiques utérines après avoir dégagé le bec de chaque pince de Jean-Louis Faure et
pratiqué une double ligature appuyée de chaque pédicule utérin au fil de Catgut chromé.

Clivage vésical
Dangereux, en raison de la déchirure, il doit être réduit au minimum, après
ouverture du cul-de-sac vésico-utérin, la courbure des ciseaux étant dirigée vers le fascia
utérin. Le cul-de-sac vésico-utérin est refoulé jusqu'à la partie basse de la rupture.

Ablation de l'utérus (Fig. 41.2)


Elle s'effectue à partir de la zone de rupture, en sectionnant ce qui reste du segment
inférieur aux ciseaux et en pratiquant l'hémostase au fur et à mesure par des points en x au
Catgut chromé à l'aiguille sertie N°l. La section latérale doit, bien sûr, passer au-dessus de
l'hémostase des pédicules utérins.

701
On effectue alors un surjet hémostatique sur chaque tranche de section
segmentaire, au Catgut chromé N°l.

On rapproche les deux lèvres par quelques points en x pour ne laisser qu'un orifice
médian, destiné à accueillir un gros tuyau de drainage que l'on fait sortir par le vagin et que
l'on fixe aux berges segmentaires antérieure et postérieure, par un point lâche transfixiant de
Catgut.

Temps opératoires ultérieurs


Ils comportent la vérification de l'intégrité vésicale, la fixation de la partie proximale
des annexes aux deux bords de la tranche du segment inférieur suturé, la péritonisation par un
surjet de Catgut chromé N°0 isolant la tranche de la cavité péritonéale, l'espace sous-
péritonéal se drainant par le tuyau de caoutchouc intra-vaginal (Fig. 41.3). Enfin, après
toilette péritonéale soigneuse au sérum physiologique, on referme la paroi plan par plan.

Variantes techniques
Hystérectomie totale
L'hystérectomie totale, lorsqu'elle est possible, paraît plus satisfaisante mais il ne s'agit
pas de faire courir à la malade des risques inutiles et il ne faut pas se faire trop d'illusions sur
la portée de ce geste. Dans le cadre de l'urgence, on laisse souvent en place une partie plus ou
moins importante du col, souvent difficile à individualiser en per-opératoire. On peut le
constater sur les pièces opératoires et à l'examen au spéculum après plusieurs mois. En milieu
sous-équipe, il est souvent illusoire de rechercher la perfection, et on se contente souvent
d'une hystérectomie subtotale de sauvetage maternel.

702
Hystérectomie après césarienne segmentaire
On peut être amené à y recourir dans le cadre d'une hystérectomie d'hémostase par
exemple. Si l'incision était transversale, la section utérine se fait de façon circulaire au niveau
de l'hystérotomie. Si l'incision segmentaire était verticale le niveau de section utérine part de
l'angle inférieur, souvent bas situé, et à l'aplomb latéralement de la crosse des artères utérines,
zone délicate qu'il vaut mieux contourner en remontant le niveau latéral de l'incision sur les
bords utérins.

Technique conservatrice
Si les critères locaux et généraux cités plus haut le permettent, on peut tenter de
réparer une brèche le plus souvent située à un niveau segmentaire bas antérieur, postérieur ou
latéral.

Le péritoine doit être bien disséqué de part et d'autre des berges, et la vessie refoulée
en avant est contrôlée pour éliminer toute plaie. L'hémostase d'une éventuelle lésion du
pédicule utérin est effectuée à la pince de Bengolea, en ne prenant pas trop de tissu adjacent
en raison du risque urétéral. Si les berges de la plaie sont irrégulières ou contuses, il faut les
parer et les régulariser aux ciseaux. La suture est effectuée en un plan au catgut chromé à
points séparés en x assez rapprochés pour l'étanchéité.

Un drainage sous-péritonéal aspiratif de Redon est mis en place.

703
Complications peropératoires
Une plaie vésicale per-opératoire doit être exposée et refermée en deux plans au
Catgut chromé. Les difficultés d'hémostase ont été décrites au cours de la technique.

La sonde urinaire sera laissée en place 8 j.

Suites opératoires
Soins post-opératoires
II faut poursuivre la réanimation par voie intraveineuse et laisser la sonde gastrique
jusqu'à la reprise du transit.

On administre une antibiothérapie par voie générale pendant 8 j et des antipaludéens.

Complications post-opératoires
L'infection secondaire est la plus fréquente : infection urinaire et souvent
pariétale, voire abcès du pelvis. La septicémie post-opératoire est gravissime.

L'hémorragie secondaire, intra-péritonéale, est grave car nécessitant parfois la


ligature des artères hypogastriques.

Les plaies méconnues des voies urinaires (vessie, uretère) constituent le


danger essentiel. Elles aboutissent à des fistules et compliquent le plus souvent les
hystérectomies totales avec décollement vésical difficile, chez des patientes antérieurement
césarisées ou devant des ruptures rétro-vésicales larges étoilées à bords nécrotiques. Cela
explique l'intérêt de s'en tenir à l'hystérectomie subtotale si la dissection paraît difficile.

La mortalité de ces interventions est lourde dans des conditions précaires : 90 % pour
le fœtus, 20 à 30 % pour la mère.

Conclusion
La rupture utérine est une complication spectaculaire et redoutable de la dystocie en
Afrique noire.

Sa fréquence ne pourra diminuer que si l'on réduit le nombre des accouchements à


domicile, ce qui signifie développement d'infrastructures sanitaires efficaces, avec un
personnel compétent. Une étape intermédiaire, avant d'en arriver à une obstétrique « idéale »,
serait au minimum d'améliorer le suivi de la grossesse, permettant au moins de dépister les
dystocies avant l'entrée en travail. Ce n'est qu'à ce prix que baissera le nombre des
hystérectomies obstétricales.

704
Cystostomie et
ponction vésicale sus-pubienne
A. ALTOBELLI

Cystostomie

L’abouchement de la vessie à la peau ne se justifie que s'il est nécessaire de dériver


les urines vésicales définitivement ou à long terme (dans l'attente du traitement d'un obstacle
cervico-prostato-urétral). Pour les dérivations plus brèves, il faut préférer le sondage vésical
ou le cathétérisme sus-pubien.

Les principales indications de la Cystostomie sont donc le cancer de prostate


obstructif ; la sténose urétrale complexe, étendue, fistulisée l'hypertrophie bénigne de
prostate obstructive chez un patient à l'état général précaire, la dérivation vésicale chez
certains patients neurologiques….

Ses principales contre-indications sont :


- les troubles de l'hémostase et les traitements anti-coagulants en cours ;
- les foyers infectieux proches du site de Cystostomie (région hypogastrique).

Rappel anatomique (Fig. 42.l)


Lorsqu'elle est vide, la vessie est située en arrière du pubis dont elle est séparée par
l'espace de Retzius contenant les plexus veineux pré-vésico-prosta-tiques.

Lorsqu'elle est pleine, le dôme vésical recouvert du péritoine pelvien remonte au-
dessus du pubis, et la face antérieure de la vessie regarde directement la paroi abdominale
antérieure.

Il est donc préférable de réaliser la cystostomie sur vessie pleine, pour la placer à
distance de l'espace de Retzius en bas et de la cavité péritonéale en haut, par une voie
d'abord hypogastrique sus-pubienne.

Matériel
II faut disposer du matériel suivant :

- bistouri, pince à disséquer, deux pinces d'Allis, deux écarteurs de Farabeuf ;


- matériel d'aspiration ;
- sonde de Foley N° 18 ou 20 (dont on aura vérifié le ballonnet) ;
- fils : Catgut 00, fil à résorption lente 00, fil à peau.

705
Installation
Le malade, perfusé, est placé en décubitus dorsal, vessie pleine, table en léger
Trendelenburg.

Une anesthésie peut être générale, locorégionale ou locale (infiltration plan par plan à
la lidocame à 0.5 % : peau/ligne blanche et muscle droit/vessie).

L'opérateur se place à gauche du malade, un aide lui faisant face.

Le champ opératoire est rasé, de l'ombilic à la racine des cuisses.

Technique
L'abord se fait par voie médiane hypogastrique, l'incision étant débutée un travers de
doigt au-dessus de la symphyse pubienne, puis menée sur environ 5 cm (à adapter à la
morphologie du patient) (Fig. 42.2). La peau et le tissu sous-cutané sont incisés jusqu'à la
gaine des muscles grands droits, que l'on ouvre au niveau de la ligne blanche en restant
strictement médian. On refoule alors latéralement les muscles droits par deux écarteurs de
Farabeuf.

On gagne alors le plan fibro-graisseux qui masque la face antérieure de la vessie. Ce


plan est incisé et récliné grâce aux écarteurs, ce qui fait apparaître la face antérieure de la
vessie, rosée, musculaire, sillonnée de veines qui seront liées ou coagulées si elles gênent
l'ouverture vésicale. Le cul-de-sac péritonéal est refoulé vers le haut.

706
Figures 45.2 : Incision pour cystostomie.

À l'aide de deux pinces d'Allis on saisit et on attire la paroi vésicale, et on ponctionne


la vessie sur environ 1 cm, au bistouri, entre ces deux pinces tractrices (Fig. 42.3). L'urine est
alors aspirée

Technique
L'abord se fait par voie médiane hypogastrique, l'incision étant débutée un travers de
doigt au-dessus de la symphyse pubienne, puis menée sur environ 5 cm (à adapter à la
morphologie du patient) (Fig. 42.2). La peau et le tissu sous-cutané sont incisés jusqu'à la
gaine des muscles grands droits, que l'on ouvre au niveau de la ligne blanche en restant
strictement médian. On refoule alors latéralement les muscles droits par deux écarteurs de
Farabeuf.

On gagne alors le plan fibro-graisseux qui masque la face antérieure de la vessie. Ce


plan est incisé et récliné grâce aux écarteurs, ce qui fait apparaître la face antérieure de la
vessie, rosée, musculaire, sillonnée de veines qui seront liées ou coagulées si elles gênent
l'ouverture vésicale. Le cul-de-sac péritonéal est refoulé vers le haut.

À l'aide de deux pinces d'Allis on saisit et on attire la paroi vésicale, et on ponctionne


la vessie sur environ 1 cm, au bistouri, entre ces deux pinces tractrices (Fig. 42.3). L'urine est
alors aspirée..

707
La sonde de Foley est introduite dans l'ouverture, son ballonnet est gonflé, et, par deux
points de Catgut passés autour de la sonde, on assure l'étanchéité (Fig. 42.4) (attention à ne
pas perforer le ballonnet en passant ces points).

708
Par deux points de fil à résorption lente, on charge la vessie et l'aponévrose des
muscles droits pour amarrer la vessie à la paroi abdominale antérieure.

On ferme alors l'aponévrose par des points de fil résorbable lent, puis la peau par des
points séparés autour de la sonde. La sonde est amarrée à la peau par une tresse de fil non
résorbable (Fig. 42.5).

Soins post-opératoires
Les suites opératoires sont habituellement simples. Les points cutanés et la tresse qui
maintient la sonde peuvent être ôtés à partir du 8e j.

La sonde doit être changée toutes les 3 semaines, ce qui ne présente pas de difficulté
puisqu'un trajet vésico-pariéto-cutané se constitue autour de la sonde.

Complications
Infection de la plaie, due au contact d'urines infectées avec la plaie au cours de
l'intervention ou à défaut d'étanchéité autour de la sonde. Ce risque justifie une antibio-
prophylaxie encadrant le geste chirurgical et utilisant un antibiotique à forte concentration
urinaire (b-lactamines, aminosides, fluoroquino-lones).

Épreintes vésicales rares, liées à la présence de la sonde, contre lesquelles on peut


utiliser les anti-cholinergiques.

Phlébite qui doit être prévenue par le lever précoce et l'héparine thérapie.

709
Conclusions
La cystostomie est une intervention simple, autrefois classique, qui voit diminuer le
champ de ses indications.

Elle peut cependant être d'un grand secours, mais reste une sujétion lourde pour le
malade.

Technique de la ponction vésicale sus-pubienne


Lorsque la cystostomie doit être temporaire (et que le cathétérisme urétral est
impossible), il est préférable de mettre en place un cathéter sus-pubien (ou « cystostomie a
minima »).

Matériel
II comprend :

- une aiguille longue (60 à 80 mm) montée sur une seringue contenant 10 ml de
xylocaïne ai % ;
- des champs et des gants stériles ;
- un bistouri ;
- une solution antiseptique et des compresses stériles ;
- un fil non résorbable ;
- un kit de drainage sus-pubien.
La diversité des kits de drainage sus-pubien commercialisés rend difficile l'exposé
d'une technique standardisée. Ces kits comprennent généralement :
- un cathéter de calibre variable (on utilisera habituellement un cathéter charrière 10 à
15) muni d'un raccord au système de drainage ;
- une aiguille de ponction, métallique, de longueur variable (à adapter à la
morphologie du patient) dans laquelle sera introduit le cathéter ;
- un système de drainage ;
- un système de fixation du drain, peu utile, auquel il faut préférer une fixation à la
peau par une tresse de fil non résorbable.

Technique
Le patient est en décubitus dorsal, impérativement avec la vessie pleine. Après rasage
et badigeonnage antiseptique de la paroi abdominale, de l'ombilic jusqu'au pubis, on repère le
point médian à un travers de doigt au-dessus du pubis (Fig. 42.6).

Puis on met en place les champs.

On effectue une anesthésie locale, plan par plan jusqu'à la vessie. La progression se
fait « le vide à la main » jusqu'à ce que l'aiguille pénètre dans la vessie (la pénétration
vésicale est marquée par l'issue d'urine dans la seringue). On effectue alors une incision
cutanée punctiforme, de la pointe du bistouri, puis on ponctionne la vessie à l'aiguille de
ponction qui doit rester strictement médiane et verticale pour éviter les dangers que sont la
cavité péritonéale en haut, les veines de l'espace de Retzius en bas (Fig. 42.7).

710
711
L'issue d'urine signe la pénétration vésicale, on introduit alors le cathéter dans
l'aiguille de ponction. Le cathéter doit être poussé suffisamment loin (jusqu'à 5 à 10 cm de
son extrémité) (Fig. 42.8). On retire alors l'aiguille de ponction en maintenant en place le
cathéter qui est raccordé au système de drainage (Fig. 42.9).

712
Un point de fil non résorbable dont les deux brins sont tressés autour du cathéter
permet de le fixer à la peau. Enfin, on effectue le pansement en veillant à ce que le cathéter ne
soit pas coudé.

Conclusions.
Aucune si l'on respecte les contre-indications (trouble de l'hémostase, traitements
anticoagulants en cours, foyer infectieux proche du site de ponction). En cas de cathétérisme
sus-pubien sur rétention aiguë d'urine, il existe un risque théorique d'hématurie en cas
d'évacuation trop rapide de la vessie (hématurie a vacuo), il est alors conseillé d'évacuer la
vessie par étapes, en obturant le cathéter durant 10 min tous les 500 ml.

713
Torsion du cordon spermatique

A. ALTOBELLI

La torsion du cordon spermatique est une rotation du testicule qui entraîne dans sa
course un volvulus de son pédicule. Elle met rapidement enjeu, par ischémie aiguë, la vitalité
du testicule et constitue donc une urgence chirurgicale.

Le testicule est appendu à son cordon contenant le canal déférent et les vaisseaux
nourriciers. Il est fixé dans la bourse par le cordon en haut, le gubernaculum en bas, la
réflexion de la vaginale testiculaire (ou mésorchium) en arrière. Des anomalies
(éventuellement bilatérales) de ces moyens de fixité rendent compte des possibilités de
mobilité anormale du testicule et expliquent les mécanismes de torsion. La torsion peut être
supra-vaginale (surtout chez le nouveau-né et le nourrisson) ou intra-vaginale (enfant,
adolescent, adulte), mais cette distinction anatomique n'a guère d'intérêt pratique.

Reconnaître la torsion
Dans son aspect typique, la torsion se présente comme un syndrome « orchite aiguë »
chez un enfant. La douleur, spontanée et brutale, est scrotale, unilatérale, irradiant vers l'aine,
la fosse iliaque, les lombes. Il n'existe pas de signes urinaires, et pas de fièvre au début.
L'examen, difficile, montre une grosse bourse inflammatoire. Le testicule est ascensionné à
l'anneau inguinal. Le toucher rectal est normal.

Il existe des formes subaiguës de diagnostic difficile.

Parfois, on retrouve une notion d'antécédents de douleur similaire spontanément


résolutive (« subtorsion »).

Chez le nouveau-né et le nourrisson, le diagnostic en est difficile, le tableau évoquant


une hernie étranglée, un kyste du cordon, etc.

Le diagnostic différentiel est surtout l'orchi-épididymite, de traitement médical et de


diagnostic facile si elle survient dans un contexte d'infection urogénitale (prostatite, urétrite...)
ou d'oreillons. Sinon, on peut la différencier de la torsion par un début progressif, une fièvre,
des brûlures mictionnelles, une augmentation du volume de l'épididyme, un toucher rectal
douloureux. Cependant, le diagnostic différentiel entre ces deux pathologies n'est pas toujours
possible, et il faut se rappeler que :
- le doute n'est pas permis et doit être levé par une intervention chirurgicale ;
- toute suspicion de torsion nécessite une exploration chirurgicale en urgence qui seule
peut permettre de sauver le testicule concerné, d'autant plus qu'elle n'aggrave pas une orchi
-épididymite;
- l'orchite aiguë de l'enfant est toujours une torsion du cordon spermatique.

714
Évolution
La torsion détermine une ischémie aiguë du testicule. À partir de la 6e heure
d'ischémie, les lésions peuvent devenir irréversibles et aboutir à la nécrose et à la perte du
testicule.

Traitement
But
Le but est de sauver le testicule par détorsion et de prévenir la récidive homo- et
controlatérale. Si le testicule est irrémédiablement nécrosé, il faut en pratiquer l'exérèse. La
détorsion manuelle, qui ne permet pas de faire un bilan du testicule et ne prévient pas les
récidives, doit donc être proscrite. Le patient (ou ses parents) doit être prévenu avant
l'intervention du risque d'exérèse du testicule. L'intervention doit être menée dans un délai
maximal de six heures après l'apparition des signes, tout retard augmentant le risque de
nécrose irréversible.

Matériel
II faut disposer du matériel suivant :

- bistouri, pince à disséquer, écarteurs de Farabeuf ;


- fils à résorption rapide et lente, fil non résorbable (type Prolène 5/0), fil à peau.

Installation
Le malade, perfusé, est placé en décubitus dorsal.

L'anesthésie est générale ou locorégionale. Une anesthésie locale par infiltration des
cordons spermatiques et des téguments scrotaux est envisageable si nécessaire.

On rase le champ opératoire, en incluant les bourses (badigeonnage antiseptique +++).

Technique
La voie d'abord est scrotale transversale, à cheval sur le raphé médian, ce qui permet
d'aborder successivement les deux testicules (Fig. 43.1). On ouvre les différentes tuniques
scrotales du côté atteint, jusqu'à la vaginale, dont l'ouverture donne issue à un liquide séro-
sanglant.

L'extériorisation du testicule confirme le diagnostic (Fig. 43.2) (mais, parfois,


l'anesthésie peut avoir permis la détorsion spontanée).

On peut alors détordre le cordon dans le sens inverse de la rotation, jusqu'à amener le
testicule dans sa position normale (le nombre de tours de spire est variable).

La conduite à tenir dépend alors de l'aspect du testicule. Soit il reste cynique, violacé,
même après l'avoir enveloppé de compresses tièdes, après avoir infiltré le cordon à la
lidocaïne et après une observation de 10 min, et il est alors voué à la nécrose et à l'atrophie.

715
On effectue alors une orchidectomie après ligature séparée au fil non résorbable des
éléments du cordon et du gubernaculum (Fig. 43.3). La bourse est refermée par un surjet de
fil résorbable sur le dartos et des points séparés sur la peau. Si l'intervention est tardive ou s'il
persiste un suintement hémorragique dans la bourse, il est souhaitable de mettre en place un
drain (redon aspiratif ou lame de Delbet) que l'on extériorise par une contre-incision.

À l'inverse, dans les cas favorables, le testicule reprend rapidement une coloration
normale (blanche). La conservation est possible.

Dans les cas douteux, le problème est difficile et la conservation risque de mener à
l'atrophie et à la fonte purulente du testicule imposant une réintervention d’exérèse-drainage.

716
Il faut toujours prévenir la récidive sur le testicule conservé, par une orchidopexie
fixant par 2 ou 3 points de fil fin non résorbable (Prolène 5/0) l'albuginée de la face interne du
testicule à la cloison médiane des bourses (Fig. 43.4).

Ensuite, par la même incision, on aborde le testicule controlatéral pour réaliser une
orchidopexie selon la même technique.

L'incision est refermée par surjet de catgut sur la vaginale testiculaire, surjet de fil
résorbable lent sur le dartos, points séparés sur la peau (enlevés à partir du 10e jour).

717
Plaies du globe oculaire

CH. BOUAT

Conduite à tenir
Face à une plaie récente du globe oculaire, le chirurgien doit :
- Évaluer les lésions oculaires et porter le diagnostic de plaie perforante ou non du
globe oculaire.
- Selon les lésions et la proximité d'un centre de soins spécialisés, décider de la
marche à suivre qui peut être soit de conditionner le blessé, pour une évacuation vers un
centre de soin spécialisé proche, soit suturer la plaie ou mettre en œuvre des gestes
d'urgence permettant de sauver l'œil, quand l'évacuation est impossible ou doit être différée.

Bases anatomiques du traitement (Fig. 44.l)


La partie antérieure du globe oculaire est exposé directement au traumatisme. Elle se
compose :

- de la cornée, avasculaire, formant un hublot transparent de 12 mm de diamètre et


d'un millimètre d'épaisseur environ ;
- de la sclère : tissu conjonctif opaque, dont l'orifice antérieur reçoit la cornée ;
- la jonction entre sclère et cornée forme le limbe cornéo-scléral (repère chirurgical).

La sclère est recouverte par l'épiclère, membrane fibro-vasculaire, et par la


conjonctive bulbaire richement vascularisée (ce qui constitue un obstacle chirurgical à l'accès
de la sclère).

Une plaie cornéo-sclérale peut intéresser les structures sous-jacentes :

- la chambre antérieure, remplie d'humeur aqueuse, qui peut se vider par la plaie
cornéenne ;
- l'iris, qui aura tendance à colmater la brèche, voire faire hernie à travers la plaie.
Dans ce dernier cas, des lésions de l'iris sont possibles. Si l'iris n'est pas concerné par une
plaie oculaire, il ne doit par être pris lors de la suture cornéenne (danger chirurgical) ;
- le cristallin, situé immédiatement en arrière de l'iris qui le protège. La plaie peut
intéresser le cristallin, réalisant une plaie capsulaire et entraînant une issue de masses
cristalliniennes dans la chambre antérieure ;
- le corps ciliaire, qui siège en arrière de la sclère et en périphérie du cristallin. Très
vascularisé, le corps ciliaire est une source d'hémorragie et il peut faire hernie à travers une
plaie sclérale ;
- le vitré, qui occupe la totalité de la partie rétro-cristallinienne de l'oeil ;
- enfin, plus en arrière, la choroïde et la rétine périphérique et équatoriale.

Ces plaies oculaires présentent l'avantage d'être antérieures, et donc de pouvoir être
abordées directement.

718
Figure 44.1 : Rappel d'anatomie. 1. anneau conjonctival ; 2. iris ; 3. paupière ; 4.
cornée ; 5. corps ciliaire ; 6. conjonctive ; 7. septum ; 8. limbe cornéo-scléral ; 9. releveur de
la paupière supérieure ; 10. capsule de Tenon ; 11. muscle droit supérieur ; 12. choroïde-
rétine ; 13. capsule de Tenon postérieure ; 14. muscle droit inférieur ; 15. chambre antérieure ;
16. pupille ; 17. cristallin ; 18. vitré.

719
Diagnostic de plaie du globe
Pour l'examen, le blessé doit être allongé et calmé. L'examen est aidé par l'instillation
d'une goutte de Novésine en collyre. Cette instillation ne présente aucun danger mais elle est
souvent difficile en raison de la douleur, d'un blépharospasme et d'une photophobie.
L'examen ne doit pas aggraver les lésions, et doit donc être doux et prudent.

Reconnaître la plaie cornéenne


La plaie apparaît sous la forme d'une irrégularité de surface. Elle peut être linéaire ou
irrégulière, non systématisée, anfractueuse.

Il est important d'en préciser le caractère perforant ou non.

- Plaie non perforante : le diaphragme irien est régulier, la pupille est centrée. Le test à
la fluorescéine est ici très utile. Lorsqu'on instille une goutte de cet agent, on remarque que la
fluorescéine imprègne la plaie mais qu'elle n'est pas rapidement lavée par l'humeur aqueuse
qui sortirait si la plaie était perforante.

- Plaie perforante : elle se manifeste par la diminution de volume voire la disparition


de la chambre antérieure ; l'humeur aqueuse qui reste dans la chambre antérieure est plus ou
moins hémorragique, et fuit par la plaie. Le test à la fluorescéine est positif, et celle-ci est
chassée de la plaie par la sortie de l'humeur aqueuse (signe de Seidel).

L'iris, déformé, tend à colmater la brèche en s'y accolant, déformant la pupille. En cas
de grosse plaie, l'iris peut faire hernie entre ses berges.

Évaluer le prolongement vers la sclère


S'il existe, il s'agit d'une plaie cornéo-sclérale. Une plaie conjonctivale avec
hémorragie sous-conjonctivale peut masquer une plaie sclérale sous-jacente. Cette plaie est en
revanche évidente s'il existe une hernie du corps ciliaire (noirâtre) et une issue de vitré, de
texture « blanc d'œuf », visqueux, filant.

Au maximum : éclatement oculaire


La plaie, large et anfractueuse, est constituée d'un mélange de milieux et de
membranes hémorragiques. C'est là une situation dramatique parfois compliquée d'autres
lésions préoccupantes : traumatisme orbito-facial ou crânien.

Devant toute plaie oculaire


II faut rechercher des corps étrangers et évaluer le degré de souillure de la plaie. Les
corps étrangers peuvent être intraoculaires (voir plus loin).

Matériel
Théoriquement, la réparation d'une plaie cornéo-sclérale nécessite un matériel
microchirurgical : pince de Bonn, porte aiguille de Castroviejo, ciseau de Vannas, pince à
monofilament, canule de Rycroft et, pour suture, du fil monofilament 10/0.

720
Mais en situation précaire, il est rare de disposer de ce type de matériel. Il faut alors
utiliser les instruments disponibles les plus fins : une pince à disséquer à griffes fines, un
porte-aiguille à mors lisses et fins, des ciseaux à bouts fins, pointus ou légèrement mousses,
une canule à bout mousse, une seringue de 2 ml, et différents fils (soie noire 4/0 comme fils
tracteurs, soie noire 6/0 ou vierge 8/0 pour la suture ou Prolène 4/0, 6/0).

Indications thérapeutiques et leurs limites


Plaie non perforante
Le traitement en est médical : instillation de collyre antibiotique et cicatrisant,
d'atropine à 1 %, et pose d'un pansement monoculaire. Il faut assurer une prophylaxie
antitétanique.

Plaie perforante avec possibilité d'évacuation rapide


II s'agit d'une urgence chirurgicale : le traitement doit avoir lieu avant la sixième
heure, ou avant 12 heures sous couvert d'une antibiothérapie locale et générale.

Il faut conditionner le blessé EN ÉVITANT TOUT GESTE DANGEREUX. Le


bilan lésionnel doit être effectué sous anesthésie générale qui permet de relâcher les muscles
palpébraux et oculomoteurs, évitant ainsi une pression excessive sur un globe ouvert. Le
traitement consiste en l'instillation toutes les heures d'un collyre antibiotique. On recouvre
l'œil d'un pansement non compressif de gaze stérile avec pose d'une coque protectrice. Par
voie générale, on administre des antalgiques et des antibiotiques à large spectre et une
prophylaxie antitétanique.

Plaie perforante sans possibilité d'évacuation


La plaie doit donc être traitée sur place. Le but de ce traitement initial est soit de
traiter la lésion, soit de permettre une temporisation en attente de soins spécialisés
microchirurgicaux en protégeant le globe : il faut le rendre étanche et faire obstacle à
l'infection. Le malade est allongé sur le dos, tête fixée. L'éclairage doit être latéral, et on peut
s'aider de lunettes-loupe.

721
Figure 44.2 : Anesthésie locorégionale. a) Injection sous-conjonctivale. Espace sous-
conjonctival. b) Points cutanés d'injection. Injection pour péri- et rétrobulbaire. Anesthésie et
akinésie palpébrale. c) Trajets des aiguilles.

722
Anesthésie
L'anesthésie doit autant que possible être générale si le globe est ouvert. Si elle est
impossible, on peut recourir à une anesthésie locorégionale mais elle a pour inconvénient
d'entraîner une hyperpression sur le globe.

La technique d'anesthésie locorégionale (Fig. 44.2) est la suivante :

- injection rétrobulbaire de 5 à 6 ml d'un mélange de Xylocaïne à 2 % et de Marcaïne


à 0,50 %, à la proportion de 2/3 - 1/3 par une aiguille de 35 ou 40 mm, 5/10% 25 G. Le point
d'injection se situe juste au-dessus du rebord orbitaire inférieur, à ses deux tiers externes. On
introduit l'aiguille au ras du plancher sur 2 cm, puis on la relève vers l'apex. On injecte alors 5
à 6 ml d'anesthésique. Les solutions anesthésiques adrénalinées sont ici
formellement proscrites car elles peuvent provoquer un spasme de l'artère centrale de la
rétine lorsqu’elles diffusent à son niveau ;

- anesthésie palpébrale : on effectue une boutonnière de Xylocaïne à 2 % pour passer


les fils tracteurs palpébraux près du bord libre et exposer le globe : il ne faut pas utiliser de
blépharostat, qui pourrait comprimer le globe. On peut aussi, en alternative ou pour compléter
l'anesthésie, effectuer une injection orbitaire externe avec injection traçante palpébrale
supérieure et inférieure ;

- anesthésie cornéenne : elle se fait par instillation de collyre anesthésique, type


Novésine.

Outre l'analgésie, les anesthésiques locaux permettent d'obtenir une akinésie de


l'orbiculaire : on introduit une aiguille à biseau long à 1 cm en bas et 1,5 cm en dehors du
rebord orbitaire externe, puis on injecte 1 à 2 ml de Xylocaïne à 2 % vers le haut, vers le bas
et horizontalement vers la base de la paupière inférieure.

Intervention (Fig. 44.3)


Elle comporte plusieurs temps.

Premier temps : lavage oculaire. On l'effectue au sérum physiologique ou à la


Bétadine ophtalmique, pour laver les membranes et éliminer les souillures. Les corps
étrangers volumineux sont enlevés à la pince.
Deuxième temps : en cas de hernie de l'iris. Si elle est récente (moins de six
heures) et propre, elle peut être réintégrée. Si elle est ancienne ou souillée, on effectue une
résection en tissus sains après l'avoir décollée de la plaie et légèrement tractée en dehors.
Troisième temps : suture de la plaie cornéenne par de la soie vierge 8/0, à
défaut de la soie noire 6/0, par des points profonds mais non perforants, au deux tiers de la
profondeur, en respectant le centre de la cornée si possible. Les sutures au fil monofilament
10/0 ou 9/0 nécessitent un microscope opératoire.
Quatrième temps : reformation de la chambre antérieure par une canule
mousse, à bout atraumatique, avec de l'air ou du sérum physiologique.

723
724
Ce traitement chirurgical doit se doubler du traitement médical local et général décrit
plus haut. Si possible, le malade sera ensuite évacué en position couchée, avec une fiche
d'évacuation précisant l'heure du traumatisme et de l'intervention, les circonstances, les
traitements médicaux et chirurgicaux entrepris. En milieu hospitalier, le traitement sera repris,
si besoin, avec des moyens microchirurgicaux.

Plaie majeure avec délai d'évacuation long


II faut ici rester le plus possible conservateur et tenter un acte de sauvetage
temporaire du globe. Cet acte permet l'évacuation en différant l'urgence.

Recouvrement conjonctival classique (Fig. 44.4)


On réalise une anesthésie locale par injection sous-conjonctivale de Xylocaïne à 1 %
(voir Fig. 44.2) : elle soulève la conjonctive (bourrelet). On sectionne ensuite la conjonctive à
1 mm du limbe sur 360°, et on la clive par rapport à la sclère aux ciseaux courbes que l'on
introduit fermés et que l'on ouvre dans le plan de clivage sous-conjonctival. On tire alors la
conjonctive disséquée comme un rideau devant la cornée, et on la suture sur une ligne
horizontale par des points en « U » de soie noire 6/0 ou de Vicryl 6/0. On parachève le geste
par une injection sous-conjonctivale d'antibiotique et de corticoïde, l'application de pommade
antibiotique et l'instillation de collyre d'atropine à 1 %. L'œil est enfin recouvert d'un
pansement monoculaire et d'une coque protectrice.

Sur le plan général, on administre une antibiothérapie et une prophylaxie


antitétanique.

725
Recouvrement conjonctival de Haik (sans désinsertion) (Fig. 44.5)
Techniquement plus difficile, il a l'avantage de maintenir devant la plaie une zone non
cruentée et donc d'éviter les adhérences. On injecte un mélange de Xylocaïne à 1 % et de
sérum physiologique en sous-conjonctival. Cela soulève la conjonctive que l'on suture par
dessus la cornée, par des points en « U » de soie noire 6/0. Le malade est ensuite évacué vers
le centre spécialisé, avec une fiche d'évacuation.

Blépharorraphie
Elle consiste à suturer les paupières devant le globe oculaire, et s'impose devant des
lésions importantes de la conjonctive empêchant le recouvrement. La technique de
blépharorraphie est décrite dans le chapitre 23.

726
Énucléation

CH.BOUAT

Indication opératoire
Le recours à une énucléation est actuellement exceptionnel dans les trauma-tismes du
oculaire globe en raison des progrès de la microchirurgie réparatrice. Mais elle est parfois la
seule solution devant un éclatement du globe oculaire avec atteinte grave des structures
anatomiques normales

Dans ce cas, l'intervention est une intervention de propreté, dont le but est de régler les
phénomènes inflammatoires, douloureux et hémorragiques, et de limiter le risque d'ophtalmie
sympathique et les problèmes infectieux locaux et généraux.

Bases anatomiques de l'intervention (voir Fig. 44.l)


Le globe oculaire a pour enveloppe la coque cornéo-sclérale. À la périphérie de la
cornée, ou limbe cornéo-scléral, s'insère la conjonctive bulbaire qui fusionne à ce niveau avec
la capsule antérieure de Tenon, formant l'anneau conjonctival (repère et voie d'abord
chirurgical).

La capsule de Tenon est constituée par les expansions aponévrotiques des muscles
oculomoteurs et forme une cavité cotyloïde pour le globe. Il existe un plan de clivage entre le
globe et la capsule de Tenon (voie de cheminement chirurgical), jusqu'au nerf optique.
L'énucléation utilise ce plan de clivage, que l'on expose au fur et à mesure en faisant tourner
le globe dans sa cavité ténonienne.

Les muscles oculo-moteurs, issus de l'apex orbitaire, viennent s'insérer à la partie


antérieure de la sclère. Leurs insertions tendineuses, que l'on devra sectionner, forment par
rapport au limbe la spirale de Tillaux : droit interne à 5 mm, droit inférieur à 6 mm, droit
externe à 7 mm, droit supérieur à 8 mm (repères et obstacles chirurgicaux).

À la partie postérieure du globe s'insèrent les deux muscles obliques, faciles à


sectionner une fois les muscles droits libérés (obstacle chirurgical).

Le nerf optique constitue l'amarre postérieure de ce globe et contient les vaisseaux


centraux de la rétine (obstacle chirurgical et écueil hémorragique).

Matériel
II faut disposer du matériel suivant :
- pince à disséquer à griffes - pince de Kocher ;
- paire de ciseaux à bout mousse ;
- paire de ciseaux à énucléation de 15 cm, courbe sur le plat ;
- blépharostat ou soie noire 4/0 (fils tracteurs) - deux crochets à strabisme ;
- suture : fils de soie noire 6/0 (non résorbable) ou Vicryl 5/0, Catgut 5/0 (résorbable).

727
L'anesthésie
L'anesthésie générale est préférable à l'anesthésie locorégionale mais elle n'est pas
toujours réalisable. L'anesthésie locorégionale repose sur une injection rétrobulbaire d'un
mélange de 6 à 8 ml de Xylocaïne à 2 % et de Marcaïne à 0,50 % (proportion 2/3 - 1/3).

Une injection sous-conjonctivale de Xylocaïne à 2 % complète l'anesthésie et décolle


la conjonctive bulbaire du globe (voir Anesthésie locorégionale), et une autre effectuée près
des bords libres palpébraux permet le passage des fils tracteurs

Intervention
Pour décrire cette intervention, le plus simple est d'exposer l'énucléation sur globe
normal, ce qui permet d'en saisir les principes et de présenter les différents temps
opératoires.

Premier temps : dissection de la conjonctive (Fig. 45.1). Elle doit être circulaire,
proche du limbe. Après avoir réalisé une boutonnière, on introduit les ciseaux fermés et
on les ouvre in situ pour assurer le clivage conjonctivo-teno-nien. La section au limbe est
réalisée sur 360°. Il faut respecter au maximum la conjonctive (futur plan de
recouvrement).

Deuxième temps : localisation et section des quatre muscles droits. Le crochet


à strabisme engagé au ras de la sclère va charger en le ramenant le tendon de chaque
muscle droit. Celui-ci est alors libéré aux ciseaux de ses adhérences teno-niennes
superficielles et latérales. Par deux crochets à strabisme passés sous le muscle et mis en
tension opposée, on isole le tendon que l'on sectionne ensuite au ciseaux (Fig. 45.2). On
sec-tionne le droit supérieur, le droit inférieur, puis le droit interne.Pour le droit externe, il
faut laisser un moignon tendineux qui permettra de mobiliser le globe grâce à une
pince de Kocher (Fig. 45.3).

Troisième temps : section du nerf optique. On introduit les ciseaux à


énucléation, la concavité sur la convexité du globe. Le globe est fixé grâce à une pince de
Kocher placée sur le tendon résiduel du droit externe, puis on libère les adhérences
éventuelles entre la capsule de Tenon et le globe.

De la pointe des ciseaux fermés, on entre en contact du nerf optique. On ouvre


alors les ciseaux in situ et on sectionne le nerf optique à 3 ou 4 mm environ en arrière du
globe : pour cela il faut attirer le globe vers le haut par la pince de Kocher et pousser les
ciseaux vers l'apex (Fig. 45.4).

728
729
730
Cette section postérieure évite de laisser un moignon scierai et notamment uvéal.

L'avulsion du globe est complétée en sectionnant les muscles obliques (grand et


petit obliques) au ras de la sclère.

Quatrième temps : hémostase. L'hémorragie à la section du nerf optique est


d'abondance variable. Elle cède en général au tamponnement par une compresse montée
sur une pince de Kocher. Si elle persiste, un complément par électrocoagulation est
possible.

L'antisepsie est assurée par la Rifocine en solution ou la Staphylomycine en


poudre.

Cinquième temps : suture des plans de recouvrement. Le plan téno-nien


est suturé par des points profonds en « U » verticaux au Vicryl 5/0 ou au Catgut 5/0, et le plan
conjonctival par des points séparés ou en « U » horizontaux à la soie noire 6/0 (Fig. 45.5).

La pose d'un conformateur dans la cavité assurera la compression, le libre jeu des
paupières et garantira la possibilité d'une prothèse ultérieure.

Soins postopératoires immédiats.


Localement, on applique une pommade antibiotique et on pose d'un pansement
compressif. Sur le plan général, on prescrit une antibiothérapie à large spectre et des
hémostatiques généraux. La prophylaxie antitétanique est obligatoire si la lésion initiale est
d'origine traumatique.

Remarques et limites de cette chirurgie


Si l'énucléation est effectuée dans le cadre de la traumatologie, on opère un globe
éclaté avec perte des structures anatomiques. Toute chirurgie conservatrice est illusoire,
même avec un équipement complet. Dans ce cas, il faut effectuer une chirurgie de propreté, et
le problème diffère de l'intervention réglée que nous venons de décrire, sur les points
suivants:

- il faut laver la plaie au sérum physiologique tiède, retirer les caillots et éliminer les
corps étrangers ;
- la conjonctive doit être respectée au maximum. Il faut être avare en résection car
cette conjonctive constituera le futur plan de recouvrement et contiendra la prothèse
(conjonctive palpébrale et bulbaire) ;
- la sclère, blanchâtre, sert de repère et permet de localiser les muscles, le nerf
optique;
- surtout, il faut éliminer soigneusement tout débris uvéal (iris, corps ciliaire,
choroïde) d'aspect marron, noirâtre. Ces débris peuvent en effet être source
d'inflammation locale et de phénomènes uvéo-antigéniques secondaires pouvant menacer
l'autre œil. Ils doivent être recherchés minutieusement et réséqués systématiquement ;

731
- il faut ensuite repérer le nerf optique et le sectionner sans laisser un moignon
scierai et réaliser une hémostase efficace par tamponnement et électrocoagulation si
nécessaire ;
- enfin, il faut assurer un bon plan de recouvrement, d'abord par la capsule de
Tenon qui constitue un premier plan solide, puis par la conjonctive que l'on suture
soigneusement par dessus.

732
Suture-épiplooplastie
pour perforation d'ulcère duodénal

TH. BOULANGER, L. CADOR

Patient de 30 ans, souffrant d'un ulcère duodénal depuis deux ans, présentant une
douleur épigastrique intense, en coup de poignard. A l'examen : douleur abdominale très
intense et contracture abdominale généralisée, TA : 9/5. ASP : croissant gazeux sous-
diaphragmatique.

Un syndrome abdominal aigu accompagné d'un péritonisme généralisé, doit faire


évoquer la perforation d'un organe creux comme l'illustre ce thème clinique.

Diagnostic

II est évoqué.

Par l'interrogatoire : douleur intense en coup de poignard, de localisation


épigastrique, pouvant migrer secondairement ; parfois, vomissements ne calmant pas la
douleur ; arrêt des matières et des gaz ; antécédents ulcéreux connus ; recherche d'une prise
de médicaments tels qu'aspirine ou AINS.

Par la contracture abdominale généralisée.

Il est confirmé.

Par la radiographie de l'abdomen sans préparation : rayons horizontaux (debout,


profil couché, demi-assis...). On retrouve un croissant gazeux sous-diaphragmatique (sous-
pariétal...) mais qui peut être absent dans 20 % des cas (adhérences péritonéales, perforations
postérieures...).

Un TOGD aux hydrosolubles montrerait la fuite de produit de contraste ; il est inutile


devant ce tableau.
La fibroscopie gastrique, souvent non disponible en condition précaire, n'est pas non
plus indiquée, car elle pourrait aggraver l'évolution spontanée d'une perforation bouchée.

En pratique, le diagnostic de péritonite par perforation d'organe creux est


généralement simple et impose une exploration chirurgicale urgente ; dans ce cas, on suspecte
une perforation d'ulcère, ce qui guide le choix de la voie d'abord. Ce diagnostic sera confirmé
ou infirmé en per-opératoire.

733
Physiopathologie
L'ulcère gastroduodénal, ainsi que ses complications, sont très fréquents dans les pays
où les structures et le niveau d'éducation sanitaires restent bas. La principale complication est
l'hémorragie, puis la perforation.
Dans les perforations, le contenu gastrique (sécrétion acido-peptique + aliments
ingérés) entraîne dans les premières heures une péritonite chimique, responsable du
péritonisme immédiat ; cette réaction s'aggrave secondairement d'une pullulation microbienne
et de la constitution de fausses membranes et de foyers septiques intrapéritonéaux.

Selon la localisation de l'ulcère, la vacuité ou la réplétion gastrique lors de la


perforation et le type de réaction péritonéale, la perforation peut être bouchée (postérieure, en
regard du pancréas ou antérieure, en regard du foie) ou provoquer une péritonite localisée,
cloisonnée ou généralisée, d'emblée ou secondairement.

Quoi qu'il en soit, l'évolution spontanée de la péritonite ne peut être que péjorative, a
fortiori quand les moyens d'investigation et de surveillance sont très limités. Toute suspicion
de perforation d'organe creux doit être explorée et traitée chirurgicalement.

Traitement
Buts
Traiter la perforation elle-même, sa conséquence (la péritonite) et sa cause (la maladie
ulcéreuse).

Moyens
Médicaux
Débutés avant l'intervention, ils comportent :

- pose d'une sonde nasogastrique en aspiration douce ;


- antibiothérapie ;
- antiulcéreux injectables, si on en dispose ;
- mesures de réanimation avec rééquilibration hydroélectrolytique.

La méthode de Taylor, associant les méthodes ci-dessus comme unique traitement, ne


peut jamais être préconisée dans ce contexte car, outre des indications très restrictives
(certitude diagnostique, perforation vue tôt, à distance des repas, sans signe d'infection, etc.),
elle nécessite une surveillance étroite et peut être responsable d'abcès péritonéaux localisés de
diagnostic et traitement difficiles. En revanche, ses moyens constituent le préalable habituel
et l'encadrement de l'acte chirurgical.

Chirurgicaux Traitement de la péritonite


II débute par une toilette abondante, patiente et méticuleuse à l'aide de plusieurs
litres de sérum tiède. C'est le rôle mécanique du lavage (et en particulier sa quantité) qui est
utile et non pas la nature de la solution utilisée (antiseptique, « détergente », « anti-
adhérence », etc.).

734
Les fausses membranes doivent être retirées minutieusement, et de manière
atraumatique, en explorant toute la cavité péritonéale, étage par étage, organe par organe.

Drainage : si un péritoine propre et une cause parfaitement traitée peuvent parfois


dispenser du drainage, le plus souvent on mettra en place un drainage déclive (la lame
caoutchoutée est le plus simple et la plus universelle...) des quatre quadrants par cinq lames :
interhépato-diaphragmatique, sous-hépatique, deux gouttières pariéto-coliques - jusque dans
le Douglas -, hypochondre gauche...

Le dernier temps est la fermeture, qui doit être particulièrement soigneuse pour le
plan musculo-aponévrotique (risque d'éventration majoré) et particulièrement lâche, voire
absente pour le plan cutané (risque d'infection pariétale majoré).

Traitement de la perforation
Elle peut se faire par suture simple ou par suture-épiplooplastie. Cette méthode a
l'avantage d'être la plus simple et de suffire pour le traitement de la perforation proprement
dite, mais l'inconvénient de ne pas agir sur l'évolution de la maladie ulcéreuse et ses
éventuelles complications.

Une autre méthode, proche de la précédente, associe une ulcérectomie, la suture et


éventuellement une épiplooplastie. On y recourt devant certaines perforations « insuturables »
d'emblée ou, surtout, pour les perforations gastriques afin de pouvoir contrôler l'anatomie
pathologique de la lésion (jamais maligne sur le duodénum).

Traitement de la maladie ulcéreuse


II repose actuellement sur des moyens médicaux qui sont exceptionnellement
accessibles dans les pays à faible pouvoir d'achat. Les moyens chirurgicaux gardent alors
leurs indications traditionnelles.

Suture et vagotomie. La vagotomie tronculaire a l'avantage d'être la plus rapide et


la plus « sûre » des vagotomies. Les récidives d'ulcère sont rares, inférieures à 10 %. Elle a
cependant l'inconvénient de nécessiter l'ouverture du médiastin inférieur, déconseillée dans
un contexte septique ; surtout, elle est souvent mal connue, car rarement indiquée de nos jours
en France. Elle suppose, en principe, la réalisation d'une pyloroplastie, parfois déjà faite avec
le temps d'ulcérectomie.

Les mêmes remarques s'appliquent à la vagotomie hypersélective (sans la


pyloroplastie), et viennent s'y ajouter la difficulté et la durée propre de cette technique.

La vagotomie postérieure associée à une séromyotomie antérieure est rapide et simple;


si elle est connue, il faut la réserver à un « ventre propre ».

735
Gastrectomie polaire inférieure emportant l'ulcère et vagotomie
tronculaire. Cette technique associe le minimum de récidives (< 1 %) au maximum de
morbidité et de mortalité (jusqu'à 15 % dans les interventions en urgence). Elle n'est utilisée
que lorsqu'elle est absolument nécessaire : hémorragie ulcéreuse associée, volumineux ulcère
calleux insuturable...

Indications. Plus la péritonite sera évoluée ou le terrain affaibli, plus les conditions
d'exercice (intervention, anesthésie, surveillance post-opératoire et réanimation...) seront
précaires, moindre sera l'expérience de l'opérateur en chirurgie digestive, et plus on
privilégiera une technique simple, « de sauvetage », ayant fait ses preuves. Le traitement de
fond sera alors reporté ultérieurement, dans d'autres centres de soins et avec des modalités
différentes.

C'est pourquoi, bien souvent dans ce contexte, il faudra choisir la suture simple
avec épiplooplastie, technique que nous allons maintenant décrire.

Rappel anatomique (Fig. 46.1)


Le tableau étant le plus souvent celui d'une péritonite accompagnée d'un
pneumopéritoine, le premier temps est de localiser la perforation, au terme d'une toilette et
d'une exploration soigneuse du contenu abdominal, étage par étage, organe par organe.

L'ulcère duodénal siège presque toujours sur la première portion. Dans l'étage sus-
mésocolique, après le pylore, celui-ci est parfois difficile à palper si les tissus sont très
inflammatoires, mais il est toujours bien repérable grâce à la veine pylorique transversale.
Situé avant le genu superius, le plus souvent dans la portion libre et plus rarement dans
la portion accolée, l'ulcère peut siéger au-delà, en D2, voire D3 ; il faudra alors s'attacher, en
post-opératoire, à rechercher une étiologie ulcérigène spécifique. Enfin, l'ulcère peut se
localiser sur la face duodénale antérieure, visible dès la libération de l'étage sous-hépatique,
sur un bord ou la face postérieure, contre le pancréas, accessible après ouverture de l'arrière-
cavité des épiploons. Le premier duodénum répond :

- en avant, à la vésicule à laquelle il est souvent uni par un voile péritonéal, le


ligament cystico-duodéno-colique que l'on libère, puis à la face inférieure du foie que l'on
relève à l'aide d'une valve souple et habillée ; enfin, à la paroi que l'on traverse : péritoine,
muscles larges et grands droits, tissu sous-cutané et peau ;

- en arrière, à la tête pancréatique à laquelle il est étroitement uni dans sa deuxième


portion. La limite est marquée entre duodénum et pancréas par le passage de l'artère
gastroduodénale, limite droite de la libération postérieure. C'est lorsque l'ulcère est postérieur
que le risque hémorragique est maximal (le repérage de l'artère n'est pas toujours aisé chez un
patient aux mésos gras ou en raison d'adénopathies rétro-duodénales) ;

- en dedans, au pylore et à l'antre gastrique qu'il poursuit en dehors et en arrière ;

- en dehors, à l'angle colique droit fixé au plan postérieur par le « ligament hépato-
colique » qui est en réalité représenté par l'accolement supéro-droit du Toldt droit et la corne
droite du grand épiploon ;

736
Figure 46.1 : Schéma de la région hépatique, foie relevé et estomac écarté, construit
sans l'axe osseux postérieur pour montrer le pédicule hépatique dans sa disposition modale
(D'après nos anciens des Troupes de Marines...). 1. vésicule biliaire ; 2. canal hépatique droit ;
3. canal hépatique gauche ; 4. artère hépatique propre ; 5. artère hépatique commune ; 6.
artère gastro-duodénale ; 7. artère splénique ; 8. artère coronaire stomachique ; 9. artère
pylorique ; 10. veine cave ; 11. tronc porte ; 12. cholédoque ; 13. artère mésentérique
supérieure ; 14. veine mésentérique supérieure ; 15. mésocôlon transverse droit ; 16.
mésocôlon droit ; 17. fascia de Toldt droit. La flèche noire indique le passage du hiatus de
Winslow, en arrière du bord libre du petit épiploon.

737
- en bas, à la partie droite de la racine du mésocôlon transverse barrant
transversalement la tête pancréatique (le mésocôlon participe aux accolements péritonéaux
masquant la perforation) et, surtout, à la papille duodénale au bord interne de D2,
normalement à distance mais pouvant être considérablement rapprochée et menacée en cas
d'ulcère ancien, calleux et de duodénum cicatriciel ;

-en haut et en arrière, enfin, au pédicule hépatique et, particulièrement au


cholédoque, menacé dans le traitement des ulcères supérieurs calleux.

L'intervention peut se faire par laparoscopie (non décrite ici) ou laparotomie. Celle-ci
peut être sélective par incision sous-costale droite, transversale..., mais ici elle sera toujours
médiane en tant que voie royale de l'urgence permettant toute la chirurgie abdominale.
Dans ce cas en particulier, la voie médiane permet de corriger le diagnostic (péritonite
appendiculaire, perforation d'un autre organe creux...) et de traiter la péritonite généralisée.

L'arrière-cavité des épiploons est abordée en effondrant la pars flaccida du


petit épiploon entre pédicule hépatique et petite courbure gastrique, en ouvrant entre ligatures
le ligament gastro-colique (en débutant à gauche dans la fenêtre avasculaire à la jonction du
ligament gastro-splénique).

Protocole opératoire
Le bilan pré-opératoire n'a rien de particulier. Le traitement médical que nous avons
cité plus haut est entrepris. Le malade est placé en décubitus dorsal, et on rase toute la région
thoraco-abdominale.

Intervention
L'anesthésie est générale, et le patient est intubé et ventilé. On pose une sonde naso-
gastrique et une sonde urinaire.

Le matériel comporte un cadre rigide que l'on place au-dessus des épaules, une boîte
de chirurgie abdominale (instruments longs), un rétracteur costal, un écarteur autostatique,
une valve de Leriche et une valve malléable, un bistouri électrique (si disponible...), un
aspirateur, du sérum physiologique (5 à 10 1), un chauffe sérum, des fils à résorption lente ou
à défaut non résorbables, des champs et des compresses qui seront comptés...

Premier temps : laparotomie


L'incision est médiane sus-ombilicale, agrandissable en para et sous-ombilicale
selon les besoins de l'exposition et surtout pour assurer une bonne toilette péritonéale.

Deuxième temps : exposition, exploration, toilette


Après ouverture péritonéale, on prélève du liquide et/ou du pus et on effectue une
première aspiration. On pose des champs de bordure sur la paroi et un écarteur autostatique.

738
On recherche alors la perforation, souvent évidente quand elle se localise sur la
face antérieure, après décollement prudent des adhérences péritonéales inflammatoires au
doigt, au tampon monté ou du plat des ciseaux, après ouverture de l'arrière-cavité parfois et
séparation qui doit être extrêmement prudente, sans section, des organes de
voisinage. Parfois aussi, on retrouve une autre localisation, en redressant le diagnostic !

La toilette est menée chemin faisant et complétée pour travailler « au propre » sur un
champ isolé.

Troisième temps : suture, épiplooplastie


Après ablation des fausses membranes, on expose les bords de la perforation ; celle-ci
est souvent punctiforme, presque toujours très régulière, « à l'emporte-pièce » ; il sera parfois
utile d'exciser légèrement les bords pour suturer en tissu plus sain.

La suture s'effectue par un ou plusieurs points séparés en X de fil lentement résorbable


monobrin 3/0 monté sur aiguille courbe, ronde, en suivant bien le mouvement au porte-
aiguille afin de prévenir les déchirures ; le nœud, peu serré, ne cherche qu'à affronter les
berges car les tissus sont inflammatoires et se déchirent facilement. Dans les grandes
perforations, la suture doit être transversale afin de prévenir une éventuelle sténose.

On réalise alors l'épiplooplastie, en fixant aux points séparés du même fil


l'épiploon appliqué sans traction en avant de la suture.

Il faut se souvenir ici que l'essentiel réside dans le diagnostic et le traitement de la


péritonite : la mise en aspiration gastrique qui doit être efficace et que l'on doit
surveiller, pourrait avoir autant d'efficacité, après lavage péritonéal, que la suture elle-
même : ceci ne signifie pas qu'on pourra s'en dispenser, mais bien qu'elle doit rester
anodine.

Quatrième temps : toilette, drainage, fermeture


Encore et toujours... la toilette doit être définitive et complète. Il faut retirer les
fausses membranes, mais avec douceur et à condition de ne pas créer de lésions intestinales
iatrogènes ; il faut explorer tous les pièges septiques, dans les deux hypochondres, les
gouttières pariéto-coliques, le Douglas, la région méso-cœliaque... ; il faut, si nécessaire,
multiplier les prélèvements ; enfin, il faut poursuivre la lavage jusqu'à ce qu'on aspire une eau
de lavage parfaitement claire...

On pose un drainage par lames de Delbet ressortant par quatre contre-incisions des
flancs : supérieure droite (lame double sus- et sous-hépatique), inférieure droite (gouttière
pariéto-colique et Douglas), inférieure gauche (comme à droite), supérieure gauche
(hypochondre gauche).

La fermeture est souhaitable, mais non obligatoire pour le péritoine. Elle doit être
particulièrement soigneuse au niveau de la ligne blanche, lâche pour le tissu sous-cutané, et
très lâche, voire absente pour le plan cutané si la péritonite était évoluée (la cicatrisation

739
secondaire se fera alors rapidement et dans d'excellentes conditions, alors que l'abcès pariétal
conduira très souvent à l'éventration, voire à l'éviscération).

Incidents peropératoires
Parfois, rarement en fait, la suture peut se révéler difficile sur des perforations
énormes qui pourraient faire discuter une gastro-entéro-anastomose... Plus souvent, on
rencontre des incidents liés au lavage : dépéritonisation intestinale, voire effraction complète
à bien reconnaître et réparer par des points séparés extra-muqueux ; décapsulations
hépatiques et, surtout, spléniques qu'il vaut mieux prévenir par la douceur que traiter par
tamponnement (cinq minutes minimum) ou les moyens disponibles de conservation, voire
parfois par... splénectomie d'hémostase ! Ne pas méconnaître une suture qui aurait intéressé le
cholédoque ou la papille (cholangiographie ou injection de bleu de méthylène dans les voies
biliaires au moindre doute).

Soins post-opératoires
Ils comportent une réhydratation parentérale, une antibiothérapie probabiliste type «
pénicilline-métronidazole » que l'on adaptera si possible par la suite et un traitement
antiulcéreux. La sonde gastrique est retirée à la reprise du transit, et l'alimentation orale
reprise vers le cinquième jour.

Les drains sont progressivement retirés à partir de la 48e heure.

La surveillance est essentiellement clinique : température, pouls, pression artérielle,


surveillance abdominale, reprise du transit, aspiration gastrique examinée et quantifiée,
diurèse, contrôle des liquides de drainage et de la plaie de laparotomie. Si nécessaire (et si
possible), on s'aidera de la biologie classique.

Complications post-opératoires
Précoces, il peut s'agir de la persistance d'un foyer septique intra-abdominal et de la
constitution d'une péritonite post-opératoire diffuse ou localisée (abcès sous-phrénique).
Secondairement, une éventration sur la cicatrice de laparotomie peut se constituer.

Enfin, tardivement, les complications dépendent essentiellement de l'évolution de la


maladie ulcéreuse...

Conclusion
Même si la perforation peut être la dernière manifestation d'une maladie ulcéreuse qui
ne se manifestera plus, il est certain que la suture simple ne met pas à l'abri d'une récidive (40
% environ des cas). Elle est cependant toujours réalisable, même en situation précaire et y
compris devant une péritonite évoluée. C'est un geste salvateur, simple, de chirurgie générale.

740
Colostomie pour plaie de guerre
du côlon gauche

A. CALLEC, L. CADOR

Evacué de la zone des combats où il avait été blessé cinq heures auparavant, cet
homme de 24 ans présente un faciès grisé et un état de choc objectivé par une pression
artérielle pincée à 916, un pouls à 120. L'examen clinique met en évidence une contracture
abdominale généralisée, une plaie punctiforme (orifice d'entrée) au bord externe du grand
droit gauche, une plaie anfractueuse (orifice de sortie) de la fosse lombaire gauche par où
s'écoulent des matières fécales. La radiographie de /'abdomen sans préparation ne retrouve
pas de lésions osseuses, pas de corps étranger décelable. La radiographie pulmonaire est
normale.
Chaque fois que les conditions le permettent, il faut considérer qu'une plaie de
l'abdomen est pénétrante jusqu'à preuve chirurgicale du contraire ; l'une des raisons d'être de
cet aphorisme réside dans la crainte de laisser évoluer une lésion d'organe creux source de
péritonite secondaire d'évolution redoutable. La même crainte fera de principe entreprendre
des gestes connus pour être rapides et sûrs, même chez des sujets dont les défenses naturelles
paraissent saines ; c'est ce qu'illustrera cet exemple.

Diagnostic
Ici, il est malheureusement trop évident dès l'examen clinique, qui permet de noter :

- la plaie abdominale, en mettant en évidence les orifices d'entrée et de sortie ; la


reconstitution mentale du trajet est d'autant plus aisée que l'issue de matières fécales signe la
plaie colique ;
- le retentissement péritonéal, en raison de la contracture abdominale généralisée ;
- le syndrome général, en raison du choc, hémorragique ou septique, déjà installé ;

La lésion abdominale est apparemment isolée car un examen rapide de l'ensemble


des appareils, complété par deux clichés simples a permis d'éliminer une lésion squelettique
associée, un trajet complémentaire borgne, une plaie thoraco-abdominale (extrêmement
fréquente).

Réanimation et traitement médical


Débutée dès l'arrivée du blessé, le traitement médical comporte :
- un prélèvement d'échantillons sanguins (en fonction des possibilités du laboratoire
d'urgence) ;
- la pose de deux bonnes voies veineuses, par où seront perfusés les liquides de
remplissage, voire le sang (dont la compatibilité a été vérifiée) ;

741
- une antibiothérapie systématique couvrant les anaérobies (association classique
pénicilline -métronidazole) ;
- l'administration d'oxygène au masque ;
- la prophylaxie antitétanique ;
- un sondage urinaire à demeure (contrôle des urines, d'emblée, puis de la diurèse lors
de la réanimation).

Évolution
La péritonite stercorale provoquée par la rupture, en plein ventre, des tuniques
coliques est d'emblée très septique, la plus septique des péritonites en un temps, et son
évolution spontanée est rapidement fatale par choc infectieux et défaillance multiviscérale.

À cette contamination endogène s'associe, bien entendu, la contamination exogène par


l'agent vulnérant et, surtout, d'autres lésions, quasiment obligatoires, au minimum
hémorragiques par atteinte des mésentères. Pour simplifier, nous considérerons ici que la
lésion colique est isolée et citerons simplement, dans le rappel anatomique, les associations
les plus fréquentes.

Il faut se souvenir qu'en dehors de l'hémorragie active, toutes les autres lésions intra-
abdominales ont des conséquences immédiates moins graves que la péritonite stercorale dont
le traitement est urgent.

Traitement
But
Le but du traitement est d'interrompre l'évolution septique et de réparer les lésions. Il
faut donc faire un bilan lésionnel complet, réparer les lésions mises en évidence, nettoyer,
parer et drainer les espaces clos.

Moyens
Médicaux
La réanimation et l'antibiothérapie encadrant l'acte opératoire sont indispensables mais
insuffisantes en elles-mêmes ; en d'autres termes, on ne peut pas commencer l'intervention
avant qu'elles ne soient entreprises, même a minima, sous peine de risquer un choc
irréversible, mais il ne faut, à aucun prix, qu'elles retardent l'intervention, sous peine de
risquer des défaillances irrémédiables.

Chirurgicaux
Laparotomie exploratrice

Elle devra, pour mériter ce qualificatif, obéir à au moins deux impératifs :

- être large et, le cas échéant, agrandissable ;


- permettre une exploration complète de l'abdomen, étage par étage, organe par
organe, ne négligeant pas, au moindre doute, les zones d'accolement (fascia de Toldt gauche,
etc.).

742
Traitement des lésions coliques
Le parage est effectué, comme toujours, jusqu'en zone saine.
Ici, la péritonite est évidente, mais aussi la lésion du côlon gauche, qui en contexte de
guerre, fait formellement proscrire le rétablissement immédiat de la continuité.
Il faut donc ici recourir à des dérivations externes, sans suture intra-péritonéale. Il en
existe plusieurs types :

- anus sur baguette extériorisant une plaie punctiforme ;


- dérivation terminale en canon de fusil (Bouilly-Volkmann) ;
- dérivation terminale et fermeture de l'extrémité distale, si elle est trop courte pour
traverser le plan pariétal : c'est le principe de l'intervention de Hartmann.

Les autres lésions sont traitées aussi complètement que possible.

Il faut ensuite assurer le lavage péritonéal, dont l'efficacité ne dépend pas tellement
de la nature du produit utilisé (sérum physiologique à bonne température), ni de sa vigueur
vis-à-vis des fausses membranes (attention aux effractions passées inaperçues) mais de son
abondance : 4, 6, 10 litres... jusqu'à obtention d'un liquide d'aspiration parfaitement
clair.

Le drainage doit être systématique, et concerner les quatre quadrants, en gardant le


souci de l'économie pariétale (plaie opératoire, orifices projectilaires, orifice de stomie,
orifices de drainage...) et de la gestion des pansements postopératoires...

Enfin, il faut parer le trajet projectilaire.

Indication
L'intervention est bien entendu ici impérative, ne souffrant pas d'équivoque, mais il
faut rappeler, pour les cas moins évidents :

- que le dogme de l'intervention systématique devant une plaie de l'abdomen, parfois


remis en cause dans les modernes Trauma Centers, est d'autant plus intangible que les
conditions d'exercice sont plus précaires, c'est-à-dire que les moyens d'investigation sont
pauvres et que la surveillance est limitée tant dans le temps que dans son acuité. La seule
limite, de bon sens, à cette règle, réside dans l'afflux massif et l'impossibilité matérielle de
tout faire ;

- qu'il faut garder à l'esprit les pièges représentés par les associations lésionnelles
(brûlures étendues, traumatisme thoracique ou crânien, fracas de membre...) qui retiennent
toute l'attention et risquent de faire méconnaître une lésion abdominale dont l'évolution
secondaire pourra faire le pronostic ;

- qu'il ne faut pas méconnaître un trajet qui peut paraître aberrant : plaie abdominale
dont l'orifice d'entrée se situe au cou, à la racine de la cuisse, etc. Chez un sujet alité, une
plaie du dos par exemple peut ne pas être détectée par un examen superficiel !

743
L'intervention est ici une première urgence, même en l'absence de phénomènes
hémorragiques patents. Elle doit être effectuée théoriquement dans les six heures, dès mise en
route de la réanimation.

Le type d'intervention dépend bien sûr des lésions existantes, mais elle comprendra
certainement, une dérivation externe.

L'installation sera classique, malade en décubitus dorsal, anesthésie générale,


intubation trachéale, ventilation assistée, sonde gastrique, piquets ou cadre rigide au-dessus
des épaules.

Le matériel nécessaire consiste en une boîte de chirurgie courante (de « paroi »), une
boîte de chirurgie abdominale, comportant des instruments longs et atraumatiques, des valves
longues, des écarteurs autostatiques (rétracteur costal, Ricard ou Gosset...), des clamps
digestifs. Une boîte « vasculaire » doit être disponible dans la salle. Il faut également disposer
d'un chauffe-sérum, d'un aspirateur, d'un bistouri électrique, de fils monobrin lentement
résorbables Dec. 2 montés sur aiguilles courbes rondes, de champs et compresses qui doivent
être comptés.

Rappel anatomique
Avant d'entreprendre une telle intervention, il faut bien évidemment connaître les
voies d'abord et les cheminements. Nous nous centrerons ici plus particulièrement sur le
côlon gauche.

Situation
Aisément reconnaissable par ses bandelettes longitudinales (trois, puis deux pour le
sigmoïde) et à ses haustrations, le côlon gauche débute au tiers gauche du transverse, là où se
rejoignent théoriquement les vascularisations coliques droite et gauche ; il monte ensuite
rapidement et très haut dans l'hypochondre gauche (à hauteur de D12, soit de la traversée
diaphragmatique par l'aorte), où il forme l'angle colique gauche aigu et fixe, pour se diriger
verticalement vers le bas (côlon iliaque), postérieur dans l'abdomen, puis latéro-vertébral,
jusqu'au bord interne du psoas où il croise les vaisseaux iliaques et donne naissance à la
boucle sigmoïdienne de taille et de forme variables. Il se termine à la jonction recto-
sigmoïdienne, sur la ligne médiane, sous le promontoire, à hauteur de la deuxième ou
troisième pièce sacrée.

Vascularisation (Fig. 47.l)


Elle est assurée en totalité par l'artère mésentérique inférieure. Née de l'aorte en L3,
derrière le troisième duodénum, elle fournit :

- l'artère colique supérieure gauche à destination de l'angle, et qui se divise en deux


branches. La supérieure va s'anastomoser à plein canal par l'arcade de Riolan avec
l'homologue droite de la colique supérieure droite ou de l'inconstante colica média ; il est
important de retenir que cette anastomose elle-même est inconstante, et que sa présence et
son efficacité doivent être contrôlées si on lie l'artère colique supérieure gauche ;

744
- le tronc des sigmoïdiennes, divisé, à son tour, en trois branches réunies entre elles et
à l'artère de l'angle par une arcade vasculaire qui se prolongera par la sigmoïda ima vers le
rectum ;
- une branche terminale, l'artère hémorroïdale supérieure qui chemine en avant de la
bifurcation aortique puis de la veine iliaque primitive gauche, vers le méso-rectum.

De l'arcade vasculaire, naissent :

- des vaisseaux courts irriguant un petit territoire intestinal para-mésentérique ;


- des vaisseaux longs, cheminant dans le pied des appendices épiploïques (qui doivent
être respectés lors du « dégraissage » intestinal au niveau de la future coupe) ; ils
vascularisent un territoire intestinal pyramidal à sommet mésentérique, d'où le risque de
nécrose du bord libre après leur lésion.

Il faut enfin se souvenir que la veine mésentérique inférieure suit le bord externe du
quatrième duodénum pour se jeter, dans la circulation porte, en arrière du pancréas dans la
veine splénique.

745
Fixité (Fig. 47.2)
Dans notre cas, chacune des trois portions coliques, transverse et sigmoïdienne peut
être intéressée par le trajet projectilaire.

En effet, deux portions sont mobiles, d'autant plus qu'elles sont plus « dolicho » et que
leur méso est développé et souple, circonstance habituelle chez le sujet noir :
- le transverse est relié au plan postérieur par le mésocôlon transverse dont la racine
barre transversalement l'abdomen de droite à gauche et de bas en haut, en suivant, à gauche,
le bord inférieur du pancréas. Il est, encore, relié à l'estomac par le ligament gastrocolique lui-
même poursuivi en avant et en dessous du transverse par le tablier épiploïque (décollement
colo-épiploïque possible menant à l'arrière-cavité des épiploons) et poursuivi, en haut et à
gauche, par le ligament gastro-splénique ;

746
- le sigmoïde, plafond du petit bassin, sur lequel il s'étale, est relié au plan postérieur
par son méso, à deux racines formant un angle dièdre ouvert en bas, en arrière et à gauche ; la
racine secondaire suit, classiquement, le bord interne du psoas (vaisseaux iliaques gauches) ;
la racine primitive, verticale et médiane se termine, avec le méso, à la jonction recto-
sigmoïdienne, en avant du sacrum.

Une portion est fixe, la portion descendante, iliaque, par l'accolement du mésocôlon
gauche (fascia de Todt gauche), classiquement de l'angle en haut au bord interne du psoas en
bas. Devant une plaie de ce segment, il faut bien entendu, chercher l'orifice de sortie jusqu'en
arrière, dans la zone accolée ; plus traître, encore, sont les rares plaies coliques entièrement
extra-péritonéales, dans la zone d'accolement, évoluant vers de redoutables cellulites

747
rétropéritonéales si elles sont méconnues par abstention chirurgicale (ventre « silencieux »)
ou par défaut d'exploration. Le décollement et l'ouverture de l'espace ne sont pas anodins lors
d'une péritonite putride, mais ils seront cependant nécessaires dans une deuxième
circonstance, fréquente, à savoir la nécessité de mobiliser le côlon en amont de la plaie pour
l'amener à la paroi. Cette mobilisation peut ou non intéresser l'angle gauche, partie la plus
fixe, par l'association de l'accolement de Todt, de la corne gauche du grand épiploon et du
sustentaculum lienis ; nous verrons comment réaliser ce décrochage sans risque pour les
organes de voisinage.

Rapports (Fig. 47.3)


À l'étage sus-mésocolique, le côlon gauche est en rapport avec l'estomac, par
l'intermédiaire du ligament gastrocolique. La rate, « assise » sur l'angle gauche, est l'un des
rapports chirurgicaux réellement dangereux, a fortiori s'il existe une splénomégalie avec rate
fragile, fréquente en milieu tropical.

À l'étage sous-mésocolique, le côlon est en rapport avec le grêle et le mésentère en


dedans. En bas, la vessie est coiffée par le sigmoïde et le rectum (et bien sûr par l'utérus et les
annexes chez la femme).

Dans le rétro-péritoine, le côlon contracte des rapports :

- avec le rein gauche (la surrénale au bord interne de son pôle supérieur) ;
- avec le corps et la queue pancréatique, formant la paroi postérieure de l'arrière-
cavité des épiploons ;
- avec l'uretère gauche et les vaisseaux spermatiques en arrière du mésocôlon, proches
de la veine mésentérique inférieure ;
- avec les gros vaisseaux centraux, mais surtout les vaisseaux iliaques gauches croisés
par l'uretère avant leur bifurcation ;
- avec des nerfs, des lymphatiques, des espaces celluleux...

Enfin, il établit des rapports pariétaux avec, d'arrière en avant, la colonne lombaire, les
dernières côtes, les muscles para-vertébraux et de la sangle abdominale, le tissu sous-cutané,
la peau...

C'est sur la base de ces rapport que l'on pourrait élaborer le catalogue des associations
lésionnelles qu'il est inutile de réciter : le dénominateur commun reste l'impérieuse nécessité
d'une réparation chirurgicale d'urgence...

Intervention
Premier temps : incision
En matière de chirurgie colique, quelques voies d'abord peuvent se discuter
(horizontales, latérales, cœlioscopiques et surtout médianes) mais, en matière de péritonite et
d'urgence en général, la médiane doit rester la référence, d'autant qu'ici le lavage doit être
soigneux et que l'exploration peut conduire à un geste dans l'hypochondre gauche ou dans le
bassin.

748
La seule discussion porte sur l'utilisation éventuelle de la plaie traumatique. Dans
notre cas, elle est trop latéralisée pour être comprise dans l'abord ; il ne faut cependant pas
l'oublier au cours de la « gestion pariétale », essentielle dans cette pathologie.

L'abord se fait donc par une large voie médiane, à cheval sur l'ombilic, voire une voie
xypho-pubienne. Après hémostase correcte de l'abord qui sera rapidement protégé par des
champs secs ou, s'ils sont disponibles des champs imperméables, on ouvre prudemment le
péritoine.

Deuxième temps : exploration


Elle est initialement rapide pour réaliser dans l'ordre hémostase et coprostase
provisoire : il s'agit à ce stade de tarir simplement une hémorragie active ou réveillée par la
mobilisation viscérale (pince sur un vaisseau isolé, clamp sur un pédicule complet ou d'abord
dangereux, champ tassé sur une zone de décollement, un parenchyme) et d'occulter une plaie
viscérale par un clamp intestinal, voire une suture grossière, l'application d'une pince à
viscérosynthèse...

Ensuite, on effectue un lavage abondant et on reprend systématiquement l'exploration


dans les deux étages et sur chaque organe.

On supposera, ici, que la lésion du côlon iliaque est isolée et complexe.

Troisième temps : exposition


Avec les champs de bordure, on met en place des écarteurs autostatiques avec
rétraction costale vers le haut et la gauche.

Par des champs abdominaux, on protège et on refoule les zones ou organes non
concernés par la réparation : hypochondre gauche, petit bassin, grêle.

Quatrième temps : exérèse colique


La coprostase est assurée, en amont et en aval, par des clamps souples ne débordant
pas le mésentère.

Pour réaliser ce geste, et pour les temps suivants, il faut décoller, au moins
partiellement, le mésocôlon. Ce décollement est mené sous protection temporaire de la zone
blessée par des champs ou compresses, en tendant de la main gauche le côlon iliaque vers
l'intérieur et le haut et en sectionnant le péritoine dans la gouttière pariéto-colique depuis la
terminaison de la racine secondaire du méso-sigmoïde, en direction de l'angle gauche. Le seul
risque lors de ce décollement est de s'égarer en arrière du rein dont on palpe parfaitement la
convexité.

On contrôle la qualité de l'arcade vasculaire en évaluant ses battements et on repère


les troncs principaux (artère colique supérieure gauche et première sigmoïdienne) afin de
s'assurer de l'excellente vascularisation des segments coliques restants ; les lieux de section
sont alors déterminés, en tenant compte de deux impératifs : d'une part le parage doit être
correct, d'autre part il faut respecter les impératifs vasculaires que nous venons de décrire.

749
Le méso est ensuite sectionné progressivement entre ligatures (hémostase préventive)
sans chercher à s'éloigner de l'intestin.

On « dégraisse » alors prudemment les appendices épiploïques au niveau des futures


zones de section, en se souvenant de l'importance des vaisseaux droits.

L'intestin est sectionné franchement aux ciseaux droits, puis on extrait la pièce
opératoire.

Il faut alors fermer provisoirement les deux tranches de section :

- le plus simple, est d'effectuer un surjet rapide de fil monobrin dont les bouts sont
gardés longs pour la traversée pariétale ;
- la pince à viscérosynthèse (avant section) est très pratique, ainsi que le classique
écraseur de De Martel lorsqu'on en dispose.

Une autre possibilité est d'utiliser un simple clamp si on envisage d'appareiller


d'emblée la stomie, mais nous choisissons, ici, l'ouverture secondaire.

Une fois ces temps réalisés, il faut refaire une nouvelle toilette péritonéale très
complète, d'abord dans la zone opératoire protégée, puis dans l'ensemble de l'abdomen ; on
utilisera ensuite des instruments « propres ».

Cinquième temps : colostomie


Le segment d'amont demandera, sûrement, à être mobilisé davantage avec décrochage
de l'angle gauche ; ce geste est aisé après d'une part le décollement du Toldt gauche, déjà
effectué, d'autre part, la libération du jambage ascendant de l'angle par un décollement
épiploïque gauche mené de droite à gauche jusqu'à proximité de l'angle. Il ne reste qu'à saisir
les deux jambages dans la main gauche et sectionner, en assurant quelques hémostases, les
voiles qui se tendent au ras du côlon, la rate s'éloignant ainsi rapidement.

Le segment d'aval, ici très long, devra également être abouché à la peau ; cela présente
le double avantage d'éviter toute suture intra-péritonéale et de faciliter le temps secondaire de
rétablissement de la continuité.

Enfin, dans un souci d'économie pariétale, on s'efforcera, si possible de réaliser une


seule stomie qui sera donc un abouchement en « canon de fusil ».

Lorsque les segments coliques sont suffisamment mobiles pour traverser sans tension
la paroi à l'endroit souhaité, on les adosse sur 3 à 4 cm par des points d'affrontement séro-
séreux (Fig. 47.4).

Le choix du site de l'orifice cutané est important pour l'appareillage : il doit être à
distance des reliefs osseux, de l'ombilic et des plis abdominaux ; il pourra être judicieux,
cependant, d'utiliser l'orifice d'entrée, paré, comme orifice de stomie ou, à défaut, comme
orifice de drainage.

Quel que soit le site, il faut retirer une pastille cutanée de 15 mm de diamètre environ,
reconnaître l'aponévrose du grand oblique, l'inciser en croix ou retirer la même pastille,

750
dilacérer, dans le sens de leurs fibres, petit oblique et transverse et franchir directement le
péritoine sans trajet sous-péritonéal car il s'agit, ici, d'une stomie provisoire.

Les deux extrémités coliques sont extériorisées par cet orifice qu'elles doivent
dépasser d'un bon centimètre et fixées, dans cette position, par quelques points de fil
lentement résorbable, d'une part au péritoine, par en dedans, d'autre part, à l'aponévrose, par
en dehors ; deux ou trois points sur chaque moignon peuvent encore être noués à la peau, à 1
cm au moins de leur terminaison.

Sixième temps : toilette, drainage, fermeture


Après une dernière toilette, l'hémostase est soigneusement contrôlée et les drains sont
mis en place par au moins deux contre-incisions déclives (utilisation ou non de l'orifice
postérieur à gauche) de type lames de Delbet dans les deux gouttières pariéto-coliques, en
direction du Douglas, dans l'hypochondre gauche et dans l'hypochondre droit en sus- et sous-
hépatique.

La fermeture, après une péritonite, doit être particulièrement soigneuse sur le plan
fascio-musculaire, et particulièrement lâche, voire absente sur le plan cutané, évitant surtout
les espaces clos sous-cutanés source d'infection pariétale.

751
Septième temps : parage complémentaire
Si cela n'a pas déjà été effectué, il faut parer les orifices d'entrée et de sortie. Le
parage doit être économique au plan cutané, large au plan graisseux et aponévrotique, et aller
jusqu'en zone rouge au plan musculaire.

On pose ensuite un drainage large et/ou un pansement à plat ; jamais de


fermeture primitive.

Complications opératoires et variantes


Menée selon ce protocole, cette intervention comporte peu de complications.

On peut tenter de traiter une éraflure splénique par les petits moyens (tamponnement
prolongé...). Malheureusement, il faut bien souvent se résoudre à sacrifier la rate quand les
conditions de surveillance postopératoire ou l'état du patient sont précaires.

Mais cette intervention comporte surtout une multitude de variantes, qui dépendent
des lésions rencontrées :

- variantes dans l'utilisation des parages pour l'abord, la stomie ou le drainage ;


- variantes dans la confection de la stomie selon le niveau et le type lésionnel. Une
lésion punctiforme dans une zone mobile ou mobilisable peut être simplement extériorisée sur
baguette, sans exérèse colique (Fig. 47.5). Le rétablissement de continuité en sera facilité , et
sera parfois même spontané après retrait de la baguette. À l'inverse, une lésion sigmoïdienne

752
peut être assez basse pour interdire l'abouchement du moignon distal : on utilise alors
l'intervention de Hartmann, par suture soigneuse de ce moignon paré à l'aide de monofil
extra-muqueux en surjet ou points séparés (pince à viscérosynthèse...) ;
- variantes dans l'association lésionnelle : il peut s'agir de lésions mésentériques
hémorragiques difficiles à contrôler chez l'obèse, de lésions rénales ou spléniques
hémorragiques imposant une hémostase première d'extrême urgence, de lésions des vaisseaux
iliaques, plus rares, mais gravissimes, de la lésion « habituelle », simultanée du grêle, traitée
par parage-suture simple ou résection-anastomose, d'une lésion gastrique traitée par parage-
suture, de lésions osseuses nécessitant un parage large, une esquillectomie, un drainage, etc. ;
- ouverture d'emblée de la stomie, en fin d'intervention, en ourlant à la peau, de
manière « étanche », la muqueuse colique ;
- absence de drainage, ou drainage simple, si l'intervention, suffisamment précoce et le
lavage laisse un abdomen parfaitement propre, d'aspect normal et une hémostase
parfaite.

753
Soins post-opératoires (Ftg. 47.6)
Ils portent sur plusieurs points :

- poursuite de l'antibiothérapie, de la réanimation hydroélectrolytique ;


- prévention classique des complications thromboemboliques ;
- appareillage de la stomie qui est ouverte, au lit, à la 48e heure par simple résection
de la suture colique extériorisée ;
- pansement ou, mieux, appareillage des orifices de drainage ;
- kinésithérapie respiratoire.

La surveillance est également multiple :

- surveillance des constantes vitales : pouls, pression artérielle, température, diurèse ;


- surveillance de la reprise du transit (la sonde gastrique n'est pas indispensable mais,
en l'absence de reprise du transit, son débit est un bon indicateur d'un problème septique intra-
abdominal) ;
- surveillance de la plaie médiane, retrait des fils vers le huitième jour ;
- surveillance des drains, mobilisés à partir du deuxième jour ;
- surveillance et pansement des plaies parées.

Le lever doit être précoce et l'alimentation est autorisée dès la reprise du transit.

Complications post-opératoires
Liées à l'acte opératoire. Elles n'ont rien de spécifique : éviscération, éventration
secondaire, occlusion post-opératoire comme toute chirurgie abdominale, et complications
liées aux éventuels gestes associés.
Liées à la pathologie. Elles dépendent de l'évolution des plaies et de la précocité de la
prise en charge de ce sepsis majeur ; le rétablissement de continuité est, dans l'idéal, à
reporter à trois mois de l'intervention initiale, mais il est parfois possible dès quinze jours.
Liées au terrain. Elles sont très variées : tout sépare l'état général d'un combattant
sélectionné et entraîné et le sujet fatigué et dénutri. Il faut tenir compte des tares individuelles,
des pathologies tropicales intriquées, etc.

Conclusion
Les conditions de précarité doivent faire respecter, plus que jamais, les dogmes de
sécurité de la chirurgie de guerre.

Il existe une limite admise à ce dogme, compte tenu des contraintes techniques
(difficultés d'appareillage...) ou des réticences culturelles : si, et seulement si, le péritoine est
propre (blessure vue tôt, lavage complet et efficace...), l'anastomose d'emblée est concevable
pour le côlon droit (soit jusqu'à la moitié du transverse).

754
Hernie inguinale étranglée

TH. BOULANGER

Homme de 60 ans, bon état général, porteur d'une hernie inguinale droite ancienne,
se présentant avec un tableau associant douleur de l'aine droite, arrêt des matières et des gaz
depuis 12 h, vomissements. ASP : niveaux hydro-aériques du grêle.

Toute hernie diagnostiquée doit être opérée pour éviter d'avoir à intervenir en
urgence à l'occasion de ses complications, dont la plus fréquente est l'étranglement.

Diagnostic
II est évoqué par la clinique :
- hernie inguinale droite connue ;
- douleur récente avec vomissements, arrêt des matières et des gaz depuis 12 h ;
- à l'examen, tuméfaction inguinale droite qui n'est plus expansive à la toux, plus
réductible et dont le collet est hyperalgique ;
- l'ASP confirme l'occlusion avec présence de niveaux hydro-aériques du grêle ;
- le bilan biologique va guider la réanimation de cette occlusion intestinale aiguë :
ionogramme sanguin, NFS, etc.

Physiopathologie
II existe une zone de faiblesse dans la paroi abdominale au niveau du canal inguinal.
Le sac péritonéal refoule devant lui le fascia transversalis et le traverse. Le sac herniaire ainsi
constitué peut contenir de l'épiploon, du grêle, une corne vésicale, du côlon, etc.

Dans le cas d'une anse grêle, par exemple, l'anneau fibreux du collet peut étrangler la
base du sac, avec stase puis oblitération vasculaire, à l'origine d'ischémie et de nécrose de
l'anse intestinale. L'évolution se fait vers la péritonite par perforation.

L'interruption du transit est à l'origine d'une distension intestinale d'amont avec son
retentissement propre : déshydratation, défaillance cardio-vasculaire, rénale.

Toute hernie étranglée doit être opérée en urgence.

Traitement
Buts
II faut d'une part lever l'occlusion et traiter sa conséquence, et traiter la hernie pour
éviter la récidive.

755
Moyens
Une part du traitement est médicale, avec réanimation et mise en place de voies
veineuses pour la réhydratation et d'une sonde nasogastrique dans l'attente du traitement
chirurgical.

Taxis : à proscrire à cause du risque de réintégrer une anse sphacélée.

Mais le traitement curatif est chirurgical, d'abord par résection-anastomose d'une


éventuelle anse intestinale sphacélée, puis par cure de la hernie proprement dite. Dans la
hernie étranglée, les renforts prothétiques sont contre-indi-qués, en raison du risque septique,
et on effectue la réfection pariétale par des procédés de pariétorraphie (intervention de
Bassini, d'Adson-Mac Vay, de Shouldice, etc.).

Nous choisirons, ici, le procédé de Bassini, car il est plus simple à appréhender pour
des chirurgiens non rompus à la chirurgie herniaire ; la meilleure technique peut aussi être
celle que l'on connaît le mieux...

756
Rappel anatomique (Fig. 48.1,48.2 et 48.3)
Plans pariétaux
De la superficie vers la profondeur, les plans successifs sont la peau et le tissu
cellulaire sous-cutané, puis l'aponévrose du grand oblique. À son niveau, on peut facilement
palper l'orifice superficiel du canal inguinal, point de « sortie » du cordon spermatique.

Après incision de l'aponévrose du grand oblique, la dissection du lambeau inférieur


permet d'exposer l'arcade crurale (ou ligament inguinal) et, sous le lambeau supérieur, on
aperçoit le plan musculaire du petit oblique et du transverse (tendon conjoint) qui sont plus ou
moins étoffés.

On aborde ainsi le plan de l'orifice profond du canal inguinal décalé en haut et en


dehors par rapport à l'orifice superficiel. Du petit oblique s'échappent les fibres musculaires
des crémasters qui entourent la fibreuse du cordon.

Plus en profondeur, on observe le fascia transversalis fermant l'orifice musculo-


pectinéal. Normalement véritable barrage s'opposant à la poussée abdominale, il est ici plus
ou moins distendu selon le volume herniaire. Une évagination du fascia transversalis et du
transverse constitue la fibreuse commune du cordon dans laquelle s'engagent pédicule
spermatique et déférent.

Le franchissement du fascia transversalis permet d'accéder à l'espace sous-péritonéal


de Bogros dont la graisse jaune vif est reconnaissable. En refoulant cette graisse, on reconnaît

757
les vaisseaux iliaques externes et épigastriques (à ne pas blesser) en dehors, et le ligament de
Cooper en dedans.

Cordon spermatique
II est constitué par la réunion, au niveau de l'orifice profond, du canal inguinal, des
éléments du pédicule spermatique, du canal déférent, des vaisseaux déférentiels et
éventuellement d'un sac herniaire (cas de la hernie oblique externe).

Ces éléments sont enveloppés dans la fibreuse du cordon, sur laquelle cheminent les
nerfs petits et grands abdominaux génitaux à ménager.

Protocole opératoire
Préparation pré-opératoire
L'intervention doit être effectuée en urgence, après bilan pré-opératoire et
rééquilibration hydroélectrolytique.

Intervention
Elle s'effectue chez un malade en décubitus dorsal, sous anesthésie générale ou
locorégionale, voire locale.

758
Le matériel comporte un écarteur de Beckmann, des clamps intestinaux, un lac, des
fils à résorption lente et des fils non résorbables.

L'opérateur se place à droite, un aide lui faisant face.

Premier temps : incision


Rarement la voie d'abord est une médiane sous-ombilicale que l'on peut décider
d'emblée devant un étranglement ancien avec constitution d'un phlegmon herniaire ; dans ce
cas, exceptionnel, la résection-anastomose est faite par voie intrapéritonéale. On peut
également décider d'y recourir en cours d'intervention, quand la voie de kélotomie se révèle
inadaptée (anse difficilement résécable ou réduite accidentellement pendant l'abord et dont on
ne peut apprécier la vitalité) ou si l'on découvre une complication intra-abdominale
(perforation au collet, en amont, etc.).

Le plus souvent on effectue une kélotomie après repérage de l'épine pubienne (EP), de
l'épine iliaque antéro-supérieure (EIAS) et du bord externe du muscle grand droit. L'incision
classique de kélotomie est la bissectrice entre ce bord externe et la ligne de Malgaigne
unissant les deux premiers repères (EP et EIAS).

On incise le tissu cellulaire sous-cutané jusqu'à l'aponévrose du grand oblique.

Deuxième temps : exposition des lésions


On observe alors la hernie qui fait issue par l'orifice superficiel du canal inguinal. Lors
de l'ouverture de ce dernier, il faut éviter deux dangers :

- ne pas laisser échapper l'anse intestinale étranglée pour pouvoir apprécier son état
lors de l'ouverture du sac ;
- ne pas blesser les nerfs abdomino-génitaux.

On ouvre alors l'aponévrose du grand oblique, dans le sens des fibres, en débutant à la
partie moyenne de l'incision par une petite moucheture, par laquelle on glisse les ciseaux sous
l'aponévrose, en direction de l'orifice inguinal. La section s'effectue alors sans risque, en
maintenant la hernie.

Le cordon spermatique est repéré, disséqué de la hernie et mis sur un lac.

On ouvre alors prudemment le sac herniaire après avoir posé des champs protecteurs
de part et d'autre. Le contenu herniaire doit être maintenu fermement mais de façon
atraumatique. On repère alors le collet que l'on sectionne, ce qui permet d'exposer
l'anneau d'étranglement et les quelques centimètres d'amont et d'aval sur l'intestin. Le plus
souvent, le collet fibreux responsable de l'étranglement participe de la paroi musculaire et du
sac péritonéal lui-même, par un anneau scléreux qu'il faut fendre.

Troisième temps : bilan et traitement des lésions


Ils dépendent du contenu herniaire. S'il s'agit d'épiploon, il faut le réséquer entre
ligatures. S'il s'agit d'anse grêle, la conduite à tenir dépend de sa vitalité ; si elle est viable,
elle est réintégrée. Si elle est douteuse, il faut apprécier son état. On la met dans un champ

759
humide chaud et, après quelques minutes, si elle se recolore et si on perçoit les battements
artériels dans le mésentère, elle est réintégrée. Sinon, ou si elle est d'emblée nécrotique ou
perforée, elle est réséquée.

Quatrième temps : résection-anastomose de l'anse nécrosée


On extériorise l'anse jusqu'en zone saine. Si cela s'avère difficile, pratiquer une
médiane sous-ombilicale complémentaire, pour exploration complète et traitement.

On met alors en place des clamps digestifs, à distance des zones de section (pour
faciliter le geste, sans encombrer le champ opératoire), sans mordre sur le mésentère, puis on
sectionne le mésentère, pas à pas entre ligatures pour hémostase préventive, au fil à résorption
lente, jusqu'aux zones de section intestinale choisie (zone saine).

On effectue alors les sections digestives d'amont et d'aval (et éventuellement une
vidange de l'intestin dilaté par le segment d'amont après lâchage du clamp et protection de la
plaie), puis une hémostase fine de la sous-muqueuse.

L'anastomose est effectuée par deux hémi-surjets au fil à résorption lente monobrin
3/0, monté sur aiguille courbe ronde (à défaut, au fil non résorbable) en plaçant au préalable
deux fils repères qui sont noués : l'un au bord mésentérique de l'anse, l'autre au bord
antimésentérique. On confectionne ensuite des surjets par passage des points en
extramuqueux. La suture peut aussi être réalisée par des points séparés, un hémi-surjet et des
points séparés... L'essentiel est d'obtenir un bon affrontement avec des points pas trop serrés,
qui ne coupent pas la paroi intestinale. Il faut bien « sentir » et voir la sous-muqueuse, seul
plan résistant, et ne pas hésiter à franchir la muqueuse, ce qui sera sans conséquence.

On retire les clamps, on vérifie l'étanchéité et la perméabilité de l'anastomose, puis on


ferme la brèche mésentérique par points séparés de même fil. L'anse est alors réintégrée.

Cinquième temps : réfection pariétale


Dans les hernies obliques externes, le sac herniaire est complètement séparé du cordon
et disséqué jusqu'à l'orifice profond du canal inguinal. Il est alors lié à sa base par un point
appuyé de fil à résorption lente (si le sac adhère trop fortement au cordon, il est préférable
d'abandonner une pastille de péritoine en regard de ce dernier et de fermer, en deçà, le collet ;
dans cette circonstance, le drainage est souhaitable).

En cas de hernie directe, le sac est réséqué jusqu'à obtenir deux berges de fascia
transversalis qui peuvent être suturées sous légère tension, éventuellement en paletot comme
dans le procédé de Shouldice, en prenant garde, au niveau de l'orifice profond du canal
inguinal, aux vaisseaux épigastriques.

Ici, nous décrirons le procédé de Bassini, dans lequel il faut préparer les éléments
anatomiques à rapprocher. Ce procédé comporte plusieurs étapes :

- dissection au tampon monté ou à la pointe des ciseaux de la berge externe de


l'aponévrose du grand oblique jusqu'à l'arcade crurale, reconnais sable à son aspect plus
nacré, plus dense et tendu ;

760
- dissection, sur le versant interne du champ opératoire, du tendon conjoint qui sera
abaissé à l'arcade. Ce geste est facilité en passant un doigt sous le tendon et en faisant
quelques va-et-vient (attention à l'hémostase) ;

- mise en place de plusieurs points séparés de fil déc. 4 ou 5 non résorbable qui ne
sont temporairement pas noués et placés tous les centimètres environ, de l'épine pubienne en
dedans jusqu'à l'orifice profond du canal inguinal. Ces fils prennent l'arcade crurale en dehors
(attention à ne pas blesser les vaisseaux fémoraux lors des passages de l'aiguille : les
battements de l'artère peuvent être perçus sous l'arcade, mais c'est la veine qui est la plus
menacée, car plus interne) et le tendon conjoint en dedans, sur une bonne épaisseur. Ils
chargent, au passage, le fascia transversalis ;

- puis les fils sont noués en débutant par l'épine pubienne jusqu'à l'orifice profond du
canal inguinal, en ménageant un passage suffisant pour le cordon spermatique. L'orifice
reconstitué ne doit cependant pas être trop large pour éviter une récidive. En pratique, il doit
admettre la pulpe de l'index ou autoriser la mobilisation verticale du cordon dégraissé ;

- fermeture de l'aponévrose du grand oblique en pré-funiculaire, en reconstituant vers


le bas un orifice superficiel du canal inguinal. On place un surjet de fil non résorbable (le
danger d'un serrage excessif est ici encore plus important car l'orifice reconstitué est
inextensible. De plus, la valeur mécanique de cette aponévrose dans la réparation est très
illusoire).

Sixième temps : toilette, vérification de l'hémostase, drainage éventuel par un


redon, puis fermeture, par des points séparés sur le fascia superficialis et des fils sur la peau.

Soins post-opératoires
II faut assurer une surveillance clinique, notamment de l'incision, du drainage
éventuel, de l'abdomen et de la reprise du transit. Dès sa reprise, on retire la sonde naso-
gastrique et on reprend l'alimentation.

Le lever doit être précoce.

Incidents per-opératoires
Une plaie des vaisseaux fémoraux est possible, et sera traitée par section de l'arcade
crurale et réparation. Une plaie des vaisseaux épigastriques sera ligaturée. Si l'exposition
s'avère difficile, il faut pratiquer une médiane sous-ombilicale.

Complications post-opératoires
Elles sont de plusieurs types :
- hématome ;
- sepsis de paroi et/ou scrotal ;
- fistule anastomotique, exceptionnelle ;
- nécrose testiculaire ;
- récidive herniaire.

761
Conclusion
Le geste « qui sauve » c'est, ici, la levée de l'occlusion. En ce qui concerne la cure
pariétale, en situation précaire, on privilégiera les thérapeutiques simples, ce qui fait souvent
choisir le procédé de Bassini, accessible à tous.

En cas de difficulté, ne pas hésiter à exécuter une laparotomie pour parfaire


l'exploration et effectuer une éventuelle résection intestinale dans de bonnes conditions.

762
Splénectomie pour rate traumatique

TH. BOULANGEA

Patient de 20 ans, accident de la voie publique il y a 1 h, avec traumatisme de


l’hypochondre gauche. État de choc répondant bien aux mesures de réanimation. Absence
d'hématurie. Ponction-lavage du péritoine : hémopéritoine.

Radiographie pulmonaire : pas d'hémo- ou pneumothorax, fracture de la 10 e côte


gauche.

Dans les traumatismes fermés de l'abdomen, la rate est l'organe le plus souvent lésé,
engageant le pronostic vital par son caractère hémorragique.

Tout chirurgien se trouve ainsi confronté régulièrement à un problème ancien (la


première splénectomie a été réalisée en 1594 à Naples par Fioraventi).

Depuis une publication de King en 1952, nous connaissons la relation entre la


splénectomie et la survenue d'infections graves ; malheureusement, il est des cas où l'on ne
peut recourir aux procédés thérapeutiques conservateurs.

Diagnostic
Le traumatisme fermé de l'abdomen est évoqué sur l'anamnèse. À l'admission, la prise
en charge doit être commune avec le réanimateur pour lutter contre l'état de choc :

- pose de voies veineuses ;


- pose d'une sonde urinaire (absence d'hématurie) ;
- pose d'une sonde à O2 ;
- pose d'une sonde nasogastrique.

L'examen recherche :

- une douleur au point d'impact (hypochondre gauche) ;


- une douleur exquise d'un arc costal ;
- une distension de l'abdomen avec matité ;
- une défense ;
- le TR recherche un empâtement du cul-de-sac de Douglas et/ou une douleur.

Il doit se compléter d'un examen général pour rechercher d'autres lésions, notamment
un hémopneumothorax.

763
Ce tableau de traumatisme fermé de l'hypochondre gauche avec état de choc oriente
vers la lésion d'un organe plein (rate, rein). La correction des troubles hémodynamiques
permet la réalisation rapide de deux examens sans que cela retarde le traitement :

- une radiographie pulmonaire, à la recherche d'une lésion costale, d'un hémo-et/ou


pneumothorax imposant un drainage immédiat ;
- une ponction-lavage du péritoine qui lève le doute quant à l'existence
d'hémopéritoine (ou échographie en salle de déchocage dans une structure équipée). Après
anesthésie locale, on effectue une ponction péri-ombilicale avec un trocart dirigé à 45° vers le
pelvis. Après franchissement de la paroi, on relie l'aiguille à une tubulure de perfusion, puis
on administre 1 1 de Ringer-lactate ou de sérum physiologique que l'on recueille ensuite par
simple déclivité.

Ce geste permet le diagnostic d'hémopéritoine, voire de plaie d'organe creux, mais il


faut savoir qu'il existe des faux positifs et des faux négatifs.

Physiopathologie
La rate, organe plein de l'hypochondre gauche, présente un parenchyme friable, dont
toute atteinte est hémorragique. Les rapports osseux immédiats majorent le risque de lésion
splénique.

La loge splénique, constituée par les différents organes qui enveloppent la rate, peut
contenir l'hématome assez longtemps, mais elle peut secondairement se rompre. Ailleurs,
l'hémopéritoine est massif d'emblée. Dans les deux cas, le pronostic vital est engagé.

Enfin, d'éventuelles lésions associées peuvent toujours compliquer la prise en charge


et l'évolution.

Traitement
Buts
II est de sauver la vie du patient en faisant l'hémostase, en conservant, si possible, du
tissu splénique.

Moyens médicaux
Ce sont les mesures de réanimation.

Moyens chirurgicaux
Nous ne décrirons ici que la splénectomie car, en situation précaire, les carences en
matériel et en personnel rendent difficiles les procédés conservateurs.

Cette intervention doit être réalisée en urgence, et sa principale difficulté réside


dans l'hémostase primaire dès l'ouverture péritonéale. Il faut ici bien connaître les rapports de
la rate.

764
La rate est un organe fragile, haut situé dans l'hypochondre gauche.

La loge splénique est constituée par les différents organes qui l'enveloppent comme on
l'observe sur une vue de face de l'hypochondre gauche :

- parfois, un volumineux lobe gauche hépatique recouvre l'accès à la région, mais ce


sont essentiellement la grosse tubérosité gastrique et l'angle colique gauche qui sont les
rapports immédiats ;
- la queue pancréatique, au contact du hile splénique, est un rapport important mais
non visible d'emblée lors de l'abord (Fig. 49.1).

II faut rappeler l'anatomie des feuillets péritonéaux pour comprendre les temps de
décollement du mésogastre postérieur, de sagittalisation de la rate et d'hémostase temporaire
(Fig. 49.2).

Entièrement péritonisée, la rate peut être mobilisée, mais elle est fixée par son
pédicule vasculaire et par deux replis péritonéaux :

- l'épiploon gastro-splénique, tendu entre la grosse tubérosité et le bord antérieur du


hile splénique, qui contient les vaisseaux courts et gastro-épiploïques gauches ;
- l'épiploon pancréatico-splénique, tendu entre la queue pancréatique et la partie
postérieure du hile splénique, qui contient artère et veine spléniques.

765
Des variations anatomiques de ces péritonisations peuvent rendre plus ou moins
difficile la sagittalisation de la rate : plus le pédicule est court et épais, plus la division des
vaisseaux est précoce, moins la ligature, en raison de la difficulté d'extérioriser l'organe, est
facile (Fig. 49.3).

Protocole opératoire
Préparation pré-opératoire
Elle comporte plusieurs éléments :
- bilan biologique ;
- toujours assurer une bonne fonction ventilatoire (drainage pleural si nécessaire) ;
- rasage thoraco-abdominal ;
- antibioprophylaxie à l'induction anesthésique.

766
Intervention
Elle s'effectue sous anesthésie générale avec intubation trachéale, et il faut disposer
d'une réserve de sang isogroupe, isorhésus.

Le malade est placé en décubitus dorsal, sans billot ni déclivité, et l'opérateur se place
à droite, un ou deux aides lui faisant face.

On place un piquet de traction à l'épaule gauche du patient.

Le matériel consiste en un jeu d'instruments abdominaux avec valves de Leriche,


écarteur de Gosset, valve tractrice sous-costale et un aspirateur vérifié.

Premier temps : laparotomie


L'incision est médiane sus-ombilicale, agrandissable à la demande. On franchit la
paroi dont l'hémostase sera à parfaire après la splénectomie.

Deuxième temps : exposition et exploration temporaire


On pose une valve de Leriche en sous-costal gauche pour l'aide et un écarteur de
Gosset, et on aspire et/ou on évacue l'hémopéritoine aux doigts.
S'il n'y a pas eu d'hémostase splénique spontanée (50 % des cas), on place un champ
humide et chaud dans l'hypochondre gauche pour comprimer la rate.

Troisième temps : hémostase temporaire et décollement du


mésogastre postérieur
Les connexions péritonéales et les rapports anatomiques de la rate autorisent
habituellement sa mobilisation : de la main gauche, on empaume sa convexité et on l'attire
doucement vers la ligne médiane pour la sagittaliser.
De la main droite, on sectionne alors aux ciseaux le péritoine pariétal postérieur, au
ras de la rate sans majorer les lésions. En décollant aux doigts ou au tampon monté en arrière,
on peut extérioriser rapidement la rate, voire la queue du pancréas.
Le pédicule splénique est donc abordé par sa face postérieure, puis clampé, d'abord au
doigt, geste rapide qui permet de repérer par palpation l'endroit où l'on va serrer le clamp.
Celui-ci doit prendre en masse le pédicule sans blesser la queue du pancréas.
On effectue ensuite une toilette locale au sérum chaud, puis on tasse un champ dans
l'hypochondre pour maintenir la rate en superficie.

Quatrième temps : hémostase définitive et splénectomie


On effectue l'hémostase rapide de la paroi, que l'on protège par deux champs de
bordure, puis on parfait l'exposition par une valve tractrice sous-costale gauche maintenue par
le piquet de Toupet et par un écarteur de Gosset.
Si besoin, on peut récliner un gros lobe gauche hépatique sur la droite en libérant
partiellement le ligament triangulaire gauche.
On effectue alors le bilan des lésions associées éventuelles, foie (lobe gauche ++),
rétro-péritoine (à ne pas ouvrir, si possible), organes creux.

767
Enfin, on en arrive à la libération de la rate et à la splénectomie proprement dite :
- pôle inférieur : ligatures et section de la corne gauche du grand épiploon, du
sustentaculum lienis et abaissement de l'angle colique gauche ;
- épiploon gastro-splénique : section entre ligature des vaisseaux courts à distance de
la séreuse gastrique ;
- abord du pédicule splénique à nouveau par sa face postérieure avec ouverture aux
ciseaux du feuillet postérieur du mésogastre postérieur au ras de la rate ;
- dissection et sutures séparées des artères et veines en identifiant parfaitement la
queue du pancréas ;
- en cas de méso court, dissection du pédicule par en avant.

Cinquième temps : révision et fermeture


II faut réviser soigneusement l'hémostase de la loge, des organes de voisinage, des
ligatures et évaluer l'opportunité d'un drainage : on peut soit ne pas drainer, soit poser un
drainage aspiratif de 48 h maximum, à cause de la dépression sous la coupole
diaphragmatique.
La fermeture s'effectue ensuite plan par plan.

Variantes
Splénectomie rate in situ
Si la rate ne peut être mobilisée, avec un mésogastre postérieur adhérant au péritoine
pariétal postérieur et/ou un épiploon pancréatico-splénique trop court, il faut contrôler l'artère
splénique au bord supérieur du pancréas après ouverture du ligament gastrocolique, ou à son
origine, après ouverture du petit épiploon. Ensuite, la splénectomie s'effectue par dissection
dans le plan gastro-splénique, puis pancréatico-splénique. Cette technique, indispensable pour
la chirurgie conservatrice, est rarement nécessaire pour une splénectomie totale.

Hémorragie massive
II faut contrôler l'artère splénique comme nous l'avons décrit plus haut.

Incidents peropératoires
Des lésions de la grande courbure gastrique, de la queue du pancréas, de l'angle
colique gauche et de la coupole diaphragmatique sont possibles. Il faut bien entendu les éviter
mais, surtout, les dépister pour les traiter immédiatement.

Soins post-opératoires
Ils comportent plusieurs éléments :
- surveillance hémodynamique, température, abdomen, drainage, lever précoce,
kinésithérapie respiratoire ;
- vaccin antipneumo-coccique et antibiothérapie au long cours à discuter selon
possibilités ;
- surveillance NFS et surtout plaquettes si possible, en fonction des conditions
d'exercice ;
- prévention thromboembolique (surtout si plaquettes > à 1 000 000/mm3).

768
Complications post-opératoires
Liées à l'asplénie
Ce sont les complications infectieuses et la thrombocytose transitoire.

Non liées à l'asplénie


Elles sont multiples :
- abcès sous-phrénique ;
- thrombo-embolies ;
- pneumopathie ;
- fistule gastrique, colique, pancréatique ;
- hémorragie.

Conclusion
Les techniques conservatrices supposent, entre autres, une parfaite disponibilité de
l'imagerie et de la réanimation, et ne peuvent concerner que des lésions spléniques isolées et
pas trop complexes. Le terrain doit être favorable.

Il est bien clair qu'en situation précaire la splénectomie totale d'hémostase reste
souvent la méthode de sécurité.

Elle est, même en dehors de ce contexte, parfaitement justifiée si on a la chance, non


exceptionnelle, de trouver une rate surnuméraire...

769
Trachéotomie

J.-L. PONCET

La trachéotomie est l'ouverture temporaire de la trachée au niveau de sa portion


cervicale. Elle permet la mise en place d'une canule et, abouchant à la peau les voies
respiratoires inférieures, assure ainsi le rétablissement d'une ventilation pulmonaire efficace
en court-circuitant un obstacle sus-jacent.

Elle diffère de la trachéostomie qui implique une continuité souvent définitive entre
la peau cervicale et la muqueuse trachéale. Ses indications se discutent avec celles de /'
intubation trachéale qui doit être préférée chaque fois qu'elle est aisément réalisable et que
sa durée doit être brève (< 48 heures).

La trachéotomie est donc indiquée quand l'intubation laryngo-


trachéale est impossible à réaliser (obstacle laryngé non franchissable), contre-
indiquée (fracas laryngo-trachéal ou cervico-facial) ou prévue de longue durée (> 48
heures).

Dans ce dernier cas, si l'on décide tardivement d'une trachéotomie après intubation
trachéale de longue durée, on cumule les risques de ces deux techniques.

Les conditions de réalisation de la trachéotomie sont variables suivant les


circonstances pathologiques, la morphologie et l'âge du sujet. Nous prendrons comme
modèle de description une trachéotomie réalisée en urgence sous anesthésie locale et
exposerons ensuite les variantes de l'intervention.

Thème
Appelé de 20 ans victime d'un accident de voiture il y a 24 heures avec traumatisme
du larynx. Ce patient présente une dyspnée laryngée aiguë avec bradypnée inspiratoire, tirage
sus- et sous-sternal et cornage, réalisant le tableau d'une dyspnée laryngée aiguë.

Cette dyspnée s'est aggravée ces dernières heures malgré un traitement par
corticoïdes IV à doses massives.

L'examen de la filière aérienne par laryngo-fibroscopie réalisée par voie nasale


montre un œdème important de la margelle laryngée masquant totalement le plan cordal.

Le sujet est en insuffisance respiratoire aiguë mettant en jeu à court terme le


pronostic vital. Devant cet état asphyxique, un geste d'urgence s'impose.

770
Le traitement médical par corticoïdes IV a échoué et l'intubation trachéale, même avec
une petite sonde, est dangereuse car elle fait courir un risque majeur de spasme laryngé qui
nécessiterait une trachéotomie expéditive périlleuse.

Seule la trachéotomie, qui abouche la trachée cervicale vers l'extérieur et la mise en


place d'une canule, permettra de « court-circuiter » l'obstacle sus-jacent, de rétablir une
ventilation pulmonaire efficace et d'effectuer un bilan et un traitement adapté des lésions.

Quand opérer ?
Très rapidement. C'est une première urgence à réaliser dans un délai maximal d'une
heure.

La préparation pré-opératoire comporte un bilan d'hémostase, une oxygénation par


sonde nasale à un débit de 4 litres par minute, la mise en place d'un abord veineux qui permet
d'administrer une solution tampon (THAM) pour lutter contre l'acidose respiratoire.

Comment opérer ?
Un rappel anatomique va nous permettre de situer les différents éléments rencontrés au
cours de l'intervention (Fig. 50.1 ; 50.2 et 50.3).

La trachée est un conduit aérifère cylindrique impair et médian, de structure fibro-


cartilagineuse annelée qui s'étend du boîtier laryngé à l'orifice thoracique et se divise dans le
thorax en deux bronches souches.

Le segment cervical, où s'effectue l'abord chirurgical, est situé dans la région


sous-hyoïdienne médiane et s'étend du cricoïde au niveau de C6 au manubrium sternal au
niveau de D2.

771
Sa longueur varie avec l'âge (6 à 9 cm chez l'adulte) et la position de la tête en
raison de l'élasticité du conduit trachéal.

Son calibre varie aussi avec l'âge ; il est de 6 à 12 mm en moyenne, d'où la


nécessité de posséder un jeu de canules de différentes tailles.

La trachée cervicale est superficielle à sa partie supérieure (1,5 cm de la peau) mais sa


direction oblique en bas et en arrière la rend plus profonde à son entrée dans le thorax (3 cm
de la peau), ce qui explique la plus grande difficulté technique de la trachéotomie basse.

Ses rapports sont constitués par un obstacle antérieur, et des dangers vasculaires
latéraux et médians.

L'obstacle anatomique antérieur est le corps thyroïde dont l'isthme est extrêmement
variable tant dans ses dimensions que sa situation.

Entre l'isthme et la trachée existe un espace cellulaire facilement décollable où se font


les fausses routes d'introduction de la canule.

En matière d'urgence, la distinction entre trachéotomie sus-, trans- et sous-isthmique


n'offre pas grand intérêt. En revanche, le respect du premier anneau trachéal et, a fortiori, du
cricoïde est fondamental. Le lieu d'élection de la trachéotomie est situé au niveau du 3 e et 4e
anneaux.

772
Enfin, la trachée et le corps thyroïde, ainsi que l'œsophage en arrière, sont contenus
dans une gaine viscérale commune. Celle-ci contient également les parathyroïdes et les nerfs
récurrents, et est reliée en arrière à l'aponévrose pré-vertébrale.

Les dangers vasculaires sont latéraux et médians. Les dangers latéraux,


lointains sont constitués par le paquet vasculo-nerveux du cou. Les dangers médians sont
les plus importants, particulièrement dans la trachéotomie basse.

L'arcade sus-isthmique est constituée par des anastomoses des artères et des
veines thyroïdiennes supérieures. L'arcade sous-isthmique, elle, reçoit les artères
thyroïdiennes inférieures et l'artère thyroïdienne moyenne de Neubauer (inconstante).

Le risque vasculaire est en fait surtout veineux. En effet, les veines thyroïdiennes
inférieures, ou venae imae, qui constituent un plexus veineux important dilaté en cas
d'insuffisance respiratoire et destiné au tronc veineux brachio-céphalique sont proches. Le «
risque veineux » est surtout important dans les trachéotomies non médianes et bas situées
(trachéotomie sous-isthmique).

Dans un plan plus superficiel, l'anastomose des veines jugulaires antérieures chemine
dans l'espace sus-sternal de Gruber.

773
Les plans de couverture donnent la clef de l'abord chirurgical.

Le plan profond est constitué par les muscles sterno-thyroïdiens qui, engainés par
un dédoublement de l'aponévrose viscérale, se dirigent obliquement en bas et en dedans.

Le plan moyen est formé par les muscles sterno-cléido-hyoïdiens qui, sous-tendant
avec les omo-hyoïdiens l'aponévrose cervicale moyenne, ont une direction oblique en bas et
en dehors.

Les muscles sterno-cléido-hyoïdiens constituent avec les; muscles sterno-thyroïdiens


le classique losange (d'ailleurs très allongé) de la trachéotomie.

Le plan superficiel est formé par le plan des muscles sterno-cléido-mastoïdiens


engainés par l'aponévrose superficielle qui s'unit avec l'aponévrose cervicale moyenne pour
constituer la ligne blanche médiane que le chirurgien franchit pour aborder la trachée.

Enfin, le tissu cellulaire sous-cutané et la peau doublée de tissu adipeux recouvrent la


région.

Que retenir de ce rappel anatomique ?


L'abord de la trachée qui est médiane, superficielle en haut, et plus profonde en
descendant, se fait par cervicotomie antérieure à travers la ligne blanche et après section
de l'isthme thyroïdien (trachéotomie transisthmique).

Les dangers sont surtout vasculaires (corps thyroïde et arcades sus- et sous-
isthmiques) et, tout particulièrement, le réseau veineux sous-isthmique (venae imae) qui se
jette dans le tronc veineux brachio-céphalique.

Les repères sont de haut en bas la carène du cartilage thyroïde, le tubercule


antérieur du cricoïde (palpable +++) et le manubrium sternal.

Intervention
Préparation pré-opératoire
Elle dépend du degré d'urgence.

Dans certains cas, le malade en position demi-assise est oxygéné avant l'intervention,
et de façon discontinue, au masque ou par des lunettes à embout nasal au débit de 4 litres par
minute.

Une voie veineuse permet d'administrer une solution tampon THAM pour lutter contre
l'acidose respiratoire.

774
Matériel
Le matériel nécessaire à la trachéotomie comporte :

- un nécessaire pour anesthésie locale avec de la Xylocaïne à 1 % adrénalinée pour les


plans de couverture et de la Xylocaïne à 2 % sans adrénaline pour l'anesthésie intraluminale ;
- un bistouri lame 21 et un bistouri lame 15 ;
- une pince à disséquer à griffes pour les plans cutanés ;
- une pince à disséquer à mors atraumatiques pour les plans sous-jacents ;
- une paire de ciseaux de Mayo ;
- un écarteur autostatique type Beckman ;
- deux jeux d'écarteurs de Farabeuf ;
- un décolleur ;
- six pinces de Kocher ;
- deux écraseurs d'isthme de Portmann ou de St-Clair Thomson ;
- un dilateur trachéal d'Aboulker-St-Paul ;
- une aspiration chirurgicale avec gros suceur ;
- une électrocoagulation bipolaire ;
- un jeu de canules, de différents modèles et différentes tailles. S'il faut assurer une
étanchéité trachéale (hémorragie, ventilation assistée), on utilise les canules souples, en PVC
avec collerette réglable et ballonnet basse pression. Sinon, on recourt aux canules acryliques
sans ballonnet avec mandrin d'introduction et chemise interne.

Quoi qu'il en soit, avant de commencer l'anesthésie, le chirurgien doit choisir la canule
trachéale adaptée (modèle, taille) et vérifier son parfait état de fonctionnement.

Position du malade
Quand l'état respiratoire le permet, le malade est placé en décubitus dorsal, tête droite,
cou en hyperextension à l'aide d'un drap roulé placé sous les épaules, l'occiput reposant sur la
table.

Si la dyspnée est excessivement majorée en position allongée, on peut être amené à


opérer un malade en position demi-assise, au moins pour l'abord de la ligne blanche.

Le chirurgien se place à droite s'il est droitier. Son aide lui fait face.

Anesthésie
La décompensation respiratoire brutale au cours des préparatifs est une extrême
urgence et la trachéotomie est alors effectuée sans aucune anesthésie locale. C'est la
trachéotomie de sauvetage, dite « expéditive », que nous décrirons plus loin avec les
variantes.

La trachéotomie d'urgence sur un patient conscient, non intubable, doit se faire sous
anesthésie locale, précédée éventuellement d'une prémédication non dépressive sur le plan
respiratoire, en accord avec l'anesthésiste qui doit être présent dans la salle.

Deux plans sont douloureux : la peau et le corps thyroïde.

775
Avec de la Xylocaïne à 1 % adrénalinée, on effectue quatre boutons anesthésiques
selon la technique proposée par Y. Guerrier (Fig. 50.4) :

- deux sur une ligne horizontale située à mi-distance du cricoïde et du manubrium


sternal, à l'endroit où cette ligne croise le bord interne des muscles sterno-cléido-mastoïdiens ;
- deux sur une ligne verticale, le premier en haut à la hauteur de l'espace inter crico-
thyroïdien, le second en bas, symétrique au premier par rapport à la ligne horizontale.

Ils serviront de repère pour l'incision cutanée et pour localiser le cricoïde.

Il ne faut surtout pas inonder la région cervicale antérieure d'anesthésique local.

Par les boutons d'anesthésie, on réalise une traçante sous-cutanée du losange ainsi
délimité et une infiltration profonde sur la ligne médiane jusqu'au contact de la trachée, après
test d'aspiration pour éviter une injection intravasculaire de Xylocaïne adrénalinée (20 ml de
Xylocaïne à 1 % adrénalinée au maximum).

Avant l'ouverture de la trachée, on injectera entre deux anneaux, 1 ml de Xylocaïne à


2 % non adrénalinée pour éviter les réflexes tussigènes et les accidents syncopaux.

776
Technique opératoire
Elle comprend quatre temps :
- incision ;
- abord de la trachée ;
- trachéotomie (taille trachéale) et mise en place de la canule ;
- fermeture.

Premier temps : incision


Après désinfection de la peau cervicale antérieure à la Bétadine, on met les champs en
place sans masquer les repères. Le champ supérieur repose sur un arceau métallique pour
permettre au malade de respirer par les voies naturelles.

Deux types d'incisions sont possibles (Fig. 50.5) :

L'incision verticale, strictement médiane du cricoïde à la région sternale, est


surtout utilisée en cas de trachéotomie d'urgence (ou de traumatisme laryngo-trachéal ouvert).
Elle a l'inconvénient de laisser une cicatrice inesthétique, très souvent adhérente à la trachée ;

777
L'incision horizontale, arciforme, et de 6 cm de long environ, est pratiquée dans
un pli du cou. Elle est effectuée à 3 cm au-dessus de la fourchette sternale.

Plus difficile à réaliser en urgence, elle a l'avantage de laisser une cicatrice peu visible
et de s'inscrire dans une incision latéro-cervicale en cas de cancer pharyngo-laryngé à traiter
secondairement.

Quelle que soit l'incision, elle intéresse la peau, le tissu cellulaire sous-cutané et les
muscles peauciers. L'hémostase des veines jugulaires antérieures n'est pas obligatoire si elles
ne sont pas blessées. Les muscles sous-hyoïdiens sont exposés sur la hauteur du losange
anesthésique et un écarteur autostatique, mis en place verticalement, expose la ligne blanche
sur une hauteur de 6 à 8 cm (Fig. 50.6 A).

Deuxième temps : abord de la trachée


La ligne blanche médiane est disséquée verticalement, en utilisant les ciseaux comme
des dissecteurs (Fig. 50.6 B). Les deux écarteurs de Farabeuf chargent latéralement les berges
de dissection des trois plans musculo-aponévrotiques successifs qu'ils écartent.

Le tubercule cricoïdien est repéré à la palpation.

L'infiltration de l'isthme à la Xylocaïne à 1 % sans adrénaline est complétée si


nécessaire.

La dissection du ligament suspenseur du corps thyroïde expose le bord supérieur de


l'isthme thyroïdien (Fig. 50.6 C). Celui-ci est décollé du plan trachéal (Fig. 50.6 D) et
sectionné entre deux pinces de Kocher (Fig. 50.6 E).

L'hémostase de la tranche de section de chaque moignon isthmique est effectuée par


une ligature appuyée au vicryl 2/0.

Ensuite, on décolle légèrement les deux fragments isthmiques du plan trachéal pour
exposer la face antérolatérale de la trachée.

Troisième temps : ouverture trachéale


L'anesthésie endoluminale est effectuée avec une aiguille de 4 cm à biseau court, à
travers un ligament interannulaire (Fig. 50.6 F). Un test d'aspiration permet de s'assurer de la
situation de l'aiguille. On injecte alors un maximum de 1 ml de Xylocaïne à 2 % dans la
lumière trachéale, ce qui provoque quelques accès de toux.

On ouvre la trachée, après hémostase soigneuse, l'aspirateur à la main, au niveau des


3e-4e parfois 5e anneaux trachéaux et jamais au niveau des 1er et 2e anneaux.

Il existe différentes modalités de taille de la trachée :

- taille d'une pastille trachéale médiane (Fig. 50.6 G) ;


- taille de volets soit en H couché ou I d'Aboulker (Fig. 50.6 H), soit à charnière
inférieure sur deux anneaux (Sjoberg) (Fig. 50.6 I). Les volets, surtout s'ils sont repérés par un
fil transfixiant, facilitent les changements de canule ;

778
- l'incision verticale simple médiane est à déconseiller car elle favorise les risques de
fracture des anneaux trachéaux lors des changements de canule.

Quatrième temps : mise en place de la canule


La canule est présentée latéralement et introduite selon un mouvement hélicoïdal
facilement réalisé s'il s'agit d'une canule sans ballonnet (Fig. 50.6 J). Le mandrin est ensuite
enlevé et remplacé par la chemise interne. Pour les canules à ballonnet, il est plus facile
d'utiliser un dilatateur trachéal. Après la pose, il faut vérifier que la canule est bien en place.

779
On la fixe alors par deux cordonnets, puis on vérifie l'hémostase. Une suture lâche est
effectuée autour de l'incision pour éviter l'emphysème sous-cutané (Fig. 50.6 K).

Une mèche iodoformée est placée dans l'espace sous canulaire pour 24 heures. Le
pansement comporte un carré de gaze perforé et glissé sous la plaque de la canule.

Un tissu imperméable isole le thorax des sécrétions bronchiques et une bavette placée
devant l'orifice canulaire permet de filtrer l'air inspiré.

Variantes
Trachéotomie réglée
Le type en est la trachéotomie réalisée chez un patient nécessitant une assistance
respiratoire prolongée qui contre-indique la ventilation par intubation nasotrachéale. La
trachéotomie réglée doit en principe être effectuée avant la 48e heure d'assistance respiratoire.

L'intervention est pratiquée au bloc opératoire, sous anesthésie générale. Le malade


est intubé et surveillé par l'anesthésiste réanimateur.

L'anesthésie locale et l'anesthésie endoluminale ne sont pas nécessaires.

On utilise le plus souvent l'incision horizontale, arciforme, sauf s'il s'agit d'un
traumatisme laryngo-trachéal ouvert. Les autres temps opératoires sont superposables à ceux
de la trachéotomie d'urgence.

Trachéotomie difficile
Certaines conditions anatomiques, comme chez le sujet obèse ou en cas de cou court,
d'affections rhumatismales limitant les mouvements du rachis, d'obstruction tumorale
laryngée partielle, rendent l'intubation trachéale parfois difficile.

En cas d'impossibilité d'intubation sous fibroscope, il faut alors recourir à une


trachéotomie sous anesthésie locale, de réalisation plus difficile (voir plus haut).

Trachéotomie en catastrophe
Elle n'obéit pas à des règles précises et reste fort heureusement exceptionnelle. Le
délai de grâce est de quelques minutes.

Si l'on est muni d'un « kit » prêt à l'emploi, on peut réaliser une laryngotomie
intercrico-thyroïdienne, ou coniotomie, qui peut être salvatrice avant une trachéotomie réglée
(avant la 6e heure). Sinon, il faut réaliser une trachéotomie expéditive : c'est la « course à la
trachée ».

Le larynx est saisi entre le pouce et le majeur de la main gauche, l'index chargeant le
cricoïde ; l'ensemble est attiré vers le haut.

Le bistouri, strictement médian, adossé à l'index incise d'emblée les plans superficiels,
se heurte à la résistance des anneaux trachéaux et les franchit, réalisant une incision de 3 cm.

780
L'ouverture trachéale se manifeste par l'apparition de bulles d'air au milieu du flux
sanguin. Après introduction de l'écarteur d'Aboulker St Paul, on met en place la canule.Cette
technique préserve le 1er anneau qui remonte avec le cricoïde et est protégé par la pulpe de
l'index. La filière aérienne est assurée, mais il convient de reprendre la méthode de
trachéotomie réglée pour vérifier l'hémostase et s'assurer que la trachéotomie a été réalisée au
lieu d'élection.

Incidents et accidents
Exceptionnels dans les trachéotomies réglées, ils sont dominés par l'hémorragie et
l'arrêt cardiaque.

L'hémorragie per-opératoire est prévenue par une hémostase rigoureuse de


tous les points de saignement. Les blessures vasculaires sont de tout type, mais il s'agit le plus
souvent d'hémorragie veineuse aisément contrôlable. La blessure des troncs vasculaires de la
base du cou n'apparaît que lorsqu'il existe une disposition anatomique particulière. On doit
l'éviter en incisant la trachée de bas en haut et en évitant toute dissection à l'aveugle.

La chute de sang dans la trachée est prévenue par une bonne hémostase et une
ouverture trachéale sous aspiration continue.

La syncope cardiaque (arrêt cardiaque réflexe à point de départ vagal) est


prévenue par une anesthésie endoluminale de la muqueuse trachéale quand la trachéotomie
est réalisée sous anesthésie locale.

La syncope respiratoire à l'ouverture brutale de la trachée, chez un sujet


hypercapnique en acidose, est rare. Elle est prévenue par une bonne oxygénation pré- et per-
opératoire et la perfusion de solution tampon type THAM.

Les anomalies de la taille trachéale sont de plusieurs types :


- ouverture « vicieuse », non médiane : il faut refaire l'ouverture en bonne place ;
- section circulaire de la trachée, survenant sur une trachéomalacie (surtout avec le I
d'Aboulker). Il faut suturer la trachée sectionnée ;
- trachée « calcifiée » : utiliser les ciseaux de Steven pour confectionner un volet à
charnière inférieure.

Les blessures d'organes voisins sont rares :


- blessure de l'œsophage à travers la paroi postérieure de la trachée : c'est une faute
grave. Le traitement comprend la suture de la brèche œsophagienne, le drainage cervico-
médiastinal et la mise en place d'une sonde nasogastrique ;
- blessure des récurrents (isthme trop décollé latéralement) et de la plèvre
(pneumothorax ou médiastin). Ce sont des fautes que l'on peut éviter par une dissection
soigneuse.

Les fausses routes d'introduction de la canule dans l'espace


prétrachéal surviennent surtout chez le bréviligne à cou court. L'asphyxie ne cède pas
malgré la « mise en place » de la canule. Remettre en place la canule permet ici de bien
oxygéner le malade.

781
Suites opératoires
Simples
L'opéré, ramené dans sa chambre modérément chauffée (18-20° C), dans la semi-
obscurité, est placé en position demi-assise, au calme avec à portée du lit la sonnette et une
ardoise pour écrire. Le mandrin de la canule et le dilatateur trachéal doivent être placés dans
la chambre, et il faut régulièrement surveiller les constantes vitales : pouls, TA, température,
fréquence respiratoire.

Les soins infirmiers comprennent également le nursing trachéal : - les aspirations


trachéales sont faites de manière aseptique et avec douceur : toutes les heures au minimum le
premier jour (aidées éventuellement par des instillations de sérum bicarbonaté ou de sérum
physiologique). Elles sont adaptées les jours suivants en fonction de la crise trachéale qui
survient dès la 72e heure ;

- la canule est l'objet de soins particuliers : le ballonnet est dégonflé et la mèche


enlevée à la 24e heure. Une canule sans ballonnet est mise en place dès le 3e jour
(acrylique) avec embout phonatoire si possible. La chemise interne est nettoyée
régulièrement, ainsi que l'orifice de trachéotomie ;
- un humidificateur est placé dans la chambre et on administre des aérosols (1/4
d'heure par heure) devant l'orifice canulaire, associant par exemple bicarbonate à 14 %,
Soframycine et Soludécadron, Mucomyst.

Une antibiothérapie associant amoxicilline et métronidazole est donnée pendant 6


jours.

La kinésithérapie respiratoire est utile, et la surveillance pulmonaire s'effectue par


un cliché pulmonaire post-opératoire renouvelé les jours suivants.

Les fils péricanulaires sont enlevés au 7e jour.

Compliquées
Complications précoces

Décanulation accidentelle : on la prévient en amarrant soigneusement la


canule et en choisissant une canule de longueur adaptée, surtout chez l'obèse à cou court.
Le dilatateur trachéal doit être placé à la tête du lit.

Hémorragie : elle reste en principe mineure mais elle est gênante. Elle est
souvent due à une mauvaise hémostase ou à une érosion des vaisseaux péri-orificiels. Si
elle est minime et diffuse, un simple tamponnement peu suffire. Si elle est plus
importante, il faut recourir à une hémostase chirurgicale.

Emphysème sous-cutané : essentiellement cervical, il peut envahir la face, le


thorax et même le médiastin. Pour le prévenir, il ne faut pas faire de suture cutanée trop
étanche et bien fixer la canule pour éviter son expulsion.

782
Pneumothorax : il est dû à une blessure per-opératoire du dôme pleural, à des
efforts inspiratoires asphyxiques ou à une assistance ventilatoire trop vigoureuse. Il
survient surtout chez l'enfant de moins de 6 ans, et reste exceptionnel chez l'adulte.

Complications secondaires (retardées)


Bouchon muqueux canulaires : ils sont prévenus par le « nursing trachéal »
post-opératoire. En cas de gêne respiratoire, il faut retirer la canule et aspirer la trachée
après instillations trachéales.

Hémorragie retardée (plusieurs jours à plusieurs semaines) : elle est favorisée


par l'agitation post-opératoire et par la pression permanente ou excessive du ballonnet ou
la malposition d'une canule métallique. L'apparition de sérosités sanglantes à l'aspiration,
de mouvements pulsatiles de la canule constitue un signe d'alarme parfois annonciateur
d'une hémorragie cataclysmique survenant souvent lors d'un changement de canule.
Quand elle survient, il faut gonfler le ballonnet pour tenter de maîtriser l'hémorragie et
réaliser une cervico-sternotomie avec un chirurgien thoracique.

Infection trachéobronchique : quasi constante après l'ouverture de la trachée, elle est


habituellement secondaire à une atélectasie. Les soins de canule et les aspirations régulières
méticuleuses permettent de l'éviter. L'antibiothérapie générale est orientée par les
prélèvements trachéobronchiques protégés. La classique trachéo-bronchite diffuse nécessite
une réanimation et un traitement médical intensif.

Pneumothorax secondaire : il peut survenir pour les mêmes raisons que le


pneumothorax précoce.

Complications tardives

Hémorragie : par piochage de la canule, surtout si le malade est sous respirateur.


Infection trachéobronchique : nécessite une antibiothérapie adaptée.

Fistule œso-trachéale : favorisée par un ballonnet trachéal trop gonflé chez un patient
porteur d'une sonde nasogastrique, elle expose aux bronchopneumopathies de déglutition
récidivantes. Le diagnostic repose sur la trachéoscopie et le traitement, chirurgical, est
difficile.

Sténoses trachéales : leur prévention repose sur le respect des principes que nous
avons cités. Un contrôle fibroscopique est indispensable lors de la décanulation et à distance
de celle-ci, surtout si une dyspnée apparaît secondairement.

Conclusion
La trachéotomie est un geste de sauvetage qui nécessite une technique rigoureuse et
des soins post-opératoires spécialisés bien codifiés. Sinon, en effet, on court le risque de voir
apparaître des complications graves pouvant de nouveau compromettre le pronostic vital en
post-opératoire, à un stade précoce, retardé ou tardif.

783
Thoracotomies
en situation d'exception

F. PONS, O. CHAPUIS, R. JANCOVICI

Pour tout chirurgien l'indication d'une thoracotomie peut se poser dans deux types de
circonstances, la thoracotomie réglée ou en urgence (thoracotomie d'hémostase), mais les
situations sont très différentes dans des centres bien équipés et en situation d'exception
(mission dans un milieu isolé, dénuement technique, précarité des structures hospitalières et
des populations...) :

Les indications classiques de thoracotomie réglée (pathologie tumorale en


particulier) ne peuvent être qu'exceptionnelles en situation précaire compte tenu de la
pauvreté du plateau technique (pas de fibroscopie, pas d'examen anatomopathologique, pas de
tomodensitométrie). On pourra parfois discuter d'une thoracotomie devant certaines
pathologies infectieuses avec pyothorax ancien, des séquelles de la tuberculose avec
pneumothorax chroniques, les séquelles d'hémothorax... Mais, avant de retenir une de ces
indications, le chirurgien devra mûrement les peser en tenant compte :

- de ses compétences chirurgicales, car il s'agit souvent de gestes difficiles de


décortication où une certaine expérience en chirurgie thoracique est nécessaire ;
- des possibilités de drainage et de réanimation car ces gestes peuvent imposer des
drainages prolongés dans les suites ;
- de l'état général du patient en pesant bien les avantages et les inconvénients, compte
tenu de la gravité potentielle de certains de ces gestes de décortication.

En pratique, dans de telles circonstances les indications d'une thoracotomie réglée


seront donc très limitées.

Le deuxième cas de figure est la thoracotomie d'hémostase pour plaie ou


traumatisme du thorax. Une thoracotomie peut être nécessaire dans deux circonstances :

- en extrême urgence devant un tableau de détresse circulatoire majeure ; c'est la


thoracotomie dite « de ressuscitation » (emergency room thoracotomy) au résultat très
aléatoire si elle n'est pas associée à une réanimation intensive et un remplissage massif,
rarement possibles en situation d'exception ;
- les indications des autres thoracotomies sont habituellement guidées par l'importance
et/ou la persistance d'une hémorragie intrathoracique recueillie par les drains. Dans nos
structures hospitalières européennes bien équipées, ces indications sont assez rares ; à
l'inverse, dans des situations plus précaires, elles nous semblent pouvoir être plus larges,
d'une part pour alléger la réanimation en cas d’hémothorax important, d'autre part pour
simplifier la surveillance de ce type de blessé car, en faisant un bilan précis des lésions, on
peut les traiter de la façon la plus adaptée. Cela permet non seulement de raccourcir la période

784
de surveillance, mais aussi de diminuer les risques de complications infectieuses et les
séquelles tardives.

Rappel anatomique
Chez un patient en décubitus latéral et le bras pendant, il faut savoir que la pointe de
l'omoplate est située un peu au-dessus du cinquième espace intercostal. Ce cinquième espace
intercostal correspond à la grande scissure et constitue donc l'abord standard du thorax car il
est situé à égale distance du sommet et du diaphragme.

Les plans à franchir sont au nombre de trois (Fig. 51.1) :


- un plan superficiel formé par le grand dorsal et le trapèze et limitant entre les deux
une zone libre ;
- un plan profond formé par le rhomboïde, muscle très mince tendu de la pointe de
l'omoplate au rachis, le grand dentelé en avant formant un éventail s'insérant sur la partie
moyenne des côtes et entre les deux une structure d'aspect jaunâtre ou fascia
rhomboïdoserratique ;
- le troisième plan est celui des côtes et des muscles intercostaux où il faut se souvenir
que le pédicule vasculo-nerveux intercostal est situé au bord inférieur de la côte.

785
Pour toute exérèse pulmonaire systématisée, il faut connaître l'anatomie vasculaire et
bronchique des poumons, en sachant qu'elle peut être sujette à de nombreuses variations ; en
urgence, cependant, lobectomies et pneumonectomies sont exceptionnellement indiquées.

En situation précaire, il faut impérativement connaître les éléments indispensables à


un éventuel clampage :

- à droite, le tronc de l'artère pulmonaire est situé en avant de la bronche que l'on
reconnaît à la palpation, et il faut savoir aller le chercher au-dessous de la veine cave
supérieure et au dessous de l'abouchement de la veine azygos. La veine pulmonaire
supérieure est située au-dessous de l'artère pulmonaire. Enfin, la veine pulmonaire inférieure
est située à la partie basse du hile et est facilement identifiable après section des deux feuillets
du ligament triangulaire (lieu de réflexion de la plèvre pariétale sur la plèvre viscérale) ;
- à gauche, le tronc de l'artère pulmonaire est situé sous la crosse de l'aorte, en avant
de la bronche ; la veine pulmonaire supérieure est en dessous de lui et la veine pulmonaire
inférieure est également située au sommet du ligament triangulaire.

Matériel indispensable à une thoracotomie


En fait, la chirurgie thoracique demande assez peu d'instruments spécifiques. Il faut
simplement prévoir, outre une boîte de chirurgie abdominale avec des instruments longs :

- un écarteur à crémaillère type Finochetto et éventuellement un deuxième écarteur de


petite taille type Tuffier ;
- des drains thoraciques qui peuvent être éventuellement de simples tuyaux dans
lesquels on découpera des orifices ;
- une valve antiretour type Heimlich ;
- un dispositif de recueil pour le drainage sur lequel nous reviendrons ;
- enfin, pour l'anesthésiste, une sonde pour intubation sélective type Carlens, à usage
multiple, peut être utile.

Technique
Nous ne décrirons ici que la technique de la thoracotomie postérolatérale, voie de
routine du thorax. La thoracotomie antérolatérale qui se fait sous le relief du grand pectoral
chez un patient en décubitus dorsal n'a d'indication que dans la thoracotomie d'extrême
urgence dont nous avons vu le caractère très aléatoire. Elle est décrite dans le chapitre 19.

Installation
Le patient est placé en décubitus latéral, jambe inférieure fléchie et jambe supérieure
tendue. Un billot est placé sous l'aisselle pour permettre d'ouvrir les côtes, et le bras est
pendant en avant. Le patient doit être calé par des appuis : un postérieur au niveau de la partie
moyenne du rachis, l'autre antérieur, plutôt sternal que pubien. Il est important de vérifier,
avant de placer les champs, que l'installation est solide et stable, et qu'il n'y a de point de
compression, à aucun endroit (au niveau du bras pendant, entre les deux jambes, au niveau
des appuis).

786
Anesthésie
Elle sera toujours générale. L'intubation sélective est toujours préférable quand elle est
possible car elle permet de travailler beaucoup plus aisément, que ce soit en chirurgie
d'urgence ou en chirurgie réglée. Il faut en situation précaire disposer d'une sonde de Carlens
et que l'anesthésiste soit familiarisé avec sa pose. Si l'intubation sélective est impossible,
l'intervention utilise un protocole opératoire identique et l'on peut simplement demander à
l'anesthésiste de suspendre temporairement la ventilation au cours de certains temps
opératoires afin de permettre un geste plus précis.

Technique
La thoracotomie
La voie d'abord dans cette chirurgie d'urgence doit être large.

L'incision cutanée passe à deux travers de doigt au-dessous de l'omoplate, remonte en


arrière le long de son bord spinal et s'incurve en avant vers la ligne axillaire moyenne : on
incise la peau, puis le tissu sous-cutané au bistouri électrique ou au bistouri à lame froide avec
hémostase des vaisseaux par fils de catgut si l'on ne dispose pas de bistouri électrique.

La section des plans musculaires se fait en deux plans :

- le premier plan est constitué par le muscle grand dorsal qu'il faut sectionner d'arrière
en avant sur la totalité de l'incision en assurant l'hémostase des pédicules qui le traversent ;
l'incision sera poussée en arrière et permettra parfois d'entamer légèrement le muscle trapèze
qu'il n'est en principe pas nécessaire de sectionner ;
- l'incision du deuxième plan se fera en longeant en arrière le bord inférieur du
rhomboïde, parallèlement à lui, et elle progressera vers l'avant, en s'incurvant et en longeant
vers le bas le bord postérieur du grand dentelé. Cette incision sera poussée le plus bas
possible de manière à désinsérer le grand dentelé qu'il n'est habituellement pas nécessaire de
sectionner.

NB : en fait, en cas d'urgence, et si l'opérateur ne maîtrise pas totalement l'anatomie de


ces plans de la thoracotomie, l'abord peut être plus direct, en repérant au préalable le bord
supérieur de la sixième côte (en comptant à partir de la douzième côte) et en incisant
directement vers le bord supérieur de cette côte sans se soucier des plans musculaires : avec
cette technique, les délabrements seront bien évidemment plus importants et la fermeture plus
difficile, mais elle peut se révéler précieuse s'il faut aborder rapidement un thorax
hémorragique.

L'ouverture du thorax se fait en plusieurs étapes :

- le bord supérieur de la sixième côte est repéré, soit au préalable par comptage et
marquage avant l'incision cutanée, soit au cours de l'intervention, après section du deuxième
plan musculo-aponévrotique, en glissant la main sous l'omoplate et en sachant que la
première côte que l'on palpe en haut est toujours la deuxième côte (la première côte s'inscrit
dans la circonférence de la deuxième) : en comptant de haut en bas, on déterminera ce bord
supérieur de la sixième côte ;
- l'incision de l'espace intercostal se fera au bistouri électrique en raclant le périoste
du bord supérieur de la côte ; on sectionne ainsi le plan des muscles intercostaux jusqu'à

787
arriver sur la plèvre dont l'ouverture sera prudente, aux ciseaux, surtout s'il n'y a pas
d'exclusion pulmonaire ;
- une fois la plèvre ouverte, on prolonge l'ouverture de l'espace intercostal en avant et
en arrière, en protégeant au besoin le poumon par un tampon monté.

Cette incision sera poussée le plus loin possible en avant au bistouri électrique ou à la
rugine, et en arrière, en évitant cependant d'aller trop loin vers l'angle costo-vertébral où
l'hémostase des artères intercostales peut parfois se révéler difficile ;

- on met alors en place un écarteur type Finochietto que l'on ouvre progressivement ;
pour améliorer l'exposition, on peut s'aider d'un deuxième écarteur type Tuffier ou Gosset,
perpendiculaire au premier et permettant de récliner les niasses musculaires vers l'avant et
l'arrière.

Le temps intrathoracique
Nous ne décrirons ici que la thoracotomie d'hémostase :

- l'épanchement est évacué par aspiration ou en évacuant les caillots à la main ;


- il faut s'efforcer de déterminer le site hémorragique. Il peut être pariétal, avec
hémorragie de l'artère intercostale ou de l'artère mammaire (si l'on ne retrouve pas l'origine de
l'hémorragie, il faut enlever l'écarteur pour voir si la compression d'une artère intercostale par
l'écarteur n'avait pas fait spontanément l'hémostase). Il peut être médiastinal, et l'hémorragie
est alors habituellement massive. Il peut enfin être pulmonaire, l'hémorragie s'accompagnant
alors de fuites aériennes ;
- l'hémostase sera généralement simple dans les lésions pariétales (ligature simple ou
appuyée), mais beaucoup plus aléatoire dans ce type de circonstances s'il s'agit d'une lésion
d'un gros vaisseau médiastinal.

Le traitement des lésions parenchymateuses sera parfois beaucoup plus délicat mais
l'opérateur ne doit pas se laisser impressionner par l'aspect des lésions et résister à la tentation
d'une exérèse qui n'est pratiquement jamais indiquée en cas de thoracotomie d'hémostase : un
parenchyme pulmonaire contus, « hépatisé » a de spectaculaires possibilités de récupération.
L'hémostase et la pneumostase peuvent être faites simplement, soit par des surjets (fil de
calibre 2/0 résorbable ou non) sur les zones lésées, soit par régularisation économiques des
zones contuses ou dilacérées en sectionnant sur une pince et en réalisant ensuite un surjet sur
la tranche de section. Il faut tenter de diminuer les fuites aériennes mais il est inutile de
s'acharner à obtenir une pneumostase parfaite qui est quasi impossible. L'existence d'une
hémorragie massive semblant venir du hile pulmonaire ou de la scissure (surtout une
hémorragie de sang noir qui signe une lésion de l'artère pulmonaire ou d'une de ses branches)
peut imposer un clampage vasculaire au niveau de l'artère et des veines pulmonaires pour
essayer de suturer électivement la lésion hémorragique. Très exceptionnellement, on peut être
amené à effectuer une exérèse à visée hémostatique, mais le pronostic devient alors très
défavorable dans ce type de circonstance.

Fermeture de la thoracotomie
Une fois l'hémostase satisfaisante et la pneumostase un peu améliorée, il faut mettre
en place deux drains par une contre-incision au niveau de la base (drains placés en avant de la
ligne axillaire moyenne pour éviter que le patient ne se couche dessus) : le drain postérieur est

788
poussé vers le sommet ; le drain antérieur peut être également poussé vers le sommet ou vers
le cul-de-sac costo-diaphragmatique postérieur. Les drains doivent être solidement fixés et un
fil d'attente en U mis en place pour permettre la fermeture de l'orifice lors du retrait du drain
(Fig. 51.2).

Le rapprochement costal se fera par trois gros fils (n° 2 résorbable si l'on en dispose, ou
non résorbable). Les fils peuvent être passés au bord supérieur des côtes sus- et sous-jacentes à la
thoracotomie ou éventuellement passer à travers la côte inférieure de la thoracotomie dans un trou
réalisé à la pointe carrée et au bord supérieur de la côte sus-jacente (Fig. 51.3).

789
Une fois les trois fils passés, le billot est enlevé et les fils sont noués, l'aide pouvant
pendant ce temps de nouage, rapprocher les côtes soit en tendant deux fils, soit à l'aide d'une
pince.
La fermeture des plans musculaires aponévrotiques se fait par surjets car il faut
obtenir une fermeture étanche : un premier surjet est effectué entre d'une part le grand dentelé
et le rhomboïde en arrière, d'autre part le feuillet jaune du fascia rhomboïdoserratique en
avant ; on effectue ensuite un deuxième surjet reconstituant le grand dorsal et éventuellement
le trapèze, puis un troisième sur les tissus sous-cutanés. La peau est ensuite fermée comme de
coutume.

Les suites
Elles sont dominées par les problèmes du drainage. Les deux impératifs d'un drainage
sont :

- de ne pas pouvoir refluer (impossibilité de retour vers la cavité pleurale de liquide


ou d'air, et ce malgré la dépression provoquée par les mouvements respiratoires) ;
- de permettre l'évacuation permanente et sans interruption du liquide et de l'air (tout
particulièrement en cas de fuites aériennes où une obstruction du drainage provoquera au
minimum un emphysème pariétal, voire un pneumothorax compressif). Les techniques de
drainage sont décrites dans le chapitre 19. Les complications du drainage après thoracotomie
d'hémostase sont :
- un bullage prolongé en cas de brèche parenchymateuse importante mais qui souvent
cessera en quelques jours et impose au début de réaliser une aspiration modérée ;
- une hémorragie importante qui peut poser le problème de la reprise de cette
thoracotomie ;
- l'infection pouvant évoluer vers un pyothorax, complication la plus fréquente peut-
être. Elle est souvent due à un défaut d'aspiration ou de la difficulté de surveillance post-
opératoire d'un hémothorax incomplètement évacué. L'évolution peut alors se faire vers une
poche pleurale nécessitant parfois un geste de décortication

Ces complications sont plus fréquentes pour les hémopneumothorax traités par simple
drainage, argument en faveur de la réalisation de thoracotomies dans ce type de situation.

En conclusion
Devant une plaie du thorax en situation d'exception ou de précarité, l'indication d'une
thoracotomie peut être :

- soit une hémorragie majeure qui imposerait une thoracotomie en extrême urgence
dite de ressuscitation, effectuée par voie antérolatérale chez un sujet en décubitus dorsal, et
dont le résultat ne peut être que très aléatoire dans ce type de situation ;
- soit un hémothorax de moyenne abondance pour lequel la thoracotomie par voie
postérolatérale chez un sujet en décubitus latéral, souvent sans difficultés techniques
majeures, nous paraît avoir l'intérêt de réaliser un bilan lésionnel précis, une meilleure
hémostase, un bon contrôle de la position des drains et certainement de limiter les
complications post-opératoires à type de pyothorax ou de poche pleurale résiduelle avec leurs
séquelles fonctionnelles.

790
Index
A
Abdomen, plaies,
Accouchement
forceps,
présentation céphalique,
par le siège,
Actinomycètes,
Afflux de blessés,
Amputation
pour fracas,
d'urgence,
Anémones de mer, blessure par,
Anesthésie en situation précaire,
pour césarienne,
générale,
loco-régionale,
matériel de base,
période pré-anesthésique,
période per-opératoire,
période post-opératoire,
rachianesthésie,
rétrobulbaire,
Animaux marins, blessures par,
Annelides venimeux, blessure par,
Antenne chirurgicale militaire,
arrivée sur le terrain,
dotation en matériel,
personnel,
ravitaillement sanitaire,
Aponévrotomie,
Appareil plâtré, voir Plâtres Appendicite, perforation,
Artères, lésion des,
abord large du tronc iliofémoral,
Arthrite infectieuse de l'enfant,
tuberculeuse,
Atelle
de Brown Bope,
de Thomas,
Avant-bras, fixateur externe,

791
B
Baliste, piqûre de,
Balistique lésionnelle,
Balles,
Bandes plâtrées, voir Plâtres
Barracuda, morsure de,
Bénitier géant,
Blast,
Blessés graves de guerre,
afflux,
Bloc opératoire,
Blocs intercostaux,
Bronchospasme,
Bruits du cœur fœtaux,
Brûlures,

C
Cambodge, conditions d'exercice de la chirurgie,
Cancer colique, occlusion intestinale,
Cauchoix et Duparc, classification de,
Césarienne,
Chirurgie
abdominale d'urgence en Afrique,
et action humanitaire,
de catastrophe en Afrique tropicale,
de guerre,
formation,
obstétricale,
en situation de catastrophe,
en situation d'exception,
tropicale, particularités,
de la violence,
Cicatrisation dirigée,
Classification
de Cauchoix et Duparc,
de Salter et Harris,
Côlon
cancer,
occlusion,
perforation,
plaies,
volvulus,
Colostomie gauche pour plaie de guerre,
Coma,
Cônes, blessure par,
Corail, blessure par,
Cordon spermatique, torsion,

792
Crâniectomie pour hématome extra-dural,
Crustacés, blessure par,
Cystostomie,

D
Diaphragme, traumatisme,
Drainage pleural,
Drépanocytose,
Duodéno-pancréas, plaies,
Dystocies,

E
Eau, approvisionnement,
besoins,
traitement,
Éclats, plaies par,
Eléphantiasis tropical,
Encombrement broncho-pulmonaire, traumatisme thoracique,
traitement,
Entorses,
du rachis,
Énucléation,
Épisiotomie,
Escarrotomies,
Estomac, plaies,
Éthique, chirurgie et précarité,
Étoile de mer, blessure par,
Étrier, traction cranio-cervicale,
Étude "l'obstétrique sans monitoring",
Évaluation des conditions chirurgicales,
Examen obstétrical,

F
Face, traumatismes balistiques,
FESSA,
Fiches transosseuses,
Fièvre et occlusions intestinales,
Fixateurs externes,
Fixité colique, moyens de,
Forceps, accouchement par,
Fracas
diaphysaire de jambe par projectile de guerre, 2
des membres,
Fractures

793
avant-bras,
bassin,
deBennett,
calcanéum,
clavicule,
col du fémur,
complications
des fractures fermées,
des fractures ouvertes,
costales,
crâne,
fémur,
fermées des membres,
de Galéazzi,
humérus,
fracas de jambe per projectile de guerre,
métacarpiens,
métatarsiens,
de Monteggia,
olécrâne,
ouvertes des membres,
phalanges,
rachis,
radius,
rotule,
scaphoïde,
tibia,
voir aussi Fixateurs, Fracas des membres, Plâtres, Traction des membres

G
Glaucus, blessure par,
Globe oculaire
anatomie,
plaies,
Greffes cutanées,
Grêle
occlusion,
perforation,
volvulus,
Grossesse extra-utérine, rupture,
Groupes sanguins,
Guérilla,
chirurgie,
Gypsotomie,

794
H
Hanche, plaies,
Hauteur utérine,
Hématome
extra-dural,
intracrânien,
sous-unguéal,
Hématose, traumatisme thoracique,
Hémorragie utérine incoercible,
Hémothorax,
Hernie inguinale étranglée,
Hippocampe, manœuvre de,
Holothuries, blessure par,
Humanitaire
d'état, 1-7,
privé, 1-7,
ressources humaines,
Hydraire urticante, blessure par,
Hystérectomie obstétricale,
Hystérotomie,

I
Iléus biliaire,
Immobilisation des membres pour fracture et luxation, durées moyennes,
Incision de décharge,
Infections ostéo-articulaires de l'enfant,
Intestin grêle
perforation,
plaies,
Intubation trachéale,
traumatisme thoracique,
Invagination intestinale aiguë,

J
Jambe, fracas diaphysaire par projectile de guerre,

K
Kit, 9-11
de chirurgie, MSF,
Kocher, méthode de,

795
L
Laboratoire,
Lambeaux,
au niveau du pied,
Laryngospasme,
Lavage péritonéal,
Lèpre,
Loche géante, morsure de,
Loges, syndrome des,
Luxations,
coude,
épaule,
hanche,
métacarpo-phalangiennes,
rachis,

M
Maduromycètes, Mal de Pott,
Maxillaires, fractures,
Maxillo-faciales, plaies,
Méduses, blessure par,
Membres, lésions des, Mentonnière, traction cranio-cervicale,
Métacarpiens, fixateur externe,
Militaires, missions humanitaires
Mines, lésions par,
Morsures
animaux marins,
de serpent,
Murène, blessure par,
Mycétomes,

N
Nason, piqûre de,
Nerfs, plaies des,
Neurochirurgie,

O
Obstétrique, urgences en,
Occlusions intestinales aiguës,
Octopus, blessure par,
Oeil, plaies,
Olécrâne, fixateur externe,

796
Organisations non gouvernementales, 1-7,
Orphie, piqûre de,
Ostéites,
Ostéomyélite de l'enfant,
Ostéosynthèse thoracique, volets costaux,
Oursins, blessure par,
Oxygénothérapie,

P
Parage chirurgical,
fracas diaphysaire de jambe,
plaies cranio-encéphaliques,
Parties molle, plaies,
Pelvi-périnéales, plaies,
Pelvi-péritonites,
Perforation
d'ulcère duodénal,
de viscères creux,
Péritonites,
Phalanges, fixateur externe,
Phlébites sous plâtre,
Physalie, blessure par,
Picots, blessure par,
Pied-
de mine
tropical,
Plaie(s)
artérielle,
articulaires,
cranio-cérébrale,
du globe oculaire,
de guerre,
des nerfs,
des parties molles,
par projectiles
formes anatomo-cliniques,
mécanismes,
des tendons,
traitement,
vasculaires,
Plâtres,
ablation,
armé,
attelles plâtrées,
circulaire,
complications,
durées moyennes d'immobilisation,
pendant,

797
positions de fonction des membres,
surveillance,
Pneumothorax,
Poissons
chats, blessure par,
chirurgiens, blessure par,
piqûres et morsures de,
Poliomyélite,
Polyblessés,
Ponction(s)
articulaires,
vésicale sus-pubienne,
Poumons, traumatismes,
Précarité,
Pseudarthroses infectées,

R
Raie, blessure par,
Rascasses, blessure par,
Rate
plaies,
traumatisme,
Réanimation,
équilibre nutritionnel,
hémodynamique,
perturbations hydro-électrolytiques,
post-opératoire,
Recouvrement conjonctival,
Rectum, plaies,
Recueil des données,
fiche,
Requin, morsure de,
Rétention de l'épaule,
Rupture
de grossesse extra-utérine,
utérine,
Rwanda,

S
Salpingectomie pour rupture de grossesse extra-utérine,
Salter et Harris, classification de,
Segment inférieur de l'utérus,
Serpent, morsures de,
Soldat, piqûre de,
Splénectomie pour rate traumatique,
Spongiaires venimeux, blessure par,

798
Stabilisation osseuse, FESSA,
Stérilisation,
Suture-épiplooplastie pour ulcère duodénal,
Syndactylisation,
Syndrome
des loges,
de Volkmann,

T
Tazard, morsure de,
Tendons, traumatismes des,
traitement des lésions tendineuses du pied,
Terrorisme, chirurgie,
Thoracotomie,
d'hémostase et d'aérostase,
traumatismes thoraciques,
Thorax,
balistique lésionnelle,
plaies,
de guerre,
traumatismes fermés,
Torsion du cordon spermatique,
Tortue, blessure par,
Trachéotomie,
Traction(s) des membres,
attelles,
collée
membre inférieur,
membre supérieur, 6
cranio-cervicale,
digitale,
suspension, volets thoraciques,
transosseuse
membre inférieur,
membre supérieur, 7
au zénith,
Transfusion sanguine,
thérapeutique transfusionnelle,
Traumatismes
du rachis,
rate,
thoraciques,
voir aussi Fractures, Luxations, Plaies et au nom de chaque organe
Traumatologie en milieu tropical,
Trépanation,
Triage chirurgical,
Tronc artériel ilio-fémoral, abord large du,
Tuberculose osseuse,

799
Typhoïde, perforation digestive,

U
Ulcère
duodénal, perforation,
perforé,
phagédénique tropical,

V
Vagotomie,
Vascularisation colique,
Ventilation
contrôlée, traitement des volets costaux,
manuelle (masque ou ballon)
avec respirateur,
Vésicule biliaire, perforation,
VIH
infection par,
prévalence en Afrique tropicale,
prévention,
Voies veineuses,
Volet costal,
traitement,
Volkmam, syndrome de,
Volvulus
colique,
du grêle,

800
Ouvrage à l’intention de tous ceux qui s’intéressent,
cherchent, étudient, la médecine et ses applications
thérapeutiques afin de venir en aide à leur prochain.

PP1 and WORLD ASSOCIATION of


PLANETARIAN HEALTH.

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