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Que j’ay veu en mon temps de grands escandales et de grands inconvenients pour les in-
discretions1 et des dames et de leurs serviteurs ! Que2 leurs marys s’en soucioyent aussi peu
que rien3, mais qu’ils4 fissent bien leurs faits5 sotto coperte؉6, comme on dit, et ne fust7 point
divulgué.
J’en ay cogneu une qui tout à trac8 faisoit paroistre9 ses amours et ses faveurs, qu’elle
departoit10 comme si elle n’eust eu de mary et ne fust esté sous aucune puissance11, n’en vou-
lant rien croire l’advis de ses serviteurs et amys qui luy en remonstroyent les inconve-
nients : aussi bien mal luy en a-il pris12.
8 « hardiment, sans précaution »
9 « affichait »
10 « octroyait, accordait, distribuait »
11 il s’agit de l’héritage de la patria potestas du chef de famille, qui lui donnait droit de vie
et de mort (uitæ necisque) sur ses enfants, sa femme et ses esclaves ‖ Pour mémoire : en
droit français, la femme n’est plus en puissance de mari depuis la loi du 18 février 1938
(portant modification de dispositions du Code civil)
12 Littré, 64o, cf. « Les Dames galantes » au fil des mots 001, note 234.
Cette dame n’a jamais fait ce que plusieurs autres dames ont fait ; car elles ont gentiment
traitté l’amour et se sont donné du bon temps sans en avoir donné grand connoissance au
monde13, sinon par quelques soupçons legers, qui n’eussent jamais pu monstrer la verité
aux plus clairvoyans ; car elles accostoyent14 leurs serviteurs devant le monde si dextre-
ment15, et les entretenoyent16 si excortement17, que ny leurs marys ny les espions, n’y eus-
sent sceu que mordre18. Et, quand ils alloyent en quelque voyage, ou qu’ils vinssent à mou-
rir, elles couvroyent et cachoient leur douleur si sagement qu’on n’y connoissoit rien19.
13 « à l’insu de tous »
14 « abordaient »
15 « adroitement, habilement » (l’adverbe est attesté depuis Rabelais)
16 « avaient avec eux des relations sexuelles »
17 l’adjectif de base escort (dont excort n’est qu’une variante graphique) « avisé, pru-
dent, réservé, discret, circonspect » est emprunté — avec e- prosthétique — à l’italien
scorto, participe passé de scorgere ; Rabelais l’emploie : « avecques espoir certain d’estre faictz
escorts et preux à la dicte lecture ». Cf. Monluc « et que, si je voulois, il [Phœbus Turc, Deifebo
dit Febo Turchi] meneroit l’entreprise si escortement qu’il me les ameneroit tous entre mes
mains ».
Il semble bien qu’il ait existé un adverbe antérieur avec lequel la confusion est facile,
mais le sémantisme les sépare.
18 « n’auraient pu trouver à redire »
19 « que nul ne s’apercevait de rien »
J’ay cogneu une dame belle et honneste, laquelle, le jour qu’un grand seigneur son servi-
teur mourut, elle parut en la chambre de la reine avec un visage aussi gay et riant que le
jour paravant20. D’aucuns l’en estimoyent de cette discretion21, et qu’elle le faisoit de peur
de desplaire22 et irriter le roy, qui n’aymoit pas le trespassé. D’aucuns la blasmoyent, attri-
buans ce geste23 plutost à manquement24 d’amour, comme l’on disoit qu’elle n’en estoit
guieres bien garnie, ainsi que toutes celles qui se meslent de cette vie25.
20 « le jour précédent, la veille » (paravant fonctionne ici comme adjectif ; cas unique ?)
21 « retenue » (Certains estimaient que cette retenue était tout à son honneur)
22 « mécontenter, offenser » (construction transitive directe du verbe : desplaire quel-
qu’un)
23 « cette attitude »
24 (emprunt à l’italien mancamento) « à une sécheresse de cœur, à une insensibilité » ‖
manquement avec déterminant zéro
25 « qui mènent cette vie »
J’ay cogneu deux belles et honnestes dames26, lesquelles, ayant perdu leurs serviteurs en
une fortune de guerre27, firent de tels regrets et lamentations, et monstrerent leur dueil par
leurs habits bruns28, plus d’eau-benistiers29, d’aspergez30 d’or engravez31, plus de testes de
morts, et de toutes sortes de trophées de la mort en leurs affiquets32, joyaux et bracelets
qu’elles portoyent ; qui les escandaliserent fort33, et cela leur nuict34 grandement ; mais leurs
marys ne s’en soucioyent autrement35.
…la Molle, s’en trouva marry, car sous pretexte de tremper en quelque conspiration, dont furent
accusez les Mareschaux de Montmorency & de Cossé, en laissa la teste à Saint Jean en Grève,
accompagnée de celle de Coconas, où elles ne moisirent ni ne furent pas long-temps exposées à la
veüe du peuple ; car la nuit venant ma preude femme, & Madame de Nevers sa compagne, fidèle
amante de Coconas, les ayant fait enlever, les porterent dans leurs carosses enterrer de leurs pro-
pres mains dans la Chapelle Saint Martin qui est sous Montmartre, laissant cette mort de la Molle
maintes larmes à sa Maistresse, qui sous le nom d’Hiacinte, a longuement souspirer & chanter ses
regrets…
Divorce satyrique (1663)
La Môle et le comte de Coconnas ayant esté decapitez, leurs testes furent secretement enlevées.
J’ai un memoire qui parle ainsi. L’amour et la jalousie firent perir ces deux gentilshommes. Ilz
estoient aymez de deux princesses, qui porterent leur affection si avant, quaprès leur mort elles
firent embaumer leurs testes et chacune garda la sienne parmy les autres marques de leur amour.
On pourroit deviner qui estoient ces princesses, mais ce seroit une cruauté d’en avoir seulement
la pensée.
Memoires de Monsieur de Nevers, prince de Mantoue (1665), Marin Le Roy de Gomberville
On peut compléter par le trait suivant, tiré de Tallemant des Réaux :
Elle [Marguerite de Valois] portoit un grand vertugadin qui avoit des pochettes tout autour, en
chascune desquelles elle mettoit une boiste où estoit le cœur d’un de ses amants trespassez ; car
elle estoit soigneuse, à mesure qu’ils mouroient, d’en faire embaumer le cœur. Ce vertugadin se
pendoit tous les soirs à un crochet qui fermoit à cadenas, derrière le dossier de son lict.
27 « ayant trouvé la mort par les hasards de la guerre » (on vient de voir qu’il n’en a
rien été : la peine capitale leur a été appliquée à la suite d’une décision de justice)
28 « sombres » ou « noirs » ?
29 (forme ancienne dont « bénitier » est issu par troncation)
30 « aspergès, goupillons » cf. l’antienne précédant la messe ῥαντιεῖς με ὑσσώπῳ, καὶ
καθαρισθήσομαι → asperges me [, Domine,] hyssopo, et mundabor « asperge-moi avec l’hy-
sope et je serai purifié »
31 « gravés »
32 « ornements, parures »
33 « (actions) qui entachèrent gravement leur réputation, les discréditèrent »
34 « nuisit »
35 « ne s’en souciaient guère, ne s’en souciaient pas plus que ça, n’en prenaient pas
ombrage, ne s’en formalisaient pas »
36 « se fourvoient, s’égarent »
37 « en rendant publiques leurs amours »
38 « attacher du prix » (pour leur constance)
39 « car, pour ce qui est de cela, c’est fort mal fait à elles/elles ont tort »
40 « ils imitent »
41 TLFi :
1. a) Ca 1140 transir « mourir » (GEFFREI GAIMAR, Hist. des Anglais, éd. A. Bell, 1124); XIIIe s. transi de
vie « mort » (Résurrection du Sauveur, éd. J. Gray Wright, 81 et 126); 1306 transi « mort » (GUIL-
LAUME GUIART, Royaux Lignages, II, 640 ds T.-L.); b) 1355 transi de froit « mort de froid » (Miracles
ND par personnages, XVI, 1466, éd. G. Paris et U. Robert, t. 2, p. 396); 2e moit. du XIVe s. transi de froid
« pénétré, engourdi de froid » (Livre chevalier la Tour Landry, éd. A. de Montaiglon, p. 268); ca 1520
transy de froit « pénétré, engourdi de froid » (PHILIPPE DE VIGNEULLES, Gedenkbuch, éd. H. Miche-
lant, 50, reprend comme mort de froit); 2e moit. du XIVe s. transir (qqn) de froit (en parlant d’une eau
glacée) « pénétrer, engourdir de froid » (Livre chevalier la Tour Landry, éd. citée, p. 268); 1572 transir
de froidure « être saisi de froid » (AMYOT, Que les stoïques disent des choses plus estranges que les poètes, 4
ds HUG.); 1628-30 trancir « id. » (A. D’AUBIGNÉ, Sa vie (I, p. 13-14), ibid.); 1680 transi « pénétré, en-
gourdi de froid » (RICH.); c) ca 1480 avoir le cueur transsy « avoir le cœur insensible » (Myst. Pacience
Job, éd. A. Meiller, 4795); 2. a) ca 1340 transi « qui a perdu conscience, qui est dans un état second »
(GUILLAUME DE MACHAUT, Dit dou Vergier, 149 ds Œuvres, éd. E. Hoepffner, t. 1, p. 18); b) ca 1445
amoureux transi (Confession et Testament de l’amant trespassé du dueil, éd. R. M. Bidler, 889); c) ca 1445
transi « transporté de joie » (ibid., 893); d) 1486 transi « ravi en extase mystique » (JEAN MICHEL,
Mystère Passion, éd. O. Jodogne, 10160); 3. 1340-70 transi par (qqc.) « bouleversé (par la douleur) »
(GUILLAUME DE MACHAUT, Poésies lyriques, éd. V. Chichmaref, 149-23); 1357 transi de (qqc.) « bou-
leversé (par la peur) » (GUILLAUME DE DIGULLEVILLE, Pélerinage Ame, éd. J. J. Stürzinger, 1912); ca
1480 avoir le cueur transi (Le Mistere du Viel Testament, éd. J. de Rotschild, 39233). Empr. au lat. class.
transire « passer, partir, traverser, être transféré » (d’où transe* sens I 1), mais surtout dans un
sens propre au lat. chrét., celui de « passer de vie à trépas », att. dès le Ve s. (v. G. ROQUES, Anc. et
moy. fr. transir, transi, transe ds Trav. Ling. Litt. t. 20, 1, Strasbourg, 1982, pp. 42-44 et Mél. Planche (A.),
1984, pp. 426-428).
42 « comme une chèvre sur le point de mettre bas » il y a là une formulation quasi-
proverbiale qui se retrouve chez d’autres écrivains.
● Jean Marot, Epistre Des Dames de Paris, aux Courtisans de France estans pour lors en Ita-
lye (1515), où elles décrient les Italiennes qu’elles considèrent comme leurs rivales : Oyez
leurs chants, c’est rompement de teste ; Car en chantant plorent, & font tel’ feste, Comme une beste
ou chevre qui avorte.
● Rabelais : Puis leva les œilz au ciel, et les tournoyoit en la teste comme une chievre qui
avorte ; tournant les yeulx en la teste comme une chievre qui se meurt.
● Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde (Filips van Marnix van Sint-Aldegonde),
dans Tableau des differens de la religion : ils tournent le blanc des yeux comme une chevre qui avorte.
M. A. Screech, 1995, rapproche Cotgrave, s. u. chevre : “Œil de chevre. An eye full of white
ſpots ; or, one that hath too much white, or a pearle in it [« cataracte »]; a wall eye [« œil
vairon »].”
43 TLFi donne comme 1er repère chronologique de faire le langoureux 1668 et comme
1re attestation BOILEAU, Satire IX (Faudra-t-il de sens froid, et sans estre amoureux, Pour quel-
que Iris en l’air faire le langoureux ; Luy prodiguer les noms de Soleil et d’Aurore, Et, toujours
bien mangeant, mourir par métaphore ?) ; l’antériorité revient au texte de Brantôme.
44 trait de préciosité, même si l’idée n’est pas neuve (Charles d’Orléans : Nul ne pour-
roit son cœur tenir D’envoyer les yeulx en messaige)
45 « avec tant d’ostentation »
46 « imprudences »
47 « faire comprendre »
48 (cf. en haut lieu) « d’une dame de haut parage »
49 « et qu’ils ont obtenu les faveurs de celle qu’ils courtisent »
50 « peut-être »
51 (on représente les prétendues conquêtes de ces galants) « peut-être les intéressées
leur accordent-elles en fait si peu d’attention qu’elles ne leur feraient pas même l’au-
mône d’un liard » Cette pièce de monnaie équivalait au quart d’un sou = 3 deniers, soit encore
1 e
80 de l’unité de compte et servait à désigner une valeur considérée comme négligeable.
52 « au risque de perdre [pour assurer leur salut] le bénéfice dun acte charitable, dune
œuvre de charité »
J’ay cogneu un gentilhomme qui escandalisa84 par ses façons de faire une fort belle et
honneste dame, de laquelle en estant devenu amoureux quelque temps, et la pressant d’en
obtenir ce bon petit morceau85 gardé pour la bouche du mary, elle luy refusa tout à plat86 ;
et, aprés plusieurs refus, il luy dit comme desesperé87 : « Eh bien ! vous ne le voulez pas, et je
vous jure que je vous ruineray de l’honneur88. » Et, pour ce faire, s’advisa de faire tant d’allées et
venuës à cachettes89, mais pourtant non si secrètes qu’il ne se montrast à plusieurs yeux ex-
prés et donnast moyen de s’en apercevoir de nuict et de jour, à la maison où elle se tenoit ;
braver90 et se vanter sous main91 de ses bonnes fausses fortunes, et devant le monde recher-
cher la dame avec plus de privauté92 qu’il n’avoit occasion93 de le faire, et parmy ses compa-
gnons faire du94 gallant plus pour le faux que pour le vray ; si bien qu’estant venu un soir
fort tard en la chambre de cette dame tout bousché 95 de son manteau, et se cachant de ceux
de la maison, aprés avoir joüé plusieurs tours, fut soubçonné par le maistre d’hostel96 de la
maison, qui fit faire le guet ; et, ne l’ayant pu trouver, le mary pourtant battit sa femme et
luy donna quelques soufflets ; mais, poussé aprés du maistre d’hostel, qui luy dit que ce
n’estoit assez, la tua et la dagua97, et en eut du roy fort aisement sa grace. Ce fut grand dom-
mage de cette dame, car elle estoit trés-belle. Depuis, ce gentilhomme qui en avoit esté cause
ne le porta guieres loin98 et fut tué en une rencontre de guerre, par permission de Dieu,
pour avoir si injustement osté l’honneur à cette honneste dame et la vie.
84 « perdit de réputation »
85 Cf. dans le Dialogue de Perrette, parlant à la diuine Macette (incipit : Plus luiſante que
n’eſt du verre), strophe 8 (Macette) [attribution : Regnier ou Sigogne(s)] :
Ie ſuis dvne [sic] eſtrange vſage
Vne fille en ſon veufuage
Qui a ſous le bout du buſc
Vn morceau de bonne priſe,
Gardant choſes exquiſes
Entre les roſes & le muſc.
(Symétriquement, chez Rabelais : « Le bon morceau dont elle estoit friande »)
86 (d’un plus ancien tout plat) « nettement, sans détour »
87 « poussé à bout, prêt à tout » (cf. l’anglais desperate)
88 « je vous déshonorerai » ; construction fréquente : « Causer la perte de l’honneur,
du credit, du pouvoir, de la santé, &c. Cette affaire l’a ruiné d’honneur & de reputation.
sa mauvaise conduite a ruiné son credit, l’a ruiné de credit. ses ennemis l’ont ruiné dans l’esprit
du Ministre. les desbauches ont ruiné sa santé. les fatigues, les austeritez ruinent le corps. » Dict.
de l’Académie, 1re éd., 1694.
89 telle était l’expression courante au XVIe siècle (Rabelais, Montaigne, Amyot,…)
90 « défier, narguer, se moquer »
91 « secrètement, en sous-main »
92 « familiarité, intimité »
93 « sujet, raison, motif »
94 « trancher de, simuler » cf. « Les Dames galantes » au fil des mots 003, note 90.
95 « dissimulé, caché » Littré cite deux exemples tirés d’Amyot : Alors le grand pontife
tire la patiente toute bouchée [voilée] hors de la littiere. Il n’y a d’autre difference entre cecy et
cela, sinon que le corps qui fait ces tenebres est plus grand que mon manteau qui te bouche les
yeux.
96 (sorte d’intendant)
97 (hystéron-protéron ou hystérologie + hendiadys) « la tua à coups de dague, la
poignarda à mort »
98 É. Vaucheret : « ne vécut pas longtemps »
Pour dire la verité sur cet exemple et sur une infinité d’autres que j’ay veu, il y a
aucunes dames qui ont grand tort d’elles-mesmes, et qui sont les vrayes causes de leurs
escandales et deshonneur : car elles-mesmes vont attacquer les escarmouches99, et atti-
rent les galants à elles ; et du commencement leur font les plus belles caresses 100 du
monde, des privautez, des familiaritez, leur donnent par leurs doux attraits et belles
parolles des esperances ; mais, quand il faut venir à ce point101, elles le desnient102 tout à
plat103 ; de sorte que les honnestes hommes qui s’estoient proposez104 force choses plai-
santes de leur corps se desesperent105 et se depitent en prenant un congé rude d’elles106,
les vont deshonorant107 et les publient pour108 les plus grandes vesses109 du monde, et en
content cent fois plus qu’il n’y en a110.
Donc voilà pourquoy il ne faut jamais qu’une dame honneste se mesle111 d’attirer à soy112
un gallant gentilhomme, et se laisse servir à113 luy, si elle ne le contente114 à la fin selon ses
merites et ses services115. Il faut qu’elle se propose cela116 si elle ne veut estre perduë117,
mesme118 si elle a à faire à un honneste et gallant homme ; autrement, dez le commence-
ment119, s’il la vient accoster, et qu’elle voye que ce soit pour ce point120 tant desiré à qui
il addresse ses vœux121, et qu’elle n’aye point d’envie de luy en donner, il faut qu’elle luy
donne son congé122 dez l’entrée du logis : car, pour en parler franchement, toutes dames
qui se laissent aimer et servir s’obligent123 tellement qu’elles ne se peuvent desdire du
combat124 ; il faut qu’elles y viennent tost ou tard, quoy qu’il tarde125.
ait (dont c’est la variante fréquente)
111 nous connaissons l’emploi de « se mêler » avec le sens de s’occuper indûment de (De
quoi se mêle-t-il ?) ; l’ancienne langue utilisait aussi le verbe sans cette connotation péjo-
rative, pour marquer une habitude, l’équivalent d’une forme fréquentative/itérative.
112 « à elle »
113 (complément d’agent introduit par à ; cf. il eschappa à cette folle femme de se faire en-
grosser à un autre qu’à son mary, « Les Dames galantes » au fil des mots 001, p. 36)
114 « si elle n’assouvit/ne comble/ne satisfait pas ses désirs ; si elle ne lui cède pas »
115 comme on le voit, Brantôme ne connaît pas les coquettes « qui tâchent d’engager les
hommes, & ne veulent point s’engager » (Furetière, 1690) : ce sens n’est pas attesté avant 1643
(chez Scarron). Assez éloigné des anciennes cours d’amour, il édicte à sa manière des règles
(« Il faut… ») qui préfigurent les Loix de la Galanterie (1644), de Charles Sorel.
116 « telle est la règle de conduite qu’elle doit se fixer »
117 (de réputation)
118 « surtout »
119 (dez « dès ») « d’emblée, de prime abord »
120 ce point tant desiré = « le dernier degré dans l’échelle du progrès en amour » sui-
vant la série traditionnelle des quinque lineæ (ou gradus) amoris (à savoir : uisus, allocutio,
tactus, osculum siue suauium, coitus « la vue, la conversation, le toucher, le baiser, le coït »),
dont le thème remonte à Donat, dans son Commentaire de Térence, et à Porphyre — mais
on trouve déjà chez le Pseudo-Lucien (Ἔρωτες, Amours, § 53) une échelle ou gradation du
plaisir ἡδονῆς κλῖμαξ à cinq niveaux analogues (l’anglais ‘climax’ signifie « orgasme »).
Voici des illustrations du thème, les deux premières chez Marot, la troisième chez Scève.
Mais il y a des dames qui se plaisent à se faire servir pour rien, sinon pour leurs beaux
yeux ; et disent qu’elles desirent estre servies, que c’est leur felicité, mais non de venir là126
et disent qu’elles prennent plaisir à desirer et non à executer127. J’en ay veu aucunes qui me
l’ont dit ; toutesfois il ne faut pourtant qu’elles le128 prennent là, car, si elles se mettent une
fois à desirer, sans point de doute il faut qu’elles viennent à l’execution : car ainsi la loy d’a-
mour le veut, et que toute dame qui desire, ou souhaitte, ou songe de vouloir desirer à soy
un homme, cela est fait129. Si l’homme le connoist130 et qu’il poursuive fermement celle qui
l’attaque, il en aura ou pied ou aisle, ou plume ou poil131, comme on dit.
Voilà donc comme132 les pauvres marys se font cocus par telles opinions de dames qui
veulent desirer et non pas executer ; mais, sans y penser, elles se vont brusler à la chandelle,
ou bien au feu qu’elles ont basty133 d’elles-mesmes, ainsi que font ces pauvres simplettes
bergeres, lesquelles, pour se chauffer parmy les champs en gardant leurs moutons et brebis,
allument un petit feu, sans songer à aucun mal ou inconvenient ; mais elles ne se donnent
de garde134 que ce petit feu s’en vient quelques fois à allumer un si grand qu’il brusle tout un
païs de landes et de taillis.
132 « comment »
133 É. Vaucheret : « provoqué »
134 « mais elles ne prennent pas garde »
Il faudroit que telles dames prissent l’exemple, pour les faire sages, de la comtesse d’Es-
caldasor135, demeurant à Pavie, à laquelle M. de l’Escu136, qui depuis fut appellé le mareschal
de Foix, estudiant à Pavie (et pour lors le nommoit-on le protenotaire137 de Foix, d’autant
qu’il estoit dedié à l’Église138 ; mais depuis il quitta la robbe longue139 pour prendre les ar-
mes), faisant l’amour à cette belle dame, d’autant que pour lors elle emportoit le prix de la
beauté sur les belles de Lombardie, et s’en voyant pressée, et ne le voulant rudement mes-
contenter ny donner son congé, car il estoit proche parent de ce grand Gaston de Foix, M.
de Nemours140, sous le grand renom duquel alors toute l’Italie trembloit, et, un jour d’une
grande magnificence et de feste qui se faisoit à Pavie, où toutes les grandes dames, et mes-
mes141 les plus belles de la ville et d’alentour, se trouverent, ensemble142 les honnestes gen-
tilshommes, cette comtesse parut, belle entre toutes les autres, pompeusement143 habillée
d’une robbe de satin bleu celeste, toute couverte et semée144, autant pleine que vuide, de
flambeaux et papillons volletans à l’entour et s’y bruslans, le tout en broderie d’or et d’ar-
gent, ainsi que145 de tout temps les bons brodeurs de Milan ont sceu bien faire pardessus146 les
autres : si bien qu’elle emporta l’estime d’estre147 le mieux en point148 de toute la troupe et
compagnie.
135 Brantôme se montre souvent incapable de transcrire sans faute des noms propres
(et certains éditeurs se contentent de ce niveau lamentable : j’ai trouvé la comtesse d’Es-
caldasol, d’Escaldasor, d’Escarsafiore, di Scarsafiore, et la Castafiore ny est pour rien). Comme
l’écrivain s’inspire (et le dit plus loin) de Paul Jove (Paolo Giovio, 1483-1552), Dialogo
dell’imprese militari e amorose (Rome, 1555), il suffit de se reporter au texte pour lire Ippo-
lita Fioramonda/Fieramonte, marquise de Scaldasole, femme de Lodovico Malaspina : la
dame usava ogni giorno bere un gran bicchiero di pesto di cappone per mantener morbide e belle
le carni, aux dires de Bandello, qui lui a dédié une de ses Nouvelles ; elle tenait une acadé-
mie et était générale des armées du duc de Milan (« Les principales dames de Pavie, en leur
siege du roy François, sous la conduitte et exemple de la signora contessa Hipolita de Malespina,
leur générale, se mirent de mesmes à porter la hotte, remuer terre et remparer leurs bresches,
faisant à l’envy des soldats » écrit Brantôme).
Voici le passage de Giovio :
Hebbe ancora questo medesimo difetto la bellissima impresa, che portò la S. Hippolita Fiora-
mo[n]da Marchesana di Scaldasole in Pauia, laquale all’età nostra auanzò di gran lunga ogn’altra
donna di bellezza, leggiadria, & crea[n]za amorosa ; che spesso portaua vna gra[n] veste di raso di
color celeste, seminata a farfalle di ricamo d’oro, ma senza motto ; volendo dire & auuertire
gl’ama[n]ti che no[n] si appressassero molto al suo fuoco, accioche tal hora non interuenisse loro,
quel che sempre interuiene alla farfalla, laquale per appressarsi all’ardente fia[m]ma, da se stessa
si abbrucia, & essendo dimandata da M. di Lescu bellissimo & valorosiss. Caualiere, ilquale era all-
hora scolare, che gli esponesse questo significato ; e’ mi conuiene (diss’ella) usare la medesima
cortesia, con quei gentilhuomini, che mi vengono à vedere, che solete vsar voi con coloro, che
caualcano in vostra compagnia ; perche solete mettere vn sonaglio alla coda del vostro corsiero,
che per morbidezza, & fierezza, trahe de calci, come vno auuertime[n]to che non s’accostino, per
lo pericolo delle ga[m]be. Ma per questo non si ritirò Monsignor di Lescu, perche moltanni per-
seuerò nell’amor suo, & al fine, sendo ferito a morte nella giornata di Pauia, & riportato in Casa
della Signora Marchesana, passò di questa vita, non poco consolato, poi che lasciò lo spirito estre-
mo suo nelle braccia della sua cara (come diceua) Signora & padrona.
Remarque —
136 Il s’agit de Thomas de Foix-Lescun [1485-1525] ; les pages que Brantôme lui consa-
cre ne sont guère favorables au maréchal.
137 « protonotaire » cf. « Les Dames galantes » au fil des mots 001, note 77.
138 « destiné à l’état ecclésiastique »
139 dans le costume masculin, la robe courte apparaît vers 1340 ; la robe longue, deve-
nue vêtement d’apparat, de cérémonie, est la marque des juristes, des lettrés, et plus en-
core des membres du clergé. Tout va bien aussi longtemps qu’on s’en tient à ce schéma ;
au-delà, les distinctions sont infinies et variables, cf. l’Encyclopédie :
En France, on distingue les officiers de robe longue de ceux de robe courte ; ces derniers sont ceux qui, pour
être reçus dans leurs charges, n’ont point été examinés sur la loi ; autrefois, il y avoit des barbiers de robe
courte, c’est-à-dire, ceux qui n’avoient point été sur les bancs & qui avoient été reçus sans examen.
140 Gaston III de Foix-Nemours [1489-1512], le « foudre d’Italie », est un cousin issu de
germains de Thomas de Foix.
141 « surtout »
142 ensemble « en même temps que » employé comme préposition ; cf. « Ensemble eux
commença rire Maistre Janotus » et « Les Dames galantes » au fil des mots 002, note 12.
143 « somptueusement » cf. Jézabel « Comme au jour de sa mort pompeusement parée »
144 « parsemée »
145 « car »
146 « mieux que »
147 « si bien qu’elle passa pour être »
148 « la plus élégante » La locution en bon point est attestée depuis 1188 (em boen poent
« en bon état ») si l’on consulte TLFi sous « point », mais depuis 1164 si l’on consulte TLFi
sous « embonpoint »… (Rabelais fournit un exemple de « vostre bon en poinct » et « mal en
point » s’est maintenu dans l’usage.) ‖ On remarquera « le mieux en point », et non « *la
mieux ».
149 une devise comprenait d’ordinaire un emblème et une sentence ; dans la cas pré-
sent, la sentence étant absente (ma senza motto, mais sans mot), il n’est question que d’or-
nements, de motifs, de figures
150 « cavaliers lourdement armés »
151 Mérimée et Lacour : « difficiles, rétifs » [l’Erratum invite à rectifier en « cherchant
à mordre, ombrageux », mais le texte montre bien qu’il s’agit de chevaux susceptibles de
lancer des ruades] ‖ Lalanne semble avoir pensé que Brantôme avait emprunté l’adjectif
à l’italien riottoso ; mais l’ancien français avait un adjectif ri(h)otos, qui est passé en
anglais (riotous) ainsi qu’en italien.
152 L. Lalanne : « Tirer du pied, donner des coups de pied. C’est la locution italienne :
Tirar calci. » ‖ Furetière enregistre l’expression avec le sens de « boiter » ; on l’a aussi em-
ployée pour « traîner la jambe » — Tirar calci, c’est « ruer » ; Paolo Giovio, rapportant les
propos attribués à la marquise, lui fait employer une expression similaire, trarre de’ calci.
153 « au surplus, en outre »
154 nous dirions « rien de plus »
155 « De la sorte, la dame avertissait d’emblée son soupirant de ne pas se laisser en-
flammer »
156 « ni comment il se comporta » (Littré, faire, 54o)
157 Jean Baptiste de Courcelles [1759-1834], Dictionnaire historique et biographique des
158 généraux français, VI (1822), p. 93 :
Le maréchal de Lescun combattit, avec beaucoup de valeur, à la bataille de Pavie, le 24 février
1525, fut blessé d’une arquebusade au bras, et d’un coup de feu dans le bas-ventre, et fut fait pri-
sonnier avec le roi. Il avait conseillé ce monarque de lever le siège de Pavie, et de point risquer
une bataille, avec une armée affaiblie par un gros détachement, et épuisée depuis quatre mois de
siège [commencé le 27 octobre 1524], contre des troupes fraîches, et qui seraient appuyées par la gar-
nison de Pavie, forte de 5000 hommes ; mais quoique le maréchal de Foix eût désapprouvé le com-
bat, il le soutint cependant avec une intrépidité héroïque ; il servit de bouclier à son roi contre les
coups qu’on lui portait, et ne cessa de le défendre que lorsque, tombant en défaillance, il fut en-
levé par les ennemis. Il mourut des suites de ses blessures, le 3 mai 1525. [Il faut lire : mars]
Paul Courteault [1867-1950], dans sa thèse sur Blaise de Monluc historien (1907), démêle
(grâce à une précision fournie par son auteur) l’écheveau que Brantôme a contribué à
emmêler en écrivant dans les Vies des grands capitaines que Lescun était mort « au bout de
neuf jours » [ce qui est exact] et dans les Dames galantes « au bout de trois jours » [ce qui est
faux] ; mais il n’a pas relevé la contradiction chez l’écrivain.
159 Monluc (né entre 1500 et 1502) combattit à la journée de Pavie : il y fut fait prison-
nier ; mais on le renvoya sans rançon, dès qu’il eut fait connaître qu’il n’était qu’un sol-
dat de fortune* (d’après Foisset aîné, dans la Biographie universelle, XXIX, 1821).
* L’auteur des Commentaires est précis sur ce sujet : « Pendant le sejour que je fis en larmée,
je fuz tousjours avec un capitaine, dict Castille de Navarre, sans prendre aucune solde, lequel, le
jour de la bataille, conduisoit les enfans perduz. »
La nuance a son prix, les enfants perdus (c’est-à-dire fantassins sacrifiés, italien fanti
perduti), équivalent du néerlandais verloren hoop « troupe (hoop) perdue, sacrifiée »,
devenu en anglais forlorn hope [sur le sens duquel la méprise est fréquente], étant des
volontaires envoyés en tirailleurs en avant-garde, à qui on faisait miroiter l’espoir d’une
prime ou d’un avancement si, une fois leur mission accomplie, ils en revenaient vivants.
160 le siège de La Rochelle (du 11 février au 26 juin 1573) fut le dernier acte militaire
de ce septuagénaire
161 « récit »
162 « il ignorait si, en d’autres occasions, leur relations étaient allées plus loin »
Latin ultra « de l’autre côté, au-delà de ; plus loin » → oultre → outre ; donc « s’ils avaient
dépassé cette limite » ‖ Plus ultra / Plus outre était la devise de Charles-Quint.
163 « mentionnés, énumérés, cités »
Or, y a des cocus qui sont si bons qu’ils font prescher et admonester leurs femmes par
gens de bien et religieux, sur leur conversion et corrections ; lesquelles, par larmes feintes
et paroles dissimulées, font de grands vœux, promettans monts et merveilles de repentan-
ce et de n’y retourner jamais plus164 ; mais leur serment ne dure guieres, car les vœux et lar-
mes de telles dames valent autant que jurements165 et reniements d’amoureux, comme j’en
ay veu et cogneu une dame à laquelle un grand prince, son souverain, fit cette escorne166 d’in-
troduire et apposter167 un cordellier d’aller trouver son mary qui estoit en une province
pour son service, comme de soy-mesme168 et venant de la cour, l’advertir des amours folles
de sa femme et du mauvais bruit169 qui couroit du tort qu’elle luy faisoit ; et que, pour son
devoir de son estat et vacation170, il l’en advertissoit de bonne heure, afin quil mist ordre à
cette ame pecheresse. Le mary fut bien esbahy d’une telle ambassade et doux office de cha-
rité : il n’en fit autre semblant pourtant171, sinon de l’en remercier et luy donner esperance
d’y pourvoir ; mais il n’en traitta point plus mal sa femme à son retour : car qu’y eust-il gai-
gné ? Quand une femme une fois s’est mise à ce train172, elle ne s’en detraque173, non plus
qu’un cheval de poste174 qui a accoustumé si fort le gallop qu’il ne le sçauroit changer en au-
tre train d’aller.
Hé ! combien s’est-il veu d’honnestes dames qui, ayant esté surprises sur ce fait175, tan-
cées176, battuës, persuadées et remonstrées177, tant par force que par douceur, de n’y tour-
ner jamais plus178, elles promettent, jurent et protestent179 de se faire chastes, qui puis
aprés pratiquent ce proverbe180 : Passato il pericolo, gabbato il santo181, et retournent encor
plus que jamais en l’amoureuse guerre ; voire qu’il s’en est veu plusieurs d’elles, se sen-
tant dans l’ame quelque ver rongeant, qui d’elles-mesmes faisoyent des vœux bien saints
et fort sollenels, mais ne les gardoyent guieres182, et se repentoyent d’estre repenties,
ainsi que dit M. du Bellay des courtisanes repenties183. Et telles femmes afferment184 qu’il
est bien malaisé de se defaire pour tout jamais d’une si douce habitude et coustume, puis-
qu’elles sont si peu en leur courte demeure185 qu’elles font en ce monde.
175 autant l’expression « sur le fait » (flagrante delicto) est sans surprise (Brantôme s’en
est déjà servi deux fois dans les Dames galantes), autant la variante sur ce fait, de même
sens, me semble être un hapax.
176 « sermonnées, réprimandées »
177 remontrer « exposer à quelqu’un ce qu’on lui reproche, ce dont on lui fait grief »
(remontrances) ; ici encore, la fluidité de la construction (style parlé) défie la syntaxe
178 cf. au § précédent de n’y retourner jamais plus et note 164
179 « déclarent d’une manière solennelle » cf. « Les Dames galantes » au fil des mots
003, p. 23 en protestation que
180 « dames … qui, par la suite, appliquent/mettent en pratique le proverbe »
181 Bayle (art. Borgarutius de son Dict. hist. et critique) rend bien ce proverbe : « on en-
voie paître le saint quand le péril est passé » ; le mot à mot donne « passé le danger, moqué
le saint » — Variantes : Mme de Sévigné substitue schernito à gabbato ; Maurice Pardé (Un
livre de M. Pierre Estienne sur le climat du Massif-Central. In : Revue de géographie alpine.
1958, Tome 46 N°1. pp. 203-212) se sert d’une version qui rompt avec la tradition, Passato
il pericolo, gabbato il diavolo !
Scène d’ouverture
du monologue en trois actes
intitulé
Arlequin-Deucalion
(donné à l’Opéra-Comique en 1722).
« Serviteur » =
tu peux toujours courir…
182 « mais ne respectaient pas longtemps leurs vœux »
183 le Toulousain Pierre Gilbert (Gilibertus), sieur de Maloc, docteur en Droit et conseil-
ler au Parlement de Grenoble de 1568 à 1579 [d’après Montaiglon, 1849 et Saulnier, 1965],
est l’auteur de poésies néo-latines que du Bellay dit avoir adaptées sous les titres de la
Courtisanne repentie et de la Contre-repentie. (Du Bellay connut P. Gilbert à Rome et le men-
tionne dans un sonnet : Qui niera, Gillebert, s’il ne veult resister [à moins de vouloir s’oppo-
ser] Au jugement commun.) C’est une formule de ce dernier poème que Brantôme trans-
pose en se repentoyent d’estre repenties :
Mere d’Amour, suivant mes premiers vœux,
Dessous tes loix remettre je me veulx,
Dont je vouldrois n’estre jamais sortie,
Et me repens de m’estre repentie.
184 « affirment »
185 « pendant le bref séjour »
Je m’en rapporterois volontiers à aucunes belles filles, jeunes repenties, qui se sont voi-
lées et recluses186, si on leur demandoit et en foy et en conscience187, ce qu’elles en respon-
droyent, et comme188 elles desireroyent bien souvent leurs hautes murailles abattuës189 pour
s’en sortir aussitost.
186 « qui ont pris le voile/sont entrées en religion et ont fait vœu de clôture/se trou-
vent dans l’obligation de ne pas sortir de leur couvent »
187 « avec franchise et honnêteté »
188 « combien, à quel point »
189 (latinisme) « la destruction de leurs hautes murailles »
Voilà pourquoy ne faut point que les marys pensent autrement reduire190 leurs femmes,
aprés qu’elles ont fait la premiere fausse pointe191 de leur honneur, sinon de leur lascher la
bride192, et leur recommander seulement la discretion et tout guariment d’escandale193 : car
on a beau porter tous les remedes d’amour194 qu’Ovide a jamais appris195, et une infinité qui
se sont encor inventez sublins196, ny mesmes les authentiques de maistre François Rabelais
qu’il apprit au venerable Panurge, n’y serviront jamais rien ; ou bien, pour le meilleur197,
pratiquer198 un refrain d’une vieille chanson qui fut faite du temps du roy François Ier, qui
dit :
Qui voudroit199 garder؉200 qu’une femme201
N’aille du tout à l’abandon202,
Il faudroit la fermer؉203 dans une pipe204,
Et en jouïr par le bondon205.
Pierre Villey a fait remarquer (Les Livres d’histoire moderne utilisés par Montaigne, 1908) que là où
Cicéron avait écrit cui cor sapiat, ei non sapiat palatus (quand on a bon jugement, n’importe d’avoir
bon palais), Montaigne reprend sans sourciller cui cor sapiat, ei et sapiat palatus (quand on a bon
jugement, il faut encore avoir bon palais) : « est-ce son texte qui change ainsi non en et, ou Mon-
taigne ne fait-il pas plutôt une plaisanterie d’épicurien ? »
197 « au mieux »
198 « mettre en pratique, appliquer »
199 « si on voulait »
200 « empêcher »
201 variante, qui préserve la rime : Pour empescher qu’une guenipe (prostituée)
202 « ne soit en perdition »
203 « l’enfermer »
204 (grande futaille, tonneau)
205 bondon désigne soit — comme c’est le cas ici — l’ouverture ménagée dans le tonneau
(en anglais : bung-hole) [cf. Rabelais « autant que vous en tirerez par la dille, autant en enton-
neray par le bondon »], soit, par métonymie, le tampon de bois destiné à boucher cette ou-
verture (bung)