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Le livre du Dr Saïd Sadi intitulé Amirouche : une vie, deux morts, un testament, paru
dernièrement, a suscité, plus peut-être que beaucoup d’autres livres traitant de la
lutte de Libération nationale, débats et polémiques auxquels ont participé jusqu’à
présent, acteurs, témoins, analystes politiques ou historiens. Les débats ont moins
porté sur la personne ou le parcours du colonel Amirouche, difficilement contestable,
que sur le sens que l’auteur donne à certains de ses actes ou de ses paroles ainsi que
les supputations sur ses relations avec ses pairs de l’intérieur et ses responsables de
l’extérieur pour arriver à des accusations graves, impossibles à étayer, contre ceux
qu’il désigne comme étant les responsables indirects ou directs de sa mort, qu’il
nomme Boussouf et Boumediène.
Ce livre a donc interpellé les membres du Bureau de l’Association des anciens du
MALG, acteurs historiques accusés outrageusement, tant en la personne de leur ex-
responsable, le colonel Abdelhafidh Boussouf, que de la structure qu’il dirigeait et à
laquelle ils appartenait, dans une affaire qui ne les concernait nullement. En l’étudiant,
ils ont relevé de nombreuses entorses à la vérité. Ils ne cherchent pas la polémique
avec l’auteur et encore moins à l’amener à se déjuger, car ils pensent bien que son
opinion est définitivement arrêtée et de longue date. Le portrait du colonel
Amirouche qu’il présente, lui servant, à leurs yeux, de ligne directrice pour un procès
politique bien ciblé bien que totalement décalé. Le Bureau du MALG, qui a préparé
cette intervention, en attend une contribution forte à l’endroit des lecteurs et des
historiens, qui à la faveur de sa lecture, pourront se faire leur propre opinion sur des
faits et des événements qui n’ont pas encore livré tous leurs secrets. C’est à ce titre
qu’ils se proposent d’apporter des clarifications, des critiques ou des démentis, selon
le cas, à des arguments, analyses, jugements, écrits rapportés et autres témoignages
largement énoncés tout au long de l’ouvrage.
Parmi ceux-ci :
l’environnement politique général prévalant en Wilaya III ;
la réunion projetée à Tunis et les raisons qui la fondaient ;
l’épineux problème des communications radio ;
la préparation du déplacement du colonel Amirouche ;
le registre des doléances du Conseil de wilaya ;
le déplacement qui lui coûtera la vie : la réalité historique et les supputations de
l’auteur quant aux interférences qui auraient influé sur cet épisode ;
enfin une conclusion pour présenter une image du MALG plus conforme à la réalité.
I/ L’environnement politique : En cette deuxième moitié de l’année 58, plusieurs
événements majeurs ont marqué l’histoire de la lutte de libération en général avec
leurs incidences sur la Wilaya III.
En premier lieu : la formation du GPRA, le 19 septembre 1958, avec la désignation du
colonel Krim Belkacem, premier chef de la Wilaya III en qualité de ministre des
Forces armées et du colonel Mohammedi Saïd deuxième colonel de la même wilaya, en
qualité de chef de l’état-major Est, qui assurait, il faut le rappeler, la tutelle sur les
trois Wilayas de l’Est I, II, et III, autant dire que la Wilaya III bénéficiait, de ce
fait, d’un soutien politique et moral de poids.
En second lieu : le «Complot» Lamouri où ce colonel de la Wilaya I ainsi que les
colonels Nouaoura et Aouacheria et quelques-uns des officiers de leur entourage a
tenté de destituer le GPRA naissant à la mi-novembre 1958 pour des raisons
subjectives et partisanes sur lesquelles il est superflu de revenir, l’essentiel ayant
été dit de longue date.
En troisième lieu : la situation matérielle de la Wilaya III, au regard du manque
d’équipement matériel, armement, munitions et ce, suite à l’achèvement, à cette
période, d’une ligne défensive électrifiée, minée et supérieurement protégée, la ligne
Morice qui empêchait pratiquement tout acheminement d’hommes et de matériel vers
l’intérieur.
En quatrième lieu : il s’agit évidemment de l’engagement militaire de l’armée ennemie
qui menait une action brutale et soutenue contre la Wilaya III qu’elle considérait
comme un bastion stratégique important, qu’il fallait réduire par tous les moyens.
Toutes les actions multiformes menées par les responsables de cette armée visaient
principalement le colonel Amirouche, moteur de la résistance. L’échec militaire
devenant patent, il a été fait recours, pour la première fois depuis le déclenchement
de Novembre 1954, à un plan diabolique de déstabilisation par l’intoxication et la
désinformation semant le doute dans les rangs de la Wilaya III. Ce plan était ce qui a
été baptisé la «Bleuite». Celle-ci a réussi au-delà de toute espérance. Le colonel
Amirouche tout comme n’importe quel autre responsable conscient du poids de ses
responsabilités pour la protection et le sauvetage de son œuvre, n’a pas échappé à la
manœuvre. Dès qu’il en prit connaissance à l’été 1958, sa réponse a été rapide,
vigoureuse, totale et brutale. Il en assume la responsabilité dans sa lettre du 3 août
1958 adressée à tous les chefs des wilayas de l’intérieur et au C.C.E. Le malheur est
que ceux qui ont pris en charge la mission d’y faire face, forts des instructions du
chef, ont traqué avec le plus grand zèle et la plus grande barbarie les cibles qui leur
ont été indiquées dans cette même lettre-circulaire, à savoir les «intellectuels, les
lycéens issus de la grève des étudiants, les déserteurs de l’armée française, les
personnes venant de Tunisie, du Maroc ou d’autres régions». Cette traque a duré des
mois et s’est traduite par une hécatombe au sujet de laquelle il serait malséant de
dresser des statistiques. Pour illustrer le zèle des exécutants de cette sinistre
besogne, nous nous permettons de rapporter le témoignage d’un ex-officier de la
Wilaya III M. A. M. qui, au lendemain de l’indépendance, a posé la question suivante à
l’un des bourreaux de la wilaya, A. M. «Comment as-tu été capable de torturer et tuer
autant de moudjahidine» ? «Si je ne l’avais pas fait, Si Amirouche m’aurait tué» ! me
répondit-il : (sans commentaire). Toujours dans le chapitre de l’environnement
politique, la réunion interwilayas initiée par le colonel Amirouche, du 6 au 12
décembre 1958 et groupant autour de lui les chefs des Wilayas IV, VI et I
respectivement Si M’hamed, Si El Haouès et Hadj Lakhdar qui partageaient des
préoccupations identiques aux siennes en ce qui concerne le tarissement du soutien
extérieur, considéré, à tort ou à raison, comme un lâchage, avait pour but avoué
d’unifier les rangs des chefs de l’intérieur, coordonner les actions à mener contre
l’ennemi – continuer la chasse aux traîtres, tout en se présentant aux yeux du GPRA
et de l’état-major comme un front uni et solidaire dont les avis et suggestions
devraient être entendus. La défection de dernière minute du colonel Ali Kafi à cette
réunion, qui se tenait sur son territoire, sur ordre supérieur certainement, a rompu
l’unanimité souhaitée et infléchi la position des chefs de wilaya vers une attitude plus
modérée en les amenant à se limiter aux seules questions militaires et
organisationnelles internes, comme en témoigneront les différents P.V. de cette
réunion adressés au GPRA dès le 1er janvier de l’année 1959. Bien plus à l’issue de
cette réunion et en lieu et place d’une motion de défiance, c’est une motion de
confiance et de soutien qui a été adressée le 1er janvier 1959 «au gouvernement de la
jeune république», (cf. copie annexée au livre).
La réunion projetée à Tunis et les raisons qui la fondaient
L’ordre du jour relatif à cette réunion a été inscrit dans le message de convocation
adressé aux colonels concernés. Il est signé du chef du COM Est Mohamed Saïd et
vise les trois Wilayas la I, la II et la III, placées sous sa tutelle. Nous n’avons pas
connaissance qu’un télégramme de même nature ait été transmis aux Wilayas IV, V,
VI et si cela a été fait, il ne pouvait émaner que du COM Ouest. Le fait que le chef de
la Wilaya VI, Si El Haouès, a décidé de s’y rendre malgré le désistement du chef de la
Wilaya IV, Si M’hamed qui a reporté son départ, en raison des opérations du Plan
Challe «Couronne et Etincelles» qui se déroulaient sur son territoire, depuis
décembre 1958, confirme bien la réalité et l’importance de ce rendez-vous.
Cependant, le projet d’ordre du jour qui ne mentionnait que des sujets traditionnels
et habituels : situation militaire, politique, économique, financière, etc. sans
perspective d’un examen de vision future important quant à l’organisation et la
stratégie à mettre en œuvre dans la nouvelle phase de la lutte, laisse penser que les
vraies questions à débattre étaient volontairement occultées. Nous pouvons avancer
sans risque de nous tromper que les liens qui commençaient à se distendre entre
l’intérieur et l’extérieur, les critiques non dissimulées, allant dans le sens d’une
rupture de confiance, illustrée par la réunion interwilayas sus-évoquée, ainsi que la
dramatique question de la Bleuite qui continuait à s’étendre et à décimer des cadres
de niveau de plus en plus élevé, en Wilaya IV. Enfin la dissidence interne qui
s’éternisait en W.I si bien qu’elle menaçait cette wilaya d’implosion. Tout cela
indiquait qu’il ne pouvait s’agir que d’une réunion de mise au point d’une autre
dimension où la confrontation n’était pas à exclure.
L’épineux problème des communications radio
Les débats ont également porté sur cette fameuse convocation à la réunion «de
Tunis». Le Dr Sadi en présente une copie annexée à son livre. Le colonel Kafi parle
d’un autre message qui lui est parvenu pour sa transmission au colonel Amirouche, ce
que lui conteste le premier cité. Au MALG nous vous apportons la preuve qu’il y en
avait trois, comme en témoigne le message signé de la main de Amirouche et ainsi
libellé :
Exp. Sagh Thani Si Amirouch
Aux armées le 1er mars 1959
Destinataire : C.O.M. Tunis
Reçu 1er message date du 25 janvier en Nord Constantinois - remis 16 février
Reçu 2e message 39-70 le 18-2 par Wilaya I.
Reçu 3e message n° 47-77 - le 27-2 par Wilaya I.
Vers 20 avril, serons parmi vous.
Ce message, dont la copie est jointe en annexe, signé le 1er mars, a été envoyé par
porteur au P.C. de la Wilaya I pour sa transmission à partir de la station locale, à
COM. Tunis. Il n’est arrivé à ce P.C. que le 30 mars soit le lendemain du décès des
deux colonels Si Amirouche et Si El Haouès. Le chef de station de la Wilaya I, Saïd
Ben Abdellah, n’a pas jugé utile de lui donner suite comme il l’affirme dans ses
mémoires. Une pause s’avère maintenant nécessaire pour expliciter la situation des
équipements radio à travers les différentes wilayas à cette époque. Dès la mi-57
après la réception par le colonel Boussouf d’un quota de postes radio, de grande
qualité ANGRC/9, toutes les wilayas ont été dotées de deux appareils servis par deux
opérateurs chacun. C’est ainsi que la Wilaya III disposait de deux appareils et de
quatre opérateurs dont les noms suivent : Belkhodja Nourredine, Aït Hami Tayeb,
Laâredj Abdelmadjid et Amar «Dépanneur». Un des deux postes est tombé
rapidement en panne et les quatre opérateurs ont été affectés à la station en
fonction. Les choses ont marché normalement jusqu’à cette date fatidique du 9
décembre 1958 où l’explosion de la batterie nouvellement installée, après sa
récupération opérée quelque temps auparavant sur le théâtre des opérations, a
provoqué outre la destruction du poste radio, la mort des trois opérateurs cités en
premier et des blessures plus ou moins graves au commandant Mohand Ou L’hadj et
Abdelhafidh Amokrane, présents sur les lieux. Cet attentat criminel visait sûrement
le colonel Amirouche qui, par chance, se trouvait ce jour-là hors de sa wilaya (réunion
du Nord-constantinois). Après la destruction de cet appareil, le Commandement de la
Wilaya III s’est trouvé privé de tout moyen radio et avait recours aux services des
Wilayas I et II. Sur le plan régional à l’exception de la Wilaya III démunie, la Wilaya
VI disposait d’une station dans sa région sud et la Wilaya IV, sous la pression des
opérations Challe, avait réduit, sur ordre du colonel Si M’hamed, sa radio au silence
total. Dans un paragraphe suivant, nous parlerons des mesures prises par les services
du MALG pour remédier en faveur de la Wilaya III à cet important déficit.
Les préparatifs du déplacement
Avant que le colonel Amirouche ne prenne son départ vers la frontière, le Dr Sadi
nous retrace les décisions organisationnelles prises par lui pour la direction de la
wilaya durant son absence ainsi que ses dernières recommandations. Amirouche avait
notamment chargé une commission spéciale afin de préparer un mémorandum de
doléances à exposer à la réunion projetée en avril à Tunis. Ce mémorandum daté du 2
mars 1959, annexé à l’ouvrage du Dr Sadi, comprenait trente et un points. Sa lecture
laisse à penser que le colonel Amirouche n’a pas participé à sa rédaction, parce que le
document reprenait un certain nombre de considérations générales et que les points
les plus importants de son contenu ne cadraient pas avec la réalité vécue en dehors
de la Wilaya III ou bien que la solution avait été apportée auparavant.
Nous analysons quelques-uns de ces points
Point n° 3 : «Demandons offensive coordonnée et efficace de la ligne Morice pour
attirer des forces ennemies en masse et soulager la pression sur l’intérieur,
l’offensive doit surtout permettre le passage de matériel et de munitions. » Cette
pétition de principe laisse croire que la Wilaya III ignorait ce qui se passait au niveau
des frontières. En effet, après la réunion du 2e CNRA au Caire en août 1957, l’accent
avait été mis sur l’effort de guerre et sur instruction du responsable des forces
armées, au sein du CCE, une action d’envergure avait été projetée et mise en œuvre
tout au long du premier semestre 1958. Sous la conduite du colonel Mohammedi Saïd,
dix-sept grandes opérations de franchissement en masse du barrage ont été opérées.
Ces actions étaient si violentes qu’elles ont provoqué les mesures de représailles que
l’on connaît, avec l’agression de l’aviation française contre la ville tunisienne de Sakiet
Sidi Youcef le 8 février. Ces actions ont provoqué des dégâts importants au niveau du
barrage et des accrochages dantesques ont eu lieu, dont la bataille de Souk Ahras du
29 avril au 3 mai 1958 qui a opposé un millier de combattants de l’ALN, dont deux
compagnies destinées à la Wilaya III à côté du bataillon de Mohamed Lakhdar Sirine.
Les renforts pré-installés sur le barrage dès le début de l’année ont mobilisé trois
divisions la 2e à Annaba, la 11e à Souk Ahras et la 7e à Tébessa, soit plus de 40 000
hommes auxquels il y a lieu d’ajouter les moyens blindés, aériens et l’artillerie lourde.
Ces accrochages ont causé des pertes considérables à l’ennemi compte tenu de
l’armement moderne des combattants de l’ALN, mais aussi des pertes tout aussi
considérables du côté ami, soit plus d’un millier de chouhada en six mois. Malgré ces
demi-succès, les actions de harcèlement et les tentatives de franchissement n’ont
jamais cessé.
Point n° 5 : «Réclamons rentrée des cadres et djounoud vivant à l’extérieur.» Cette
question sera reprise lors de la réunion des dix colonels et du CNRA des mois de
septembre et décembre de l’année suivante. Elle se concrétisera par le retour en
Algérie du colonel Lotfi : W.V et pas moins de sept commandants : Abderrahmane
Oumira : W. III ; Ali Souai : W. I ; Ahmed Bencherif : W. IV ; Ali Redjai : W. I ;
tombé au champ d’honneur sur le barrage ; Faradj : W. V ; tombé au champ d’honneur
en même temps que Lotfi ; le commandant Benyzar, tombé également au champ
d’honneur sur le barrage et enfin le commandant Tahar Z’biri : W. I.
Point n° 6 : «Voulons répartition des postes, matériel et personnel des transmissions
équitable.» Les services du MALG n’ont pas attendu cette requête, qui ne leur est
jamais parvenue d’ailleurs, pour décider et organiser des envois de postes-radio et
des opérateurs aux wilayas qui en étaient dépourvues. C’est ainsi que dès que la
station-radio de la Wilaya III a été mise hors d’état de fonctionner, dans les
conditions que l’on sait, deux envois ont été programmés quelques semaines après :
trois postes-radio et six opérateurs, Khentache Abdelouahab, Aïssaoui Rachid,
Chebira Amor, Drici Abdelaziz, Maâzouz Mohamed-Salah et Rezzoug Abdelouahab
ont été adjoints au lieutenant Hidouche en partance pour la Wilaya III à la tête d’une
compagnie. Après mille et une péripéties, le barrage a été traversé et à leur arrivée
aux portes de Bône, précisément à Sidi Salem, la Seybouse en crue n’a pas permis
leur avancée. Repérés dans la matinée, dans une orangeraie peu couverte, ils ont été
pris à partie par l’aviation ennemie ce qui se traduira par la mort, le 24 juin 1959, de
47 djounoud dont les six opérateurs et la capture du reste des combattants blessés.
Avant leur mort, les opérateurs avaient jeté leurs postes dans la rivière d’où ils
seront retirés, quelques jours plus tard, par les hommes grenouilles de l’armée
française. La deuxième opération destinée à la Wilaya III a été engagée à partir de
la frontière ouest, au nord de Béchar. Deux opérateurs, Harouni Bouziane et Ladjali
Mohamed, munis d’un poste-radio, ont pris la route vers la mi-avril en direction de la
Wilaya III. Plus d’un mois plus tard, ils arriveront au PC de la Wilaya IV d’où ils
attendront leur acheminement vers le lieu de leur affectation. Ils arriveront
finalement à bon port juste avant le déclenchement de l’opération «Jumelles» et
resteront silencieux, pendant toute la période de l’opération, pour éviter toute
interception.
Point n° 16 : «Manquons cruellement matériel et munitions.» La réponse à ce point à
été évoquée au point n° 3. Les membres du Conseil de Wilaya font abstraction des
barrages électrifiés dont ils sous-estimaient l’efficacité. Les choses allaient
beaucoup mieux avant la réalisation de cette ligne fortifiée. Les compagnies
d’acheminement se dirigeaient régulièrement de la base de l’est vers la Wilaya III,
notamment la célèbre compagnie de «Slimane l’assaut». Un bataillon a également
quitté la Wilaya I à la mi-57 transportant plus de trois cents armes à la Wilaya III,
ce qui réfute toute idée de discrimination ou d’ostracisme.
Point n° 17 : «Proposition d’installation d’une radio nationale à l’intérieur. »
Proposition insensée compte tenu de l’équipement complexe, lourd et non maniable
exigé, ce qui le rend vulnérable dès sa mise en route.
Point n° 23 : «Il est nécessaire de dépasser le stade de la guerilla et de passer le
plus vite possible au stade de la guerre par la formation de grosses unités de type
régiment ou division pour affronter avec de meilleurs résultats l’ennemi.» Proposition
tout aussi insensée. La mise en œuvre du Plan Challe avec de très gros moyens, au
contraire, a poussé l’ALN au pragmatisme par l’éclatement des katibas et des sections
en unités de plus en plus petites.
Point n° 26 : «Aimerions que relations radio soient directes entre wilayas afin de
régler problèmes urgents.» Rien n’interdisait les relations interwilayas si ce n’est
l’intérêt sécuritaire. En effet, un code de chiffrement ne pouvait concerner que deux
intervenants, la Wilaya et le Centre des transmissions national. Un code commun à
plusieurs wilayas peut constituer un danger potentiel important en cas de sa
récupération par l’ennemi à l’insu des autres parties utilisantes. En conclusion, ces
quelques points du mémorandum, considérés sensibles et analysés objectivement,
soulignent le caractère imparfait de la connaissance de la situation nouvelle créée par
l’évolution de la guerre avec la nouvelle stratégie des grandes opérations «Challe»,
adossée à un système défensif aux frontières quasiment hermétiques. C’est cette
méconnaissance et le manque de communication qui ont alimenté les rancœurs et
accru les malentendus entre intérieur et extérieur. Les dirigeants extérieurs ne sont
pas, non plus, exempts de tout reproche. Des solutions techniques appropriées
pouvaient être envisagées par les commandants des frontières, dont le ravitaillement
en armes, la formation et l’envoi de troupes vers l’intérieur constituaient la mission
exclusive.
Le déplacement fatal
Pour son déplacement vers la frontière, le colonel Amirouche n’avait, comme à son
habitude, soufflé mot sur le choix de son itinéraire. Sa légendaire prudence et son
extrême vigilance faisaient qu’il était impossible pour l’ennemi de le localiser par les
voies classiques y compris celles du maillage de plus en plus serré des réseaux
d’informateurs locaux dont il avait perfectionné, en liaison avec les S. A. S., le modus
operandi. La question de l’indiscrétion des messages radio est à exclure totalement
puisque ni lui ni son compagnon ne disposaient de ce moyen et les stations principales
en disposant étaient à l’arrêt volontaire ou forcé. L’allusion ici au rôle de Boussouf et
de Boumediène, que l’auteur cherche à impliquer avec une énergie décuplée, ne peut
résister à la critique. La vérité est que l’ennemi savait que des responsables de haut
niveau, c'est-à-dire des chefs de wilaya, devaient se rendre à Tunis pour une réunion
dans une période de temps qui se comptait en semaines ou en mois, mais la question
des itinéraires restait toujours une inconnue. Il est utile de rappeler qu’en ce début
d’année 1959, l’état-major de la 10e Région militaire avait mis en œuvre depuis la fin
de l’année 1958 un vaste plan «d’éradication de la rébellion» selon les propos du
général de Gaulle, que le général Challe lui-même devait encadrer et piloter. Partant
de l’Oranie à l’ouest, de vastes opérations de ratissage avaient été menées et se
concentraient en ce premier trimestre 1959 sur l’Ouarsenis et le Titteri. Des troupes
nombreuses et suréquipées étaient à l’affût de la moindre information pour intervenir
en n’importe quel point du territoire ciblé. Les opérations de recherche étaient donc
nombreuses et les accrochages fréquents. C’est ce qui s’est passé dans la région de
Bou Saâda où, d’approche en approche, ces troupes sont tombées tout à fait par
hasard sur l’équipée des deux colonels sur le djebel Thamer, ce qui est confirmé par
de nombreux cadres de l’ALN ayant vécu l’événement et consigné leur témoignage y
compris dans le débat en cours. Beaucoup de rumeurs ont été propagées pour
affirmer que l’encerclement en question fait suite à des aveux de djounoud arrêtés
aux abords du djebel Thameur ou celui du djebel Zemra et ce suite à des opérations
de routine d’unités du secteur. Cette éventualité est à écarter puisque le commandant
de la 20e Division d’Infanterie, le général Roy, souligne dans son «rapport détaillé sur
l’opération Amirouche», que la sous-zone Sud dont il avait le commandement s’étalait
sur 30 000 km2 et qu’une série d’opérations y a été envisagée en «fonction de
synthèses de renseignements établies par les 2e Bureau des secteurs de Djelfa et de
Bou Saâda». Ce rapport du général Roy a été annexé par le Dr Sadi à son livre, pour
bien montrer que le renforcement et la concentration de troupes dans cette sous-
zone avaient été décidés par le général Massu suite à des renseignements parvenus à
celui-ci (comment ?) indiquant le passage par le Hodna du colonel Amirouche.
Malheureusement pour le Dr Sadi, ce rapport ne peut lui être d’aucun secours, parce
que profane sur les questions militaires. Il en fait donc une très mauvaise lecture.
Premièrement, la liste des unités composant la 20e DI citée dans le rapport n’indique
en rien le renforcement. Bien au contraire, par rapport à la composition classique de
la 20e DI telle qu’elle figure dans les organigrammes des 16 divisions existant en
Algérie et présentée dans le livre de François Porteu de la Morandière Histoire de la
Guerre d’Algérie page 364, la 20e DI installée à Médéa le 5 février 1957 comptait un
nombre d’unités plus important à cette date, puisqu’il lui manque trois régiments
importants qui ont été déplacés : le 2e RI, le 6e RI et le 19e Régiment de chasseurs.
Le régiment parachutiste dont il est fait mention, comme unité de renfort, n’est que
le 6e RPIMA qui préexistait dans l’organigramme. La seule unité nouvelle engagée
dans l’action est le 2e Régiment étranger de cavalerie (Légionnaires) qui a été
affecté aux réserves générales et opérait avec celles-ci dans le nord-ouest de la
zone Sud, c'est-à-dire sur le territoire de la Wilaya IV. De plus le rapport, pourtant
demandé par le Premier ministre français, n’indique nullement que l’objectif visé dans
ces opérations, celle du djebel Zemra comme celle du djebel Thameur éloignées quand
même de 80 km l’une de l’autre, concernait personnellement le colonel Amirouche.
D’autres versions officielles existent, dont celle contenue dans le livre La Guerre en
Algérie de l’historien militaire Georges Fleury que le Dr Sadi a dû lire puisqu’il le cite
dans la bibliographie de son ouvrage. Georges Fleury rapporte que l’identité des hauts
responsables n’a été déterminée qu’à l’issue de la bataille, ce qui a fait arriver en
grande vitesse, ajoute-t-il, tout le gratin des «généraux étoilés». Il est facile d’en
conclure que si les deux colonels avaient été localisés avant l’assaut, les mêmes
«généraux étoilés », dont Massu, se seraient trouvés sur place à portée de fusil du
théâtre des combats. Alors pourquoi ces accusations récurrentes contre Boumediène
et Boussouf ? Nous pouvons comprendre que le démocrate Saïd Sadi n’a pas, d’atomes
crochus avec Boumediène parce qu’il ne partage absolument pas, et c’est son droit, les
idées et la conception de l’exercice du pouvoir tel que pratiqué par celui-ci durant de
très longues années. Ce n’est pas le cas de Boussouf qui a volontairement quitté
l’arène politique à la veille de l’Indépendance quand il a vu l’inclination des nouvelles
alliances à s’orienter vers un pouvoir autoritaire d’exclusion et de déni des principes,
dont il s’est nourri avec des militants de la trempe de Ben M’hidi durant leurs dures
années de militantisme clandestin. Ces principes d’intégrité morale, de don de soi, de
patriotisme sans concession, il les a appliqués à la lettre durant l’exercice de ses
responsabilités durant la Révolution. Oui il a été dur et rigoureux avec ses pairs
lorsque les circonstances l’exigeaient, mais il a agi, il a construit, il a laissé un bilan.
De tout ce bilan : liaisons, transmissions, radio, logistique de meneur d’hommes,
pourvoyeur d’armes, formateur dans les disciplines militaires basiques et dans les
disciplines spécialisées, ambitieux pour la Révolution autant que pour ses cadres qu’il
voulait élever au plus haut niveau de leurs possibilités et il y est arrivé puisqu’il a
laissé à l’Algérie indépendante des centaines de cadres intégrés, engagés,
immédiatement utilisables. On oublie donc tout ce bilan pour s’accrocher au Boussouf
responsable des services de renseignement de la Révolution. Il faut pénétrer dans le
secret de ces services pour constater que ce n’est pas du tout l’image qu’en donnent
leurs détracteurs. Les services de renseignement de Boussouf étaient orientés
exclusivement vers l’ennemi dont il fallait connaître les intentions et les moyens
d’action que ce soit dans le domaine militaire prioritaire, politique, économique, ou
diplomatique. Ces informations, Boussouf les mettait au service de la Révolution et au
service de la lutte. Si les cadres qui ont travaillé avec lui, et ils sont plus de deux
mille comparativement aux quelques dizaines de cadres qui faisaient tourner les
autres secteurs ministériels, lui témoignent aujourd’hui respect et reconnaissance
c’est encore et à cause de son bilan qui est aussi le leur. Boussouf n’avait aucun
problème avec Abane, Krim ou Amirouche. Leurs chemins se sont très peu croisés.
Arrivera un moment où toutes ces questions seront éclaircies. Par ailleurs, Boussouf
n’a joué aucun rôle dans ce qui s’est passé après l’indépendance, et les tenants du
pouvoir en place lui vouaient une inimitié incompréhensible. Ses «hommes», si souvent
montrés du doigt, ont, grâce à la compétence acquise, occupé effectivement des
postes importants dans les rouages de l’Etat naissant, dans le secteur minoritaire de
l’armée, dans ceux de l’administration et de la diplomatie, mais les analystes éclairés,
et le Dr Sadi doit en faire partie, savent que ni eux ni les autres cadres à la tête de
rouages stratégiques de l’État ne constituaient le pouvoir, propriété exclusive de la
tête de la pyramide. Aujourd’hui les membres de l’Association du MALG, membres à
part entière de l’Organisation nationale des moudjahidine (ONM), ne sont pas un parti
ou un lobby politique et encore moins une secte. Il s’agit tout simplement d’une
Amicale d’anciens compagnons issus de toutes les parties du territoire national dont
une grande partie de la région que certains veulent singulariser à tout prix et leur
ambition a été et demeure d’apporter les témoignages de ce qu’ils savent sur la lutte
de libération tout en renforçant les liens de fraternité qui devraient prévaloir
partout et toujours pour la préservation de l’image sacrée de la grande Révolution.
P./le bureau du MALG
D. O. K.
Les salves du premier spadassin envoyé au front avaient donné le ton : on ne discute
pas d’histoire : chasse gardée. Le procédé a été testé mille fois dans tous les
systèmes totalitaires. Sur le fond, on ne répond pas à l’adversaire. On qualifie à sa
convenance, c'est-à-dire que l’on diabolise ses propos et positions, une fois le postulat
faussé, le raisonnement peut suivre. Le président de l’association du MALG engageant
son bureau dit ne pas chercher «la polémique avec l’auteur et encore moins à l’amener
à se déjuger, car ils pensent bien que son opinion est définitivement arrêtée et de
longues date». Voilà l’estampille MALG. Je me revois 25 ans en arrière face au juge
d’instruction de la Cour de Sûreté de l’Etat qui me disait : «Vous avez signé un tract
dans lequel vous revendiquez un Etat démocratique et social. Cela suppose le
renversement du régime. Par quels moyens comptez-vous y parvenir ?» On le voit, les
mœurs sont toujours les mêmes. A en croire le bureau du MALG, cela fait quarante
ans que je récolte témoignages après témoignages, documents après documents pour
sortir un livre en 2010 en sachant, dès le départ, ce qui allait advenir de notre pays.
On découvrira dans d’autres évènements comment le MALG traite comme complot
toute initiative échappant à son contrôle. Les violences des attaques et les
incohérences des interventions de M. Benachenhou ayant provoqué une indignation à
peu près générale, il fallait engager le reste des divisions : le bureau du MALG étant
la vitrine light du service opérationnel.
En finir avec le MAL(G)
Auparavant, le bureau du MALG avait envoyé en éclaireurs quelques associés dont il
suffit de rappeler les dires pour en apprécier le sérieux. L’un explique que l’une des
raisons qui ont pu amener le général Massu à masser ses troupes trois jours avant le
passage des colonels Amirouche et Haouès dans le Hodna pouvait être l’attentat
commis par deux maquisards qui avaient éliminé un harki les ayant repérés. Le second
nous informe que Boumediène n’était pas au courant de la séquestration des restes
des deux martyrs… mais qu’il avait entendu dire qu’il s’apprêtait à leur organiser des
«funérailles nationales grandioses» ! Sur les faits, il n’y a rien de nouveau sous le
soleil. Pour nos tuteurs, le régime qui sévit depuis 1957 est l’expression démocratique
du peuple algérien et tout ce qui contesterait ce dogme relèverait d’esprits
malfaisants, régionalistes qui veulent saper le moral d’une nation harmonieuse,
prospère et apaisée. Pourtant la sortie de M. Ould Kablia ne manque pas d’intérêt, non
pas dans ce qu’il apporte d’un point de vue événementiel, mais dans ce que son
approche permet de découvrir. M. Ould Kablia nous avertit : le bureau du MALG n’est
pas un parti, un lobby et encore moins une secte avant d’ajouter que pendant la
guerre, son service avait orienté son potentiel exclusivement vers la nuisance de
l’ennemi. Fort bien. Il n’en demeure pas moins qu’il nous apprend que cet organe,
présenté comme une instance technique du renseignement mis au service du pouvoir
politique, disposait «de plus de 2 000 cadres» alors que «ceux qui faisaient tourner
les autres secteurs ministériels » comptaient à peine «quelques dizaines» ! A la chute
de Salazar, les Portugais découvrent qu’un citoyen sur cinq était, d’une façon ou d’une
autre, instrumentalisé par la police politique, la PIDE. C’est précisément ce
détournement et ce gâchis que dénonçait Amirouche dans son rapport quand il
rappelle : «Désirons que jeunes envoyés par les wilayas soient orientés sur plusieurs
branches… Nous envoyons des jeunes à l’Extérieur pour les faire profiter et les
préparer à des tâches qui serviront mieux l’Algérie de demain. Or, nous apprenons que
la plupart sont dirigés vers les transmissions. Nous aimerions qu’à l’avenir ces jeunes
soient orientés vers d’autres branches…» Plus près de nous, il est pour le moins
surprenant qu’une association d’anciens combattants désireux de finir leurs jours
dans la sérénité fasse financer ses membres sur le fonds spécial en les faisant
bénéficier du salaire de cadres de la nation. Enfin, et ce n’est pas le moindre des
abus, une association qui dispose de documents confidentiels alors qu’ils devraient
relever de la discrétion de l’Etat pose à la fois un problème de souveraineté et
d’éthique. En principe, une association demande à l’Etat de pouvoir consulter des
archives ; chez nous, il y a comme une inversion d’autorité, y compris quand il s’agit
d’une «contribution forte à l’endroit des lecteurs et des historiens qui, à la faveur de
sa lecture, pourront se faire leur propre opinion sur des faits et des évènements qui
n’ont pas encore livré tous leurs secrets». Depuis quand une association occupée par
d’inoffensifs patriarches, a-t-elle le droit de détenir des secrets d’Etat et en vertu
de quel statut est-elle fondée à choisir le moment de leur divulgation ? Nous le
verrons tout au long de cette intervention, le statut, les prérogatives et la culture
d’origine du MALG ont pesé et continuent de peser sur la mémoire et le destin de la
nation. Considérons donc que c’est par le fait d’un simple hasard que MM.
Benachenhou et Ould Kablia ont fait le tour du gouvernement depuis l’indépendance et
que c’est du fait du même hasard que Nordine Aït Hamouda et moi-même, pour ne
parler que des deux dernières cibles du MALG, avons passé notre temps à faire le
tour d’Algérie des prisons. Les historiens, les acteurs nationaux non connectés à la
secte, les observateurs étrangers qui ont unanimement noté, et pour ce qui est des
Algériens, déploré quand ils ne l’ont pas carrément condamné, la pieuvre tchékiste du
MALG, sont des plaisantins ou des ennemis de la patrie.
Le MALG et l’arrivée d’Amirouche à Tunis
Reprenons maintenant les remarques de l’article du bureau du MALG. Je fais
l’économie de la réponse qui consiste à défaire la grosse ficelle m’accusant de
confondre les jeunes enrôlés dans cette structure et qui furent souvent les
premières victimes d’un appareil qui en a détruit plus d’un quand il ne les a pas
carrément éliminés. La formule est restée célèbre au Maroc. «On lui a offert un
voyage au Caire», disait-on des jeunes cadres qui avaient le malheur de poser une
question ou de donner l’impression de ne pas être suffisamment dociles. En ce qui
concerne la tragédie algérienne, nous parlons bien du segment noir qui a détourné
Novembre et la Soummam et qui, dans une large mesure, continue de bloquer toute
évolution citoyenne du pays. M. Ould Kablia nous avoue, et cela est une information
capitale, que pour lui et ses responsables, la réunion interwilayas de décembre 1958,
convoquée par le colonel Amirouche était (et reste toujours) perçue comme une
menace majeure. Pour qui ? Le GPRA qui venait d’être installé trois mois auparavant ?
Le COM ? Une partie du gouvernement ? Relisons M. Ould Kablia. «Cependant l’ordre
du jour qui ne mentionnait que des sujets traditionnels et habituels… laisse penser
que les vraies questions à débattre étaient vraiment occultées. Nous pouvons avancer
sans risque de nous tromper que les liens qui commençaient à se distendre entre
l’intérieur et l’extérieur, les critiques non dissimulées allant dans le sens d’une
rupture de confiance, illustrée par la réunion interwilayas… tout cela indiquait qu’il ne
pouvait s’agir que d’une réunion de mise au point d’une autre dimension où la
confrontation n’était pas à exclure. » Au cas où il y aurait un doute, M. Ould Kablia
nous rappelle que «la défection de dernière minute d’Ali Kafi à cette réunion qui se
tenait sur son territoire, sur ordre supérieur certainement, a rompu l’unanimité
souhaitée». De son point de vue, c’est ce qui aurait amené les factieux à modérer
leurs récriminations et à transformer leur «motion de défiance en motion de
soutien». En clair, Amirouche avait mobilisé ses compagnons de l’intérieur, non pas
pour proposer des accommodements, des réorganisations et une orientation qui devait
recanaliser les énergies du gouvernement sur la guerre que les maquis supportaient
de plus en plus difficilement, mais reproduire une réplique d’un complot dont le
gouvernement venait juste d’échapper après la fronde des officiers chaouis, fronde
sur laquelle il reste d’ailleurs beaucoup à dire quant au rôle joué par Boussouf, autant
dans sa genèse que dans son traitement. L’accès aux archives tunisiennes et
égyptiennes serait, de ce point de vue, particulièrement édifiant. J’ai pu établir,
auprès de nombreux témoins, que le colonel Amirouche avait en commun avec Abane
cette propension à ne jamais étouffer une opinion ou réprimer une remarque ou une
contestation y compris en présence de celui qu’elle pouvait impliquer. J’ai rapporté
comment l’altercation qu’il avait eue avec Kafi au Congrès de la Soummam ne l’avait
pas empêché de lui rendre visite par la suite pour étudier ensemble les voies et
moyens pour une meilleure coordination de leurs actions. L’interprétation de
l’initiative d’Amirouche faite par M. Ould Kablia, partagée par d’autres (dans son style
M. Benachenhou dit la même chose) nous aide à comprendre comment et pourquoi ce
«travers» a coûté la vie au père de la Soummam et au colonel de la Wilaya III. La
transparence et le débat ouvert sont les manifestations d’une culture incompatible
avec l’opacité et la violence qui ont présidé à la naissance et au fonctionnement du
MALG et de ses déclinaisons d’après-guerre. Or, cette interprétation quelque peu
paranoïaque – qui deviendra la constante du pouvoir sous-terrain algérien – prêtant,
sans le moindre doute, au colonel de la Wilaya III des intentions aussi belliqueuses ne
se retrouve nulle part ailleurs. Ni Ferhat Abbas, pourtant très peu enclin à faire des
concessions aux colonels, ni les acteurs ayant rencontré plus tard Krim Belkacem, ni
Ben Khedda, ni Saâd Dahlab qui a écrit tout ce qu’il avait vu à Tunis, et il était
souvent aux premières loges, n’ont fait état du risque imminent que représenterait
l’arrivée d’Amirouche à Tunis en 1959. J’ai commencé par dire que si l’intervention de
M. Ould Kablia n’apportait rien de nouveau en termes factuels, elle dévoile un esprit
avec ses attitudes et ses décisions qui sont d’authentiques révélations. Comment
avoir l’outrecuidance de dire que Boussouf n’avait aucun problème avec Abane, Krim
ou Amirouche (la citation des trois dirigeants tous originaires de Kabylie est en soi
une indication) et affirmer en tant que légataire du MALG que la réunion convoquée
par le chef de la Wilaya III était un complot menant inévitablement à la
confrontation entre l’intérieur et l’extérieur. Je pense avoir démontré, grâce aux
témoignages et aux documents retrouvés, que les chefs de l’intérieur (excepté Kafi)
avaient comme intention de demander au GPRA de mieux rationaliser son action
diplomatique, sa communication, ses services sociaux mais aussi de s’émanciper d’un
MALG tentaculaire et inefficace et, surtout, d’exiger que les troupes stationnées aux
frontières fassent plus d’efforts pour rentrer se battre sur le terrain. La question
de la nature et de l’importance de l’armée de l’Algérie indépendante devant être
reportée à plus tard. Jusqu’à plus ample informé, il n’y a que le département de
Boussouf qui a vécu cette demande d’adaptation comme une menace.
Le mystère des transmissions
Pour ce qui est des transmissions, les savantes envolées du bureau du MALG
n’empêchent pas l’apparition de lourdes distorsions qui confirment l’hypothèse de la
trahison. M. Ould Kablia nous donne une cinquième version, venant contredire celle du
ministre des Anciens moudjahidine, les deux de M. Benachenhou et enfin celle de M.
Kafi. Pour le bureau du MALG, la Wilaya III disposait du même nombre de radios que
toutes les autres wilayas. Ce n’est pas ce que dit le rapport de doléances de cette
wilaya que portait sur lui Amirouche quand il se rendait à Tunis. Il y dénonce en
termes très virulents la livraison de deux postes en août 1958. «Pourquoi la Wilaya 3
n’a reçu que deux postes et si tardivement… cette carence tend à faire croire à une
volonté de négliger la Wilaya 3 ou à du régionalisme de la part tout au moins des
responsables des transmissions.» Notons au passage la légèreté, voire un certain
mépris, avec lesquels est traité un document adopté après un conseil de wilaya
extraordinaire, 48 ans après l’indépendance. «Sa lecture laisse à penser que le colonel
Amirouche n’a pas participé à sa rédaction parce que le document reprenait un certain
nombre de considérations générales et que les points les plus importants de son
contenu ne cadraient pas avec la réalité vécue en dehors de la Wilaya III…», nous
assure M. Ould Kablia. On vient de voir que la Wilaya III était plutôt bien informée
sur le détournement réservé par le MALG aux étudiants envoyés pour formation à
l’étranger. On découvrira plus loin dans d’autres situations que l’information détenue
par Amirouche sur l’intérieur et les frontières était souvent de première main.
Suivons M. Ould Kablia dans son récit. Lui affirme que la Wilaya III n’avait pas de
radio en 1959, ce qu’infirment les témoins encore vivants activant au PC de wilaya.
Mais convenons avec lui que le poste pouvait avoir été éteint et que donc pour
l’extérieur Amirouche ne pouvait être contacté. Devant le déficit des transmissions,
le colonel de la Wilaya III avait multiplié les boîtes aux lettres à Alger, Bougie,
Sétif, Tizi-Ouzou, Akbou, El-Kseur et même en France pour recevoir et émettre des
messages par télégrammes ou voie postale. Les agents de liaison de la Wilaya III
encore en vie estiment que c’est par une de ces voies que le message de Krim
demandant à Amirouche de changer de route a été acheminé. Le bureau du MALG, qui
a fait une profusion de citations plus ou moins ésotériques de nombreux auteurs
français, «oublie» de rapporter la seule information qui vaille : la goniométrie
française a capté les messages du FLN annonçant les évolutions du déplacement du
colonel Amirouche. Pourquoi ou plus exactement pour qui émettre lorsque l’on
considère que le destinataire ne peut pas recevoir ? Ce que disent les auteurs
français est confirmé par les agents du centre d’écoute du MALG basé à Oujda. Non
seulement ils ont reçu l’ordre d’émettre mais lorsqu’ils ont alerté sur les risques de
voir leurs messages interceptés, ils ont été sommés de continuer. S’agissant de la
concentration des troupes déployées par le général Massu, M. Ould Kablia nous
apprend que tantôt il s’agit d’une opération de routine tantôt elle «avait été décidée
par le général Massu suite à des renseignements parvenus à celui-ci (comment ?)
indiquant le passage par le Hodna du colonel Amirouche». M. Ould Kablia pose une
vraie question, c’est même la seule question qui s’impose mais le fait de la reformuler
par le bureau du MALG ne lui enlève en rien sa pertinence. La libération des liaisons
radio entre les wilayas demandée par Amirouche dépendrait de la seule volonté des
PC de wilaya, selon le bureau du MALG. Tous les spécialistes disent que sans un
minimum de formation et d’assistance de la part de ceux qui détiennent la confection
des codes et l’initiation à l’établissement de nouvelles liaisons, il est impossible
d’improviser dans un domaine aussi sensible. Le fait est qu’aucune station de
l’intérieur n’a été en mesure de disposer d’un opérateur capable de mettre en liaison
deux wilayas. La volonté de centraliser toutes les communications des chefs de
l’intérieur apparaît très clairement à travers l’interprétation que fait aujourd’hui
encore le bureau du MALG de la réunion interwilayas de décembre 1958. Quant à dire
que si le général Massu avait su de manière certaine qu’Amirouche se trouvait dans
les parages, il se serait déplacé lui-même, cela reste un argument spécieux. En
octobre 1958, l’opération Brumaire, ciblant particulièrement le colonel Amirouche et
son PC, avait mobilisé une dizaine de généraux, une cinquantaine de colonels et près
de 10 000 hommes dans l’Akfadou. J’ai longuement consulté les archives de l’époque
et ni mes recherches ni les témoins que j’ai consultés ne m’ont permis d’établir que le
général Massu avait personnellement participé à cette intervention. Une relative
évolution apparaît cependant dans l’analyse de la Bleuite. C’est la première fois depuis
l’indépendance que des éléments du MALG se démarquent des thèses de l’armée
française qui présentait cette opération comme la conséquence d’un homme
sanguinaire décidé à éradiquer les intellectuels. On admet enfin que c’est une des
actions de l’occupant parmi d’autres et on convient qu’elle avait concerné l’ensemble
des wilayas. On peut au passage se demander quel fut l’apport d’un service de
renseignement comptant 2000 cadres dans une intervention de l’ennemi éventée par
l’intérieur qui avait demandé, en vain, de l’aide à l’extérieur dès le premier jour. Cet
effort de lucidité mérite d’être signalé. On ne le retrouve pas dans les autres
approches.
Défaillances stratégiques
Au-delà de la volonté d’imprimer à l’Histoire une trajectoire qui occulte les vues et
positions des autres parties, la lecture faite du rapport sur lequel devait s’appuyer
Amirouche à Tunis au nom de ses collègues de l’intérieur dévoile une volonté de
renforcer et de protéger des positions en référence avec des situations actuelles.
Commentant le point qui demande «une offensive contre la ligne Morice pour attirer
les forces ennemies et soulager la pression sur l’intérieur, l’offensive doit surtout
permettre le passage de matériel et de munitions», le bureau du MALG écrit : «Cette
pétition de principe laisse croire que la Wilaya III ignorait ce qui se passait au niveau
des frontières.» Avant de citer des actions menées pour franchir le barrage. Les
responsables de l’intérieur reprochaient aux dirigeants extérieurs la mauvaise
évaluation des effets de l’édification de ces lignes qui ont été renforcées à plusieurs
reprises. En l’occurrence le renseignement, si renseignement il y avait, fut pour le
moins défaillant. Mais là où le bureau du MALG manipule les faits, c’est quand il cite
des officiers qui ont effectivement pu traverser les lignes ennemies en donnant ces
initiatives comme étant toutes des décisions programmées par le COM. La plupart des
traversées, à commencer par celles de Lotfi et de Bencherif, furent plus le fait de la
volonté des concernés que l’exécution d’une instruction supérieure. Je me suis rendu à
l’endroit où est tombé le colonel Lotfi. Surpris avec ses hommes, il se trouvait en
plein jour dans un secteur sans abri ni liaison. Le bureau du MALG sait mieux que
quiconque que le colonel de la Wilaya V en rupture avec l’état-major ouest est surtout
rentré parce qu’il était outré par la violence et les dérives du binôme Boussouf-
Boumediène, notamment depuis l’exécution du capitaine Zoubir qui dépendait de lui. La
narration faite de la tragique fin de la compagnie Hidouche qui devait rejoindre la
Wilaya III est à la fois indécente et mensongère. Le bureau du MALG nous explique
que cette compagnie a été exterminée par une attaque combinant des forces
aériennes et terrestres françaises parce qu’elle n’avait pas pu traverser la Seybousse
en crue ! Nous sommes au mois de juin 1959. Nous connaissons tous la furie de nos
oueds en plein été. Une crue dépasse rarement une journée. La réalité est
affreusement simple. Cet officier comme ses hommes, lassés de macérer dans les
casernements des frontières, décida de rentrer. Une fois la frontière passée, ils ne
trouvèrent pas d’agents de liaison pour les orienter. Ne connaissant pas la région, ils
tournèrent en rond jusqu’à se retrouver au bord de la piste d’atterrissage de
l’aéroport de Bône (Annaba) où ils furent exterminés. Un des miraculés de cette
boucherie habite la vallée de la Soummam. Il peut raconter le calvaire de la
compagnie Hidouche. Voici ce qu’écrivait Amirouche sur les improvisations qui
caractérisaient les rares groupes qu’on laissait revenir : «Demandons que les katibas
soient bien entraînées pour éviter pertes en hommes et matériel en cours de route :
nous ne comprenons pas pourquoi les compagnies qui viennent de l’Extérieur pour
acheminer des armes sont retenues deux, trois et même quatre mois. Le fait serait
acceptable si pendant ce délai, les compagnies recevaient instruction militaire… Cette
négligence se traduit dans le fait que des armes sont remises à des djounoud qui ne
savent même pas les démonter. Ainsi, beaucoup de ces djounoud sont morts et leurs
armes sont récupérées par l’ennemi…» Comme on peut le constater, les conditions
dans lesquelles sont prévus les franchissements de la frontière algéro-tunisienne
sont on ne peut plus connues en Wilaya III. Mais le plus notable est ce qu’ont
rapporté les djounoud qui ont eu la chance de parvenir à destination ou qui ont rejoint
la Kabylie après avoir repris le chemin vers la France d’où ils étaient venus. La volonté
de garder le maximum de soldats aux frontières ne fait aucun doute. Ce qui a amené
Amirouche à contacter directement les cadres qu’il connaissait en Tunisie pour leur
demander de rentrer «même si on les en empêchait.» Djoudi Attoumi écrit : « Pour la
Wilaya III seulement, il y eut une vingtaine de compagnies qui avaient pris le chemin
de la Tunisie.
Seules cinq ou six d’entre elles étaient revenues, après avoir affronté la ligne
Morice… d’autres wilayas avaient envoyé autant de compagnies, sinon plus ; ce qui fait
qu’il y eut une concentration des troupes le long des frontières qui, au lieu de rentrer
dans les maquis, étaient restées sur place pour une raison ou pour une autre… La
Wilaya II comptait à elle seule 4200 combattants bloqués le long de la frontière
tunisienne. Ce fut la naissance de l’armée des frontières. » En quoi la proposition
d’une offensive généralisée contre un barrage électrifié serait-elle a priori
disqualifiée ? Pourquoi la constitution de grosses unités serait-elle par principe
évacuée du débat ? Dien Bien Phu fut un désastre français. L’attaque fut menée par
une concentration de troupes qui sont venues à bout de l’armée française. En 1959,
l’adhésion des masses algériennes n’avait rien à envier au soutien que la paysannerie
indochinoise apportait au Parti communiste vietnamien. Il ne s’agit pas de spéculer
aujourd’hui sur les actions qui auraient pu et dû être engagées en 1958-59 mais de
comprendre que les oppositions entre les dirigeants de l’extérieur ont grevé le
potentiel de la direction du FLN, dont une partie était déjà obnubilée par l’après-
guerre.
La patrie otage de la tribu
Ces oppositions avaient pris plusieurs formes. Il n’est pas besoin d’insister sur la
candeur feinte de M. Ould Kablia quand relance la rengaine du duo Krim- Mohamedi
Saïd qui aurait disposé de toute latitude pour gérer la situation politico-militaire de
l’intérieur alors que :
- Premièrement, toutes les transmissions étaient maîtrisées par le MALG ;
- Deuxièmement, Mohamedi Saïd était déjà pris en charge depuis longtemps par «les
envoyés spéciaux» du MALG, pour reprendre l’expression d’un ancien de l’armée des
frontières, afin de le soustraire à Krim avant de le lui opposer ; manipulation qui,
naturellement, n’évacue en rien la responsabilité des concernés.
Laisser entendre que si quelque indélicatesse a été commise dans l’élimination
d’Amirouche ne peut relever que des deux anciens responsables de la Wilaya III est
du réchauffé ; M. Benachenhou étant déjà passé par là. Mais ces insinuations faisant
des assassinats de certains responsables pendant ou après la guerre une conséquence
d’un atavisme kabyle, pour commodes et répandues qu’elles soient ne sont pas le plus
important dans nos préoccupations actuelles. Aujourd’hui, il s’agit de nous interroger
sur le fait de savoir si ces manœuvres récurrentes et qui existent toujours ont servi
la guerre de Libération et, plus tard, le développement de notre pays. La question
mérite d’être posée car, outre qu’elle permettrait de remettre un certain nombre de
choses en ordre dans notre histoire, elle aurait l’avantage appréciable d’éclairer la
scène politique aujourd‘hui. Au printemps 2008, les citoyens de Chlef, excédés par
des promesses différées depuis le seisme de 1980, manifestent leur désespoir par
des émeutes au cours desquelles des milliers de jeunes s’en prennent, comme c’est
souvent le cas en pareilles circonstances, à tout ce qui représente l’Etat. Des
centaines d’entre eux sont interpellés et incarcérés dans des conditions inhumaines.
La structure du RCD local dénonce la violence de la répression et les violations de loi
qui ont marqué toutes les procédures. Le wali, dont il faut rappeler qu’il appartient à
ce que Nordine Aït Hamouda appelle la «tribu élue» n’a rien trouvé de mieux que
d’avertir les familles et les citoyens qu’ils devaient se méfier d’un parti régionaliste,
ennemi de la nation. Continuant leur travail, les militants de notre parti organisent la
solidarité avec les parents des jeunes détenus, constituent un collectif d’avocats et
en appellent à nos parlementaires pour suivre l’évolution des poursuites engagées
contre une centaine de jeunes. Le soutien des députés du RCD donne de l’espoir et
une dynamique citoyenne se développe à Chlef. Les jeunes emprisonnés étaient
revendiqués par la cité comme les porte-parole de tous. Dépassé, le wali, disqualifié
par une gestion des plus contestables, en appela au gouvernement qui dépêcha à Chlef
un de ses membres. Nous sommes le 2 mai 2008. Le ministre, trouvant un climat
particulièrement tendu, déclara devant tous les cadres de la Wilaya qu’ils ne devaient
pas laisser revenir à Chlef des gens qui n’ont rien à y faire. Ces «gens» étaient des
députés de la nation qui avaient le malheur d’être élus démocratiquement. Le ministre
en question s’appelle Daho Ould Kablia. La radio locale, encouragée par ce sectarisme,
embraie sur l’aubaine et déversa son fiel sur les Kabyles. Pour bien montrer que le
MALG imprègne et soumet toujours la vie institutionnelle, il faut rappeler la
destitution illégale du maire de Bériane qui avait refusé de déserter le RCD pour
rejoindre un parti de la coalition gouvernementale. Le blocage du projet du PNUD —
institution représentée à Alger et qui active normalement dans notre pays — destiné
à assainir l’environnement à Tizi- Ouzou, représente l‘une des discriminations
administratives les plus insupportables de l’Algérie indépendante. Pour l’instant, le
ministère des Affaires étrangères se contente d’ignorer son méfait. On remarquera
que les trois abus commis à Chlef, Bériane et Tizi- Ouzou relèvent de responsables
appartenant tous au même clan. C’est dire que la culture du MALG est ancienne,
dévastatrice et qu’elle continue de l’être. Il n’est pas interdit d’aimer sa région. Cela
peut même être un premier éveil à l’intérêt de la collectivité. Il y a problème quand
cette attention est conditionnée par la haine des autres. Ces archaïsmes sont le
principal handicap du développement du pays. La gestion des affaires de l’Etat par
l’opacité et la relation clanique témoigne de la fragilité de la conscience nationale.
L’affaire remonte à loin. J’ai essayé d’apporter dans mon livre des éléments de
réflexion sur les ressorts et les motifs qui ont amené la direction extérieure du FLN
à tant de déchirements en pleine guerre. Pourquoi la responsabilité politique n’a pas
prévalu au moment où la patrie devait être préservée des affrontements qui ont
psychologiquement et politiquement mené l’Algérie à une implosion qui veut
qu’aujourd’hui encore un responsable ne se sente en sécurité que s’il s’entoure de ses
proches, indépendamment de toute considération idéologique. Ce manque d’adhésion à
un dénominateur commun a permis à l’axe franco-égyptien de peser sur des esprits
peu convaincus par la valeur de leur algérianité, pressés de s’exiler dans une identité
plus valorisante. En s’ouvrant aux services spéciaux égyptiens sur les dangers que
représentaient les Kabyles pour la nation arabe, Ben Bella ne faisait pas que jouer
pour éliminer des adversaires politiques. Il était sincère. En disant que la Révolution
algérienne ne dépendait ni du Caire ni de Moscou ni de Londres, Abane projetait un
destin algérien qui dérangeait autant les Français que les Egyptiens. L’aide de
Bourguiba, acquis à l’émancipation du sous-continent nord-africain, ne pouvait suffire
devant la convergence objective des intérêts géostratégiques du Caire et de Paris.
Proche de Nacer et bien connu des Français qui l’avaient testé comme soldat et
détenu, Ben Bella représentait un bon compromis pour les deux puissances contre une
entité algérienne forte et autonome. L’antikabylisme est moins préoccupant dans ce
qu’il occasionne comme dommage à une région que dans ce qu’il révèle comme refus ou
perte de confiance dans la construction d’un destin national solidaire et
démocratique. La question de la femme et celle de l’antikabylisme sont les deux
voyants dont il faut surveiller les évolutions sur le tableau de bord politique de la
nation. Tant que l’on esquive ces deux tabous, l’Algérie vivra dans la mutilation civique
et l’incertitude nationale. La perte de la citoyenneté sera compensée par la misogynie
et le régionalisme étouffant la régionalisation ouvrira la porte à d’autres tutelles qui
déposséderont notre peuple de sa souveraineté.
L’Histoire et la morale
M. Ould Kablia me reconnaît le droit de ne pas avoir d’atomes crochus avec
Boumediène mais il m’invite à ne pas mêler Boussouf aux turpitudes algériennes, ce
dernier ayant quitté volontairement le pouvoir à la veille de l’indépendance dès lors
«qu’il a vu les inclinations des nouvelles alliances à s’orienter vers un pouvoir
autoritaire d’exclusion et de déni des principes ». Un autre intervenant du sérail me
proposait un deal rigoureusement inverse : pour lui, il fallait doper Boumediène et
enfoncer Boussouf. A titre personnel, je n’ai jamais confondu les genres. Je n’ai aucun
problème ni avec Boussouf ni avec Boumediène ni, d’ailleurs, avec M. Ould Kablia. Mais
je ne suis pas partie prenante de ce bazar historique où chacun fait son marché selon
ses appétits et ses humeurs. La chose est historiquement établie: Boumediène est
une création du patron du MALG. Le fait que le colonel de l’armée des frontières se
soit fait les dents sur son tuteur est un classique dans les pouvoirs nés dans l’opacité
et la violence. Boussouf avait une conception policière du pouvoir, Boumediène était
partisan de l’arbitraire militaire. Au final, nous avons eu les deux. Le grand perdant
est le citoyen, c'est-à-dire l’Algérie. On l’observe aujourd’hui même. Une certaine
tendance se dessine en faveur de la conception policière dans la gestion de la cité
algérienne. Y a-t-il pour autant plus de liberté, de progrès ou de justice dans notre
pays ? Au fond, le maquillage importe peu. Par définition, l’abus ignore la loi. Les
amateurs et bénéficiaires de l’autoritarisme qui peuvent se disputer les avantages du
pouvoir ne voudront jamais faire de la citoyenneté l’arbitre de la vie publique. M. Ould
Kablia, qui donne l’impression de vouloir valoriser une certaine aristocratie policière
au détriment de la plèbe militaire, partage avec ses frères ennemis la même
conception du pouvoir. Il intervient sur un livre qui commence par interpeller la nation
sur une indignité politique et une faute morale commises en son nom. Il n’a pas soufflé
mot sur la séquestration des ossements de deux héros de la guerre, crime symbolique
qui hantera longtemps nos consciences. L’histoire de l’Algérie fut, comme celle de
tant de révolutions, dure, violente et quelquefois injuste. Je ne serai pas avec les
analystes plus ou moins «parfumés » qui jugent, décrètent et condamnent avec
d’autant plus d’arrogance qu’ils sont loin du pays et qu’ils s’occupent à élaborer des
mises en scène pour complaire à leur galerie d’accueil ; je serai toujours avec celles et
ceux qui ne veulent pas que des erreurs ou des fautes commises pendant la guerre où
rien ne se déroula comme prévu et rien ne se termina comme souhaité, se
reproduisent en temps de paix. Pour cela, la vérité est un impératif.
Saïd Sadi
En écrivant un livre sur le colonel Amirouche, je prolonge une conduite que je m’étais
fixée de longue date : soumettre au débat les sujets qui, d’une façon ou d’une autre,
impactent la vie nationale pour éviter que la rumeur, la manipulation ou les deux ne
confisquent de dossiers majeurs dans la construction de l’État démocratique et social
annoncé par Novembre et configuré à la Soummam.
C’est ainsi qu’il a fallu introduire la question identitaire et celle des droits de l’homme
dans la scène algérienne à l’époque du parti unique avant d’intégrer la condition
féminine et la régionalisation dans le programme du RCD. Un peu plus tard, on s’en
souvient, j’ai invité à réfléchir sur l’avenir de la presse privée. Aujourd’hui, le temps
est venu d’aborder lucidement la place et le rôle de l’histoire dans la vie publique et
cela pour deux raisons. D’une façon générale, aucun pays ne peut indéfiniment
esquiver ou escamoter son passé sans être rattrapé par la vérité ou pire, voir
d’autres acteurs, plus ou moins bien intentionnés, structurer en lieu et place de la
collectivité concernée les référents nationaux. Plus immédiatement, la nécessité de
débattre de notre passé dans la transparence se justifie par le fait que, si l’on
excepte le président Boudiaf qui assumait un début d’alternative, aucun chef d’État
n’a proposé un projet soumis à des évaluations et assumé un bilan. Tous les dirigeants
qui ont pris le pouvoir, qui par un putsch qui par des fraudes électorales, se sont
construit un parcours de sauveur de la nation en assaisonnant notre histoire selon les
appétits de leurs clans.
Les élites en question
J’ai choisi l’histoire d’Amirouche parce que le sort qui lui a été réservé est exemplaire
des turpitudes algériennes. J’ai pu voir très tôt comment des hommes préparaient en
pleine guerre le pouvoir de l’arbitraire et par quels procédés ils avaient volé et violé la
conscience nationale en abusant de notre patrimoine mémoriel après l’indépendance.
Le cas Amirouche offre l’avantage, si l’on peut dire, de mieux éclairer nos mœurs
politiques d’avant et d’après guerre. Quinze jours après la sortie du livre, le succès en
librairie ne s’est malheureusement pas accompagné de commentaires à la mesure de
ce que nous sommes en droit d’attendre sur une guerre de libération aseptisée et qui,
comme toutes les révolutions, eut ses épisodes de grandeur et ses parts d’ombre.
Ceux qui se sont manifestés publiquement se répartissent en trois groupes : il y a des
anciens maquisards, des intellectuels et des politiques. Passons rapidement sur les
premiers dont la crédibilité et la légitimité ne sont pas les plus affirmées dans leur
catégorie. Que répondre à quelqu’un qui déclare : «Saïd Sadi étant trop jeune pendant
la guerre, il n’avait pas à s’immiscer dans le domaine historique.» ou : «Au lieu d’écrire
sur Amirouche, Saïd Sadi aurait dû parler de Krim Belkacem.» On imagine bien que si
le livre avait concerné le signataire des accords d’Evian, j’aurais eu droit à une
interpellation tout aussi sèche pour avoir commis un écrit sur des hommes «se
prélassant dans les palaces de Tunis ou du Caire au lieu de traiter de patriotes qui ont
lié leur destin à celui de leur peuple». Ces polémiques n’ont d’intérêt que dans la
mesure où elles soulignent la misère politique du régime qui emmagasine certains
anciens combattants pour les actionner en cas de nécessité ; cette allégeance étant
rétribuée par quelques prêts bancaires «non remboursables» ou d’autres avantages
plus ou moins avouables. En disant cela, je souhaiterais convaincre que je ne cherche à
accabler personne et que je ne saisis cette opportunité que pour mieux décoder les
mécanismes du système algérien. Souvent inaudibles, les voix intellectuelles sont
hélas réduites, pour une bonne partie, à la fonction d’indicateurs du sens du vent. Si
l’on exclut l’exception notable de Yasmina Khadra, lui aussi sollicité, mais qui eut le
mérite de s’interdire de commenter un livre qu’il n’a pas lu, on ne peut que déplorer la
sortie de Rachid Boudjedra, pour lequel j’ai une estime sincère, quand il dit : «Saïd
Sadi est un politique. Il assène ses vérités.» Outre mes analyses personnelles, j’ai
construit mon livre sur des évènements, des témoignages et des documents. Ces
éléments peuvent être vrais ou faux mais il n’y a pas beaucoup de place pour
l’interprétation dans ce genre de situations. Mais ce qui pose problème dans les
affirmations de Boudjedra, c’est cette tendance à soutenir des préjugés
politiquement lourds de sens. Quand il avance qu’Abane a été tué par Krim et non
Boussouf, il sait que cela est faux ; ce qui ne veut pas dire, par ailleurs, que le passage
à l’acte de Boussouf n’a pas été facilité, voire encouragé par l’animosité que
nourrissaient Krim et d’autres responsables envers Abane. Je peux croire pourtant
que cette propension à suivre et relayer les modes ne participe pas d’une intention
politicienne chez Boudjedra. Il n’en demeure pas moins, et nous le verrons plus loin,
que ces complaisances sont récupérées et instrumentalisées. Restent les politiques
qui se sont exprimés. J’en retiens deux : un membre de la direction d’un parti de la
coalition gouvernementale proclamant sa proximité avec le clan d’Oujda et un ancien
ministre qui a appartenu au segment noir du MALG. Le premier affirmant qu’il ne peut
y avoir matière à débat puisque «l’histoire a tranché» est dans son rôle. Produit de la
cooptation populiste qui propulse un parti créé trois mois auparavant au sommet de
toutes les institutions par des méthodes que ne renierait pas le funeste Naegelin, il
ne peut qu’espérer voir perdurer une histoire faite de fraudes, d’injustice et de
prédation pour surnager politiquement. Si désordonnée et brutale qu’elle soit, la
diatribe de l’ancien ministre publiée par le Quotidien d’Oran est paradoxalement plus
utile pour l’analyse de l’impasse algérienne. Le titre «Basta » qui coiffait la page était
à la fois une signature et un programme. Il ne s’agit surtout pas de tolérer une
discussion ou un avis du bas peuple. Non, il faut que l’autre, extérieur à la secte, en
l’occurrence Nordine Aït Hamouda, le fils du colonel Amirouche, se taise et se terre.
Il n’a pas le droit d’exister et si on lui accorde une visibilité, c’est pour décréter qu’il
est dément et, pourquoi pas, en appeler à l’ouverture des cliniques psychiatriques
comme aux temps bénis du Goulag, On se surprend, devant tant d’impulsivité, à se
demander si c’est le profil de l’individu, à l’évidence caractériel, qui a inspiré
l’éructation ou les reliquats d’une formation dans une instance qui a cloîtré
l’intelligence avant de la pervertir pour humilier et stériliser le pays. Mais ne faut-il
pas être l’un pour servir l’autre avec autant de zèle et de cynisme ? Je ne sais pas,
pour ma part, ce que j’aurais fait, une fois devenu adulte, si j’avais été à la place de
celui dont on a voulu avilir le père avant de le priver de sépulture.
Le cynisme des oligarques
L’auteur de la fetwa du Quotidien d’Oran ordonne et exige de ne plus jamais émettre
la moindre critique sur Boumediène et Boussouf avant de remettre sans vergogne sur
la table la tambouille du duo Godard-Léger, agrémentée de quelques tonitruants
mensonges sur lesquels je reviendrai. Que nous dit Monsieur Mourad Benachenhou ?
1) Basta ;
2) Que celui qui ose s’exprimer après son oukase ne peut être qu’un individu frappé de
folie ;
3) Qu’il interdit de parler de Boussouf et de Boumediène ;
4) Que c’est Boussouf qui a sermonné et obligé Amirouche à laisser sortir les
étudiants à partir de 1958 ;
5) Que si le colonel de la Wilaya III a été tué c’est parce qu’il a éteint son poste
radio sur lequel Boussouf essayait en vain de le contacter ;
6) Que s’il y a eu fuite dans le code ou la transmission, elle ne doit être imputée qu’à
deux Kabyles, Krim Belkacem ou Mohamedi Saïd. Qu’importe que le second soit en
1959 opposé au premier puisqu’il était déjà l’obligé du clan d’Oujda qu’il suivra
d’ailleurs dans le clan de Tlemcen en 1962.
On est consterné par tant d’aveuglement de la part d’une personne qui a occupé les
plus hautes charges dans l’Algérie indépendante et qui fut dans l’antre du pouvoir
occulte avant l’indépendance. Si un homme s’autorise autant d’excès à un demi-siècle
de distance et, qui plus est, dans une période où les Algériens ont malgré tout réussi
à arracher un droit minimum à la parole en dépit de la censure institutionnelle, on ne
peut qu’être saisi d’effroi à l’idée d’imaginer ce que des agents comme lui ont pu
commettre à l’époque où ils officiaient dans l’impunité et loin de tout regard. En tout
cas, il faut avoir de solides raisons pour étaler tant de haine et prendre le risque de
s’exposer dans une démonstration aussi aléatoire qu’intempestive.
Qu’en est-il des affirmations de Monsieur Benachenhou ?
Pendant la guerre, le seul centre d’accueil des étudiants algériens était basé à Tunis.
Je raconte dans mon livre comment et pourquoi Amirouche, qui n’était que
commandant en 1957, c'est-à-dire une année avant les prétendues injonctions de
Boussouf, l’a ouvert sur les fonds propres de la Wilaya III. Cela est un fait.
S’agissant des messages interceptés, voici ce qui est écrit dans le point numéro 6 du
rapport que portait avec lui d’Amirouche en allant à Tunis : «La Wilaya III n’a reçu
que deux postes au mois d’août 1958, sans dépanneurs, alors qu’en d’autres wilayas, il
existe des régions (la région est une subdivision de la wilaya) qui possèdent des
postes émetteurs... cette carence tend à faire croire à une volonté de négliger la
Wilaya III, ou à du régionalisme de la part tout au moins des responsables des
transmissions.» Retenons donc, pour l’instant, que la Wilaya III ne disposait que de
deux postes émetteurs lors du déplacement d’Amirouche. Or, au mois de décembre
1958, un des deux postes a explosé, déchiquetant les techniciens et blessant
grièvement le commandant Mohand ou Lhadj et le lieutenant Abdelhafidh Amokrane
(toujours vivant) à la suite de la mise en marche d’une batterie piégée par l’ennemi,
destinée à éliminer Amirouche qui était à l’époque dans le Nord-Constantinois avec les
colonels qu’il y avait convoqués. Nous savons aussi que le deuxième poste était resté à
Akfadou puisque c’est sur cet appareil que Krim Belkacem, déjà en désaccord avec
Boussouf, avait essayé de contacter Amirouche, parti depuis 3 jours, pour lui
demander de changer de route au dernier moment. Monsieur Benachenhou sait
pertinemment que le colonel Amirouche n’avait pas de poste émetteur quand il se
dirigeait vers Tunis. Les messages captés par l’armée française émanaient des
services de Boussouf qui a obligé ses agents à les diffuser à plusieurs reprises malgré
leurs réticences. En bon agent du noyau dur du MALG, il doit aussi savoir que le 29
mars, à l’annonce de la mort d’Amirouche et de Haoues, Krim a déclaré à Tunis devant
des témoins encore en vie : «C’est un coup de Boussouf et de Boumediene».Prétendre
qu’Amirouche a été sermonné après l’opération des services spéciaux français est une
contrevérité. Le colonel de la Wilaya III a demandé, dès les premières informations,
de l’aide et une commission d’enquête au GPRA qui l’a félicité ; félicitations qu’il a
récusées tant que des observateurs extérieurs à sa wilaya ne sont pas venus évaluer
la situation. Les documents qui attestent de ces données existent. Nous pouvons
reprendre une à une les allégations de Monsieur Benachenhou et les démonter. Mais
le plus grave dans ses affirmations tient à cette allusion renvoyant à un postulat
inlassablement distillé qui suggère qu’au cas où il ne serait plus possible de nier que le
colonel de la Wilaya III a été «donné» à l’armée française, il faut imputer la faute à
Krim Belkacem ou Mohamedi Saïd qui avaient été responsables de la Kabylie. Comme
si, en la matière, la faille renvoyait à une question organique et non de transmission.
La thèse est construite, rodée et appliquée. Dans un hebdomadaire arabophone, un
autre ancien maquisard affirme, dans la même semaine, que ce sont deux
moudjahidine kabyles, faits prisonniers le 28 mars 1959, qui ont donné leur chef et
Haoues, oubliant que l’armada déployée par le général Massu était sur place le 25
mars, soit trois jours avant l’accrochage qui a coûté la vie à Amirouche et au chef de
la Wilaya VI. Après «ce scoop», l’ancien patron de la gendarmerie, Ahmed Bencherif,
argue que la séquestration des restes des deux colonels avait été décidée par
Merbah (un autre Kabyle) et à son insu. La fable a ses cohérences, ses acteurs et ses
objectifs. Krim a tué Abane, Mohamedi Saïd ou Krim ont donné Amirouche et Merbah
a séquestré Amirouche avant de tuer Krim. Le tout sans que Boussouf ou Boumediène
n’aient vu ou entendu quoi que ce soit. Les Kabyles s’entretuent. Il n’y a qu’à le faire
savoir et… espérer ou, mieux, faire en sorte que cela continue. Voyez-vous Monsieur
Benachenhou, si l’antikabylisme devait faire le bonheur de l’Algérie, notre pays,
compte tenu de l’énergie que votre clan a mis à cultiver ce travers, serait au
firmament des nations. Faut-il, dès lors, s’étonner, devant tant de perfidie, de voir
des désespérés se réfugier dans des aventures sécessionnistes ? En ce sens,
l’intervention de Monsieur Benachenhou ne peut être prise pour un témoignage visant
à masquer un passé trouble. C’est d’abord et avant tout une manœuvre qui prend
l’histoire comme levier pour maintenir l’asservissement de la nation par une oligarchie
qui a détourné mémoire et destin algériens.
Monsieur Benachenhou,
Puisque vous assumez aujourd’hui encore les drames qui ont empêché notre peuple de
s’accomplir, il est légitime de vous poser les questions qui s’adressent à un inculpé qui
plaide coupable.
1er) Vous vous impliquez sans nuance en 2010 dans l’action de Boussouf, qui pouvait
avoir l’excuse, si l’on ose dire, de la bonne foi stalinienne au moment où il planifiait et
commettait ses exactions. Savez- vous ce que l’assassinat d’Abane a coûté à l’Algérie
en termes politique et moral ?
2e) En tant qu’acteur fier du coup de force engagé par l’armée des frontières contre
les maquis de l’intérieur et de son coup d’État contre le GPRA, première instance
légale de l’Algérie contemporaine, pouvez-vous être sensible au prix humain de cette
irruption et à son effet dévastateur pour le futur algérien : plusieurs milliers de
morts au lendemain d’une guerre qui a saigné le pays et des affrontements
fratricides qui continuent de déchirer la nation à cause de votre «pédagogie» de la
conquête du pouvoir par le kalachnikov ?
3e) Votre basta peut-il valoir justification à l’exécution du colonel Chabani qui a laissé
des séquelles qui ne veulent pas cicatriser, notamment chez les populations du Sud ?
4e) Qu’avez-vous tiré comme dividendes des assassinats de Krim et de Khider qui
avaient le droit de vivre dans un pays qu’ils ont fait renaître et le devoir de contester
un pouvoir dont les usurpateurs n’auraient jamais connu d’existence politique sans leur
engagement et sacrifice ?
5e) Pouvez-vous nier que vous avez volé et caché pendant 20 ans les restes des
colonels Amirouche et Haoues ?
Savez-vous ce que de tels crimes symboliques impriment dans l’âme du citoyen ? Les
questions sont celles-là, Monsieur Benachenhou. Toute autre élucubration est vaine.
Je pourrais continuer à l’envi la liste des conséquences de vos crimes, je dis bien
crimes puisqu’en vous réclamant de ces abus un demi-siècle après leur commission,
vous ne pouvez ni invoquer l’ignorance de leurs implications, ni la pression des
conjonctures.
Monsieur Benachenhou,
Je n’ai pas écrit un pamphlet, je n’ai pas cherché à polémiquer. Je continuerai à
inviter à débattre de tout ce qui peut faire avancer la réflexion et aider à construire
la citoyenneté qui est le contraire de votre morgue.Mais sachons positiver : s’il fallait
une raison de plus pour écrire ce livre, vous venez de nous la donner. Voyez-vous,
Monsieur Benachenhou, la différence entre vous et moi, c’est que je ne fais pas de la
politique pour préserver une carrière ; je me suis engagé pour apporter ma pierre à la
construction collective d’un destin. Vous l’aurez compris, nous n’avons ni les mêmes
valeurs ni les mêmes échelles. Vous investissez l’instant, je parle à l’histoire. Vous
avez tué Amirouche et vous m’avez emprisonné et torturé. Vous avez gagné la bataille
du pouvoir, nous avons gagné la bataille de la mémoire. Vous ne le savez pas : il n’y a
pas d’autorité sans morale.
S. S.
* Président du RCD, député.
La première est motivée par le respect que l’on doit à l’auteur de l’ouvrage pour avoir
effectué des recherches, prospecté, et livré au lecteur des témoignages, souvent de
première main et cela quelles que soient ses convictions personnelles, que tout le
monde, bien sûr, y compris moi ne partage pas en totalité. L’essentiel est que Sadi ait
écrit et exprimé son avis. À notre tour d’intervenir pour éventuellement rectifier,
démentir, ou confirmer les faits livrés par le récit. À ce titre, que M. Sadi me
permette d’apporter quelques témoignages personnels, en ma qualité d’ex-responsable
au sein du Commandement des Transmissions, donc d’acteurs autour de certains faits
se rapportant au sujet. En premier lieu, je tiens à exprimer ma plus vive réprobation
sur les conditions dans lesquelles les dépouilles du colonel Amirouche et de son
compagnon Si El Haouès ont été traitées avec autant de désinvolture. Ma perplexité
est d’autant plus vive que je ne trouve aucune motivation rationnelle justifiant cette
décision de séquestration qui découlerait plutôt d’un geste morbide, que d’une
attitude que la raison pourrait saisir, je dirais même déchiffrer et cela quel que soit
le motif politique ou autre qui le justifierait. Ceci étant, il reste qu’en revanche, il
faille démontrer, comme on le prétend, que Boussouf ou Boumediène soient
directement impliqués dans cette relégation de mauvais aloi. Oh ! que M. Sadi ne m’en
veuille pas outre mesure, je ne fais partie d'aucun noyau dur du MALG, ni suis
membre d’un quelconque cabinet noir. Je suis membre d’une association civile où je
siège avec mes compagnons d’armes, au gré du hasard de l’Histoire, sans tirer aucun
profit, encore moins une quelconque prébende autre que le rappel de certains
souvenirs communs. Ces compagnons me connaissent parfaitement bien pour quelqu’un
qui s’exprime au grand jour au prix bien souvent de risques que j'assume et que
j’assumerai toujours. Pour les besoins de la manifestation de la vérité, ou pour la
défense des droits légitimes. Je n’en attends rien d’autre. En revanche, je me garde
autant que faire se peut de verser dans l’amalgame ; à Dieu ce qui appartient à Dieu
et à César... Pour revenir aux deux responsables précédemment cités, j’informerais
de la façon la plus fraternelle M. Sadi que d'une part, Boussouf, a cette époque,
c'est-à-dire depuis 1962, n’était ni de près, ni de loin mêlé aux affaires politiques du
pays. Et je l’affirme avec conviction qu’il n’avait rien à voir avec le transfert des
cendres des deux martyrs ni encore moins de leur tribulation d’un caveau à un autre.
À partir du dernier congrès de Tripoli, Si Boussouf avait compris que l’heure de son
départ a sonné. Il s’est retiré, sans crier gare, je dirais aussi sans tambour ni
trompette. J’ajouterais que son tempérament aigre-doux et son penchant instinctif
pour la raillerie à l’égard des choses de la vie ont dû le conduire à observer avec une
bonne dose de philosophie le grand spectacle qui se déroulait en Algérie depuis
l’indépendance, teinté d’agitations burlesques où le vaudeville se le disputait aux
quelques pincées de folklore. Il devait, désarçonné devant le chamboulement qui
déployait à ciel ouvert, clamer avec le poète français du Moyen-Âge : Mais où sont les
neiges d’antan ? Quant à Si Boumediène, j’ai cru ouïdire à cette époque qu’il projetait
de donner un éclat particulier au transfert des cendres des deux héros devant
reposer au cimetière El-Alia, accompagné d’une cérémonie officielle digne du rang, du
courage et de l'exemple que les deux martyrs ont administrés sur le champ de
bataille. Cette hypothèse que j’avance, encore une fois par ouï-dire, reste à
confirmer. Cependant, il me semble qu’il existe à présent quelques témoins vivants de
cette péripétie bien plus triste que nécrologique, lesquels témoins pourraient
apporter quelque éclairage nécessaire à la manifestation de la vérité. Les autres
raisons que j’invoquerais pour justifier ma contribution sont les suivantes :
1. Les services spéciaux ainsi que ceux des Transmissions ont été créés à partir de
juin 1956 par la Wilaya 5 et sur ses fonds propres pour les besoins de la Wilaya. Ils
n’étaient pas à l'origine destinés à l’ensemble du territoire. Du reste, Si Boussouf, qui
était responsable de la Wilaya de l’Ouest, n'avait ni les prérogatives ni l'autorité
hiérarchique le qualifiant pour ce faire. Ce n’est qu’une fois cette arme éprouvée sur
le terrain et s'imposant en tant qu'instrument de guerre nécessaire, voire vitale pour
les besoins de la coordination qu’il fut décidé, en accord avec Si Boudiaf chargé de la
coordination, que les autres wilayas en soient dotées. Le témoignage du colonel
Amirouche qui insistait sur la nécessité de disposer d'un équipement complet avec
une structure de dépannage est suffisamment éloquent quant à la contribution du
service des Transmissions en tant que moyen de la plus haute importance. Il reste que
pour ce qui est attribué au colonel Amirouche quant à ses appréciations sur la
dotation de la Wilaya III qu'il estime insuffisantes, des questions se posent. Le chef
de la Wilaya III aurait déclaré : «C'est une question qui nous tient à cœur car cette
carence tend à faire croire à une volonté de négliger la Wilaya III ou à du
régionalisme de la part tout au moins des responsables des Transmissions...»
(Amirouche, page 126, paragraphe 4). Il m'est difficile de croire que le colonel
Amirouche ait pu avancer une telle déclaration tant tout le monde sait que la
formation de dépanneurs exige du temps et de l'expérience. Cependant, j’affirme en
tant que responsable du service et j’atteste que hormis la Wilaya V, génitrice des
services spéciaux et des Transmissions et qui disposait de quelques embryons aux
frontières pour les besoins de la formation et de relais pour les autres régions du
pays, seule la Wilaya III, à l'exclusion de toutes les autres, était dotée d'une
structure de dépannage conduite par le jeune Omar, au niveau de la station affectée
à cette dernière (la Wilaya III) et dirigée par les deux chefs de station, les jeunes
Ladjali Mohammed Lahbib et Aït Hammi Tayeb. Cette affectation préférentielle est
du reste largement méritée en ce sens que la Wilaya, outre qu’elle avait souffert
péniblement des opérations militaires ennemies, devait être en contact avec Krim
Belkacem, son ex-responsable, et donc devait bénéficier d’un statut préférentiel
largement mérité. L’aura et la considération dont bénéficiait le chahid Amirouche
étaient tellement partagées, que son nom fut donné à la 7e promotion de l’Est,
hommage que le chef de la Wilaya III avait largement mérité. J’ai eu l'honneur de
présider à la formation de ces jeunes opérateurs qui, au moment de leur affectation,
avaient à peine l’âge de I'adolescence. J’ai aujourd'hui les larmes aux yeux quand je
vois ces gamins ouvrant les yeux sur le monde qui les entoure, ne percevant que le
sacrifice qui les attend en tant que prix pour la liberté et la dignité et quelquefois
l’incompréhension de la part de certains responsables de Wilaya qui ne voyait comme
moyens de combat que le fusil. Quant aux autres armes modernes telles que les
télécommunications ou le renseignement, elles n’avaient pas à leurs yeux la même
priorité. Aussi, j’aurais souhaité que Si Sadi manifestât quelque sensibilité à l’endroit
de ces héros sans visage, qui, à peine sortis de l’école et du foyer natal, se sont
lancés dans un combat tout à la fois cruel et inégal comme je m’attendais à ce qu’il
(Sadi) évite par une sorte d'amalgame fait de clins d’œil, pouvant susciter dans
l’esprit de certains revanchards l'achèvement dans une deuxième mort non seulement
d’Amirouche, mais des centaines d'autres, dont I’héroïsme sur le champ de bataille
n’a d’égal que la pureté de leur âme.
2. Vous voyez M. Sadi que les combattants de l’ombre n’ont fait qu’obéir aux ordres
de la Révolution. Ils ont rejoint la Révolution pour prendre le fusil. On leur a
demandé, compte tenu des circonstances de la guerre et peut-être de leur niveau
relativement élevé, de mettre leur intelligence au service de la Révolution. Ils I’ont
fait sans discussion, ni murmure, obéissant à leur conscience, emportant avec eux et
le fusil et l’émetteur. Que peut-on leur reprocher, si Boussouf et Boumediène se
trouvaient là au moment du rendez-vous pour le sacrifice. Et en supposant même que
pour des raisons qui vous importent et que je m’interdis de discuter, ces deux
responsables soient condamnables, Aït Hammi qui est mort au moment où il allait
transmettre son message, fait-il partie du noyau dur ou du cabinet noir ?
3. Enfin, j’aurais beaucoup de choses à dire au sujet de ce que j’ai observé avec ces
hommes, j’allais dire des imberbes qui se sont lancés à l’assaut de Goliath. Eux, des
David, souvent pieds nus et ventre vide et bien souvent malaimés par un entourage
porté hélas souvent sur ce qui est perceptible dans l'immédiat et qui voyait
l’émetteur comme une charge supplémentaire dont l’efficacité n’apparaissait pas à
l’évidence. À mon sens, ils constituent la quintessence de notre composante humaine
parce qu’ils étaient tout simplement animés d’un rêve. Un rêve, et là je suis d’accord
avec vous, réalisé à moitié.
Lire le témoignage d’un des officiers de l’ALN, en l’occurrence le frère Debah, paru
dans El Watan le 18/8/2008
: Cessez de mentir !
Par Makhlouf Touabi*
Je suis outré. Nous avons assisté ces derniers jours à un déferlement d’histoire(s) de
la part de certains personnages, plus ou moins intéressés par le maintien d’une
situation de monopole de la parole sur notre guerre de libération qui m’a révolté en
tant qu’ancien de l’ALN et citoyen. Nous sommes nombreux à avoir constaté que ce
monopole dont ils se sont, jusque-là, autoproclamés seule autorité qualifiée pour
distiller leurs messages sous couvert de légitimité historique, n’a d’autres fins que
d’asseoir leur hégémonie politique par la falsification, l’usurpation, les reniements
dont ils ont usé et abusé depuis 1957 à nos jours.
Les réactions injustes et injustifiées au livre du docteur Saïd Sadi sur Amirouche
m’incitent à assumer ma part de responsabilité morale afin de dire ma colère envers
et contre ceux qui ont déversé leur haine dans le but de discréditer l’ouvrage dont
tout le monde s’accorde à dire qu’il est bienvenu. La première réaction est venue, sans
surprise d’ailleurs, du cercle «malgache» (d’obscurs éléments sans envergure aucune
dans les rouages du MALG ) convertis en gardiens du temple d’où se redistribue la
rente. Ils ont tenté de gommer la responsabilité des crimes commis par leurs maîtres,
et pourquoi pas, les imputer à leurs adversaires d’hier et d’aujourd’hui, pour ceux qui
ont eu la chance de survivre. J’utiliserai le même ton que lui. Mourad Benachenhou est
un être sans la moindre décence. Il était connu en tant que tel au Maroc. Qui donc, à
part lui et ses semblables, pouvait insulter et oser défendre la séquestration des
corps de deux héros ? Quant à cette «organisation » des anciens du MALG, elle a été
créée précisément pour peser contre toute velléité de manifestation de la vérité,
susceptible de mettre à nu les falsifications répétitives de l’Histoire par et au profit
du même clan. Dans un passé récent, j’ai été témoin d’une série d’apostrophes de son
président par des intellectuels moudjahidine sur ce sujet après qu’il eut travesti la
réalité. Pourquoi créer spécialement cette association puisque tous les moudjahidine
sont égaux, du moins ils devraient l’être ? Mais puisque le fond du problème dans les
attaques de M. Benachenhou et des autres c’est de cibler la Kabylie, autant aller au
fond d’un débat qui traîne depuis si longtemps. faut peut-être rappeler que si cette
région a donné 15 colonels à la Révolution pour libérer le pays, c’est grâce à un esprit
de sacrifice où aurait pu et dû puiser l’actuel clan qui gère l’Algérie et qui a squatté
tous les postes de pouvoir pour s’adonner à la prédation tout en accusant les autres
Algériens d’être d’épouvantables régionalistes. Je disais, donc, que leur cauchemar
était et est toujours d’être dévoilés pour les crimes commis par leurs chefs et peut-
être avec leur complicité individuelle et ou collective dans les assassinats d’Abane, de
Khider et de Krim Belkacem. Parlons aux nouvelles générations de ce qui peut être
encore prouvé pendant que des acteurs vivants peuvent encore témoigner. Abane
Ramdane, dont on veut coller la mort à Krim, vouait à ce dernier, en dépit des
frictions qui les ont opposés, un respect sans limites et il a mis naturellement son
intelligence au service de celui qui l’avait contacté à sa sortie de prison. Des militants
savent que Krim a failli subir, avec le colonel Si Mahmoud Chérif, le sort de Abane
alors qu’il insistait pour s’assurer que Abane, censé être retenu dans cette ferme
isolée au Maroc, disposait d’un minimum de confort dans son lieu de détention. Car
c’était bien de cela dont il était question. Mais Boussouf en avait décidé autrement en
doublant tous les autres responsables au fait du problème Abane. Lorsque Boussouf
répondit à Krim qui insistait : «Je ne suis pas un geôlier !» Krim Belkacem et Mahmoud
Chérif devinrent blêmes. Ils venaient de comprendre que Abane avait été liquidé.
N’eût été le sang froid du colonel si Mahmoud Chérif qui a compris ce que recherchait
Boussouf : les pousser à réagir alors qu’ils étaient totalement à sa merci ; il y aurait
eu ce jour-là trois têtes à liquider par Boussouf et ses acolytes, tous de la Wilaya V,
basée au Maroc. Des hommes qui nous parlent en aparté sont encore en vie. Les
historiens devraient se dépêcher de les approcher au lieu de contester, de façon très
séléctive d’ailleurs, le droit à des acteurs politiques d’écrire. Une partie de la paix
civile du pays dépend de cette affaire et il faudra bien reparler de ce qui s’est passé
à Tétouan en décembre 1957. Boussouf, rongé par son ambition, voulait affaiblir Krim
pour se hisser à son niveau. D’ailleurs, il s’attache aussitôt à semer le doute auprès du
colonel Si Nacer (Mohamedi Saïd), chef de l’armée, auprès duquel le (les) «chargé(s)
de mission» ne cessait (ent) de donner des «preuves», comme par exemple le fait que
Krim l’avait retiré de la liste des ministrables du GPRA. Le travail de division continua
jusqu'à l’aboutissement du plan d’isolement de Krim qui passait par la démobilisation
de Si Nacer, qui devait renoncer à son poste de chef de l’armée. Boussouf, obtenant
ce qu’il a voulu, n’avait plus d’obstacles devant lui. La place est libre et il suffit de
proposer son protégé Boumediène, un colonel sans faits d’armes. Krim a fini, après
maintes réticences, par céder et accepta de le nommer chef d’état-major. Ainsi Krim,
après avoir perdu la (sa) tête pensante (Abane), venait de perdre son bras armé (Si
Nacer). Voilà pourquoi sont tirés tant de couteaux après le livre de Saïd Sadi : la peur
de devoir regarder le passé en face avec les ambitions criminelles qui animaient des
hommes en pleine guerre pendant que leurs frères se saignaient à l’intérieur. À ce
propos, il faut se souvenir que le colonel Lotfi (Chaoui Boudghiar) a quitté le Maroc
quand Boumediène fut nommé chef de la base ouest, en signe de protestation, lui
l’intellectuel qui refusait d’être sous le commandement de celui qui était considéré
comme un colonel «maison». Il est mort dans le sud-ouest, avec une vingtaine de
cadres qui l’ont suivi dans la précipitation, dans des conditions qui ne sont pas sans
rappeler celles qui ont coûté la vie à Amirouche et El Haouès. Ayant réussi une autre
étape dans son travail d’élimination par affaiblissement de Krim, Boussouf jubilait.
Pas pour longtemps, car le petit Boumediène, son protégé, avait de l’ambition, et
comme dans la plupart des cercles formés autour de crimes et de complots, Boussouf
finit par être victime de sa créature. Mais comme Krim était craint, respecté et
même adulé par les anciens, il ne pouvait scier la branche qui l’avait porté au départ.
Plus tard, arrivé à ses fins, Boumediène sut être reconnaissant envers son ancien
maître. Eliminé politiquement, Boussouf put s’accaparer d’innombrables marchés :
pétrole, trafics d’armes, affaires louches, etc. en toute impunité puisqu’il avait la
bénédiction et la protection de Boumediène qui l’avait supplanté. Si je rends
aujourd’hui hommage à tous mes frères et amis qui ont servi dignement la Révolution
dans les transmissions comme dans les autres domaines, tandis que d’autres tirent
une gloriole d’être «malgaches » à des fins indignes de notre combat, il faudra que
nous les faisions payer par notre devoir de parler car nous aurons doublement failli si
nous laissons le nombre et les grades de ces racketteurs continuer à augmenter tous
les jours. Nous avons l’obligation de dire les choses pour la vérité due aux nouvelles
générations, l’honneur de notre peuple et la cohésion de notre nation. S’agissant de la
sortie d’Ali Kafi, il nous est extrêmement pénible de le suivre tant ses assertions
sont dépourvues de sens commun. Peut-il affirmer une chose et son contraire sans se
discréditer ? De plus, de quel droit peut-il se revendiquer pour affirmer que
l’Histoire est une zone interdite aux Algériens et qu’elle relève du domaine réservé.
Réservé à qui et pourquoi ? Je ne comprends pas pourquoi Ali Kafi ne dit pas
simplement la vérité sur sa non admission aux travaux du Congrès de la Soummam,
premier acte régulateur de la vie politique et organique du FLN après le
déclenchement de la Révolution. Il n’a été écarté ni par Abane ni par Amirouche dont
le rôle, pour ce dernier, était la sécurité des lieux et la protection des participants
aux travaux. Pourquoi cette haine aveugle et injustifiée envers ces deux responsables
? Pourquoi ne veut-il pas dire qu’il a été simplement renvoyé par son chef, le colonel
Zighout Youcef, qui lui a préféré des commandants plus aptes à contribuer au succès
du congrès dans lequel il s’est beaucoup investi, comme Si Abdellah Bentobal et Si
Amar Benaouda qui sont toujours vivants ? Ce fut d’ailleurs la seule fois que Kafi a
croisé Abane ! L’histoire de sa prétendue rencontre avec lui à Michelet est une pure
invention. Une autre vérité selon Kafi, une demi-vérité selon les témoignages
recoupés. Il était contre la décision des colonels d’aller, sinon de demander des
comptes, du moins de faire bouger les choses à Tunis. Pourquoi et qui a eu l’idée
d’utiliser un code grillé (hors séance) pour communiquer ? Ce qui est sûr, c’est que
cela ressemble étrangement à de la dénonciation déguisée et cela a facilité la tâche
de l’armée française qui a capté les messages et déployé, par la suite, d’immenses
moyens pour éliminer Amirouche, Haouès et leus compagnons. Allah yarhamhoum. Il
suffit de voir les documents inédits produits par Saïd Sadi pour comprendre qu’il ne
s’agissait pas d’une banale embuscade mais d’un véritable traquenard. En plus, si
comme l’affirme Kafi, la radio de la Wilaya III ne marchait pas, comment a-t-il pu
contacter Amirouche et recevoir sa réponse ! L’heure est grave. L’Algérie est à la
croisée des chemins. Certains, dont des faux moudjahidine présents au sommet de
l’État, n’en finissent pas de jubiler. Pendant que d’autres affrontaient la mort avant
de suer pour la construction du pays, eux redoublaient d’ardeur pour prendre le
pouvoir puis, dans leur sinistre besogne, ils mirent à sac les richesses du pays en
éliminant tous ceux qui en savaient trop. Je m’adresse à mes frères de combat.
Parlez, dites la vérité. Sinon notre combat n’aura servi à rien. Si les attentes des
nouvelles générations vous indiffèrent, pensez, mes frères, à ceux qui, hier comme
Amirouche et Lotfi, n’ont pas voulu se planquer et qui ne sont plus là. Oui pensons à
eux.
Alger, le 11 mai 2010
M. T.
(*) Officier retraité de l’ALN
SAÏD SADI RÉPOND AU COLONEL DE LA WILAYA II :
«Ali Kafi ment»
Jebdegh-damrar idda-d wedrar (j’ai tiré sur la corde et c’est toute la montagne qui
est ébranlée.) Les semaines passent et se ressemblent : les diversions et les
déchaînements de haine alternent avec des mises en scène historiques de plus en plus
grotesques qui meublent la périphérie du livre. L’histoire de la guerre d’Algérie est
décidément un butin trop précieux pour être restitué au peuple.
Les pesanteurs du milieu
Diluant ses ardeurs, M. Mebroukine continue à passer par pertes et profits le coup
humain, politique et historique des coups d’État de Boumediène qui a engagé l’Algérie
dans le règne des putschs, de la censure et des fraudes électorales. Le propre de la
pensée totalitaire c’est de nier toute donnée, tout évènement, tout acte qui ne
participe pas à la célébration du maître. Lorsque l’on a évacué du débat les milliards
de dollars déposés à la Chase Manhattan Bank via Messaoud Zeggar, lorsque l’on
s’interdit de parler des milliers de morts des Wilayas III et IV en 1962 qui
essayaient de se mettre sur la route de l’armée des frontières de Boumediène pour
prémunir l’Algérie des conséquences, toujours terribles, de l’inauguration de la
conquête du pouvoir par la force dans une jeune nation, lorsque l’on occulte les
exécutions de Chabani, les assassinats de Krim, de Khider et de tant d’autres, lorsque
l’on oublie de dire que le système éducatif a été livré à l’obscurantisme parce que
l’école ne fait pas de putsch mais provoque les bombes à retardement, on peut poser
le postulat que la période de 1965-1977, soit 12 longues années pendant lesquelles
tous les rêves étaient encore possibles, «n’étant qu’une période d’expérimentation»,
elle doit être analysée sur les plans politique, social et économique avec
condescendance sinon complaisance. D’un point de vue doctrinal, Boumediène, qui a
concentré tous les pouvoirs, ne saurait être tenu pour responsable d’un bilan
objectivement négatif car il n’a fait que prolonger «le nationalisme populiste dont il
n’a été que le continuateur », nous explique M. Mebroukine. Et nous qui pensions que
les grands hommes d’État sont ceux qui savent arrêter les dérives pour imprimer à
l’Histoire les rythmes et les objectifs politiques qui la sortent des marécages où l’ont
fourvoyée d’autres. Autant être clair, je ne connais pas M. Mebroukine et je ne sais
pas ce qui lui a valu d’être emprisonné. Du reste, son nom importe peu. «L’intérêt» de
son intervention c’est de révéler cette réflexion hémiplégique propre aux
intellectuels organiques du parti unique qui néantise tout ce qui peut apporter un
éclairage autonome non conforme aux dogmes officiels. M. Mebroukine, qui fut, entre
autres, conseiller de la présidence, impute à l’opposition démocratique la régression
civique et politique du pays. Il ne sait pas qu’un état d’urgence paralyse toute
manifestation publique, il ignore superbement les fraudes électorales qui sont le
premier et le plus grave des détournements et feint de ne pas connaître les ravages
de la censure des médias lourds. Rien que pour les six derniers mois, le RCD a
organisé au mois d’octobre 2009, une université d’été pendant deux jours
rassemblant 617 participants avec les animateurs venant de 6 pays. Au mois de
novembre suivant, nous avons rassemblé 700 jeunes issus des quatre coins d’Algérie
pour débattre de la situation de la jeunesse. Le 6 mars dernier, le Rassemblement a
initié une journée d’étude qui a regroupé 850 femmes autour du statut personnel
dans les pays de l’Afrique du Nord avec des personnalités algériennes, tunisiennes et
marocaines. (Il faut espérer au passage que ce volume d’activité rassure Monsieur
Kafi qui semblait s’inquiéter de la situation du RCD.) Au même moment et dans le
même site, se tenait une réunion du comité central d’un parti satellite du pouvoir
composé d’une quarantaine de membres. Radios et télévision ont consacré leur journal
de 20 heures à ce groupuscule et passé sous silence toutes les activités du RCD. On
ne croit pas savoir que M. Mebroukine, revendiquant apparemment une certaine
présence intellectuelle, se soit ému de ce que les ambassades algériennes aient
refusé de délivrer des visas aux invités du RCD. Nous ne l’avons pas, non plus, entendu
exprimer une opinion, un commentaire et encore moins une condamnation lorsque le
maire de la capitale, menant une bande de délinquants, attaqua le siège national du
RCD lors de l’élection présidentielle, etc. Les abus, les agressions, les fraudes dont
est victime l’opposition seraient pour M. Mebroukine des vues de l’esprit. Oui je le
redis comme je l’ai écrit dans mon livre, ce qui pose problème avec certains
intellectuels algériens c’est moins leur démission que leur vassalisation.
La symbolique de l’État dévoyée
Pour M. Ali Kafi, l’analyse de l’impasse algérienne renvoie à une interprétation
politique rigoureusement inverse de celle de M. Mebroukine. Le drame de l’Algérie
serait dû à un Boumediène, à l’engagement patriotique tardif et quelque peu suspect,
qui a trahi Boussouf son tuteur, dont M. Kafi nous dit qu’il était son relais attitré à
l’intérieur. L’ancien patron du MALG serait en quelque sorte un géant de l’histoire
auquel Boumediène n’a pas laissé le temps de finir le travail. Je ne m’attarde pas sur
les égarements de M. Kafi qui ergote sur un «Amirouche tremblant de peur dans sa
djellaba» et qui n’hésite même pas à convoquer Abane qu’il qualifia naguère de
«traître à la nation» pour les besoins de son attaque. Tout en dévoilant les mœurs
politiques du milieu, M. Kafi nous délivre sa pensée profonde quand il déclare que «si
“Amirouche était vivant, il égorgerait son fils et Saïd Sadi”». Cette sous-traitance
posthume n’est rien d’autre qu’un appel au meurtre. Le vernis du responsable qui clame
n’avoir jamais attenté à la vie d’un homme pendant la guerre est mis à mal par ses
pulsions intimes. M. Kafi, implicitement soutenu par des historiens, me somme
d’arrêter de m’occuper de l’histoire politique de mon pays au motif que je suis
psychiatre et non historien. S’il pouvait prendre un peu de distance par rapport à ses
propos et aux torrents d’indignité inspirés ou directement déversés par le segment
noir du MALG depuis la sortie de mon livre, il comprendrait que pour approcher
l’histoire de notre pays il vaut mieux être un peu psychiatre, tant sont complexes et
dangereux l’affolement et la fureur qui se sont emparés du sérail depuis deux
semaines. Je n’insiste pas, non plus, sur les procès en sorcellerie instruits par tous
ceux qui se croient obligés d’hypertrophier leur patriotisme en temps de paix pour
faire oublier leur retrait ou leur fuite à un moment ou un autre des périodes décisives
de la vie nationale. Les patriotes sonores ont en général plusieurs nationalités, autant
de comptes en banque et de choses à cacher ou à se faire pardonner. Les citoyens qui
daignent commenter ou émettre un avis dans leur pays sur une guerre de libération
confisquée, falsifiée, et honteusement exploitée à des fins bassement matérielles
sont effectivement leurs ennemis. Ce qui est vraiment inquiétant dans les ruades de
M. Ali Kafi, c’est cette effronterie à contester des faits indubitables. Reprenons
point par point ses allégations :
La réunion interwilayas de décembre 1958 en Wilaya II
M. Kafi assure qu’il n’y avait que trois chefs de wilaya (Amirouche, Bougara et Hadj
Lakhdar) à cette rencontre. Il soutient que le colonel Haouès n’a pas participé et alla
même jusqu’à insinuer, dans des passages de son livre, que Lotfi a boycotté le rendez-
vous, suggérant que le colonel de la Wilaya V se serait associé avec lui pour refuser
de répondre à l’invitation d’Amirouche. Je publie dans mon livre en page 432 un
document signé par les quatre responsables, dont le colonel Haouès, adressé au GPRA
à la fin de la rencontre pour dénoncer l’escapade de M. Kafi. Ou Ali Kafi est trahi par
sa mémoire, où il remet volontairement en cause un document détenu par le GPRA
pour les besoins de sa propagande. Par ailleurs, le colonel Lotfi, qu’Ali Kafi n’avait
jamais rencontré jusque-là, avait envoyé un message d’excuses dans lequel il dit ne
pouvoir rejoindre ses pairs, étant en mission à l’étranger. Ce qui, du reste, s’avéra
être vrai par la suite. Le colonel Lotfi, officier à la rigueur morale exemplaire, était
déjà en difficulté avec les états-majors est et ouest dont il sera une victime
indirecte quelques mois plus tard après l’exécution d’un de ses officiers au Maroc, le
capitaine Zoubir. Quand un homme nie des faits aussi clairement établis, on devine
toutes les libertés qu’il s’autorise avec la vérité historique, surtout lorsqu’il s’agit
d’évènements non consignés par écrit. Toujours à propos de la réunion interwilayas, M.
Kafi, se posant en chevalier du pacifisme, invoque la Bleuite pour expliquer son refus
de participer à la réunion de ses «collègues égorgeurs». L’argument ne saurait être
recevable.
Un mois auparavant, en novembre 1958, le colonel Amirouche s’était rendu en Wilaya
II pour une réunion avec Ali Kafi au cours de laquelle ils ont discuté des modalités de
la réorganisation de la lutte, d’entraide et de communication entre les wilayas. Par
ailleurs et comme d’autres régions, la Wilaya II a exécuté des hommes, qu’à tort ou à
raison, elle suspectait de compromission. Les procès-verbaux de cette rencontre
existent, à moins qu’il s’agisse, là encore, de faux documents, dont certains sont
publiés par Ali Kafi lui-même. En vérité, et il suffit de lire les comptes rendus de
séance et le rapport du colonel Amirouche, pour découvrir que la réunion de décembre
1958 avait des objectifs bien précis. Il s’agissait de faire une évaluation générale des
combats sur le terrain, d’interpeller un gouvernement qui, abandonnant les maquis, se
laissait dangereusement déborder par le MALG et les responsables des troupes des
frontières, à l’époque solidaires, et déjà engagés dans les spéculations d’après-
guerre. Il fallait aussi demander à ce que les liaisons radio entre les wilayas ne soient
plus sous tutelle exclusive de Tunis. Toutes choses dont ne voulait pas entendre
parler Boussouf. Mais, aujourd’hui que M. Kafi avoue être son représentant privilégié,
on comprend mieux son absence et son scoop peut aider à mieux décoder un certain
nombre d’évènements.
De la gestion des transmissions :
M. Kafi déclare que Boussouf l’avait désigné comme responsable exclusif des
transmissions vers l’intérieur. Au passage, on peut se poser la question de savoir
pourquoi un colonel d’une wilaya devrait centraliser à son niveau les communications
radio. Si cela devait être établi, nous tiendrions là, d’un point de vue historique, une
vraie information, quand bien même aucun dirigeant algérien n’a fait état, à ce jour,
de cette délégation. Mais le propre du système Boussouf n’est-il pas de faire et de
défaire les organigrammes de façon souterraine ? Cependant, ici encore, la révélation
de M. Ali Kafi est prise en défaut par la réalité. Quand il dit qu’il a été chargé de
contacter Amirouche pour l’informer de la réunion des colonels qui devait se tenir en
avril 1959, il affabule. Faute de le renvoyer à mon livre qu’il avoue n’avoir pas lu et
qu’il conseille de ne pas lire, je l’avise, malgré tout, que j’y ai publié le message du
COM (Commandement opérationnel militaire) envoyé le 19 janvier 1959 à 9h30 à la
Wilaya I (Aurès Namemchas) titré : «Message ultra secret» et se terminant par
cette recommandation : «prière envoyer même message au colonel Amirouche. Ne
sommes pas en liaison radio avec lui.» Contrairement à ce qu’avance Kafi, ce n’est pas
lui qui a été chargé de contacter Amirouche mais bien Hadj Lakhdar, responsable de
la Wilaya I. Je pose dans mon livre deux questions : - Pourquoi passer par la Wilaya I
pour contacter Amirouche alors que la Wilaya III disposait encore d’un poste radio
sur les deux qui lui avaient été octroyés en août 1958 ? - Pourquoi les services de
Boussouf pouvaient-ils toucher les Wilayas I et II mais pas les Wilayas III et IV ?
Compte tenu de la redoutable performance des services d’écoute de l’armée
française, il est évident qu’à chaque fois que l’on augmente le temps d’émission ou que
l’on multiplie les relais, il y a plus de risque que l’ennemi capte un message. Le seul
envoi ayant transité par la Wilaya II concerne celui qui a été adressé au groupe des
dissidents de Kabylie en octobre 1959 quand ils ont été sommés de se mettre sous les
ordres de Mohand ou Lhadj, promu colonel de la Wilaya III après la mort
d’Amirouche. Or, à l’époque Ali Kafi se trouvait à l’extérieur où il restera jusqu’à
l’indépendance.
Emission et acheminement de documents :
M. Kafi nie le fait que Krim Belkacem ait envoyé un message radio sur l’Akfadou à
Tahar Amirouchene — dont il dit qu’il était menacé par Amirouche — pour avertir le
colonel de la Wilaya III des fuites qui suintaient des services du MALG quant à la
fiabilité des codes utilisés et à la multiplication du nombre d’émissions. Il explique
que «Krim Belkacem, qui était dans le maquis depuis 1947, savait très bien qu’un tel
message pouvait tomber entre les mains de l’ennemi». A croire M. Kafi, le FLN/ALN
ne transmettait aucun message et aucun document à l’intérieur du pays. Même
lorsqu’il s’agit d’une information vitale comme celle de demander à un colonel de
changer de chemin. Les acteurs qui ont reçu et essayé de faire parvenir le message
de Krim Belkacem à Amirouche sont vivants. Enfin, il faudrait que M. Kafi nous
explique comment a-t-il transmis, lui, la foultitude de correspondances qu’il a publiées
dans son livre ? Non seulement les documents circulaient mais Amirouche avait fait
de l’écrit, en dépit de tous les risques, une exigence. Et c’est bien ce qui gêne ses
détracteurs aujourd’hui. Dans la plupart des cas, on peut trouver des traces écrites
des analyses et des décisions du colonel de la Wilaya III. Sur ces fameux messages
utilisés pour guider Amirouche, nous en sommes, depuis la sortie du livre, à quatre
versions. Le ministre des Moudjahidine, faisant parler un ancien maquisard à Bou
Saâda, nous informe que l’ennemi a capté les messages émis par Amirouche. M.
Benachenhou nous donne deux lectures ; l’une contredisant l’autre. Enfin, il y a la
dernière annonce de M. Kafi qui, confond sa wilaya et la wilaya des Aurès qui a reçu la
convocation adressée à Amirouche. La libération de la parole finira bien par imposer
la vérité. Quant à dire que Tahar Amirouchène, qui était en parfaite symbiose avec
son colonel, était menacé, cela relève autant du ragot que de l’intrigue. J’ai consacré
un développement à la densité de cette relation qui liait les deux hommes et à la
confiance qui l’a soudée. Il appartient aux maquisards encore en vie de témoigner sur
ce que tous ont vu et vécu comme une relation exceptionnelle. Même si M. Kafi n’aime
pas lire, je lui conseille de prendre connaissance de l’hommage publié par la Wilaya
III après la mort d’Amirouche. Il fut rédigé par Tahar Amirouchène et arrache
aujourd’hui encore des larmes à ceux qui se souviennent de lui.
Documents produits dans le livre :
M. Kafi a décidé que je n’ai pas pris la précaution d’en vérifier l’authenticité. Parmi
ces documents, certains sont inédits et d’autres ont été déjà publiés par des
historiens que M. Kafi connaît très bien. Pourquoi une pièce seraitelle suspecte dès
lors que c’est moi qui la porte à la connaissance du public ? Bernard Kouchner serait-il
incapable de manipuler ses amis ou ses proches ? Ces documents sont toujours
disponibles, il est facile à M. Kafi et à tous les Algériens, soucieux de soustraire
notre histoire aux manipulations, d’en vérifier la véracité.
Congrès de la Soummam :
M. Kafi conteste la nature et la portée de cet évènement historique. Il en déduit
même que c’est à partir de là que la Révolution algérienne a entamé sa régression !
C’est une opinion. Mais quand M. Kafi dit n’avoir jamais déclaré qu’il était
congressiste, il devrait se relire un peu plus souvent. Dans son livre autobiographique,
il écrit le contraire. Pour expliquer son renvoi du congrès au troisième jour par
Zighout Youcef, il affirme avoir été missionné pour réceptionner un largage d’armes
par un avion venant de Tunisie. Aucun membre du congrès, et plus tard aucun membre
du GPRA, aucun membre du CNRA ou de l’état-major n’a entendu parler de cette
mystérieuse mission. Je donne dans mon livre l’avis d’experts sur les parachutages
d’armes dans les guerres révolutionnaires. Tous sont d’accord pour dire que l’on ne
recourt pas au parachutage dans les régions limitrophes des pays pourvoyeurs en
armement. Or, nous sommes en août 1956 et la ligne Morice ne sera édifiée que bien
après. Si la délégation extérieure du FLN avait des armes à faire parvenir au Nord-
constantinois à cette époque, la meilleure manière eût été de les acheminer par voie
terrestre. La question reste entière. Il faudra que M. Kafi trouve un autre argument
pour justifier la décision de Zighout. Autant de contrevérités assumées de manière
aussi effrontée donnent la mesure de la violence, des complots et autres crimes qui
ont marqué la vie souterraine de la guerre et de l’urgente nécessité de se pencher sur
notre histoire et dont nous devons parler, non pas pour juger X ou Y, mais pour doter
notre pays d’instances où le débat transparent et le consensus permettent
d’organiser loyalement la représentation populaire pour traiter les problèmes de nos
concitoyens. L’entêtement à assumer avec une invraisemblable outrecuidance la
désinformation un demi-siècle après la guerre montre bien que c’est la confiscation
de l’histoire qui est la mamelle de la rente. Comme beaucoup d’acteurs avant lui, M.
Kafi a omis ou trituré des vérités dérangeantes et il est même allé jusqu’à diffamer
des martyrs. Depuis, il a occupé les fonctions de chef d’État, cette charge lui interdit
de recourir au mensonge, surtout quand il s’agit de la mémoire de la nation. Il n’en
demeure pas moins qu’il faut reconnaître à M. Kafi une chose : il est, pour l’instant, le
seul responsable algérien à avoir admis et condamné la séquestration des restes
d’Amirouche et de Haouès, même si l’on est en droit d’émettre quelques doutes quand
il affirme n’avoir découvert ce crime que ces derniers temps. Le fils du colonel
Amirouche n’a pas cessé de dénoncer cette séquestration et de demander des
explications. Il a envoyé des correspondances à toutes les institutions avec copie à
l’Organisation nationale des moudjahidine (ONM) dont M. Kafi fut secrétaire général.
Nordine Aït Hamouda a même été arrêté en 1983 pour cela aussi. Pour l’essentiel, ce
qui a motivé l’écriture de ce livre c’est cette séquestration, sacrilège national ; dont
ne veut toujours pas entendre parler le segment noir du MALG qui, en bon élève du
KGB, s’évertue, jusqu’à en être ridicule, à éviter de répondre à la seule question
posée. Qui a séquestré les ossements des deux héros ? Pourquoi cette forfaiture a-t-
elle été commise ? Qu’en pensent les dirigeants actuels ? Pour l’instant, les
camarades» n’ont toujours pas entendu parler du dossier. Ils ne peuvent donc pas
répondre. Même tardive, la sortie d’Ali Kafi est, de mon point de vue, symboliquement
importante. Il me tenait à cœur de le dire.
L’irruption des historiens
Viennent de paraître les commentaires de 3 historiens sur le livre. Je note qu’aucun
d’entre eux n’a émis une remarque sur son contenu. Deux d’entre eux ont cependant
relayé la litanie des jugements qui disqualifie l’homme politique dans le traitement de
faits historiques en invoquant à leur tour les risques de manipulations. La proximité
de la sortie de M. Kafi et ces interventions interpellent. La colère feinte de l’ancien
président du HCE contre les historiens cache mal la similitude de l’argumentation. Il
s’en est même trouvé un qui a repris mot pour mot l’invective de l’ancien responsable
de la Wilaya II quand il dit que les manipulations de la France risquent d’avoir pesé
sur la construction du livre comme elles ont induit en erreur Amirouche. Je pose une
question innocente : qui du politique ou de l’historien a inspiré l’argument de l’autre ?
Ces historiens ont cependant raison sur une chose : il est temps que les universitaires
s’émancipent de leurs coteries politiques. Il est aussi temps que l’écriture de
l’Histoire algérienne soit libérée des hégémonies idéologiques ou intellectuelles qui la
mutilent aujourd’hui encore. J’ai rapporté dans mon livre quelques dérapages éthiques
qui attestent que les tentatives de manipulations ne sont pas toujours là où on le
croit. Est-il inutile de rappeler que pas un universitaire, historien ou autre, n’a
abordé, ni sur le plan éthique ni d’un point de vue scientifique, la question de la
séquestration. Cela aussi, c’est de l’Histoire. Des politiques marocains ont parlé de
Hassan II, des Tunisiens ont abordé le cas de Bourguiba, Alain Peyrefitte, qui fut
ministre de De Gaulle, a produit une remarquable biographie de son président. Pour
une raison qui m’échappe et qui vient d’être appuyée par des historiens,
opportunément interpellés par M. Kafi, je serais en situation de contravention morale
en écrivant sur Amirouche. Est-ce le martyr, l’auteur ou la thématique qui dérange ?
Est-il déraisonnable de penser que cela peut être les trois ?
Le MALG sort de l’ombre
On annonce enfin la réaction du MALG. Une commission est même mise en place ! Le
montage risque d’être délicat. Les interventions chaotiques de M. Benachenhou
seraient donc une production poétique indépendante de son cercle originel. Ceux qui
croyaient que le segment noir du MALG pouvait lâcher sa proie, après la dernière
«contribution» où M. Benachenhou essaya de relativiser la brutalité de ses premières
déclarations, ont seront pour leurs frais. Les incohérences dans lesquelles il se débat
et la violence inouïe avec laquelle il répond à M. Rachid Adjaoud, que j’ai vu pleurer à
l’évocation des turbulences de la Bleuite, montrent comment une secte peut pousser à
l’outrance sinon l’outrage un des siens quand elle est acculée à subir la lumière. Ecrire
qu’«Amirouche est un être hors du commun» et déclarer le lendemain que c’est «un
criminel de guerre» illustre à quel point les barbouzes veillent à ce que le débat soit
étouffé et comment les parrains rattrapent un des leurs quand il se laisse gagner par
le remords. Il faut que les inspirateurs de cette diatribe soient bien affolés et qu’ils
se sentent menacés dans leurs intérêts vitaux pour perdre le minimum de retenu qui
sied à toute expression publique. L’explosion de fureur publiée dans le Soir d’Algérie
le 10 mai a le mérite de démontrer, au cas où il y aurait encore un doute, qui a donné
et séquestré Amirouche et Haouès. Les médecins appellent cela un diagnostic post
mortem. Pourquoi et comment le pays est étranglé par une minorité de prédateurs
depuis l’indépendance ? Même éloignés du pouvoir formel, ils gardent les liens et
surtout imbibent l’État de leurs mœurs, véritables toxines qui conditionnent le
fonctionnement des grands rouages institutionnels. Boussouf seul ne pouvait pas
détourner les dynamiques de Novembre et de la Soummam. Boumediène seul n’avait ni
la légitimité ni le crédit pour s’opposer au GPRA. C’est la synergie des deux qui a fait
que le pire s’est imposé au destin d’un pays qui aurait pu être la Californie de la
Méditerranée occidentale. On a déjà dit, à juste titre, qu’en politique, pour le meilleur
comme pour le pire d’ailleurs, un plus un font plus de deux. Le responsable de l’armée
des frontières a fini par avoir raison de son protecteur, le patron du MALG. Les deux
sont aujourd’hui morts. La nécessité de poursuivre coûte que coûte la lecture de
notre histoire s’impose, non pas pour accabler les deux hommes, mais pour empêcher
leurs clones de perpétuer une pratique politique qui risque de désintégrer la nation.
Et maintenant…
Il se dit que ces activistes des ténèbres, noyautant les institutions, veulent
entretenir l’invective pour enrayer le débat et permettre à leur tuteur officiel
d’intervenir encore une fois pour décréter que la discussion, «otage des extrémismes
», doit s’arrêter. La manœuvre a été déjà testée sur le dossier du terrorisme. On sait
ce qu’il en a coûté au pays. À toujours occulter la vérité, à refuser à la justice de
suivre son cours, on a fait de l’Algérie un volcan. J’ai veillé à ce que mon livre traite
des évènements qui ont entouré la mort et la séquestration des colonels Amirouche et
Haouès sans complaisance ni colère parce que le silence qui entoure ces deux
événements est politiquement et symboliquement symptomatique du naufrage de la
nation. Il est vital que les enfants d’Algérie se saisissent de cette opportunité pour
ne plus laisser les détrousseurs de mémoire, qui sont aussi les semeurs de haine,
ruiner leur passé et miner leur avenir. Dans ce déchaînement de panique, de violence
et de mensonges, un homme m’a adressé un message public m’invitant à continuer
d’écrire ce que je crois être utile pour mon pays. C’est suffisamment rare pour être
relevé et salué. Qu’il sache que pour moi une voix exprimant une conscience libre est
plus audible que les vacarmes de la meute. Pour l’instant, on observe qu’un livre a suffi
à ébranler la citadelle. On découvre que le système politique, avec ses prébendes, ses
normes et ses méthodes, n’est pas réductible à la sphère du régime. Les réactions
enregistrées jusque-là me rappellent étrangement l’hystérie qui a suivi avril 1980
quand certains demandaient nos têtes au motif que nous avions attenté à la Charte
nationale pendant que d’autres, idéologiquement aux antipodes des premiers, en
appelaient au châtiment suprême car nous avions «brûlé le drapeau et le Coran».
Notre histoire bégaie. Essayons de la faire parler. Librement.
Saïd Sadi
Président du RCD et député
RACHID ADJAOUD, OFFICIER DE L’ALN ET SECRÉTAIRE DU COLONEL
AMIROUCHE :
«Il voulait secouer ceux qui vivaient dans le confort de Ghardimaou et Nador»
Dans votre édition du lundi 3 mai 2010, un large espace a été accordé à M.
Benachenhou pour traiter des problèmes de Wilaya III et de son chef, le colonel
Amirouche. M. Benachenhou m’a cité dans son écrit à deux reprises. Il a fait
référence à des déclarations faites à un journaliste, M. Aït Ouakli Wahib, publié dans
le quotidien L’Expression il y a déjà quelques années.
Evidemment, M. Benachenhou a choisi les morceaux de ma déclaration qui lui
conviennent le mieux pour étayer ses écrits pour ternir l’image de la Wilaya III. Il se
porte même juge et partie pour faire endosser au colonel Amirouche de graves
erreurs dans l’affaire de la «Bleuite». Je n’ai pas eu le privilège de connaître ce
Monsieur dans les maquis de la Wilaya III, je ne l’ai jamais vu au cours d’une
cérémonie au musée d’Ifri, ni à une quelconque cérémonie commémorant l’anniversaire
de la mort de Si Amirouche et Si Haouès à djebel Thameur. Je n’ai pas encore
compris, un demi-siècle après leur décès, ce que visent M. Benachenhou et ses amis ?
Les héros de la Révolution n’ont pas besoin d’éloges, encore moins d’avocats pour les
défendre, mais de lucidité et d’honnêteté de la part des vivants. Dans le fond, vous
insinuez que dans l’affaire de la «Bleuite», les services français n’avaient eu aucun
rôle. Ce serait une pure invention du colonel Amirouche pour se débarrasser de mille
huit cent cadres de l’ALN comme l’ont dit avant vous des officiers coloniaux. Pourquoi
accordez-vous plus d’importance aux déclarations du capitaine Leger et pas aux
archives de la Wilaya III que chacun peut consulter ? Mais il paraît qu’elles ne sont
plus disponibles. Qui voulez-vous convaincre que le combat d’Amirouche qui a fédéré
les maquis se réduit à la «Bleuite» ? En fait, toute votre démarche vise cet objectif,
pourquoi ? Des écrivains et journalistes d’outre-Méditerranée que nous n’avons jamais
vus et qui ne nous ont jamais entendus pour écrire l’histoire de la guerre de
Libération malgré toute notre disponibilité, continuent d’écrire «debout» et en sens
unique, à leur seul avantage et celui de leurs proches. M. Benachenhou, le colonel
Amirouche, en se rendant en Tunisie en ce mois de mars 1959 avec son frère Haouès,
avait le cœur bien gros. Ce n’est certainement pas pour aller se reposer à «Carthage
ou Hammamet» mais pour remuer ceux qui se prélassaient dans le confort à
Ghardimaou et Nador. En partant, il a rassemblé ses cadres à Akfadou, il a donné ses
conseils et consignes, il a laissé 12 000 hommes entre moudjahidine et moussebline et
il nous quitte en pleurant. Le destin a voulu que son itinéraire s’arrêtât à Boussaâda
avec Si Haouès, pourquoi donc vous défendez l’indéfendable sur son décès et sur son
itinéraire ? Si Amirouche aurait-il survécu en arrivant à Tunis ? M. Benachenhou,
pendant que les maquisards de l’intérieur affrontaient les opérations «Jumelles»,
«Pierres précieuses» et autre «Bleuite», l’armée française montait ses lignes
électrifiées de barbelés et de mines, alors qu’une armada de l’ALN se reposait
tranquillement derrière les frontières pour préparer «l’avenir». Ce n’est qu’une fois
ces barrages achevés que quelques compagnies de djounoud sont envoyées et
sacrifiées, car rares sont ceux qui arrivent en Algérie. La ligne «Morice» était
pratiquement infranchissable. C’est dur, très dur de parler maintenant de cette
partie de notre histoire, mais parlons-en sereinement entre nous comme des grands,
sans haine ni passion d’où tout esprit régionaliste sera exclus. Ce débat alors ne
profitera qu’à notre peuple. Jeune officier à l’époque du départ de Si Amirouche, j’ai
ressenti toute la douleur de cette absence et l’affliction de son décès avec Si Haouès
à Boussaâda, nos appels de détresse deviendront encore plus inaudibles après la
disparition de ces deux chefs de la Révolution. Je me suis permis à l’époque de
l’opération «Jumelles» d’adresser au GPRA une lettre par laquelle je retraçais le
désarroi dans lequel se trouvaient les maquis de l’intérieur, cette lettre n’aura pas
plus d’échos que nos nombreux appels de détresse précédents (voir livre de Mohamed
Harbi Le FLN de 1954-1962pages 108 et 109). En 1962, il ne resta que 4 000
moudjahidine sur les 12 000 laissés par Si Amirouche avant son départ en Tunisie. Les
différentes opérations ont consumé 8 000 hommes devant l’indifférence de ceux qui,
en 1962, ont pris l’Algérie indépendante dans le sang. Et puisque beaucoup accordent
plus d’intérêt à l’affaire de la «Bleuite», l’affaire «Oiseau bleu» montée par Krim
Belkacem au début de la Révolution mérite qu’on s’y arrête pour la mémoire. Je
voudrais conclure en disant qu’il y a un problème dans le cas de Amirouche : ceux qui
l’ont côtoyé l’ont admiré, respecté et pleuré comme le peuple. Ceux qui ont fait le
maquis au Maroc ou à Tunis et qui parlent de lui aujourd’hui sont submergés par la
haine. Il doit y avoir deux Amirouche.
R. A.
Ali Kafi a réagi — sans même l’avoir lu — au contenu du livre écrit par Saïd Sadi. Le
président du Haut Conseil d’Etat a profité d’une rencontre avec la presse pour s’en
prendre aux colonels Amirouche et Boumediène et pour dresser un tableau noir de la
gouvernance de Abdelaziz Bouteflika.
Tarek Hafid - Alger (Le Soir) - Lors d’une rencontre avec des journalistes des
quotidiens Liberté, El Watan, El Fedjr et El Khabar, organisée jeudi en son domicile,
Ali Kafi a réagi au livre Amirouche : une vie, deux morts, un testament. Le président
du HCE, qui avoue ne pas avoir lu l’ouvrage de Saïd Sadi, conteste à l’auteur le droit
d’écrire sur la Révolution algérienne. «Saïd Sadi n’a pas le droit d’écrire sur l’Histoire.
Il est psychiatre et non pas historien. De plus, n’étant pas un acteur de la Révolution,
il est très loin du processus historique de notre Révolution. Il ne l’a pas vécue, donc il
ne peut pas s’en imprégner (…) Au vu de la faillite qui a gagné son parti (le RCD), veut-
il peut-être rebondir sur la scène en enfourchant le cheval de la grandiose Révolution
qui a libéré le pays ? Si Amirouche était encore en vie, il aurait exécuté son propre
fils ainsi que Saïd Sadi.» Si l’on s’en tient aux propos de Ali Kafi, aucun Algérien n’est
disposé à écrire l’histoire de l’Algérie. «Nos historiens sont des lâches et des
entremetteurs. Ils n’écrivent pas. Pourquoi on n’écrit pas notre histoire ? La France
a-t-elle peur que l’histoire de l’Algérie soit écrite ? Y aurait-il des Algériens qui
seront dérangés par l’écriture de l’histoire?», s’est-il interrogé. Revenant sur le
contexte historique de l’époque, Kafi — alors colonel de la Wilaya II — a reconnu
avoir été écarté des travaux du Congrès de la Soummam. «Nous étions une délégation
officielle, Zighout, Ben Tobbal, Mezhoudi, Rouabhi, Benaouda et moi-même. (…) J’ai
assisté à deux séances avant que Zighout ne me contacte et me confie la mission
d’aller attendre un avion qui allait larguer des armes. Mais il n’y avait pas d’avion. Je
n’ai pas été écarté et je ne prétends pas que j’ai participé au Congrès, mais je
m’interroge sur la mission qu’on m’a confiée». Ne manquant pas de traiter Saïd Sadi
«d’affabulateur », Ali Kafi confirme, néanmoins, les informations publiées par le
président du RCD. Assénant ses vérités, Kafi s’en prendra de face aux colonels
Boumediène et Amirouche. Du président de la République il dira : «Moi, Boumediène je
l’ignore. Il est entré à la Révolution en 1956 grâce à une lettre de recommandation
d’Ahmed Ben Bella. Il ne connaît pas les tenants et les aboutissants de la guerre de
Libération (…) Celui qui a rendu l’Algérie malade c’est Boumediène, il nous a laissé un
héritage désastreux qui nous gouverne actuellement (…) Il a ruiné le pays. Les deux
seules bonnes décisions qu’il avait prises, ce sont la nationalisation des hydrocarbures
et la révolution agraire». Pour ce qui est du colonel Amirouche, Ali Kafi tiendra des
discours diamétralement opposés. Dans un premier temps, il prendra le ton de
l’offense en évoquant le colonel de la Wilaya III historique : «On appelait Amirouche
“Taxi Ami Salah”» rapporte- t-il en prenant soin d’évoquer dans le détail sa «fuite»
face à l’ennemi. «On s’est retrouvés tous dans une maison à Michelet. Repérant
Amirouche, isolé dans un coin tout empêtré dans sa kechabia, Abane l’avait sermonné
devant tout le monde en le traitant de tous les noms d’oiseaux. Il lui cria à la figure :
‘’J’emmerde celui qui t’a nommé officier” (inal bouh lisemak dhabet)», raconte Kafi.
Mais ce dernier semble finalement se reprendre : «Amirouche était plus qu’un grand
frère pour moi. On avait d’excellentes relations, on se voyait régulièrement ». Et il
qualifiera «d’impardonnable » la séquestration des corps de Amirouche et Si Haouès
après la Révolution. «Cela ne fait pas très longtemps que je suis au courant de cette
affaire. Mais je la considère comme un crime impardonnable contre les chouhada. »
Au-delà de l’aspect historique, la sortie médiatique de Ali Kafi se caractérise aussi
par des critiques à l’égard de la gouvernance de Abdelaziz Bouteflika. Un constat
d’échec sans appel. «L’Algérie vit une faillite totale et elle se dirige vers l’inconnu.
Nous avons consacré toute notre vie pour le militantisme depuis le mouvement
national, avec de grands espoirs, actuellement tout sombre subitement dans
l’obscurité.»
T. H.
Des années après l’indépendance, en évoquant la mort des deux chefs de wilaya,
certains combattants laissèrent insinuer qu’un message radio envoyé aux intéressés
par le GPRA et intercepté par l’ennemi aurait permis de situer l’itinéraire du groupe
Amirouche-Haouès en partance pour la Tunisie. Pour ceux qui ont le privilège de
connaître Si Amirouche, ils sauront qu’un chef de sa trempe ne révélait jamais à
l’avance ses intentions et encore moins le ou les itinéraires qu’il voulait emprunter, si
bien qu’il est impensable qu’il ait été donné par quelqu’un de son entourage et encore
moins par l’extérieur. En fait, la disparition de Amirouche-Haouès est due à une
opération anodine et de routine de l’armée française, comme l’ennemi avait l’habitude
de déclencher par les troupes du secteur quasi quotidiennement.
(Mustapha Tounsi,
Il était une fois la Wilaya IV,Éditions Casbah, Alger, 2008).