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La Société des mines de Zellidja


apprivoise l’américanisation

La Société des mines de Zellidja 1 est créée en 1929 par Jean Walter
en vue d’extraire du minerai de plomb à Bou Beker, au nord du Protectorat
français du Maroc. Bien qu’elle dispose de concessions et de permis
d’exploration portant sur des territoires réputés receler d’importants
gisements de minerai, cette entreprise familiale mène une vie paisible
jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Au lendemain de la guerre, elle
décide de s’engager dans l’exploration et d’augmenter le volume produit.
Il lui manque cependant le savoir-faire technique et l’équipement qu’exige
un tel programme.
En 1946, en vue de réaliser son projet, elle s’adresse aux milieux
miniers américains et obtient le concours de la Newmont Mining
Corporation et de la Saint Joseph Lead Company. Les deux sociétés lui
fournissent assistance technique et équipement. Leurs ingénieurs se
rendent sur les lieux au Maroc afin d’évaluer les besoins et émettre des
recommandations en vue de la mécanisation de l’extraction. De leur côté,
des responsables de Zellidja effectuent des missions d’observation dans
diverses sociétés minières aux États-Unis. Bénéficiaire de l’aide Marshall,
Zellidja obtient de l’Economic Cooperation Administration (Administration
de la coopération économique, ECA) des prêts remboursables en nature.
La partie américaine s’intéresse à Zellidja parce que soucieuse de
d’acquérir et d’accumuler des réserves stratégiques de matières
premières dans le contexte de la guerre froide. L’implication américaine
dans une entreprise minière œuvrant dans l’une des principales
possessions françaises ne passe pas inaperçue, d’autant plus que les
États-Unis sont soupçonnés d’en souhaiter l’indépendance. En revanche,
la France est résolue à développer l’Afrique du Nord, moyen à la fois de
consolider son emprise et de s’assurer une profondeur stratégique en cas
de guerre en Europe. Dès le début, l’arrangement minier, malgré son
caractère privé, revêt une dimension politique. Il obtient d’ailleurs
l’approbation des autorités françaises et américaines.
La mécanisation stimule la production de Zellidja. Moins de deux ans
après son introduction, les estimations des réserves plombifères connues
sont triplées et des réserves de zinc découvertes. Au-delà de 1951,
Zellidja compte pour plus de la moitié du plomb et pour les trois
cinquièmes du zinc produits dans l’Union française. Ce qui n’était jusque-là
qu’une modeste affaire minière confinée dans un cadre national se
retrouve au rang de deuxième producteur de minerai de plomb au monde.
1 La présente étude s’appuie principalement sur les archives de la société Zellidja, exploitées
ici pour la première fois. Une partie, conservée au siège social à Casablanca, comprend les
procès-verbaux des délibérations du conseil d’administration, les comptes rendus annuels faits
au c.a. et les rapports du c.a. à l’assemblée générale des actionnaires. L’autre demeure sur les
lieux de la mine abandonnée à Bou Beker ; on y trouve les archives techniques, la
correspondance et la documentation imprimée.
Nous tenons à exprimer nos remerciements au président Mostafa El Sahel, au vice-président
Cherki Belaidi et au personnel de la société pour la bienveillance de leur accueil. Notre
reconnaissance va aussi à Daniel Catan pour son concours.
2

Zellidja apparaît comme un acteur de premier plan au Maroc et passe pour


être un cas exemplaire de coopération franco-américaine.
Néanmoins, à côté de l’assimilation réussie des techniques
américaines, l’américanisation demeure faible. La présence de la
Newmont et de la Saint Joseph au conseil d’administration ne donne pas
lieu à un contrôle. En ce qui concerne une entreprise minière, une
définition de l’américanisation comprendrait l’application systématique de
la technologie à la production, l’accent sur la croissance et l’existence
d’une équipe de cadres ou gestionnaires qui se démarque des
propriétaires. Si ces phénomènes sont répandus aux Etats-Unis et lui sont
associés, ils ne sont pas essentiellement ou exclusivement américains, et
leur adoption ne signifie pas en soi l’américanisation. Au stade de
développement où se situent Zellidja, le Maroc et la France, celle-ci
implique un acte conscient d’emprunt. La présente étude aborde la
question de l’américanisation de Zellidja, sans préjuger de sa réalité, en la
situant dans le contexte de l’histoire de la société. Seule la prise en
compte de l’orientation antérieure de l’entreprise permet d’interpréter la
politique d’emprunt sélectif qui est la sienne.

I. Les débuts

À l’origine, Bou Beker n’est qu’un puits dans une région isolée à 45
km au sud-est d’Oujda près de la frontière algérienne au nord du Maroc.
Le minerai de plomb (galène) y est extrait de temps à autre et à petite
échelle depuis le XVIe siècle. En 1925, Jean Walter (1883-1957) obtient un
permis dans la région entourant le puits et fonde Zellidja 2. Architecte de
profession, il se risque alors que de grandes sociétés minières pensent si
peu de Bou Beker qu’elles lui cèdent leurs permis en guise de paiement
partiel pour une prestation de service 3. La prospection effectuée par
Zellidja s’étant révélée fructueuse, l’extraction commence.
Le traitement du plomb est réalisé en plusieurs étapes.
Premièrement, le minerai est écrasé et envoyé à la laverie, sorte de bassin
où l’on procède à la flottation. Les particules de plomb sont ensuite
concentrées et grillées afin d’éliminer le soufre. La fonte, prochaine étape,
retire le métal des concentrés de minerai. Elle se déroule en général dans
un haut fourneau équipé d’un water jacket et d’un creuset pour la collecte
du plomb fondu. La chauffe dans un récipient de scories débarrasse le
plomb d’œuvre de ses impuretés. Enfin de grands blocs de plomb métal
sont envoyés à la raffinerie pour purification supplémentaire et surtout
pour la récupération de l’argent. Le raffinage produit du plomb brut à
l’état pur.
Zellidja emploie la méthode des piliers et galeries pour l’extraction.
Rudimentaires, ses laveries sont limitées au premier stade de la
production. Le moteur d’un camion fournit le courant pour la première
laverie. Les concentrés sont transportés à Oujda, puis au port d’Oran en
Algérie pour être exportés en Europe. Si la production augmente, le cours
2Zellidja n’est pas un lieu. Le personnel de la société croit qu’il s’agit du nom d’une pierre.
3R. H. Ramsey, Men and mines of Newmont. A Fifty-Year History, New York, Octagon
Books, 1973, p. 119.
3

du plomb s’effondre, passant d’un sommet de 42 £ au milieu des années


1920 à un plancher de 10 £ 4. La mine doit être fermée en 1931. On profite
de la période d’inactivité pour améliorer l’infrastructure. Le prix du
transport par la voie ferrée vers Casablanca étant prohibitif, il importait de
trouver un autre débouché. L’État pose une nouvelle ligne à 20 km de Bou
Beker; son terminus est le port voisin de Nemours (aujourd’hui
Ghazaouet), lequel est aménagé pour l’exportation du produit vers la
France. La construction de logements pour le personnel et la recherche de
sources d’eau en Algérie se poursuivent simultanément.
Le cours du plomb ayant atteint 23 £/tonne en 1936, la mine est
rouverte et une nouvelle laverie installée. La concentration s’effectue par
le moyen de la flottation («plonger et laisser flotter»). Le minerai de plomb
de Zellidja et de la petite mine voisine de Touissit, propriété de la
Compagnie royale asturienne des mines, est transporté par camion vers la
gare d’Oued el Heimer, puis par rail vers le port de Nemours. De 15 tonnes
en 1925, le volume de concentrés s’établit à 1313 en 1930, 3177 en 1937,
7143 en 1938 et 12 036 en 1939 5. L’objectif pour 1940 est fixé à 15 000
tonnes. En 1939, Zellidja constitue déjà la deuxième mine plombifère de
l’Empire français, source de 38% du plomb qui y est extrait.
L’éclatement de la guerre ne ralentit pas la croissance dans le court
terme malgré la mobilisation d’une partie du personnel. Le 26 décembre
1939, les actionnaires augmentent le capital de 10 à 20 millions de F par
l’incorporation de réserves et autorisent une augmentation éventuelle à
40 millions. En 1940, Zellidja commande de l’équipement permettant de
produire 25 000 tonnes 6. L’évaluation des réserves connues de minerai
dans le périmètre de 40 hectares est majorée de 20 000 à 100 000 tonnes
entre 1936 et 1940 7. L’adoption du système Bedaux 8 compense en partie
la perte de main-d’œuvre par une meilleure organisation du travail.
En dépit des résultats encourageants au départ, l’effet de la guerre
ne tarde pas à se faire sentir. Suite à l’armistice, aucune commande de
pièces de rechange ou de matières premières ne peut être faite en
Grande-Bretagne ou aux États-Unis. Une commande de compresseurs 9 et
une demande de renseignements au sujet d’une laverie 10, faites en 1940,
4 Rapport à l’assemblée générale (A.G.) des actionnaires du 26 décembre 1939 ; Société des
mines de Zellidja, À la recherche des ressources mondiales de métal. Deux années de
collaboration franco-américaine au Maroc, 1949 (brochure non paginée) ; Metallgesellschaft
Aktiengesellshaft, Metal Statistics, 1967-1977, Frankfurt am Main, 1978, p. 380.
5 A.G. du 6 avril 1940.

6 Idem et 26 décembre 1939.

7 À la recherche…

8 A .G. des 14 juin 1941 et 8 juin 1942. Charles Eugène Bedaux (1886-1944) élabore un

système de paiement basé sur le rendement : l’unité de mesure représente une minute de
travail à cadence normale et un temps de repos. Cf. Matthias Kipping, «American
Management Consulting Companies in Western Europe, 1920 to 1990 : products, reputation
and relationships», Business History Review, 73, 1999, p. 197.
9 Archives Zellidja, Bou Beker (AZBB), Zellidja à Ingersoll Rand (New York), 1 er janvier

1943. Il ne sera pas toujours possible d’identifier les dossiers, les archives n’étant pas
classées.
10 Ibid., Zellidja à Hardinge Co. (York, Pennsylvanie), 17 avril 1943.
4

ne sont pas suivies de réponses. Les achats s’effectuent, non sans mal, en
France occupée et en zone sud. Tandis que s’arrêtent petit à petit les
fonderies françaises et que diminuent leurs importations, le prix du plomb
de Zellidja et son niveau de production s’affaissent. Les stocks et
l’équipement, devenus rares et précieux, ne peuvent être utilisés qu’avec
parcimonie. Il est décidé de fermer la laverie pendant un an. C’est la
deuxième fois que l’élan de la société est arrêté par des événements qui
lui sont étrangers.
La réouverture de la principale fonderie française à Noyelles-Godault
(Pas-de-Calais) entraîne la reprise des livraisons de plomb en septembre
1941. Toutefois le problème de l’alimentation en courant électrique
demeure sérieux. Depuis longtemps, mais vainement, Zellidja incite
Énergie électrique du Maroc, le fournisseur, à abandonner les moteurs
Diesel et le fuel pour construire une usine thermale qui s’alimenterait aux
mines d’anthracite voisines de Djerada. Le projet qu’a Zellidja de réaliser
son indépendance par la création de sa propre station, mue par un gaz de
qualité inférieure, est conforté par lorsque ÉÉM comprime sévèrement la
fourniture de courant à la mine en juin 1941 comme conséquence de
pénuries de fuel et de la conviction que la demande pour le plomb est
atone en France. Malgré les interventions officielles en faveur de Zellidja
11
, le courant n’est pas augmenté. Un équipement de fortune, acquis ici et
là en France, est assemblé à Bou Beker afin de construire des générateurs
fonctionnant au gaz. Le volume de concentrés produits change peu de
1939 à 1940. Il baisse à 6763 tonnes en 1941 et se situe à ce nivesu
jusqu’à la fin de la guerre.
Zellidja est fort désireuse de reprendre l’exécution du programme de
1940, d’autant plus que de nouvelles explorations révèlent des réserves
insoupçonnées. Jacques Ségaud, directeur et géologue, les évalue à 400
000 tonnes de métal 12. En 1942, Zellidja étend sa prospection à l’Algérie
et acquiert des mines de zinc à El Abed-Aïn Arko. Créée en novembre
1942, la Société des mines d’Aïn-Arko appartient entièrement à Zellidja. La
valeur du capital-actions de cette dernière est élevée à 40 millions de F en
1941 par l’incorporation de réserves et l’augmentation à 100 millions de F
est autorisée. Il atteint 60 millions de F en 1942 grâce à l’émission de
nouvelles actions à souscrire en numéraire. En 1945, Zellidja est en
mesure de produire 24 000 tonnes de concentrés vendables d’une teneur
en plomb de 70 à 75% à partir de minerais dont la composition en plomb
est de 5 à 8% 13.
Comme pour l’électricité, la société vise l’autonomie dans le
traitement du minerai. La construction d’une fonderie et l’exportation du
plomb plutôt que du minerai lui permettraient de tirer un meilleur parti du
fret déboursé; elle pourrait aussi se prémunir contre les fluctuations du
11 AZBB, Dossier Résidence Rabat, Jacques Walter, fils du fondateur, ingénieur des mines et
directeur général, au général Weygand, résident général, télégrammes sans dates (juin 1941 et
avril 1942).
12 Archives Zellidja, Casablanca (AZC), Rapport à l’A.G. du 8 juin 1942. Première version

tapée à la machine.
13 AZBB, Jean Walter à Gabriel Puaux, résident général, 19 janvier 1945 ; note du 9

novembre 1948.
5

prix du minerai et disposer de métal en France pour la fabrication de


produits finis, tels les tuyaux, le plomb en tôles et les insecticides.
Cependant, en juin 1942, Zellidja s’associe à la puissante Société minière
et métallurgique de Peñarroya 14 afin de construire une fonderie en
commun à Oued el Heimer, près de la ligne ferroviaire menant à Nemours.
Située à 33 km au sud d’Oujda et 17 km à l’ouest de Bou Beker, la
fonderie est à mi-chemin entre Bou Beker et la mine de Djerada dont
l’anthracite entretiendra les fourneaux. Propriété à parts égales de ses
deux fondateurs, son siège social à Bou Beker, la Société des fonderies de
Peñarroya-Zellidja (P-Z) est créée en janvier 1944 et dotée d’un capital de
10 millions de F 15. La construction de l’usine débute en novembre 1944 et
le premier fourneau est mis à feu le 11 novembre 1947.

II . Des partenaires américains

Les besoins et les motivations qui rapprochent Zellidja et les intérêts


américains sont différents mais convergents. Au terme de la guerre, on
s’inquiète du niveau des réserves de plomb dans le monde; le sujet revêt
une importance stratégique pour les autorités américaines. Le
débarquement en Afrique du Nord et les événements qui suivent les
rendent plus conscientes du potentiel du Maroc et de Bou Beker. Un
ingénieur visite le site de la mine pour leur compte en été 1944 lorsque
Zellidja essaie d’obtenir des fournitures par le biais du Prêt-Bail. La
réponse de la North African Joint Economic Mission, un organisme allié
installé à Alger, est négative. Le 6 janvier 1945, le secrétaire d’État
Stettinius en personne télégraphie à la NAJEM :
«Le changement dans la situation du plomb est telle que, de notre
point de vue, vous devriez revoir le refus d’accorder des fiches pour la
reconstruction et l’expansion de la production de Zellidja… Nous
estimons que le facteur déterminant n’est pas le peu d’importance
relative de la production de Zellidja par rapport à la production
américaine mais les besoins présents et prévus des pays libérés, le fait
que 82 tonnes d’équipement permettront d’augmenter la production
de 1000 à 2000 tonnes de concentrés par mois, et l’accessibilité et la
richesse des mines» 16.
Suite à une visite à la mine par ses ingénieurs, la NAJEM revient sur sa
décision. De l’équipement d’une valeur de 210 000 $ (25 000 000 F) est
destiné principalement à la construction d’une nouvelle laverie.
Les mêmes préoccupations se rapportant aux réserves de plomb se

14 Fondée à Paris en 1881 et contrôlée par les banques Rothschild et Mirabaud, Peñarroya est
le premier producteur de plomb au monde. Particulièrement active en Espagne, elle avait des
filiales au Maroc ; l’une d’elles, la Société des mines d’Aouli pratique l’extraction du minerai
de plomb près de Midelt. Archives du Crédit lyonnais, Direction des études économiques et
financières, no 49 828 ; Peñarroya, 1881-1981. Histoire d’une société, Paris, Peñarroya, 1981.
15 Jacques Walter préside P-Z. Charles Long, puis Henry Pagézy, représentent Peñarroya au

poste de vice-président. Pagézy devient administrateur et vice-président de Zellidja en 1942.


Il occupe les deux fonctions au moins jusqu’en 1968.
16 À la recherche… citation traduite ; Archives du ministère des Affaires étrangères [AE

(Paris)], M-Maroc 1944-1949, No 122, colonel Spillmann, secrétaire général du Comité de


l’Afrique du Nord, au ministre des Affaires étrangères, 23 mai 1945.
6

font sentir aux Etats-Unis alors que débute la guerre froide. Le consulat
américain à Rabat s’enquiert auprès du service des mines du Protectorat
au sujet des minerais plombifères marocains 17. Dans un tel contexte, les
firmes américaines sont au diapason de la politique du gouvernement
américain lorsqu’elles cherchent à s’associer à des sociétés étrangères
actives dans des secteurs économiques réputés stratégiques par les
autorités.
De leur côté, les entreprises situées dans les pays occupés ou dans
les zones de combat, privées d’équipement, de fournitures et de matières
premières durant la guerre, sont impatientes de procéder à des
importations afin de fonctionner à nouveau, d’assurer l’entretien ou de
travailler à plein régime. Résultat de la guerre, les États-Unis sont le seul
exportateur. Les autorités du Protectorat au Maroc favorisent les
importations destinées à augmenter la production; les permis d’importer
sont délivrés libéralement. La pénurie de dollars freine sérieusement les
achats. À court terme, le paiement en nature ne peut être envisagé en
raison de l’importance des besoins de la reconstruction en France.
L’Empire ne peut répondre à la demande. Les autorités du Protectorat ont
des instructions formelles de la part du ministère de la Production
industrielle à l’effet de réserver la totalité du plomb marocain à la France
18
.
Zellidja a pour objectif la mécanisation. Le projet de faire de la fonte
en France, abandonné implicitement avec la création de P-Z, est jugé
impraticable et définitivement écarte 19. Toute l’attention est portée sur
les installations au Maroc. Zellidja entend s’engager sur la voie de
l’expansion que la guerre lui avait fermée et profiter de la forte demande
que suscitent la reconstruction et le souci de l’insuffisance des stocks. Un
autre motif l’incite à mécaniser. Retenir la main-d’œuvre n’avait pas été
aisé dans le passé; elle faisait normalement défaut durant la saison de la
moisson. Un effort particulier doit être consenti pour accommoder les
travailleurs par la construction de logements dans la médina avoisinante.
La guerre terminée, des majorations de salaires sont décidées par la voie
législative en France et au Maroc. De toute façon, il suffit que les
employeurs de la région, tels la mine de Djerada, augmentent les salaires
pour que Zellidja, devant le départ possible de ses employés, soit obligée
de faire de même. Par conséquent, les coûts de production en viennent à
dépasser les revenus provenant des ventes. Le prix du plomb français et
marocain est au-dessus du cours mondial. Zellidja est contrainte de
compenser le coût unitaire et d’augmenter la production. La pression des
coûts et l’attraction de la demande se conjuguent pour inciter à une
mécanisation accrue.
Invité par des sociétés minières américaines, Jean Walter se rend
aux États-Unis visiter des mines et nouer des relations, nonobstant la
réticence de certains administrateurs de Zellidja à faire des concessions
17 AE (Nantes), Maroc, Cabinet diplomatique, No 982, Jean Couture, ingénieur en chef de la
Division des mines et de la géologie, au conseiller diplomatique du Protectorat, 11 novembre
1946.
18 Idem.

19 Rapport à l’A.G. du 23 juillet 1946.


7

pour acquérir des dollars. Walter choisit deux partenaires, la Saint Joseph
Lead Company 20 et la Newmont Mining Corporation, au capital de 19 754
785 $ et 10 832 920 $ respectivement. Jusqu’à récemment basée à New
York, Newmont a son siège social à Denver. Aurifère à l’origine, elle est
fondée en 1916. Elle s’intéresse au cuivre et investit en Afrique du Sud et
en Amérique du Sud au cours des années 1940 et 1950. Son entrée au
Maroc durant les années 1940 participe de sa politique de diversification
vers d’autres métaux que l’or. Elle met l’accent sur les investissements
dans les firmes minières des Etats-Unis pendant les années 1960. Son
attention se porte sur l’or et les filiales étrangères, en particulier en
Indonésie et au Pérou, durant les années 1990 21. En 2001, Newmont,
deuxième producteur d’or au monde, se hisse au premier rang suite à des
acquisitions.
Dans l’accord du 1er novembre 1946 conclu entre Zellidja, Newmont
et Saint Joseph, les signataires mettent en place un moyen de tourner le
problème des dollars. La partie française n’aurait pas à en débourser.
L’équipement et la formation en vue de la mécanisation de la mine,
l’expansion de la laverie et l’amélioration du forage seraient fournis par les
sociétés américaines en échange de leur participation au capital. Les 16
km2 de la concession sont divisés en deux parties. Zellidja conserve Bou
Beker et la région qui l’entoure dans un rayon de 6 km. Ses actionnaires
cèdent 6000 des 61 000 actions, soit 9,84% du capital. Il est prévu que la
production annuelle de Zellidja soit de 45 000 tonnes de concentrés, ou 35
000 tonnes de plomb, environ la moitié des besoins de la France. Au-delà
de ce périmètre, Zellidja possède des permis dans des territoires qu’elle
n’a pas ou ne peut pas explorer. Ils sont rétrocédés à une entreprise créée
expressément à cette fin : la Société nord-africaine du plomb, avec siège à
Oued el Heimer. Zellidja en conserve 51% du capital de 75 millions de F.
Newmont et Saint Joseph obtiennent 49% 22 et apportent appareils de
forage 23 et experts à la NAP. Les sociétés américaines supporteraient 75%
des coûts, et les dépenses de Zellidja seraient effectuées en France et
réglées en F. En ce qui concerne le minerai nouveau qui serait découvert,
les premières 25 millions de tonnes iraient à Zellidja; l’excédent
appartiendrait à la NAP. Désireuse de donner des assurances aux autorités
du Protectorat à l’effet que la majorité française ne serait jamais lâchée,
Zellidja est disposée à immobiliser ses actions NAP à la Banque d‘État du
Maroc. Elle obtient un siège aux conseils de Newmont et de Saint Joseph,
ainsi que 4000 de leurs actions, tandis que Fred Searls Jr. et Andrew
Fletcher, présidents de Newmont et de Saint Joseph, sont nommés au
conseil de Zellidja en mars 1947. Les autorités françaises et américaines
20 Les renseignements sur Saint Joseph font défaut. Ses quartiers généraux sont à New York
durant les années 1940.
21 Hoover’s Handbook of american business 1997, Austin, Texas, Hoover’s Business Press ;

Standard & Poor’s, Listed Stock Reports, 1987.


22 31,85% à Newmont, 17,15% à Saint Joseph. AZBB, Dossier Organismes centraux, Accord

entre l’ECA, la Defense Materials Procurement Agency et la Mutual Security Agency, 30


novembre 1951.
23 Y compris des foreuses munies de diamants et conçues pour pénétrer jusqu’à 600 mètres

dans le sous-sol.
8

donnent leur approbation 24. Les pourparlers entre les autres sociétés
américaines et marocaines (françaises) de plomb et de manganèse ne
débouchent pas sur des ententes.
L’épineuse question des exportations de plomb aux États-Unis n’est
pas abordée. Il est entendu que les Américains auraient le droit d’acheter
du minerai qui serait découvert, mais seulement dans un avenir
indéterminé. Searls passe trois semaines à Bou Beker et rencontre le
résident général Labonne en mars 1947. «J’ai adhéré à votre formule : ‘Si
vous nous aidez faire plus gros, la production de plomb, vous en aurez, et
si vous ne nous aidez pas, vous n’en aurez pas [sic]’» 25.
Les commandes d’équipement que place Zellidja sont approuvées
par les autorités du Protectorat en décembre 1946. Le 1er janvier 1947 les
premières livraisons arrivent à Casablanca 26. Deux ingénieurs de
Newmont visitent la mine de Bou Beker du 12 décembre 1946 au 14
janvier 1947. Dans son rapport, Jack D. Harlan la trouve bien adaptée à la
mécanisation. Des forages réalisés depuis la surface ont depuis longtemps
indiqué des gisements importants de minerai de plomb exploitable. Ils
sont suffisants pour autoriser l’emploi de meilleures méthodes
d’extraction et de flottation; les appareils et les installations doivent
correspondre à la tâche à accomplir. La laverie traite 240 tonnes par jour;
l’objectif immédiat, soit 1000 tonnes, ne saurait être atteint sans un
changement de méthodes. Le personnel est composé de 675 Marocains et
de 80 Européens mais, compte tenu des pénuries de main-d’œuvre,
atteindre les 240 tonnes demeure aléatoire. Quant à la pression
s’exerçant dans le sens du dépassement de la moyenne journalière de 90
à 145 F pour les salaires, elle ne laisse pas d’inquiéter 27.
Il importe, selon Harlan, de n’employer les nouvelles méthodes et
l’équipement moderne que dans la mesure où ils peuvent être absorbés
sans à-coups et rendre service. Pour sa part, Zellidja entend mécaniser
pas à pas, de manière à ce que le personnel ne sente pas les
changements 28. Les visiteurs américains estiment possible une production
annuelle de 40 000 tonnes, soit la moitié de la consommation française,
dans un délai de trois ans 29.
Newmont prend sur elle de recueillir les renseignements qu’exige la
mécanisation des concessions marocaines, de trouver le matériel et
l’équipement, et de les diriger vers Bou Beker 30. Vu l’intensité de la
demande au lendemain de la guerre, il n’est guère aisé d’acquérir
24 AZBB, Jean Walter à Bernard de Margerie, directeur adjoint du Trésor, ministère des
Finances, 26 novembre 1947 ; AE (Nantes), Maroc, Cabinet du délégué à la résidence
générale, No 116, Jean Walter à Eirik Labonne, 12 décembre 1946 ; À la recherche… ;
Rapport à l’A.G. du 19 juillet 1947.
25 AE (Nantes), Maroc CDRG, No 116, Searls à Labonne, 16 mars 1947.

26 AZBB, Jean Walter à Labonne, 13 janvier 1947.

27 AZBB, Dossier Organismes centraux, Harlan à Searls, 8 janvier 1947.

28 AZBB, Dossier Résidence Rabat, Jean ou Jacques Walter à Jacques Lucius, secrétaire

général du Protectorat, 20 décembre 1946.


29 AZBB, Jean Walter à Labonne, 24 janvier 1947.

30 AZBB, Dossier Correspondance avec Mr Harlan, Harlan à Émile Trystram, directeur des

mines Zellidja, 14 février 1947.


9

l’outillage recherché. «Nous avons à chercher à l’échelle du pays pour


l’équipement diversifié dont vous aurez besoin pour commencer à
mécaniser mais l’effort n’est pas inutile. Je demeure à pied d’œuvre afin
que votre démarrage se déroule dans les meilleures conditions» 31. Le
partenaire américain réussit à acheter foreuses, compresseurs, sondes,
décapeuses, locotracteurs pour la mine, ainsi que l’équipement pour une
laverie et des pièces de rechange. Des géologues, ingénieurs mécaniques
et foreurs américains 32 sont dépêchés en janvier 1947 pour assurer la
formation du personnel de Zellidja dans l’emploi des nouvelles techniques.
W. L. Zeigler de la Hecla Mining Company de Wallace (Idaho) et un associé
engagé par Newmont et Zellidja sont chargés de concevoir et de
construire à Bou Beker une laverie de 4000 tonnes, laquelle s’ajouterait à
celle de 1000 tonnes déjà en service 33.
À partir de 1948, des ingénieurs-conseils américains sont détachés à
Zellidja et à la NAP 34. Il est prévu de faire venir rapidement des
techniciens des États-Uni en cas de complications. Une attention
particulière est prêtée à la compétence scientifique de la direction des
deux sociétés. De jeunes ingénieurs exercent des fonctions du plus haut
niveau dans les activités de l’entreprise; les tâches et le personnel sont
soumis à une surveillance plus étroite 35. À côté de l’arrivée d’un
équipement perfectionné apte à augmenter la production, l’amélioration
du niveau technique du personnel constitue le résultat principal de la
participation américaine.
Les visites aux États-Unis et au Maroc sont fréquentes. Jacques
Walter se rend à Seattle en octobre 1947, alors que Harlan retourne à Bou
Beker en janvier 1948. Trystram visite des installations minières aux Etats-
Unis, entre autres celles de Newmont et Saint Joseph, en septembre-
octobre 1948. Bain procède à une inspection de Bou Beker en 1949, 1950
et 1951. Jean Walter est de retour aux États-Unis en novembre-décembre
1950. Des missions d’ingénieurs de Zellidja visitent les mines de plusieurs
sociétés – par exemple, Kennecott Copper Corporation, International
Smelting and Refining Company et Dawn Mining Company – au États-Unis
et au Canada en novembre-décembre 1952 et en mai-juin 1958.
La mécanisation et le partenariat avec les entreprises américaines
ne modifient pas les techniques fondamentales du traitement du plomb,
mais ils accélèrent la découverte de réserves, rendent possible l’extraction
à grande échelle et augmentent la production des concentrés. Une
campagne majeure de forage est mise en branle; elle atteint une intensité
maximale en 1949 et se termine fin 1952. Environ 400 trous, mesurant au
total de 48 000 mètres, sont creusés 36. En 1946, les réserves connues
31 Ibid., 25 février 1947.
32 L’organisation de la campagne d’exploration est sous la responsabilité du Canadien
Paquette, expert en forage. Ibid., Dossier Résidence Rabat, Jean ou Jacques Walter à Lucius,
20 décembre 1946.
33 Zeigler fait état de son séjour à Bou Beker dans Mining and metallurgy, juin 1947.

34 AZBB, Dossier Correspondance avec M. Harlan, Harlan à Trystram, 15 décembre 1948.

35 AZBB, C. Kremer Bain, expert foreur de Saint Joseph, à Jacques Walter, 31 mai 1951.

36 AZC, Dossier Domaine Zellidja, «Proposed Surface Exploration Drilling Program» par

Jacques Claveau, 20 février 1958.


10

sont évaluées à 700 000 tonnes de métal brut. En 1948, on les calcule à
1,8 millions de tonnes, provenant de 30 millions de tonnes de minerai. La
quantité s’élève à 2 millions de tonnes en 1949 37. Le volume de minerai
traité à la laverie passe graduellement de 240 à 1000 tonnes par jour en
1948. Il est censé atteindre 1500 tonnes en 1950, 3500 tonnes en 1952 et
5500 tonnes en 1953. À cette date, la production annuelle de concentrés
serait de 70 000 tonnes, près de 90% des besoins de la France et de
l’Union française 38.

III. Zellidja et le plan Marshall

Un an s’écoule entre le discours du 5 juin 1947 de George Marshall


et l’entrée de la France dans le Programme de relèvement européen
(European Recovery Program) en juillet 1948. En même temps que l’ECA
prête des dollars aux pays compris dans le plan Marshall, elle s’active à
accéder à leurs matières premières, conformément à la politique du
gouvernement américain visant à constituer des stocks stratégiques. Evan
Just, directeur de la section des matériaux stratégiques à l’ECA, parcoure
l’Europe au cours de l’été 1948 à la recherche de minéraux à acheter. Le
1er septembre 1948, une rencontre au ministère des Finances à Paris
réunit Just, David Bruce, délégué permanent du plan Marshall à Paris, des
représentants de l’État et des entreprises minières français pour discuter
de la production du manganèse, du cobalt et du plomb 39. Il est
incommode pour les pays assistés de se soustraire à de tels échanges; la
perspective de règlements en dollars retire aux transactions éventuelles
leur caractère déplaisant. Se dissipe alors la réticence des milieux officiels
français face à l’exportation de matières premières très en demande en
France.

Le Maroc est l’une des possessions françaises qui attirent l’attention


de l’ECA. La ligne de conduite de Zellidja depuis la guerre consiste à
mécaniser afin d’augmenter la production. Elle s’associe à des firmes
américaines parce qu’il lui est impossible d’acquérir équipement et
assistance technique, ceux-ci étant payables en dollars qu’il lui est interdit
de se procurer au moyen de l’exportation. Dès 1948, la politique de
l’Administration française s’infléchit. Il devient désormais possible
d’exporter vers la zone dollar et, grâce aux devises ainsi acquises,
d’acheter l’équipement nécessaire à l’augmentation de la production. La
part du Maroc dans le plan Marshall est jugée mineure.
La mise en place d’une stratégie d’autofinancement s’impose. Le
37 AZC, «État de nos connaissances et de nos présomptions sur le gisement de Bou Beker et
régions voisines» par J. Segaud, 15 novembre 1948 ; À la recherche…
38 AZBB, Jean Walter au résident général, 29 novembre 1948 ; à l’ingénieur en chef du

Bureau des recherches minières de l’Algérie, 3 décembre 1948 ; Rapport de Bain, 1er mai
1949 ; Mining and metallurgy, juin 1947 ; À la recherche… Walter surestime les résultats
probables : la moyenne quotidienne est d’environ 3600 durant les années 1950 et la
production annuelle se situe en deça de 50 000, sauf en 1952. AZC, Rapport annuel du
directeur général au c.a. et tableau en annexe.
39 AZBB, Compte rendu de la réunion.
11

plomb et le manganèse, minéraux dont le Maroc dispose en quantités


considérables, sont l’objet de l’attention. On évalue que, dans un délai de
quatre ans, la production du plomb progresserait de 48 000 à 110 000
tonnes, celle du manganèse de 200 000 à 360 000 tonnes. Avec un
investissement de 2,9 millions de $, le revenu s’élèverait de 18 millions de
$ en 1948 à 37,6 millions de $ en 1952. La Direction de la production
industrielle et des mines du Protectorat encourage les collaborations
suivant le modèle de l’accord entre Zellidja, Newmont et Saint Joseph 40.
En vue de délivrer des permis d’exporter, le colonel Pommerie, directeur
de la DPIM, sonde les entreprises en 1948 au sujet de leurs besoins en
dollars, des quantités de minerais disponibles pour livraison rapide et des
acheteurs possibles. Elle est insistante, pressée et désireuse de rendre
service 41. Il va de soi que les sociétés minières sont exemptées de
l’obligation de remettre les dollars acquis à l’Office marocain des changes.
Une réunion avec les représentants des entreprises d’extraction du plomb
détermine que le prix de l’équipement recherché s’établit à 2 millions de
$, montant que rapporterait la vente de 8000 tonnes de concentrés 42. Les
ministères économiques à Paris donnent leur approbation 43.
Zellidja trouve l’offre intéressante comme moyen d’acquérir des
dollars pour acheter de l’équipement, tout en conservant les dollars que
lui ont versé ses partenaires américains. Son programme comprend
l’achèvement de la mécanisation de la mine, laquelle produit un millier de
tonnes par jour, l’équipement de sa laverie avec des appareils pour
recouvrer le zinc du minerai, et la mise en train d’une laverie de 2000
tonnes par jour 44. Lors d’une réunion tenue à Oujda, les sociétés
d’extraction de plomb décident que Zellidja exporterait 3600 tonnes, la
Société des mines d’Aouli 2050 tonnes, l’Asturienne 2000 tonnes et la
Société minière des Gundafa 350 45. Les demandes d’achat de concentrés
ne tardent pas à venir des sociétés Saint Joseph, General Utilities
Corporation (New York), Rector Mineral Trading Company (New York),
Mercantile Metal & Ore Corporation (New York) et Hemisphere
International Corporation (Nouvelle-Orléans), alors même que la
délégation de l’ECA à Paris tente d’obtenir que le plomb soit vendu comme
ressource stratégique au Federal Bureau of supply.
Les interlocuteurs de Zellidja sont principalement des entreprises
privées. Au fur et à mesure que procède la mise en œuvre du plan
Marshall, elle a de plus en plus affaire aux autorités au Maroc, en France
et aux États-Unis. L’article IV de l’Accord bilatéral franco-américain de
coopération économique du 28 juin 1948 met de côté 5% - environ 25
million de $ - des crédits Marshall, calculés en francs de contrepartie, dont
40 AZBB, Dossier Plan Marshall, Note de la Direction, 27 août 1948.
41 AZBB, Chambre syndicale des industries minières du Maroc à Zellidja, 23 août 1948.
42 AZBB, Note sur la réunion du 30 août 1948. Le revenu effectif sera de 1 700 000 $. AE

(Nantes), Maroc CDRG, No 103, Note de la Direction, 27 septembre 1949.


43 AZBB, Guillaume Guindey, ministère des Finances, au général Alphonse Juin, résident

général, 23 septembre 1948.


44 AZBB, Dossier Plan Marshall, Programme, 30 août 1948. La laverie de 2000 tonnes n’est

pas construite.
45 AZBB, Note sur la réunion du 16 septembre 1948.
12

l’emploi est laissé à la discrétion de l’Administration américaine. Il lui est


loisible, par exemple, de promouvoir la production de matières
stratégiques à l’étranger en achetant pour livraison immediate ou en
prêtant contre remboursement en nature et à terme. L’ECA entend
consentir des prêts directement aux entreprises privées et obtenir qu’une
partie des ressources soit délivrée au Federal Bureau of supply. Une
illustration de cette méthode se retrouve dans l’accord signé le 4 février
1949 avec la NAP. Cette filiale de Zellidja obtient de ses actionnaires une
avance de 55 millions de F (200 000 $) destinés à effectuer des
investissements dans l’exploration. L’ECA avance à la NAP 135 millions de
F (500 000 $) aux mêmes fins; le prêt ECA, portant intérêt à 4%, est
remboursable en plomb découvert jusqu’au 31 décembre 1951. Advenant
que les gisements appellent une nouvelle mise de fonds, chacune des
parties avancerait 1 million de $ pour la reconduction de l’arrangement 46.
Les implications de l’accord sont de nature à préoccuper le
gouvernement français. L’accord du 28 juin 1948 l’engage à faciliter le
transfert de ressources stratégiques vers les États-Unis mais il reconnaît
son droit de regard sur les accords spécifiques. Or les négociations entre
l’ÉCA et la NAP se déroulent à l’insu des autorités à Paris et à Rabat. Le
Quai d’Orsay prend connaissance de l’accord du 4 février 1949 par
l’intermédiaire de David Bruce 47. Ce n’est ni contre le prêt ni contre la
livraison de matières premières à une entité étatique étrangère que le
gouvernement français s’élève, mais à l’interconnexion établie entre les
deux opérations. Se souvenant de l’atteinte à la souveraineté de débiteurs
tels l’Empire ottoman, la Chine et le Maroc autrefois, il est troublé par le
précédent que la transaction fournit 48. Décidé à dissocier l’emprunt de la
remise des matières premières, il s’applique à faire annuler l’accord de
février et à lui substituer un prêt du Crédit national à la NAP. Cette banque
semi-publique, spécialiste du financement à long terme, respecterait pour
l’essentiel les termes du contrat conclu entre l’ECA et la NAP, mais elle
utiliserait des francs de contrepartie sous contrôle français 49. Le transfert
du plomb excédentaire à l’ECA se ferait sous forme d’achats. Si la NAP se
prête à la combinaison, l’ECA est plus circonspecte 50. On examine
diverses options. Entre-temps Zellidja contracte un emprunt de 2,1
milliards de F à la Banque d’État du Maroc avec la garantie du
gouvernement marocain 51. Fin 1949, soumises aux pressions qu’exerce
l’ECA, les autorités françaises en rabattent et acceptent les termes du
contrat signé entre l’ECA et la NAP 52.
46 AE (Nantes), Maroc CDRG, No 117, Texte de l’accord ; analyse de l’accord par Pommerie,
27 juin 1949.
47 AE (Nantes), Maroc CDRG, No 117, Affaires étrangères à Juin, 16 mars 1949.

48 Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne, 1944-1954,

Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1997, t. I, p. 573.


49 AE (Nantes), Maroc CDRG, No 117, Analyse de l’accord par Pommerie, 27 juin 1949.

50 AZBB, Jean Lacaze, administrateur et directeur général, à Searls, 22 mars 1949 ; Bossuat,

op.cit., p. 573.
51 AE (Paris), M-Maroc 1944-1949, No 122, Juin au ministre de l’Industrie et du Commerce, 8

juillet 1949.
52 AE (Paris), M-Maroc 1950-1955, No 117c, Note du ministère des Affaires étrangères à
13

Ainsi le terrain est déblayé pour la conclusion de nouveaux accords


négociés suivant le même modèle. En décembre 1949, Zellidja emprunte
3,6 millions de $ (2,2 milliards de F) de l’ECA, puis 1,4 milliards de F en
août 1950. Les deux emprunts sont remboursables en sept ans, le premier
en plomb, le second en zinc. Le résident général ne considère pas trop
onéreuse l’exportation de 7,6% d’un volume total qui aurait quintuplé ou
sextuplé grâce aux emprunts 53. En décembre 1950, Jean Walter rentre
des États-Unis porteur d’une proposition d’emprunter 3 milliards de F de
l’ECA à 4%. La somme serait prêtée à l’Énergie électrique du Maroc afin de
l’amener à améliorer le service 54.
Cette fois le Quai d’Orsay discerne un fâcheux précédent. Étant
donné que le prêt ne servirait pas à augmenter la production de minerai,
le remboursement comporterait la cession de matières premières déjà
disponibles et l’encaissement de francs alors qu’il était possible de
percevoir des dollars pour les ventes sur le marché américain. De surcroît,
l’étendue de la présence des États-Unis au Maroc n’est pas sans susciter
quelque inquiétude. Revient le spectre de l’Empire ottoman dépossédé de
ses ressources, données en garantie pour des emprunts 55. Si les termes
de l’accord de 1948 permettent la visite en Afrique du Nord de missions de
l’ECA et de ses successeurs, leur nombre et leur extension au-delà de la
vérification de l’emploi des crédits Marshall préoccupent les autorités
françaises 56. La première arrive en mai 1949; d’autres suivront: celles de
Kenneth Douty en mars 1950, de Judson Hannigan en mai 1950, de Harry
Parkman et d’Enzo de Chetelat en octobre-novembre 1950, de Saxe en
août 1952 et de Chetelat en février 1953. Le 22 décembre 1950, le
gouvernement français autorise les États-Unis à construire cinq
aérodromes militaires au Maroc. Néanmoins Juin persiste et le Quai
d’Orsay se laisse fléchir en mars 1951. De toutes les entreprises, le groupe
Zellidja est le principal bénéficiaire des fonds Marshall au Maroc – il reçoit
4,2 millions de $ sur un total de 17 millions et 5,3 milliards de F sur 8,4
milliards – et l’un des plus grands dans les possessions françaises d’outre-
mer 57. Il livre environ 10% de sa production aux États-Unis.

IV. Les suites

Grâce à l’équipement moderne, l’exploration procède à un rythme


accéléré et les réserves connues de plomb triplent. Des gisements
considérables de zinc sont localisés, surtout du côté algérien de la
l’ambassadeur de France aux États-Unis, 25 janvier 1951 ; No 130b, Note du même au même,
6 décembre 1950 ; Secrétariat général 1945-1966, No 76, Note du 22 août 1951.
53 AE (Paris), M-Maroc 1950-1955, No 117c, Juin au ministère des Affaires étrangères, 28

juillet 1950.
54 AE (Paris), M-Maroc 1950-1955, No 132a, Juin au ministère des Affaires étrangères, 6

décembre 1950.
55 AE (Paris), M-Maroc 1950-1955, No 132a, Note du ministère des Affaires étrangères, 2

janvier 1951.
56 AE (Paris), DE-CE 856, ministère des Affaires étrangères au résident général, 25 avril

1950.
57 AE (Paris), M-Maroc 1950-1955, No 130c, Tableau, 1953 ; Bossuat, op.cit., p. 578-611.
14

frontière. Ceux-ci sont suffisants pour justifier la création d’une filiale de la


NAP. Mettant en jeu la deuxième partie de l’accord de février 1949, la NAP
sollicite une contribution financière de l’ECA et fonds la Société algérienne
de zinc (ALZI) en 1951. Les actionnaires et leur part dans le capital de 50
millions de F sont identiques à ceux de la NAP. Zellidja a sa propre filiale
de zinc en Algérie depuis 1942. Le zinc – le sien et ceux d’ALZI et d’Aïn-
Arko –occupent une place de plus grande dans les activités du groupe
Zellidja. À mesure que s’appauvrit la qualité du minerai de plomb,
indépendamment du tonnage extrait, la production de concentrés de zinc
rattrape celle des concentrés de plomb et la devance en 1953 (voir
Tableau 1). Le minerai de zinc, sulfuré (blende) et oxydé (calamine), est
traité à Bou Beker par la laverie de 1000 tonnes/jour de Zellidja, et ainsi
concentré en zinc sulfuré et en zinc oxydé. En mai 1956, un atelier
employant la méthode Waelz pour obtenir des oxydes de zinc à partir de
minerai de faible teneur entre en service. L’installation de deux fourneaux
en 1958 permet de retirer de l’oxyde de zinc calciné depuis la calamine.
La blende et la calamine exportées (voir tableau ci-dessous) vont
principalement aux usines françaises de l’Asturienne et de la Société de la
Vieille Montagne 58. L’autre laverie, d’une capacité quotidienne de 4000
tonnes, reçoit le minerai en provenance de Bou Beker.

Destination du zinc vendu par Zellidja 59

Tonnes

1951 1954
France 22 738 47 986
Belgique 7 347
États-Unis 4 063
République fédérale d’Allemagne 3 762
_____ ______
34 148 51 748

À Oued el Heimer, la nouvelle raffinerie de la P-Z traite toujours plus


de concentrés de plomb, réduisant corrélativement les exportations de
Bou Beker. En 1948, sur sur les 13 597 tonnes produites, 5982 sont
dirigées vers la raffinerie, les autres 7615 expédiées à l’étranger 60. En
1951, les volumes sont dans l’ordre 38 457, 35 341 et 3116 61. Par la suite,
85 à 95% des concentrés sortis de la laverie vont à la raffinerie P-Z 62.
Celle-ci est équipée de nouvelles installations, y compris des fours
Newnam de 10 pieds (3 mètres) de première fusion. En 1953 est adjoint
un atelier de récupération de l’argent depuis les concentrés de plomb, une

58 Rapport à l’A.G. du 24 avril 1958.


59 AE (Paris) M-Maroc 1950-1955, No 130c, Division des mines et de la géologie (Maroc),
État récapitulatif des ventes locales et des exportations de minerais marocains par exploitation
et par destination, 1951, 1954. Le zinc expédié en Belgique et en Allemagne est traité et
réexpédié respectivement en France et aux États-Unis.
60 AZBB, Dossier Notes 1949-1950, Note en date du 28 mars 1949.

61 AE (Paris) M-Maroc 1950-1955, No 130c, État récapitulatif, 1951.

62 Ibid., 1954 ; AZBB, Dossier Bilans 1945 à 1961, bilans internes.


15

fournaise avec water-jacket pour la fonte des scories autrefois envoyées à


des raffineries étrangères, et des chaînes d’agglomération de type Dwight-
Lloyd 63. Mieux adapté aux concentrés de haute teneur, l’équipement
Newnam est mis à l’épreuve lorsque la qualité du minerai local se
détériore au rythme de la progression de l’extraction 64. En plus du plomb
d’œuvre (brut), la raffinerie produit du plomb doux (raffiné) dont 99% du
total est exporté via Nemours (voir tableau ci-dessous). La Société des
mines et métaux (Minemet) de Paris, filiale de Peñarroya, s’occupe de la
commercialisation. Sur les territoires administrés par la France, seule la
raffinerie de plomb de Noyelles-Godault a une capacité annuelle (50 000
tonnes) supérieure à celle d’Oued el Heimer (36 000 tonnes) 65.

Destination du plomb doux vendu par Peñarroya-Zellidja 66

Tonnes

1951 1954
France 13 554 17 150
États-Unis 2 000 6 759
Afrique du Nord 726
Reste de l’Afrique 173
Algérie 1 681
Maroc 278 62
_____ ______
16 731 25 652

Zellidja est une affaire très rentable (voir Tableau 2). Sauf en 1942
et en 1950, son capital augmente par incorporation des réserves.
Honorable à la veille de la guerre, la rentabilité par rapport au capital ne
s’affaiblit que dans les années qui suivent immédiatement la fin du conflit.
La rentabilité par rapport aux ventes est parfois plus élevée, indication
d’une aptitude à maintenir le niveau des revenus malgré le reflux des
ventes. Passé 1952, Zellidja connaît une période de grande prospérité,
explicable par l’intégration de l’équipement nouvellement acquis. Les
ventes triplent entre 1950 et 1952, tandis que le bénéfice net quintuple.
Par rapport au capital, la rentabilité s’envole en 1951 et demeure
exceptionnellement élevée jusqu’en 1957. Les revenus des ventes
démontrent une grande fermeté jusqu’en 1960 mais le bénéfice net chute
après 1956.
Les belles années de Zellidja se poursuivent tant que les mines du
Maroc et de l’Algérie, source de sa prospérité, recèlent des quantités
satisfaisantes de minerai de qualité. À la fin des années 1950, cette
condition n’est plus remplie car le contenu métallique diminue dans les

63 Rapport à l’A.G. de Zellidja du 20 juin 1952 ; de P-Z du 22 mars 1954 ; AZC,


«Transformation des concentrés de plomb à la fonderie d’Oued el Heimer» par C. Belaidi, 20
octobre 1983.
64 AZC, Procès-verbaux des délibérations du c.a., 28 mai 1962 et 17 février 1965.

65 AE (Paris), M-Maroc 1950-1955, No 112a, Rapport sur le plomb et le zinc, 18 avril 1953.

L’unité de Peñarroya à Mégrine (22 000 tonnes) est au troisième rang.


66 AE (Paris) M-Maroc 1950-1955, No 130c, État récapitulatif, 1951, 1954.
16

blendes, puis dans les galènes. Certains puits et sites de travail doivent
être fermés. En 1958, la société commande une foreuse Rotary aux Etats-
Unis afin de donner une impulsion à l’exploration; un technicien américain
se rend au Maroc pour assurer la formation du personnel. Jusqu’en 1961,
l’efficacité du procédé Waelz dans la production d’oxydés neutralise la
raréfaction du minerai de haute teneur. Malgré tout, en 1963, la flottation
des calamines ne peut continuer au même régime. Plus d’une fois au
début des années 1960, la production s’inscrit en-dessous des prévisions.
Les travailleurs demandent des majorations de salaires et font la grève,
alors que la hausse des prix de revient se conjugue au relâchement des
cours sur le marché international. Quant à la raffinerie P-Z, elle enregistre
des pertes d’exploitation en 1958 et en 1959. Pour la première fois depuis
les années 1930, Zellidja elle-même déclare des pertes en 1962 et en
1963. L’année suivante, les cours du plomb et du zinc s’améliorent, ce qui
permet de reprendre la production d’oxydés et donne à Zellidja un répit.
En 1966, P-Z retrouve le chemin de la rentabilité 67.
P-Z s’efforce de compenser l’augmentation des concentrés de faible
teneur par l’amélioration de la préparation du plomb à raffiner. En 1967,
elle acquiert un pont et une benne de type DEMAG, un malaxeur de type
Eirich à trappe automatique et un convoyeur pour le chargement des
trémies de dosage 68. Comme prévu 69, la mine épuisée de Bou Beker est
fermée en 1970, privant la raffinerie de sa matière première. Les sources
alternatives, telles les mines d’Aouli, sont trop éloignées. À cette difficulté
s’ajoute le fait que la composition de leur plomb exige des
investissements pour l’amélioration de l’équipement. En septembre 1971,
la raffinerie P-Z ferme ses portes. ALZI et Aïn-Arko sont nationalisées par
l’Algérie en 1966. Seule la NAP demeure dans le giron de Zellidja mais ses
permis ont été cédés à ALZI en 1956. L’histoire de Zellidja semble arrivée
à son terme.
En 1972, l’Asturienne découvre du minerai près de la mine
abandonnée de Touissit, non loin d’Oued el Heimer. Les pourparlers
portant sur la possibilité d’une réouverture aboutissent à un accord le 18
septembre 1973. Le capital de la nouvelle Société des fonderies de plomb
de Zellidja (P-Z) est divisé entre Zellidja (40%), le Bureau de recherches et
de participations minières (BRPM), un organisme public (26%), la
Compagnie minière de Touissit (20%) et Peñarroya-Maroc. Zellidja se
charge de la modernisation de la raffinerie, laquelle rouvre le 23 juillet
1975. La teneur en cuivre du plomb de Touissit oblige à installer un
nouveau fourneau en 1977 et un autre, le plus grand de son espèce au
monde, en 1981. Le volume du minerai extrait étant à la hausse, P-Z
augmente sa capacité annuelle de traitement à 85 000, puis à 120 000,
tonnes de concentrés 70. Touissit demeure la source principale du minerai
67 AZC, Procès-verbaux des délibérations du c.a., 23 juin et 6 novembre 1958 ; 18 juin 1959 ;
15 mars et 16 octobre 1961 ; 11 avril et 28 mai 1962 ; 14 février, 19 avril et 24 octobre 1963 ;
26 mai et 4 novembre 1964 ; 11 mars 1965 ; 3 mars 1966.
68 AZC, «Transformation des concentrés…»

69 AZC, Procès-verbaux des délibérations du c.a., 14 février 1963 ; Dossier Domaine Zellidja,

«L’évolution de Zellidja au cours des prochaines années», 1967.


70 AZC, «Transformation des concentrés…»
17

qui se rend à Oued el Heimer aujourd’hui.

Conclusion

La dernière société de Zellidja est représentative de la tradition du


groupe : adaptation et accent sur l’investissement pour l’amélioration au
plan technique. En 1950, lors d’un examen des prévisions, Jean Walter dit
son inquiétude face aux dépenses et l’état des disponibilités. La société
doit effectuer des paiements sur l’emprunt qu’elle a contracté auprès de la
Banque d’État du Maroc. Alors qu’il souligne la nécessité de conserver les
ressources afin d’équilibrer engagements et liquidités, Walter fait un
raisonnement révélateur. Les circonstances, soutient-il, sont telles que la
société doit changer d’orientation. Elle ne saurait continuer à considérer
les économies comme autant d’obstacles à la réalisation de son
programme à la date fixée. Les erreurs peuvent être coûteuses. Walter
ajoute qu’il ne souhaite pas se retrouver dans la situation d’André Citroën
71
, association intéressante au constructeur d’automobiles qui donnait la
priorité à l’investissement et la technologie moderne, mais qui faisait
courir de sérieux risques à son entreprise.
Même avant que Zellidja ne cherche et n’obtienne l’assistance
financière et technique américaine, elle est déjà acquise à l’idée de la
quête de la taille optimale, accessible au moyen de l’investissement dans
les immobilisations en vue de maximiser la production. Ses dispositions à
l’égard de la productivité sont favorables. L’apport des États-Unis est en
harmonie avec l’attitude et la pratique qui sont déjà les siennes. Durant
les années 1940, Zellidja a de bonnes raisons de miser sur la croissance.
La matière première est à sa portée et disponible en grande quantité.
Parallèlement, la demande internationale pour le plomb se révèle forte.
Les outils pour tirer parti de la situation font défaut à Zellidja mais il ne lui
manque ni les motifs pour les rechercher ni la mentalité qui facilite leur
emploi. Si Newmont et Saint Joseph contribuent à lui apporter les éléments
nécessaires à sa mécanisation, les deux sociétés américaines s’intègrent
dans un environnement accueillant. C’est là où réside l’explication du fait
qu’elles ne jouent qu’un rôle relativement mineur dans la direction de
Zellidja. L’intégration de la technologie moderne n’appelle pas la
transformation de Zellidja; elle y est déjà prédisposée. Qu’elle prenne la
forme d’une mainmise directe ou d’une subordination à une influence
externe, l’américanisation est superflue. D’orientation partiellement
«américaine» dès ses débuts, Zellidja est immunisée contre le risque de
perte de son autonomie. Des États-Unis elle n’importe que les aspects
qu’elle a choisis et qu’elle est disposée à intégrer. Elle profite de la
contribution américaine, sans être américanisée. Bien que réelle, la
vigilance des autorités françaises n’entre pas en ligne de compte comme
facteur de freinage de l’américanisation de la société.
Zellidja représente un mélange indéfinissable d’une entreprise
familiale gérée à la manière managériale, à laquelle se greffe une relation
américaine. Le décès de Jean Walter en 1957 ne marque pas un point
tournant dans l’orientation générale de la société. Son fils Jacques quitte

71 AZBB, Note de Walter, 13 avril 1950.


18

aussitôt la fonction de directeur général qu’il occupe depuis 1931. Deux


ans plus tard, il vend ses actions Zellidja à l’Office chérifien des
phosphates (OCP), un organisme d’État, et démissionne de son poste
d’administrateur. En 1959, l’OCP, le BRPM et le Bureau d’études et de
participations industrielles se joignent au conseil d’administration.
L’influence de la famille Walter recule mais ne disparaît pas; Jean Lacaze,
le nouveau directeur général, est le beau-frère de Jean Walter et un
membre du conseil depuis les années 1930. Comme son prédécesseur,
c’est un cadre authentique à la tête d’une équipe de techniciens. Jusque-là
la méthode managériale avait coexisté avec la présence d’un fondateur-
entrepreneur; désormais elle évolue de concert avec l’État marocain. La
présence américaine au conseil d’administration demeure discrète.
Newmont et Saint Joseph y siègent toujours, même si Fletcher se retire en
1960, suivi de Searls en 1963. Les deux partenaires américains cèdent
leur participation dans la NAP à Zellidja en 1964 mais ils continuent leur
association avec cette dernière jusqu’à la fin de son existence.
Dans une note faisant l’éloge de l’action commune entre l’État et
l’entreprise privée en vue de développer et de conserver l’Empire français,
Jean Walter désapprouve le fait que certaines grandes sociétés françaises
aient tendance à dormir sur leurs lauriers après avoir remporté des succès
72
. La croissance et la modernisation doivent être un objectif permanent.
Lui-même et l’entreprise qu’il a fondée se sont pénétrés de ce conseil.
L’ère Walter-Newmont-Saint Joseph révolue, P-Z, le successeur de Zellidja,
adhère à la même politique de croissance et d’ajustement de l’outil de
production à la matière première et aux occasions d’écouler le produit. Sa
trajectoire reste «américaine» après le départ des Américains, au même
titre que celle de Zellidja l’était avant leur arrivée.

Samir Saul
Université de Montréal

72 Archives nationales (Paris), 552AP 156, L’Empire français à refaire, 1954, p. 11.
19

TABLEAU 1. PRODUCTION
Tonnes
ZELLIDJA PEÑARROYA-ZELLIDJA
EXTRACTION LAVERIE RAFFINERIE
Minerai Concentrés Concentrés Plomb Plomb Argent
Zinc
de plomb Plomb sulfuré Zinc oxydé traités d'œuvre doux
(Galène) (Blende) (Calamine)
1925 15
1930 1 313

1937 3 177
1938 7 143
1939 12 036
1940 12 100
1941 6 763

1947 9 000
1948 13 600 6 319
1949 19 000 11 073
1950 438 643 25 844 17 064 18 258
1951 838 218 38 953 29 913 33 959
1952 1 185 736 51 787 42 072 42 217 28 198
1953 1 198 742 43 015 56 104 43 034 30 040 31
1954 1 216 076 40 457 49 839 41 147 32 665 26 687 36
1955 1 239 696 45 425 51 408 74 768 41 466 29 243 26 690 30
1956 1 206 939 43 719 44 989 80 836 40 845 23 948 28 115 24
1957 1 212 707 39 110 39 882 48 492 41 257 25 684 31 244 29
1958 1 210 695 41 401 35 075 64 397 48 920 28 723 33 124 44
1959 998 389 32 195 49 102 64 087 41 133 28 376 36
1960 943 911 29 837 60 098 53 905 46 294 30 727 31
1961 861 905 26 869 59 202 49 752 41 468 24 488 29
1962 837 000 21 840 23 100 22 300 24 140 25
1963 662 000 19 400 22 520 9 570 18 750 24
1964 770 768 19 495 34 654 15 298 18 840 19
1965 797 845 18 655 29 669 22 083 17 230 19
1966 824 500 19 206 28 435 29 065 18 826 22
1967 918 400 20 902 31 182 20 963 21 035 24

Les données disponibles sont incomplètes.


La production d'Aïn-Arko est comprise dans les résultats relatifs au zinc.
Sources: AZC, Rapport annuel du directeur général au conseil d'administration, 1953-1961;
Rapports aux A.G. des actionnaires de Zellidja (1939-1968), de P-Z (1954-1970);
AE (Paris), DE-CE 855, Note à la mission de l'ECA, octobre 1950.
20

TABLEAU 2. RENTABILITÉ

CAPITAL VENTES BÉNÉFICE NET c/a c/b


a b c
Francs Francs Francs % %

1939 20 000 000 24 040 241 6 624 394 33,1 27,6


1940 20 000 000 14 099 055 2 144 761 10,7 15,2
1941 40 000 000 12 803 656 3 439 028 8,6 26,9
1942-44 60 000 000 94 540 483 14 607 122 24,4 15,5
1945 60 000 000 66 642 564 3 270 244 5,5 4,9
1946 61 000 000 19 362 892 3 312 492 5,4 17,1
1947 244 800 000
1948 244 800 000 108 115 501 44,2
1949 244 800 000
1950 509 184 000 1 889 589 246 225 176 832 44,2 11,9
1951 1 272 960 000 1 178 621 889 92,6
1952 1 272 960 000 5 777 253 627 1 495 372 785 117,5 25,9
1953 1 272 960 000 3 957 402 656 1 256 483 592 98,7 31,8
1954 1 272 960 000 3 756 687 428 1 258 290 726 98,9 33,5
1955 2 545 920 000 4 042 918 222 1 336 395 273 52,5 33,1
1956 2 545 920 000 4 779 725 868 1 440 884 992 56,6 30,2
1957 2 545 920 000 4 742 205 679 730 828 307 28,7 15,4
1958 2 545 920 000 4 329 080 392 329 161 781 12,9 7,6
1959 2 545 920 000 3 924 892 821 916 273 086 36 23,4
1960 2 545 920 000 4 364 714 939 918 503 333 36 21
1961 25 459 200 29 941 837 2 600 101 10,2 8,7
1962 25 459 200 -6 378 791
1963 25 459 200 -2 757 879
1964 25 459 200 13 464 541 52,9
1965 25 459 200 7 007 779 27,5
1966 25 459 200 2 090 515 8,2
1967 25 459 200 2 746 237 10,8

Les données disponibles sont incomplètes.


De 1961 à 1967, les montants sont en dirhams.
Sources: AZBB, Comptes internes de profits et pertes; bilans.

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