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Extrait du livre "Philosophie de la biodiversité" de Virginie Maris. Le passage concerné discute le concept d'espèce. Le livre d'une manière générale est un des premiers mélant écologie et philosophie et traitant la question en profondeur de la biodiversité.
Extrait du livre "Philosophie de la biodiversité" de Virginie Maris. Le passage concerné discute le concept d'espèce. Le livre d'une manière générale est un des premiers mélant écologie et philosophie et traitant la question en profondeur de la biodiversité.
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Extrait du livre "Philosophie de la biodiversité" de Virginie Maris. Le passage concerné discute le concept d'espèce. Le livre d'une manière générale est un des premiers mélant écologie et philosophie et traitant la question en profondeur de la biodiversité.
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6 PHILOSOPHIE DE LA BIODIVERSITE
donné. Mais bien qu'l pusse & premitre vue sembler facile
cde compter des expatces, encore faxt-il savoir ce quielles
sont. Or ls notion desi, pourtant si fumilibe, pose de
déticats problemes conceptuels qui méritent que Yon sy
attarde un peu. Une premitre dificité se rapporte& la
diéfinition de ce concept tel qu'il est utilisé par les biclo-
gistes. Deux autres problémes intéressent davantage les
philosophes, ete rapportent pour Tun ala nécessité ou
nnon d’obtenir une et une seule definition du concept
espace, et pour eutreau statut ontologique de 'espice,
Cest-a-dire a Yobjet du monde réel qui est désigné par
ce concept.
Les différents concepts Wspice
(On dénombre plus d'une vingtaine de définitions diffé-
rentes du concept d'espéce, Celles-ci peuvent étreregrou-
pées en trois grandes catégories, lespice biologique,
Vespéce évolutive et Vespice écologique :
= Lespite biologique est cetinie comme étant un groupe
tidividus interféconds isolés reproductivement des
autres groupes. Une espace est donc composée cc tous
les organismes qui peuvent potentiellement se repro-
duire entre eux tinterfécondite) et qui ne peuvent pas
se reproduire aver des onganismes appartenant a d'autres
groupes isolement reproducti). Or nombreux sont les
organismes qu'il n'est pas possible de classifier selon
ces critéres, En effet, une immense partie des étres
vivants ne se reproduit pas sexucllement, mais par clo
nage, parthénogentse ou encore autofécondation, C'est
te cas de toutes les bactéries et de tous les champignans,
de nombreux végctaux, mais aussi de certains insectes,
batraciens et reptiles. De plus, des individus apparte~
nant des esptces différentes peuvent donnernaissance
des organismes hiybrides, interféconds, mais également
DECRIRE LA BIODIVERSITE a
féconds avec chacune des espéces d'origine. C'est un
de figure relativement fréquent chez les vegétaux,
mais on trouve des exemples semblables méme chez les
‘mammiféres, notamment avee des hybrides de loups et
de coyotes. Selon le concept d’espece biologique, on ne
peut décider si ces hybrides appartiennent simulrané-
ment eux deux espéces (interfécondité) ou a aucune
entre elles, sans étre pour autant membres d'une troi-
sieme espéce distincte. constituée des seuls hybrides
isolement reproductit), La notion d'espéce biologique,
si elle est propice a la classification des organismes
sexués non hybrides, devient done caduque pour des
ans entiers du regne vivant.
= Leapice covlutiv: (ou phylogénétique) est définie
comme étant une séquence de populations ancétres-
descendants évolnant sSparément des autres et possé-
dant son propre role et ses propres tendances évolutives,
Cette definition met surtout accent sur ke caractére
évolutif des lignécs, Ce eritére pose également plusieurs
problémes. Par exemple, 2’importe quel niveau taxino-
mique peut y répondre aussi bien que celui cespece.
n'y adone pas de définition stable de l'espece ear celle
ci dépend directement du niveau érolutif choisi. Ainsi,
tous les individus appartenant un méme genre (niveau
supéricur) ou & une méme sous-espéce (niveau infé-
ricur) répondent 6galementace eritere. De plus, il eat fort
‘mal adapt6 A tous les groupes dont lévclution est inti=
‘mement liée a celle d'autres groupes, que ce soit par
transfert horizontal de géncs, par coévolution, dans des
cas de symbioses ov d'autres.
~ Lespee éningique est définie comme étant une lignée
(curunensemble de tignées proches) qui oceupe unezone
adapiative différente de celle des autres lignées dans son
aire de réparttion et qui évolue séparément de toutes les6 PHILOSOPHIE DE LA BIODIVERSITE
lignées extéricures a cette aire. Cette définition renvoie
la notion de niche éeotogique, considérant espe avant
‘toutparrapport son role Ecologique dansle milieu quelle
‘cecupe. La encore, ce concept despece semble difficilement
recouper ce que l'on envisage communément comme
ant une espece. La niche tant ensemble des conditions
ppermettant lasurvie des individus, est en effet difficile de
caractériser exactement niched! une espéce. Par exemple,
le rouge-queucnoir (Pheeniaaras ochrars) est un oiseaui qui
riche ats bien dans descavités rocheuses qu'ltrouvedans
‘des écosysttmes montagnards ts sauvages, que dans les
fagades des maisons en pierre en milieu périurbain.
Inversernent, il est possible que des individus appartenant
Ades espéces jugées diferentes orcupent des niches sem-
lables, par exemple, parce quelles développent des formes
de spécialisation similaires par convergence évolutive. On.
trouve ainsi des colibris spécialisés exactement sur les
mémes fleurs que certains insectes. Le bec démesuré
des uns eta longue trompe des autres conferent d’ailleurs
‘une certaine ressemblance morphologiquea ces groupes
pourtant fort éloignés.
Parce que chacune de ces definitions enée certains pro-
blemes et qu’aticuine d’entre elles ne semble seule en
rmesuite de saisir intuition de ce qu'est ou n'est pas tne
espace la question sest poste de savoir sl éaitnécessaite
Sobtenir une caractérisation unifiée du concept
espace ou si Fon pouvat, ou devait, se conteater dane
éfnition pluraliste.
Denison moriste ou pluraiste
Pour certains autetrs la plurlité des concepts d’cspéces est
lun obstacie a surmonter. ’une des tiches de la taxinomie
etait alors de fournir un concept unifi, soit en montrant
que Tun des concepts généralement proposés comprend tus
DECRIRE LA BIODIVERSITE °
Jesautres comme lesuggtre Emst Mayra propos duiconcept
biologique’ soit en cherchant un nouveau concept d’espece
quigchappe aux éoueils de ceux déj utilisés Ce projetren-
voie i une forme de monisme, dans la mesure cd ilstuppose
‘quill existe un ec un seul concept d’espbce permettant de
recouvri tous les onganismes vivants Le principal obstacle
cette entreprise réside dans la divesité des étres vivants,
‘qui ne peuvent peut-eire pes exre tous classfiés selon les
memes crises, Le mode d existence, la reproduction et es
fonctions des bactéries,par exemple, peuvent tre Ace point
oignés de ceutx des manmiferes qu'il serait impossible de
classer les uns et les autres selon des criteres semblables
Face & cette difficulé, certains auteurs ont suggéné
‘quiune telle unification ne soit ni possible ni souhai-
table. Pour Alexander Rosenberg, est avant toutune limite
de notre capacité & connaitrele monde naturel qui pros
crit la formulation d'un concept unique de ce qu’est une
‘espace’. Il y aurait bien dans le monde quelque chose
‘comme des especes, et chaque étre vivant appartiendrait
a une espéce et une sete, mais nous serions incapables
enousen faire une idée claire et distincte. I faudrait done
se contenter d'approximations out d'une diversité de cri~
‘tres pour rendre compte de intuition selon laquelle les
organismes vivants apparticnnent & des « familles > qui
ont uneréalité propre et possédent une certaine homogé-
neite a travers Yensemble du vivant.
Une autre défense du pluralisme des concepts d’esptces
se fonde sur une pluralité de fits, une pluralité ontolo-
sique. C'est ce que propose Philip Kitcher qui qualifie sa
position de« pluralisme réaliste">. Pour lu les diférents
3, Maye 1988.
2, Rovenberg, 1994.
5. Kiteher, 1984,0 PHILOSOPEIS DE LA BIODIVERSITE
‘concepts dl'especes clésignent différents objets réeis, qui
ccomespondent & différents types d’explications scienti-
fiques. Leur acceptation ou leur rejet ne doivent repocer
‘que sur leur adéquation avec les besoins pratiques et le
‘contexte théorique de 'enquéte scientifique. Par exemple,
le concept d’espéce biologique est pertinent pour éxudier
des organismes vivantsserués n'est par contre d’aucune
utlite pour considérerdes organismesasexuels comme les
bactéties ou les espices éteintes aunquelles s'attache la
Faléontologie, pour lesquels le concept ésolutionniste
serait alors bien plus satisfaisant.
Si cette proposition semble inspirée par le bon sens elle
‘Pose ecpendant un problime de taille: sur quelles bases
Lnconcept d’espace peut-ilétreaccepté ou rejeté? Doit-
‘on, par exemple,estimer que les qualités gastronomiques
des organisms constituent un crite acceptable de cles
sification? Kitcher répondrait que les vertus culinaires
niont rien 2 voir avec Fenquéte scientifique, et que, du
point de vue de la biologie, le concept gastronomique
espe ne représente pas un concept acceptable.
Considétons un autre exemple en imaginant un bio
astrologue convainctr que la position des astres au
moment de la naissance d'un individu est un élément
étecminant pour Vexistence de cet organisime. I pour-
rait alors proposer un arttred'espéc astrologique et fonder
sa classification sur le signe zodiacal des organismes.
‘Alots que les vertus culinaires ne représentent évidem-
ment pes tne propriété biologique des orgenismes ct reit-
vent avant tout de la subjectivité du gastronome, la
position des astres 2 leur naissance. parce qu'elle fait par-
‘ic de leur histoire de vie et ne depend pas c’une forc-
tion ou d'une valorisation extérieure A eux-mémes, peut
etre envisagée comme tin caractére proprement biolo-
sique. On pourrait objecter qu’une tlle classification ne
ECRIRE LA BIODIVERSITE st
sappitie sur aucune relation biolegiquement interesante et
quelle nest, ce faisant, pas acceptable. CofE 727." py
Mais alors cette nécessité dans laquelle on se trouve
de fonder I'acceptabilité ou non de différents concepts
sespeces met mal a pretention réaliste de Kitcher. En.
effet, qu'une relation soit ou non considérée comme
biologiquement intécessante dpend beaucoup plusdu
cadre théorique et du contested’ nude dans lequel se place
celul qui évalue la pertinence d'un crittre particulier
que de 'objera caractériser Sila classification proposée
doit mettre en évidence des relations pertinentes pour
expliquer le monde naturel out pour en amétiorer notre
connaissance, alors il faut done admeure que ls théo-
ries scientifiques dont on dispose aujourd’ hui détermi-
‘nent, aut moins en partie, nes besoins conceptvels. Le fait
quiun concept d’espece soit estime pertinent du point de
‘ue biologique est lie Yétat des connaissances au moment
de sa formulation ct pas seulement au monde réel.
En 1800, Cuvier proposait tine classification mor=
phologique qui, dans le contexte scientifique de som
temps semblait révéler une relation intéressante.IIs'agis
sait done d'une bonne classification pour lui et ses
contemporains, Aujourd’hui cependant, la théorie de
évolution contredit des presupposes essentiels a cette
vision di monde, et rend le concept de Cuvier désuet.
Liobjet auquel réfere Vespece dépend done de esprit
hhumain, et pas seulement d'un etatdu monde indepen-
dant. Cervains tenants d'une approche anciréaliste du
concept d' espace, comme P, Kyle Stanford’, considérent
que-cet argument sufft A dénier toute réalité ontologique
au concept d’espece, qui serait un artifice de clasifica~
tion sans aucune réalité a exséricur de V’esprit de coux
1. Stanford , 1998.2 PHILOSOPHIE DE LA BIODIVERSITE
qui 'utiliseat, Mais cette conclusion est peut-etre hative
Le simple fait que notre conception d'un objet puisse
varier dans le temps n'implique pas nécesssirement que
cet objet n’existe pas, ou qu'il ne soit pas un objet réel
Ladéfinition du concept « Tere» a beaucoup évolué dans
Vhistoire de la pensée, mais Vobjetlui-méme est demeuré
Teméme.
En ce sens, l'antiréalisme de Stanford ne prend pas
racine dans le pluralisme lui-méme, puisqu'll pourrait
foumir une critique semblable propos d'un concept d’es-
‘pece moniste. La critique de Stanford pointe cependant
dans use direction qu'il est nécesseire dlexplorer plus
avant. Si les e=péces peuvent, ou doivent, Gre définies
selon plusieurs concepts, et que lextension de ces
‘concepts varie de un a Vautre (certains organismes
apparticnnenten méme temps a plusieurs espéces,selon
le concept d’esp2ce choisi), la question ce pose de savoir
Aquelobjet duu monde réel le concent d’« espace » rere.
En des termes plus philosophiques, la pluralité des
‘concepts ¢’espéce invite a s'interroger sur le statut
ontologique de Vespece.
‘Start ontolegigue des expbes
Demandons-nous par exemple si le coneept« Gorilla
grrilla> (gorille de 'Ouest) se rapporte a quelqe
chose dans le monde réel, et, le cas échéant, a quoi
Dans les débats actuels, au moins ois theses s‘af+
frontent sur le statut ontologique des espices : elles
[peuvent étve considérées comme des genres naturels
(nateral kinds), des individus ou des ensembles 4'in-
dividus. Une quatri¢me thése, antiréaliste, consiste
affirmer comme le fait Stanford qu'un tel concept est
vide, qu'il ne référe a rien et ne correspond qu’a un
artifice des systématiciens.
DECRIRE LA BIODIVERSITE 2
Les genres naturels sont des classes d‘objets possédant
lune esenie commune t’appartenant qu’a cuxseuls Cette
essence confére & tous les membres d’un méme genre
certains texits commis et doit permettre d’expliquer cu
de prédire certaines de leurs propriétes. Par exemple, le
concept « mercure» référe 2 un genre naturel. Tous les,
métaux exclusivement composés datomes Hg, et seu-
lement eux, sont dui mercure. Ils ont en commun tne
structure atomique (leurnoyau posséte quatre-vingts pro-
tons) et pactagent certaines propriétés, comme leur
couleur argentée et le fait d'etre liquides 2 température
ambiante. On a longtemps considéré que les especes
Gtaientdes genres naturels auuméme titre queles ééraents|
chimiques. En cffet, si les espaces étaient jugtes éter-
nelles et immuables, etait justement en raison de leur
‘essence propre, elle-méme éternelle et immuable. Mais
‘comme nous V'avons vu au chapitre précédent, cette
forme d'essentialisme est dificlement compatible avee
lee thdses évalutonnistes, les esp2ces érant des entitésévo~
lutives, qui se transforment dans le temps. Certzins amé-
nagements de la théorie des genres naturels ont été
formulés afin de rendre compte de cette Gvolution, notam-
‘ment en considérant fespéce 3 un moment donne et non
‘dans son histoire. Cependant, une critique de cetee thse
cemeure insurmontable :iLest en général impossible de
éterminer un tait, une propriéeé, ov. un ensemble de
traits on de propriétés, appartenant a Yensemble des
membres d'une méme espece et 2 eux sculs. D’abord,
parce qu'il régne'une forte hétérogéneité entre les,
membres d'une méme espéce ; ensuite, parce que bien
souvent les traits des membres d'une espéce sont par~
tages par d'autres espéces, qu’elles soient phylogénéti-
quement proches ou qu’elles aient réponda de fagon
similaire A des pressions évolutives semblables. Du coup,
ek sicx parks de “motif “%54 PHILOSOPHIE DS LA BIODIVERSITE
que ce soit au niveau morphologique, comportemental,
onetionnel ou méme génétique. les traits qui pourraient
ee jugés essentiels pour 'appartenance a une espece
sont soit trop restrictfs, et excluent certains membres
de espéce, soit trop larges, et peuvent étre également
possédés par des organismes étrangers 8 Iespece.
‘Une seconde these defend Vidée que les espéces sont
des individus. ensemble Gorilla gorilla ne serait pas la
simple collection de tous les gorilles de ! Quest mais il
constituerait Iui-méme un individu. Cette suggestion
peut parattre contre-intuitive. Lorsque Yon patie din
dividu, on a plutst a lesprit des modes comme Forga-
‘nisme,avec tn milieu intérieur et un milieu extérieur bien
delimités, par l'epiderme par exemple. D’un point de
vyue philosophique, la notion d'individu peut étre plus
large et différentes définitions en ont été propesées, qui
permettent plus ou moins bien dinclure les espéees
dars la catégorie des individus. Avant d’aller plus loin dans
revaluation de cette these, nous pouvons ores et deja
signaler quien dépit de Vaspect contre-intuitf de cette
proposition, on fat souvent référence susxespeces comme
lls agissait 'individus. D'abord parcequ‘on leur éonne
un nom propre, Gorilla gorilla par exemple ; ensuite,
parce que dans Ie conteate de Férosion de la biodiver-
sité, on parle bien souvent des espdces comme s'il s'agis-
saitd‘entités individuelles. On dit quelles sont menacées
ou qu’elles disparaissent, gu’elles se portent plus ou
moins bien, ete Et siles demiers spécimens de gorilles
de YOuest venaient & disparate, il ne agirait pas seu-
lement de la mort de quelques grands-singes, mais bien
de celle dune espeve dans son ensemble, qui nese réduit
pasa la somme des individus quila compesent.
Pout les partisans de lndividualité des expéces, de la
‘méme fagon qu'un organisme persiste, dans son unité et
DECRIRE LA BIODIVERSIT# 3
dens son identité, a travers le renouvellement perma
nent de ses cellules, une espéce persiste dans son unite
cet dans son identite a travers la disparition et Vappari-
tion de nouveaux organismes, Cette these s’appuie sur
trois arguments : le fait que les espéces sont des enti-
16s spatio-temporelles, des entités dyamiques présen-
tant une forte cohesion interne et les unites de base de
revolution.
Le premier argument en faveur de Vindividualité des
espces repose sur leur continuité spatio-temporelle,
‘Comme le dit David Hull, « pour étre un cheval, i faut
aire né cheval», autrement dit, il ne peut y avoir de
‘saut» entre les dfiérents membres d’ane méme espeve.
Mais cette seule continuité semble bien faible pour fon-
der Vindividuallté. Il existe en effet des classes dont tous
Iesmembres sont liésde la sorte, mais quine sont mani-
festement pas des individus. Si le fait qu'un organisme
(ew un couple d’organismes) donne naissance & un autre
organisme constitue un lien spatio-temporel sutfisant
pour cstimer que la lignée ainsi constituée estelle-méme
tun individu, alors n'importe quelle portion d'une lignée
ascendant-descendant peut étre considérée comme un
individu. Un pere et son fils, tous les mammiferes, voire
‘méme le vivant dans son ensemble, scraient des candi=
dats acceptables. La notion d’individu ainsi congue est
beaucoup trop large et implique une inflation aberrante
deVensemble des individus. On peut donc admetire que
la continuité spatio-temporelleest une condition néces-
saire & Vindividualité sans pour autant qu'elle n’en
constitue une condition suffisante.
Lesecond argument repose sur le fait que les especes
sont des entités dynamiques présentant un fort niveatt
d'intégretion, ow une certaine organisation interme.
Diaprés le concept d’espéce biologique, espéce estSe PHILOSOPHIE DE LA BIODIVERSITE
ccaractérisée par un fluc de genes entre les individus de
méme espéce, Cet échange dynamique de genes, done
informations. délimiterait et définirait Vindividualité
de lespéce ainsi caractérisée. Lespéce serait done une
entité dynamique dont les éléments sont liés entre cux
parle fluxcde genes qui circulent en son sein. La encore,
cet argument ne semble pas stiffire a justifier une thése
aussi forte quc celle de 'individualité, notamment parce
que la notion de cohésion est une nosion qui proctde
Par degrés alors que calle dindividualité est discréte, on
st un individu ou on ne lest pas. On peut au eontraine
considérer que la cohesion se manifeste selon un conti-
‘num quiva dela stricte indépencance des parties a leur
interdépendance radicale. Le niveau de cohésion entre
Jes onganismes d'une méme espece est, par exemple,
bien moins fort que celui qui existe entre ies cellules d'un
méme organe out les organes d'un méme organisme.
Faudrait-il envisager qu'une entité peut étre plus ou
‘moins un individu selon que ses parties sont plus au
moins intégrécs ? Une telle acception de la notion din
dividu s’éloigne beaucoup trop de ce que l'on entend
‘généralement par ee terme.
Reste le woisitme argument, certainement le plus
robuste, qui affirme que kes especes sont des individus
parce qu’elles sont des unités de base dans la théotie de
Fevolution. Pour évaluer cet argument, il ext diabord
‘ngeessaire d’explicter la notion d tniés de bal faut pour
cela cistinguer différentes entités, jouant des roles dis-
tincts dansle processus de sélection naturelle et pouvant
toutes etre considérées comme difirentes unités debase
dela théorie de revolution.
~ Leriplicacur est une entité qui produit des copies
dielle-méme. Cette unité ne conceme pas le débat surl'in-
dividualité des espéces qui ne se répliquent évidemment
DECRIRE LA BIODIVERSITE a
pas elles-mémes: Les discussions sur Fidentité des tépli-
cateurs portent davantage sur Ia portion de génome
devant re sinsi considérée (genes, séquences d’ADN ot
sgériome dans son integrate)
= Linteracteur est une enti qui assure au réplicateut
sa survie ou la survie de ses copies parla production de
traits phénotypiques C'est entité qui interagit avec son,
‘environnement d'une facon qui peut étre plus oumoins
favorable a la réplication, et c'est sur elle que la séle
tion agit directement. La seule contrainte est que Ts
teracteur exprime des traits associés ati réplicateur auquel
illcorrespond, et que ces traits influencent la facon dont
il interagit avec son environnement. Linteracteur est
done Vunité de sélection. Pour Darwin, c'est exciusive-
ment a échelle des organismes que s‘opére la sélection
naturelle, eur descendance, et donc la transmission de
leurs traits et de leurs génes, pouvant dite plus ou moins
grande selon que ces organismes sont pls ou moins bien
adaptés 3 leur environnement.
Le manifisteur est une entité qui manifeste adapta
tion. C'est lemtité quiévolue ou encore qui bénéficie de
adaptation. On dira que le manifesteur est 'tnité e’évo-
lution, alors que 'interacteut, en tant qu’ unité de sélec-
tion, fournit seulement lesupportsur lequel{'adaptation
se manifeste. Le darwinisme classique considére que
Vévolution opére 3 I'échelle des esptoes, mais d'autres
propositions ont éré défendues, désignant comme mani-
festeurs certains groupes infraspécifiques (lignées fami-
liales, populations, métapopulations) ou supraspéciiques
(communautés, voire la biosphére dans son eniserble)
La défense de Vindividualité des especes en vertu de
leur role d’unités dans la théorie de l'évolution peut
alors prendre deux formes : soit on affirme que les
spaces sont des unités d’évolution (des manifesteurs),8 PHILOSOPHIE DE LA BIODIVERSITE
soit on affirme qu'elles sontdes units de sélection (des
interacteurs)..
Envisager les espéces comme unites d’évolution ne
pose pas de probleme du point de vue de la théorie de
Vévolution elle-méme, et on peut penser qu'il agit la
d'une proposition consensuelle, Mais les unités d’évo-
lution coivent-elles nécessairement étre des individus ?
S'il est vrai que les unités de base de V’évolution doivent
etre des entités suffisamment stableset cchérentes pour
vehiculer les variations sélectionnées, ren n’implique
que seuls des individus puissent manifester une telle
stabilité et une telle cohérence, On peut considérer un,
‘ensemble dont les éléments varient légtrement et pro-
_gressivement dans le temps. Petit A petit, a composition
de cet ensemble change et, ce faisant, l'ensemble se
transforme, il €volue, sans pour autant constituer lul-
méme un individu, Le fait que les espéces soient des
unités d’évolution ne sufiit done pas & en déduire leur
individuatite.
Liargument serait plus convaincant s'il s'appuyait
sure fait que les espéces ne sont pas, ou pas seulement,
ce qui évolue mais également ce qui est sélectionné,
Cest-t-dire si Fespece agit dans le processus d'évolu-
tion comme interacteur. Une telle hypothése, beau-
coup moins orthodoxe, est défendue parles tenants de
la macroévolution. Crest notamment le eas de Niles
Eldredge et de Stephen J. Gould qui soutiennent, dans
cur théorie des équilibres ponctués', que I’évolution
‘optre par un mécanisme de sélection hiérerchique,
s‘appliquant non seulement au niveau des organismes
comme le pensait Darwin, mais également a des niveaurx
organisation supérieurs tels que espe. Pour Gould,
1, Bldredge & Gould. 1972,
DEGRIRE LA BODIVERSITE co
lorsque l'on considére I'évolution de la vie & Véchelle
des temps géologiques, on n'observe pas une évolution
et une differenciation graduelies, mais des ¢pisodes de
spéciation relativerent brefs,suivis de longues périodes
au cours desquelles les espéces restent stables. Gould
en conclut que Ia sélection nagit pas seulement ait
niveau des organismes qui composersient, petit a peti,
de nouvelles espéces en fonction des traits favorables
qui seraient sélectionnés, meis également au niveau
des espaces elles-mémes. Celles-ci présenteraient cet-
taines propriétés émergentes leur conférant un plus ow
moins fort potentiel de spéciation, elles auraient une
vvie propre, avee une naissance, une période stable, puis
tun déclin et Ia mort (extinction). Ainsi concues, les
especes pourraient done frre considérées comme des
individus, dont les propriétés ne sont pas réductibles &
celles des éléments qui les composent, et constituersient
des unités de sélection. Cette hypothese est certaine-
ment le plus solide argument en faveur de 'individus
lité des especes, mais elle est fort peu consensuclle, Si
Vobjet du présent ouvrage nest pas de trancher des
débats dont la complexité dpasse largement son pro-
pos, ilest important d’avoir esprit le fait que le sta~
tut ontologique de lespece est loin ¢’étre évident, qu'il
fait Pobjet de vite débats qui s‘ancrent simultanément
dans l'ontologie elle-méme et dans la théorie de Yévo-
lution. Contentons-nous done, a instar du grand bio-
logiste Theodosius Dobzhansky', d’une these modeste,
qui envisage les esptces comme une étape, un moment
dans le processus évolutif de diversification, et non
‘comme l'unité de base ou la finalité de ce processus
lui-méme.
1, Dobahansky. 1985,o PHILOSOPHIE DE LA BIODIVERSITEE
Farailleurs, dans état actuel des connaissances scien
tifiques, la classification par espéces offre un bon outil
our comprencre et déctire certains phénomenes, notam-
‘ment celui de évolution par sélection naturelle 'espéce,
peut alors etre envisagée comme une fagon subjective de