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Séminaire n°3 : Défier l’opinion et l’histoire : Delphine.

Texte n°1 : STAËL, Delphine, IVe partie, Lettre XXIX, GF t. II, p. 102.
Comme il était déjà tard, tout le monde était rassemblé chez Madame de Sainte-Albe. Au
moment où j’entrai dans la chambre, j’entendis autour de moi une espèce de murmure ; je ne vis pas
Léonce qui était alors dans une pièce plus reculée. La maîtresse de la maison, la plus impitoyable
femme du monde, quand elle croit que sa considération peut gagner à se montrer ainsi, fut longtemps
sans s’avancer vers moi ; enfin, elle se leva et m’offrit une chaise avec une froideur qu’elle désirait
surtout faire remarquer ; les deux femmes à côté de qui j’étais assise, parlèrent bas chacune à leurs
voisins ; aucun homme ne s’approcha de moi, et toute l’assemblée semblait enchaînée par ce silence
désapprobateur, mystérieux et glacé, que la conscience même ni la raison ne peuvent blâmer en public.
Je conçus d’abord, tant ma tête était troublée, le plus injuste soupçon contre madame d’Arténas ; mille
idées se succédaient dans mon esprit, et n’osant ni interroger personne, ni faire un mouvement pour se
lever pendant que tous les yeux étaient fixés sur moi, immobile à ma place, je sentais une sueur froide
tomber de mon front. […]
Je cherchais des regards la place que j’avais occupée en arrivant, elle était prise ; je fis le tour
de la chambre dans une espèce d’agitation, qui me faisait craindre à chaque instant de tomber sans
connaissance : aucune femme ne m’offrit une chaise à côté d’elle, aucun homme ne se leva pour me
donner la sienne. Je commençais à voir les objets doubles, tant mon agitation augmentait à chaque pas
inutile que je faisais ; je me sentais regardée de toutes pars, quoique je n’osasse lever les yeux sur
personne ; à mesure que j’avançais on se reculait vers moi ; les hommes et les femmes se retiraient
pour me laisser passer, et je me trouvai seule au milieu du cercle, non telle qu’une reine
respectueusement entourée, mais comme un proscrit dont l’approche serait funeste. J’aperçus dans
mon désespoir que la porte du salon était ouverte, et qu’il n’y avait personne près de cette porte ; cette
issue, qui s’offrait à moi, me parut un secours inespéré, et dans un égarement qui tenait de la folie, je
sortis de la chambre, je descendis l’escalier, je traversai la cour, et je me trouvai au milieu de la place
Louis XV, sur laquelle demeurait madame de Saint-Albe.
Texte n°2 : Lettre XX, Iere partie, p. 128-130.
Que vous disais-je dans ma dernière lettre, ma chère Louise ? Il me semble que je vais le
démentir ; je l’ai vu, Léonce. Ah, je n’ai plus aucun souvenir de ce que je pensais contre lui : comment
pouvais-je mettre tant d’importance à ce que j’appelais ses défauts ? Pourquoi le juger sur une lettre ?
L’expression de son visage le fait bien mieux connaître. […]
Au moment où nous entrâmes dans sa chambre, lorsque je le vis étendu sur un canapé, pâle,
pouvant à peine soulever sa tête pour nous saluer, et néanmoins semblable en cet état à la plus noble, à
la plus touchante image de la mélancolie et de la douleur, j’éprouvai à l’instant une émotion très vive.
La pitié me saisit en même temps que l’attrait : tous les sentiments de mon âme me parlaient à
la fois pour ce malheureux jeune homme. Sa taille élégante avait du charme, malgré l’extrême
faiblesse qui ne lui permettait pas de se soutenir. Il n’y avait pas un trait de son visage qui, dans son
abattement même, n’eût une expression séduisante. […] Léonce adressa quelques remerciements
aimables à ma tante avec un son de voix doux, et cependant encore assez ferme ; sa manière
d’accentuer donnait aux paroles les plus simples, une expression nouvelle ; mais à chaque mot qu’il
disait, sa pâleur semblait augmenter, et par un mouvement involontaire, je retenais ma respiration
quand il parlait, comme si j’avais pu soulager et diminuer ainsi ses efforts. […]
N’ayez pas honte pour moi, ma Louise, de cette impression subite et profonde ; c’est la pitié
qui la produisait, j’en suis sûre : votre Delphine ne serait pas ainsi, dès la première vue, accessible à
l’amour ; c’était la douleur, la toute-puissante douleur qui réveillait en moi le plus fort, le plus
rapide, le plus irrésistible des sentiments du cœur, la sympathie.

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