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lement, un charnier à Ohrdruf rempli de corps revêtus de leurs nal militaire international qui juge 21 hauts responsablesnazis, on

tenuesrayées,deux cadavresen gros plan, habillés également,l'un de projette ainsi,le neuvième jour, à l'appui de l'accusation américaine,
face l'autre de dos,pris dansun document enregistrépar une équipe un film d'une heure intitulé Nazi ConcentrationCamps.Ce docu-
américaine.Ensuite, le 3 mai 1945, la bande d'actualités hebdoma- ment, véritable pièce à conviction, montre le sinistre catalogue des
clairea sélectionné quelquesimages tournées au camp de Belsen par cruautés,séviceset tortures infligés dansles campsde concentration.
une équipe d'opérateurs britanniques: des vues généralesdu camp, Il a été monté d'après des images tournées, notamment en couleur,
desdéportés faméliques errant au milieu de cadavres,partageant un par l' équipe de George Stevens,depuis le débarquement en N or-
bol de soupe, le gros plan d'un mort vêtu d'un costume élimé et mandie jusqu'à la libération des camps de Belsen, Leipzig, Penig,
d'une casquette,un panoramique sur un charnier de corps nus. Le Ohrdruf, Hadamar, Nordhausen, Harland, Arnstadt, Matthausen,
18 mai 1945! le sujet, intitulé Les Criminels,est consacré à Buchen- Buchenwald et Dachau. Ces images eurent un grand impact sur le
wald et approche d'un peu plus près l'horreur des camps, visages tribunal et sur les accusés,au point qu'on a pu affirmer qu'elles chan-
émaciésde rescapés, restesd'un squelettecalciné dansun four créma- gèrent le cours du procès et influèrent durablement sur le comporte-
toire, tas d'ossements,pyramides de cadavresdénudés,amassésau sol ment et l'attitude desaccusés.Goering confia lui-même que « cethor-
ou entassésdansun wagon. Le commentaire évoque « l'immensefosse riblefilm a tout gdché». ..En France, le ministère de l'Information
communedevenueunegrandeboucheouverteau milieu de l'Europe et qui commanda un film assezsemblable au secrétairegénéral de France-
crieun témoignage implacable ». Le 25 mai 1945,le sujet montre succes- Libre-Actualités,le 18 mai 1945. Ce fut Les Campsde la mort, « docu-
sivement un train rempli de cadavresen gare de Dachau et desplans mentcinématograph(que destinéà édifierl'opinion publiquesur lesatrocités
de corps carbonisésà Tehkla par le feu des.lance-flammes.A chaque nazies», qui servit également de témoignage dansl' exposition sur les
reprise, les images les plus insoutenables campsorganiséeà Pau en avril 1946.
ont été censurées,respectantle tabou de la Le cinéma a joué son .rôle: il a
nudité féminine et des cadavresde femme, filmé les campsle jour d'après en enregis-
enlevant au regard du public de cinéma les trant destracesde la mort, il a montré cela
monstruositésnazies,notamment les expé- au public danssessalles,à traversle pays,il
rimentations médicalessur les corpsf. a servi de preuves,de pièces à conviction,
Ces images provoquent une onde de témoignages.Mais le cinéma a égale-
de choc qu'il est difficile de mesurer,mais ment déjoué de sa mission de vérité: il a
que l'on peut évaluer à l'aune de quelques façonné le déporté héroïque pour cacher
témoignages, de cinéphiles, tels François tous ceux, anonymes, femmes, enfants,
Truffaut,JacquèsRivette,Jean Douchet, ou hommes du commun, Juifs et non Juifs,
de simples témoins, comme Jean Galtier- qui ne sont jamais revenus.Il n'a pasvoulu
Boissièrequi écrit danssonjournal, en date voir un système de génocide, une poli-
de la fin mai 1945 : « Aux Actualités une tique de Solution finale. Il a tenté d' ou-
bandeeffioyable: un train de déportéssquelet- -~~~---~-- ,~--, c~c~-"' blier et de faire oublier: car, dès l'au-
tiques,abandonnésen plein champlors de la. Auschwitzvu par Resnais.« Nuit et brouillard» tomne 1945, cesfilms ne sont plus visibles.
débdcle allemande,
et mortsdefaim.» Quelque (1955), lefilm quifait revivrela mémoiredescamps. Le film américain, Nazi Concentration
chose a été vu de l'entreprise de mort de Camps,ne fut montré qu'à Nuremberg; le
masse.Certes,il s'agit d'une forme de regard biaisé,puisque cesfilms film français,Les Campsde la mort,ne fut montré qu'à un public res-
ne peuvent enregistrer que 1'«après» de l'extermination, traces treint dans le cadre de manifestations officielles (hommages,souve-
d'horreur figurant encore à la libération et à l'ouverture des camps, nirs, expositions).Et les bandesd'actualités,comme les documents fil-
ce qui ne propose à la vision qu'un « terrible prolongement ».Cette més à l'ouverture descamps,furent archivés,cartons où ils reposèrent
représentation substitutive à la réalité du génocide est rapportée par longtemps trop tranquilles.
Annette Wievorka à l' efficacité « spectaculaire» du cinéma, ainsi qu' à Pourtant, cette politique officielle de l' oubli, qui doit fairepas-
la volonté des autorités nazies de ne laisseraucune trace visible des serces images de peur qu' elles ne resurgissenten culpabilité collec-
Juifs eux-mêmes et de leur extermination: « La destruction, c'estcellede tive, n'a pas empêchéle cinéma européen desannées50 d'être inten-
gensqui n'ontpas eu le tempsd'avoirfaim et qu'on va tuermassivement. Or sément travaillé de l'intérieur par ces visions et par un profond
celane co"espond pas aux imagesde l'ho"eUI;il n' y a pas ici de discoursde malaise: celaa existé.En cesannéesde longue après-guerre,qui s' étire
déshumanisation, il n'y a pas de discoursde l'extr~me.n y a seulementcette jusqu'au milieu desannées50, il semble en effet que le cinéma recom-
miseà mortpratiquéemassivement sur desgensqui partent de chezeux et mence.La crise du systèmedes studios, à Hollywood et un peu par-
qui, quelques jours après,n'existentplus. n y a uniquementla vie puis la tout dansle monde, laissele cinéma sansle principe directeur unifiant
mort. » Le chemin entre la vie et la mort disparaît car il n'est pas de sa période classique.Désormais, il existe, davantagequ'avant, des
représentable,faute de documents,d' archives,mais aussicar il est sim- cinémas,descinéastes,et aussidespublics. De plus, la rupture procède
plement irrep.résentable.Cette extermination de masseest donc le d'un certain nombre de filiations décisives.Si le cinéma recommence
non-dit, non-montré, non-vu des films sur l'ouverture des camps, c'est à travers cette attitude qui consiste à assimiler l'héritage d'un
comme le souligne d'ailleurs l'absencede la référence aux Juifs, mais point de vue critique.Aussi bien l'impensable descamps,vus à travers
également l'absence du lieu même de ce génocide de masse,là cesimagesimpressionnantes,que l'attitude critique vis-à-vis de l'his-
chambre à gaz. Les actualités du printemps 1945 montrent à tous toire du cinéma, font que les cinéastesimportants, Rossellini, Berg-
l'horreur par les corps et les cadavres,les restes(cheveux,vêtements, man, Renoir, Hitchcock, Lang, en premier lieu, ne sont plus innocents.
objets),les charniers et les fours crématoires.Mais jamais il n'est fait Ils travaillent désormais en sachant que le siècle comme le cinéma
mention, à cette époque, des chambres à gaz, pourtant le maillon ont une histoire, lourde de sens,et qu'il leur faut s'inscrire dans un
industriel indispensableau projet d'extermination desJuifs d'Europe. héritage problématique. Cela dessine une rupture, exprimée en
Bientôt, cesfilms, aprèsavoir été vus par fragmentsinclus dans termes de doute idéologique et méthodologique, de retour au réel
les actualités,sont montés afin de proposer des synthèses,qui doivent (sortir du studio pour filmer le monde), d'onirisme (faire imploser le
servir de témoignageset de preuves.Au procès de Nuremberg, tribu- studio par un trop-plein d'artifice). La grande question est alors: ..

LE SIÈCLE DU CINÉMA NOVEMBRE 2000 63


.Un déporté àÎa libération d'un camp. Pendant quelques mois, ces images ne sont pas montrées.1Yop difficiles, pense-t-on, trop délicates à manier et à présenter.

...comment continuer à représenter quand tout semble avoir été vu regardéplus queje ne les ai vues.J'étais sidéré-je n'étais pas le seul- parce
(l'histoire du cinéma),mêmel'irreprésentable (la barbarie totalitaire) ? queje n'avais jamais pensé que le dnéma était capablede " cela ". Et sur le
La réponse à cette question, le~, cinéastes la trouvent daris une quai du métro,je réaliseenfin queface à la questionfastidieuseà laquelleje ne
manière de traduire une nouvelle complexité des rapports entre les saisplus quoi répondre- " qu'est-ce que tu vas faire dans la vie ? " -,je
personnages,dans la difficulté de l'instription dans la réalité ou la dispose depuis quelques minutes d'une réponse.Plus tard, d'une façon ou
superficialité du monde, dans un lien clifférent avec les spectateurs. d'une autre, ce serait le dnéma. Resnais est le nom qui relie les élémentsde
Tout un aspect de ce cinéma, qu'on a immédiatement qualifié de cettescèneprimitive. C'est parceque Nuit et brouillard avait étépossibleque
moderne,se rapporte à la métamorphose du contrat classiquepassé Kapo naissaitpérimé et que Rivette pouvait écrireson article (lire page sui-
entre les personnages,entre l'auteur et le systèmedu cinéma, entre.Ie vante). Pourtant, avant d'~tre le prototype du dnéaste moderne -ce qu'il
réalisateuret le monde, entre celui qui montre une histoire et celui est -, Resnais.fùt pour moi un passeur de plus. S'il révolutionnait le langage
qui la regarde.il faut nommer cette césure dans dnématographique, c'est qu'il se contentait de prendre
l'histoire du cinéma la mémoiretraumatiquedes son sujet au sérieux et qu'il avait eu l'intuition, presque
camps.Certaines imag~s nées de la guerre (les la chance,de reconnaftrece sujet au milieu de tous les
campsde la mort, mais aussila destruction d'Hi- autres: rien moins que l'espèce hu~ne telle qu'elle
l'Oshimaet de Nagasaki,filmée par les opérateurs était sortie descampsnazis et du trauma atomique: abf-
japonais etaméricains) ont marqué..Iecinéma et méeet défigurée.»
.Iesartistes,ont travaillé en eux, ont resurgi daris Resnais est le passeur de Daney, mais il
les :fiIms,souvent près de .dix ans aprèsla fin du évoque également Rossellini, Hitchcock, Godard,
conflit, comme une mémoire traumatique qui, Bergman, tous ceux qui ont fait l'expérience, sur
peu à peu, a miné l'histoire du cinéma. Un art a leurs fi1rns, les personnages et leurs spectateurs, de
perdu son innocence et les grands cinéastesne la cruauté, de la peur et de l'effroi pour mieux
feront plus les mêmes films. 1àbe or not to be de révéler l'espèce humaine. Le cinéma moderne est
Lubitsch, Le Dictateur de Chaplin, mais aussi la né de ces images des camps, qui n' ont cesséde tra-
série américaine des Pourquoinouscombattons, ces -"..,.'---,-".~
-vailler en lui, de resurgir sous d' autres formes,
grandsfihns classiquesantinazis,ne sont plus possiblesen 1955. L'an- regard~caméra, arrêt sur image, documentaire dans la fiction, flash- ;
tinazismel~estencore,bien évidemment, mais pasce cinéma classique b.ac~, montage~ conte~p~tio~, malaise, ces, figures spéc~fiquement
présumé innocent. cmematographiques qw temoIgnent de la presence obsessIonnelle du I
Ces\imageset cette mémoire traumatiques sont donc désor~ palimpseste concentrationnaire. Peut-on créer après Auschwitz ?
mais,partie intégrante de l'histoire du cinéma. Ce qu'affirme Serge Doit-on créer après Auschwitz ?, s'est-on longtemps demandé. Le i
Daney en évoquant son entrée en cinéphilie ; il est passépar Nuit et cinéma apporte sa réponse, singulière et juste: filmer les camps, ce fut j
brouillardd'Alain Resnais,le film moderne qui.,précisément,fait reve-
rendre possible un cinéma nouveau. .
nir la mémoire desimagesdescamps.(I Nuit et bl'Ouillard,un Il beau"
film ? Non, unfilm juste. O' estKapo qui voulaitêtreun beaufilm et qui ne
I. Ces d.escrip~ons des ~ocuments d'Actualités, qu~do.ivent être précises, sont reprises du
l'étaitpas.LesCOIpSdeNuit et brouillard et, quatreansplus tard,ceuxdes livre qwfalt desorIna1Srefèrencesur ce sujet: SylVIeLmdeperg, Cho de 5 à 7. LesActuahtésl
premiersplans d'Hiroshima mon amour sont de cestt choses" qui m'ont
filméesdela Libération,CNRS Editions, 2000, pp.156-171.

66 HORS-SÉRIE CAHIERS NOVEMRR E 2111111


DOCUMENT

,
L

«(LE MOINS QUE L'ON PUISSEDIRE, C'EST QU'IL EST DIFFICILE,lorsqu'on entreprend un
film sur un tel sujet (les camps de concentration), de ne pas se poser certaines questions
préalables; mais tout se passe comme si, par incohérence, sottise ou lâcheté, Pontecorvo
avait résolument négligé de se les poser.
Par exemple, celle du réalisme: pour de multiples raisons, faciles à comprendre, le
réalisme absolu, ou ce qui peut en tenir lieu au cinéma, est ici impossible; toute tentative
dans cette direction est nécessairement inachevée «< donc immorale »), tout essai de
reconstitution ou de maquillage dérisoire et grotesque, toute approche traditionnelle du
« spectacle » relève du voyeurisme et de la pornographie. Le metteur en scène est tenu
d'affadir, pour que ce qu'il ose présenter comme la « réalité » soit physiquement suppor-
table par le spectateur, qui ne peut ensuite que conclure, peut-être inconsciemment, que,
bien sûr, c' était pénible, ces Allemands, quels sauvages,mais somme toute pas intolérable,
et qu'en étant bien sage,avec un peu d'astuce ou de patience, on devait pouvoir s'en tirer.
En même temps, chacun s'habitue sournoisement à l'horreur, cela rentre peu à peu dans
les mreurs, et fera partie bientôt du paysage mental de 1'homme moderne; qui pourra, la
prochaine fois s'étonner ou s'indigner de ce qui aura cessé en effet d'être choquant ?
C'est ici que l'on comprend que la force de Nuit et brouillard venait moins des
documents que du montage, de la science avec laquelle les faits bruts, réels, hélas !, étaient
offerts au regard, dans un mouvement qui est justement celui de la conscience lucide, et
quasi impersonnelle, qui ne peut accepter de comprendre et d'admettre le phénomène.
On a pu voir ailleurs des documents plus atroces que ceux retenus par Resnais; mais à
quoi l'homme ne peut-il s'habituer ? Or on ne s'habitue pas à Nuit et brouillard ; c'est que
le cinéaste juge ce qu' il montre, et est jugé par la façon dont ille montre.
Autre chose: on a beaucoup cité, à gauche et à droite, et le plus souvent assezsotte-
ment, une phrase de Moullet : « LA moraleest~ire de travellings)) (ou la version de Godard :
« Les travellings sont affaire de morale ))) ; op a voulu y voir le comble du formalisme, alors
qu'on en pourrait plutôt critiquer l'excès « terroriste )), pour reprendre la terminologie
paulhanienne. Voyez cependant, dans Kapo, le plan où Riva se suicide, en sejetant sur les
barbelés électrifiés; l'homme qui décide, à ce moment, de faire un travelling-avant pour
recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d'inscrire exactement la main levée
dans un angle de son cadrage final, cet homme n'a droit qu'au plus profond mépris. On
nous les casse depuis quelques mois avec les faux problèmes de la forme et du fond, du
réalisme et de la féerie, du scénario et de la « misenscène »,de l'acteur libre ou dominé et
autres balançoires; disons qu'il se pourrait que tous les sujets naissent libres et égaux en
droit; ce qui compte, c'est le ton, ou l'accent, la nuance, comme on voudra l'appeler
-c'est-à-dire le point de vue d'un homme par rapport à ce qu'il filme, et donc par rapport
au monde et à toutes choses : ce qui peut s'exprimer par le choix des situations, la construc-
tion de l'intrigue, les dialogues, le jeu des acteurs, ou la pure et simple technique, « indif-
féremment mais autant ». fi est des choses qui ne doivent être abordées que dans la crainte
et le tremblement; la mort en est une, sans doute; et comment, au moment de filmer une
chose aussi mystérieuse, ne pas se sentir un imposteur ? Mieux vaudrait en tout cas se
poser la question, et inclure cette interrogation, de quelque façon, dans ce que l'on filme ;
mais le doute est bien ce dont Pontecorvo et ses pareils sont le plus déDourvus. { ...) »

Sur Kapo de Gillo Pontecorvo (1960), Ihiers du dnéma, no 120,iuin 196

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