LAURENTIANUM
COMMENTARII TRIMESTRES CURA
COLLEGII INTERNATIONALIS S. LAURENTII A BRINDISI
FRATRUM MINORUM CAPUCCINORUM
IN URBE
Annus 9 1968 Fasc.NOTAE ET DISCUSSIONES
« EROS » et « AGAPE » CHEZ DUNS SCOT
EN MARGE D’UN LIVRE RECENT
CAMILLE BERUBE, OFM. CAP.
Le P. Léon Veuthey, bien connu pour ces travaux sur ’Ecole fran-
ciscaine, vient de présenter «a un public de moyenne culture s’intéres-
sant A un maitre parmi les plus célébres qu’ait produits le christianis-
me » (x), une synthése théologique réduite a ses lignes essentielles. Com-
me ce maitre est le Docteur Subtil, « celui devant les ceuvres de qui re-
culent souvent les dialecticiens les plus intrépides », comme disait jadis
un bon connaisseur, le médiéviste Etienne Gilson, on comprendra que
Ventreprise était pleine d’embiiches et qu’il y fallait, en plus de I’intré-
pidité, une compétence exceptionnelle jointe a la conviction qu'il y a
«sous I’écorce d’une dialectique sans laquelle il n'y a point de philo-
sophie, une séve généreuse qui circule » (2).
Disons tout de suite que le R.P. a brillamment réussi 4 nous donner
cette synthése longtemps attendue d’un public désireux de parvenir & une
meilleure intelligence de sa foi chrétienne en méme temps qu’A une cul-
ture théologique qui dépasse les allusions furtives des manuels courants.
Tout en situant les problémes dans leur contexte historique, il a éliminé
ce qui suppose une initiation spéciale. C’est méme vraiment plaisir pour
un initié que de passer en revue avec le docte historien les points majeurs
de la pensée théologique du Docteur Subtil.
Un point pourtant nous a laissé insatisfait. Comme l’auteur y revient
avec une certaine insistance, en y voyant avec raison un point important
(1) Veutuzy Léon [OFM, Conv.], jean Duns Scot, pensée théologique. Edi-
tions Franciscaines, Paris XIV*, 1967, pp. 190.
(2) Guson Etienne, Saint Frangois et la pensée médiévale, dans Influence
de saint Francois sur la civilisation italienne. Paris 1926, p. 91.440 Notae et discussiones
de la pensée du grand docteur franciscain et qui d’ailleurs une manque pas
d’actualité, nous avons pensé étre utile au lecteur en Iui soumettant quel-
ques réflexions en marge de I’exposé de I’auteur, Il s’agit de l'amour qui
est au principe des oeuvres divines. Voulant fixer définitivement la con-
viction du lecteur, l'auteur résume son interprétation en conclusion de
son ouvrage. Nous en ferons le point de départ de nos remarques,
Le P. Veuthey rappelle que l'amour a deux aspect: l'amour de soi
et l'amour de l'autre, l'eros et Vagape. Ces termes, en vogue tout parti-
culigrement depuis 'ouvrage de A. Nygren, Eros et Agape. La notion
chrétienne de l'amour et ses transformations, Paris 1951-52, servent cou-
ramment & opposer la conception grecque de l'amour, celle de l'amour
intéressé ou de concupiscence, la conception chrétienne, tout particu-
ligrement & la conception augustinienne, celle de l'amour pur, désinté-
ressé, de bienveillance, dérivée de la notion théologique de la charité,
Selon Veuthey, il y a chez Duns Scot deux aspects de I’amour, celui
de amour métaphysique hérité de la philosophie grecque et celui de
Tamour théologique regu de saint Augustin. Ce qui est caractéristique
de la pensée de Duns Scot, c'est a prédominance de l’aspect métaphysi-
que, celui de I’eros, sur aspect théologique, celui de l'agape:
«Or, pour Scot et selon la perspective métaphysique dans la-
quelle il se place, l'amour est, avant tout, amour de soi: le Pare
trouve sa béatitude dans la génération du Fils et la spiration du
Saint-Esprit, et, avant tout, en jouissant de son essence; Dieu pré-
destine le Christ comme Celui qui sera capable de l’aimer parfai-
tement et de rendre infini l’amour des créatures pour le Créateur.
Tout ceci est exact et métaphysiquement nécessaire. Mais ce
n’est encore que l'eros, l'amour de soi: Dieu s’aime lui-méme et il
crée pour son amour ou pour sa gloire, comme le dit I’Ecriture elle-
méme » (3).
Mais, évidemment, le théologien qu’est Scot ne voit pas que la per-
spective métaphysique, car aussi bien, continue I'auteur,
«Ce point de vue n’exclut par l'autre, V'agape. Car celui-ci
est aussi présent dans le Docteur Subtil qui fait clairement de la
charité l'amour désintéressé, l'amour-donation, alors que l'espérance
est l'amour intéressé, l'amour de désir » (4).
(3) Veurney L., Ibid. 178.
(4) Ibem, Ibid. 179.