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Deuxième approche thématique :

LE PHENOMENE SUICIDAIRE EN MILIEU


PROFESSIONNEL

En Bretagne, le suicide n’est pas une fatalité

CONFERENCE DE CONSENSUS :
Comprendre ensemble pour agir
Première partie : Débats de la séance publique

L’actualité nationale récente a attiré l’attention sur le suicide en milieu professionnel,


rappelant que si le travail est un vecteur d’insertion sociale et de socialisation, il peut
également être porteur de souffrance et de dépression. La dégradation des conditions de
travail, les nouveaux modes de management, les exigences de productivité et de
performance peuvent, dans un certain nombre de cas, peser fortement sur les salariés et
aggraver le risque suicidaire, qu’il s’agisse du secteur privé ou du secteur public.
Au-delà des conséquences dramatiques pour les personnes et leurs familles, ces suicides
affectent toutes les catégories de personnels (culpabilité, stigmatisation, détérioration du
climat interne) et semblent présenter un risque mimétique dont il paraît a priori
indispensable de tenir compte dans les politiques de prévention et de management humain
des organisations.

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1 INTERVENTION DU DOCTEUR JOSEPH TORRENTE, PSYCHIATRE
PSYCHANALYSTE :

Questions posées par le comité de pilotage :

 Les évolutions actuelles du monde du travail aggravent-elles le risque suicidaire ?


Que sait-on, ou qu’observe-t-on en la matière ?
 S'il est avéré, que sait-on de ce risque en Bretagne ? de son intensité ? Se pourrait-il
qu'il y soit plus fort qu'ailleurs ?
 Y a-t-il des métiers, des secteurs ou des filières particulièrement touchés ? (Privé,
public, sous-traitance, industrie de main d’œuvre… ?)
 Au-delà des évolutions du monde du travail, le risque suicidaire est-il
particulièrement élevé auprès des personnes connaissant une rupture
professionnelle (perte d’emploi en particulier) ?
 Quels sont les modes de prise en charge ou de prévention à développer ou à inventer
en matière de prévention du suicide liée à l’activité professionnelle ? Où en est-on en
la matière en Bretagne ?

1.1 PREALABLE
En ce qui concerne la prévention du suicide, nous devons commencer par signaler que, pour
le psychiatre que nous sommes, le suicide dont il est question est celui en rapport avec une
souffrance ou une pathologie mentale. Nous excluons de notre réflexion, parce qu’en tant que
tel, nous n’en connaissons pas plus que tout un chacun, les suicides par idéologie, religieuse
entre autres, ou à visée instrumentale. Nous ne traiterons donc que des suicides inscrits dans
un désespoir dépressif, comme issue à une souffrance indicible, dans une fuite de la réalité,
ou encore dans la soumission à des voix délirantes. Autrement dit, nous parlerons du suicide
secondaire à une pathologie.
Aussi, pour nous, traiter du suicide comme invitation à agir, c’est mener une réflexion globale
sur la pathologie mentale. Ce thème est bien vaste, mais se trouve borné par l’existence d’un
lien aux situations de travail et enrichi par notre expérience et notre sensibilité au domaine
de la souffrance au travail.
Avant de présenter les résultats d’une vingtaine d’années d’expérience en psychopathologie
du travail, il me semble important de vous soumettre une réserve. Je suis réservé quant à
l’utilisation d’une mentalité va-t-en guerre appliquée au monde de la santé mentale.
L’éradication d’un phénomène ne me paraît pas un but envisageable ni même souhaitable
sauf dans la sphère des bonnes intentions dont on sait qu’elles pavent aussi le chemin de
l’enfer. Ce qui me gêne le plus est le modèle d’un but à atteindre, une visée, des moyens
toujours faussement adéquats, bref l’idée lunaire d’un plan d’action qu’il suffit et qu’il faut
appliquer dans la réalisation d’un but défini à l’avance dans notre pauvre monde terrestre. La
psychopathologie du travail nous montre à l’inverse que toute l’intelligence et la créativité de
l’homme se situent dans ce chemin où il s’agit de réunir les conditions d’un but, chemin qu’il
ne faut surtout pas enfermer dans un modèle rigide, mais au contraire laisser riche de
possibilités.
La mise en évidence de la souffrance liée au travail se heurte à plusieurs difficultés. Toutes
nous semblent tourner autour de l’éclaircissement de l’éventuel rôle du travail dans
l’irruption d’une pathologie mentale.
Ce problème, l’un des plus difficiles à résoudre pour la psychiatrie, pourrait à lui seul
constituer le thème d’un colloque. Mais pour tout dire il n’y a pas de réponse définitive.

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Néanmoins il nous semble important d’appréhender les conséquences concrètes de
l’implication des situations de travail sur la prise en charge de la souffrance psychique qui
leur est liée. Nous avons aussi conscience qu’il s’agit là d’une grille de lecture qui nous est
personnelle, et que les mêmes éléments rencontrés dans notre clinique pourraient être
compris différemment par d’autres thérapeutes, ou savants.
De quoi s’agit-il ? Quel que soit le consultant, médecin du travail, médecin conseil,
thérapeute, celui-ci se trouve face à une personne qui souffre et qui impute tout ou partie de
sa souffrance à sa situation de travail. Il s’agit alors de savoir si le travail à certaines
conditions a pu se répercuter sur la santé mentale de cette personne. Et d’une manière
générale, si dans certaines conditions, le travail a une influence psychique sur les gens qui
travaillent, et laquelle.
La question est aussi importante d’un point de vue médico-légal. Peut-on imputer une
responsabilité pathogène à une situation de travail (le travail, facteur favorisant, précipitant
ou pathogène) ? Dans quelle mesure la clinique peut-elle différencier les signes ou les
syndromes issus de la situation de travail de ceux en rapport avec les failles habituelles de la
personne ? A notre avis, les psychiatres s’intéressant au travail n’ont jamais pu répondre de
manière convaincante à ces questions.
Il n’y a donc que des hypothèses qui permettent de cerner le problème et d’agir de manière
pratique. Mais ces hypothèses sont suffisamment heuristiques pour étayer des actions
efficaces.
Commençons par rapporter quelques mesures sociales du phénomène en question afin de
préciser l’importance des troubles psychiques en milieu de travail. Aussi allons-nous nous
tourner vers l’utilisation des outils statistiques et sociologiques.

1.2 L’IMPORTANCE QUANTITATIVE ET LA GRAVITE DES PATHOLOGIES


MENTALES OBSERVEES EN MILIEU DE TRAVAIL
Soulignons d’emblée que les études statistiques ne peuvent mesurer que la prévalence des
troubles psychiques en milieu de travail sans pouvoir discerner ceux en rapport avec le travail
ou sans rapport, ou ceux dont la causalité serait mixte.
Nous présentons les résultats de l’enquête SMPG, enquête menée entre 1999 et 2003 portant
sur 36000 personnes travaillant (hors arrêt de travail ou mise en invalidité) et qui commence
à porter ses fruits.
« Les troubles de l’humeur (épisodes dépressifs, dysthymie, épisodes maniaques) concernent
environ 11 % des hommes et 16 % des femmes ; les troubles anxieux (anxiété généralisée,
agoraphobie, phobie sociale, troubles paniques et stress post-traumatique) concernent 17 %
des hommes et 25 % des femmes ; enfin, des problèmes d’alcool (dépendance ou
consommation abusive) sont observés chez 7 % des hommes et 1,5 % des femmes, et des
problèmes de drogues chez 4 % des hommes et 1 % des femmes. La classe d’âge des 18-29 ans
présente systématiquement les prévalences les plus fortes. Quelle que soit la pathologie
étudiée, la prévalence diffère selon le statut d’emploi de manière systématique : les chômeurs
présentent la prévalence de troubles la plus élevée, avec souvent, chez les hommes, des
prévalences deux fois supérieures à celles des actifs occupés (troubles dépressifs et
consommation de toxiques). Les retraités présentent des prévalences inférieures à celles
observées dans l’ensemble de la population. »

Cette enquête n’a pas encore présenté les résultats concernant le risque suicidaire.

Ajoutons notre propre expérience. Nous pouvons témoigner de la gravité des pathologies
c’est-à-dire de la gravité d’une souffrance dans le cadre d’une pathologie donnée et de
l’importance quantitative des arrêts maladie, qui se mesure en mois.

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1.3 LA DISSOCIATION GESTION / TRAVAIL

D’autre part, d’après les méthodes statistiques, il existe des situations de travail qui
favorisent les souffrances psychiques. Ce qui signifie qu’il est possible qu’une situation
professionnelle puisse impliquer une souffrance. Au niveau épidémiologique et statistique, il
suffit de montrer que, toutes choses égales par ailleurs, il est possible de découvrir une plus
grande souffrance ou un type spécifique de pathologie avec une plus grande fréquence dans
un type de situation professionnelle.
De notre point de vue, nous ne pouvons pas discuter de la validité de telles recherches.
Néanmoins, les personnes qui viennent nous en disent quelque chose, dont nous pouvons
témoigner.
Les situations cliniques rencontrées tendent à montrer que la souffrance se situe dans le
décalage entre la gestion et le travail. Les études sociologiques et statistiques le considèrent
aussi comme une des sources de l’incompréhension et de la souffrance au travail.
Le travail n’est pas au centre des préoccupations des entreprises actuelles, ce qui compte c’est
la gestion. Il existe une dissociation entre la préoccupation gestionnaire centrale et l’absence
de préoccupation à l’égard de la manière dont le travail se réalise. Les formations de la
gestion sont d’ailleurs spécifiques, séparées de la formation des techniciens qui produisent le
travail. Et l’encadrement est issu des formations gestionnaires. Aussi les bilans tournent-ils
principalement sur les chiffres de la production, sur les résultats comptables, éventuellement
sur la qualité de la production et pas du tout sur la manière de réaliser le travail. Il faudrait
préciser que cette marginalisation du travail a pu apparaître comme un progrès face au
taylorisme qui au contraire prescrivait dans le détail chaque geste professionnel. Néanmoins
cette situation de prédominance gestionnaire est devenue dommageable et ne fait que
s’aggraver avec une course à la productivité, et des pathologies de surcharge physique et
psychique.

Deux remarques nous paraissent intéressantes à souligner, sans exclusivité.


Cliniquement, cette dissociation peut passer inaperçue aux yeux des gens qui travaillent eux-
mêmes, et qui parfois viennent nous voir en consultation. En effet, un tel décalage entre
gestion et travail passe par des consignes ou des prescriptions impossibles d’un supérieur
hiérarchique, ou par des relations méprisantes avec d’autres collègues. Les modalités de mise
à mal de la situation d’une personne au travail sont entre autres : l’isolement, le retrait de
certaines activités pouvant aller jusqu’à laisser la personne sans rien faire toute la journée de
travail, sans bureau, sans contact avec l’extérieur, sujette à des critiques permanentes, la fin
de toute possibilité d’initiative, tous ces points se renforçant les uns les autres (de manière
synergique). Nous soulignons que l’aspect relationnel est toujours présent, ce qui entraîne
une difficulté pour comprendre l’origine des conflits. Les prescripteurs sont-ils malades
(« fous ») ou pleins de haine à leur égard ? S’agit-il d’un jeu managérial, ou encore d’un
désaccord sur le travail ?
Aussi on en vient à multiplier les hypothèses. Souvent toutes les hypothèses ont été élaborées
et les actions en rapport ont été tentées. Ceux qui viennent nous voir ont vu leurs actions
mises en échec, ce qui participe de leur confusion et de leur paralysie, et rend compte de la
réactivation de peurs archaïques devant une telle impuissance sur la réalité.
L’autre remarque est davantage d’ordre politique et pratique. Pourquoi notre société a-t-elle
cessé de s’intéresser au « faire » du travail ? Pourquoi n’est-ce pas un enjeu social, ni même
collectif ? Nous laissons ainsi les personnes seules face à leurs activités, à leurs problèmes
concrets. Quand cela se passe bien, tant mieux. Mais vous comprendrez que lorsque cela se
passe mal la solitude tend à favoriser les risques suicidaires.

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Une des manières de prévenir les pathologies au travail, est de favoriser les discussions sur
les pratiques de travail dans chaque atelier, chaque bureau, chaque entreprise. Le travail,
cause nationale ?

1.4 L’IRREDUCTIBLE SUPREMATIE DE L’INDIVIDUEL

Face à un individu donné en état de décompensation, l’utilisation de données statistiques est


délicate. La situation, tout comme la pathologie, ne correspondent jamais aux descriptions de
ces études. Généralement, toutes les situations professionnelles rencontrées comprennent
plus de données que les éléments, nécessairement simplifiés pour les calculs statistiques, que
peuvent contenir les études épidémiologiques. Les pathologies sont aussi plus riches. Enfin,
aux difficultés professionnelles s’ajoutent des difficultés d’autres natures, notamment
personnelles, dont il est difficile de dire si elles sont cause ou conséquence de la souffrance
psychique.
Aussi ces données statistiques ne constituent-elles qu’un des éléments de savoir a priori à
prendre en compte parmi les éléments constitutifs d’une situation dramatique de travail.
Elles servent souvent à orienter une investigation ou à confirmer des corrélations cliniques
entre souffrance et travail.
Aussi le fait de savoir qu’une situation professionnelle peut induire une souffrance psychique
nous conforte et nous confirme dans l’idée qu’il y a une souffrance à soigner. Le dispositif de
soins est alors à inventer.
Avant de poursuivre, nous devons présenter une mise en garde qui est souvent opposée à
l’idée que certaines situations de travail puissent induire des pathologies mentales.
Le premier constat que notre expérience nous permet de faire chaque jour est que toutes les
pathologies mentales se rencontrent. Or l’existence de certaines pathologies très graves laisse
à penser qu’une faille préexistante est à l’origine de la souffrance psychique, voire de la
décompensation. En quelque sorte, cette idée reviendrait à considérer la souffrance
psychique d’une pathologie grave comme résultant de l’évolution spontanée de la maladie
mentale. Or, l’évolution spontanée d’une maladie retentit sur le milieu de travail, qui parfois,
bien que très malléable, n’en peut plus, ce qui peut à son tour, être à l’origine de rejet,
d’exclusion, de souffrance supplémentaire, et donc parfois de décompensation, voire d’une
aggravation de la maladie. C’est tout le champ de la réhabilitation psychosociale qui vise à
promouvoir le travail d’intégration sociale de certains malades mentaux graves.
En fait, les personnes souffrant de troubles psychiques, sont soumises aux aléas de la vie en
entreprise comme les autres, et lorsqu’elles décompensent, elles le font à leur manière, c’est-
à-dire en fonction de leur pathologie préexistante, de sorte que l’évolution de la maladie qui
peut apparaître comme le fruit d’une évolution naturelle ou intrinsèque, résulte en fait de
facteurs externes.
Le raisonnement est donc complexe et requiert un va-et-vient permanent entre causalité
intra-psychique et causalité externe (et dans ce cadre, causalité en lien avec la situation de
travail et autres types de causalités).
Néanmoins soulignons que, finalement, il est valable pour tout un chacun. Il semble en effet
que les formes de décompensation se fassent suivant des modalités à priori qui dépendent
davantage des failles intérieures que des causes de la décompensation. Cette espèce de loi
générale de la psychiatrie se comprend aisément. La conséquence en est que nous ne pouvons
pas découvrir les causes d’une maladie à partir de l’état de maladie, de sa description. La
maladie est irréductiblement individuelle.
La conclusion qui en est généralement tirée est qu’il n’existerait pas de trouble spécifique en
rapport avec des situations de travail.

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Cette sorte d’axiome est-il aussi absolu qu’il y paraît ? Certains détails font penser que des
études seraient nécessaires à son actualisation, afin qu’il ne se transforme pas en dogme. Par
exemple, on sait que le sentiment d’être persécuté ne suffit pas à faire la paranoïa. Il y faut
une tendance interprétative. Sans tendance interprétative, le sentiment de persécution
pourrait fort bien être réactionnel à un contexte donné. Autre signe potentiellement
spécifique, l’existence de cauchemars à répétition semble signer un traumatisme psychique.
Cependant aucun signe n’est absolu car un événement est traumatique pour une personne
donnée, et pas pour une autre. Aussi les psycho-traumatologues sont-ils très circonspects par
rapport aux traumatismes quotidiens, et considèrent qu’il n’y a traumatisme psychique que
lorsque la vie a été mise en danger comme en cas de guerre ou sur un lieu d’attentat, ce à quoi
la vie ordinaire nous confronte aussi. Cette définition n’est-elle pas trop restrictive ?
Après ces précisions, il me reste à vous expliciter l’existence d’un dispositif de soins et ses
prolongements possibles, qui sont le fruit de mon expérience. D’autres sont possibles.

1.5 LES SOINS AU SINGULIER : L’UTILITE D’UN RESEAU DE SOINS EN


INSTITUTION ET ENTRE INSTITUTIONS

Notre consultation a lieu à l’extérieur de l’entreprise, ce qui est propice à la confidentialité.


En contrepoint, une certaine méfiance vis-à-vis des dispositifs internes à l’entreprise est
fréquemment rapportée. Cela touche les dispositifs classiques telle les directions de ressource
humaine, la médecine du travail ou la représentation des salariés, ou des dispositifs
nouveaux, voire spécifiques comme les cellules d’écoute téléphonique. Ce qui ne signifie pas
que ces dispositifs sont inefficaces, inopérants ou inutiles. Cela signifie simplement que
lorsqu’il existe un conflit et un rapport de force au sein d’une situation de travail,
l’appréhension des acteurs de la situation est très variable, mais toujours marquée par une
certaine méfiance. Je rapporte cette méfiance (quitte à me contredire par la suite) car elle
compromet le recours à ces instances, parfois à juste titre, et là encore toute politique de
prévention se doit d’y être attentive.
Enfin, une telle méfiance réside dans la dimension répulsive de la maladie mentale pour
beaucoup, et la fuite fréquente qu’elle induit. Etre souffrant psychiquement constitue un
répulsif puissant par rapport aux autres et à soi-même.
Dire que l’on est malade est parfois impossible. Bien que la maladie mentale soit
actuellement mieux acceptée dans nos sociétés (le fait que les demandes de consultation en
psychiatrie soient en croissance exponentielle le montre assez, avec une banalisation de l’acte
psychothérapique), il reste une réticence et une peur que des campagnes de sensibilisation
peuvent encore amoindrir. Le fait d’être mieux reçu peut faciliter la parole.

En effet, certains de ces contacts sont indispensables, du double point de vue psychologique
et pratique. L’isolement au sein de l’entreprise est souvent accompagné de la sémiologie la
plus grave du point de vue clinique. D’un point de vue pratique, ces acteurs locaux sont
souvent nécessaires pour tenter de faire évoluer une situation de travail. Et, toujours d’un
point de vue clinique, l’évolution psychique des patients n’est pas la même quand ils ont pu
tenter quelque chose à l’aide d’acteurs de l’entreprise, ou quand l’isolement les a conduit dans
une situation impuissante d’impasse. Notre rôle consiste souvent à rappeler l’existence des
différents acteurs de terrain afin éventuellement que nos patients prennent ou reprennent
contact avec eux. La méfiance que j’ai évoquée nous conduit à souligner l’importance d’un
lieu neutre, sans lien avec l’entreprise, où la personne peut parler d’elle dans sa globalité car
elle sait par exemple que si elle craque, c’est aussi en rapport avec la maladie d’un parent ou
d’un enfant, ou d’une fragilité déjà ancienne sur lequel il faudra travailler, mais dont il lui est
impossible de parler au sein de son entreprise en raison du risque de disqualification.

La multiplicité et la complexité des situations que nous rencontrons en consultation est


impossible à retranscrire : une personne très malade peut être victime d’un harcèlement
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moral d’une rare brutalité et bénéficier de soins de la psychiatrie et de l’aide de la collectivité,
ou encore une personne quémande les avantages de la vie sociale pour ne plus travailler, ou
encore découvre une vie psychique à explorer du fait de sa souffrance secondaire à une cause
extérieure. L’ensemble des soins doit prendre en compte cette complexité, éviter les écueils,
et laisser ouverte les possibilités multiples qui constituent le traitement des situations de
détresse au travail.
De l’ensemble de ces écueils, il a été tiré un dispositif thérapeutique particulier, et une
différenciation entre dispositif thérapeutique et méthode thérapeutique.
Le dispositif thérapeutique est interinstitutionnel. L’ensemble de la réalité de la personne
doit être pris en compte, et aucune possibilité ne doit être fermée. La personne reste le sujet
responsable de ses choix.
Elle appréhende d’un côté, sa situation de travail, et de l’autre, sa souffrance psychique.
Appréhender sa situation de travail consiste à trouver des interlocuteurs avec qui analyser
cette situation afin éventuellement de la faire évoluer ou de tirer les conséquences de
l’impossibilité de faire changer les choses. Le médecin du travail est une personne clef, à la
condition qu’il soit sensibilisé à cette problématique. Il peut agir dans le milieu de travail, à
titre consultatif, et bénéficie aussi de certaines prérogatives. Il peut faire appel aux services
de pathologies professionnelles pour un conseil. D’autres partenaires, comme les syndicats,
peuvent aussi être interpelés par la personne elle-même. En règle générale, il est préférable
que la personne ne reste pas isolée. Les recours en justice peuvent être l’aboutissement d’un
tel parcours. En tout état de cause, c’est la situation elle-même qui est l’enjeu de l’action
individuelle et collective.

Dans le même temps, la personne doit pouvoir parler de sa souffrance à des tiers en dehors
de toute considération pratique eu égard à sa situation de travail.
Le dispositif de soins fait appel à toute la panoplie des méthodes thérapeutiques à notre
disposition. Il est difficile de savoir jusqu’où développer cette partie.
Arrêts maladie et médicaments sont souvent utiles en période aigüe.
Réfléchir autour de la situation de travail doit se faire collectivement. En relation duelle, cela
est pratiquement impossible, bien que certaines expériences pourraient montrer le contraire.
Cela peut se faire au sein de groupes de parole, mais il serait possible d’envisager d’autres
modalités (thérapies corporelles, jeux de rôles).
Enfin, les psychothérapies individuelles sont la partie complémentaire. A ce titre, la
psychanalyse n’est pas un élément superfétatoire. Donner du sens à des événements aussi
traumatisants qui mettent en question la vie sociale de la personne, son insertion mais aussi
son appréhension de la vie sociale, implique, souvent en un second temps, une analyse qui
met en jeu toutes les capacités subjectivantes de la personne. Des discussions techniques en
plein débat qu’il serait ici hors de propos d’exposer, ne permettent néanmoins pas d’énoncer
des préconisations définitives quant aux modalités des psychothérapies. Nous pouvons juste
énoncer quelques principes.

En règle générale, toute souffrance d’une certaine intensité implique une


intrication de causes qu’il faut démêler et le soin nécessite souvent d’aborder
l’ensemble de la vie psychique.
Cependant, du point de vue intime, accéder à sa vie psychique n’est rien moins qu’évident. Se
connaître soi-même est une maxime parfois très douloureuse. Aussi certains sont-ils tentés
de se fuir et d’accuser une situation de travail extérieure à ses enjeux intimes d’être à l’origine
de sa souffrance psychique. Et d’autant plus si cette cause peut être responsable de toute sa
souffrance psychique ! A ce propos, le statut actuel de victime constitue un statut enviable à
certains égards, ce qui n’est pas sans danger. Dans ce cas particulier, le danger principal est

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qu’enfermée dans un statut socialement reconnu, exempte de toute implication personnelle,
la victime ne s’éloigne de toute possibilité de transformation de sa vie psychique et de sa vie
relationnelle. L’évolution de la pathologie est en général assez désastreuse.
A contrario, certaines victimes se sont montrées ouvertes aux enjeux personnels de leur
propre vie psychique.

Remarquons qu’il existe le danger inverse d’une fuite éperdue de la réalité dans
l‘introspection supposée résoudre tous les problèmes de souffrance psychique, introspection
qu’il faut parfois infléchir en un premier temps pour que la réalité, parfois simplement
matérielle, soit de nouveau un objet d’attention et de souci. Il est un temps pour tout. Mais
les grandes souffrances éloignent parfois tellement de soi-même et des autres.

Nous avons parlé d’un dispositif de soins institutionnel. En effet, pour que ces deux
démarches pratiques et thérapeutiques, puissent se conjuguer en une action soignante, une
coordination est nécessaire. Les différents acteurs de terrain doivent se connaître et savoir
comment les autres agissent afin de favoriser, ou à tout le moins de ne pas perturber, le cours
des soins et savoir que les pratiques sont complémentaires.
Nous travaillons de manière privilégiée avec les services de pathologies professionnelles avec
qui nous organisons des rencontres trimestrielles autour de la clinique de chacun.

Enfin, concluons sur l’intérêt d’opérer ces soins dans une structure institutionnelle reconnue
socialement pour faire face à une souffrance qui remet en cause le statut social de l’individu,
sa place, son rôle, son respect et qui puise ses racines dans un imaginaire de guerre
économique.
Malheureusement l’existence de ces structures est loin d’être favorisée, en tout cas
actuellement.

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2 INTERVENTION DE JEAN-ANGE LALLICAN, PRESIDENT DE L’ASSOCIATION
NATIONALE DES DIRECTEURS DES RESSOURCES HUMAINES POUR LA
BRETAGNE :

Questions posées par le comité de pilotage :

 Comment prendre en compte le risque suicidaire dans les politiques de management


et de gestion du personnel ? Quelles sont les ressources internes ou externes
mobilisables par l’entreprise ?
 Qu’est-ce qui devrait être développé ou initié pour une meilleure prévention du
suicide des actifs ?

2.1 COMMENT PRENDRE EN COMPTE LE RISQUE SUICIDAIRE DANS LES


POLITIQUES DE MANAGEMENT ET DE GESTION DU PERSONNEL ?

Tout d’abord un préambule, même si je reprends pour partie certains éléments des
intervenants précédents.

Qu’est ce que le suicide en lien avec le travail ?

Le suicide est depuis les origines un thème classique de la sociologie Cependant on ne peut
pas toujours expliquer ce sujet par une seule discipline, il faut recourir à la psychologie et
aussi à la psychiatrie. Toutefois la sociologie a pu démontrer qu’il s’agissait d’un acte inscrit
dans un état donné de la société et des liens sociaux.

Le suicide est l’aboutissement d’un processus de délitement du tissu social qui structure le
monde du travail.

Tout ne se réduit pas à l’exécution d’une simple tâche, action froide et dotée d’une rationalité
excluant l’émotionnel. Les actions sont par nature peu isolées et donc nécessitent un travail
entre plusieurs personnes qui impose un vivre ensemble. Certains d’entre nous ont des
degrés d’intégration dans un groupe social ou dans un groupe de travail très différents et le
suicide varie en fonction de cet élément.

Le problème, dans nos structures, dans nos entreprises aujourd’hui, c’est que nous avons
réduit le lien social, on ne peut plus compter sur les autres, c’est l’individualisme qui prend le
pas sur le communautaire.

Jusqu’il y a peu, pour tout suicide on pourrait trouver des causes individuelles et personnelles
qui éclipseraient les autres causes purement organisationnelles, sociales, voire sociétales d’un
événement purement individuel. Aujourd’hui le mouvement actuel stigmatise l’entreprise,
elle devient le creuset de tous les maux. Nous savons tous que cette approche du suicide reste
complexe et répond à des causes croisées.

Cependant, il faut convenir que l’accélération des rythmes, l’excès qualité, les contrôles
multiples, la course à l’excellence, la réduction des coûts concentrent des éléments stressants
qui activent la bombe suicidaire.

Nous avons besoin de plus de régulation, de règles qui limitent ces excès énoncés
précédemment. Au constat que dans nos organisations actuelles, par renfort de mesures soi-
disant régulatrices et collectives, nous alimentons nos propres mines.

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Ceux sont les cadres et notamment les cadres de proximité qui sont les plus touchés avec les
enseignants, mais il ne faudrait pas oublier également les chômeurs pour d’autres raisons.
Les facteurs de dépression sont multiples, pression morale, stress…mais ce qui manque le
plus aux salariés d’une manière générale c’est de la reconnaissance et de l’écoute.

La solidarité entre collègues se réduit, la peur de perdre son travail conduit certains salariés
à accepter un niveau de pression qui atteint vite ses limites, si l’encadrement n’a pas la
vigilance de l’observation régulière. Force est de constater, qu’aujourd’hui, nos cadres sont
plus concentrés sur la réussite au scoring et se sont convertis au culte du résultat à tout prix.

Alors j’arrive à votre question, la première démarche que l’on doit engager le plus
rapidement, c’est un travail collectif de responsabilisation par une véritable délégation, qui
tienne compte des niveaux de réussite de chacun dans le résultat collectif.

A l’exemple du sport et notamment du rugby la force tient à l’équilibre du collectif et à la


solidarité dans la réussite, comme dans la défaite ou l’échec.

Autrement dit, prendre en compte le risque suicidaire dans l’entreprise, c’est veiller à ce que
chacun des membres d’une équipe et tout particulièrement les cadres se placent en vigilance
dans le collectif de travail.

Notre monde économique et du travail ressent les stigmates de l’individualisme et les


conséquences directes se matérialisent par la rupture d’une grande partie des liens sociaux.

Nous avons obligation de par le code du travail d’évaluer les risques professionnels physiques
et psychosociaux, avec une jurisprudence qui qualifie même l’obligation de résultat. Nous
savons qu’il est très difficile de déterminer la cause directe du suicide, car il peut résulter de
biens d’autres difficultés et souvent d’ordres individuel, familial et social.

Le plus grave aujourd’hui, c’est qu’un employeur peut être tenu responsable lorsqu’un salarié
tente de mettre fin à ses jours, même pendant un arrêt de maladie.

De manière générale les conditions de travail doivent être assurées par l’employeur à
l’ensemble des salariés et que l’attention à leur équilibre mental est un devoir incontournable
dont bien des responsables d’entreprise n’ont pas encore pris toute la mesure.

2.2 QUELLES SONT LES RESSOURCES INTERNES OU EXTERNES


MOBILISABLES PAR L’ENTREPRISE ?

En premier lieu, j’aurais envie de vous dire toutes les ressources humaines internes doivent
être mobilisables. Cependant nous savons bien que ceci est peu réaliste. Pour autant, il s’agit
de mieux communiquer sur la dangerosité du suicide tant en prévention qu’en situation
curative d’un événement.

Les ressources mobilisables sont plus particulièrement les services de santé au travail
(médecin du travail , infirmière et assistante sociale en entreprise) quand ceux-ci existent.
Cette réalité-là est celle des grandes entreprises, mais nous ne la retrouvons pas
nécessairement dans les plus petites où le risque n’est pas moindre.

Alors les ressources internes c’est d’abord le responsable, le cadre, l’encadrant de premier
niveau, ils doivent tous être formés pour savoir mieux se comporter face aux situations, aux
événements jugés à risques.

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Il est indispensable de redynamiser le lien social dans l’entreprise ; là il s’avère qu’il est
inversement proportionnel à l’effectif.

Quand malheureusement un acte suicidaire intervient dans l’entreprise, il est indispensable


de traiter cet événement comme un acte majeur, les conséquences sont lourdes, elles peuvent
parfois engendrer des effets d’incitation et de contagion pour d’autres salariés. Une prise en
charge psychologique des collègues d’une victime doit être organisée. Dans un premier
temps, il faut lâcher la pression par la parole et l’écoute, une forme de débriefing pour des
salariés volontaires peut éviter l’effet de contagion possible et surtout des cas de stress post-
traumatiques. Ceci doit être proposé très vite collectivement et individuellement et animé par
un spécialiste. La période de l’action ou des actions sera fonction des paramètres : taille de
l’entreprise et violence de la situation.

Tout ceci, malheureusement, ne règle pas tout et souvent l’effet bénéfique reste de court
terme. Aussi est-il important de réaliser un diagnostic approfondi par la suite, notamment
sur les niveaux de stress occasionnés par l’événement.

Il faut, comme le préconisent les préventeurs, remonter à la source ou aux sources, afin de
mieux identifier le risque et éviter sa récidive. En tout état de cause, un plan d’action visant à
améliorer les conditions de travail sera à entreprendre sous le couvert et en accord avec le
CHS-CT

2.3 QU’EST-CE QUI DEVRAIT ETRE DEVELOPPE OU INITIE POUR UNE


MEILLEURE PREVENTION DU SUICIDE DES ACTIFS ?

Face aux situations répétées que la presse a portées à la connaissance du plus grand nombre,
nous avons développé un effet amplificateur de peur et de confusion générale dangereuses.
La responsabilité de certains journalistes n’est pas neutre dans certaines récidives. Je tenais à
dire ceci car il faut se méfier de ce que l’on peut dire ou entreprendre suite à des drames
comme le suicide. Manifestement nous portons, tous, une responsabilité collective, certains à
des degrés plus ou moins importants

Notre premier angle d’attaque, si je puis dire, c’est de remettre du lien social dans les unités,
dans les services, dans les entreprises. Aujourd’hui, pour des raisons économiques, les places
ou les temps accordés aux rencontres entre salariés sont de plus en plus rognés. Ceci n’est
pas de la seule responsabilité de l’entreprise, l’individualisme concerne tous et chacun. Le
respect mutuel, l’écoute sont à réintroduire comme principes de base d’une vie collective et
donc faire partie, sinon du règlement intérieur, tout au moins de valeurs affichées et
communiquées à tous les salariés

Je pense, aussi, qu’il serait bon de développer des dispositifs d’écoute et de vigilance dans les
entreprises à l’identique de ceux réservés aux dispositifs de sécurité incendie, qui puissent
permettre aux salariés qui le souhaitent de confier à des intervenants internes dûment choisis
et formés les préoccupations professionnelles qui sont les leurs. Ce dispositif d’écoute
permettrait d’établir une vigie sur les risques susceptibles de conduire à un suicide. Il aurait
pour obligation d’entendre la personne et de servir d’alerte auprès des services de santé, en
accord et toujours en transparence avec le salarié concerné.

La plus grande action à mettre en place est de ré humaniser notre société et nos entreprises
et ceci ne demande pas nécessairement des investissements lourds.

Il éviterait parfois les erreurs difficilement traitables, qui par la suite coûtent très cher à
l’entreprise, comme à l’individu et ses proches et à la collectivité toute entière.

12
En préventif, il va de soi que des formations adaptées, mises en place pour les cadres de
repérage du stress en entreprise semble l’une des mesures les plus efficaces ; les cadres se
trouvent démunis et mal préparés à reconnaître et évaluer le stress de leur équipe.

Redonner du lien social, en obligeant l’ensemble des cadres à rencontrer le plus souvent
possible leurs collaborateurs, s’avère indispensable.

Cependant c’est de sens et de reconnaissance qu’ont besoin les salariés. Il s’agit de mettre en
place une délégation de responsabilité bien établie et qui évite des interprétations et peut
rassurer chacun. En fait, il s’agit d’établir une sorte de mapping des responsabilités et actions
individuelles pour répondre au mieux des attentes de service aux clients, qu’ils soient
internes ou externes. Cette démarche évite de laisser se matérialiser des contours trop
imprécis qui génèrent frustration, sentiment d’impuissance et stress dans la majorité des cas.
Certes, cette approche peut paraître peu spectaculaire, mais elle creuse en profondeur le
sillon d’une organisation collégialement établie et porte ses fruits de manière plus durable.
Elle offre plus d’autonomie dans un cadre construit et accepté par le collectif de l’équipe qui
est co-constructeur des réponses actions.

Cette démarche que j’ai baptisée « délegaction » est une expérience qui franchit le cap de sa
quatrième année d’expérimentation et d’étude et qui manifeste beaucoup de réussite
individuelle, comme collective.

Soyons modeste, ceci ne règle pas tout.

Selon Alain Cerclé enseignant chercheur, psychologue à Rennes2, les soutiens d’estime et
d’information sont donc particulièrement importants au travail. Il faut aussi favoriser
l’engagement (librement consenti) de la personne dans ses tâches et laisser un espace ouvert
de décision et d’initiative au sujet. Sachant que les procédures d’engagement ne sont efficaces
que si celles-ci sont connues des autres (donc responsabilisantes).

En tout état de cause, il ne faut pas négliger ce qui apporterait un mieux être au salarié, sans
démagogie et sans dépenses de solutions prestiges qui ne satisfont que sur le moment. Le
retour au quotidien s’en trouverait brutalement affecté d’une trop grande distance entre le
prétendu remède et les causes réelles qui génèrent du stress. Ceci peut servir de terreau ou de
nidification aux pensées les plus sombres et parfois aux intentions de suicide.

Pour autant, il ne faut pas, au prétexte que ceci ne relève pas systématiquement d’une
démarche scientifique, condamner des actions dites « humanisantes », qui se préoccupent
sincèrement du mieux-être ou du bien-être des salariés. Faire l’autruche et ne rien
entreprendre serait de toutes les façons néfaste. Une bonne réunion festive vaut bien mieux,
si elle est emprunte de sincérité, qu’une formation onéreuse à l’attention du seul
encadrement.

2.4 CONCLUSION

Il nous faut beaucoup de modestie sur ce sujet, on n’expliquera pas tout des motivations et
raisons qui mènent au suicide. On peut, seulement, faire le constat que certains individus,
ayant en commun un certain nombre de propriétés sociales, se trouvent, à un moment donné,
dans une position ou un contexte favorable au suicide ou la tentative de suicide. Pour une
personne absolument désespérée, le suicide peut sembler une échappatoire a priori facile.
Cependant, il ne représente pas la bonne solution, car il génère un véritable séisme derrière
lui

13
Si vous ou une personne que vous aimez, pensez au suicide, sachez qu’il existe de l’aide et si
vous n’avez pas tout de suite le soutien professionnel, demandez le très vite.

Le fait d’exprimer honnêtement et ouvertement vos pensées et vos émotions contribuera à


faire tomber les barrières associées au suicide. Aussi je pense qu’il est vital pour nos
entreprises de créer des dispositifs d’écoute interne qui permettront de désamorcer certaines
situations.

Je reprends une citation du professeur Charles-Henri AMHERDT de l’université de


Sherbrooke au Canada, les salariés veulent du FLOW (du bien-être), les entreprises veulent
de CASH (du résultat) .Construisons ensemble du CASH-FLOW

14
3 INTERVENTION DE LOUIS BARON, SYNDICALISTE, SPECIALISE DANS LES
QUESTIONS DE SANTE ET DE BIEN-ETRE AU TRAVAIL :

Questions posées par le comité de pilotage :

 Comment accompagner les entreprises pour leur permettre de réduire la charge


mentale pesant sur les salariés ? Quels dispositifs ou quelles actions mettre en place
dans un souci de prévention du suicide et de sa récidive ?
 Quels pourraient être les rôles des instances de représentation (CHST, délégués du
personnel) ? Quelles attentes à l’égard des tiers intervenants sur ces questions de
santé (infirmière d'entreprise, médecin du travail, …)
 Où en sont les entreprises sur ces questions ?

Bonjour, première chose que je vais vous dire, c’est qu’aujourd’hui, je viens simplement
apporter un témoignage en tant que syndicaliste ; je ne suis spécialiste de rien. Je suis
simplement chargé dans mon organisation syndicale, au niveau régional, d’apporter et
d’organiser le soutien aux équipes syndicales. Donc je ne suis effectivement pas un expert et
je viens aussi ici beaucoup pour apprendre...

Mais c’est vrai qu’on est, en tant qu’organisation syndicale, interrogés par l’émergence des
questions liées aux facteurs psycho-sociaux, au stress au travail, au harcèlement, voire au
suicide.

C’est vrai qu’elles prennent une place de plus en plus importante dans l’expression
quotidienne des salariés mais je voudrais quand même faire un préalable. C’est vrai que l’on
sent planer un peu sur les débats l’actualité récente que les médias ont mis en lumière ; ils
ont mis un éclairage particulier sur des cas de suicides mais je crois qu’il faut aussi (en tout
cas, c’est ce que nous, on souhaite) voir que la réalité du monde du travail n’est pas toute
noire ou toute blanche et c’est important qu’on l’ait à l’esprit. D’ailleurs, le rapport des
salariés ou du salarié au travail est complexe et souvent ambivalent parce qu’un certain
nombre d’enquêtes menées auprès des salariés et en particulier des enquêtes menées par
l’agence nationale pour l’amélioration du travail montre que, et heureusement, une majorité
de salariés se sentent bien dans leur travail. Je crois qu’il ne faut pas l’oublier au moment
d’aborder ces questions difficiles. C’est vrai que ça nous demande, ces questions là, de la
prudence et de l’humilité. Et ce sont aussi des phénomènes nouveaux face auxquels nous
sommes un peu démunis parce que les réponses restent à construire. En particulier, nous
nous interrogeons en tant qu’organisation syndicale parce que la question que l’on doit traiter
aujourd’hui, c’est comment redonner un cadre collectif, construire des dispositifs de
prévention adaptés en partant des expressions qui sont souvent des expressions
individuelles. C’est vrai que les questions du lien entre le travail et le suicide sont assez
complexes.

Quelle est la part du travail dans l’acte suicidaire, dans le passage à l’acte ?

Suicide sur le lieu de travail. Suicide – accident du travail là aussi parce qu’on a eu
récemment des suicides qui ont été reconnus comme accidents du travail. Là, une causei a été
établie de ce côté-là mais tous les suicides ne sont pas forcément des accidents du travail.
Donc c’est tout un travail qui est à faire.

Mais c’est vrai que l’émergence des risques psycho-sociaux interroge le fonctionnement de
l’entreprise dans son ensemble. Et je parle de l’entreprise mais je tiens aussi à ce qu’on
aborde l’ensemble des questions du salariat parce qu’il n’y a pas que les entreprises privées

15
qui sont concernées et Dieu sait si les organismes sociaux ou de la fonction publique sont
concernés de la même façon. D’ailleurs, en tant que syndicaliste, on va le voir, c’est souvent
plus difficile dans les fonctions publiques de savoir où on parle de tout cela. C’est un peu
aussi savoir de quoi on parle, du reste, parce que les lieux de dialogue, le dialogue social qui
est quand même pour nous une des clés et une des solutions qui seront à mettre en place,
dans la fonction publique, il reste à construire aujourd’hui.
Il est vrai que dans l’organisation des entreprises, le management par objectifs -par exemple,
la multiplication des normes, des démarches qualité, le développement aussi de la sous-
traitance- conduit un certain nombre des grandes entreprises à externaliser leurs risques et la
pression sur un tissu de PME sous traitantes. Et là, on a alors tendance à externaliser les
problèmes et à les masquer parce qu’ils sont plus difficiles à traiter dans les PME y compris
pour une organisation syndicale parce que les PME sont bien souvent dépourvues d’instances
représentatives du personnel et en particulier de CHSCT ; on sait que dans ces petites
entreprises l’implantation syndicale est la moins importante…

La pression du client qui augmente, les organisations de type « zéro stock » ou le « juste à
temps », l’individualisation des modes de rémunération aussi. C’est un ensemble de
dispositifs qui tendent au bout du compte à rompre la dimension collective du travail et
accentuer l’individualisation.
Alors l’objet est de comprendre ce qui se passe pour trouver des solutions, c’est ce qu’on
essaie de faire et je vais vous donner deux exemples. Je vais essayer de ne pas être long, mais
je vais vous donner ces deux exemples, pour essayer d'aller un peu au-delà des généralités,
qui sont issus de notre réalité bretonne…

Il y en a un qui montre que pour connaître le problème, il faut d’abord se mettre d’accord sur
le problème et l’identifier. Le premier exemple prend en compte un secteur important dans
notre tissu économique en Bretagne, qui est souvent mis en avant dans la question des
conditions de travail difficiles, c’est le secteur de l’agro-alimentaire en Bretagne.

Je vais l’évoquer par rapport à ces questions de risques psycho-sociaux, voire au bout du
compte à l’extrême la question du suicide qui pourrait se poser et pour lequel nous pensons
qu’il faut avoir un système d’alerte particulier. C’est vraiment un secteur à prendre en compte
parce qu’on a les résultats d’une enquête menée très récemment dans les industries de la
viande, une enquête qui a été menée par la MSA de Bretagne, avec des conseillers en
prévention, des experts scientifiques et qui a quand même concerné 3000 salariés qui ont
répondu. 6000 ont été contactés et 3000 ont répondu. Mille entretiens approfondis ont été
réalisés, donc ça donne quand même une somme de connaissances qui est importante.

Alors, on n’a pas appris grand-chose, je vais vous le dire tout de suite, sur ce qu’on savait des
conditions de travail difficiles, sur les horaires décalés, le bruit, le froid et l’humidité, ça on
savait.
Mais ce qui a été pour nous beaucoup plus important et qui demande à être pris en compte,
c’est ce que cette enquête a révélé comme mal-être d’une grande partie des salariés de ce
secteur là et qui va bien au-delà des risques physiques, comme on les identifie souvent. Et les
expressions, c’est vrai sont assez fortes. Elles nous interrogent et elles nous inquiètent aussi
parce que ces expressions tournent très majoritairement autour des mauvaises relations de
travail, qui sont évoquées, des salariés qui sont constamment tendus pour rien, un climat
d’agressivité qui se développe et d’agressivité y compris entre les salariés eux-mêmes parce
qu’ils n’ont pas la possibilité de prendre des initiatives, le sentiment de subir l’urgence et de
vivre aussi de façon très négative la polyvalence. C’est une polyvalence qui est utilisée
simplement entre guillemets pour boucher les trous, mais sans reconnaissance et sans
accompagnement. Le manque de considération et de reconnaissance du travail, en particulier
pour les intérimaires et Dieu sait si c’est important parce que, dans ce secteur là comme dans
beaucoup de secteurs, c’est un mode de fonctionnement de l’entreprise… Peu ou pas
d’accueil, dans l’entreprise et le sentiment de ne pas être écouté, de ne pas être entendu, tout

16
cela se traduit par une perte d’estime de soi et un repli, un repli sur soi, ce que les salariés
eux-mêmes appellent un blindage.

On se blinde et même le collègue devient un concurrent alors c’est clair qu’il ne s’agit pas de
noircir, moi je suis très clair sur cette façon d’aborder les choses, mais il s’agit aussi de
regarder les choses en face et là, on a un secteur sur lequel on peut aller demain. Le repli sur
soi, effectivement, au niveau de nos organisations syndicales, ça nous pose une question
parce que donner l’envie de faire du collectif à des gens qui sont dans un processus de repli
sur soi, c’est quelque chose d’extrêmement compliqué et on peut même estimer qu'on se met
dans un phénomène de cocotte minute qui peut, selon nous, exploser à tout moment .
L’actualité récente a évoqué des cas de suicide qui n’étaient pas en Bretagne. Imaginons que
demain, on ait un suicide sur le lieu de travail, dans une de ces grandes entreprises.

On voit ce que ça pourrait déclencher et pour nous, l’objectif, c’est qu’on n’y arrive pas…
Mais c’est vrai qu’on sent aussi que cette enquête là, il faut que tout le monde se l’approprie et
en particulier les employeurs et l’on sent que c’est difficile. On sent que c’est difficile,
d'aborder ces questions là avec les représentants des salariés, en particulier au niveau des
CHSCT, on est encore pour une partie des entreprises plutôt dans une phase de déni du
problème et il faut dire que les questions de stress sont liées à bien autre chose que le travail.
Mais le déni, il peut être compréhensible parce qu’aujourd’hui, les solutions, elles n’existent
pas… Mais ce n’est pas en niant les problèmes qu’on les traite et je pense qu’aujourd’hui, il y a
urgence sur un secteur comme celui-là à avoir des dispositifs d’alerte et de veille.

Le deuxième exemple est une autre expérience menée dans le Morbihan depuis quelques
temps…

C’est parti de médecins du travail, qui ont tiré la sonnette d’alarme ; voici trois ans, parce
qu’ils diagnostiquaient souvent un mal-être des salariés, mais ne trouvaient pas d’écho de la
part des directions et qu’ils risquaient d’entretenir des problèmes non réglés qui se
traduisaient souvent par des licenciements. Les licenciements pour inaptitude, c’est bien
souvent la porte de sortie et alors, ce sentiment de frustration, il a été évoqué aussi par les
partenaires sociaux sans que personne ne sache vraiment quelle réponse apporter. Mais c’est
quand même de ces échanges là qu’a émergé l’idée de mettre en place une cellule d’écoute et
de médiation pour la souffrance au travail.

Elle s’est donc mise en place avec la médecine du travail et les partenaires sociaux ; il
s’agissait bien de dire que la médecine du travail ne pouvait traiter seule tout cela et l’idée
était aussi de proposer une solution, qui ne soit pas un traitement sous l’angle juridique. On
n’était pas dans cette approche de victime à défendre et de coupable à condamner mais bien
dans celle d’une cellule d’écoute et de médiation. La première phase d’expérimentation a
débuté en janvier 2005 pour deux ans, sans faire aucune publicité ni prosélytisme. C’est sans
aucune publicité, c’est simplement dans les entreprises concernées que ça remonte à la fois
par les employeurs, par les représentants des salariés et par les organisations syndicales. Tout
salarié qui faisait état d’une souffrance en milieu professionnel, y compris avec des effets
pathologiques et des arrêts de travail, pouvait s’adresser à cette cellule là. Tous les temps
d’écoute et de médiation mis en place ont montré que la souffrance au travail ne découlait pas
d’une cause prédéterminée comme le stress, l’autoritarisme, l’organisation au travail, voire
quelquefois aussi d’une incompatibilité entre collègues de travail. C’est tout un éventail de
raisons qui peut y conduire mais on ne les traite pas… Le mal-être de certaines personnes
peut rapidement se transformer en sentiment de persécution et de harcèlement et il est bien
difficile quelquefois de démêler le vrai du faux, comme le disait un médecin du travail.

Une fois le diagnostic établi, il faut élaborer les besoins de médiation, que ce soit dans le
secteur public ou dans le secteur privé.

17
La réalité de cette expérience là montre bien que la médiation se fait généralement plus
facilement dans le privé parce qu’on sait à qui s’adresser et que l’on connaît l’employeur, le
représentant. Dans le public, c’est bien plus difficile.

Au début de 2007, un bilan de cette expérience a été fait et c’est quand même 175 saisines de
la cellule qui ont été effectuées en deux ans sans aucune publicité extérieure et 110 cas ont été
résolus par le biais de la médiation. Alors, pour avoir échangé avec les camarades qui y
participent, est-ce qu’il y avait à l’intérieur de ces cas là, des tendances suicidaires, c’est très
difficile à identifier en tant que tels surtout que ce n’est pas une écoute de spécialistes. Mais
en attendant, il y a quand même un dispositif et je pense que c’est quand même un vrai
échange à avoir parce que entre le fait que c’est une cellule hors entreprise, dans un premier
temps, le fait que ça se passe hors entreprise permet aussi de sortir de certaines tensions et ce
même si on doit y revenir après.

Cette expérience là, elle a quand même donné quelques idées puisque France Télécom par
exemple a demandé à participer à ces réunions pour s’en inspirer et pour voir parce que c’est
une entreprise fortement concernée par ce type de problème. Et cette expérience est
intéressante, elle pourrait peut être se voir attribuer le prix santé entreprise du top européen
de la santé, ce qui veut dire que c’est une initiative qui a été repérée ailleurs et que nous
devrions sans doute reprendre et analyser.

La généraliser telle quelle, non. Il est toujours dangereux de généraliser mais essayons au
moins de nous en inspirer et je m’adresse directement au Président du Conseil Général qui
est là : voilà une expérience qui a été effectuée dans un de nos départements et il y a
certainement des enseignements et des suites à en tirer…

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4 QUESTIONS COMPLEMENTAIRES POSEES AUX EXPERTS PAR LE JURY :

Le travail a longtemps joué un rôle de protection et d’insertion. C’est aujourd’hui,


semble-t-il, moins le cas du fait de l’individualisation, de la mise en concurrence des
salariés entre eux et de la baisse de solidarité qui en découle. Vous l’avez évoqué et en
particulier Louis Baron, tout de suite. Ce phénomène n’échappe pas au secteur agricole,
en pleine restructuration, qui affronte des crises sectorielles où les conséquences
humaines frappent des populations en pleine activité, et parfois des gens très jeunes, où
la concurrence, là aussi, semble l’emporter sur la notion de solidarité.

Ce premier constat nous pousse à vous poser une première question :

• Comment faire pour que le travail ne perde pas cette dimension intégratrice,
socialisante et protectrice ? Que peut-on attendre des syndicats et des organisations
professionnelles en la matière ? Que peut-on également attendre des entreprises et
des salariés qui soit réellement envisageable et qui tienne compte du contexte
économique ?

Ces questions en introduisent d’autres. On ne peut que constater la difficulté des salariés
et des entreprises à intervenir auprès des salariés présentant des signes de mal-être.
Cette difficulté tient en grande partie à la difficulté à s’immiscer dans la vie privée d’un
salarié ou à aborder des sujets d’ordre intime avec lui. Ce point a également été vu sous
le premier thème.

• Nous souhaiterions également savoir dans quelle mesure cette difficulté à s’immiscer
dans la vie privée constitue un obstacle à la prévention du suicide en entreprise ? et si
tel est le cas, savoir quelle pourrait être la manière de contourner cet obstacle ?
Faut-il courir le risque de l’ingérence ?

La dernière question que nous souhaiterions vous poser interroge plus spécifiquement le
secteur public, également vous l’avez évoqué tout à l’heure.

Il nous semble qu’il est plus difficile de reconnaître et de valoriser le travail en secteur
public. Or cette reconnaissance du travail effectué nous semble constituer un facteur de
bien-être et donc de protection des salariés. Il nous semble que cette reconnaissance et
cette valorisation soient particulièrement complexe en secteur public dans le sens où le
public ne dispose pas de leviers suffisants en termes financiers (primes, augmentation),
de carrières (promotions…), de responsabilisation et d’autonomie des personnels dans la
prise de décision. La question est donc la suivante : la Gestion des Ressources Humaines
en secteur public induit-elle ou non un risque de sursuicidité et si tel est le cas, quelle
pourrait être la manière de le réduire ou de le prendre en compte ?

4.1 REPONSE DE MONSIEUR LALLICAN

Vos questions sont très intéressantes et très pertinentes. Je ne répondrai pas à toutes les
questions, parce que je pense que nous sommes trois à pouvoir essayer d’y répondre.
Je vais reprendre curieusement plutôt la dernière. Vous parlez de secteur public, vous parlez
de reconnaissance et vous dîtes : « le secteur public ne dispose pas d’outils ». Je résume assez
bien ce que vous avez dit ?

Je voudrais dire que ce n’est pas tout à fait vrai. Je suis dans une structure qui est entre le
public et le privé mais qui sert un secteur public. Je me bats là dessus depuis de nombreuses

19
années, pour essayer de dire que nous pouvons aujourd’hui instrumentaliser en secteur
public comme en secteur individuel. D’ailleurs, la plupart des gens, quand je l’expose et
quand j’ai l’occasion de le faire puisque j’ai aussi une activité d’enseignant, me disent
souvent : « mais, de quelle entreprise privée êtes vous ? ». Et quand je leur dit de quelle
entreprise je viens, ils disent : « attendez, c’est pas possible. On n’entend pas ce langage là. ».
Pourtant il existe des choses. Le secteur public a pour définition de rester muet. Pour pas mal
d’initiatives, on a vu tout à l’heure que c’est vrai, il ne faut peut-être pas nécessairement faire
toujours de la publicité de ce qu’on peut faire. Mais, de temps en temps, il faut dire que l’on
peut adapter, prendre du secteur privé certaines choses que l’on peut mettre dans le secteur
public.

Il existe dans le secteur public aujourd’hui une reconnaissance qui se fait à l’ancienneté bien
plus souvent qu’à la compétence. La notion de compétence est à développer de plus en plus
dans le secteur public. C’est à dire qu’il manque de référentiels, il manque d’outils de cet
ordre là, pour qu’on puisse savoir aujourd’hui quels sont les individus qui ont des aptitudes
que l’on peut reconnaître dûment et auprès de qui bien entendu on peut donner une valeur
salariale ou en points de compétence, comme on veut, de façon à ce qu’il soit bien indiqué à
un moment que ces personnes là, on les reconnaît pour le travail qu’ils ont exécuté. Donc,
oui, c’est possible. Rien n’est impossible. On s’aperçoit que les systèmes publics aujourd’hui
ont, je dirais, des systèmes d’avancement qui très souvent n’ont rien à voir avec la
compétence. Il faudrait peut-être que de temps en temps, on remette un peu plus de justesse
aux propos.

4.2 REPONSE DE MONSIEUR BARON

En ce qui concerne la vie privée, je ne pense pas que ce soit du ressort des organisations
syndicales d’aller sur ce terrain là. Je pense par contre, effectivement, que dans l’ensemble
des partenaires qui sont dans l’entreprise, le médecin du travail a un rôle particulier à jouer
d’écoute parce qu’il a un statut particulier.
Moi, je pense plus qu’en tant qu’organisation syndicale, ce à quoi on doit travailler, c’est faire
notre boulot d’écoute des salariés sous l’aspect professionnel. C’est vrai qu’il y a une action
qui est lancée par mon organisation, la CFDT, un travail de formation, d’animateur santé et
en particulier de tout ce qui touche à l’écoute des salariés. On a un projet qui vient d’être
mené, il faut qu’on retourne au contact des salariés, il faut qu’on les écoute. Et y aller, à
chaque fois en n’apportant pas des réponses avant d’avoir entendu les questions. Sur le
contenu de son travail, c’est au salarié de parler, c’est au salarié d’exprimer tout ce qui touche
à son travail. Je pense que si, nous, on arrive à faire ce travail là, la vie privée ce n’est pas
notre terrain.

La question à laquelle je voulais aussi répondre est : « qu’est-ce que les syndicats peuvent
faire ? ». J’avais envie de dire : seuls pas grand chose. Mais on peut quand même agir : tout
ce qui est le fonctionnement des CHSCT, l’écoute des salariés, le contact. Cette écoute là, elle
est importante. Mais, pour avancer, il faudra avancer à deux. Et le dialogue social, c’est un
mot qu’on emploie beaucoup, c’est là dessus aussi qu’il peut se nouer, qu’il peut être efficace.
On peut faire des propositions d’évolutions, on peut interroger, mais souvent, on voit bien
que tout ce qui tourne autour du stress et des risques psycho-sociaux, tout de suite on
interroge l’organisation du travail. Et l’organisation du travail, les salariés ou leurs
représentants tout seuls, ils n’en sont pas les maîtres. Par contre, il faut aussi que les
employeurs acceptent qu’on aborde ces questions là parce que souvent on voit bien que tant
qu’on parle de sécurité et d’hygiène ça peut aller mais dès qu’on parle conditions de travail (le
fameux CT qui a été ajouté au CHS et qui est fondamental) c’est beaucoup plus compliqué
parce que le conflit de pouvoir arrive tout de suite. On est sur un terrain qui n’est
normalement pas le nôtre alors que pourtant c’est autour de là qu’il faut qu’on trouve des

20
solutions. Il y a des outils paritaires qui peuvent exister : par exemple, on a l’ANACT1 et on a
en Bretagne l’Agence Régionale d’Amélioration des Conditions de Travail, et c’est assez
intéressant parce que le travail qui est fait dans une instance paritaire permet d’échanger. Ça
a permis, par exemple, en juin dernier, à l’ARACT2 de produire, de valider, employeurs et
organisations syndicales, une plaquette sur la prévention du stress. Mais une plaquette qui
n’est pas uniquement théorique, elle est nourrie d’exemples d’actions conduites dans des
entreprises bretonnes, c’est aussi quand on parle de la réalité qu’on fait avancer les choses. Je
pense que c’est ça qui nourrit le dialogue social sans doute plus largement parce que, pour la
première fois, par le biais de la négociation nationale autour de la pénibilité (dont on pourrait
parler longtemps mais c’est pas le lieu ici), négociation qui est si difficile, il a été décidé avec
le patronat d’ouvrir une négociation sur le stress justement, sur la transposition d’un accord
européen qui restait lettre morte depuis un moment.
Donc, c’est un ensemble de choses qui peuvent nous permettre d’avancer.

4.3 REPONSE DU DOCTEUR TORRENTE

Sur ces questions, je voudrais intervenir pour préciser deux choses.

Effectivement, je pense que le remède peut être pire que le mal, l’intime doit rester hors
travail. Et je ne pense pas que ce soit intéressant pour les salariés – quand je dis salariés, ça
peut être aussi les personnes libérales ou autre – de se raconter comme ça. On choisit les
gens à qui on veut se raconter. Ca a toujours existé, ça existera toujours. Une espèce
d’intimité obligatoire, comme il y a eu une espèce de motivation obligatoire au travail, est à
mon avis plus dangereuse qu’autre chose.

C’est effectivement très intéressant cette histoire de médiation hors entreprise. Je n’ai peut-
être pas suffisamment souligné que la « consultation souffrance au travail » dont j’ai parlé
s’inscrit dans un système, un dispositif, c’est à dire qu’il y a à la fois ces consultations où les
gens viennent parler de façon intime, mais dans le même temps nous avons des relations de
façon quasi institutionnelles ou inter institutionnelles avec des réseaux de médecins
inspecteurs du travail, pour que justement le travail, au sein des entreprises se passe dans
différents lieux et ne se mélange pas. Premièrement, pour appuyer ce point là, je dirais que
dans le travail, je vais caricaturer, on n’a pas tellement besoin d’humaniser davantage, on n’a
pas seulement besoin d’avoir des camarades. Je pense que la relation humaine se fait de
façon relativement spontanée. Ce qui me semble manquer à l’heure actuelle, c’est plus
exactement de parler du travail. Les dispositifs qui consistent à prévenir le suicide - ces
dispositifs en termes justement de presque d’après coup, se demandant qu’est-ce que c’est le
stress, essayant de tenter d’évaluer les facteurs de stress psycho-sociaux- ont effectivement
leur utilité. Mais on ne parle jamais du comment peut-on faire pour reparler du travail et de
l’organisation du travail. Et ça c’est quelque chose qui, à mon avis, est une espèce
d’impossibilité mais qui existe depuis toujours, depuis des dizaines d’années, c’est que tant
qu’on ne pourra pas le faire, les différents dispositifs resteront insuffisants.

1 ANACT : Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail


2 ARACT : Association Régionale pour l’Amélioration des Conditions de Travail

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5 QUESTIONS COMPLEMENTAIRES POSEES PAR LES PARTICIPANTS AUX
EXPERTS :

Patricia SOUSSEM, je suis directrice de l’ARACT Bretagne, qui est l’association


paritaire dont parlait Monsieur Baron tout à l’heure.

Cette question s’adresse en particulier au Docteur Torrente qui interpellait à la fois


l’auditoire et la structure en charge de l’organisation de cette conférence de consensus
sur l’impossibilité de poser les questions sur l’organisation du travail. Il me semble moi,
au contraire, que si il y a bien un lieu où cette question peut être abordée, c’est celui du
Comité d’Hygiène et de Sécurité et des Conditions du Travail, sous réserve bien sûr qu’on
donne les moyens d’instructions , c’est à dire d’intelligibilité des questions sociales et de
travail et de pouvoir les objectiver pour pouvoir mieux les traiter. Et, les objectiver pour
pouvoir les traiter, c’est par exemple pouvoir analyser de façon stratégique et opportune
les indicateurs sociaux et les indicateurs RH.

On ne sait rien faire si on ne pose pas d’emblée la réalité de la situation sanitaire et


sociale dans laquelle se trouve l’entreprise. Le fait qu’on puisse se trouver face à des
rotations dans l’emploi parce que justement les salariés ne tiennent pas ou qu’on soit
avec des indicateurs d’absentéisme maladie particulièrement récurrents – je parle des
arrêts courte durée et dont la fréquence s’intensifie –, tout ça sont des phénomènes qui
invitent les partenaires sociaux, dans le cadre de cette instance, à se poser la question de
savoir pourquoi ces signes avant-coureurs sont là ?

Et s’interroger sur « pourquoi ces signes sont là » est plus important que de rechercher
des propositions festives ou d’organisation de rencontres. Il faudrait essayer de croiser
les liens entre questions de production, conditions de production, conditions de
réalisation du travail et conditions d’évaluation de la qualité du travail produit. Voilà. Ce
n’était pas une question mais c’était une remarque pour laquelle il me semble utile et
nécessaire de rappeler qu’il y a des opérateurs techniques, en charge d’une assistance
technique auprès des partenaires sociaux dans l’entreprise mais que bien évidemment la
conduite des actions à mener pour transformer la réalité revient de plein droit aux
partenaires sociaux de l’entreprise.

REPONSE DU DOCTEUR TORRENTE

D’abord on va prendre le cas où les CHSCT marchent bien, donc on ne parlera pas des autres.
Au niveau des CHSCT, c’est une instance officielle. Effectivement, ils ont besoin d’indicateurs
spécialisés pour pouvoir intervenir, officiellement, notamment auprès des directions. Ils ont
un poids, ils ont un pouvoir, et ils peuvent difficilement le faire sur des impressions ou sur
des choses comme ça. C’est un point important mais c’est en même temps une limite. Ce que
je voulais souligner, c’est que bien sûr, à partir du moment où existent des instances
officielles, il est important de s’en servir : L’ANACT, l’ARACT, font effectivement partie de ces
instances d’aide à ces instances officielles – mais au niveau du travail même, il y a une espèce
de disjonction entre la gestion et le travail. De fait on provoque sans arrêt une espèce de mise
sous couverture de l’activité qui ensuite a tout le mal du monde à ressortir à travers les
instances officielles. Je pense que c’est important de voir comment le système pousse dans un
certain sens même si il existe un certain nombre d’instances et de mécanismes qui jouent leur
rôle et qui font qu’au niveau des entreprises, ce n’est effectivement pas un enfer.

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REPONSE DE MONSIEUR BARON

Peut-être plus un complément parce qu’on évoque le CHSCT. C’est vrai que face à
l’émergence, à la montée de ces phénomènes de risques psycho-sociaux, je pense qu’il y a
peut-être des pistes intéressantes qui ont été évoquées à la dernière Conférence sur les
Conditions de Travail : la mise en place – sous réserve que ça se concrétise – d’un droit
d’alerte des CHSCT sur 2 thèmes :

- les TMS (troubles musculo-squelettiques)


- et le stress.

Ca donne des outils et ça invite le CHSCT à se saisir de façon identifiée de ces questions là.

Gildas DREAN, Conseiller Régional, mais ce n’est pas à ce titre là que je vais
intervenir, et membre du comité de pilotage. J’interviens au titre de secrétaire de CHSCT
et c’est pour une expérience qui est également dans le Morbihan, je m’excuse mais c’est le
Morbihan qui est un petit peu innovateur. Dans l’entreprise où je suis, on est en train de
mettre en place une préconisation pour actions, on est en train de réfléchir avec le
CHSCT, vu le nombre d’arrêts de travail de longue durée de certaines personnes et la
difficulté pour revenir dans l’entreprise – j’ai bien entendu tout à l’heure : ne plus être
utile, ne plus appartenir, l’enkystement psychique – on est en train de mettre en place, à
titre expérimental, une charte pour le retour au travail après un an d’arrêt de travail. Et
cette charte intégrerait l’accompagnement, le tutorat, la formation, la rencontre
obligatoire avec le médecin du travail santé, la rencontre avec l’encadrement, l’assistante
sociale, et c’est tout un groupe qui pourrait remettre en action les personnes qui ont été
éloignées du travail pour différentes raisons. Et je crois que c’est une piste d’actions qui
devrait être à reprendre.

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Deuxième partie : Préconisations du jury

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Le jury a souhaité resitué la question du suicide au travail dans le contexte plus général du
suicide des adultes. Les chiffres de l’ORS montrent en effet que ce sont dans les tranches
d’âge 25 55 ans que les taux suicides sont les plus élevés. Le suicide au travail est une
modalité du suicide des adultes.

Face à la question du suicide au travail ou du travail comme cause de suicide, le jury a


souhaité rappelé que la prise en compte de ces drames ne devait pas occulter que, pour une
majorité de salariés, le travail n’est pas qu’une nécessité économique mais un moyen de
reconnaissance sociale, de construction identitaire et de socialisation.

Pour le jury, un aspect du sujet est la baisse de la fonction protectrice du travail. Il ne s’agit
donc pas de dénoncer de façon globale les entreprises mais de comprendre ce qui s’y joue et
comment peut se dénouer, dans les établissements, le lien individu-collectif de travail.
Plusieurs membres du jury ont souligné que les évolutions des modes de production, le
recours à l’intérim, le recours à la sous traitance, la mise en compétition des salariés, les
exigences de qualité, de productivité, de délais sont des facteurs de risques et cela d’autant
plus que les exigences managériales se développent dans des contextes de sous
syndicalisation et, pour une large part, dans des entreprises sans CHSCT et parfois avec une
médecine du travail relativement absente.

1. LES AXES DE RECHERCHE

Le jury entend bien la complexité du phénomène et la prudence nécessaire quand il s’agit


d’établir des causalités et d’expliquer un geste qui gardera toujours sa part d’indicible, mais
pense cependant que les connaissances manquent et que des programmes de recherche
doivent se développer. Quatre axes d’étude complémentaire ont été évoqués, les métiers à
risque, les situations de crise au travail, le stress et sa mesure et les situations personnelles
d’exclusion du travail.

 Le jury a pris conscience que certains métiers sont plus à risques que d’autres, soit du
fait de leur isolement, soit du fait de la proximité à des moyens létaux, soit du fait de
leur métier au contact de la mort ou de la souffrance des autres. Il est donc important,
dans une logique de prévention, de mieux connaître les risques propres à des métiers
pour réfléchir aux dispositifs les plus efficaces.
 Concernant la crise suicidaire en entreprise, il s’agirait d’analyser de façon précise et
monographique les contextes de travail dans lesquels se produisent des suicides ou
des tentatives de suicides et d’articuler ces analyses aux contextes privés des salariés
et à leur biographie.
 Le troisième axe porte sur l’actualité des questions de stress au travail, sur
l’instruction de cette notion et sur les méthodes d’observation qui permettraient de
développer une veille efficace en matière de climat d’entreprise et de mieux analyser
les conditions de production du stress.
 Le dernier axe de recherche concerne le mal être des personnes en difficultés. Le jury
pense en particulier aux professionnels ou particuliers surendettés, aux personnes
victimes de licenciement3, aux chômeurs de longue durée.

3 Concernant le chômage, selon l’INED, on ne peut établir aucun lien de cause à effet. D'autres études laissent

entendre que lorsque le chômage augmente, le taux de suicide augmente. Par ailleurs, certaines victimes de
licenciement, plus attachées parfois à leurs collègues de travail qu'à leur famille, réagissent très fortement:
détresse psychique, violence, acte de vandalisme, incendie provoqué, séquestration, crise suicidaire.

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La première recommandation du jury porte donc sur une meilleure connaissance des facteurs
de risque et des enchaînements dramatiques entraînant TS et suicides et sur le repérage des
facteurs pathogènes, qu’il s’agisse du travail, des relations de travail, des modes de
management ou de parcours de descension professionnelle.

2. L’EXTERNALISATION DU SOUTIEN PSYCHOLOGIQUE

Le jury a été attentif à l’exposé du docteur Torrente rappelant qu’il ne suffit pas qu’une
personne impute sa souffrance à une situation de travail pour que cette situation soit
pathogène d’une part et que d’autre part il est difficile, dans une situation de crise de faire la
part de la responsabilité de la situation de travail, de la situation privée et des failles
psychologiques préexistantes. Aux difficultés professionnelles s’ajoutent des difficultés
personnelles et il est difficile de dire si elles sont causes ou conséquences. La complexité des
motivations suicidaires et les liens indissociables entre biographie privée et biographie
professionnelle, entre intimité et travail limitent de fait l’efficacité de l’écoute en entreprise.
L’entreprise n’est en effet ni le lieu du récit de l’intimité ni celui de l’aveu des failles
psychologiques ou de leur mise en spectacle. C’est pourquoi le jury pense que la mise en place
de consultations externes spécialisées en psychopathologie du travail devrait se généraliser
en Bretagne. Il ne s’agit pas de nier l’intérêt de certains dispositifs d’écoute interne mais
l’externalité est une garantie de confidentialité et permet une écoute sortie des normes de
l’entreprise. Ceci est d’autant plus important qu’il faut aussi considérer la nature et les effets
des réactions de l’entreprise et du milieu de travail à la pathologie d’un salarié, laquelle peut
être vécue comme angoissante, désorganisatrice et obstacle aux tâches à réaliser. L’entreprise
peut alors réagir violemment à ce qui la menace, ce qui disqualifie la parole du salarié
souffrant. La prise en charge extérieure est une condition de l’écoute et de la compréhension
de ce qui se joue entre le salarié et son entreprise.
Par ailleurs le soutien aux travailleurs indépendants, aux agriculteurs, aux artisans, aux TPE
est aujourd’hui insuffisant alors qu’il s’agit de professions à risques (isolement, charges de
travail lourdes, problèmes financiers, etc.). Le jury souhaite qu’une réponse soit offerte à ces
publics, qu’il s’agisse d’un centre d’appel avec un personnel écoutant formé et capable de
comprendre ces professions ou de lieux professionnels avec un personnel d’accueil adapté.

3. LA QUESTION DES CONDITIONS DE TRAVAIL

L’émergence de risques psychosociaux interroge le fonctionnement global de l’entreprise et


donc le travail et son organisation. Le jury pense que les démarches entreprises, en Bretagne,
par la MSA dans les entreprises de la viande constituent une référence dont il faut tirer les
enseignements. Le jury a retenu de l’exposé de Mr Baron, qu’au-delà des conditions
physiques de travail, les mauvaises relations hiérarchiques ou entre collègues, les climats
d’agressivité, le vécu négatif de la polyvalence, le manque de considération, les abus
d’intérimaires, l’absence de perspective se traduisent par des pertes d’estime de soi, des
replis, des refus de communication, des tendances dépressives.

En conséquence le jury pense que les actions d’observation, d’analyse et de sensibilisation


doivent se développer et se systématiser. Ont été évoqué notamment les points suivants :

 L’ARACT et les syndicats sont des porteurs privilégiés des réflexions de branche ou de
filière et doivent aider à la systématisation des démarches d’enquêtes et
d’observations des conditions de travail. La recommandation du jury est que la
Région et les acteurs concernés considèrent comme un objectif prioritaire
l’amélioration des conditions de travail des entreprises en Bretagne.

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 Les chefs d’entreprises et les DRH doivent se saisir résolument de la question de la
souffrance au travail. Il s’agit de définir des projets d’entreprises qui portent un
minimum de valeurs éthiques partageables avec les salariés, de définir des politiques
d’innovations managériales soucieuses du bien être des salariés et de l’optimisation
des relations entre temps privé et professionnel,
 Le jury s’interroge sur les façons de redynamiser le dialogue social en entreprise
compte tenu de la faible présence syndicale et du poids des petites entreprises et
parmi elles des sous traitant de 2ème ou 3ème niveau. Le jury rappelle l’urgence
o De mettre la question du lien social dans l’entreprise au cœur des politiques de
DRH,
o D’obliger les entreprises à s’engager dans l’évaluation des risques
psychosociaux,
o D’encourager, selon des modalités propres à la taille, l’activité et le
fonctionnement des établissements, la mise en place de réunions de « libre
expression » réunissant salariés et « encadrants » pour parler du travail, de
son organisation et des conditions de travail, avec une large possibilité de
saisine par les salariés eux-mêmes,
o De former les « encadrants » à repérer et à gérer les situations à risque
(indicateurs d’alerte, simples et pertinents (absentéismes récurrents,
manifestations répétées d’humeurs, larmes, rotations particulières dans un
service ou un poste, etc.),
o De mettre en place dans l’entreprise un protocole en cas d’évènement grave
(TS, accident suspect, suicide),
o De créer un dispositif d’écoute et de vigilance interne (avec des intervenants
formés CHSCT, assistante sociale, professionnels de santé), dispositif qui doit
pouvoir orienter les salariés en souffrance vers les consultations externes ci-
dessus évoquées,
 Le jury reprend à son compte ce qui a pu être dit des difficultés de la prévention en
secteur public. Dans certains cas, absence pure et simple de politique de DRH,
difficultés du dialogue social, absence de lieux d’expression, absence de perspectives
de carrière, contrats précaires à répétition, rigidité des grades, etc. Plusieurs
intervenants ont évoqué la fréquence des dépressions en milieu hospitalier et dans
l’éducation nationale. Le jury s’interroge sur la nécessité de sensibilisation et d’actions
tenant compte des spécificités du secteur public et souligne l’importance de ne pas
occulter ce qui s’y passe au prétexte que les responsabilités y sont souvent
insaisissables,
 Le jury encourage les acteurs, Etat, Région, ARACT, syndicats de salariés, syndicats
patronaux, associations de DRH, mutuelles santé, a développer au niveau régional
rencontres colloques et manifestations portant sur les évolutions des organisations et
des relations de travail (production, accueil des jeunes, emploi des seniors,
développement des missions ponctuelles, conséquences des flux tendus, de la
polyvalence, de la sous-traitance etc.) au regard du bien être des salariés et de leurs
contraintes, et prenant en compte la psychopathologie du travail. Il s’agit de produire
un contexte de réflexion et d’échanges créant une sensibilisation et une mobilisation
générale des acteurs économiques et sociaux pour la lutte contre la souffrance au
travail. Il a été noté que les grands donneurs d’ordre ne doivent pas s’affranchir de
leur responsabilité sociale en déportant vers des sous traitants des contraintes qui
induisent les conditions de productions les plus stressantes.

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4. LES COMPORTEMENTS DE HARCELEMENT

Les comportements inadmissibles en entreprise, harcèlement sexuel, harcèlement moral,


brimades, mise en quarantaine, brutalité, mépris, etc. sont à l’origine de mal être pouvant
entraîner des comportements dépressifs graves et menaçant la vie des salariés. Les membres
du jury renvoient à l’inspection du travail, à la médecine du travail et aux tribunaux le
traitement de ces affaires.
Leur mise à jour nécessite un renforcement des solidarités entre salariés et le développement
des collectifs de travail. Le jury pense que c’est à l’inspection du travail et aux organisations
syndicales de développer l’information nécessaire pour que les salariés puissent entreprendre
les démarches pouvant mettre fin à ces comportements. Par ailleurs le monde patronal doit
être beaucoup plus vigilant sur les agissements de certaines entreprises et leurs dirigeants ne
doivent pas occulter leurs responsabilités même s’ils ne sont pas eux mêmes directement
responsables des actes délictueux.

5. LES PROCHES

Le jury est frappé par le fait que certains suicides au travail n’aient pas du tout été anticipés
par les proches. Par ailleurs, l’intrication des facteurs privés et professionnels rappelle que la
prévention du suicide au travail s’inscrit dans un contexte plus général de prévention
primaire et donc des modes d’alerte et des dispositifs d’écoute pour les adultes.

6. LA POSTVENTION

L’actualité récente a montré des effets mimétiques de suicide en milieu du travail. Un suicide
entraîne chez un collègue, vivant une situation professionnelle similaire, la levée d’un tabou.
Ces risques d’imitation et le traumatisme psychologique de la perte d’un collègue et la
culpabilité qui peut y être liée rend indispensable des dispositifs de postvention. Le jury
pense qu’au-delà des obligations légales4, la réflexion doit être poursuivie quant aux aides à
proposer aux entreprises, salariés et management. Des témoignages portés à la connaissance
du jury concernant le désarroi des entreprises où de tels drames ont eu lieu, militent pour
que les acteurs sociaux soient mieux informés des conduites à tenir et sachent mettre
rapidement en place les dispositifs nécessaires.

*****

Le jury constate que dans une société d’individuation qui tend à renforcer la solitude et
l’isolement de certains, la qualité des relations humaines au travail prend une importance
considérable. Il s’agit de collectif de travail et d’expression des salariés. C’est aussi à ce
niveau que le débat doit être poursuivi et que les acteurs sociaux doivent être interpellés.

4 Article L.230-2 du Code du travail.

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