ENJEUX
GRANDE FORTUNE
Les risques qui peuvent
vous faire tout perdre
JP Morgan Private Bank a publié récemment une étude sur la capacité des personnes
fortunées à conserver leur patrimoine sur le long terme. Ses résultats édifiants ont de quoi
donner froid dans le dos à ceux qui disposent d’une surface financière hors norme. Mais
au catastrophisme, l’étude préfère le volontarisme car de nombreux outils permettent de
minorer significativement les risques.
Olivier VACHERAND
«V
otre patrimoine perdurera-t-il
au-delà d’une génération?» La
question peut paraître bruta-
le. C’est pourtant celle qu’ose
poser JP Morgan Private
Banking en préambule d’un document
adressé récemment à ses clients fortunés.
Quelques lignes plus loin, autre pavé dans
la marre: «Il est tout aussi difficile de préser-
ver son patrimoine que de le créer». L’entrée
en matière peu paraître un brin provocatri-
ce mais la réalité des chiffres justifie ample-
ment la mise en garde. Jugez plutôt: en
septembre 1982, la revue américaine
Forbes recensait les «400 familles les plus
fortunées d’Amérique». En 2004, seules
50 figuraient toujours au classement, soit
13%. Inquiétant!
Que s’est-il passé pendant ces 22 ans pour
les 350 familles qui sont sorties du classe-
ment? Est-ce une fatalité? Comment aurait-
on pu éviter cela? Comment faut-il gérer le
couple infernal sécurité/risque? Voilà les
questions auxquelles JP Morgan Private
Bank tente de répondre avec ses 150 ans
d’expérience dans le domaine du conseil
aux grands investisseurs fortunés. Et ces
réponses sont particulièrement instruc-
tives. Première indication de taille: gérer sa
fortune en bon père de famille ne suffit pas
pour rester dans le classement Forbes. En
1982, pour pouvoir figurer, le niveau mini-
mum de patrimoine requis était de 100 mil-
lions de dollars. En transformant l’intégrali-
té de ces 100 millions en liquidités, le patri-
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moine obtenu se situe à 349 millions 20 ans
plus tard, compte tenu d’un taux d’intérêt
moyen de 5,8%. Notoirement insuffisant
pour continuer à figurer au palmarès
puisque le ticket d’entrée dans le top 400
des fortunes américaines est passé à
600 millions pour l’année 2002. «C’est en
prenant des risques de façon efficace que
certaines familles ont pu rester prospères»,
souligne Debra Treyz, Managing Director de
l’activité Private Bank pour l’Europe, le
Moyen-Orient et l’Afrique.
Pas tous les œufs dans
le même panier
L’étude démontre en effet que pour rester
sur le haut du panier des grandes fortunes,
les 50 familles rescapées ont signé une
croissance annuelle moyenne de leur patri-
moine de 12%. Pas mal sur plus de 20 ans!
Inutile de dire qu’on ne trouve pas ces
niveaux de rendement dans la succursale
bancaire du coin. Malheureusement, JP
Morgan Private Bank ne donne pas la
recette pour obtenir d’aussi bons résultats
sur le long terme. Mais son étude décor-
tique l’ensemble des risques auxquels sont
confrontées les grandes fortunes. Et l’éven-
tail de ces risques comme l’étendue de leurs
conséquences donnent froid dans le dos…
d’autant que personne n’est épargné même
si le degré d’exposition varie en fonction
des situations.
Exemple dans le monde de l’entreprise: seu-
lement la moitié des 500 sociétés améri-
caines incluses dans l’indice S&P 500 en
1990 font toujours partie du panier dix ans
plus tard. Même certains grands groupes
que l’on croyait invulnérables sont passés à
la trappe. «La plus grande part de la chute
des cours provient principalement de facteurs
externes qui échappent au contrôle de la
direction, note Debra Treyz, qu’il s’agisse de
changements réglementaires, d’un essouffle-
ment de la demande, du risque souverain,
d’obsolescence ou de litiges.» Si vous déte-
nez un seul actif, votre probabilité de main-
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tenir votre fortune au bout de 20 ans tombe
en deçà de 50%. En d’autres termes, il est
fortement conseillé de ne pas mettre tous
ses œufs dans le même panier. Un risque,
«de concentration» tel que l’appelle JP
Morgan Private Bank, qui peut parfaitement
être maîtrisé par des solutions techniques;
pour autant que certains facteurs – affectifs
en particulier – ne l’emportent pas sur des
critères plus objectifs.
Autre risque, autre occasion de voir sa fortu-
ne fondre comme neige au soleil: les
dépenses. JP Morgan Private Banking n’a rien
inventé: pour conserver son argent, mieux
vaut le dépenser avec parcimonie. D’ailleurs,
le bon sens populaire ne manque jamais de
nous mettre en garde sur ce point. Sauf que
l’étude dévoile des chiffres qui donnent l’en-
tière mesure de ce risque: en dépensant ne
serait-ce que 5% de vos actifs disponibles
chaque année, la probabilité de conserver
90% de votre fortune 20 ans après est infé-
rieure à 40%. Cette probabilité monte autour
de 55% en dépensant 4% de sa fortune et au-
delà de 70% pour les plus raisonnables qui
limiteraient les dépenses à 3% de leur patri-
moine. On vous aura prévenus!
Les appétits de l’administration
fiscale
JP Morgan Private Bank met en garde égale-
ment les familles fortunées contre les effets
de levier. Ce mécanisme peut effectivement
paraître séduisant mais attention: quand les
choses tournent au vinaigre, les consé-
quences peuvent s’avérer dramatiques, sur-
tout quand on cumule les risques avec des
actifs très concentrés. Dans son étude, la
banque américaine tient également à sensi-
biliser ses clients sur un autre risque qui
peut être fatal si l’on ne s’en préoccupe pas:
les impôts. Là encore, la facture peut s’avé-
rer très salée, notamment dans le cas d’une
succession. Combien d’héritiers se sont vus
contraints de vendre une société unique-
ment pour être en mesure de payer les
taxes? Exemple aux Etats-Unis où les droits
de mutation d’un patrimoine d’une généra-
tion à l’autre peuvent atteindre 48%. Mieux
vaut donc y penser un peu avant de passer
l’arme à gauche; d’autant qu’un certain
nombre de solutions très efficaces existent.
Anticiper une transmission est aussi une
manière très efficace de se prémunir contre
les conflits familiaux. Lesquels d’ailleurs
n’attendent pas toujours le décès du
patriarche pour se manifester et entraîner
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des conséquences fâcheuses sur la fortune.
Un risque que JP Morgan Private Bank
appelle d’une façon très politiquement cor-
recte: la dynamique familiale. «Nombreux
sont les patrimoines qui ne survivent pas au-
delà de la 3e génération, souvent parce que la
gestion collective des actifs est un exercice
difficile. La mise en place d’un système de
gouvernance adapté à la famille est indis-
pensable», insiste Debra Treyz.
Contre mauvaise fortune
bon cœur
Parmi les autres péripéties qui guettent les
personnes fortunées, le risque de responsa-
bilité est lui aussi à prendre très au sérieux.
De quoi s’agit-il? Essentiellement des procé-
dures judiciaires et du vol. «L’augmentation
actuelle de la fréquence des litiges expose les
familles fortunées à des risques tels que les
actions collectives – qu’elles soient justifiées
ou pas – pour dégradation de l’environne-
ment, malversation, infraction à la réglemen-
tation boursière ou négligence», nous
explique Alexander Zaharoff, le rédacteur
de l’étude. Quelques procès retentissants
ou catastrophes industrielles nous permet-
tent de prendre la mesure de ce risque qui
peut très bien s’avérer fatal pour les affaires
les plus importantes.
JP Morgan Private Bank met aussi l’accent
sur le risque de change et préconise de pla-
fonner ses investissements dans une autre
monnaie à 20% du patrimoine familial. Pas
facile en effet de sortir indemne de certains
décrochages violents. Les exemples sont
nombreux et parfois très récents comme la
chute du peso argentin qui a abandonné
deux tiers de sa valeur face au dollar entre
décembre 2001 et mars 2002. Douloureux!
Enfin, dernier risque majeur identifié par la
banque américaine: les mesures prises par
les Etats. A priori, ces risques restent
mineurs dans les démocraties avancées.
Hausse radicale des impôts, laxisme moné-
taire conduisant à de l’hyperinflation voire
même expropriation dans le cadre d’un
changement radical d’idéologie, les dangers
sont nombreux et imprévisibles dans un
certain nombre de pays émergents à la sta-
bilité politique et institutionnelle fragile. Là
encore une diversification peut s’avérer
salutaire. Mais au final, une seule chose est
certaine comme l’indiquent les rédacteurs
de l’étude: «Aucune stratégie de préservation
d’un patrimoine n’est exempte de risques; la
meilleure stratégie est de comprendre les
FAMILY OFFICE
Les 8 risques
à maîtriser
pour espérer
conserver sa fortune
1. La concentration: la plupart des
familles ont à un moment donné
concentré leurs ressources dans
un seul domaine (entreprise, sec-
teur, immobiliers, art…) devenu la
source de leur prospérité. Mais une
position concentrée comporte des
risques.
2. Les dépenses: pour préserver son
patrimoine, l’étude montre qu’il
faut limiter ses dépenses à 4% par
an de ses actifs disponibles.
3. L’effet de levier: attention, il s’agit
d’une arme à double tranchant.
Tout en offrant des possibilités
d’accroître les rendements, il aug-
mente les risques.
4. Les impôts: ils constituent un
risque important pour les familles
qui n’ont pas mis en place des
stratégies d’optimisation fiscale
efficaces.
5. La dynamique familiale: ce risque
comporte de nombreuses facettes
et peut être la source d’une
érosion significative du patrimoine
familial.
6. Le risque de responsabilité: il
s’agit là d’une double menace: les
poursuites judiciaires et les vols.
Les familles fortunées sont sou-
vent des cibles privilégiées.
7. Le risque de change: un patrimoine
peut être défini en termes locaux
ou internationaux. Le risque de
change entre en jeu lorsqu’il existe
une inadéquation entre les actifs
d’une famille et ses objectifs finan-
ciers.
8. Les mesures prises par l’Etat.
L’histoire montre que les mesures
prises par l’Etat ont provoqué une
destruction du patrimoine détenu
par les particuliers. Cette érosion
pourrait bien se poursuivre.
risques et de les gérer». Pour le reste, les
350 familles qui sont sorties du Top 400 du
magazine Forbes ont dû se résigner à faire
contre mauvaise fortune bon cœur. ■
O.V.
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