Вы находитесь на странице: 1из 10

M é d ée voix de C.Wolf et A nti g one d' H.

B au ch au :
deu x texte s a u pré s ent :
Introdu ction :

Médée voix et Antigone sont deux romans écrits par des écrivains contemporains qui sont
Christa Wolf et Henry Bauchau. Ces deux auteurs ont fait le choix de la réécriture d'un mythe. Un
mythe est un récit atemporel qui traverse les âges et qui peut s'adapter aux sociétés contemporaines.
Ces deux romans reprennent des mythes antiques et dont le personnage principal est une femme de
sang royal. Le choix de cette réécriture comporte alors une interrogation sur la temporalité d'un récit
d'aujourd'hui écrit sur la base d'un mythe. On imagine facilement que le présent est le temps du
mythe puisqu'il tient à l'inscrire de façon atemporel dans les consciences humaines. Cependant le
mythe est aussi le récit d'une histoire ou d'une légende passée. Dans le mythe, passé, présent et futur
sont donc indissociables. Pourtant nos deux auteurs ont fait le choix d'écrire leurs textes au présent.
Dès lors, on peut se demander en quoi le choix du présent dans les romans de Christa Wolf
et de Henry Bauchau redéfinit-il la notion de mythe ? En effet, nous montrerons que ce présent n'est
pas qu'un simple temps grammatical mais qu'il est aussi et surtout un temps de l'écriture et de la «
voix» qui définit de nouveau les contours de deux mythes agissants et qui transporte des valeurs
universelles.

I. Le présent : un temps de l'écriture et de « la voix » ...


a) Les caractéristiques du présent dans Médée et Antigone :
Le présent de narration est un temps grammatical qui permet d'ancrer le narrateur dans une
situation actuelle ou actualisée. C. Wolf et H. Bauchau ont fait le choix d'écrire leur roman au
présent afin de donner toute sa dimension atemporelle au mythe. Tout d'abord, on peut remarquer et
commenter les premières phrases des deux romans. Antigone débute ainsi : « Depuis la mort
d'Oedipe, mes yeux et ma pensée sont tournés vers la mer et c'est près d'elle que je me réfugie
toujours » et « Même les dieux morts gouvernent » ouvre le roman de C.Wolf. Dans ces deux
phrases inaugurales le présent est le temps principal. Chez Bauchau il encadre le « je » et de ce fait
inscrit le personnage d'Antigone dans cette sphère de présent atemporel. Alors que chez Wolf le
présent est le temps du verbe qui a pour sujet « les dieux », ce qui renvoie également à cette notion
d'intemporalité.
On remarque également que les interrogations de Médée sont au présent. «pourquoi entends-
je des armes s'entrechoquer, sont-ils en train de se battre » p.15 . En règle générale, un énoncé au
présent, est étroitement représenté par rapport au moment de la parole. Il indique un événement ou
un état des choses contemporains de l'acte d'énonciation mais ici nos auteurs emploient davantage
un présent historique ou de narration qui est habituellement utilisé pour évoquer des évènements
passés, réels ou fictifs. Il est éloigné du moment de l'énonciation car il est décalé en bloc dans le
passé. Le présent peut donc et est ici utilisé comme un temps qui transcende les époques et qui part
du passé pour arriver jusqu'au présent de chaque lecteur.
Pour son Antigone, Bauchau fait le choix d'un narrateur homodiégétique, ancré dans le
présent. Il n'y a donc pas de place pour les temps du passé en tant que cadre structurant du récit. A la
différence de C. Wolf, le présent chez Bauchau ne soutient pas seulement un monologue intérieur.
Au contraire, comme le souligne Henri Bauchau dans le Journal d'Antigone, il s'agit de « raconter
une histoire dans un type de discours qui n'existe nulle part dans les discours naturels. » On peut
retrouver un exemple de cette idée à la p.58 d'Antigone : « Dans les jours qui suivent je commence
à sculpter dans un bloc de marbre que m'a donné K. le parcours qu'Oedipe a fait en demi-cercles et
pendant tant de mois autour d'Athènes. Les demi-cercles vont en se rétrécissant jusqu'à Colone qui
fut le lieu
où l'aveugle est redevenu voyant. » Ce passage est intéressant et montre comment Bauchau traite la
temporalité dans son roman. Le pilier principal est le temps du présent qui soutient le « je » de
l'énonciation. On remarque également que le temps est ici matérialisé. En d'autres termes on peut
dire que la sculpture d'Antigone est une allégorie du temps.
Ainsi dans Médée et dans Antigone, le présent est un temps fondamental, puisqu'en plus
d'avoir une valeur narrative, il soutient tout le récit et permet l'expression du narrateur dans un cadre
structuré.

b) Du discours vers le récit ? :


Les deux mythes évoqués par C. Wolf et H. Bauchau sont de très célèbres mythes antiques
qui furent de nombreuses fois repris par des auteurs et des dramaturges. L'antiquité grecque et ses
écrivains comme Sophocle et Euripide choisirent la forme théâtrale pour mettre en scène le destin
tragique de nos deux héroïnes. Le théâtre est la forme qui privilégie le plus l'utilisation du présent
puisqu'il tend à montrer une similitude entre le temps de l'énonciation et l'énoncé lui-même. Or C.
Wolf et H. Bauchau font le choix d'un roman. On pourrait penser qu'il s'agit d'une mise à distance
de la parole et du discours. Chez C. Wolf, ce n'est véritablement pas le cas, puisqu'elle construit un
roman qui donne toute sa place « aux voix ». A la différence du théâtre, il s'agit davantage de
monologue intérieur où l'on retrouve très peu de dialogue. Le discours direct est la forme la plus
proche du discours théâtral et comme on peut le voir dans Médée à la p.64 il est toujours utilisé
dans le roman « J'entends alors la question de Médée : Alors tu viens avec nous ? Je n'y avais pas
encore songé, et c'est justement pour me le faire sentir qu'elle me l'a demandé (...) » Cependant le
choix du monologue intérieur favorise davantage le récit introspectif plutôt que le dialogue de type
théâtral.
Le choix du roman est-il un choix affirmé ? Selon Raymond Michel dans le Journal
d'Antigone, on peut voir une hésitation générique chez Bauchau entre le roman, la pièce de théâtre
et le poème. On retrouve beaucoup plus de dialogues entre les personnages dans le roman de
Bauchau, ce qui confirme cette hésitation avec la forme théâtrale. A la p.106 on peut lire ceci : «Il y
a eu un soir, une nuit de songes en labyrinthe avec du rouge, avec du gris. Je suis de nouveau
derrière toi, je regarde tes mains, tes outils qui travaillent la matière de nos vies. » Ce passage révèle
le caractère poétique de l'écriture de Bauchau. L'envolée lyrique présente dans ce passage est
accentuée par le choix des couleurs, le rouge pour le sang et le gris pour la pierre. La présence du «
je » immobile et contemplatif ainsi que les assonances en « i » font véritablement de ce passage un
extrait poétique. Le présent des récits de Bauchau et de Wolf est un temps théâtral où coïncident le
dire, le faire et le voir. Mais c'est aussi le temps de la poésie, le temps de la réflexion et de la
méditation.
Le passage du discours au récit, comme le passage du théâtre au roman n'est donc pas
effective dans les textes de Wolf et de Bauchau puisque les deux auteurs continuent à entretenir des
rapports étroits avec le théâtre (par le choix du monologue) ou avec la poésie. Le présent du
discours se mêle donc au présent du récit pour former un présent dominant et omniprésent. Le
présent de Bauchau est celui des chants et du cri d'Antigone. C'est par le présent que se transmet le
message universel. Le présent de Wolf est celui du monologue et des questionnements intérieurs.

c) Le temps de l'oralité :
Le présent de l'écriture des mythes semble un temps usité qui répond aux codes du genre.
L'utilisation du présent permet l'effacement du narrateur au profit des personnages et d'un
rapprochement entre les pensées du personnage et du lecteur. Ainsi la fin de Médée est
particulièrement éclairante à ce sujet : « Où vais-je aller. Y'a-t-il un monde, une époque où j'aurais
ma place ? Personne, ici, à qui le demander. Voilà la réponse. » Les interrogations finales de Médée
sont au présent mais elles ont une portée bien plus importante que le temps de sa vie. A travers ces
questionnements, elle invite le lecteur à réfléchir à la possibilité de sa réhabilitation. Médée
demande s'il y'aurait « une époque » où elle aurait sa place. Ainsi chaque lecteur peut décider de
faire de son propre présent le temps de la réhabilitation de Médée.
Quand on s'interroge au sujet de la transmission du mythe, on s'accorde à dire qu'il s'agit
d'une transmission orale. C'est à dire qu'une voix s'élève vers une oreille. Le titre du roman de
Christa Wolf en lui-même est en ce sens, significatif et se revendique de cette tradition « Médée
voix ». Bien sûr, il n'y a pas qu'une voix dans le roman mais on peut dire que toutes les voix réunies
forment une voix qui serait celle de l'aède. Mais pas n'importe lequel. Chez Bauchau, c'est la fille de
l'aveugle qui nous raconte son histoire. L'aveugle ou le personnage d'Oedipe pourrait très bien être
considéré ici comme la figure de l'aède. Mais Oedipe est mort dans l'Antigone de Bauchau et ses
chants sont rapportés par Dirkos comme dans le passage suivant à la p.156 « Il commence un
poème que j'ai entendu plusieurs fois chanter par Oedipe, il raconte comment Héraclès, encore
enfant, découvre sa force, exulte de sa découverte et s'effraie des travaux immenses qu'elle va
requérir de lui ». C'est donc une mise en abyme du mythe et de la figure de l'aède qui nous est
présenté ici.
Ainsi donc Antigone est un personnage de l'avenir qui facilite la transmission d'une parole.
L'écriture de Bauchau, tout en utilisant beaucoup le présent, est une écriture tournée vers le futur.
Comme le précise Raymond Michel dans le Journal d'Antigone, son écriture n' «est jamais vestige
d'un passé à reconstruire, elle est l'expérience de ce qui peut advenir. » Le présent utilisé dans ces
deux récits : Médée voix et Antigone n'a pas pour but de reconstituer le mythe pour le transmettre
aux nouvelles générations, il doit au contraire tenter d'éclairer l'avenir.

II... qui redéfinit deux mythes agissants :


a) les valeurs « performatives » du mythe
Une des fonctions premières du mythe c'est de nous donner à voir, notamment par la forme
théâtrale, le monde, le pouvoir des dieux, et ce qu'il ne faut pas faire, comme le mythe de
Prométhée qui est punit pour son orgueil et le mythe de Faust qui vend son âme au diable. Le
monde qu'il nous donne à voir nous parle, il nous fait réfléchir sur notre monde actuel, et la société
dans laquelle on vit par comparaison. Ainsi qu'il nous fait réfléchir sur nous. Il nous pose donc des
questions essentielles, que nous sommes amenés à penser au cours de notre vie comme la
responsabilité (Médée est-elle responsable de la mort de son frère? Physiquement non, mais
moralement elle pense que si; Antigone doit-elle enterrer son frère? Est-ce à elle qu'en incombe la
responsabilité?), la culpabilité (les décisions que prennent Médée et Antigone les positionnent
souvent comme coupable aux vues de la société, comme la mort de ses enfants pour Médée, et le
départ d'Antigone sur les routes avec Oedipe), le bien et le mal face au pouvoir (doivent-elles obéir
ou non? Antigone préfère obéir aux lois divines plutôt qu'aux lois humaines; le peuple de Médée est
constamment présenté comme un peuple étranger qui a gardé ses propres coutumes comme le fait
d'élever des serpents), l'amour (Antigone préfère mourir avant le retour de Hémon pour éviter une
guerre entre le fils et le père, par amour pour lui et par amour pour sa cité; Médée et sa relation
compliquée avec Jason) et la peur des différences (les Corinthiens étant effrayés par les Colchidiens
dans Médée et les dons d'Antigone.)
Le mythe a donc une valeur « performative » comme le langage dans ces deux romans, c'est-
à-dire qu'il fait acte, il existe par les questions qu'il soulève et fait acte sur le lecteur puisque c'est
une interrogation qui est mise en récit légendaire. La liberté, la place de la femme dans la société et
le pouvoir du politique sont également abordés dans ces deux textes. Là où on voit que Wolf et
Bauchau font une réactualisation des mythes c'est que cette interrogation qui a normalement une
dimension collective est en fait une interrogation personnelle au sein de leurs livres. Le « je », le
présent et la forme romanesque en témoignent. Ces choix nous permettent de nous approprier le
mythe et de le faire notre. Nettement plus privé, le roman se lit à titre individuel, contrairement à la
forme théâtrale, et se dirige au monde moderne où l'individu prime. Leurs mythes nous interrogent
personnellement et non pas collectivement comme au sein des cités grecques et romaines. Le mythe
fait écho à des vérité profondes de notre société, de notre histoire, de nos mentalité, de notre
philosophie et de l'humanité même.

b) un lecteur actant
Comme nous l'avons dit, par la réflexion sur nous même et sur ce qui nous environne le
mythe fait de nous des lecteurs actants, et non pas passifs. Et ceci notamment grâce au « je » et au
présent qui viennent « chercher » le lecteur c'est-à-dire qu'ils l'interpellent et l'obligent à penser à ce
qu'il lit. Non seulement il est concerné mais en plus il est pris à parti, le lecteur se mettant la plupart
du temps du côté de la victime ainsi Médée affirme « Malheureusement je ne suis que désemparée.
Parce que tout est si transparent, si facile à comprendre. [...] Parce qu'ils peuvent rester de marbre
tout en me regardant, tandis qu'ils mentent, qu'ils mentent encore. Ne pas pouvoir mentir est un
lourd handicap. » et Antigone dit « Notre mère est morte, depuis dix ans, et la blessure est toujours
là. Comment veux-tu que moi, moi toute seule au milieu de votre sale guerre, je trouve la force de
l'évoquer à nouveau? ». Le « je » du personnage-narrateur devient aussi « je » du lecteur par
assimilation et par identification. Le lecteur s'implique au sein de sa lecture et au sein de l'histoire
qui lui est dite. Il se sent concerné, se sent pris à parti du côté de Antigone ou de celui de Médée et
en plus réfléchit à son monde. Le lecteur agit. Sa position de lecteur n'est pas passive non seulement
il tient le livre mais en plus il fait vivre les personnages par sa lecture et les accueille. Le « je » et le
« présent » ainsi que la forme de roman et le choix du monologue intérieur pour les deux œuvres
font que le lecteur incarne les personnages. Compassion et réflexion sont de mises. Christa Wolf et
Henry Bauchau ne veulent donc pas d'un lecteur passif, ils veulent un lecteur qui s'implique et se
sente impliqué. Comme le spectateur du théâtre de Antonin Artaud les lecteurs de Antigone et de
Médée ne peuvent que réagir. Le lecteur tient le livre, voit, lit et vit les expériences d'Antigone et de
Médée. De même le lecteur est actif car il s'immerge dans le monde fictionnel du roman aussi bien
celui de Médée que celui d'Antigone. Il est invité à s'identifier au personnage-narrateur et est alors
« immergé dans un univers saturé affectivement, il devient actant » d'après Raymond Michel
d'autant plus que le texte « simule un flux de conscience » c'est un monologue intérieur fondé sur la
parole. Nous pouvons alors dire que l'œuvre possède le lecteur. Ce dernier agit, il compatit et vit ce
que vivent Antigone et Médée, c'est une véritable expérience fictionnelle qui lui est proposée, il est
donc agissant.

c) deux mythes modelés par le présent


Le choix d'un langage au présent c'est le choix d'un langage à brut, un langage du discours
actuel, simultané avec celui du lecteur, un langage inné non modelé par la réflexion. Les faits se
passent et au même moment ils sont dits. Ils sont donc dit de manière pure, à brut, vierge pourrait-
on dire de tout apport autre. C'est un bloc homogène fait par la spontanéité (ou du moins l'usage du
présent et du « je » nous en donnent l'impression même si Bauchau, par exemple dit toute sa
difficulté à écrire Antigone, et qu'en soit, toute œuvre demande du travail et de la réflexion) non
modelé par la langue. Le présent qui est normalement un temps du discours et qui sert ici la
narration n'est pas entaché par les marques de récit, le monologue intérieur d'Antigone le montre :
« Dans ce bois brut et qui me fait horreur, Jocaste et Polynice, pleins de vie et de passions, se
trouvent déjà. Ce que je dois faire exister par mon travail ce n'est pas eux, ils n'existent que trop,
c'est moi. » (p99) ainsi que celui de Médée « Regarde. C'est là où cette ligne minuscule qui s'est
approfondie croise l'autre. Prends garde, as-tu dit, l'orgueil va glacer ton âme. Oui, mère, peut-être,
mais la douleur laisse, elle aussi, une vilaine trace. ». Ceci est permit par la première personne du
singulier. Cette implication au plus près du personnage et de son parler n'aurait pas été possible avec
la troisième personne. C'est un langage pur, non ciselé, non modelé, d'apparence non travaillé, un
roc vierge de toute main d'artisan. Même si on sait que cela n'est pas, le présent en donne
l'impression. Ce sont deux romans qui mettent ainsi en exergue le langage d'une pensée juste
formulée qui nous est dite au moment où le personnage la pense dans une narration naturelle sans
préméditation ni tricherie. C'est donc l'expression d'une pensée fluide uniquement modelée par les
enjeux de la parole du personnage à lui-même qui nous est proposée, un parole qui « dit en se
cherchant » affirme Raymond Michel. Les auteurs nous font plonger dans des mythes, nous
immergent dedans par le « je » et le « présent ». Par le monologue intérieur ils nous font entendre et
écouter la voix des personnages ce qui touche d'autant plus le lecteur. Comme le dit Raymond
Michel « le moment de la narration est le moment de l'expression » ce qui réduit à zéro l'écart entre
les deux et qui permet une focalisation absolue sur le personnage qui parle. Les mythes de Médée et
d'Antigone à travers l'écriture de Christa Wolf et d'Henry Bauchau sont donc agissants par leur
valeur performative et par leur capacité à faire du lecteur un lecteur actant, tout cela grâce à leur
écriture au présent. Mais le présent à également d'autres fonctions, celle de rendre le mythe actuel
par exemple, il tend donc vers l'universalisation de ses propos.

III.... et transporte des valeurs universelles


a) le présent comme vecteur d'onirisme
Dans Le journal d'Antigone d'Henry Bauchau ou les mouvements de l'écriture Raymond
Michel affirme en parlant d'Antigone que dans ce roman le présent est le « temps du rêve » car il
comprend le passé et le futur, il parle de « tiroir grammatical » car il a la capacité de « remplacer
tous les autres temps ». Et c'est parce qu'il peut aussi bien référer à l'ici et maintenant du narrateur et
du lecteur qu'à un passé où à un futur que c'est un temps du rêve. Le présent transporte donc des
valeurs universelles car tout être humain est doté de la capacité de rêve, et que ces textes touchent
indifféremment tous lecteurs s'il accepte le pacte du monologue intérieur. Alors « le dire prend le
pas sur le dit, la diction sur la fiction [… et] les mots prennent corps » et « le présent devient
pressentiment de la présence ». Ces paroles à propos d 'Antigone sont aussi bien valable pour
Médée car c'est un présent de l'irréel qui est utilisé et ce présent permet de suggérer et de faire vivre
tous les rêves, et tout ce que l'imagination nous suggère. Il crée un monde auquel le lecteur est
convié et auquel il adhère « Tu étais alors assise près de moi, mère, et lorsque je tournais la tête,
comme à présent, je voyais l'embrasure de la fenêtre, comme ici, où suis-je, il n'y avait pas encore
de figuier, c'était mon cher noyer qui se dressait là. » affirme Médée dès le début du livre. Elle pose
donc un décor, un contexte et nous plonge dans ses souvenirs et dans son présent. Tout comme
Antigone : « […] je veux seulement dormir encore un peu, je vais me lever tout de suite, mettre la
robe blanche que j'ai tissée et cousue moi-même, comme tu me l'avais appris, puis nous
retournerons ensemble par les couloirs de notre palais et je serai heureuse comme lorsque j'étais
enfant [...] » (p17/18) alors que sa mère est morte.
Pour Raymond Michel un « effet de songe » est produit dans Antigone par le fait même que
les paroles proférées sont celles d'un personnage qui meurt à la fin du livre. Il y a donc un certain
côté hermétique au texte, d'incompréhension du moins dû à cette « inquiétante étrangeté » affirme-t-
il en citant Freud. « Faut-il rappeler que, dans notre cas, la posture énonciative du narrateur-
Antigone est d'autant plus invraisemblable que ce personnage, en conformité avec le mythe, meurt à
la fin du roman? » écrit-il dans Le journal d'Antigone d'Henry Bauchau ou les mouvements de
l'écriture. Ceci, toujours selon Michel, crée un « excès du sens » quelque chose qui dépasse le
lecteur, une incompréhension de cette fiction qui cependant peut fonctionner s'il accepte ce contrat
avec le livre, le contrat du non-rationnel, le lecteur est dans le rêve. Et cela se passe également dans
Médée non pas parce que le personnage meurt à la fin mais parce que Médée est dotée de pouvoirs,
pouvoir de guérison, elle est d'ailleurs accusée de magie noire par Turon (« Turon a sans doute
raison de l'appeler traitresse, de l'accuser de se livrer à la magie noire » affirme Glaucé) d'ailleurs
dès l'incipit du livre Médée affirme « Langue du rêve. Langue du passé », mais au fur et à mesure ce
rêve devient présent. Le lecteur vit donc lui aussi les actes d'Antigone et de Médée dans un rêve, il
est dans une sorte de transe à la fois corporelle et mentale. Il y a rêve également parce que les deux
romans permettent d'écouter au sens littéral les voix qui s'expriment dedans. Le lecteur non
seulement les écoute mais les comprend aussi et ce n'est pas rien car dans les mythes antiques de
Sophocle ou d'Euripide. Antigone et Médée sont plus présentées comme des personnages
coupables, voir folles. Là, au contraire, le lecteur prend partie pour elles, les comprend, vit leurs
expériences, connait leurs désirs et leurs aspirations et y adhère. Ces livres par le présent et donc la
simultanéité entre le dit et le fait suggèrent une véritable expérience aux lecteurs. Antigone et
Médée, par le présent, le « je » et le monologue intérieur deviennent présentes. On entend leur voix
comme à la fin du livre où Antigone entend la voix de Io chanter sa vie, on ressent leurs actes, leurs
gestes et on comprend leur pensée et leurs désirs, ce sont des « livre-rêve » comme on pourrait dire
en reprenant la formule de Bauchau qu'il emploi en parlant du Journal d'Antigone.
Le présent permet de faire vivre les héroïnes, ainsi Henry Bauchau parle d'une « Antigone
matière » car elle est incarnée devant le lecteur. C'est un personnage entier dont en comprend tous
les agissement et qu'on admire, elle se propose à notre pensée comme personnage principal et
s'incarne ainsi. Elle fait corps avec le texte, avec les mots qui la font exister, mais aussi avec la
pensée du lecteur en lui imposant sa pensée et en s'imposant à sa pensée, tout comme Médée.
Raymond Michel parle ainsi d'une « écriture dans le corps et la matière ». L'écriture et le lecteur qui
la lit permettent le « surgissement d'une présence et d'une voix : celles d'Antigone. » affirme-t-il
également, et nous pouvons sans aucun égard coller ces propos à Médée. Le mythe transporte donc
des valeurs universelles à travers le rêve notamment. Mais en soit le mythe, dans son sens
philosophique, n'est-ce pas une rêverie utopique ?

b)Le présent apporte une suspension du temps.


Le récit d'un mythe reste cependant obligatoirement sujet aux temps. Il ne peut pas y avoir
qu'un présent. Chez C.Wolf, le passé est là aussi pour évoquer les souvenirs des différents
personnages qui racontent. C'est une nouvelle mise en abime, le mythe raconte un passé dans lequel
les personnages racontent leur passé comme à la p.89 où le « je » est celui d'Agaméda : « Parfois le
cours des évènements tient à un fil. Comme le jour, il y a longtemps de cela, où elle m'a trahie, elle
a beau ne pas s'en souvenir, avec ses trous de mémoire qu'elle s'autorise. Ou récemment, lorsqu'elle
est tombée malade. » Ici, le passé et le présent sont profondément liés. Cependant le temps du passé
utilisé est le passé composé, c'est le temps du récit et du passé assez proche. En d'autres termes c'est
un passé qui n'est pas encore très ancien où qui demeure bien présent dans la conscience
d'Agaméda. Pourquoi alors le choix de ce présent ? Qu'apporte t-il de plus à la réactualisation de ces
deux mythes ? Peut-être parce que le mythe nous ramène à une autre époque. Les mythes
appartiennent à l'antiquité et aux sociétés de l'oral. Dans ces sociétés, la représentation mentale du
passage du temps n'était pas linéaire. Dans les sociétés du mythe mais aussi pour les stoïciens, le
temps était circulaire. On suivait le rythme des saisons et il n'y avait ni commencement et ni fin,
seulement un éternel recommencement. On peut dire que le présent est ce temps du
recommencement, comme on peut lire dans l'Antigone de Bauchau à la p.181 : « Je marche, souvent
des larmes me viennent aux yeux, je chancelle. » et il y a les répétitions comme autant de temps qui
reviennent : lorsqu' Antigone va mendier et pousse son cri ou lorsqu'elle soigne les malades en
attendant le retour d'Hémon.
Dans Médée voix, l'idée d'éternel recommencement est bien présente à travers le châtiment
que l'on inflige à Médée (p.288) : « Arina dit que lorsque sept ans se furent écoulés après la mort de
mes enfants les Corinthiens ont choisi sept garçons et sept filles de familles nobles. Ils leur ont rasé
la tête. Les ont envoyés dans le temple d'Héra où ils doivent rester une année entière, en mémoire
de mes enfants morts. Et tous les sept ans, on recommencera. » A travers ces deux mythes racontés
au présent, le temps semble se figer ou plutôt s'étirer longuement au point de se répéter. Mais est-ce
bien le même présent qui revient ? Peut-on affirmer une réelle néantisation du temps ? Pas
totalement, dans Antigone par exemple, le temps de la vie de l'héroïne dans la grotte est ponctué
toutes les heures par la voix de Stentos qui crie trois fois son nom. Il y a donc un temps qui passe et
non un présent éternel mais ce temps parvient à s'actualiser à travers chaque âge et à travers chaque
lecture.

c)...et fait écho aux craintes et aspirations actuelles


Que ce soient Antigone ou Médée les deux mythes nous parlent de sentiments, ceux
d'Antigone et de Médée justement. Par ce procédé, on a l'impression que le temps s'allonge puisqu'il
donne lieu à de longues descriptions des états d'âme et des souvenirs. (« Une fois, mère, à une autre
époque, j'ai entourée ta tête de mes deux mains en signe d'adieu, sa forme a laissé son empreinte
dans mes paumes, les mains ont aussi une mémoire. Ces mains ont tâté chaque parcelle du corps de
Jason (...) ». Puis Médée décris ses sentiments par auto-persuasion « Calme. Sois calme. Une chose
après l'autre. Reviens à toi. (...) » En soit, il n'y a pas d'action et pourtant l'histoire se fait, ou comme
dans le monologue d'Ismène qui laisse place au souvenir. Ce sont deux romans du moi qui en
retracent tous les affres et qui sont écrits par le processus du monologue intérieur. Ils nous
permettent donc de visualiser et de comprendre les inquiétudes et les préoccupations des
protagonistes. Mais ces préoccupations au lieu d'être éloignées de nous comme on pourrait s'y
attendre par les mœurs de l'époque et éloignement de celle-ci des valeurs de notre société, sont au
contraire très proche de nous et nous parlent de nous. Ainsi ces mythes retracent le portraits de
peurs universelles valables en tout temps et en tout lieux. Le mythe, en soit, permet l'éducation et la
mise en garde su peuple contre certain risques, contre ce qui n'est pas moral. Ainsi le mythe
d'Oedipe nous parle toujours car, comme l'a montré Freud, il fait écho au complexe des enfants qui
veulent tuer leurs parents du même sexe qu'eux car il représente une concurrence envers le parent
du sexe opposé. L'enfant pense que le parent connait se désir de mort et veut également le tuer.
Ainsi Oedipe se bagarre contre son père, le tue et épouse sa mère. Lorsqu'il l'apprend il se crève les
yeux, symbole de son aveuglement face à la maternité de Jocaste. Les mythes nous parlent donc
puisqu'il nous parlent de nous, et de nos penchants malsains. Tout comme Faust qui vend son âme
au diable et Prométhée qui vole le feu aux dieux les mythes d'Antigone et de Médée nous mettent
en garde. Antigone nous pose les questions de savoir jusqu'où on peut désobéir à la loi de notre État
pour accomplir ce qui nous semble juste, si on est capable de prendre notre liberté et d'en assumer
les conséquence et si on peut se sacrifier à une cause. Médée quand à elle nous demande ce qu'on
est capable de supporter : l'État dans lequel on vit peut-il faire des sacrifices sans que cela ne nous
révolte? Et nous met face au problème du politique et de la déformation des informations. Les
mythes font donc échos à nos questionnements, à nos sentiments, à nos craintes (celui de l'inceste
présenté dans toutes les sociétés comme criminel) et à nos aspirations (devenir des Dieux dans
Prométhée, être libre malgré tout dans Antigone).

Ainsi nous pouvons dire que le choix du présent dans Antigone par Henry Bauchau et
dans Médée par Christa Wolf n'est pas anodin. Non seulement ce temps est le temps du discours ce
qui permet une forte présence de l'oralité, mais aussi ce présent qui est le temps de l'écriture et de la
voix redéfinit deux mythes agissants en faisant du lecteur un lecteur actant et en agissant eux-même
par ce qu'ils nous enseignent. Ces deux textes sont modelés par ce temps qui transporte des valeurs
universelles. Vecteur d'onirisme il annihile le passage du temps et fait échos à nos craintes et à nos
aspirations actuelles. Le présent redéfinit donc la notion de mythe. Quant à Wolf et Bauchau ils font
du présent non pas qu'un temps grammatical mais aussi le temps d'une expérience universelle et
personnelle. Ils ont ainsi réussit le pari de redéfinir et de ré-actualiser ces mythes de telle sorte qu'ils
s'inscrivent, une fois de plus, dans l'éternité, et dans la conscience de chacun.

Вам также может понравиться