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B au ch au :
deu x texte s a u pré s ent :
Introdu ction :
Médée voix et Antigone sont deux romans écrits par des écrivains contemporains qui sont
Christa Wolf et Henry Bauchau. Ces deux auteurs ont fait le choix de la réécriture d'un mythe. Un
mythe est un récit atemporel qui traverse les âges et qui peut s'adapter aux sociétés contemporaines.
Ces deux romans reprennent des mythes antiques et dont le personnage principal est une femme de
sang royal. Le choix de cette réécriture comporte alors une interrogation sur la temporalité d'un récit
d'aujourd'hui écrit sur la base d'un mythe. On imagine facilement que le présent est le temps du
mythe puisqu'il tient à l'inscrire de façon atemporel dans les consciences humaines. Cependant le
mythe est aussi le récit d'une histoire ou d'une légende passée. Dans le mythe, passé, présent et futur
sont donc indissociables. Pourtant nos deux auteurs ont fait le choix d'écrire leurs textes au présent.
Dès lors, on peut se demander en quoi le choix du présent dans les romans de Christa Wolf
et de Henry Bauchau redéfinit-il la notion de mythe ? En effet, nous montrerons que ce présent n'est
pas qu'un simple temps grammatical mais qu'il est aussi et surtout un temps de l'écriture et de la «
voix» qui définit de nouveau les contours de deux mythes agissants et qui transporte des valeurs
universelles.
c) Le temps de l'oralité :
Le présent de l'écriture des mythes semble un temps usité qui répond aux codes du genre.
L'utilisation du présent permet l'effacement du narrateur au profit des personnages et d'un
rapprochement entre les pensées du personnage et du lecteur. Ainsi la fin de Médée est
particulièrement éclairante à ce sujet : « Où vais-je aller. Y'a-t-il un monde, une époque où j'aurais
ma place ? Personne, ici, à qui le demander. Voilà la réponse. » Les interrogations finales de Médée
sont au présent mais elles ont une portée bien plus importante que le temps de sa vie. A travers ces
questionnements, elle invite le lecteur à réfléchir à la possibilité de sa réhabilitation. Médée
demande s'il y'aurait « une époque » où elle aurait sa place. Ainsi chaque lecteur peut décider de
faire de son propre présent le temps de la réhabilitation de Médée.
Quand on s'interroge au sujet de la transmission du mythe, on s'accorde à dire qu'il s'agit
d'une transmission orale. C'est à dire qu'une voix s'élève vers une oreille. Le titre du roman de
Christa Wolf en lui-même est en ce sens, significatif et se revendique de cette tradition « Médée
voix ». Bien sûr, il n'y a pas qu'une voix dans le roman mais on peut dire que toutes les voix réunies
forment une voix qui serait celle de l'aède. Mais pas n'importe lequel. Chez Bauchau, c'est la fille de
l'aveugle qui nous raconte son histoire. L'aveugle ou le personnage d'Oedipe pourrait très bien être
considéré ici comme la figure de l'aède. Mais Oedipe est mort dans l'Antigone de Bauchau et ses
chants sont rapportés par Dirkos comme dans le passage suivant à la p.156 « Il commence un
poème que j'ai entendu plusieurs fois chanter par Oedipe, il raconte comment Héraclès, encore
enfant, découvre sa force, exulte de sa découverte et s'effraie des travaux immenses qu'elle va
requérir de lui ». C'est donc une mise en abyme du mythe et de la figure de l'aède qui nous est
présenté ici.
Ainsi donc Antigone est un personnage de l'avenir qui facilite la transmission d'une parole.
L'écriture de Bauchau, tout en utilisant beaucoup le présent, est une écriture tournée vers le futur.
Comme le précise Raymond Michel dans le Journal d'Antigone, son écriture n' «est jamais vestige
d'un passé à reconstruire, elle est l'expérience de ce qui peut advenir. » Le présent utilisé dans ces
deux récits : Médée voix et Antigone n'a pas pour but de reconstituer le mythe pour le transmettre
aux nouvelles générations, il doit au contraire tenter d'éclairer l'avenir.
b) un lecteur actant
Comme nous l'avons dit, par la réflexion sur nous même et sur ce qui nous environne le
mythe fait de nous des lecteurs actants, et non pas passifs. Et ceci notamment grâce au « je » et au
présent qui viennent « chercher » le lecteur c'est-à-dire qu'ils l'interpellent et l'obligent à penser à ce
qu'il lit. Non seulement il est concerné mais en plus il est pris à parti, le lecteur se mettant la plupart
du temps du côté de la victime ainsi Médée affirme « Malheureusement je ne suis que désemparée.
Parce que tout est si transparent, si facile à comprendre. [...] Parce qu'ils peuvent rester de marbre
tout en me regardant, tandis qu'ils mentent, qu'ils mentent encore. Ne pas pouvoir mentir est un
lourd handicap. » et Antigone dit « Notre mère est morte, depuis dix ans, et la blessure est toujours
là. Comment veux-tu que moi, moi toute seule au milieu de votre sale guerre, je trouve la force de
l'évoquer à nouveau? ». Le « je » du personnage-narrateur devient aussi « je » du lecteur par
assimilation et par identification. Le lecteur s'implique au sein de sa lecture et au sein de l'histoire
qui lui est dite. Il se sent concerné, se sent pris à parti du côté de Antigone ou de celui de Médée et
en plus réfléchit à son monde. Le lecteur agit. Sa position de lecteur n'est pas passive non seulement
il tient le livre mais en plus il fait vivre les personnages par sa lecture et les accueille. Le « je » et le
« présent » ainsi que la forme de roman et le choix du monologue intérieur pour les deux œuvres
font que le lecteur incarne les personnages. Compassion et réflexion sont de mises. Christa Wolf et
Henry Bauchau ne veulent donc pas d'un lecteur passif, ils veulent un lecteur qui s'implique et se
sente impliqué. Comme le spectateur du théâtre de Antonin Artaud les lecteurs de Antigone et de
Médée ne peuvent que réagir. Le lecteur tient le livre, voit, lit et vit les expériences d'Antigone et de
Médée. De même le lecteur est actif car il s'immerge dans le monde fictionnel du roman aussi bien
celui de Médée que celui d'Antigone. Il est invité à s'identifier au personnage-narrateur et est alors
« immergé dans un univers saturé affectivement, il devient actant » d'après Raymond Michel
d'autant plus que le texte « simule un flux de conscience » c'est un monologue intérieur fondé sur la
parole. Nous pouvons alors dire que l'œuvre possède le lecteur. Ce dernier agit, il compatit et vit ce
que vivent Antigone et Médée, c'est une véritable expérience fictionnelle qui lui est proposée, il est
donc agissant.
Ainsi nous pouvons dire que le choix du présent dans Antigone par Henry Bauchau et
dans Médée par Christa Wolf n'est pas anodin. Non seulement ce temps est le temps du discours ce
qui permet une forte présence de l'oralité, mais aussi ce présent qui est le temps de l'écriture et de la
voix redéfinit deux mythes agissants en faisant du lecteur un lecteur actant et en agissant eux-même
par ce qu'ils nous enseignent. Ces deux textes sont modelés par ce temps qui transporte des valeurs
universelles. Vecteur d'onirisme il annihile le passage du temps et fait échos à nos craintes et à nos
aspirations actuelles. Le présent redéfinit donc la notion de mythe. Quant à Wolf et Bauchau ils font
du présent non pas qu'un temps grammatical mais aussi le temps d'une expérience universelle et
personnelle. Ils ont ainsi réussit le pari de redéfinir et de ré-actualiser ces mythes de telle sorte qu'ils
s'inscrivent, une fois de plus, dans l'éternité, et dans la conscience de chacun.