Edition Bruxelles / Samedi 21 et dimanche 22 mars 2009 / Quotidien / No 68 / EUR 1,30 / 02 225 55 55
SPORT
Les emplettes Resto moins cher ?
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Pas sûr du tout
lesoir.be
LES PRÉJUGÉS RACISTES
TRÈS SOLIDES EN BELGIQUE
UN CITOYEN sur trois rejette les minorités ethniques. Neuf sur dix n’ont pas
de contacts personnels avec des étrangers. Un sur dix est vraiment raciste.
e Belge est-il raciste ?
L Non, mais… Comme le
montre l’enquête réalisée
par le Centre pour l’égalité des
chances, la première du genre, il
entretient une très grande distan-
ce vis-à-vis des minorités ethni-
Au Kivu, on répare les enfants-soldats
J
amie voulait se battre pour
son pays, le Congo. Lukala
ne sait pas vraiment pour-
quoi il a combattu aux côtés de
Nkunda. Et Jean-Claude, lui,
était du côté des rebelles rwan-
dais. Ces trois adolescents, Colet-
te Brackman, notre envoyée spé-
ciale, les a rencontrés au centre
Don Bosco de Goma. De solides
gaillards, revenus de tout, et sur-
tout du pire : la guerre.
Jamie, Lukala et Jean-Claude
ont été enfants-soldats. Blessés
dans leur corps et dans leurs tê-
tes, ils tentent de se reconstruire.
Ils apprennent la mécanique et
la menuiserie. ■
씰 P.16 & 17 REPORTAGE
SPECTACLES
NÉCROLOGIE
35-36
37
HOROSCOPE
MOTS CROISÉS ET SUDOKU 38
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La 100e du mythique
Milan - San Remo
P.26 & 27
TVA au rabais
Notre enquête
le prouve
P.46
ques, et beaucoup de préjugés à
leur égard. Dans le discours, com-
me dans les attitudes, le racisme
a tendance à se banaliser.
Chez nous, par exemple, 50 %
des gens estiment que les étran-
gers, et plus précisément les Eu-
Leysen (FEB)
d’accord pour
Fortis-Paribas
P.45 La solution bel-
ge séduisait le pa-
tron des patrons.
Mais l’option françai-
se le satisfait aussi.
CHRISTOPHER YATES A FILMÉ « GIRLS IN HAWAII ». P.32
Didier Reynders
Le président du MR
est tombé de son nuage
P.19
Gare à la
ropéens de l’Est et les Maghré-
bins, ont aggravé par leur présen-
ce les problèmes de sécurité.
En fait, les Belges sont surtout
frileux et distants : seuls 10 %
d’entre eux ont des contacts per-
sonnels avec des étrangers.
◆
Le billet
THIERRY FIORILLI
LES ENFANTS
TERRIBLES
« Un enfant sur trois commence
l’alcool à 10 ans. » « Neuf jeunes
(12 à 21 ans) sur dix sont victi-
mes de violence de la part de
leur amoureux/se. » « En Allema-
gne, un ado (15 ans) sur sept se
dit très raciste »… Les enquêtes
s’échinent à nous rappeler que
dépendance
FORUM
Pourquoi nous sommes
nuls en sciences
P.20 & 21
Pour Marco Martiniello, de 씰 P.2 LES RÉSULTATS
l’Université de Liège, le passé co-
lonial de notre pays peut expli-
quer ce genre d’attitude. Pour 씰 P.3 DE JONGHE D’ARDOYE,
Laurent Licata, psychologue de
l’ULB, les Belges ont développé
un « sentiment de menace ». ■
nos gosses ont, de plus en plus,
et de plus en plus tôt, tous les
vices (ils sont aussi : nuls à l’éco-
le – quand ils y vont –, sans res-
pect, pas fût-fût, pleins d’addic-
tions déplorables, menteurs…
et sales, sans doute, en plus).
Que du bonheur.
Au fond, si être parent, c’était
vraiment un métier, il y a belle
lurette qu’on serait chômeur.
En fait, même pas. Puisqu’on au-
rait été viré pour fautes graves.
Les coachs
à petits prix
Offres d'emploi
25 pages
Louis Michel :
« Stop à la
diabolisation
du libéralisme »
L
e MR lance ce samedi sa
campagne pour les euro-
péennes. Louis Michel y
tiendra la vedette. Le commissai-
re européen a partagé son état
d’esprit avec Le Soir : « Contre
les manœuvres de diabolisation,
il faut valoriser le libéralisme ! »
Face aux défis qu’impose la cri-
se, l’ancien président insiste pour
DE L’ENQUÊTE
que l’on sauve le miracle euro-
péen, « sa nature libérale génia-
le, l’alchimie miraculeuse entre
LES JUIFS ET L’ISLAM marché, solidarité, liberté ». ■
씰 P.3 NOTRE COMMENTAIRE 씰 P.4 NOTRE ENTRETIEN
DEFOSSÉ CHEZ ÉCOLO,
MAIS QUI À LA RTBF ?
P.6 & 39 LE JOURNALISTE
passe à la politique. Laanan
est furieuse et déçue.
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Le Soir Samedi 21 et dimanche 22 mars 2009
2 tempsfort
Enquête / Des chiffres à méditer ce 21 mars, Journée de lutte contre le racisme
Un Belge sur trois rejette
les minorités ethniques
LES BELGES sont-ils tolérants ? Pas vraiment. L’enquête du Centre pour l’égalité des chances
montre une grande frilosité et beaucoup de préjugés à l’égard des minorités ethniques.
Plus grave : une relative banalisation du racisme.
es Belges sont-ils tolé-
L rants ? Pour la première
fois, le Centre pour l’égali-
té des chances a commandité une
large enquête sur l’attitude de
l’ensemble de la population belge
à l’égard de groupes ethniques
minoritaire : les Maghrébins, les
Turcs, les Africains subsahariens
et les Européens de l’Est.
Les résultats sont plutôt inquié-
tants. Un tiers des personnes in-
terrogées assume son rejet des
minorités ethniques. Beaucoup
perçoivent l’étranger comme me-
naçant. Comme il s’agit de la pre-
mière étude à grande échelle sur
le racisme, il est difficile d’en ti-
rer des conclusions quant à l’évo-
lution des comportements ou l’ef-
ficacité des politiques publiques
dans ce domaine. Le Centre a
d’ailleurs décidé de poursuivre
l’expérience en réalisant, à ter-
me, un « baromètre de la diversi-
té », qui étudiera ce phénomène
sur le plus long terme. ■
MARTINE VANDEMEULEBROUCKE
Fêter
le dialogue
en mai
Le Centre a des projets pour
encourager la qualité des
contacts entre groupes cultu-
rels ? Joëlle Milquet aussi. A
la mi-mai, la ministre CDH de
l’Egalité des Chances va lan-
cer les Assises de l’intercultu-
ralité. Un mot qu’elle préfère
à « multiculturalité » car il al-
lie « la solidarité, le dialogue
et l’intégration, les commu-
nautés et la société »
Les Assises veulent relancer
et surtout concrétiser quel-
ques-unes des recommanda-
tions de la Commission du
dialogue interculturel créé
sous la précédente législatu-
re (qui avait notamment trai-
té du voile dans l’espace pu-
blic). Mais il s’agit aussi de
poursuivre le travail mené
par cette commission, expli-
que Joëlle Milquet, « l’appro-
fondir, élargir le champ de la
discussion et le nombre d’ac-
teurs consultés ». Les Assises
ont pour ambition de per-
mettre aux acteurs de terrain
d’échanger les « bonnes prati-
ques » développées au ni-
veau local. Enfin, la ministre
espère qu’elles aboutiront à
stimuler des prises de déci-
sions et des politiques publi-
ques « qui favorisent l’harmo-
nie de la vie quotidienne ». On
planchera sur la neutralité
des services publics, la recon-
naissance des minorités cul-
turelles, l’influence du fait re-
ligieux, la diversité sur le lieu
de travail etc. Les Assises au-
ront lieu du 15 au 23 mai.
M.Vdm
1NL
Que dit l’enquête du Centre pour l’égalité des chances ?
qu’ils connaissent peu. Les con-
Les plus hostiles sont ceux qui tacts sont superficiels. Moins de
ne rencontrent aucun étranger 10nels%; 59ont% ont peu ou pas de con- l'antipathie totale à la sympathie absolue)
Les francophones, comme les Fla-
mands, s’aiment bien. Sur une
échelle de sentiments qui va de
trente (relative hostilité) à pres-
que 90 (forte appréciation), on
constate tout de même que les
Flamands ont à l’égard des fran-
cophones des sentiments plus mi-
tigés. Les Américains ? Les Euro-
péens de l’Ouest ? Bof, c’est assez
neutre. Les sentiments les plus né-
gatifs se manifestent à l’égard
des quatre minorités. Avec une
exception notable : les Bruxellois.
Ce qui fait dire au Centre que
10 % de racistes rabiques,
42 % de « tolérants »
Ils viennent pour profiter de no-
tre sécurité sociale (40 %). Ils ont
aggravé les problèmes de crimi-
nalité, en tout cas les Maghrébins
(50 %) et les Européens de l’Est
(62 %). Ils, les Maghrébins et les
Turcs, sont une menace pour no-
tre culture. Entre 30 et 40 % se de-
mandent s’il faut bien autoriser
les minorités ethniques à venir
travailler en Belgique…
Il persiste décidément dans la so-
ciété belge un grand nombre de
préjugés xénophobes.
Mais le tableau n’est pas homogè-
ne. Il y a des nuances, des hésita-
tions voire des contradictions
dans les réponses.
L’Ipsos qui a réalisé cette enquê-
te a regroupé les individus en
fonction de la similarité de leurs
réponses.
« Pas racistes mais… » : doutes
et ambivalences des Belges
C’est la partie la plus troublante
de l’enquête. Six Belges sur dix
minimisent les attitudes racistes
et pensent que certains compor-
tements peuvent les justifier. Par-
mi eux, surtout les moins quali-
fiés et ceux qui ont vécu une ex-
périence négative avec un grou-
pe minoritaire (72 %). A l’inverse,
les jeunes, les Bruxellois, ceux
qui votent Ecolo sont les plus to-
lérants.
Deux tiers des Belges estiment
qu’il est inacceptable de tenir
des propos racistes sur la voie pu-
blique, près de sept sur dix s’in-
surgent contre le refus d’embau-
che d’une personne en raison de
son origine mais il reste ce noyau
dur, qui s’assume raciste et dé-
fend la supériorité de certaines
races. Surtout des hommes, des
Quel sentiment éprouvez-vous par rapport à ces groupes de LE SOIR - 21.03.09
Source : CECLR
des contacts person- populations? (Sur une échelle croissante de 0 à 100 qui va de
tacts avec des Maghrébins ; 69 %
« plus les gens ont des contacts ne connaissent pas d’Africains. Flandre Wallonie Bruxelles Total
avec les étrangers, plus ils sont tolé- Les inactifs, les Flamands et ceux
Les Belges néerlandophones 82,3 71,3 79,7 78,5
rants. La diversité culturelle, com- qui votent pour des partis popu-
me elle existe dans la capitale, n’en- listes sont ceux qui ont le moins Les Belges francophones 66,1 82 88,7 73,1
gendre pas l’intolérance ». De fait, de relations avec les minorités
Les personnes d'origine américaine 57 55,2 69,3 57,4
les expressions hostiles sont sur- ethniques. Parmi la petite minori-
tout exprimées par les plus âgés, té qui a ou a eu des contacts, Les personnes d'Europe occidentale 62,4 45,1 61 56,7
les moins qualifiés et ceux qui 63 % disent n’avoir jamais eu d’ex- Les personnes d'origine asiatique 53 49 64,7 52,7
n’ont jamais eu de contact avec périence négative avec des per-
ces groupes minoritaires. C’est sonnes d’origine étrangère. Les personnes origin. d'Afr. subsaharienne 44,9 42,3 60,9 45,4
bien là le paradoxe : Les Belges Quant aux expériences négatives Les personnes d'origine turque 45,2 41,5 57,7 45
(dans leur ensemble, donc aussi ce sont surtout des disputes ver-
les Belges d’origine étrangère) bales, des gestes grossiers. Ce Les personnes origin. d'Europe de l'Est 43,2 43,7 59,2 44,7
n’aiment pas trop les étrangers sont les jeunes et les Bruxellois Les personnes d'origine maghrébine 41,9 39,7 54,8 42,2
d’origine turque et maghrébine... qui sont le moins épargnés.
« Les problèmes de criminalité sont devenus pires en Belgique suite à l'arrivée de.... » LE SOIR - 21.03.09
Source : CECLR
Sans opinion / ne sait pas
Pas d’accord
Pas du tout d’accord
Ni d’accord ni pas d’accord
Il se dégage cinq grands groupes. D’accord Tout à fait d’accord
Les « intégristes intolérants » (en
clair : les racistes purs et durs) for-
ment 10 % des répondants. Ce Maghrébins 4 5 % 15 % 20 % 31 % 25 %
sont ceux qui n’acceptent aucu-
ne personne issue d’une minorité
ethnique, qui ne veulent leur re- Turcs 5% 6% 19 % 22 % 27 % 21 %
connaître aucun droit. Ils ont le ni-
veau d’instruction le plus bas, ha-
bitent en région rurale et, pour la Européens de l'Est 5% 5% 15 % 23 % 28 % 24 %
moitié d’entre eux, en Wallonie.
Les « intolérants paternalistes » re-
groupent 21 % de l’échantillon. Africains sub-sahariens 5% 8% 22 % 38 % 22 % 16 %
Moins hargneux que les pre-
miers, ils peuvent se montrer con-
ciliants si l’étranger adopte leurs tion peu élevé. Les « hésitants » sion aux valeurs chrétiennes. soi. Ce groupe, plus ouvert, « gar-
comportement et valeurs (parler forment l’un des deux groupes « Un groupe tiraillé entre ces va- de une certaine prudence ». Les
la langue et... faire le boulot que les plus importants (27 %). Ils font leurs et la peur de l’autre », selon « tolérants militants » (15 %), en-
les Belges ne veulent plus faire). preuve d’une tolérance « modu- les enquêteurs. Les « tolérants fin, vivent dans des quartiers mix-
Ils se recrutent parmi les plus de lée », n’ont pas vraiment d’idées conformistes » (27 %) ont volon- tes. C’est parmi eux qu’on trouve
55 ans, les Flamands (70 %) et précises sur la question. Ce qui tiers des contacts avec les minori- le plus de jeunes urbains avec un
ceux qui ont un niveau d’instruc- les caractérise, c’est leur adhé- tés. La mixité est une valeur en niveau d’éducation élevé.
Diriez vous qu’en Belgique, les personnes appartenant à un groupe ethnique minoritaire rencontrent beaucoup plus
de difficultés, plus de difficultés, ni plus ni moins de difficultés, plus de facilités, beaucoup plus de facilités en ce qui
concerne l’accès …
Sans opinion / ne sait pas Beaucoup plus de difficultés
Flamands, des travailleurs. Plus de difficultés Ni plus de difficultés, ni plus de facilités
Une petite majorité des Belges Plus de facilités Beaucoup plus de facilités
sont conscients de l’existence de
Au logement 5% 33 % 33 % 28 % 20 % 7%
discriminations à l’égard des mi-
norités. Surtout en matière d’em-
ploi, moins de logement, mais Aux boîtes de nuit 8% 11 % 45 % 28 % 5%1
lorsqu’on évoque l’accès aux allo-
cations de chômage, on retombe
dans les clichés : les gens sont A l’emploi 4% 8% 44 % 30 % 11 % 3
deux fois plus nombreux à consi-
dérer les étrangers comme privi-
légiés dans ce domaine. C’est sur- Aux allocations de chômage 7 % 3 % 14 % 38 % 24 % 14 %
tout le cas des Wallons, des popu-
listes, des plus âgés.
Pourtant, globalement, les Bel- À l’enseignement
LE SOIR - 21.03.09 5%3% 22 % 55 % 11 % 4 %
ges admettent que notre société Source : CECLR
et à la formation
est multiculturelle. Est-ce une ri-
chesse ? Une petite majorité d’entre nous ». atteintes. Si le nombre d’étran- sent. Les Belges mettent la diver-
(55 %) le pense. L’intégration, On sent des interrogations sur gers augmente encore, « nous au- sité sous conditions : les minori-
c’est, disent les personnes inter- les capacités de notre société à in- rons des problèmes ». Ce sont les tés doivent réserver leurs prati-
rogées, surtout l’affaire des auto- tégrer les nouveaux arrivants : Flamands mais aussi les socialis- ques culturelles à leur sphère pri-
rités publiques et « de chacun 66 % disent que les limites sont tes et les catholiques qui le pen- vée. M. Vdm
www.lesoir.be

« L’héritage, aussi, de
notre passé colonial »
ENTRETIEN
arco Martiniello est direc-
M teur du Centre d’études de
l’ethnicité et des migrations (Ce-
dem) de l’Université de Liège.
Comment expliquer cette hostili-
té d’un Belge sur trois à l’égard
des minorités ethniques ?
J’y vois une explication histori-
que : il reste, dans nos cultures eu-
ropéennes, un héritage enfoui, lié
à notre passé colonial. Il est incor-
poré, voire inconscient, et ça n’est
pas forcément perçu comme du
racisme. Mais ce vieux fond eth-
nocentriste, est bel et bien là.
Avec, pour une partie interpellan-
te des sondés (33 % !), une convic-
tion selon laquelle il existe une
hiérarchie entre les races !
L’autre facteur est d’ordre sociolo-
gique, à mon avis. C’est la résis-
tance à la mondialisation ; la
nostalgie de l’Etat-nation. Une
perte de repères et beaucoup d’in-
compréhension face à un monde
globalisé et métissé.
Ensuite, il y a toujours l’« effet
11 septembre » : immigrés = mu-
sulmans = terroristes.
Et puis il y a les effets de la crise
économique. En période d’insécu-
rité et de précarité, l’« étranger »,
celui qui vient « d’ailleurs », c’est
le concurrent, l’ennemi, etc.
Est-ce aussi un échec des politi-
ques antiracistes ?
Non, ce serait aller trop vite en be-
sogne. Sans l’arsenal législatif,
sans toutes les initiatives publi-
De Jonghe d’Ardoye,
les Juifs et l’Islam…
n mandataire public est-il
U un citoyen comme les au-
tres ? Peut-il s’autoriser en toute
impunité des dérapages dignes
du Café du Commerce ? La ques-
tion se pose à Ixelles depuis que
l’ancien bourgmestre Yves de
Jonghe d’Ardoye (MR), actuelle-
ment député régional et échevin
de la culture, a largement diffusé
par courriel une pseudo-blague
qui souligne l’infériorité des po-
pulations musulmanes par rap-
port à la communauté juive.
L’objet de l’indignation ? Yves
de Jonghe d’Ardoye a fait géné-
reusement circuler, « juste pour
se faire plaisir », un texte aux re-
lents racistes sur « Les Juifs et
l’Islam ». Il y est question du
nombre de prix Nobel décrochés
par 1,2 milliard de musulmans
par rapport aux 14 millions de
Juifs qui peuplent la planète. On
devine le déséquilibre qui se déga-
ge du décompte malsain…
Homme privé, homme public
Pire : en guise de commentai-
re, le texte s’abreuve aux plus in-
fects clichés qui circulent sur l’Is-
lam. Morceaux choisis : « Les
Juifs ne pratiquent pas le lavage
de cerveau de leurs enfants dans
des camps militaires, leur ensei-
gnant à se faire exploser en cau-
sant le maximum de morts par-
mi les non-croyants. » Ou bien :
« Les Juifs ne prennent pas les
avions en otage, ni ne tuent les
athlètes des Jeux olympiques. »
Une rawette ? « Les Juifs ne font
pas la traite des esclaves et n’ont
pas de leaders appelant au Jihad
et à la mort de tous les infidèles. »
Plus d’un destinataire du mail
nauséabond s’est révolté, y com-
pris parmi les rangs du MR.
Et l’affaire est remontée jus-
qu’au conseil communal, où
l’élue Ecolo Zohra Chbaral a vou-
lu interroger jeudi soir l’échevin
de la culture. Sans succès.
www.lesoir.be
ques et associatives, ces résultats
seraient sans doute encore plus
préoccupants. Mais on ne change
pas les mentalités en un jour. Le
savoir vivre ensemble, le respect
mutuel, la volonté de connaissan-
ce réciproque, ça se travaille sur
la durée, et dès la petite enfance.
La classe politique doit-elle ba-
layer devant sa porte ?
Oui, mais comme tout citoyen
doit pouvoir s’interroger sur ses
propres comportements. La mon-
tée de l’intolérance est aussi liée à
la montée des discours populistes
et xénophobes ; aux réponses poli-
tiques à apporter à des questions
aussi préoccupantes que l’avenir
de la Sécurité sociale ou la lutte
contre l’insécurité ; à l’« apart-
heid scolaire » qui sévit dans les
grandes villes ; à l’absence de ré-
ponse gouvernementale à des mil-
liers de sans-papiers, malgré un
accord signé, etc.
Cette enquête est-elle source
d’espoir, malgré tout ?
Bien entendu. Notamment en ce
qui concerne la société multicul-
turelle, ça semble un fait acquis,
une évolution de l’histoire. Ce son-
dage est une photographie, il fau-
dra confronter les chiffres dans le
temps. Et se dire que derrière cet-
te intolérance affichée, il y a bien
des initiatives positives, un sa-
voir-faire, de la solidarité. Le ra-
cisme, fort heureusement, est loin
d’être la valeur dominante. ■
Propos recueillis par
H. Do.
YVES DE JONGHE D’ARDOYE a-t-il gra-
vement dérapé ? © ALAIN DEWEZ.
Après avoir renvoyé l’interpel-
lation en comité secret, le bourg-
mestre Willy Decourty (PS) l’a dé-
clarée irrecevable, arguant du ca-
ractère personnel d’un courriel
n’ayant aucun effet sur l’action
publique de l’échevin. « Le bourg-
mestre m’a coupé la parole. Dès
lors que ce mail a été largement
diffusé et relayé par la presse, il
quitte la sphère personnelle pour
rentrer dans le champ politique.
Le socialiste Decourty cautionne
les propos racistes et xénophobes
d’Yves de Jonghe d’Ardoye », dé-
nonce la conseillère communale.
Elle a été rejointe par le groupe
CDH, qui a saisi la tutelle régio-
nale sur la « censure » exercée au
conseil communal, ainsi que le
Centre pour l’égalité des chances,
sur le fond de l’affaire. La conseil-
lère et députée régionale huma-
niste Julie de Groote estime
qu’un échevin, qui exerce une
fonction exécutive, est censé re-
présenter l’ensemble de la popu-
lation et que ses déclarations ne
peuvent donc être interprétées
comme purement personnelles.
Au MR, tant la cheffe de file
ixelloise Dominique Dufourny
que la présidente de la régionale
bruxelloise Françoise Bertieaux
conservent leur confiance à Yves
de Jonghe d’Ardoye, estimant
qu’il ne s’est exprimé qu’à titre
privé. ■ FRANCIS DUBOIS
Le Soir Samedi 21 et dimanche 22 mars 2009
tempsfort 3
« Un sentiment de menace »
aurent Licata est psycholo-
ENTRETIEN écoles, etc. Mais il y a également
des craintes d’ordre symbolique :
Comment combattre cette ten- le débat démocratique. On touche
à l’image, à la représentation des
L gue et premier assistant à
l’unité de psychologie sociale de
cette présence « étrangère » mena-
ce notre identité, nos valeurs, no-
dance lourde à l’intolérance ?
Par l’éducation, avant tout. Petit,
l’enfant n’est pas capable de por-
minorités, à l’accès aux médias, à
la capacité de faire advenir un
l’ULB. Il décode ces comporte-
ments d’intolérance.
tre histoire. Mais il s’agit plus
d’interprétations que d’une réali-
ter un jugement global et catégori-
sant sur « les étrangers ». Si
vrai dialogue et pas un simple
rapport de force. Certes, les résul-
Certaines études s’appuient en ef- té objective. Il y a beaucoup de mé- dans son environnement fami- tats de ce sondage sont inquié-
fet sur la personnalité des indivi- connaissance et une tendance à lial, on développe des normes et tants. Mais il y a des raisons d’es-
dus pour expliquer le racisme. Ce voir « les immigrés » comme une des valeurs positives, respectueu- pérer. Un exemple : l’extraordi-
sont généralement les mêmes per- catégorie statique et homogène, ses de la différence, il pourra naire mobilisation des jeunes, no-
alors qu’elle inclut des personnes prendre davantage de distance et tamment, en faveur des sans pa-
« Il y a des craintes dont le parcours et les situations construire un discours équilibré. piers. C’est un combat pour une
d’ordre symbolique : sont extrêmement divers. Par ail- Et à l’échelle de la société ? société plus juste et décente, pour
cette présence leurs, on désigne des citoyens qui En écoutant davantage les per- le respect des droits fondamen-
“étrangère“ sont nés en Belgique et/ou qui pos- sonnes issues de l’immigration. taux ■ Propos recueillis par
menacerait sèdent la nationalité belge. En les intégrant réellement dans H.Do.
notre identité
et nos valeurs »
Laurent Licata (ULB)
◆
Commentaire principe, ceux qui sont imprégnés de tous les instants. C’est le prix à
sonnes qui sont racistes, antisé- de préjugés raciaux et d’ethnocen- payer pour réussir un vrai projet
mites, homophobes, etc. On parle trisme larvé, serait simpliste, naïf cosmopolite, loin d’une Belgique
alors d’un « syndrome de réjec- et contre-productif. La haine se sans tache, trop lisse et uniforme.
tion des autres groupes ». D’au- nourrit de la peur, de l’ignorance, Cohabiter, c’est aussi se plonger
tres études mettent également en des fausses croyances. Pour la dans l’histoire. Celle de notre im-
avant certains traits de caractè- combattre, il faut de la raison et migration. Depuis les colonies jus-
re : des individus autoritaires ; HUGUES DORZÉE du cœur, de vrais programmes qu’à la bataille du charbon. C’est
partisans d’une société basée sur d’éducation, dès la maternelle, et rappeler, aux jeunes générations,
la domination sociale, etc. COHABITER PAR-DELÀ des politiques publiques volonta- comment et pourquoi notre Etat a
Mais, seules, ces explications psy- ristes et égalitaires : moins d’éco- importé, au siècle passé, de la
chologiques sont peu efficaces LES CULTURES ? TOUT les ghettos, de l’emploi pour tous, main-d’œuvre bon marché pour
pour rendre compte de l’évolu- SAUF « BENETTON » des logements à prix décents, une accomplir des tâches lourdes et in-
tion des sentiments racistes. vraie justice sociale, etc. grates dans nos mines et aciéries.
Pourquoi ? Au diable les discours angéliques, Mais la société plurielle – cessons Aujourd’hui, les enfants d’immi-
Car il faut nécessairement tenir mâtinés de bons sentiments : l’in- ici aussi les clichés ! – ne se réduit grés, nés ici pour la plupart, subis-
compte des changements socié- tolérance, les passions féroces et pas à un clip mielleux façon « Uni- sent de plein fouet l’« apartheid
taux qui nourrissent l’intoléran- l’étroitesse d’esprit ont encore ted Colors of Benetton ». scolaire », la discrimination à l’em-
ce. Il y a des craintes, fondées ou – hélas ! – de beaux jours devant Cohabiter, par-delà les différences bauche, l’exclusion qui cache son
non. Un sentiment de menace fa- eux. Le racisme, qu’on le veuille culturelles et religieuses, nécessite nom… Combattre ce racisme, dé-
ce à des préoccupations matériel- ou non, reste plus que jamais une un effort, des compromis, des sormais mesuré et chiffré, n’est
les : la présence d’étrangers mena- maladie grave de notre société. droits et devoirs, une volonté réci- plus une coquetterie citoyenne,
ce notre emploi, engendre l’insécu- Mais condamner, d’un bloc et par proque, un débat et une vigilance mais un véritable devoir d’Etat.
rité, fait baisser le niveau de nos
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J.P. LOAFER
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