Вы находитесь на странице: 1из 13

GRANDEUR ET DECADENCE DE LA

VALIDITE EN SCIENCES DE
GESTION : IMPLICATIONS POUR
LES INDICATEURS DE LA RSE

Pascal KOEBERLE
Ecole de Management Strasbourg
Université de Strasbourg
pascal.koeberle@em-strasbourg.eu

Jacques LEWKOWICZ
Ecole de Management Strasbourg
Université de Strasbourg
jacques.lewkowicz@em-strasbourg.eu

INTRODUCTION
L’organisation est un lieu de dilemmes managériaux, ce dont les sciences
des organisations rendent compte sous forme de débats théoriques. Admet-
tant que la connaissance constitue la ressource critique dans la construction
d’un avantage concurrentiel durable, nous retenons de la littérature quatre
composantes fondamentales de toute entreprise - cognitive, organisationnelle,
sociétale et stratégique. Notre ambition ultime d’étudier la capacité des en-
treprises à changer, incite à une réduction de chacun de ces quatre niveaux, à
deux débats-clés. Les deux débats de chaque composante, croisés entre eux,
structurent des concepts associés à cette problématique du changement. En

Colloque ISEOR-AOM 8-10 juin 2009, Lyon 1


Pascal KOEBERLE et Jacques LEWKOWICZ

outre, les concepts attachés aux différents niveaux présentent des interdépen-
dances théoriques, d’où émergent quatre arrangements de ce vaste ensemble
de concepts. En somme, ces arrangements représentent quatre configurations
organisationnelles, qui se distinguent par leur capacité à changer. Ces confi-
gurations ainsi conceptualisées, articulent et fusionnent les archétypes tradi-
tionnels de Mintzberg (1980), ainsi que le modèle de la firme japonaise (Aoki,
1986 ; Nonaka, 1994), en quatre types de structures : bureaucraties mécaniste
et professionnelle, adhocratie et firme-J. Ce travail typologique, cherchant à
connecter l’approche du design organisationnel et la perspective du change-
ment comme processus d’apprentissage, constitue la trame directrice dans
laquelle s’insère cette communication. Il est synthétisé dans la première par-
tie.
La responsabilité sociale des entreprises (RSE) représente l’un des huit
débats que nous retenons. Elle est une pièce essentielle de notre perspective
configurationnelle du changement, parce qu’elle est une source de dilemmes
aujourd’hui particulièrement criante pour les managers, pris entre deux feux :
satisfaction des objectifs ou satisfaction des parties prenantes. Ce dilemme
implique l’existence d’indicateurs. Plus spécifiquement, l’articulation de dé-
bats que nous proposons, suggère que l’adoption de pratiques responsables
s’inscrit dans un processus plus large : l’adoption de la configuration de forme
J. Firme J et RSE convergent et se renforcent mutuellement. Mais, paradoxa-
lement, la firme J porte en elle les germes de son auto-destruction, et avec elle
celle de la RSE (Lewkowicz et Koeberlé, 2009). Ce paradoxe peut se com-
prendre si l’on pose l’existence de tendances contradictoires, sous-jacentes
aux faits observables et génératrices d’un mécanisme de changement révolu-
tionnaire (défini comme un changement de configuration organisationnelle),
par effet de la cumulativité du changement évolutionnaire (défini comme ré-
sultat d’apprentissages intra-configurationnels). Ces idées sont argumentées
dans la seconde partie.
Les tenants épistémologiques et méthodologiques de notre approche sont
discutés. D’un point de vue réaliste critique (Fleetwood, 2005 ; Reed, 2005),
les indicateurs - y inclus ceux de la RSE - servent à observer des faits indé-
pendants de l’observateur, lesquels lui servent à identifier les tendances sous-
jacentes qui les ont fait émerger. Faits et tendances sous-jacentes forment
deux strates ontologiques distinctes. L’effort de connaissance se concentre,
pour les réalistes critiques, sur la strate sous-jacente. Dans cette optique, les
faits (c’est-à-dire, les indicateurs) ont une essence ambivalente (Perret, 1998),
faite de contradictions internes (Ford et Ford, 1994 ; Poole et Van de Ven,
1989). Ils n’ont pour ainsi dire pas de dénominateur commun qui permettrait
de les comparer entre eux. La recherche de validité au sens classique se heurte

2 Colloque ISEOR-AOM 8-10 juin 2009, Lyon


Grandeur et décadence de la validité en sciences de gestion

à cette difficulté. Nous pensons qu’il faut substituer la conception classique


de la validité, à celle de validité tendancielle prenant mieux en compte la
nature contradictoire des faits observables et leurs mécanismes sous-jacents.
Les implications pour la théorie et la pratique évoquées en conclusion
pour souligner les retombées possibles d’une réflexion épistémologique. En
contrariété avec une hypothèse centrale du modèle de l’équilibre ponctué
(Romanelli et Tushman, 1994), le changement incrémental est cumulatif et
peut aboutir à des changements radicaux, ce qui ne signifie pas que ceci soit
aisément observable. Par ailleurs, l’accès à la RSE - la capacité d’une organi-
sation à adopter le modèle de la firme J - ne peut faire l’objet d’un processus
normalisé universel. Les changements incrémentaux dont une organisation a
besoin pour y parvenir, dépendent de l’état de ses propres dilemmes, c’est-à-
dire de sa propre trajectoire stratégique (Lewkowicz, 1992).
Il est nécessaire de préciser, enfin, que notre recherche n’est pas spéci-
fique aux indicateurs de la RSE. Elle se veut au contraire transversale aux
études des organisations, ce qui est le propre des discussions épistémolo-
giques et méthodologiques. La problématique de la RSE, en lien avec celle
du changement, sert à illustrer nos propos. Nous sommes reconnaissants aux
organisateurs d’accorder une place à ces discussions.

L’ORGANISATION, CONFIGURATION DE
DILEMMES
« Même si c’est mon souhait, je ne peux pas changer mon concept du jour au
lendemain, parce qu’en face je ne sais pas si quelqu’un va acheter ». Comme
beaucoup d’autres, ce dirigeant d’une PME alsacienne sait ce que sont les
effets d’irréversibilité. Jamais il ne parle de dépendance de sentier (Nelson et
Winter, 1982). Les mots, parfois, divisent des idées qui pourtant s’accordent.
Les managers font face à des dilemmes décisionnels que nous, chercheurs,
conceptualisons en autant de débats. Nous proposons d’en retenir huit, im-
pliquant quatre composantes présentes en toute organisation : cognitive, or-
ganisationnelle, sociétale et stratégique.

Connaissances
La perspective de l’apprentissage organisationnel pose une ressource stratégique-
clé : les connaissances. Deux débats sont, ici, caractéristiques. Polanyi (1962)
distinguent les connaissances tacites et explicites. Les premières sont por-
teuses d’une inimitabilité relative ; les secondes, transférables, sont centrales

Colloque ISEOR-AOM 8-10 juin 2009, Lyon 3


Pascal KOEBERLE et Jacques LEWKOWICZ

à l’axiome de transparence de l’information de la concurrence pure et par-


faite. Ce débat en comporte d’autres, tel que celui de la réplication ou au
contraire de la protection des connaissances (Kaplan et al., 2001). De nom-
breuses entreprises sont tout à la fois soucieuses de rédiger méticuleusement
leur procédé de fabrication et de préserver sa confidentialité.
En outre, les connaissances peuvent ainsi être individuelles ou collectives
(Spender, 1996). Dans le premier cas, leurs propriétaires peuvent hésiter à
communiquer ce savoir s’ils escomptent en tirer une rente, ce qui peut aboutir
à la mise en place d’incitations et au renforcement des jeux d’acteurs. Dans
le second, le stockage des connaissances au moyen de systèmes d’information
peut rigidifier et complexifier les interactions au sein de l’organisation, dans
un contexte où l’informatisation paraı̂t souvent incontournable.

Organisation
Il est presque trivial d’opposer une conception taylorienne de l’organisation
à une conception humaniste. Au demeurant, ce troisième débat compose les
pôles du dilemme de la division du travail : quel degré de standardisation et
quel espace d’originalité ? Dans la pratique, le dilemme prend la forme d’un
équilibre à trouver entre les dispositifs de pilotage tels que les objectifs et les
moyens alloués (qui, une fois fixés, peuvent laisser une grande flexibilité aux
individus ou aux communautés de pratiques [Brown et Duguid, 1991] chargés
de la mise en uvre) et les dispositifs de contrôle tels que les procédures rigides
ou une supervision trop directive de la part des managers de proximité.
Une fois le travail divisé, se pose la question de sa coordination, laquelle
débouche sur un quatrième débat. Si la division du travail met l’accent sur la
standardisation, celle-ci peut revêtir un caractère individuel (standardisation
des compétences) ou collectif (standardisation des processus, des produits,
des normes). De même, si l’organisation du travail insiste sur les relations
humaines, celles-ci se distinguent par leur nature individuelle (coordination
par ajustement mutuel) ou collective (coordination par supervision directe
au sein d’équipes-projet non hiérarchisées). En somme, le débat porte sur
l’autonomie accordée tantôt à l’individu, tantôt au groupe. Les mécanismes
de coordination de Mintzberg (1980) sont, ici, repris en les situant sur deux
plans différents.

Contexte sociétal
L’organisation est imprégnée dans un contexte institutionnel, qui influence
ses décisions, en particulier en matière de recrutement. D’une part, le recru-

4 Colloque ISEOR-AOM 8-10 juin 2009, Lyon


Grandeur et décadence de la validité en sciences de gestion

tement peut être élitiste, recherchant une qualification ou s’effectuer sur une
base élargie, recherchant une compétence. Mais les règles du jeu institution-
nelles s’immiscent, souvent, dans la décision (fonction publique en France,
professions libérales réglementées, etc.). Le dilemme consiste à faire coexister
ces deux profils de salariés, qui peuvent être séparés d’une distance cognitive
contraignante (Nooteboom, 2006).
D’autre part, l’organisation peut privilégier un recrutement tantôt in-
terne, tantôt externe, selon que les critères de compétence sont fixés, respec-
tivement, par l’entreprise ou par le marché. Une entreprise qui se referme
sur elle-même favorise l’absorption des connaissances individuelles (Cohen
et Levinthal, 1990), mais risque d’oublier la nécessité d’intégrer de nouveaux
savoirs (Kaplan et al., 2001) et celle d’assurer la pérennité de son savoir-faire.

Stratégie
Un débat stratégique fondamental est celui de l’organisation ambidextre, ca-
pable d’associer des activités d’exploitation et d’exploration (March, 1991).
Du bref exemple cité plus haut, il faut retenir que le métier hérité de l’en-
treprise la contraint à l’exploitation, autant sinon davantage que le besoin
de rentabilisation de ses investissements. L’exploration d’un métier recherché
(Lewkowicz, 1992) demeure malgré tout indispensable dans un environne-
ment dynamique (Tushman et O’Reilly, 1996).
Enfin, l’ultime débat oppose deux finalités extrêmes de l’entreprise : va-
lorisation actionnariale (création de valeur financière à court terme) ou par-
tenariale (élargissement des critères d’évaluation de la performance, partage
rééquilibré de la valeur ajoutée, etc.). Les indicateurs de la RSE se situent
dans ce débat.

Hypothèse de configuration
Par hypothèse, la structure organisationnelle efficiente requiert une cohérence
interne parmi les paramètres du design (Mintzberg, 1980, p. 328). Nous re-
prenons cette hypothèse à notre compte, appliquée aux concepts présentés.
Les débats retenus sont liés, manifestement, par une correspondance déduc-
tive. Nous proposons quatre ensembles de concepts, articulés selon deux axes,
dont le croisement révèle quatre modèles de structures idéaltypiques (Figure
1).
Cette hypothèse de configuration converge avec les travaux de Lam (2000)
et Lewkowicz (2006). Toutefois, ces auteurs ont plutôt insisté sur la descrip-
tion des configurations, au détriment de celle de l’articulation des configura-

Colloque ISEOR-AOM 8-10 juin 2009, Lyon 5


Pascal KOEBERLE et Jacques LEWKOWICZ

Figure 1 – L’organisation, configuration de dilemmes


Connaissances explicites
Standardisation forte
Recrutement élitiste
Exploitation du métier hérité

Bureaucratie Bureaucratie
professionnelle mécaniste

Connaissances individuelles Connaissances collectives


Autonomie individuelle Autonomie de groupe
Recrutement externe Recrutement interne
Valorisation actionnariale Valorisation partenariale

Adhocratie Firme J

Connaissances tacites
Standardisation faible
Recrutement à base élargie
Exploration d’un métier recherché

tions.
Notre représentation souligne que seules la bureaucratie mécaniste et la
firme J, visent une valorisation partenariale. Néanmoins, l’exploration est à
notre avis une condition de la RSE : comment, par exemple, lutter efficace-
ment contre la pollution en se bornant à exploiter les technologies actuelles ?
La firme J nous semble par conséquent la structure la mieux adaptée aux
exigences de la RSE. Nous avons argumenté cette affirmation par ailleurs
(Lewkowicz et Koeberlé, 2009).

DIAGNOSTICS EXPLORATOIRES DE
CONFIGURATIONS STRUCTURELLES
Protocole résumé
Le modèle des configurations de dilemmes (figure 1) a fait l’objet d’un travail
exploratoire impliquant quatre organisations, visant à évaluer la robustesse
des principales propositions qui le soutiennent. Les dilemmes ont été opé-
rationnalisés en un total de 28 variables, observées par études de cas. Les
données collectées par entretiens semi-directifs auprès de deux à quatre in-

6 Colloque ISEOR-AOM 8-10 juin 2009, Lyon


Grandeur et décadence de la validité en sciences de gestion

terlocuteurs par cas, étaient pour l’essentiel constituées de narrations. Nous


manquons d’espace pour restituer nos données. Le lecteur intéressé pourra
se référer à nos travaux antérieurs (Lewkowicz et Koeberlé, 2008). Le trai-
tement des données a consisté à diagnostiquer la configuration de chacune
des organisations, en faisant apparaı̂tre chaque donnée significative sur la
représentation graphique des dilemmes (figure 1).

Résultats envisagés et significations possibles


Pour que l’hypothèse de configuration puisse être conservée, il est nécessaire
que les données collectées pour les différents débats convergent d’une manière
convaincante, selon les configurations qui émergent de nos propositions. Si,
au contraire, les données sont fortement dispersées, il faut rejeter les arrange-
ments de concepts proposés. La question qui se pose est celle de savoir quelle
attitude adoptée en cas de convergence relative. Les configurations étant des
modèles idéaltypiques, il faut s’attendre à ce que les configurations réelles
ne reflètent qu’imparfaitement un idéaltype. Il faut donc éviter de rejeter
précocement notre modèle.

Résultats obtenus
De façon convaincante, les données se regroupent en deux zones du modèle.
Une majorité de données correspond à une configuration « pure », tandis
qu’un autre ensemble de données relève d’une autre structure-type. Notre
modèle configurationnel dispose donc d’un premier ancrage empirique.

Interprétation
Nous proposons que les données majoritaires reflètent la configuration ac-
tuelle de l’organisation. Le second ensemble de données serait révélateur d’un
processus de changement en cours, indiquant la configuration future de l’or-
ganisation, si rien n’est entrepris pour s’y opposer. Nous parlons de désali-
gnement pour désigner cette structuration des données. Nous parlons d’effet
de surcharge pour désigner le moment où, par accumulation, une nouvelle
configuration-type domine. La figure 2 représente cet ensemble conceptuel.
Ce processus de désalignement et de surcharge expliquerait l’émergence
et l’instabilité de toute configuration, y compris la firme J, porteuse de la
RSE.
Cet ensemble conceptuel correspond à une posture épistémologique réa-
liste critique. Cette posture adopte une ontologie stratifiée : les événements

Colloque ISEOR-AOM 8-10 juin 2009, Lyon 7


Pascal KOEBERLE et Jacques LEWKOWICZ

Figure 2 – Le désalignement et l’effet de surcharge

observables et leurs structures sous-jacentes sont vus comme des strates dif-
férentes du réel social (Fairclough, 2005, p.922).
Les entités (en l’espèce, les configurations) possèdent des forces causales
latentes, qui peuvent être activées ou désactivées. Elles se comportent comme
des mécanismes générateurs. Ceux-ci déterminent les événements qui, finale-
ment, se produisent.
L’épistémologie positiviste se contente de l’observation de ces événements.
Dans ce cadre, la validité (interne et externe) est relative à ces observations.
Au contraire, l’épistémologie réaliste critique conduit à l’abandon du concept
classique de validité, pour adopter celui de validité tendancielle.

DISCUSSION : DE LA VALIDITE A
L’IDENTIFICATION DE TENDANCES
SOUS-JACENTES
Parmi les postures épistémologiques, le réalisme critique utilise la méthode
rétroductive. Celle-ci, à la recherche des tendances sous-jacentes à l’origine

8 Colloque ISEOR-AOM 8-10 juin 2009, Lyon


Grandeur et décadence de la validité en sciences de gestion

des faits observables, ouvre la possibilité de donner plus de sens à ces derniers.

Spécificités de la recherche réaliste critique : rétroduction


et validité tendancielle
Le réalisme critique emploie la logique rétroductive. Le concept de validité
tendancielle qui en découle, est à la base de la construction d’indicateurs de
la RSE. La rétroduction est différente de l’abduction.

Figure 3 – Abduction

L’abduction est un mode de raisonnement, permettant d’apporter des ex-


plications aux problèmes posés par les données collectées. Elle exige, parfois,
l’invention de nouvelles explications (Carantini, d’après David, 2001). Dans
cette situation, deux cas sont à distinguer. Dans le premier cas, le chercheur
procède par analogie, en transposant dans le domaine de sa recherche, une
explication provenant d’un autre domaine. Dans le second cas, le chercheur
propose une interprétation radicalement nouvelle. En réalité, ce dernier cas
est celui de la rétroduction (Thompson, 2006).
Reed (2005) pose la rétroduction comme un mode d’inférence visant à
découvrir les mécanismes sous-jacents qui produisent des tendances. Le prin-
cipe rétroductif consiste à conjecturer des relations causales, en raisonnant à
rebours depuis le phénomène.
Nous proposons ci-dessous une représentation schématique de l’abduction
et de la rétroduction qui éclairera cette différence.

Colloque ISEOR-AOM 8-10 juin 2009, Lyon 9


Pascal KOEBERLE et Jacques LEWKOWICZ

Aussi bien dans l’abduction que la rétroduction, une proposition guide


la collecte de données (un processus inductif). Eventuellement, les données
collectées ayant fait l’objet d’un traitement et d’une analyse, font apparaı̂tre
des divergences avec la proposition de départ. Le chercheur doit expliquer
ces divergences, ce qu’il peut faire par abduction ou par rétroduction.
Dans le cas de l’abduction, le chercheur conclura à l’invalidité de la propo-
sition. Il cherchera une explication alternative. Dans le cas de la rétroduction,
le chercheur se met en quête d’une explication capable de rendre compte du
phénomène signalé par les données : la proposition de départ n’est pas reje-
tée, mais il faut trouver un mécanisme explicatif la rendant compatible avec
les données observées. Ceci est caractéristique du réalisme critique.

Figure 4 – Rétroduction

Un mécanisme est générateur d’une tendance, et non d’un résultat ob-


servable. Les données invalident la proposition si l’on considère qu’elles tra-
duisent un résultat. Ce n’est pas le cas si l’on suppose qu’elles reflètent une
tendance, en contradiction avec d’autres. La proposition reste valide si l’on
considère qu’elle représente une tendance dominée par des tendances contra-
dictoires. Dans la rétroduction, le chercheur doit conserver les données et la
proposition initiale ce qui contraint fortement les interprétations possibles,
contrairement à l’abduction. La question de la démarche de validité est donc
posée.

10 Colloque ISEOR-AOM 8-10 juin 2009, Lyon


Grandeur et décadence de la validité en sciences de gestion

Validité et RSE
La validité interne d’une recherche dépend de la validité des indicateurs utili-
sés pour l’observation. La validité externe ne peut exister sans validité interne.
Les indicateurs de RSE sont soumis à ces règles. Dans un cadre positiviste,
toutes les précautions sont prises pour assurer la validité des instruments de
mesure. Cela relève du présupposé que le réel peut être atteint par l’observa-
tion. Lorsque dans ce cadre, le chercheur étudiant le changement du design
organisationnel observe des faits caractéristiques de designs différents dans
la même organisation, il conclura que sa proposition initiale - selon laquelle
les deux designs sont distincts - est invalidée. Sa nouvelle proposition consis-
terait à modifier son système conceptuel.
Le réalisme critique rejette cette démarche : le réel ne peut être connu qu’à
travers une médiation conceptuelle (Fleetwood, 2005). Le même chercheur,
dans ce cadre, aurait des conclusions différentes. L’observation de faits ca-
ractéristiques de designs différents serait interprétée comme le résultat d’une
tension dialectique entre ces designs. L’objectif n’est pas alors de porter un ju-
gement sur la validité de la proposition initiale, mais d’identifier le mécanisme
portant les tendances sous-jacentes. Du fait de ces tendances contradictoire,
la validité ne peut être que tendancielle.
Les indicateurs de RSE sont, eux aussi, le reflet de tendances contra-
dictoires, provenant des divergences d’intérêts entre les parties prenantes.
Si, dans une même entreprise, les valeurs prises par les indicateurs de RSE
semblent appartenir à des politiques différentes, il s’agit d’un indice qu’un
désalignement s’opère, précurseur de l’émergence d’une nouvelle configura-
tion. Dans ces conditions, les indicateurs de RSE n’ont qu’une validité ten-
dancielle : ils peuvent être contradictoires et le résultat de ces contradictions
ne peut pas être anticipé. Il reste possible de détecter une tendance actuelle,
porteuse d’une trajectoire potentielle, spécifique à chaque organisation. La
voie d’accès à la responsabilité sociale des entreprises ne peut donc faire
l’objet d’un processus normalisé universel.

CONCLUSION
La réflexion épistémologique et méthodologique présentée dans cette com-
munication est potentiellement riche en implications théoriques et pratiques.
Elle soutient notre modèle des organisations comme configurations de di-
lemmes. Celui-ci comporte l’hypothèse de cumulativité des changements évo-
lutionnaires, selon laquelle les changements incrémentaux peuvent s’accumu-
ler pour produire un changement radical, révolutionnaire. Cette proposition,

Colloque ISEOR-AOM 8-10 juin 2009, Lyon 11


Pascal KOEBERLE et Jacques LEWKOWICZ

que nous souhaitons à présent consolider empiriquement, est en contradic-


tion avec l’une des principales hypothèses du modèle de l’équilibre ponctué
(Romanelli et Tushman, 1994). Pour autant, nous ne remettons pas en cause
l’intégralité de ce modèle. Mais les longues périodes de changements incré-
mentaux seraient moins des périodes de convergence, que des périodes de
divergences avortées. Ce point converge avec l’une des morphologies du chan-
gement identifiées par Greenwood et Hinings (1988). Ces auteurs, toutefois,
n’envisageaient pas le contenu du changement.
Nous apportons, par ailleurs, des éléments permettant d’affirmer que l’ac-
cès à la responsabilité sociale des entreprises ne peut faire l’objet d’un pro-
cessus normalisé universel. La configuration particulière de chaque organisa-
tion doit l’inciter à adopter des mesures spécifiques, destinées à déstabiliser
l’équilibre établi des dilemmes managériaux. Une bureaucratie mécaniste doit
envisager d’aplatir son organigramme, tandis qu’une adhocratie de répliquer
les connaissances construites. L’épistémologie réaliste critique supporte une
méthodologie capable de révéler des indices précurseurs du désalignement
configurationnel en cours. Il s’agit d’un outil de gestion intéressant, dans
l’optique d’une intervention sur la configuration structurelle, adaptée aux
caractéristiques contingentes de chaque organisation.

BIBLIOGRAPHIE
AOKI, M. (1986). « Horizontal vs. Vertical Information Structure of the Firm ». American
Economic Review, 76, 971-983.
BROWN, J.S. and DUGUID, P. (1991). « Organizational Learning and Communities-of-Practice :
Toward a Unified View of Working, Learning and Innovation ». Organization Science, 2 :1, 40-
57.
COHEN, W.M. and LEVINTHAL, D.A. (1990). « Absorptive Capacity ; A New Perspective on
Learning and Innovation ». Administrative Science Quarterly, 35, 128-152.
DAVID, A. (2001). « Logique, épistémologie et méthodologie en sciences de gestion : trois hy-
potheses revisitées ». In Hatchuel, A., David, A. et Laufer, R. (2001). Les nouvelles fondations
des sciences de gestion. Elements d’épistémologie de la recherche en management, Vuibert,
216p.
FAIRCLOUGH, N. (2005). « Discourse Analysis in Organizational Studies : The Case for Cri-
tique Realism ». Organizational Studies, 26, 915-939.
FLEETWOOD, S. (2005). « Ontology in Organization and Management Studies : A Critical
Realist Perspective ». Organization, 12, 197-222.
FORD, J.D., and FORD, W.F. (1994). « Logics of Identity, Contradiction, and Attraction in
Change ». Academy of Management Review, 19 :4, 756-785.
GREENWOOD, R. and HININGS, C.R. (1988). « Organizational Design Types, Tracks and
the Dynamics of Strategic Change ». Organization Studies, 9, 293-316.

12 Colloque ISEOR-AOM 8-10 juin 2009, Lyon


Grandeur et décadence de la validité en sciences de gestion

KAPLAN, S., SCHENKEL, A., VON KROGH, G. and WEBER, C. (2001). « Knowledge-Based
Theories of the Firm in Strategic Management : A Review and Extension ». MIT Sloan Wor-
king Paper 4216-01.
LAM, A. (2000). « Tacit knowledge, Organizational Learning and Societal Institutions : An
Integrated Framework ». Organization Studies, 21, 487-513.
LEWKOWICZ, J. (1992). « Comment mieux intégrer la technologie dans la stratégie d’entre-
prise ? ». Revue Française de gestion, 89, 46-54.
LEWKOWICZ, J. (2006). « Vers une synthèse des niveaux cognitif, organisationnel, sociétal
et économique en matière de diagnostic stratégique », Actes du colloque international : « Dé-
veloppement organisationnel et changement », ISEOR, Lyon, mai 2006.
LEWKOWICZ, J. et KOEBERLE, P. (2008). « Nouveaux regards sur le changement stratégique
et organisationnel : une étude exploratoire ». Actes de la XVIIème Conférence de l’Association
Internationale de Management Stratégique (AIMS), Nice-Sophia Antipolis, 28-31 mai 2008.
LEWKOWICZ, J. et KOEBERLE, P. (2009). « Le développement durable est-il durable ? L’im-
pact de l’interdépendance des composantes cognitive, organisationnelle, sociétale et écono-
mique ». Innovations 2009/1, 29, 9-33.
MARCH, J.G. (1991). « Exploration and Exploitation in Organizational Learning ». Organiza-
tion Science, 2, 71-87.
MINTZBERG, H. (1980). « Structure in 5’s : a Synthesis of the Research on Organization
Design ». Management Science, 26 :3, 322-341.
NELSON, R. and WINTER, S.G. (1982). An Evolutionary Theory of Economic Change. Cam-
bridge (Mass.), Belknap Press/Harvard University Press.
NONAKA, I. (1994). « A Dynamic Theory of Organizational Knowledge Creation ». Organi-
zation Science, 5, 14-37.
NOOTEBOOM, B. (2006). « Cognitive distance in and between COP’s and firms : where do
exploitation and exploration take place, and how are they connected ? »Paper for DIME work-
shop on Communities of Practice, Durham, 27-28 October 2006.
PERRET, V. (1998). « La gestion ambivalente du changement ». Revue Française de Gestion,
n˚120, 88-97.
POLANYI, M. (1962). Personnal Knowledge : Towards a Post-Critical Philosophy. New York :
Harper Torchbooks.
POOLE, M.S. and VAN DE VEN, A.H. (1989). « Using Paradox to Build Management and
Organization Theories ». Academy of Management Review, 14 :4, 562-578.
ROMANELLI, E. and TUSHMAN, M.L. (1994). « Organizational Transformation as Punctua-
ted Equilibrium : An Empirical Test ». Academy of Management Journal, 37, 1141-1166.
REED, M. (2005). « Reflections on the ‘Realist Turn’ in Organization and Management Stu-
dies ». Journal of Management Studies, 42, 1622-1644.
SPENDER, J.-C. (1996). « Organizational knowledge, learning and memory : three concepts
in search of a theory ». Journal of Organizational Change Management, 9 :1, 63-78.
THOMPSON, K.R. (2006). « Introduction to ATIS and Its Application to SimEd ». Submitted
as Part of the Proffitt Grant Research « Analysis of Pattern in Time and Configuration ».
TUSHMAN, M.L. and O’REILLY, C.A. (1996). « Ambidextrous Organizations : Managing
Evolutionary and Revolutionary Change ». California Management Review, 38 :4, 8-30.

Colloque ISEOR-AOM 8-10 juin 2009, Lyon 13

Вам также может понравиться