L'Anthropologie 105 (2001) 409-419

~ 2001Éditionsscientifiqueset médicalesElsevierSAS.Tousdroitsréservés

Le Mésolithique du Bassin Pannonien et la formation du Rubané

Marcel Dtte., Pierre Noiret

Résumé - Le Rubané apparaît comme une acculturation des Mésolithiques locaux, amorcée dans le Bassin Pannonien à la suite
d'une colonisation trans-balkanique. L'économie, l'architecture et la céramique procèdent d'une adaptation aux moyens locaux,
ce qui explique le décalage chronologique entre l'acculturation et l'expansion géographique. L'ensemble se place à l'intérieur
d'un milieu déjà indo-européen, depuis le Paléolithique récent. ~ 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

acculturation / intéractions / origine de l'agriculture

Abstract - The Mesolithic of the Pannonian Basin and the Formation of the LBK. The LBK appears as the result of accul-
turation of local Mesolithic populations, beginning in the Pannonian Basin following a trans-Balkan colonisation. Economy,
architecture and ceramic proceed from an adaptation to local means, which explains the chronological disjunction between
acculturation and ge?graphic expansion. The whole is placed within a context already Indo-European, since the Late
Palaeolithic. ~ 2001 Editions scientifiques et médicales Elsevier SAS

acculturation / interactions / origins of agriculture

1. Introduction désormais adapté à toutes formes d'environne-

Un des points importants du Néolithique
européen concerne les fondements des sociétés
actuelles.
Lesdécouvertes
réalisées
récemment
sur le
Mésolithiquede Jaszsag(Hongrie) forment une
basedocumentaire,solideet précise,qui permet
d'asseoirla réflexion théoriquesur desobserva-
tions concrètes(Kertész,1996; Makkay, 1996).
La situation de la Pannonie, aux pieds des
Balkanset aux marchesde l'Europe centrale,en
fait un lieu idéal pour étudier les processusde
gestationdu Néolithiquecontinental.Cetteposi-
tion de "seuil" entrela zonedescollinesbalka-
niqueset la zonedesforêtsdanubiennes setrou-
ve accentuée par la disposition,en ce vastebas-
sin propice aux contacts,aux échangeset aux
transformationsculturelles.
Axéesur le sixièmemillénaireB.C., la pério-
de considéréeici correspondau basculement
radical qui voit le Néolithique ancien de rype
balkaniquesemueren un Néolithiqueaccompli,
ments en d'autres latitudes.
2. Le contexte
, , " " ,
T?umeve~sla Medrte~a~ee et vers1 Ege~,.le
massIfbalkam.que reçut dIfferentesforme~d m-
fluen~e~n~toilennedurantles phasesanCIennes
du NeolIthIque.
D'abord,sousla formed'une diffusion lente,
apparemmentselon des processusadaptatifset
progressifs,aboutissantaux groupes de Star-
cevo-Koros,en fin du septièmemillénaire B.C.
(Soudsky, 1973). Ensuite, selon nous, d'une
manièreplus nette et plus brutale,par la diffu-
sion du Vinca ancien (Chapman,1981). Vers
l'autre extrémitédu BassinPannonien,s'amorce
le mouvementRubané,versle milieu du sixième
millénaireB.C., orientévers le nord-ouest.
Comme les deux ailes d'un papillon, ces
deux vastescomplexesdu Néolithique ancien,
balkaniqueet danubien,s'axent sur le Bassin

. Correspondance et tirés à part. prehist@ulg.ac.be

Université de Liège, Service de préhistoire,7, place du xx Août, bât Al, B-4000 Liège, Belgique
410
Pannonienet, chronologiquement, sur le sixième
millénaireB.C.
Un décalagechronologiquede quelquessiè-
clescorrespondaux différencesculturellesmar-
quantles deux côtésde ce Bassin(Jadin,1990).
Une lente adaptationa vu l'abandondesmodes
devie méditerranéens et orientauxen faveurd'é-
lémentsen harmonieavecles régionsforestières
de l'Europe moyenne.La disparition des tells,
desmaisonsplatesen argile, la diminution des
ovicaprins,de la céramiquepeinteet desstatuet-
tes modeléesmarquentce phénomènedansun
sens.Dansl'autre, l'augmentationdes suidéset
des bovidésadaptésaux forêts, la construction
de maisonsde bois à couverturepentueet instal-
léesenvillagesde plaine,et la céramiqueincisée
sont les réponsesculturellesaux conditionsdu
nouvelenvironnement(Otte, 1996).
On assistedonc, dansl'aire considérée,à la
fois à l'extinction de foyers orientauxpuissants
et au développementde courantsnovateursqui
vont traversertout le restede l'Europe.Le terri-
toire de la Hongrieactuellejoue alors le rôle de
creuset,formateurdes modesde vie tout à fait
originaux,inéditset extrêmementprolifiques.
3. La question de l'origine du Rubané
. , '"
Au se~~du Rubane,deux facies reglona~
sont traditionnellement reconnus, le Rubane
ori~ntal.et le Rubané occidental. Le premier
dénvera~tde la culture~~ro.s; le seco~dtirerait
une partie de sescaractenstlques de 1 Influence
exercée par la culture Starcevo-Koros.
tition concerne le nord-est du Bassin Sarépar-
des
Carpates.D'après le schémale plus communé-
ment admis (Jeunesse,1987)1,le Rubanéocci-
dental considéré ici se serait constitué en
Transdanubie hongroise,dansl'est de la Basse-
Autriche et dans le sud-ouestde la Slovaquie.
Considéréesdans un contexte européen,des
datationsradiocarbonerécentespour le Rubané
d'Autrichesupportentcettethéoried'une origine
probableà rechercherdansl'ouest de la Hongrie
et l'est de l'Autriche (Lenneis,Stadleret Windl,
1996).
1 J. Lüning (1988), par exemple, ne partage pas cette opinion.
2 À ce propos, A. Gob (1990) note que pour le Rubané, les modèles purement migrationnistes
se de diffusion du Rubané impliquerait des taux de croissance démographique
doublant tous les.six mois).
M. Otte, P.Noiret
Moderman(1988) résumeles trois modèles
principauxde néolithisationélaboréspour l'ori-
gine du Rubané. Le premier implique que
l'Europe centraleait étécoloniséepar despopu-
lationsvenuesdu Bassindes Carpatessansque
la populationmésolithiqueindigèneait joué un
rôle important.Le deuxièmeinsisteau contraire
sur le grandrôle que doit avoir joué cettepopu-
lation mésolithique,l'explosion démographique
observéen'ayant pas pu avoir lieu sans cet
apport, "pour des raisons biologiques tech-
niques"2.Le troisièmedit quela connaissance de
l'agriculture ("husbandry")était déjà répandue
chez les Mésolithiques,sansles "achèvements
techniquesde la céramique,des herminettesde
pierrepolie et la constructionde maisons".
L'interprétationliée à la migrationextérieure
à partir du sudétait dueà l'ignorancedu proces-
susde formationdu Rubanédansla zoneconsi-
dérée,et à la méconnaissance du Mésolithique
propreau ~assin desCarpates(Kaczanowskaet
Kozlowskl, 1987).
Pendantlongtemps,cette quasi absencede
sites mésolithiques dans la Grande Plaine
Hongroisefut diversementinterprétée.Les deux
positionsextrêmessupposaientrespectivement,
soit une émigrationà la fin du Paléolithiquese
traduisantpar un "vide d'occupation"jusqu'au
. Néolithiqueancien,soit la présenced'une popu-
lation mésolithique locale considérable en
Transdanubie et dansla Plaine.Les résultatsdes
travaux entreprisdès 1989 montrent que cette
région était bien peuplée au Mésolithique et
qu'elle a certainementdûjouer un rôle important
lors de la transitionversle Néolithique(Kertész'
1994).
4. Le Mésolithique de Jaszsag
Attendu depuis longtempspour alimenter
toute théorie explicative, la publication des
découvertes concernant le Mésolithique de
Jaszsagvient combler une lacuneessentielleà
cette réflexion. Les informationsprésentéesci-
dessousrésumentles donnéesprincipalesobte-
nuesrécemment(Kertész,1994,1996).
ne résistent pas à l'analyse. La vites-
irréels (tels que, selon cet auteur, une population
 .e Mésolithique du Bassin Pannonien et la fofl1lation du Rubané 411

~ ..,"-,~/~, / '~--,
Les zones situées au nord et à l'ouest sont
; ('~~~~'- , ~

plus sèches; là étaient concentrées les occupa-

/"_."~' Tisza ',-',

\..Cri~) tions du Paléolithique supérieur (Gravettien) et

Mésolid1iQUS ou nord de ;.".J.
,':'",.;
Ia PlaineHoogroise j de l'Épipaléolithique (Épigravettien).
j ~ 1 Des gîtes de matières premières siliceuses
.. J) J
-'
,
1
K(\r(!s "
... sont facilement accessiblesvers le nord, à 30-50
1 km de distance, dans le massif de Matra, ou dans
:! 1
\
1 .

..,'
-'
les dépôts alluvionnaires contenant du matériel
:-..: altéré issu de ces gîtes (figure 2). Les roches
dominantes dans l'industrie lithique mésoli-
thique de Jaszsagen proviennent: ce sont diffé-
rents types de quartzites. D'autres matières pre-
mières issues de régions plus lointaines ont été
exploitées (radiolarite, obsidienne), mais de
manière beaucoup moins intensive.
On les retrouve (particulièrement l'obsidien-
ne) dans les sites mésolithiques de la vallée de la
Tisza, plus à l'est, au nord du Bassin des Car-
pates, où elles dominent les ensembleslithiques,
par exemple à Barca 1 (Slovaquie) et Ciumesti
(Roumanie).
Les concentrations de matériel archéologique
observées sont en général de petite taille, occu-
pant des surfaces de 12 à 17 m de diamètre (rare-
ment plus). Le site de Jasztelek 1 a livré une
structure de 5 m de diamètre centrée autour d'un
foyer (dénommée 'feature 1'). Des banquettes
étaient installées le long des parois marquéespar
Il trous de poteaux plantés en oblique. L' en-
semble a permis la restitution d'une structure
conique de type hutte archaïque, avec entrée au
sud-ouest, légèrement pentue vers l'intérieur.
Les ressources alimentaires de ces groupes
Figure 1. Geographic location and geological environment of mésolithiques sont fondées à la fois sur la pêche
the Jaszsagregion in Hungary (after Kertész, 1996). 1. Town; et la cueillette, sur la récolte de mollusques et de
2. Holocene fluviatile sediments; 3. Peat; 4. Loess; S. Eolian coquillages, et sur la chasse.Celle-ci est orientée
sand; 6. Limits of Mesolithic sites; 7. Northem limit of the
vers quelques espèces nouvelles d'herbivores
Koros-Cris complex.
holocènes (aurochs, cheval sauvage, cerf, che-
vreuil et sanglier, au site de Jaszbereny1).
Pendant longtemps, la Grande Plaine Hon- L'outillage comprend les types habituels:
groise (l'Alfôld) n'avait livré que des installa- grattoirs, racloirs, perçoirs, lames retouchées,
tions du Néolithique ancien (de type Koros). tronquées, encochéesou à dos, éclats retouchés
Depuis 1989, des prospections systématiques et microlithes. Parmi les armatures microlithi-
suivies de fouilles ont révélé de nombreuses ques, on rencontre des pointes de Stawinoga et
occupations relevant du Paléolithique supérieur de Sauveterre, ainsi que des pièces à base retou-
et du Mésolithique (figure 1). chée ou non. Il existe aussi des segments et des
Concentrés dans une aire géographique triangles, mais les quelques trapèzes découverts
réduite de 20 x 5 km, une centaine de sites méso- ne proviennent que de ramassagesde surface.
lithiques y occupent une localisation en plaine La présencede nucléus, de déchetset de piè-
alluviale offrant des conditions humides favora- ces semi-finies atteste d'une production locale.
bles (faune, végétation). Deux sites ont livré des La technique du micro burin est bien représentée.
occupations mésolithiques en stratigraphie: On rencontre aussi quelques microburins Kru-
Jaszberény1 et Jasztelek 1 (Kertész, 1994, 1996). kowski.
412 M. Otte, P.Noiret
.
* .

2. ,--.(L~-..c::::::::- 1

3. -. orO) .",,'-
--
4. 0
5. .
6. :.., :

g
Jaszbcrény :
~ L_~ km '3-
Figure 2. Carte hydrographique, sites mésolithiques de Jâszsâget localisation des sourcesde matières premières. (d'après Kertész
et al., 1994). 1. Courbes de niveau; 2. Rivière (8), fleuve (F); 3. Frontière entre états; 4. Ville; S. Communes les plus importan-
tes; 6. Aire de répartition des sites mésolithiques.

Figure 2. Hydrographic map, Mesolithic sites of Jâszsâgand location of sources ofraw material. (after Kertész et al., 1994).1.
Topographic lines; 2. Rivers (8) and (F); 3. Political boundaries; 4. Town; S. Significant villages; 6. Distribution of Mesolithic
sites.

Un facièsmésolithiquepossédantsescaracté- l'Holocène.D'aprèsKertész(1996),cetteindus-
ristiques chronologiqueset culturelles propres trie montredescaractères uniques,provenantà la
peutdoncêtredéfini sur basede cesdécouvertes, fois de l'Épigravettienet du Mésolithiqueocci-
dansla partiecentraledecettePlaine,audébutde dental(detype Sauveterre et Beuron/Coincy)3.
-" Le Mésolithiquedu BassinPannonienet la formation du Rubané
5, La chronologie du Mésolithique
J aszsag
La chronologiede l'ensemblemésolithiquede
Jaszsagest désormaismieux connue.Une divi-
sion en quatrephasesa été établie.La phasela
plus anciennese trouve dans le Boréal et cor-
respondau niveauC du site de Jaszberény I. La
deuxièmephaseest égalementplacée dans le
Boréalet correspondaux découvertes de Jaszbe-
rényI (niveauB2) et deJasztelekI (niveauB). La
troisièmephaseest placéeà la fin du Boréalet
correspondà la hutte décriteci-dessus("feature
l" de JasztelekI). Enfin, la quatrièmephase- la
plusrécente- d,atedu débutde l' Atlan,tiq~eet cor-
respond aux decouvertes
"
de surface a Jasztelek I
(dont les trapezes) (Kertesz, 1996).
Les résultats radiocarbones obtenus ne
concernentquele site de Jaszberény I:
8.030.:!:250 BP (Deb-1666): pour le niv. C
(sur coquIllede mollusque);
, :.350:!: 80.B:P(Deb,-246)(s~r carbonatesdu
sedlmentau mIlIeu de 1 occupatIon);
, :.154:!: 62 ~.P(Deb-,3155)
(s~ carbonates du
sedlmentau mIlIeu de 1 occupatIon).
6, Les relations Mésolithique 1 ~ence~anubiennee~qu'elle s'.inscritdans une
N ' ol ' th '
e 1 lque
Dans l'article cité, Kertész (1996) signale
que les travaux récentsn'ont pas identifié un
seul site Koros dans la région de Jaszsag.Les
siteslesplus prochesde cetteculturesetrouvent
dansla valléemoyennede la Tisza.La différen-
ce de localisationdes sites mésolithiqueset du
Néolithique ancien s'explique par des raisons
paléo-écologiques et par lesbesoinsécologiques
différentsde ces deux modesde vie. Les sites
mésolithiquesoccupentdes niches écologiques
rejetéespar la cultureKoros (notammentla plai-
ne alluviale bien irriguée), ce qui expliqueque
lesdeuxgroupesaientvécunon loin l'un del' au-
tre pendantune longuepériodede temps.
La questionseposecependantdeséventueI-
les relationsentretenuespar le Mésolithiquede
Jaszsagavecla cultureKoros.
3 Selon Kertész (1996), le Mésolithique de la vallée de la Tisza peut, lui aussi, être considéré comme une variante spéciale de l'É-
pigravettien local et du technocomplexe mésolithique occidental.
4 Par contre, il faut noter que l'obsidienne domine les ensembles lithiques du Mésolithique de la vallée de la Tizsa et ceux de la
phase ancienne du Groupe à Céramique Linéaire oriental.
413
de Les sites Koros de la région de la Haute
Tiszamontrentune industrielithique exploitant
les ressourceslithiques locales, particulière-
ment l'obsidienne. Dans le Mésolithique de
Jaszsag(au nord de la Plaine Hongroise),l'ob-
sidienneapparaîtrarement(Kertész,1996).Les
caractéristiques typologiqueset technologiques
de la phasefinale de ce Mésolithique(de type
JastelekI), ainsi que les proportionsdes diffé-
rentesrochesutiliséescommematièrespremiè-
res dans l'industrie lithique montrent des ten-
dancesbien différentesde cellesdessitesnéoli-
thiquesde type Koros (Makkay, 1996)4.
Par contre le site de la phaseancienneà
CéramiqueLi~éaired'Europecentralede Buda-
pes
t - A rany hegYI . u,' t mon tre des e' l emen
' t s
h .. . t 't " , .
arc alques qUI on e e mIs en evIdence dans
cette phasefinale du Mésolithique de Jaszsag
(Kertész,1996; Makkay, 1996).
À diversesreprises,des auteursont men-
tionné l'influence mésolithiquesur le Rubané.
Pour le Rubanéd'Europe occidentale,A. Gob
(1990) considèreque "la questionde l'origine
mésolithiquede la pointe danubiennene doit
plus faire de doute", puisqu'on la trouve en
contextemésolithiqueantérieurementà la pré-
evolutIon
M , 1. h.
typologIque contInue allant du
N , 1. h. .
esoIt Ique au eo It Ique ancIen; en outre,
c,etaut~r ~ign~lequ'on ne la,re~co~trep~s à
1 estdu Rhm, n! en co~texte~e~olIthlque,?I en
con~ex;te ~b.an~,ce quI devraItetrele casSIelle
en etalt ongmalre.
De même, le matériel lithique du site Ru-
bané ancien de Friedberg-Bruchenbrucken
(Allemagne) montre lui aussi quelquestraces
des traditions du Mésolithique final, dans la
technologielaminaire orientéevers la produc-
tion de lames régulièresà partir de nucléus à
plan de frappe soigneusement préparé,et dans
la typologie, particulièrementpour les armatu-
res (production et utilisation des trapèzes;
parallélismeévidententrelespointestriangulai-
res danubienneset les piècesdu Mésolithique
final de France et du Benelux) (Gronenbom,
1990).
414
Figure 3. Le Néolithique moyen dans le Bassin des Carpates.
Figure 3. The Middle Neolithic in the Carpathian Basin.
7. Les relations Starcevo-Koros
Rubané
D'autresauteursavaientnotéauparavantdes
dissemblancesentre le Rubané et la culture
Starcevo/Koros(figure 3). Par exemple,Lichar-
dus (Licharduset al., 1985),pour qui le problè-
me de la genèsede la CéramiqueLinéaireOcci-
dentaleest délicat,mêmesi des liaisonsavecle
Néolithiqueancienbalkaniqueà céramiquepein-
te sont"indubitables".Selonlui, Starcevopour-
rait en être l'origine d'un point de vue géogra-
phique,mais il ne s'agit que d'une hypothèse,
car (1) lesmanifestationslesplusanciennesde la
Céramique Linéaire Occidentale apparaissent
plus loin, en Moravie et dansle sud-ouestde la
Slovaquie,et (2) il existedesdifférencesimpor-
tantesdans les formes de céramiqueentre les
deuxcultures"qui ne permettentpasd'admettre
uneévolutiontypologiquecontinue".
Plus récemment, Kind (1998) note qu'il
"existecependantun grandnombred'arguments
allantdansle sensd'un développement autochto-
ne du Néolithiqueen Europecentrale"(artefacts
M. Otte, P.Noiret
.
1 lithiqueset faunetémoignantde traditionsméso-
lithiqueslocalesdansla culturerubanéeancien-
ne). Lui aussiinsistesur un point essentiel:"les
ressemblances entreles vasesde la cultureruba-
néeancienneet ceuxde la régionStarcevo/Koros
sont bien trop faibles pour constituerla preuve
décisive d'une immigration. L'import d'un
savoir-fairenéolithique,commela domestication
des animauxou la culture de certainesplantes,
ainsi que l'adaptationdes populationsmésoli-
thiquesd'Europecentraleà unenouvelleécono-
mie paraissent doncbeaucoupplus probables."
L'analysedesindustrieslithiquesdesensem-
bles néolithiquesmentionnésci-dessusmontre
que le groupe à CéramiqueLinéaire Oriental
provientcertainementd'une évolutionsur place
du complexeStarcevo-Koros, alorsque le grou-
pe à CéramiqueLinéaireOccidentala subi, au
moins dans sa phasemoyenne,l'influence de
Vinca (Kaczanowskaet Kozlowski, 1987 ;
Kozlowski,1993).
La divergenceentre les deux zones de la
Pannonie(orientaleet occidentale)et la distinc-
tion entre les deux mouvements(balkaniqueet
 Le Mésolithiquedu BassinPannonienet la formation du Rubané
danubien),possèdedésormaisune signification,
ethniqueet culturelle vraisemblable.La densité
de l'o~cupa~ionmésolithi.que, ~ins~~évélée,per-
~~t d .expll~uer~ette dlscontlnulte en ter.rnes
hlstonques,coh~rents. Sur.ce fond et,hnlque
local~un p~enomeneadapt~tlfa p~ ,sedeve!op-
per, a la ~OISdansle dom.amede 1economleet
dansceluI de la technologie.
Comme autre avantage,cette circonstance
force à briser les tabousinterdisantsouventles
considérationssur les contactsentreles popula-
tions mésolithiques indigènes et celles du
Néolithique d'origine extérieure. Par consé-
quent,les différentesécoles,traitant séparément
de cesproblèmes,sontelles aussienfin rassem-
blées,entremésolithicienset néolithiciens,afin
d'aborderensemblele mêmeproblème.
8. Changementde rythmes
Lorsquel'on considèrel'influencebalkanique
originellesurle BassinPannonien, elle semblese
diffuserprogressivement à l'est puis marquerun
tempsd'arrêt vers le milieu du millénaire,avant
l'apparitionde Vinca ancien.Durantcettephase
intermédiairedequelquessiècles,semblesecons-
tituer le mouvementRubané(figure 4) qui va
bientôtse déplacertrès rapidementet très large-
ment, mais en direction opposée{Kozlowski,
1993).Les milieux, tempéréset boisés,de l'Eu-
rope "moyenne"paraissentfavorablesà ce nou-
veaumodede vie qui lui estétroitementadapté.
Ce milieu reçoit doncun mouvement,prépa-
ré pour lui, aprèsunemétamorphose radicaledu
Néolithiquebalkanique,opéréedansl'ouest du
BassinPannonien,durantcesquelquessiècles.Il
ne s'agit donc plus d'influences extérieures
directes,mais d'un processusneuf et créateur
issu d'influences externessur une population
localeet d'un milieu.extérieurinédit, sollicitant
les processusadaptatifsnouveaux.
9. L'éleva e
g L'économie intensive, pratiquée par lajachè-
Les animaux élevés témoignent de cette
adaptationnouvelle:desovicaprinsbalkaniques,
on passeà une majoritéde bovidéset de suidés,
mieux adaptésaux forêts continentales.Il est
intéressantde noter la diminution des symboles
religieux bovins (bucranes),en même temps
qu'uneaugmentationde leur consommationali-
mentaire,comme si ils avaient perdu de leur
415
valeur mythiqueen entrantdansla consomma-
tion courante.
La composantealimentairetirée de la chasse
et de la pêchedansles groupesdanubiensrap-
pelle à la fois lespratiquesmésolithiqueslocales
et les cultes,propresaux peupleschasseurs, liés
aux massacres de cervidés(Otte, 1993).Ce rap-
port ambiguà l'animal seretrouvedansles pra-
tiques sépulcralesdes Rubanésoù, à la mode
paléolithique,le défuntestcoloréen rouge,cou-
leur de la vie, et accompagné de coquillagesfos-
siles, symbolesde la renaissance.L'industrie
lithique elle-mêmemanifestecette ambiguïté:
par la persistance desarmaturesde flèchesméso-
lithiques,d'un côté,et le développement desher-
minettespour le défrichementdesforêts,de l'au-
tre côté.
10. L'habitat
L'invention des grandesmaisonsde bois et
de terre, couvertespar un toit en doublepente,
manifestela doubleadaptationaux matériauxet
aux climats,réaliséeelle aussidurantcettephase
transitionnelle.Cettecréationarchitecturaletout
à fait originaleet définitivejusqu'aux fermesde
noscampagnes actuelles,rencontraittrois préoc-
cupationsmajeures.
1. Une protectioncollective,dansune même
enveloppethermique, des denrées,des biens
matérielset du groupefamilial. La solidaritéde
cette entité domestique,productive autonome,
s'en trouvait ainsi matérialisée,de façonmonu-
mentale.
2. Le dégagement de clairièresau sein de la
forêt Atlantique, dont la réalisationelle-même
était auto-génératricedu village, par les maté-
riaux qu'elle produisaitet par la préparationdes
solsdestinésà l'élevagepuis à l'agriculture.
3. La mobilité épisodiquede telles entités
VI.11ageolses
' exp1Ique
. ..
1a co1omsatlon rapt.de et,
par conséquent,l'abandondestells, précisément
à partir de la Pannonie.
re et sur brûlis, expliquepartiellementla rapidi-
té d'extensionde cetteaire d'habitat.Cependant,
la présenced'enclosfortifiés entourantcesvilla-
gesévoque1'hostilité descontactsdansles aires
les plus éloignées(Keeley,1996).
Parailleurs,la constancede l'organisationau
sol de l'habitat,reflèteun moded'emprisesurun
territoireinconnupar la sacralisationprogressive
416 M. Otte, P.Noiret
.

SCÉNARIO D'ORIGINE
DU
RUBANÉ

0
.

1~ ~-L
 Le Mésolithique du Bassin Pannonien et la formation du Rubané 417

Figure 4. Les trois stadesdu Néolithique d'Europe centrale: 1. La zone nucléaire subit les influences directes de l'Anatolie et tra-
verse les bassesmontagnes des Balkans; 2. La Plaine Pannonienne constitue la zone d'acculturation entre Mésolithiques locaux
et ces influences trans-balkaniques ; 3. La constitution d'un mode de vie propres aux aires loessiques couvertes de forêts cor-
respond au "temps d'arrêt" marqué par la néolithisation en Europe centrale. Ensuite, se produit la diffusion dans le rés~u des bas-
sins danubien et rhénan. En changeant de milieu, le Néolithique a modifié son mode de vie adapté aux forêts, temperées et plu-
vieuses. Les populations locales, déjà adaptéesà ces éléments, furent réceptives aux modifications économiques, mais elles durent
les adapter aux nouvelles conditions naturelles (maisons de bois, élevage de bovidés, céramiques dérivées des récipients en peaux).
L'ensemble du phénomène reste limité à l'intérieur du milieu indo-européen, indigène et déjà constitué depuis le Paléolithique
récent.

Figure 4. The three phasesof the Neolithic in Central Europe: 1. The nuclear zone undergoes direct influences from Anatolia and
crossesthe Balkan foothills; 2. The Pannonian Plain constitutes the acculturation zone between the local Mesolithic and these trans-
Balkan influences; 3. The formation of a way of lire proper to the forest-covered loess zones corresponds to the "pause" marked
by the Neolithization of Central Europe. This is followed by diffusion along the Danubian and Rhine basins. By cha~ging envi-
ronment, the Neolithic modified its way of lire to adapt to temperate and rainy forests. Local populations, already adapted to these
conditions, were open to economic modifications, but had to adapt them to new natural conditions (wooden houses, cattle raising,
ceramics derived from skin receptacles). The entirety of the LBK phenomenon remains limited to the interior of the Indo-European
environment, local and already established since the Late Palaeolithic.

de l'espace traversé (van Berg, 1990). La dispo- fondées sur un perpétuel renouvellement, que
sition générale de ces enceintesreproduit en effet celles des agriculteurs, plutôt fondées sur la fixi-
les grandes orientations du déplacement solaire, té et la pérennité.
par les ouvertures qui y furent pratiquées.
Une mythologie, nouvelle elle aussi, a donc ,
dû porter ces colonisateurs, en des territoires 12. La nature du Rubane
nouveaux et dangereux, en leur inculquant l'au- , . . .
dace et peut-être la justification religieuse pour Les NeollthIques danubIens ne semblent
le faire'(Cauvin , i994) . donc pas posséder d'antécédents ethniques
directs à l'est de la Pannonie. Ils constituent,

pour la première fois, une originalité dé souche

Il. Les cultes
Précisément, avec l'amorce du mouvement
Danubien, on voit disparaître l'image féminine
transportable, sous la forme des statuettes, dés-
ormais abandonnées(Jensen, 1954). Une "révo-
lution" religieuse a donc eu lieu auparavant,
modifiant profondément la conception que les
derniers chasseurs se faisaient de leur destin,
mais sa?sreproduire à ~'identique la mythologie
des agnculteurs balkarnques.
Les symboles graphiques chargés de sacrali-
té, semblent désormais tendre vers l'abstraction
de schémas encore vaguement reconnaissables,
telles que la spirale. Elle évoque le rythme, le
mouvement, la coquille et la revitalisation par le
milieu aqueux, comme elle l'était, matérielle-
ment, dans les sépultures (Eliade, 1952).
Cette insistance sur la valeur du mouvement,
de la continuité et du rythme n'est peut-être pas
sans rapport avec la rapidité d'expansion des
groupes rubanés, leur détermination et leur foi en
leur conquête territoriale. Elle rappelle en tous
les cas davantage les mythologies des chasseurs,
locale qui explique la mixité de leurs composan-
tes et la flexibilité de leur adaptation. S'il y eut
effectivement un substrat du Néolithique avec
Starcevo et une impulsion avec le Vinca ancien,
le mouvement danubien semble prendr~ naissan-
ce entre ces deux événements,d'unefaçon auto-
nome et novatrice, par exemple sur la base de
populations mésolithiques locales, finalement
mises au jour à Jaszsag.
Le mode de vie, si original, élaboré par les
Danubiens n'entrait pas en concurrence avec les
civilisations balkaniques et leur permit une
expansion rapide, en sens opposé, vers l'Europe
des forêts (Quitta, 1960). Cet espace intermé-
diaire délimité par le Bassin Pannonien, et ce
temps d'arrêt marqué entre Starcevo et Rubané,
expliquent la formation cette civilisation origina-
le, sur la base d'un substrat autochtone. Aucun
contact extérieur à l'Europe ne semble apparaît-
re dans cette culture, typiquement continentale,
dont les colons les plus éloignés iront susciter
des foyers de Néolithique secondaireaux marges
de leur expansion (Bretagne, Angleterre, Balti-
que) (Dtte, 1996).
418 M. Otte, P.Noiret
13. Conséquences
Les découvertesd'importants sites mésoli-
thiques ~tteste l'ab~ndance du s,ub,str~tethnique
local, prealable
prouvent aux Influences
l'existence, neoilthlques.
dans le Bassin Elles
Pannonien,
d'une populationintermédiaireentreles agricul-
teurs d'origine extérieureet la constitutiondu
courantRubané.Les témoignagesmatérielsde
cette populationmontrentdes affinités avec le
Rubanéle plus ancien,mais aussidesdivergen-
cesavecle complexeStarcevo-Koros. En consi-
dérantaussi les différencesobservéesentre le
Rubanéet le complexeStarcevo-Koros, on peut
désormaissoutenirl'hypothèsed'une évolution
locale du Mésolithiquevers le courantRubané,
ou - à tout le moins- de sa forte participationà
l'élaborationdu Rubanéle plus ancien.
Certainséléments,telle que la poterieet les
céréales,furent transmisd'un peupleà l'autre.
D'autresdurentêtre modifiés radicalementtel-
les les pratiques d'élevage ou l'architedture.
Enfin, des composantescomplètementneuves Jadin, 1., 1990.Néolithique anciend'Europe et
donnentl'originalité à ce mouvement,en même
temps que son esprit de colonisationrapide et
intense: enrichissement du sol sur brûlis, large
emploi d~s?ois d'œuvre,règlessoci~les!acil,i-
tant la scIssiondu groupe,mythologiedegagee
. territoriale
de l'appropriation ,'. permanente. ,eunesse,.,.
La Pa~nomeapparal,t~I.nsl.com~e~n.bassm
de formationde ce~teclv~ilsatlon.~eoilthlqueet
donc de la populationquI y fut ilee. Cette per-
spectiverejoint le granddébatsoulevérégulière-
ment sur l'origine des Indo-Européens.Selon
l'hypothèse d'acculturation d'une population
localeprésentéeici, l'apport ethniqueet linguis-
tique extérieur à l'Europe n'interviendrait pas
dans la constitution des populationsactuelles
(Otte, 1995). Cette hypothèses'opposenette-
ment à la diffu~,ionr:no.nolit~ique d'un~ ethni~
porteuse, des d,estm.eesmdo-europeennes
co~m~ l,a pr°p'°seColm Re,nfrew(1?87, 1988).
Il ~ agirait plutot de va?uesmte~es a.desP,opu-
latlonslargementacquisesdepuIstoujoursa ces
structureslinguistiques,maisqui développenten:
leur seindesmodesd'existencedifférents(Otte,
1995).Il n'est doncpasnécessaire de faire venir
les "Proto-lndo-Européens" d'Anatolie ou
d'ailleurs,car ils étaientdéjà là !
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