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AOÛT 2003
-2-
«Quel profit y a-t-il pour l’homme de tout le travail qu’il fait sous le soleil?
Un âge s’en va, un autre vient, et la terre subsiste toujours.
Le soleil se lève et le soleil se couche, il aspire à ce lieu d’où il se lève.
Le vent va vers le midi et tourne vers le nord, le vent reprend ses tours.
Tous les torrents vont vers la mer, et la mer n’est pas remplie; vers le lieu
où vont les torrents, là-bas, ils s’en vont de nouveau.
Tous les mots sont usés, on ne peut plus les dire, l’œil ne se contente pas
de ce qu’il voit, et l’oreille ne se remplit pas de ce qu’elle entend.
Ce qui a été, c’est ce qui sera, ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera: rien de
nouveau sous le soleil!
S’il est une chose dont on puisse dire:
“Voyez, c’est nouveau, cela!”
– cela existe déjà depuis les siècles qui nous ont précédés.
Il n’y a aucun souvenir des temps anciens;
quant aux suivants qui viendront, il ne restera d’eux aucun souvenir chez
ceux qui viendront après.»
QOHELETH 1, 3-11
-4-
Sommaire
ANNEXE LISTE DES SITES INTERNET EN LIEN AVEC LES QUESTIONS RELIGIEUSES95
BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................................................... 99
-6-
«Alors que tout avait été prévu pour que “ça marche”,
et que ça marche toujours,
depuis l’origine des temps,
nous sommes confrontés au même dilemme:
tout serait si simple si nous savions dire, expliquer, raconter écouter,
aller de l’Homme à l’Homme.
Pour que la communication communique.»
BRUNO DARDELET
INTRODUCTION
L’étude des rapports entre les médias et les religions est rarement traitée. La sociologie
des médias a consacré très peu de travaux à cette question, préférant d’autres sujets, dont,
entre autres, la violence et le sexe à la télévision, ou encore la communication politique 1.
Quant aux sciences des religions, particulièrement la théologie, elles s’intéressent plus à la
question du langage de la foi religieuse qu’à la communication de l’expérience religieuse à
travers les différents médias. Notre objectif est donc d’apporter notre modeste
contribution visant à combler cette lacune. Nous envisageons de le réaliser sous un angle
nouveau, en étudiant l’impact du progrès technologique et de la révolution numérique sur
la religion, considérée souvent comme garante de la tradition et de la cohésion sociale.
À première vue, il semble que les deux réalités, celle de la religion et celle du progrès
technologique, n’ont pas beaucoup de points communs, tant leurs objectifs restent
différents. La religion regarde l’esprit et vise le surnaturel; le progrès technologique se
tourne vers la matière et explore les phénomènes naturels. Cette distribution nous paraît
simpliste et nous essaierons de démontrer que les points communs – entre les deux –
existent (non sans conflits!) et sont nombreux, tant au niveau des influences réciproques,
qu’au niveau des principes.
Une telle démarche suppose, bien entendu, que soit définie et analysée, dans un
premier temps, la nature des manifestations et des expériences religieuses. Par la suite,
1
Cf. P. BRECHON, Médias et religions: une question trop occultée, des problématiques en débat; dans:
Médias et religions en miroir, sous la dir. de P. Bréchon et J.-P. Willaime, PUF, Paris, 2000, p. 3.
-7-
Il faut dire que nous plongerons dans l’univers des nouvelles technologies, non pas en
qualité d’expert mais en tant qu’utilisateur parmi d’autres, qui sont aujourd’hui confrontés
au monde des techniques à chaque instant de leur vie. Nous n’aspirerons donc pas à
donner une explication technique du fonctionnement des NTC. Notre but sera plutôt
d’approcher son univers et ceci pour mieux comprendre son impact sur les croyances et les
habitudes spirituelles et religieuses des gens, car notre hypothèse de départ est qu’il existe
entre la religion et la communication une influence réciproque. La religion a développé la
communication entre les gens vivant en communautés. Et à l’inverse aussi, la
communication, modelée et développée par le progrès technologique, tente maintenant de
donner à la religion son influence nouvelle. Doit-on alors envisager que de nouvelles
formes d’expression religieuse vont apparaître dans une société dont la structure, le
langage et la mentalité sont en constante évolution?
Une autre question, qui nous préoccupera, sera celle d’une possible émergence d’une
nouvelle religion dans une société hautement dominée par les NTC. Si nous acceptons le
principe qu’aucune culture n’est indifférente à la question religieuse, pouvons-nous
entrevoir qu’une nouvelle forme de croyance (ou de spiritualité) apparaîtra dans la
nouvelle culture “high-tech”, propagée par les nouveaux médias?
Du point de vue méthodologique, nous situons notre travail dans un cadre général de
l’anthropo-sociologie des religions et des médias, avec l’aide de la méthode
phénoménologique.
En s’appuyant sur les résultats des nombreuses recherches, effectuées dans ces
domaines, et à travers une relecture critique des grands auteurs, ainsi qu’un réexamen de
certains concepts-clés, nous tenterons de développer la compréhension des phénomènes
qui relient à la fois la religion, le langage, la communication et les nouvelles technologies.
Afin de cerner un peu plus précisément une matière si vaste, nous avons renoncé à un
corpus de lectures bien déterminé. Nos recherches se sont poursuivies aussi bien dans les
bibliothèques que dans les librairies. Les premières proposent de la littérature classique,
relative à la problématique. Nous avons pu constater que, si la littérature sur la religion en
2
Par cette expression nous entendrons l’ensemble des médias qui sont nés du rapprochement entre
l’audiovisuel et les télécommunications, donnant naissance à l’informatique, Internet et multimédias. Aussi,
tout au long de notre travail, nous utiliserons cette abréviation “NTC” faisant référence aux Nouvelles
Technologies de la Communication. Cependant, certains auteurs utilisent plutôt le dénominatif: Nouvelles
Technologies de l’Information et de la Communication dont l’abréviation est “NTIC”; ou de Technologies de
l’Information (“TIC”). Nous considérons qu’en fin de compte, il s’agit du même phénomène, qui converge vers
l’audiovisuel, l’informatique et les télécommunications, reliés en réseau ou non. (Cf. Dictionnaire des
Médias, sous la dir. de F. Balle, Larousse-Bordas, 1998, pp. 165-166.)
-8-
général est très abondante, celle, qui traiterait des connexions entre la religion et les
médias, reste assez restreinte. Quant au nombre d’études se situant dans le domaine des
sciences de la communication, il est en constante progression. C’est pour cela qu’il est
impossible de trouver certains ouvrages, neufs et innovateurs, dans les rayons des
bibliothèques. Il faut donc les chercher dans les librairies.
Le champs de nos recherches ne s’est pas limité seulement dans ces deux endroits.
Puisque nous considérons Internet comme exemple par excellence du développement des
NTC, nous avons passé beaucoup de temps à consulter les sites consacrés aux religions, à
la communication religieuse et aux NTC. De fil en aiguille, nous avons recensé plusieurs
sites traitant des religions, des sujets approximatifs (symboles, mythes, etc.) et du progrès
technologique. Cette recherche nous a permis de mieux cerner l’ampleur de la
problématique et d’approfondir notre connaissance du fonctionnement des NTC.
En même temps, nous nous sommes rendu compte qu’il est impossible d’épuiser un
sujet si vaste. Nous avons donc choisi de développer seulement certains de ses aspects, en
espérant qu’ils nous serviront de balises pour une recherche plus approfondie et plus
complète.
3
P. BRETON, S. PROULX, L’explosion de la communication. La naissance d’une nouvelle idéologie, La
Découverte-Boréal, Paris-Montréal, 1989, p. 17.
-9-
PREMIER CHAPITRE
La question n’étant pas directement liée au sujet, mais qui se pose automatiquement,
lorsqu’on veut aborder le sujet reliant la religion avec le monde contemporain, le langage
humain et la communication religieuse, est celle-ci: comment exprimer en quelques lignes
ce qui couvre des rayons entiers de toutes les bibliothèques? Pourtant, il faut au moins
essayer de poser quelques jalons permettant d’approcher la problématique de la
communication religieuse qui doit aujourd’hui répondre au défi de la révolution
médiatique, cause et moyen de l’évolution de nos sociétés et de nos mentalités
contemporaines.
Avant de cerner un peu plus en détails une matière si vaste, il nous faudra néanmoins
revenir à des notions aussi fondamentales que le langage, la communication et,
- 11 -
1.1.1. Langage
La notion de “langage” peut être considérée dans le sens large ou restreint du terme.
Le sens restreint a été, d’une certaine manière, imposé au début du XXe siècle par
l’émergence de la linguistique. F. DE SAUSSURE (1857-1913), considéré comme le père
fondateur de cette nouvelle discipline des sciences humaines, a clairement indiqué qu’il
s’agissait d’une faculté spécifique de l’humanité à s’exprimer et communiquer au moyen
d’un système de signes conventionnels vocaux constituant une langue.
«Il n’y a, selon nous, qu’une solution à toutes ces difficultés: il faut se
placer de prime abord sur le terrain de la langue et la prendre pour
norme de toutes les autres manifestations du langage 4.»
4
F. DE SAUSSURE, Cours de linguistique générale, Payot, Paris, 1972, p. 25.
5
F. FARAGO, Le langage, Armand-Colin, Paris, 1999, p. 26.
- 12 -
entre la langue, comme fait social, et la parole, comme exécution individuelle de celui qui
parle ou qui écrit. La seule manière de dégager l’unité signifiante du langage, c’est de
considérer la langue comme l’unique et véritable objet de la linguistique. Cette langue est
définie comme un système («un ensemble où tout se tient»), qui repose sur les unités
élémentaires, c’est-à-dire les signes linguistiques que F. DE SAUSSURE définit comme des
associations (arbitraires) d’images acoustiques (ensemble de sons, signifiants) et de
concepts (signifiés). Selon lui, ce sont ces unités qui composent le système de la langue et
qui rendent effectivement possible la communication humaine 6.
Mais il n’y a pas que des signes linguistiques. L’emploi le plus courant du mot “signe”
renvoie à «quelque chose de perceptible qui rend manifeste autre chose qui, autrement,
ne le serait pas» 7. Ainsi, dans la galerie des signes, il faut inclure toute réalité physique et
perceptible qui, directement par la perception sensuelle ou grâce à l’intervention de divers
instruments (écran cathodique, amplificateurs), devient porteuse d’un sens qui n’est pas
immédiatement donné. Autrement dit, un signe est un médiateur ou mieux encore est
véhiculaire d’un sens (une signifiance), renvoyant au réel et à la compréhension du réel 8.
«Le langage représente la forme la plus haute d’une faculté qui est
inhérente à la condition humaine, la faculté de symboliser. Entendons
par là, très largement, la faculté de représenter le réel par un “signe” et
de comprendre le “signe” comme représentant le réel, donc d’établir un
rapport de “signification” entre quelque chose et quelque chose
d’autre 10.»
6
Cf. ibidem, p. 28.
7
J. MARTINET, La Sémiologie, Seghers, Paris, 1973/1975, p.54.
8
Nous laissons de côté toute la grande discussion qui a opposé la linguistique saussurienne à la pragmatique
peircienne. Nous considérons que le coup d’envoi a été donné pour permettre la compréhension du sujet.
9
J.-M. KLINKENBERG, Précis de sémiotique générale, De Boeck Université, Bruxelles 1996, p. 16.
10
E. BENVENISTE, Problèmes de linguistique générale, Gallimard, Paris, 1966, p. 28.
- 13 -
Le langage pose selon lui une question fondamentale de la condition humaine, celle de
la grande médiation entre l’homme et le monde et entre l’homme et l’homme, car «il n’y a
pas de relation naturelle, immédiate et directe entre l’homme et le monde, ni entre
l’homme et l’homme; il faut un intermédiaire, cet appareil symbolique, qui a rendu
possible la pensée. Hors de la sphère biologique, la capacité symbolique est la plus
spécifique de l’être humain» 11.
Ce problème de médiation reviendra sans doute dans la suite de notre travail, car le
problème de la médiation est particulièrement important dans la constitution d’une
communication religieuse.
1.1.2. Communication
Ceci découle d’un modèle de C. SHANNON et W. WEAVER qui s’est répandu dans les
sciences sociales dès le début des années 50. Son succès est dû à l’introduction, écrite par
W. WEAVER, généralisant la théorie mathématique de l’information, formulée en 1949 par
11
Idem.
12
Cf. Y. WINKIN, Communication, culture et société: de l’histoire des idées au travail de terrain;
dans: Communication et espace public. Univers créoles 1, Anthropos, Paris, 2002, p. 6.
- 14 -
«Le mot communication sera utilisé ici dans un sens très large incluant
tous les procédés par lesquels un esprit peut en influencer un autre. Cela,
bien sûr, comprend non seulement le langage écrit ou parlé, mais aussi la
musique, les arts plastiques, le théâtre, la danse et, en fait, tout
comportement humain 13.»
– elle est aussi l’ensemble des techniques qui à travers les siècles ont favorisé la
communication à distance au détriment de la communication directe;
13
Citation d’après: Y. WINKIN, op. cit., p. 8.
14
Ibidem, p. 14.
15
Cf. idem.
- 15 -
– enfin, la communication est devenue une nécessité sociale fonctionnelle qui assure
les échanges commerciaux et institutionnels à travers le monde 16.
Le point commun entre ces trois niveaux de communication est l’interaction qui
s’accroît «au fur et à mesure que l’on passe de la communication directe à la
communication technique, puis à la communication sociale fonctionnelle» 17.
Une autre distinction que fait D. WOLTON concerne les sources de la communication.
Ainsi, distingue-il la communication normative (c’est-à-dire la volonté d’échanger, pour
partager quelque chose en commun et se comprendre); et la communication fonctionnelle
qui est un besoin de transmission et de diffusion lié à la vie économique des sociétés.
Le champ de la communication nous apparaît donc bien vaste. D’un côté, on trouve la
communication interpersonnelle, qui recouvre tout le domaine de la communication
directe entre les personnes; de l’autre, la communication au sens des moyens de transport
physique des individus. On peut situer, entre ces deux pôles, la communication sociale
(“noyau dur” de la communication), impliquant à la fois les personnes et les techniques
qui permettent de véhiculer les messages entre ces personnes 18.
Toutes ces distinctions nous servent pour tracer un cadre dans lequel nous aborderons
le sujet du langage religieux et de la communication religieuse. Mais avant d’y arriver, il
nous faut encore nous pencher sur le phénomène de la religion.
1.1.3. Religion
La recherche de ce qu’est la religion est un véritable casse-tête. Il n’y a pas qu’une seule
définition qui permettrait de comprendre le phénomène de la religion. Dans son étude sur
la religion en Occident, M. DESPLAND recense un nombre important de sa définition 19. A.
16
Cf. D. WOLTON, Penser la communication, Flammarion, Paris, 1997, pp. 15-16.
17
Ibidem, p. 16.
18
Cf. P. BRETON, S. PROULX, op. cit., p. 10-11.
19
Cf. M. DESPLAND, La religion en occident. Évolution des idées et du vécu, Fides-Cerf, Montréal-Paris,
1979.
- 16 -
La difficulté s’applique aussi au fait que le concept de “religion” s’est formé tout au long
de l’histoire de la civilisation occidentale, comme le démontre M. DESPLAND 22. C’est au
sein de cette société que sont développées plusieurs théories de la religion (psychologique,
sociologique, anthropologique, philosophique, etc.). Toutes tentent de définir le concept
général de “religion” à partir de leurs principes respectifs et de leurs propres méthodes.
Cependant, le tournant le plus important – à notre avis! – dans l’interprétation du
phénomène de religion est dû aux phénoménologues et anthropologues, tels G. VAN DER
LEEUW, R. OTTO, M. ELIADE, G. DUMEZIL, J. GOODY, J. RIES ou encore P. RICŒUR 23.
G. VAN DER LEEUW, par exemple, a tranché avec le problème de la définition unique de
la religion, en constatant que «la religion n’est réelle que dans les religions […]. En
d’autres termes, la religion ne se montre pas à nous; ce que pouvons voir, c’est toujours
20
Cf. A. LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, PUF, Paris, 1947.
21
A. BRELICH, Prolégomènes à une histoire des religions; dans: Encyclopédie de la Pléiade: Histoire
des religions, v. I, sous la dir. de H.-Ch. Puech, Gallimard, 1970, p. 7.
22
Cf. M. DESPLAND, op. cit..
23
Nous n’en nommons ici que quelques-uns à titre représentatif, tout en gardant conscience que la liste aurait
pu être beaucoup plus longue.
- 17 -
une religion concrète» 24. Autrement dit, la réalité historique ne connaît qu’une pluralité
de religions et non pas la religion tout court. La religion n’est donc présente que dans ses
manifestations concrètes où l’homme fait l’expérience d’une autre réalité en tant que
puissance et sens absolus 25.
Quelles que soient les conclusions des nombreuses études dans ce domaine, il est
important pour nous de posséder un concept unique de la religion, qui permettra
d’avancer dans nos recherches. Pour cela nous allons faire appel à une analogie.
Tout le monde a une intuition de ce qu’est un arbre. Pourtant, dans la réalité il n’existe
aucun arbre qui ne soit un arbre particulier. De même, le concept de “religion”, même s’il
est abstrait et intuitif, tout le monde en possède un. Ceci est dû au fait que dans chaque
civilisation, ce que nous appelons “religion” se manifeste jusque dans les moindres détails
de la vie humaine, mais elle ne pas un simple fait humain. Elle est la «reconnaissance
consciente et réelle d’une réalité absolue, du sacré ou du divin, dont l’homme sait qu’il
dépend existentiellement, soit en s’y soumettant, soit en s’identifiant entièrement ou en
partie avec elle» 27.
24
G. VAN DER LEEUW, La religion dans son essence et ses manifestations: phénoménologie de la
religion, Payot, Paris, 1948, p. 573.
25
Cf. ibidem, pp. 662-663.
26
M. ELIADE, Le sacré et le profane, Gallimard, 1965 (réimprimé en 2001), pp. 25-32.
27
M. DHAVAMONY, Religion; dans: Dictionnaire de théologie fondamentale, , Bellarmin, Montréal, 1992, p.
1032.
- 18 -
Il faut reconnaître que, dans nos recherches, nous n’avons pas trouvé beaucoup de
sources qui traiteraient de la question du langage religieux de manière exhaustive. C’est un
sujet qui reste très dispersé dans la littérature car, dans la religion, tout peut être
considéré comme langage. La signification que nous avons donnée au langage comme
système permettant la communication, inclut aussi bien la parole que la perception
sensorielle et le mouvement corporel.
Nous avons déjà dit, que selon G. VAN DER LEEUW, la religion commence là où a lieu une
rencontre de l’être humain avec la puissance. En d’autres termes, l’homme et Dieu (Dieu
et l’homme) commencent par se rencontrer, et donc par communiquer, car il n’y a pas de
rencontre sans communication, de même il n’y pas de communication sans rencontre.
L’auteur va encore plus loin et considère que la religion peut être comprise du point de vue
horizontal qui engage l’homme et son expérience de la rencontre avec la puissance; et du
point de vue vertical qui présuppose au préalable l’intervention de Dieu qui se révèle à
l’homme.
28
G. VAN DER LEEUW, op.cit., p. 662.
29
Ibidem, p. 663.
- 20 -
En simplifiant, nous pouvons dire que le rôle des médiateurs consistait à convaincre,
par les paroles et par les actes miraculeux, que la voie du salut, choisie par Dieu, et
proposée à l’homme était la voie unique. Entrer dans cette voie, demandait (et demande
toujours!) de prendre certaines responsabilités tant au niveau des croyances et des mœurs,
qu’au niveau de l’organisation sociale. Ainsi, les différentes traditions religieuses se sont
mises en place. Après la “disparition” des médiateurs, c’est justement la tradition qui a
pris fonction de médiation, c’est-à-dire de transmission du dépôt originel de telle ou telle
religion ou croyance. Mais ce n’est pas l’aspect d’appartenance à une tradition bien
particulière qui décide de l’intégralité de l’expérience religieuse et de ses principes. C’est
plutôt la rencontre personnelle et la reconnaissance assumée, selon l’expression de R.
OTTO:
30
M. C. CARNICELLA, Communication; dans: Dictionnaire de théologie fondamentale, p. 197.
31
R. OTTO, Le Sacré. L’élément non rationnel dans l’idée du divin et sa relation avec le rationnel, Payot,
Paris, p. 194.
- 21 -
La communication religieuse relève donc de ce que nous avons appelé le “noyau dur” de
la communication. Elle s’inscrit dans l’ensemble des moyens de la communication sociale,
mais en même temps elle introduit dans ce vaste champ un aspect nouveau: la relation qui
s’instaure entre un croyant et le point de référence de sa foi religieuse (Dieu, Être
suprême, forces surnaturelles, etc.). Ce qui découle de cette union s’étend sur les relations
entre les gens et modèle la vie sociale, qu’il s’agisse des mœurs, des expressions
esthétiques (art, architecture, musique) ou du style de vie en général avec lequel reste liée
la culture matérielle que l’homme fabrique, possède ou acquiert.
32
M. MESLIN, L’expérience humaine du divin, Cerf, Paris, 1988, p. 198.
- 22 -
Nous sommes conscient que c’est à peine le sommet d’un glacier que nous avons pu ici
toucher. Mais rappelons-le encore une fois, nous ne cherchons pas des réponses toutes
faites, nous voulons poser les fondements d’une recherche beaucoup plus approfondie.
Celle-ci nous conduit à détailler quelques principes rudimentaires du langage religieux.
Mais que permet-il d’authentifier cette transposition des éléments profanes dans le
“sacré” et par là même d’identifier le langage religieux?
Les propositions sont encore très variées, mais là où les chercheurs (philosophes,
anthropologues, historiens de religions) sont pratiquement tous d’accord, c’est à propos de
la dimension symbolique, mythique et rituelle du langage religieux. D’une certaine
manière, ces trois aspects du langage religieux ont la force d’épuiser toute la
problématique, mais – comme nous le verrons – plus on y plonge, plus les choses se
compliquent et deviennent complexes.
33
P. RICOEUR, Poétique et symbolique; dans: Initiation à la pratique de la théologie, sous la dir. de B.
Laurent et F. Refoulé, t. I, Cerf, Paris, 1982, p. 37.
34
Cf. R. GUARDINI, Langage, littérature, interprétation; cité dans: Points de vue sur le langage. Textes
choisis et présentés par André Jacob, Klincksieck, Paris-Nanterre, 1969, pp. 150-151.
- 23 -
«C’est trop peu de dire que nous vivons dans un monde de symboles,
un monde de symboles vit en nous.»
JEAN CHEVALIER
Selon P. RICŒUR, le symbole est un signe particulier, composé d’un sens primaire et
d’un sens intentionnel qui, en fin de compte, renvoie à un lien entre l’homme et le sacré:
«Le symbole est un signe, en ceci que, comme tout signe, il vise au-delà
de quelque chose et vaut pour ce quelque chose; mais tout signe n’est pas
symbole; le symbole recèle dans sa visée une intentionnalité double: il y
a d’abord l’intentionnalité première ou littérale, qui, comme toute
intentionnalité signifiante, suppose le triomphe du signe conventionnel
sur le signe naturel: ce sera la tache, la déviation, le poids; mots qui ne
ressemblent pas à la chose signifiée; mais sur cette intentionnalité
première s’édifie une intentionnalité seconde qui, à travers la tache
matérielle, la déviation d’espace, l’expérience de la charge, vise une
certaine situation de l’homme dans le Sacré… 35»
Le langage symbolique est donc toujours plurivoque et son analyse exige le recours à
des disciplines aussi variées que la sociologie, la psychanalyse, l’histoire, la
phénoménologie, l’esthétique, etc.
35
P. RICŒUR, Le conflit des interprétations. Essais d’herméneutique, Seuil, Paris, 1969, p. 285.
36
M. MESLIN, L’expérience humaine du divin, p. 197.
- 24 -
Le problème des mythes se situe dans la ligne droite de celui des symboles, dont on
peut dire «qu’ils constituent, de manière autonome ou reliés en constellations, les unités
constitutives des mythes. Ces deux domaines sont donc étroitement solidaires; leurs
bibliographies se recoupent d’ailleurs sans cesse, car les mêmes herméneutes ont
travaillé sur l’un et sur l’autre» 38.
Quant à l’analyse de ces récits, il faut reconnaître que l’évolution du mot “mythe” met
en perspective quelques-uns des grands “tournants sémantiques” de la pensée occidentale:
la confrontation avec la rationalité grecque, avec l’irréversibilité du temps judéo-chrétien,
avec la critique scientifique et avec la découverte des “univers primitifs”. Chacun de ces
moments est significatif en ce qu’il introduit, malgré la démythisation qu’il opère parfois,
ou à cause d’elle, de nouvelles perspectives sur le mythe et ses fonctions. C’est pour cela
que – selon M. ELIADE – il devient difficile de trouver une définition du mythe qui soit
37
Cf. ibidem, p. 199.
38
Les langages religieux (introduction); dans: Encyclopédie des religions, dir. F. LENOIR, Y. TARDAN-
MASQUELIER, v. II, Bayard, Paris, 1997, p. 2144.
39
A. GODIN, Religion: Psychologie de la religion; dans: Dictionnaire de théologie fondamentale, p.
1109-1110.
- 25 -
acceptée par les savants et accessible aux non-spécialistes. Il est néanmoins possible
d’approcher cette réalité ayant pour fonction de donner une représentation organisée du
monde et une signification à l’existence humaine 40.
Selon M. MESLIN encore, le mode de cette représentation mythique n’est pas une étape
inférieure de la rationalité, mais le lieu où les valeurs considérées par l’homme comme
fondamentales et transcendantes à sa propre condition lui apparaissent comme
immanentes et humanisées:
«Je recommande donc, avant tout, qu’on fasse des demandes des prières,
des supplications, des actions de grâces pour tous les hommes, pour les
rois et tous les dépositaires de l’autorité, afin que nous puissions mener
une vie cale et paisible en toute piété et dignité.»
PREMIERE ÉPITRE A TIMOTHEE 2, 1-2
La dimension rituelle reste le plus souvent abordée dans toutes les recherches sur la
religion. Un simple constat est tel qu’une religion s’exerce toujours en communauté. La
communauté se forme dans l’espace et dans le temps. Le moment fort pour chaque
communauté religieuse est une célébration qui s’inscrit dans l’ensemble des pratiques
religieuses.
Parmi les fonctions du rite les plus souvent citées, on trouve la fonction médiatrice et
pédagogique, intégrative et ordonnatrice, sécurisante et dynamogénique. En plus, chaque
rite définit, dans une culture donnée, la séquence temporelle des actions (liturgiques,
commémoratives, cultuelles, etc.), des rôles, des valeurs, des fins à réaliser. Mais le rite,
c’est aussi un système ordonné de communication de type cérémoniel, festif ou ludique:
L’aspect rituel reste étroitement lié au symbolisme et au mythe. Car si, selon E. KANT,
les symboles donnent à penser, le rite donne à vivre et à penser par l’action accomplie à
l’intérieur du système symbolique 44. De cette insertion dans l’ordre symbolique, le rite
tient sa performativité qui requiert les mêmes conditions que J. L. AUSTIN indique pour
qu’une parole soit réellement performative, c’est-à-dire pour qu’elle entraîne son effet.
42
G. SCARVAGLIERI, Religion: Sociologie de la religion; dans: Dictionnaire de théologie fondamentale, p.
1118.
43
C. RIVIERE, Socio-anthropologie des religions, Armand-Colin, Paris, 1997, p. 84.
44
D’après: A. VERGOTE, Religion, foi, incroyance, Mardaga, Bruxelles, p. 284. Cf. aussi P. RICŒUR, Le
conflit des interprétations, p. 284.
- 27 -
n’agit pas en individu qui s’autorise de lui-même, mais qu’il remplit une
fonction qui lui est déléguée par l’instance surnaturelle 45.»
Au cœur d’une action rituelle, on retrouve presque toujours le corps car il joue un rôle
d’archi-symbole 46. C’est en lui que s’articulent le dedans et le dehors, le moi et l’autre, la
nature et la culture, le besoin et la demande, le désir et la parole. Baptiser, manger, boire,
oindre ou imposer les mains sollicitent une action corporelle. C’est sur le corps et par le
corps que se joue la foi religieuse au sein d’une mise en scène rituelle. Le corps propre de
chacun devient le lieu d’articulation symbolique, à travers les gestes, changements des
postures, les paroles (dites et chantées) et même à travers le silence 47.
Le rite traduit donc et englobe toutes sortes d’expressions de sentiments religieux, les
rendant accessibles aux croyants.
En guise de récapitulation, citons encore G. DUMEZIL, dont les travaux sur la civilisation
indo-européenne ont permis de comprendre que le phénomène des religions n’est pas
inventé et isolé ni dans le temps, ni dans l’espace, mais qu’il traverse les civilisations, en
s’exprimant toujours de façon similaire:
45
A. VERGOTE, op. cit., p. 284.
46
Cette expression nous provient de D. DUBARLE pour qui le corps est «l’archi-symbole de tout l’ordre
symbolique». Cf. D. DUBARLE, Pratique du symbole et connaissance de Dieu; dans: Le Mythe et le
symbole, Beauchesne, 1977, p. 243.
47
Cf. A. VERGOTE, op. cit., p. 287; L. M. CHAUVET, Symbole et sacrement. Une relecture sacramentelle de
l’existence chrétienne, Cerf, Paris, 1987, pp. 158-159.
48
Dans: Encyclopédie des religions, v. II, p. 2204.
- 28 -
Après avoir examiné les aspects significatifs du langage religieux, nous voudrions à
présent nous pencher sur la nature du discours religieux, et donc d’une expression
(verbale ou écrite) très répandue dans toutes les religions.
Dans l’usage courant, on identifie le “discours” aux propos que l’on tient, avec un
développement oratoire fait devant un public (“le discours présidentiel”). Dans ce sens, le
discours ne serait qu’une expression verbale de la pensée dont le synonyme serait la parole
prononcée en public. Il peut aussi désigner les paroles sans effet (“tout ça, c’est des
discours”) ou n’importe quel autre usage restreint de la langue (“le discours politique, le
discours islamiste, le discours polémique, le discours des jeunes…”). Dans cette
perspective, l’emploi du mot “discours” se rapporte aussi bien au système qui permet de
produire un ensemble de textes qu’à cet ensemble lui-même: «le “discours communiste”,
c’est aussi bien l’ensemble des textes produits par les communistes que le système qui
permet de les produire, eux et d’autres textes qualifiés de communistes» 50.
49
Citation d’après: E. ORTIGUES, Le discours et le symbole, Aubier-Montaigne, 1962, p. 199.
50
D. MAINGUENEAU, Analyser les textes de communication, Nathan, Paris, 2000, p. 37.
- 29 -
Une autre signification de ce terme, empruntée à E. BENVENISTE, est celle qui oppose le
“discours” au “récit historique”. Le discours représente ici le type d’énonciation qui est
ancré dans la situation d’énonciation (par exemple: «Mets par écrit ces paroles car selon
les clauses, j’ai conclu mon alliance avec toi et avec Israël»). Quant au récit, il est coupé
de la situation d’énonciation (par exemple: «Il ne mangea ni ne but, et il écrivit sur les
tables les paroles de l’alliance, les dix paroles») 52. Dans la pratique – nous dit E.
BENVENISTE – on passe instantanément d’une forme d’expression à l’autre:
En ce qui concerne notre sujet, nous considérons qu’un discours peut être aussi bien
verbal qu’écrit. Dans la perspective anthropo-sociologique, le discours religieux dans sa
première phase était toujours de nature verbale avant d’être retranscrit:
51
Cf. ibidem, p. 38.
52
Cf. E. BENVENISTE, Problèmes de la linguistique générale, pp. 24o-242.
Les exemples ont été choisi par nous-même dans la Bible de Jérusalem (Exode 34, 27-28).
53
E. BENVENISTE, op. cit., 242.
54
M. MESLIN, L’oral et l’écrit: Fonction religieuse de l’oralité dans les sociétés traditionnelles;
dans: Encyclopédie des religions, v. II, p. 2213.
55
Certains auteurs, comme par exemple J. LOHISSE, font la distinction entre l’écriture et la scribalité (mais on
trouve aussi le terme de “scripturalité”), qui est une étape ultérieure dans l’émergence de l’écrit et de
l’imprimé. (Cf. J. LOHISSE, Les systèmes de communication. Approche socio-anthropologique, Armand-
Colin, Paris, 1998) Pour nous il s’agit ici plutôt du phénomène qui dévoilerait la différence entre les deux
systèmes de communication.
- 30 -
quoi s’oppose l’écriture, qui est «la communication réalisée sur la base privilégiée d’une
perception visuelle du langage» 56.
L’un des traits caractéristiques de l’oralité (et donc de tout un discours verbal) est sa
limitation dans le temps et dans l’espace. Les sujets d’une communication verbale sont
soumis à la contrainte d’un espace et d’un temps donnés. De plus, l’échange
communicationnel ne peut être assuré sans un effort nécessaire de mémorisation. Le seul
critère de son authenticité et de sa véracité reste alors lié à l’autorité ancestrale. L’écriture,
au contraire, est libérée de ces contraintes. Le texte écrit devient lui-même une référence
et un critère d’authenticité du message. Mais encore, seul l’écrit rend possible le
prosélytisme d’une religion, en dépassant les limites culturelles et territoriales 57.
La prédominance accordée soit à la parole dite, soit à la parole écrite ne reste pas sans
importance pour les types du discours religieux.
– le discours sur la religion: c’est ce qu’on dit de telle ou telle religion, de ses
manifestations et ses apparences (dans les médias ou dans les propos de tiers);
– le discours religieux (au sens propre du terme): tout discours tenu à l’intérieur
d’une religion concrète, faisant référence à ses principes doctrinaux ou moraux;
56
Citation d’après: M. MESLIN, L’oral et l’écrit: Fonction religieuse de l’oralité dans les sociétés
traditionnelles; p. 2211.
57
Cf. ibidem, pp. 2213-2214.
- 31 -
c’est aussi une réflexion développée dans le cadre d’une théologie (par exemple:
discours inspirés par la foi chrétienne, musulmane ou bouddhiste).
Une autre distinction permet de discerner les discours spontanés des discours savants:
«Spontanées sont les paroles qui viennent aux lèvres du fidèle dans la
prière, mais aussi les mille expressions quotidiennes mêlant la vie des
dieux à celle des hommes. Dans nos sociétés séculières certains
proverbes, salutations, voire jurons, en manifestent la trace qui perdure
dans le langage 58.»
Les discours savants viennent en seconde place par rapport à l’expérience et l’échange
spontané. Ce sont les discours des sciences religieuses et particulièrement de la
théologie 59. Ils se caractérisent par la systématisation et la conceptualisation du
vocabulaire. Ils gagnent en cohérence et clarté, mais perdent en immédiateté et
spontanéité. Leur rôle consiste à donner une explication, un commentaire, une réflexion
par rapport au contenu de la foi religieuse (quelle que soit la religion!). Sans oublier que
«la religion est d’abord celle des croyants et non celle des savants» 60, il faut reconnaître
que les contenus de ces deux discours naviguent d’une forme à l’autre. Le discours
spontané est imprégné d’éléments venus de la culture savante des siècles passés, tandis
que le langage savant tente de rejoindre l’expérience religieuse dans son essence 61.
Cet écart entre le discours religieux et le discours scientifique sur la religion a été décrit
avec rigueur par E. DURKHEIM dans la conclusion des Formes élémentaires de la vie
religieuse:
58
J. AUDINET, Les types de discours religieux; dans: Encyclopédie des religions, v. II., p. 2238.
59
Cette discipline, dont le statut scientifique reste discutée, peut être définie de bien des manières. Nous
privilégions celle qui met en avant la réflexion de l’homme croyant sur le contenu de sa foi religieuse dans un
temps et une culture déterminés. (Cf. L’avenir de l’Église. Congrès de Bruxelles (12-17 septembre 1970);
dans: Concilium (supplément au n° 60), décembre 1970, pp. 159-160.
60
J. AUDINET, op. cit., p. 2238.
61
Cf. ibidem, p. 2239.
- 32 -
exprime la vie, elle ne la crée pas; elle peut bien chercher à expliquer la
foi, mais, par cela même, elle la suppose. Il n’y a donc de conflit que sur
un point limité. Des deux fonctions que remplissait primitivement la
religion, il en existe une, mais une seule, qui tend de plus en plus à lui
échapper: c’est la fonction spéculative. Ce que la science conteste à la
religion, ce n’est pas le droit d’être, c’est le droit de dogmatiser sur la
nature des choses, c’est l’espèce de compétence spéciale qu’elle
s’attribuait pour connaître l’homme et le monde. En fait, elle ne se
connaît pas elle-même. Elle ne sait ni de quoi elle est faite ni à quels
besoins elle répond. Elle est elle-même objet de science; tant s’en faut
qu’elle puisse faire la loi à la science! Et comme, d’un autre côté, en
dehors du réel à quoi s’applique la réflexion scientifique, il n’existe pas
d’objet propre sur lequel porte la spéculation religieuse, il est évident que
celle-ci ne saurait jouer dans l’avenir le même rôle que dans le passé 62.»
Comme nous l’avons remarqué tout au début de notre travail, il est impossible
d’épuiser en quelques lignes toute la problématique liée au langage religieux et à la
communication religieuse. Nous avons tout de même essayé d’approcher cette
problématique en vue de poser quelques balises qui pourront nous servir dans
l’élaboration et dans l’approfondissement futur du sujet des relations réciproques entre le
monde de la Tradition religieuse et celui de la Modernité technologique et informatique.
Pour conclure ces réflexions fragmentaires sur le langage religieux, rappelons qu’à la
base de tout langage se trouve le désir de communiquer, c’est-à-dire d’entrer en relation
avec autrui. Et, même si parfois ce désir n’est pas directement formulé (par exemple: le
sujet communiquant n’a pas l’intention de communiquer), le fait de communiquer
s’impose de lui-même, comme une réalité évidente dès que l’on pense que le propre de
l’homme est de vivre en relation avec son semblable et avec l’Autre.
62
E. DURKHEIM, Formes élémentaires de la vie religieuse, PUF, Paris, 1912/1960, p. 614.
63
J. AUDINET, op. cit., p. 2240.
- 33 -
L’histoire des connexions entre les religions et les moyens de communication est aussi
vieille que l’humanité. Si l’on peut aujourd’hui envisager l’existence d’une société sans
Dieu, on ne peut pas admettre l’existence d’une société sans religion 64. La religion est
inscrite dans la nature humaine et, par cela, dans le tissu social. Tant bien que mal, elle
suit donc l’évolution des sociétés tant au niveau des mentalités, qu’au niveau des
techniques, y comprit les techniques de communication.
Malheureusement, nous n’avons pas la possibilité de développer ici tout le parcours des
connexions existantes entre la religion et les médias, car il s’agit d’un sujet si vaste qu’il
dépasse le cadre de notre travail. Nous nous contenterons plutôt de mettre en évidence
quelques moments importants qui ont marqué de façon particulière le rapport entre la
religion et les médias.
«Au commencement était le Verbe», cette phrase célèbre qui commence l’évangile
selon Saint Jean, laisse supposer que – quelle que soit l’origine de la religion – la relation,
qui s’instaure entre l’homme croyant et l’objet de sa croyance, repose sur la parole. Avant
d’être saisie par écrit, cette parole-là se répandait dans les diverses cultures religieuses, de
bouche à oreille, sous la forme des mythes, des récits quasi historiques, quasi légendaires,
et des célébrations répétitives dont le rythme était réglé par le temps cyclique de la nature.
L’essentiel de la communication religieuse des sociétés d’avant l’écriture, dites
64
Nous voulons dire par là que d’autres formes de religiosité (ou de substituts de la religion) émergent dans
une société sécularisée comme l’exprime cette citation:
«La religion actuelle de l’occident se ramène à un polythéisme qui vénère l’argent, le pouvoir, la
consommation, le sexe, le sport, la nation, la race, un panthéon hétéroclite de divinités dérisoires, grouillant
autour de deux déesses prestigieuses et jumelles, la Science et la Technique.» (PH. BAUD, J. NEIRYNCK,
Première épître aux techniciens, Lausanne, 1990, p. 21.)
- 34 -
traditionnelles, avait été gardé dans la mémoire collective et individuelle de ceux qui
représentaient l’autorité religieuse. Ceux-ci, en tant que garants de la tradition ancestrale,
veillent à ce que soient maintenues la cohésion du groupe, qui adhérait à la même
croyance, et l’exactitude de cette tradition. Le moyen privilégié de la transmission de cette
dernière était la parole prononcée en public et en face à face avec les membres de la
communauté croyante. Mais la “parole” ne s’exprimait pas seulement au moyen des mots.
Les gestes, les danses et la musique apportaient efficacement un appui et renforçaient
l’importance de l’histoire racontée. C’est ainsi que, encore aujourd’hui, tous les
événements importants dans la vie sociale de certaines communautés traditionnelles
africaines sont aussitôt retransmis par les sons des tambours et par la danse d’un ou des
initié(s) dont les mouvements corporels doivent être précis et cultivés 65.
La parole dite, soutenue (ou même précédée!) par le geste et l’expression sonore, serait
donc le premier moyen utilisé dans la communication religieuse. À cette étape-ci, il est
encore difficile de parler du support de cette communication, car l’art oratoire reste sans
support matériel, sans traces.
65
Nous pensons ici particulièrement aux ethnies baoulé et agni de la Côte d’Ivoire, faisant partie d’une grande
famille Akan, issue des Achanti, et dont nous avons pu observer certains rites au cours de notre passage dans
cette région de l’Afrique.
Quant à la caractéristique de ce type de communication, cf. J. LOHISSE, Communication tribale, Éditions
universitaires, Paris, 1974.
66
Pictogramme = signe représentant une chose ou un être; idéogramme = signe représentant une idée, un
concept.
- 35 -
L’étape suivante est l’invention de l’écriture. Celle-ci est née – selon certaines sources –
simultanément en Égypte et en Mésopotamie dans la seconde moitié du IVe millénaire av.
J.-C.. En simplifiant, elle a répondu au développement des sociétés traditionnelles en
pleine transformation vers le modèle de la vie sociale urbaine et structurée. L’essor du
commerce et le passage du village à la ville ont fait naître de nouveaux besoins: besoin de
listes comptables, de répertoires, de traces administratives, de marques de propriétés. Il
est intéressant de constater que les premiers à se saisir de l’“art d’écrire” étaient les devins,
sorte de clergé de l’époque.
67
Écriture; dans: Encyclopaedia Universalis, version multimédiatique 4.
68
Divination, dans: idem.
- 36 -
communiquer avec les dieux – est devenue beaucoup plus précise et contraignante».
«Le support élu par le devin concentre en lui certaines des valeurs
symboliques essentielles à sa culture: carapaces de tortues en Chine,
foies d’animaux en Mésopotamie. Les figures visibles sur ce support sont
conçues comme formant système entre elles et elles sont désormais
perçues comme des signes. Quant au devin, il n’a plus pour fonction,
comme le mage, de manifester le pouvoir des dieux en agissant
directement en leur nom sur des substances: son ministère consiste
strictement à observer des ensembles de traces reconnus comme leurs
messages et à tenter de les interpréter – c’est-à-dire, en fait, de les lire. Il
est remarquable que cette fonction soit toujours nettement distinguée de
celle du prophète: le devin estime, suppute, il ne décide jamais. C’est au
prophète de traduire verbalement ses hypothèses, et d’affirmer une
éventuelle vérité 69.»
«Le passage du mythos oral à un logos écrit fait entrer la divinité dans la
logique infernale de l’argumentation, du principe d’identité et de non-
contradiction. Envoûtant est un Dieu récité et martelé. Obsédant, un
dieu transcrit mais aussi visuellement examinable, donc un objet d’étude
et non plus une affaire entendue 70.»
Les systèmes d’écriture syllabique et alphabétique, avec un nombre réduit de signes (de
20 à 40 selon la richesse phonétique de la langue), s’y sont tour à tour succédés. Mais plus
que tout autre, c’est l’invention de l’écriture alphabétique qui représente pour la
civilisation occidentale un tournant culturel. Inventée par les Phéniciens au IIe millénaire
av. J.-C., elle a été reprise par les Grecs entre la fin du Xe et la fin du IXe siècle avant notre
ère. Ceux-ci y ont ajouté les voyelles, ils l’ont épurée, simplifiée (25 signes seulement!) et
élaborée en un véritable système phonétique permettant d’écrire une langue accessible, de
fixer la parole, de structurer la pensée et de fournir le support à la mémoire. C’est surtout
ce dernier support qui a subit une évolution éminente en commençant par la pierre,
l’argile, et les ossements; en passant par le papyrus, la cire, la peau d’animaux et le papier;
et en terminant par le microfilm, l’écran d’ordinateur et tout le système d’enregistrement
informatique.
Il est difficile d’élaborer la liste exhaustive des conséquences provoquées par l’invention
et l’application de l’écriture. Plusieurs auteurs ont cherché à approfondir les relations
réciproques entre l’oralité et l’écriture (ou la scribalité). Certaines de leurs conclusions
nous intéressent particulièrement, car elles semblent expliquer comment le passage de la
parole dite à la parole écrite a imprégné la nature de la communication religieuse.
69
Écriture; dans: idem.
- 37 -
J. FEDRY, par exemple, dans l’article L’Afrique entre l’écriture et l’oralité 71,
dresse un bref bilan du déchirement que subit la vie traditionnelle des membres des
sociétés africaines, attachées encore à leurs coutumes ancestrales et en même temps
exposées à la pression de l’écrit. Il le fait par une mise en opposition des traits (les mots-
clés) caractéristiques pour chacun des systèmes de communication:
Ce tableau comparatif, très simple et très compact, n’épuise cependant pas – à notre
goût – tous les effets importants causés par l’invention de l’écriture. Nous voulons donc le
compléter par quelques propositions que nous tirons de l’article de P. HORSFIELD 72, qui,
selon nous, a fait une bonne synthèse de nombreux travaux consacrés à ce sujet:
– grâce aux différents supports de fixation, elle crée la distance entre le penseur et
ses idées et provoque l’impression que les idées ont une existence objective, une
vérité objective;
70
R. DEBRAY, Dieu, un itinéraire. Matériaux pour l’histoire de l’Éternel en Occident, Odile Jacob, Paris,
2001, p. 111.
71
J. FEDRY, L’Afrique entre l’écriture et l’oralité; dans: Études, Mai 1977, pp. 584-585.
72
Cf. P. HORSFIELD, The media: the major source and centre of religious activity and ritual in
contemporary society; sur le site: http://vic.uca.org.au/ecrp/papers.html .
- 38 -
– puisque la vérité de ce qui est écrit ne peut pas être vérifiée en temps réel,
l’écriture développe une logique différente de la vérité, plus proche de la
subjectivité que de la véracité des propos;
Cette liste aurait pu sans doute être plus longue et complétée par d’autres travaux
remarquables. Terminons-la néanmoins par le constat que fait J. GOODY, dont une grande
partie de ses recherches a été consacrée aux effets cognitifs provoqués par l’émergence de
l’écriture 73.
73
Cf. J.-P. MEUNIER, Approches systémiques de la communication. Systémisme, mimétisme,
cognition, De Boeck, Bruxelles, 2003, p. 229-230.
74
J. GOODY, Entre l’oralité et l’écriture, PUF, Paris, 1994, p. 195.
- 39 -
«D’où vient que la pensée religieuse est inséparablement liée à des formes
institutionnelles et rituelles de transmission et de tradition?»
EDMOND ORTIGUES
Si nous nous sommes si longuement attardé sur la question de l’écriture, c’est parce que
nous considérons qu’aucun autre changement de paradigme communicationnel n’a autant
marqué les esprits que le passage de l’oralité à l’écriture. Il a provoqué une véritable
révolution tant au niveau de l’organisation civile de la société humaine qu’au niveau des
systèmes de croyances. En établissant une certaine distance entre le temps réel et le temps
de la lecture, entre le scribe et le lecteur, il a aussi établit une distance entre l’homme
croyant et l’objet de sa croyance, entre l’immanence des rites et la transcendance de leurs
références. Plus encore, il a permis la naissance des religions écrites pouvant faire du
prosélytisme grâce au support matériel.
Cette dernière conséquence a été explorée par E. ORTIGUES qui propose une simple
classification des religions «d’après la façon dont elles se communiquent ou se
transmettent», donc selon leurs modes de transmission. Ainsi, il distingue les religions
ancestrales, «qui se transmettent par voie de coutume ancestrale» et les religions de
salut, «qui se transmettent par voie de prédication doctrinale à vocation universelle».
À ce stade, il est cependant trop tôt de parler du “livre”, car celui-ci a dû pendant des
siècles subir toute une évolution avant de prendre la forme d’un “codex” grâce au
découpage des pages et à la reliure. Nous y reviendrons dans la seconde partie de notre
travail où nous accorderons de l’attention aux conséquences de l’invention de l’imprimerie
pour l’avenir de la religion.
75
E. ORTIGUES, Religion du Livre et de la Coutume, Le Sycomore, Paris, 1981, p. II.
76
Ibidem, p. IV.
- 40 -
77
L’Aventure des écritures; sur le site promu par la Bibliothèque nationale de France,
http://classes.bnf.fr/dossiecr/in-signe.htm .
- 41 -
DEUXIÈME CHAPITRE
La Modernité, par contre, serait alors une réaction à ce système de transmission qui, en
quelque sorte, était considéré comme empêchement à l’idée du progrès.
78
E. ORTIGUES, Religion du Livre et de la Coutume, p. I.
- 42 -
À partir de cette étymologie, on voit mieux les sens se situant dans les deux lignes
sémantiques:
«L’une met l’accent sur l’ensemble des contenus que l’on reçoit; l’autre
sur l’acte même de transmettre, le don et la réception. L’une appelle la
définition et le recensement des expériences et des savoirs accumulés;
l’autre évoque les êtres humains qui, de génération en génération,
constituent des relais personnalisés. Une tradition présente ainsi deux
versants qui vont se conjuguer différemment dans l’histoire de chaque
culture et des courants qui la composent. C’est pourquoi il est si difficile
de donner une définition précise; toujours quelque chose échappe à la
fixation, car une tradition est d’abord mouvement continuel entre ces
deux pôles: l’impératif de préserver un dépôt stable, et la nécessité de
faire droit à l’expérience des transmetteurs 80.»
La tradition est donc un produit passé mais qui a une actualité. Elle crée une part de
l’identité culturelle et personnelle qui se prolonge. Elle n’est pas seulement un “paquet”
d’attitudes et de coutumes qu’on fait passer d’une époque à l’autre; elle est un signe de
continuité.
Mais D. WOLTON ne s’arrête pas là; il développe encore l’idée suivante de “tradition”,
définie par le Dictionnaire ethnologique: la “tradition” est «ce qui d’un passé persiste
79
Cf. Les traditions religieuses (introduction); dans: Encyclopédie des religions, v. II, p. 1331.
80
Idem.
81
Cf. D. WOLTON, Penser la communication, p. 387.
- 43 -
dans le présent où elle est transmise et demeure agissante et acceptée par ceux qui la
reçoivent et qui, à leur tour, au fil des générations, la transmettent» 82.
On ne peut donc pas considérer la tradition dans les sciences sociales comme un
archaïsme qui s’imposerait aux individus et aux sociétés. Elle apparaît plutôt comme un
apprentissage, une réappropriation de ce qui était:
82
Idem.
83
R. BOUDON, F. BOURRICAUD, Traditions; dans: Dictionnaire critique de la sociologie, PUF, Paris, 1982, p.
576.
84
Cf. D. WOLTON, Penser Communication, p. 387.
85
B. BADIE, Traditions; dans Encyclopédie philosophique universelle. Les notions philosophiques, v. II,
PUF, Paris, 1990.
- 44 -
village (décorée par l’“arbre à palabre”), puis le marché, les parvis et les places publiques.
Ainsi, la vie de ces sociétés est, du levé au couché du soleil, marquée par les traditions
ancestrales et rien ne peut changer ce rythme, même pas la politique, les mouvements
sociaux ou le développement technologique qui y font irruption.
Le fait marquant est que cette mentalité fait fréquemment référence au passé sacré (ou
sacralisé) de la vie de la communauté: dans les médias, les discours, les débats et les
déclarations solennelles.
Dans les premiers jours de la récente crise en Côte d’Ivoire, par exemple, on pouvait
être surpris par le discours, à la fois, guerrier que religieux de tous les belligérants du
conflit. Ce type de mélange ou de confusion est connu depuis bien longtemps et reste très
ancré dans la vie des sociétés où la séparation des domaines religieux et profane (laïque)
n’a pratiquement jamais eu lieu.
Pour illustrer ces propos, nous pouvons faire appel à notre expérience personnelle de la
religiosité populaire en Pologne où le nombre de catholiques pratiquants est estimé à
environ 90% de la population. Malgré les signes d’un changement radical, une grande
majorité reste attachée au catholicisme encore très traditionnel, comportant les pratiques
quasi disparues dans des pays occidentaux, à savoir les processions, les pèlerinages, le
culte des saints et des reliques, les récitations communautaires du chapelet ou des litanies,
etc. Ce sont, sans aucun doute, des moyens pour “construire l’esprit”. Cependant, les
croyants leur accordent souvent une importance plus grande que celle qui découle de la
doctrine elle-même. Nous pouvons assurément retrouver des comportements semblables
non seulement au sein du catholicisme ou du christianisme, mais dans toutes les religions
86
H. COX, La séduction de l’esprit. Bon et mauvais usage de la religion populaire, trad. J. Henri-Marrou,
Seuil, Paris, p. 8.
- 45 -
du monde. Ils répondent au réel besoin du croyant qui comprend mal le discours savant
des théologiens et s’approprient facilement ce qui exprime l’identité du groupe social
enraciné dans le passé ou en train de se former. Et c’est sur ce point que la religion
traditionnelle et la religion populaire se rejoignent 87.
Ce type de religiosité s’appuie néanmoins toujours sur un message codifié ou écrit par
la transmission orale de la tradition coutumière. Il reste alors lié à l’événement fondateur
qui devient chaque fois un point de référence. Il est vrai que pour les religions de la
révélation, dites du Livre, trouver ce point d’appui reste toujours plus facile, car leur
support était beaucoup plus facilement transmissible et dès lors elles ont réussi à
s’imposer, que ce soit dans l’Occident chrétien, l’Orient à prédominance musulmane ou
l’Asie. Dans ce contexte, nous pouvons dire que la “petite tradition” est devenue une
véritable “Tradition” qui reste considérée comme «un complément indispensable de la
révélation» 88.
C’est ainsi encore que les grandes traditions religieuses ont réussi à imposer leur
lecture du monde et de l’homme, lecture qui prétendait avoir toutes les bonnes réponses,
même aux questions d’ordre scientifique. Dans cette vision du monde, «tout était
religieux ou du moins y trouvait son sens: fêtes, danses et théâtres sur les parvis
d’églises, arts (peinture, sculpture, vitraux, architecture) orientés vers des sujets
religieux, mais aussi vers l’expression d’enjeux sociaux, politiques, économiques» 89.
Contre cette tendance s’est dressé le courant de la pensée qui, privilégiant une vision
autre que religieuse, a donné naissance à la Modernité.
87
Cf. ibidem, p. 155.
88
R. GOETSCHEL, La conservation institutionnelle de la révélation et l’élaboration des Canons;
dans: Encyclopédie des religions, v. II, p. 1341.
89
G. MARCHESSAULT, Média et foi chrétienne: deux univers à concilier. Divergences et convergences,
Fides-Québec, 2002, p. 33.
- 46 -
La Modernité n’est pas apparue un jour pour s’imposer à la plus grande joie des esprits
éclairés. Elle fut le résultat d’un long cheminement intellectuel dont les origines
remontent aux racines de la culture occidentale. Pour J. A. WOJCIEKOWSKI, les racines de
la modernité se trouvent dans la notion du temps linéaire qui remonte aux systèmes
logiques aristotéliciens et stoïciens. Nous pouvons retrouver les traces de la même logique
dans la Bible de l’Ancien Testament, où Dieu se révèle, étape par étape, dans l’histoire
d’un peuple. L’origine de la Modernité, contrairement à ce qu’on pense, serait donc
religieuse comme le constate J. A. WOJCIEKOWSKI:
90
J. A. WOJCIEKOWSKI, La modernité et le progrès du savoir; sur le site:
http://agora.qc.ca/reftext.nsf/Documents/Modernite--
La_modernite_et_le_progres_du_savoir_par_Jerzy_A_Wojciekowski
91
La thèse fondamentale de M. MCLUHAN, largement développée dans La Galaxie de Gutenberg (vol. I et
II, Gallimard, Paris, 1977), consiste à démontrer que le plus déterminant dans l’histoire des cultures et des
civilisations est la découverte et l’emploi d’une nouvelle technologie pour la communication. Selon lui, c’est
surtout l’imprimerie qui a radicalement modifié la façon de communiquer, en accordant la prédominance à
l’œil en activant l’hémisphère gauche du cerveau humain. Ceci paraît paradoxal, car nous pensons que c’est
- 47 -
Le premier paradoxe est tel que le premier livre imprimé fut la Bible, restant une base
d’au moins deux religions, dites du Livre. Mais jusqu’à la fin du Moyen Âge, nous sommes
encore en pleine culture orale, car peu de gens savaient lire et écrire. La transmission du
contenu religieux s’est effectuée oralement ou grâce aux représentations iconiques,
toujours oralement commentées. Avec l’invention de l’imprimerie par GUTENBERG, vers
1456, la Bible est devenue véritablement un “Livre”. Mais curieusement, ce n’est pas la
l’invention de l’écriture qui aurait pu avant tout provoquer un tel effet. En plus, nous constatons que c’est
surtout la “civilisation” des Temps modernes qui devient “visuelle”, en préférant l’image vidéo ou numérique
plutôt que le texte écrit. En fin de compte, nous accordons une égale importance tant à la théorie de MCLUHAN,
qu’à la thèse que l’invention de l’imprimerie a ouvert une nouvelle voie dans l’évolution des sociétés modernes.
92
G. GUEST, Modernité; dans Encyclopédie philosophique universelle. Les notions philosophiques, v. II,
PUF, Paris, p. 1655.
93
G. MARCHESSAULT, op. cit., p. 53.
- 48 -
Bible qui a été largement divulguée comme premier livre… c’est le catéchisme! Il a donné
naissance à une nouvelle pédagogie et une nouvelle méthode de transmission du contenu
religieux au sein de la chrétienté. Il est aussi paradoxal que le premier catéchisme ait été
écrit de la main de MARTIN LUTHER, lui-même. Paru en 1529, ce petit livre contenait une
synthèse de la foi chrétienne. Quarante ans après, il était répandu à 100.000 exemplaires.
Du côté des catholiques, c’est seulement vers 1555 qu’apparaissent les premiers
catéchismes de PIERRE CANISIUS, produit et résultat du Concile de Trente (1545-1563) 94.
Grâce à ce petit livre, qui – grâce à l’imprimerie! – s’est très vite répandu dans le
monde occidental, la Réforme a en quelque sorte emporté la première guerre des médias
et a fondé une bonne base pour la naissance de la Modernité. Celle-ci est devenue
synonyme du progrès technologique et de l’esprit scientifique. Les siècles qui vont suivre
et particulièrement le Siècle des Lumières ne font que creuser l’écart entre le discours de la
religion et celui de la science.
Ce qui peut paraître particulièrement surprenant, voire même ironique, c’est le sort de
la Réforme qui est devenue la victime de sa propre méthode. Centrée sur l’imprimé qui lui
a permis sa croissance, le protestantisme vit aujourd’hui une profonde crise d’identité, car
d’autres médias ont pris de l’importance. Nous pensons particulièrement à l’audiovisuel
qui est plus proche de la transmission orale et visuelle 96.
94
Cf. P. BABIN, M. MCLUHAN, Autre homme autre chrétien à l’âge électronique, Chalet, Lyon, 1977, p.
103.
95
Idem.
96
Cf. ibidem, p. 102.
- 49 -
des états ou des pouvoirs “de droit divin” 97, et enfin la mise en avant de l’idée de
l’individualisme et du progrès.
Une excellente analyse de ces phénomènes nous est fournie par A. TOURAINE dans la
Critique de la modernité. Il y montre que «la modernité est conçue comme le refus du
poids du passé et comme une période où l’humanité entre dans un processus de recherche
d’un progrès incessant en utilisant la raison scientifique pour transformer le réel» 98. Il a
aussi démontré comment la Modernité, au départ non ciblée contre la religion, est
finalement arrivée à une scission profonde, favorisant la naissance d’une société
rationnelle, dans laquelle la raison impose le primat de la Science; et celle-ci tend à
remplacer la religion:
97
Rappelons quelques faits importants. En 1776 est proclamée la Déclaration qui donne la naissance aux États
Unis d’Amérique. En France, en 1789, le symbole de la continuité du pouvoir traditionnel tombe et un nouveau
régime républicain est instauré. Et le 3 mai 1791, en Pologne, est proclamée la première Constitution
européenne, contenant une distinction claire entre le pouvoir législatif, exécutif et judiciaire. Les autres pays
du monde occidental ne sont pas épargnés non plus par les grands bouleversements traduisant une révolte
contre les institutions, entre autres l’institution la plus puissante de l’époque, l’Église. Un peu partout en
Europe, on insiste sur le droit à la liberté dans divers domaines (pensée, discours, recherche…) qui échappent
de plus en plus au contrôle religieux.
98
Cf. J. BLAMPAIN, L. PALUT, Résistance sur Internet. Utopie technologie contre logique marchande,
Contradiction-L’Harmatan, Bruxelles-Paris, p. 37.
99
A. TOURAINE, Critique de la Modernité, Fayard, 1992, p. 44.
- 50 -
Il découle de ces citations que le divorce entre la Tradition et la Modernité a été conclu
au cours du siècle des Lumières. Il a donné corps à la Modernité, à caractère rationnel,
scientifique et athée, au détriment de la Tradition, à caractère religieux et coutumier. Mais
les vrais changements, au sens des conséquences, sont venus plus tard.
100
Ibidem, pp. 45-46.
101
G. MARCHESSAULT, op. cit., pp. 53-54.
- 51 -
Mais l’idéologie de la Modernité ne s’est pas arrêtée là. Avec le progrès technologique
incontestable, sont nés de nouveaux espoirs pour l’humanité, mais aussi de nouvelles
idéologies et de nouveaux dangers.
Il est vrai que même si la Modernité a été construite autour de l’idée du progrès
technologique pour le bien de l’humanité, curieusement celle-ci n’a pas toujours
correspondu à un réel et effectif progrès de l’humanité. Comme le passage dominant de
l’époque médiévale vers les temps modernes s’est achevé dans le sang, l’idéologie moderne
a échoué, elle aussi: deux guerres mondiales, nombreux conflits ayant pour fond le
nationalisme, le racisme et la xénophobie, la mise en place des idéologies et des états
totalitaires, la naissance du terrorisme international. En fin de compte, ce n’est pas
seulement la Modernité en tant qu’idéologie qui a échoué, c’est également l’homme dans
son humanité qui a été touché, dépersonnalisé et subordonné au produit de son
imagination… à la Machine.
J. BLAMPAIN et L. PALUT, dans leur livre consacré à la lutte des utopies technologiques
contre la logique marchande, montrent comment Internet, symbole par excellence de la
Modernité, est devenu l’enjeu d’une guerre d’appropriation de son espace de
communication qui repose sur deux conceptions de type utopique:
«D’un côté, les acteurs qui ont présidé à son développement y voient le
moteur privilégié de la transformation de la société dans le sens d’une
plus grande liberté d’expression. De l’autre côté, les acteurs économiques
cherchent à s’emparer de ce réseau qui offre, à leurs yeux, une possibilité
inouïe de nouveaux profits et de renforcement de la puissance de
l’économie capitaliste au niveau mondial 103.»
C’est en principe ces deux logiques qui vont d’abord s’affronter, au sein de la société de
consommation, en provoquant l’éclatement du lien social et du sens de la collectivité. La
102
Ibidem, p. 54.
103
Cf. J. BLAMPAIN, L. PALUT, op. cit., p. 37.
- 52 -
Modernité, construite autour d’une utopie machiniste, au lieu de créer un nouveau paradis
où le progrès technologique mesurerait le niveau élevé du progrès social, a finalement
fabriqué une société technicienne, matérialiste, dans laquelle l’homme est aliéné par la
machine, de plus en plus sophistiquée 104.
J. LOHISSE, réfléchit longuement sur cette question de savoir si l’on peut remplacer
l’homme par la machine? Il y consacre son livre L’homme et le Cyborg, dans lequel il
dénonce certains indices d’un tel danger:
Mais ce nouvel enchantement de la modernité s’est bientôt heurté aux limites de ses
propres idéologies. Tout d’abord l’idée centrale du progrès a été compromise quand les
solutions technologiques n’ont pu ni empêcher de nombreuses guerres et conflits, ni
104
Cf. L. SFEZ, Critique de la communication, Seuil, Paris, 1988, pp. 31-33.
105
J. LOHISSE, L’Homme et le Cyborg, De Boeck-Wesmael, Bruxelles, 1991, (sur la couverture).
106
Cf. J. BLAMPAIN, L. PALUT, op. cit., p. 40; G. MARCHESSAULT, op. cit., p. 57; J. LOHISSE, L’Homme et le
Cyborg, p. 183.
107
P. HORSFIELD, The Media: The Major Source and Centre of Religious Activity and Ritual in
Contemporary Society, sur le site: http://vic.uca.org.au/ecrp/mediaritual.html; trad. fr. d’après: G.
MARCHESSAULT, op. cit., p. 56.
- 53 -
résoudre les problèmes de famine, de pauvreté et les cataclysmes naturels. Ensuite, les
institutions de la Modernité ont perdu leur crédibilité en se plongeant dans la
bureaucratie. Les gens se sont à leur tour perdus dans la surconsommation des biens et
des services, stimulée par la publicité. Pour beaucoup la vie, dépourvue de relations
humaines, est devenue vide et privée de sens. Le monde moderne s’est donc retrouvé dans
ce que BAR HAÏM appelle un état d’«épuisement historique des idéologies et des utopies
sociales» 108. Il n’est donc pas étonnant que l’homme désavoué par la raison scientifique et
la technologie recherche aujourd’hui intensément de nouvelles sources d’enchantement. Il
se tourne alors vers les croyances, les religions, les sectes et tout ce qui porte une marque
de mystère, de magique et de fantasmagorique. Selon P. HORSFIELD, «l’un des principaux
lieux de cette réémergence, ce sont les médias de masse – les galeries d’art populaires de
nos cultures» 109. Les médias de masse sont aujourd’hui devenus des places publiques où
les différentes personnes se réunissent, conversent, obtiennent les informations et
partagent ce qu’ils éprouvent, leurs soucis communs, leurs stratégies de vie. De ce “marché
commun” ils reviennent à leurs activités quotidiennes, y compris leur lieu de travail, leurs
familles, églises et loisirs, en portant avec eux l’appréhension du monde, acquise grâce à
cet énorme “marché”. Selon J. MARTIN-BARBERO, cité par P. HORSFIELD, «ce dont nous
sommes témoins, alors, ce n’est plus du conflit entre religion et modernité, mais de la
transformation de la modernité vers l’enchantement, grâce aux liens qu’offrent les
nouvelles technologies de communication avec la logique de la religiosité populaire» 110,
immergée dans l’affectivité et les émotions.
Les médias, et entre autres les NTC, possèdent alors un grand intérêt pour la religion,
car ils sont devenus de facto la principale source – efficace et autorisée – vers laquelle les
gens se tournent dorénavant quand ils recherchent des institutions neuves, des
explications, de nouvelles assurances ainsi que des orientations.
– les médias comme source d’un mythe universel et ses conséquences éthiques;
108
Idem.
109
Idem.
110
Idem.
- 54 -
En conclusion, P. HORSFIELD voit un grand intérêt pour l’avenir des églises, et donc des
religions, dans le fait de se préoccuper et d’observer l’impact de la religiosité médiatique
grâce à laquelle la religion retrouve sa juste position sur les places publiques, sur l’“agora
contemporaine”.
Par la suite, nous envisagerons donc de nous avancer sur cette voie pour découvrir
comment la religion réagit à l’avènement des nouveaux médias avec tout ce qu’ils
apportent comme solution ou embarras.
Après des années d’une présence plutôt timide et passive, la religion semble marquer
un retour assez important dans la panoplie médiatique contemporaine. Sur le marché des
médias traditionnels, on entend de plus en plus parler de la religion. Il y a plus
d’informations sur les sujets religieux, plus de publications et plus d’explications d’idées
religieuses et spirituelles. Dans l’audiovisuel, sont apparus des émissions et des débats
popularisant les cultures religieuses (spiritualités, concepts de vie, actions rituelles). En
dehors de la présence des émissions religieuses dans les médias non-confessionnel 112, ont
été fondés les médias confessionnels appartenant à quelque confession ou association
religieuse.
À titre d’exemple, en France existe déjà une première chaîne de télévision catholique
“KTO”, fondée par le card. JEAN-MARIE LUSTIGER, archevêque de Paris, «afin de doter
l’Église d’un instrument de plus pour témoigner de l’Évangile sur “la place publique des
temps modernes” que sont les médias actuels et tout particulièrement la télévision et
Internet. Clairement identifiée comme une chaîne catholique, KTO entend répondre à la
soif de spiritualité de son époque. KTO ne s’adresse pas qu’aux catholiques, mais
111
P. HORSFIELD, The Media, sur le site: http://vic.uca.org.au/ecrp/mediaritual.html.
112
L’émission la plus populaire et la plus ancienne, existant en télévision publique française depuis 1948, est
sans aucun doute Le jour du Seigneur.
- 55 -
également à tous les “chercheurs de sens”, cela par la diffusion de temps de prières, la
retransmission d’événements exceptionnels liés à l’actualité, en débattant des grandes
questions de la société et de la vie de l’Église, par la production et la diffusion de
Documentaires et Grands Entretiens et de magazines» 113.
Dans d’autres pays du monde et même du “Tiers monde”, il existe également des
chaînes de radio et de télévisions confessionnelles, mais leur nombre n’augmente pas très
vite. La contrainte principale reste toujours de nature économique: l’appareillage, la
maintenance technique, le personnel et même la production coûtent cher, parfois trop
cher pour les institutions religieuses et les simples fidèles, qui entretiennent la présence
religieuse dans le paysage audiovisuel de leurs propres poches, par les dons et les
offrandes 116.
Dans cette situation, le regard des responsables et des croyants se tourne de plus en
plus vers le nouvel espace de communication ouvert par les NTC et particulièrement par
Internet. Cet espace, relativement libre et bon marché, se gouverne par ses propres règles
de fonctionnement et de communication. Dans les lignes suivantes nous allons donc
réfléchir sur quelques questions découlant de l’intérêt avec lequel les religions se sont
tournées vers ce nouvel outil de communication.
113
http://www.ktotv.com/presentation.html .
114
http://www.radionotredame.com .
115
http://radiorcf.cef.fr .
116
Les contraintes d’ordre éthique et morales rendent souvent impossible de pratiquer le véritable show-
business qui, grâce à la publicité et aux émissions grand-public, réalise les objectifs économiques et apporte les
bénéfices grâce auxquels vivent les médias commerciales.
- 56 -
TROISIÈME CHAPITRE
Religion – NTC:
pour ou contre?
Nous avons déjà vu, comment le XXe siècle a été marqué par un progrès technologique
rapide et conquérant. Dans les années 80 et 90, il a même réussi à imposer l’implantation
de Nouvelles Technologies de la Communication dans tous les domaines de la vie
humaine. Ces quelques mots “Nouvelles Technologies de la Communication” (qui pour
beaucoup ont un aspect quasi magique!) cachent en effet un nouveau type de transmission
numérique. Celle-ci permet en un clin d’œil d’envoyer et de recevoir des textes, des images
et des sons par le câble, la fibre optique ou les satellites. Le tout est organisé en un
gigantesque réseau d’échanges et d’interactions dont les mots-clés sont: information et
communication. L’explication la plus courante veut que grâce à ce réseau , appelé aussi
“La Toile”, les gens puissent communiquer, c’est-à-dire échanger les informations,
instantanément de n’importe quel coin de la planète, en développant une nouvelle façon
interactive d’entrer en relation. C’est ainsi alors qu’un nouveau monde est en train de
naître, un monde couramment appelé “société de communication”. Celle-ci, comme
l’explique A. MUCCHIELLI, «ne consiste pas seulement en une large diffusion et utilisations
des technologies de la communication, une omniprésence des médias, une saturation
d’informations et d’images, une utilisation par tous les acteurs sociaux des diverses
formes de la communication publicitaire. C’est aussi une transformation des
représentations du monde de tous les acteurs, qui intègrent, de manière psychologique et
- 57 -
pratique, les formes nouvelles des moyens d’information et de communication dont ils
disposent» 117.
La plus spectaculaire illustration de cette révolution des mentalités est sans doute le
réseau Internet, considéré comme “colonne vertébrale” des nouvelles technologies et
symbole de la “cyberculture” au sein de la société de communication. L’expansion de ce
réseau a pris une telle ampleur que désormais nul ne peut y échapper et chacun, avec ses
convictions religieuses ou laïques, doit se préparer à une confrontation avec l’univers des
NTC. C’est dans cet esprit que nous tenterons à présent de rapprocher le monde de la
religion et celui des nouvelles technologies, en prenant surtout comme exemple les traits
les plus caractéristiques d’Internet et les spécificités de son usage.
«Un jour, nous nous éveillons et nous nous apercevons que le monde a
changé. Nous nous trouvons face à une culture nouvelle, avec un langage,
une psychologie et des techniques d’information et de communication
de nature originale.
Des mots que nous comprenions parfaitement bien auparavant
ont acquis un sens nouveau…»
ANGELA ANN ZUKOWSKI
Après avoir fait son irruption dans le monde scientifique et militaire, Internet occupe
aujourd’hui de plus en plus de place dans la vie quotidienne des gens, qu’ils soient
croyants ou non, pratiquants ou non, fidèles ou adeptes de telle ou telle religion ou
spiritualité. Ce qui était réservé aux élites, il y a à peine 10 ans, est aujourd’hui accessible
au grand public sans exclure les enfants et les personnes du troisième âge. En ce qui
concerne l’usage d’Internet à des fins religieuses, même si les conditions techniques ont
été déjà remplies au début des années 80, les premiers sites WEB à caractère religieux ne
sont apparus que dans la deuxième moitié des années 90. Les premiers sites venaient le
plus souvent d’initiatives personnelles. Ils étaient suivis immédiatement par des sites
institutionnels, du moins en ce qui concerne le catholicisme. Depuis cette période, le
nombre de sites a beaucoup augmenté et ne cesse de croître.
Selon les recherches de B. MALPHETTES en 2001, le mot “Dieu” avait 118.386 références
sur le moteur de recherche Altavista 118. Aujourd’hui, le même mot, mais recherché par un
117
A. MUCCHIELLI, Les sciences de l’infomation et de la communication, Hachette Livre, Paris, 1995,
p. 47.
118
B. MALPHETTES, L’Église catholique sur Internet: la foi en libre accès. Un média au service du
renouvellement du religieux?, travail de maîtrise sous la dir. de J-B. Carpentier, CELSA, Paris IV, 2001, p. 6.
- 58 -
autre moteur, Google, montre un total d’environ 2.030.000 références dans tout le Web,
environ 861.000 références pour les pages francophones et 552.000 références pour la
France. Il est clair qu’au cours des deux dernières années, le nombre de pages que contient
ce concept-clé de chaque religion a doublé et même triplé. Pour le mot “religion”, le même
moteur de recherche montre qu’en moins d’une demi-seconde un total d’environ
1.030.000 résultas dont 379.000 sites et pages francophones sont obtenus. Si l’on
applique la même logique de recherche à des religions particulières, les résultats sont aussi
impressionnants. Bien sûr, on ne peut pas les comparer avec le nombre de sites
commerciaux ou pornographiques, mais notre intérêt n’est pas ici d’entrer ni en
compétition, ni en comparaison avec ceux-ci.
Il apparaît clair que dresser un paysage religieux dans cette jungle de résultas n’est pas
une chose facile et nous pouvons seulement conclure à l’expansion très rapide de la
problématique religieuse sur Internet, beaucoup plus rapide que dans d’autres médias.
Augmente alors considérablement le nombre de pages WEB, faisant la promotion de
conceptions religieuses et spirituelles. La question se pose de savoir si cette augmentation
répond réellement à la demande, c’est-à-dire si le nombre de consultations s’accroît
proportionnellement à cette expansion?
Une autre question concerne le type et le caractère du contenu des sites religieux.
Dans l’Annexe nous proposons, d’après une recherche de F. GLOUTNAY 119 et ses
collaborateurs, une liste non exhaustive des sites Internet qui restent en lien avec les
questions religieuses. On peut les regrouper selon la catégorisation proposée par l’auteur.
Ainsi nous disposons de:
119
Cf. F. GLOUTNAY, T. LAMBOLEY et C. SESBOUË, Le guide du Web chrétien (Hors série de Panorama),
Bayard Presse, Paris, 2001, p. 124.
- 59 -
– sites personnels;
Selon nous, ce classement reste imparfait, car il ne permet pas de définir pleinement le
contenu des sites. Nous proposerons donc une autre typologie complémentaire, qui ne
restera pas non plus sans défauts.
Dans le premier chapitre, nous avons introduit une classification générale des discours
religieux. En nous appuyant sur notre schéma, nous pouvons donc distinguer:
– les sites sur la ou les religions, qui proposent un contenu varié, descriptif ou
informatif, provenant principalement de ceux qui veulent partager leur savoir sur
une religion qui n’est pas forcément la leur; on y trouve des sites faits aussi bien par
des croyants que par des non croyants; on y trouve la critique positive ou négative
des croyances et des idées religieuses;
– les sites religieux qui s’adressent principalement aux croyants ou aux adeptes d’une
même religion ou croyance; on y trouve surtout le contenu explicatif ou informatif
sur certains sujets et événements doctrinaux, moraux ou pastoraux liés au vécu et
aux pratiques religieuses; la réflexion qui y est développée a pour but
d’“évangéliser”, de convaincre, de faire du prosélytisme par voie électronique.
À notre avis, cette typologie permet de constater que le contenu de certains sites est si
varié qu’il est impossible de les classer dans une seule et unique catégorie. Que ce soit le
site personnel ou officiel, on y trouve aussi bien la doctrine, que la morale et la spiritualité.
Aussi, les sites de différentes religions ou confessions religieuses “se renvoient” de plus en
plus les uns aux autres, tout en gardant ses principes doctrinaux. Ainsi, les créateurs des
sites religieux les adaptent de mieux en mieux à l’interactivité et l’interaction, ce qui
atténue quelque peu les antagonismes qui opposaient les religions dans le passé. Nous
pouvons alors en déduire, au fur à mesure du progrès technologique, que la
communication religieuse s’adapte, elle aussi, aux nouveautés qu’apporte la Toile, c’est-à-
dire la communication par “réseau”.
120
Cf. G. MARCHESSAULT, op. cit., p. 128.
121
Idem.
122
Idem.
123
Cf. idem.
- 61 -
Somme toute, l’interaction devient cruciale dans les échanges que propose et permet
Internet. Elle introduit les utilisateurs dans un monde virtuel dans lequel:
– le temps cesse d’être linéaire: on peut agir, réagir et rétroagir presque dans
l’immédiateté;
– l’espace n’est qu’un réseau de multiples liens: elle n’a pas de sphère externe, ni de
centre bien précis 125;
«Internet est un grand jeu de piste. Son terrain n’est pas la forêt mais cet
écran d’ordinateur, mouvant, chatoyant, haut en couleurs et en sons.
Fascinant!»
PIERRE BABIN
124
Cf. ibidem, pp. 129-130.
125
Cette expression, utilisée par P. LEVY (cf. Qu’est-ce que le virtuel?, La Découverte, Paris, 1995, p. 45) est
en effet une paraphrase d’une célèbre définition scolastique de Dieu: Deus est sphaera infinita cuius centrum
est ubique, circumferentia vero nusquam (cf. http://www.ritmanlibrary.nl/patercat08.html ). La coïncidence
ne nous semble pas être accidentelle!
- 62 -
Sans aucun doute, beaucoup de gens ouvrent la “fenêtre sur le monde” dans un but
précis, en recherchant soit des informations sur un sujet donné, soit les dernières
nouvelles politiques, économiques, commerciales, technologiques, etc. Mais nombreux
sont également ceux qui ouvrent la même “fenêtre” juste pour passer leur temps, en
naviguant et en plongeant dans l’espace virtuel. Ils recherchent alors ce qui peut les
amuser (jeux, distractions, etc.). Ils ont leurs sites privilégiés ou ils les trouvent par
hasard. Consciemment ou inconsciemment, ils entrent dans un autre type de jeu – le jeu
de la Toile. Ils le font avec la liberté qui répond à leurs désirs, leurs affectivités, leurs
émotions.
La religion quelle qu’elle soit, porte en elle-même des éléments émotifs, sentimentaux,
affectifs. Les internautes, utilisateurs conscients ou hasardeux du réseau, attendent des
concepteurs des sites religieux, que ceux-ci leur permettent de s’imprégner de cette
ambiance communautaire, affective et conviviale. Répondre à ce besoin ne demande – à
notre avis! – pas seulement une bonne connaissance de l’objet qu’on “manipule”
(ordinateurs, logiciels, images, contenu textuel, etc.), mais aussi un bon “encrage” dans les
principes doctrinaux et climat ludique de la religion en général et d’une religion
particulière à laquelle le contenu du site est consacré.
Répondre aux besoins affectifs des internautes nécessite forcement une composition
esthétique qui concorde à leur goût. Au cours de nos recherches, nous avons constaté qu’il
y a beaucoup de sites religieux qui utilisent toutes sortes de “trucs et astuces”. C’est un
problème courant surtout pour les sites personnels. J. POYETON, qui a consacré son
mémoire à la recherche dans ce domaine, conseille que les sites ne soient ni surchargés, ni
trop développés. Sémantiquement pertinents et visuellement agréables, ils seront mieux
accueillis et un visiteur potentiel consacrera plus de temps à les visiter et à approcher leur
contenu 126.
126
J. POYETON, Hypertexte – étude théorique; sur le site: http://cv.com1reve.com/memoire/default.htm .
- 63 -
«Un monde ouvert accessible à tous, et qui finalement donne une chance
à chacun, quels que soient son itinéraire professionnel et ses diplômes.»
DOMINIQUE WOLTON
Malheureusement, nous pouvons constater que le contenu proposé aux internautes par
les créateurs de sites religieux sur l’une ou l’autre religion ne répond pas toujours à ces
demandes. Au lieu d’être “sûr”, c’est-à-dire basé sur des sources bien fondées, cohérentes
et non pas repliées sur soi, il propose des informations généralisantes, non-vérifiables.
Pourtant le principe éthique et moral – si cher à toutes les religions! –exige l’honnêteté, la
recherche de la vérité, et exclue toute manipulation ou incompétence dans l’exercice des
fonctions, qu’elles soient sacrées ou explicatives.
Sans exagérer, nous pouvons affirmer que les sites à caractère religieux se “méfient” de
ce type d’échanges. La raison est que grâce aux échanges interactifs, le récepteur «acquiert
de fait un rôle actif dans la construction du message. “Son statut glisse de façon
significative de la position d’observateur ’neutre’ à celle d’agent ’actif’ qui interfère dans
les déroulements en cours.” On ne peut donc pas imposer à l’internaute un voyage, il écrit
son propre texte. C’est la définition même de l’interactivité. “Dans les arts de
l’interactivité, le destinataire potentiel n’est plus un simple spectateur de l’objet proposé,
il en devient co-auteur”» 127. Bref, les échanges interactifs rendent le récepteur
«coproducteur du discours», ce dont se méfient la plupart des religions qui restent dans la
logique de la transmission du message originel. Celui-ci risque d’être déformé, voire
profané, si l’on permet sa libre interprétation dans le cadre de libres échanges interactifs.
Un autre danger, de nature morale, guette les “gardiens de la tradition”. Internet, avec
tout ce qu’il propose, crée un espace de liberté d’expression sans précédant. Depuis, les
forums de discussion ne manquent pas d’insultes, de grossièretés, d’expressions vulgaires
et obscènes, etc., ce qui du point de vue moral est inadmissible pour les autorités
religieuses.
Malgré ces difficultés, certains sites à caractère religieux proposent des forums de
discussion sur la religion en général, sur la foi en Dieu, et même sur les divers contenus
doctrinaux, moraux ou pastoraux. Le site de la Conférence des évêques de France propose
par exemple une liste d’une dizaine de sujets “à discuter” 128. Sur le site de la Porte St
Nicolas, on peut toujours s’adresser au “Sacristain” – un être virtuel! – qui “connaît”
toutes les réponses aux questions qu’un “simple croyant” peut se poser et il est toujours
prêt à y répondre 129. On trouve aussi un “counselling” spirituel qui permet de faire un
échange direct avec un directeur ou un guide spirituel, ou même de faire une “retraite on-
line” 130.
Rares sont, par contre, sur les sites à caractère religieux, les chatrooms. Mais il est
possible de trouver les propositions de “chater” à propos des sujets religieux sur presque
127
B. MALPHETTES, op. cit., p. 9.
128
Cf. http://forums.cef.fr .
129
Cf. http://www.portstnicolas.org : Le Bar de la Marine: Points du sacristain.
130
Cf. http://www.ndweb.org/retraite/comment.html .
- 65 -
tous les portails non-confessionnels. Ce qui signifie que ce genre de sujets reste accessible
aux internautes.
131
Le “nihil obstat” est souvent considéré comme une restriction imposée à la liberté de la parole. En réalité,
c’est une forme de défense de la “pureté” de la foi religieuse plutôt que de restriction. Toutes les religions
pratiquent ce genre de défense. Dans la pratique de l’Église catholique, par exemple, elle signifie qu’une
publication ne contient pas de contenus contraires aux principes doctrinaux et moraux définis par le
Magistère, c’est-à-dire les plus hautes autorités religieuses avec le Pape à la tête. La pratique d’accorder ou non
le “nihil obstat” à un livre a joué un rôle très important dans les pays de l’Est, qui au temps du totalitarisme
communiste ont été confrontés à une sévère censure et une propagande antireligieuse. Le “nihil obstat”
assurait alors que la publication est “digne de confiance”.
132
B. MALPHETTES, op. cit., p. 29.
- 66 -
S. STAPINSKY, dans l’article Le destin numérique des vieux livres, est loin d’être
de cet avis. Tout en constatant l’effort de certains concepteurs de sites Web, il s’oppose au
simple passéisme:
La littérature religieuse connaîtra-t-elle un tel destin? Il semble que oui, car les
premiers pas en ce sens ont déjà été faits. Plusieurs sites sont nés proposant la version
numérique de la Bible, en plusieurs langues et différentes traductions 134. On trouve aussi
les sites et les CD-roms se spécialisant dans la production hypertextuelle des anciens
documents aussi bien religieux qu’appartenant à l’héritage classique de l’humanité 135. On
peut dire que ce qui était difficile à réaliser dans le passé 136 devient aujourd’hui disponible
par un simple clic de “souris”.
Il existe bien entendu beaucoup de problèmes avec ce genre d’éditions. Tout d’abord, le
problème de droit d’auteur. À ce sujet, il existe sur le site du Forum des Droits sur
133
Cf. S. STAPINSKY, Le destin numérique des vieux livres; sur le site:
http://agora.qc.ca/reftext.nsf/Documents/Livre--
Le_destin_numerique_des_vieux_livres_par_Stephane_Stapinsky .
134
Il suffit de consulter le moteur de recherche Google pour obtenir 14.300.000 références! Il ne s’agit bien
sûr pas du nombre de sites qui proposent tout le contenu de la Bible. Néanmoins, le chiffre si important de
sites qui contient le mot “bible” nous informe de l’ampleur du phénomène.
135
Cf. http://www.intratext.com .
136
Nous pensons ici particulièrement aux synopsis et aux concordances.
- 67 -
Internet une recommandation qui explique le statut juridique des hyperliens 137.
L’essentiel de cette recommandation se résume ainsi:
Mais plus que l’aspect juridique, c’est la conception elle-même de l’hypertexte qui
constitue un véritable enjeu pour la communication religieuse. Grâce aux multiples liens,
on rompt avec le système de l’écriture linéaire, avec le “tourne-page” et avec la conception
linéaire du temps de la lecture. La mise en réseau de la Bible ou d’autres documents
religieux introduit le lecteur dans le cyberespace où toutes les informations sont sur le
même plan. Le livre imprimé mis en réseau perd donc son caractère quasi magique et
devient un texte qui ressemble à un autre. Il est donc facile de l’abandonner en un quart de
seconde et de changer complètement le sujet de consultation. De cette façon le livre, quel
qu’il soit, perd son “caractère sacré”. Il n’est plus “vénéré”, on ne sent plus l’odeur de ses
pages jaunies! On ne le touche plus et ne sent plus non plus ni son poids réel, ni son
“poids” symbolique pour la vie, quelle soit religieuse ou laïque cultivée.
Nous pouvons donc tirer la conclusion que, même numérisé, le livre ne saura plus
jamais être ce qu’il était et que le contenu qu’il véhicule ne pourra plus jamais toucher le
lecteur de façon semblable à celui du temps où le livre et/ou l’imprimé était le seul moyen
pour transmettre tels quels et de manière durable les concepts traditionnels ou
nouveaux 139.
137
http://www.foruminternet.org/telechargement/documents/reco-hyli-20030303.htm#_Toc34442568 .
138
L’Encyclopédie de l’Agora, http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Hyperlien .
139
Cf. P. LEVY, Qu’est-ce que le virtuel?, p. 40.
- 68 -
labyrinthique, aux cent formats, aux mille voies et canaux. Les membres
de la même cité partage nombre d’éléments et de connexions du méga-
réseau commun. Pourtant, chacun n’en a qu’une vision personnelle,
terriblement partielle, déformée par d’innombrables traductions et
interprétations. Ce sont justement ces associations indues, ces
métamorphoses, ces torsions opérées par des machines locales,
singulières, subjectives, connectées sur un extérieur, qui réinjectent du
mouvement, de la vie, dans le grand hypertexte social: dans la
“culture” 140.»
D. DUBUISSON pousse la réflexion encore plus loin, en affirmant que même l’homme
«qui croit s’être définitivement débarrassé de tout scrupule religieux», lorsqu’il plonge
dans cette masse des textes, qui restent reliés par les nouvelles technologies n’échappe pas
à rencontrer la tradition religieuse de sa propre culture:
«Si l’on considère avec le moindre recul notre propre tradition (ou
mémoire) textuelle, on constate, sans grand étonnement, que
l’hypertexte sur lequel nous naviguons quotidiennement, dans lequel
nous puisons nos références et nos arguments, par rapport auquel nous
tentons d’élaborer un projet intellectuel un tout petit peu original est
principalement constitué de références qui d’une manière ou d’une autre
(quand ce n’est pas simultanément de plusieurs) ont presque toujours
quelque chose à voir avec la religion 141.»
L’avenir des “textes sacrés” serait donc assuré grâce aux mêmes racines et mêmes
traditions culturelles que l’hypertexte relie en un tout dont la notion centrale (on dirait le
mot-clé) est la religion 142.
Nous pouvons encore y ajouter que ce qui est frappant, est que les deux mots: “relier” et
“religion”, partage la même racine, comme si dans la construction de l’hypertexte il
s’agissait vraiment de relier deux réalités tout à fait différentes, mais reliées par le passé et
projetées dans le futur.
140
P. LEVY, Les technologies de l’intelligence, L’avenir de la pensée à l’ère informatique, La Découverte,
Paris, 1990, p. 209.
141
D. DUBUISSON, L’Occident et la religion. Mythes, science et idéologie, Complexe, Bruxelles, 1998, p. 57.
142
Cf. idem.
- 69 -
L’impact des NTC pose finalement la question très complexe du langage et de la réalité
virtuelle. Qu’adviendrait-il du langage religieux dans un monde informatisé? Quelle sera la
portée de la communication religieuse dans une réalité où tout est virtuel 143?
«Il n’y a pas la pensée et le langage, chacun des deux ordres à l’examen se
dédouble et envoie un rameau dans l’autre.»
MAURICE MERLEAU-PONTY
Le langage inauguré par la pratique informatique et répandu par les NTC tranche
nettement avec ces caractéristiques et avec les grands types de langage, élaborés dans le
passé. Dans le sens restreint, il ne serait qu’une suite de séquences numériques (0-1) que
seule la machine peut comprendre sous forme de commande. Selon J. LOHISSE, «si la
formalisation digitale de l’informatique venait à servir de modèle pour le signe dans le
langage des hommes de demain, au semblable, au convenu et au simili s’opposerait
alors… le machiné». Et il l’explique:
143
Selon P. LEVY, «le mot virtuel vient du latin médiéval virtualis, lui-même issu de virtus, force, puissance.
Dans la philosophie scolastique, est virtuel ce qui existe en puissance et non en acte. Le virtuel tend à
s’actualiser, sans être passé cependant à la concrétisation effective ou formelle. L’arbre est virtuellement
présent dans la graine. En toute rigueur philosophique, le virtuel ne s’oppose pas au réel mais à l’actuel:
virtualité et actualité sont seulement deux manières d’être différent». (Qu’est-ce que le virtuel?, p. 13.)
144
J. LOHISSE, Les systèmes de communication, p. 9.
- 70 -
Cela signifie que ce qui jusque là était une «part du corps expressif de la pensée»
humaine doit se plier maintenant «à des conditions foncièrement nouvelles qui sont celles
du langage “exact”» 146 et de l’action mécanique. En pratique les trois caractéristiques
(symbolique, mythique et rituelle) du langage religieux risquent d’être refoulées au second
plan car elles sont hors d’atteinte de la machine. L’auteur soulève trois objections:
145
Ibidem, p. 171.
146
Idem.
147
J. LOHISSE, L’Homme et le Cyborg, p. 125.
148
Ibidem, p. 126.
149
D. PECCOUD, Discours scientifique et parole poétique: deux types de communication?; dans:
Économie et Humanisme, n° 281, janv.-fév. 1985, pp. 24-36.
- 71 -
3) Enfin, l’auteur constate que le discours opératoire est fermé, c’est-à-dire qu’il peut
être entièrement contrôlé et «aucun effet non prévu ne peut s’y manifester. Il
n’est pas admissible qu’une manipulation technique vienne perturber par
inadvertance ou interférer dans un autre dispositif, programme ou domaine
visés. Si la chose se produit, il s’agit alors d’un dysfonctionnement qu’il importe
de corriger au plus tôt» 150.
Peut-on alors toucher la sphère des émotions, des sensations, de l’expérience religieuse
avec le langage qui donne la priorité à ce qui relève des possibilités de la machine? La
réponse de l’auteur semble être négative, et pourtant on prend en compte la perception
des images défilant sur l’écran de l’ordinateur serait différente de celle qui suit les images
150
J. LOHISSE, L’Homme et le Cyborg, p. 126.
151
Ibidem, p. 129.
152
J. LOHISSE, L’Homme et le Cyborg, p. 129. Cf. également: E. COUCHOT, À la recherche du “temps
réel”; dans: Traverses, n° 35, 1985, pp. 41-45.
- 72 -
vidéo à la TV; ou encore les sons qui parviennent grâce à la transmission numérique sont-
ils si différents de ceux qu’on entend à la radio? L’interface “homme-machine” ne
remplace-t-elle pas tout simplement l’interface “homme-livre” ou “homme-imprimé”? Il
est évident que chaque média provoque des effets différents chez le récepteur, mais
l’impact des médias, qu’ils soient traditionnels ou électroniques, reste toujours imprégné –
à des degrés différents – soit par la rationalité textuelle, soit par l’affectivité des images et
des sons. En fin de compte, la perception stimulée par les nouvelles technologies reste
toujours psychologique. Ce qui change plutôt, c’est le degré de dépendance de l’homme
moderne au produit de sa propre invention technique. Ce qui change également, c’est le
type de médiation et ceci constitue sans aucun doute un grand défi pour la communication
religieuse qui, par la force des choses, est obligée d’adapter le message initial à de
nouvelles formes de transmissions pour obtenir les mêmes résultats que par le passé,
c’est-à-dire la conversion et l’adhésion de nouveaux membres à la communauté de
croyants.
Ceci pose aussi un nouveau problème aux yeux des chercheurs. Nous avons dit qu’une
vraie religion ne se pratique qu’en communauté. Qu’en est-il alors des “communautés
virtuelles”?
Avec l’irruption des NTC dans la vie des gens, l’espace de la communication a changé.
La place du village a disparu et le livre, ou l’imprimé, cède son lieu privilégié aux éditions
numériques. Même les médias traditionnels reculent devant l’expansion des hautes
technologies qui ne tarderait pas à les étouffer pour des raisons économiques avant tout.
Dans la perspective où la société de communication subit une cellulisation, un nouveau
phénomène est en train de se mettre en place: les communautés virtuelles.
important, tant sur les individus que sur la société. Tout d’abord, les
individus en ligne seront plus heureux car les gens avec lesquels ils
interagiront le plus fortement auront été choisis selon leurs intérêts et
leurs objectifs communs, plutôt qu’en fonction des hasards de la
proximité géographique. Ensuite, la communication sera plus effective et
productive et donc plus agréable 153.»
Mais pour les initiateurs et créateurs des réseaux, il s’agissait avant tout d’un type
d’échanges entre les scientifiques et les informaticiens qui, grâce à l’interconnexion,
pourraient facilement échanger les programmes et les données au sein de leur
“supercommunauté” universitaire relativement repliée sur elle-même 154. Dans les années
70, apparaissent les communautés issues d’une contestation. Leur développement est
rendu possible grâce aux ordinateurs personnels. Selon P. FLICHY, qui retrace d’une
manière remarquable leur histoire, ce nouveau projet utopique a été initié par trois
mouvements sociaux apparus indépendamment les uns des autres.
Dans les années 80, les utopies académiques et communautaires ont pris corps et le
mythe d’Internet, qui créerait un véritable lien social, s’est mis en place. Le couronnement
de ce mythe fondateur se trouve dans les publications de H. RHEINGOLD, le journaliste
pionnier de l’utopie communautaire, qui dans l’une d’elles s’est renchéri:
«Nous avons remplacé le hall des drugstores avec leur fontaine à soda,
les squares, tous ces lieux où la communauté avait l’habitude de se
retrouver dans le monde réel 156.»
En essence, il voulait faire une distinction claire et nette entre les communautés dites
traditionnelles où l’interaction se fait face à face, et les “communautés virtuelles” qui
s’installent au moyen d’un réseau de connexions. Par la suite, il développe son idée dans
153
J. C. R. LICKLIDER, R. TAYLOR, The computer as a communication device; dans: Science and
Technology, avril 1968; cité dans: P. FLICHY, L’imaginaire d’Internet, Découverte, Paris 2001, p. 52.
154
Cf. P. FLICHY, op. cit., p. 85.
155
Ibidem, p. 109.
156
Citation d’après P. FLICHY, op. cit., p. 114.
- 74 -
un ouvrage qui est désormais devenu classique et qu’il intitule tout simplement: The
Virtual Community 157. Selon P. FLICHY, c’est le premier livre qui parle d’Internet hors
du contexte technique et pratique. H. RHEINGOLD y construit une représentation du Net
associant les caractéristiques des communautés électroniques et des collèges invisibles:
Ce qui fonctionne dans le domaine social laisse également ses empreintes dans celui du
religieux. Les premiers à vouloir se saisir du cyberespace furent les mouvements natifs de
la culture New Age qui, déjà dans les années 70, ont proposé aux participants des net-
conférences de créer leur propre religion 159.
Quant aux religions issues de grandes traditions, la réflexion est venue relativement
tard. Rappelons que la communication religieuse avait déjà du mal à se retrouver dans les
médias classiques. Le cyberespace, avec le surgissement des communautés virtuelles, a
engendré un nouveau contexte dans lequel les religions – dites traditionnelles – doivent
chercher à se repositionner, sous peine de se marginaliser. Pour A. A. ZUKOWKI, le
cyberespace crée de nouveaux espaces et de nouveaux contextes où les communautés de
foi virtuelles peuvent se former 160. Mais cet avis n’est pas forcément partagé par tout le
monde. Si l’on se situe dans la tradition religieuse fondée sur l’expérience des siècles
passés, «une véritable communauté, pour rendre justice à une communion pleine et
vivante, exige un contact humain immédiat, et non seulement une communication
médiatisée» 161. Mais, comme l’exprime bien B. MALPHETTES, la communauté virtuelle
peut tout de même avoir une certaine valeur pour la communication religieuse:
157
H. RHEINGOLD, The Virtual Community. Homesteading on the Electronic Frontier, Harper Collins,
New York, 1994. La position est également disponible en traduction française.
158
P. FLICHY, op. cit., p. 115.
159
Ibidem, p. 89.
160
Ibidem, p. 148.
161
G. MARCHESSAULT, op. cit., p. 147. Cf. aussi B. MALPHETTES, op. cit., p. 62 et suivantes.
- 75 -
c’est-à-dire dans notre premier monde, le réel, car c’est seulement là que
peut s’annoncer le deuxième monde, le discours de foi 162.»
Qu’adviendra-t-il encore de la religion avec la poussée des NTC et l’essor d’un mode (ou
d’une mode?) de vie hautement “cybernisé”?
À première vue, il est difficile de prédire l’avenir de la religion ou plutôt des religions,
dans le nouveau contexte culturel formé avec l’impact des NTC. Les changements seront,
sans aucun doute, très profonds, mais dans quelle direction iront-ils? Faudra-t-il redéfinir
ou repositionner le statut de la culture et de l’expérience religieuse à cause de
l’accélération des interactions économico-politiques et de l’avancement dans le domaine
des sciences et technologies du futur?
S. ROUVILLOIS, dans l’article Crise et avenir des traditions 163, propose trois
possibilités: le rejet, le retour ou la réinvention.
162
B. MALPHETTES, op. cit., p. 64.
163
S. ROUVILLOIS, Crise et avenir des traditions; dans: Encyclopédie des religions, v. II., pp. 1401-1411.
- 76 -
3.3.1. Le rejet…
Le rejet peut aussi avoir un caractère conscient et motivé. Il s’agirait ici soit d’une
remise en cause de la vision religieuse du monde comme inapte pour parler à l’homme
contemporain, soit d’un mouvement contestataire de type idéologique, philosophique,
sociologique ou même psychologique. Nous sommes ici en face d’une attitude athée,
intellectuellement structurée et marquée par la construction d’un système conceptuel plus
que par une référence immédiate à l’expérience vécue. Ainsi, par exemple, la Modernité,
marquée par l’esprit scientifique et rationaliste, avait considéré que seuls la connaissance
scientifique et le progrès technologique étaient en mesure d’assurer l’avenir de
l’humanité 166.
Le rejet partiel ou total des traditions religieuses donne lieu à des situations différentes.
Tout d’abord, on assiste à une sorte de substitution d’une conception philosophique ou
idéologique à la tradition religieuse. On peut multiplier les exemples d’une telle
substitution, en commençant par l’ethos des grandes révolutions et en terminant par la
mise en place des systèmes totalitaires du siècle passé. Que cela soit la Révolution
française ou soviétique en Russie, la tradition religieuse a été remplacée par une nouvelle
164
Ibidem, p. 1402.
165
Idem.
166
Ibidem, p. 1403.
- 77 -
tradition séculière, ainsi que l’autorité religieuse par l’autorité laïque ou le culte de la
personnalité. Le fait de refuser “invocatio Dei” dans le projet de Préambule de la future
Constitution européenne peut aussi (mais à certaines conditions bien entendu!) témoigner
de la volonté de couper définitivement avec le passé chrétien de l’Europe 167.
Une autre conséquence du rejet d’une tradition religieuse est l’instauration, à sa place,
d’une nouvelle tradition ou d’un nouveau “paradigme spirituel”. Nous avons déjà évoqué
le mouvement du New Age qui, grâce notamment aux nouveaux médias, se présente
comme «une critique et, en même temps, un substitut des traditions religieuses» et
cherche «à instaurer une nouvelle manière d’approcher l’homme et le monde, et à
promouvoir un réseau communautaire» à travers lequel doit se développer une véritable
révolution spirituelle 168.
3.3.2. Le retour…
167
La situation reste confuse, mais les faits sont significatifs. Par exemple, la première proposition de la
Convention européenne, dirigé par l’ancien président français, VALERY GISCARD D’ESTAING, n’a pas mentionné
Dieu dans le projet de la future Constitution européenne, mais elle a fait référence à l’Antiquité grecque et
romaine, ainsi qu’à l’héritage du Siècle des Lumières. Face à la vive opposition des pays à forte majorité
catholique, entre autres la Pologne, qui reprochaient au projet l’oublie de toute la tradition chrétienne depuis
l’Antiquité jusqu’au Moyen Âge, la formule a été changée du jour au lendemain. Le passage faisant référence à
la civilisation antique et le Siècle des Lumières et été remplacé par l’“héritage culturel, religieux et humaniste
de l’Europe”, sans pourtant évoquer “Dieu“ et/ou les racines chrétiennes de culture européenne.
168
S. ROUVILLOIS , op. cit., p. 1403.
169
Ibidem, p. 1404.
- 78 -
Une deuxième proposition donnée par S. ROUVILLOIS concerne ce que nous pouvons
regrouper sous le terme de “retour vers les traditions”. Il avance la thèse que c’est à la suite
de la confrontation des traditions au monde moderne qu’«apparaissent, aux yeux de
certains mouvements, les limites, les défauts voire le danger que représente le
développement du monde capitaliste, son primat du progrès économique et sa logique
d’affranchissement» 170.
Que cela soit dans le domaine du religieux ou de la vie politique, le retour à la tradition
entraîne le rejet d’une autre tradition, d’un autre style de vie, de la liberté d’expression et
des moyens technologiques qui permettent cette expression. Il existe donc un lien
dialectique entre l’attitude du rejet et celle du retour. S. ROUVILLOIS souligne donc
l’importance des critères culturels auxquels ces deux attitudes s’attachent et sur lesquels
170
Idem.
171
Cf. ibidem, pp. 1404-1407.
172
Cf. REPORTEURS SANS FRONTIERES, Internet sous surveillance. Rapport 2003; sur le site:
http://www.rsf.fr/IMG/pdf/doc-2233.pdf .
- 79 -
elles se replient, ou qu’elles veulent rejeter. La simple méfiance vis-à-vis des médias et/ou
un mouvement de la contestation et du refus des NTC ne concernent donc pas la technique
en tant que telle, mais expriment l’inquiétude de certaines autorités religieuses (ou
politiques!) qui craignent qu’une nouvelle culture médiatique – qui est en train de se
mettre en place sous l’impact des NTC – ait en effet de graves conséquences pour le
maintien de l’ordre traditionnel 173. Mais, «le retour sur la tradition, que ce soit sous
forme du fondamentalisme, du repliement sur l’institutionnel, ou de l’intégrisme, peut
constituer, lui aussi, une perte de la tradition, lorsqu’il se transforme en impasse
provisoire ou définitive» 174.
3.3.3. La réinvention
173
S. ROUVILLOIS, op. cit., p. 1407.
174
Idem.
- 80 -
S. ROUVILLOIS perçoit la chance pour les traditions religieuses dans ce qu’il appelle la
réinvention de la tradition.
La réinvention relie donc l’expérience du passé avec un projet pour l’avenir. Elle tente
de «rendre la tradition plus porteuse de sens pour les hommes qui en héritent et pour
ceux auxquels elle veut s’adresser». Une telle position reste en vigueur depuis plusieurs
siècles au sein de certains mouvements religieux qui cherchent à «s’enrichir, de l’intérieur
même, par les différents regards sur l’homme, proposés par d’autres cultures et par les
sciences humaines». Cette tentative de se retrouver dans une nouvelle situation culturelle
et dans un nouveau cadre social doit néanmoins s’accompagner d’un discernement afin de
«se réapproprier le sens authentique de la doctrine et des pratiques religieuses» et
d’«éprouver la nouvelle compréhension ou les nouvelles pratiques proposées pour une
avancée de la tradition elle-même» 176.
«La tradition n’est plus alors envisagée comme une fin en soi, ni la
religion définie par la conservation de la tradition; l’attitude personnelle
n’est plus comprise comme une prise de position par rapport à la
tradition, mais elle devient le moyen mis au service de l’individu pour
grandir dans une attitude spirituelle ou religieuse 177.»
Tout d’abord, on ne peut plus éviter les nouvelles technologies dans un monde où tous
les utilisent de façon plus ou moins fréquente. On s’en sert, on en parle, elles sont partout
dans les foyers familiaux, dans les bureaux et magasins, dans les banques et dans la rue.
Elles modifient le style de vie des personnes et de la société. Elles influencent
l’architecture, l’art et la musique. Désormais, tout devient – qu’on le veuille ou non, qu’on
l’aime ou non! – “techno”.
175
Idem.
176
Ibidem, p. 1408.
177
Idem.
- 81 -
Une deuxième raison est liée à l’idée de réinvention qui favorise le dialogue entre les
traditions et les cultures. Ce dialogue peut avoir de nombreux bénéfices, c’est-à-dire qu’il
peut être une source d’enrichissement réciproque. Dans ce dialogue, il faut néanmoins
rester ouvert et prêt à accepter une double révolution mentale, selon les paroles de B.
DARDELET:
«Une double révolution mentale est exigée: d’une part, dans la planète
devenue “village”, comme disait McLuhan, c’est le “média” qui est
devenu le “message”; autrement dit, c’est moins le contenu du message
qui compte que ce qui va en être communiqué, diffusé et compris;
d’autre part, la logique linéaire (ou unidimensionnelle) des médias, qui
convenait tant aux religions du Livre, sera, à terme, dépassé. Non
seulement les images, mais aussi les graphismes prennent déjà une place
considérable dans la presse écrite. Les supports numériques permettent
des échanges multimédias, associent des sources graphiques, sonores et
cinétiques et sont “interactifs”, avec une possibilité de connexion avec un
serveur ou de dialogue entre les sources. Autrement dit, les responsables
religieux (comme les autres) doivent apprendre à communiquer sous
une forme qui n’est plus forcément celle du message écrit, linéaire
(document, lettre, interview, etc.).
Les “autoroutes de l’information” changent non seulement les modes
d’expression et de compréhension entre les hommes, mais encore tout le
contexte médiatique contemporain. Investir les lieux de la
communication moderne, s’adapter aux nouvelles techniques, former
des spécialistes, apprendre à s’exprimer, à informer, mais également à
“communiquer”, voire à écrire autrement… 180.»
178
B. DARDELET, Et Dieu créa la Communication. Petite contribution au débat sur une politique de
communication de l’Église Catholique en France, Saint-Paul, Versailles, 1998, p. 62.
179
G. MARCHESSAULT, op. cit., pp. 168-169.
180
G. DEFOIS, H. TINCQ, Les médias et l’Église. Évangélisation et information: le conflit de deux paroles,
CFPJ, Paris, pp. 132-133.
- 82 -
Pour lui, ce sont autant de défis nouveaux sur lesquels il est urgent de réfléchir et de
s’investir, au nom même de la fidélité propre à chaque tradition religieuse. Dans ce
contexte, D. WOLTON formule une liste de conseils pour la communication religieuse de
181
l’Église catholique . Nous pouvons étendre quelques-unes de ces propositions à
l’ensemble de la communication religieuse, cherchant à trouver sa juste place dans la
situation médiatique actuelle, dominée, de plus en plus, par les NTC. Cette liste, même si
l’on peut avoir l’impression qu’elle est marquée par une sévère critique, mérite attention,
car c’est avant tout la liste des dangers et des devoirs qu’il ne faut pas perdre de vue. Voici
l’essentiel de ce qu’il propose et de ce qui semble être important pour la communication
religieuse dans son sens général:
– se rassurer sur le fait que le progrès n’est pas Internet ni les multimédias, car il y
dans le monde des millions d’individus qui n’ont pas d’ordinateurs, et qui ne sont
pas moins intelligents et cultivés;
– rappeler aux gens qu’en matière culturelle le défi reste toujours du côté d’une
logique de l’offre, et non pas forcément du côté de la demande comme le permettent
les nouvelles techniques de communication;
– marquer la présence dans les médias thématiques, mais pas pour faire des médias
de ghettos;
Il paraît clair que, dans la situation où les médias en général et les NTC en particulier
seront au XXIe siècle un véritable enjeu culturel, politique et économique, les propositions
de D. WOLTON prennent l’aspect d’une mise en garde. Il n’exclut pas un engagement plus
fort, mais voit la nécessité de garder la distance pour ne pas permettre aux techniques et
aux “marchands du temple” (“Nouveau Temple”?!)182 d’emporter la confrontation de la
tradition religieuse avec l’esprit moderne, dépourvu du sens moral et esthétique. Il voit
alors «la nécessité de desserrer l’étau de l’idéologie de la modernité qui précipite les
hommes dans une frénésie de performances et de vitesse». L’essentiel de la
communication religieuse du futur se joue alors «à l’échelle de l’homme dans un espace-
temps où la tradition est aussi importante que la modernité»183.
En ce qui concerne la réinvention interne, elle fait apparaître la tradition comme lieu de
réintégration du nouveau dans l’ancien. Selon SAMUEL ROUVILLOIS, «dans la
confrontation à la modernité, certaines traditions religieuses se trouvent prises au
181
Cf. D. WOLTON, L’Église face à la révolution de la communication et à la construction de
l’Europe; dans: Médias et religions en miroir, dir. P. Bréchon et J.-P. Willaime, PUF, Paris, 2000, pp. 287-
289.
182
Cf. MATTHIEU 21, 12-13.
183
D. WOLTON, L’Église face à la révolution de la communication et à la construction de
l’Europe, p. 289.
- 84 -
Le coup d’envoie fut donné dans l’encyclique Redemptoris Missio du pape JEAN-
PAUL II, où il rompt avec la vision instrumentaliste de la communication et invite les
croyants à monter – à la manière de PAUL DE TARSE – sur ce qu’il appelle l’«aréopage des
temps modernes»:
184
S. ROUVILLOIS, op. cit., p. 1410.
185
JEAN PAUL II, Redemptoris Missio (7 décembre 1990), n° 39. (Disponible également sur le site:
http://www.vatican.va/edocs/FRA0205/_INDEX.HTM )
- 85 -
réflexion sur la culture médiatique fut également initiée, en donnant suite à la publication
d’autres documents qui, outre l’aspect éthique, mettent en avant d’immenses potentialités
que les NTC ouvrent dans la sphère de l’éducation de la foi186.
Il nous est impossible d’analyser ici tout le contenu de ces documents, mais nous
considérons que ce qui s’en dégage a été synthétiquement résumé par G. MARCHESSAULT
qui, tout en confirmant la mise en place d’une nouvelle culture médiatique, voit l’avenir de
la communication religieuse, dans cette culture dans la dynamique d’acculturation et
d’inculturation:
La rencontre avec la culture médiatique développée par les NTC peut cependant
évoluer plus loin que la logique d’acculturation et d’inculturation ne le permette. La
réinvention de la tradition religieuse sortirait alors de son cadre interne et contribuerait à
la formation d’une nouvelle tradition religieuse ou d’une nouvelle spiritualité religieuse.
Nous avons déjà vu comment le progrès technologique a été saisi par le mouvement de
New Age qui aspire à donner à l’homme moderne une sorte de spiritualité au-delà de
toutes les religions. Pour M. MCLUHAN, le développement des médias électroniques a créé
un environnement favorable à la formation de petits groupes qui ne font pas forcément
figures de sectes, mais qui tendent vers une mentalité tribale fondée sur la prédominance
de l’oreille188. Quoi que l’on pense de sa théorie, basée sur la prépondérance de l’œil et de
186
Un nombre important de documents consacrés à cette problématique est disponible à consulter sur le site:
http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/pccs/index_fr.htm .
187
G. MARCHESSAULT, op. cit., p. 29.
188
Cf. P. BABIN, M. MCLUHAN, op. cit., p. 51-55.
- 86 -
l’oreille, M. MCLUHAN est considéré, dans le milieu fasciné par les NTC, comme un “saint
patron” et “un grand prophète de notre temps“. L’équipe de rédaction du magazine
Wired189 lui accorde même le privilège d’être l’un des premiers ayant pensé la culture à
partir des médias de masse et ayant posé les fondements de la culture pop, transformée
aujourd’hui en culture techno. La citation de ce “maître du futur”, qui se retrouve dans
l’interview accordé à Play Boy en 1969, ne laisse pas planer les doutes quant à la mise en
place d’une nouvelle culture et d’une nouvelle mentalité:
Il reste à deviner que, pour ce penseur converti au christianisme, si tout change à cause
des nouvelles technologies de la communication, c’est aussi la relation de l’homme au
sacré qui change.
189
http://www.wired.com/wired/current.html .
190
P. FLICHY, op. cit., p. 141.
191
Ibidem, p. 142.
192
Cf. idem.
193
Ibidem, p. 143.
- 87 -
Quoi qu’il en soit, force est de constater qu’une partie de l’imaginaire des NTC semble
vouloir s’organiser en une sorte de croyance religieuse. Ceci rejoint la question que nous
nous sommes posée au préalable: est-il possible, dans le nouveau contexte culturel,
introduit sous l’impact des NTC, l’émergence d’une nouvelle religion, qu’on pourrait peut-
être appeler la “cyberreligion”?
Jusqu’à présent, nous avons mené notre réflexion de façon à montrer qu’un noyau de
communautés virtuelles, à caractère quasi religieux, s’était déjà installé dans le
cyberespace. Il est vrai qu’au début, leur but était de former un contrepoids au
développement des NTC dans un cadre strictement scientifique et militaire. Avec le temps,
les hackers – car il s’agit bien d’eux! – ont développé tout un programme de résistance à la
logique marchande et commerciale. Ce programme est devenu une sorte de manifeste
idéologique qui – semble-t-il! – a toutes les chances de se transformer en une croyance.
Les indices sont déjà là et un nombre important d’auteurs confirme cette tendance.
Avant d’exposer notre point de vue, nous voudrions présenter quelques positions qui
situent les propos dans le contexte.
Commençons par M. MOATTI, qui dans son livre La vie caché d’Internet194,
«explore avec finesse ce nouveau monde, étudie ses rites et ses pathologies, ses manières
d’être ou de ne pas être ensemble». En nous entraînant au cœur des territoires cachés
d’Internet, il attire notre attention sur les causes de l’“exil cybérien”. Selon lui, cet exil est
un effet de rupture du lien social traditionnel, ce qui provoque, d’une part, l’isolement des
“Net-surfers” et, d’autre part, la formation des “cybertribus” des “Net-addicts”, c’est-à-
dire des sujets dépendants du réseau. Les “Net-addicts” cherchent de nouvelles manières
d’être ensemble, de dire et de faire, de vivre autrement. Sur base de ses entretiens réalisés
on-line, dans des salons de discussions et sur les forums, M. MOATTI tente de démanteler
cette vie cachée d’Internet qui donne lieu à des dérives criminelles, à des solitudes
maladives et des états de dépendance semblables à ceux de la drogue, et/ou enfin à des
pratiques quasi rituelles.
194
M. MOATTI, La vie caché d’Internet, Réseaux, tribus, accros, Imago, Paris, 2002.
- 88 -
encore à ceux s’exerçant dans les communautés plus réduites que sont
les loges, les congrégations et autres discrétoires.
De même, la forme de ritualisation technologique qui préside aux
processus de connexion au réseau affirme, confirme et renforce ce
sentiment d’appartenance: pour être là, parmi les autres, il faut posséder
un certain potentiel technique, un faisceau de dispositions acquises
permettant de pratiquer la connexion, donc la reliance195.»
Même si le mot-clé de “religion”, n’est pas ici évoqué explicitement, il est fort de
constater que nous n’en sommes pas loin. L’auteur parle de la “reliance” qui a la même
racine que la “religion”. Pour lui, comme pour tous les utilisateurs du réseau (ou du
Réseau?!), il s’agirait de se relier en vue de créer une communauté. Et quand la
communauté est déjà installée, le passage obligé d’y appartenir, passe par une sorte de
voie initiatique:
«Le XXIe siècle devait être religieux… il sera plutôt initiatique, réservé à
une élite d’internautes, de business angels et de hackers mystiques
chargés de transférer le monde réel dans le vrai monde virtuel. En
décrétant la connexion obligatoire, la communauté profane célèbre sans
le savoir une nouvelle vision: la Nouvelle Économie est la renaissance
immatérielle du monde.
Car Internet et ses portails de lumière nous mènent dans un nouvel Éden
technognostique où comme Adam et Ève nous butinons la science du
jardin sacré, du cybergarden.
Tout le lexique du Net (le filet…) et de la Nouvelle Économie est déjà
présent dans la Bible, la mythologie, la cabale ou l’alchimie. Les maîtres
des ondes et des fluides qui nous dirigent en numérisant le réel comme
195
Ibidem, p. 116.
196
Idem.
197
N. BONNAL, Internet, la nouvelle voie initiatique, Les Belles Lettres, Paris, 2000.
- 89 -
Encore une fois, nous pouvons être d’accord ou non avec cette vision des choses. Mais
nous ne faisons que le constat que de plus en plus de gens s’intéressent aux NTC de façon
à leur donner une signification qui transgresse la limite science-religion, modernité-
tradition. La raison d’une telle démarche peut être liée à la perte des racines avec la
culture religieuse du départ ou à la contestation des systèmes traditionnels de croyances,
ou encore à une volonté de rupture avec la folie du monde gouverné par la technique.
Cette tendance, peut-être aussi confuse que la précédente, comme nous la présente G.
DUBOC dans son livre intitulé: Internet sur le divan198. Elle y développe une réflexion
sur le sort de l’humanité, confrontée à l’“œil du cyclone” et enchaînée par Internet. Cet
ouvrage, quasi-littérairee, quasi-publicitaire, décrit les parois de ce “cyclone” qui s’est
constitué par la peur qui enfle le monde, entre autres la perte de tous les anciens repères,
l’avancée technologique, la mondialisation, les “OGM”, la révolution génétique, la peur de
perdre Dieu et toute autre chose qui rend le monde paranoïaque. Le remède – selon G.
DUBOC – se trouverait dans la conscience collective qui contenait depuis plusieurs milliers
d’années une graine du futur et qui a engendré les technologies de l’avenir. En tant que
“guetteur du futur”, elle croit que «nous sommes en train de créer les conditions
nécessaires pour que l’“ère industrielle de l’éveil” se réalise. L’ensemble de l’humanité
atteindra la dimension spirituelle d’un Bouddha, d’un Mahomet, d’un Christ, d’un Moïse
et de bien d’autres. Les prophéties seront enfin réalisées»199. Et ce qui est encore
intéressant dans sa réflexion, c’est le fait qu’elle présume qu’aux moins deux concepts
religieux sont «issus d’un environnement similaire à celui qui est en cours de
développement»:
198
G. DUBOC, Internet sur le divan, Laffont – LPM, 2002.
199
Ibidem, p. 181.
- 90 -
Sans prendre de position par rapport à ces propos, nous estimons que, quelle qu’elle
soit leur exactitude (ou inexactitude) historique ou théologique, ils décrivent le scénario
qui prévoit que les NTC, en général, et Internet en particulier, pourraient devenir un lieu
d’installation d’une nouvelle forme de religiosité.
Terminons par cette citation de L. SFEZ, qui – à notre avis! – résume parfaitement
l’idéologie des NTC et dénonce le projet futuriste des “Maîtres du Réseau”:
«Le réseau serait un être qui aurait sa vie propre – croissance, saturation
et mort – et se situerait, comme les anges, entre le monde sensible,
platement et pauvrement physique et terrien, et le ciel, univers aérien,
infini et subtil. Il ferait la navette entre les deux domaines: à la fois
réellement matériel et réellement divin. La comparaison des
“réseaunautes” avec les astronautes est ici déterminante, ainsi que le
rapport avec le fils de Dieu, aux deux natures confondus. Certes, ce n’est
là qu’un aspect, un peu poussé, de la figure du réseau contemporain. Elle
soutient cependant, comme en arrière-fond, cette intermédiation qui
semble être l’attribut principal du Net. Si l’intermédiation assure une
fonction de reliment, cette fonction, tout à fait utile et qui rejoint les
fonctions traditionnelles des systèmes réticulés, est devenue substance.
Une substance impalpable, qui se manifeste seulement en action201.»
200
Ibidem, pp. 182-183.
201
L. SFEZ, L’idéologie des nouvelles technologies; dans: Révolution dans la communication; cahier
Manière de voir du Monde diplomatique., n° 46, Juillet-Août 1999, pp. 21-22.
- 91 -
CONCLUSION
Dans quelle mesure les NTC pourront-elles encore modifier la vie quotidienne, ses
traditions religieuses et ses valeurs culturelles?
Nous sommes parti d’une préoccupation que le nouvel ordre numérique qui s’infiltre
dans la vie sociale mettra au défi les traditionnels modes de communication religieuse, en
obligeant les religions à rechercher de nouvelles formes d’expression, plus adaptées à la
mentalité de l’homme contemporain.
202
P. BRETON, S. PROULX, op. cit., p. 255.
- 92 -
En faisant un tour d’horizon des principales notions, nous avons mieux cerné de
multiples liens, qui existent entre la religion, la communication et le langage. Ensuite,
nous avons mis en avant les deux principaux modes de la communication humaine: l’oral
et l’écrit.
Dans le second chapitre, nous nous sommes consacré à l’analyse d’un changement
radical survenu à la fin du Moyen Âge, en opposant la Tradition à la Modernité. La
première, profondément religieuse et coutumière, avait du mal à répondre au progrès
technologique, né de l’invention de l’imprimerie. Même si, en Occident chrétien, les
religions se sont vite saisies du produit de cette invention, c’est-à-dire du livre imprimé, en
l’utilisant à ses propres fins, elles n’ont jamais réussi à s’adapter à la “logique de la
Machine”. Celle-ci, une fois mise en marche, n’a cessé de développer ses capacités, en
donnant naissance à l’esprit moderne et rationaliste, hanté par l’idée d’un progrès
incessant, en utilisant la raison scientifique pour transformer le réel, entre autres par
l’invention de nouveaux moyens de communiquer, appelés désormais “médias de masse”.
L’effet de cette transformation d’esprit était tel que la religion s’est peu à peu effacée des
nouvelles “places publiques”, sans pour autant renoncer à s’en servir dans la mesure de ses
besoins. Quant à la technique elle n’a pas cessé de progresser, en stimulant les besoins
sociaux, en développant la logique marchande et en entretenant l’utopie d’un monde où
tout communique. L’impact le plus important de cet essor des techniques s’est néanmoins
exercé sur la culture, la mentalité sociale et les habiletés cognitives des gens. Même
l’utilisation d’un simple objet d’usage quotidien demande un minimum de maîtrise des
nouvelles technologies qui «envahissent le monde de la production du savoir et celui de la
créativité humaine»203.
203
J. BLAMPAIN, L. PALUT, op. cit., p.125.
- 93 -
scénarios possibles, selon lesquels des autorités religieuses ou des simples croyants
pourraient réagir à l’avènement des NTC. Le premier prévoit le rejet soit de l’institution
religieuse, soit de la religion en tant que telle. Le deuxième est celui de repli et de
fermeture sur les principes du système de ses propres croyances. Et enfin, en troisième
lieu vient l’ouverture sur la nouvelle culture d’une société hautement technicisée. Cette
ouverture peut avoir un caractère plutôt restreint, c’est-à-dire la religion, quelle qu’elle
soit, cherche les moyens pour s’inculturer dans la réalité soumise à l’essor des nouvelles
technologies. Mais elle pourrait aussi se laisser emporter par la nouvelle culture
“cybermédiatique”, ce qui peut aboutir à l’émergence d’une nouvelle forme de religiosité.
Nous avons démontré que les indices sont déjà présents et qu’ils travaillent l’esprit des
gens qui considèrent que le fait d’être branché au réseau correspond à une sorte de
“célébration communautaire”.
Certains penseurs, entre autres D. WOLTON, estiment qu’il ne faut pas banaliser les
changements provoqués par la révolution technologique, mais il ne faut pas non plus se
laisser faire. C’est un enjeu pour la religion de communiquer, comme elle l’a fait depuis
toujours, c’est-à-dire par tous les moyens disponibles, mais «en rappelant qu’il ne faut
pas confondre les tuyaux et les contenus», car «les nouvelles techniques de
communication ne serviront pas à rapprocher, si elles ne s’accompagnent pas de projets
qui les transcendent. Il ne faut pas signer la modernité et il n’y a pas de communication
sans réglementation et protection de la liberté de communication» 204.
Selon nous, au-delà des défis partiels que les religions ont toujours eu à surmonter dans
les moments critiques de l’évolution des sociétés, il n’y a donc qu’un seul défi important:
comment rendre à César ce qui lui appartient et à Dieu ce qu’il demande, quelles que
204
D. WOLTON, L’Église face à la révolution de la communication et à la construction de
l’Europe, p. 294.
- 94 -
Pour arriver à cette conclusion, ce qui veut dire dans toute la réalisation de notre projet,
nous avons sûrement omis certaines sources, certains auteurs et leurs propositions; pour
d’autres, nous avons intentionnellement choisi de ne pas les explorer afin de restreindre
l’ampleur de la problématique. Et comme celle-ci n’a été épuisée qu’en partie, nous
espérons pouvoir y revenir avec de nouvelles pistes de réflexion.
205
Cf. Matthieu 22, 15-22.
- 95 -
ANNEXE
206
Pour ne pas commettre des fautes de retranscription, nous avons choisi de la présentée dans sa version
originale, telle qu’on trouve dans la publication de G. MARCHESSAULT, op. cit., pp. 175-178.
- 96 -
- 97 -
- 98 -
- 99 -
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