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Pour citer cet article:

DARANTIERE Ph., “L'intelligence économique aux risques du métier? Le rôle de vigilance déontologique de
sentinelles professionnelles citoyennes”, Revue Internationale d'Intelligence Economique, Série Publications
Numériques, http://r2ie.fr.nf, octobre 2009.

Série Publications Numériques

L'intelligence économique aux risques du métier?


Le rôle de vigilance déontologique de "sentinelles professionnelles citoyennes"

Par Philippe DARANTIÈRE


Professeur associé
ICOMTEC – Université de Poitiers

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Pour citer cet article:

DARANTIERE Ph., “L'intelligence économique aux risques du métier? Le rôle de vigilance déontologique de
sentinelles professionnelles citoyennes”, Revue Internationale d'Intelligence Economique, Série Publications
Numériques, http://r2ie.fr.nf, octobre 2009.

Résumé

L’image de l’intelligence économique est régulièrement entachée en France par la


médiatisation de cas révélant des pratiques illégales ou attentatoires à la bonne réputation de
cette discipline. En réaction, deux voies sont habituellement proposées : la normalisation des
pratiques par les instances professionnelles, sous la forme d’un code de déontologie qui peine à
produire des effets, ou l’adoption d’une éthique professionnelle individuelle, qui ne repose que
sur la conscience des praticiens et se heurte aux réalités de la concurrence. Une troisième voie
est ici proposée : la création d’un Observatoire des pratiques éthiques en intelligence
économique, qui assurerait un rôle de sentinelle professionnelle en usant du caractère
pédagogique et dissuasif de la révélation des pratiques déviantes de la profession.

***

Abstract

The image of competitive intelligence is regularly darkened in the French media by coverage
of cases revealing illegal practices or behaviour opposed to the good reputation of all
professionals. In response, two approaches are usually proposed: the standardization of
practices by professional bodies, or the promotion of an individual professional ethical. But a
code of ethics is hard to produce effects, and awareness of practitioners themselves is facing
with the reality of competition. A third way is proposed here: the creation of an ethical
practices monitoring in competitive intelligence. It should act as a professional sentinel, using
the educational and deterrent effect of disclosure bad practices of the profession.

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1) Quelles leçons tirer d’un cas concret ?

« Nul ne peut arguer de sa propre turpitude » dit un principe de droit. C’est pour exploiter cet
adage qu’une mission d’intelligence économique réalisée en 1996-1997 conduisit à élaborer un
stratagème qui servira ici à poser la question des limites déontologiques de l’intelligence
économique. Peut-on, au nom de la défense d’intérêts économiques, s’autoriser à transgresser
ce que la norme commune pose comme une limite éthique dans la conduite des affaires ? Dès
lors, où fixer la nouvelle limite ? Au nom de quel principe ? Et comment en exercer le contrôle ?

Le contexte est celui, tristement classique, de la concurrence déloyale et de la nécessité d’en


apporter une preuve pour pouvoir l’exploiter. Des industriels étaient empêchés d’utiliser des
matières premières d’importation, mais aussi d’exporter certains produits de leur filière, par
une décision normative adoptée en France par l’organisation professionnelle à laquelle ils
appartenaient. Or ils furent informés par la rumeur que certains membres éminents de la
profession continuaient leurs échanges avec l’étranger, malgré l’interdiction à laquelle ils
avaient apporté leur voix au sein des instances professionnelles - interdiction ratifiée par une
directive de l’administration publique. La mission confiée à un prestataire en intelligence
économique consistait à réunir les preuves de ce trafic et à les exploiter de manière à mettre en
cause les coupables sans exposer les commanditaires, qui souhaitaient profiter de la crise que
ces révélations provoqueraient sans en apparaître les instigateurs.

Le mode opératoire retenu fut d’induire en erreur les professionnels soupçonnés. Ils se virent
approchés par un intermédiaire qui proposait ses services : soit d’offrir des débouchés
commerciaux à l’étranger à des produits français frappés par l’interdiction, soit d’importer en
France des matières premières d’origine douteuse qui pourraient être facilement intégrés dans
la chaîne de production de produits qui recevraient le label « fabriqué en France ». Pour
parfaire le stratagème, une fausse structure commerciale avait été créée, filiale supposée d’une
société immatriculée dans un paradis fiscal européen… De la sorte, il devenait impossible de

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vérifier la réalité de l’existence du mystérieux intermédiaire. Pour pousser la sécurité du


dispositif au maximum, une enquête commerciale fut confiée à une société spécialisée en
assurance crédit. Son rapport conclut, fort objectivement, que la société ciblée était « la
représentation commerciale d’une société d’import-export luxembourgeoise, sur laquelle il
n’avait pas été possible de recueillir d’information ». L’entrée en relation commerciale était
considérée comme « envisageable, sans qu’il soit possible d’apporter une notation en matière
d’assurance crédit ». Le résultat de cette enquête fut jugé assez solide pour servir au stratagème
imaginé : il était peu vraisemblable qu’une direction des achats, même soupçonneuse, pousse
plus loin les vérifications.

C’est exactement ce qui se passa. Des responsables de plusieurs entreprises furent contactés.
Certains déclinèrent la proposition en expliquant qu’une telle transaction était depuis peu
interdite en France par la réglementation professionnelle. D’autres, moins scrupuleux,
acceptèrent d’entrer en relation, et des échanges de fax établirent les intentions d’achat de
matière première ou d’exportation de produits destinés à une filière désormais illicite. La
première étape du stratagème avait fonctionné, le reste se déroula sensiblement sur le même
mode et la mission se solda par un succès global par rapport aux objectifs visés. Les entreprises
peu respectueuses des règlements furent dénoncées aux instances de la profession sans que les
instigateurs de la mission ne soient soupçonnés, ce qui leur permit de prendre dans les
structures professionnelles des places de choix devenues vacantes…

L’intérêt de cette anecdote ne réside pas tant dans le détail des moyens utilisés que dans la
mesure où elle sert de support à un questionnement plus large sur l’éthique en intelligence
économique. En effet, les procédés du stratagème, dont on a dit qu’ils avaient pour but d’induire
une cible humaine en erreur, reposent explicitement ici sur le mensonge : dissimulation des
buts, travestissement des identités, promesses fallacieuses destinées à tromper, détournement
de documents compromettants par abus de confiance, etc. Et pourtant, le contexte de cette
mission était celui de la défense d’intérêts économiques bafoués par une malhonnêteté que la
mission d’IE avait pour but de dévoiler et de dénoncer. Son objectif fut atteint dans la mesure
même où, comme il est dit en préambule, « nul ne peut arguer de sa propre turpitude ». Les
victimes du stratagème, ayant eu l’intention de transgresser les règlements de la profession,
n’étaient pas fondées à se plaindre d’avoir été pris au piège de leur ambition malhonnête. Elles-
mêmes étaient prêtes à dissimuler une transaction fautive, à travestir l’origine de leurs produits,
à feindre le respect des règles qu’elles bafouaient en cachette…

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La question posée est donc celle-ci : pour faire prévaloir le bon droit, l’intelligence économique
peut-elle utiliser des procédés trompeurs ? Quelles limites faut-il se fixer dans le choix des
moyens ? Quelle place la déontologie doit-elle occuper dans l’exercice de la pratique
professionnelle ? Deux pistes seront ici explorées, avant de proposer une approche plus large
des questions liées au respect de l’éthique professionnelle en intelligence économique.

2) La normalisation éthique par les codes de déontologie

La première piste éthique est celle de la pragmatique, qui consiste à soutenir que la seule
barrière déontologique qui vaille est le respect de l’intérêt supérieur du donneur d’ordre. Une
récente affaire d’intrusion informatique, réalisée par une société d’intelligence, économique
visant un cadre de Greenpeace, illustre à propos cette notion : en exposant le groupe EDF, le
prestataire, -dont la culpabilité reste à être jugée selon le droit-, nuit gravement à son client.
C’est la principale faute déontologique qui peut lui être reprochée. Un comportement éthique en
investigation économique devrait donc découler de ce principe, soumettant à un jugement
prudentiel le choix des moyens ordonnés à une fin, afin de ne pas nuire au commanditaire. Dans
l’exemple qui a été développé plus haut, ce principe de l’intérêt supérieur du client a dicté le
choix de faire « tester » la solidité du stratagème par une société de renseignement commercial.
Tous les détails de la mission ont été soumis au même choix. Il s’agissait avant tout de
dissimuler l’origine de l’opération, de cloisonner le plus possible avec les donneurs d’ordre, de
les rendre insoupçonnable quand bien même l’opération aurait échoué. Dans une certaine
mesure, cette conception de la déontologie professionnelle s’est trouvée justifiée par les faits. Le
stratagème utilisé n’a fait qu’exploiter deux défauts connaturels à l’homme : la négligence et
l’indiscrétion, pour tendre aux cibles un piège dans lequel elles sont elles-mêmes tombées. Des
industriels imprudents étaient prêts à entrer en relation d’affaire avec un intermédiaire
jusqu’alors inconnu de la profession : ils se sont fait circonvenir… Quand le piège s’est refermé
sur eux, il était trop tard : remonter à son auteur était devenu impossible, il avait disparu,
mieux, il n’avait jamais existé…

Le problème posé par cette conception est que le seul juge des moyens est, selon le principe
appelé « effet d’aubaine » (BOURION, 2008), la perfection technique qui fait croire que

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l’investigation parfaite est toujours possible, à condition d’y mettre le prix : « pas vu, pas pris ».
Interrogeant la déontologie professionnelle, c'est-à-dire l’ensemble des normes qui dictent leurs
actes aux praticiens de l’intelligence économique, l’exemple décrit plus haut répond aux
principaux impératifs éthiques qui figurent dans les différentes chartes de la profession. Celle de
la Fédération des professionnels de l’intelligence économique (FéPIE) édicte entre autre ceci :

Article 5
Les signataires de la Charte s’engagent à ne fournir que des informations accessibles par des
moyens légaux. Ils ne délivrent et n’utilisent que des informations dont ils ont vérifié la
véracité et la crédibilité de la source.

S’agissant du respect de la loi, on constate que si l’usurpation d’identité est interdite, l’usage
d’un pseudonyme ne l’est pas ; le détournement de correspondance privée est interdit, pas
l’exploitation d’un courrier dont on est destinataire ; l’abus de confiance est réprimé s’il a pour
but de provoquer un préjudice, pas quand il a pour but la révélation d’une infraction, etc.

Article 6
Le contrat établi entre les parties comporte obligatoirement une clause de confidentialité
concernant les informations et données fournies par le client et celles recueillies à son profit au
cours de la mission.

S’agissant de la confidentialité, l’identité des donneurs d’ordre a été préservée jusqu’à


aujourd’hui (y compris dans la rédaction de cet article), de même que celle des cibles de la
mission.

En échos à ces observations, on rappellera que le 6 mars 2009 s’est tenu à Paris les Etats
Généraux de la profession des « agents de recherche privée », réunissant un nombre important
de détectives privés français. Alain Juillet, Haut Responsable de l’Etat chargé de l’intelligence
économique, y a tenu ce propos : « Pourquoi prendre le risque d’enfreindre la loi, alors que 95
% des informations sont accessibles facilement et en toute légalité ».

Il semble donc que la ligne de conduite préconisée par le haut responsable à l’intelligence
économique rejoigne celle de la déontologie professionnelle : hors de l’infraction, tout est
permis. Respectant l’éthique de l’intérêt supérieur du client, la déontologie professionnelle

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recommande d’agir dans le cadre légal, seule solution garantissant véritablement de ne pas
nuire à son donneur d’ordre.

Cependant, fonder l’éthique professionnelle sur le seul respect de la loi et du droit présente un
inconvénient déjà souligné par Kant : le droit est hétéronome (nul ne peut être à la fois juge et
partie), alors que l'éthique dérivant des règles de la morale est autonome (chacun est son propre
juge et c’est la voix de conscience qui joue le rôle de censeur). Or les chartes éthiques de
l’intelligence économique, dans la mesure où elles ne comportent pas de sanction, ne font que
renvoyer à la justice la responsabilité de punir les transgressions. « A la différence des codes de
déontologie élaborés par des ordres professionnels qui acquièrent une valeur réglementaire
via un décret, la déontologie d’entreprise n’a pas de juridicité particulière » (ANTONMATTEI,
VIVIEN, 2007). En ce sens, elles contribuent à établir une illusion déontologique, en feignant
d’encadrer les pratiques professionnelles alors qu’elles ne font que protéger ceux qui les
édictent. Affirmer, comme le fait le code déontologique de la FéPIE à son article 3, que « Les
professionnels de l’intelligence économique s’engagent à ne pas porter atteinte aux intérêts
fondamentaux de la France », ne sert qu’à énoncer un principe de patriotisme économique. Un
tel article permet-il, même a posteriori, de juger la pratique du prestataire d’EDF qui s’est
introduit sur les ordinateurs de Greenpeace ? La réponse est sans doute non. Au mieux, le
caractère cumulatif des articles d’un code de déontologie peuvent servir à délimiter un champ
de pratique professionnelle. Au pire, ils ne font que décrire de manière non contraignante ce
que la loi exprime déjà en termes répréhensibles.

3) La promotion d’une éthique professionnelle individuelle

La deuxième piste éthique à envisager est donc celle d’une morale personnelle, qui défende au
praticien de l’intelligence économique d’utiliser des moyens qu’elle réprouve. La problématique
de renseignement qu’il doit traiter se trouve ici encadrée par des limites morales qu’il s’interdit
lui-même de franchir pour rester fidèle à une « ligne de conduite ». C’est donc une conception
de l’honneur professionnel qui est ici en jeu : il n’existe pas de mission qui vaille la peine de se
déshonorer par des pratiques indignes. Une éthique fondée sur la pratique s’oppose donc à une
éthique pragmatique dans la mesure où elle s’attache à qualifier l’agir professionnel, considéré
en lui-même comme acte moral, et non pas l’acte dans ses seules conséquences. L’acte moral

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concerne le décideur lui-même, pas de la structure à laquelle il appartient.

Il s’agit ici de mettre au centre des pratiques professionnelles non pas l’entreprise, personnalité
juridique dénuée de conscience unifiée et de psychisme propre, mais la personne, individualité
douée d’une existence physique, dotée du libre arbitre et d’une conscience autonome. Seules les
personnes physiques peuvent être qualifiées d’éthiques. Elles sont d’ailleurs les composantes
essentielles des personnes morales. Seul l’engagement personnel peut, dans le domaine de
l’éthique, donner lieu à une certification. Il serait illusoire de prétendre labelliser une éthique
institutionnelle, en dehors de l’appartenance à un ordre professionnel réglementé. Faire preuve
d’engagement éthique, pour un praticien de l’intelligence économique, c’est avant tout désirer
acquérir une sagesse professionnelle : interroger sa conscience et exercer son discernement, afin
de prendre du recul sur sa façon d’être et de travailler. La formation initiale des professionnels
de l’intelligence économique est le fondement essentiel à cette éthique personnelle. Il s’agit de
développer chez eux un habitus professionnel au sens aristotélicien, une disposition
permanente à agir d’une certaine façon acquise par l’habitude pratique : « Il y a des habitus
professionnels, des ‘mentalités propres’ qui sont en somme les éthiques particulières à chaque
domaine d’action » (CANIVEZ, 1995).

Dans l’exemple donné plus haut, la conscience professionnelle pouvait donc engager le
prestataire à aller au-delà du seul intérêt du client. Le choix des moyens pouvait se confronter à
des préceptes moraux, comme celui de la vérité : « se taire, c’est ruser ; mentir, c’est tricher »
rappelle Guy Massé (MASSE, THIBAUT, 2001). Un stratagème reposant sur la recherche de la
confiance puis la violation délibérée de celle-ci pouvait poser le problème de la parole donnée.
Peut-on fonder une pratique professionnelle sur le principe de la trahison, même légalement
assumée ? La défense économique de clients de bonne foi devait-elle s’accommoder de la
mauvaise foi affichée dans la transaction fictive qui permit de confondre les fraudeurs ?

Les réponses à ces questions d’ordre moral doivent évidement être renvoyées à la conscience
individuel du praticien. Il n’appartient pas à une profession de dire à la place de ses membres ce
que leur conscience devrait leur dicter. Or on touche ici aux limites de la morale individuelle :
son caractère relatif. Le choix éthique ne vaut que s’il n’est pas contredit par l’action d’un
concurrent, qui transgressera les règles au nom du principe relativiste selon lequel la fin justifie
les moyens.

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Un code de conduite individuel exigeant peut donc se révéler contre-productif dans un contexte
de concurrence qui valorise la performance collective au détriment de la morale individuelle.
Une éthique professionnelle fondée sur un code d’honneur ne vaut que si la même conception
de l’honneur est partagée par tous. Ainsi, la charte déontologique établie par une association
professionnelle n’engagera que les membres qui y adhèrent. Et, de l’aveu même du Président de
la FéPIE, « certains ne veulent pas signer » (le Nouvel économiste, 21 mai 2009)…

Il est donc nécessaire d’envisager une troisième option. Comment réprimer des pratiques non
éthiques sans la sanction du droit ? Comment contraindre des praticiens à respecter un
comportement éthique sans les enrégimenter de force ? La solution est de créer les conditions
dans lesquelles ces personnes aient intérêt à bien faire. Le caractère disciplinaire de la loi ne
suffit pas. L’incitation individuelle à adopter une pratique éthique doit s’appuyer sur la
dissuasion collective de la transgression. Ce dont la profession de l’intelligence économique a
besoin, c’est d’une vigilance professionnelle citoyenne.

4) Plaidoyer pour un observatoire des pratiques éthiques en


intelligence économique

Un Observatoire des pratiques éthiques en intelligence économique pourrait contribuer à


l’adoption d’une déontologie partagée par la profession, dans la mesure où ses interventions
consisteraient à valoriser les bonnes pratiques en donnant par contraste de la visibilité aux
procédés répréhensibles. Selon le professeur Antonmattéi, « l’éthique se réfère plus directement
à l’action de chaque individu considéré comme acteur au sein d’un ensemble plus vaste (…), la
déontologie est fondée sur un référentiel plus structurant de l’activité d’une profession. »
(ANTONMATTEI, VIVIEN, 2007). Les deux concepts se nourrissant l’un l’autre, on peut
imaginer un dispositif de vigilance éthique citoyenne qui soutienne la normativité de la
déontologie professionnelle, dont les associations assurent la garde.

« Un dispositif d’alerte professionnelle est un ensemble de règles organisant la possibilité,


pour un salarié ou toute autre personne (…) de signaler (…) :
- des actes contraires à des dispositions législatives ou réglementaires, aux dispositions des
conventions et accords collectifs de travail (…) ou à des règles d’origine éthique ou

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déontologique, qui nuisent gravement au fonctionnement (de la profession) ;


- des atteintes aux droits des personnes et aux libertés individuelles qui ne seraient pas
justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ;
- des atteintes à la santé physique et mentale (des personnes). » (ANTONMATTEI, VIVIEN,
2007).

La vigilance exercée par un tel observatoire contribuait à dissuader les donneurs d’ordre d’avoir
recours à des praticiens dont la notoriété serait entachée sur le plan éthique. Par un travail de
médiatisation, les praticiens déviants exposeraient leur client à un réel risque de réputation. En
juin 2008, des révélations ont été faites en Suisse par l’ONG de vigilance éthique Transparency
International sur l’infiltration d’un groupe de militants d’ATTAC rédigeant un livre sur les
multinationales de l’eau, par un salarié de l’agence SECURITAS agissant pour le compte de
NESTLE. Après examen du cas, la justice n’a retenu aucune infraction. En revanche, la
médiatisation de cette affaire et son impact en termes de réputation, tant pour SECURITAS que
pour NESTLE, ont produit un incontestable effet dissuasif. « En plus de l’effet pédagogique, il y
a un effet dissuasif lié au risque d’être signalé. » (BOURION, 2008).

Un observatoire indépendant, dont les interventions seraient complémentaires de l’action


normative des associations professionnelles, pourrait donc contribuer efficacement à la
promotion et au développement de pratiques éthiques de la part des professionnels. Par la
médiatisation des cas délictueux ou simplement déviants, par un travail d’explication
pédagogique des enjeux de l’éthique en IE en direction des donneurs d’ordres, des praticiens, de
l’administration et du public, par des enquêtes, des panels et un travail de classification,
l’observatoire pourra devenir la troisième composante, indispensable, d’une politique de
régulation éthique de la profession d’intelligence économique. Christian Bourion l’appelle « une
régulation du troisième type » et en démontre ainsi l’efficacité (BIBARD, THEVENET,
BOURION, 2009) :
- dans la régulation du premier type, chacun se régule soi-même, c’est le rôle de la conscience,
de l’honneur professionnel, l’efficacité est forte sur soi-même et faible sur les autres, la qualité
de la régulation dépend de chaque acteur et de celle de l’éducation reçue ;
- dans la régulation du deuxième type, une instance spécialisée se charge de la régulation, c’est
le rôle du législateur et du juge, l’efficacité est uniquement répressive, faible sur celui qui ne
transgresse pas et forte dans le cas inverse, chacun peut donc estimer ne pas être concerné (« la
règle implicite est : il ne faut pas se faire prendre. Comme ça ne marche pas, on multiplie sans

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arrêt les lois et règlements et au lieu de résoudre le problème, on l’amplifie » [BIBARD,


THEVENET, BOURION, 2009]) ;
- dans la régulation du troisième type, chacun est gardien de l’éthique et régule son
environnement, l’efficacité est forte sur soi-même et les autres, il n’y a pas d’inconvénient pour
les gens honnêtes mais l’ambiance devient insupportable pour les déviants.

Le présent article fait suite à un travail de réflexion mené avec les étudiants en deuxième année
de Master d’intelligence économique et communication stratégique à l’ICOMTEC de l’Université
de Poitiers durant l’année universitaire 2008-2009. Il serait sans doute bénéfique que la
communauté professionnelle réunie autour de la Revue internationale d’intelligence
économique puisse prolonger cette démarche de réflexion, voire lui donner un prolongement
pratique.

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Bibliographie sommaire :

Guide des bonnes pratiques en matière d’intelligence économique Service de Coordination


à l’Intelligence Economique, Ministère de l’économie et du budget, Paris, 2009

Intelligence économique : un guide pour une économie de l'intelligence


Guy Massé, Françoise Thibaut, De Boeck - Wesmael, 2001

Adam et Eve face au serpent, Aubaines et incivilités entretiendraient-elles des rapports de


proximité ? Explication par les effets de boucle, Christian Bourion, Revue internationale de
Psychosociologie N° 34, 2008

Ethique de la proximite sous la direction de Laurent Bibard, Maurice Thevenet et


Christian Bourion, Paris, ESKA, 2009

Eduquer le citoyen ? Patrice Canivez, Paris, Hatier, 1995

Chartes d’éthique, alerte professionnelle et droit du travail français : état des lieux et
perspectives, Paul-Henri Antonmattéi et Philippe Vivien, la Documentation française,
2007

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