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Scolariser les élèves avec autisme

Quelques réflexions
en marge d’une expérience
pédagogique
À propos de la première séance…

Christine Philip
Professeur à l’INS HEA et responsable de formation

Résumé : Ce texte propose une lecture de l’expérience pédagogique en arts plastiques proposée par Patricia
Sigwalt dans cette publication. L’auteure se penche sur la séance inaugurale qui correspond à la
mise en place d’un cadre pédagogique à domicile. L’analyse porte sur la stratégie pédagogique
mise en œuvre et la réaction de ce jeune avec un autisme sévère à cette stratégie. Dans ce qui
est ici appelé un récit pédagogique les méandres de la démarche sont analysés et la richesse
de la situation est mise en évidence. Dans cette situation pédagogique pleine d’incertitudes,
il faut savoir prendre des risques, l’important est que l’élève reste bien dans le cadre qu’on lui
propose, même s’il convient de l’aménager.
Mots-clés : Complexité - Fonctionnement autistique - Imitation - Moment pédagogique - Objets autistiques -
Récit pédagogique.

C
et article très vivant se lit comme une histoire… de fait il s’agit d’un récit
pédagogique qui nous livre une aventure au domicile d’un adolescent présentant
un autisme sévère et qui ne bénéficie d’aucune prise en charge institutionnelle…
Il fait partie de ces laissés pour compte dont la société se désintéresse parce que son
comportement est problématique… C’est sa mère qui assure donc son éducation
comme elle le peut, avec ses ressources propres : quelques intervenants en libéral
et des bénévoles qui acceptent de tenter l’aventure. Il faut savoir qu’à domicile
le professionnel travaille sans filet, il ne bénéficie pas de la protection d’un cadre
institutionnel. Dans cette situation le moindre faux pas peut être fatal et remettre
en question tout le travail entrepris. C’est donc avec beaucoup d’humilité et de
courage que Patricia s’est lancée dans cette aventure…
Dans ce contre point, je ne m’intéresserai qu’à la toute première séance pour
proposer ma lecture et mon analyse et sans prétendre pour autant faire la bonne
lecture… Je souhaite seulement faire émerger la complexité et la richesse de toute
situation pédagogique dont on ne peut jamais faire le tour. Essayons modestement
d’en explorer quelques aspects.

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Patricia a d’abord l’idée de se mettre au travail sans donner de consigne précise,
attendant qu’il se décide de lui-même à imiter. Il ne s’agit pas d’une attitude attentiste,
mais d’une stratégie pour ne pas prendre ce garçon de front, car il risque de s’opposer
violemment à ce qu’on lui propose. Des recherches, en particulier de Jacqueline
Nadel (chercheur au CNRS) ont montré que ces enfants sont capables d’imiter,
pourvu que l’on ait la patience d’attendre qu’ils se décident. On peut donc ainsi les
entraîner dans l’activité, sans les prendre frontalement. Il est intéressant de noter
que ce garçon ne regarde pas ou plutôt semble ne pas regarder, car en réalité il a
un regard que l’on appelle périphérique qui lui permet d’observer ce qui se passe
sur le côté, même si son regard n’est pas orienté dans la bonne direction… Ainsi
Patricia note : « Raphaël ne me regarde pas et n’a pas l’air de voir ce que je fais et
pourtant à ma grande surprise, il s’exécute ». On a beau le savoir on est toujours
surpris de ce genre de stratégie. Elle prend soin alors de verbaliser ce qu’elle fait :
de façon claire et précise, mais sans s’adresser à lui. Ce faisant, elle adopte une
stratégie similaire à la sienne : elle lui adresse un message indirectement, sans le
regarder, elle adopte donc le style du fonctionnement autistique. Elle sait aussi utiliser
le timer qui permet à l’adolescent de visualiser le temps qui passe et encouragée
par sa réussite, elle tente d’aller plus loin.
Mais avec ce genre d’élève rien n’est gagné d’avance, elle va l’apprendre à ses dépens.
C’est lorsqu’elle décide de cerner d’un trait orange les feuilles de la plante dessinée
qu’elle se heurte à une fin de non-recevoir. Pour lui cet acte est insupportable et il
le manifeste bruyamment. Elle a raison de penser que pour lui le coloriage se fait
« à l’intérieur de la forme » et non sur les contours… Elle lui propose donc quelque
chose d’inhabituel. À cet instant, on mesure la fragilité du cadre instauré. Un rien
peut en effet le faire voler en éclats à tout moment. Le pédagogue est sur une corde
raide, tous ses faits et gestes comptent, ils peuvent tout aussi bien avoir un effet
positif et structurant ou tout le contraire…
Cette réaction la surprend car l’activité avait bien commencé, elle semblait l’intéresser
et brusquement, c’est l’explosion, la crise…
C’est dans ces moments qu’il ne faut pas perdre son sang-froid (facile à dire !…),
et saisir ce moment que Philippe Meirieu appelle « le moment pédagogique »,
moment où l’enseignant rencontre la résistance de l’élève qui ne comprend pas
ou qui ne veut pas, c’est là où l’enseignant « entre vraiment en pédagogie » car il
va falloir qu’il prenne la bonne initiative. Il est alors renvoyé à lui-même, contraint
de se remettre en question et de s’adapter.
Que fait alors Patricia ? Elle a l’idée d’aller chercher sa collection de nains qu’on lui avait
retirée au début de l’activité. C’est l’avantage d’être à domicile : Patricia a échangé
avec la mère de Raphaël qui lui a expliqué l’importance de ces nains pour son fils. Ces
nains correspondent à ces objets autistiques auxquels il s’accroche dans cet univers
qu’il a tant de difficulté à habiter. Ce sont pour lui des points de repères, ils font partie
de son univers autistique. Patricia par l’activité qu’elle lui propose le fait sortir de son
monde. Dans cet instant où il explose, il est important de lui redonner ses repères
habituels. Il n’est pas certain que dans un cadre institutionnel le professionnel aurait
pu avoir cette initiative. Quand on travaille avec ces enfants il est particulièrement
important d’échanger longuement avec les parents pour connaître leurs habitudes,

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savoir ce qu’ils aiment et ce qu’ils n’aiment pas. On dispose alors d’informations
précieuses qui peuvent être très utiles dans de telles situations.
La première séance aurait pu s’arrêter là, avec cet apaisement procuré par ces objets
rassurants mais Patricia a raison de reprendre l’initiative. L’approche comportementale
nous apprend en effet que sans s’en rendre compte on pourrait être en train de lui
apprendre qu’à chaque fois qu’il pète les plombs on lui donne une récompense :
à savoir un objet agréable pour lui… Il ne faut donc pas en rester là. Ce garçon
doit apprendre que ce n’est pas à lui de décider d’arrêter l’activité, mais à l’adulte
responsable. Mais on ne peut pas non plus lui imposer de reprendre l’activité sans
prendre le risque d’engager un rapport de force qui est perdu d’avance…
Alors Patricia ruse, elle va utiliser ses objets autistiques à des fins pédagogiques.
Elle va le ramener à l’activité sans l’y contraindre, par une stratégie indirecte.
C’est sa façon à elle de rebondir, de ne pas s’avouer vaincue et de le ramener à
l’activité sans même qu’il s’en rende compte, en lui laissant à nouveau prendre
l’initiative. Mais c’est un pari. Quand elle choisit de dessiner Joyeux (elle n’a pas
choisi n’importe quel nain…), elle ne sait pas comment Raphaël va réagir… Après
tout elle vient de prendre le risque de lui ravir un nain pour en faire un usage
inhabituel : le dessiner… Et quelle n’est pas alors sa surprise à nouveau de le
voir lui enlever sa feuille pour se mettre à la colorier, acceptant ainsi d’entrer de
nouveau dans le cadre… De longues minutes s’écoulent où l’on peut imaginer sa
crainte qu’à nouveau il n’explose car il n’était pas du tout sûr qu’il accepte cette
activité. Il est intéressant de constater qu’en lui prenant sa feuille de dessin, il
imite encore puisque Patricia s’est saisie elle aussi d’un de ses nains et le lui a
enlevé pour le dessiner. Mais il convient d’être ici attentif aux variations, car la
fin de cette première séance n’est en aucune manière une répétition du début.
Au début de la séance il était dans l’imitation pure : je vois dessiner, je dessine…
Ici il enlève la feuille et la colorie, donc cette fois il prend une vraie initiative. Il
continue le travail entrepris, il prend la suite. Il eut été mal venu bien sûr de ne
pas accepter ce rapt qui n’aurait pas été accepté avec un élève ordinaire. Mais
Raphaël n’est pas un élève ordinaire… Patricia a raison de le laisser faire. Et pour
lui montrer qu’elle l’accepte, elle se lance dans un autre dessin avec un autre
nain. Cette fois c’est Timide.
La séance se termine donc par ce travail en parallèle, sauf que cette fois l’adulte
dessine tandis que l’élève colorie de sa propre initiative. Entre le début et la fin de
cette séance un pas important a été franchi. Raphaël a eu une vraie initiative qui
montre qu’il a compris le sens de l’activité qu’on lui propose. C’est sans nul doute
la réussite de cette première séance. On est à présent certain que ce garçon a des
compétences, beaucoup plus de compétences qu’il ne semble au premier abord.
Mais il faut savoir l’aborder et l’apprivoiser en acceptant d’entrer un peu dans son
monde, juste ce qu’il faut pour l’en détourner…

J’ai défini ce texte comme un récit pédagogique. Du récit il présente toutes


les caractéristiques, avec ses épreuves, ses obstacles, ses surprises et ses
rebondissements. Il y a dans ce récit ce que Jérôme Bruner appelle la peripeteia
dont parle Aristote (qui a donné la notion de péripétie). Comme il l’explique « Une

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histoire commence lorsque apparaît une brèche dans l’ordre des choses auquel
nous nous attendons » 1. Ici force est de constater que ce ne sont pas les brèches
qui manquent… En le lisant, on ne sait pas du tout comment cette aventure va
tourner et à l’avantage de qui… Est-ce que l’autisme de Raphaël aura le dernier
mot ? Est-ce que Patricia parviendra ou non à le faire entrer dans ses séances d’arts
plastiques, tout est incertain. Avec des élèves comme Raphaël comme l’explique
Édgar Morin, il faut accepter l’inattendu et l’incertitude. Parmi ce qu’il considère
comme les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, il définit cette « capacité à
affronter les incertitudes ». Ce récit fait bien comprendre ce qu’il appelle « l’écologie
de l’action ». L’action est décision, choix mais c’est aussi un pari. « L’écologie de
l’action écrit É. Morin 2, c’est tenir compte de la complexité qu’elle comporte, avec
aléas, hasards, initiatives, décisions, imprévus et elle nécessite la conscience des
dérives et des transformations ». Si j’ai pris la peine d’analyser cette séance c’est
justement pour montrer la richesse et la complexité de toute situation pédagogique
que l’on ne parvient jamais, même avec plusieurs lectures à saisir dans tous ses
aspects. On est réduit à n’en saisir qu’une partie et il pourrait ainsi y avoir autant de
lectures de cette situation que de lecteurs. J’invite donc le lecteur à faire lui-même
sa propre analyse en rendant hommage à la qualité de la prestation de Patricia qui
a su nous restituer avec des mots et des images les éléments de cette situation
qui nous a fait réfléchir.

1. Jérôme Bruner, Pourquoi nous racontons-nous des histoires ? Éditions Retz, 2002.
2. Édgar Morin, Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Éditions du Seuil, 1999.

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