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http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=RIS&ID_NUMPUBLIE=RIS_046&ID_ARTICLE=RIS_046_0149
2002/2 - n ° 46
ISSN 1287-1672 | ISBN 2130527078 | pages 149 à 155
La « riche Afrique »
et les entreprises françaises
Anthony Bouthelier*
Avec 170 millions d’habitants, sur les quelque 700 millions que compte le conti-
nent africain, et son ancrage plus que millénaire dans l’économie méditerranéenne,
l’Afrique du Nord connaît des résultats économiques supérieurs à la moyenne des
autres régions africaines. En outre, en raison de sa proximité géographique, elle sus-
cite un attrait certain pour les investisseurs français. Ici, l’histoire coloniale a joué
pleinement son rôle en familiarisant les opérateurs français avec le Maghreb, où se
situe l’essentiel des investissements français. L’ensemble de l’Afrique du Nord
accueille plus du quart de la totalité des investissements français en Afrique. Sur un
continent généralement mal noté par les « experts en risques » des instituts de nota-
tion financiers, deux pays du Maghreb sur trois, la Tunisie et le Maroc, sont classés
en 2002 dans la catégorie « A » par la COFACE1, dont la notation s’échelonne
de « A » pour la mention « bon risque » à « D » pour la mention « risque très
élevé ».
La Tunisie est souvent citée au tableau d’honneur du développement exemplaire. À
l’instar de certains pays d’Asie – appelés les « tigres asiatiques » –, elle illustre le
paradoxe relevé par Pierre Moussa2 et selon lequel, dans la seconde moitié du
XXe siècle, il fallait être dépourvu de ressources naturelles et minières pour réussir son
développement. Dans ce pays, 88 % des entreprises françaises ont été bénéficiaires
en 2000, et la quasi-totalité d’entre elles entend bien l’être au cours des deux exercices
suivants. Faut-il alors s’étonner si plus des trois quarts prévoient un accroissement de
leurs investissements ?
De son côté, le Maroc sort de deux années difficiles marquées par la sécheresse.
Cependant, grâce à une excellente récolte en 2000, une croissance supérieure à 5 %
est annoncée pour 2001 et 2002. Même pendant la récente période de stagnation éco-
nomique, la majorité des entreprises françaises a été bénéficiaire, et près des deux
tiers s’attendent à de bons résultats pour l’exercice 2002. Cet optimisme a provoqué
une nette reprise des investissements français qui, en 2000, ont atteint 119 millions
d’euros, alors que, dans le même temps, 91 millions d’euros étaient investis en
Algérie, 76 millions en Égypte et 17 en Tunisie. Dès lors, on peut se demander s’il
n’existe pas un phénomène de saturation à l’égard de la Tunisie, alors que l’espoir
semble renaître en ce qui concerne une Algérie pourtant si tourmentée !
Nous sommes ici en présence d’une vaste étendue dont le PIB actuel est, selon une
étude de la Direction des relations économiques extérieures (DREE)1, équivalent à
celui des Pays-Bas. Outre l’immensité géographique et la complexité des situations,
cette constatation de la faiblesse économique du continent explique en partie le rejet
actuel de l’Afrique. Le sort des entreprises françaises illustre parfaitement que l’ère
des « coups » à enrichissement rapide est révolue, car le potentiel ne s’y prête pas ou
ne s’y prête plus ; en revanche, l’ancrage en profondeur et de longue durée, nourris-
sant un professionnalisme africain, se révèle bénéfique.
Cette grande diversité recèle de nombreuses opportunités et laisse entrevoir un
potentiel d’activité important dans cette région. Cependant, le temps de la facilité est
fini et, là comme ailleurs, la compétence est désormais nécessaire au succès.
L’Afrique de l’Ouest comprend l’un des géants du continent, le Nigeria, dont la
visibilité en termes économiques est faible et décourage nos sociétés qui sont d’une
prudence extrême quant à leurs perspectives immédiates dans ce pays. Toutefois, nos
investissements y sont passés de 39 millions à 91 millions d’euros de 1999 à 2000, en
raison, principalement, des groupes pétroliers. Cette prudence a été nourrie par une
stagnation de l’économie en 1999 et 2000, à laquelle succéderait une croissance de 3
à 4 % en 2001. Mais, au Nigeria, la quasi-totalité de l’économie repose sur le secteur
des hydrocarbures qui assurait, en 2000, 98 % des exportations et 82 % des recettes
budgétaires.
Cette prudence est aussi provoquée par l’avancée, au nord, du fondamentalisme
islamique et par l’instauration progressive de la Charia – avancée qui est de plus en
plus perçue comme une contestation de l’autorité centrale.
La zone franc CFA, qui rassemble au sein de l’Union économique et monétaire
ouest-africaine (UEMOA)2 sept pays, a pâti des désordres de la locomotive ivoirienne.
En Côte-d’Ivoire, les investissements français se sont effondrés, et on a noté des sor-
ties de capitaux à la suite des troubles politiques. Ainsi, les malheurs ivoiriens ont
lourdement pesé sur les entreprises françaises, dont 40 % seulement prévoient des
bénéfices en 2001. Elles espèrent en revanche enregistrer une hausse à l’avenir,
puisque ce pourcentage s’élève à 60 % pour l’année 2002.
Concernant le Sénégal, qui est, avec la Côte-d’Ivoire, la principale destination des
investissements français en Afrique de l’Ouest, ce pays semblait intéresser davantage
les investisseurs qui se détournaient de la Côte-d’Ivoire. Après avoir atteint, en 1999,
un montant de 82 millions d’euros, les investissements français sont descendus,
en 2000, à 34 millions d’euros. La croissance attendue pour 2001 et 2002, proche
de 6 %, stimule néanmoins l’optimisme des opérateurs français dont les deux tiers
escomptent une activité bénéficiaire en 2002.
En Afrique centrale, c’est également dans la zone franc CFA, couverte par la Com-
munauté économique et monétaire en Afrique centrale (CEMAC)3, que se concentrent
les intérêts français, plus particulièrement au Cameroun et au Gabon. Les investisse-
ments que recueille cette zone varient essentiellement en fonction des projets pétro-
liers et sont presque exclusivement liés à ce secteur. Aussi se sont-ils détournés du
Congo en 1999 et 2000, et ont-ils beaucoup diminué au Gabon.
Il n’y a pas d’investissement privé dans les pays où les opérateurs ne sont pas heu-
reux. Au-delà des efforts d’organisation ou réglementaires, souvent repris dans des
codes d’investissements, l’investisseur potentiel s’intéresse beaucoup plus à la pra-
tique, au comportement des administrations. Les codes d’investissements, souvent
rédigés par les mêmes consultants, se ressemblent d’un pays à l’autre, et on ne
compte plus les zones franches dans le monde, au point qu’elles deviendraient la
norme.
C’est pourquoi toutes ces dispositions ne constituent qu’un élément de la décision
d’investir, celle-ci étant beaucoup plus influencée par l’opinion des opérateurs déjà
installés. Conscient de l’importance de ce témoignage qui façonne l’image de
l’Afrique, le CIAN entreprend donc chaque année un sondage pour cerner l’envi-
ronnement des affaires, qui servira non seulement aux investisseurs potentiels, mais
1. DREE, Les déterminants des investissements directs étrangers en Afrique subsaharienne, Paris,
novembre 2000.
154 ■ LA REVUE INTERNATIONALE ET STRATÉGIQUE
— invitant ensuite des Africains eux-mêmes, et non des « gourous » venus des pays
du Nord, à penser l’Afrique ;
— dans un document de 60 pages, où le secteur privé est mentionné 25 fois.
C’est évidemment à ce dernier message que nous devons répondre. Depuis long-
temps, il est connu que le développement est le fruit d’un partenariat public/privé.
À cet égard, la construction de la puissance américaine en figure l’une des plus élo-
quentes illustrations. Un ouvrage collectif, La France et l’Afrique1, dirigé par Serge
Michailof, l’actuel directeur exécutif de l’Agence française de développement, montre
que la méthode a été utilisée en Asie avec succès, notamment par les fameux « tigres
asiatiques », et les auteurs vont même au-delà du mot « partenariat » pour retenir
celui de « complicité ». En d’autres termes, les pouvoirs publics cessent de prendre les
opérateurs économiques pour des sujets et les considèrent enfin comme des partenai-
res. C’est à ce niveau que se situe le principal défi du NEPAD, et il est remarquable
que des chefs d’État reconnaissent que le développement n’est pas fonction d’un
montant de fonds publics, mais de la qualité des rapports entretenus avec des inves-
tisseurs privés.
On voit donc tout l’intérêt pour les entreprises françaises de s’impliquer dans ce
processus, qui peut contribuer à changer radicalement l’environnement actuel des
affaires, pour le moins médiocre, en Afrique, et qui constitue le verrou à débloquer
en vue d’un décollage économique.
Laurent Fabius déclarait dans une émission télévisée que la psychologie était
importante en économie ; ainsi, le sort du NEPAD se jouera davantage sur des atti-
tudes que sur des capitaux.