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Frédéric Lesemann
Lien social et Politiques, n° 50, 2003, p. 17-37.
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Frédéric Lesemann
elles renvoient à l’épuisement du À partir de ce constat, une équi- globale, si les États veulent
modèle keynésien de croissance, valence fut instituée progressive- accroître leur richesse et leur puis-
épuisement accéléré par la « crise † ment entre une « économie de
† sance nationales, ils doivent néces-
de l’énergie » des années 1970, à la
† l’innovation » et une « société du
† † sairement entrer dans l’arène de la
source d’un processus inflation- savoir », ouvrant ainsi la porte à un
† concurrence internationale et con-
niste qui semblait alors hors rôle accru de l’université, en tant duire leurs politiques de façon à
contrôle et qui allait contraindre que lieu de production et de trans- améliorer la compétitivité collec-
entreprises et institutions publiques mission des connaissances. La tive des entreprises, ainsi que la
à accroître la productivité du tra- matière grise en vint à constituer qualité des facteurs productifs sur
vail aussi bien que du capital, à la ressource la plus décisive dans leur territoire. […] La plupart des
libéraliser les marchés et à exiger la nouvelle économie, accroissant pays qui ont connu ces vingt der-
de l’État qu’il contribue à l’amélio- d’autant le rôle des universités et les nières années une croissance éco-
ration de la compétitivité des éco- attentes et les exigences de la société nomique satisfaisante ont pratiqué
nomies nationales. La notion à leur égard. Tel est du moins le dis- des politiques gouvernementales
Lien social et Politiques – RIAC, 50, Société des savoirs, gouvernance et démocratie, Automne 2003, pages 17 à 37.
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savoirs » et de sa gouvernance 2. Il
† † modestement sans doute, par cette
La société des savoirs et la gouvernance :
la transformation des conditions de montrera ensuite que ce processus revue qui, dès ses débuts, s’est
production de la recherche universitaire est à l’œuvre au niveau internatio- voulue « orientée vers l’analyse des
†
mentales mûrement réfléchies ci s’opposent tant en fonction de tra- des savoirs, gouvernance et démo-
d’encouragement à la recherche et ditions de recherche que de débats, cratie » me paraît très pertinent
†
de choix technologiques […] La souvent anciens, relatifs à l’applica- pour marquer la parution du 50e
nouvelle économie […] sera en par- tion des connaissances, à leur perti- numéro de LSP.
tie modelée par les processus poli- nence sociale ou technique, à
tiques engagés dans et par l’État. l’interdisciplinarité, aux sources de Une transformation majeure des
[…] La compétitivité dans la nou- légitimité des savoirs, au statut des rapports entre l’Université et
velle économie semble fortement « utilisateurs » de connaissances, etc.
† †
l’État : l’intervention spectacu-
dépendre de la capacité politique laire de l’État fédéral canadien,
des institutions nationales et supra- Enfin, dans une quatrième par- 1998-2005
nationales à orienter la stratégie de tie, je mettrai cette réflexion en
relation avec l’histoire de la revue Entre l’année budgétaire1998-
croissance des pays qu’elles admi-
Lien social et Politiques puisque 1999 et aujourd’hui (année budgé-
nistrent […] Les gouvernements ne
cette livraison marque la parution taire 2003-2004), mais avec une
peuvent pas se contenter d’organi-
de son 50e numéro, et que les res- planification des investissements
ser les échanges commerciaux, ils
ponsables de ce numéro m’ont fédéraux qui s’étend jusqu’en
doivent aussi fournir le soutien
demandé, à titre d’ancien directeur 2005, le gouvernement fédéral aura
nécessaire au développement tech-
de LSP, d’établir un lien entre la procédé à des investissements de
nologique et à la formation des res-
problématique de la gouvernance plus de 11 milliards de dollars
sources humaines » (ibid. : 135).
† †
pays qui ne compte que 30 millions perspectives de perfectionnement vation, portant ainsi les dépenses
d’habitants, ces sommes paraissent et de croissance personnelle pour fédérales annuelles en recherche et
considérables, d’autant plus que le tous les Canadiens. La mise en développement de 3,6 milliards de
gouvernement fédéral avait aupara- œuvre des politiques économiques dollars en 1998-1999 à 5,1 milliards
vant réduit ses subventions aux et sociales du Canada passe par les de dollars en 2002-2003 (derniers
universités entre 1995 et 1998, investissements dans les gens, par- chiffres disponibles; Statistique
sous la menace des sanctions des ticulièrement dans leur santé et Canada, Activités scientifiques fédé-
agences américaines d’évaluation dans leurs possibilités d’apprentis- rales, 2002-2003, tableau 1.6). Ces
de la cote de crédit du gouverne- sage […] Pour assurer cette hausse investissements permettent d’ap-
ment fédéral à cause d’un déficit de la productivité, le Canada doit puyer la recherche dans les univer-
budgétaire jugé excessif. L’impor- être un pôle d’attraction pour le sités, les collèges et les hôpitaux de
tant toutefois n’est pas seulement talent et les investissements […] recherche. Ils permettent également
1
l’ampleur du réinvestissement en Dans ce but, le gouvernement aux universités d’obtenir des contri-
matière de recherche, mais tout continuera d’effectuer des investis- butions du secteur privé. Ils doivent,
autant l’identification de domaines sements importants afin d’appuyer entre autres choses, favoriser la pro-
prioritaires pour ces réinvestisse- la recherche et l’innovation, d’en- motion de la commercialisation de
ments et de conditions imposées courager le perfectionnement des ces investissements. La progression
aux universités pour en bénéficier. compétences et de l’apprentissage, des investissements fédéraux sup-
Ces conditions entraînent une véri- et d’améliorer le système de soins plémentaires est remarquable puis-
table restructuration d’une institu- de santé […] Une économie plus que ceux-ci passent de 400 millions
tion universitaire que beaucoup productive ne se mesure pas sim- de dollars en 1998-1999 à 2337 mil-
jugeaient sclérosée, voire irréfor- plement à la hausse du revenu des lions en 2004-2005.
mable. Examinons donc successi- Canadiens. Il est également crucial
À cette intervention fédérale
vement ces divers éléments, que les choix économiques com-
s’ajoutent les investissements des
constitutifs de cette intervention portent une dimension sociale et
provinces en matière de recherche
spectaculaire. environnementale pour garantir la
et d’innovation. Pour le Québec,
viabilité de notre développement
Le raisonnement gouvernemental cette contribution est de l’ordre de
[…] La recherche offre aux
relatif au rôle de la recherche 230 millions de dollars pour l’an-
Canadiens des occasions de se
née 2003-2004 (source : bulletin de
†
doter de compétences de pointe et
Dans son Plan budgétaire de l’ACFAS, association francophone
d’exploiter des idées nouvelles. La
2003 (Canada, 2003), section 5, pour le savoir, juin 2003, édition
recherche est également source de
intitulée « Investir dans une écono-
† spéciale sur le budget québécois).
découvertes que les entrepreneurs
mie durable et productive », le † Cette contribution s’accompagne
peuvent transformer en produits,
ministre des Finances du Canada d’un discours analogue à celui du
technologies et services innova-
déclare : « Le Canada a fait de
† † gouvernement fédéral si l’on en
teurs. Les dividendes des investis-
grands progrès au cours des der- juge, par exemple, par un docu-
sements dans la recherche prennent
nières années; il a éliminé le déficit ment du Conseil de la science et de
la forme d’une économie en crois-
et accéléré la hausse du niveau de la technologie du Québec (1998,
sance et d’une meilleure qualité de
vie de ses citoyens […] La leçon à L’université dans la société du
vie pour l’ensemble des citoyens
tirer de ces résultats remarquables savoir et de l’innovation) : « Le
† †
du pays » (p. 138-139).
†
LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 50 Les domaines prioritaires efficace et performante. Cette vision
d’investissement social-démocrate justifie donc que
La société des savoirs et la gouvernance :
la transformation des conditions de le secteur de la santé soit consacré
production de la recherche universitaire Pour des raisons de stratégie comme ressource première dans la
économique, mais aussi pour des « nouvelle économie » canadienne.
† †
titre une ressource importante pour système complet de santé) dans la tuts virtuels ») pancanadiens de
†
des chaires de recherche du domaines prioritaires et suscep- jets, reposer « sur de nouveaux
†
Dans le même sens, on peut esti- de telles compétences, par recrute- ciplinarité, les collaborations en
mer qu’un peu plus du tiers des 11 ment soit à l’étranger, soit auprès provenance de divers établisse-
milliards de dollars d’investisse- d’universités concurrentes. Car, en ments ou secteurs. De plus, la FCI
ments fédéraux en recherche et effet, l’institution de chaires presti- encourage les établissements à se
innovation mentionnés antérieure- gieuses produit une émulation regrouper en consortiums théma-
ment, soit plus de 4 milliards, entre les universités, et donc une tiques régionaux ou nationaux, à
auront été consacrés aux secteurs hiérarchisation de leur valeur res- planifier ensemble l’acquisition
de la recherche en santé et en bio- pective, généralement mesurée par d’équipements, à établir des parte-
technologies entre 1998-1999 et un indice de « réputation » basé,
† †
nariats et des collaborations avec
2004-2005. Ce sont également ces notamment, sur le volume global des organismes publics ou privés.
secteurs, on le verra, qui reçoivent de recherche et de publications de
les montants les plus élevés d’in- l’établissement ou de telle ou telle On voit donc à l’évidence que
vestissements privés et c’est donc de ses unités de recherche. En ces financements considérables
là que les partenariats entre secteur outre, cette démarche force les éta- visent explicitement à amener les
public et secteur privé sont les plus blissements à s’inscrire, par l’exi- établissements universitaires et
actifs. gence de la formulation du plan leur corps professoral à s’ouvrir à
stratégique, dans une culture d’obli- d’autres établissements analogues,
Une stratégie de transformation gation de résultats puisque, bien sûr, mais aussi à des organismes du
en profondeur de l’institution les établissements doivent indiquer milieu, à coordonner leurs efforts
universitaire non seulement les domaines de scientifiques, à travailler en équipe
recherche qu’ils prévoient dévelop- et de manière intégrée, à se fixer
Ces réinvestissements fédéraux
per, mais les objectifs quantifiés des objectifs à atteindre, à recher-
en recherche et innovation s’ac-
qu’ils entendent atteindre et les cher des financements croisés
compagnent bien sûr de conditions
moyens qu’ils utiliseront pour les avec le secteur privé pour le déve-
d’octroi qui contribuent à modifier
atteindre. loppement de leurs projets et à
en profondeur le fonctionnement
définir ces projets en fonction de
des institutions universitaires. À ce programme de chaires domaines prioritaires et de thèmes
Ainsi, première condition d’accès à s’ajoutent les financements de la de convergence définis par les ins-
ces nouveaux financements, les Fondation canadienne de l’innova- tances fédérales.
établissements doivent, pour accé- tion (FCI), dotée d’un budget de
der au programme des Chaires de 3,15 milliards de dollars (dont seu- Un troisième programme de
recherche du Canada 3, soumettre
† lement 1,8 milliard est inclus dans financement, administré par les
un plan de recherche stratégique le total des 11 milliards) destinés grands conseils subventionnaires
de l’établissement dans lequel ils aux infrastructures de recherche. Là (Conseil de recherche en sciences
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LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 50 publique fédérale (qui, bien en santé du Québec et 100 % des
†
liards de dollars qui, lui, est régi par recherche Québec (VRQ), avec un
la tradition universitaire d’évalua- budget de 220 millions de dollars
tion par les pairs uniquement, de (1999-2006), favorise la concerta-
22
liberté et d’indépendance scienti- tion entre disciplines, le soutien
fiques. Toutefois, un tiers environ aux projets structurants, l’aide au
naturelles et génie, CRSNG; Insti- des budgets des organismes sub- démarrage d’infrastructures et la
tuts de recherche en santé du ventionnaires sont eux-mêmes commercialisation des résultats de
Canada, IRSC; Conseil de recher- consacrés à des programmes de recherche.
ches en sciences humaines, CRSH) recherche stratégique ou orientée
et le ministère de l’Industrie du Le troisième concerne l’impact
(Godin, Trépanier et Albert, 2000 : †
financement en provenance des marqué des structures départemen- mique et, comme l’obtention des
entreprises privées dans la compo- tales fondées sur les disciplines : en
† subventions est en partie reliée à la
sition de ces revenus de recherche : † effet les départements demeurent performance d’une équipe, mesu-
en 1990-1991, le financement pertinents essentiellement pour les rée souvent par l’addition des CV
public représentait 68 % du mon-
† enseignements de la discipline ou individuels, une sélection se pro-
tant global, alors qu’il était de 63 %† du domaine de formation profes- duit entre ceux qui sont jugés
en 2000-2001; celui du secteur sionnelle, mais plus du tout pour la « productifs » par leurs collègues
† †
privé était respectivement de 20 % † recherche. Ainsi, dans l’exercice de de l’équipe et ceux qui ne le sont
et 22 %. Bien entendu, il faudra
† leur fonction de chercheurs, les pro- pas. Ainsi se trouve exécutée, par
prendre en considération ultérieure- fesseurs sont incités à se regrouper les professeurs eux-mêmes, l’une
ment les domaines d’investisse- en dehors de leur département et des opérations de gestion scienti-
ments que privilégie l’entreprise même assez souvent en dehors de fique et administrative les plus dif- 2
privée pour avoir une meilleure leur établissement d’appartenance, ficiles à réaliser en milieu
appréciation des impacts possibles au sein de groupes ou centres de académique : l’évaluation de la
†
de ses interventions sur l’indépen- recherche thématiques où, en tant performance des professeurs;
dance de la recherche universitaire. que membres d’une équipe, ils ten-
teront d’obtenir des subventions ou — l’« autoréorganisation » du
†
(Source des données : Ministère de
†
51,1 %).
†
le champ scientifique […] De plus
en plus, les Conseils doivent trans-
Ces quelques exemples illustrent poser des demandes nouvelles en
24 les manifestations de la mise en provenance du politique auprès de
place d’un nouveau modèle de la communauté scientifique […]
sciences sociales qui peuvent gouvernance de la production uni- D’autre part, et en même temps
contribuer à produire des données versitaire en recherche dans le qu’ils sont au service du politique,
pertinentes pour les ministères ou cadre d’une « société du savoir » et
† †
les Conseils servent la commu-
pour la formulation de politiques ou la manière dont les organismes nauté scientifique » (p. 18). †
tés du Québec, pour l’année 2000- dance générale tout au moins. pertinente, plus près des utilisa-
2001 (source : SIRU, Système
† Comme le rappellent Godin, teurs, plus interdisciplinaire, plus
d’information sur la recherche uni- Trépanier et Albert (2000 : 17), par
†
collective » (p. 33); « ils veulent se
† †
versitaire, Ministère de l’Éducation la création des conseils subvention- faire plus interventionnistes en ce
du Québec, 2002, tableaux 8 et 21), naires, dans certains pays, dont les qui a trait à la pertinence socioéco-
indiquent que le secteur privé a États-Unis dès le début des années nomique de la recherche et à l’uti-
contribué à 21,8 % du financement
† 1950, et le Canada dès les années lisation des résultats » (p. 23); ils †
de la recherche (191 millions de 1960, les gouvernements ont pensent « recherche stratégique »,
† †
dollars), alors que le secteur public reconnu progressivement l’impor- définissent des « programmes thé-†
tenariats avec des clientèles non l’OCDE et l’UE proposent, dans ce versités entre les unités orientées
académiques, même si, dans les contexte, d’accroître l’efficience et vers la production de connaissances
faits, leurs pratiques demeurent l’efficacité des systèmes de forma- et les unités vouées à la diffusion
relativement inféodées aux tradi- tion supérieure en les différenciant des connaissances, mais ils insistent
tions académiques. selon leurs tâches, leurs types de sur la nécessité de résister à toute
formations et de prestations car, tendance à les hiérarchiser entre
Le débat relatif au financement pour l’OCDE, les universités « sont
† elles puisqu’elles doivent être inté-
de la recherche universitaire connaît la clé de voûte du système scienti- grées par l’objectif de la formation
un regain de vigueur, et même ce fique, tant pour la réalisation de la de diplômés aptes aussi bien à pro-
qui me paraît être une nouvelle recherche que pour la formation des duire des connaissances fondamen-
« phase », depuis une dizaine d’an-
† †
chercheurs » (cité par Milot, 2003 :
† † tales qu’à en saisir la pertinence
nées, sous l’impulsion des grandes 71). « L’économie du savoir pose
† pour leurs utilisateurs potentiels. 2
institutions internationales, promo- comme principe que la standardisa-
trices de la libéralisation des tion des “systèmes nationaux d’in- Il me paraît intéressant d’évoquer
échanges, telles que l’OCDE, la novation” (reliant entreprises, à cette étape de notre réflexion un
Banque mondiale, l’Union euro- universités et gouvernements) serait article de Terry Shinn (2000) consa-
péenne et l’UNESCO. Autant, devenue nécessaire et qu’elle per- cré à la question de l’occurrence des
jusque-là, le débat était relativement mettrait la stabilisation du marché « connaissances utilitaires » dans la
† †
confiné aux milieux universitaires de l’emploi par l’éducation et la for- recherche française récente. En
et à leurs relations pas toujours har- mation adéquate du “personnel hau- France, note l’auteur, comme dans
monieuses avec la demande poli- tement qualifié” indispensable à la les autres pays d’Europe du Nord,
tique nationale de « pertinence »,
† †
“croissance économique endogène” en Amérique du Nord et au Japon,
autant il s’inscrit de plus en plus de chaque nation » (p. 73). C’est
†
« la crise de l’énergie des années
†
aujourd’hui dans une perspective dans cette perspective également 1970 et le ralentissement de la crois-
d’équilibre budgétaire national et qu’est développé le « paradigme »
† †
sance économique ont stimulé une
mondial en ce qui concerne les éco- de l’université « entrepreneuriale »
† †
idéologie nouvelle selon laquelle la
nomies des pays développés, sous par Etzkowitz et al. (1997 et, sur- nation pourrait relancer l’économie
l’impulsion d’une vision étroite- tout, 2000). Ces auteurs décrivent grâce à l’innovation. D’après cette
ment utilitariste de la recherche, l’université du futur, l’université de idée, la prospérité et l’innovation
promue au nom d’une « économie †
l’« industrie du savoir », qui selon
†
seraient fondées sur les connais-
du savoir » et d’une « politique de
† †
eux se développe partout dans le sances techniques et scientifiques,
l’innovation ». L’OCDE, par
†
monde, comme un consortium de d’où la nécessité de convier les
exemple, vise explicitement, dans recherche constitué à partir des res- scientifiques à participer pleinement
ses divers rapports, « une reconfigu-
†
sources d’entreprises privées, de à ce nouveau défi. Mais cela ne cor-
ration majeure de la place des uni- laboratoires gouvernementaux et respondait ni à la tradition, ni aux
versités dans la mondialisation de la d’universités (2000 : 237), rendant
† institutions, aux normes et au com-
production, de la diffusion et de obsolètes les distinctions entre sec- portement de la communauté des
l’utilisation des connaissances » † teur public et secteur privé. chercheurs français » (p. 46-47).
†
LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 50 cherchant à attacher les labora- Diverses formulations
La société des savoirs et la gouvernance :
toires et les chercheurs à leur envi- conceptuelles des enjeux
la transformation des conditions de ronnement local et régional, et aux
production de la recherche universitaire Les réflexions relatives à une
entreprises qui s’y situent (p. 49).
nécessaire réorientation des pra-
De la même manière, les minis- tiques de recherche universitaire
tères français du Travail et des ont été mises en forme et synthéti-
Affaires sociales, puis de l’Emploi sées au niveau international par au
et de la Solidarité, se sont dotés moins trois réseaux de recherche
d’une Mission interministérielle de (Albert, 2002). L’ouvrage phare de
Gibbons et al., The New Production
recherche et d’expérimentation
of Knowledge. The Dynamics of
26 (MIRE) qui, au cours des vingt der-
Science and Research in Contem-
nières années, a financé des cen-
porary Societies, paru en 1994, a
taines de recherches thématiques d’emblée connu un immense reten-
nouvelle relation avec l’État. En
faisant appel aux meilleures tissement, surtout parmi les
France, l’État, en effet, à la suite de
l’affaiblissement des analyses équipes des sciences sociales 6. Ce
†
concepteurs de politiques; l’un des
structuralistes, est considéré de qui est toutefois particulier à la auteurs, le Québécois Camille
moins en moins comme une source MIRE, c’est la façon dont les Limoges, est devenu par la suite
de pouvoir contrôlée uniquement thèmes et les problématiques de président du Conseil de la science
par les classes dirigeantes et davan- recherche ont été généralement et de la technologie du Québec. Le
tage comme un lieu où se négo- définis dans ses appels d’offres de deuxième réseau important s’est
cient les indispensables compromis recherche, le rôle prépondérant réuni autour d’Etzkowitz et
sociaux. Par ailleurs, en France, en qu’y ont joué des chargés de mis- Leydesdorff, auteurs de Univer-
1981, le Parti socialiste est porté au sion, des conseillers et des comi- sities in the Global Economy : A†
pouvoir. Dès l’année suivante, en tés scientifiques qui ont su Triple Helix of University-
1982, il organise les Assises natio- imprimer et garantir une perspec- Industry-Government Relations
nales de la recherche en vue de (1997). Le troisième, appelé
tive de recherche propre à la
« préparer le terrain pour un nou- System of Innovation Approach, est
†
démarche scientifique, alors qu’au
veau contrat entre les scientifiques représenté, notamment, par les tra-
Canada, l’influence des préoccupa-
et la nation » (p. 47). En échange vaux de B. A. Lundvall, du Danish
†
tions gestionnaires et le souci de Research Unit for Industrial
d’un statut de fonctionnaire offert pertinence dans la formulation et
aux chercheurs, le ministère de la Dynamics (DRUID), et par son
l’évaluation des politiques parais- livre National Systems of Innova-
Recherche jouerait le rôle d’un
sent beaucoup plus directement tion (1992). L’influence de ces trois
organisme de direction et d’inter-
présents et explicites. C’est là l’oc- types d’analyse sur les instances
vention en s’immisçant davantage
casion de souligner le fait que cette gouvernementales qui élaborent les
dans la politique et le fonctionne-
« négociation permanente » dans la
† † stratégies de développement des
ment de la recherche (p. 48). Pour le
recherche orientée entre le pôle « sociétés du savoir » est reconnue.
† †
Gouvernement français, il s’agis-
sait alors d’attirer les investisseurs politique et le pôle scientifique
Faute d’espace, je me limiterai à
internationaux vers l’industrie peut se dérouler selon diverses quelques commentaires à propos
française, la relance passant par modulations. La comparaison du modèle d’analyse de la New
une alliance entre la science et l’in- internationale sur ce point pourrait Production of Knowledge, sans
dustrie (ibid.). En conséquence, le sans doute être d’un grand intérêt doute le plus influent au Québec,
CNRS allait orienter de plus en puisque cet enjeu semble devoir car il nous conduit à l’analyse du
plus son financement interne vers demeurer au cœur de la recherche fonctionnement interne de l’uni-
les travaux de recherche appliquée, contemporaine. versité, en rapport avec la question
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de la transformation des conditions ment, les problématiques ne sont disciplinaires pour sa compréhen-
de production de la recherche. pas issues d’une dynamique disci- sion. On s’éloigne donc d’une
Dans l’ouvrage qui porte ce titre, plinaire endogène (de “matrices vision positive et structuro-fonc-
Gibbons et al. croient pouvoir disciplinaires”), elles ont des ori- tionnaliste pour lui préférer une
identifier deux modes de produc- gines externes et elles coupent à approche pragmatique et relative
tion des connaissances dans les travers les disciplines […] La qui incorpore à l’analyse, comme
milieux académiques : le « mode
† † recherche en situation de contex- partie constitutive déterminante, le
1 », centré sur les intérêts acadé-
† tualisation ne cesse de résoudre des sens que les acteurs concernés don-
miques, les disciplines, l’homogé- problèmes théoriques fondamen- nent à leur réalité et aux conduites
néité des lieux de production et des taux si l’on veut, mais dans une qu’elle sollicite de leur part.
praticiens, dans le cadre d’une visée de réalisations pratiques […]
organisation hiérarchique de la il ne s’agit pas de transférer à des Cette opposition entre deux
modes de production des connais- 2
recherche, l’affirmation d’une utilisateurs […] des résultats pro-
autonomie relative de la recherche duits en milieu de recherche; il sances, pour éclairante qu’elle
qui s’appuie sur une rigueur s’agit plutôt de recherches qui trou- soit 7, fait aujourd’hui l’objet de
†
méthodologique et technique et le vent une destination sociale parce diverses critiques qui, pour l’essen-
principe de l’évaluation des pro- que, dès l’origine et tout au cours tiel, contestent que la réalité de la
duits par les pairs; le « mode 2 »,
† † de la conduite du travail, sont production universitaire soit à ce
défini par un contexte d’applica- impliqués la variété des acteurs point tranchée entre deux modes et
tion, par des approches transdisci- sociaux intéressés ».
†
qui soutiennent qu’il faut prendre
plinaires des objets de recherche, en compte l’effet de la rhétorique
Dans cette visée, toute démarche académique : les scientifiques utili-
une hétérogénéité des lieux de pro- †
connaissances a été formulée par alors mises en œuvre pour en favo- fie pour sa part quatre régimes de
Camille Limoges (1996 : 11-15),† riser la compréhension. On s’écarte recherche scientifique et technique
qui écrit, sur la notion de résolument d’une visée explicative qui, dit-il, au-delà du fait que « la
†
tionnels engagés dans la produc- disciplinaire puisque tout objet de tionnent historiquement ensemble,
tion de connaissances […] La recherche, en tant que construit et sont jusqu’à un certain point
problématisation, la construction social, est par statut complexe, interdépendants ».
†
LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 50 simplement pas entrer dans son truire leur argumentation, ce qui
enceinte. On pourrait ajouter montre bien l’influence considé-
La société des savoirs et la gouvernance :
la transformation des conditions de encore le cas de toutes les « nou- † rable de cet ouvrage ! Mais on peut
†
« mode 2 ».
† † définition, ne prétend jamais
28 décrire fidèlement une réalité, mais
Finalement, il semble que le
en mettre en évidence les enjeux,
« mode 2 » soit, dans les faits,
† †
demeure indéniablement éclairante
ces deux modes ne serait pas récent, beaucoup plus répandu qu’il n’y
et performante. En effet, Albert
mais qu’il remonterait aux débats paraît et qu’il a même pénétré
(1999) et Albert et Bernard (2000)
sur l’« application » des connais- aujourd’hui dans la vaste majorité
†
voient dans ces deux modes de
sances des années 1950, autant que des établissements d’éducation
production plus qu’une simple
sur la « production des connais- supérieure et de recherche, mais
†
typologie, y reconnaissant « un †
Schön (1983) sur les cultures pro- ce que cette « assemblée de pairs »
† † Une transformation des
fessionnelles. La revue Lien social réussirait à continuer à fonctionner rapports de production de la
et Politiques, dans ses premiers à l’« idéal » (celui de la Science, par
† recherche universitaire qui
numéros (1979-1983), paraissant essence « fondamentale ») et à
† † change le fonctionnement
alors sous le titre de Revue interna- imposer ce fonctionnement à l’en- interne des universités
tionale d’action communautaire, semble de la communauté universi-
Il me paraît éclairant d’envisa-
avait largement documenté ces taire et, au-delà d’elle, à l’ensemble
ger le « monde » universitaire, ou
† †
de la société, qui respecterait le
questions, particulièrement dans le tout au moins celui des sciences
même idéal, même si la vaste majo-
cadre d’un numéro consacré à la sociales, que je connais, comme un
rité de ses pratiques relèvent d’un
recherche-action (no 5, printemps « champ » où s’« affrontent » sym-
† † †
mode de production différent ? †
1981). Il est également intéressant boliquement deux ensembles de
de remarquer que l’on a tradition- On notera que le numéro théma- professeurs : un premier, « dont la
† †
nellement accordé, dans les univer- tique de Sociologie et Sociétés légitimité s’acquiert via une pro-
sités nord-américaines, un statut de consacré à « La Science » (XXXII,
† † duction destinée aux pairs et ayant
« facultés » à ces milieux de forma-
† † 1, printemps 2000), où l’on trou- obtenu leur reconnaissance », un †
tion professionnelle de « mode 2 » † † vera plusieurs des textes signalés second, « dont la légitimité s’ac-
†
pour les isoler des départements dans cet article, se montre très cri- quiert non seulement via une pro-
disciplinaires, considérés, eux, tique à l’égard de l’ouvrage de duction destinée aux pairs, mais
comme véritablement « acadé- † Gibbons et al. Pourtant, les cinq également à travers une production
miques », donc du « mode 1 », alors
† † † auteurs québécois qui y publient un visant à répondre à la demande
qu’en Europe, l’université, jusqu’à article font explicitement référence sociale de connaissances et ouverte
tout récemment, ne les laissait tout aux « modes 1 et 2 » pour cons-
† † à l’évaluation par des acteurs non
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le début des subventions straté- l’autonomie de décision et au sens des universités, 1993 : 15).
†
Avec les années 1980, des sentiment de trahison potentielle de damental-appliqué; libre-orienté;
réseaux de chercheurs pancanadiens sa mission de la part de l’universi- disciplinaire-interdisciplinaire, me
ont vu le jour : réseaux d’excel-
†
taire séduit par les avantages maté- semble véritablement structurante
lence, projets d’envergure et instau- riels et symboliques que procurent du milieu universitaire et de son
ration d’une volonté politique de subventions et contrats, et tenté par imaginaire. Et j’insiste : de son
†
coordonner diverses institutions les partenariats avec l’industrie ou imaginaire ! Car la réalité du fonc-
†
LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 50 à vérifier, confirmer ou infirmer, sances comme à des « outils » de † †
disciplinaires, fondamentaux et
connaissance », mais évidemment,
†
carrière car c’est là qu’elle se joue « mode 1 ». Mais ils ont en même
† †
Ma fonction de direction d’un et qu’elle est évaluée par les pairs temps absolument besoin du second
programme de doctorat en sciences (de la discipline) en termes de pro- pour être en mesure de survivre
humaines appliquées à l’Université duction d’articles dans des revues comme « sujets » actifs dans la
† †
de Montréal m’a mis en présence disciplinaires; la seconde va à une société. Car ils savent bien, autant
de départements disciplinaires de unité de recherche construite sur intellectuellement que par expé-
sciences sociales qui continuent une thématique. Cette unité, on l’a rience, que nous ne vivons plus
fondamentalement à promouvoir, vu, a de fortes chances de se trou- aujourd’hui dans un monde où les
malgré des discours d’ouverture à ver hors du département, voire hors institutions seraient en mesure de
des disciplines connexes, des de l’établissement; elle fonctionne fonder un ordre social ou acadé-
ensembles de connaissances, des de manière interdisciplinaire et mique qui serait défini comme un
traditions disciplinaires entretenus « appliquée », compte tenu de son
† † ensemble objectivement intégré et
et célébrés pour eux-mêmes, indé- objet et des problèmes à résoudre hiérarchisé de fonctions, de valeurs,
pendamment d’un exercice concret qui justifient son existence. C’est de conflits centraux. La société ne
d’évaluation de leur pertinence là que sont obtenues les subven- peut plus être conçue comme « un †
heuristique en fonction d’un objet tions, qui sont dès lors des subven- système organisé autour d’un
d’analyse donné ou d’un problème tions d’équipe. Elle fonctionne à centre » (Dubet, 1994 : 253), tel
† †
à résoudre. La formation discipli- l’interdisciplinarité ou, plus cou- qu’on l’évoque en parlant du « pri- †
pas le chercheur à tenter de com- narité disparaît d’elle-même, tout de la science. Elle est plutôt conçue
prendre une réalité donnée qui lui simplement, au profit d’une inter- comme production d’acteurs relati-
apparaîtra d’emblée comme com- rogation collective sur l’objet de vement libres et responsables de
plexe et comprenant plusieurs recherche, au cours de laquelle construire les normes et le sens de
facettes et dimensions, mais plutôt chacun fait appel à ses connais- leurs pratiques puisque aucune
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norme et aucun sens ne leur sont par les pairs, très explicitement revue LSP et sur sa difficulté per-
donnés de l’extérieur. Dans cette structurée dans ses règles, ait per- manente à le définir clairement.
perspective, on « ne cherche plus à
† mis aux plus jeunes chercheurs de « La dynamique de production de
†
développer des énoncés généraux contribuer à la réputation de neu- connaissances en sociologie semble
et transférables (rapport fonda- tralité axiologique de la discipline structurée par un système d’opposi-
mental-appliqué) d’un contexte et d’établir, ce faisant, leur propre tions “multipolaire” […] qui résul-
d’action à un autre et à les imposer compétence scientifique » (p. 73).
† terait du caractère fragmenté de la
à une pratique […] la production discipline en spécialités distinctes
La sociologie présente pour sa et relativement autonomes (socio-
de la connaissance et sa mise en
part « une tradition disciplinaire
†
logie de la famille, de l’art, des
œuvre dans l’action sont intime-
différente, à la fois multi-paradig- organisations […] sociologie fémi-
ment liées » (Friedberg, 1993 : 384).
† †
LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 50 Tout d’abord, un constat. La de débat que la Revue a toujours
Revue a toujours eu, à l’exception cherché à être.
La société des savoirs et la gouvernance :
la transformation des conditions de peut-être des années les plus
production de la recherche universitaire Ce constat est une manière de
récentes, de la difficulté à énoncer
dire que la Revue n’appartient à
clairement et simplement son
aucune tradition disciplinaire ou
« projet ». Et paradoxalement, j’ai
† †
Toutefois, il importe de noter que La Revue a toujours tenté, au sein fournissant ainsi les moyens de la
cette difficulté s’est beaucoup de chacun des numéros qu’elle a modifier ».
†
laborations. Elle a pratiqué stance et toute signification aux espaces de liberté et de créativité
l’« application », non pas bien sûr
† énoncés scientifiques, mais bien intellectuelle, même s’ils sont l’ob-
dans le sens de la relation hiérar- pour en renégocier les ancrages, jet de luttes pour le contrôle du
chique, taylorienne de la séparation pour la soumettre elle aussi au pro- « champ » parfois assez féroces.
† †
LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 50 droits et de la citoyenneté de leurs société dans laquelle elle évolue et
membres. Dans ce domaine, l’ap- qu’elle contribue à façonner. Mais
La société des savoirs et la gouvernance :
la transformation des conditions de proche comparative s’est révélée le savoir, les savoirs ne se réduisent : †
nence immédiate et d’utilité directe transformations en cours, la tels ceux de l’« économie du
pour la résolution des problèmes liberté réflexive du chercheur savoir » ou des « systèmes natio-
† †
doit être confortée par la création Le chercheur qui se constitue en de souligner la pluralité des savoirs inclus
volontaire d’un certain « isole- † sujet réflexif exprime une volonté et dans l’expression consacrée « société du
†
article.
peine de voir prévaloir des analyses professionnel ne rencontre jamais
promues par des think tanks finan- totalement la rationalité de l’organi- 3
Il s’agit d’un programme d’ajout de
sation, qu’il s’agisse de normes 2000 postes universitaires d’excellence,
cés par des fonds privés et politi- d’une durée de six ans, en vigueur de 3
quement orientés (Lundvall, 2002 : †
purement académiques ou d’exi- 2000 à 2005, et d’un coût de 900 mil-
6). Reconnaissance, d’autre part, du gences d’efficacité dans le cadre lions de dollars. Ce programme, qui
fait que le Sujet, tout en étant bien d’une programmation technocra- octroie non seulement le salaire complet
tique de recherche. d’un professeur, mais une subvention
sûr inscrit dans la société et dans d’infrastructure récurrente pouvant
l’institution, et donc dans les rap- C’est la construction difficile et atteindre 200 000 dollars par an, renou-
ports sociaux, culturels, acadé- toujours à reprendre de cette pos- velable pendant sept ans, vise notam-
miques, économiques et politiques, ment à attirer des chercheurs étrangers,
ture réflexive qui me semble ou à permettre à des chercheurs cana-
ne se réduit pas à ces rapports. garante de la possibilité de mainte- diens qui se sont exilés, particulièrement
C’est là le sens de sa liberté. nir dans une tension créatrice à la aux États-Unis, où les conditions de
fois une autonomie critique et une recherche sont plus attrayantes, de reve-
Que devient dès lors le cher- nir au Canada, ou encore à convaincre de
cheur, dans cette perspective ? Il ne †
pertinence sociétale. Démarche jeunes chercheurs tentés d’aller travailler
me semble plus pouvoir fonder sa exigeante s’il en est qui vaut tant à l’étranger de demeurer au Canada.
légitimité et son « engagement » ni pour l’individu chercheur réflexif
† † 4
Ce programme a débuté en 1989 et, dans
sur une allégeance institutionnelle que pour l’institution réflexive qu’il une première phase de quatre ans, il a
disciplinaire stricte (position du contribue à édifier. Il me semble été doté de 240 millions de dollars et
« mode 1 »), au risque de perdre
† †
qu’elle doit être aujourd’hui à la d’un apport de partenaires de 60 mil-
base de la définition du rôle de la lions; dans une seconde phase, 1994-
tout contact avec la réalité socié- 1998, il a reçu 183 millions et 178
tale, ni sur une adhésion univoque recherche dans le contexte d’une millions respectivement.
à une entreprise mue par des objec- « société des savoirs » régie par de
† †
1
Nous comprenons la décision des respon- liques par Albert, 1999, ch. 2.4) que j’ai
fiques et culturelles différentes de sables de ce numéro de l’intituler « la
† eus avec mes collègues en provenance
celles qui prédominent. société des savoirs » comme une volonté
† de départements disciplinaires lorsque
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LIEN SOCIAL ET POLITIQUES – RIAC, 50 ancrage à la fois dans le lien social, la Europe in the Globalising Learning
sociabilité, les solidarités primaires, les Economy. Oxford University Press.
La société des savoirs et la gouvernance : pratiques sociales individuelles et col-
la transformation des conditions de lectives et dans les régulations institu- CST (Conseil de la science et de la techno-
production de la recherche universitaire logie du Québec). 1998. L’Université
tionnelles et les politiques publiques, les
dans la société du savoir et de l’innova-
deux pôles étant conçus comme inter-
tion. Québec, juin.
agissant étroitement entre eux.
DUBET, François. 1994. Sociologie de l’ex-
10
Je m’exprime ici à titre personnel bien
périence. Paris, Seuil.
sûr et en fonction de mon expérience de
la fréquentation de cette revue, qui s’est ETZKOWITZ, H., et L. LEYDESDORFF.
terminée pour moi en 2000; j’ai participé 1997. Universities in the Global
à son comité de rédaction pendant plus de Economy : A Triple Helix of University-
†
Sciences humaines appliquées à l’Uni- avec un accent particulier sur l’analyse the university of the future : Evolution of †
versité de Montréal, puis également des politiques publiques. ivory tower to entrepreneurial
lorsque j’ai assumé pendant près de six paradigm », Research Policy, 29 : 313-
† †
l’héritière de l’International Review of ALBERT, M., et P. BERNARD. 2000. GIDDENS, Anthony. 1998. The Third Way.
Community Development. Celle-ci avait « Faire utile ou faire savant ? La “nou-
† †
The Renewal of Social Democracy.
été fondée en Italie en 1958 par Albert velle production de connaissances” et la Londres, Polity Press.
Meister, avait été financée par la sociologie universitaire québécoise », †
Fondation Adriano Olivetti et avait Sociologie et Sociétés, XXXII, 1 : 71-92.† GINGRAS, Yves. 2003. « Idées d’universi- †
consécutifs; c’est ce qui expliquait la BOUCHARD, G. 2000. Genèse des nations sociales, 148, juin : 3-7.†
sciences sociales orientée vers l’analyse réseaux. Paris, Fayard. tension : les conseils subventionnaires et
†
sociaux et des politiques publiques. C’est CONCEIÇAO, P., et M. HEITOR. 2001. Sociétés, XXXII, 1 : 17-42. †
1994, elle a à nouveau changé de titre Balancing institutional integrity with LIMOGES, C. 1996. « L’Université à la †
Politiques, qui traduit son double ARCHIBUGI et B. A. LUNDVALL, éd. mer, une gestion à réformer », dans †
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