Sébastien Reuzé
Le summum du contre-seing
Clément Chéroux
Dans Autour des sept collines, son récit de voyage à Rome et en
Italie, Julien Gracq évoque le poids de l’habitus touristique auquel
il avoue n’avoir pas toujours su lui-même se soustraire. À l’ère des
excursions organisées et des tour operators, le voyage d’agrément
se transforme, en effet, trop souvent en un cursus d’initiation ou de
révision culturelle en accéléré. Comme si le touriste devait se préparer
à subir à son retour un examen, il lui faut tout voir en un minimum de
temps — les chefs-d’œuvre de l’architecture et des musées, les sites
incontournables, les curiosités locales recommandées par les guides
— et tout enregistrer. « C’est, écrit Gracq, du tourisme de contreseing
et de validation, et je m’en veux un peu d’être venu ici pointer au
tableau des must paysagistes comme on pointe à l’usine : Mai 76
– Baie de Naples – Vu1 . »
Curieux terme que celui employé ici par Gracq. Emprunté au voca-
bulaire juridique, « contreseing » désigne la seconde signature qui,
sur un acte notarié, authentifie un premier paraphe. Après avoir
coché chacune des cases de ce qu’il se devait de voir, le touriste
vient ainsi contresigner la convention tacite qui est censée faire de
lui un être de culture et de goût. Mais, dans ce contexte de tourisme
globalisé, où tous les échanges se font désormais dans un anglais
approximatif, la seconde partie du mot « contre-seing » évoque moins
l’étymologie latine de la signature que la traduction anglaise du verbe
voir. L’emploi par Gracq de ce jeu de mots en forme de néologisme
franglais laisse à penser que cette conception efficiente et comptable
du voyage était pour lui la meilleure façon de ne rien voir, que ce
tourisme de validation était en fait, à ses yeux, un contre-regard.
Depuis la publication du livre de Gracq, en 1988, le tourisme de
contre-seing (qu’il faudra désormais entendre à la franglaise) semble
s’être encore accru avec le développement exponentiel de la photo­
graphie numérique. Qui n’a, en effet, été frappé de découvrir,
à partir des années 1990, dans les hauts lieux du tourisme mondial,
ces étranges visiteurs cyclopéens dont l’œil semble rivé à leur écran
et qui ne prennent même plus le temps de regarder directement,
c’est-à-dire sans interface technique, ce qu’ils photographient.
Plus simple et souple d’emploi que la prise de vues argentique,
donnant le sentiment d’une gratuité de l’image, reproductible à volonté,
offrant un résultat immédiatement contrôlable et de surcroît trans-
missible en un clic à l’autre bout du monde, la photographie numéri-
que est venue parfaitement combler les exigences de rendement et
d’efficacité de ce tourisme de validation décrit par Gracq.
Depuis maintenant plus d’une dizaine d’années, Sébastien Reuzé
construit son œuvre photographique sur un principe de déambulation
qui, à bien des égards, ressemble à une sorte de tourisme esthétique.
Aux oripeaux rapiécés du flâneur baudelairien qu’ont choisi beaucoup
de ses contemporains, il a préféré la panoplie complète du touriste
postmoderne. Il photographie le plus souvent en voyageant, recherche
systématiquement le dépaysement — même au coin de sa rue —, traque
les moments de grâce ou les éphémères épiphanies, est attentif aux
incongruités, aux trouvailles et aux surprises. Cherchant lui aussi
« l’or du temps », il n’a pas son pareil pour repérer dans le torrent de
la trivialité quotidienne les petites pépites de poésie. Il les ramasse,
les amasse, et en remplit des albums, comme le photographe du
dimanche le ferait de ses clichés souvenirs2 .
Passionné par sa recherche, se souciant pleinement de ses enjeux
théoriques, Sébastien Reuzé ne pouvait qu’être attentif aux transfor-
mations induites par l’avènement des technologies numériques dans
le champ de la photographie amateur. Numéristique, sa dernière
série, porte précisément sur cette question. Réalisée au cours de
plusieurs voyages dans la capitale italienne, elle a pour cadre l’un
de ses lieux touristiques les plus fréquentés : la basilique Saint-Pierre
de Rome. Pendant plusieurs jours d’affilée, Reuzé s’est fondu dans
la masse des touristes qui se rendaient dans la plus grande église
de la chrétienté et y a, comme eux, frénétiquement photographié.
Mais, à la différence de ces derniers, il ne s’est pas attardé sur les
œuvres du Bernin, de Raphaël ou de Michel-Ange, il a préféré fixer
l’image de ces amateurs en train de les photographier ou de poser
devant. Dans ce lieu où le culte des images semble avoir été porté
à son paroxysme, il a mis en boucle la représentation elle-même.
Telle qu’elle est aujourd’hui proposée au public, l’œuvre se présente
sous la forme d’une projection dans une pièce confinée et obscure.
Rien ne manque à ce dispositif qui n’est pas sans rappeler les « soi-
rées diapos » d’autrefois : ni les particules de poussière qui dansent
dans le faisceau du projecteur, ni la chaleur odorante de l’appareil.
La force visuelle de ce diaporama repose sur la combinaison d’une
prise de vues en rafale à une vitesse d’obturation peu rapide et d’un
montage en fondu enchaîné à une cadence assez soutenue, mais
qui laisse cependant suffisamment de temps pour voir les images
individuellement. De ce couplage de vitesses différentes résulte
un curieux effet de double disjonction.
Disjonction du réel, tout d’abord : le monde représenté par Reuzé
semble soumis à une étrange bipolarité temporelle. Il y a le temps du
photographique qui consiste à poser devant la Pieta de Michel-Ange
et le baldaquin de l’autel du Bernin, ou à toucher le pied de la statue
de Saint-Pierre. Cette temporalité, où la pose est une pause, où seuls
affleurent quelques micro-gestes, de légers mouvements, d’infimes
rectifications de position, semble parfaitement légitime en ce lieu
de tourisme de validation ; elle est, par conséquent, pleinement
visible et lisible dans les images de Reuzé. Se superpose à cela une
temporalité extra-photographique constituée par tout ce qui s’agite
alentour. Mais curieusement, comme si elle était déplacée ou mal-
venue, cette temporalité apparaît diffuse et diluée. Dans les images
de la série, elle ne laisse transparaître que de vagues silhouettes,
quelques traces incomplètes, des semi-présences. Cet au-delà
du photographique n’est en fait peuplé que de fantômes.
À la disjonction du réel, s’ajoute celle des images. Le montage dyna­
mique d’images prises en rafales produit un curieux effet de vacillement
qui perturbe nos habitudes visuelles. S’agit-il d’images mouvement ou
de mouvements d’images ? Est-ce encore de la photographie, ou déjà
du cinéma ? La série de Reuzé se situe dans cet entre-deux théorique
sur lequel plusieurs artistes utilisant la photographie — Victor Burgin,
Alain Fleischer, Jeff Guess, John Hilliard, Eric Rondepierre ou Hiroshi
Sugimoto pour n’en citer que quelques-uns — ont ces dernières années
Sébastien Reuzé
travaillé et que Philippe Dubois a appelé « l’effet film ». « L’effet film,
écrit-il, est autant une question d’image (un problème visible dans les
images) qu’une affaire de dispositif (une machination invisible, mais
pensée, qui est affaire de processus : la lumière, l’écran, la projection,
le transport, la texture, la vibration, la trajectoire), autant une affaire de
perception que d’intellection, de sensation que d’émotion3 . » Aussi para-
doxal que cela puisse paraître, cette série de Reuzé sur ce qui constitue
le plus récent progrès de la technologie photographique fait penser aux
sautillements des films muets du début du siècle dernier. Aux images
numériques, Sébastien Reuzé a, en somme, réappris à trembler.
La double disjonction qui est au cœur de cette œuvre a pour prin-
cipal effet de mettre en évidence la gestuelle des photographes et
de ceux qui posent pour eux. La vitesse d’obturation adoptée fait
passer au second plan tout ce qui ne concerne pas directement l’acte
photo­graphique. Le montage en saccades fait ressortir les gestes
lents, le discret pas de deux qui s’esquisse entre l’opérateur et son
sujet. L’association de ces deux vitesses révèle des positions ou
des attitudes corporelles inhabituelles, de nouvelles chorégraphies
photographiques induites par le numérique. Ceux qui posent devant
l’objectif semblent plus libres. Ils n’hésitent pas à faire des grimaces ou
des mimiques et sont davantage enclins à l’expérimentation ludique ;
car ils savent que l’on ne « gâche » désormais plus la pellicule, que
chaque prise de vue est immédiatement contrôlable et peut être
effacée puis indéfiniment recommencée.
Quant aux photographes, ils n’ont plus l’œil rivé à leur viseur. Avec
le numérique, ils regardent désormais ce qu’ils photographient sur
un petit écran intégré à leur appareil. Ils ont éloigné celui-ci de leur
corps, le tiennent à bout de bras, comme s’ils étaient soudainement
atteints de presbytie. Les mains ainsi jointes à l’aplomb du visage,
parfois agenouillés pour plus de stabilité, immobiles et concentrés,
ils semblent être en position de prière. « Cette boulimie de l’image
m’apparaissait comme une nouvelle liturgie4 » explique Reuzé. Mais
qu’on ne s’y trompe pas, ces nouveaux pèlerins ne sont pas en ce lieu
pour trouver Dieu, ni même pour contempler ses représentations, mais
pour célébrer la religion des images omniprésentes. Et ils le font, dans
une authentique attitude de prière, en produisant eux-mêmes des ima-
ges d’images. C’est là finalement, comme le démontre admirablement
cette série de Reuzé, le stade ultime du tourisme postmoderne et par
là même le summum du contre-seing.
1  Julien Gracq, Autour des sept collines, Paris, José Corti, 1988, p. 34.
2  S ébastien Reuzé, Constellations, Bruxelles, La Lettre volée / Contretype, 2002 ;
Sébastien Reuzé, Rennes, La Criée, Centre d’art contemporain, 2003.
3  S ébastien Reuzé, « entretien avec Yvette Le Gall », carton d’invitation de l’exposition
de Sébastien Reuzé, Numeristic Choregraphy, Rennes, Le Triangle, 2009, n. p.
4  Philippe Dubois, L’Effet film, figures, matières et formes du cinéma en photographie, Lyon,
Le Réverbère 2, 1999, n. p.
The height of contre-seing
Clément Chéroux
In Autour des sept collines, his travel book about Rome and Italy,
Julien Gracq refers to the widespread tourist habitus which he
confesses he hasn’t always managed to avoid. In the age of package
excursions and tour operators, travelling for pleasure has in fact
all too often turned into a speeded up initiatory cursus or cultural
revision. It is as though tourists had to prepare to take a final exam
on their return home. They have to see everything in the shortest
possible time — the masterpieces of architecture and museums,
the major sites and local curiosities recommended by guides — and
record everything. As Gracq wrote, “It is all about contreseing and
validation, and I am a little annoyed with myself that I have come
here to point out the paintings of the essential landscape artists as
one would point to a factory: May ’76 – Bay of Naples – Done1 .”
The term Gracq uses here is curious. Borrowed from legal vocabulary,
“contreseing” refers to the second signature which, on a notarised
deed, authenticates the preceding initialled pages. After having ticked
each of the boxes of what he ought to see, the tourist thus counter-
signs the tacit agreement which is supposed to make him a person
of culture and taste. But in this context of global tourism, where all
exchanges now take place in broken English, the second part of the
word “contre-seing” refers less to the Latin etymology of signature as
to seeing. Gracq’s play on words in the form of a Franglais neologism
suggests that this efficient and quantifiable approach to travelling
was in his view the best way not to see anything, and that such valida-
tion tourism was in fact, as he saw it, a counter-view.
Since the publication of Gracq’s book in 1988, contre-seing tourism
(used here in its Franglais acceptation) appears to have expanded still
further with the exponential development of digital photography.
Who has not been astounded since the 1990s to discover these strange
Cyclopean visitors in global tourist centres, whose eyes appear to be
riveted to their camera screens and who no longer even take the time
to look directly, i.e. without a technical interface, at what they are
photographing. Being simpler to use and more adaptable than silver
halide devices, giving the feeling of a gratuitousness of the image,
which can be reproduced at will, offering an immediately controllable
result which in addition can be transmitted in a click to the other side
of the world, digital photography has managed to perfectly fulfil the
productivity and efficiency requirements of this validation tourism
described by Gracq.
For more than a decade now, Sébastien Reuzé has been building up
his photographic oeuvre based on a principle of wandering, which
in many respects resembles a sort of aesthetic tourism. Instead
of the patched up, faded finery of the Baudelairian flaneur chosen
by many of his contemporaries, he prefers the entire panoply of
postmodern tourism. His photographs are taken most often whilst
travelling, and he systematically seeks things that are out of place —
even at the corner of his own street — to reveal charming moments
or ephemeral epiphanies, through his attentiveness to incongruities,
discoveries and surprises. In seeking “the gold of time” also, no
one compares to him for his identification of little gems of poetry
in the torrent of daily triviality. He collects them, amasses them
and fills albums with them, like an amateur photographer with his
souvenir snapshots 2 .
Impassioned by his research and taking his theoretical issues fully
into consideration, Sébastien Reuzé could not fail to be mindful of
the transformations brought about by the arrival of digital technolo-
gies in the field of amateur photography. Numéristique considers
precisely this issue. The series was made during several journeys
to the Italian capital, in one of the city’s most visited tourist sites :
Saint Peter’s Basilica in Rome. During several consecutive days,
Reuzé blended in with the hoards of tourists visiting the largest
church in Christendom and like them, frantically took photographs.
Unlike the others however, he did not linger on the works of Bernini,
Raphael or Michelangelo, but instead preferred to capture the images
of these amateurs as they photographed or posed in front of them.
In this place where the cult of images appears to have reached its
paroxysm, he closed the loop of representation itself.
As presented to the public today, the work takes the form of a projec-
tion in a confined, darkened, silent room. Nothing has been forgotten
in this device which is reminiscent of “slideshow evenings” from the
past, not even the particles of dust which dance in the projector’s
beam, or the smell of the hot projector. The visual power of this slide­
show lies in the combination of pictures in rapid-fire succession at a
slow shutter speed and a quite fast cross fade montage, whilst leav-
ing sufficient time to see the images individually. This combination of
different speeds results in a curious, double-disjunction effect.
First there is the disjunction of reality: the world Reuzé represents
appears to be subject to a strange temporal bipolarity. There is the
photographic time which consists of posing in front of Michelangelo’s
Pieta and Saint Peter’s Baldachin by Bernini, or touching the foot of
Saint Peter’s statue. This temporality, where the pose is a pause and
where only a few micro-gestures, slight movements and minute rectifi­
cations of position emerge, appears to be perfectly legitimate in this
validation tourism site; it is consequently entirely visible and clear in
Reuzé’s pictures. Superimposed on this is an extra-photographic tem-
porality constituted by everything that is going on around it. But curi-
ously, as if it were out of place or unwelcome, this temporality appears
to be diffused and diluted. In the pictures in the series, it only reveals
vague silhouettes, a few incomplete traces and semi-presences.
This world beyond the photographs is in fact only inhabited by ghosts.
The disjunction of reality is combined with that of the images.
The dynamic montage of pictures taken in quick succession produces
a curious, shifting effect, which unsettles our visual habits. Are they
moving images or images in motion? Is it still photography, or has it
become cinema? Reuzé’s series lies in this theoretical interim which
several artists who work with photography — Victor Burgin, Alain
Fleischer, Jeff Guess, John Hilliard, Eric Rondepierre and Hiroshi
Sugimoto to name but a few — have used in recent years and which
Philippe Dubois called “the film effect”. As he explains, “The film
effect is as much about the image (a visible problem in the images) as
Sébastien Reuzé
the mechanism (an invisible but considered machination, involving the
process : the light, screen, projection, transport, texture, vibration and
trajectory). It is equally about perception and intellection, sensation
and emotion3.” As paradoxical as it may seem, this series by Reuzé
on what constitutes the most recent progress in photographic
technology is reminiscent of the flickering images of the silent films
made early in the last century. Sébastien Reuzé has in effect taught
digital images how to flicker again.
The principal effect of the double disjunction central to this work is
that it highlights the gestures of the photographers and those who
pose for them. The shutter speed used relegates to the background
everything which is not directly related to the act of photography.
The jerky montage emphasises the slow gestures, the discreet pas
de deux that emerges between the photographer and his subject.
The association of these two speeds reveals uncustomary body
positions and postures, in new photographic choreographies brought
about by digital technology. Those who pose in front of the lens appear
to be freer. They don’t think twice about pulling faces or imitating
gestures and are more inclined to engage in playful experimentation;
for they know that they are no longer “ruining” a film and that each
shot can be checked immediately, deleted and begun again from
scratch indefinitely.
Photographers no longer have their eyes riveted to their viewfinders.
With digital photography, they now look at what they are photo­
graphing on small screens integrated in their cameras. They hold
it away from their body, at arm’s length, as if they have suddenly
become long-sighted. Thus with hands held together directly below
their faces, sometimes kneeling to achieve greater stability, immobile
and concentrated, they appear to be bowed in prayer. “This bulimia
of images seems to me to be a new liturgy4,” explains Reuzé. But let
there be no mistake, these new pilgrims are not here to find God,
nor even to contemplate representations of Him, but to celebrate the
religion of omnipresent images. They do so by producing images of
the images themselves, in an authentic posture of prayer. Ultimately
and as the series here by Reuzé admirably demonstrates, this is the
final stage of postmodern tourism and as such, it is the height of
contre-seing.
1  J ulien Gracq, Autour des sept collines, Paris, José Corti, 1988, p. 34.
2  S ébastien Reuzé, Constellations, Brussels, La Lettre volée / Contretype, 2002; Sébastien Reuzé,
Rennes, La Criée, Centre d’art contemporain, 2003.
3  Philippe Dubois, L’Effet film. Figures, matières et formes du cinéma en photographie, Lyon,
Le Réverbère 2, 1999, n. p.
4  S ébastien Reuzé, « entretien avec Yvette Le Gall », invitation for Sébastien Reuzé’s exhibition,
Numeristic Choregraphy, Rennes, Le Triangle, 2009, n. p.
Prises de vues effectuées en 2006 dans la basilique Saint-Pierre du Vatican
www.sebastienreuze.com

Remerciements  à :
Clément Chéroux, Daniel Vander Gucht, Joël Van Audenhaege, ainsi qu’à Yann Le Goff, président et
François-Nicolas L’Hardy, directeur (Centre Atlantique de la Photographie, Brest), David Chevrier
(Le Village-site d’expérimentation artistique, Bazouges la Pérouse), Yvette Le Gall, chargée de la
programmation arts plastiques (Le Triangle, Rennes), Yves Bernard (iMAL)

Je remercie également Julie Cuvelier Brenta, Damien De Lepeleire, Jean-Louis Godefroid,

Erwan Mahéo, Xavier Noiret-Thomé, Romain Reuzé, Laurence Vaes et Karin Vermeire, qui,
par leurs interventions diverses et leurs encouragements, ont contribué à l’existence de ce projet.

Ouvrage publié avec le soutien de :

Ministère de la Communauté française de Belgique, service des Arts plastiques
Centre Atlantique de la Photographie (Brest) – www.centre-atlantique-photographie.fr
Centre culturel Le Triangle (Rennes) – www.letriangle.org
Site d’expérimentation artistique Le Village (Bazouges la Pérouse) – www.association-levillage.org
ARP2, Art & Research Publishing – www.arpeditions.org

Co-production du DVD : iMal – www.imal.org

Conception graphique : www.dojodesign.eu
Traduction anglaise : Laura Austrums

Dépôt légal : Bibliothèque royale de Belgique 4 e trimestre 2009 – D/2009/5636/6

ISBN 978-2-87317-342-5

© 2009 La Lettre volée – www.lettrevolee.com

Sébastien Reuzé
Achevé d’imprimer sur les presses de l’imprimerie AD Press à Seraing (Belgique) en octobre 2009.
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The height of contre-seing
Clément Chéroux
In Autour des sept collines, his travel book about Rome and Italy,
Julien Gracq refers to the widespread tourist habitus which he
confesses he hasn’t always managed to avoid. In the age of package
excursions and tour operators, travelling for pleasure has in fact
all too often turned into a speeded up initiatory cursus or cultural
revision. It is as though tourists had to prepare to take a final exam
on their return home. They have to see everything in the shortest
possible time — the masterpieces of architecture and museums,
the major sites and local curiosities recommended by guides — and
record everything. As Gracq wrote, “It is all about contreseing and
validation, and I am a little annoyed with myself that I have come
here to point out the paintings of the essential landscape artists as
one would point to a factory: May ’76 – Bay of Naples – Done .”
The term Gracq uses here is curious. Borrowed from legal vocabulary,
“contreseing” refers to the second signature which, on a notarised
deed, authenticates the preceding initialled pages. After having ticked
each of the boxes of what he ought to see, the tourist thus counter-
signs the tacit agreement which is supposed to make him a person
of culture and taste. But in this context of global tourism, where all
exchanges now take place in broken English, the second part of the
word “contre-seing” refers less to the Latin etymology of signature as
to seeing. Gracq’s play on words in the form of a Franglais neologism
suggests that this efficient and quantifiable approach to travelling
was in his view the best way not to see anything, and that such valida-
tion tourism was in fact, as he saw it, a counter-view.
Since the publication of Gracq’s book in 1988, contre-seing tourism
(used here in its Franglais acceptation) appears to have expanded still
further with the exponential development of digital photography.
Who has not been astounded since the 1990s to discover these strange
Cyclopean visitors in global tourist centres, whose eyes appear to be
riveted to their camera screens and who no longer even take the time
to look directly, i.e. without a technical interface, at what they are
photographing. Being simpler to use and more adaptable than silver
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halide devices, giving the feeling of a gratuitousness of the image,
which can be reproduced at will, offering an immediately controllable
result which in addition can be transmitted in a click to the other side
of the world, digital photography has managed to perfectly fulfil the
productivity and efficiency requirements of this validation tourism
described by Gracq.
For more than a decade now, Sébastien Reuzé has been building up
his photographic oeuvre based on a principle of wandering, which
in many respects resembles a sort of aesthetic tourism. Instead
of the patched up, faded finery of the Baudelairian flaneur chosen
by many of his contemporaries, he prefers the entire panoply of
postmodern tourism. His photographs are taken most often whilst
travelling, and he systematically seeks things that are out of place —
even at the corner of his own street — to reveal charming moments
or ephemeral epiphanies, through his attentiveness to incongruities,
discoveries and surprises. In seeking “the gold of time” also, no
one compares to him for his identification of little gems of poetry
in the torrent of daily triviality. He collects them, amasses them
and fills albums with them, like an amateur photographer with his
souvenir snapshots .
Impassioned by his research and taking his theoretical issues fully
into consideration, Sébastien Reuzé could not fail to be mindful of
the transformations brought about by the arrival of digital technolo-
gies in the field of amateur photography. Numéristique considers
precisely this issue. The series was made during several journeys
to the Italian capital, in one of the city’s most visited tourist sites :
Saint Peter’s Basilica in Rome. During several consecutive days,
Reuzé blended in with the hoards of tourists visiting the largest
church in Christendom and like them, frantically took photographs.
Unlike the others however, he did not linger on the works of Bernini,
Raphael or Michelangelo, but instead preferred to capture the images
of these amateurs as they photographed or posed in front of them.
In this place where the cult of images appears to have reached its
paroxysm, he closed the loop of representation itself.
As presented to the public today, the work takes the form of a projec-
tion in a confined, darkened, silent room. Nothing has been forgotten
in this device which is reminiscent of “slideshow evenings” from the
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past, not even the particles of dust which dance in the projector’s
beam, or the smell of the hot projector. The visual power of this slide-
show lies in the combination of pictures in rapid-fire succession at a
slow shutter speed and a quite fast cross fade montage, whilst leav-
ing sufficient time to see the images individually. This combination of
different speeds results in a curious, double-disjunction effect.
First there is the disjunction of reality: the world Reuzé represents
appears to be subject to a strange temporal bipolarity. There is the
photographic time which consists of posing in front of Michelangelo’s
Pieta and Saint Peter’s Baldachin by Bernini, or touching the foot of
Saint Peter’s statue. This temporality, where the pose is a pause and
where only a few micro-gestures, slight movements and minute rectifi-
cations of position emerge, appears to be perfectly legitimate in this
validation tourism site; it is consequently entirely visible and clear in
Reuzé’s pictures. Superimposed on this is an extra-photographic tem-
porality constituted by everything that is going on around it. But curi-
ously, as if it were out of place or unwelcome, this temporality appears
to be diffused and diluted. In the pictures in the series, it only reveals
vague silhouettes, a few incomplete traces and semi-presences.
This world beyond the photographs is in fact only inhabited by ghosts.
The disjunction of reality is combined with that of the images.
The dynamic montage of pictures taken in quick succession produces
a curious, shifting effect, which unsettles our visual habits. Are they
moving images or images in motion? Is it still photography, or has it
become cinema? Reuzé’s series lies in this theoretical interim which
several artists who work with photography — Victor Burgin, Alain
Fleischer, Jeff Guess, John Hilliard, Eric Rondepierre and Hiroshi
Sugimoto to name but a few — have used in recent years and which
Philippe Dubois called “the film effect”. As he explains, “The film
effect is as much about the image (a visible problem in the images) as
Sébastien Reuzé
the mechanism (an invisible but considered machination, involving the
process : the light, screen, projection, transport, texture, vibration and
trajectory). It is equally about perception and intellection, sensation
and emotion .” As paradoxical as it may seem, this series by Reuzé
on what constitutes the most recent progress in photographic
technology is reminiscent of the flickering images of the silent films
made early in the last century. Sébastien Reuzé has in effect taught
digital images how to flicker again.
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The principal effect of the double disjunction central to this work is
that it highlights the gestures of the photographers and those who
pose for them. The shutter speed used relegates to the background
everything which is not directly related to the act of photography.
The jerky montage emphasises the slow gestures, the discreet pas
de deux that emerges between the photographer and his subject.
The association of these two speeds reveals uncustomary body
positions and postures, in new photographic choreographies brought
about by digital technology. Those who pose in front of the lens appear
to be freer. They don’t think twice about pulling faces or imitating
gestures and are more inclined to engage in playful experimentation;
for they know that they are no longer “ruining” a film and that each
shot can be checked immediately, deleted and begun again from
scratch indefinitely.
Photographers no longer have their eyes riveted to their viewfinders.
With digital photography, they now look at what they are photo-
graphing on small screens integrated in their cameras. They hold
it away from their body, at arm’s length, as if they have suddenly
become long-sighted. Thus with hands held together directly below
their faces, sometimes kneeling to achieve greater stability, immobile
and concentrated, they appear to be bowed in prayer. “This bulimia
of images seems to me to be a new liturgy ,” explains Reuzé. But let
there be no mistake, these new pilgrims are not here to find God,
nor even to contemplate representations of Him, but to celebrate the
religion of omnipresent images. They do so by producing images of
the images themselves, in an authentic posture of prayer. Ultimately
and as the series here by Reuzé admirably demonstrates, this is the
final stage of postmodern tourism and as such, it is the height of
contre-seing.
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Sébastien Reuzé
Prises de vues effectuées en 2006 dans la basilique Saint-Pierre du Vatican
Remerciements à :
Clément Chéroux, Daniel Vander Gucht, Joël Van Audenhaege, ainsi qu’à Yann Le Goff, président et
François-Nicolas L’Hardy, directeur (Centre Atlantique de la Photographie, Brest), David Chevrier
(Le Village-site d’expérimentation artistique, Bazouges la Pérouse), Yvette Le Gall, chargée de la
programmation arts plastiques (Le Triangle, Rennes), Yves Bernard (iMAL)
Je remercie également Julie Cuvelier Brenta, Damien De Lepeleire, Jean-Louis Godefroid,
Erwan Mahéo, Xavier Noiret-Thomé, Romain Reuzé, Laurence Vaes et Karin Vermeire, qui,
par leurs interventions diverses et leurs encouragements, ont contribué à l’existence de ce projet.
Ouvrage publié avec le soutien de :
Ministère de la Communauté française de Belgique, service des Arts plastiques
Centre Atlantique de la Photographie (Brest) – www.centre-atlantique-photographie.fr
Centre culturel Le Triangle (Rennes) – www.letriangle.org
Site d’expérimentation artistique Le Village (Bazouges la Pérouse) – www.association-levillage.org
ARP2, Art & Research Publishing – www.arpeditions.org
Co-production du DVD : iMal – www.imal.org
Conception graphique : www.dojodesign.eu
Traduction anglaise : Laura Austrums
Dépôt légal : Bibliothèque royale de Belgique 4 trimestre 2009 – D/2009/5636/6
ISBN 978-2-87317-342-5
© 2009 La Lettre volée – www.lettrevolee.com
Sébastien Reuzé
Achevé d’imprimer sur les presses de l’imprimerie AD Press à Seraing (Belgique) en octobre 2009.
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Le summum du contre-seing
Clément Chéroux
Dans Autour des sept collines, son récit de voyage à Rome et en
Italie, Julien Gracq évoque le poids de l’habitus touristique auquel
il avoue n’avoir pas toujours su lui-même se soustraire. À l’ère des
excursions organisées et des tour operators, le voyage d’agrément
se transforme, en effet, trop souvent en un cursus d’initiation ou de
révision culturelle en accéléré. Comme si le touriste devait se préparer
à subir à son retour un examen, il lui faut tout voir en un minimum de
temps — les chefs-d’œuvre de l’architecture et des musées, les sites
incontournables, les curiosités locales recommandées par les guides
— et tout enregistrer. « C’est, écrit Gracq, du tourisme de contreseing
et de validation, et je m’en veux un peu d’être venu ici pointer au
tableau des must paysagistes comme on pointe à l’usine : Mai 76
– Baie de Naples – Vu . »
Curieux terme que celui employé ici par Gracq. Emprunté au voca-
bulaire juridique, « contreseing » désigne la seconde signature qui,
sur un acte notarié, authentifie un premier paraphe. Après avoir
coché chacune des cases de ce qu’il se devait de voir, le touriste
vient ainsi contresigner la convention tacite qui est censée faire de
lui un être de culture et de goût. Mais, dans ce contexte de tourisme
globalisé, où tous les échanges se font désormais dans un anglais
approximatif, la seconde partie du mot « contre-seing » évoque moins
l’étymologie latine de la signature que la traduction anglaise du verbe
voir. L’emploi par Gracq de ce jeu de mots en forme de néologisme
franglais laisse à penser que cette conception efficiente et comptable
du voyage était pour lui la meilleure façon de ne rien voir, que ce
tourisme de validation était en fait, à ses yeux, un contre-regard.
Depuis la publication du livre de Gracq, en 1988, le tourisme de
contre-seing (qu’il faudra désormais entendre à la franglaise) semble
s’être encore accru avec le développement exponentiel de la photo-
graphie numérique. Qui n’a, en effet, été frappé de découvrir,
à partir des années 1990, dans les hauts lieux du tourisme mondial,
ces étranges visiteurs cyclopéens dont l’œil semble rivé à leur écran
et qui ne prennent même plus le temps de regarder directement,
c’est-à-dire sans interface technique, ce qu’ils photographient.
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Plus simple et souple d’emploi que la prise de vues argentique,
donnant le sentiment d’une gratuité de l’image, reproductible à volonté,
offrant un résultat immédiatement contrôlable et de surcroît trans-
missible en un clic à l’autre bout du monde, la photographie numéri-
que est venue parfaitement combler les exigences de rendement et
d’efficacité de ce tourisme de validation décrit par Gracq.
Depuis maintenant plus d’une dizaine d’années, Sébastien Reuzé
construit son œuvre photographique sur un principe de déambulation
qui, à bien des égards, ressemble à une sorte de tourisme esthétique.
Aux oripeaux rapiécés du flâneur baudelairien qu’ont choisi beaucoup
de ses contemporains, il a préféré la panoplie complète du touriste
postmoderne. Il photographie le plus souvent en voyageant, recherche
systématiquement le dépaysement — même au coin de sa rue —, traque
les moments de grâce ou les éphémères épiphanies, est attentif aux
incongruités, aux trouvailles et aux surprises. Cherchant lui aussi
« l’or du temps », il n’a pas son pareil pour repérer dans le torrent de
la trivialité quotidienne les petites pépites de poésie. Il les ramasse,
les amasse, et en remplit des albums, comme le photographe du
dimanche le ferait de ses clichés souvenirs .
Passionné par sa recherche, se souciant pleinement de ses enjeux
théoriques, Sébastien Reuzé ne pouvait qu’être attentif aux transfor-
mations induites par l’avènement des technologies numériques dans
le champ de la photographie amateur. Numéristique, sa dernière
série, porte précisément sur cette question. Réalisée au cours de
plusieurs voyages dans la capitale italienne, elle a pour cadre l’un
de ses lieux touristiques les plus fréquentés : la basilique Saint-Pierre
de Rome. Pendant plusieurs jours d’affilée, Reuzé s’est fondu dans
la masse des touristes qui se rendaient dans la plus grande église
de la chrétienté et y a, comme eux, frénétiquement photographié.
Mais, à la différence de ces derniers, il ne s’est pas attardé sur les
œuvres du Bernin, de Raphaël ou de Michel-Ange, il a préféré fixer
l’image de ces amateurs en train de les photographier ou de poser
devant. Dans ce lieu où le culte des images semble avoir été porté
à son paroxysme, il a mis en boucle la représentation elle-même.
Telle qu’elle est aujourd’hui proposée au public, l’œuvre se présente
sous la forme d’une projection dans une pièce confinée et obscure.
Rien ne manque à ce dispositif qui n’est pas sans rappeler les « soi-
rées diapos » d’autrefois : ni les particules de poussière qui dansent
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dans le faisceau du projecteur, ni la chaleur odorante de l’appareil.
La force visuelle de ce diaporama repose sur la combinaison d’une
prise de vues en rafale à une vitesse d’obturation peu rapide et d’un
montage en fondu enchaîné à une cadence assez soutenue, mais
qui laisse cependant suffisamment de temps pour voir les images
individuellement. De ce couplage de vitesses différentes résulte
un curieux effet de double disjonction.
Disjonction du réel, tout d’abord : le monde représenté par Reuzé
semble soumis à une étrange bipolarité temporelle. Il y a le temps du
photographique qui consiste à poser devant la Pieta de Michel-Ange
et le baldaquin de l’autel du Bernin, ou à toucher le pied de la statue
de Saint-Pierre. Cette temporalité, où la pose est une pause, où seuls
affleurent quelques micro-gestes, de légers mouvements, d’infimes
rectifications de position, semble parfaitement légitime en ce lieu
de tourisme de validation ; elle est, par conséquent, pleinement
visible et lisible dans les images de Reuzé. Se superpose à cela une
temporalité extra-photographique constituée par tout ce qui s’agite
alentour. Mais curieusement, comme si elle était déplacée ou mal-
venue, cette temporalité apparaît diffuse et diluée. Dans les images
de la série, elle ne laisse transparaître que de vagues silhouettes,
quelques traces incomplètes, des semi-présences. Cet au-delà
du photographique n’est en fait peuplé que de fantômes.
À la disjonction du réel, s’ajoute celle des images. Le montage dyna-
mique d’images prises en rafales produit un curieux effet de vacillement
qui perturbe nos habitudes visuelles. S’agit-il d’images mouvement ou
de mouvements d’images ? Est-ce encore de la photographie, ou déjà
du cinéma ? La série de Reuzé se situe dans cet entre-deux théorique
sur lequel plusieurs artistes utilisant la photographie — Victor Burgin,
Alain Fleischer, Jeff Guess, John Hilliard, Eric Rondepierre ou Hiroshi
Sugimoto pour n’en citer que quelques-uns — ont ces dernières années
Sébastien Reuzé
travaillé et que Philippe Dubois a appelé « l’effet film ». « L’effet film,
écrit-il, est autant une question d’image (un problème visible dans les
images) qu’une affaire de dispositif (une machination invisible, mais
pensée, qui est affaire de processus : la lumière, l’écran, la projection,
le transport, la texture, la vibration, la trajectoire), autant une affaire de
perception que d’intellection, de sensation que d’émotion . » Aussi para-
doxal que cela puisse paraître, cette série de Reuzé sur ce qui constitue
le plus récent progrès de la technologie photographique fait penser aux
sautillements des films muets du début du siècle dernier. Aux images
numériques, Sébastien Reuzé a, en somme, réappris à trembler.
La double disjonction qui est au cœur de cette œuvre a pour prin-
cipal effet de mettre en évidence la gestuelle des photographes et
de ceux qui posent pour eux. La vitesse d’obturation adoptée fait
passer au second plan tout ce qui ne concerne pas directement l’acte
photographique. Le montage en saccades fait ressortir les gestes
lents, le discret pas de deux qui s’esquisse entre l’opérateur et son
sujet. L’association de ces deux vitesses révèle des positions ou
des attitudes corporelles inhabituelles, de nouvelles chorégraphies
photographiques induites par le numérique. Ceux qui posent devant
l’objectif semblent plus libres. Ils n’hésitent pas à faire des grimaces ou
des mimiques et sont davantage enclins à l’expérimentation ludique ;
car ils savent que l’on ne « gâche » désormais plus la pellicule, que
chaque prise de vue est immédiatement contrôlable et peut être
effacée puis indéfiniment recommencée.
Quant aux photographes, ils n’ont plus l’œil rivé à leur viseur. Avec
le numérique, ils regardent désormais ce qu’ils photographient sur
un petit écran intégré à leur appareil. Ils ont éloigné celui-ci de leur
corps, le tiennent à bout de bras, comme s’ils étaient soudainement
atteints de presbytie. Les mains ainsi jointes à l’aplomb du visage,
parfois agenouillés pour plus de stabilité, immobiles et concentrés,
ils semblent être en position de prière. « Cette boulimie de l’image
m’apparaissait comme une nouvelle liturgie » explique Reuzé. Mais
qu’on ne s’y trompe pas, ces nouveaux pèlerins ne sont pas en ce lieu
pour trouver Dieu, ni même pour contempler ses représentations, mais
pour célébrer la religion des images omniprésentes. Et ils le font, dans
une authentique attitude de prière, en produisant eux-mêmes des ima-
ges d’images. C’est là finalement, comme le démontre admirablement
cette série de Reuzé, le stade ultime du tourisme postmoderne et par
là même le summum du contre-seing.
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