Вы находитесь на странице: 1из 28

1

INTRODUCTION

Consciente des limites temporelles de notre projet et des difficultés pratiques à recueillir des
données valides et scientifiques sur le terrain, nous avons décidé de poursuivre nos
investigations sous l’angle de la manifestation du sacré à travers l’expérience transgressive
des ascètes shivaïtes et à travers la pratique du yoga. Comme le thème du voyage en Inde
porte sur le caractère sacré du Gange et sur le pèlerinage qu’entreprennent régulièrement les
fidèles pour remonter aux sources de celui-ci, il sera possible de rencontrer des ascètes qui
auront choisi d’intégrer la voie du tantrisme à leur pratique. Pour les reconnaître et les classer
selon leur appartenance, il sera utile de référer au tableau confectionné à partir de plusieurs
ouvrages et reproduit en annexe.Nous comprenons qu’un chercheur qui espère apprendre
doit d’abord se débarrasser de ses idées préconçues afin que le fruit de ses observations soit
rigoureux et le plus objectif possible. En conséquence, pour le moment, il faudra se borner à
brosser un tableau des différents paliers du réel pour tenter de dégager un début de réponse
aux questions posées pour ainsi mieux poursuivre nos investigations ultérieurement.

Pour que cet objet puisse être étudié ultérieurement sur le terrain il nous faudra cependant
élaborer ici des indices qui vont nous permettant de déduire par probabilité, la présence ou
l’absence de manifestations tangibles de pratiques à connotation tantrique. L’étape de la
préparation du ‘’devis’’ de la recherche sera particulièrement importante pour nous aider à
décrire plus spécifiquement la procédure d’analyse qui nous permettra de répondre aux
questions posées. Utilisant la méthode qualitative de recherche, puisque la théorie s’élabore
progressivement au fil de la cueillette des données, il en découle donc que les questions, les
propositions et les hypothèses seront appelées à connaître elles-aussi une certaine mouvance
et donc vont elles aussi se préciser avec le temps.

1
2

Lorsque nous nous sommes intéressés au tantrisme, deux de ses aspects nous interpellaient,
celui de la transgression et celui de la manipulation de l’énergie. Ainsi, la recherche amorcée
en septembre dernier avait pour objectif de cerner le rôle et les manifestations du tantrisme à
l’intérieur de l’ascétisme hindou. Vaste sujet, s’il en est un, il nous a fallu comme l’artiste
qui désire faire le croquis d’une scène, ‘’recadrer’’ l’ensemble des données récoltées afin de
rétrécir le champ de nos recherches. La structure du travail s’est donc peu à peu élaborée sous
l’angle du yoga après avoir analysé les données théoriques recueillies. En effet, il apparaît
qu’à travers le tantrisme, l’ascétisme shivaïte et le yoga se sont tissés des liens qui pourraient
nous permettre de passer par un pour mieux saisir l’autre.

Puisque nos observations sur le terrain en mai prochain seront limitées par le temps et
différentes contraintes sur lesquelles nous reviendront ultérieurement, il nous apparaît que
cette première rencontre va plutôt servir de tremplin à l’élaboration de projets ultérieurs. Cette
initiation au terrain va permettre d’élaborer de recueillir des informations pratiques et ainsi
nous aider à clarifier nos pistes de recherches. Pour favoriser ce début de réflexion et mieux
cerner la problématique de recherche, il apparaît donc, plus réaliste et plus rapide de faire le
chemin inverse en partant du Yoga pour remonter à l’ascétisme tantrique. Ce travail
préliminaire ne saurait constituer autre chose qu’une première ébauche du sujet de notre
recherche.

Nous nous efforcerons donc, d’interroger de façon théorique la place centrale qu’occupe
l’énergie au sein de tous ces mouvements et les techniques que le yoga utilise pour arriver à la
contrôler. Par l’expérience de terrain, nous espérons mieux cerner les implications concrètes
qu’engage de telles pratiques et quel rapport à l’altérité engagent-t –elles ? Nous allons nous
attacher aussi à saisir la portée anthropologique du concept d’énergie. « Nous allons aussi
nous demander, dès lors, qu’implique au regard de la rationalité occidentale un concept tel
que celui de l’énergie ? Quelles investigations épistémologiques et théoriques nous invite-t-il
à conduire ? Nous tenterons finalement d’interpréter ce que nous disent les pratiques du
contexte actuel de la modernité. »1

1
Guioux,Axel et Lasserre, Évelyne ; Corps et Yoga ou la quête de fusion du sens et du sensible, Lyon,2002,p.12

2
3

Pour tenter de répondre à ces questions, plusieurs chercheurs en sciences humaines nous ont
inspirés une démarche pluridisciplinaire. Mircea Eliade dans La nostalgie des origines (1969)
qualifie son approche de nouvelle ‘’phénoménologie de l’esprit’’ et explique que l’on n’est
nullement obligé d’emprunter la démarche d’un autre et qu’une herméneutique historico-
religieuse créatrice pourrait stimuler, nourrir ou renouveler la pensée philosophique (p.112).
Pour lui, la démarche de l’historien des religions se fait en trois étapes car « il est d’abord un
historien et chaque phénomène religieux est d’abord un événement de l’histoire humaine :
pour le comprendre il faut le replacer dans son contexte historique. Il est ensuite
phénoménologue. L’historien des religions étudie des hiérophanies (des manifestations du
sacré) dont la structure est identique à l’échelle de l’humanité. La troisième étape est la
démarche herméneutique. Il s’agit de décrypter le message contenu dans les faits religieux,
afin de le rendre accessible à l’homme d’aujourd’hui. Pour Eliade, il y a une unité culturelle
profonde de l’humanité de par l’universalité de sa symbolique. »2

Cependant la condition fondamentale pour l’exercice rigoureux de cette méthode est la


distanciation ou l’épochè. Ainsi il faut être très prudent lorsqu’il s’agit d’aborder d’autres
religions que la notre et le faire « sans préjugés, ni jugements de valeur, avec un minimum de
projections ». Le chercheur doit être en position « d’un écoutant, qui essaie de reconstituer la
logique interne du discours religieux et de reconnaître ses articulations cachées. »

À cette égard, la méthode idonéiste, développée par Ferdinand Gonseth nous apparaît
rejoindre celle de Mircea Eliade puisque basée sur un certain pragmatisme qui se veut
strictement neutre et scientifique. Bien que son domaine d'application originel soit celui des
sciences exactes, il peut être utilisé pour la rénovation des protocoles de toute discipline et en
ce sens il a donc une portée heuristique considérable. Sa pensée n'est aucunement mécaniste ;
elle pousse à négocier les obstacles avec souplesse ; libère et ouvre les concepts dans le sens
de leur évolution ; jette des passerelles entre science et philosophie et réconcilie des
aspirations contradictoires...et dépouiller l'intention de sa tension métaphysique pour laisser
libre cours à l' « intention dialectique ».

2
Les Cahiers de l’Herne, Mircea Eliade
http://www.google.ca/search?sourceid=navclient&hl=fr&ie=UTF-8&rls=GGLG,GGLG:2005-
37,GGLG:fr&q=vie+et+oeuvre+mircea+eliade

3
4

Pour lui, « une doctrine préalable ne se justifie pas d'elle-même au préalable. Elle se révèle
idoine par ses incidences et par ses conséquences. » L'intention dialectique est la clé de
l'engagement de l'action puis oblige à l'engagement, à confirmer et conforter
rétrospectivement et rétroactivement les choix et «exigences relatives» en fonction de leur
efficacité partiellement imprévue : leur idonéité ou autrement dit leur convenance. 3

Quant à Bachelard, très proche des théories d'Eugène Minkowski, place le sens figuré à
égalité, sinon en priorité, avec le sens propre, montrant combien les mots et les productions
humaines, même les plus objectives en apparence, sont filtrées et surdéterminées par la
subjectivité transcendantale de l'imagination de l'espèce humaine.4

L’énergie pourra aussi être considérée en tant que symbole et aider à la compréhension du
concept. Paul Ricoeur, dans Le conflit des interprétations, explique qu’il est possible de
comprendre un symbole par un autre et ainsi que « la compréhension s’étendra, selon une
lointaine analogie intentionnelle, à tous les autres symboles qui ont l’affinité avec le symbole
étudié. »(1969 : p.293) Quant à Bataille et Hugh dont nous parlerons ultérieurement nous
serviront à mieux cerner le concept de transgression.

Si ces méthodes peuvent constituées le cadre théorique de notre recherche elles ne peuvent
être utilisées comme une démarche méthodologique applicable sur le terrain. Pour se faire,
nous allons donc référer aux méthodes fonctionnalistes telles qu’établies par Bronislaw

Malinowski .
Connu pour avoir inventé et développé l’anthropologie de terrain et la méthode d’observation
participante, sa méthode d’enquête implique que le chercheur adopte une attitude conforme à
celle décrite par Husserl et Eliade (épochè). Pour lui, il faut réaliser son intégration au sein
du groupe en apprenant la langue et en partageant le quotidien de ceux qu’il entend étudier.
Cette méthode reprise ultérieurement par d’autres chercheurs tels que Georges Lapassade,
suppose donc un travail de longue haleine, et c’est dans ce contexte qu’il nous apparaît
impossible de faire un travail aussi approfondi en trois semaines. Le temps, la langue,
l’acclimatation au terrain sont des obstacles qui vont limiter nos enquêtes de beaucoup.

3
Tiré de l’encyclopédie Wikipedia http://fr.wikipedia.org/wiki/Ferdinand_Gonseth
4
Id

4
5

Un tel projet n’est pas impossible mais exige de trouver une manière efficace pour recueillir
en si peu de temps des informations valables. Nous, nous sommes posé une série de
questions sur la maîtrise de l’énergie dans le tantrisme, mais il est possible que nous
choisissions un autre angle d’approche aussi. Dépendant, du milieu et du contexte, il se peut
que nous choisissions aussi de travailler sur les ascètes shivaïtes et sur les liens qu’ils
entretiennent avec le tantrisme. Ainsi, nous nous baserons sur les divers paliers du réel pour
construire notre méthode d’investigation.

Depuis janvier dernier nous avons beaucoup lu sur Shiva et avons référé à Wendy Donniger
dans son livre Shiva érotique et ascétique, bien que nous n’entendions pas élaborer ici sur le
sujet (qui pourra faire partie de notre prochain travail), il nous apparaît qu’un questionnement
sur le sujet pourrait être très fertile. En ce cas, il faudrait se demander pourquoi les ascètes
shivaïtes sont très influencés par le tantrisme ? Et comment le sont-ils ? Il faudrait pouvoir
observer sur le terrain, comment se manifeste cette influence et se demander si « la coutume
théorique » diffère de la pratique réellement suivie par le groupe ? Aussi se demander quelle
interprétation le groupe fait-il de lui-même de ses différents modèles de comportement qui
pourrait nous laisser croire que nous sommes réellement en face de pratiques ‘’tantriques’’.
Comme Datatreya et ses quatre chiens ne court pas les rues, il ne faudrait pas déduire trop vite
que nous sommes en présence d’un phénomène alors qu’il s’agit plutôt d’un autre…..

À ce sujet, Alfred Schütz et Max Weber nous seront d’un précieux apport avec leur concept
de « signification subjective » que revêt l’action pour son auteur et à ce titre doit faire l’objet
d’un acte interprétatif. À l’encontre d’une réduction de la sociologie à un modèle strictement
causal, Weber développe sa théorisation du social en vue d’une interprétation des motifs
subjectifs d’action, afin d’assurer une prise en compte par la sociologie de la dimension
subjective des conduites. C’est de là que vient l’expression sociologie compréhensive :
l’explication ne doit pas seulement être causale, elle doit aussi comporter une compréhension,
un acte d’interprétation. Pour marquer ce qu’il considère comme une double face où se
côtoient « explication » et « compréhension », puisqu’il ne les oppose pas l’une à l’autre,
Weber parle de « compréhension explicative » ou encore « d’explication compréhensive ».5

5
Tiré de l’encyclopédie Wikipedia http://fr.wikipedia.org

5
6

La question du regard (Merleau-Ponty) se pose donc de façon pratique ici, car observer c’est
interpréter, et dans ce processus autrui est présent et uni le moi du sujet au monde ce qui
génère un univers de sens mais un univers d’interprétation également. « Le sujet n’est pas
une monade isolée, il est une conscience signifiante, agissante mais en relation avec d’autres
consciences elles aussi signifiantes et agissantes. » Cette expérience du monde, impliquant le
sujet et autrui dans un processus d’interrelations, se réalise comme histoire, c’est-à-dire
comme expérience actuelle sans cesse renouvelée du présent. »6 C’est donc à partir de cette
nécessité d’être le plus objectif possible dans la cueillette d’informations que le processus en
lui-même se subjectivise sans perdre de son caractère scientifique. La construction d’une
méthode mais surtout son application méthodologique exige donc une rigueur qu’il ne faudra
jamais perdre de vue pour ne pas induire en erreur les autres chercheurs fascinés par ce même
sujet. Nous ne pourrons malheureusement pas nous attarder plus longuement sur cette
question de l’interprétation mais la thèse d’Axel Guioux et d’Évelyne Lasserre nous apparaît
un outil précieux pour poursuivre nos réflexions au retour.

Durant note séjour en Inde, les données collectées vont provenir de plusieurs sources,
notamment : - l'observation participante" proprement dite (ce que le chercheur remarque,
"observe" en vivant avec les gens, en partageant leurs activités); les entretiens
ethnographiques; les conversations occasionnelles de terrain; et peut-être de l' étude des
documents officiels et surtout, des "documents personnels" (ce terme désigne "les matériaux"
dans lesquels les gens révèlent avec leur propre langage leur point de vue sur leur vie entière,
ou une partie de leur vie, ou quelque' autre aspect d'eux-mêmes. Il s'agit des journaux
personnels, lettres, autobiographies). 7Aussi, quelque soit le rôle assumé sur le terrain, nous
allons nous discipliner à consigner quotidiennement dans un journal de bord les observations
faites.

6
Guioux,Axel et Lasserre, Évelyne ; Corps et Yoga ou la quête de fusion du sens et du sensible, Lyon,2002,p.41
7
Lapassade, Georges, La méthode ethnographique : ‘’ L’observation participante’’ Travail
sur le terrain http://www.ai.univ-paris8.fr

6
7

Étant donnée les contraintes déjà exposées, nous croyons que notre degré d’appartenance au
groupe sera plutôt de l’ordre de l’observation participante périphérique mais nous verrons
rendue là-bas. En attendant, dans les prochaines pages, nous allons tenter de résumer les
concepts sur lesquels nous avons travaillé et qui vont nous servir d’ancrage théorique.

I. L’ASCÉTISME :

Dans un premier temps, nous nous sommes penchées sur l’ascétisme pour mieux comprendre
sa signification. Selon Michel Hulin, l’essence de l’ascétisme repose « sur la volonté, le
refus par l’homme de sa condition incarnée et son désir nostalgique de rejoindre en cette vie
même un absolu soustrait aux vicissitudes de l’existence temporelle ».8 Pour lui, l’ascète ne
cherche plus à « perfectionner son animalité mais plutôt à la renier ». En rupture avec la
société et ses conditionnements, il cherche donc par tous les moyens à briser les liens qui le
retiennent à la vie mondaine. Imbu de liberté, il refuse de se soumettre aux contraintes et
d’entrer dans le moule de la conformité. Comme pour Camus, la vie lui apparaît absurde et
seule la révolte et la liberté peuvent l’affranchir de l’illusion. Cependant, l’analogie s’arrête
là, car si ce dernier croyait que seule la passion de vivre pleinement pouvait être le remède,
dans le monde du sacré et des ascètes, eux, croient que la solution se trouve dans le
renoncement et l’austérité pour mieux lutter contre les exigences du corps et de l’esprit.
Cherchant à briser le dualisme, il se porte délibérément à la rencontre du désagréable et de
l’interdit pour ainsi briser ses chaînes et réaliser qu’il est lui-même le seul responsable de sa
douleur.

Ce type de pratiques n’est pas l’apanage exclusif de l’hindouisme, plusieurs autres traditions
ont considéré à un moment ou à un autre de leur histoire que l’ascétisme était le moyen le plus
efficace et rapide d’accéder à Dieu et à la délivrance. Hulin constate que « depuis toujours, en
effet, les religions, les spiritualités et les traditions initiatiques se sont distinguées les unes des
autres par la place qu’elles accordaient à l’ascétisme, notamment dans ses rapports avec la
mystique et la morale, et par leur manière spécifique de résoudre ses tensions et contradictions
internes ».Une autre particularité de l’ascétisme est son caractère strictement ésotérique et
secret car la connaissance ne doit pas être accessible à tous et seul un petit groupe d’initiés
peuvent y accéder. Tradition orale, la transmission se fait exclusivement de maître à disciple.

8
Hulin, Michel ; Ascèse et ascétisme, Encyclopedia Universalis,

7
8

L’ASCÉTISME EN INDE :

Maïthé Corbani écrit que les concepts de l’hindouisme se sont développés en réinterprétant la
Révélation fondée sur la doctrine du sacrifice, à la lumière des spéculations sur la délivrance
ultime. C’est donc dans cette optique qu’une anthropologie centrée sur la relation de l’homme
au cosmos s’est développée.9 À l’origine, une hiérarchie du pur et de l’impur s’est élaborée à
travers du système des castes désignant les brahmanes comme les seuls détenteurs de la
pureté absolue et c’est en réaction contre ce courant que l’ascétisme est devenu un moyen
sotériologique à la portée de tous.

Cependant son origine remonte à une période bien plus éloignée que celle des Upanisads.
Ainsi, Hulin note que déjà le RG veda (XVe av. JC) faisait l’énumération de différentes
catégories d’ascètes comme celle des kesin (« chevelus »), yati (« disciplinés »), vratya (qui
ont fait vœu »), muni (« silencieux ») etc… Eliade quant à lui, cite l’hymne sur le Chevelu ou
kesin (X, 136) du RG veda pour parler des pouvoirs surnaturels (Siddhi) de l’ascète et de
l’ivresse que lui procurait l’extase.10 Il écrit aussi que les vrâtya assimilés par certains aux
ascètes shivaïtes font l’objet d’un livre complet de l’Atharva Veda (XV) qui fait état de leur
pratique et de leur conception du corps en tant que forme visible du macrocosme.

9
Corbani, Maïthé, Les ascètes hindous tapasvins (sous la direction Anand Nayak, Suisse, 2003, p.3
10
Eliade, Mircea, Le Yoga, immortalité et liberté, Éd. Payot, Paris, 1991, p.110

8
9

a) LE FEU :

Si le feu joue un rôle prédominant dans l’hindouisme, il occupe aussi une place
prépondérante au sein de l’ascétisme. Il représente la lumière transcendante de la
connaissance, l’énergie vitale, la création, mais aussi la destruction et la renaissance
symbolisée par le feu de Shiva-Nataraja. Son utilisation lors de la crémation, et lors
sacrifices symbolise la mort à la vie profane, ordinaire et impure, et la renaissance au
sacré. En tant qu’élément purificateur, c’est sur lui que repose le rituel et Agni, fait partie
des « objets de vénération les plus anciens et les plus sacrés. »11

De façon générale on pourrait dire que la symbolique du feu intéresse surtout


l'anthropologie sociale et culturelle, comme en témoigne les ouvrages de J. G. Frazer,
Mythes sur l'origine du feu (1930), jusqu'à la série des Mythologiques de Claude Lévi-
Strauss (Le Cru et le Cuit, 1964 ; Du miel aux cendres, 1966), en passant par Forgerons et
alchimistes (1956) de Mircea Eliade. Il se dégage de l’étude de cette symbolique deux axes
principaux : l'axe des symboles calorifiques et celui des symboles fulgurants.12 « Le feu
calorifique est celui que l'alchimiste assimile aux « bains » de différents degrés (feu de
cendre, feu de sable, feu de fumier, feu de limaille, feu de Perse, feu d'Égypte) ; il renvoie
à deux grandes polarisations symboliques : le symbolisme érotique et le symbolisme
filial ».13

Pour Von Saenger « le symbolisme érotique est représenté par toutes les images et
métaphores qui font coïncider le feu et l'acte sexuel, la passion amoureuse ou simplement
l'amour et l'affectivité. Il s’explique par la concomitance entre l'augmentation thermique,
l'« échauffement » du corps et l'émotion amoureuse, puis l'acte sexuel qui, chez l'homme et
les mammifères, s'accompagne d'un frottement rythmique (caresses, coït, danses nuptiales,
etc.). » Bachelard, consacre d’ailleurs une partie de son œuvre à la symbolique du feu et
dans sa Psychanalyse du feu il réfère à cette expérience érotique de la « chaleur

11
Dictionnaire de la sagesse orientale, Éd. Robert Laffont; Paris; 1989, p.7

12
Von Saenger, Alex, La symbolique du feu ; http://www.avs-philo-ethno.org
13
Id

9
10

partagée » - qu'il dénomme « complexe de Novalis », « synthèse de l'impulsion vers le feu


provoquée par le frottement, le besoin d'une chaleur partagée ». 14

Frazer fait lui aussi une analogie entre feu et érotisme car selon lui, « l'idée que le feu jaillit
du corps d'une femme, et en particulier de ses organes génitaux, trouve une explication
certaine dans l'analogie que beaucoup de primitifs voient entre le fonctionnement du foret-
à-feu, d'une part, et les rapports des sexes de l'autre ».15

E. L. Burnouf et ultérieurement Frazer ont également fait un parallèle entre ce symbolisme


sexuel du feu calorifique et le svastika dont l'étymologie signifierait ce qui est l'arâni, ou
« grand briquet à rotation dont les deux éléments sont placés l'un sur l'autre en forme de
croix et de la roue.

La production du feu par le briquet à rotation du rituel védique (arâni) revêt la


signification d'une véritable hiérogamie cosmogonique, telle que l'on pourra la retrouver
dans l'alchimie. Dans l'un et l'autre cas, le feu et ses procédures de production se trouvent
au cœur d'un symbolisme de l'accouplement générateur. 16

Le feu fulgurant, quant à lui, se situe dans un tout autre univers structural, er devient le
symbole de « la purification, du changement radical, du baptême. L'on passe facilement de
l'une à l'autre de ces deux constellations divergentes, la calorifique et la fulgurante, grâce
au symbolisme intermédiaire de la naissance. »17 Sur le plan des valeurs, on peut
également distinguer le feu céleste du feu infernal, mais les symboles « ne doivent pas être
jugés au point de vue de la forme... mais de leur force » (G. Bachelard, La Terre et les
rêveries du repos).

14
Id no4 : Bachelard, Gaston. , La Terre et les rêveries du repos, Corti, Paris, 1948 ; Fragments d'une poétique du feu,
P.U.F., Paris, 1988, La Psychanalyse du feu, Gallimard, Paris, 1949, p.43ss.

15
Id no4 : Frazer, J. G., Mythes sur l'origine du feu, , Payot , Paris, 1991

16
Id no4 : Burnouf, E. L. ; Le Vase sacré et ce qu'il contient, dans l'Inde, la Perse, la Grèce et dans
l'Église chrétienne, avec un appendice sur le Saint-Graal, Paris, 1896, 1974

17
Id no4

10
11

« Assimilé à la force de l’esprit et à la lumière, il en devient tout naturellement le signifiant


majeur de l’illumination que cherche le mystique ou l’adepte du yoga. Dans ce dernier,
d’ailleurs, le serpent de la Kundalini est assimilé au feu intérieur qui monte à travers le
corps… »18 Il représente aussi l’ardeur et la chaleur qui se dégagent de l’effort ascétique
en tant que pratique du tapas.

b) LE TAPAS :

Ainsi, peu importe la catégorie, les ascètes ont en commun de se livrer à des exercices
spirituels intenses qui ont pour but d’atteindre la Libération. La « sudation créatrice »
s’explique d’ailleurs, par le fait que « dans le climat subtropical de l’Inde, la chaleur devient
symbole d’effort et de mortification. Tapas permet de transformer les qualités Rajas de
l’homme, centré sur l’Ego, en une force spirituelle supérieure qui aide le fidèle à atteindre son
but spirituel par la ferveur de sa dévotion et l’intensité de sa concentration ».19 La cosmogonie
védique illustre bien ce concept puisque c’est par son tapas que Brahma réussit à briser la
coquille de l’œuf d’or pour en surgir et créer le monde.20

Dans le Shatapatha Brâhmana, le mythe de Prajâpati rappelle aussi l’importance que revêt la
pratique du Tapas pour donner naissance à la Terre, l’Éther et le Ciel, de là l’idée d’auto
mortification puisque la création implique un acte de dépouillement de soi de la part du
créateur.21

Pour l’ascète, reprogrammer corps et esprit pour passer de la vie profane et renaître dans un
monde sacré exige de faire appel à des techniques drastiques et austères comme la pratique
du jeûne prolongé, l’abstention de sommeil, la maîtrise de la chaleur ou du froid extrêmes,
garder le silence, immobiliser un membre pour de très longues périodes, contrôler et retenir sa
respiration.

18
Encyclopédie des symboles, Éd.La pochothèque,Paris ; 1989, p.254
19
Dictionnaire de la sagesse orientale, Éd. Robert Laffont; Paris; 1989, p.577

20
Mythologies ; anthologie illustrée des mythes et légendes du monde, Éd. Grund, Paris, 2002, p.332
21
Id no 2

11
12

Eliade explique qu’il faut pratiquer le tapas pour devenir « brûlant » car la « chaleur
magique » est le signe par excellence du dépassement de la condition humaine, de la sortie du
« profane » et rappelle l’importance que le sacrifice occupe au sein de la religion. Hulin
quant à lui fait la nuance suivante en expliquant que l’idée de mortification et de pénitence
est apparue plus tard.

Les premiers ascètes semblent avoir limité leurs efforts à la concentration systématique des
énergies du corps dans le but de parvenir à l’extase et l’obtention de pouvoirs magiques. Les
méthodes ou sadhana utilisées pour atteindre leurs objectifs sont variées comme les pratiques
de la concentration, la méditation, les asanas, le pranayama, la récitation de mantras et parfois
l’utilisation de mandalas ou de yantra comme supports de visualisation.

Par la suite, tout en reconnaissant que l’extase est une forme de connaissance mystique ou
gnostique utile, les ascètes ont considéré qu’il ne s’agissait pas d’une fin en soit mais d’un
moyen parmi tant d’autres permettant d’accéder à la libération. Quant à la perspective
d’acquérir des pouvoirs surnaturels, les opinions furent et sont encore partagées car une telle
source de bénéfices illimitées en ce monde peut aussi nuire à la libération terrestre.

c) LA MOTIVATION :

Ainsi, si certains ‘’saints hommes’’ on choisi la voie de l’ascétisme et du yoga pour parvenir à
la libération de l’illusion (maya) et ainsi atteindre l’illumination (moksa), d’autres, l’ont choisi
afin de mettre un terme à une situation sociale ingrate et acquérir ainsi respect et liberté.
Briser les chaînes familiales et les obligations liées au mariage est aussi une raison de se
constituer ascète. La perspective pour certains intellectuels de mener une vie consacrée à
l’étude et à la contemplation pourrait aussi constituer la motivation première de ces derniers.
Il y a aussi les cas ou l’ascèse a été imposée comme lorsque des parents offrent leur enfant à
des ascètes pour remercier Dieu d’une faveur exaucée.

12
13

Quoiqu’il en soit, l’ascétisme est surtout une affaire d’hommes et les femmes n’en constituent
qu’une infime minorité, représentée la plupart du temps par des veuves. « Peu de sectes
acceptent les femmes sous prétexte de leur ‘’influence corruptrice’’… De toute manière
lorsqu’elles sont admises au sein du groupe, leur position dans la hiérarchie demeure
inférieure à celle des hommes….Et même lorsqu’ elles finissent par se faire respecter, la
croyance populaire considère encore qu’elles doivent renaître en homme avant d’être libérée
du cycle des réincarnations ».22

d) INITIATION ET RENAISSANCE :

Essentiellement ésotérique, cette voie privilégie l’expérience plutôt que la simple


connaissance théorique, et c’est donc par l’initiation et la transmission orale que se perpétue la
tradition. Le mot initiation qui vient du latin ‘’initium ‘’ qui veut dire commencement et donc
« processus par lequel l’homme est mis en contact avec les secrets de l’univers et accède à la
science des vérités supérieures. »23 Pour s’engager sur cette voie il faut donc faire appel à un
gourou et aussi être accepté par lui.

Avant qu’il soit admis à recevoir les enseignements, le disciple agi à titre de simple apprenti
et ce n’est que lorsqu’il est jugé apte à la vie ascétique, que le gourou procède à son initiation.
Cette dernière peut varier d’une école à l’autre mais elle représente toujours le passage de la
vie profane à la vie sacrée. Pour symboliser la renaissance, le crâne sera rasé en partie
(Visnuites) ou en totalité (Shivaïtes) et le gourou attribuera un nouveau nom à son chela. Ce
nouveau nom aura une consonance religieuse qui va refléter sa personnalité mais aussi
indiquer « sa filiation sectaire et sa ligne de précepte. »24

22
Schotte,Christine, Pourquoi devient-on sadhu? http://www.pondichery.com/french/sadhus/textesaddhu.htm
23
Aromatico, Andrea, Alchimie, le grand secret, Éd.Découvertes Gallimard, Paris, 1996, p26
24
Id no 7

13
14

e) LE GOUROU :

Le gourou représente pour son disciple, l’incarnation de Dieu. Le lien filial qui uni le disciple
à son maître, la vénération, le dévouement et l’obéissance qu’il doit lui porter font en sorte
qu’à l’intérieur même de sa relation se crée une contre structure calquée sur celle rejetée avec
tant de véhémence. En effet, le disciple devra toujours respecter les règles de hiérarchie
imposées par son gourou et par sa confrérie. Cependant, au-delà de ce paradoxe, il est à noter
que les obligations crées par un tel lien, sont réciproques et qu’en contrepartie, le gourou se
doit d’agir à l’égard de son disciple non seulement comme un guide mais aussi comme un
père soucieux et responsable de son apprentissage et de son entretien. Après l’initiation,
d’autres liens vont se créer également et c’est la confrérie religieuse qui va se substituer à la
famille et exercer elle aussi une autre forme d’autorité parentale.

f) LA FRATERNITÉ :

La confrérie va jouer le rôle de communauté de croyances ou satsang, les aînés étant chargés
de voir au progrès spirituel des plus jeunes. Il existe aussi au sein de cette communauté, une
forme de hiérarchie et les sâdhus seront classés par ordre d’importance, en fonction de leur
ancienneté au sein du groupe, du degré d’accomplissement spirituel et de critères pouvant
varier d’une secte à l’autre. Il sera possible de déduire certaines informations du nom qu’ils
portent car, le premier nom est choisi avec soin par le gourou lors de l’initiation et représente
une déité ou un lieu saint correspondant à la personnalité du nouveau disciple. Il constitue
aussi son premier mantra. Le deuxième, quant à lui indique la filiation sectaire.

g) LA VOIE :

« Pour la plupart des sâdhus, la philosophie en tant que système rationnel de pensées ne
présente pas grand intérêt. Ils préfèrent la vivre en suivant l'enseignement des écritures qui
sont pour la plupart des récits mythologiques mais traitent implicitement de philosophie ou de
métaphysique. De fait, la tradition asiatique peut être qualifiée d'anti-intellectuelle, la pensée
rationnelle y étant souvent perçue comme un des obstacles sur la voie de l'Illumination. Le
mental occupe une trop grande place dans le monde des apparences qui n'est pas seulement
irréel et impermanent mais est aussi cause de souffrances et peines à l'occasion de
renaissances sans fin.

14
15

Les ascètes travaillent dur pour changer leur perception de la réalité du monde en
reprogrammant leur esprit et en traversant le "Voile des illusions" (maya) pour appréhender la
vraie réalité. La réalité doit être expérimentée plutôt que mise en mots. Bien sûr, il y a des
exceptions qui se trouvent en général dans les plus hautes sphères de la hiérarchie ascétique :
les Achariays (professeurs), Swamis (enseignants) et les Mahants (grands) peuvent approcher
l'énigme de l'existence sous un angle intellectuel et philosophique. Les Yogis ayant
abandonné tout attachement utilisent corps, leur esprit, leur raison et même leurs sens
uniquement dans le but de purifier leur être".

Comme cela est proclamé dans cet hymne, toutes les activités du sâdhu ont pour but la
purification de son être. Pour cela, toute sa vie est ritualisée, tout son temps est consacré à des
rituels magico-religieux, des dévotions à sa déité tutélaire, le yoga, la méditation et les
pratiques ascétiques. La purification commence par le renoncement à l'action et à ses
conséquences. Les seules actions possibles sont celles dédiées au service de la déité. C'est
pourquoi, même les activités les plus triviales du sâdhu, comme balayer le sol, prendre un
bain, cuisiner,... doivent être accomplies comme des offrandes rituel ».25

h) L’APPARENCE :

Maïthé Corbani, nous donne certains détails pour classer et reconnaître les ascètes rencontrés
lors du voyage. Il nous semble opportun de reproduire en annexe, l’intégralité de cette partie
de son ouvrage et de faire un tableau (annexe) à partir de son texte et de celui de B.D.
Tripathi : Sadhus of India (1978) pour nous permettre de le consulter sur place en mai
prochain.

25
Schotte,Christine, Pourquoi devient-on sâdhu? http://www.pondichery.com/french/sadhus/textesaddhu.htm

15
16

II. LA TRANSGRESSION :

Dans un second temps, notre réflexion a porté principalement sur l’aspect transgressif des
pratiques tantriques. C’est par l’étude du texte de Hugh Urban,26 qui analysait ce phénomène
à la lumière de la grille d’interprétation de Georges Bataille sur la religion, le sacrifice,
l’érotisme et la transgression qu’il nous a été possible de comprendre un peu mieux son rôle.
Pour Urban, il serait trop facile de réduire les pratiques transgressives tantriques à la seule fin
de transcender le pur et l’impur afin d’échapper au conditionnement social et ainsi mettre un
terme au ‘’samsara’’ pour atteindre la ‘’moksha’’. En inversant les normes et en basant la
pratique sur l’interdit et le tabou, le tantrika ne cherche pas seulement à accéder à la libération
et à la puissance mondaine mais aussi, il vise délibérément à remettre en question la structure
même de la pensée rationnelle qui codifie et impose sa définition du pur et de l’impur.

Pour lui, il y a un lien dans le tantrisme entre sexualité et sacrifice, érotisme et violence et
Bataille à travers son œuvre le démontre bien. Ce lien entre violence sacrificielle et
transgression sexuelle s’explique par le fait que le monde du sacré représente la réalité ultime,
l’essence de l’autre, l’altérité et l’hétérogénéité. Pour lui, le sacré est l’effervescence de la vie
ce qui implique qu’il se situe bien au-delà des limites étroites du monde profane réduit à la
rationalité et à la conceptualité. Le sacré représente l’expansion de la vie, la spontanéité et le
pur excès.

Pour lui, le sacrifice rituel et l’excès sexuel sont les deux expériences les plus transcendantes
et les plus libératrices que puisse connaître l’être humain. Ces par ces deux voies qu’il est
possible de transgresser les règles de la vie profane qui n’accorde de valeur qu’à la rationalité
et à la production.

En ce sens, le sacrifice sanglant contrevient à la norme sociale qui considère qu’il n’est
permis de tuer que pour des raisons utilitaires. Même chose pour les transgressions sexuelles
qui n’envisage plus la sexualité comme un moyen de reproduire la race.

26
Urban B., Hugh ; The remnants of desire : sacrificial violence and sexual transgression in the cult of the
Käpälikas and in the writings of Georges Bataille; Religion (1995) 25, 67-90

16
17

‘’Quant à l’orgasme, il est effraction, sortie hors de soi, et en tout cas, abandon d’identité.
L’orgasme provoque aussi un effondrement du moi. Dans l’épuisement, le corps s’abandonne
au flux des courants qui le traversent, il régresse au mode végétatif, c’est ce que le langage
populaire appelle « la petite mort ». 27

Pour Bataille, le symbole suprême du sacrifice rituel et de la transgression sexuelle est celui
de l’acéphale. C’est par la décapitation, qu’il est possible d’échapper à la raison pour accéder
pleinement au sacré. C’est par la castration, qu’il est possible aussi d’échapper aux
prohibitions et aux tabous.

Tout comme dans le mythe de Siva, Bataille identifie la tête sectionnée et le pénis coupé
comme constituant des restes appartenant au monde du sacré. Tout comme les hindous,
Bataille est fasciné par la notion de restes qu’il appellera d’ailleurs « la part maudite » ce reste
que l’on ne peut éliminer en le niant tout simplement. Il utilisera cette notion pour décrire ces
choses qui ne peuvent tout simplement pas s’intégrer dans le monde rationnel profane.

Jan Gonda, explique quant à lui pourquoi la voie du tantrisme représente pour ses adeptes, le
seul moyen efficace d’accéder à la libération.28 En effet, le tantrisme est l’outil le mieux
adapté à notre ère, celui du kali-yuga, l’âge de fer qui correspond à une époque ou la droiture
et les aspirations spirituelles ont presque disparues de la terre. En cet âge sombre ou le mal,
la maladie, la colère, la faim, le désespoir domine, seul le poison s’avère un remède efficace
pour combattre cette déchéance.
Ainsi, pour le tantrika, il n’existe plus que deux stades de vie, celui du père de famille ou de
l’ascète. Celui qui choisi ce type d’ascétisme doit donc combattre la décadence en utilisant
lui-même des moyens peu orthodoxes. Il faut combattre le mal par le mal…

Pour lui, comme l’univers forme un tout, il est donc possible d’influencer l’univers et de
l’atteindre en travaillant sur lui-même pour ainsi atteindre l’unité transcendante. Il ne s’agit
pas ici, de réconcilier l’individu avec sa culture ou avec les normes sociales.

27
Bataille, Georges ; Visions of excess : Selected writings 1927-1939, University of Minnesota Press,
Minnéapolis, 1985, p.250 (Cité dans le texte de Urban)
28
Gonda, Jan; Les religions de l’Inde, L’hindouisme recent, Éd. Payot, Paris, 1985, p.44 et ss.

17
18

Il faut plutôt remettre en question les règles établies et transgresser tous les tabous pour
parvenir à un déconditionnement total et mettre un terme à la méconnaissance du soi véritable
c’est-à-dire le Soi intemporel, identifiable au brahman.

Hulin, explique pourquoi l’ignorance métaphysique (avidyâ/avidité) est responsable de tous


les malheurs terrestres. Ainsi, l’être humain qui croît que le monde des apparences est réel
doit prendre conscience qu’il n’est qu’invention de l’esprit, ‘’maya’’ comprise comme « le
pouvoir d’illusion par lequel les dieux maintiennent les mortels captifs des liens du désir et de
la crainte, de telle sorte que, mûs par l’espoir de récompense dans l’ici-bas ou dans l’au-delà
et par la peur de châtiments célestes, ils ne cessent de travailler pour le compte des dieux, les
‘’nourrissant’’ constamment par les sacrifices qu’ils leur offrent ».29 Pour l’auteur, cette
ignorance se cristallise dans les formes mêmes du langage qui s’organise tout entier autour du
sujet et qui implique d’ailleurs une réversibilité des rôles qui font de lui un objet également.30

Constitué d’une multitude d’écoles disparates dont les pratiques sont non seulement
diversifiées, mais parfois même contradictoires, Gonda fait aussi une distinction explique
que le tantrisme n’a pas une tradition homogène. Ses trois principales écoles sont : celle du
Vedanta Shankarien, celle du shivaïsme et celle de Sakta. Cependant, même si la déité
privilégiée par une école peut être Visnu, Siva ou la Sakti, c’est toujours l’aspect féminin qui
prédomine. Daniélou écrivait à ce sujet que ‘’Le tantrisme considère le principe féminin
comme l’aspect efficace et réel de la divinité. De ce fait, c’est la déesse qui est l’objet central
du culte.’’31

Dans ce contexte, chaque déité masculine devra nécessairement être accompagnée


par sa parèdre. Quant au saktisme, l’emphase sera plutôt mise sur des déesses autonomes
comme Durga ou Kali. Il est à noter que dans tous les cas, la déesse invoquée, va représenter
les trois aspects de la Trimurti, c’est-à-dire, la création, la préservation et la destruction.

29
Hulin, Michel, L’ignorance métaphysique, Éd. PUP, Paris, 1994, p.9
30
ID résumé p, 21 et ss.
31
Daniélou, Alain : Shiva et Dionysos, Éd. Fayard, Paris, 1979, p.97

18
19

Gonda fait une distinction entre tantrisme er shaktisme et souligne qu’il existe au sein de cette
dernière voie une distinction entre Vâmâchâra, qualifié par les brahmanes orthodoxes de
voie impure ou voie de la main gauche et Dakshinâchâra, considéré comme la voie pure ou
celle de la main droite.32 La particularité de la voie de la main gauche est que ses tenants
s’opposent aux méthodes traditionnelles de vénération et favorisent l’utilisation rituelle
d’interdits considérés comme impurs aux yeux des traditionnalistes.

Quant aux tenants de la voie de la main droite, le langage du tantrisme, même s’il est empreint
d’une connotation sexuelle ne doit pas faire l’objet d’une interprétation littérale mais bien
plutôt être perçu de façon métaphorique symbolisant l’évolution et la fusion des énergies
bipolaires. Pour ces derniers, toute pratique ésotérique implique nécessairement l’utilisation
d’un langage codé apte à préserver le secret et c’est une erreur que de l’interpréter au premier
degré. À ce sujet, Hugh adopte une position intermédiaire lorsqu’il écrit dans les secrets du
tantra que :
« ce secret, en tant qu’il fonderait leur puissance, consisterait en fait, moins à se taire ou à dire
certaines choses en termes incompréhensibles pour le non initié qu’à souligner l’existence de
choses secrètes, sources d’énergie cachée qui, à la fois affirmées et dissimulées, créent à
travers les métaphores utilisées un « choc sémantique »; la stratégie du discours métaphorique
viserait dès lors, non à informer, mais à créer un trouble chez l’auditeur ignorant, cependant
qu’en perturbant les structures conceptuelles habituelles des initiés, ce langage les amènerait,
par une plongée, dans une situation paradoxale, à la réalisation d’une réalité autre ouvrant la
voie du salut.33

Avant de conclure notre analyse du texte de Gonda, il serait bon de clarifier cette distinction
entre tantrisme et shaktisme et de voir en quoi ils se distinguent l’un de l’autre. Ainsi, bien
que le tantrisme fasse toujours référence à l’aspect féminin de la divinité, ce qui distingue les
disciples du saktisme du tantrisme, c’est que ceux-ci considèrent que c’est l’aspect féminin du
Dieu Suprême qui doit primer. Mookerjee explique bien cette position lorsqu’il écrit que
« L’univers entier est la manifestation de la sakti »34 C’est elle qui est à l’origine de la
création du monde‘’; elle soutient non seulement l’Univers mais aussi tous ses êtres, qui sont
autant de manifestations de la sakti, « la force cosmique » et à ce titre elle doit être promue
au rang de Mère divine et c’est donc à ce titre qu’elle doit être promue au rang de Mère
divine.’’35

32
Dictionnaire de la sagesse orientale; Éd. Robert Laffont; Paris; 1989, p.564
33
Urban, Hugh B.,The economics of ecstasy, Tantra secrety, and Power in Colonial Bengal, Oxford
University Press, 2001
34
Note 12 p.11
35
Eliade, Mircea : Le Yoga, immortalité et liberté, Éd. Payot, Paris, 1991, p.205

19
20

Plus que dans le tantrisme, la sexualité est vraiment omniprésente dans le saktisme et ‘’les
divinités du saktisme sont fréquemment représentées en état d’union sexuelle. Ainsi il peut
arriver que certains Saktas se livrent au rituel secret du sri cakra ou rituel des cinq interdits
(cinq ‘’M’’) qui implique l’union sexuelle ritualisée et basée parfois sur le Kâma-Sûtra et sur
d’autres exercices tirés du Kundalini-Yoga.
Ce rituel implique aussi l’utilisation d’alcool/madya qui représente le remède idéal pour
mettre fin à la tristesse, de viande/mâmsa qui multiplie la force du corps et de l’esprit, de
poisson/matsya qui augmente la vigueur sexuelle, de grains rôtis/mudra qui représente la
racine de vie dans les trois mondes et se termine par l’union sexuelle /maithuna qui représente
la volupté et la cause initiale de la création du monde tangible et permet de parvenir à la
connaissance de l’Ultime réalité.36
Dans la voie du tantra, Ajit Mookerjee explique que

Traditionnellement considérés comme des obstacles, ces moyens sont accueillis dans le rituel
par les tantrikas de la main gauche comme autant de degrés sur l’échelle de la perfection. Les
tantrikas soulignent que le principe directeur de ce rituel ne consiste pas à s’abstraire des sens
mais à en acquérir la maîtrise à travers l’expérience : « La perfection peut être atteinte
facilement en satisfaisant tous les désirs » (Guhya-Samaj Tantra).37

Le shaktisme se retrouve principalement chez les shivaïtes dont la tradition implique


l’utilisation de méthodes semblables basées souvent sur la manipulation du pure et de
l’impure. Quant aux visnuites, ils refusent généralement cette appartenance car selon eux la
déesse ne peut jamais occuper un rôle autonome et être considérée comme la manifestation
ultime de l’Univers.

36
Mookerjee, Ajit, Khanna Madhu; La voie du tantra, Éd. Du Seuil, Paris, 1978, p.184
37
Mookerjee, Ajit, Khanna Madhu; La voie du tantra, Éd. Du Seuil, Paris, 1978, p.184

20
21

III. LES MOYENS SOTÉRIOLOGIQUES :

Dans un troisième temps, notre enquête, nous a menée à considérer les moyens concrets
utilisés par l’adepte pour rompre avec ses schèmes de pensée. Il existe plusieurs techniques
pour parvenir à l’objectif ultime. Tous les auteurs s’entendent sur l’utilisation généralisée
d’exercices ritualisés impliquant la pratique du yoga basée sur des techniques de visualisation,
de concentration sur les yantras et mandalas, de méditation, de contrôle et de rétention du
souffle liées à des postures diverses. Gonda ajoute aussi que le mantra occupe une place
fondamentale au cœur de ce processus car le monde naît d’un mantra appelé le bîja-mantra
qui est un mantra spermatique fondamental. Selon cette théorie, il existe donc un monde de
sons parallèle à celui des phénomènes et c’est lui qui incarne l’essence même de Dieu.38
Comme nous l’avons déjà exposé antérieurement, ces pratiques peuvent aussi inclure des
méthodes d’austérité comme la privation, la pénitence, la mortification et la macération.

a)L’EXTASE :

Puisqu’il fallait limiter notre analyse, nous avons choisi de traiter plutôt de l’aspect
psychologique du phénomène de l’extase et de la transe telle que décrite par Michel Hulin et
Georges Lapassade. L’ouvrage de Michel Hulin démontre que même si l’expérience de
l’extase laïc qu’il qualifie de « mystique sauvage » ne relève ni du religieux ni du
pathologique, elle est en elle-même une réalité incontestable.39 Il décrit ce type d’expérience
comme ce qui pousse spontanément par opposition à ce qui doit être cultivé.

38
Gonda, Jan; Les religions de l’Inde, L’hindouisme recent, Éd. Payot, Paris, 1985, p.53
39
Hulin, Michel, La mystique sauvage, Éd. PUF, Paris, 1993,296p.
39
Hulin, Michel, La mystique sauvage, Éd. PUF, Paris, 1993, p.49
39
Ibid.

21
22

Pour lui, peu importe qu’elle soit involontaire ou provoquée par l’absorption de drogues,
pourvu qu’elle soit soudaine. Se référant au « sentiment océanique » tel que perçu et élaboré
par Romain Rolland, il tente ainsi de décrire ce sentiment d’infini que ressentent certains
individus peu portés sur le fait religieux et qui transforment catégoriquement leur vision du
monde.

À l’aide d’une recension des nombreux témoignages de ceux qui ont expérimenté ce type de
visions, Hulin arrive à détacher les critères communs et récurrents permettant d’évaluer et de
comprendre la mystique sauvage. Ces caractéristiques sont : « Soudaineté, dépaysement
radical, sensation d’être soustrait au cours normal du temps, certitude intuitive d’être entré en
contact avec un Réel d’ordinaire caché, joie surabondante, sérénité, émerveillement ». Aussi,
l’auteur nuance ses propos en précisant qu’une expérience de spontanée, n’implique pas
nécessairement qu’elle est sans cause car40 « La solitude, l’état de convalescence, l’errance en
forêt, etc., représentent des conditions favorables à la venue de l’expérience ».41 Au contraire,
c’est souvent la perte de repères quotidiens qui permet l’éclosion d’un tel phénomène.
Hulin explique que toute perception est le produit de la pensée conditionnée et illustre ses
propos en opposant deux concepts pour démontrer comment le « mieux » et le « moins
bien », le « bon » et le « mauvais » ne sont qu’une illusion de la raison.42 Pour lui,
« l’intelligence ne fonctionne qu’en assimilant, identifiant et intégrant ».43 Même si la
souffrance existe, la félicité « proclame en silence » que tout est bien. « En deçà du bien et du
mal » la conscience morale est nécessairement incarnée et désirante.44

Pour l’auteur, « l’expérience mystique, sous une forme ou sous une autre, précède et
déclenche les pratiques ascétiques ».45 Selon lui, on peut déduire une connaissance implicite
de la vie transcendante par l’uniformité de certaines pratiques ascétiques malgré les
différences religieuses. Ainsi, toutes les pratiques ascétiques reposent principalement sur la
négation des besoins élémentaires du corps, la négation de la souffrance, de l’impur et de la
dignité sociale.

42
Résumé des pages 193 et SS.
43
P.202
44
P.232
45
P.262

22
23

Ils partagent aussi un objectif commun, celui de briser tous les conditionnements pour mettre
un terme à l’ignorance métaphysique et ne faire qu’un avec l’univers.

b) LA TRANSE :

Quant à Georges Lapassade, après avoir pris connaissance de son introduction au travail de
terrain,46document qui nous sera d’une grande utilité en mai prochain alors que nous serons en
Inde pour étudier les manifestations du tantrisme à travers certaines sectes shivaïtes, nous
avons passé un certain temps à feuilleter l’ensemble des ouvrages qu’il a écrit pour nous
47
arrêter un peu plus longtemps sur son livre intitulé, « La Transe ».

Après, s’être penché sur l’extase laïque il nous est apparu utile de considérer son approche sur
les états modifiés de conscience. Pour lui, la possession doit être définie comme une conduite
d’identification à Dieu faisant de la transe et de l’extase deux types d’expériences
intimement reliées. Plus près des méthodes de Arnold Van Gennep (1909) et de Victor
Turner, il envisage l’expérience mystique et le déroulement de la transe en trois moments
successifs : « le moment de la rupture avec l’état antérieur, qui suppose une déstabilisation; le
moment de la transe proprement dite qui s’installe et se stabilise momentanément, grâce à
l’intervention de forces structurantes; enfin le retour à l’état ordinaire de veille par une
nouvelle déstabilisation qui défait la transe; une restabilisation va réinstaller alors l’état dit
normal ».48

Pour lui, la transe suppose une espèce de dédoublement de la personnalité qui implique que le
sujet dans un premier temps est relégué à subir la transe mais aussi à l’observer de façon
lucide. Il illustre ses propos par l’exemple que donne Mircea Eliade qui relate que lors du
démembrement du chamane, on place ses yeux à un endroit élevé pour lui permettre d’assister
au rituel. Comme Hulin, il admet que l’expérience puisse être spontanée même si elle est
provoquée volontairement.

46
Lapassade, Georges, La méthode ethnographique : ‘’ L’observation participante’’ http://www.ai.univ-
paris8.fr
47
Lapassade, Georges ; La transe, Presses Universitaires de France, Paris, 1990, 124p.
48
Id p.14

23
24

Pour lui, il y a toujours eu des méthodes permettant d’induire la transe extatique comme par
exemples, les techniques de concentration, la répétition de mantra, les techniques posturales et
respiratoires, les associations négatives, la danse et l’utilisation de drogues ce qui n’enlève
rien à l’expérience mystique. Les ascètes ont d’ailleurs compris depuis longtemps comment le
silence, solitude et immobilité sont de nature à favoriser une sur-stimulation physique et
émotionnelle permettant d’ouvrir les portes de la perception, à cet égard, Lapassade fait le
lien avec « le concept pavlovien de l’inhibition transmarginale » qui consiste à la « sur-
stimulation qui produit une extrême suggestibilité, favorable à l’endoctrinement des
individus »,49 et qui peut expliquer le comportement extrême de certains ascètes. À cet égard,
de nombreux auteurs ont souligné les dangers de ces pratiques sur l’équilibre psychologique
provoquant parfois de très graves dissociations pouvant conduire jusqu’à la folie.

Comme Hulin, Lapassade croit que si les états sont provoqués par des « manipulations
chimiques ou autre du cerveau » alors le critère de spontanéité devait s’évaluer plutôt en
termes de survenance à l’improviste de l’extase. Pour lui, ce type d’expérience peut se
retrouver aussi dans d’autres formes de transe dont transe la transe de vision, celle de
possession et la transe extatique. Pour les deux auteurs, « l’extase n’est pas nécessairement
une expérience religieuse : il existe en effet, comme le montrait, en 1932, Roger Bastide, « un
mysticisme sans Dieux », avec des extases laïques ».50Se basant sur les observations de
William James (1906), l’auteur distingue quatre conséquences ou traits essentiels qui
permettent d’évaluer l’expérience mystique qui sont: l’ineffabilité, le sujet semble incapable
de décrire avec des mots ce qu’il a vécu, l’intuition que cette expérience l’a fait accéder à une
réalité qui le dépasse et qui n’a rien à voir avec la logique ou la raison, l’instabilité qui repose
sur le caractère transitoire de l’expérience et la passivité et qui fait que le sujet a l’impression
que durant l’état d’extase, sa volonté est complètement paralysée.

Se rapportant aux conclusions de James H. Leuba (1930), il décrit plus précisément les
caractéristiques de l’extase en mettant l’emphase sur « les troubles dans la perception du
temps, de l’espace et de son propre corps - le sentiment qu’on sort de son corps et
l’impression de lévitation en font partie, l’impression d’illumination qui peut être

49
P.56
50
P.46

24
25

accompagnée de photisme - ce dernier désignant des visions de couleurs ou d’intensités


lumineuses-et enfin, la certitude d’une révélation ineffable ».51

Dans le contexte de la révolution psychédélique américaine Walter Pahnke et William


Richards en 1969 ont énuméré neuf traits essentiels de l’extase qui correspondent à ceux
élaborés par James et Leuba mais ont ajouté un autre critère qui est celui du changement
positif de comportement et d’attitude maintenue après l’expérience.
Hulin quant à lui nuance ces propos en expliquant que certains sujets tendent plutôt à nier
l’expérience de peur de sombrer dans l’inconnu, dans l’irrationnel et même dans la folie.

c) LE YOGA :

Eliade a séjourné en Inde de 1928 à 1932, période ou il a préparé son doctorat qui allait
devenir en 1954, Le Yoga, immortalité et liberté. Après avoir exposé les doctrines et
techniques du yoga, Eliade explique la place qu’il joue au sein du brahmanisme, du
bouddhisme et du tantrisme et note « on rencontre toujours une forme de Yoga chaque fois
qu’il s’agit d’expérimenter le sacré ou de parvenir à une parfaite maîtrise de soi-même, qui est
elle-même le premier pas vers la maîtrise magique du monde. C’est un fait assez significatif
que les plus nobles expériences mystiques aussi bien que les désirs magiques les plus
audacieux se réalisent par la technique yogique ou, plus exactement, que le yoga peut
s’adapter indifféremment à l’une ou l’autre voie. »52 Il fait aussi un lien entre yoga et
alchimie, parallèle important qui inspirera ultérieurement de nombreux penseurs tel que
David Gordon White qui a écrit une œuvre magistral sur ce sujet.53 Il est intéressant, de se
pencher sur cet aspect et les alchimistes partageaient une même vision moniste du monde et
essayaient par des moyens différents de recréer en petit ce que Dieu avait fait en grand. Dans
le Chrysopée de Cléopâtre, il est écrit que le « un est le tout, et de ceci le tout, et en ceci le
tout, et s’il ne contient le tout, le tout n’est rien ».54

51
P.48
52
Eliade, Mircea, Le Yoga, immortalité et liberté, Éd. Payot, Paris, 1991, p. 356 Eliade, Mircea, Le Yoga,

immortalité et liberté, Éd. Payot, Paris, 1991, 434p

53
White,David-Gordon; The alchemical body, siddha traditions in medieval India,Éd.UCP, USA,596 p.
54
Aromatico, Andrea, Alchimie, le grand secret, Éd.Découvertes Gallimard, Paris, 1996, p.19

25
26

Comme l’a énoncé Mircea Eliade dans son ouvrage Patanjali et le yoga, «Il n’est pas facile de
définir le Yoga. Étymologiquement, le terme Yoga dérive de la racine yug, « lier ensemble «,
« tenir serré «, « atteler «, « mettre sous le joug «, qui commande aussi le latin jungere,
jugum, l’anglais yoke, etc.»55 ; c’est pourquoi nous avons décidé que pour les fins de notre
exposé, nous allions plutôt référer au texte de Gonda, abordé dans la première partie de ce
travail et résumer le plus possible les concepts qui sous-tendent la pratique du yoga. Pour le
Yoga, l’être humain est composé de du corps physique et du corps subtil (astral) qui se
subdivise lui-même en quatre enveloppes dont l’enveloppe pranique constituée du souffle
vital circulant dans des canaux, l’enveloppe mentale qui pourrait être assimilable au
subconscient, l’enveloppe intellectuelle qui comporte le conscient et l’enveloppe des émotions
qui représente l’essence authentique de l’être. C’est par l’usage mystique des fonctions
psychophysiologiques que le yogi tente de s’affranchir de sa condition humaine, « conquérir
la liberté absolue, réaliser l’inconditionné ».56 « À l’opposé du moine chrétien, qui dédaigne et
abhorre sa chair pour exalter son âme; le prince vital du yogi est immanent à l’ensemble de
ses organes, sur lesquels il obtient une maîtrise croissante. »57

Selon le Yoga, c’est par la régulation de la respiration, la pratique de la concentration et la


maîtrise de certains asanas, qu’il est possible de discipliner le mental. L’énergie du prana en
tant que fluide essentiel à la vie circule dans une multitude de canaux subtils dont les trois
principaux sont le sushuma/canal central, ida situé à gauche de ce dernier/aspect féminin et
pingala situé à droite/aspect masculin. Entre le sommet du crâne et les organes sexuels,
s’échelonnent sept chakras ou cercles d’énergie représentant chacun un niveau de conscience
de plus en plus élevé. C’est au bas du sushuma que repose la kundalini qui est cette forme
d’énergie latente qu’il faut éveiller par la pratique pour accéder graduellement à la libération.

55
Eliade, Mircea ; Pantajali et le yoga, Éd.du Seuil, Paris, 1962, p.7
56
Eliade, Mircea, Techniques du Yoga, Éd. Gallimard, Paris, p. 130
56
Masson-Oursel,Paul, Le Yoga, Éd.PUF, 1954, p.11

26
27

En résumé, on pourrait dire qu’en « tant que technique d’ascèse, le yoga définit l’âme comme
sujet et le corps comme objet donc véhicule et support de celle-ci. Si elle est éternelle, lui est
précaire ; elle est une alors qu’il est multiple ; elle est vie, intelligence, alors qu’il n’est
qu’opacité, ignorance, souffrance et mort. Cependant l’âme, si elle est toute puissante, n’en
reste pas moins inactive, contemplative et impassible alors que le corps, lui, est mouvement,
agitation et dispersion. Il devient de facto le moyen ou encore l’outil grâce auquel l’individu -
mais est-ce alors le concept le plus juste, puisqu’il tend à la division ? - va chercher à
rejoindre le centre cosmique censé se trouver présent en lui. Comme dans le système des
castes où sujets et société sont indissociables - nous nous référons directement aux travaux de
Louis Dumont (1975) -, esprit et corps sont donc interdépendants. Grâce à l’âme, le corps est
divin, il peut prétendre par elle à une origine divine. Mais c’est tout de même par lui, puisqu’il
est vivant, que le yogi pourra retrouver cette essence divine, qui, elle, est inerte. De même, si
le monde est bien réel, tout comme la matérialité du corps, il n’en reste pas moins illusoire, du
fait même de l’asservissement et de la souffrance que selon cette pensée il engendre. S’en
affranchir, c’est ainsi rejoindre le Sacré en se libérant et en se désolidarisant du monde
phénoménal. Il s’agit de rompre le cycle des réincarnations dont le karma condense
l’ensemble des expériences et actes présents, passés mais aussi futurs, le devenir étant
toujours la résultante de ce qui est advenu. Le retrait du monde phénoménal aboutit au final,
pour le yogi indien, à rompre avec toute attache sociale et familiale ainsi qu’à se détacher de
ses biens et de ses désirs. »58

58
Axel GUÏOUX et Évelyne LASSERRE - CORPS ET YOGA OU LA QUETE DE FUSION DU SENS ET
DU SENSIBLE -2002lyon2http://demeter.univlyon2.fr:8080/sdx/theses/notice.xsp?id=lyon2.2002.lasserre-
guioux_eaprincipal&qid=pcdq&base=documents&id_doc=lyon2.2002.lasserreguioux_ea&num=&query=
TANTRISME&isid=lyon2.2002.lasserre-guioux_ea&dn=1

27
28

CONCLUSION

Se basant sur la méthode ethnographique décrite par Georges Lapassade, le travail de terrain
(fieldwork) va donc reposer principalement sur l’observation participante. Se référant à Wood
(1986), Lapassade explique que l’ethnographe devrait se comporter comme un romancier qui
fait appel à son sens artistique pour « représenter des formes culturelles comme le vivent les
protagonistes »59, c’est-à-dire que le chercheur doit lui aussi faire preuve d’empathie et
d’ouverture d’esprit afin de mieux saisir objectivement la réalité qu’il va observer. Cette
approche nous séduit particulièrement puisqu’elle répond à notre manière d’entrevoir le
monde. Nous pouvons donc espérer que la curiosité et l’ouverture d’esprit qui nous
caractérise pourra être un outil important pour entreprendre nos investigations.

Aussi la méthode de la conversation spontanée naturelle, qui est une des techniques
fondamentales de ce type d’approche, méthode que nous avons pratiquée pendant des années
à travers la profession que nous exercions jadis.

« Le présupposé fondamental de l'entretien non structuré est que sa dynamique interne, son
déroulement libre, va faire surgir une vérité. Ce déroulement va déterminer aussi les questions
de l'enquêteur: il devra se laisser porter par le fil de la conversation. Alors que dans la
situation générale d'observation participante, la situation à explorer est déjà structurée, dans
l'entretien ethnographique, il y a mise en place d'un dispositif particulier de rencontre, qui est
le dispositif propre à l’entretien, et c'est à l'intérieur de ce dispositif construit qu'on va tenter
de laisser jouer la spontanéité de l'enquêté ».60

Nous considérons qu’il fut plus prudent à ce stade, d’articuler nos hypothèses à partir de
concepts opératoires (sensitizing concept) comme Blumer le proposait en 1954, c’est-à-dire
« une sorte de catégorie provisoire indiquant dans quelle direction regarder, sans fixer
définitivement le réel. »61 Utile pour limiter le sujet et organiser les donnés de façon
empirique, il faut cependant résister à la tentation de les prendre pour acquis. Garder un esprit
ouvert et impartial s’avère le seul moyen de recueillir et d’analyser objectivement les données
observées. Nous n’écartons pas cependant, l’étude beaucoup plus élaborée de cette tradition,
à notre retour de l’Inde.

59
http://1libertaire.free.fr/GLapassade06.html
60
Ibid
61
La recherche qualitative : enjeux épistémologiques et méthodologiques, Groupe de recherche interdisciplinaire
sur les méthodes qualitatives; direction Jean Poupart, Montréal, Éd. G. Morin, p.101

28

Вам также может понравиться