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a UlnZalne
littéraire Numéro 85 Du 15 au 31 décembre 1969

Les derniers textes de Merleau-Ponty

Klee et le visible
SOMMAIRE

3 LB LIVRB Jean Rhys Bonjour minuit par Diane Fernandez


DE LA QUINZAINE Les tigres sont
plus beaux à voir
5 Soljenitsyne, la Russie, l'exil par Yves Léger

8 ROMANS rRANçAIS Rafaël Pividal Tentative de visite à une base par Jean Wagner
étrangère
., Louis Calaferte
Jean-Claude Montel
Portrait de l'enfant
Le Carnaval
par J. W.
par Joseph Guglielmi
8 Roger Curel Brancula par Michel-Claude J alard

ROMANS ETRANGBRS Carlo Cassola Fiorella par Antoinette Fouque-Grugnardi


10 Donald Barthelme Blanche-Neige par Serge Fauchereau
James Purdy Les œuvres d'Eustace par Alain Clerval
11 Lars Gyllensten Infantilia par Claude Bonnefoy

14 SELECTION Les meilleurs livres pour enfants par Simone Lamblin


15 Les meilleurs livres d'art de l'année par Jean Selz

19 BXPOSITION Klee et le visible par Louis Marin

21 HISTOIRE Peter Laslett Le monde que nous avons perdu par Philippe Aries

22 PHILOSOPHIB Maurice Merleau-Ponty La prose du monde par Anne Fabre-Luce

24 R:BVUB L'Arc nO 39 Butor par Gilbert Lascault

25 CINBMA Andréï Roublev par Rachid Boudjedra

28 r:BUILLBTON w par Georges Perec

28 THÉATRB L'Open Theater par Gilles Sandier

François Erval, Maurice Nadeau. Publicité littéraire : Crédits photographiques


22, rue de Grenelle, Paris-7e •
Téléphone : 222-94-03. p. 3 Mercure de France
Conseüler : Joseph Breitbach. p. 6 Le Seuil
Publicité générale : au journal. Denoël
Comité de rédaction : p. 7 Le Seuil
Georges Balandier, Bernard Cazes, Prix du n° au. Canada : 75 cent'!. p. 9 Cartier - Bresson
François Châtelet, Magnum
Françoise Choay, Abonnements : p. 14 Ecole des loisirs
Dominique Fernandez, Marc Ferro, Un an : 58 F, vingt-trois numéros. Nathan
Gilles Lapouge, Bernard Pingaud, Six mois : 34 F, douze numéros. Denoël
Gilbert Walusinski. Etranger: p. 15 Arthaud
Un an : 70 F. Six mois: 40 F. p. 16 Flammarion
La Quinzaine Pour tout changement d'adresse: p. 17 Zodiaque
Il",raire
Secrétariat de la rédactwn : envoyer 3 tinibres à 0,30 F. p. 18 Somogy
Anne Sarraute. Règlement par mandat, chèque p. 19 Photo X
bancaire, chèque postal p. 20 Photo X
C.C.P. Paris 15.551.53. p. 21 Bulloz
Courrier littéraire : p. 23 Gallimard
Adelaide Blasquez. Directeur de la publication p. 25 D.R.
François Emanuel.

Rédaction, administration : Imprimerie: Graphiques Gambon


43, rue duTemple, Paris-4e •
Téléphone: 887-48-58. Printed in France

2
LE LIVRE DB

Une vérité implacable


LA QUINZAINE

Jean Rhys ce souterraine et obstinée, durcies « avide. désespérée, plein!' d'es- gnante, calme, indifférente
Bonjour minuit en méfiance désespérée. poir, complètement dingue ». Ce cette paix amère très proche de
trad. de l'anglais On verra comment, dans ce ré· qui a été tué, c'est la foi en la la mort. de la haine ».
par Jacqueline Bernard cit admirable de véracité et d~ Beauté, la foi en l'Attente dont
Les Lettres Nouvelles violence qu'est Bonjour Minuit, on devine qu'elles sont mortes Charlotte Brontë était, elle
Denoël éd., 224 p. cette méfiance conduit Sasha d'avoir été trop grandes: main· aussi fascinée par l'inégal COol'
vers l'horreur d'une parodie qui tenant, à la monstruosité du Olé· bat entre victimes et bourreaux.
Les tigres sont affirme la beauté des illusions diocre, ces femmes opposent le Sa protagoniste, Jane Eyre, petite

I
plus beaux à voir perdues. Si le désespoir des fem· refus du non·être, la fuite en sur- gouvernante « sans relations.
trad. de l'anglais mes dépeintes par Jean Rhys trahit face, l'absolu de la mort. C'est sans fortune, sans beauté » au·
par Pierre Leyris un intense et romantique désir des ici qu'intervient l'absence dont rait pu si facilement devenir la
Mercure de France éd., 240 p. choses, si grand qu'il plonge par· on parlait tout à l'heure, avec ses proie de la belle fiancée de Ro-
fois de l'autre côté, cependant il aliénations diverses: boisson, chester, « Blanche la parfaite,
s'agit ici d'une désespérance qui sommeil drogué, masque grotes· dame de qualité ». C'est précisé.
crève tous les cadres, descend là que du vêtement, catastrophes ment d'un autre personnage de
Francis Wyndham (1), à qui où les personnages de Virginia accueillies. « Après tout », dit Jane E~'re que Jean Rhys va s'é·
nous devons de mieux connaÎ- Woolf et de Katherine Mansfield Sasha dans Bonjour Minuit, Il l'a- prendre: la première femme de
tre Jean Rhys, cette roman- ne s'aventurent que peu, là où gitation n'est qu'en surface. Au Rochester, créole devenue folle,
cière anglaise découverte l'amour vénal, les ravages de l'al· fond, je sui.~ indifférente. Au enfermée, brisée, être humain
dans les années 30 par Ford cool, le détraquement de la machi- fond, il y a toujours l'eau sta· dont le destin a fait une bête à
Madox Ford, redécouverte ne humaine, le suicide raté et fur·
trente ans plus tard grâce à tif dans les toilettes, le visage ra-
ce roman cruel et poétique viné d'une femme que la boisson
qu'est Wide Sargasso Sea console et vieillit, nous entraînent
(1966) (2), note que cette dans une chute vertigineuse au
œuvre insolite met en scène bout de laquelle il n'y a, bien sûr.
une héroïne, toujours la mê- que la mort.
me, « à différentes étapes de Morts subites comme celle de
la vie ». De plus, qu'elle soit la Grosse Fifi assassinée par son
danseuse, comme dans Voya· gigolo (les Tigres sont plus beaI/x
ge in the Dark (1934), ou à voir) ou le suicide d'Antoinet-
riche héritière créole devenue te Cosway dans les flammes, (Wi-
folle comme dans Wide Sar- de Sargasso Sea), morts contem·
gasso Sea, qu'elle soit mûre plées par ceux qui survivent.
et blessée, lucide et aliénée vues la plupart du temps à tra-
comme dans Bonjour Minuit vers ces monstres que sont les
(1939), cette héroïne ne res- femmes pour les autres femmes.
semble à aucune autre. « sales petites bêtes sarcasti-
ques ». Ou bien, morts à petit
feu, imposées par les « gens res-
pectables », dont la « cruauté ro-
Sa singularité vient de la for- se, figée, innocente » déchire
me très particulière que prend mieux que les griffes des félins.
son désespoir: une sorte d'ab- comme cette lente agonie d'une
sence. Non qu'elle soit absente femme âgée et chauve à qui sa
au monde dont elle continue d'at· fille refuse une perruque, ou le
tendre le meilleur, ou plutôt le coma de cette autre qui s'est en·
pire, mais que, dressée à se quit. fuie à demi-folle et nue dans la
ter, elle se projette en surface, nuit, tandis que sa voisine se ter·
dans l'espoir de n'être plus attein· re douillettement dans le lit con-
te. jugal.
Encore jeune, cette absente est Peut-être aucun écrivain fem-
une femme qui rêve, pour qui les me n'a-t-il parlé tout à fait com-
visages sont des masques, les vil- me cela des femmes, denonçant
les des chambres, les chambres à la fois la cruauté qui leur est
des numéros. Retranchée derrière propre et la cruauté de leur sort.
la tromperie qu'exerce le vête- Quelque chose en elles a été as-
ment, elle utilise les apparences, sassiné: ce n'est pas l'innocence
les méprise, les accepte dans une dont Jean Rhys montre combien
cynique humilité, pour leur qua· elle se confond avec l'instinct vi-
lité nécessaire de protection et tal, nouvelle peau toujours prête
de piège: le vêtement lui tient à se reformer comme le prouve
lieu d'identité. On devine que l'espoir, malgré la vieillesse, de
très tôt. peur, pudeur et pureté connaître encore le plaisir pas-
furent chez elle saisies à la gorge, sionné ou l'obstination à survivre
mais non pas étranglées, car on qui pousse une femme vers un
les retrouve plus tard, chez l'hé- chapeau comme vers un miracle,
roïne vieillie, après une croissan- tendue vers cet objet risible, Jean Rhys

La Quinzaine littéraire, du 15 au 31 décembre 1969 3


INFORMATIONS

~JeaD Rhys

CClDlere grisonnante et dont Jean suffisamment averties au sein de Eric Losfeld C'est pour avoir refusé de subir
Rhys fera l'héroïne de Wide Sar- leur détachement pour savoie une censure qui n'ose pas dire son
en correctionnelle nom qu'Eric Losfeld risque aujour·
gasso Sea. Ford Madox Ford combien les buts des hommes d'hui la prison. Nous nous joignons
avait noté chez la romancière sont obliques, qu'ils s'attachent à aux éditeurs, écrivains, intellectuels
cette « formidable peesque sinise elles par vanité, peur d'être seuls, Dans trois jours, le 18 décembre, qui se portent garants de l'honora·
tre passion d'exposer le cas du désir charnel ou besoin d'argent. Eric Losfeld, directeur des Editions bilité d'Eric Losfeld pour demander
du Terrain Vague, comparaîtra devant l'acquittement de l'éditeur et la ré-
pauvee bougre ». Mais juste. vision d'une loi à la fois odieuse et
le tribunal correctionnel de la Seine
ment: l'épave, cette autee « ab· Le thème de l'œuvre est celui pour infraction à la loi du 4 janvier ridicule.
sente », n'a plus rien à opposer d'une dégradation fatale, dégra- 1967 sur les publications destinées En liaison avec cette affaire Mme
à la cruauté d'autrui: détruite, dation qui menace les femmes en à la jeunesse. Selon les dispositions Lise Deharme, auteur de Oh! Vio-
elle tient la destruction en échec. quête de cette perte de soi per- de cette loi, le prévenu risque une lètte, publié au Terrain Vague et
peine d'emprisonnement «de deux frappé de trois interdictions : vente
Le thème d'une force féminine mise au poète, au saint, à tous mois à deux ans et une amende de aux mineurs, exposition, publicité,
entravée, abîmée, dénaturée, vi· ceux qui coïncident parfaitement 3.000 à 30.000 F... le Tribunal pouvant s'étonne que son ouvrage, signé de
dée, revient sans cesse dans cette avec l'objet de leur passion. Mys. en outre ordonner la fermeture tota- son nom (et, ajouterons-nous, un
tiques, ces passionnées se vou· le ou partielle, à titre temporaire ou nom d'écrivain honorablement
œuvre, notamment dans Bonjour définitif, de l'entreprise éditrice-. connu), illustré par Leonor Fini, soit
Minuit où Sasha avoue parfois draient consumées, semblables à jugé plus subversif • que, par exem-
« être triste comme une lionne Louise Labbé, mais doivent au Eric Losfeld avait été en effet ple, les œuvres majeures du marquis
de cirque ». L'intelligence n'of. contraire se prêter à des comé· averti qu'en vertu de cette loi et de Sade dont je me réjouis qu'elles
fre guère de consolations à ces dies, l'œil ouvert sur ce qu'on pour avoir publié un certain nombre soient diffusées massivement dans
d'ouvrages comme ceux d'Emma- la jeunesse de ce pays - (Lise De-
femmes pour qui des compensa- leur prend. Cet univers est tissé nuelle Arsan, il était tenu de remet- harme fait allusion à des publica-
tions restent des compensations de scandales dont les plus cho- tre au ministère de la Justice «trois tions d'ouvrages de Sade en format
et les sublimations, des sublima· quants sont les plus quotidiens : exemplaires de toute publication ana- de poche). En conclusion de sa pro-
tions. L'enfance n'offre pas da- la vieillesse, la cruauté. C'est logue à celles déjà frappées d'inter- testation elle rappelle que Saint-Just
dit, et d'en différer la mise en vente avait formulé une • loi fondamentale
vantage son paradis : même si pourquoi il dérange. Mais Jean durant les trois mois suivant le récé- de la République - dont le libellé fera
Jean Rhys se réfère souvent à la Rhys écrit pour ceux qui aiment pissé de leur dépôt -. Curieusement aujourd'hui sourire : «à savoir que
beauté brûlante de ces Antilles la vérité implacable. Ceux-là re- cette mesure ne porte pas le nom les gouvernants sont les domesti-
connaîtront dans ce monde brutal de censure préalable. ques du peuple et non ses maîtres".
où elle a grandi, pourtant la na·
ture qu'elle dépeint - avec un et poétique l'envers d'eux-mêmes
prodigieux talent - est aussi car· soigneusement dissimulé par le
nivore et destructrice que celle vêtement, l'habitude, la décence
d'un Richard Hughes dans Cyclo- - cet envers où se cache non
ne à la Jamaïque. Vue de loin, pas l'attrait voluptueux de la dé-
l'enfance reste un mirage; vue de chéance si souvent décrit, mais
près, elle épouvante, avec ses ri- une tentation plus rare, celle d'un
tes magiques, ses filtres, ses appa· pur désespoir comme alternative
ritions comme celle des deux rats de l'amour.
aux yeux de feu qui, sur le rebord
d'une fenêtre, contemplent fixe- Diane Fernandez
ment la créole de W.ide Sargasso
Sea. On le voit: ces héroïnes
n'appartiennent à aucun lieu ni à (1) Francis Wyndham. Jean Rhys,
personne; elles sont sans recours. « Les lettres nouvelles Il. Avril 68.
C'est en spectatrices étonnées (2) ...Wide Sargasso sea. Penguin
d'elles-mêmes qu'elles flotttent, Books, prochainement traduit.

M.
A~

vm.
Daw

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La Quinzaine IlU'raln

43 rue du "fempb Paria 4.


c.c.r. 15.:>H.53 Paris

4
Soljenitsyne, la Russie, l'exil
Ce «Graal» insaisissable spontanée viennent la pureté et protégeait Pasternak. Mais Sol-
la foi des Kostoglotov et des jenitsyne est solidaire d'un com-
Est-ce le même drame qui se Le portrait qu'en fait Soljenit- Nerjine. Soljenitsyne affirme et bat que mène avec lui toute une
rejoue? Il Y a douze ans déjà, syne est infini, toujours inache- démontre que la vérité est l'ob- intelligentsia soviétique qui
au terme d'une longue cam- vé, toujours lyrique. Elle est ce jet même de la littérature. veut la libéralisation du socia-
pagne de dénigrement, Boris « Graal. mystique et insaisis- lisme. La dernière lettre de Sol-
Pasternak se voyait offrir sable qu'entrevoit le peintre jenitsyne à l'Union des Ecri-
l'exil, et, dans une lettre pa- Kondrachov, elle est ce pays
L'admiration vains en est la preuve, puisque
thétique adressée au chef du pour Tolstoï Soljenitsyne lui-même lie son
doux des hautes eaux printaniè-
gouvernement soviétique, qui res dont rêvent les compagnons cas à celui de Lidya Tchoukovs-
était alors Nikita Serguéïé- De là son admiration pour kaïa (auteur d'un récit très pur
de misère de Kostoglotov, mais
vitch Khrouchtchev, il sup- Tolstoï et son mépris pour une sur la Russie terrorisée de 1937.
elle est aussi ce paysage vio-
pliait qu'une mesure si extrê- certaine littérature servile qui la Maison désertée) et Léon
lent, plus violent que ne l'ont
me ne fût point prise à son se soumet toujours au dernier Kopelev (germaniste connu et
peint les Lévitan, et qui a pro- mort d'ordre politique. Dans le
égard. Car s'il existe des écri- duit, outre les interminables li- compagnon de captivité de Sol-
vains «transportables. d'un Pavillon des Cancéreux, Solje- jenitsyne). D'autres encore, non
gnées de Matriona résignées,
pays à l'autre, voire même nitsyne, à plusieurs reprises, nommés, sont certainement pré-
les suicidés du feu qu'étaient
des écrivains migrateurs, fait le procès de cette littératu- sents à la pensée de Soljenitsy-
les premiers Vieux Croyants, les
pour d'autres, l'exil équivaut re asservie. Or, c'est cette lit- ne. Soljenitsyne ne se sent pas
terroristes purs et indompta-
à la mort. térature-là qui, aujourd'hui, se seul; il affirme que « les temps
bles qu'étaient les Jéliabov ou
venge, l'injurie aussi grossiè- frileux. des années 50 où l'on
les Décembristes... Comment
rement qu'elle avait injurié Pas- pourchassait Pasternak, sont dé·
Soljenitsyne pourrait-il abandon- ternak, et l'anathématise sans
ner ce pays? Non, certes, que passés. Il sent à ses côtés qu'u-
même avoir lu ses œuvres. ne communauté si lencieuse le
l'amour de Soljenitsyne pour la
C'est à ces écrivains-aboyeurs soutient et l'aide.
Nul doute qu'Alexandre Solje- Russie soit exclusif du reste de
nitsyne n'appartienne à cette l'humanité ! Mais c'est par la
seconde catégorie. Lié à la Rus- Russie que passe l'appel de Sol-
sie par tout son être et toute jenitsyne aux autres hommes,
son œuvre, il peut, comme la ce sens de « l'humanité unique
Soljenitsyne est solidaire d'un oombat que mène
poétesse Anna Akhmatova, en et intégrale. auquel il fait allu-
prologue à son inoubliable Re- sion dans sa récente lettre à avec lui toute une intelligentsia soviétique qui
quiem, s'écrier: l'Union des Ecrivains pour pro-
tester contre son exclusion. L'er- veut la libéralisation du sooialisme.
mite de Riazan ne quittera sa ta-
Non, je n'étais pas sous des ble de travail que contraint et
cieux étrangers forcé. Comment ne pas rappe-
Et point niché sous une aile ler les termes de sa lettre de
étrangère! Mai 1967 au Congrès des Ecri- que Soljenitsyne, avec virulen- Il conviendrait peut-être qu'u-
J'étais alors avec tout mon peu- vains : «Je suis tranquille; je ce, dit qu'il est temps de remet- ne autre communauté, celle des
ple, sais que je remplirai mon devoir tre les montres à l'heure. Car écrivains de l'ouest, lui manifes-
Là où mon peuple, pour son d'écrivain en toutes circonstan- Soljenitsyne ne se croit pas te aussi son soutien. Les tou-
malheur, était. ces et peut-être après ma mort seul. Pour lui nul n'est à l'abri tes dernières nouvelles sont, en
avec plus de succès » ? de la voix de la vérité. Qu'elle effet, inquiétantes. Si l'on peut
Or, voici qu'aujourd'hui des s'appuie sur la foi simple des laisser de côté les menaces ha-
voix funestes proposent à Matriona ou sur la foi tourmen- bituelles du tristement célèbre
Alexandre Soljenitsyne de s'exi- Un seul oritère: tée des Chouloubine, la voix du Cholokhov, il reste que les al-
ler, de rejoindre ces pays capi- la vérité jugement moral, la voix de la lusions à on ne sait quelles utili-
talistes « qui l'apprécient tant •. Personne finit toujours par se sations «subversives. de droits
Il n'est pas douteux que Solje- L'œuvre entière de Soljenitsy- faire entendre, même du ca- d'auteurs de Soljenitsyne à l'Oc-
nitsyne, avec plus de fermeté ne nous semble être un Juge- mionneur Poddouïev et même cident sont d'assez funeste pré-
encore que Pasternak, refusera ment de notre Temps par la mé- du diplomate libertin Volodine. sage. Pourtant, il nous semble
cet exil hors de la Russie. La diation de la Russie. Voilà sans difficile de croire que la Russie
De l'Union des Ecrivains, Sol-
Russie ... elle est vraiment l'ob- doute ce qui lui attire tant de puisse persévérer à persécuter
jenitsyne ne recevait plus ni
jet incessant de son enquête, haine. Voilà ce qui certainement ainsi une des grandes voix qui
droits d'auteur ni protection, ses
de son amour, de son exigen- le relie à la grande littérature sont à son honneur, et plus in-
œuvres sont retirées des biblio-
ce morale. D'un bout à l'autre de classique russe et avant tout à vraisemblable encore qu'elle
thèques publiques, ses archives
son œuvre, elle est là, héroïne Tolstoï. Pour ce Jugement, Sol- veuille l'exiler. Car si Soljenit-
lui sont confisquées. Autant di-
muette. C'est elle qu'incarnent jenitsyne n'a qu'un seul critère, syne est un juge rigoureux, voi-
re que son exclusion de l'Union
obstinément le rusé et prodigue mais un critère plus dur que le re sévère, sa rigueur, nul ne
n'ajoute pas grand chose à sa
Ivan Denissovitch, l'humble et diamant : la vérité. De sa dis- l'ignore, vaut pour nous tous, où
courageuse solitude. Avant lui,
désintéressée Matriona, elle torsion sont nés les tourments que nous soyons, car à nous
d'autres illustres écrivains so-
dont rêvent les malades du Pa- dantesques de Chouloubine, le tous il a rendu le sens d'une lit-
viétiques se sont vus ainsi frap-
villon des Cancéreux, elle que bibliothécaire déclassé qui en- térature qui contient, ainsi qu'il
pés d'excommunication. La seu-
chantent en mineur les poèmes fournait sur commande des ar- est dit dans le Pavillon des Can-
le vraie question est : en reste-
en prose, elle que poursuit in- mées de livres dans le poêle: céreux, « la petite question cru·
ra-t-on là ? ou bien est-ce le pré-
lassablement à travers son œu- de sa falsification sont nées les ciale dont la réponse livre
lude à d'autres persécutions?
vre le peintre Kondrachov-Iva- angoisses cauchemardesques l'homme tout entier-.
nov dans sa cellule monacale du de Roussanov, le dénonciateur; Certes sa gloire mondiale pro-
Premier Cercle. de sa recherche incessante et tège Soljenitsyne comme elle Yves Léger

5
La Quinzaine littéraire, du 15 au 31 décembre 1969
ROMANS

Au delà du désespoir
FRANÇAIS

Rafaël Pividal peine, a survécu à une explosion dien. Si l'humour ne manque pas

1
Tentative de visite suicidaire. John vit d'une vie vé· dans cet ouvrage. c'est tantôt un
à une base étrangère gétative et sa fonction de peintre humour acide et qui ne fait pas
Le Seuil éd. 127 p. relève plus du passe·temps que rire, tantôt un humour lui aussi
de la passion : il peint d'ailleurs plein de dérision qui pousse plus
toujours le même tableau, tableau au haussemeut d'épaules qu'au
qui n'a pour lui aucune significa. rire (il va jusqu'au mauvais ca·
Avec Rafaël Pividal, nous som· tion. lembour : deux de ses héros s'ap.
mes au·delà de la désespérance. Les aventures de John pour· pellent « John et Tan »). Et si,
Kafka et Beckett, ces joyeux lu- raient faire la matière d'un ro· à la dernière ligne, le héros a
rons, sont depuis longtemps en· man picaresque : en l'occurrence, trouvé la paix, c'est une paix qui
terrés. Le monde a basculé et il s'agit d'un roman picaresque à ressemble plus à la mort qu'à
l'homme a trouvé enfin le milieu rebours. Les gens qu'il rencontre l'équilibre : « John aperçut alors
qui convient à sa nature : J'iner· sont des imbéciles, John lui·même dans le ciel, près d'un nuage pe-
tie. Au moins, dans « désespé. n'a rien pour retenir notre atten. tit, sans .forme, éclairé seulement
rance », y a-t·il le mot espérance. tion. La base américaine où il d'un côté, la liberté, le plaisir
Dans l'univers de Rafaël Pividal, aboutit est devenue une bâtisse d'être calme sans raison et sans
on n'a plus lieu d'être désespéré morte, symbole dérisoire d'un hâte ». C'est, en somme, l'inverse
puisque la notion d'espoir est monde englouti et il n'y a plus de la proposition shakespea- Rajaël Pividal
morte. guère qu'un prêtre pour la pren. rienne : le monde est toujours n'appartient qu'à lui. Aux confins
John, le héros, est un peintre dre au sérieux. raconté par un idiot mais il n'y du fantastique et du quotidien,
qui parcourt un monde complè. Bref, d'un ton allègre, M. Pivi- a plus ni bruit ni fureur. il impose sans effets déclamatoi·
tement décalé, un monde, nous dal nous entraîne au niveau le Rafaël Pividal écrit avec une res un univers obsédant.
suggère l'auteur, qui, à grand. plus accessible du néant quoti. p u i s san c e d'envoÎltement qui Jean Wagner

Recherche d'une pureté


1
Louis Calaferte tableau : c'est au point qu'une pressionnisme et de pudeur. Sur
Portrait de fen/ant critique psychanalytique s'avére· trois livres (Septentrion, No man's
Denoël éd., 142 p. rait indispensable pour relier land, Satori), il a privilégié avec
entre elles les diverses images que plus ou moins de bonheur l'as-
peut prendre ce sang (et en même pect expressionniste de son talent.
Louis Calaferte appartient à temps, les multiples allusions au Dans Rosa Mystica, c'est au con-
cette race d'hommes qui ne gué. rouge : un seau, des tuiles, des traire la pudeur, la réserve qui
riront jamais de leur enfance. Ou habits, un sexe et même l'eau qui prennent le pas. Avec Portrait de
plus exactement de l'enfance coule) dans les différents con· f enfant, Louis Calaferte a tenté
qu'ils n'ont pas eue. L'enfance textes. et réussi une synthèse des deux
n'est pas pour eux un paradis Derrière ces tableaux, l'auteur aspects de sa personnalité : la
perdu mais un paradis qu'ils n'ont s'efface comme s'il ne nous livrait pudeur dans l'expression, la vio-
pas connu : leur innocence était que des pièces d'un dossier incom· lence dans l'exprimé. C'est là
pré.natale. Ses premiers livres qui plet, qui ne peut être qu'incom. aussi où il trouve ses accents les
avaient un aspect autobiographi. plet. S'il s'agit d'un puzzle, c'est plus personnels et, paradoxale.
que immédiat n'ont pas suffi à le ment les plus forts. Portrait de
un puzzle infini comme l'est toute
libérer. Il y revient sans cesse : œuvre d'art. Si l'auteur se mani· f enfant est une eau·forte où, cer-
le danger aurait été de réécrire tes, domine le rouge du sang mais
feste, ce ne peut être que par son
jusqu'à la fin de sa vie Requiem écriture. En l'occurence, une écri· où la violence restent voilée par
des innocents. On peut penser que un halo de couleurs indéfinies.
ture précise et pudique, toute en
l'auteur en a été conscient puis· En fait, cet itinéraire n'a guère
demi·teintes et d'autant plus
qu'il est resté de longues années varié : c'est toujours la même
empreinte de délicatesse que les
à hésiter sur la voie à suivre. Avec recherche d'une pureté tellement
tableaux sont plus cruels. Là aussi,
Rosa Mystica, l'an dernier et Por· absolue qu'elle en devient déses·
c'est une écriture qui veut s'effa·
trait de f enfant, aujourd'hui, il pérée. Si la vraie vie est ailleurs,
cer et pourtant, l'impression est
semhle bien qu'il ait trouvé son elle ne peut être que dans un âge
celle d'une fragilité cristalline que
second souffle. inconnu de l'homme. Peut·être ce
Louis Calajerte la moindre trace expressionniste
Portrait de f enfant se présente dernier en garde.t.il quelque mé-
pourrait érafler.
comme une suite de tableautins rassemblés sans aucun souei diro- diocre souvenir. C'est à la quête
sans autre lien entre eux que la nologique, ces personnages ne En ce sens, l'évolution de Cala· de ce souvenir que, sans relâche,
présence de cet enfant jamais jouent le plus souvent que le rôle ferte mérite qu'on s'y arrête : ses se consacre Calaferte et c'est peut-
nommé, d'une famille campa· de catalyseur) et des thèmes qui deux premiers livres étaient dans être de cette quête toujours vouée
gnarde aux contours assez flous reviennent de manière obsession· la tradition de Jules Vallès, un à l'échec que chacun de ses récits
(il y a un père et une mère qui nelle : le sexe, la mort, la vieil· Jules Vallès qui aurait lu Céline. tient cette couleur mystique assez
meurent, une tante et un oncle, lesse et surtout le sang, ce sang Ils formaient un mélange d'im· insolite dans son œuvre.
une sœur mais les tableaux étant qu'on retrouve presque à chaque précations et de tendresse, d'ex· J. W.

6
La multitude
Jean·Claude Montel la multitude carnavalesque (cOIn- tain, intemporel, hérité d'une

1 Le carnaval
Série « Change »,
Le Seuil éd., 128 p.
me « récriture... portée jusqu'à
son paroxysme ») peut tout re-
mettre en question, tout démys-
tifier et provoquer la dévaluation
de l'ordre imposé. L'étrange, l'im-
caste de loups solitaires et sacrés,
mais le fait d'une pratique, d'une
production sociales aliénantes que
l'écrivain est appelé dans le par-
tage de la peur, de l'exil et de la
Le deuxième livre de Montel possible statut de l'écrivain expul. colère, à transformer...
(1), le Carnaval, constitue le pre· sé de lui-même et dépossédé de
mier titre des « volumes indivi· sa parole, « déjà mort avant de Joseph Guglielmi
duels » de la collection Change naître », tout « silence et immo-
qui nous promet par la suite Jean bilité » n'est pas le privilège hau- 1. Voir le~ Plage~ coll. " Ecrire". Seuil
Paris, Philippe Boyer, Jean.Pierre
Faye...
Dans « le grand renferme·
ment » de la ville, c'est l'émeute
ou le carnaval qui gouverne de»
foules affrontées et malades. Ali
travers de l'oppression et de LETTRES A La Quinzaine IIttt·r.urp
l'ivresse généralisées, un corps Jean-Claude Montel
épie son double féminin ; un Nous avons reçu de M. Brian Crozier, auteur du Franco dont a rendu
corps en rupture d'hôpital ou mime la disparition du « person-
compte M. Herbert Southworth, une lettre que nous publierons dans
d'asile, déchiré par une longue nage », déjà, lui-même raturé par notre prochain numéro, avec la réponse de M. Southworth.
copulation douloureuse et cruelle, son travesti.
toujours répétée et cependant dif·
férente : Hautement politique, la pensée
de Montel vous fascine irrésisti·
« Elle apparaissait la dernière blement en se mouvant toujours
mais était immédiatement reflé. à la limite coupante du roman et
tée par toutes les glaces du café, de l'essai : roman (comme dans
répandue en coulées rutilantes, une certaine mesure les Plages)
peinte, décolletée et mise à sang de l'impossibilité du souvenir,
sur les visages, sur les mains... » essai sur « l'expulsion de soi et
du monde » ; concept sur quoi
Car en ce lieu « d'un inachève· s'ouvre la seconde partie du livre
ment permanent », les rapports - la mieux venue - où la ré-
entre l'individu et la multitude ne flexion la plus abstraite ne s'écarte
sont jamais le reflet d'une oppo· jamais (compte tenu des difficul-
sition commode où il y aurait d'un tés d'accès du livre, qui tiennent
côté l'unique, l'original (le bien) à la complexité des rapports entre
et de l'autre le pluriel, le banal l'homme et la cité, entre l'écri·
(le mal). Au contraire, ici (comme vain et l'écrit) d'une écoute con·
le précise le prière d'insérer), crète des pulsions du/des corps.
« le sujet central, c'est la multi· Autrement dit, l'exigence théori-
tude », le processus excessif qui que ne contrarie en aucune façon
anéantit le signalement du « je ~ la passion narrative qui atteint,
parlant, par des séries de multi. par endroits, une véritable inten-
plications et de variations d'iti. sité « poétique » : HActll:: L MIZRAHI
néraires.
Dans le théâtre urbain, innom-
brable, anonyme, le corps (du « Tu cherchais.
récit) peut se permettre de jouer
tous les rôles qu'une fiction verti.
Tu chercheras, mais quel
visage désormais ?
Harry
gineuse lui dicte comme « le lieu Quel
réel (...) saturé de corps et de vi- corps ? pris, renversé,
sages (...) où tout serait en per- capturé dans son
pétuelle mutation... » Où tout est, sang et une main sur la
sans cesse, scandé par le combat bouche pour que les cris
perpétuel et sanglant du désir ne s'entendent pas ? »
sexuel avec l'extrême douleur liée
à la dissolution de l'être.
Cependant, la dure et exacte
Et l'épuisement, la maladie, la conscience « d'une oppression gé-
mort deviennent les habituels néralisée » (tant policière que
compagnons de route ; on assiste médicale) n'est en rien synonyme
(on participe), en parodie, à la d'une résignation ou d'un décou-
destruction d'une ville, d'un ordre, ragement qui trouverait un bel
d'une civilisation, d'une parole exutoire par la pratique de la
dont l' « impossibilité soudaine ~ seule magie verbale ! Non ! Car

La Quinzaine littéraire, du 15 au 31 décembre 1969 7


ROIIANS
.TRANG.RS

Nazis et nymphomanes

Carlo Cassola

1
Roger Curel ment où. A l'inverse des Il noue des fonds éparpillés après la chute
Brancula veaux romans », la clef, en effet. du Ille Reich, et celui de Solange, Fiorella
Robert Lallont, éd. 503 p. se trouve à la fin, mais ce n'est une nymphomane qui s'est suici· Récits.
pas, comme dans un « policier », dée et dont deux de ses anciens Trad. de l'italien
un lapin que l'auteur tire de son amants tentent de décrypter le par Philippe J accoltet
On termine les meilleures lec- chapeau, mais son roman lui·mê· secret. A ces deux thèmes qui, Le Seuil éd., 190 p.
tures comme une partie de mer me dans la vérité finale de son chacun, mettent en jeu pratique·
à Etretat par exemple: après exercice, à l'issue d'un suspense ment tous les personnages mais
avoir reçu le vent en pleine face, formel. C'est alors que, par la selon des séries et avec des va· «... un sentier herbeux entre
jusqu'à être renversé, avoir fran· bouche d'un de ses personnages. leurs différentes, correspondent deux rangs de vigne. D'autres
chi des enclos de barbelés, s'être il peut présenter son livre comme deux temps, présent pour le pre· rangs, disposés transversalement,
enfoncé dans la boue et les ga- un générique de film : chacun, du mier - c'est le roman d'action - divisaient le champ en autant de
lets, avoir contemplé un os de créateur aux acteurs, est à sa pla. et passé pour le second, quête rectangle.~. Le sentier montait lui
seiche, maîtrisé quelques falaises, ce et reçoit son visage; et le lec· rétrospective et analyse introspec· aussi, légèrement, mais déjà on
au bout de quoi, on se sent harassé teur, à son siège de spectateur, n'a tive (certains personnages n'étant voyait le terrain s'arrondir en une
et heureux. Alors c'est l'heure de plus qu'à applaudir l'aventure qui que présent - Brancula - , d'au- croupe au·delà de laquelle émer·
la récapitulation, où l'on met son s'est jouée pour lui. tres que passé - Jean, Solange). geait la masse obscure d'une col·
bonheur en ordre en reprenant deux tonalités, la première bril- line.
les choses à l'envers. lante et sarcastique, la seconde.
Mais de quel type d'aventure sensible et douloureuse, et, par. FiorelLa s'arrêta au commence·
s'agit.il? Roger Curel n'entend tant, un double éclairage de plu- ment de la descente, dès que la vue
De même pour ce Brancula pas plier sa plume à un argument sieurs des principaux personna· s'élargit. Le coteau était escar-
merveilleusement harassant. Et qui lui préexisterait et qu'il de- ges, tantôt marionnettes à deuJj pé ; de petits champs oblongs,
tant qu'à parler à rebrousse·lec· vrait, par le fait, traiter: en œ dimensions, tantôt, au contraire. avec un rang de vigne OIL une ban-
ture, reportons·nous carrément au sens, cette aventure est fondamen- lourds d'une dimension nouvelle: de de maïs, étaient soutenus par
petit aperçu du dos de couver· talement littéraire. Mais il n'en- d'intériorité, ressourcés à leur des murs de pierre sèche. Plus
ture: le livre y est traité de ro- tend pas, non plus, lui préexister passé. D'où la démarche discon· bas commençait le maquis, en ta·
man-gigogne, considéré successive- et n'affecter de ne voir en lui tinue du livre : bonds en avant. ches toujours plus cialrsemées à
ment comme un roman d'espion- qu'une des virtualités de son écri- récits parallèles, prospections ré· mesure qu'on se rapprochait du
nage, un roman picaresque, un ro- ture. Ses personnages et leurs gressives dans l'épaisseur du lit d'un torrent. Immédiatement
lOan parisien, un double roman engagements romanesques ne sont temps ; d'où surtout la variété de après s'élevait la haute colline
d'amour, heureux et malheu· pas aléatoires ; mais ils ne se dé- ses registres d'écriture, qui soIli· sombre dont le sommet était à
reux... Comment conjuguer ce finissent que dans cet entre-deux tent tour à tour le cocasse langa. contre·jour. »
foisonnement? L'auteur lui·mê- dynamique qu'est, par delà les gier, le délire poétique, la pein.
me nous le suggère aux dernières mots et en deçà des faits, l'espace lUre <le mœurs, le journal intime, Sous le regard de Fiorella, le
pages de son ouvrage: « dans de la narration. Car c'est l'aven- le récit d'aventures, etc. paysage toscan cher à Cassola, à
cette énorme partouze métaphv- ture narrative en elle-même qui son chasseur, à ses personnages
sique, chacun, dans la limite de est, d'abord, la visée de M. Curel:
au cœur aride n'a rien perdu de
ses possibilités, s'est retourné les données romanesques s'y su- Et telle est finalement la par-
sa beauté tranquille. Pourtant la
comme un gant et sacrifié. en bordonnent, en tant que condi- touze : dans cet espace narratif
« maestra ~, la jeune institutri·
somme, à ce que, de près ou de tions du jeu et points d'applica- en incessante mouvance et au gré
ce, « aurait aimé voyager ». A
loin, avec les réserves d'usage. on tion. Mais comme les fonctions des comhinaisons fonctionnelles
vingt-trois ans, bientôt viogt-qua-
peut appeler la vérité... Une gros- narratives, d'autre part, enrichis- qui l'animent, les personnages de
tre, ell~ n'était jamais sortie de
se faute, mes chers amis, il n'y sent progressivement ces données, Brancula ne sont jamais entière-
Toscane, et pour son premier pos-
a pas de héros dans votre histoi- les transforment et les accréditent, ment ce qu'ils sont et, seul, nous
te elle avait « échoué à Métato »,
re! Vous ressemblez à des peti- l'aventure, initialement éparse et l'avons vu, l'achèvement du livre
un petit village primitif et déso-
tes roues d'engrenage et chacun diversement introduite, s'organise immobilisera leur figure. On voit
lé. C'était la guerre. Elle avait
entraîne l'autre: serait-ce donc et se resserre jusqu'au renverse- l'ampleur de l'entreprise et ses
beau se dire : « c'est moi qui ai
vrai que tout le monde se décide ment final, véritable instant de difficultés. Il fallait un tempéra-
demandé la campagne; on se dé-
au hasard et que personne ne vérité où, la narration - et le ment exceptionnel pour la conce·
brouille mieux pour la nourriture
pense ? )~ livre donc - achevés, il ne reste voir et la soutenir. D'évidence,
et par le temps qui court la nour·
plus qu'une histoire qui a été. M. Curel a réussi, avec une géné-
riture c'est r essentiel », elle était
rosité tranquille qui donne, par-
Personne, peut-être, sauf l'au- envahie d'amertume à se retrou·
fois, l'impression inquiétante qu'il
teur. Ainsi le démiurge M. Curel Cette histoire, bien sûr, on peut ver enceinte, avec son petit gar-
pourrait réécrire à lui seul toute
nous fait-il comprendre qu'il res- la raconter: ce n'est pas raconter çon de deux ans et demi, dans la
la littérature française de ces qua-
te maître non seulement de la li· le roman. Or, c'est la lecture qui chambre misérable qu'un châte-
rante dernières années. Il n'en est
berté de ses personnages mais nous importe, ç'est-à-dire la partie lain méprisant lui avait cédée.
plus à son premier livre mais
encore de leurs différents niveaux où l'auteur nous entraîne. On peut Elle avait fui Volterra, un mari
semble, avec celui.ci, avoir épousé
d'existence, c'est·à-dire maître de la déchiffrer, comme une partition insouciant, des hostilités diver·
la totalité de ses dons. On guette
son récit et de ses différents mo- musicale, y suivre le déploiement avec impatience, maintenant, les ses, mais l'entêtement, le courage
des d'écriture. Ce qu'en revanche et le contrepoint subtils des fonc- se payaient. C'était souvent dur,
partis qu'il va lui falloir prendre
il ne dit pas, c'est que dans cette tions narratives dans l'architectu- pour dépasser ses richesses et toujours injuste d'être une fem·
partouze, il nous réserve aussi re qu'elles édifient patiemment. me. Sans doute devait-elle « ins-
troubler le trop entier bonheur
notre place, car, étant de cemt qui On y discernera ainsi deux thèmes crire au passif du mariage de
de lire qu'il vient de nous donner.
racontent plutôt qu'ils ne rappor- dominants : celui d'Ernst von n'avoir pu terminer ses études :t ;
tent, il prend en charge également Brancula, un ancien nazi lancé à sans doute ne pouvait-elle se per-
son lecteur: d'où le plaisir de se la recherche d'un document·code mettre d'entrer seule dans un ca-
sentir conduit sans savoir exacte· qui lui permettra de rassembler Michel-Claude }alard fé ; mais comme Thérèse Des-

8
• •
V lctlme et complice
vir la littérature à la culture, aux
sciençes de notre temps... Je ne
crois pas aux mouvements d'a·
vant-garde ; ce .~ont des maladies
infantiles. »

Cassola enferme Fiore]]a dans


le cercle éternel de la destinée
féminine, et, dans le second ré-
cit de ce recueil, affirme sa po·
sition comme véritable doctrine.

Fausto avait toujours été un


enfant « différent des autres ;,).
Il n'aimait pas la mer ; mais il
aimait lui le plus jeune de la fa·
mille, le départ en vacances, en
juillet, seul avec sa mère. Cette
année ses aînés étaient retenus à
Rome pour des examens. A Ma·
rina di Cecina. il préférait lire
que se baigner. Les Misérables,
plus proche de son cœur que Les
Fiancés, lui arrachait des lar-
mes délicieuses. A quinze ans, ce
fils de bourgeois vieilJissants rê-
vait de devenir un grand homme
comme Napoléon ou Garibaldi
mais, comme son père, il détestait
tout changement. Une courte vi-
site de celui-ci l'investit de ses
premiers pantalons longs.

En ces jours mémorables. sous


la protection ignorante, tendre,
queyroux, elle fumait, comme maturément vieilli ; jaloux, muf· tion, c'est que FioreHa n'existe et à peine castratrice, de ses pa.
Emma Bovary elle lisait des ro- fle, possessif, il savait, bon mâle que par la lettre et l'esprit de rents, l'adolescent transi décou-
mans. N'était·elle pas une dame, italien, jouer les sultans. Mais qui ne peut écrire autrement vrait une étrange émotion, au
au village ? avec lui, elle voyagerait plus loin son histoire. Par un effet de plein soleil de toutes les jeunes
que la Toscane. Le divorce était boomerang, la révolte individuel· filles en bouton qui p~ssaient
L'année tourne autour du pi. impossible, mais ailleurs elle pas- le consciente s'asservit à l'incon. sur la plage. Puis, Fausto tombait
vot de la constance paysanne. serait pour l'épouse respectable scient de celui qui y a travaillé. amoureux d'Anna. Scrupules fié·
Pour la citadine, au rythme des d'un honorable médecin. Tant que Réduite, soumise au pouvoir de vreux, tentations secrètes, l'érotisa
saisons, - les gestes quotidiens tou- cela durerait elle ne serait plus l'homme qui la fait vivre et ou, me narcissique s'épanchait en su-
jours les mêmes à accomplir - ne pauvre. Elle avait déjà cédé beau- de celui qui l'écrit, Fiorella se blimation poétique. En Fausto
laissent à l'esprit que le point de coup ; elle était prête à toutes range dans une cohérence confor- grandissait « un chef ;,) moins vio·
liberté d'où s'engendre l'ennui. les concessions. Moitié victime, table, dans un conformisme de lent que celui de Sartre, moins
Pourtant les choses changeaient. moitié complice. survie, moderne et marginal jus. élogieux que celui de Saint-John-
Fiorella était doublement libé- te ce qu'il faut pour ne pas choa Perse, mais comme tant d'autres
rée : par la naissance de sa fille ; Dans une situation en impasse, en proie à tous les mots, dans l'in-
quer. Mais dans cet ordre, elle
par la rupture avec son mari. El· solitaire, sordide, douloureuse, à tinlité de ses genoux : « Ces quel-
donne à lire, en retour, la néces-
le avait tenu tête au Comte ; il peine éclairée çà et là de l'amitié ques semaines l'avaient profondé·
sité conservatrice d'un texte qui
lui avait fait construire une mai· fugitive de quelques bûcherons; ment changé. Mais il était resté so-
suivant une tradition conserva·
son. Le docteur lui avait fait des dans la vraisemblance obligée de litaire. Ainsi maintenant était-ce
trice bien établie dans l'écono-
propositions dès son retour. Il cette fiction, pareille conduite dans la solitude qu'il savourait le
mie romanesque, avec art, dis-
prenait, après bien des détours, est la seule liberté que Cassola bonheur d'aimer... » « Si lui-même
crétion, probité et mesure, au nom
leur liaison scandaleuse au sé· laissait à sa révolte. La sollicitu- un jour devenait écrivain réussirait.
de « la vérité humaine ~ mélan-
rieux. Il l'emmenait vivre, ailleurs, de de l'auteur l'a guidée à bon il à exprimer ce qu'il ressentait à
coliquement garde ses arrières,
avec ses enfants, l'existence de port, à travers le récit, la tranche présent? ».
littéraires et autres.
dépendance argentée dont elle de vie où il l'a mise au monde
rêvait. Au mieux de ce qu'elle et prise en charge, sous la dOUa Cassola déclarait, alors qu'on le « La figure de l'artiste est pero
estimait être ses intérêts, Fiorella ble hypothèque de qui ils sont, l'un considérait comme un des maîtres sonnification de la différence »
avait su écarter tel jeune bûche· et l'autre ; l'une pour révéler du « nouveau réalisme italien ~ : a dit un jour Cassola. La figure de
ron trop entreprenant, tel jeune l'autre. Si ce genre de « collage ~ « Je considère comme désastreu- Fausto masque et dessine le por·
militant communiste qui voulait est la seule issue permise à une se certaine tendance d'aujourd'hui trait souvenir d'un artiste en jeu-
l'initier à la politique. mère sans appui marital, à une qui observe la condition humaine ne singe, dont Tonio Kroger se·
institutrice que son affranchisse- dans révolution politique et so- rait la doublure.
Le docteur avait douze ans de ment économique n'a conduite ciale. L'homme à mon avis est
plus qu'elle; il était laid et pré. qu'à la pauvreté et l'insatisfac- une solitude... Je refuse d'asser- Antoinette Fouque.Grugnardi

9
La Quinzaine littéraire, du 15 au 31 décembre 1969
Une féerie saugrenue
Donald Barthelme seulement le canevas du célèbre posés par l'augmentation des jusqu'à l'enfantillage, mais ce
Blanche.Neige conte de fées, il le travestit. C'est ordures dans notre civilisation ou n'est pas toujours un jeu inno-

1
trad. de l'anglais un genre littéraire bien connu; célébration de la seule vraie cent; dans le roman apparaissent
par Céline Zins pour s'en tenir à un répondant guerre qui mérite pleinement son des personnages dont les nom
Gallimard éd., 214 p. ancien, rappelons comment Scar· nom, celle de 14-18... En liquidant sonnent plus ou moins familière-
ron, en travestissant l'Enéide, cha- les conventions du conte, Bar- ment : à côté d'un bar-restaurant
hutait l'épopée de Virgile, en fai- thelme compte bien liquider nommé La prochaine fois le feu,
Ouvrez le livre à n'importe sant une histoire un peu grosse, aussi celles du roman ou de la Jane Villiers de l'Isle-Adam télé-
quel endroit, vous tomberez sur bourrée d'anachronismes et de dé- poésie : « Les causes profondes phone à Quistgaard ; dans la rue,
un passage de ce type, que ni ce tails farfelus, transformant les de la poésie ont été amplement Fondue et Maeght passent en Vol-
qui précède ni ce qui suit n'éclair- héros en crocheteurs. Mais le ro· mises à jour; et maintenant que kswagen... Parodies, pastiches,
cit davantage : « La meringue man de Barthelme ne chahute pas nous savons qu'il subsiste des provocations (ce questionnaire
géante monta jusqu'au plafond. notre conte, il le saccage à cœur poches de poésie dans notre grand adressé au lecteur qui clot la pre-
Nous étions tous dedans. Dan fer- joie : Blanche-Neige vit avec sept pays, en particulier dans les gros mière partie), néologismes, mots-
ma la télévision. On ne peut pas laveurs de carreaux dont elle est centres urbains, nous devrions être pièges, Barthelme possède tout un
faire la cuisine en suivant les re- la maîtresse, ce qui ne l'empêche en mesure de les liquider totale- arsenal pour inquiéter, voire du-
cettes de cette bonne femme. Les pas de languir après Paul, un ment en une génération si nous per son lecteur.
proportions sont toujours fausses, « prince charmant » hélas ! bien nous y mettons vraiment ». Guerre
et je ne crois pas qu'il faille. met- peu entreprenant. Rien n'arrive à la poésie, donc ; on la rempla- C'est finalement un écrivain
tre du houblon dans la meringue comme dans le conte authentique cera par un composé pop à base connaissant bien les ficelles de la
de toute façon. - Je n'aime pas et le lecteur avait pu le pré- de procédés typographiques et rhétorique et du romanesque qui
votre monde, un point c'est tout, voir : c'est le Prince qui boit le régurgitations de citations tirées peut en deux pages télescoper la
déclara Blanche-Neige. Un monde liquide empoisonné préparé par de Freud ou Emily Dickinson, le Jeanne d'Arc de Dreyer et Hellza-
où de telles choses peuvent arri- la méchante Jane, et les sept tout rehaussé de poudre Ajax, de poppin, avec apparition d'Artaud
ver ». Il ne s'agit ici que de « nains », de plus en plus las de Coca-Cola et de bière Kronen· brandissant un crucifIX. Si l'on
Blanche-Neige préparant des me- Blanche-Neige finissent par la bourg. « Les temps sont mûrs pour voulait placer l'auteur sur quel-
ri~gues aidée par l'un des «nains», planter là. cela ». Est-ce vraiment de l'hu- que relevé de la topographie lit-
et, dans le livre de Donald Bar- Loin d'évoluer dans une atmos- mour noir? téraire, c'est du côté de René de
thelme, de telles choses peuvent phère féerique, le roman saute En fait, ce récit agressif est Obaldia qu'il faudrait regarder.
arriver ! sans cesse de l'incongru au sau- très travaillé. L'auteur joue avec
Blanche-Neige ne reprend pas grenu : discussion des problèmes les mots jusqu'à la préciosité ou Serge Faucherf'nu

L'esprit du mal
James Purdy savoure une revanche en s'imagi- les cœurs, fait à Amos et Daniel nante. Son talent parvient à ren-
Les œuvres d'Eustace nant tirer les ficelles d'un vrai (les deux seuls êtres purs du livre) dre saisissants de vérité un uni-

1
trad. de l'anglais théâtre de la cruauté. de leur amour réciproque, a l'ef- vers et des situations à la fron-
par Suzanne Mayoux On peut très bien considérer, fet d'une agression sauvage: Amos tière du roman noir.
Gallimard éd., 256 p. qu'au delà de la satire d'une mi. sombrera dans la déchéance vé-
norité marginale, James Purdy nale, et Daniel qui s'engage dans La perversité ouverte ou laten-
veut dénoncer, à travers ses stig- l'armée finira dans d'atroces souf- te, comme chez Daniel Haws,
En situant dans le Chicago des mates et ses tares, une société qui frances, après avoir été affreuse- dont les promenades nocturnes
années 35, pendant la grande crise, secrète le mal et expie ses origi. ment mutilé par un tortionnaire, trahissent un déséquilibre nais-
au cœur du quartier noir, la dé- nes. Mais, à notre sens, la matière le Capitaine Stadger, officier re· sant, est pour Purdy l'effet ultime
bâcle d'une minorité de bohèmes essentielle du livre est la peinture foulé. Ici la démence atteint au de la désagrégation de la réalité
et d'homosexuels qui jettent tous d'amours interdites dont l'impas- délire. sociale, une malédiction hérédi-
l'ancre, un jour ou l'autre, chez se, à l'image même du cercle vi· L'homosexualité illustre-t-elle taire vouant les hommes à s'en-
Eustace Chisholm, pédéraste et cieux formé par la chaîne des la malédiction qui condamne le tredéchirer ou à se laisser cor-
parasite qui vit aux dépens de sa sentiments sans issue des person- nouveau monde à tituber au bord rompre par l'argent. Ici, on re-
femme Carla, une hystérique, et nages de l'Andromaque de Racine, du gouffre, ou possède-t-elle par trouve la marque de ce purita-
pose au poète maudit, James dérive vers la démence et la fu· elle-même le pouvoir d'introduire nisme américain dont l'indicible
Purdy a fait un tableau de mœurs reur sadique. Eustace aime en ses adeptes au royaume des téné· réprobation couvre de son ombre
d'une noirceur et d'une cruauté silence l'adolescent Amos Rat· bres et de la chute? Au-delà de et oblitère les passions. La respec-
rarement égalées. Pour nourrir cliffe, fruit d'une union illégiti- la dépression, James Purdy ne tabilité sociale et l'établissement
son grand œuvre, un intermina· me, à la beauté d'ange noir, que jette-t-il pas l'anathème contre de la fortune, que la mère du
ble poème épique dont il écrit la misère oblige à accepter les une civilisation manquée ? A cet milliardaire Ruben Masterson
les brouillons sur de vieux jour- avances et les prodigalités d'un égard, Eustace figure l'esprit du préserve avec un soin jaloux,
naux, Eustace Chisholm se vautre Œdipe milliardaire, Reuben Mas- mal, apprenti sorcier et miroir offrent le seul rempart qu'une
avec l'avidité du vautour et se terson, malgré la passion qui le qui jette un sort à tous ceux qui société inique soit susceptible
repait de confidences qu'il arra- consume pour son logeur, Daniel ont le malheur de se fier à son d'opposer au torrent des passions
che à tous les êtres à la dérive qui Haws, somnambule qui vient mauvais génie. et au naufrage collectif. Est-il
viennent se confier à lui, mendier toutes les nuits lui faire de brèves Tout l'art de l'écrivain tient conclusion d'un plus sombre pes-
un conseil ou un réconfort. Contre et chastes visites. dans l'économie et la densité de simisme ?
sa disgrâce d'intellectuel raté et La révélation qu'Eustace, qui moyens qui, cependant, attei·
d'homosexuel éconduit, Eustace se targue de sonder les reins et gnent à une efficacité halluci· Alain Clerval

10
~ GRAND PRIX
Déchéance DE LA CRITIQUE LITTERAIRE
Maurice Nadeau
Lars Gy llcnsten cil, c'est la djfficulté de vivre de
lnfantilia
Trad. du suédois par
Karl-Axel, son incapacité à pour·
suivre une carrière, à fonder
Gustave Flaubert écrivain
E~3
C. G. Bjurstrom et J. Queval vraiment un foyer, à sortir de
Coll. « Du Monde entier » l'enfance enfin, de ses facilités et
Gallimard éd. 256 p. de ses angoisses. A moitié entre· Dossiers des Lettres Nouvelles
tenu par les femmes ou semi·clo-
chard, il ne sait rien faire de sa
Karl-Axel, le héros d'Infantilia vie que ressasser ses comptines et
est un cousin suédois de Molloy. ses blagues de gamin, redire avec
Cousin et non neveu, encore une sor te d'incompréhension
moins héritier, car s'ils ont des naïve ses désirs vagues et ce re-
points et même, en Joyce, un fus d'agir qui le conduisent. fétu
grand-père commun, leurs arbres (ou fœtus si l'on cède au goÎlt de
généalogiques ne concordent pas Gyllensten pour les mots-valises
branche il branche. Au reste, ils et les analogies révélatrices) hal-
ont à peu de chose près, le même lotté sur les eaux de la vie. d'un
âge et ne se connaissent pas. travail, d'un semblant d'amour il
l'autre.

Ecrit cn 1952, mais traduit seu- Comme chez Beckett, on re-


lement maintenant, alors que Gyl. trouve le thème de la dissolution
lensten, médecin, poète, essayiste de la conscience, de la vie réduite
et romancier est célèbre dans son à des réflexes physiologiques et
pays, Infantilia ne doit, en effet, verbaux - encore que Gyllens-
rien à Beckett. Si, le lisant, on ten aille en ce sens beaucoup
pense à Molloy, ce n'est point moins loin - ct aussi des remu-
tant parce qu'on y repérerait une gles d'éducation protestante. Karl·
quelconque influence ou une trou- Axel ne croit pas à la venue de
blante ressemblance, mais parce Godot, ne croit pas que personne
que des analogies thématique. puisse quelque chose pour lui,
ont conduit Gyllensten à une re- mais Jésus, qu'il tient à la fois
mise en cause du récit, à une re· pour le rédempteur et le respon-
cherche formelle qui, pour n'être sable de tous les crimes commis
pas identique à celle de Beckett, contre les « pécheurs » au nom
est du moins similaire. de l'amour, ne cesse de hanter sa
pensée, ou plutôt de se mêler aux
images brumeuses, graveleuses
Sans doute l'histoire conserve-t- ou désespérées qui la hantent. Son
elle chez Gyllensten une plus refus de la paternité, sa nostalgie
grande place. Si au niveau de la de son enfance morte apparais·
page, le narrateur ne cesse de sent alors comme liés à une se-
briser le fil de son récit, de mê· crète terreur, à une interrogation
1er mémoire et conscience pré· non résolue concernant les mys-
sente, d'opérer des rapproche. tères de la vie et de sa transmis-
ments entre les difficultés et les sIOn.
rêves de l'enfance et les préoccu·
pations du jour, l'ensemble l'es·
pecte une progression relative- Pour décrire secrètement cette
ment chronologique et suppose expérience de la déchéance qui
même un « suspense». Pourquoi est en même temps quête secrète
Karl·Axel qui refuse, avec une et innommée d'autre chose, Lars
sorte de terreur panique de la pa- Gyllensten a su trouver un lan-
ternité, de donner un enfant à gage où tournures enfantines, re-
Clem, son épouse aimante (qu'il dites, balbutiements, glissements
n'aime pas), est-il amoureux de de sens, interjections et interroga-
Lucy, laquelle est enceinte d'un tions simulent les mouvements
autre ? Comment va-t-il et même d'une pensée qui cherche son cen·
pourra·t·il organiser sa vie entre tre et ne peut que dériver. Sans
ces deux femmes? Telles sont doute les traducteurs n'ont-ils pu
les questions qui, apparemment, en rendre toutes les nuances, mais
se posent, et qui relèveraient, leur excellent travail nous révèle
semble-t-il, d'un traitement roma- la démarche d'un auteur aussi
nesque traditionnel. original que parfaitement contem-
porain de la littérature la plus
vivante.
En fait, ce qUI mtéresse l'au-
teur, ce qui est au centre du ré- Claude Bonnefoy

La Quinzaine littéraire, du 15 au 31 décembre 1969 11


les mille et une bibles du sexe
&"J".,.,.,.,,~ ~ !
édition courante: 14 illustrations originales, 374 pages sur papier luxe

l'épopée gigantesque, luxuriante et fabuleuse


de tout l'univers érotique contemporain

e d'après les' confessions-poker' de milliers de couples consignés par un


grand aristocrate parisien
e triées, revues, corrigées et éditées par Yambo Ouologuem, prix
Renaudot 1968

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vous êtes tous concernés
pour adultes seuleD1ent

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Non à la pornographie
.Oui à l'érotisme

LE VOLUME 17 x 23 : 39 F

les mille et une bibles du sexe


UTTO RODOLPH
SELECTION

Les Dteilleurs livres pour enfants


grandes personnes se prêt,ent leurs a plus à dire qu'il n'y pm'nit d'a- mins de la rue. V ne journée d'a·
1 Images et comptines livres. Le monde est comme ça, ne bord : on le lit d'un trait pour ses ventures et d'amitié.
comptons pas sur les fées. Le mi- trouvailles poétiques et cocasses,
racle de tous les jours, c:est l'ami- pUls on le relit pour mieux le sa- de 12 à 14 ans
à partir de 3 à fi ans tié. Remarquable mise en page où vourer.
Dick Bruna les blancs sont l'espace ouvert à la Pearce
liberté du lecteur. Tom et le jardin de minuit
Le petit marin
Nathan éd., 4,50 F Ill. par Susan Einzig
Ionesco Nathan éd., 12,50 F
A suspendre dans tous les ar- Conte nO 1
bres de Noël: un classique hollan- Tom, en convalescence chez des
Images d'Etienne Delessert parents, passe ses nuits d'lns un
dais enfin édité en France. Les ima- Harlin Quist éd., 17,50 F
ges les plus simples et les plus mo- jardin qui n'existe pus, avec une
dernes pour les tout-petits. Dans la Texte plein d'humour, images Le chasseur d'é'oiles fille de son âge qui le prend pour
même série : Le petit lapin dans belles et sophistiquées. avec des un fantôme. Qui rêve l'autre? Im-
clins d'œil aux adultes assez heu- Contes chinois possible d'en dire davantage, cela
la neige, Le petit lapin à la mer. La steppe enchantée
reux pour aimer les livres d'en- gâcherait tout. Une bien jolie son·
fants. Gründ éd., 14,50 F chaque vol. gerie sur le rêve, le Téc/ et la durée.
de fi à 10 ans Pour les amateurs de contes, deux
Marcelle Vérité Eva Janikovszky grands volumes : des heures de
300 contes pour bien s'endormir. Basile et Barnabé lecture au pays de la magie, en
Images de Gyo Fujikawa Images de Laszlo Reber compagnie de héros qui savent ac- La nature, l'histoire,
La Farandole éd., 7,70 F cueillir l'e.'ttraordinaire srms per-
Gauthier-Languereau éd., 19,50 F
dre le bon sens ni la malice.
le monde
Comptines anglaises adaptées ell Frais, drôle et bien adapté aux
français. V n grand album où le enfants : deux petits teckels sont
texte joue avec les images. Les dou- las d'être pris l'un pour l'autre. de '1 à 10 ans
Comment faire? Vn problème qui de 9 à 12 ans
bles pages en couleurs sont comme Trois façons de peindre la Vle des
de grands tablaux : maison en for- tourne au jeu. Anne Barrett an,maux :
me de soulier où vivent des per- Martin et le visage de pierre
sonnages amusants, paysage animé A.-M. Cocagnac Ill. par Patrice Harispe Hélène Fatou
d'enfants et de bêtes, navire sur la Les trois arbres du samo!,raï Nathan éd., 12,50 F Vigie la marmotte
mer, etc. Images d'Alain Le Foll Images de May Angeli
Ed. du Cerf, 12 F. Martin emménage avec ses pa- Flammarion, Père Castor, 5 F
Tomi Ungerer rents dans un quartier déce'Jant, et
C'est un nô raconté dans un lan- le comble, c'est qu'un 'l'oYOI' eÛ· Jolies images, bon texte entre le
Jean de la Lune gage poétique et simple. Les ima- documentaire et l'anecdote. Les re-
Ecole des loisirs éd., 16,80 F ge sa soumission sous peine des pi.
ges transposent heureusement le res représailles. Pas de pleurniche- productions sont excellentes, comme
Le petit bonhomme qui vit dans style japonais et leur mise en page ries ni de recours à la famille : la typographie.
la lnne n'est pas très bien reçu sur est très réussie. Martin prend ses responsabilités, il
terre. Devinez un peu comment il Henriette FilIoux
défendra lui·même son indépendan- Animaux en famille: Les :;uuris.
s'en tirera '!
ce en même temps que la paix de Images d'Iliane Roels
la maison. Très agréable à lire et Ecole des loisirs éd., 4,90 F
1 Contes et romans bien mené.
Les images sont irrésistibles, le
Harry Kullman texte un peu long. Trois autres al-
bums dans la même série . Les cas·
de 6 à 10 ans Le voyage secret
tors, Les manchots, Les cigognes.
Ill. par Claes Backstrom
Malija Valjavec Nathan éd., 12,50 F
L'anneau de Vania Simone Lamblin
Autre aspect des rapports entre
Images de M. Stupica enfants bourgeois et jeunes « ban-
Hatier éd., 4 F des» : à la faveur d'une escapade Et pour en savoir davantage, deman-
V ne bague magique, un gentil dez à la Joie par les livres, 59, av, du
dans le quartier pauvre de la villè, Maine, tél. 326-50-48, le bulletin d'ana-
berger et des animaux reCOllna'5- David, fils d'un avocat, t.a décou- lyses de livres pour enfants, numéro
sants font un album plein de char- vrir la vie et les bagarn·:; des f!a- spécial de Noël.
me dont les images ressemblent aux
peintures naïves slaves. Il se posait des questions. Ou plutôt une question

à partir de 10 ans
James Krüss
Le chasseur d'étoiles
j"fllI de /0 /'ulle et autres contes
Images de Michel Siméon

~"1
Nathan éd., 12,50 F.
~Jh&,._
à partir de '1 ans
Un chef-d'œuvre de la littératu- J? "'? "?
Sempé : ~

l
-::~<.
Marcellin Caillou re allemande pour enfants. Le gar-
dien de phare et les amis qui lui > , J ~1~q
Denoël éd., 19,80 F <...v
viennent de la mer se racontent des
Puur les familles où enfants et histoires. C'est un petit livre qui Sempé: Marcellin Caülou

14
Les Dleilleurs livres d'art de l'année

Les grands thèBles


Jean Deshayes D.A. Olderogge
Les Civilisations de l'Orient Les Arts de l'Afrique Noire
ancien Traduit du russe
214 ill. en noir, 8 pl. en couleurs, par Alexandre Karvovski
79 cartes et plans. 168 pl. dont 41 en couleurs.
Arthaud, éd., 676 p. 105 F. Cercle d'Art, éd., 200 p. 51 F.

Ouvrage de grande érudition, et


d'un constant attrait, qui éclaire la Si les ouvrages sur l'ethnographie
naissance de ces civilisations, leur africaine se sont multipliés depuÏ$
montée progressive, la création des quelques années, il en est peu qui,
cités, la formation des empires, et autant que celui-ci, nous procurent
leur destruction après une ère de encore une impression de surprne
grandeur qui ne nous a été révélée, par la publication de documents à
dans beaucoup de cas, que par les peu près inconnus et d'un intérêt
travaux entrepris depuis un siècle exceptionnel. Toutes les pièces pré-
dans les plus arides déserts. L'au- sentées dans le livre - d'extraor-
teur, professeur d'archéologie orien- dinaires effigies rituelles, des mas-
tale à la Sorbonne, examine avec ques, des bois sculptés, notamment
une grande lucidité tous les aspects du Congo, du Cameroun, de la
de cette vaste histoire d'un passé Côte d'Ivoire - ont été photogra-
dont la connaissance est fondamen- phiées dans les collections du
tale pour la compréhension des ori- Musée ethnographique de Lénin-
gines de l'humanité occidentale. Le grad. Cet ouvrage vient, en quel-
livre est illustré d'excellentes repro- que sorte, compléter la Sculpture
ductions d'œuvres et d'objets des africaine, de Ladislav Holy, publié
musées de Téhéran, Nicosie, Bag- chez le même éditeur.
dad, Ankara, Jérusalem, Héra-
kleion, Karachi, etc. Rappelons les
derniers titres de cette collection
des « Grandes Civilisations» pu-
bliée sous la direction de Raymond Jules David Prown Les civilisations de l'Orient ancien Empreinte d'un cylindre néo-babylonien
Bloch : la Civilisation de l'Europe et Barbara Rose
ancienne, de Guido A. Mansuelli, La Peinture américaine
et la Civilisation de la Renaissance, Traduit de l'américain
de Jean Delumeau. par Yves Rivière Yvon Taillandier 1.000 ill. en couleurs.
100 pl. en couleurs. L'Abstrait Cercle d'Art, éd., 418 p. 123 F.
Skira, éd., 240 p., 160 F. 80 ill. en noir, 30 pl. en cou!.,
19 cartes. V gste encyclopédie picturale qui ne
éd. Planète, 256 p, 67,25 F. peut, certes, remplacer une histoire
André Chastel de l'art ni satisfaire le spécialiste à
Le Mythe de la Renaissance Ce livre marque la place que les qui ce survol des œuvres «des
76 ill. en noir, 66 pl. en couleurs. Etats-Unis peuvent désormais re- Dans' le cadre de la collection Il les cavernes à notre temps» ne sau-
Skira, éd., 236 p. Il8 F. vendiquer dans l'histoire de l'art. Métamorphoses de l'humanité », rait suffire, mais ouvrage utile au
Le chemin parcouru, depuis les dirigée par Robert Philippe, et dans jeune amateur désireux d'éclairer
portraitistes, parfois anonymes et le contexte d'une histoire des grands ses premiers pas à la découverte de
Historiquement, ce livre, qui traite souvent naïfs, de la fin du XVIle événements mondiaux de la pre- la peinture.
de la période 1420-1520, se situe siècle, jusqu'à « l'Ecole de New mière moitié du XXe siècle, l'au-
avant la Crise de la Renaissance, York », à· l'expressionnisme abs- teur, avec une connaissance très
du même auteur, précédemment trait, à l'art pop et à l'art minimal, sûre et très étendue de son sujet,
publié, et qui concerne tout le XVIe passe par le classicisme élégant de retrace les étapes de la plus para- Germain Bazin
siècle à partir de 1520. Les deux John Singleton Copley, le roman- doxale aventure que l'art ait Histoire de l'avant-garde en pein-
ouvrages forment un tout qui ap- tisme de Thomas Cole, et la pre- connue : son éloignement du mon- ture
porte de nouvelles lumières sur les mière expression du modernisme de de l'objet, son accession à l'es- Hachette, éd., 304 p., 125 F.
caractères contradictoires des acti- que représentait Whistler. Mais thétique de l'abstraction.
vités de l'homme nouveau dont les c'est seulement en 1913, avec l'Ar- L'avant-garde n'est pas une in-
idées transformèrent l'Europe sep- mory Show, que le grand boule- vention du XIXe ou XXe siècle. Le
tentrionale. Les belles planches en versement pictural allait commen-. conservateur en chef du Musée du
couleurs de ce livre, comme de tous cer. L'histoire, admirablement illus- Louvre nous montre son évolution
ceux de la collection « Art, Idées, trée, de cette évolution, nous mon· P.P. Kahane, P. Francastel, depuis le XIIIe siècle, de Giotto à
Histoire », ajoutent un grand plai- tre que bien des noms et bien des G.C. Argan, M. Levey, Mondrian. Des illustrations bien
sir des yeux à celui d'une lecture œuvres nous étaient demeurés H.L.C. Jaffé et H. Hetl-Kuntze choisies et un texte d'une remar-
attachante. tnconnus. Vingt müle ans de peinture quable perspicacité.

La Quinzaine littéraire, du 15 au 31 décembre 1969 15


Les Dleilleurs livres d'art de l'année
sages et ces figures à la plume, Windsor McCay
au roseau ou au pinceau, que sa Little Nemo
Les m.aîtres du dessin personnalité et sa sensibüité se
sont révélées de la façon la plus
108 histoires imagées en couleurs
et 151 en noir.
libre et la plus émouvante. Pierre Horay, éd., 264 p. 83 F.
Charles Feld mais défaut ni la maîtrise ni les L'exposition « Bande dessinée et
Picasso. Dessins du 27-3-66 au subtilités de la main. L'ouvrage, figuration narrati·ve », au Musée
15-3-68. que les sujets rassemblés situent Gabriela Kesnerova
et Petr Spiehnann des Arts Décoratifs, nous avait
Préface de René Char sous le si8ne d'une certaine allé· révélé il y a deux ans le nom et
405 reprod. en noir et en coul. gresse impudique, fait suite, par Les Dessins français de Prague
Traduit du tchèque l'œuvre d'un des plus originaux
Cercle d'Art, éd., 256 p. 123 F. sa présentation au Picasso Théâtre précurseurs américains des mo-
de Douglas Cooper, précédemment par Hana Hellerova.
44pl. en noir, 36 pl. en couleurs. dernes comics, Windsor McCay.
Un très beau livre, non seulement publié aux mêmes éditions et que
Cercle d'Art, éd. 192 p. 61 F. L'idée est excellente de publier en
par le choix des dessins à l'encre nous avons présenté l'année der- France aujourd'hui cette série
de ·Chine, au crayon noir, au nière dans notre nO 48. T rès intéressante publication d'images qui, sous le titre de Little
crayon bistre, aux crayons de d'œuvres pour la plupart incon- Nemo in Slumberland, parut dans
couleur, au fusain, à la sanguine, nues ou inédites en France, pro- l'édition d~minicale du New
à la craie, à l'huile, à la gouache, Henry Bonnier
L'Univers de Rembrandt venant principalement de la Ga- York Herald entre 1904 et 1910.
au lavis, où s'exprime la merveil- lerie Nationale de Prague (qui Marqué par l'esprit du modern'
leuse activité graphique du pein- 80 reproductions de dessins.
Henri Scrépel, éd., 120 p., 34,50 F. avait organisé en 1963 une expo- style, le fantastique orinique de
tr~, mais aussi par la technique sition de 345 dessins français des ces charmants dessins amusera
de reproduction de ces œuvres Entre la peinture et l'eau-forte, collections tchécoslovaques). Par- encore les enfants tout en rete-
souvent rapides (dix dessins fu- le dessin au lavis de bistre fut pour mi les 80 reproductions du livre, nant l'attention des curieux du
rent parfois exécutés dans la même le peintre son mode d'expression se signalent particulièrement à pré·surréalisme.
journée) où ne font pourtant ja- préféré. Ce fut aussi dans ces pay- l'attention les dessins de Guys,
Renoir, Braque, Bonnard, Bour-
delle, Pascin, et un admirable por-
trait de femme, aux crayons de
couleur, de Picasso, des environs
de 1900.

5' volume desIntroductions 31' volume de la collection Henri Focillon


à la nuit des temps La nuit des temps Maîtres de l'estampe
103 ill. en noir.

lllllllili GIYIIIE AMG-Flammarion, éd.,


Aujourd'hui où s'affirme un
192 p.,

IYllllll1 1111111 gtand mouvement d'intérêt pour


la gravure, on. lira avec plaisir
cette réédition des textes que F 0-
OUVIIR PIIRRI cillon a consacrés à Dürer, Elshei-
IIICIIDIR DUIOURC-IOUIS mer, Rembrandt, Callot, Tiepolo,
Goya, Daumier, Meryon, Ma-
net, etc. Ce sont des pages de
critique très vivantes. Cette même
petite collection, « Images et
idées », a récemment publié
l'Histoire de la critique d'art de
Lionello Venturi.

Jean.Pierre Seguin
Canards du siècle passé
80 pl. in-folio en noir.
Pierre Horay, éd., 224 p., 58 F.

Si les illustrateurs de ces feuilles


un volume relié de 448 pages photographies inédites de Zodiaque
qui représentent la première
2 planches couleurs, 155 photos un volume relié de 368 pages
dont 28 planches hélio
forme de presse ülustrée ne peu-
et 111 figures dans le texte
60 F. el 4 hors-texte couleurs 40 F
vent être considérés comme des
« maîtres du dessin », ils furent
à coup sûr, en dépit de leur naïveté

2tJ~w.
et de leurs maladresses, des maî-
tres de l'imagerie en noir et blanc
dont la force expressive retrouve
exclusivité weber la saveur des xylographies primi-
tives. (Voir notre nO 76). Modigliani: Béatrice, 1915

16
200 ill. en noir, 11 ill. en coul.

Archéologie, Architecture Edita, Lausanne, 248 p., 103 F.


Une abondante documentation
inédite sur la vie et le travail de
l'architecte catalan : ses projets et
ses rêves de visionnaire, ses réali-
Eglises russes sations délirantes et ses curieuses
77 photos en noir et 4 en cou!.. méthodes de sculpture ornemen-
12 dessins. tale. Par des photos et des dessins
Textes de Dostoïevski. de Gaudi lui.même, nous pouvons
Zodiaque, éd., 200 p., 45 F. suivre l'élaboration et les premiè-
res étapes de la construction de
En s'unissant à l'architecture son chef-d'œuvre inachevé, la
slave préchrétienne, le style by- Sagrada Familia, que Dali appelle
zantin a fait naître en Russie ces avec une admiration, elle aussi
admirables églises en bois ou en délirante, une « gigantesque dent
« dur », à clochers-peignes et à cariée ».
toits en écailles, avec leurs hulbes
multiples ou leurs « botchkas Il
en pomme de pin, dont la cons-
truction offre parfois une extrava· A. Papageorgiu
gante silhouette. De bons docu· Icones de Chypre
ments photographiques nous mon- Nagel, éd., 120 p., 147,20 F.
trent la diversité de leur style à
Pskov, à Novgorod, à Moscou, à L'art chypriote dans ce domaine se
M éliétovo, au Vieil 1zborsk et ~approche beaucoup des Byzan-
dans l'île Ki;i, sur le lac Onéga. tins, mais l'auteur, le meilleur spé·
cialiste de cette époque, insiste avec
bonheur sur les différences et par·
ticularités que la peinture des icô'
Marcel Durliat et Victor Allègre nes a réussi à créer dans cette île
Pyrénées romana lointaine, pendant un demi·millé·
150 photos en noir et 14 en cou!. naire, allant du XIe jusqu'au
Zodiaque, éd., 380 p., 45 F. XVIII siècle.
Avec ce livre (trentième titre de
la collection « la Nuit des temps»)
et avec Guyenne romane, de Pierre Marcel Brion
Dubourg-Noves, dernier paru de Les Médicis
cette belle collection, se poursuit Albin Michel, éd., 216 p., 75 F.
l'exploration de la France romane
qui nous apporte une moisson tou- Florence et Rome, mais surtout
jours nouvelle de documents. L'en· Florence, où s'épanouit l'art de la
semble de ces ouvrages constitue la Renaissance. Un texte précis et in·
plus importante étude archélogique telligent, des illustrations bien choi·
entreprise sur le monde roman. sies, nous donnent une image vi-
En complément à ces publications vante de cette époque.
et pour approfondir la significa-
tion de toute la symbolique conte·
nue dans leur iconographie, un Giuseppe Tucci :
Lexique des symboles, par Olivier Tibet : pays des neiges
Beigbeder, vient d'être publié aux Albin Michel, éd., 240.p., 59,60 F
mêmes éditions dans la collection
« Introduction à la nuit des
temps ». Rappelons, enfin, l'inté· Des images inconnues nous intro-
rêt des deux volumes sur l'Art duisent dans un domaine artistique
scandinave, de Peter Anker et trop souvent négligé, parce que dif-
Aron Andersson (également aux ficilement acr.p..~sible.
éditions Zodiaque) que nous avons La grande séduction architecturale plus récents : Japon, de Tomoya
eu l'occasion d'analyser dans de:. villes espagnoles, portugaises Masuda, illustré de 90 photos de
11DJTe nO 72. et d'Amérique latine, tient, pour y ukio Futagawa et de 48 plans P. Feller et F. Tourret
une bonne part, à leurs églises et cartes. Une des meilleures col- L'outil
baroques. Ce livre, qui contient lections consacrées à l'architecture. Albert de Visscher, éd.
une étude esthétique et technique
Yves Bottineau de ce style, accompagnée de pré- Dans ce dialogue de l'homme
Baroque ibérique cieux documents, fait partie de la avec la matière, nous suivons l'évo-
80 photos hors-texte d'Yvan Butler collection « Architecture univer- R. Descharnes et C. Prévost lution de l'homo faber.. Un sujet
25 plans et cartes. selle » où furent déjà publiés Inde, La Vision artistique et religieuse rarement traité, des illustrations
Office du Livre, éd., Fribourg, Monde grec, Mexique ancien, G0- de Gaudi étonnantes, nous offrent· une ima·
190 p., 45 F. thique, etc. Parmi les titres les Préface de Salvador Dali ge inattendue de nos ancêtres.
~
La Quinzaine littéraire, du 15 au 31 décembre 1969 17
. . Sélection

Monographies Collections
Pierre Courthion mentaire et, aussi par une dispu- L'Univers des Formes Kultermann, retrace l'évolution de
Seurat sition graphique et typographiqw' Gallimard éd. 'l'architecture au cours de ces der-
48 pl. en coul., 64 ill. en noir. qui permet de trouver instantané· Deux volumes ont paru cette an- niers cent ans et c( Terres cuites
Cercle d'Art. éd., 162 p., 103 F. ment le renseignement recherché. née dans la collection dirigée par précolombiennes » par Alexander
constitue Un utile instrument de André Malraux et André Parrot, von Wuthenau, analyse l'art mexi·
Texte intéressant, écrit avec n· connaissance et de travail. Pour La Grèce classique, par Jean
cain.
gueur et s'appuyant sur une sé· les auteurs du célèbre Polyptyque Charbonneaux est le troisième to-
rieuse documentation. Il nous fait de Saint·Bavon dont l'histoire est me consacré à la civilisation grec- Giuseppe Tucci
mieuy connaître la vie assez secrète compliquée et fertile en énigmes. que, alors que Rome, centre du Rati-Lila
et l'œuvre si volontaire de celui qui les documents d'enquête sont par- pouvoir, par Bianchi Bandinelli, Nagel éd., 170 p., 202,80 F.
fut le maître du pointillisme, et qu~ ticulièrement intéressants. Parmi inaugll"~ une série de trois voillme.~
dix années de travail suffirent à les plus récents de la collection: consacrés à l'art romain. Texte sÛr Ce titre apparemment mysté.
rendre célèbre. Comme dans tous Raphaël, par Henri Zerner: et J1résentation somptueuse, com· rieux se traduit très simplement
les ouvrages de cette excellente col· Dürer, par Pierre Vaisse; Botti· me d'habitude. pal' les « Jeux de l'amour », Après
lection des « Grands peintres n, celli, par André Chastel; Velas. avoir étudié l'art érotique de la
chaque planche reproduite est ac- quez, par Yves Bottineau. U art dans le Monde Grèce, de Rome, de la Perse, de
compagnée d'un utile commen· Albin Michel éd. l'Inde, du Japon et du Pérou, cette
taire. Parmi les plus récents titres collectioll IWUS conduit cette fois
de la même collection : Klee, de Frank Elgar Deux volumes en 1969, très dif- au Nepal. Un texte savant, des il·
Will Grohmann; Rembrandt. de Cézanne férents par leur sujet : « L'Arch'j. lustrations qui rappellent celles des
Ludwig M ünz; Goya, de José Gu- 108 ill. en noir, 55 ill. en coul. te(:ture contemporaine» par Uelo temples hinclous.
diol; Modigliani, d'Alfred Werner. Somogy, éd., 268 p. 40 F.

A lire cette étude sérieuse, pene-


Pierre Dufour trante, sur la vie et sUr tous le.'
Picasso 1950·1968 aspects de l'œuvre du peintre, 011
32 pl. en coul., 23 ill. en noir. comprend pourquoi son influence
Skira, éd., 140 p., 39,50 F. fut si grande, si déterminante pour
l'avenir de la peinture. « San.'
Ce livre fait suite au Picasso de Cézanne, disait Fernand Léger, je
Maurice Raynal qui, dans la même me demande parfois ce que serait
collection du « Goût de notre devenue la peinture actuelle». U"
temps », étudiait l'œuvre du pein. bon livre et très utilement dom-
tre depuis ses débuts jusqu'au mi· menté.
lieu du siècle. L'esthétique de
Picasso a, sans doute, subi moins
de transformations dans ces vingt Gaston Diehl
dernières années, mais il est inté· Modigliani
ressant de voir comment s'est 51 pl. en couleurs, 19 ill. en nUll'
accusé son « picassisme » dans les Flammarion, éd., 96 p., 20 F.
thèmes auxquels il est demeuré fi.
dèle et dans ceux auxquels il s'est Texte intelligent 'et bon choix d,·
nouvellement attaché. Le livre documents qui font revivre l'att"
fait, en outre, Une place aux tra· chante personnalité de l'artiste."
vaux importants que furent et que fortement marquée, malgré la briè
sont tou,jours pour lui la sculpture veté de son ~xistence, dans ses nll'
et le dessin. célèbres, ses portraits et ses scrdJl-
tures moins connues, ainsi qu"
dans ses beaux dessins. Dans cett,
Albert Chatelet même collection des « Maîtres cl"
Tout l'œuvre peint des frères la peinture moderne'» : un Pi·
Van Eyck casso, époques bleu et rose. pU'
91 reprod. en couleurs, 108 ill. Denys' Chevalier.
en noir
Catalogu,e des œuvres, chronologie,
bibliographie. Nagel Roy Mc Mullen
Flammarion, éd., 104 p., 22 F. Le monde de Chagall
Gallimard, éd., 268 p., 130 F.
Nous avons déjà signalé à nos lec-
teurs l'intérêt de cette collection Les photographies d'Izis nous intro-
des « Classiques de l'Art » où, duisimt dans l'intimité du peilltn'
chaque livre, par l'importance et et évoquent l'évolution de son "rt
la précision de son appareil docu· pendant un demi-siècle. C~7.anlle: La Je",me <i lu cui"'i",,,

18
EXPOSITION

Klee et le visible
L'exposition Paul Klee qui a présentation : Faisant partie du
lieu au Musée d'Art Moderne même geste d'incision ou de dé-
(1) est sans doute, comme le chirure, mais déployé tout au
soulignent les organisateurs, long d'une vie créatrice par - in-
à la fois l'occasion de dissi- volution -, est un deuxième mou-
per un malentendu entre Klee vement, à la fois effet et condi-
et la France, mais aussi celle tion du premier: cette mise en
d'une découverte de ce qu'un question de la représentation
discours de la peinture peut s'accomplit et se présente au
être; ce que, probablement, regard, comme son analyse,
n'a jamais cessé d'être, de- comme l'apparition de ses élé-
puis les origines, ce discours. ments archaïques, primitifs.
Mais cette analyse ne s'effectue
La clarté de la présentation que dans et par la peinture :
des quelques deux cents ta- elle ne se - dit - que dans le
bleaux et dessins, sa logique • geste - pictural fondamental.
chronologique, formelle et thé- Au moment où l'esthétique s'in-
matique est bien faite pour favo- terroge sur les possibilités d'ap-
riser cette découverte, d'autant plication du modèle linguistique
que l'accrochage dessine des ré- à la substance visuelle, Klee,
currences, provoque des rappels par sa peinture, en écrit la sé-
dans la - production - de l'ar- miologie. Le système pictural
tiste, comme dans la - récep- dans son œuvre s'y transpose
tion - du contemplateur, pour et s'y traduit en peinture. Dès
employer le vocabulaire de Klee. lors, l'analyse ne dissout pas
Mis en évidence avec un tact l'objet, mais le montre dans son
et une discrétion dont on ne articulation élémentaire, pour la
saurait trop louer M. Leymarie, raison profonde que l'élément
Mme Françoise Cachin-Nora, et pictural de Klee n'est jamais iso-
Mme Isabelle Fontaine, (ce sont lé, substantiel. mais toujours
ces qualités qui font- du Musée saisi dans sa relation avec d'au-
une vraie pédagogie), le chemi- Klee: La légende du Nil tres éléments : peinture struc-
nement de Klee apparaît dans la peinture. D'où le contre-sens le nom de la représentation dans turale - si l'on veut, ou modèle
son unité, mais à la façon de sur la phrase fameuse, « l'art ne ce lieu second, encadré par les d'une analyse structurale de la
cette «ligne active prenant li· reproduit pas le visible, il rend limites de ce qu'on appelle - un peinture - à la condition de
brement ses ébats; promenade visible .. : contre-sens qui attri- tableau - et que notre percep- comprendre que, pour Klee, la
pour la promenade, sans but par· bue à l'invisible envers des cho- tion habituée· depuis plusieurs structure n'est que la trace
ticulier D, qu'il pose comme ses, le visible pictural. Depuis siècles ne reconnaît plus dans d'une force, le sillage laissé par
J'élément dynamique primitif le premier trait tracé sur une son étrangeté : redondance de une énergie, le jeu d'une acti-
dans ses Esquisses: gratuité de paroi, la première tache colorée la représentation picturale sur vité élémentaire. - Ce serait une
la démarche, variété du chemin posée sur un mur, peut-être la elle-même, par laquelle elle se erreur de penser que l'œuvre
qui admet détours, - formes peinture a-t-elle toujours com- nomme pour ce qu'elle est, non veut une structure d'éléments
d'accompagnement -, points de mencé à se dégager de cette une illusion, mais un simulacre .. seuls. Les éléments doivent pro-
rebroussement, ces formes du appartenance. C'est la représen- La plupart des tableaux de Klee duire des formes ... D la ligne
libre jeu de la - fantaisie - ne tation elle-même que Klee dé- sont ainsi faits d'une première n'est que le sillage du point; le
sont que le phénomène visible nonce comme le lieu unique et surface plastique collée sur une point, grain d'énergie qui est et
d'un nécessaire, d'un inélucta- privilégié de toute figure pictu- deuxième qui comporte le plus ne peut être que ligne; les sur-
ble retour à l' - origine - de la . raie. Comment? De plusieurs souve·nt traits, bandes de cou- faces, des effets de l'énergie
peinture - en son discours. façons : par la fonction signi- leur, texte de la main de Klee, linéaire dont la flèche noire
C'est ici ce qu'il faut dire en fiante donnée à ce que l'on etc ... (Voir, à ce sujet, les préci- - vers là-bas - est le symbole :
trois propositions nées directe- appelle le -support- et qui, chez sions du catalogue). Enfin - - déploiement croissant d'éner-
ment de la visite de cette pré- Klee, est le tableau même: le mais Klee le magicien connaît gie à partir du blanc donné com-
cieuse exposition. tissu de jute accroche la pein- bien d'autres moyens de méta- me présent ou état vers le noir
Klee ou la mise en question ture de la brosse en fines hachu- morphoser les tableaux en simu- émergeant, comme futur, com-
de la représentation: qu'on ne res qui sont celles de la trame lacres - par des coupures, des me action -. (La flèche noire
s'y trompe pas, cette mise en ou de la chaîne, mais qui sont césures qui traversent l'espace dans un jardin, 1929). Tout le
question - parce qu'elle est aussi ombres et volumes. Tout de la représentation, il disjoint système des couleurs tel qu'il
radicale - s'effectue toujours le procès de production est à ce qui était illusoirement conti- apparaît dans l'enseignement
dans les marges du tableau ou découvert dans les traces lais- nu, l'articule arbitrairement en donné au Bauhaus n'est-il pas
du dessin, par un biais. Ce n'est sées par le geste pictural, le ta- l'intégrant dans la surface se- une composition d'énergies tra·
point le représenté du tableau bleau est texte puisqu'il est si- conde qui n'est plus tout à fait versant l'univers et l'homme, et
que Klee délie de son apparte- gnifiant dès le materiau même. celle du tableau, mais point en- dont le tableau est le diagram-
nance immédiate à la visibilité (Ainsi Colonie de cabanes, 1932 core notre espace : césure qui me d'inscription. (Ainsi l'impres-
- au champ réel des apparen- ou Chant d'amour par nouvelle est marque d'une inscription sionnant clair-obscur en rouge
ces. Il n'aurait pu le faire qu'au lune, 1939, etc...). Ou bien Klee plus définitive dont le tableau du Labyrinthe détruit, 1939) ?
nom d'une essence cachée des inscrira la représentation dans est frappé et par laquelle il est C'est pourquoi l'analyse qu'est
choses, d'un arrière-monde, dans un autre espace, lui-même mar- porté (ainsi l'extraordinaire Re- le tableau n'est point morcel-
la description duquel s'engage, qué par deux lignes horizontales gard d'Ahriman, 1920). lante, mortifiante, alors que ce-
pour s'y perdre, le discours sur et par sa fine écriture donnant L'analyse· picturale de la re- pendant s'effectue le retour aux
~
La Quinzaine littéraire, du 15 au 31 décembre 1969 19
~ Klee et le visible

éléments : parce que les élé- . la peinture en écriture, la lente de ce qui est fané 1918, Villa R sa trace, d'une création du mon·
ments sur la surface du tableau invasion des tableaux par les let- 1919, Composition avec la lettre de qui n'est pas chatoiement
frayent des chemins les uns vers tres qui s'y métamorphosent en B. L'ordre du contre ut 1921, d'apparences et de choses, mais
Jes autres, chemins que l'œil du traits et en taches de couleurs, Regard de sorcière 1923 (où le écriture déjà écrite d'un texte
contemplateur retrouve en les en attendant que les tableaux titre est inscrit dans un œil en dont le parcours sans fin consti-
traçant à nouveau : représenta- eux-mêmes redeviennent dans haut et à gauche), Mural 1924, tue la figure, le simulacre en
tion. cc Action humaine (Genèse) leur apparence même des tex- Villas florentines 1926, Détache- surface du tableau.
l'œuvre, qu'il s'agisse de produc· tes, ensembles profonds et di- ment de l'âme 1934, ou Rayon- Le signe de cette découverte,
tion ou de réception, est mouve- versifiés de signes énigmati- nement et Rotation, le livre c'est - et il faut méditer ce
ment (durée) ». Mais il faut
bien comprendre que ce mouve-
/._- ....." titre - le grand échec de 1937
qui est comme la théorie en
ment n'est pas création pure :
le créateur ne coïncide pas avec
l'explosion énergétique de ('élé-
/ peinture de cette remontée à la
source : damier frangé sur les
bords et qui y perd la régularité
mentaire. Le créateur n'est créa-
teur qu'après coup. Si l'œuvre
(J de son système; où trois piè-
ces renversées attendent d'être
est mouvement, cc ceci tient à la jouées. Grand échec, l'ambiguïté
limitation manuelle du créeteur du nom que Klee donne à ce ta·
(il n'a que deux mains) : ceci bleau indique peut-être que la
tient à la limitation de l'œil... langue de la création - le jeu
L'œil doit brouter la surface, d'échecs et ses règles - ne
l'absorber partie par partie et s'invente pas et que le jeu qui
remettre celles-ci au cerveau... s'y joue est un grand échec. En-
L'œil suit les chemins qui lui tendons que le peintre en
ont été ménagés dans l'œuvre », • jouant - le créateur dans le
Genèse, création, l'œuvre, dans double sens du mot jeu, mime,
l'ordre producteur ou dans l'or- dans sa représentation, un jeu
dre récepteur, n'est que l'enche- primordial dont il n'écrit sur le
vêtrement des chemins déjà tra- tableau que les traces qui ne
cés, qu'il faut toujours à nou- sont jamais le vrai jeu: le Grand
veau frayer interminablement. échec auquel font écho Clé brio
(Par exemple, le fou en transe sée 1938 et le Labyrinthe détruit
de 1929, Mural 1924 ou Démon 1939. Echec du parcours complet
au-dessus des bateaux 1916). des chemins de la création parce
C'est pourquoi avec une égale que . le • producteur - et le
lucidité, Klee le créateur se si- • récepteur - n'opèrent jamais
tue-t-i1 toujours après ou avant qu'avec des morceaux de clé,
la création, mais jamais dans le parce que cette écriture a partie
point inassignable de l'origine liée avec la mort. (cc Cette étoile
où pourtant il se trouve, mais enseignée à s'incliner» (1940).)
insaisissable : cc En ce monde. L'ultime tableau inachevé en
nul ne peut me saisir car je porte l'image : la surface blan-
réside aussi bien chez les morts che, funèbre et passive, incisée
que chez ceux qui ne sont pas par une dizaine de • signes -
nés. Un peu plus près du cœur noirs qui, dans la trace de leur
de la création qu'il n'est d'usa- énergie, articulent une platitude,
ge. Et pourtant encore bien trop en la séparant d'avec elle-même;
loin ». en la traversant des marques
d'un énigmatique savoir; des
La peinture-écriture. Cette gestes, un jeu. Et il serait sans
troisième proposition pourrait doute essentiel de noter que les
résulter des deux premières : étapes de cette redécouverte de
avec Klee, on découvre par la la peinture c'omme écriture -
mise en question de la repré- mais dans la représentation -
sentation, que le retour à l'élé- furent deux sorties hors de
mentaire est le retour de la pein- l'. Occident -, la Tunisie en
ture à l'écriture. Sans doute par- 1914, l'Egypte en 1929.
lera-t-on, en ce point, de Klee
Dans Platon, l'homme qui, en
le dessinateur, le poète, le mu- Klee: Groupe de cinq maniant les couleurs et le trait.
sicien, l'illustrateur de génie, de
joue avec l'illusion et crée des
Klee réalisant de subtiles et déli- ques, portant, dans le jeu gra- d'images 1937 et le fantasmati- simulacres, s'appelle le • zoo-
cates alchimies du mot, de la tuit de leurs rapports rigoureux que et scriptural Un visage et graphos -, celui qui écrit le Vi·
lettre, du trait et de la couleur. et fantaisistes, une polyvalence aussi celui d'un corps 1939). Ce
Mais ces remarques resteraient infinie de sens; dont le jeu ou-
vant : jamais ce nom générique
sont alors les dernières œuvres n'aurait mieux convenu à Klee
de surface et ne définiraient que vert est le sens. (On pourrait qui font apparaître ce qu'est la le peintre. l'écrivain.
des procédés, si elles ne se fon- ainsi proposer le parcours sui- peinture en toute simplicité :
daient sur ce qui est à la fois le vant dans l'exposition: X vert à Louis Marin
signes écrits sur une surface,
plus essentiel et le plus appa- gauche et en haut 1915, Minia- c'est-à-dire traces d'un passage (1) du 25· novembre 1969 au 16
rent : la progressive mutation de ture à la .Iettre E 1916, Miniature qui ne peut êtrè saisi que dans février 1970.

20
BI8TOIRB

Un monde perdu
Il Y a sans doute moins de cycliques. Effets d'une population disponible dans l'économie du acceptée comme (impératif mo-
différences entre une commu- égale à quatre fois moins celle groupe, et enfin à cause de l'âge ral de tout chrétien protestant,
nauté médiévale, ou qui sait? de la France. Toute l'Angleterre tardif de la maturité sexuelle. processus sans nul doute terminé
néolithique, et un village du était alors moins peuplée que D'où cette constatation, qui fait r
à époque victorienne ». L'histoire
XVII" siècle, qu'entre ce vil- Londres ou Paris d'aujourd'hui. intervenir des nécessités sociales vraie fourmille ainsi de cocasse-
lage et celuj qu'il est devenu plutôt que des interdits religieux : ries pleines de sens !
de nos jours. Extraordinaire Le monde des litterati était ce- « La chasteté s'imposait pendant
constance, quasi millénaire : lui de notre pensée, de notre art, une plus grande partie de la vie Elle ne sert plus seulement au
elle nous a échappé tant que de notre science : nous le connais- des individus que de nos jours, divertissement de l'honnête hom-
nous avons écouté les seuls sons en long, en large et en tra-
auteurs des documents d'his- vers : « Le monde que nous avons
toire, les Iitterati, qui savaient perdu ~ était celui de nos ancêtres
lire et écrire comme ils par- et nous venons juste de le décou-
Iaient, c'est-à-dire comme vrir en France, il y a une tren-
nous. Aussi, comme nous taine d'années. Peter Laslett l'ex-
changeaient-ils, sollicités par plore en Angleterre, avec la cu-
le mouvement perpétuel de riosité d'un ethnologue et l'esprit
la culture. Mais combien critique d'un historien positif à
étaient-ils au XVII" siècle ? qui on n'en conte point.

Le monde que nous avons perdu


Peter Laslett ne différait pas de celui des pri-
Le monde que nous avons perdu vilégiés seulement pas l'absence

1
coll. Nouvelle hiblio- d'éducation scolaire, par les con-
scientifique duites requises, mais il avait une
Flammarion éd., 296 p. autre biologie : l'âge de la pu-
berté y était plus tardif, l'activité
sexuelle plus courte. « Les privi-
,Vers 1680, dans une paroisse légiés (mieux nourris) ont dû être
normande étudiée par Henry et plus grands, plus lourds, plus dé-
Gautier, un époux sur cinq signait, veloppés et plus précoces dans
le registre. Au comté de Surry en leur formation physiologique que
1642, les deux tiers des hommes les autres et muer plus tôt :1>. En
de plus de dix-huit ans étaient Angleterre Chérubin aurait eu
incapables de signer sinon par poil au menton et voix de basse
une marque : « il en était ainsi s'il était gentilhomme ; l'ambi-
- cela laisse rêveur, avoue P. guïté des travestis baroques serait
Laslett - des pères de Shakes- alors un caractère populaire ? On
peare et de Newton ». Même dans sait qu'à l'époque contemporaine, d'une part parce que nombre d'en- me ou à la curiosité gratuite du
les familles de privilégiés, les l'âge de la maturité sexuelle des tre eux étaient trop jeunes pour savant. Elle est la référence né-
hommes souvent lisaient en chan- filles a passé en Suède de quinze se marier... d'autre part parce que cessaire à l'homme d'aujourd'hui
tonnant et en trébuchant, comme ans sept mois en 1905 à quatorze le mariage, s'il leur était jamais pour prendre conscience de son
les e~fants qui apprennent. ans un mois en 1949, et aux Etats- possible (il y avait beaucoup de présent qu'il ne distingue pas
Unis de quatorze ans un mois en célibataires prolongés, en parti- dans la coulée du vécu. Il doit sor-
Ce petit nombre de litterati 1904 à douze ans neuf mois en culier dans le groupe très nom- tir de son temps pour le situer
constituait toute la société poli- 1951. Si on en croit Shakespeare, breux des serviteurs), durait vrai- dans le champ d'une perception
tique et intellectuelle, et plus gé- mais il ne faut pas le prendre à semblablement moins longtemps :1>. objective. Réciproquement d'ail-
néralement, il maintenait et déve- la lettre, les filles de la noblesse leurs, nous ne connaissons pas le
loppait une civilisation déjà anglaise au temps des Tudor On pouvait, certes, avoir des passé total, comme il a été vécu,
ancienne, la civilisation de l'écri- étaient pubères au même âge que relations en dehors du mariage ! mais nous distinguons ce qui dan8
ture, la nôtre. Mais cette civili- celles de nos sociétés industrielles Et le fait est qu'on s'en privait ce passé diffère de notre présent.
sation, familière à l'Histoire, était avancées. moins dans l'Angleterre puritaine P. Laslett a voulu conserver le8
emboîtée dans un autre monde, que dans la France janséniste, deux mouvements: d'abord faire
où les transmissions demeuraient Dans le monde que nous avons quadrillée de missions. Des cou- l'histoire à l'envers, en remontant
toujours orales : le Monde que perdu, on se mariait au contraire tumes médiévales ont persisté jus- du présent vécu et non connu ;
nous avons perdu, titre du livre beaucoup plus tard que Roméo qu'au XVIIIe siècle en certaines ensuite redescendre du passé de-
de P. Laslett, son historien anglais. et Juliette: les femmes vers vingt- ~égions d'Angleterre. qui tolé- venu sensible au présent restruc-
quatre ans, les hommes vers vingt- raient des relations sexuelles turé. Ainsi l'un de8 derniers cha-
Ce titre n'implique aucune huit' : voici des chiffres qui sur- entre les accordailles et le ma- pitres e8t-il consacré à la société
nostalgie - au moins consciente. prendront et qui sont cependant riage : reste d'un temps où, le anglaise au début du xx" siècle, et
P. Laslett sait trop bien comment certains et qui caractérisent mariage s'étendait le long d'une l'étude de la misère du XVIII" siè-
on tombait vite au-dessous du mi- mieux que de longues analyses la durée que le concile de Trente a cle a amené son auteur à poser
nimum de subsistance, combien vie de nos ancêtres. Le retard du réduit à l'instant de la cérémonie. à sa façon le fameux problème
tôt on mourrait. Mais peut-être mariage s'explique parce qu'il Avouons avec P. Laslett qu'il de l'affluent worker et de la classe
l'Anglëterre a-t-elle étê au XVII" était le principal (et je crois, le « faudrait une étude intéressante moyenne. Une société découvre
8iècle moin8 mi8érable que la seul volontaire) moyen de liID.1ter et minutieùse pour déterminer son image dans le « miroir du
France, les « mortalité8 ~ y fu- les naissances, parce qu'il fallait comment la règle établie par temps ~.
rent moins caractérisées, moins attendre pour sé marier une place rE/llise catholique arriva à être Philippe Ariès

La Quinzaine littéraire, du 15 au 31 décembre 1969" 21


PHILOSOPHIE

Le devenir des
1
Maurice Merleau-Pontv à quel point les six essais conte· une dynamique du « sujet par· l'explosion de la vIsIon classique
La Prose du Monde nus dans « la Prose du Monde ». lant )) que Merleau-Ponty essaie dans la pelDture moderne que
Gallimard. éd.• 211 p. ouvrage inachevé de Maurice Mer· de constituer, dynamique que l'on Malraux expliquait par un retonr
leau-Ponty, anticipent sur l'am· sent se poursuivre avec une remar- au sujet, Merleau-Ponty y voit
pleur considérable qu'a pu prendre quable cohérence théorique dans l'inauguration d'un monde sans
Que le langage soit comme une le problème du langage et celui de les autres textes de la Prose du « a priori II auquel nous convoque
doublure de l'Etre, et que l'homme la communication dans les dix Monde. Ce qui domine ici l'en· la vision du tableau. La peinture
rêve d'un âge d'or où se trouve· dernières années. semble de la réflexion c'est le moderne n'est pas un désordre,
rait réalisée l'adéquation parfaite Dans un temps où tout semble point de vue de la perception du elle est une « logique allusive du
du signe et du sens, voilà qui conspirer à expulser le « sujet )) sujet et celui des relations que ce- monde dans laquelle la vérité ne
rejoint étrangement le souci ma· du texte et à faire de ce dernier lui-ci entretient en tant que corps serait plus de l'ordre de la confor.
jeur qui semble préoccuper le mon- un être en soi qu'on peut sou- avec le monde. Pour Merleau· mité avec les objets ou les modèles
de intellectuel d'aujourd'hui - mettre à une analyse objective - Ponty, il ne saurait y avoir de extérieurs ll. (L'auteur rejoint ici
souci qui va des recherches linguis. et ceci à un tel point que la méta- point de vue de Sirius concernant la distinction que fait Barthes
tiques de Jakobson et de Chomsky physique du signe qu'inaugure la la nature du langage et la recher· entre l'écriture classique et mo-
aux interprétations de l'incons- grammaire générative de Chomsky che d'une « grammaire pUre)l est derne dans le Degré Zéro de
cient comme langage par Lacan, fait figure de « régression subjec. une entreprise vouée à l'échec. Il l'Ecriture).
aux travaux sur l'économie et le tive » - la réflexion de Merleau- faut renoncer à l'algorithme et
procès du texte basés sur les For- Ponty, toute centrée sur le sujet « penser la conscience dans les.
malistes russes et les doctrines Le st~le
vivant et percevant, sur l'expé- hasards du langage ll. Ce dernier
Marxistes, en passant par les théo- rience paradoxale, existentielle et est la pulsation des rapports avec La signification de l'œuvre qui
ries de Mac Luhan sur le « méta- mystérieuse qu'est la communicn- autrui et à ce titre. son ambiWlité permet de reconstituer le schéma
langage » Joycien. C'est assez dire tion, pourra paraître dépassée. demeure entière, car il y a deux intérieur de l'artiste réside dans
Avant d'aborder le contenu dc sortes de langages : celui qui est que ce P. Francastel appelle le
ces essais, il faut dire quelques parlé et qui se fait après-coup dans style. Celui-ci ne pré.existe pas à
mots de l'aventure des œuvres ma· le dialogue disparaissant devant le l'œuvre, il n'est pas non plus une

ESPRIT
nuscrites ou déjà publiées qui les sens dont il est porteur, et le lan- « représentation », il « reprend et
constituent, et dont Claude Lefort ~age parlant qui se fait dans le
dépasse la mise en forme des élé·
tente de retracer l'histoire com- moment de l'expression et permet ments du monde Qui est commen·
plexe dans sa préface. au Il parleur II de glisser des signes
cée dans la perception ll. La signi.
aux sens.
fication se présente comme une
Deux ouvrages Quand il dit à propos de l'œu-
« fécondité indéfinie » (la Stil-
vre littéraire que le lecteur ·apporte
Il semble que dès 1952. Mer- tung husserlienne) qui accompa-
le langage parlé et l'auteur le lan-
L~ guerre du leau-Ponty ait envisagé d'écrire
deux ouvrages dont le propos com-
gage parlant, parce que le premier
~ne la manifestation des signes.

s'approprie les significations du t'indissoluble liaison du sens


Biafra mun était de « fonder· sur la
découverte du corps... une théorie
livre, il fonde le langage (tout avec le monde du lana:aa:e de la
comme Sartre auquel il se réfère) perception, Merleau-Ponty la sou·
• concrète de l'esprit ». Le premier
de nature théorique devait être
comme intentionalité signifiante :
c'est-à-dire que le sens du texte
lignera encore, quelques mois
avaut sa mort, en disant à propos
La crise des articulé sur une conception nou-
réside en dehors de ce qui est écrit. de l'inconscient « qu'à ses yeux,
velle de l'expression, et s'intituler l'ouverture à l'être n'est pas lin-
Comprendre le langage équivaut
Maisons « Origine de la Vérité »; en on
alors à discriminer entre les signes guistique, et que c'est dans la
retrouve des éléments importants perception qu'il voit le lieu natal
pour explorer Il l'allure et les
de Jeunes dans l'essai intitulé la Science et contours d'un univers de sens » de la parole )l (1).
l'expérience de l'expression et sur- Le sens véritable de l'œuvre
qui pré-existe à toute parole et qui
• tout dans le Visible et l'Invisible. Le
second, de nature plus littéraire est
s'ordonne dan s l'universalité hante celle-ci, telle « la brume de
concrète et existentielle du lan· chaleur )l dont parlait Sartre, à
Dépasser resté à l'état de fragment sous le
gage. travers l'holocauste des objets ou
titre de Prose du Monde. L'essai des mots qu'opèrent les créateurs.
la société de sur « le langage indirect », publié
L'être dans le langalfe Ce « style » qui est à la fois
dans les Temps Modernes en juin sur-signification, structure et ou·
consommation 1952 sous une forme plus accom-
En accord avec Husserl pour qui verture du sens vers d'autres sens,
plie, sera plus tard intégré au vo. réalise l'ambïa:uité fondamentale et
• lume de Signes en 1959. De toute
évidence la pensée du philosophe
lIon croit toujours trouver l'être
dans le langage car c'est préci.~é. le décentrement subtil qui s'atta.
L'éducation a subi un changement d'orienta.
ment l'être que vise le langage ll, che à la parole et à la représen.
Merleau-Ponty pense que la visée tation picturale. La signification
tion profond entre 1952 et 1959 :
de la petite d'où l'abandon de projets litté.
propre au langage est de trouver est une « latence » de l'œuvre,
une « matrice d'idées » non for.
et de constituer l'être par un
raires (i.e.· des études sur Sten-
enfance dhal, Valéry, Breton, Artaud) au
I( faire ». mulées mais présente entre les
mots.
Pour le peintre comme pour
profit d'une remise en question
• des philosophies de la conscience
l'écrivain, il y a migration d'un
sens épars dans l'expérience sur
Pourtant, une distinction de-
meure entre la peinture et la crea·
Décembre 1969, 7 F et des fondements ontologiques du la toile ou sur la page; chacun tion littéraire : l'écrivain écrit SUI
corps qui prendront leur place d'eux transpose à sa manière la l'horizon d'un acquis linguistique

E\lpRIT
dans l'œuvre avant la mort de mouvance du réel pour la faire· (voir la distinction barthienne de
19, rue Jacob, Paris 6e l'lIUteur. entrer dans un univers dominé, la Langue et de la Forme) alon
l' C.C.P. Paris 1154-51 Dans le premier essai, « le lan- péremptoire, dans lequel le champ que le peintre, s'il fait, lui aussi,
tôme d'un langage pur », c'est perceptif se recompose. Quant· à sortir la culture de son « cercle

22

sIgnes
tacite et mortel », va plus loin en
mettant en suspens toute la pein-
ture qui l'a précédé. Et si l'on re-
connaît dans l'écrivain les trans-
formations qu'il a fait suhir à la
langue, l'expérience du peintre
cesse d'être identifiable en passant
dans ses successeurs. Dans ce sens
la peinture est « muette » et ren-
voie à un esprit situé hors d'elle-
même. Le langage littéraire au
contraire, manifeste un passé qui
a été compris et « récupère les
choses » pour le langage en tant
que tel.
Dans le paradoxe qu'est l'ex-
pression, ce que l'artiste a à dire
« c'est en réalité l'excès de ce qu'il
vit sur ce qui a déjà été dit ». En
face de ce problème, la philosophie
doit se contenter « de montrer du
doigt comment par la déformation
cohérente, l'homme en vient à par-
ler une langue anonyme, et par la
déformation cohérente de cette
langue, à exprimer ce qui n'exis-
tait que pour lui » (2).

Le langage mathématique

C'est vers la notion de vérité du


langage que se tourne maintenant
la réflexion du philosophe. Pour-
quoi, dit-il, ne pas interroger le
langage le plus défini qui soit,
celui des mathématiques, pour ten-
ter de retrouver ce sens supplé- Maurice Merleau-Ponty
mentaire, ce surcroît de significa-
tion qui hante le langage en géné- dans son discours. le lanŒaŒe ma- ment dans les horizons de sens qui d'une autre forme de « corporéité
ral et que nous appelons vérité? thématique n'épuise ses significa- dominent le dialogue avec autrui. anonyme et participable, celle de
Celle-ci n'est-elle pas apparemment tions dans les synthèses nouvelles Ce qui est visé dans ce rapport la parole ". A la fois communauté
tout entière contenue dans les rela- que peut susciter l'interrogation de avec l'Autre, c'est un au-delà du d'être et de « faire l', la langue
tions immuables posées par les ses structures; il demeure ouvert langage. Tels deux cercles presque permet à l'individualité du sentir
nombres entiers, par exemple? Et sur un horizon de relations à cons- concentriques mai s présentant « de se sublimer jusqu'à la com-
si l'intelligence pratique fait que truire : cette opération vivante, entre eux « un léger et mysté- munication l,.
les structurations perceptives ré- ce « bougé » dans la restructura- rieux décalage », les sujets par- Au-delà des analogies perçues
pondent à un désir de signifier, ne tion des contenus de la connais- lants s'atteignent, se reconnaissent dans le dialogue, des différences
peut-on penser que la construction sance, .reparaît dans toutes les for- et s'éprouvent dans leur relation surgissent qui constituent les sens
des connaissances visant une vé- mes de langage telle « l'ombre por- primordiale et charnelle avec le nouveaux des structures ouverte!!
rité d'ordre mathématique est tée de la perception du monde ", monde. sur lesquelles il se fonde. Les su-
exempte de ce gauchissement par· et les structures se dépassent sans Prendre conscience d'autrui, jets accèdent aux nouvelles signi-
ticulier? Le langage mathéma- cesse vers leurs transformations c'est manifester la généralité de fications par le côté de leur expé-
tique serait alors un « système dans le domaine des chiffres com- mon corps à travers lui dans l'uni- rience qui en fait déjà partie. Il
d'équivalences rigoureuses qui me dans celui des mots ". Pour versalité du sentir... « le perçois doit donc y avoir des « points
ignorent le temps et qui réalise Merleau-Ponty, l'algorithme n'est des comportements immergés dans d'amorçage II pour toutes les idées
l'immanence irrécusable du nou- qu'un cas possible de la parole le même monde que moi, parce que et il doit exister des configurations
veau dans l'ancien ». Mais com- dans lequel la vérité se retrouve le monde que je perçois traîne en- liées à elles, qui constituent un
ment les découvertes sont-elles comme anticipation et par glisse- core avec lui ma corporéité ". La monde presque invisible « le
possibles dans de telles conditions? ment de sens. Cette parole, « elle parole de l'autre vient s'insérer « à monde culturel l', lieu de conver-
Merleau-Ponty en déduit que l'être est le véhicule de notre mouvement la jointure du monde et de moi- gence secrète de tous les vecteurs
mathématique et ses propriétés l'ers la vérité, comme le corps est même l'; elle prolonge et trans- si~nifiants et masqués situés dans
-sont également soumis à « une le véhicule de notre être dans le forme le rapport muet de ma per- le discours.
structure du devenir de la con- monde ». ception initiale et atteint mes
Deux notions importantes émer-
naissance » et à un dynamisme Cette ouverture des structures significations comme j'atteins les
gent de la richesse de ces essais
secret qui fait que cette dernière vers des significations ultérieures, siennes... La langue implique un
dans lesquels la densité de la pen-
marche vers la totalité d'un sens. ce devenir du sens pré-tracé dans rapport primordial des sujets à la sée rivalise avec la pureté rle la
Ainsi, pas plus que le langage les énoncés du monde et de la cul- parole, et le fait que cette langue
écrit ou parlé n'épuise ses sens ture, l'auteur le retrouve égale- soit commune dénonce l'existence ~
La Quinzaine littéraire, du 15 au 31 décembre 1969 23
Merleau-PoDt)'
BEVUE

L'Arc n° 39 ••
Butor

prose : c'est d'abord celle de la Comme Raymond Roussel (qu'il ne librement l'expression de J. Lacan) n'a richesse à des extraits de Jules Verne,
vérité comme équilibre en moûve- cesse de relire), Butor aime et connaît été mieux mis en lumière. de Fourier (sur la ponctuation), de
les machines. Elles le fascinent. Il a Humboldt, de Regnard, ou du Chinois
ment dans le dillcours : le sens conçu le numéro de l'Arc qui lui était Les textes sont plus ou moins courts. Se Ma Ts'ien.
nouveau y émerge par décentra- confié comme une machine infiniment Très nombreux. Certains constituent
tion et recentration; l'idée nou- complexe. Tout y fonctionne avec pré. des listes de suggestions. Germes de Ce surgissement de l'imaginaire s'ac·
cision. Lorsque, dans le numéro, Roger textes. Graines de discours. c Le som· compagne d'une mise en lumière de
velle organise son propre réseau maire de ce numéro recense une cino J'importance de l'image, trop souvent
Kempf décrit l'Orrington Botel, il pré.
de paroles pour la signifier. Cet cise que c rien n'y est laissé au hasard, quantaine de rubriques dont chacune négligée par les philosophies du lan.
équilibre indique que la vérité est pas même le pire): métaphore d'un pourrait faire fobjet d'une revue pa- gage. Auteur d'un livre appelé lllw-
toujours en sursis dans les struc- numéro où rien n'est laissé au hasard. raissant tous les six mois pendant vingt trations, travaillant avec les peintres,
pas même les lieux où le hasard, les cinq ans.) L'entreprise rappelle celle Butor remet l'image à l'honneur, com.
tures du langage. Mais plus impor- de Queneau mettant dans un seul livre me le fait J.F. Lyotard dans la théorie
jeux combinatoires, les rêveries inter·
tant encore est le fait que pour viennent dans le texte.
Merleau-Ponty le langage est com-
?osé de signifiants quasi corporels, Un scrupuleux souci de perfection
il est assimilé à un geste comme stylistique et typographique vient se
il le dira lui-même (voir Signes), subordonner à une volonté de modi·
fication. Cette volonté porte, de ma·
et comme geste, il est indissocia- nière immédiate, sur l'organisation du
blement lié à notre perception du numéro. Plutôt que de réunir une
monde par le corps. série de textes critiques consacrés à
Kn face des préoccupation~ con- Butor, on a préféré donner carte blan·
che à l'écrivain. Carte blanche comme
temporaines, dominées par des celles que les géographies anciennes
« points aveugles » comme l'im- donnaient des régions encore inexplo-
pensé, l'agonie du « sujet » dans rées. Aidé de ses collaborateurs (en
son propre discours, et les marées particulier H. Ronse et R. Borderie).
Butor y a inscrit cinq grandes régions,
imprévisibles de l'inconscient, la cinq continents: Arts et Métiers;
pensée de Merleau-Ponty réveille Sites; Musées; Spectacles; Livres.
la nostalgie de la cohérence exis- Ainsi se constitue une sorte d'environ·
tentielle de l'homme dans le nement de Butor. Des objets, des espa·
ces qui attendaient d'être repris par
monde - encore qu'il ait inclus lui, sont décrits et le définissent: c Ce
dans sa réflexion un pari pour numéro est r occasion pour moi de
l'envers de la perception et pour demander aux gens de traiter à ma
l'invisible dans ses derniers écrits place un certain nombre de sujets que
Je n'avais pas eu l'occasion JUSqU'alOT.•
(voir le Visible et l'Invisible). A la d'aborder. Leur rôle n'est pas d'en
lecture de ces essais, l'algorithme parler comme 1en aurais parlé moi·
qu'il a lui-même proPosé pour même; le recours à leur participation
1'homme conscience + corps n'est en rien un piso(lller. Au contraire
fintroduction de leur voix dans le mor·
= monde se pare soudain d'une ceau doit finalement apparaîlre comme
séduction que d'aucuns reconnaî- la meilleure façon que lavais de le
tront pour leur. On y trouvera en jouer.>
effet une unité profonde qui tient
Ce procédé de composition a de cu·
à un enracinement des sujets en rieuses et importantes conséquences.
tant que tels dans le monde; Tout d'abord, il vient mettre en ques-
l'accent de la réflexion porte tou· tion la ligne de partage, trop souvent
jours sur un au-delà, sur un. deve- encore acceptée, entre critique et écri·
ture c créatrice). Le texte critique
nir du sens ou de l'homme qui cesse d'être un discours sur un dis-
prend l'apparence d'une ouver- cours; il n'est pas non plus une ma-
ture indéfinie mais positive. Cet nière de parler d'un auteur privilégié.
avenir qui transparaît dans le dis- Il vient continuer un discours préala.
ble, lui apporter des variations; il
cours ou dans la création artis- s'applique à des objets possibles de ce
tique, il est à découvrir et à cons- texte premier. Certains articles sont
truire (dans le sens anglais du des pastiches de Butor, et l'on sait Michel Butor
terme), dans un monde qui le dé- depuis ceux de Proust (pastichant
Sainte·Beuve ou Flaubert) combien le
ploie en une ouverture indéfinie pastiche est compréhension et. explica.
vers d'autres significations. mince la possibilité de multiples poè- philosophique. Chaque section du nu·
tion de l'écrivain pastiché. D'autres mes; elle évoque la machine à penser méro de l'Arc, c a été conçue autour
C'est peut-être dans la mesure textes vont plus loin. Semblables aux de Laputa inventée par Swift. tfrm foyer qm est (image >.
où notre quête de l'irréductible livres imaginaires (d'ailleurs recensés
dans un article du numéro: le livre Le numéro c Butor> de f Arc ins- Ainsi se définit un rapport original
dans l'homme d'aujourd'hui de- blanc mortel des Mille et une nuits, les taure d'autres étonnements encore. Il de Butor avec la culture occidentale.
meure ouverte de la même manière œuvres posthumes d'Aspern évoquées montre l'imaginaire l~ême où l'on La culture est posséd~e, dans tous le.
que celle de Merleau-Ponty, que par H. James, etc.), ils constituent les s'y attend le moins. Dans les machines sens que peut prendre ce verbe. Elle
nos efforts se trouveront coïncider fragments d'œuvres imaginaires, possi. par exemple. N on pas seulement dans est détenue; confrontée aux· culture.
bles de Butor. d'étranges automates orientaux, mais autres. On peut user et abuser d'elle.
naturellement avec le souci fonda·
dans une calculatrice électronique. La pervertir. La· duper aussi et la sé·
mental dont ce philosophe fit le A ce moment se pose avec acuité le Pour Butor, les machines sont aussi duire: la détourner des habitudet
centre de sa réflexion. problème: qui parle? Butor est à la des machines à rêver._ L'imaginaire Ile qu'elle s'est données et qui la stéri·
Anne Fabre-Luce fois l'origine et la fin de chacun des découvre é.galement à l'intérieur de la lisent. On la révèle aussi à elle-même
textes. Généralement, il n'en est pas culture la plus traditionnelle. La lec· comme possédée, hantée par ce qu'elle
(l) Intervention au VI" Colloque de l'auteur; il n'a même pas choisi Je ture attentive des livres révèle d·admi. nie parfois explicitement: l'image plus
Bonneval. L'inconscient, Paris, Des- sujet: une correspondance s'est établie rables délires rationnels chez les au- forte que la parole ; le rationnel lié à
clée de Brouwer, 1966, p. 143. entre le désir de Butor et celui de teurs les plus détériorés par la péda. l'imaginaire ; le nœud qui nuit le tech·
(2) Voir Critique, n° 270, Nov. 69. René Micha ou de Georges Raillard. gogie qui prétend les enseigner: Au· nique et l'onirique.
Article de Louis Marin, Il Le discours Jamais peut·être autant qu'ici le rôle guste Comte par exemple. Une subtile
de la Figure Il. du discours de fautre (pour employer pratique de la citation rend toute leur Gilbert LascaUlt
24
CINEMA

Andrei Roublev
Espaces gigantesques que la
lenteur du • travelling » rend
plus immenses. Un homme qui
s'envole dans un ballon et
l'écran devient plus vertigineux
à force de lenteur et de mouve-
ments en arc de cercle sur la
plaine envahie par les Tartares.
Silhouettes minces et voûtées
dans la pluie torrentielle qui
rend les pélerins plus frileux,
plus vulnérables et comme
inconsistants... Roublev, un
moine du XV' siècle entreprend,
avec deux compagnons, un
voyage qui doit le mener jus-
qu'à Moscou où il doit peindre
les fresques d'une nouvelle
église. Le voyage est long et
pénible parce que devant la
cruauté des hommes le moine
doute. Il ne connaissait pas le
pays et le voilà sorti de son
monastère et livré au monde
et au réel. Il traverse le pays
comme un étranger, ne compre-
nant pas les autres et n'arri-
vant pas à se faire comprendre
par eux.
Pourquoi peindre les fres-
ques ? Surtout comme le sug-
gère le maître de Roublev, un
peintre surnommé le Grec, il Alldreï Roublev
va falloir dessiner un démon ment incite à l'émerveillement. seurs parce qu'elle est fascinée chées tartares inoubliables, en
qui crache du feu! • Il ne faut grâce à la caméra de Yousov, par l'or de leurs tuniques. Cette gros plans lumineux parfois et
pas faire peur au peuple » dit extraordinaire de virtuosité et fête païenne à la gloire de l'a- en plans flous et bougés, une
le moine, mais l'Eglise aussi de maîtrise née de la tradition mour physique et dont il pres- autre fois. Puis après le bruit et
joue un rôle répressif : on tor- du cinéma soviétique. L'image sent la noblesse même s'il la la guerre, encore un cheval
ture à deux pas un homme qui atténue le fracas des idées condamne. La profanation des splendide qui emplit l'écran et
n'a' peut-être pas la foi; ail- églises qu'il décore et à laquel- s'ébat au ralenti: ce n'est que
pour un moment seulement,
leurs, on crucifie un autre sous puis elle les fait éclater, explo- le il assiste impuissant et dé- pour le plaisir de transcender
les yeux terrifiés de sa mère ser. goûté. Tout est échec, mais il l'image. Exultation! Exultation
et de sa femme. Pourquoi créer La dernière partie du film est reste quand même un héros ad- malgré la cruauté et la déchéan-
- Roublev hésite chaque fois consacrée à la fabrication d'une mirable dans la mesure où il ce de l'homme entrevus dès le
qu'on lui demande de peindre cloche - toujours ce thème ob· doute et où il hésite; tout à début du film avec ce fou qui
- si c'est pour terroriser ce sédant de la création chez Tar- fait différent de ces héros cou- fait le clown ou ce clown qui
peuple que ravagent la misère, kowsky - qui est le prétexte à lés d'un bloc, rigides et braves. joue au fou et force une assem-
les invasions tartares et le l'utilisation de plans multiples Lui ne cesse de se remettre et bl-ée inquiète à rire quasi mé·
pouvoir despotique des popes qui se coupent et se recoupent de remettre le monde en ques- caniquement, jusqu'à ce que
et des princes ? Roublev hé- dans un grouillement de foules tion: l'armée vienne l'arrêter et lui
site mais ne se décide jamais et de voix, de cordes, d'écha- Entre temps, tout est prétex- briser sa cithare - encore un
à renoncer. Il est faible. Isolé faudages compliqués, de boue te pour Tarkowsky à création. Il symbole! -
et coupé de ceux qu'il voudrait et de sueur. Hymne à la créa- arrive ainsi .à remplir l'espace On a parlé d'Eisenstein au su-
défendre. Il n'ose pas se révol- tion collective face à l'échec in- de formes et de structures jet de ce film, cela n'a rien à
ter même si sur le visage de dividuel de Roublev? Peut-être. agressives au gré de la nécessi~ voir. Il s'agit d'un film contem-
Solimitzine qui interprète très Mais si le moine est de plus en té du scénario et surtout du porain qui pose des problèmes
sobrement et très efficacement plus déchiré et demeure un plaisir de nous éblouir. Structu- de toujours : l'artiste devant le
le rôle du moine, apparaît quel· un être inutile et négatif, il n'en res et formes. fantastiques ! réel terrible et affligeant, et
que chose entre l'exaspération reste pas moins qu'il est positi- Chaque . séquence est un ta- surtout la difficulté d'être, de
muette et la haine froide. Ré- vement négatif car il est la bleau qui bouge, quasiment abs- croire et de créer. Tarkowsky a
volte individuelle! Jamais ra- conscience· douloureuse et in- trait, quasiment figuratif. Tout une façon précieuse et très per-
menée au niveau de l'expres· quiète du peuple russe. un art que de savoir agencer sonnelle de nous parler de pro-
sion réelle. Auparavant, Roublev avait ac- les visages d'une grande beauté blèmes cruellement actuels, à
Le c'hemin de la renonciation cumulé les échecs : cette jeune • on pense beaucoup à Dreyer - travers l'histoire d'un peintre-
est long et pénible et Roublev fille traumatisée par une atta- et les poutres et les échafauda- moine du XV, siècle. Comme
doute de sa foi et de sa voie. que des Tartares qu'il sauve et ges et le linge qui sèche. La ca· quoi les choses et les hommes
Mais le doute reste inconsis- qui le quitte de son plein gré méra de Yousov fait le reste et ne changent pas - ou si peu.
tant et irréalisé car l'environne- pour suivre ses propres oppres- crée l'illusion de ces chevau- . Rachid Boudjedra

La Quinzaine littéraire, du 15 au 31 décembre 1969


COLLECTIONS

L'encyclopédie Bordas

Un ne saurait mieux illustrer l'es· nombre de parti·pris qui répondaient l'histoire universelle, à l'épopée de Afrique, Amérique centrale, Amérique
prit de cette encyclopédie en vingt du reste à son tempérament et à sa Gengis Khan alors que la figure de du Sud, Océanie, régions polaires,
volumes dont chacun se présente formation. Plus intéressé par les Jeanne d'Arc n'est évoquée que dans Visages de la terre : géographie géné.
comme un ouvrage complet sur une faits économiques que par les idéo- un court paragraphe, l'auteur jugeant logie, héraldique. Ce classement thé-
question particulière et où l'on trou· logies, par les structures d'ensem- apparemment que l'unification de matique, qui correspond dans ses gran·
vera aussi bien un exposé des thè· ble que par les personnalités, par les l'Asie au XIII" siècle présente plus des lignes à celui de la Classification
ses situationistes que la recette de problèmes d'ordre général que par d'intérêt pour la compréhension des Décimale Universel~ établi par l'Insti-
la paella, les règles du rugby ou l'anecdote, il s'est efforcé d'offrir à problèmes qui se posent actuellement tut International de Documentation de
l'historique du mouvement dada, ses lecteurs des livres moins faits dans le monde que le prurit nationa- La Have et que l'auteur considère
qu'en précisant qu'elle est l'œuvre pour être consultés que pour être liste des Français du XV' siècle. Et comme une solution de pis-aller pré·
nen pas d'une équipe anonyme mais lus et d'où se trouve systématique- si, dans l'Aventure littéraire de l'hu- sente en tout cas l'avantage de per-
d'un seul homme, Roger Caratini. ment élagué tout ce qu'ils seraient manité (S'et 9' volumes de la collec· mettre aux lecteurs d'acheter les volu-
Cette option de départ lui confère assurés de trouver dans les manuels tion), il ne s'appesantit guère sur les mes séparément. Chaque livre est en
tout naturellement une unité et une ou dans les autres publications de ce classiques ou les romantiques, c'est outre pourvu d'un index alphabétique
originalité de ton qui ne la distingue genre. pour mieux approfondir, selon les mé- qui leur permet de retrouver immédia-
thodes de la critique contemporaine, tement un renseignement précis
pas moins des encyclopédies de type
les grands courants qui, à partir de contenu dans le corps de l'ouvrage
académique que des ouvrages de vul· Aussi. quel que soit le domaine Baudelaire et de Rimbaud, allaient nous et un 21' volume est prévu qui rassem·
garisation que l'on nous propose concerné, les données traditionnelles mener jusqu'à Proust, Joyce et blera l'ensemble des index ainsi que
généralement sous cette appellation. sont·elles systématiquement traitées Beckett. des bibliographies et autres rensei-
sous forme de résumés ou de tableaux gnements généraux.
Ancien psychanalyste orienté par synoptiques, ce qui permet à l'auteur Inaugurée en avril 1965, • Bordas En·
goût vers les problèmes psycho- de s'étendre plus longuement sur des cyclopédie. compte aujourd'hui six La présentation des livres posait un
pédagogiques et notamment vers la questions mal connues du public en titres: la Vie animale, Astronomie problème non moins délicat car ce
sociologie de la communication du les analysant sous l'angle des théories (Prix du Meilleur Livre Scientifique n'était pas la moindre des gageures po-
savoir, Roger Caratini a adopté déli- les plus actuelles. On ne s'étonnera 1965), Philisophle et religions, His- sées par une telle entreprise que de
bérément, pour mener à bien cette donc pas, par exemple, de l'importance toire universelle 1 : Histoire ancienne, faire tenir dans le cadre restreint
ambitieuse entreprise, un certain donnée, dans le volume consacré à Histoire universelle Il : Europe, Asie, qu'impose leur prix de vente relative..

FEUILLETON Et ensuite?
Et ensuite quoi?
Que viens-je faire d'autre dans cette histoire que d'y avoir
un homonyme noyé?
- Pour l'instant, rien. Ce serait plutôt à mon tour d'y entrer.
Le bref résumé de ces événements vous a peut-être fait croire que
je connaissais intimement la famille Winckler ou que j'appartenais
au Réseau dont l'aide vous permit de trouver ici-même, sous le
couvert d'une nouvelle identité, une sécurité que, jusqu'à présent,
rien n'est venu menacer. Il n'en est rien. Jusqu'il y a quinze mois,
plus précisément jusqu'au 9 mai de l'année dernière, date la plus
probable du naufrage, votre histoire, comme celle de votre homo·
nyme, m'était inconnue. Bien que médiocre mélomane, le nom
de Caecilia Winckler m'était familier et je crois bien que je l'avais
entendu chanter le rôle de Desdemona au Metropolitan peu de
temps avant la guerre. Par contre, sans avoir jamais été en rela-
tion directe avec elle ni avec aucun de ses membres, je connais-
sais de nom l'Organisation qui vous soutint et j'appréciais le tra·
vail considérable qu'elle faisait sur tous les fronts du globe. C'était
une sympathie en quelque sorte professionnelle : je m'occupe,
en effet, et c'est même à ce titre que j'interviens aujourd'hui dans
l'histoire de Gaspard et par contre-coup dans la vôtre, je m'occupe
d'une Société de Secours aux Naufragés. C'est une association
privée, internationale, qui reçoit des fonds provenant soit d'organi-
sations de bienfaisance, soit de dons privés, soit de quelques
institutions gouvernementales ou municipales, le Ministère de la
Marine Marchande, par exemple, ou l'Union des chambres de
par Georges Perec commerce de la mer du Nord, soit, principalement, des compagnies
d'Assurances. C'était, à l'origine, une sorte d'annexe du Bureau
Veritas. Vous ne savez pas ce qu'est le Bureau Véritas ?
- Non, avouai-je.
- C'est une organisation fondée au début du XIX· siècle et
qui publie chaque année tout un ensemble de statistiques concer·
nant les constructions navales, les naufrages et les avaries. A la
Résumé des chapitres précédents. fin du siècle dernier, un des dirigeants du Bureau émit le vœu,
Réfugié dans une petite ville d'Allemagne, un soldat déserteur, dans son testament, qu'une partie des subventions, alors très
Gaspard Winckler, apprend d'un certain Otto Apfelstahl qu'il tient importantes, que les gouvernements versaient chaque a.nnée à
son nom d'un jeune sourd-muet parti pour faire le tour du monde l'organisation soit consacrée à secourir les naufragés, au lieu de
et dont le yacht a fait naufrage au large de la Terre de Feu. se contenter de les compter. Cette suggestion était parfaitement

26
ment modique (- de 30 F avec un ti· permettant une fois de plus de resi- ture et arts apparentés, dessin et mé- Art de l'ingénieur.
rage de départ de 75.000 exemplaires) tuer tel événement du passé, tel sys- tiers d'art, peinture, photographie, ci· Techniques et métiers (agriculture
un exposé synthétique de toutes les tème philosophique, apparemment dé- néma, musique et danse). et agronomie, économie domestique,
connaissances sur telle ou telle ques- passé, dans le monde d'aujourd'hui. Matière Inerte, matière vivante (géo- communications, industries chimiques
tion. Aussi, chaque volume, limité à logie, biologie, paléontologie). et apparentées, technologie générale,
quelque 180 pages, est-il divisé en A paraître Jeux, Divertissements, Sports. industries et métiers divers, construc·
deux parties, la première réservée au Médecine. tion, industries du bâtiment).
texte, abondamment illustrée et pour-
vue d'une cartographie abondante ainsi Les lois de la nature (physique, chi·
mie).
que de nombreux schémas explica-
tifs, la seconde exclusivement consa- L'aventure littéraire de l'humanité
crée à des renseignements chronolo· (théorie de la littérature, littérature
giques et bibliographiques ainsi qu'à anglaise, allemande, française, italien·
des tableaux synoptiques et des glos-
saires, groupant les informations pures
ne, espagnole et apparentée. littéra-
ture classique grecque et latine. Lit· La Quinzaine
qui ne doivent pas encombrer le cours térature russe. Autres littératures). Iltt'ralre
de l'exposé. Par son antl-conformisme La vie des plantes (botanique).
et sa qualité, l'illustration mérite tous Les nombres et l'espace (Mathéma-
les éloges : miniatures, gravures an·
clennes, photographies modernes en
couleur (comme c'est le cas dans le
tiques) .
Sciences sociales (sociologie, la vie
politique, économie politique, législa-
tion, administration publique, prévoyan.
ABONNEZ-vous
chapitre consacré à la révolution de

abonnez-VOUS
ce, alde-soclale, associations, ensel·
mai 68), œuvres d'artistes contempo- gnement et éducation, la vie commer·
rains, affiches, dessins, voire portraits ciale, les coutumes, philologie et lin-
inédits (comme le portrait du philoso- guistique) .
phe allemand Max Stirner par Engels), Beaux·Arts (urbanisme et aménage·
etc, le tout prolongeant le texte et ment du territoire, architecture, sculp-

étrangère aux statuts du Bureau, mais la mode était alors aux sur une plate-forme de glace qui diminue de jour en jour. C'est à
Sociétés de Sauvetage et le Conseil d'administration décida de des naufragés de ce type que notre aide peut s'appliquer le plus
consacrer 0,5 % de son budget annuel à la création d'un orga- efficacement. Les grands navires suivent des itinéraires connus
nisme philanthropique qui serait chargé de rassembler toutes les et les secours peuvent presque toujours s'organiser très vite,
données concernant les navires en détresse et, dans la mesure même en cas d'avarie grave ou de sinistre criminel. Notre action
~e ses faibles moyens, de leur porter secours. Un peu plus tard, concerne surtout les isolés, les yachts, les petites embarcations de
Je Lloyd's Register of Shipping et l'American Bureau of Shipping, plaisance, les chalutiers désemparés. Grâce à un réseau de corres-
, deux organisations rivales du Bureau Veritas, s'associèrent à cet pondants aujourd'hui mis en place à tous les endroits névralgiques,
effort et la Société de Secours aux Naufragés put se développer nous pouvons, en un tem'ps record, recueillir tous les renseigne-
tant bien que mal. ments nécessaires et coordonner les opérations de sauvetage.
- Je ne vois pas très bien comment vous pouvez opérer; lors- C'est à nos bureaux que parviennent les bouteilles à la mer et leur
qu'un bateau sombre, vous n'êtes évidemment pas sur place! équivalent moderne, les S.O.S. de détresse émis par les navires
Otto Apfelstahl me considéra en silence pendant quelques se- en perdition. Et si, le plus souvent hélas, nos recherches n'aboutis-
condes. Je m'aperçus que le bar était à nouveau déserté; seul, tout sent qu'à la découverte de cadavres à moitié déchiquetés déjà
au fond, un barman en' veste noire - ni celui qui m'avait servi, par les oiseaux de mer, il peut se faire aussi que l'une de nos
ni l'un de ceux qui étaient arrivés ensuite - allumait des bougies vedettes, l'un de nos avions ou de nos hélicoptères, arrive à temps
fichées dans des vieilles bouteilles et en garnissait les tables. sur les lieux du naufrage pour récupérer une ou deux vies humaines.
Je regardai ma montre; il était neuf heures du soir. M'appelais-je - Mais n'avez-vous pas dit tout à l'heure que le naufrage du
encore Gaspard Winckler? Sylvandre remontait à quinze mois?
Ou irais-je le chercher à l'autre bout du monde? - En effet. Pourquoi cette question?
- Lorsqu'un bateau sombre, reprit enfin Otto Apfelstahl (et sa - Je suppose que vous attendez de moi que je participe à cette
voix me paraissait étonnamment proche, et le moindre de ses mots recherche?
m'atteignait comme s'il m'avait parlé de moi), ou bien il y a, pas - C'est exact, dit Otto Apfelstahl, je voudrais que vous partiez
trop loin, un autre navire qui vient lui porter "ecours, c'est ce qui là-bas et que vous retrouviez Gaspard Winckler.
se passe dans le meilleur des cas, ou bien il n'yen a pas, et les - Mais pourquoi?
passagers s'entassent à bord des canots pneumatiques ou sur des - Pourquoi pas?
radeaux de fortune, ou dérivent accrochés à des espars, à des - Non, je veux dire, quel espoir raisonnable pouvez-vous encore
épaves, désemparés, que les courants entraînent. La plupart sont nourrir de retrouver un naufragé quinze mois après?
engloutis dans les trois ou quatre heures qui suivent, mais certains - Nous avons repéré le Sylvandre dix-huit heures seulement
trouvent, dans on ne sait quel espoir, la force de survivre, pendant après qu'il ait envoyé ses signaux de détresse. Il s'était éventré
des jours, pendant des semaines. On en a retrouvé un, il y a sur les brisants d'un minuscule îlot, au sud de l'Ile Santa Ines,
quelques années, à plus de 8000 kms du lieu de son naufrage, par 54° 35' de latitude sud et 73° 14' de longitude ouest. En dépit
amarré à un tonneau à moitié rongé par le sel, mais encore d'un vent extrêmement violent, une équipe de secours de la Pro-
vivant après plus de trois semaines de détresse. Vous savez peut- tection Civile Chilienne a réussi à atteindre le yacht quelques
être qu'un stewart de la marine marchande britannique a survécu heures plus tard, le lendemain matin. A l'intérieur, ils ont trouvé
4 mois et demi, du 23 novembre 1942 au 5 avril 1943, sur un radeau cinq cadavres; ils ont pu les identifier: c'étaient Zeppo et Felipe,
après que son navire eut été coulé dans l'Atlantique au large des Angus Pilgrim, Hugh Barton et Caecilia Winckler. Mais il manquait
Açores. Ces exemples sont rares, mais ils existent, de même qu'il le sixème passager, un enfant d'une dizaine d'années, Gaspard
arrive encore aujourd'hui que des naufragés soient jetés sur un Winckler.
récif, ou sur une île déserte, ou qu'ils trouvent un refuge fragile (à suivre)

La Quinzaine littéraire. du 15 au 31 décembre 1969


THEATRE

Découverte de l'Open Theater


Spectacle de l'Open Theater, troupe a travaillé avec le • li- elle? - s'est demandé Chaikin - ti de l'Opéra de quat'sous et la
de New York ving "), mais le style de quel rapport y avait-il entre le manière dont le délire burles-
Théâtre de la Cité l' • Open Theater ", moins dio- meurtre d'Abel et celui des que est réglé comme papier à
Universitaire. nysiaque, plus critique, a une Kennedy ? La violence était-elle musique semblent assez nette-
pr.écision plus chirurgicale. inévitable, ou tout aurait-il pu se ment se référer à lui. En tout
passer différemment? A partir cas, Brecht ou pas Brecht, ce
de là - dit-il - chaque acteur a spectacle atteint une sorte de
proposé les images dynamiques perfection dans la drôlerie inso-
que lui inspiraient l'état d'inno- lite, et dans l'horreur fraîche et
Une leçon d'anatomie cence, la d~couverte du sexe, joyeuse.
le premier meurtre ". Et en ef-
fet, les images jaillissent, com-
Aussi bien la dernière créa· me si, soudain, les chapiteaux
tion collective de la troupe, Ter· d'Autun prenaient vie : le Jar-
Après le • Bread and Puppet minai (gare~Terminus, la mor- Un ieu de olowns
din d'Eden, Eve et le Serpent,
Theater ", voici passant à son gue, en somme), est-elle une et la pomme croquée, Dieu, dans
tour par Paris, et accueilli au sorte d'analyse clinique de l'a- sa malédiction promettant à
gonie, une exploration profonde l'homme un monde où l'action Même perfection, mais d'un
Théâtre de la Cité Universitaire de ce moment où .Ies mourants ne sera pas la sœur du rêve, et autre ordre, pour Fin de partie.
qui s'affirme décidément com- sont possédés par les morts ", Caïn découvrant que tuer, c'est Tout le pittoresque funèbre, ce-
me le réceptacle ultime du dans une prodigieuse leçon d'a- donner la mort, et les hommes lui du dernier jour du monde,
natomie qui pourrait se souve- inventant avec une gaucherie ir- et le cérémonial shakespearien
théâtre de recherche, voici nir de Rembrandt. On explore les par quoi la mise en scène de
résistible les positions de l'a-
l'. Open Theater" : l'Amérique corps, . vêtus d'un oripeau blanc mour, comme des .grotesques" Roger Blin donnait à la pièce,
nous donne une leçon. d'hôpital s'acheminant vers le de GOYÇl - l'humour de ce ta- même dans l'humour, une gra-
suaire - on explore les corps bleau scrabreux tient du chef- vité solennelle, est ici retiré. On
dans leur dégradation, leurs d'œuvre. est en face d'un jeu de clowns
convulsions et leurs cris; avec conduit avec la précision des
un réalisme stylisé jusqu'au fan· acteurs japonais et des marion-
tastique, la troupe opère sur ce nettes chinoises. Du coup l'œu-
lieu ultime, l'hôpital-morgue, vre perd sans doute cette durée
un travail analogue à celui D'admirables oomédiens i.nsolite qui, chez Blin, donnait
qu'opérait le • living" (The à la fable son pouvoir d'envoû-
Brig) sur un pénitencier tement, comme elle perd aussi
de • marines ". " v a On conçoit que des acteurs la tendresse toujours sous-ja-
Une double leçon : le • Bread du génie là-dedans. Jamais formés à une telle discipline wl- cente à ce texte acéré. Moins
and Puppet ", avec ses manne- théâtre ne m'avait rendu si pro- lective et à une telle dynamique métaphysique, la clownerie tra-
quins géants, son matériau chré- che l'humaine carcasse' et la de jeu soient, individuellement, gique gagne ici en cruauté, et
tien, et sa force de contestation transe qui la saisit dans le ves- d'admirables comédiens. Ils en humour noir : Beckett l'irlan-
politique, nous avait montré ce 'tibule de la mort. On pense aux l'ont montré dans Fin de par· dais apparaît plus précisément.
que peut être une forme de Ecorchés, au Jugement Dernier tie de Beckett, et dans Ubu co· Jouée sur le rythme nerveux et
théâtre capable aujourd'hui de du tympan de Bourges, à la cu. Moins parfaite qu'Ubu Roi, saccadé qui est le propre de la
descendre dans la rue et de par- Danse macabre de La Chaise- plus délirante et' surréaliste, troupe, la pièce trouve, dans
Ier aux foules (qui, en France, Dieu. • Quiconque meurt, meurt cette horrifique guignolerie avec "horreur et la drôlerie, une per-
l'a pu faire?). L'. Open Thea- à douleur" jamais' Villon pompe à merdre, crocodile, fection glacée à la fois mathé-
ter ", lui, au moment où l'on voit n'avait reçu au théâtre pareille Memnon l'Egyptien, où l'on voit matique et médicale, qui est
balbutier chez nous les groupes illustration. les Paladins empaler une sorte bien aussi celle de Beckett.
de création collective, livrés à de Docteur Faustroll, torturer Chaikin joue Hamm avec une
de vaines gesticulations approxi- un Monsieur riche avec com- méchanceté sèche, très remar·
matives, gratuites et sans por- mentaire anatomique, et la quable. Quant aux acteurs des
tée (voir encore, tout récem- Conscience d'Ubu, ectoplasme poubelles - jouant non plus seu-
ment, La douloureuse mutation «Le Serpent» à cheveux verts, sortir d'une lement de la tête, mais de tout
des Zupattes, création collecti- cuvette de chiottes, cette gui- le buste -, ce ne sont plus deux
ve animée pourtant par Philip- gnolerie prête à tous les exer- larves tendres en train de pour-
pe Adrien), l'. Open Theater" L'autre création collective, Le cices. Traité ici dans le style rir, ce sont deux marionnettes
nous propose le spectacle Serpent (. rite sur une structure des bandes dessinées et des terribles, deux' spectres d'outre-
èxemplaire d'une méthode de de Van Itallie,,) demeure plus films' d'épol,lvante, en guignol tombe dont le raffinement dans
jeu collectif, véritablement éla- proche de l'exercice destiné à fantastique èt freudien qui tient la grimace et l'élégance dans
borée et aboutissant à une per- illustrer un système de jeu, mais de Frankenstein et du Bal des l'horreur, ont une dimension dif-
fection sytlistique qui se fonde le résultat est assez remarqua- Vampires, ce spectacle est un ficilement imaginable.
à la fois sur la dynamique du ble. Sur le plateau, des acteurs chef-d'œuvre du burlesque si-
geste (toujours l'héritage de en tenue de scène miment, sur nistre. Et l'inattendu, c'est que, Bref, il est dommage qu'une
Stanislawski), sur la précision un rythme saccadé, avec une là où Artaud pourrait mener la telle équipe de théâtre ne soit
fantastique qui la sert, et sur précision chronométrique, le danse (on voit même ~ur scène pas restée assez longtemps
l'usage d'une ironie et d'un hu- « film" de l'assassinat de Ken- une messe noire), on volt sou- pour que tout ce qui prétend, à
mour qui font au geste un con- nedy ; puis ie « film" repasse à dain paraître Brecht : les Paris, se mêler d'art dramati-
trepoint constant. Certes, le «li- l'envers. Là-dessus, on débou- « songs " qui ponctuent le spec- que, soit allé prendre leçon.
ving Theater " est passé par là. che sur la Genèse. «En quoi tacle, le style de jeu ironique
(J; Chaikin, le directeur de la cette histoire nous concernait- et critique, I,ln Ubu truand sor- Gilles Sandier

28
Livres publiés
du 20 novelllbre au 5 décelDbre 1969
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Salvador Elizondo L'Empire et la Trappe Mandiargues et de l'Europe aidé à l'ascension Olga Bernai
Farabœuf ou la Gallimard, 192 p., 20 F. S. Spender. et de "Eglise de Robespierre, fut l'un Langage et fiction
chronique d'un Instant. Edition bilingue sous Hitler. des principaux artisans dans le roman
Trad. de l'espagnol Michelle Loi Seghers, 416 p., 9,90 F. de sa chute.
• Victor Chlovskl de Beckett
par René L.F. Durand Poètes
Léon Tolstoi Lucien Rioux Gallimard, 240 p., 18 F.
1 planche hors-texte du peuple chinois L. S. Senghor
Tome 1 : 1828-1870. Gilles Vigneault L'œuvre de Beckett,
Gallimard, 192 p., 14 F. 128 p., 13,50 F. Elégie des alizés
Trad. du russe Coll. - Poésie et miroir des
Autour du thème Pierre Jean Oswald avec une lithographie
par André Robel. chansons -. transformations
obsessionnel de la Coll. - La poésie des originale de M. Chagall
Tolstoï tel que le Seghers, 192 p., 9,50 F. radicales
torture, une enquête pays sociallstes-. Editions Maritimes
voient ses compatriotes, Un chanteur du Québec de la littérature,
fiévreuse sur l'identité Les -poètes du peuple- et d'Outremer, dift.
les Soviétiques qui fut bûcheron puis de la philosophie
du supplice et de nés du Grand Bond qui Seuil, 32 p., 95 F.
d'aujourd'hui. professeur avant de se et de l'art du XX' siècle.
l'extase. précéda la Révoluti.on (tirage limité).
Culturelle. Paul Claudel lancer dans la chanson.
Journal" Joseph Delteil
• Josef Skvorecky Pablo Neruda Walter S. Ross Ouvrage collectif publié
1933-1955
L'escadron blindé Résidence sur la terre La traversée de sous la direction
BIOGRAPHIES Introduction
Trad. du tchèque par Trad. de l'espagnol l'Atlantique avec de Donato Pelayo
de F. Varillon
François Kérel par Guy Suarès Charles Lindbergh, Edition Subervle, Rodez,
Texte établi et annoté
Gallimard, 288 p., 20 F. Gallimard, 236 p., 18 F. le dernier héros. 216 p.
par F. Varillon
Un livre écrit en 1954, E. Bethge Nombr. illustrations Delteil vu par
et J. Petit.
mais qui, par son • Laco Novomesky Dietrich Bonhoeffer France-Empire, ses contemporains
- Bibliothèque
contenu, rejoint Villa Tereza Vie, pensée, témoignage 310 p, 19,20 F. (voir le n° 58
de la Pléiade-.
les œuvres les plus et autres poèmes Traduction Le portrait d'un homme de la Quinzaine).
Gallimard, 1 388 p., 60 F.
récentes de la 144 p., 13,50 F. de E. de Peyer. Intègre quoique
Les années de la
littérature tchèque où Pierre Jean Oswald Coédition faillible, l'histoire d'une • Northrop Frye
retraite, de la guerre
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29
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A. Colin, 256 p, 10,20 F. Ta femme, en 1938. 45 III. en couleurs
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L'élite du pouvoir Sous la direction de L'Occident romain et peuplement
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SOCIOLOGIE par A. Chassigneux la collaboration Payot, 496 p., 28,85 F. Les modalités, les
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Maspero, 380 p., 24,65 F. fascicules.
Un classique de la Laffont, 880 p., 140 F. Pierre Legendre place de la population
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langage de l'Antiquité 112 p., 7,50 F.
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(Les communautés Les entretiens à bâtons auquel l'état présent Paul Isoart
Julia Krlsteva Le Vietnam
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orientale L'homme et sa psychose et d'un poète sur européenne donne une 40 documents.
sémanalyse A. Colin, 104 p., 6 F.
de Madagascar). Préface de J. Laplanche les sujets actualité significative.
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de la psychanalyse. 228 p., 12,90 F. (Sur le bonheur) Vingt essais sur la Gallimard, 640 p., 38 F. Seuil, 288 p., 19,50 F.

30
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du Général Tome Il : 1919-1934 Isadora Duncan
Illustrations de Tim Payot, 360 p., 38-10 F. et Nijinsky. • Erwin Panofsky DIVERS
Denoël, 256 p., 19,80 F Voir le nO 66 L'œuvre d'art
Le portrait de treize de la Ouinzaine. RELIGION Maurice Colinon et ses significations
hommes politiques Guide de la France Trad. de l'anglais Assiac
célèbres brossés religieuse par M. et B. Teyssèdre Plaisir des échecs
par treize journalistes. Christopher Hollis et mystique 80 pl. hors-texte 152 diagrammes
DOCUMENTS Histoire des jésuites 400 illustrations Gallimard, Payot, 244 p.. 15.45 F
• Pannekoek Fayard, 352 p., 25 F. Tchou/Centurion, 332 p., 38 F. Réimpression d'un
et les conseils Une aventure qui 772 p., 45 F. Par l'auteur des des livres les plus
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et leurs manifestations Préface de J. Ferniot
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cite dans • L'Etat Texte 365 jours de la vie
civilisations. Sciences bibliques par A. du Bouchet Teotihuacan,
et la Révolution" en marche métropole des Français à travers
avant de l'accuser 114 dessins les titres extraits
Bernadette Devlin Trad. de l'allemand de l'Amérique
de • Gauchisme en fac-simile des grands quotidiens
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dans • La Maladie Mon âme n'est pas Maeght éd., illustrés par
Casterman, 200 p., 72 photographies,
infantile à vendre 128 p., 100 F. les dessins de Calvi
Trad. de l'anglais 13,50 F. 114 dessins choisis 95 pl. en couleurs
du communisme· La méthode historique
par Jacqueline Simon Maspero
et son application 322 p., 90 F. Capitaine Cook
Coll. • Combats " • Histoire de l'Art
Lester B. Pearson Seuil, 208 p., 18 F. pratique à l'étude Dix années Voyages autour
des données Tome IV : de fouilles du monde
Vers une action L'autobiographie Du réalisme
commune pour bibliques. et de recherches Trad. de "anglais
politique à nos jours
le développement dans l'antique par Gabrielle Rives
de la très jeune leader 52 illustrations
du tiers monde Marc Oraison cité des Nahuatl Préface de P, Sabbagh
du mouvement • Encyclopédie
(Le rapport Pearson) Actualités et des Aztèques. Choix, introduction
de contestation de la Pléiade "
Trad. de l'anglais Fayard, 156 p., 12 F. et notes par Ch. Lloyd,
des catholiques Gallimard, 173 p., 82 F.
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du milieu 405 p., 32 F.
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Denoël, 512 p.. 25 F L'Amérique du Sud A. Michael Ramsey aux productions de Préface de
Le bilan de vingt et l'Amérique Max Banse Dictionnaire
Dieu, le Christ ces dernières des écrivains
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Denoël, 96 p.. 60 F,
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Trad. de l'anglais importante Seghers, 224 p.. 15 F.
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Casterman, 144 p., 10 F au cinéma biographique
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à venir. Hachette, 300 p., 80 F. dans le monde. et bibliographique
des courants des auteurs de langue
les plus influents française dont
Jean Ferrandi .'zis
Lucien Scherrer de la théologie Le monde de Chagall les ouvrages
600 jours avec Salan et de l'exégèse
Initiation à la vie et l'O,A.S. Photographies d'Izis TBÉATRB s'adressent
des entreprises contemporaines, Bidermanas et texte à la jeunesse
Fayard, 352 p., 25 F. par le Primat CINEMA
Editions Ouvrières, le • Journal de de Roy McMullen
320 p., 22 F. de la Communion Trad. de "anglais
marche ", Raymond Dumay
Les mécanismes anglicane par Lillian Lassen De la gastronomie
de décembre 1960 Henri Agel
de l'entreprise à avril 1962, Avec une biographie, française
à partir Jean Toulat une bibliographie, Jean Grémillon 80 illustrations
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