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Dieu dans la Bhagavadgiitaa

(R.C.Zahner, l’Hindouisme, pp. 111-119)

Si la Svetasvatara Upanishad est le roc sur lequël se onde le théisme saivite, ceci est doublement
vrai de la Bhagavad-Gîta, non seulement en relation avec le culte de Vishnou, mais aussi en relation
avec tout le déve loppement subséquent de l'hindouisme. Bien qu'elle ne soit pas mise au rang de
Jruti comme l'est la Svetasvatara, son influence l'a largement emporté sur celle non seulement de la
Svetasvatara, mais probablement de toutes les Upanishads ensemble ; car, bien qu'il existe des
traces de grâce divine et d'amour divin dans les Upanishads, elles ne sont qu'á peine esquissées :
dans la Gîtâ, elles deviennent bien plus explicites. Il y a quantité de passages didactiques dans le
Mahâbhârata, mais c'est seulement lors de cette unique occasion que Krishna daigne révéler la
vérité tout entiére á son propre sujet, et ce en grand secret, á Arjuna, son ami le plus intime, á
l'heure la plus solennelle de sa vie. Il est vrai qu'il avait été proclamé Erre suprime maintes et
maintes fois auparavant, tant par ses amis que par ses ennemis, mais nulle part ailleurs il ne se
révéle comme tel ni ne donne des instructions sur la maniére dont les hommes doivent se conduire
pendant leur vie.
La Gîtâ peut être commodément divisée en trois parties : la premiére (chapitres -i vi) traite des
différentes façons dont l'âme peut parvenir á la libération, la seconde traite de la nature de Dieu et
se termine sur la grandiose théophanie du chapitre xi, tandis que la derniére partie, aprés être
revenue sur beaucoup de ce qui avait été dit, se termine sur ce qui constitue un nouvel évangile, non
encore proclamé jusqu'alors dans l'Inde, celui de l'amour de Dieu pour l'homme. Dans la
Svetasvatara Upanishad, la transcendance du Dieu personnel par rapport au Brahman impersonnel
était affirmée, mais Dieu était considéré plutôt comme un modéle pour l'âme que comme l'objet
suprême d'une dévotion amoureuse. C'est seulement avec la Shiva Siddhanta que l'on voit le Dieu
transcendant et assez distant de la Svetasvatara uni au Dieu trés personnel Shiva, qui réclame de
l'homme une dévotion totale, le service et l'amour. La Gîtâ fut probablement composée au IIIième
ou au IVième siécle avant notre ére, et elle constitue donc notre premiére source littéraire pour la
bhakti, ainsi qu'on dénomme en Inde la religion dévotionnelle. Le mot bhakti est dérivé d'une racine
bhaj-, dont le premier sens est «prendre part ou participer á », et cette signification est encore
présente dans la Gîtâ, lorsqu'il est dit que Krishna « participe á » ses fidéles autant qu'ils participent
á lui (4.11). Ce terme est égale- ment trés fréquemment employé pour désigner l'amour sexuel et
l'union sexuelle, et cet aspect tend á être mis en relief dans les sectes bhakti ultérieures. Toutefois,
dans la Gîtâ, il n'existe pas la moindre trace d'une telle acception.
La Gîtâ n'est pas un texte facile á interpréter, car il n'est pas consequentavec lui- même. L'apogée du
livre est, toutefois, la théophanie, au onziéme chapitre, dans laquelle Krishna, le Dieu incarné et
l'ami inséparable d'Arjuna, se révéle á ce dernier sous « la forme suprême de son Seigneur » et cette
révélation inspire á Arjuna, terrifié, de confesser que Krishna doit être « loué davantage encore que
Brahman » (11.37). La théologie de la Gîtâ continue donc celle de la Svetasvatara Upanishad.
Brahman est á la fois l'état d'être intemporel qui caractérise moksha et la source et l'origine de tout
ce qui a son existence dans l'espace et le temps. Il est donc á la fois le temps et l'éternité. Toutefois,
dans la Gîtâ, Dieu les transcende tous deux, et, puisqu'il est personnel, on ne peut jamais dire que
l'âme libérée devient effectivement Dieu comme on peut dire qu'elle devient Brahman ; car le mot
brahman, lorsqu'il est employé dans ce contexte, ne signifie rien de plus que « éternel », ainsi qu'il
en va normalement dans les textes bouddhiques primitifs auxquels le mot brahmabhuta « devenu
Brahman » semble avoir été emprunté. Moksha ne signifie rien d'autre que le fa it d'avoir été libéré
des liens du samsâra pour passer á la liberté de la vie immortelle ; et comme Dieu est, par
définition, au-delá de l'espace et du temps, cela veut dire également que l'âme participe au mode
d'existence de Dieu sans pour cette raison lui être identique, car bien que Dieu, á l'instar de
Brahman, emplisse toutes choses, temporelles aussi bien qu'éternelles, il les transcende toutes en
tant que veillant sur elles (9.10 ; 13.22). Bien qu'il soit ce qui est le plus intérieur á elles et plus
caractéristique d'elles qu'elles ne le sont elles- mêmes, il se trouve en dehors d'elles, les contemple et
les approuve. Il est le fondement de l'existence éternelle et de l'existence temporelle. Il est «le fon-
dement de Brahman, de l'immortel et de l'impérissable, du dharma éternel et de la béatitude
absolue » (14.27).
Pour bien comprendre le message de la Gîtâ, il convient de le replacer dans son cadre. La grande
guerre entre les Kauravas et les Pândavas que le roi Yudhisthira, l'aîné des fréres Pândavas, a fait
tout ce qui était en son pouvoir pour éviter, est sur le point d'éclater, et les deux armées s'affrontent
pour le combat. Cette fois, c'est Arjuna, frére cadet de Yudhisthira et ami intime de Krishna, et non
Yudhisthira, dont le coeur se brise á la pensée du massacre d'un grand nombre de ceux qui lui sont
le plus proches et le plus chers et qui sont pourtant du côté adverse. Le principal dessein de Krishna
dans la Gîtâ est donc de persuader Arjuna de combattre avec une conscience pure. Tout d'abord, il
affirme que bien que l'on puisse tuer le corps on ne peut tuer l'âme, parce qu'elle est éternelle, et
que, puisque selon l'enseignement orthodoxe, l'âme d'un guerrier tué pendant la bataille va tout droit
au ciel, il rend en réalité un service aux gens de sa famille en les débarrassant de leurs corps. En
second lieu, en refusant de combattre il violerait le dharma de sa caste, celle des Kshatriyas ou
guerriers, et, troisiémement, il serait accusé par ses ennemis d'avoir renoncé á la guerre parce qu'il
avait peur. S'il participe au combat, il ne peut rien perdre : ou bien il sera tué, et en ce cas il ira
directement au ciel, ou bien il vaincra, et alors il héritera de la terre. Arjuna, cependant, avait déjá
vu le ciel d'Indra, qui était son pére parmi les dieux, et n'avait été que peu impressionné par ce qu'il
y avait vu ; il n'était non plus guére davantage intéressé á hériter de la terre que ne l'était son frére
Yudhisthira qui, rempli de détachement pour ce bas monde, n'y était nullement intéressé. Il fallait
donc lui présenter des attraits plus grands. Aussi Krishna se met- il á l'instruire sur la façon dont la
libération finale peut être gagnée même par un guerrier engagé dans le combat, et ensuite sur le fait
que la délivrance ne doit pas nécessairement s'opposer au profond attachement qui le lie á Arjuna,
ni nier cet attachement. Le premier de ces buts peut être atteint, dit- il, en dissociant totalement son
propre « soi », qui est éternel et par conséquent n'est pas responsable d'actions commises dans le
temps, d'avec des actes effectués par un corps temporel conduit par une volonté temporelle, tous
deux étant de simples produits de la matiére (prakrti ou maya). Ce faisant, il parvient á la même
sépara-tion de l'esprit par rapport á la matiére qui constit ue la récompense du Yogin le plus
accompli. Au plus fort de la bataille, il ne sera donc pas différent du Yogin dont l'esprit est apaisé et
pour qui « la félicité suprême approche, ses passions apaisées, car il est devenu Brahman et est
libéré de l'effort... Se voyant en toutes choses et toutes choses en lui- même, il voit_ par tout la
même chose » (6.27.29). II aura transcendé le plaisir et la souffrance, le sentiment de «Je» et de
«mien» et tous les contraires, car il comprendra qu'il ne peut pas mourir, puisque son être véritable
se trouve en dehors du temps et de l'espace.
C'est alors que Krishna effectue la transition entre l'enseignement concernant l'âme immortelle et
Brahman, et l'enseignement le con-cernant lui- même, á savoir Dieu. « Pour celui qui vo it toutes
choses en moi et moi dans toutes les choses, je ne suis pas perdu et il n'est pas perdu pour Moi. Le
Yogin qui participe en moi (bhajati - m'aime, m'est attaché) qui suis présent en tous les êtres
contingents, et qui, enraciné dans l'unité, est cependant engagé dans toutes sortes d'occupations,
demeure en moi. » Il peut comprendre la nature de Dieu grâce á l'expérience de la libération dans
laquelle le temps et l'espace sont abolis, et il peut ainsi se sentir présent partout. Son esprit et ses
pensées étant fixés intensément sur Dieu, il parvient , á la « paix qui culmine dans le Nirvana et
subsiste en Dieu » (6.14-15), car c'est seulement lorsqu'elle est elle- même délivrée des liens du
samsâra que l'âme peut se rapprocher de Dieu (9.28). La voie de la « connaissance » (jnana), c'est-
á-dire de l'intense concentration yogique tendant á dissocier l'éternel du temporel en l'homme lui-
même, aussi bien que la voie de la dévotion (bhakti) sont considé-rées comme menant au « Nirvana
de Brahman » et donc á Dieu (6. 14-15, 27-32), mais la voie la plus aisée est celle de bhakti (12. 5-
7) et, á la différence des voies de salut prescrites parles Vedas et les Upanishads, lesquelles
demeuraient dans la possession exclusive des classes « deux fois nées », elle est accessible á tout le
monde, y compris les Sudras et les femmes.
Non seulement le Seigneur personnel est plus haut que Brahman, mais encore, comme Varuna dans
le Rig- Veda, il a le pouvoir de lier et délier - il peut sauver ses fidéles des effets de leur propre
karma, ou, selon la terminologie chrétienne, il a le pouvoir de pardonner les péchés et de remettre la
punition due au péché. « Si même un homme dont la conduite est trés mauvaise se consacre á mo i
et á nul autre, il sera cons idéré comme bon, car son intention est droite. Il deviendra trés vite
vertueux dans son âme (dharma-natma) et obtiendra la paix éternelle » (9.30-31). Ceci ne signifie
pas que la vertu demeure sans récompense : au contraire, elle est sa propre récompense, car « tous
ceux dont les mauvaises actions ont pris fin et dont les actions on pris fin et dont les actions sont
bonnes sont libérés de l'illusion des contraires et participent en moi, fermes dans leur résolution »
7.28). Le dharma éterne l est donc l'unique voie sûre conduisant á moksha au sein d'un monde
encore enchaîné. C'est seulement par la grâce de Dieu, toutefois, que le karma qui s'attache á une
âme peut être annulé et qu'elle peut « devenir Brahman » et, en devenant Brah- man, être dans l'état
convenable pour s'approcher de Dieu.
La grâce de Dieu, n'est pas non plus limitée á ses seuls dévots, car la foi en n'importe quelle divinité
est le don de Dieu et ne sera pas privée de sa récompense (7.21), étant donné que toute adoration en
réalité s'adresse au vrai Dieu. Cette importance accordée á la grâce représente quelque chose de
nouveau, car bien que la grâce divine soit mentionnée dans les Upanishads ultérieures et devienne
explicite dans la Svetasvatara, elle constitue le théme principal de la Gîtâ. L'homme « qui craint
samsâra et désire moksha » (MBh, 14.35.12) n'a plus besoin de tâtonner seul dans les ténébres de la
matiére vers la lumiére de la libération, car il peut á présent compter sur l'aide d'un Dieu sauveur
pour le guider vers la liberté des élus. Ce serait, cependant, une erreur de supposer que le Krishna
de la Bhagavad-Gîtâ est avant tout un Dieu d'amour : sa préférence ne va pas á l'adorateur
passionnément dévoué, mais au sage complétement déta-ché qui reconnaît néanmoins sa
souveraineté.
«L'homme, dit- il, qui n'éprouve aucune haine á l'égard d'une créa-ture, qui est amical et
compatissant, inconscient de ce qu'il a ou de ce qu'il est, indifférent au plaisir et á la souffrance,
patient, satis- fait, toujours discipliné (yogin), ayant le contrôle de lui- même, une résolution ferme,
l'esprit et l'intellect fixé sur moi, dévoué á moi - un tel homme m'est cher. L'homme dont les autres
gens ne s'écartent pas et qui ne s'écarte pas des autres, qui est libéré de la joie, de l'impatience, de la
crainte, de l'excitation, libéré - un tel homme m'est cher. L'homme qui n'est pas troublé, pur,
capable, indifférent, imperturbable, et qui renonce á toutes les entreprises par dévotion pour moi -
un tel homme m'est cher. L'homme qui ne fait pas de différence entre ami et ennemi, qui ne se
soucie pas d'être loué ou méprisé, d'avoir chaud ou froid, ou d'éprouver du plaisir ou de la
souffrance, qui est étranger á l'attachement, indiffé-rent á la louange et au blâme, restant paisible,
satisfait de tout ce qui lui arrive, qui n'a pas de foyer et dont l'esprit reste ferme bien qu'il soit rempli
de dévotion - un tel homme m'est cher. Mais ceux qui respectent cet immortel dharma, ainsi que je
viens de le déclarer, qui ont foi en moi et pour qui je suis la fin la plus haute, ces hommes dévoués
me sont excessivement chers » (12.13.20).
Nous glissons ici, de façon presque insensible, de l'idéal de « sainte indifférence » caractéristique
des Upanishads á une relation un peu plus chaleureuse entre Dieu et l'homme. La doctrine de
l'amour qui est appelée « la plus secréte de toutes » est gardée en réserve pour les derniéres lignes
du dernier chapitre de la Gîtâ ; pourtant, même lá, nous trouvons une extrême réserve. L'homme
parfait est celui qui a accompli convenablement les devoirs de sa caste (dans le cas d'Arjuna la
poursuite impitoyable d'une guerre juste mais dénuée de sens) tout en sachant tout le temps qu'en
aucun sens ces actions ne sont « les siennes N. La conscience d'un tel homme « est totalement
détachée, il a conquis le soi, le désir l'a quitté, et par le renonce- ment il parvient á cette perfection
absolue qui consiste en la dispa-rition de l'action (karma). Et en gagnant cette perfection, il gagne
aussi Brahman..., qui est le but final de la connaissance. Intégré, son intellect purifié, résolu en son
contrôle de lui- même, renonçant aux sens et á leurs objets, á l'amour (râga) et á la haine, cultivant
la solitude, mangeant légérement, le corps, la parole et l'esprit contrô-lés, constamment occupé á la
méditation, totalement dénué de pas-sion, abandonnant toute pensée de soi- même (ahamkara), de
force, d'orgueil, de désir, de colére et de cupidité, ne considérant rien comme sien, en paix (l'homme
parfait), est préparé á devenir Brah-man. Etant devenu Brahman, son âme apaisée, il ne connaît ni
cha- grin, ni désir » (18.49-54).
Devenir Brahman, ou plutôt se rendre compte que l'on a toujours été et que l'on est Brahman, c'était
lá l'essentiel de l'enseignement des Upanishads, et l'on ne pouvait concevoir d'état plus élevé (6.22).
Mais, juste á la fin de la Gîtâ, Krishna révéle la véritable nature de bhakti ; car, tandis qu'aux
premiéres étapes de l'Odyssée spirituelle, bhakti peut s'avérer un chemin court vers moksha, c'est
seulement lorsque moksha a été atteint que la vie véritable de bhakti, qui signifie la participation á
la vie de Dieu, peut commencer.
« Indifférent á toutes les créatures, il reçoit la dévotion suprême envers moi. Grâce á la dévotion
envers moi, il en vient á me con-naître, á savoir qui je suis et combien grand je suis dans mon
essence même. Alors, me connaissant dans mon essence, il pénétre aussitôt en moi. Bien qu'il soit
toujours occupé aux oeuvres (karma), s'appuyant sur moi, il atteint l'état éternel, immortel, par ma
grâce. »
Même ainsi, bien que pénétrer en Dieu puisse constituer une destinée encore plus haute que de «
devenir Brahman », il n'est pas encore suggéré que cela signifie l'aimer et être aimé par lui. Ceci est
réservé pour la fin même, et c'est lá « la plus secréte de toute doctrine » de Krishna et ses ultimes
paroles.
«Entends encore la plus secréte (doctrine) de tout, mes paroles ultimes. Parce que je te désire
grandement, je te dirai quel est ton salut. Pense á moi, adore- moi, offre-moi des sacrifices, rends-
moi hommage, ainsi tu viendras á moi. je te le promets en vérité, car je t'aime. Renonce á toutes les
choses du dharma, tourne-toi vers moi seulement comme ton refuge. je te délivrerai de tout souci.
Ne crains point. »
Ce sont ces derniéres paroles qui représentent un tournant décisif dans l'histoire de l'hindouisme, car
tout l'enseignement de la Gîtá jusqu'á la fin a été que la conduite idéale pour l'homme consistait á
accomplir les devoirs qui lui sont imposés par le dharma de sa caste tout en demeurant
constamment parfaitement détaché, l'esprit et l'âme fixés sur le Brahman éternel et sur Dieu. A
présent, cepen-dant, juste á la fin, il nous est dit que le détachement et l'indiffé-rence sublimée ne
sont que les premiers pas sur le chemin qui méne á l'union et á une communion amoureuse avec
Dieu : et c'est cela qui est absolument nouveau.
La pleine signification de cet aspect de la Gîtâ a été d'abord mise en relief par Ramanuja, le grand
philosophe théiste du xle siécle, qui fit tant pour rendre bhakti respectable au point de vue philo-
sophique. Pour Ramanuja, comme pour le Saiva Siddhanta, le monde phénoménal est réel et máyâ
est la maniére dont Dieu opére en lui. L'âme, comme dans toute la pensée hindoue, est éternelle et
intem-porelle, spirituelle, indivisible, pure conscience (chit) et de la même substance que Die u. Il
existe autant d'âmes qu'il y a de corps pour les abriter, et les âmes, tout en étant pareilles á Dieu et
semblables entre elles du fait qu'elles sont éternelles, n'en sont pas moins dis-tinctes entre elles et
distinctes de Dieu qui est leur origine. C'est seulement en réalisant moksha, cependant, que les âmes
entrent en possession de leur véritable nature intemporelle. Dieu est l'âme suprême - et la création
tout entiére constitue son corps » - tant les âmes dans l'éternité que le monde temporel. En même
temps, il est dans une catégorie différente et totalement autre que tout ce qui n'est pas lui- même.
Dans les Ecritures, on parle constamment de Dieu ainsi que de Brahman comme étant nirguna, «
sans qualités ou attributs » mais, selon Ramanuja, il est absolument bon, et nir- guna peut dés lors
signifier seulement qu'il est dénué d'attributs mauvais. En outre, Dieu est une personne, et en tant
que personne il est doué de toutes les qualités bonnes au plus haut degré.
« La forme divine (de Dieu) et le réceptacle de tout éclat, de tout charme, parfum, délicatesse,
beauté, et jeunesse - désirable, conforme, un en sa forme, impensable, divin, merveilleux, éternel,
indéfec-tible, parfait. Son essence et sa nature ne doivent pas être limi- tées par la parole ou la
pensée. Il est un océan de compassion sans bornes, d'excellence morale, de tendresse, de générosité
et de sou- veraineté, le refuge du monde entier sans distinction de personnes. Lui, l'unique océan de
tendresse pour tous ceux qui ont recours á lui, enléve les chagrins de ses adorateurs. (Par son
incarnation) il peut être vu par les yeux de tous les hommes, car sans laisser de côté sa nature
(divine), il est descendu pour demeurer dans la mai-son de Vasudeva, afin de donner la lumiére au
monde tout entier avec sa gloire indéfectible et parfaite, et pour remplir toutes choses de sa propre
beauté. » (R. sur B.G., 6.47.)
De même que dans le Saiva Siddhanta, dans la Gîtâ comme chez Ramanuja, Dieu emprisonne les
âmes dans la matiére uniquement pour les libérer et les unir á lui. Ceci constitue son adorable « jeu
» (krida, lila). En outre, de même que le fidéle a la nostalgie de Dieu et L'aime, de même Dieu a la
nostalgie de l'âme. « Quiconque M'aime au-delá de toute mesure », est- il rapporté que Dieu dit, « je
l'aimerai au-delá de toute mesure (en retour). Incapable de supporter d'être séparé de Moi, je le fais
Me posséder. Telle est Ma promesse véridique : vous viendrez á Moi » (18.65). Dieu a besoin de
l'âme autant que l'âme a besoin de Dieu et cela signifie que l'âme n'est ni annihilée ni absorbée dans
l'état libéré, mais qu'elle éprouve un amour éternel et qui s'accroît toujours. Le fidéle « bien qu'il en
soit venu á Me posséder, n'est pas lui- même détruit, et bien que je me donne á celui qui m'adore de
cette façon, il me semble que je ne lui ai rien fait » (9.42). Chez Ramanuja, l'amour de Dieu est
inconditionnel.
Ramanuja, comme Shankara, se considérait comme védantin ; mais de radicales divergences le
séparent de Shankara, et il le savait. Shankara ne voyait dans la bhakti rien de plus qu'un pas sur
l'échelle qui méne á la compréhension que l'Un seul existe et que toutes les âmes humaines sont cet
Un, ni plus ni moins. Une fois qu'elle a pris conscience de cette unité ineffable, l'âme est absolu-
ment en paix, au-delá de tous contraires et de toute expérience : et puisqu'elle est l'Unique Réalité
elle- même, il est clair qu'une fois cela compris, aucun autre progrés spirituel ne s'avére possible.
L'ado-ration de Dieu ou des dieux est ainsi perçue comme illusoire, car cela ne signifie rien d'autre
que le fait qu'on s'adore soi- même. C'est pourquoi bhakti constitue un substitut trés inférieur, parce
que irréel, á la connaissance (jnana), c'est-á-dire, la prise de conscience de l'unité absolue.
Ramanuja n'admet rien de tout cela. Pour lui, la libération ne signifie rien de plus que le fait de
transcender le temps et l'espace - cette possibilité de transcender constitue le droit que posséde
chaque âme humaine á sa naissance : ce n'est rien d'autre que l' « isolement » dont il est parlé dans
le Samkhya-Yoga dans lequel l'âme devient comme Dieu, mais n'a pas de relation per-sonnelle avec
Dieu. L'amour de Dieu est une expérience diffé-rente et complétement nouvelle, et elle a lieu dans
l'éternité, non dans le temps. La libération peut être une excellente chose, mais comparée á l'amour
de Dieu elle est pareille á une graine de mou-tarde á côté du mont Méru, et le soin égoiste que l'on
prend de sa propre âme immortelle est rejeté avec dédain comme ne conve-nant qu'á ceux qui ne
savent pas aimer (R, sur BG, 12.11.12).
Ramanuja appela son systéme visishtadvaita, « non-dualité dans la différence s, et il est seulement
le premier des philosophes vaishnaivites, dont Madhva, Vallabha, Nimbarka et les adeptes de
Caitanya sont les plus importants ; ils rejetaient le monisme pur de Shankara comme destructeur de
la religion. Madhva, qui vivait au treiziéme siécle, alla bien plus loin que Ramanuja, et ne craignait
pas de se décrire lui- même comme un « dualiste 2 » (dvaita). Il établit une triple distinction entre
Dieu, qui seul est absolu et indépendant les âmes humaines qui sont éternelles, bien que soumises á
Lui, et la matiére. Il différe de tous les autres penseurs de l'Inde en ce qu'il distingue trois catégories
d'âmes - en premier lieu, ces quelques esprits élus qui sont destinés á la libération et á une
communion amoureuse avec Vishnu, sa parédre Laksmi, et Vayu (le dieu du vent védique,
transformé en Esprit Saint) ; en second lieu, la majorité des âmes, qui sont de qualité indifférente et
ne peuvent que s'attendre á une série interminable de renaissances, et enfin les âmes dont la
perversité est telle qu'elles ne peuvent s'attendre qu'á un châtiment éternel en enfer. Cette réaction
extrême contre Shankara et Ramanuja, et l'accent mis sur le rôle de Vayu en tant qu'Esprit Saint et
sur les souffrances éternelles de l'enfer est généralement considéré comme dù á une influence
chrétienne. C'est certai- nement complétement différent de la pensée indienne et n'a jamais réussi á
attirer plus qu'une fraction des adorateurs de Vishnou. Toutefois, l'influence de Ramanuja porta des
fruits au centuple dans la floraison médiévale des cultes bhakti.

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