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A - Définition
Tocqueville donne au terme démocratie un sens plus large que celui qui lui est généralement
donné par les politistes :
Il désigne par ce terme un état de la société et non une forme de gouvernement.
Selon lui, la démocratie se caractérise par une égalisation des conditions .
Mais qu’entend-il par-là ?
• Cela signifie t’il que dans les sociétés démocratiques tous les individus sont
intellectuellement égaux ? Non cela serait absurde.
• Alors peut on considérer qu’il existe une égalité économique ? Cela parait impossible à
Tocqueville pour qui « il se rencontre toujours des citoyens très pauvres et des
citoyens très riches » (3 p525).
- Par démocratie il entend donc la disparition des ordres ou des classes
héréditaires qui caractérisaient les sociétés d’ancien régime .Dés lors
qu’il n’y a plus de différences héréditaires de conditions toutes les occupations,
toutes les professions, toutes les dignités, tous les honneurs sont accessibles à
tous les individus et non plus à une élite se les transmettant de père en fils. Cela
va avoir deux conséquences essentielles :
- Contrairement aux sociétés d’ancien régime on peut certes observer
des pauvres mais ceux ci ne représentent plus la majorité de la
population : avant 1789 la noblesse qui était la classe dominante pesait moins
de 5 % de la population.
- Au contraire dans la société démocratique « de même qu’il n’y a plus de
race de pauvres , il n’y a plus de races de riches » , les riches et les
pauvres qui n’ont pas disparus sont devenus minoritaires et « entre ces deux
extrémités de sociétés démocratiques se trouve une multitude d’hommes
presque pareils, qui, sans être précisément ni riches, ni pauvres, possèdent
assez de biens pour désirer l’ordre, et n’en n’ont pas assez pour exciter l’envie.
Conclusion : Tocqueville considère donc que la classe qui est dominante du point
de vue du nombre et qui est représentative des sociétés démocratiques est la
classe moyenne, qui n’est pas une classe au sens marxiste du terme (il vaudrait
mieux parler de strate) , mais le groupe central par rapport auquel va se définir la
société. Avec la démocratie on peut donc parler d’une moyennisation de la société.
Comme J.L. Fabiani l’écrit « la multiplicité des critères et des échelles de stratification sociale
est pour Tocqueville une caractéristique distinctive de la société démocratique :
• Dans les sociétés d’ordres ou de castes, la position de l’individu est toujours clairement
définie et aisément reconnaissable à un certains nombres d’indices matériels et
symboliques.
• Il n’en est pas de Même dans la société démocratique . »
CONCLUSION :
Tocqueville considère donc que dans les sociétés démocratiques sont impliquées à la fois :
• l’égalité sociale
• et la tendance à l’uniformité des modes de vie et des niveaux de vie, tous les individus
y étant à peu près égaux en lumière et en biens .
Conclusion : R Boudon en conclut : « l’égalitarisme est une idéologie qui , parmi les valeurs
entrant dans la formule de légitimité en vigueur dans les sociétés industrielles occidentales,
accorde à l’égalité prise dans l’un ou l’autre de ses sens la place prépondérante. Tocqueville
voit dans la marche vers l’égalité des conditions une tendance de longue durée » .
Tocqueville distingue les 4 formes que prend cette tendance qui sont selon R Boudon :
• « Les statuts juridiques des personnes sont rendus égaux avec la liquidation de
la féodalité. Ainsi les individus sont reconnus également aptes à contracter, à acheter
et à vendre (ce qui est à la base d’une économie de marché), à se marier
• Vient ensuite, ou concurremment, un processus d’égalisation des droits
politiques. A tous les hommes puis à tous les adultes de l’un et l’autre sexe, se
trouvent ouvert l’accès au suffrage.
• En troisième lieu , nos sociétés devenant plus productives et plus riches, les
disparités extrêmes entre l’abondance et la pénurie se trouvent
graduellement comblées, ou plutôt perçues comme devant être comblées .
• A ce tableau très optimiste, on peut ajouter un dernier trait. Les inégalités de
participation aux biens publics comme l’éducation, la santé et aux diverses
aménités de la vie en société, seraient , elles aussi, progressivement réduites
, au point qu’à la limite tous les membres de la société moderne pourraient prétendre à
la jouissance d’un même trésor culturel ».
Constat : Dans les sociétés démocratiques , selon Tocqueville , la recherche d’une plus
grande égalité est l’objectif principal des individus ( section I , III ). Cette recherche aura deux
conséquences :
1 - l’individualisme
selon Tocqueville :
• l e système d’Ancien Régime avec l’aristocratie permettait la constitution d’un lien
social puissant (cf chapitre lien social) :
- il y avait des individus puissants , unis par des liens de famille et de vassalité et
par une tradition .
- Les individus se sentaient dépendants de leurs concitoyens : « comme dans les
sociétés aristocratiques , tous les citoyens sont placés à poste fixe , les uns au-
dessus des autres , il en résulte que chacun aperçoit toujours plus haut que lui
un homme dont la protection lui est nécessaire , et plus bas il en découvre un
autre dont il peut réclamer le concours . »
- Ils se sentent aussi responsables des générations futures puisque les familles
restent plusieurs générations dans le même lieu : leurs actions vont avoir une
influence pour leurs descendants
• Or , en démocratie cette dépendance entre individus et générations n’existe plus :
- Une des caractéristiques de la démocratie est, selon Tocqueville, qu’il n’existe
plus de classe de riches et de pauvres , c’est-à-dire de classes stables ,
constituées sur le long terme : les individus ne sentent donc pas responsables de
leurs des descendants .
- A mesure que l’égalité progresse , il y a un nombre de plus en plus grand
d’individus , qui ont assez de revenus et de connaissances pour se suffire à eux-
mêmes .Ils considèrent alors qu’ils ne doivent rien à personne et n’attendent rien
de personne .
les individus n’ont plus qu’un objectif , la satisfaction due à la possession de biens
matériels .
Explications : Car les peuples démocratiques ont un goût naturel pour l’égalité , et pour
éviter une inégalité des conditions , ils préféreront sacrifier la liberté :
• pour obtenir l’égalité des conditions , vont se mettre en place des réglementations
• qui freinent la marge de manoeuvre des individus et donc les empêchent de s’élever
au-dessus des autres .
Remarque : Cette tentation est d’autant plus forte en démocratie, selon Nisbet et le risque
du despotisme est d’autant plus marqué que :
• La démocratie est apparue à la suite d’une révolution ( on peut ici opposer le cas
de la France à celui des USA où la démocratie est apparue progressivement ) , car alors
les classes dirigeantes locales ayant disparu dans la tempête qui en a résulté, les
masses n’étant pas habituées à se prendre en charge, les individus vont alors penser
que seul l’Etat peut se charger de tous les détails du gouvernement.
• Une partie importante de la population est analphabète . En effet « en raison de
la disparition des pouvoirs intermédiaires : l’ignorance dans laquelle est plongé le
peuple le place plus directement sous la coupe du pouvoir central »
• selon Tocqueville la personnalité du dirigeant qui détient le pouvoir est
essentielle : en effet « les hommes ne sont jamais si heureux de transférer le pouvoir
à leur chef que lorsqu’ils ont le sentiment que celui ci est en tout point semblable à
eux » . On peut ainsi selon certains auteurs expliquer les tendances démagogiques qui
caractérisent les dirigeants des démocraties , qui cherchent absolument à se
rapprocher du peuple , à faire peuple.
• La disparition des corps intermédiaires est très dangereuse. « l’égalité a
entraîné la disparition des corporations, des classes des rangs et de toutes les
associations qui, en vertu de l’inégalité des conditions qu’elles instauraient,
constituaient une limite au pouvoir royal. (...) A la force quelque fois oppressive, mais
souvent conservatrice d’un petit nombre de citoyens, a donc succédé la faiblesse de
tous ».
Les solutions préconisées : Nisbet écrit : » il ne faut pas réduire la pensée de Tocqueville à
des considérations pessimistes sur l’évolution inéluctable de la démocratie vers un régime
tyrannique et plébiscitaire » Tocqueville essaye alors de mettre en évidence les moyens qui
ont permis aux Etats- Unis de mettre un frein à la tyrannie (8 p 527); il en distingue au moins
6:
• l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir politique,
• la séparation de l’Eglise et de l’Etat,
• l’autonomie et le statut élevé des professions libérales,
• l’autorité de la communauté locale,
• l’existence d’une frontière qui à l’époque de Tocqueville était toujours ouverte. la
liberté de la presse.
• Tocqueville est donc opposé à une intervention trop importante de l’Etat. Lors
d’un discours à l’Assemblée sur le problème du chômage et de sa prise en charge par
l’Etat , Tocqueville indique :
- « le droit au travail implique que l’Etat fasse en sorte qu’il n’y ait pas de
chômage. Cela le mène forcément à distribuer les travailleurs de manière à ce
qu’ils ne se fassent pas concurrence, à régler les salaires ,tantôt à modérer la
production, tantôt à l’améliorer, en un mot, il devient le grand et unique
organisateur du travail.
- Et au bout qu’aperçoit-on ? le socialisme, c’est à dire l’idée que l’Etat ne doit pas
être seulement le directeur de la société, mais le maître, le percepteur, le
pédagogue de chaque homme. Qu’est ce que le socialisme ? C’est la nouvelle
formule de la servitude. (...) Est ce que la démocratie consisterait à créer un
gouvernement plus tracassier, plus détaillé , plus restrictif que tous les autres,
avec cette seule différence qu’on le ferait élire par le peuple ? Mais alors,
qu’aurez vous fait que donner à la tyrannie un air légitime qu’elle n’avait pas?
- La démocratie libérale étend la sphère de l’indépendance individuelle, le
socialisme la resserre. Il n’y a rien dans le message de 1789 qui force l’Etat à se
mettre à la place de la prévoyance individuelle. Il n’y a rien qui autorise l’Etat à
s’entremettre au milieu des industries, à leur imposer des règlements ».
• On se rend bien compte à la lecture de ce passage que Tocqueville est favorable à
la conception libérale de la démocratie qui met en avant la liberté par rapport à
l’égalité. Il souhaite donc une limitation des pouvoirs de l’Etat, il appelle de ses vœux
un Etat gendarme.
Conclusion : Sur ce point Tocqueville entre dans la logique des économistes libéraux qui
considèrent qu’ un certain niveau d’inégalité est nécessaire pour assurer un développement
économique ,mais que cette inégalité est juste et équitable si elle améliore le sort des plus
pauvres.