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101.

1 Critiljlle d4 la railon plll'e

[A 29)] De11xiime Jit1ilion


DIALECTIQYE TRANSCENDANTALE

Introdllflion

I. DE L'APPARENCE TRANSCENDANTALE

Nous avons nommé plus haut la dialeél:ique en


général une logifjlll tkl'apparente1 • Cela ne veut pas
dire qu'elle soit une théorie de la probabilité, car la
probabilitél eft une vérité, mais une vérité dont la
connaissance procède de raisons insuffisantes :
aussi cette connaissance eft-elle sans doute défec-
tueuse, mais die n'eft pas trompeuse pour cela, et
par conséquent ne doit pas être séparée de la partie
analytique de la logique. Encore moins peut-on
tenir pour la même chose le Jhlnomlne et l'appa-
rente&. [B JJO] En effet, la vérité ou l'apparence ne
sont pas dans l'objet en tant qu'il eft mtuitionné,
mais dans le jugement sur ce même objet, en tant
qu'il eft pensé. On peut donc dire très juftement
que les sens ne font eas d'erreur; mais ce n'eft pas
pour cette raison qu'ils jugent toujours exaél:ement,
c'eft parce qu'ils ne jugent pas du tout. Par consé-
quent, c'eft uniquement dans le jugemen~. c'eft-4-
dire uniquement dans le rapport de )~objet à notre
entendement, qu'il faut placer la vérité aussi bien
que l'erreur, et partant aussi l'apparence, en tant
qu'elle nous incite à l'erreur. Dans une connais-
sance qui s'accorde comelètement avec les lois de
l'entendement, [A 294} Il n'y a pas d'erreur. Il n'y
en a pas non plus dans une représentation des sem
(parce qu'elle ne contient aucun jugement).
Diale8i(jlle transtenàanta/e 1013

,A.ucune force de la naturel ne peut d'elle-même


e'écarter de ses propres lois. Ausst ni l'entendement
par lui-même (sans être influencé par une autre
cause), ni les sens par eux-mêmes ne se trompent.
L'entendement ne le peut pas parce que, dès qu'il
n'agit que d'après ses propres lois, l'effet (le juge-
JJlent) doit nécessairement s'accorder avec elfes.
C'dt dans l'accord avec les lois de l'entendement
que consifte le formel de la vérité. Dans les sens,
il n'y a absolument aucun jugement, ni vrai ni
faux. Comme nous n'avons point d'autre source
de connaissance que ces deux-là•, il suit que l'er- w .•,
reur ne peut être produite que par l'influence ina-
r,erçue de la sensiliilité sur l'entendement, par quoi
il arrive que les principes subjeétifs du jugement
[B JJI} VIennent se mêler avec les principes objec-
tifs, et les font dévier de leur deftination•. n en cft
ici comme d'un corps en mouvement : de lui-
JJlême, sans doute, il suivrait conftamment la
~ droite dans la même direéüon; mais vienne
l l'influencer une autre force agissant dans une
autre direaion, il dévie en un mouvement dont la
uajettoire décrit une ligne courbe. Pour bien dis-
tinguer l'aaion fropre [A 211] de l'entendement
de la force qui s y mêle, il sera donc nécessaire de
considérer le jugement erroné comme la diagonale
entre deux forces qui déterminent le jugement sui-
vant deux direaïons différentes, qui enferment
pour ainsi dire un angle, et de résoudre cet effet
composé en deux effets simples, celui de l'enten-
dement et celui de la sensibilité'. C'eft ce qui doit
se produire dans les jugements purs a priori par le
moyen de la réflexion transcendantale', qui (comme
nous l'avons déjà montré) assigne à chique repré-
sentation sa place dans la faculté de connaître CJ_ui
lui cft apJ;ltO.Priée, et, par suite, permet de d.iftin-
guer auss1l'influence de la sensibilité sur l'enten-
dement'.
• La sensibilité, soumise à l'entendement comme l'ob{et
auquel celui-ci applique sa fonaion, dl la source de connaJ&-
sanccs réelles. Mais cette même sensibilité, en tant qu'elle
inliue sur l'a& même de l'entendement ct le détermine à
juger, dl le fondement de l'cucur.
1014 Critique de la raûon pure
Notre objet n'e~ pas ici de traiter de l'apparence
empirique (par exemple des illusions optiques) que
présente [ B J J 2 J l'usage empirique des règles d'ail-
leurs ju~es de l'entendement, et où le jugement eft
égaré par l'influence de l'imagination; il ne _s'agit
ici que de cette apparence transcendantale, qui infllle
sur des principes dont l'usage ne s'applique jamais
à l'expérience, auquel cas nous aurions encore au
moins une pierre de touche pour en vérifier 1a
valeur, mais qui, malgré tous les avertissements
de la critique, nous entraîne tout à fait hors de
l'usage empirique des catégories et nous abuse par
l'illusion dune extension de l'entendement p11r. Nous
nommerons les principes dont l'application se tient
entièrement dans les limites [A 296} de l'expé-
rience possible immanents, mais ceux qui sortent
de ces limites, nous les appellerons transcendants.
Je n'entends point par là 1 usage ou l'abus trans-
m.•,6 cendanlal des catégories, qui ~ une simple faute
de notre faculté de juger lorsqu'elle n'~ point
suffisamment bridée par la critique, et qu'elle ne
prête pas assez attention aux liriiites du seul ter-
rain où l'entendement pur ait la permission de
jouer son rôle; j'entends par là des principes effec-
tifs, par lesquels nous sommes censés renverser
toutes ces bornes et nous arroger un domaine tout
nouveau où l'on ne reconnaît plus nulle part
aucune démarcation. Aussi le transcendantal et le
transcendant ne sont pas la même chose1 • Les prin-
cipes de l'entendement pur que nous avons expo-
sés plus haut ne doivent avoir qu'un usage empi-
rique, et non un usage transcendantal, [B JJJ]
c'e~-à-dire dépassant fes limites de l'expérience.
Mais un princ1pe qui repousse ces limites, et noua
enjoint même de les franchir, s'appelle un principe
transcendant. Si notre critique peut parvenir à
mettre au jour l'apparence de ces principes usurpés,
alors ceux qui n'ont qu'un usage emp1rique pour-
ront être nommés, par opposition à ces derniers,
les principes immanents de 1 entendement pur.
L'apparence logique, qui consiste simplement
dans 1'1mitation de la forme rationnelle (l'apE-
rence des paralogismes), résulte uniquement aun
Dialetlitp~e transce111lanta/e 1o 1 '

d6faut d'attention à la règle logiquel. Aussi se dis-


sipe-t-elle complètement dès que cette règle dt
appliquée au cas donné. [A 297] L'apparence
transcendantale, au contraire, ne cesse pas, lors
111êroe qu'on l'a mise au jour, et qu'on en a clai-
rement reconnu la vanité ~râce à la critique trans-
cendantale (par exemple,} apparence qu'offre cette
proposition : Le monde dott avoir un commence-
111ent selon le temps)•. La cause en cft qu'il y a dans
notre raison (considérée subjeéUvement comme un
pouvoir humain de connaitre) des règles fonda-
01entales et des maximes• de son usage, ~ui ont
tout à fait l'apparence de principes objeaifs et qui
font que la nécessité subjeéti.ve d'une certaine lW-
son de nos concepts, en faveur de l'entendement,
passe pour une nécessité objeélive de la détermi-
nation des choses en soi. C'cft là une i8111ion qu•on
ne saurait éviter, pas plus {B JU] que nous ne
pourrions éviter '\ue la mer ne nous paraisse plus
èlevée au large qu auprès du rivage, puisque nous
la voyons alors par cfes rayons plus élevés, ou pas
plus que l'aftronome lui-même ne peut empêcher
que la lune lui paraisse grande à son lever, bien
qu'il ne soit pas trompé par cette apparencet.
La dialeéUque transcendantale se contentera
donc de mettre au jour }"apparence des Îugements
transcendants et en même temps d empêcher
qu"elle ne nous trompe&; mais que cette apparence m,a, 7
aussi se dissipe (comme le fait }"apparence lo~ique),
et qu'elle cesse d'être une apparence, c eft ce
qu"elle ne pourra jamais fA 298] obtenir. Car
nous avons affaire à une iDt~~ion nat~~reU1 et inévi-
table, qui repose elle-même sur des tJrincipes sub-
jeaifs et les donne {!Our des princtpes objeéUfs,
tandis que la dialeffique logique, pour résoudre
les paralogismes, n'a affaire qu'à une faute dans
l'obServation des principes, ou bien à une appa-
rence tout artificiClle dans leur imitation. n y a
donc une dialeéUque de la raison J;?Ure, naturelle
et inévitable : ce n"eft pas celle ou s"engage un
ignorant faute de connaissances, ni celle qu•un
aophifte a ingénieusement imaginée pour tromper
les gens raisonnables, mais celle qw cft insépara-
1016 Critique Je la raüon pure
blement liée à la raison humaine et qui, même
quand nous en avons découvert l'illusion, ne cesse
pas de se jouer d'elle et de la [ B J J J] jeter à chaque
1n~ant dans des erreurs momentanées, qu'il faut
con§tamment dissiper1 •

II. DB LA RAISON PURE COMME SIÈGE Dl!


L'APPARENCE TRANSCENDANTALE

A. De la raüon en général
Toute notre connaissance commence par les
sens, passe de là à l'entendement et finit par la rai-
son. Il n' e~ pas en nous de faculté au-dessus de
cette dernière, pour élaborer la matière de l'intui-
tion et pour la ramener sous la plus haute unité
{A 299] de la penséel. Comme il me faut ici don-
ner une définition de cette faculté suprême de
connaître, je me trouve dans un certain embar.raa.
Il y a d'elle, comme de l'entendement, un usage
purement formel, c'e~-à-dire l'usage logique,
quand la raison fait abfuaél:ion de tout le contenu
de la connaissance; mais elle a aussi un usage réel,
puisqu'elle contient elle-même la source de cer-
tains concepts et de certains principes qu'elle ne
tire ni des sens, ni de l'entendement•. Sans doute
le premier de ces ~ouvoirs a été défini depuis long-
temps par les log1ciens, comme le pouvoir d'infé-
rer médiatement (par opposition à celui d'inférer
immédiatement, consequentiü immediatü)•, mais le
second qui produit lui-même des concepts n'eft
m, .,a pas encore expliqué par là. Puisqu'il se trouve donc
tci que la raison se partage en un pouvoir logique
et un pouvoir [B JJ6] transcendantal, il faut cher-
cher un concept plus élevé de cette source de
connaissances, un concept qui comprenne les deux
autres sous lui; cependant nous pouvons espérer,
d'après l'analogie avec les concepts de l'entende-
ment, que le concept logique nous donnera en
même temps la clef du transcendantal, et que le
tableau des fonétions des concepts de l'entende-
ment nous fournira en même temps la table généa-
logique des concepts de la raison.
Diale8i1J11e transçendmztale 1017

Dans la première partie de notre « Logique


transcendantale)), nous avons défini l'entendement
comme le pouvoir des règles1 ; nous dirunguons
ici la raison de l'entendement en la nommant le
pouvoir des J!rintipes.
[.A JOO] L expression de principe dt équivoque
et d'ordinaire elle ne signifie qu'une connaissance
qui peut être employée comme principe sans être
un principe par elle-même et en sa propre origine.
Toute proyosition universelle, fût-elle tirée de l'ex-
f'érience q>ar induaion), .Peut servir de majeure
aans un raisonnement; mats elle n'eft pas pour cela
un principe. Les axiomes mathématiques, par
exemJ?le celui-ci qu'entre deux points il ne peut
y avolr qu'une ligne droite, sont bien des connais-
sances universelles a priori et reçoivent à jufte titre
le nom de principes, relativement aux cas qui
peuvent être subsumés sous eux. Toutefois, je ne
puis pour cela dire que je connais en général,[B J J7J
et en elle-même à partir de principes, cette pro-
priété de la ligne droite; loin de là, Je ne la connais
que dans l'intuition pure•.
Je nommerai donc connaissance provenant de
pnncipes celle où je reconnais le particulier dans
l'universel par concepts. Ainsi tout raisonnement
eft une forme de l'aél:e de dériver une connaissance
d'un principe. En effet, la majeure donne en tout
cas un concept qui fait que tout ce qui eft subsumé
sous la condition de ce concept eft connu à partir
de ce concel?t suivant un principe. Or, comme
toute connatssance universelle peut servir de
majeure dans un raisonnement, et que l'entende-
ment fournit des propositions universelles a priori
de ce genre, ces propositions peuvent aussi rece-
voir le nom de prmcipes en considération de
l'usage qu'on en peut fatre.
[A Jo rJ Mais s1 nous considérons ces principes
de l'entendement pur en eux-mêmes, dans leur
origine, ils ne sont rien moins que des connais-
sances par concepts. En effet, ils ne seraient même
pas possibles a priori, si nous n'y introduisions
l'intuition pure (c'eft le cas de la mathématique),
ou les conditions d'une expérience possible en
1018 Crilitjlll tk la raüon p~~re
m.•, général. Qye tout ce qui arrive a une cause, on
ne peut nullement le conclure du concept de ce
qu! arrive en général, c'eft bien plutôt ce principe
qui nous montre comment nous pouvons tout
d'abord avoir de ce qui arrive un concept d'exp6-
rience déterminé.
L'entendement ne }.'eut donc nous fournir de
connaissances synthétiques par concepts, et ca
connaissances sont [ B J J 8] proprement celles que
l
''appelle, au sens absolu, principes, bien que toutes
es propositions universelles en générar puissent
être appelées des principes par comparaison.
TI y a un vœu bien ancien et qui s'accomplira
peut-être un jour, mais 9ui satt après 9udle
attente 1 C'eft que l'on parvienne à découvnr lia
place de la variété sans fin des lois civiles les
principes de ces lois, car c'eft là seulement que ç!t
le secret pour simplifier, comme on dit, la légu-
lation. Mais les lois ne sont ici que des limita.tions
de notre liberté qui la reftreignent aux conditions
qui lui permettent de s'accorder complètement
avec elle-même; par conséquent, elles concernent
quelque chose qui eft tout à fait notre propre
ouvrage et dont nous pouvons être les causes par
le moyen de ces concepts mêmes. Mais demander
que les objets en soi, [A J02] la nature des choses
soient soumis à des principes et doivent être déter-
minés d'après de simples concepts, c'eft, m~e s'il
n'y a là rien d'impossible, formuler pour le moins
une exigence très extravagante. Qyoi qu'il en soit
sur ce point (car c'eft encore une recherChe à ~e),
il eft clair au moins par là que la connaissance par
principes Q>rise en elle-même) eft quel~ue chose
de tout à fatt différent de la simple connatssanœ de
l'entendement1 : celle-ci peut sans doute en pré-
céder d'autres dans la forme d'un principe, mais
elle ne repose pas en elle-même (en tant qu'eUe eSt
synthétique) sur la simJ.lle pensée, et ne renferme
pas quelque chose d'un1versel par con~ts.
[B JJ9j Si l'entendement peut être d~ comme
pouvou: de ramener les phénomènes à l'unité au
moyen de règles, la raison eft le pouvoir de mmener
à l'unité les règles de l'~tendement sous des prin-
Dialetlique transcendantale 1019

cipcs. Elle ne se rapporte donc jamais immédia-


tement à l'expérience ou à quelque objet que ce
soit, mais à l'entendement, pour donner au divers
des connaissances de celui-ci une unité a priori
grâce à des concepts; cette unité peut être appelée
unité de raison, et diffère essentiellement de celle
qu'on peut tirer de l'entendement.
Tel cft le concept général du pouvoir qu'cft la
raison, dans la mesure où il cft possible de le faire
comprendre en l'absence totale des exemples qui
ne doivent être donnés que par la suite.

[A JOJl B. De l'mage logique de la rauon m,....,


On fait une diftinél:ion entre ce qui eft immédia-
tement connu et ce que nous ne faisons qu'inférer.
Qye dans une figure limitée par trois lignes droites,
iJ y ait trois angles, c'eft là une connaissance immé-
diate; mais que ces angles pris ensemble soient
égaux à deux droits ce n'cft qu'une conclusion.
Comme nous avons conftamment le besoin d'in-
férer, et que pour cette raison cela devient en
nous tout à falt une habitude, nous finissons par
ne plus remarquer cette diftinél:ion et, comme il
arrive dans ce qu'on appelle les illusions des sens,
nous tenons souvent pour quelque chose d'immé-
diatement perçu ce que nous n'avons pourtant
fait que conclure. Dans touteinférence,[B J6o} il y
a une proposition qui sert de principe, et une
seconde qui en eft tirée, la conclusion, et enfin la
consécution (la conséquence) qui lie indissolu-
blement la vérité de la dernière à celle de la pre-
mièrel. Si le jugement conclu eft déjà renfermé
dans le premier, en sorte qu'il puisse en être tiré
sans la médiation d'une troisième idée, l'inférence
dt dite alors immédiate ( &onsequen&ia i111111ediata) ;
j'aimerais mieux l'appeler inférence d'entende-
ment. Mais si, outre Ia connaissance qui sert de
principe, il eft encore besoin d'un autre jugement
pour opérer la conclusion, alors on parle d'infé-
rence de raison (ou raisonnement). Dans cette
proposition : Tous les hommes sont mortels, sont
déjà renfermées ces propositions : Q!elques
102.0 CritiiJUe Je la raüon pllf'e
hommes sont mortels, ou bien rien de ce qui e8l
immortel n'dt [A JOI] homme, et ces proposi-
tions sont des conséquences immédiates de la
première. Au contraire, cette proposition: Tous
les savants sont mortels, n'dt pas renfermée dans
le premier jugement, car le concept de savant ne
s'y trouve pas du tout, et elle ne peut en être tirée
qu'au moment d'un jugement intermédiaire.
Dans tout raisonnement, je conçois d'abord une
règle (major) au moyen de l'entendement. Ensuite,
je subsume une connaissance sous la condition de
la règle ( minor) au moyen de la jQÇulté Je juger•.
Enfui je détermine ma connaissance par le prédicat
de la règle [ B J 6r} ( conclmio), et par conséquent
a priori, au moyen de la raüon. Aussi le rapport
que représente la majeure comme règle entre une
connaissance et sa condition• confutue-t-il les
rn,.... diverses espèces de raisonnements. Comme on
diftingue trois sortes de jugements en considérant
la manière dont ils expriment le rapport de la
connaissance de l'entendement, il y a aussi trois
sortes de raisonnements : les catégoriques, les
hypothétiques et les Jüjonélijsl.
Si, comme il arrive d'ordinaire, la conclusion se
présente sous la forme d'un jugement donné, pour
voir si ce jugement ne découle pas de jugements
déjà donnés par lesquels un tout autre objet dt
pensé, je cherche dans l'entendement l'assertion
de cette conclusion, afin de voir si elle ne Ile trouve
pas déjà dans l'entendement sous certaines condi-
tions d'après une règle générale'. Si je trouve une
[A JOJ] telle condition, et si l'objet de la conclu-
sion se laisse subsumer sous la condition donnée,
cette conditions eSt tirée d'une règle qui vaut IIIIISi
pour J'autres objets Je la connaissance. Par où l'on
voit que la raison, dans le raisonnement, cherche A
ramener la grande variété des connaissances de
l'entendement au plus petit nombre de princi~
(de conditions universelles) et à y accomplir atnSi
la plus haute unité.
DialetliqNe lransçentlantale 102.1

[B J62} C. De l'mage p~~r de la raùon


Peut-on isoler la raison, et en ce cas dt-elle
encore une source propre de concepts et de juge-
ments qui ne proviennent que d'elle, et par lesquels
elle se rapporte à des objets1 ? Ou bien n'dt-elle
qu'un pouvo.ir subalterne, celui d'apporter à des
connaissances données une certaine forme, que
l'on appelle logique, et, par ce moyen, d'ordonner
entre elles les connaissances de l'entendement, et
de subordonner les règles inférieures à d'autres
plus élevées (dont la condition renferme dans sa
sphère celles des précédentes) autant qu'on peut le
faire en les comparant entre elles'? Telle dt la
queftion que nous avons maintenant à traiter
seule, avant toute autre. Dans le fait, la diversité
des règles et l'unité des f.rincipes, voilà ce qu'exige
la raison pour mettre 'entendement en complet
accord avec lui-mêmel, de même que l'entende-
ment soumet à des conce.Pts le divers de l'intuition
et l'amène ainsi à une lia1son. [A J06} Mais un tel
principe ne prescrit nulle loi aux objets et il ne
contient pas le fondement de la possibilité de les
connaître et de les déterminer comme tels en
général. Il n'eft qu'une loi subjeéüve de cette
économie dans l'usage des richesses de notre
entendement, qui consifte à ramener l'usage Ill, 24•
général des concepts de l'entendement au plus
petit nombre possible, par la comparaison qu'on
en fait, sans que l'on soit par là autorisé à exiger
des objets eux-mêmes une harmonie si bien faite
pour [B J6J}la commodité et l'extension de notre
entendement, et à attribuer à cette maxime en
même temps une valeur objeéüve. En un mot, la
queftion eft de savoir si la raison en elle-même,
c'eft-à-dire la raison pure, contient a priori des
principes. et des règles sy~thétiques, et en quoi
ces pnnapes peuvent cons1fter.
Le procédé formel et logi<J.ue de la raison dans
les raisonnements nous fourrut à ce sujet déjà une
indication suffisante pour trouver le fondement
sur lequel devra reposer le principe transcendantal
102.1 Critique de la raüon pure
de cette faculté dans la connaissance synthétique
que nous devons à la raison pure.
D'abord, le raisonnement ne concerne pas dea
intuitions qu'il ramènerait sous des règles (conune
fait l'entendement avec ses catégories), mais il
concerne les concepts et les jugements. Si donc 1a
raison pure se rapporte aussi à des objets, elle n'a
cependant pas de rapport immédiat à ces objets et
à leur intuition, elfe n'a un tel rapport qu'avec
l'entendement et ses jugements qui sont, eux,
direétement en contaét avec les sens [A J07] et
leur intuition, pour en déterminer l'objet. L'unité
de raison n'e§t donc pas l'unité d'une expérience
possible, elle se difungue au contraire essentielle-
ment de celle-ci, comme de l'unité d'entendement.
Le principe que tout ce qui arrive a une cause n'cft
point du tout connu et prescrit par la raison. n
rend possible l'unité de l'expérience et n'emprunte
rien à la raison q_ui, sans [B J6.1] ce rapport à une
expérience poss1ble, n'aurait pu, à partir de
simples concepts, imposer une unité synthétique de
ce genre.
En second lieu, la raison, dans son usage logique
cherche la condition universelle de son jugemeo~
(de la conclusion) et le raisonnement n'cft lui-
même autre chose qu'un jugement que nous
formons en subsumant sa condition sous une
règle générale (la majeure). Or, comme cette règle
e§t soumise à son tour à la même tentative de la
part de la raison et qu'il faut ainsi chercher (par le
moyen d'un prosyllogisme) la condition de la
condition, aussi loin qu'il e§t possible d'aller, on
voit bien que le principe propre de la raison en
général dans son usage logique e§t de trouver,
pour la connaissance conditionnée de l'entend~
ment, l'inconditionné1 qui doit en achever l'unité.
m.... , Mais cette maxime logique ne peut devenir un
principe de la raüon pure qu'autant qu'on admet
que, s1 le conditionné e§t donné, eft donnée aussi
(c'eft-à-dire contenue dans l'objet et dans sa liaison)
la série entière des conditions [A J08) subor-
données, laquelle elit par conséquent elle-meme
inconditionnée•.
Dialetlique transcendantale
Or, un tel principe de la raison e~ évidemment
IJnlhétique, car le conditionné se rapporte analyti-
quement s~~s do!lte à quelq~e c.ond1~1on, .mai~ ~on
à l'incondlt!Onne. De ce pnnc1pe, JI dmt denver
aussi diverses propositions synthétiques, dont
l'entendement pur [B J6J} ne sait rien, puisq,u'il
n'a affaire qu'aux objets d'une expérience possible
dont la connaissance et la synthèse sont toujours
conditionnées. Mais pour ce qui e~ de l'incondi-
tionné, s'il a réellement une place, nous pou-
vons vraiment l'examiner en particulier dans
toutes les déterminations qui le di~inguent de
tout conditionné, et par suite il doit donner
matière à maintes propositions synthétiques a
priori.
Les propositions fondamentales qui dérivent de
ce principe suprême de la raison pure seront trans-
cenâantes.par rappor~ à tou.s les ph.énomènes, <:'e~-à­
dire qu'il sera toujours Impossible d'en fatre un
usage empirique qui lui soit adéquat. Il se dirun-
guera donc tout à fait de tous les principes de l'en-
tendement (dont l'usa~e e~ parfaitement imma-
nent, puisqu'ils n'ont d autre thème que la possi-
bilité de l'expérience). Ce principe, que la série
des conditions (dans fa synthèse des phénomènes,
ou même de la .Pensée des choses en général)
s'élève jusqu'à l'Inconditionné, a-t-il ou n'a-t-il
pas de valeur objeél:ive, et quelles sont les consé-
quences qui en découlent relativement à l'usage
empirique de l'entendement? [A ]09} Ou plutôt,
n'y aurait-il nulle part aucun principe rationnel de
ce genre ayant une valeur objeél:ive, mais seule-
ment une prescription logique qui veut qu'en
remontant à des conditions toujours plus élevées,
~ous nous ra~P.ro~hions de l'inté~ralité des condi-
tions, et qu ainsi nous apportions dans notre
connaissance l'unité rationnelle la plus haute qui
soit possible pour nous ? N'~-ce pas, dis-je, que
ce besoin de la raison e~ tenu simplement par un
malentendu [B ]66} pour un principe transcen-
dantal de la raison pure po~ulant témérairement
cette intégralité absolue de la série des conditions
dans les objets eux-mêmes? Et, dans ce cas,
10~4 CrilirjNe th la rai&on p~~re
quelles sont les fausses interprétations et les illu.
sions qui peuvent se glisser dans les raisonnernenta
dont fa majeure eft tirée de la raison pure (et
peut-être eft plutôt une pétition qu'un poftulat)
et qui s'élèvent de l'expérience à ses conditions?
Voilà ce que nous avons à examiner dans 1a
w, "44 « Dialea:ïque transcendantale )), qu'il s'agit main-
tenant de dévelopl'er en partant de ses soutces
lesquelles sont profondément cachées dana la rai:
son humaine. Nous la diviserons en deux parties
principales, dont la prsmière traitera des ço~~&spts
lran.uendants de la raison pure, et la seçonJe des rfli-
sonnements transcendants et Jialellùpm de la raison
pure.

LIVRE PREMIER

[A Jlo] DES CONCEPTS


DE LA RAISON PURE

Q!!oi ~u'il en soit de la possibilité des concepts


qui provtennent de la raison pure, ces concepts
ne sont pas seulement des concepts réfléchis, ils
sont conClus. Les concepts de l'entendement sont
aussi pensés a priori, antérieurement {B JIJ] à
l'expérience, ma.ts ils ne contiennent rien de plus
que l'unité de la réflexion sur les phénomènes, en
tant que ceux-ci doivent appartenir nécessairement
à une conscience empirique possible. La connais-
sance et la détermination d'un objet ne sont pos-
sibles que par eux, lis fournissent donc d'aliord
la matière pour l'aél:e de conclure, et il n'y a point
avant eux de concepts a priori d'objets, d'où ils
pourraient être conclus1 • Au contraire, leur réalité
objeaive se fonde uniquement sur ce que, comme
ils conftituent la forme intelleél:uelle de toute
expérience, leur application doit toujours pouvoir
être montrée dans l'expérience.
Mais l'expression marne de concept de la raiaon
montre déjà d'avance que ce concept ne supporte
Dialediljlll lrlllll&mtlantale 1 oz 5

pas d'être renfermé dans les limites de l'expérience,


parce qu'il concerne une connaissance dont toute
eonnaissance empirique ne conftitue qu'une partie
(P.eut-être le tout [A J rr1 de l'expérience pos-
Sible ou de sa synthèse empirique) et à laquelle
jaJilais aucune expérience effeélive ne parvient
complètement, bien qu'elle en fasse toujours par-
tie. Les concepts de la raison servent à &ompreiulre1
cooune les concepts de l'entendement à mlendre
(les perceptions)1• Renfermant l'inc~nditionné, ils
concernent qudque chose sous qu01 rentre toute
ext>érience, mais qui en elle-même n'dt jamais un
obJet de l'expérience, qudque chose à quoi la rai-
son conduit dans les conclusions 9u'dle tire de
l'expérience, et d'après quoi elle eftime et mesure
le degré de son usage empirique, mais qui ne m. 14,
conftitue jamais[B )681 un membre de la synthèse
eiDpirique. Si cependant pareils concepts ont mal-
gré cela une valeur obJeélive, ils peuvent être
nommés &OIIleptm ralio&inali (concepts rigoureuse-
10ent conclus); dans le cas contraire, ils résultent
pour le moins subrepticement d'une apparence de
conclusion et peuvent être appdés çonçepltil ratio-
tifiiJIIIU (conce.Pts de la raison sophiftique). Mais
comme ce po111t ne peut être décidé CJ_Ue dans le
chapitre sur les raisonnements dialcéüques de la
raison pure, nous ne saurions encore le prendre
ici en considération. En attendant, de même que
nous avons nommé catégories les concepts purs
de l'entendement, nous désignerons sous un nom
nouveau les concepts de la raison pure, et nous
les appellerons idées transcendantales : nous allons
maintenant éclairer et juftifier cette appellation.

[A )12 1 Premiire setlidn


DES IDÉES EN GÉNÉRAL

Malgré la çrande richesse de nos langues, le


penseur se volt souvent embarrassé pour trouver
1016 Critiq11e Je la railon p~~re
une expression qui convienne exaélement à son
concept, et faute de cette expression il ne peut la
rendre intelligible aux autres, ni, bien plus, à lui-
même. Forger de nouveaux mots [B )69} dl: une
prétention de légiférer dans les langues qui réussit
rarement. Avant d'en arriver à ce moyen douteux
il dt plus sa~e de chercher dans une langue mort~
et savante s1 on n'y trouverait pas le concept en
qudtion avec l'expression qui lui convient et
dans le cas où l'antictue usage de cette expres~ion
serait devenu incertain, par suite de la négligence
de ses auteurs, il vaut encore mieux consolider en
elle une signification qui lui était pro.Pre (d~t-on
laisser douteuse la qudtion de savou s1 on l'enten-
dait alors exaaement dans le même sens) q.ue de
tout perdre du seul fait qu'on se rende iruntelli-
gible.
Pour cette raison, si pour exprimer un certain
concept, il ne se trouve qu'un seul mot qui dans
l'acception reçue s'ajufte exaélement à ce concept,
qu'il Importe grandement de diftinguer [A p J]
de tout autre concept voisin, il eft sage de ne pas
le prodi~er ou de ne pas l'employer simplement
par souel de variété à titre de synonyme, à la plaœ
m. z46 d'un autre, mais de lui conserver soigneusement
sa signification particulière; autrement il arrive
facilement que l'expression, n'ayant pas occu~
l'attention en particulier, se perde dans la fotile
des autres qui ont des sens qw s'en écartent beau-
coup, et que se perde aussi avec elle la pens&:
qu'elle seule aurait pu conserver.
[B )JO} Platon se servait du mot idée de telle
sorte qu'on voit bien qu'il a entendu J?ai là
quelque chose qui non seulement ne dérive Jamais
des sens, mais dépasse même de loin les concepts
de l'entendement dont s'eft occupé Ariftote1, puis-
qu'on ne saurait rien trouver dans l'expénencc
qui y corresponde. Les idées sont chez lui les
originaux des choses en elles-mêmes, et non
de simples clefs pour des expériences possibles
comme les catégories. Dans son opinion, elles
dérivent de la raison suprême, d'où elles ont passr
dans la raison humaine, mais celle-ci ne se trouve
Dialefliflle lranmntialltaJe 102.7

plus maintenant dans son état originaire et c'eft


avec peine qu'elle doit rappeler par la réminis-
cence (q.ui s'appelle la phifosophie) ses anciennes
idées, bten obscurcies aujourd'hui. Je ne veux pas
œ'engager dans une recherche bttérairel pour
déterminer le sens que l'illuftre philosophe atta-
chait à son ~ression. [A JI-11 Je remarque seu-
Iem<=nt qu'il n f. a rien d'étrange à ce que, soit dans
l'entretien familier, soit dans les écrits, on arrive,
en confrontant les pensées qu'un auteur exprime
sur son objet, à le comprendre mieux qu'il ne s'eft
coœpris lui-même, faute d'avoir suffisamment
déterminé son concept et pour avoir été conduit
ainsi à parler ou même à penser contre son inten-
tion•.
Platon voyait très bien que notre faculté de
connaitte sent un besoin beaucouf plus élevé que
celui d'épeler des phénomènes d après une unité
synthétique pour pouvoir les [B J7I1 lire comme
WlC expérience', et que notre raison s'élève natu-
rellement à des connaissances trop hautes pour
qu'un quelconque objet que l'expérience puisse
donner soit jamais susceptible d'y correspondre,
mais qui n'en ont pas moms leur réalité et ne sont
aucunement de pures chimères, Platon trouvait
ses idées surtout dans tout ce qui eft pratique*',
c'eft-à-dire dans ce qui repose sur la liberté,
laquelle de son côté [A J r J1 eft soumise à des
connaissances qui sont un produit propre de la m.•47
mison. Celui qui voudrait puiser danS l'expérience
les concepts de la vertu ou (comme beaucoup
l'ont fait réellement} donner ~our modèle à la
source de la connaissance ce qut ne peut servir en
tout cas que d'exemple pour un éclaircissement
incomplet, celui-là ferait âe la vertu une chimère
* Il étendait. aussi sans doute son concept aQll: connais-
11811CCS spéculatives, si du moins elles étaient pures et com-
pl~tement 11 priori, et même à la mathématique, quoiqu'elle
n'ait ('88 aon objet ailleura que dans l'~rience porriblr. Je
ac patsle suivre ic;i, pas plus que dans la iiéduél:ion mytti.que
de ces idées, ou dans les exagérations PB! lesquelles il les
hJP-Oftasiait; cependant le langa~e éleve dont il usait dans
ce aomaine dt ausceptible d'une tnterprétation plus modérc!e
et conforme à la nature des choses.
102.8 Crili(jtll dt la railon purt
équivoque, variable avec le temps et les circons..
tances, et inutilisable comme règle. Au contraire
chacun s'aperçoit que si on lui présente un certai~
homme [B JJ2} comme modèle de la vertu ce
n'~ cependant toujours que dans sa propre tête
qu'il possède le véritable original auquel il corn.
pare ce prétendu modèle et d'af.rès lequel seul iJ
le juge lui-même. Or, c'e!!t là 'idée de la Vertu
au regard de laquelle tous les objets possibles d~
l'expérience peuvent bien servir d'illuftration
(pour preuve du fait qu'e!!t praticable dans une
certaine mesure ce qu'exige le concept de la rai-
son) mais non de modèle. <l!!'un homme n'agit
jamais d'une manière adé9uate à ce que contient
l'idée pure de la vertu, cela ne prouve pas qu'il y
ait dans cette pensée quelque chose de chimérique.
En effet, tout jugement sur la valeur ou la non-
valeur morale n'~ néanmoins l:'ossible qu'au
moyen de cette seule idée; par su1te elle sert de
fondement à tout progrès vers la perfeaion
morale, si loin d'ailleurs que les ob!!tacles, dont le
degré e!!'t impossible à déterminer, rencontréa
dans la nature humaine nous en tiennent écartés.
[A .J r6} La République de Platon e!!'t devenue
proverbiale comme exemple prétendument écla-
tant de perfeétton imaginatre qui ne peut prendre
naissance que dans le cerveau d'un penseur oisif,
et Brucker1 trouve ridicule cette assertion du phi-
losophe que jamais un prince ne gouverne oien
s'il ne ~articipe pas aux idées•. Mais il vaudrait
mieux s attadier davantage à cette pensée et (là où
cet homme éminent nous laisse sans secours) faire
de nouveaux efforts pour la mettre en lumière, que
de la rejeter comme inutile, sous ce très misérable
[B Jl.Jl et pernicieux prétexte qu'elle e!!'t imprati-
cable. Une con!!titution ayant pour but la plm
grande liberté humaine d'après des lois qui permet-
traient à la liberté Je chacun Je potnJoir JNb.riHw de
concert avec ceUt Jes autres (je ne parle pas du plus
grand bonheur possible, car il en découlem de
lui-même), c'e!!t là au moins une idée nécessaire,
m. ••• qui doit servir de fondem!!nt non, seulement aux
premiers plans que l'on esquisse d'une conrutu-
Diale&li(jtle transtenàantale
tion politique, mais encore à toutes les lois, et
dans laquelle on doit faire dès l'abord ab~raéüon
de tous les ob~acles présents, lesquels résultent
peut-être bien moins inévitablement de la nature
humaine que du mépris des idées véritables en
matière de législation1 • En effet il ne peut rien y
avoir de plus préjudiciable et de plus indi~ne d'un
philosophe que d'en appeler, comme on faJt vulgai-
rement, à une expérience prétendument contraire,
car cette expérience n'aurait jamais exifté si l'on
avait pris des dispositions en se conformant aux
idées, [A J 1J] en temps O).>portun, et si à leur
place des concepts §rossiers, JU~ement parce qu'ils
sont puisés dans 1expérience, n'avaient pas fait
échec à tout bon dessein. Plus la législation et le
~uvemement se~ent en accord avec cette idée,
plus les peines seraient rares et il e~ tout à fait
raisonnaole d'affirmer comme Platon que dans un
agencement parfait de la législation et du gouver-
nement elles ne seraient plus du tout nécessaires.
Or, quoique cette chose ne puisse jamais se réali-
ser, ce n'en ~ pas moins une idée entièrement
[B J7Û jufte que celle qui pose ce maxim11m
comme le modèle que l'on doit avoir en vue pour
rapprocher, en s'y conformant, toujours davan-
tage la conftitution légale des hommes de la per-
feaion la plus haute. En effet, le degré le plus
élevé où doit s'arrêter l'humanité, non plus que
la diftance infranchissable qui sépare nécessaire-
ment l'idée de sa réalisation, eersonne ne peut ni
ne doit les déterminer, car 1~ d s'a~t de la liberté
qui peut toujours franchir toute lim1te assignée&.
Mais ce n'e~ pas seulement là où la raison
humaine montre une véritable causalité et où les
idées sont de véritables causes efficientes (des
aB:ions et de leurs objets}, c'eft-à-dire dans le
domaine moral, c'e~ aussi dans la considération
de la nature elle-même q_ue Platon trouve et avec
raison des preuves manif~es de ce que celle-ci
tire son origine des idées•. Une plante, un animal,
l'ordonnance ré~ère de la ftruél:ure du monde
(sans doute auss1 tout ordre de la nature) montrent
clairement qu'ils ne sont possibles que d'après des
1030 Critique tk la railon pure
[A JI 8J idées; qu'à la vérité aucune créature
individuelle, sous les conditions individuelles de
son exi~ence, n'e~ adéquate à l'idée de la plue
haute perfeaion de son espèce (pas plus que
l'homme n'e~ adéquat à l'idée de l'humanité qu'il
porte en son âme comme modèle de ses allions)·
que cependant chacune de ces idées n'en e~ p~
moins déterminée individuellement, immualile.
ment et complètement dans l'entendement suprême
qu'elles sont les causes originaires des choses ~
que seul l'ensemble formé par leur liaison dans
[B J7J} l'univers e~ absolument adéquat à l'idée
111, 249 que nous en avons. A part ce qu'il peut y avoir
d'exagéré dans l'expression, cet essor de l'esprit
du philosophe pour s'élever, de la considération
de la copie que lui offre le physique de l'ordre du
monde à la liaison architeaonique de cet ordre
suivant des fins, e~ une tentative digne de respeél
et qui mérite d'être imitée. Mais par rapport à ce
qui concerne les principes de la morale, de la
législation et de la religion, où les idées com.
mencent par rendre possible l'expérience elle.
même (ceUe du bien) quoiqu'elles n'y puissent
jamais être entièrement exprimées, cette tentative
a un mérite tout particulier qu'on ne méconnatt
que p~rce qu'o.n e11: juge d'apr~s les mê.mes règles
empmques qu1 d01vent se vo1r suppnmer toute
valeur, en tant que principes, précisément par ces
idées. En effet, si, à l'égard de la nature, c'eet
l'expérience qui nous donne la règle, et qui e~ la
source de la vérité, à l'égard des lois morales c'eet
l'expérience, hélas 1 qui e~ la mère de l'apparence
et il e~ [A ;r~] suprêmement répréhensible de
tirer de re qui se fait les lois de ce que je do il jair1 ou
de vouloir les y re~reindre.
Mais au lieu de nous livrer à toutes ces considé-
rations, dont le développement convenable fait en
réalité la dignité propre de la P.hilosophie, occu-
pons-nous à présent d'un travail beaucoup moins
brillant mais qui n'~ pas non J.>lus sans mérite. II
s'agit de déblayer et d'afferm1r le sol qui doit
porter le maje~eux [B )76} édifice de la morale,
ce sol où l'on rencontre des trous de taupe de
Dialefliqlle tranmntlantale I o 3I
toutes sortes creusés }Jar la raison en quête de
trésors, sans succès, malsré ses bonnes intentions,
et qui menacent la solidité de cet édifice. L'usage
transcendantal de la raison rure, ses principes et
ses idées, voilà donc ce qu'i nous importe à cette
heure de connaitre exaél:ement afin de pouvoir
déterminer et apprécier convenablement l'influence
et la valeur de la raison pure. Cependant, avant de
quitter cette introduaion, je supplie ceux qui ont
}a r.hiiosophie à cœur (et le cas eft moins fréquent
qu on ne le dit), je les supplie, s'ils devaient se
uouver convaincus par ce que je viens d'écrire et
par ce q_ui suit, de prendre sous leur proteél:ion
}'eXpressiOn d•idée ramenée à son sens primitif,
afin qu•on ne la confonde plus désormais avec les
autres expressions dont on a coutume de se servir
pour désigner toutes les sortes de représentations
aans le plus insouciant désordre, et que la science
n•y perde plus. Nous ne manquons pourtant pas
de dénominations qui sont exclusivement appro-
priées à chaque espèce de représentations, sans
sue nous ayons besoin d•empiéter, pour exprimer
) une, sur le[ A }20} domaine de ]•autre. En voici
une échelle graduée. Le terme générique eft la
reprisentation en général ( repraesentatio). En des- m, a1o
sous d•elJe se tient la représentation avec cons-
cience (perceptio). Une perception rapportée uni-
quCIIlent au sujet, comme une modification de son
état, eft sensation ( sensatio) ,· une perception o bjec-
tivc eft connaiuance ( cognitio). [B J77l La connais-
eance à son tour eft ou inlllition ou concept ( int11it111
wl conteptlll). La première se rapporte immédiate-
ment à l"objet er eft singulière, le second ne s•y
rapporte que médiatement, au moyen d•un carac-
tère qui peut être commun à plusieurs choses. Le
"'"Pt eft soit un concept empirique, soit un
concept pur, et le contept pur, en tant qu•i] a sa
source uniquement dans l'entendement (non dans
une image pure de la sensibilité) s•appelle notion.
Ua concept provenant de notions1 et qui dépasse
la possibilité de ]•expérience eft l'iJie, c•eft-à-dire le
cooce~t de la raison. ~and on eft une fois accou-
tumé a ces diftinaions, on ne peut plus supporter
1031 Critique de la raison pure
d'entendre appeler idée la représentation de la
couleur rouge 1 • Elle ne doit même pas être appe.
lée notion (concept de l'entendement).

[A J 21} Deuxième set/ion


DES IDÉES TRANSCENDA!';TALES

L'analytique transcendantale nous a donné un


exemple de la façon dont la simple forme logique
de notre connaissance peut contenir la source
de concepts purs a priori, qui nous représentent
des objets antérieurement à toute expérience, ou
plutôt qui indiquent l'unité synthétique qui seule
f B J78} rend possible une connaissance empirique
des objets. La forme des jugements (convertie en
un concept de la synthèse des intuitions) a produit
des catégories qui dirigent tout usage de l'enten-
dement dans l'expérience. De même nous pouvons
nous attendre que la forme des raisonnements,
si on l'applique à l'unité synthétique des intuitions
selon la norme des catégories, contienne la
source de concepts particuliers a priori, que nous
pouvons nommer concepts purs de la raison ou
idées transcendantales2, et qui déterminent l'usage
de l'entendement, d'après des rrincipes, dans le
tout formé par l'ensemble de 1 expértence.
La fonél:ion de la raison dans ses inférences
réside dans l'universalité de la connaissance par
m. •ll concepts, et le raisonnement lui-même cft un
jugement qui dt déterminé a [A }22} priori dans
toute l'extension de sa condition. La proposition :
Caïus e~ mortel, pourrait être tirée simplement de
l'expérience par l'entendement. Mais je cherche un
concept contenant la condition sous laquelle dt
donné le prédicat (l'assertion en général) de ce
jugement (c'e~-à-dire ici le concept d'homme), et
après avoir subsumé sous cette condition prise
cfans toute son extension (tous les hommes sonr
mortels), je détermine en conséquence la connais-
sance de mon objet (Caïus e~ mortel)'.
Dialelli(jNe transcendantale 1 o 33

Nous reftreignons donc, dans la conclusion


d'un raisonnement, un ~;>rédicat à un certain
rB J79l objet, après l'avou préalablement pensé
'dans la majeure dans toute son extension sous
une certaine condition. Cette quantité complète
de l'extension, par rapport à une telle condition,
s'appelle I'Nniversalité (Nniversalilr14). A cette uni-
versalité correspond dans la synthèse des intuitions
la totalité ( Nniversileu) des conditions. Le concept
transcendantal de la raison n'cft donc que celui
de la totalité des conditions pour un conditionné
donné. Or, comme l'inconditionné seul rend possible
ta totalité des conditions, et que réciproquement la
totalité des conditions eft elle-même tOUJours
inconditionnée, un concept pur de la raison peut
être défini en général comme le concept de l'in-
conditionné, en tant qu'il contient un fondement
de synthèse du conditionné.
rA pJ] Or, autant l'entendement se représente
'd'espèces de rapports au moyen des catégories,
autant il y aura aussi de concepts purs de la raison;
il y aura donc à chercher en premier lùN un incondi-
tionné de la synthèse catégoriqNe dans un sujet, en
retond lieN un inconditionné de la synthèse hypothéli(jNe
des membres d'une série, en troi4ième lieN un incondi-
tionné de la synthèse di4jontlive des parties dans un
l)flème.
n y a en effet tout jufte autant d'espèces de
raisonnements, dont chacun par le moyen de
prosyllogismes tend à l'inconditionné: la première
l un sujet qui ne soit plus lui-même predicat, la
seconde à une présupposition [B ;8o} qui ne
présuppose rien au-delà, la troisième à un agrégat
des membres de la division qui ne laisse rien à
demander de plus pour achever la division d'un
concept. Les concepts purs de la raison portant
sur la totalité dans la synthèse des conditions sont
donc nécessaires au moins en tant qu'ils nous
prescrivent la tâche1 de pousser autant que possible
l'unité de l'entendement j'usqu'à l'inconditionné,
et c'eft dans la nature de a raison humaine qu'ils m, •1•
sont fondés; il se reut du refte que ces concepts
transcendantaux n aient point in concreto d'usage
1034 Critiqt~e Je la railon p11re
qui leur soit approprié, et n'aient par suite pas
d'autre utilité que ae mettre l'entendement sur la
direaion où son usage, en s'étendant aussi loin que
possible, eft mis en même temps complètement
d'accord avec lui-même.
[A J2~] Mais en parlant ici de la totalité des
conditions et de l'inconditionné, comme du titre
commun à tous les concepts de la raison, nous
rencontrons une expression que nous ne saurions
éviter d'employer, mais dont nous ne pouvons
nous servir sûrement à cause de l'ambiguité pro-
duite par le lon~ abus qu'on en a fait. Le II10t
absol11 eft du peut nombre de ceux qui dans leur
sens primitif étaient appropriés à un concept, avec
lequël aucun autre mot disponible de la même
langue ne cadre exaB:ement, et dont la perte, ou,
ce qui cft de même importance, l'usage incer-
tain entraine nécessairement la perte [B Jlr] du
concept même; et il s•agit ici d•un concept qui,
par le fait qu•il occupe beaucoup la raisoo, ne
saurait lui faire défaut sans un grand do~
pour tous les jugements transcendantaux. Le mot
absol11 eft aujourd•hui le plus souvent employé
pout indiquer simplement que quelque choae eft
envisagé au sujet d'une chose en e~e-m_i111e, et a par
conséquent pour elle ùne valeur mfrinsifJIII. Dans
cette acception, l'expression absol11111ent possiblt
si~nifierait ce qui cft possible en so1-meme
( mterne), et c'eft dans le fait le moins qu•on puisac
dire d'un objet. Au contraire, on l'emploie aussi
quelquefois pour indiquer que qpelque chose dt
valab1e à tous égards (d•une manière illimitée,
comme par exemple le pouvoir absolu) et en ce
sens l'expression absol11111flnl possibl1 signifierait ce
qui eft possible à tous égards, 10111 to111 l11 ,-apjwts,
ce qui cft l1 pl111 que 1•on puisse dire de la possibilité
d'une [A J2J] Chose. Or, ces sens, il eft vrai, se
rencontrent parfois ensemble. Ainsi, par exemple,
ce qui eft impossible intrinsèquement l'dl: aussi
sous tous les rapports, c•eft-à-dire absolument
impossible. Mais, dans la plu~art des cas, ile. sont
infiniment éloignés l'un àe 1 autre, et je ne puis
conclure d'aucune manière que quelque chose, du
Dialelfique transcendantale 1035

fait qu'elle eft possible en elle-même, soit pour


cela possible aussi sous tous les rapports, par
conséquent absolument. Je montrerai même dans
la suite, au sujet de la nécessité absolue, qu'elle ne
dépend en aucune façon, dans tous les cas, de la
nécessité interne, et que par conséquent elle ne
doit pas être regardée comme identique à celle-ci.
Sans doute, ce dont le contraire[ B j82 / eft impos-
sible intrinsèquement, ce dont par suite ce contraire
eft impossible aussi sous tout rapport, cela cft par
conséquent soi-même absolument nécessaire; mais
la réciproque n'eft pas vraie; de ce qu'une chose eft m, •n
absolument nécessaire, je ne puis conclure que son
contraire soit intrinsèquement impossible, c'eft-à-dire
que je ne puis conclure que la nécessité absolue de la
chose eft une nécessité intrinsèfjlle, car cette nécessité
intrinsè'!ue dans certains cas eft une expression
tout à fa1t vide à laquelle nous ne saurions attacher
le moindre concept, tandis que le concept de la
nécessité d'une chose à tous é~rds (pour tout le
possible) implique des détermmations très parti-
culières. Or, comme la perte d'un concept de
grande application dans la philosophie spécu1ative
ne peut fa1sser le penseur indifférent, j'espère qu'il
ne verra pas non plus avec indifférence les précau-
tions prises pour la détermination et la conserva-
tion de l'expression à laquelle eft attaché ce concept.
rA 326} Je me servirai donc du mot absolu dans
'ce sens étendu, en l'opposant à ce qui n'a qu'une
valeur comparative ou n'a de valeur que sous
un certain rapport, car cette dernière valeur eft
reftreinte à des conditions, tandis que la première
eft sans reftriaion.
Or, le concept transcendantal de la raison ne se
rapporte jamais qu'à la totalité absolue dans la
synthèse des conditions et il ne s'arrête jamais qu'à
ce qui eft inconditionné absolument, c'eft-à-dire
sous tous les rapports. En effet, la raison pure aban-
donne tout à l'entendement qui{B j3J} se rapporte
immédiatement aux objets de l'intuition ou plutôt
à la synthèse de ces objets dans l'imagination. Elle
se réserve seulement l'absolue totalité dans l'usage
des concepts de l'entendement, et cherche à mener
1036 Critiq11e Je la raùon pllf'e
l'unité synthétique qui dl: pensée dans la catégorie
jus9u'à l'absolument inconditionné1 • On peut donc
déstgner cette totalité sous le nom d'11niti Je r11;,011
des phénomènes, comme celle qu'exprime la caté.
gorie eft appdée 11nité J'entendement. Ainsi la raison
ne se rapporte qu'à l'usage de l'entendement, non
pas, il eft vrai, en tant qu'il contient le jofllle1111111
d'une ex~rience possible (car la totalité absolue
des condttions n'cft pas un concept utilisable dana
l'expérience, parce que nulle expérience n'eft
inconditionnée), mais pour lui prescrire de se
diriger vers une certaine unité dont l'entendemcnt
n'a aucun concept et qui tend à embrasser en un
to11t absolll tous les aél:es de l'entendement, par
[A J2J] rapport à chaque objet. Aussi l'usage
objéai( des concepts purs de la raison eft·il tou·
jours tranmnJant, tandis ~ue celui des concept&
purs de l'entendement, d après sa nature, cfoit
toujours être immanent, puisqu'il se borne simple.
ment à l'expérience possible.
m.•,4 J'entends rar idée un concept nécessaire de la
raison auque aucun objet qui lui corresponde ne
peut être donné dans les sens. Ainsi les concepts
purs de la raison que nous examinons maintenant
sont des idées transmulanta/es. [B Jill Ce sant dea
concepts de la raison pure, car ils considèrent toute
connalSsance d'expérience comme déterminée par
une totalité absofue des conditions. Ils ne sont
pas forgés arbitrairement, mais ils nous sont
donnés comme tâche par la nature même de la
raison, et c'eft pourquoi ils se raprortent d'une
manière nécessaire à tout l'usage de 1 entendement.
Ils sont enfin transcendants et dépassent les limites
de toute expérience, où il ne peut donc jamais se
trouver un objet adéquat à l'idée transcendantale.
Lorsqu'on nomme une idée, on dit bla~~&olljJ cu
égard à l'objet (comme objet de l'entendement
pur), mais on dit très pe11 eu égard au sujet (c'eft--i.-
âire rdativement à sa réalité effeéüve sous Wle
condition empirique), précisément parce que,
comme concept d'un maximum, dfe ne peut
jamais être donnée in ton&relo d'une manière adé-
quate. Or, comme c'e§t ici proprement tout le but
Dialellique lranscenJantale 1 o 37

que vise l'usage simplement spéculatif de la rai-


son, {A J28) et que si l'on ne fait qu'approcher
d'un concept qui dans la pratique n'e~ cependant
jamais atteint, c'c~ tout comme si le concept était
manqué tout à fait, on dit d'un concept de ce
genre qu'il n'en qu'une idée. Ainsi on pourrait dire
que la totalité absolue de tous les phénomènes
n'e~ qu'une idée; car comme nous ne saurions
jamais mettre en image rien de pareil, elle re~e
un problème sans solution. Au contraire comme
dans l'usage pratique de l'entendement il ne s'agit
que de la mise en pratique d'après des règles,
(B J8JJ' l'idée de la raison pratique peut toujours
·être donnée réellement, in concrelo, bien que partiel-
lement, et même elle e~ la condition indispensable
de tout usage pratique de la raison. La mise en
pratique de cette idée e~ toujours bornée et défec-
tueuse, mais dans des limites qu'il e~ impossible
de déterminer, et par conséquent elle e~ toujours
soumise à l'influence du concept d'une intégralité
absolue. L'idée pratique e~ donc toujours haute-
ment féconde, et elle e~ rigoureusement nécessaire
en ce qui concerne les aélions effeélives. En elle,
la raison pure trouve la causalité nécessaire pour
produire effeélivement ce que contient son cc;mcept;
aussi ne peut-on dire de la sagesse, avec une
sorte de dédain: EUe n'en qu'tme idée; mais préci-
sément parce qu'elle e~ l'idée de l'unité nécessaire
de toutes les fins possibles, elle doit servir de règle
à toute pratique, comme condition originaire, ou
tout au moins re~riaive1 •
(A J21} Or, quoiqu'il nous. faille dire des 111, . ,
concepts transcendantaux de la ratson : Ils ne sont que
tles idées, nous ne devrons les tenir en aucune façon
pour superflus et vains. En effet, si aucun objet ne
peut être déterminé par eux, ils peuvent du moins
servir à l'entendement, fondamentalement et en
secret, de canon qui lui permette d'étendre son
usage et de le rendre homogène; par là sans doute
il ne peut connaître aucun objet en plus de ceux
qu'il connaitrait au moyen de ses propres concepts,
mais il e~ mieux diri_gé et condutt pfus avant dans
cette connaissance. Je n'ajoute point [B J86} ici
IOJ8 Critifjlle Je la ra;,on pure
que peut-être ces idées peuvent rendre possibl~
un passage des concepts de la nature aux concepts
pratiques, et procurer ainsi aux idées morales
elles-mêmes une solidité et une liaison avec 1ea
connaissances spéculatives de la raison. n faut
remettre l'explication de tout cela à plus tard.
Mais pour ne pas nous écarter de notre but
laissons tci de côté les idées pratiques, et considl
rans par suite la raison uniquement dans son usag~
spéculatif, en reftreignant encore celui-ci à c~
qu'il a de transcendantal. Il nous faut suivre ici le
chemin que nous avons pris plus haut dans la
déduaion des catégories, c'eft-à-dire examiner la
forme logique de la connaissance rationnelle, et voir
si par hasard la raison n'eft point par là aussi un~
source de concepts qui nous font regarder des
objets en eux-mêmes comme déterminés synthé-
tiquement a priori par rapport à telle ou telle
fonaion de la raison.
[A JJO} La raison considérée comme le pouvoir
de donner une certaine forme logique à la connaia-
sance eft le pouvoir d'inférer, c'eft-à-dire de ju~
immédiatement (en subsumant la condition dun
jugement possibie sous la condition d'un juge-
ment donné). Le jugement donc dt la règle géné-
rale (la maJeure, major). La subsomption de la
condition d'un autre jugement ~;~ossible soua la
condition de la règle cft la mm eure ( minor).
Enfin, le jugement réel qui exprime l'assertion de
la règle Jans le ca~ subsumé eft la conclusion[B Jll)
( conclmio). En effet la règle exprime quelque chose
d'universel sous une certaine condition. Or, la
condition de la règle se trouve dans un cas donné.
Donc ce qui avait une valeur universelle sous cette
condition doit être considéré comme arant de la
valeur également dans le cas donné (qw renferme
cette condition). On voit aisément que la raiaon
arrive à une connaissance par des aaes de l'enten-
dement qui conftituent une série de conditions.
Si je n'arrive à cette proposition : Tous les corps
sont changeants, qu'en partant de cette coruws-
sance plus éloignée (où Ie concept de corps ne se
trouve pas encore, mais qui en contient pourtant
Dialedique transcendantale
la condition) : Tout composé eft changeant, et en
allant de celle-ci à cette autre plus rapprochée qui
eft soumise à la condition de la !Jrenùère ; Les corps
sont composé~, po!lr passer en_Jin de celle-~ à une
troisième qu1 umt désormais la connaissance
éloignée (le terme changeant) à la connaissance
résente: Donc{ A JJ r} les corps sont changeants,
~ passe par une série de conditions (prémisses)
~our arriver à une connaissance (conclusion). Or,
toute série dont l'exposant (que ce soit d'un juge-
ment catégorique ou hypothétique) eft donné
ouvant être poursuivie, ce même aél:e de la raison
~onduit par suite à la ratiocinatio po!JsyUogiflica,
laquelle eft une série de raisonnements qui peut
être continuée sur une étendue indéterminée, soit
du côté des conditions ( per proS.JUogümos), soit du
côté [B .J88} du conditionné (per epiryUogümos).
Mais on remarque bientôt que la chaine ou la
série des prosyllogismes, c'eft-à-dire des connais-
sances poursuivies du côté des principes et des
conditions d'une connaissance donnée, en d'autres
termes la série tUcendante des raisonnements, doit
se comporter à l'égard du pouvoir de la raison tout
autrement que la série descendante, c'eft-à-dire la
progression que suit la raison du côté du condi-
tionné par le moyen d'épisyllogismes. En effet,
puisque dans le premier cas la connaissance
(conclmio) n'eft donnée que comme conditionné,
on ne saurait parvenir, au moyen de la raison, à
cette connaissance que si l'on présuppose pour le
moins que sont donnés tous les membres de la
série du côté des conditions (c'eft-à-dire la totalité
dans la série des prémisses), car ce n'eft qu'à la
condition de cette présupposition que le jugement
qui se présente eft possible a priori. Au contraire,
du côté du conditionné ou des conséquences, on ne
pense g.u'une série {A JJ2} future et non une
série déJà entièrement présupposée ou donnée, on
ne pense donc qu'une progression virtuelle. Si
donc une connaissance cft regardée comme condi-
tionnée, la raison eft forcée de considérer la série
des conditions en ligne ascendante comme achevée
et donnée dans sa totalité. Mais si cette même
Critique Je la raüon pure
connaissance e~ regardée{B J89j en même temps
comme la condition d'autres connaissances, qui
conrutuent entre elles une série de conséquencea
suivant une ligne descendante, la raison peut tou-
jours demeurer tout à fait indifférente sur la
q_ue~ion de savoir jusqu'où s'étend cette progres-
ston a parte pofleriori, et même si en général la
totalité de cette série e~ possible; elle n'a pu
besoin, en effet, d'une telle série pour la concluston
qui se présente à elle, puisque cette conclusion eft
déjà suffisamment déterminée et assurée par ses
Ill, 2J7 fondements a parle priori. Soit donc que, du côté
des conditions, la série des prémisses att un prBINÎit'
terme comme condition suprême, ou qu'elle n'en
ait pas, et qu'elle soit ainsi a parte priori sans limites
elle doit toujours cependant contenir la totalité
de la condition, à f!UPJ;>OSer même que nous ne
puissions jamais parventr à l'embrasser\ et il faut
que la série entière soit inconditionnellement
vraie, si le conditionné, qui e~ regardé comme une
conséquence qui en provient, doit valoir comme
vrai. C'e~ là ce qu'exige la raison, qui présente
sa connaissance comme déterminÇe a priori et
comme nécessaire, soit en elle-même, auquel cas
il n'e~ pas besoin de raisons, soit quand cette
connaissance e~ dérivée, comme un membre d'une
série de raisons, qui e~ en elle-même vraie de
façon inconditionnée.

[A JJJIB J90} Troüième setlion


SYSTÈME
DES IDÉES TRANSCENDANTALES

Nous n'avons pas à nous occuper ici d'une dia-


leétique logique qui fait ab~raéHon de tout le
contenu de la connaissance et ne fait que mettre
au jour la fausse apparence dans la forme des
raisonnements, mais d'une dialeétique transcen-
dantale qui doit contenir tout à fait a priori l'origine
Dialefli(jlle Jranstentlantale 1041

de 'certaines connaissances provenant de la raison


pure et de certains concepts conclus dont l'objet
ne peut ahsolument pas être donné empiriquement,
et qui par conséquent sont complètement en
dehors du pouvoir de l'entendement pur. Du
rapport naturel que l'usa~e transcendantal que
notre connaissance, aussi bten dans les inférences
que dans les jugements, doit avoir avec son usage
logique, nous avons conclu qu'il ne doit y avoir
que trois sortes de raisonnements dialeaiques,
lesquels se rapportent aux trois sortes de raison-
nements par fesquels la raison peut aller de prin-
cipes à des connaissances et qu'en tout sa fonaion
propre eft de s'élever de la synthèse conditionnée
à laquelle l'entendement refte toujours attaché à
une synthèse inconditionnée qu'il ne peut Jamais
atteindre.
Or, pris dans son universalité, tout rapport que
l'on rencontre en nos représentations eft : 1o le
rapport au[B J9I} sujet; 1° le rapport des objets,
et ces objets peuvent être considérés,[A JU] soit
d'abord comme des phénomènes, soit comme des
objets de la pensée en général. Si l'on joint cette m,.,a
subdivision à la première, on verra que tout le
rapport des représentations dont nous pouvons
nous faire un concept ou une idée dt tri]:>le : 1 o le
rapport au sujet; 1° le rapport au divers de l'objet
dans le phénomène; 3° le rapport à toutes choses
en généi:al.
Or, tous les concepts purs en général ont à
s'occuper de l'unité synthétique des représenta-
tions, mais les concerts de la raison pure (les
idées transcendantales s'occupent de l'unité syn-
thétique inconditionnée de toutes les conditions
en général. Par suite, toutes les idées transcendan-
tales se laissent ramener sous trois classes, dont
la pre111ilre contient l'tmitl absolue (inconditionnée)
du sujet pensant,· la seçontle, I'tmitl absolue de la
sirie des condition.r du phénomène,· la lroûième, l'unité
absolue de la tondilion tle tom les objets Je la pensée en
!lniral.
Le sujet pensant eft l'objet de la psychologie;
l'ensemble qui comprend tous les pliénomènes,
Critique de la raidon pure
(le monde) celui de la çosmologie, et la chose qui
contient la condition suprême de la possibilité de
tout ce qui peut être pensé (l'être de tous les êtres)
l'objet de la théologie. La raison pure nous fourni~
donc l'idée d'une dofuine transcendantale de l'âme
(p!Jçhologia rationalù), d'une science [B 392]
transcendantale du monde ( çosmologia rtttio11alu)
enfin d'une connaissance [A JJ J} transcendantal~
de Dieu ( theologia tranmndantalù P. La simple
esquisse de l'une ou l'autre de ces sciences ne peut
être tracée par l'entendement, quand bien même
il serait lié à l'usage logique le plus élevé de la
raison, c'eft-à-dire à tous les raisonnements ima-
ginables, de manière à s'avancer d'un objet de cet
entendement (un phénomène) à tous les autres
jusqu'aux membres les plus éloignés de la synth~
empirique : cette esquisse n'eft qu'un produit pur
et véritable ou bien un problème de la raison pure.
Q!!els sont les modes de concepts purs de la rai-
son compris sous ces trois titres de 1 ensemble des
idées transcendantales? C'eft ce que le chapitre
suivant exposera d'une manière complète. Ils
suivent là le 61 des catégories. Car la ra1son pure
ne se rapporte jamais direél:ement aux objets, mais
seulement aux concepts de l'entendement qui
portent sur ces objets. Ce n'eft d'ailleurs que dans
une exposition complète que l'on pourra com-
prendre clairement comment la raison, uniquement
par l'usage synthétique de la même fonél:ion dont
elle se sert pour le raisonnement catégoriq.ue, doit
Ill, •!9 en venir nécessairement au concept de l'umté abso-
lue tiN sujet pensant, comment le procédé logique
9u'elle emploie dans les raisonnements hypothé-
tlques la conduit de même à l'idée de l'incondi-
tionné absolu dans une série de conditions don-
nées; enfin comment la simple forme du raisonne-
ment [B J9J} disjonél:if appelle nécessairement
[A JJ6] le concept suprême de la raison, celui
d'un être de tom les êtres, pensée qui au premier
regard paraît extrêmement paradoxale.
De ces idées transcendantales, il n'y a pas à pro-
prement parler de diduflion objellive possibfe, comme
celle que nous avons pu donner des catégories. Car
Dial«<igtR Jra~~~çelll/anta/e 1043
en fait elles n'ont aucun rapport à quelque objet
qui 1?6t être donné de manière à leur être adéquat,
p~éClsément parce que ce ne sont que des idées.
M.ais nous pouvions entreprendre de les dériver
subjelüvement de la nature de notre raison, et
c'eSt aussi ce que nous avons fait dans le présent
c:hapitre1 •
On voit aisément que la raison pure n'a d'autre
but que l'absolue totalité de la synthèse till çôti dts
çondilions (soit d'inhérence, soit de dépendance, soit
de concurrence) et qu'elle n'a pas à s'inquiéter de
l'intégralité absolue till çôti Ju çonditionni. Elle n'a
besoin en effet que de la première pour présupposer
la série entière des conClitions, et la donner ainsi
tl priori à l'entendement. Dès qu'il y a une condi-
tion donnée intégralement (et inconditionnelle-
œent), il n'eft plus besoin d'un concept de la raison
pour faire progresser la série, car Pentendement
âescend alors pas à pas de lui-même [B JU] de la
condition au conditionné. De la sorte, les idées
uanscendantales ne servent qu'à s'ilwer dans la.
série des conditions jusqu'à!'inconditionné, c'eft-à-
di.re aux principes. Mais pour ce qui eft de dts-
çenJre [A JJl] vers le conditionné, il y a bien un
usage logique très étendu ~ue fait notre .raison des
lois de Pentendement, JlllUS il n'y a point là un
usage transcendantal, et si nous nous faisons une
idée de la totalité absolue d'une synthèse de ce
pre (du progresn~~), par exemple de la série tout
entière de tous les changements futurs du monde,
ce n'eft là 9u'un être àe raison ( 1111 rationil) qui
n'dt qu'arbitrairement pensé, et qui n'eft pas pré-
supposé nécessairement par la .raison•. En èlfet,
pour la possibilité du conditionné, on présuppose
bien la totalité çle ses conditions, mais non celle
de ses conséquences. Un tel concept n'cft donc pas
une idée transcendantale, seule Chose dont nous
ayons ici à nous occuper.
Enfin on .remarquera aussi qu'entre les idées m,a6o
transcendantales elfes-mêmes éclate une: certaine
cohérence et une certaine unité, et que la raison
pure, par le moyen de ces idées, .réduit toutes ses
connatssances à un syftème. C'eft une démarche si
1044 Critifjfle Je la railon p~~re
naturelle d'aller de la connaissance de soi-même
(de l'âme) à celle du monde, et de s'élever au
moyen de celle-ci à l'être originaire, qu'elle semble
analogue au progrès logique qui porte la raison
des [B J9J] ,Prémisses à la conclusion 1*. Y a-t-il
réellement ic1 une parenté fondamentale et cachée,
comme celle qui exifte entre le procédé logique et
le procédé transcendantal? c'eft encore là une de
ces que§l:ions dont on doit attendre la solution
jusqu'à la suite de ces recherches. [A JJI] Nous
avons pour le moment et tout d'abord atteint notre
but : en tirant les concepts transcendantaux
[B 396} de la raison, que dans la théorie les phi-
losophes mêlent habituellement à d'autres sans
jamais les di§l:inguer convenablement des concepts
de l'entendement, de cette situation équivoque, en
donnant leur origine et en même temps leur
nombre déterminé, au-dessus duquel il ne peut plus
y en avoir d'autres, en parvenant à les représenter
dans un enchaînement sy§l:ématique, nous avons
jalonné et circonscrit un champ particulier pour la
raison pure.

* La métaphysi~ue n'a pour fin gropre de ses recherches


~ue trois idées : D1111, la lib~rti et 1immortalill, en sorte que
le second concept, lié au premier, doit c6nduire au troisième
comme à une conclusion nécessaire. Tout ce dont cette
science s'occupe par ailleurs n'cft pour elle qu'un moyeu
d'arriver à ces idees et à leur réalite. Elle n'en a pas besoin
pour étayer la connaissance de la nature, mais pour s'élever
au-dessus de la nature. Si l'on pénétrait dans ces objets, la
lhlolo~il1 la mora/1 et par l'union des premières la nligitm1
c'eft-a-dire les fins les plus élevées de notre aiftence, ne
dépendraient que de la raison spéculative et de rien autre
chose. Dans une représentation syftématique de ces Idées,
l'ordre cité serait, comme ordresynihllitpte1 le plus convenable,
mais dans le travail qui doit nécessairement précéder celui-ci,
l'ordre tmalylifJ1111 qui cft l'inverse du premier, cft plus
conforme à notre but, qui cft de nous élever de ce sue l'~é­
rience nous fournit immédiatement, c'eft-à-d1re de la
dollri111 til l' 8m11 .à, la t1Dflri111 Ju montil1 et de là jusqu'à la
connaissance de Dilll1 et par là d'accomplir notre vafte ptana.
a. Cette note est une add. B.

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