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Grèce préhellénique
Préhistoire de la Grèce
-3200 Civilisation cycladique
Époque hellénistique -2700
-1550
Civilisation minoenne
Civilisation
mycénienne
Grèce antique
-1200 Siècles obscurs
-800 Époque archaïque
-510 Époque classique
-323 Époque hellénistique
-146 Grèce romaine
Grèce médiévale (C)
330 Empire byzantin
1202 Quatrième croisade
1453 Grèce ottomane
Grèce contemporaine
1799 République des Sept-
Îles
1822 Guerre d'indépendance
1832 Royaume de Grèce
Guerrier galate blessé, thème apparu dans la statuaire grecque 1936 Régime du 4 août
suite à la victoire d’Attale Ier dePergame sur les Gaulois v. 237 av. 1941 Occupation
1946 Guerre civile
J.-C., Musée national archéologique d'Athènes 1967 Dictature des colonels
L’époque hellénistique est le nom que l’on donne à la
période qui suit la conquête d’une partie du monde 1974 République hellénique
L’époque hellénistique a été définie par les historiens du XIXe siècle (le terme « hellénistique »
est employé pour la première fois par l’historien allemand Johann Gustav
Droysen dans Geschichte des Hellenismus(1836 et 1843)), à partir d’un critère linguistique et
culturel, à savoir l’accroissement spectaculaire des régions où l’on parle le grec
(ἑλληνίζειν / hellênízein) et donc du phénomène d’expansion de l’hellénisme. Cependant ce
phénomène d’hellénisation des populations et de rencontre entre les anciennes civilisations
orientales et grecques se poursuit y compris sous l’« Empire gréco-romain », selon
l’expression de Paul Veyne. Les limites chronologiques de la période hellénistique sont donc
conventionnelles et politiques : elles débutent avec la mort d’Alexandre le Grand et se
terminent quand le suicide du dernier grand souverain hellénistique, la reine
d’Égypte Cléopâtre VII, fait place à la domination romaine.
La conquête d’Alexandre
Roi de Macédoine à 20 ans, maître de la Grèce deux ans plus tard, Alexandre le
Grand entreprend lors de son bref règne — 13 ans à peine entre 336 et 323 av. J.-C.— la
conquête la plus spectaculaire et la plus rapide de l’Antiquité. Un royaume, de taille somme
toute moyenne, associé à quelques cités grecques vient à bout du plus grand empire de
l’époque, l’Empire perse de Darius III. Le souverain achéménide est vaincu en quatre ans (334-
330) et trois batailles, celles du Granique, d’Issos et deGaugamèles1. Les trois années
suivantes, jusqu'en 327, sont consacrées à la lente et difficile conquête des satrapies de l’Asie
centrale, puis jusqu'en 325 à assurer la domination macédonienne sur le nord-ouest de l’Inde.
C’est ici qu'Alexandre, sous la pression de ses troupes épuisées, doit renoncer à poursuivre
son épopée et retourner vers ce qui est devenu le cœur de son empire, la Mésopotamie2.
Afin d’assurer sur le long terme son pouvoir, il tente d’associer la classe dirigeante de l’ancien
Empire achéménide à l’ossature administrative de son royaume3. Il essaie ainsi de créer une
monarchie assumant à la fois l’héritage macédonien et grec d’une part mais aussi l’héritage
perse et, d’une façon plus générale, asiatique. La mort brutale du roi, probablement de
maladie, à l’âge de 33 ans met fin à cette tentative originale mais vivement contestée par
l’entourage macédonien du souverain4.
La période des diadoques (323-281 av. J.-C.)
La Grèce, la Macédoine, l’Asie Mineure sont profondément bouleversées par des campagnes
militaires incessantes entre les diadoques, cependant que la partie orientale de l’empire
s'émancipe rapidement de leur tutelle avec la création des royaumes grecs de Bactriane et la
fondation de l'Empire Maurya en Inde. Peu importe à ces généraux la partie de l’empire qu'ils
gouvernent, l’essentiel est de régner. AinsiDémétrios Poliorcète, le fils d’Antigone le Borgne,
dirige avec son père l’essentiel de l’Asie puis, après la défaite et la mort d’Antigone, tente de
s'emparer de la Macédoine, y parvient provisoirement avant d’échouer et de finir sa vie
misérablement6. Le fils aîné de Ptolémée Ier, Ptolémée Kéraunos, est chassé d’Égypte par son
père, se réfugie auprès de son beau-frère Lysimaque en Thrace et s'empare de son royaume,
puis de la Macédoine, avant de faire assassiner Séleucos qui marchait contre lui. Le Moyen-
Orient est ainsi totalement dominé par les ambitions de ces généraux, qui prennent rapidement
le titre de roi, en 306 pour Antigone Ier, et de leurs troupes essentiellement constituées
de mercenaires grecs et macédoniens.
Le souverain le plus lucide est Ptolémée Ier, l’un des compagnons d’enfance d’Alexandre, dont
certains auteurs font parfois un fils adultérin dePhilippe II. Il s'empare rapidement de
l’Égypte et s'attache à y créer un État durable, renonçant ainsi à des ambitions impériales qu'il
estime peu réalistes. Cela fait de lui sans aucun doute l’un des fossoyeurs de l’idée impériale
voulue par Alexandre, mais aussi l’un des fondateurs du monde hellénistique.
Au IIIe siècle av. J.-C. un équilibre précaire s'installe entre trois dynasties issues des diadoques.
La Macédoine est gouvernée par les descendants d’Antigone le Borgne(Antigonides),
l’Égypte par les Lagides, et l’empire le plus vaste mais le moins homogène (Asie
Mineure, Syrie, Mésopotamie) par les Séleucides. Cependant la division du monde
hellénistique est plus poussée. En effet aux côtés des trois monarchies principales existent
des royaumes plus petits mais dont le rôle n’en est pas moins primordial. Ainsi en est-il du
royaume des Attalides autour de Pergame7qui émerge autour de 270 , des royaumes
du Pont ou de Bithynie ou même de celui que fonde Hiéron à Syracuse, en Grande Grèce.
Il faut ajouter à ces nombreuses monarchies les confédérations de cités qui s'opposent,
parfois avec succès, aux entreprises des royaumes hellénistiques en particulier celui de
Macédoine. Deux de ces États fédéraux, la Ligue achéenne avec Aratos et la Ligue étolienne,
jouent ainsi un rôle important jusqu'à la conquête romaine. Certaines cités enfin arrivent à
préserver totalement leur indépendance et à entretenir des relations d’égal à égal avec les
royaumes, la cité de Rhodes en est le plus illustre exemple.
La règle diplomatique qui domine est la suivante : le plus proche voisin est naturellement un
ennemi8. C'est ainsi que le IIIe siècle av. J.-C. est marqué par les rivalités, ce que l'on appelle
les guerres de Syrie9, entre les Séleucides et les Lagides (ce qui n'empêche pas de
nombreuses alliances matrimoniales) en particulier autour de la Cœlé-Syrie. Celle-ci passe
finalement sous contrôle séleucide à la fin du IIIe siècle av. J.-C.. De même les rivalités sont
fortes entre Séleucides et Attalides en Asie mineure. Les conflits sont nombreux aussi autour
du contrôle des détroits, entre Rhodes et le royaume de Pergame généralement alliés, et la
dynastie Antigonide de Macédoine.
Cette dernière s'oppose de façon quasi-continue, avec des fortunes diverses, aux ligues
achéennes et étoliennes qui représentent les principales forces politiques et militaires de la
Grèce continentale du IIIe siècle av. J.-C., pour le contrôle des cités grecques. La puissance
militaire d'Athènes s'effondre définitivement après la guerre de Chrémonidès (268/262) et
passe sous un contrôle antigonide direct jusqu'en 229mais le véritable contrepoid à la
Macédoine est la ligue étolienne tandis qu'émerge dans le Péloponnèse la ligue achéenne,
vers 245. Les deux ligues s'allient contre la Macédoine à la fin du IIIe siècle (« guerre
démétriaque ») et remportent quelques succès. Mais la ligue achéenne se rapproche de la
Macédoine (vers 229) face à la menace que représente les réformes du roi de Sparte, Cléomène
III. Le roi de Macédoine,Antigone Dôsôn, reconstitue une lointaine héritière de la ligue de
Corinthe, appelée l'« Alliance hellénique »10, dont il est l'hègémôn, et par sa victoire de Sellasie
en 222 sur Sparte, réaffirme la domination macédonienne sur une large partie de la Grèce
continentale. Cette domination est renforcée par la victoire de son successeur, Philippe V de
Macédoine sur la ligue étolienne lors de la «guerre des alliés» entre 220 et 217.
À la fin du IIIe siècle av. J.-C., la Grande Grèce — c’est-à-dire l’Italie du sud et la Sicile — tombe
sous la domination romaine après un siècle d’affrontement, que ce soit avec Pyrrhus11 ou dans
le cadre des guerres puniques. Mais il faut attendre le début du IIe siècle av. J.-C. pour
queRome intervienne réellement en Orient. Dans un premier temps, elle dompte militairement
les Antigonides et surtout Antiochos III, la dernière grande figure politique des souverains
hellénistiques avant Mithridate et Cléopâtre. Puis, dans un lent et complexe processus de
grignotage qui s'étale sur près de deux siècles, avec la complicité de cités et du royaume
de Pergame, Rome s'assure la domination complète de laMéditerranée orientale. Ce processus
est lent au départ et Rome préfère dans un premier temps ne pas annexer de territoires (Iere
moitié du IIe siècle avant J.C.). Mais à partir de 148/146 et la conquête définitive de la
Macédoine et de la Grèce (saccage de Corinthe) ainsi que leur transformation en provinces
romaines, le processus impérialiste est enclenché 12. En 133 le royaume de Pergame devient
romain et forme la province d'Asie en 128/26. En 102 c'est la Cilicie qui passe sous le contrôle
de Rome puis en 96 la Cyrénaïque.
Cependant, cette pénétration romaine dans l’Orient hellénistique ne va pas sans résistance et il
ne faut pas moins de trois guerres aux Romains pour abattre le roi du Pont Mithridate VI
au Ier siècle av. J.-C.. Pompée réorganise alors l’Orient sous l’ordre romain. Le monde
hellénistique devient le champ d’affrontement des ambitions des divers généraux de
la République romaine (bataille de Pharsale, bataille de Philippes, bataille d’Actium) jusqu’à la
victoire finale d’Octave. Le dernier acte de cette conquête est la lutte qui oppose Octave à Marc
Antoine, allié de la dernière souveraine lagide d’Égypte, Cléopâtre VII, et la défaite puis le
suicide de cette dernière en 30 av. J.-C.
Le déclin somme toute relativement rapide de ces royaumes amène à s'interroger sur la
fragilité apparente et la nature des monarchies hellénistiques ainsi que sur la permanence de
l’autre grande structure politique héritée du monde grec, la cité.
La monarchie hellénistique est personnelle. Cela signifie qu'est souverain celui qui par son
mérite individuel, ses actions, le plus souvent militaires, sa conduite peut aspirer au titre
de basileus (« roi »). Par conséquent la victoire militaire est le plus souvent l’acte qui légitime
l’accession au trône et qui permet de régner sur une province ou un état.
Les Séleucides utilisent la prise de Babylone par Séleucos Ier en 312pour légitimer leur
présence en Mésopotamie, ou sa victoire de 281 sur Lysimaque pour justifier leurs
revendications sur la région des détroits et sur la Thrace. Les rois de Bithynie tirent également
profit de la pseudo-victoire en 277 de leur ancêtre Nicomède Ier (qui en réalité cède des
territoires et s'allie avec eux) sur les Galates pour affirmer leurs prétentions territoriales13.
« « Le roi a trois fonction: commander l'armée, rendre la justice et honorer les dieux.». Stobée,
Florilège, VII, 61 »
Cette monarchie personnelle ne possède pas de règles de succession précises, d’où les
querelles incessantes et les assassinats nombreux lorsqu'il y a plusieurs héritiers, ni de lois
fondamentales, ni de textes réglementant les pouvoirs du souverain. Tout procède du roi et en
particulier les lois. Ce caractère absolu et personnel est à la fois la force et la faiblesse de ces
monarchies hellénistiques en fonction du caractère et de la personnalité du souverain. Il est
par conséquent nécessaire, en dehors de la Macédoineoù la monarchie est une institution
ancienne, de créer des idéologies justifiant la domination de dynasties d’origine macédonienne
et de culture grecque sur des populations totalement étrangères à cette civilisation.
Les Lagides deviennent ainsi pharaons aux yeux des Égyptiens et ont l’adresse de s'allier le
clergé autochtone par de larges dons aux temples.
Mais ces souverains gouvernent aussi des populations d’origine grecque et macédonienne
auprès desquelles ils doivent montrer l’image d’un roi justicier, assurant la paix et qui se
comporte en bienfaiteur. C’est la notion d’évergétisme, qui fait du monarque hellénistique le
bienfaiteur de ses sujets. La conséquence de ce fait, déjà initié par Alexandre le Grand, est
la divinisation de leur vivant d’un grand nombre de souverains ainsi que les honneurs cultuels
qui leur sont rendus par leurs sujets14, ou par des cités autonomes ou indépendantes à qui ils
ont rendu service. Cela permet de renforcer la cohésion du royaume autour de la dynastie.
La fragilité du pouvoir des souverains hellénistiques oblige ceux-ci à une incessante activité. Il
est d’abord nécessaire de vaincre militairement ses adversaires et cette période est constituée
d’une suite de conflits entre souverains ou contre des adversaires
extérieurs : Parthes,Romains, etc. C’est ainsi que ces souverains sont contraints de voyager
énormément afin d’installer des garnisons, de construire des cités pour quadriller leurs
États. Antiochos III est sans conteste celui qui se déplace le plus entre la Syrie, l’Égypte,
la Mésopotamie, la Perse, les frontières de l’Inde, l’Asie Mineure, la Grèce avant de mourir près
de la cité de Suse en 187 av. J.-C. Afin d’entretenir ces armées et de financer la construction de
ces cités, il est indispensable aux souverains de bâtir des administrations solides et avant tout
fiscales15. Les royaumes hellénistiques sont ainsi tout d’abord de gigantesques structures
d’exploitation fiscale et se posent donc en héritiers directs de l’empireachéménide.
Ainsi Ptolémée II en 269/268 enlève t-il la perception de l'apomoira (un impôt ecclésiatique
(entre 1/10 et 1/6 des récoltes) versé aux temples) au clergé au profit de l'administration
royale16. Certe l'apomoira bénéficie toujours au clergé mais il arrive, dans les successeurs de
Ptolémée II, que confrontés à des difficultés financière ceux-ci détournent le produit de l'impôt.
Séleucos Ier Nicator, fondateur de la dynastie des Séleucides, époque romaine impériale, musée du Louvre
« « Si les gens savaient quelle corvée ce peut être d’écrire seulement et de lire tant de lettres,
on ne voudrait pas ramasser un diadème même s'il traînait par terre. »
— Plutarque, Moralia, « Si la politique est l’affaire des vieillards », 11.
Autour de ces souverains gravite une cour ou le rôle des favoris du monarque devient
rapidement prépondérant. En règle générale ce sont des Grecs ou des Macédoniens qui
souvent portent le titre d’amis du roi (philoi). Le désir d’Alexandre le Grand d’associer les
élites asiatiques au pouvoir est abandonné et cette domination politique gréco-macédonienne
par bien des aspects s'apparente à une domination coloniale. Pour s'attacher des
collaborateurs efficaces et fidèles le roi doit les enrichir par des dons, des domaines pris sur le
domaine royal. Cela n’empêche pas certains favoris d’avoir une fidélité douteuse et parfois,
surtout dans le cas d’une minorité royale, d’exercer réellement le pouvoir tel Hermias,
dont Antiochos III a toutes les peines à se défaire17, ou Sosibiosen Égypte à qui Polybe fait une
réputation sinistre18.
Ces rois disposent donc d’un pouvoir absolu mais sont soumis à de multiples contraintes,
s'attacher leur entourage, vaincre leurs ennemis, prouver leur nature royale par leurs
comportements, légitimer leur fonction par une divinisation de leur personne. À l’époque
classique, le modèle de la monarchie, rejeté par les philosophes grecs, est asiatique ; à
l’époque hellénistique, il est grec.
Pour l’essentiel, ces fondations remontent aux débuts de l’époque hellénistique entre la
conquête d’Alexandre et le milieu du IIIe siècleav. J.-C., les plus grands bâtisseurs étant
les Séleucides. L’objectif premier n’est pas l’hellénisation, qui est plutôt une conséquence du
phénomène d’extension urbaine, mais bien un objectif militaire et stratégique : installer une
garnison afin de contrôler un territoire, une route commerciale. En Grèce s'y ajoute la volonté
de rassembler de petites cités afin de constituer une entité plus solide. Enfin, il y a clairement
une volonté politique des souverains hellénistiques dans la fondation de leurs capitales, afin
de marquer avec force leur enracinement dans les contrées qu'ils dirigent. Bien que n’étant
pas prépondérantes, les visées économiques ne sont pas toujours absentes lors de la
construction de ces cités. Leur fondation permet de lotir les soldats, ou des colons pauvres, et
ainsi d’exploiter une région au profit d’un monarque qui en percevra des taxes élevées.
Dans ces cités, le modèle civique connaît une vitalité toujours aussi affirmée. Les rois ne
fondent pas que de simples villes mais bien des poleis sur le modèle grec classique. Ce
modèle va s'étendre sur les communautés qui s'hellénisent, ainsi en Asie Centrale et
en Phénicie. La vie civique, connue par une documentation plus importante que pour la
période antérieure, est riche. Il semble que le régime oligarchique soit en perte de vitesse et
que la démocratie, selon les critères de l’époque, devienne la norme la plus répandue dans le
monde hellénistique. Un consensus global se met en place, parfois rompu par
quelques guerres civiles fréquentes dans des communautés fragiles et instables, afin que les
notables conduisent la politique de la cité, mais sous le contrôle souverain du reste des
citoyens. L’attachement à sa cité, à sa patrie, est toujours aussi fort et les exemples sont
nombreux de citoyens prenant les armes pour défendre leur indépendance menacée.
Dédicace de monuments àPtolémée VI Philométor, milieu duIIe siècle av. J.-C., musée du Louvre
Les relations entre les rois hellénistiques et les cités qu'ils dominent, ou cherchent à dominer,
sont complexes. Dans l’absolu, les cités grecques refusent de se soumettre à l’autorité sans
partage des souverains. Mais la réalité est plus fluctuante et dépend du rapport de force qui
s'installe. En règle générale, un souverain qui s'empare d’une cité est en droit de la supprimer,
mais le plus souvent un accord est trouvé et la cité devient ainsi une alliée (contrainte). En fait,
on distingue une gamme infinie de nuances entre les cités sujettes, sur lesquelles le contrôle
royal est étroit (présence de troupes royales, de fonctionnaires royaux, paiement d’un tribut,
etc.) et qui peuvent être parfois cédées comme simple part du domaine royal, et les cités
subordonnées qui sont nominalement libres et conservent une large autonomie. Ce cas est
fréquent pour les cités du monde égéen, souvent fondées bien avant la création des royaumes
hellénistiques.
Les rapports entre ces deux entités politiques sont dominés par un modèle politique que l’on
nomme l’échange évergétique : bienfaits contre honneurs. S'inspirant du modèle habituel de
relations entre les cités et les citoyens bienfaiteurs, il devient la norme pour les relations entre
cités et monarques. Le roi est ainsi présenté comme un souverain puissant, bienveillant envers
la cité (par ses dons ou par ses exemptions d’impôts), protecteur (contre une éventuelle
attaque extérieure) et garant de la prospérité. En échange, la cité proclame son dévouement
(ce qui est un moyen pour le roi d’asseoir sa légitimité), lui assure les honneurs par l’érection
de statues ou, le cas échéant, les honneurs cultuels. L’évergétisme est ainsi le principal cadre
idéologique des rapports politiques entre souverains et cités. Il est même fréquent que
l’évergétisme se manifeste envers des cités n’appartenant pas à la zone d’influence des
souverains. C’est ainsi queRhodes est soutenue par l’ensemble des monarques hellénistiques
après le terrible séisme de 227 av. J.-C. Les Attalides financent de nombreux monuments
d’Athènes20 dont la fameuse stoa d'Attale, reconstruite au XXe siècle par l’École archéologique
américaine d’Athènes.
Dans l’ensemble, les cités ont rarement été les acteurs de premier plan de la période mais elles
maintiennent dans le monde hellénistique — ce qui est un facteur supplémentaire d’unité —
leurs identités, leurs traditions et leurs modes de fonctionnement face aux souverains. Cette
relative unité s'explique par les interactions et les échanges internes à l’espace hellénistique.
Ce qui paraît surprenant aux historiens contemporains, c’est que l’extension de l’espace où
l’on parle et comprend le grec, où l’on adopte les mœurs grecques, associée à la division
politique de l’espace hellénistique n’entraîne guère d’évolution culturelle divergente selon les
régions. Au contraire, l’unité de cette civilisation n’en paraît que plus remarquable. En
corollaire se pose la question des relations entre cette civilisation gréco-macédonienne et
celles préexistantes. Y a-t-il eu une relation uniquement coloniale ou de véritables échanges et
interactions ?
La question des rapports entre Grecs ou Macédoniens d’un côté et peuples non grecs ne se
pose pas bien sûr en Grèce ou dans le royaume de Macédoine dominé par les Antigonides.
Mais en Asie, dans les territoires séleucides, en Égypte, la grande masse des habitants est
constituée de paysans indigènes. Ces paysans dans l’ensemble sont libres mais sous la coupe
des administrations royales, en particulier fiscales. En cela, les royaumes hellénistiques ne
diffèrent guère des empires qui les ont précédés dans ceProche-Orient ancien, sauf sur un
point : les dynasties régnantes sont désormais allogènes par leur origine, leur mode de vie et
surtout leur langue.
Ainsi les dirigeants grecs se refusent à apprendre les langues locales et imposent le grec
comme outil de communication dans les domaines fiscaux, administratifs, militaires et
politiques. Cléopâtre VII, qui parle de nombreuses langues, est semble-t-il une exception chez
les Lagides. Plus révélateur du processus d’hellénisation est l’usage précoce chez les élites
égyptiennes, d’Asie Mineure et juives du grec (la koinè, la langue grecque commune). Ce
phénomène avait d’ailleurs débuté dès le IVe siècle av. J.-C. en Asie Mineure avant même la
conquête d’Alexandre le Grand. Dans les royaumes périphériques au monde hellénistique
(Cappadoce, Pont, Commagène, Parthie), les souverains cherchent fréquemment à prouver
leur philhellénisme et communiquent, au moins avec leurs sujets hellénisés, en grec. Certaines
langues anatoliennes disparaissent, du moins dans les documents écrits. Ainsi le grec devient
progressivement la langue de communication politique, administrative, diplomatique et
culturelle, mais en concurrence avec l'araméen21.
Représentation d'un Bouddha, exemple de l'art gréco-bouddhiquedu Gandhara, IIe-Ier siècle av. J.-C.,musée
Guimet
Si l’adaptation des édits d’Açoka s'adresse aux Grecs qui vivent dans son royaume, d’autres
textes traduits en grec sont destinés à des non-Grecs. Ainsi en est-il de la Torah (connue aussi
sous le vocable de « Bible des Septante » car attribuée à 70 traducteurs), qui est traduite de
l’hébreu en grec vers leIIIe siècle av. J.-C., initiative attribuée au roi Ptolémée II23, qui souhaitait
que les tribunaux possèdent un code en grec pour rendre la justice aux Juifs de ses États
selon leur Loi. Le fait que la Torah soit lue en grec dans les synagogues est un excellent indice
de la pénétration de cette langue chez les Juifs de ladiaspora.
Sarapis coiffé du modius, copie du buste de Bryaxis pour le Sérapéion d’Alexandrie, musée Pio-Clementino
Si la langue grecque s'impose, en est-il de même du mode de vie grec ? Les Grecs n’ont-ils pas
été perméables à certains aspects des cultures souvent multiséculaires des pays qu'ils
gouvernaient ?
Nous avons une réponse assez précise pour l’Égypte, dont la civilisation est prestigieuse
même aux yeux des Grecs. D’ailleurs les cultes égyptiens se répandent autour du bassin
méditerranéen lors de cette période. Le culte d’Isis au Ier siècle av. J.-C. est attesté en Phénicie,
en Asie Mineure, en Grèce, enCyrénaïque et en Sicile ainsi qu'à Rome. En 70 ap. J.-C., il atteint
la Gaule et la Bétique25. Cette diffusion de cultes orientaux, du moins le plus souvent
d’adaptations grecques de divinités orientales (Sarapis par exemple qui est le dieu Oser-
Api des Égyptiens), s'effectue par des Grecs originaires d’Égypte ou des Égyptiens installés
autour du bassin méditerranéen.
Il ne semble pas, par contre, que les Égyptiens aient été sensibles à l’attrait du mode de vie
des Hellènes. Certes, les élites égyptiennes, principalement sacerdotales, outre
l’apprentissage de la langue, prennent le plus souvent un nom grec et s'imprègnent des
pratiques grecques de gouvernement. Elles participent parfois aux cultes grecs, à celui des
souverains tout du moins. Mais la masse de la population reste hermétique à la religion et à la
culture hellénique. Les Lagides respectent les privilèges des temples et les cultes autochtones
et deviennent ainsi, aux yeux de leurs sujets, des souverains ayant adopté le
modèlepharaonique de la monarchie. En fait, il semble que nombre de Grecs vivant en Égypte
adoptent certains cultes égyptiens, certaines pratiques funéraires. Les mariages mixtes ne
sont pas un phénomène exceptionnel (sauf dans la dynastie royale) et nombre de personnes
portent un double nom, égyptien et grec. Citons par exemple, un officier d’Edfou,
au IIe siècle av. J.-C., connu sous le nom d’Apollonios dans les textes grecs et sous celui
dePashou sur les stèles hiéroglyphiques26. Dans un pays où l’identité ethnique est complexe à
établir, et se trouve souvent déterminée par la langue, la double culture est assez répandue, en
tout cas à l’intérieur des classes dirigeantes. Les tribunaux de droit égyptien et de droit grec
cohabitent, l’appel à l’un ou l’autre ne se faisant qu'en fonction de la langue du contrat litigieux
(commercial, matrimonial, etc.). De façon globale, l’identité résulte surtout de la façon dont un
individu se comporte, de ses pratiques religieuses, politiques, culturelles et de la manière dont
il est perçu : est Grec celui qui est considéré ainsi par les Grecs. Les juifs d’Égypte, qui parlent
le grec, sont assimilés aux Hellènes.
Éros représenté à la façon d’Harpocrate, figurine en terre cuitede Myrina, début du Ier siècleav. J.-C., musée du
Louvre
C’est en Syrie et en Phénicie que l’hellénisation est la plus forte ainsi qu'en Asie Mineure. Le
mode de vie à la grecque se répand de façon très large avec le développement des cités. La
vieille rivalité commerciale entre Grecs et Phéniciens n’a pas disparu mais l’hégémonisme
politique et culturel hellène est tel que certains Phéniciens envoient leurs enfants
comme éphèbes à Athènes, participent à des concours en Grèce même. Cela signifie qu'ils
sont donc considérés comme Grecs. De nombreux Phéniciens de culture grecque, ou Grecs
installés à Sidon, n’hésitent pas à rappeler les parentés mythiques
entre Sidon, Argoset Thèbes. En Syrie, la construction de la grande métropole
des Séleucides, Antioche, renforce considérablement l’hellénisation de cette région, laquelle
reste le dernier bastion de la dynastie aux débutsIer siècle av. J.-C.
En Asie Mineure, le développement du nombre de cités, né en Carie et en Lycie au IVe siècle av.
J.-C., touche toute la partie occidentale et méridionale sans réellement atteindre l’intérieur de
la péninsuleAnatolienne. Des populations non-grecques demandent, souvent spontanément, à
des souverains l’autorisation de vivre en cité. Cela suppose, avec la maîtrise de la langue, une
habitude des mœurs politiques et de l’éducation grecque (d’où l’édification de
nombreux gymnases). Cependant, si les villes d’Asie Mineure se couvrent de temples,
d’agoras et de théâtres, il ne faut pas croire à la disparition des traditions et cultes indigènes.
C’est d’ailleurs la même chose en Phénicie. Ainsi nous connaissons le cas d’un habitant de
Sidon, appelé Diotimos (fils de Dionysos), vainqueur en Grèce des concours d’Argos, et
portant le titre de « juge », c’est-à-dire sophet dans la langue phénicienne26. Derrière le vernis
grec subsistent des fonctions, des usages locaux.
Cela concerne d’abord les soldats qui se déplacent sur des milliers de kilomètres. Cette
époque correspond aussi à un fort développement dumercenariat. Ainsi les habitants
de Sagalassos, en Pisidie, fournissent pendant longtemps des mercenaires réputés, surtout
aux Lagides. Les artistes aussi se déplacent sur de longues distances, tout comme les
philosophes — Cléarque de Soles par exemple, un élève d’Aristote, dont la présence est
attestée à Aï Khanoum, voire peut-être jusqu'en Inde. Les échanges entre cités, déjà réguliers
lors de l’époque classique, sont plus nombreux. Les enfants des familles de notables sont
fréquemment envoyés dans de grandes cités (Athènes, Delphes, etc.) pour y poursuivre un
enseignement réputé en rhétorique, laquelle est indispensable pour entamer une carrière
politique ou diplomatique. Ainsi, le personnage de Moschiôn, citoyen de Priène, représente sa
cité aux concours organisés dans les villes situées à proximité puis devient ambassadeur
auprès des Séleucides, puis en Égypte et enfin à Rome. Il semble être allé
jusqu'à Pétra en Arabie26. Des carrières identiques à celle-ci sont nombreuses et n’ont rien
d’exceptionnelles. Ces ambassades sont motivées par des considérations politiques bien sûr,
mais aussi économiques (obtenir par exemple des exemptions ou des allègements de taxes),
religieuses et culturelles (concours).
Ces échanges concernent aussi les médecins, les artistes ou parfois des magistrats. En effet,
certaines cités préfèrent confier leurs procès à des citoyens d’autres cités, jugés plus
impartiaux et moins soumis aux pressions. Cette habitude a sans doute pu permettre un
rapprochement des pratiques juridiques entre les cités. Quels que soient les motifs de la
présence d’un Grec dans une cité autre que la sienne, en cas de succès la ville d’accueil
honore par un décret cette présence. Ces décrets sont aussi transmis à la cité d’origine par
une ambassade, ce qui resserre encore plus les liens. Souvent ces relations diplomatiques
sont renforcées par une parenté mythique. Chaque cité prétendant descendre
d’un héros mythologique il est relativement facile, du fait de la complexité de la mythologie
grecque et de l’extrême diversité des légendes et des traditions, de trouver des ancêtres
communs. Ainsi, quand la modeste cité de Kyténion (en Doride) envoie une ambassade à la
principale cité de Lycie, Xanthe, elle prend soin de démontrer une parenté commune
(Apollon serait né à Xanthos et se trouve être l’ancêtre mythique des Kyténiens)26. Ces
pratiques courantes sont prises très au sérieux à une époque où le mythe ne se dégage guère
de l’Histoire et où il est primordial de montrer que l’on descend de héros homériques. Le geste
d’Alexandre le Grand qui, à peine en Asie, rend hommage àAchille et Patrocle, est révélateur
de cet état d’esprit. Cela démontre l’existence d’une communauté de pratiques et de valeurs.
Les divisions politiques du monde hellénistique sont ainsi partiellement contrebalancées par
cette circulation des hommes et des pratiques culturelles et sociales.
Victoire de Samothrace, commémorant probablement une victoire navale de Rhodes, musée du Louvre
Dans le domaine économique, la période hellénistique se distingue par une forte extension de
l’utilisation de la monnaie, essentiellement de la monnaie d’argent pour les échanges
importants27 et de bronze pour les achats quotidiens de faible valeur à l'échelle locale28. La
plupart des diadoques , en effet, reprennent la monnaie d’argent mise en place
par Alexandre (une monnaie d’argent reprenant le poids des monnaies athéniennes) et en font
l’étalon monétaire du monde hellénistique. Ainsi, chaque souverain frappe sa monnaie mais
elles possèdent toutes un poids identique et circulent assez aisément d’un territoire à l’autre
sans qu'il y ait la contrainte d’un change. Cette ouverture facilite les échanges économiques
entre les États. Cependant, cet indéniable développement de l'étalon attique et le processus
d'unification monétaire qu'il permet doit être relativisé. Ainsi, la puissante cité commerciale
qu'est Rhodes conserve son propre étalon (étalon « chiote »)27. Les Lagides et
les Attalides au IIe siècle av. J.-C. exigent pour leur part sur leur territoire l’usage exclusif de
leur monnaie. Le change leur permet de faire d’importants bénéfices car leur monnaie est
échangée à égalité (une pièce d’argent contre une pièce d’argent) alors qu'elle est d’un poids
inférieur à l’étalon international de l’époque29.
Souvent dédaigné par rapport à l’époque classique, l’art hellénistique est pourtant d’une
richesse de mieux en mieux appréhendée de nos jours. La multiplication des royaumes
hellénistiques, et du mécénat afférent, permet la diffusion de pratiques et de techniques
artistiques dans les domaines de l’architecture, avec souvent des proportions tirant vers le
gigantisme, de la sculpture ou encore de la peinture murale.
L’innovation artistique n’est désormais plus le fait de la Grèce continentale : c’est ainsi
à Pergame que naît le « baroque hellénistique », caractérisé par la violence des expressions et
des mouvements représentés, dont les groupes de Gaulois ou encore le Grand Autel sont les
meilleures illustrations. Des découvertes archéologiques récentes ont mis au jour des chefs
d’œuvre de peinture murale ou de toreutique à Vergina (ancienne Aigéai) en Macédoine, ou
encore à Panagyuriste, en Bulgarie.
La période est également marquée par la disparition de la peinture sur vase et par l’essor des
arts dits « mineurs » : travail des métaux, de l’ivoire ou encore du verre, mosaïque, etc.
La figurine en terre cuites'émancipe du cadre religieux pour prendre son autonomie : elle
représente un témoignage majeur sur la vie quotidienne de l’époque mais aussi, avec les
« grotesques » de Smyrne ou d’Alexandrie, une remise en cause de la « beauté grecque »
classique.
la fin du monde hellénistique
Notes et références
5. ↑ Will 2003, p. 80
7. ↑ Fondé par l'eunuque Philétairos, un proche de Lysimaque selon Strabon, XIII, 4,1.
8. ↑ François Lefèvre, Histoire du monde grec antique, Le livre de poche, collection Références-
10. ↑ François Lefèvre, Histoire du monde grec antique, Le livre de poche, collection Références-
12. ↑ >«Marcel Le Glay, Yann Le Bohec, Jean-Louis Voisin, Histoire romaine, P.U.F., collection
13. ↑ Jean Delorme, Le monde hellénistique, S.E.D.E.S, collection Regards sur l'Histoire, 1975.
14. ↑ inscription de Névahend (Iran) et d'Eriza (Turquie), citée par L.Robert,Inscriptions séleucides
16. ↑ extrait de papyrus connu sous le nom de Revenue Laws, Jean Delorme,opus cité, p.381-386.
17. ↑ Polybe, Histoires [détail des éditions] [lire en ligne [archive]], V, 41-56.
19. ↑ Défaite du roi de Sparte, Cléomène III à Sellasie devant la Macédoine et laLigue achéenne.
20. ↑ Grâce à une diplomatie habile et en utilisant leur prestige, les Athéniens ont pu embellir leur
21. ↑ Paul Petit, La civilisation hellénistique, P.U.F., collection Que sais-je?, édition 1981, p.21.
22. ↑ M. Clair, Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et Belles Lettres,
1964, p. 140-141.
24. ↑ titre emprunté à Pierre Frohlich, Les Grecs en Orient, l’héritage d’Alexandre, Documentation
25. ↑ Laurent Bricault, Atlas de la diffusion des cultes isiaques. Mémoires de l’Académie des
26. ↑ a, b, c et d Cité par Pierre Frohlich, Les Grecs en Orient, l’héritage d’Alexandre, Documentation
33. ↑ Pierre Lévêque, Le Monde hellénistique, Armand Colin, coll. « U2 », 1969, p. 21-22.