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Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

Cahiers
de recherche
Working paper

L’ENTREPRISE ET SES MENACES ECONOMIQUES


EN 2008 : UNE TENTATIVE DE BILAN1

Bernard SIONNEAU
Professeur senior
BEM
Chercheur au Groupe de Recherche sur la Sécurité et la
Gouvernance (GRSG), Université de Toulouse I

Pôle de recherche Décision, Management & Performance


CEREBEM, CEntre de REcherche de BEM
N° 127-08, octobre 2008

1
Les analyses, produites par l’auteur de ce cahier, ont nourri la rédaction d’un rapport dont la référence suit : Gaïdz Minassian (dir.), Le
marché de la sécurité privée en France, étude réalisée en juillet 2008 par le Groupe d'Analyse Politique Défense Relations Internationales
Sécurité à l'Université Paris X Nanterre (GAPDRIS), département dirigé par le Professeur Yves Roucaute, pour le compte de Institut
National des Hautes Etudes de Sécurité ('INHES).
1
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

Bernard SIONNEAU

est Responsable du Pôle Académique ORG et Professeur-HDR de Relations Internationales et d’Etudes


Stratégiques. Il est également Chercheur au Groupe de Recherche sur la Sécurité et la Gouvernance (GRSG), à
l'Université de Toulouse I.
Ses recherches portent plus particulièrement sur la "responsabilité globale de l'entreprise" (RGE), le
questionnement, autour de la RGE, des contenus d'enseignement et de la pédagogie des B. Schools,
l'évaluation de "l'attractivité durable des territoires" ainsi que l'étude de l'impact des réseaux d'Influence sur les
choix publics aux Etats-Unis (défense, sécurité).

bernard.sionneau@bem.edu

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Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

L’ENTREPRISE ET SES MENACES ECONOMIQUES EN 2008 :


UNE TENTATIVE DE BILAN
Résumé

Le sujet des « menaces économiques » auxquelles les entreprises sont confrontées est traité, de façon
classique, sous l’angle des sinistres à même d’impacter les activités des agents économiques et d’être
sources de pertes pour eux.
C’est la perspective qui est privilégiée dans la plupart des centres de recherche et de formation en
Economie-Gestion où la menace économique est présentée avant tout comme extérieure au monde des
affaires et où il existe une volonté affichée d’éviter de produire des analyses dites « négatives » par
rapport à l’activité économique et ses agents.
Pour autant, la question qui se pose aujourd’hui, vu la combinaison de chocs structurels que les agents
économiques, tout comme les collectivités nationales, ont à gérer, est de savoir si la décision de
privilégier des analyses univoques (aseptisées, voire « Disneyenne » du monde des affaires), sert les
intérêts de la collectivité nationale, tant les fragilités structurelles, générées justement, par une certaine
conception des affaires, compromettent la sécurité même des agents économiques et celle de notre
pays.
L’auteur de cette recherche a donc choisi d’aborder le problème des « menaces économiques » sous un
angle peut-être plus inédit : joindre, à la présentation des « macro-menaces » (subprimes, insécurité
alimentaire et énergétique, chocs en retour sur les chaînes de création de valeur), une présentation des
pratiques financières dont les effets induits compromettent aujourd’hui la sécurité de la collectivité
nationale.

Mots clés : audit et expertise comptable, banques multinationales, capitalisme total, criminalité
organisée, crise bancaire et financière, firmes multinationales, fonds d’investissement, paradis
fiscaux, subprimes, titrisation.

Abstract

The issue of “economic threats” that companies are confronted with, is traditionally analyzed under a
specific angle: that of the threats that may impact the activities of economic agents and be sources of
losses for them.
It is the viewpoint which is favored in a majority of research and training centers in
Economy and Management, where economic threats are presented as “external” to the business world,
and where there exists a desire to avoid producing so-called “negative analyses” related to the latter.
However, owing to the combination of current structural crises that economic agents and countries
have got to face, there stands a new challenge: that of knowing if the choice to privilege univocal
analyses (“sanitized”, even “Disneyian” analyses of the business world), serves the interests of our
countries. Actually, many structural problems directly arise from a certain conception and practices of
business (“social-duty-free business”) that endanger the safety of economic agents as well as that of
their countries of origin.
The author of this research has thus chosen to tackle the problem of current “economic threats” under,
perhaps, a newer angle: adding, to the presentation of “macro-threats” (subprimes, food and energy
insecurity, geographical redeployment of value-creating chains, etc.), a detailed explanation of the
financial practices used by major economic agents, the induced effects of which compromise, today,
the safety of our countries.

Key words: auditing and consulting firms, banking and financial crises, investment funds,
multinational banks, multinational corporations, oil and food crises, organized crime, securitization,
tax-havens, turbo-capitalism, subprimes.

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L’ENTREPRISE ET SES MENACES ECONOMIQUES EN 2008 :


UNE TENTATIVE DE BILAN

« Il faut recomposer le tout »


(Marcel Mauss)

Le sujet des « menaces économiques » auxquelles les entreprises sont confrontées est
traité, de façon classique, sous l’angle des sinistres à même d’impacter les activités des agents
économiques et d’être sources de pertes pour eux. C’est la perspective qui est privilégiée dans
la plupart des centres de recherche et de formation en Economie-Gestion où la menace
économique est présentée avant tout comme extérieure au monde des affaires et où il existe
une volonté affichée d’éviter de produire des analyses dites « négatives » par rapport à
l’activité économique et ses agents.
Pour autant, la question qui se pose aujourd’hui, vu la combinaison de chocs
structurels que les agents économiques, tout comme les collectivités nationales, ont à gérer,
est de savoir si la décision de privilégier des analyses univoques (aseptisées, voire
« Disneyenne » du monde des affaires), sert les intérêts de la collectivité nationale, tant les
fragilités structurelles, générées justement, par une certaine conception des affaires,
compromettent la sécurité même des agents économiques et celle de notre pays.
L’auteur de cette recherche a donc choisi d’aborder le problème des « menaces
économiques » sous un angle peut-être plus inédit : joindre, à la présentation des « macro-
menaces » (subprimes, insécurité alimentaire et énergétique, chocs en retour sur les chaînes de
création de valeur), une présentation des pratiques financières dont les effets induits
compromettent aujourd’hui la sécurité de la collectivité nationale.
Le plan retenu pour aborder le sujet, sera donc le suivant :
- un bilan des menaces dont les entreprises sont les victimes (I)
- un bilan des menaces dont les agents économiques (banques et entreprises
multinationales, fonds d’investissement anglo-saxons, grands cabinets d’audit et
d’expertise) sont, eux-mêmes, à l’origine (II)

I – UN BILAN DES MENACES DONT LES ENTREPRISES ONT ETE LES VICTIMES EN
2008
1 – Macro-Menaces : un monde en crises

Dans son “Rapport annuel sur les risques mondiaux 20082 », le Forum Economique
Mondial identifiait 4 type de crises dont la combinaison était, selon ses auteurs, susceptible
d’obscurcir, à court terme, les horizons de prévision des agents économiques :

1.1 - la crise des subprimes : avec cette crise dont certains estimaient en mai-juin 2008
qu’elle pourrait coûter environ 14 000 milliards de dollars3 aux places financières du globe
(depuis le chiffre a doublé), c’était le cœur, et comme nous le verrons dans le deuxième volet
de cette recherche, les fondements et par là même, la crédibilité des systèmes bancaires et
financiers occidentaux, qui allaient être gravement endommagés. Un véritable « séisme
bancaire » s’annonçait qui n’en finirait pas de révéler les pertes de ses principaux acteurs,
comme le laissait déjà prévoir le bilan d’étape (mai 2008) contenu dans le tableau qui suit4 :
2
Alain Faujas, « L’insécurité financière et alimentaire mondiale inquiète les experts de Davos », Le Monde, 10/01/2008.
3
Philippe Thureau-Dangin, “Trop de Pétrole dans nos moteurs”, Editorial, Courrier International n°920, du 19 au 25 juin 2008.
4
The Financial Times, May 13 2008, last updated: May 23 2008.

4
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Subprime losses by bank


Total writedowns and credit
Company
losses since Jan 2007 ($bn)
1 Citigroup 42.9
2 UBS 38.2
3 Merrill Lynch 37
4 HSBC 19.5
5 IKB Deutsche 16.1
6 Royal Bank of Scotland 15.3
7 Bank of America 14.8
8 Morgan Stanley 12.6
9 JPMorgan Chase 9.8*
10 Credit Suisse 9.7
11 Washington Mutual 9.1
12 Crédit Agricole 8.4
13 Deutsche Bank 7.7
14 Other European banks 7.5
15 Wachovia 7
16 HBOS 6.9
17 Bayerische Landesbank 6.8
18 Fortis 6.7
19 Société Générale 6.4
20 Mizuho Financial Group 6.2
21 ING Group 6.1
22 Barclays 5.2
23 Other Asian banks 2.8
Worldwide 382.6
Source: Bloomberg (As of May 22, 2008)
Note from Bloomberg: The definition of writedown was expanded on May 19 to
include reductions in valuations that didn’t go through the income statements.
That has led to a $35bn surge in the overall loss number worldwide. Writedowns
now include losses deducted from equity only and not income.
* Excluding the expected $9bn charge JPMorgan Chase could take to clean up
Bear Stearns’ balance sheet and pay for redundancies and litigation arising from
its takeover of the bank

Ces pertes étaient, de fait, lourdes de menaces pour la sphère réelle de l’économie, et
cela, pour la raison suivante : selon les obligations de régulation prudentielle (ratios de
solvabilité) du secteur bancaire, les établissements, en cas de pertes entraînant la
dévalorisation de leurs actifs, doivent passer dans leurs comptes les provisions
correspondantes. Ce qui signifiait que, pour respecter ces obligations et leurs ratios, ils
allaient être obligés de réduire leurs engagements, en proportion du montant des capitaux
propres entamés par les provisions. Et au final, indiquait Frédéric Lordon, tous les agents de
l’économie réelle, entreprises et leurs salariés, risquaient d’être confrontés au ralentissement,
voire à la chute de l’activité bancaire, induite par cette crise5.

5
Frédéric Lordon, « Quand la finance prend le monde en otage », Le Monde Diplomatique, septembre 2007, p. 11.
5
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1-2 l’insécurité alimentaire : avec cette autre crise, c’était la survie de populations
entières parmi les plus fragiles qui était en jeu, et qui accentuait la menace de troubles
politiques et sociaux importants, dans des pays pauvres, émergents ou plus riches : émeutes de
la faim en Egypte, au Maroc, en Indonésie, aux Philippines et en Haïti (où elles faisaient au
moins cinq morts et abouti à la chute du gouvernement). Emeutes également dans nombre de
pays africains comme le Nigeria, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Mozambique, la
Mauritanie, le Sénégal et le Burkina Faso...6 Manifestations contre la hausse du prix de la
tortilla à Mexico ou grève contre le prix des pâtes à Rome. Les experts de l’OMC
s’inquiétaient, quant à eux, d’un possible « retour au protectionnisme » en observant que
plusieurs pays exportateurs de denrées alimentaires (l’Inde, le Vietnam, l’Egypte, le
Kazakhstan...) avaient décidé de réduire leurs ventes à l’étranger afin de garantir
l’alimentation de leur population7.
Plusieurs facteurs se combinaient pour expliquer ces évènements : la croissance de la
population mondiale et, dans des pays émergents comme la Chine, l’augmentation de la
population associée au processus d’industrialisation, qui entraînaient une diminution des
terres arables disponibles pour l’agriculture; la modification des habitudes alimentaires dans
les pays émergents (en 50 ans, la consommation annuelle de viande par tête était passée de 10
à 40kg) ; l’emploi de céréales pour la fabrication du carburant et la distraction des surfaces
cultivables pour le faire; l’abandon, par de nombreux pays en développement, suite aux
recommandations du FMI et de la Banque Mondiale, de leur agriculture vivrière ou sa
réorientation vers l’exportation et l’obligation de réimporter à prix fort les éléments
alimentaires de base; les changements climatiques qui aggravaient sécheresses et inondations ;
le renchérissement du coût du transport de l’aide alimentaire d’urgence, dû à la hausse du prix
des carburants.
On pouvait ajouter à cette liste de sources d’insécurité alimentaire et d’instabilité
sociale, la spéculation financière. Dans la mesure où la bulle immobilière avait éclaté, les
investisseurs qui avaient su tirer profit de la crise des subprimes ou de la hausse vertigineuse
des cours pétroliers s’étaient lancés à la recherche de nouveaux placements rémunérateurs.
Les marchés « tendus » des céréales, et les produits financiers dérivés proposées sur leurs
sous-jacents, leur avaient ouvert de nouvelles opportunités : achetant des contrats de livraison
de blé ou de riz pour une date future, ils escomptaient les revendre beaucoup plus cher. Ce qui
entretenait, comme l’écrit Serge Halimi, « la hausse des prix, la famine... »8.

1-3 Insécurité Énergétique et réorganisation des pouvoirs mondiaux : en l’espace


d’une décennie, le cours du baril de pétrole était passé de 10 dollars en 1999, à 95 dollars,
puis à 140 dollars le 16 juin 2008. En 2007, personne ne parlait alors de ce qui était évoqué,
en juin 2008 par certains comme un scénario du pire (avant la récession issue du krach
boursier d’octobre 2008) : voir le cours du baril de pétrole atteindre un jour les 200 dollars
(130 euros) et la possibilité d’un nouveau « choc pétrolier »9 associé au spectre de la
« stagflation » dans les pays les plus riches.
Dans le reste du monde, la hausse trop brutale des cours obligeait en effet les
gouvernements de nombreux pays comme la Syrie, la Jordanie, l’Egypte, le Sri Lanka, l’Inde,
la Malaisie10, l’Indonésie et Taiwan à réduire ou supprimer les subventions aux carburants.
Pour certains de ces pays qui étaient des pays en développement, et où les gens dépensaient
50% de leurs revenus en nourriture et essence, les risques de troubles politiques et sociaux

6
« Emeutes de la faim », Le Monde Diplomatique, lundi 14 avril 2008.
7
Alain Faujas, op.cit.
8
Serge Halimi, « FMI-FAIM », Le Monde Diplomatique, n°650, mai 2008.
9
« Ce monde qui vient avec un baril à 200 dollars », Courrier International n° 920, du 19 au 25 juin 2008, p. 32.
10
Pays en développement : la fin de l’essence subventionnée », ibid., p. 32.
6
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étaient alors redoutables, notamment à cause du désespoir qui pouvait s’emparer des
populations les plus pauvres incapables de faire face à ces hausses de prix11.
Les raisons, expliquant ces poussées de fièvre sur les marchés pétroliers (entrecoupées
de répits liés à une baisse de la consommation due à une hausse des cours du baril ou à la
survenance de crises économiques graves), étaient multiples : le choix fait, par les plus grands
pays industrialisés et émergents, d’organiser leur développement économique autour de
ressources fossiles non renouvelables ; une demande forte alimentée jusqu’ici par l’Inde et la
Chine12 ; les menaces qui pesaient sur l’approvisionnement (recrudescence des conflits dans
les pays producteurs, explosion des coûts d’équipement liés à l’exploration en milieux
difficiles, estimations revue à la baisse de réserves de principaux pays exportateurs) et la
spéculation financière.
Ces tensions sur les marchés des énergies fossiles avaient déjà eu des conséquences
géopolitiques sur la distribution et l’exercice des pouvoirs dans le monde : cela s’était tout
d’abord traduit par un glissement de ces mêmes pouvoirs mondiaux au profit de pays
producteurs dont les régimes politiques empruntaient davantage à « l’autocratie » (Pays du
Golfe, Iran, Russie, Venezuela, etc.) qu’à la démocratie (recul donc des valeurs de tolérance,
de liberté et de respect des droits humains et de la propriété privée, etc.). Comme le faisaient
remarquer certains observateurs, plus les gouvernements d’Iran, de Russie, du Venezuela
avaient gagné de l’argent avec leurs exportations de pétrole, et moins ils s’étaient montrés
redevables vis-à-vis de leurs citoyens.
C’était ensuite, la menace de voir des pays déjà fragiles, producteurs de pétrole,
fragilisés encore davantage par la « malédiction de l’or noir » (ce que certains spécialistes
nomment « maladie hollandaise13 »), entretenant ainsi l’incertitude sur l’offre mondiale de
brut. Une analyse des faits montrait ainsi que les Etats producteurs de pétrole représentaient
une proportion croissante de pays victimes de conflits : ils étaient, en effet, le théâtre d’1/3 de
guerres civiles actuelles contre 1/5ème en 199214. D’autre part, ces conflits, associés à des
problèmes structurels de gouvernance, avaient un prix : près de la moitié des membres de
l’OPEP étaient plus pauvres en 2005 que 30 ans auparavant.
De fait, comme l’expliquait Michael L. Ross, plusieurs configurations, liées à
l’exploitation d’une ressource rare aussi demandée que le pétrole, expliquaient l’existence de
troubles sociaux, économiques et politiques dans des pays fragiles15 : les revenus issus de la
production servaient à financer des mouvements insurrectionnels ou des organisations
criminelles; les rebelles volaient des stocks (bunkering16) et les revendaient au marché noir
(Irak et Nigeria) ; ils extorquaient de l’argent aux compagnies pétrolières situées dans des
régions isolées (Colombie et Soudan), ou trouvaient des partenaires commerciaux prêts à les
soutenir en échange de leur bienveillance au cas où ils prendraient le pouvoir (Guinée
Equatoriale, RDC). L’exploitation pétrolière encourageait également les mouvements
séparatistes (régions pétrolifères de Bolivie, Indonésie, Iran, Irak, Nigeria, Sud-Soudan, etc.)
lorsque des ressources énergétiques, localisées dans enclaves géographiques, fournissaient des
revenus à un gouvernement central mais pas aux populations locales directement impactées
par les conséquences néfastes de cette exploitation (expropriation, pollution, etc.).

11
« Ce monde qui vient avec un baril à 200 dollars », ibid., p. 34.
12
« La fin de l’essence subventionnée », ibid., p. 32.
13
« Plus de pays pétroliers et plus de guerres », ibid., p. 39.
14
Ibid.
15
Comme l’explique, en effet, Yann Mens : « Dans tous les cas, ce sont bien des enjeux économiques, juridiques, politiques…liés à la
concurrence pour les ressources de l’Etat colonial d’abord, postcolonial ensuite, qui sont la source principales des affrontements entre
groupes ethniques. Et non pas des haines éternelles entre communautés figées dans la tradition. Des affrontements d’autant plus désespérés
et violents que les ressources des pays africains sont rares », in Yann Mens, « Pourquoi les violences ethniques », Alternatives
Internationales, n° 39, juin 2008, p. 30.
16
Selon Philippe Véry et Bertrand Monnet, « le « bunkering » désigne l’action de vol de pétrole brut par destruction partielle ou piratage
de pipe-line. […] Si différentes techniques existent, la principale consiste à pirater des oléoducs de gros volume en soudant une dérivation
clandestine sur une de leurs vannes. […] Elles nécessitent la délivrance frauduleuse de vrais certificats d’exportation, afin que le pétrole
volé puisse être vendu sans attirer l’attention d’acheteurs tenus au respect de normes de traçabilité du brut qu’ils raffinent ? […] De telles
opérations nécessitent à l’évidence de fortes complicités chez les militaires et politiques », in « Quand les organisations rencontrent le crime
organisé », Revue Française de Gestion, n°183/2008, p. 188.
7
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1-4 la menace de rupture des chaînes d’approvisionnement et l’induction de processus


de relocalisation/régionalisation : eu égard à la très forte baisse des barrières tarifaires
obtenues lors des grands cycles de négociation commerciale, les entreprises multinationales
ont, pour les plus compétitives, déployé leurs chaînes de création de valeur à l’échelle du
globe, multipliant les délocalisations et développant une culture du « ‘juste à temps » qui
réduisait les stocks au minimum17.
Cette organisation globale des opérations a été rendue optimale par une gestion de la
chaîne logistique intégrant dans son fonctionnement la prévention de menaces de types
multiples : catastrophes naturelles, pandémies, troubles politiques et sociaux, actes terroristes,
atteintes aux droits humains et du travail, corruption et pollutions, actes de piraterie et de
« chasse à l’homme18 » (kidnapping ou rançon). Mais au coût des mesures de protection
mises en œuvre par les grandes entreprises pour se protéger contre ces menaces, s’en est
ajoutée une autre, capable de compromettre leur rentabilité. Il s’agit du risque récurrent de
hausse du coût du pétrole (lorsque les économies fonctionnent à plein) qui équivaut à une taxe
sur les marchandises susceptible de ralentir les échanges internationaux.
Pour toutes les entreprises qui déplacent des hommes et des marchandises sur de
longues distances, le surcoût peut être considérable : en 2000, une étude menée par une
banque canadienne établissait que lorsque le baril de pétrole valait 20 dollars, les coûts de
transport augmentaient de 3% aux Etats-Unis. En 2008, précisait Nayan Chanda, « il avait
renchéri de 9% les marchandises importées d’Extrême-Orient19». A 200 dollars, cette
augmentation atteindrait 15%. Le surcoût, répercuté dans tous les cas de figure sur le
consommateur, avait toujours un impact sur la demande, malgré toutes les réductions
d’impôts. Plus les consommateurs dépensaient en carburant, moins ils dépensaient en
voyages, meubles, vêtements et électroménager. Tout d’abord, les grandes surfaces pouvaient
avoir l’impression d’y gagner dans la mesure où, en raison de la hausse des prix des produits
alimentaires et de l’essence, les consommateurs privilégiaient les enseignes qui leur
proposaient les prix les plus bas. Mais à terme, pour celles comme Wal Mart ou Carrefour qui
importaient une partie de leurs stocks de Chine et d’Inde vers les pays occidentaux, il leur
fallait ensuite incorporer la facture pétrolière (en attendant de redéployer leurs chaînes
d’approvisionnement) au risque de voir leurs marges s’effondrer.
Dans le cas des compagnies aériennes les impacts, avant même la récession liée à la
crise financière, avaient été immédiats : au cours des premiers mois de 2008, 24 d’entre elles
avaient disparu20 ; American Airlines annonçait une diminution du nombre de vols à cause de
l’immobilisation d’un grand nombre d’avions moins récents, gros consommateurs de
kérosène ; Air France-KLM et son PDG Jean-Cyril Spinetta prévenaient que les bénéfices
pourraient chuter de 30% en 2008 (un baril à 200 dollars aurait un impact supérieur aux chocs
des 11 sept 2001 ou de l’épidémie de SRAS en 2003). Quant aux constructeurs automobiles,
les prévisions étaient aussi pessimistes : un baril à 200 dollars pouvait causer la mort de
Detroit ou de l’un des « big three » (GM, Ford, DaimlerChrysler)21. Les « tour-opérateurs »,
enfin, s’inquiétaient de l’alourdissement de la facture transport de leurs clients au fur et à
mesure que le prix du baril de pétrole montait : les surcharges carburant appliquées par les
compagnies aériennes avaient plus que doublé sur la période 2007-2008, dépassant les 200
euros pour un billet aller-retour pour les vols long-courriers.
En résumé, si l’augmentation des capacités de transport (fret et passagers) et la baisse
des coûts dans ce secteur d’activité avaient réduit les distances, les tensions récurrentes (car
structurelles) sur le marché des carburants, le spectre de tensions protectionnistes liées à la

17
Alain Faujas, « L’insécurité financière et alimentaire mondiale inquiète les experts de Davos », Le Monde, 10/01/2008.
18
Cf. Philippe Véry, Bertrand Monnet, op.cit., p. 188.
19
In « Ce monde qui vient avec un baril à 200 dollars », op.cit., p. 35.
20
« Quand voler deviendra un luxe », Courrier International n° 920, du 19 au 25 juin 2008, p. 37.
21
« Ce monde qui vient avec un baril à 200 dollars », op.cit., p. 33.
8
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crise mondiale, et la possibilité de chocs systémiques liés à la fragilité des systèmes bancaires
et financiers, obligeaient les entreprises à porter plus d’attention aux distances qui séparaient
lieux de production, d’assemblage et de vente. Relocalisations et réorganisation régionale du
commerce mondial pourraient en être les conséquences, de même qu’une recrudescence des
tensions internationales et infranationales autour du contrôle des ressources rares (pétrole,
eau, matières premières alimentaires, etc.) et des espaces (terrestres ou maritimes) qui les
abritent.

2 - la criminalité organisée internationale

En avril 2008, les autorités américaines identifiaient le « crime organisé


international » comme une menace croissante pour la sécurité et la stabilité des Etats-Unis22.
La définition qui était donnée de cette criminalité internationale était la suivante : « Toute
association d’individus qui opère à l’échelon international dans le but d’obtenir du pouvoir,
de l’influence, des gains financiers et commerciaux, de façon totalement ou partiellement
illégale, tout en protégeant ses activités grâce à l’utilisation de la corruption et de la
violence. »

2-1 une stratégie Etats-unienne de lutte contre le crime organisé : le Ministre de la


Justice, Michael B. Mukasey, dévoilait alors une stratégie complète intitulée « The Law
Enforcement Strategy to Combat International Organized Crime ». Elle avait été conçue,
ainsi que le précisait ses services, en réaction à plusieurs éléments : la globalisation des flux
d’affaires légaux et illégaux ; les progrès de la technologie, particulièrement dans le domaine
de l’internet ; l’évolution de relations symbiotiques entre organisations du crime et dirigeants
appartenant aux sphères du politique et des milieux d’affaires. Tous ces éléments, indiquaient
les autorités américaines, étaient à l’origine d’un nouvel environnement beaucoup moins
contraignant, à l’intérieur duquel les organisations internationales du crime pouvaient
déployer leurs opérations.
La stratégie, présentée par les services du Ministère de la Justice, était destinée à
contrer « 8 types de menaces stratégiques », portées par les organisations internationales du
crime :
n - la pénétration du marché de l’énergie et d’autres secteurs aussi stratégiques de
l’économie mondiale et américaine. Alors que les besoins des Etats-Unis ne cessaient de
croître dans le domaine de l’énergie, le phénomène faisait craindre une montée en puissance
des acteurs, dont ceux de l’ombre, qui contrôlaient ces marchés ;
o - la fourniture de soutien : aux terroristes, à des services de renseignement et des
gouvernements étrangers dont les intérêts étaient tout à fait opposés à ceux des Etats-Unis ;
p - le trafic d’êtres humains qui mettait en danger la santé et la vie des personnes exploitées,
mais aussi l’importation illégale de produits de contrebande qui se faisait au détriment de la
sécurité des frontières et de la santé de l’économie américaine ;
q - l’exploitation du système financier international qui permettait de faire circuler des
profits et des fonds illégaux et de faire rentrer chaque année des milliards de dollars dans le
système financier américain. La corruption des intermédiaires financiers, pratiquée à l’échelle
mondiale, était identifiée comme un moyen privilégié de poursuivre cette activité ;
r - l’utilisation du cyberspace pour monter des attaques qui menaçaient la confidentialité des
informations personnelles, la stabilité des infrastructures d’affaires et de gouvernement, la
sécurité et la liquidité des marchés de capitaux ;

22
“Department of Justice Launches New Law Enforcement Strategy to Combat Increasing Threat of International Organized Crime”, United
States Department of Justice, Wednesday, April 23, 2008.
9
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s - la manipulation de transactions sur titres et la conception d’opérations de fraudes


sophistiquées qui se chiffraient en milliards de dollars perdus pour les investisseurs,
consommateurs et agences gouvernementales des Etats-Unis ;
t - la corruption d’agents publics dans le monde qui appartenaient, dans certains cas, aux
administrations de pays ayant une importance stratégique pour les Etats-Unis et la poursuite
incessante d’activités légales ou illégales visant à influencer les autorités des Etats-Unis ;
u - l’utilisation de la violence et de la menace de l’employer comme fondement du pouvoir.
Contenant un plan destiné à permettre au Ministère de la Justice et 9 autres agences
fédérales de collaborer pour combattre ces menaces, la stratégie présentée ne mentionnait
toutefois que les « organisations criminelles internationales qui menacent la richesse et les
institutions des Etats-Unis, tout en demeurant à l’extérieur des frontières du pays. »
Disparaissait donc, dans le propos, la réalité de « multinationales du crime » comme les
organisations italo-américaines, japonaises, chinoises ou russes qui, pour les plus puissantes
d’entre elles, opéraient à partir du territoire même des Etats-Unis et constituaient donc une
menace interne directe.
Si l’on prend ainsi le cas de « Cosa Nostra » qui, depuis 1931, est la mafia italo-
américaine la plus connue23, elle semble toujours bien implantée dans la réalité américaine24 :
l’arrestation de membres influents et les annonces régulières de « coups fatals » portés aux
principales familles le prouvent, (récemment près de 60 membres de la « famille Gambino » à
New York25), tout comme les liens de l’organisation avec sa parente sicilienne26, ainsi que le
contrôle de pans entiers du mouvement syndical américain (employés de l'hôtellerie et de la
restauration, dockers et conducteurs de poids-lourds) qui permet aux familles dominantes
d’étrangler les chaînes de production et de distribution dans le but de racketter les
entreprises27.
De fait, les menaces économiques liées à la criminalité organisée atteignent des
niveaux très élevés dans des pays comme l’Italie ou la Fédération de Russie.

2-2 - une hausse constante des revenus du crime organisé en Italie : dans la péninsule,
les revenus engrangés par les organisations du crime organisé représentaient, en 2007, le
segment le plus important de l’activité économique du pays : entre 127 et 140 milliards de
dollars de chiffres d’affaires (7% du PIB italien), soit deux fois celui du géant italien de

23
Cf. Federal Bureau of Investigation, “Organized Crime”, Italian Orga.zhtml
24
5 « familles » se partagent New-York, la plus puissante étant la famille Genovese, suivie par les familles Gambino, Colombo, Lucchese et
Bonano24, in « Les cinq familles qui tiennent New York », L’Expansion, n°702, Novembre 2005.
25
John Marzulli,, “FBI takes down dozens of Gambino crime family members” Daily News, Thursday, February 7th 2008.
26
En 2004, un repenti sicilien, révèle que des « familles » américaines recrutent des mafieux siciliens pour muscler leurs équipes et éduquer
leurs soldats au respect des règles mafieuses historiques. En retour, des familles américaines envoient leurs novices en stage en Sicile pour
apprendre le « métier » et la culture mafieuse authentique in Xavier Raufer, La criminalité organisée dans le chaos mondial :Mafias,
Triades, Cartels, Clans, Edition des Riaux, 2006, pp. 21-22.
27
“Sixty-Two defendants indicted, including Gambino Organized Crime Family acting boss, acting underboss, consigliere and members and
associates, as well as construction industry and union officials. Charges Include Racketeering Conspiracy, Extortion, Gambling, and Theft”.
Following Joint Investigation by Federal, State, and Local Law Enforcement, United States Attorney's Office, Eastern District of New York,
Robert Nardoza, Public Affairs Officer, February 7, 2008. Des précisions complémentaires étaient apportées par une livraison conjointe
AFP/Le Figaro, : «L’opération baptisée «Old Bridge», a permis d'arrêter près de 70 mafieux présumés en Sicile et à New York. La Mafia
sicilienne, en difficulté depuis l'arrestation de ses chefs historiques Bernardo Provenzano et Salvatore Lo Picollo, tentait depuis quelques
temps de se rapprocher de ses cousins américains. Pour enrayer cette alliance, les polices de Palerme et New York ont lancé une vaste
opération transatlantique. Baptisé « Old Bridge », le dispositif visait plus particulièrement la famille Gambino. A New York et ses environs,
le FBI a mis la main sur 54 personnes soupçonnées notamment de meurtres et de trafic de drogue. Côté italien, les carabiniers ont procédé à
20 arrestations. Trois personnes déjà incarcérées pour d'autres faits sont également visées par l'enquête. Ce vaste coup de filet fait suite à un
acte d'accusation de 170 pages qui couvrent les crimes de la famille Gambino depuis le milieu des années 80. A New York, il concerne des
gangsters notoires parmi lesquels ses « boss », Domenico Cefalu et John D'Amico, et son « consigliere » Joseph Corozzo. Selon le New York
Times, c'est même toute la hiérarchie de cette famille qui a été mise sous les verrous. Parmi le gibier des enquêteurs se trouve également
Charles Carneglia, un « soldat » des Gambino, responsable à lui seul de cinq des sept meurtres officiellement reprochés aux personnes
arrêtées. Autres cibles de choix : Francesco Paolo Augusto Cali, alias Franky Boy, l'ambassadeur des familles américaines en Sicile, et
Gianni Nicchi, étoile montante de la mafia sicilienne, âgé de 25 ans seulement. Dans le même temps, la Camorra, cousine napolitaine de
Cosa Nostra était frappée à la tête : Vincenzo Licciardi, qui figurait sur la liste des trente personnes les plus recherchées d'Italie, a été
arrêté dans la matinée lors d'une opération distincte de « Old Bridge » in « un Coup de filet transatlantique contre la Mafia » L.S.
(lefigaro.fr) avec AFP, 07/02/2008 ».
10
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

l’automobile Fiat, en progression par rapport à 2006 où ce chiffre d’affaires ne s’élevait qu’à
106 milliards de dollars28.
Comme l’expliquait, en 2007, un rapport de la « Confesercenti », une association de
petits entrepreneurs dans la distribution, la gamme des activités du crime organisé (extorsion,
usure, contrebande, vol, contrôle des jeux, piratage informatique, collusion avec de grandes
entreprises) permettait à ses groupes d’être présents dans tous les secteurs de l’économie
(industrie textile, tourisme, services aux personnes et aux entreprises, agriculture, contrats
publics, immobilier et finance). Le rapport précisait également que 3 géants italiens dont
Impregilo, leader dans le domaine de l’engineering, Condotte SpA une société spécialisée
dans les canalisations d’adduction d’eau et Italcementi leader européen dans le secteur du
ciment, payaient leur tribu à la mafia (leurs porte-paroles s’empressaient alors de démentir ces
affirmations). Malgré la difficulté à obtenir des témoignages, le rapport établissait également
que l’extorsion avait obligé 165 000 entreprises et 50 000 hôtels à fermer leurs portes en trois
ans. Le problème était suffisamment grave pour que Marco Minniti, le secrétaire d’Etat en
charge des affaires intérieures, déclare officiellement que la croissance du crime organisé dans
le pays était inquiétante29.
Si l’économie italienne était concernée dans sa totalité, c’était surtout dans le sud de
l’Italie que l’activité criminelle se faisait le plus sentir, dans les régions de Sicile, la baie de
Naples, la Calabre et la région des Pouilles. Dans ces zones, jusqu’à 8 entreprises sur 10
acceptaient, en 2007, de payer l’impôt criminel (« pizzo » ou « pizzu30 ») sous la menace de
violences à leur encontre. En Sicile, où il atteignait $1200 en moyenne et représentait $260
millions pour la seule province de Palerme31, la tendance pourrait évoluer. Depuis le début de
l’année 2008, encouragés par l’action « anti-pizzo » lancée par des jeunes en 2004 et les
poursuites engagées par la police italienne contre les hommes d’affaires qui acquittent
l’impôt, une poignée d’entrepreneurs siciliens allant des commerçants locaux aux industriels,
aurait pris la décision de refuser de payer.
Reste à savoir si les tentacules de « la pieuvre », qui lui permettent d’avoir le bras
long32, permettront d’attaquer en profondeur le problème du crime organisé dans la péninsule.

2-3 Saint-Pétersbourg : une ville dangereuse à l’image de l’économie russe : depuis la


reprise en main du pays par les hommes de Vladimir Poutine, il est plus difficile d’obtenir, sur
le crime organisé en Russie, des données chiffrées aussi précises que les données fournies sur
le problème en Italie. Mais les renseignements issus de la période Eltsine durant laquelle les
experts occidentaux (en particulier américains) ont été très sollicités dans la mise en place
technique des processus de privatisation, donnent toutefois une idée de l’ampleur du
problème33.

28
Peter Kiefer, “Organized Crime Takes Lead in Italy’s Economy”, The New York Times, October 23, 2007.
29
Michael Day, « The mafia in Italy is now a $140bn industry », Herald Sun, October 25, 2007. En 1999, le chiffre d’affaires
estimé (activités légales comprises) était de 90 milliards d’euros, une augmentation d’environ 25% par rapport à 1995, in Clotilde
Champeyrache, Entreprise Légale, Propriétaire Mafieux, CNRS Editions, Paris, 2004, p. 10.
30
« Argent de la protection ».
31
Soit un chiffre d’affaires de $260 millions pour la seule province de Palerme. Pour les tarifs pratiqués en fonction des secteurs d’activité,
cf. Frances d’Emilio, « Many Sicilian businesses say no to mafia », San Francisco Chonicle, Sunday, January 20, 2008.
32
Certaines affaires de collusion, au plus haut niveau de l’Etat, ont en effet défrayé la chronique judiciaire de la péninsule. Le 11 décembre
2004, le Sénateur Marcello Dell’Utri, qui était alors le bras droit du Président du Conseil, Silvio Berlusconi, était condamné en première
instance, à neuf ans de prison pour corruption mafieuse. Quant à Giulio Andreotti, 7 fois chef du gouvernement entre 1972 et 1992, Sénateur
à vie, surnommé "l'Inoxydable" il avait été accusé par une quarantaine de « repentis » de Cosa Nostra d'avoir été l'homme de référence de
l'organisation criminelle lorsqu'il était aux affaires à Rome, notamment dans les années 70-80. Il avait été également accusé d'avoir
commandité le meurtre d’un journaliste, Carmine Percorelli, directeur de revue "Observatoire politique". Le 17 novembre 2002, l'ancien chef
du gouvernement italien était condamné en appel à 24 années de réclusion pour complicité dans le meurtre du journaliste. Mais il restait
libre, car protégé par son immunité de sénateur à vie. Le 2 mai 2003, Giulio Andreotti était acquitté part la cour d’appel de Palerme de
l'accusation de complicité avec la mafia sicilienne.
33
En 1998, le Parlement russe estimait que criminalité organisée contrôlait plus de 40% entreprises privés, 60% des entreprises publiques et
85% des banques commerciales. Ce chiffre s’expliquait par le fait que depuis 1991, les groupes mafieux russes avaient pris en charge la
privatisation de plus de 2000 conglomérats d’Etat, contrôlant ainsi la majeure partie des exportations de pétrole, gaz naturel, minerais
stratégiques, matières premières forestières, in Clotilde Champeyrache, Entreprise Légale, Propriétaire Mafieux, CNRS Editions, Paris,
2004, pp. 10-11.
11
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

Ce faisant, les analyses réalisées en 2008 par l’Overseas Security Advisory Council
(OSAC) américain sur la seule Saint-Pétersbourg34 ne sont pas vraiment surprenantes. Et elles
sont d’autant plus intéressantes qu’elles portent sur une ville dont est issue une partie de la
garde rapprochée (le « clan de Saint-Pétersbourg35») de l’homme fort actuel de la Russie.
Identifiant les « familles » Tambov, Kazan et Malyshev comme les trois principaux groupes
criminels de la ville, les experts d’OSAC signalent que ces organisations ont infiltré les
secteurs de la banque, des services publics, des ressources naturelles et même de l’art et de la
culture. Toutes les entreprises de Saint-Pétersbourg disposeraient d’un « krisha » (un « toit »,
c'est-à-dire une protection) impliquant ces organisations et il est indiqué qu’elles agissent en
toute impunité, profitant de l’implication même des autorités officielles locales de sécurité
dans ces activités. Les présomptions de collusion des autorités policières locales avec ces
groupes du crime organisé ont d’ailleurs conduit les échelons supérieurs des services de
renseignement de la Fédération de Russie (FSB) à s’occuper eux-mêmes de l’arrestation de
Vladimir Earsukov, alias Vladimir Kumarin, membre de la famille Tambov.
L’OSAC signale enfin que chaque année, de nombreuses entreprises étrangères
opérant en Russie sont la cible des organisations du crime36 et font l’expérience de
l’extorsion, du chantage et de tentatives de racket. Il leur est donc recommandé la plus
extrême prudence dans l’établissement de liens d’affaires avec ce pays. Précisons toutefois
que de grandes banques américaines ont, très tôt, vu dans ces liens un moyen d’améliorer
leurs marges bénéficiaires, comme l’avait prouvé l’implication de la Bank of New York dans
des affaires de blanchiment de capitaux russes douteux et de détournement de fonds du FMI
pour la Russie37.

3 – la criminalité économique en France

En 2006, la direction centrale des Renseignements Généraux (RG) français recensait,


dans une étude, 1.578 cas de vulnérabilités ou d’agressions économiques hostiles, concernant
888 entreprises (sur plus de 2.000 sensibilisées)38.
Les chiffres avancés permettaient alors de cartographier la physionomie nationale de
l’insécurité économique et d’établir une typologie autour de « 8 grandes catégories de risques
distincts » :
- atteintes aux savoir-faire
- atteintes physiques sur sites
- atteintes à la réputation
- risques liés aux intrusions consenties,
- risques de nature informatique
- risques liés à l’humain
- fragilisations orchestrées,
- risques financiers et/ou capitalistiques

3-1 la France des risques financiers ou capitalistiques en 2006 : En 2006 donc, avec
557 cas sur 1578 signalés, les risques de nature financière représentaient à eux seuls 35,2%
des cas d’insécurité économique. Ils montraient une survenance plus de deux fois supérieure à

34
“Russia Crime & Safety Report”, The Overseas Security Advisory Council (OSAC), 2008.
35
Cf. Javier Morales, “Who rules Russia today? An analysis of Vladimir Putin and his political project (II), UNISCI, 2004.
36
Selon le Ministère de l’Intérieur russe (MVD), il y avait, au tournant du millénaire en Russie : 89 organisations mafieuses importantes,
1000 de plus petite taille ; 11 de ces organisations étaient composées de 243 groupes réunissant quelques 50 000 membres qui opèrent aussi
dans 44 autres pays. Le gouvernement américain faisait état de chiffres différents : il répertoriait environ 200 groupes mafieux de niveau
élevé. Agissent, outre la Russie, dans 60 pays répartis sur tous continents, ils auraient investi de 4 à 7 milliards de dollars en Italie entre 1993
et 1995, grâce aux liens noués avec mafias italiennes. Un groupe, l’Organisation Solntsevo était, à l’époque perçu comme le groupe criminel
le plus puissant de la Fédération de Russie en raison de sa richesse, de son influence politique et de ses réseaux financiers et d’affaires, in
Jean de Maillard, Le marché fait sa loi : de l’usage du crime par la mondialisation, Essai Mille et Une Nuits, juin 2001, pp. 19-20.
37
Raymond Bonner, “Bank of New York Dismisses Second Employee in Laundering Case”, The New York Times, September 3, 1999.
38
DCRG, « Intelligence Economique Défensive : Physionomie nationale du risque financier », mardi 21 novembre 2006,
http://www.lesechos.fr/forums/Rapport_DCRG_11_2006.pdf .
12
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

celle de la catégorie suivante de risques (« risques liés aux intrusions consenties39 »). Bien
que plus fréquente que les autres types d’atteintes, l’agression financière était moins souvent
menée à son terme que les autres, les auteurs du rapport postulant qu’elle était souvent plus
difficile à réaliser.
La division de ces « risques financiers et/ou capitalistiques » en 13 sous-catégories40
permettait également de constater que « la prise de contrôle ou le rachat par des étrangers »
comptait parmi les menaces les plus élevées. Concernant la localisation géographique des
atteintes ou agressions financières, on pouvait observer, sans surprise, leur concentration dans
les régions de France les plus dynamiques (Ile de France, Rhône-Alpes, PACA, etc.). On
apprenait également que les entreprises ayant présenté une vulnérabilité ou subi une atteinte
de nature financière évoluaient dans 93 secteurs d’activités distincts. Prés de la moitié des
risques ou agressions de cette nature (48.9%) étaient concentrés sur 14 secteurs : automobile,
métallurgie et sidérurgie, aéronautique, emballage et papeterie, télécommunications,
microélectronique, plasturgie, menuiserie, meuble et équipement de la maison,
agroalimentaire, composants électroniques, distribution, mécanique, robotique et
automatismes. Sur la base de ces données, l’étude concluait que le risque financier et/ou
capitalistique constituait une menace pour ces secteurs et devait donc faire l’objet d’une
attention toute particulière de la part des pouvoirs publics.

3-2 la France de l’inexistence officielle des organisations du crime : une particularité,


relative à cette étude, mérite toutefois d’être notée. Le document susmentionné (DCRG 2006)
s’achevait sur une partie intitulé « Les nations les plus offensives ». Le lecteur apprenait donc
que les 368 auteurs d’agression financière appartenaient à « 34 nationalités différentes ».
Parmi les nationalités les plus agressives, les pays développés étaient tout
particulièrement représentés avec, dans l’ordre du classement : la France, les Etats-Unis,
l’Allemagne, l’Italie, etc.) - les pays émergents comme la Chine, l’Inde et la Russie se
classant respectivement en 3ème, 8ème et 18ème position. Ainsi, le circuit des agressions
suivait ainsi assez fidèlement celui de l’IDE international, où les investissements des pays
riches vont en priorité vers d’autres pays riches dont les marchés sont les plus solvables et les
marchés de capitaux sont les plus dérèglementés (la RPC et l’Inde constituant des exceptions).
A noter toutefois l’absence de visibilité des agresseurs dont le document ne nous
révélait pas la raison sociale, ni la nature exacte des activités. S’agissait-il d’autres entreprises
ou sociétés d’investissement légales, d’entreprises ou d’entités financières utilisées par des
gouvernements étrangers, ou de structures investies éventuellement par des organisations du
crime ? Sachant la menace que représentent, grâce à leurs moyens financiers ces
« multinationales du crime » et donc l’expertise comptable et financière qu’elles peuvent
acheter (cf. infra), il est surprenant de ne parvenir à en identifier aucune manifestation précise,
en France, dans un document d’étude officiel.
La réponse se trouve peut-être dans les précisions apportées, en 2004 par Patrick
Mabrier, chef d'escadron de la gendarmerie nationale41. Sur le sujet du « crime organisé
transnational», ce dernier faisait en effet remarquer que la France ne s'était pas véritablement
prémunie contre le phénomène. Son explication était simple : le droit pénal de notre pays n’en
établissait pas de définition juridique autonome. Le crime organisé, précisait-il, était
seulement appréhendé au travers de l’accomplissement d'une infraction déterminée, avec la
circonstance aggravante de la bande organisée, et sous l'angle de l'incrimination d’association

39
Venaient ensuite : les atteintes au savoir-faire, les atteintes physiques sur site, la désorganisation et la fragilisation, les risques
informatiques, les atteintes à la réputation et les risques humains.
40
Les 12 autres sous-catégories des risques financiers sont les suivantes : « paiements trop tardifs, injection de capitaux concurrence, sous-
investissement en vue revente, fournisseur trop prédominant, prise de contrôle -rachat par fournisseur – client, actes de délinquance
financière, injection de capitaux étrangers, client trop prédominant, délocalisation, cessation ou désengagement d’activité, prise de contrôle
ou rachat par concurrence, manque de trésorerie ou pertes financières », in DCRG, « Intelligence Economique Défensive : Physionomie
nationale du risque financier », op. cit..
41
« Depuis la chute du Rideau de fer, quelle politique l'Union européenne met-elle en œuvre face à la criminalité organisée d'Europe de
l'Est? » par le Chef d'Escadron Patrick Mabrier (Gendarmerie nationale, France, 11ème promotion du CID), 2004.
13
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

de malfaiteurs (groupement formé par une entente établie en vue de la commission d'un crime
ou d'un délit grave). Ce système, précisait Mabrier, comportait deux faiblesses majeures.
D’une part, en choisissant de s’attaquer aux malfaiteurs pour l’accomplissement d'actes
déterminés plutôt que de s'attaquer directement à la structure criminelle elle-même, la France
se privait d’appréhender judiciairement les structures mafieuses. C’était « l’infraction » qui
était visée et non « l’organisation criminelle » (contrairement à la loi italienne qui disposait
de l’article 416 bis de son code pénal sur l'association mafieuse). D’autre part, ni les
magistrats, ni les services de police et de gendarmerie ne disposaient des outils et moyens
adéquats pour contrer le problème.

4 – « Quelle criminalité organisée ? » : l’univers aseptisé des cabinets


internationaux d’expertise

En 2007, les auditeurs du cabinet PriceWaterHouseCoopers (PWC) conduisaient une


enquête à l’aide d’entretiens réalisés auprès de plus de 5400 entreprises installées dans 40
pays dont 150 en France. Intitulée « Criminalité économique : Peuples, Culture et Contrôle »,
elle était présentée par le cabinet, comme l’enquête internationale la plus exhaustive sur ce
sujet42.
Parmi les résultats considérés comme les plus marquants et qui permettait à la firme de
proposer ensuite quelques pistes (et in fine ses services) aux entreprises partenaires pour les
traiter, on y apprenait :
- que la fraude demeurait l’un des problèmes majeurs pour les entreprises interrogées,
malgré une plus grande attention de la part des autorités de régulation et
l’investissement des compagnies dans des dispositifs et mesures de contrôle ;
- que toutes les catégories d’entreprises étaient touchées mais que plus l’entreprise était
grande et plus les risques de fraude étaient importants ; en outre, si aucun secteur
n’était épargné, ceux de l’assurance, de la distribution et de la consommation avaient
été particulièrement éprouvés ;
- que le niveau du crime économique et des pertes financières et non financières
associées n’avait pas diminué ;
- qu’environ une entreprise sur deux avait été la proie de la criminalité économique au
cours des deux dernières années ;
- que le crime économique était difficile à combattre en raison du nombre élevé de types
de fraudes économiques et du nombre aussi élevé d’employés, parmi lesquels des
cadres supérieurs, qui les commettent ;
- que les entreprises ne pouvaient compter seulement sur les contrôles internes pour
détecter et dissuader la survenance de crime économique. Il leur était recommandé de
générer de la loyauté chez le personnel, de lui signifier de façon claire ce qui devait
être fait sans crainte, de prévoir des sanctions pour ceux qui fraudaient sans tenir
compte de leur rang dans la hiérarchie.
De façon tout à fait intéressante, dans des pays aussi touchés par le crime organisé que
l’Italie et la Russie (mais la France n’est pas épargnée non plus43), les auditeurs de PWC
réussissaient le tour de force de ne jamais mentionner le nom de ces organisations en relation
avec les fraudes perpétrées. En outre, leur plaidoyer pour la loyauté interne, la promotion
d’une éthique de l’intégrité et la vigilance des autorités de régulation semblaient assez
difficile à mettre en œuvre, dans un monde où le comportement des grands du conseil, tout
comme celui des firmes et banques multinationales pour lesquels ils travaillaient, pose
directement le problème d’une activité économique plus soucieuse de rendements financiers

42
« Economic crime : people, culture and controls », PriceWaterHouseCoopers, 2007,
http://www.pwc.com/extweb/pwcpublications.nsf/docid/1E0890149345149E8525737000705AF1
43
Cf. Jérôme Pierrat, Mafias, Gangs et Cartels. La Criminalité Internationale en France, Editions Denoël, 2008.
14
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

que de contagion de la prospérité ou de « responsabilité » en matière de protection et respect


des droits humains et de l’écosystème (cf. infra IIème partie).

4-1 – le « détournement d’actifs » en France : si 40% des entreprise françaises ayant


participé à l’enquête 2007 de PWC reconnaissaient avoir été victimes d’une fraude, c’est le
détournement d’actifs qui, dans cette gamme, avait touché 30% d’entre elles, suivi par la
contrefaçon pour 15%, la fraude comptable pour 10%, et la corruption pour 3%.44
Concernant, plus particulièrement la contrefaçon, ou plus généralement le vol de propriété
intellectuelle, il était intéressant de noter que ce crime touchait les entreprises françaises au
même niveau que le reste des entreprises sondées en Europe et dans le reste du monde, alors
qu’en 2005, les entreprises françaises enregistraient un niveau bien supérieur en nombre de
cas déclarés. L’analyse de PWC était que désormais, la contrefaçon n’affectait plus seulement
les produits de luxe, mais de nombreux produits industriels ou de grande consommation.
En matière de corruption, les cas déclarés en France ne concernaient que 3% des
entreprises interrogées contre 13% au niveau mondial, une différence expliquée de la façon
suivante : soit une plus faible survenance en France de ce type de crime ; soit une plus grande
gêne à admettre son existence ; soit une méconnaissance des lois internationales anti-
corruption comme le Foreign Corrupt Practices Act – FCPA) ou la Convention de l’OCDE
relative à la lutte contre la corruption des agents publics étrangers, comme l’avaient reconnu
69% des personnes interrogées.
Une dimension également intéressante que faisait ressortir l’analyse de PWC était le
décalage qui pouvait exister entre « perception de la fraude et son occurrence ». Dans le
domaine de la corruption, 12% des personnes questionnées en France admettaient qu’il
s’agissait d’une menace importante pour les entreprises et 10% qu’elles s’étaient trouvées, au
cours des deux années précédant l’enquête, dans une situation où il leur avait été demandé de
verser un pot de vin. Pour cette catégorie de fraude, comme pour le blanchiment ou la fraude
comptable dans le reste du monde, le « risque perçu » était significativement plus élevé que
les résultats concernant leur niveau de survenance. Les analystes de PWC l’expliquaient par
l’importance de l’impact potentiel du risque de fraude, notamment au plan médiatique.
Sur l’impact réel du risque de fraude en France, l’enquête de PWC établissait les faits
suivants : les entreprises avaient reconnu avoir perdu 2,8 millions d’euros en moyenne depuis
les deux années précédentes (contre 3,9 millions en 2005), soit un chiffre qui, malgré sa
diminution, restait bien supérieur à celui enregistré en Europe de l’Ouest (1,6 millions d’euros
ou dans le monde (1,7 millions d’euros). L’explication fournie était le niveau élevé de la
facture des contrefaçons en France en raison de la prédominance d’articles de luxe. En termes
de récupération des sommes perdues pour fraudes, un constat : seulement 22% des entreprises
étaient parvenues à récupérer plus de 60% des sommes détournées et dans 62% des cas, aucun
montant n’était récupéré. Autres éléments à signaler : l’impact des fraudes ne se limitait pas
au seul coût financier ; il fallait y ajouter les dommages collatéraux comme l’impact sur la
marque, sur la motivation du personnel (en raison notamment du temps perdu en interne pour
gérer les crises), sur le cours de bourse ou encore sur les relations de l’entreprise avec les
autorités.
Autres points à noter : l’identité des fraudeurs, les moyens de détection et les zones
prioritaires d’origine.
Sur le premier point l’enquête montrait qu’en France, dans 46% des cas, des salariés de
l’entreprise étaient directement impliqués. Leur portrait-type avait été établi par PWC. Il
correspondait à celui d’un homme âgé en moyenne de 40 ans qui travaillait dans l’entreprise
depuis 9 ans (depuis 2 ans dans 20% des cas) et occupait, dans près de 55% des situations,
une position d’encadrement (29% dans le top management et 26% dans le middle
management). Motivations personnelles (en général financières) et capacité d’autojustification

44
« PWC Global Economic Crime Survey 2007 », 4ème enquête sur la fraude dans les entreprises en France, en Europe et dans le monde.
15
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

conduisaient ce type de personnel cadre à devenir un fraudeur. Dans 65% des cas les
entreprises victimes portaient plainte au pénal et dans 23% encore de cas, elles n’engageaient
aucune poursuite. Pour les autres types d’agresseurs, dans 32% des cas, ils n’avaient aucun
lien particulier avec l’entreprise, et pour ceux qui en avaient effectivement, ce pouvaient être
soit des clients, soit des fournisseurs. Dans 37% des cas de fraude, cette dernière avait été
découverte grâce à la vigilance des salariés, les autres moyens de détection restant dans 14%
des cas, l’audit interne, et dans 8%, les systèmes de hotline (« wistleblowing »).
La concentration des pertes financières dans 7 pays émergents surnommés « le G7 », par
les analystes de PWC (Brésil, Inde, Chine, Indonésie, Mexique, Russie et Turquie) venait
clore l’analyse. Evaluée par des personnels qui avaient tous une responsabilité de prise de
décision d’investissements dans ces pays, il apparaissait que 43% des 3,1 milliards d’euros
perdus pour fraude par leurs entreprises, l’avaient été dans ces pays. Malgré le risque de
corruption perçu, dans la catégorie des fraudes, comme un risque majeur dans les pays du
G7, près de 36% des personnes interrogées en France (45% dans le monde) ne considéraient
pas la fraude comme un risque susceptible de les dissuader d’investir dans ces pays d’accueil
dont les opportunités d’affaires paraissaient largement compenser, pour eux, les
inconvénients.

4-2 criminalité économique en hausse en Russie et en Italie : les entreprises de ces deux
pays ont également fait les frais d’une augmentation de la criminalité économique en 2007.
Plus de la moitié (59%) des 125 grandes entreprises russes (dont 31% des répondants
avaient plus de 5000 salariés) interrogées dans l’enquête PWC reconnaissaient avoir été les
victimes de fraude économique, ce qui représentait une augmentation de 10% par rapport à
l’enquête 200545. Les chiffres des pertes parlaient d’eux-mêmes : le coût direct du crime
économique avait plus que quadruplé depuis 2005 et était 5 fois supérieur à celui enregistré en
moyenne par les entreprises dans le monde. 63% des entreprises touchées par la fraude
avaient enregistré des pertes supérieures à 1 million de dollars et 20% déclaraient des pertes
encore supérieures qui pouvaient atteindre plus de 10 millions de dollars. Le phénomène
incitait 71% des personnes sondées à souhaiter une intervention directe du gouvernement pour
combattre le crime économique tout en reconnaissant, pour 57% d’entre elles, que les
entreprises devaient également s’impliquer dans leur propre sécurité. En ce qui concerne
l’Italie, le crime économique confirmait, comme en Fédération de Russie, une progression
ascendante de 10% et sa diffusion générale dans l’économie46 par rapport à l’enquête PWC
de 2005. Au cours des deux années précédant l’enquête 2007, 35% des entreprises interrogées
avaient rencontré un cas de fraude et 24% environ d’entre elles avaient reconnu avoir été
confrontées à une situation de fraude grave. Le phénomène était attribué, entre autres, à un
retard probable, par rapport aux autres pays développés, dans la mise en œuvre des mesures
de prévention et de contrôle dans les entreprises italiennes.
Parmi les types de crimes économiques les plus fréquemment signalés par les
entreprises du panel en Russie, 43% indiquaient le détournement d’actifs, 34% la corruption
et le trafic d’influence, ce qui traduisait une diminution de ces derniers types de crimes
(perçus encore toutefois par 30% des sondés comme la menace la plus grave) par rapport à
l’enquête 2005 où ils représentaient 53% des cas de fraude signalés. En Italie également, le
détournement d’actifs arrivait en tête des menaces économiques, en nette diminution toutefois
par rapport aux 62% de l’année 2005 et aux 83% de l’année 2003. Venaient ensuite plusieurs
catégories de crimes : violation de la propriété intellectuelle, piraterie et contrefaçon de
produits ou de services, abus de licence ou de brevets, espionnage industriel – réunis en une
seule rubrique qui totalisait 12% des déclarations de fraude en recul aussi par rapport aux 30%
de 2005. Quant aux « fraudes comptables » en 3ème position, elles ne représentaient plus que

45
PriceWaterhouseCoopers (PWC), « Economic Crime: people, culture & controls ». The 4th biennial Global Economic Crime Survey,
Russia, 2007.
46
Economic Crime: people, culture & controls, The 4th biennial Global Economic Crime Survey, Italia, 2007.
16
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7% des sinistres en 2007 contre 49% en 2005, marquant ainsi une forte régression expliquée
par les analystes de PWC comme la résultante de l’impact des affaires Enron, Parmalat, etc.
Pour ce qui est de la corruption, l’enquête 2007 révélait un résultat très faible de 2% en 2007
par rapport à celui un peu plus élevé de 11% en 2005. Rien à voir, en tout cas avec les 34% de
la Fédération de Russie, un chiffre intéressant qu’il importerait d’interpréter par rapport aux
données livrées en 2007 par la Confesercenti (cf. supra) sur l’invasion mafieuse de
l’économie italienne. L’ « omerta » avait-elle incité à la discrétion ? Ou bien l’enquête PWC
avait-elle évité le sud de l’Italie ?
Dans le domaine des possibilités de recouvrement des pertes financières, les résultats
étaient particulièrement faibles en Russie, où 54% des entreprises interrogées avouaient
n’avoir pu obtenir gain de cause (en progression toutefois par rapport à 2005 où elles étaient
74%). En outre, 67% des entreprises qui avaient été victimes de fraudes avaient également
subi des dommages collatéraux : perte de temps de l’encadrement en procédures diverses
(dont seulement 10% sur les 35% au civil et autant au pénal aboutissaient en condamnations) ;
dommages causés à la réputation des firmes ; atteinte au moral des salariés. Quant aux auteurs
de ces fraudes en Russie, c’était pour l’essentiel des hommes entre 31 et 40 ans détenteurs
d’un diplôme de l’enseignement supérieur, clients ou partenaires dans la plupart des cas, mais
avec une hausse des crimes perpétrés en interne (38% en 2007 alors que 2005 n’en recensait
que 13%) et de l’implication des échelons supérieurs de l’encadrement (41% en 2007). Pour
l’Italie, le pourcentage d’entreprises qui était parvenu à récupérer leur bien après des pertes
due à la fraude était tout aussi faible qu’en Russie : 50 % d’entres elles déclaraient n’y être
parvenues. Les raisons qui expliquaient ces pertes frauduleuses étaient principalement de
nature interne : dans 77% des cas, elles se situaient au niveau de la direction générale ; dans
75% au niveau du conseil d’administration, des services de l’audit interne à hauteur de 75% et
des services juridiques pour 53%. Il fallait encore ajouter au tableau les responsabilités
externes de la fraude : les autorités de contrôle étaient impliquées dans 38% des cas, sans
oublier les autorités judiciaires à hauteur de 65% des affaires, les auditeurs externes pour
23%, tout comme les experts comptables et les consultants.
Si le panorama de la criminalité économique, dressé par PWC en 2007 pour la France,
l’Italie et la Fédération de Russie (pays que nous avons retenus) avait le mérite de tendre vers
l’exhaustivité, il n’en montrait pas moins une lacune certaine : l’absence de renseignement
précis sur les liens éventuels des fraudes économiques et des hommes ou des entreprises qui
les commettaient avec le crime organisé, présent voire omniprésent (cf. supra) dans les deux
derniers pays. Le côté très lisse des analyses par rapport au contexte politique, économique et
social des opérations d’entreprises dans ces pays témoignait peut-être d’une crainte assez
fréquemment exprimée dans les milieux économiques : celle, en évoquant la face cachée du
monde des affaires, d’en parler de façon « négative ». Pourtant, cette « économie de
l’ombre », dont la puissance financière, dopée par l’action combinée de la finance
dérèglementée et de l’expansion des activités offshore ne cesse de croître, porte avec elle,
comme nous le rappelle Xavier Raufer une triple action négative47 : une action corruptrice
qui suscite de grandes frustrations chez les populations et fragilise les valeurs sociales, les
puissances publiques et la démocratie ; une action criminelle qui crée un climat d’insécurité et
d’illégalité qui remet en cause la souveraineté de l’Etat; et une action fragilisante, par les
trafics dangereux pour la vie des hommes et l’environnement qu’elle génère.

47
Xavier Raufer, La criminalité organisée dans le chaos mondial : Mafias, Triades, Cartels, Clans, Les Editions des Riaux, 2006, p. 10.
17
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II -UN BILAN DES MENACES DONT LES AGENTS ECONOMIQUES (BANQUES,


ENTREPRISES, FONDS D’INVESTISSEMENTS ET GRANDS CABINETS D’AUDIT)
SONT, EUX-MEMES, A L’ORIGINE

Un constat en 2008 : les économies nationales des pays riches sont d’autant plus
vulnérables qu’elles sont totalement ouvertes et que leurs agents économiques les plus
influents (bien souvent des champions nationaux) ont été « investis » par des institutionnels
dont les objectifs financiers ne cadrent pas nécessairement avec les priorités à long terme de
développement national.
De par le volume d’actifs qu’ils gèrent48, ces institutionnels ont généré des pratiques
économiques qui font, parfois, des agents multinationaux que sont les banques ou les
entreprises les plus influentes du globe, de véritables « menaces », non seulement pour
l’économie internationale, mais également pour l’économie de leurs pays. Crises et krachs,
myopie totale des experts, mais aussi pratiques « contestables » quant elles ne sont pas
franchement douteuses, se sont ainsi installées dans les paysages économiques nationaux et
internationaux. Ces pratiques et ces crises constituent autant de risques de « dé-
crédibilisation », voire de « dé-légitimation » des sociétés cotées multinationales vis-à-vis de
millions de personnes qui, en France et dans le monde subissent directement les conséquences
de leurs arbitrages.
Quant à l’ouverture du capital de ces champions nationaux qui caracolent en tête du
palmarès mondial des organisations (entreprises et banques) les plus compétitives sur leurs
créneaux de spécialisation, elle fait de ces champions des proies attractives pour tout type de
fonds d’investissement dont les motivations finales, bien souvent filtrées par l’écran des
paradis fiscaux et des activités offshores, ne sont pas forcément clairement identifiées.

1 – les artisans de la menace financière systémique

1-1 Etats-Unis et France dans l’aventure financière : un petit retour en arrière est
nécessaire pour comprendre les raisons de choix gouvernementaux déterminants et leurs effets
induits. Les années 1980 furent celles d’un changement majeur des modalités et du contexte
du financement des agents économiques (privés et publics). Ce changement faisait suite à la
décennie précédente qui avait été une décennie de lutte contre l’inflation et contre la perte de
compétitivité et de rentabilité des entreprises des pays occidentaux les plus riches. Les
gouvernements de ces pays avaient donc un objectif : réduire, voire abolir, les contraintes
réglementaires de financement des économies nationales.
Les Etats-Unis ouvrirent le feu49. Après avoir desserré les contraintes sur leur monnaie
au cours des années 1970 (flottement du dollar), ils entreprirent de mettre un terme aux
contraintes limitant le financement de leur économie. Plutôt que d'augmenter les impôts, ils
allaient faire appel à l’épargne de la planète pour financer leurs dépenses budgétaires et le
développement de leurs entreprises. Ils se lancèrent donc dans un processus de
dérèglementation financière (au milieu des années 1970) qui déboucha sur la fin du contrôle
des changes et des mouvements de capitaux. La décision permettait ainsi un recours croissant
aux marchés, non seulement de la part des firmes et banques multinationales, mais également
de la part des Etats fédérés et des collectivités territoriales pour financer leur dépenses de
fonctionnement et d’investissement.
Dans cette aventure, la France fut, dès le milieu des années 1980, le premier pays en
Europe, à jouer à fond jeu de la liberté des mouvements de capitaux50. Prenant l'exact contre-
pied de la politique qu'ils défendaient ave leur parti en 1981, trois hommes : un président
48
90 000 milliards de dollars, gérés par les banques et les grands fonds d’investissement (hors hedge funds) selon Jean-Hervé Lorenzi, « Les
nouveaux acteurs de la finance », in Regards Croisés sur l’Economie, Numéro 3, La Découverte, mars 2008, p. 21.
49
Cf. Pierre de Senarclens, La mondialisation : Théories, Enjeux et Débats, Armand Colin, 2002, p. 87.
50
Jean Peyrelevade, Le Capitalisme Total, Seuil, La République des Idées, 2005, p. 50.
18
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socialiste, François Mitterrand, son premier ministre, Laurent Fabius et son ministre des
finances, Pierre Bérégovoy propulsèrent les banques, les grandes entreprises, mais aussi l’Etat
français dans l’univers de la finance globalisée de marché. La loi bancaire de 198451 et la loi
sur la dérèglementation financière de 1986 (Jacques Chirac est alors premier ministre) furent
décisives en la matière puisqu’elles autorisaient : la suppression de l’encadrement du crédit, la
levée du contrôle des changes et des mouvements de capitaux, la création du compartiment
des « titres de créances négociables » (TCN) du marché monétaire, le décloisonnement des
marchés, la création de « marchés à terme » - mesures qui permettaient désormais aux agents
économiques et au Trésor de trouver des sources de financement à court et long terme sans
forcément recourir au crédit bancaire tout en ayant la possibilité de se couvrir contre les
risques de prix.
Tous ces éléments contribuèrent donc à transformer le rapport des agents économiques
français à leurs métiers et leur territoire d’origine. Un seul mot d’ordre à l’époque : « les
marchés plutôt que les guichets ». Mais les processus de dérèglementation et de
désintermédiation portés par ce slogan allaient également modifier l’identité des investisseurs
qui allaient se porter sur les titres de la dette ou de propriété des agents économiques privés et
publics. Traditionnellement, c’étaient de petits épargnants. Ils furent progressivement
remplacés par l’intermédiation des OPCVM ou Sicav gérés par des banques ou des
compagnies d’assurance, mais aussi par des fonds d’investissement internationaux.

1-2 l’entrée en scène des fonds d’investissement anglo-saxons : alimentés par les
cotisations et investissements de leurs populations d’origine depuis près d’un demi-siècle, ces
fonds de pension (FdP) et fonds mutuels (FM - sociétés d’investissement pour le compte de
tiers) se portèrent progressivement sur les titres offerts par les marchés de capitaux des pays
développés dont le marché français. Le résultat fut que, fin 2002, sur la seule place de Paris,
ils comptaient pour plus de 90% des transactions sur actions et 95% des transactions
obligataires52.
Avec ces acteurs, s’imposa une conception différente de l’activité économique et du
rôle qu’ils entendaient y jouer. Leurs gestionnaires étaient en effet avant tout soucieux de
"rentabilité financière" de leurs titres et motivés par une anticipation de gains et la réalisation
de plus-values en capital bénéfiques pour leurs cotisants ou actionnaires. Ces gestionnaires de
fonds de retraite et de fonds mutuels allaient ainsi considérer les titres acquis comme des
« actifs négociables » (jamais comme des "actifs immobilisés"). Opérant leurs transactions
"par blocs"(à la bourse de New York, ce type de transactions implique l’achat ou la vente d'au
moins 10 000 actions) ils contribuèrent également à augmenter le volume de titres échangés
tout en réduisant la durée moyenne de détention des actifs dans leur portefeuille53 (pour les
actions, cette durée passa de 2 ans à 8 mois54), à la recherche de performances financières
toujours plus élevées.
Dans de nombreux pays, les investisseurs institutionnels devinrent donc les principaux
actionnaires des plus grandes entreprises et établissements bancaires cotés et les principaux
acquéreurs de titres de la dette publique des Etats et collectivités locales. Ils remplacèrent les
ménages dans leur position de propriétaires de titres et se substituèrent aussi en partie aux

51
Dès 1969, nous rappelle Françoise Renversez, le rapport Marjolin-Sadrin-Wormser intitulé « Marché monétaire et conditions de crédit »
souhaitait que soit mis fin à la fragmentation du marché des capitaux. La Loi bancaire de 1984-1985 voyait la suppression de l’encadrement
du crédit, la disparition de plupart des prêts bonifiés, levée du contrôle des changes pour faire revenir investisseurs internationaux. Le
Contrôle des changes et des mouvements de capitaux permettait de limiter la spéculation contre le franc, mais restreignait l’apport de
capitaux extérieurs au marché boursier, in Françoise Renversez, « De l’économie d’endettement à l’économie de marchés financiers », in
Regards Croisés sur l’Economie, Numéro 3, mars 2008, p. 56.
52
Catherine Sauviat, “ Les fonds de pension et les fonds mutuels : acteurs majeurs de la finance mondialisée et du nouveau pouvoir
actionnarial”, in François Chesnais (dir.), La finance mondialisée : racines sociales et politiques, configurations, conséquences, éditions La
Découverte, 2004, p. 107.
53
En 2000, précise catherine Sauviat, le taux de rotation de leur portefeuille était de 122% en moyenne. Cela signifiait que, sur l'année, leur
portefeuille avait donc été entièrement reconstitué, et même plus d'une fois. Selon un magazine spécialisé (Morningstar), près d'1/4 des
Mutual Funds opéraient un renouvellement complet de titres chaque année, in Catherine Sauviat, op.cit., p.111.
54
Ibid., p. 107.
19
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

banques en tant qu'intermédiaires financiers, via la titrisation des dettes privées et publiques.
C'est au cours des années 1980 que ces grands investisseurs commencèrent d’ailleurs à
revendiquer leurs prérogatives d'actionnaires, au cours de vague de rachat d'entreprises avec
effet de levier, d’opérations de fusion/acquisition, d'OPA hostiles et du développement d'un
marché pour le contrôle des entreprises. Les Institutionnels y jouèrent un rôle très actif en se
portant acquéreurs de titres qui allaient servir au financement de ces opérations.
Par la suite, les gestionnaires de fonds recherchèrent, dans les placements en actions,
une source privilégiée de rendements de leurs portefeuilles Et ils commencèrent à contester
activement le pouvoir des managers, affirmant à travers leurs exigences, une conception toute
financière de l'entreprise qui faisait d’elle "une collection d'actifs divisibles et liquides, prêts à
être cédés ou achetés au gré des opportunités de rendement financier"55. Avec ces
gestionnaires, allait donc s’imposer une conception financière des sociétés cotées (banques ou
entreprises). Mais cette conception, comme le souligne Hervé Juvin, allait également faire de
« l’entreprise cotée » un « modèle unique, le point d’aboutissement des formes de
l’organisation économique » au détriment de l’existence d’une autre réalité : la part toujours
plus importante de l’activité économique couverte par d’autres agents que sont les
coopératives, les mutuelles, les associations, les collectivités territoriales, l’administration
d’Etat. C’était donc vouloir faire oublier, comme le souligne Juvin, les quelques « 50 millions
de sociétaires des coopératives et des mutuelles56 qui forment la partie cachée de l’iceberg
financier européen57 » et qui ont su fonctionner avec d’autres « valeurs » que celle des
sociétés cotées.
Ces sociétés cotées allaient en effet devenir très facilement vulnérables, motivant leurs
directions à prendre toujours plus de risques dans leur gestion quotidienne. Le phénomène
s’expliquait assez facilement. La menace permanente de vente de leurs titres que les
gestionnaires de grands fonds agitaient à la face des directions d'entreprises, de banques ou
des directions du Trésor, la possibilité qu'ils avaient de s'affranchir de tout engagement
financier du jour au lendemain, leur donnèrent le pouvoir de revendiquer leurs prérogatives
d'actionnaires-propriétaires ou de prêteurs et d'exiger des entreprises et des gouvernements,
des politiques conformes à leurs attentes, et des niveaux de retour élevés sur investissement
(principe du « pouvoir du shareholder »). Dans le même temps, en tant qu’acteurs majeurs
des marchés financiers en quête perpétuelle de rentabilité, ils contribuèrent à leur instabilité
croissante, en multipliant les transactions et opérations de placement de plus en plus risquées.

1-3 l’économie de casino : où l’impératif de rentabilité et sa recherche systématique


peuvent engendrer des sinistres mondiaux.
Au début des années 1980 les gestionnaires de fonds anglo-saxons commencèrent à
investir en direction de marchés émergents et dans les années 1990 ils y augmentèrent leurs
placements. Puis ils effectuèrent des retraits brutaux qui provoquèrent l’effondrement du
marché des actions et des marchés des changes des pays concernés. Même si ces placements
ne représentaient qu’une part marginale de leur portefeuille global, leurs flux et reflux
déclenchèrent une succession de crises financières en Amérique latine et en Asie. Ayant
tendance à se comporter de façon mimétique, ils amplifièrent la volatilité des mouvements de
capitaux et du prix des actifs sur des places financières à fable liquidité. Car sur ces places, les
moindres mouvements de portefeuilles pouvaient avoir des effets disproportionnés, compte-
tenu de leur poids relatif dans la capitalisation boursière de ces économies.
En déversant massivement des liquidités sur différents marchés d'actifs, les
gestionnaires de grands fonds contribuèrent aussi à gonfler la demande de placement, à

55
Ibid., p. 114.
56
Hervé Juvin, « Les Etats-Unis et L’Union européenne ont tenté de diffuser, d’appliquer et parfois d’imposer ce double modèle à
l’ensemble des régions de la planète avec des succès variables ». « La coopération ou l’éloge de la diversité », in Rapport Moral sur l’Argent
dans le Monde 2007, Association d’Economie Financière, 2007, p. 54
57
Ibid., p.52.
20
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

laquelle répondit le recours accru des entreprises et des Etats au marché financier. Mais ils
contribuèrent également à inciter les dirigeants des entreprises ou des banques cotées à tout
faire pour tirer les cours de leurs établissements à la hausse, dans le but de satisfaire leurs
exigences de rentabilité et de recherche de rendements supérieurs à ceux de leurs concurrents
(les autres sociétés de gestion d’actifs pour le compte de tiers).
Ce faisant, les investisseurs institutionnels participèrent à la formation et l’entretien de
bulles spéculatives à répétition, dont celle de l’année 2000 marqua particulièrement les
esprits, après les révélations de manipulations comptables frauduleuses et de faillites
retentissantes de quelques géants américains présentés pourtant comme les symboles et les
modèles d'une nouvelle économie (une économie du « win-win » dans laquelle de grandes
entreprises semblaient avoir le pouvoir de créer toujours plus de valeur pour leurs actionnaires
et pour le plus grand bien de toutes les « parties prenantes ») : la faillite d'Enron la plus
médiatisée, mais derrière, une liste : Tyco, World Com (11 milliards de dollars de fraude),
Global Crossing, QWest, Xerox, etc. En Italie : Parmalat et en Hollande Ahold.
Dans le même temps, les contraintes très fortes de rentabilité exercées sur les mutual
funds (ceux qui gèrent les plus importants volumes d’actifs à l’échelle du globe) poussèrent
leurs gestionnaires à calquer leurs pratiques et leur horizon d’arbitrage (le très court terme58)
sur celles des professionnels des hedge funds, ces fonds hyperspéculatifs59. Certaine sociétés
d'investissement, gestionnaires de mutual funds, se portèrent même acquéreurs de hedge
funds. Mais cette proximité devait les entraîner, pour certains, à commettre des faux pas,
révélés à partir de 2003, lorsqu’une quinzaine d’entre eux, importants et anciens, firent l'objet
d'enquêtes et de poursuites de la part des autorités de régulation60.Ces mutual funds, dont un
Américain sur deux dépendait pour sa retraite (par délégation de leur FdP), furent donc
accusés de pratiques illicites aux dépens de leurs actionnaires (nombre d’entre eux étaient des
titulaires de plans de retraite fragiles dont les rentes futures n’étaient pas garanties - les
fameux 401 (k).
A partir du krach de 2000, et suite à la baisse de valeur de leurs portefeuilles d'actifs,
de nombreux fonds de retraite se retrouvèrent en situation de sous-financement, créant par là
même de fortes tensions sur le système de retraite américain par capitalisation Leurs
gestionnaires se mirent donc en quête de placements plus diversifiés et rémunérateurs mais
aussi plus risqués. Ils commencèrent à investir indirectement dans des hedge funds, par
l'intermédiaire d'une partie de leur gestion déléguée aux mutual funds. Cette situation ne
pouvait qu’inquiéter de nombreux observateurs, conscients des risques associés à la gestion
des fonds spéculatifs (exploitation systématique des anomalies ou des distorsions temporaires
de prix des actifs). En juin 2006, la Banque centrale européenne les qualifiait d’ailleurs de
"risque majeur" pour la stabilité financière internationale, et cela, juste un mois après que la
Réserve Fédérale américaine eut exprimé les mêmes craintes61. Qu'est ce qui préoccupait les
banquiers centraux? Tant que les hedge funds n'attiraient que les capitaux de riches individus
en mal de sensations avec des placements risqués, il n’y avait pas de problème. Mais lorsque

58
Catherine Sauviat, op.cit., p. 111.
59
Ces fonds d'investissements placent, à court terme, l'épargne des grandes fortunes et des investisseurs institutionnels. Ils sont très actifs
depuis les années 1970 et, selon le Hedge Funds Research, ils géreraient aujourd'hui 1 760 milliards de dollars (1 242 milliards d'euros) dans
le monde, soit l'équivalent du produit national brut de l'Italie en 2005. Et 10 % de ce montant seraient gérés depuis Greenwich petite ville du
Connecticut (USA) in Claire Gatinois, « La crise financière américaine a épargné Greenwich, capitale des hedge funds », Le Monde,
04.10.07
60
Selon les enquêtes, ces MF auraient effectué des transactions avec des HF qui auraient permis à ces derniers de profiter d'informations
privilégiées après l'heure de clôture (16h) mais en référence au prix de clôture de la valeur des actifs du fonds (late trading) et d'acheter ainsi
des parts de MF à des prix non disponibles pour la plupart des investisseurs actionnaires. Comment? en profitant du décalage horaire entre le
moment où les fonds calculent leurs prix journaliers et les mouvements de prix réels sur les marchés étrangers (market timing) . Ces pratiques
sont officiellement découragées par les MF. Mais elles sont en fait répandues auprès des clients privilégiés que MF désirent fidéliser ; elles
sont également utilisées par les gestionnaires de fonds pour leur propre compte. Parmi les MF mis en cause : les plus importants du secteur
(Bank of America, Putnam, Alliance, Janus Capital Group, Strong Capital Management, Bank One Corp) ; Plusieurs démissions de hauts
responsables ont eu lieu (CEO Janus et Putnam) ainsi que nombreux licenciements de salariés. De grands fonds du secteur public décidèrent
de retirer la gestion d'une partie des actifs traditionnellement confiés à certains d'entre eux (Putnam et Alliance), in Catherine Sauviat, « Le
scandale des mutual funds américains », op. cit., p. 112.
61
Christian Chavagneux, "Les trois risques de la finance mondiale", Alternatives Economiques, n°72, 2ème trimestre 2007, pp. 76-77.
21
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plus de la moitié de leurs clients étaient des institutions financières (banques, mutual funds,
compagnies d'assurance) attirées par des promesses de retours élevés sur investissements, le
risque changeait de dimension. De plus, ces fonds utilisaient des effets de levier très
importants, empruntant des montants beaucoup plus élevés que les capitaux qui leur étaient
confiés. Toute menace de défaillance ou de faillite sur de gros hedge funds pouvait donc avoir
des conséquences dramatiques sur des systèmes financiers et sur la croissance mondiale.
Dernières préoccupation des observateurs, l’opacité entourant la gestion des hedge
funds et les renversements brutaux de tendance dont ils pouvaient être à l’origine. Pour
l’opacité, déjà interdits de publicité sur leurs performances par leur statut aux Etats-Unis, 80%
d'entre eux étaient enregistrés aux îles Caïmans et personne ne pouvait donc connaître
vraiment le niveau de risques pris par ces fonds ou par ceux qui leur confiaient leur argent.
Quant aux retournements brutaux de tendance sur les marchés, ils s’expliquaient par l’impact
des arbitrages de ces fonds, dont les gestionnaires étaient supposés détenir des informations
que les autres grands fonds ne possédaient pas. Mais les chocs économiques et sociaux induits
par les ventes massives de titres que leurs décisions de retrait pouvaient générer, étaient
d’autant plus redoutables que leurs gestionnaires s’engageaient sur des marchés financiers à
risque pour obtenir des retours élevés sur leurs investissements. Cela expliquait pourquoi les
capitalisations boursières pouvaient augmenter très rapidement en Asie, Amérique Latine,
Moyen Orient, Europe centrale, alors même que les nouvelles émissions d'actions restaient
très faibles sur ces places. L’arrivées de capitaux dans les pays émergents servaient donc
autant à la spéculation qu'au financement de l'économie réelle. Un avertissement avait
pourtant été redonné avec la chute brutale de 15% de bourse thaïlandaise, mi-décembre 2006,
après l’annonce faite par sa banque centrale de stopper l’entrées de capitaux spéculatifs. Les
hedge funds, par leurs stratégies d'arbitrages, étaient donc identifiés comme des vecteurs
avérés et potentiels de crises financières graves62. Bien entendu, les professionnels du secteur
ne partageaient pas cet avis. Selon eux, les hedge funds apportaient "liquidité et transparence
accrues" aux marchés financiers63.

2 – un système bancaire mondial déstabilisé par le séisme des subprimes

2-1 des banques à risques : la loi bancaire de 1984 et la loi sur la dérèglementation
financière de 1986 contribuèrent à la mutation des banques françaises en les précipitant dans
« l’économie de marchés financiers ». Malgré la régression induite de leur principale activité
qui était le crédit, elles allaient gagner une position dominante sur les marchés de
capitaux, car la dérèglementation leur permettait de multiplier les sociétés financières
satellites (OPCVM, SICAV). Les banques, revinrent donc en force dans l’« intermédiation »,
mais cette fois, dans « l’intermédiation de marché ». Pour illustration, en 1996, la majeure
partie des 5294 OPCVM existant en France étaient des émanations des banques et, toujours la
même année, sur le marché monétaire (capitaux à court terme), 88% du financement des
grandes entreprises (Billets de Trésorerie - BT) étaient pris en charge par les banques64. Cette
évolution de l’actif des banques entraîna une modification des sources de leur rentabilité et
un changement de la nature du risque bancaire.
Ce « risque bancaire », comme l’explique Françoise Renversez, allait progressivement
être moins lié aux risques conjoncturels (variation de demandes de produits ou services) des
entreprises (par le biais du crédit). Ce risque bancaire était désormais lié aux mouvements

62
L’Allemagne a fait une proposition à leur égard : instaurer un code de conduite contraignant pour cette catégorie d'investisseurs Mais les
Etats-Unis et la Grande Bretagne n'en veulent pas. Ces pays se disent en effet favorables à une "autodiscipline" de la profession. Quant aux
altermondialistes d'attac, ils jugent ridicules les appels à l'autodiscipline de la part des Hedge Funds, considérant que c'est "demander à un
renard s'il veut bien cesser de voler des poules62." in Claire Gatinois et Cécile Galla, "Berlin ne parvient pas à imposer une régulation des
Hedge Funds", Le Monde, Mardi 22 mai 2007.
63
"Voyage au cœur d'un Hedge Fund", Enjeux les Echos, juin 2007, p.70-74.
64
Françoise Renversez, « De l’économie d’endettement à l’économie de marchés financiers », in Comprendre la Finance Contemporaine,
numéro 3, mars 2008, p. 62.
22
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spéculatifs de marchés financiers et à leurs accidents de parcours. Le métier de la banque


avait donc muté : il s’était, en effet, progressivement étendu à la gestion de portefeuille
d’actifs financiers négociables sur tous les marchés (marché des valeurs mobilières, marché
monétaire et marchés à terme) pour le compte de tiers, mais également « en compte propre ».
Les banques participaient ainsi à la croissance de tous ces compartiments (croissance des
activités de marché), dont une partie des activités allait relever du « hors-bilan ». Or cette
partie « hors-bilan » allait poser le problème suivant : dans la mesure où il était difficile d’en
obtenir une saisie statistique qui est la base d’un traitement économétrique, il devenait aussi
difficile de calculer l’évolution réelle de la rentabilité des banques et surtout l’origine réelle
de cette rentabilité65. C’est dans la suite logique de cette « financiarisation de leurs activités »
que les banques américaines conçurent, deux décennies plus tard, les fameux « subprimes ».
Leur création, faisant appel à toutes les ressources de la créativité en matière d’innovation
financière, interpelle l’observateur à deux niveau : tant par le caractère fragile de la
construction et du produit fini ; que par le côté assez peu « éthique » d’une catégorie de prêts
et de titres adossés, créés pour tirer profit de la fragilité de couches entières de la population
(sous le prétexte originel, assez peu crédible après la crise, de venir en aide à ces populations,
sans toutefois perdre de l’argent).

2-2 la crise des subprimes : le principe des subprimes est lié à l’innovation financière
contenue dans la « titrisation66 ». Frédéric Lordon fournit une explication particulièrement
claire du principe, de ses enchaînements et conséquences.
Avant la « titrisation67 », le problème que posaient les crédits aux banques étaient
qu’ils restaient dans les livres de l’établissement prêteur jusqu’à la conclusion du processus de
remboursement (intérêts et principal). Au début des années 1990, les professionnels
américains de l’industrie bancaire proposèrent alors une solution attractive : fondre ensemble

65
Ibid.
66
La titrisation est une technique financière qui transforme des actifs peu liquides (actifs pour lesquels n’existe aucun marché efficace), en
valeurs mobilières pour lesquelles il existe un marché efficace. La technique consiste donc à vendre des actifs peu liquides à une société
intermédiaire qui se finance en émettant des titres négociables garantis par les actifs peu liquides qui lui ont été cédés. A priori, les titres émis
doivent générer des revenus (intérêts, dividendes, etc.) qui servent à payer l’intérêt de l’emprunt et à rembourser le capital, et qui constituent
la garantie financière ou « collatéral » de l’emprunt. Les titres adossés aux actifs cédés sont dénommés asset-based securities (ABS) dont
les MBS pour mortgage-based securities ou RMBS pour residential mortgage-based securities et les sociétés intermédiaires qui portent ces
actifs et l’emprunt sont dénommées Special Purpose Vehicles (SPV), en France : Fonds Communs de Créances et Fonds Communs de
Titrisation. La titrisation convertit ainsi des titres illiquides en titres liquides et permet de faire sortir du bilan bancaire tout ou partie du
risque, ce qui présente un intérêt particulier pour les institutions régulées que sont les Banques ou les Compagnies d’Assurance.
67
A la suite du premier choc pétrolier les grandes banques assurèrent, grâce aux pétrodollars disponibles sur l'euromarché, le financement
des déséquilibres des paiements des pays en voie de développement En 1979, la Réserve Fédérale des Etats-Unis présidée par Paul Volcker
engagea une politique restrictive destinée à lutter contre l'inflation. Le "prime rate" passa ainsi de 6,82% en 1977 à 18,8% en 1981. Résultat :
le service de la dette latino-américaine "flottante" grimpa tout aussi rapidement, obligeant les pays à s'endetter davantage alors que la
conjoncture internationale se détériorait (croissance, prix des matières premières, etc.). Dans le même temps, les taux d'intérêts devenaient
positifs dans la zone OCDE, exerçant un effet d'éviction au détriment des pays débiteurs en mal de refinancement et aussi une puissante
incitation à la fuite des capitaux. Lorsqu’en juillet 1982, les taux d'intérêts américains dépassèrent les 20% par an et qu’au même moment le
dollar franchissait la barre des 7 francs (deux ans auparavant, il valait moins de 5 francs), pour des pays comme le Mexique qui
remboursaient leur dette extérieure en dollars assujettis d'un taux d'intérêt lié à la monnaie américaine, ce fut l'asphyxie. En août 1982 les
dirigeants de ce pays informèrent les institutions officielles qu'étant à cours de réserves, leur pays suspendait le règlement du service de la
dette, c'était la crise. Au début des années 1980, les banques occidentales se retrouvèrent ainsi avec un amoncellement de créances douteuses
sur les bras, alors que le Tiers Monde était au bord de la faillite. Le risque était alors important de voir les pays endettés refuser
collectivement de rembourser une dette qui les asphyxiait. Afin d'éviter un tel scénario et de stabiliser leur situation, les banques adoptèrent
alors une série de mesures : rééchelonnements de dettes, c'est-à-dire étalement sur une période plus longue les remboursements dus. Mais en
allongeant les délais de paiements, on accroissait les intérêts totaux à payer et donc l'endettement. Le mécanisme avait donc pour effet de
laisser s'aggraver le problème tout en le repoussant dans un futur plus ou moins proche. Ensuite, les banques créèrent, dès 1983, une "bourse
de la dette", c'est-à-dire qu'elles convertirent leurs créances sur le Tiers Monde en "titres de la dette" dont la valeur fluctuait au gré de l'offre
et de la demande. Par ce processus de « titrisation », les banques pouvaient s'échanger les créances au prix du marché et on vit ainsi se
développer un véritable troc financier. Mais du fait que les créances sur le Tiers Monde étaient majoritairement douteuses, la plupart des
banques voulurent s'en débarrasser. Aussi, la valeur des titres de la dette ne cessa de chuter. Dernière étape pour cette décennie : comme les
banques créancières refusaient d'endosser leurs responsabilités dans la crise qui menaçait le système financier international (leur seul objectif
étant de voir leurs créances remboursées, quel que soit le prix à payer pour l'économie mondiale et les populations du Sud), le gouvernement
américain et son secrétaire aux finances, Nicholas Brady, proposèrent, en 1989, un plan dont l'objectif était triple : remplacer des dettes
bancaires douteuses par de nouveaux emprunts obligataires (les Brady's bonds) faire porter ainsi aux banques une petite partie du fardeau,
susciter une reprise des investissements dans le Tiers Monde et assurer le financement de l'énorme déficit américain. Cf. Jean-Louis Terrier
J.L., "Une bibliographie", Revue Française de Gestion, Mai-Juin-Juillet-Août 1981, p.54. ; "Amérique Latine : vers une nouvelle crise de la
dette?", Nord-Sud Export Consultants, 11 Juillet 1994, p.25 ; A. Simon, Géopolitique et Stratégies d'entreprise : Créances et croyances,
Interfaces, Paris,1993, p.29 ; AITEC, « Nouvelles Dettes, Nouvelles Crises, Nouveaux Mécanismes : Propositions du FMI et Alternatives »,
Dette et Développement, Actes de la Journée d’Etude, jeudi 27 mars 2003.
23
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un certain nombre de crédits à risques dans le domaine de l’immobilier pour en faire une ligne
de titres obligataires négociables (les « Residential Mortgage Backed Securities » – RMBS)68.
L’argument mis en avant pour « vendre » cette catégorie de titres était le suivant : une
fois créés, ils pourraient être vendus sur les marchés par petits paquets à divers institutionnels
intéressés par leur achat. En outre, grâce à cet artifice, les crédits douteux seraient sortis des
bilans des banques et portés dans le compartiment « hors-bilan » (les banques accorderaient
d’autant plus facilement ces crédits douteux qu’elles savaient comment s’en débarrasser dès
qu’ils seraient « titrisés »). Mais il y avait mieux. Certaines tranches de ces RMBS (les
tranches les plus fragiles) subiraient un traitement spécial pour être plus facile à écouler. A
partir de leurs RMBS, des investisseurs émettraient de nouvelles sortes de titres négociables
(les « Collateral Debt Obligations » - CDO) réarrangées en différentes tranches : la tranche
supérieure dite « Investment Grade » soustrairait ses porteurs aux premiers 20 ou 30% de
défauts sur les crédits immobiliers initiaux. Suivrait une tranche intermédiaire dite
« mezzanine ». Puis une tranche basse (Equity) qui elle, prendrait le choc des premières
défaillances (elle serait donc surnommée : « déchet toxique » car ce serait la tranche la plus
risquée, dérivée de la tranche la plus risquée des RMBS). Mais tant que le marché immobilier
serait à la hausse et que les ménages continueraient de rembourser, il y aurait toujours
preneur, puisque la « toxicité » de ces titres ne se serait pas matérialisée (n’apparaitrait alors
que les formidables possibilités de rendement et de rémunérations).
Pour le non-initié, l’innovation n’allait pas forcément de soi et suscitait quelques
questions de bon sens : pourquoi, par exemple, les investisseurs voudraient-ils acheter ce dont
les banques désiraient se défaire ? Pour plusieurs raisons, répondaient les spécialistes : tout,
d’abord, les investisseurs les souscriraient par petites quantités69 ; ensuite, les titres seraient
négociables, c’est à dire susceptibles d’être à nouveau cédés ; également, la ligne de titres
dérivée du groupe initial de crédits serait en fait découpée en différentes tranches de risques
homogènes. Selon son profil et son aversion au risque, chaque investisseur choisirait la
tranche qui lui conviendrait. Il se trouverait toujours des investisseurs (notamment parmi les
gestionnaires de hedge funds) pour vouloir la tranche la plus risquée de CDO, parce que ce
serait aussi la plus rémunératrice tant que tout allait bien. Dernier argument : les porteurs de
ces titres seraient tellement nombreux, qu’il en résulterait une formidable dispersion du risque
global (chaque investisseur n’assumant qu’une part infirme de ce risque, part diluée en outre
dans l’ensemble de son portefeuille).
Les différents intervenants allaient ainsi se convaincre progressivement que les
« crédits subprimes » et les titres qui y étaient adossés représentaient de formidables
opportunités d’affaires. Les « banquiers de détail » (ou banquier commerciaux), sachant qu’il
leur était possible de se défaire de leurs crédits même les plus mauvais, n’hésitèrent pas à en
accorder franchement. Les banquiers d’affaires, observant que les titres associés aux
subprimes étaient rémunérateurs et fortement différenciés en fonction des profils de risque,
n’hésitèrent pas non plus à en souscrire pour les proposer à leurs clients. Les gestionnaires de
hedge funds (HF) ou autres entités financières, capables de lever des fonds importants auprès
des banques et des grands fonds à des taux très avantageux, eurent toute latitude pour acheter
des titres à haut risque mais à fort rendement qu’ils croyaient toujours pouvoir revendre tant
que le marché était « liquide ». Les marges étaient particulièrement importantes sur les
« déchets toxiques » qui passaient pour de l’or. Toutefois, si les risques semblaient dilués par
la « titrisation empilée », la dilution poussait à la croissance incontrôlée de leur volume global
(et tout le monde avait fini par faire croire qu’ils n’existaient plus).
Cet, édifice intellectuel70, présenté à l’origine comme l’un des summums de
l’innovation bancaire et financière, devait pourtant révéler son extrême vulnérabilité71 à toute

68
Frédéric Lordon, « Quand la finance prend le monde en otage », Le Monde Diplomatique, septembre 2007, pp. 10-11.
69
Ibid.
70
Appelé encore, modèle « Originate and Distribute », où les banques souscrivent un risque puis s’en séparent en le titrisant,
24
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modification insignifiante de son environnement. Lorsque la Réserve Fédérale décida de


relever son taux directeur d1/4 de point en 2007, cela semblait tout d’abord infime. Mais à
l’autre bout de chaîne, le crédit immobilier d’un ménage passait de 6,3% en 2005, à 11,25%
en 2007. Et ses mensualités de 414 à 691 dollars. Le résultat : la plupart des ménages
souscripteurs de crédits « subprimes » allaient se retrouver en cessation de paiement. De façon
plus précise, au 1er trimestre 2007 : 14% des emprunteurs de subprimes étaient défaillants.
C’était la crise…en attendant le krach ?
Plusieurs éléments doivent ici être notés en rapport avec cette crise : la myopie des
experts et l’ampleur des pertes ; la remise en cause des dogmes.

2 – 2 la myopie des experts, l’ampleur des pertes et l’effondrement des dogmes :


comme le rappelle Ibrahim Warde, « 2007 avait débuté sous les meilleurs auspices. Les
banques affichaient alors de bons résultats, et de nombreux participants — tels les fonds
spéculatifs ou de private equity, dont les stratégies étaient fondées sur l’endettement facile —
se préparaient à battre de nouveaux records. Mais l’année se termina dans la tourmente. Au
printemps, le secteur des subprimes connut ses premières difficultés, sans pour autant
susciter de grandes appréhensions ». Une fois de plus, la myopie des experts était complète,
comme lors des crises précédentes72. En témoignaient la déclaration d’Elie Cohen, directeur
de recherche au CNRS et enseignant à Sciences Po’ : « Dans quelques semaines, le marché se
reformera et les affaires reprendront comme auparavant. Il y aura des pertes, des faillites,
puis les fonds actuellement fermés rouvriront et susciteront à nouveau des appétits » (Le
Monde, 17 août 2007)73. Cette analyse était partagée par Jean-Hervé Lorenzi, président du
cercle des Economistes et professeur à l’Université Paris-Dauphine : « La crise du crédit
immobilier n’est pour l’instant pas gigantesque. Pas de quoi gripper les moteurs de la
croissance » (Libération, 11 août 2007)74.

2-3 l’ampleur des pertes : outre un bilan d’étape de mai 2008 présenté en début de ce
rapport et qui concerne les banques les plus éprouvées (cf. supra), selon FactSet Estimates, ce
seraient 158 milliards d’euros de profits perdus pour les 1000 plus grandes entreprises
mondiales en 2008 ; et en ce qui concerne la capitalisation boursière des 1000 premières
sociétés du globe, 2907 milliards d’euros seraient partis en fumée entre juin 2007 et février
200875 . Lorsque l’on s’intéresse à la situation des banques françaises, on s’aperçoit qu’une
« banque universelle76 » comme la Societé Générale a été tout particulièrement touchée par
l’intermédiaire de l’activité Banque de Financement et d’Investissement qui avait pourtant fait
sa notoriété. Elle a, en effet, dû faire face simultanément aux malversations de l’un de ses
traders vedettes (Jérôme Kerviel) qui lui faisaient perdre 4,9 milliards d’euros et à son
implication dans la crise des subprimes (2,6 milliards d’euros). Pourtant, en 2007, elle avait
été couronnée « Meilleure banque de la planète pour 2007 » par le magazine Euromoney77.
Quant aux banques coopératives comme le Groupe des Caisses d’Epargne et des Banques
Populaires dont le modèle original ne les prédisposait pas à s’engager dans des activités
hautement volatiles, leur aventure commune dans Natixis dernière née des banques

71
David Thesmard en attribue la fragilité à une défaillance contractuelle à 3 niveaux : tout d’abord, un problème de sélection des
emprunteurs, sélection déléguée par les banques à des intermédiaires payés à la commission et donc non incités à sélectionner les
emprunteurs ; ensuite, dans la mesure où les banques revendent leurs créances au marché par le processus de titrisation, elles n’ont donc plus
d’incitation à vérifier la faibilité des clients ; enfin, les acheteurs de créances étaient d’autant moins bien informés, que les agences de
notation qui notaient les créances n’avaient pas intérêt à e révéler la mauvaise qualité, car elles étaient payées par les banques elles-mêmes,
« Retour sur la dérèglementation financière », in Regards Croisés sur l’Economie, Numéro 3, mars 2008, p. 74.
72
Cf. Ibrahim Warde, « Les fonds souverains…prédateurs, sauveurs ou dupes ? » Le Monde Diplomatique, mai 2008, pp. 9-10.
73
Frédéric Lordon, « Crises financières, surtout n’en tirer aucune leçon », Le Monde Diplomatique, mars 2008, pp 16-18.
74
Ibid.
75
Emmanuel Lechypre, « La crise jusqu’où », L’Expansion n°728, mars 2008, p. 41.
76
Parmi les modèles de banques qui existent, en France, celui de la « Banque Universelle » qui, malgré la part croissante des activités de
marché, conserve une activité de détail significative. Cette dernière lisse les résultats et génère plus de 50% des revenus : 54% de ceux
BNPParibas et 68%pour la Société Générale. L’activité de marché financier (BFI), quant à elle, est plus cyclique mais aussi plus rentable, in
Marc Michaux, « Pour les banques, ce n’est qu’un début », L’Expansion n°728, mars 2008, p. 55.
77
Ibid.
25
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d’investissement françaises détenue en copropriété, allait les précipiter également dans la


crise78. Prises en tenaille par le choc des subprimes, Natixis nécessitait l’intervention des deux
maisons mères. Leurs dirigeants décidèrent alors de provisionner les pertes en émettant 1
milliard d’euros de titres dits « hybrides », des instruments financiers entrant dans calcul des
fonds propres des banques. Mais, dans la mesure où il sera possible de convertir ces titres
hybrides en actions Natixis, le Groupe des Caisse d’Epargne et la Banque Populaire, les deux
actionnaires historiques, pourraient voir leur participation respective réduite de fait et perdre
la minorité de blocage de Natixis, pour s’établir ensemble sous le seuil des 61 à 62% du
capital.

2-4 la remise en cause des dogmes : avec la crise des subprimes, le monde de la
finance, qui pensait avoir maîtrisé le risque, découvrit que les modèles sophistiqués que ses
experts utilisaient pour le gérer, étaient en réalité bien fragiles ; des produits dérivés pourtant
bien évalués par les agences de notation, ne trouvaient plus preneurs ; les établissements les
plus prestigieux n’étaient plus en mesure d’évaluer une part importante de leurs actifs79. En
outre, les nouvelles normes comptables, censées assurer la stabilité et la transparence du
système, ajoutaient à sa volatilité et à son opacité, créant du coup une « crise de liquidité » à
laquelle venait s’ajouter une « crise de confiance ». Une autre réalité s’imposait
progressivement : les produits dérivés, qui avaient permis au fil des ans de réaliser des
bénéfices très élevés, étaient sur le point de devenir, selon l’expression de l’investisseur
Warren Buffett, « des armes de destruction massives80 ». Le « risque systémique » d’un
effondrement de l’ensemble du système bancaire se précisait, et la possibilité d’une crise
semblable à celle des années 1930 était évoquée.
« Dans ce contexte de panique généralisée, banques centrales, régulateurs et
gouvernements dérogèrent à leurs principes et à leurs règles de fonctionnement81. Le
17 février 2008, le ministre britannique des finances annonça la « nationalisation » de la
banque Northern Rock. Le 16 mars, la Réserve fédérale américaine organisait le sauvetage
de Bear Stearns, 5ème banque d’affaires des Etats-Unis, en fournissant à la banque JP
Morgan Chase les fonds nécessaires pour reprendre l’établissement. Mais elle n’en resta pas
là. Bien qu’ayant reconnu le rôle joué, entre 2001-2006, par l’abaissement des taux d’intérêt
dans l’alimentation de la bulle immobilière, la Fed décida de réduire massivement ses taux
d’intérêt, abandonnant ainsi son objectif de lutte contre l’inflation. Quant au Congrès, il
apporta un soutien sans faille à une politique de relance de type keynésien, tandis que le
gouvernement américain, pourtant entièrement acquis aux « solutions de marché »,
multipliait les interventions ponctuelles pour soulager les institutions et les débiteurs les plus
exposés à la débâcle immobilière82 ». Face au spectre d’une récession et aux risques d’un
effondrement du système financier, fut même alors accepté ce qui paraissait auparavant
impensable, l’intervention de « fonds souverains étrangers» (cf. infra).
« Dans la mesure, où » comme le dit Pierre-Noël Giraud, « ces krachs et leurs
répercussions ont des effets néfastes sur nombre de gens qui pensent qu’ils n’y sont pour
rien83 », la finance a peu de chances d’être populaire à leurs yeux, tout comme, d’ailleurs, les
agents économiques et les dirigeants qui en vantent les mérites pour leur plus grand profit.
De fait, la crise financière a déjà fait des dégâts bien visibles, en tout premier lieu dans
le secteur bancaire. Goldman Sachs, l'établissement de Wall Street qui a le mieux su gérer la
crise des subprimes, doit supprimer jusqu'à 10% de ses effectifs dans sa division de banque
d'affaires au cours de l'année 2008. Ces suppressions d'emplois viendront s'ajouter aux 5 %

78
« Natixis de nouveau contrainte de faire appel au marché », Le Monde, mercredi 11 juin 2008, p. 13.
79
Ibrahim Warde, « Les fonds souverains…prédateurs, sauveurs ou dupes ? » Le Monde Diplomatique, mai 2008, pp. 9-10.
80
Ibid.
81
Ibid.
82
Ibid.
83
Pierre-Noël Giraud, « Quelques hypothèses sur la finance moderne », in Comprendre la Finance Contemporaine n°3, La Découverte, mars
2008, p. 19.
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des effectifs de la banque qui seront remerciés faute de résultats suffisants. Plombé par des
résultats bien moins satisfaisants (cf. tableau supra) son rival Citigroup a également entrepris
de réduire ses effectifs dans la banque d'affaires. La banque entend supprimer 10 % des
effectifs de cette division, qui compte 65.000 personnes dans le monde. Citigroup, qui
emploie plus de 350.000 personnes avait déjà licencié quelque 9.000 salariés à la fin mars.
Ceux, toutefois, dont les décisions ont présidé à différentes crises qui ont mis en
grande difficulté (voire en faillite) leurs établissements et les économies du monde, s’en
sortent plutôt bien, financièrement parlant, même lorsqu’il leur est demandé de partir, suite à
une gestion pour le moins hasardeuse. Ainsi, Charles Prince, patron de Citigroup, géant de la
banque qui est allée d’affaires en affaires (cf. infra) et de renflouement en renflouement
depuis deux décennies, a été remercié, en novembre 2007, avec un bonus de 12,5 millions de
dollars (en baisse par rapport à année précédente : 13,8 millions de dollars). Son collègue de
Merrill Lynch, Stanley O’Neal, congédié au même moment, emportait avec lui la somme de
161,5 millions de dollars. Quant à Angelo Mozillo, l’un des 3 principaux dirigeants de
Country Wide Financial Corporation, société au bord de la faillite reprise par Bank of
America, après avoir empoché quelques 60 millions de dollars en salaires et primes entre 2003
et 2006, puis 129 millions de dollars à la suite de vente d’actions entre 2006 et 2007, il
pourrait encore recevoir 66 millions pour solde de tout compte. Comme le résume Landon
Thomas, journaliste au New York Times84 : « Quelle que soit l’ampleur des pertes dont ils
sont responsables, les gros bonnets retombent toujours sur leurs pieds. Les véritables victimes
sont ceux qui occupent des emplois subalternes et dont les postes sont éliminés même s’ils
n’ont rien à voir avec la crise des subprimes. »

3 - Des entreprises soumises au pouvoir actionnarial et des salariés désenchantés

Comme l’écrivait Jean Peyrelevade en 2005, le capitalisme s’est transformé en


gigantesque "société anonyme"85. 300 millions d’actionnaires/propriétaires en formaient la
base en 2003, soit 5% de la population mondiale dont la moitié résidait aux Etats-Unis. Ces
"actionnaires/propriétaires" avaient entre leurs mains la quasi-totalité de la richesse boursière
du globe (31 000 milliards de dollars, 86% du PIB annuel du globe fin de l'année 2003)86 .
Mais ces actionnaires sont aussi des consommateurs et des citoyens. Et ces qualités
peuvent parfois rentrer en conflit. Ainsi, en tant qu'actionnaires, et par l'intermédiaire des
gestionnaires de leurs patrimoines dont la seule mission est de créer pour eux de la valeur, ils
peuvent être les acteurs indirects de licenciements massifs et de délocalisations. Ces
licenciements peuvent d'ailleurs les concerner directement lorsqu’ils sont encore salariés de
grandes entreprises ou de banques cotées et en tant que citoyens dont l'existence est rattachée
au territoire national. Dans le même temps, en tant que consommateurs, si ces
citoyens/actionnaires apprécient également de trouver en vente des produits et services
toujours moins chers grâce à "l'exigence de compétitivité" destinée à créer toujours plus de
valeur pour eux, cette compétitivité est également obtenue de différentes façons dont les
conséquences ne sont pas forcément bénéfiques pour les populations et leur pays d’origine :
par la "réduction des effectifs" auxquels il est demandé une "productivité accrue" , par la
"déflation salariale87", et par la « délocalisation » de certaines unités de production.
Les exemples de General Electric (GE) qui fut pionnière en la matière, et un exemple
cité comme tel aux Etats-Unis, tout comme celui de Wal Mart, peuvent être utiles pour
comprendre le problème.

84
« Primes et châtiments des traders », Le Monde Diplomatique, mai 2008, p. 9.
85
Jean Peyrelevade, Le capitalisme total, La République des Idées, Seuil, 2005, p. 92.
86
Ibid., pp. 39-40. En France, 1% des ménages détiennent presque la moitié du patrimoine en actions du pays.
87
François Chesnais", "Quand le patronat accuse les patrons", Manière de Voir n°91, janvier-février 2007, p. 60. C'est Jean-Luc Gréau qui
parle de "déflation salariale", dans L'avenir du Capitalisme, Gallimard, coll. Le débat, Paris 2005.
27
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Dans les années 1980, une usine de GE située à Erié en Pennsylvanie produisait 350
locomotives par an et employait l'équivalent de 7500 salariés. En 2000, elle produisait 911
machines par an avec 4000 salariés (3500 postes en moins). Entre 1981 (année où Jack Welch
était nommé PDG de GE) et 2001, le nombre de salariés avait été ramené de 400 000 à
300 000. Toutefois, si l'on inclut au calcul les effectifs des 1000 entreprises acquises par GE
au cours de cette période, le total des suppressions de postes s'élevait à 500 00088. Au point
que Jack Welch avait été surnommé "Neutron Jack", par ses salariés en référence à la bombe
du même nom : après utilisation, les bâtiments sont vidés des hommes, mais les murs restent
intacts. Avec Welch, on changeait d’époque et de paradigme. Le prix de l'action GE devenait
la seule mesure de la performance. Créer des emplois cessait de figurer au nombre des
objectifs d’une grande entreprise cotée ; "Débaucher des salariés", "les précariser" ces
mesures étaient perçues comme autant de "marques de courage" et de "bon sens89".
Quant à Wall Mart, numéro 1 des supermarchés américains qui se targue d’afficher les
prix les plus bas et d’être le premier employeur des Etats-Unis (plus d’un million
d’employés), cette entreprise, qui est la plus compétitive dans son secteur, est également
connue pour payer très mal ses salariés (des salaires inférieurs à 31% de ceux accordés par
les autres grands distributeurs), ne leur garantir aucune couverture sociale digne de ce nom et
interdire la présence de syndicats dans l’entreprise. Ce faisant, pour boucler leurs fins de
mois, les salariés de Wal Mart sont contraints de recourir….à l’aide sociale publique. En
Californie, où l’entreprise emploie 400 000 personnes, ses salariés utilisent ainsi davantage
l’aide médicale publique que les autres salariés du même secteur (40%) et l’on observe un
écart du même ordre sur les bons alimentaires et les aides au logement. Les chercheurs de
l’Université de Californie à Berkeley ont ainsi calculé que les subventions indirectes versées
par la Californie à Wall Mart, se chiffraient à 86 millions de dollars par an. Si les autres
distributeurs en faisaient autant, elles se monteraient alors à 410 millions90.
Le comportement des entreprises, précise Barbara Ehrenreich, a changé depuis la
récession de 2001. Elles veulent aujourd’hui avoir une masse salarial réduite et embauchent et
licencient selon les fluctuations du marché91. Il y a encore quelques décennies, la création
d’emplois était l’une des ambitions premières d’une entreprise92. Les PDG insistaient sur la
nécessité de garder le personnel au lieu d’augmenter les dividendes des actionnaires en
mettant les gens dehors93. Et dans certains cas, ils appelaient les échelons supérieurs à réduire
leur salaire pour sauvegarder l’emploi. C’est cet aspect collectif des entreprises fondé sur le
« paradigme de la loyauté mutuelle » qui, pour Ehrenreich, s’est fortement dégradé. Et cette
dégradation, qui annonçait aussi sa disparition prévue, a permis à un nouveau modèle de
s’imposer : celui de la « prédation interne ». Les entreprises, qui auparavant considéraient les
salariés comme des éléments d’actifs les considèrent aujourd’hui comme des coûts à réduire à
court terme pour augmenter les revenus de leurs actionnaires. Les licenciements
collectifs sont ainsi devenus une façon relativement banale de leur plaire. Mais ils sont
également devenus, pour les PDG et les membres des comités exécutifs détenteurs de stock-
options, un moyen sûr d’augmenter leurs propres revenus. En outre, la négociation ex-ante de
contrats de travail « bordés » par des juristes et conseils de haut niveau a jusqu’ici assuré à ces
mêmes PDG de pouvoir bénéficier de généreuses compensations financières de départ
(parachutes dorés) sans lien jusqu’ici forcément obligatoire avec leurs performances de
gestion.

88
Olivier Vilain, "Comment General Electric a réinventé le capitalisme", Manière de Voir n°91, janvier-février 2007, p. 45.
89
Ibid.
90
Cf. Hidden Cost of Wal-Mart Jobs, Center for Labor Research and Education, http://laborcenter.berkeley.edu/lowwage/index.shtml . Cf.
also “Internal Wal-Mart Memo Validates Findings of UC Berkeley Study”, October 2005, by Arindrajit Dube, Ken Jacobs and Steve
Wertheim, cf. Memo.
91
Barbara Ehrenreich, On achève bien les cadres, Grasset, 200, p. 164.
92
Ibid., pp. 318-319.
93
Barbara Ehrenreich citait pour illustration la réaction de Claire Giannini, la fille du fondateur de la Bank of America, qui, horrifiée par les
licenciements collectifs dans l’entreprise familiale, évoquait le temps où « les cadres supérieurs acceptaient une diminution de salaire pour
que les plus modestes puissent conserver leur emploi », ibid., p. 318.
28
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L’observation des faits confirme l’analyse. En 2005, le PDG moyen du S&P avait été,
en moyenne, payé 411 fois mieux qu’un employé américain non cadre. Si le chiffre était en
retrait par rapport au record de 2000 (525 fois), il demeurait toutefois largement supérieur aux
301 fois de 2003 et surtout 107 fois en 1990 et 42 en 198294. En 2007, les PDG français
tiraient plutôt bien, également, leur épingle du jeu. Un exemple retenait l’attention des
médias : celui de Patricia Russo, PDG d’Alcatel-Lucent95. De fait, malgré les pertes du groupe
en 2007 qui s'élevaient à 3,5 milliards d'euros et la chute du titre qui avait perdu 50% de sa
valeur depuis la fusion entre Alcatel et l’Américain Lucent, il était prévu que Mme Russo
parte avec un parachute doré potentiel de 6 millions d’Euros, soit 3,3 fois sa rémunération de
2007. Si, en France, la loi TEPA (Travail, Emploi et Pouvoir d’Achat) votée au cours de l’été
2007, établissait un lien obligatoire entre indemnités de départ et performance, les enquêtes
révèlent pour le moment que rien n’a changé sur le fond. Les appels à la transparence
pourraient même avoir des effets surprenants, révélés par une enquête du magazine
L’Expansion. Elle permettrait en effet aux « patrons de se caler progressivement sur les
mieux rémunérés. Par ce jeu de contagion, les salaires augmentent". Ainsi, en 2007, les
revenus des dirigeants du CAC 40 ont bondi de 58%. Au total, les quarante patrons français
les mieux lotis ont touché 161 millions d'euros en 2007 contre 102 millions en 2006, soit un
gain par tête de 4 millions d'euros.
La satisfaction des normes de rentabilité financière imposée par les gestionnaires
d’actifs pour le compte de tiers (leurs actionnaires), les changements induits dans le
gouvernement des entreprises cotées, sont allés de pair avec une dégradation des conditions
de travail des salariés et une augmentation des inégalités de revenus96. Cette situation s'est
concrétisée par une instabilité et une insécurité accrue de l'emploi sous la menace constante
des délocalisations et de la sous-traitance ; elle a entraîné également des formes de contrôle
(néo-taylorisme) et d'intensification du travail qui ont eu pour conséquences une précarité
générale du travail (qui touche cadres et employés), des bas salaires (avec un pourcentage
croissant de travailleurs pauvres), une augmentation des accidents du travail, des maladies
professionnelles, voire des suicides. Sur ce dernier point justement, l'épidémie récente de
suicides au travail en France a motivé les dirigeants d’entreprises et le gouvernement à briser
la loi du silence. Il faut dire que les cas se sont multipliés, mois après mois : Renault, France
Télécom, HSBC, BNP Paribas, La Poste, EDF, Sodexho, IBM... Aucun secteur d'activité n'a
été épargné97. Cependant, en l'absence de statistiques fiables, les observateurs se sont gardés
d’en conclure que le phénomène avait pris une ampleur subite et exponentielle. La révélation
de ces affaires permet juste, selon les journalistes, d’exprimer le sentiment diffus que les
conditions de travail se dégradent. Les lectures divergent, sans surprise, en fonction des
intérêts en présence : les représentants patronaux estiment ainsi que "les relations dans le
travail se sont hypertendues ces quinze dernières années" en raison de la difficulté des
entreprises à dégager des marges. Mais le postulat peut également être inversé, ainsi que
l’illustre la question qui suit : « n'est-ce pas parce que depuis quinze ans les entreprises
cherchent à améliorer sans cesse leur rentabilité, dans un contexte de concurrence exacerbée,
que la pression au travail s'est accrue ?98 »
Quelle que soit la thèse privilégiée, un constat est sûr : le « capitalisme total99 » dans
lequel l’entreprise ou l’établissement bancaire cotés ont enfermé le citoyen-salarié (parfois
actionnaire), contient ses propres ferments d’« insécurité sociale ». Troubles de la
personnalité (schizophrénie) et perte de repères peuvent caractériser, au propre et au figuré,

94
Boris Jeanne, Stéphane Paillaud, « Les rémunérations des dirigeants de sociétés américaines : justifications et dérives », Rapport Moral sur
l’Argent dans le Monde 2007, Association d’Economie Financière, Caisse des Dépôts, 2007, p. 313.
95
« Salaires des patrons : la fronde des actionnaires », Le Monde, jeudi 22 mai 2008, p. 13.
96
Catherine Sauviat, op. cit., p. 119.
97
« Souffrances et suicides au travail », Le Monde, 22.03.08. Lire aussi, Le "moule IBM" inflige des souffrances au travail, Le Monde,
25.10.07 ; « Une cellule d'écoute à France Télécom », Le Monde, 13.11.07 ; « Face à la montée du stress, La Poste crée un observatoire de la
santé », Le Monde, 30.05.08.
98
Ibid.
99
C’est le titre de l’ouvrage de Jean Peyrelevade, op. cit.
29
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

les affres ressenties par le salariés, mais aussi par les citoyens, pris dans les rets des grands
acteurs de la globalisation. De fait, lorsqu’ils sont "salariés" de grands groupes cotés, les
citoyens deviennent « les complices » d'un capitalisme qui sert (s’ils y ont accès) leurs intérêts
d'actionnaire et de consommateur. Mais de l'autre, ils sont également « les otages » de ce
capitalisme qui peut se débarrasser d’eux du jour au lendemain et les exclure des circuits du
pouvoir d’achat et de la consommation. C’est donc un « capitalisme du grand large », peu
préoccupé de fidélité nationale et de fidélité à ses employés qui a fini par s’imposer et qui
s’est mis hors d'atteinte de la démocratie de proximité. Le citoyen moyen est perturbé par
cette réalité. D'autant plus les que élites de ce capitalisme sont assez peu citoyennes. Elles
déplacent facilement revenu et patrimoine pour se domicilier là où l'impôt est le plus faible.
Elles oublient ainsi ce qu'elles doivent à leurs Etats d'origines, où elles ont portant été
formées, soignées, protégées (qualité des services publics). Les citoyens qui n'ont pas les
qualifications requises, ni accès aux "horizons du grand large", se sentent désemparés.

4 - une criminalisation du système économique de marché

On a tendance, écrivent Thierry Godefroy, Pierre Lascoume, à insister sur le lien entre
"paradis fiscaux" et "criminalité internationale". Or ce lien réduit l'utilisation des services
financiers de ces places par des acteurs illégitimes (criminels organisés et terroristes). On
cache ainsi, selon ces deux auteurs, le rôle majeur joué par les acteurs politiques et
économiques légitimes dans l'origine des places offshores et dans leur utilisation100. Et le
résultat : c'est qu'il est devenu impossible de penser l'économie traditionnelle sans y associer
l'économie offshore. L’imbrication de ces deux économies est aujourd'hui complète. Les
paradis fiscaux sont, en effet, des territoires totalement intégrés dans les structures légitimes
du commerce et de la finance internationale101. Les places offshore et paradis fiscaux ont en
effet un rôle essentiel dans les stratégies d'investissement international des firmes mais aussi
dans la circulation et l’utilisation des flux bancaires internationaux.

4 – 1 Une définition des "paradis fiscaux" en 8 critères102 : une taxation faible ou nulle
pour les non-résidents ; un secret bancaire et un secret professionnel renforcés ; des
procédures d'enregistrement très simples ; une liberté complète des mouvements de capitaux
internationaux et une rapidité d'exécution ; des infrastructures de haut niveau pour une
technologie de l'information reliée à des centres financiers d'importance ; une stabilité
politique et économique essentielle ; une image de marque rassurante pour les investisseurs;
un réseau d'accords bilatéraux (conventions avec grands pays) permettant d'éviter une double
taxation des filiales d'entreprises. Londres est, pour les spécialistes, le premier paradis fiscal
de la planète ; 3 raisons : L'histoire ; ensuite, sur les 10 critères admis, Londres en remplit 10;
enfin, l'implication régulière de Londres dans des opérations financières douteuses (cf. infra).

4-2 Des paradis fiscaux intégrés dans les stratégies des plus grandes firmes
multinationales (FMNs) cotées : quelques chiffres pour illustrer l’ampleur du problème : en
2006, les Iles Vierges britanniques investissaient plus en Chine que la Japon ou les Etats-
Unis et l’Ile Maurice était le 1er investisseur en Inde. Pour autant, ce n’étaient pas les Firmes
Multinationales (FMNs) de ces pays qui réalisaient les investissements. C’étaient les FMNs
des pays riches qui utilisaient ces paradis fiscaux pour y établir des filiales qui investissaient
ailleurs103. Du côté américain, fin 2005 (source CNUCED), les paradis fiscaux représentaient
1/3 du stock des investissements directs étrangers (IDE) des FMNs américaines, une tendance
à la hausse depuis la seconde moitié des années 1990. En 2007, d'autres sources parlaient de

100
Thierry Godefroy, Pierre Lascoumes, Le capitalisme clandestin : l'illusoire régulation des places offshore, La Découverte, 2004, p. 13.
101
Ibid., p. 17.
102
"Les paradis fiscaux au cœur de la mondialisation", Dossier, Alternatives Economiques, n°252, novembre 2006, pp. 58-68.
103
Christian Chavagneux, Ronen Palan, Les paradis Fiscaux, La Découverte, Coll. Repères 2006, pp. 20-21.
30
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

la moitié du stock des IDE des FMNs américaines. Quels étaient les paradis fiscaux
privilégiés par ces FMNs? Autre surprise. Les deux destinations premières étaient des pays
riches : Le Royaume-Uni, les Pays-Bas puis venaient les Bermudes, et les îles britanniques
des Caraïbes, devant la Suisse, le Luxembourg et l'Irlande. La situation inquiétait les autorités
américaines : fin 2004, le président Bush décidait ainsi d’accorder une amnistie fiscale (taux
d'imposition de 5,25% au lieu de 35%) pour un an, aux FMNs qui décidaient de rapatrier une
partie de leurs profits cachés dans des paradis fiscaux. Les pays d'où l'argent allait revenir :
Pays Bas, Luxembourg et Suisse. En Europe, la situation est également intéressante : 37% du
stock d'IDE des firmes se retrouvent dans les paradis fiscaux (les Pays-Bas représentent 1/3
du total, suivis par le Royaume-Uni, le Luxembourg et la Suisse) et en France, 47% du stock
des « investissements directs étrangers » - IDE seraient détenus par des investisseurs situés
dans des paradis fiscaux. L'Union Européenne est d’ailleurs, selon les spécialistes, son propre
paradis fiscal. Nous avons parlé des IDE. Qu'en est-il maintenant des "investissements
internationaux de portefeuille", ces investissements à mi-chemin entre les "stratégies de
placement financier" et les "stratégies industrielles" D'après le FMI, fin 2004, les paradis
fiscaux détenaient 1/3 des investissements de portefeuille, contre ¼ en 1997 Tête de liste :
Royaume-Uni, Pays-Bas, Irlande, Suisse et Iles Caïmans.
Devant l’ampleur des chiffres, il est légitime de se poser la question des utilisateurs.
L’étude des faits montre que ce sont des agents économiques multinationaux qui en sont les
principaux utilisateurs pour leur propre compte ou celui de tiers (particuliers ou Etats).
En ce qui concerne les firmes multinationales (FMNs) expliquent Christian
Chavagneux et Ronen Palan, leurs dirigeants utilisent les paradis fiscaux principalement pour
les raisons suivantes : réduire leur imposition ; échapper à des contraintes règlementaires ;
dissimuler un niveau élevé d'endettement et présenter ainsi des comptes artificiellement
assainis (pour leurs actionnaires et investisseurs potentiels) ; s'assurer sur un marché captif104.
Deux chercheurs (Simon J. Pack & John Zdanowicz) qui, en 2002 ont publié les résultats de
leur recherche sur le phénomène, ont fait apparaître les anomalies suivantes : l’utilisation, par
les agents économiques américains des paradis fiscaux, aurait fait perdre 53 milliards de
dollars de recettes fiscales au budget américain en 2001, un montant en forte croissance par
rapport à 1998 (35,7 milliards). Et dans un sondage réalisé par le cabinet Ernst & Young fin
2005 auprès de 476 FMNs réparties dans 22 pays, pour 77% d'entre elle, les "stratégies de
prix de transfert105" qui leur permettent de réduire leur charge fiscale et d’augmenter leurs
bénéfices grâce aux paradis fiscaux, auraient été au centre de leurs politiques fiscales pour
2006-2007.
A la lumière des études précitées, il apparait ainsi désormais que les "départements
fiscaux" des grandes entreprises sont considérés de la même façon que les "départements de
gestion de la trésorerie". C'est-à-dire comme des "centres de profit" qui, selon la logique des
grandes sociétés cotées (cf. supra), doivent créer de la valeur pour les entreprises et leurs
actionnaires. Les politiques fiscales des FMNs" sont d’ailleurs aux mains de "professionnels
de l'impôt" (salariés ou consultants extérieurs issus des grands cabinets d'audit) et ces
"techniciens" ont la tâche redoutable de devoir arbitrer entre la "minimisation des impôts" de
leur employeur et la gestion du "risque de réputation". Car, si l’on prend les cas de politiques
de manipulation de prix de transfert, ces politiques ne sont pas exemptes de risques. En 2007,

104
Christian Chavagneux, Ronen Palan, Les paradis fiscaux, op.cit., p. 62.
105
La stratégie de "minimisation de la fiscalité" passe par une définition optimale de ce qu'on appelle des "prix de transferts" (ou "prix de
cession interne"). Ce sont les prix auxquels les filiales d'un même groupe se vendent des biens et des services. Ces cessions internes peuvent
concerner la vente de produits manufacturés, la vente de prestations de services, la rémunération de licences, la location d’immeubles, le
versement d’intérêts sur des prêts intra-groupe, etc. Ces prix sont supposés ne pas être différents de ceux qui s'appliquent entre deux
entreprises appartenant à des groupes différents. Ces prix sont également sensés obéir à une règlementation stricte. Cette règlementation est
établie par chaque pays, ou au niveau multilatéral (OCDE). Dans la réalité, malgré les réglementations, ces prix sont largement différents, car
manipulés par les entreprises. Celles-ci vont surfacturer la fourniture de biens et services livrés à des filiales situées dans des pays à fiscalité
élevée et sous-facturer la fourniture de biens et de services livrés à des filiales dans des pays à très faible niveau de fiscalité, augmentant et
réduisant d’autant les bénéfices réalisés par les filiales et in fine par le groupe, en fonction du niveau d’imposition, cf. Olivier Meier,
Guillaume Schier, Entreprises Multinationales : Stratégie, Restructuration, Gouvernance, Dunod, 2005, pp. 181-183. Cf aussi, « Principes
applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales », OCDE, 1999.
31
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

afin d'éviter un procès médiatique sur la question, le laboratoire pharmaceutique


GlaxoSmithKline a préféré payer une amende record de 3,4 milliards de dollars au fisc
américain. Motif de cette décision : falsification des prix de transfert106.
Rien n’a d’ailleurs vraiment été fait pour inciter à la prudence les personnels impliqués
dans les politiques fiscales. De fait, les rémunérations des techniciens de la manipulation des
prix de transfert sont indexées sur les résultats obtenus. Selon une enquête réalisée en 2000
par le magazine américain Fortune auprès de 1000 directeurs de services fiscaux de grandes
FMNs, « 46% indiquaient que leur travail était d'abord jugé par leur capacité à faire baisser
le taux d'imposition effectif de l'entreprise ; 16% seulement répondaient que leur objectif
premier était la recherche de mise en conformité des pratiques fiscales avec la loi ; aucun ne
disait qu'il était jugé sur la véracité de la situation fiscale déclarée. »107
Mais les paradis fiscaux ne servent pas seulement à payer moins d'impôts sur les
bénéfices, les FMNs les utilisent aussi pour "cacher leurs dettes". L'objectif est alors de faire
apparaître un bilan sain ou truquer les comptes (cf. Vivendi Universal, Enron, Parmala,
Worldcom) toujours dans le souci de maintenir, ou doper artificiellement si nécessaire, le
cours du titre. L'affaire Enron qui a laissé un trou de 40 milliards de dollars, a ainsi révélé que
l'entreprise avait créé une nébuleuse de filiales (une pour 5 employés) à des fins fiscales. Ces
montages avaient permis à Enron, non seulement de ne pas payer d'impôts pendant les 5
dernières années de son existence (1996-1999)108, mais aussi d’occulter ses fraudes
comptables grâce à 3000 structures d'allègement de bilan (Special Purpose Vehicles ou
Entities) sociétés plus ou moins factices domiciliées dans des paradis fiscaux et qui avaient
permis d’héberger les créances irrécupérables de la maison mère. C’étaient d’ailleurs, sans
surprise (vu la croissance de leurs activités de banque d’investissement), les plus grandes
banques de la planète (Citigroup, Merill Lynch, Barclays Bank, Deutsche Bank, Bank of
America) celles là même qui sont aujourd’hui les plus touchées par la crise des subprimes, qui
avaient aidé Enron à réaliser ces montages pour faire disparaître de ses comptes plus de 8
milliards de dollars de prêts. Autres utilisations des paradis fiscaux par les FMNs : la
distribution de commissions occultes, mais aussi la dissimulation de responsabilité civile ou
pénale.

4 -3 Pas d’activité « Banque privée » sans paradis fiscaux : à partir des années 1950 et
1960, les banques américaines, avec l’approbation tacite des autorités, établirent des filiales
offshores. Le but était alors d’échapper à une partie des règlementations nationales pour rester
compétitives à l’échelon international. Depuis cette époque, en raison des bénéfices générés
par les activités de ces filiales et des conditions opératoires particulièrement attractives
offertes par les centres offshore et autres paradis fiscaux du globe (secret des transactions,
protection de l’identité des clients étrangers, faible imposition, etc.), les grands établissements
bancaires des pays riches n’ont cessé d’y renforcer leur présence et leur activité.
Que l'on considère ainsi l'actif des banques c'est-à-dire leurs prêts et leurs placements,
ou le passif c'est-à-dire les dépôts et les dettes, selon la BRI, au début 2006, les centres
financiers offshore représentaient un peu plus de la moitié de l'activité internationale des
banques. De façon plus précise, fin mars 2006, 42% des prêts internationaux des banques se
dirigeaient vers des paradis fiscaux ; 58% des prêts internationaux des banques étaient le fait
d'établissements installés dans des paradis fiscaux ; 54% des dépôts internationaux se
dirigeaient vers des établissements situés dans paradis fiscaux109 ; 46% des dépôts
internationaux avaient pour source des acteurs économiques situés dans des paradis fiscaux.
L’Interprétation de ces chiffres est relativement simple : les paradis fiscaux pèsent de
plus en plus lourd dans les activités internationales des plus importantes banques

106
« Prix de transfert. Glaxo paiera 3,4 milliards de dollars au fisc », Le Temps, 12/09/06.
107
Christian Chavagneux, Ronen Palan, op.cit., p.67.
108
Thierry Godefroy, Pierre Lascoumes, op.cit., pp. 78-81.
109
"Les paradis fiscaux au cœur de la mondialisation", Dossier, Alternatives Economiques, n°252, novembre 2006, p.60.
32
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

multinationales Elles y proposent leur gamme de produits et de services à des particuliers


aisés et à toute autre personne « morale », en échange de fortes commissions, bien souvent
liées à la fabrique d’opacité. De fait, tous les scandales financiers de ces dernières années ont
impliqué (et continuent d’impliquer cf. infra) les plus grandes banques internationales.
L'affaire Enron a révélé le rôle de complice actif dans la faillite et les fraudes joué par de
grands établissements bancaires aussi prestigieux110 que JP Morgan Chase, Citigroup, Merril
Lynch, Barclays Bank, Deutsche Bank, Bank of America, Crédit Suisse-First Boston, etc.
Toutes ces banques ont été accusées d'avoir soutenu le titre en aidant l'ancien géant du
courtage en énergie à éliminer des dettes de ses écritures et en les évacuants sur les comptes
de filiales offshore. Elles auraient aussi dissimulé plus de 8 milliards de dollars de prêts
accordés à l'entreprise et investi pour leur propre compte des dizaines de millions de dollars
dans les filiales hors bilan, réalisant ainsi d'énormes profits. En juillet 2003, ces banques
étaient condamnées pour ces faits à verser 305 millions de dollars d'amende. Selon un juriste
qui avait suivi l'affaire : "Au lieu de protéger le public de la fraude à laquelle Enron se livrait,
les banques ont, en toute connaissance de cause, choisi de devenir des partenaires de cette
supercherie".
Cette dérive avérée de la banque offshore pose de réels problèmes de sécurité
financière internationale. De fait, si pendant longtemps, tous les efforts de lutte contre l'argent
sale ont été consacrés à mieux connaître et à traquer les banques exotiques à risques, les
affaires les plus récentes (cf. infra) montrent que c'est insuffisant, puisque les circuits
financiers illicites passent par les établissements bancaires les plus importants, situés au cœur
des premières places financières mondiales. A cet égard, « le terme de blanchiment est
inadapté », affirme le juge Jean de Maillard, « car il suggère un crime au deuxième degré,
une infraction qui ferait suite à une autre infraction, celle des mafieux. La criminalisation des
banques correspond en fait à des pratiques engendrées directement par le système financier
et qui répondent à ses intérêts directs »111.
En février 2001, le Sénateur démocrate Carl Levin remettait un rapport explosif sur la
participation au blanchiment d'argent sale des plus grandes banques installées aux Etats-Unis.
L’Intérêt de ce rapport était qu’il mettait à jour les techniques et circuits utilisés par ces
banques pour blanchir des capitaux douteux par l’intermédiaire d’un de leurs métiers
particulièrement lucratif : celui de la « banque privée » (private banking). Le secteur du
« private banking » est en effet identifié par les banques comme un secteur à fort potentiel de
rendement et de croissance. L’une des raisons en est le nombre croissant d’individus
disposant de fortunes personnelles immenses ; ils forment un segment de clientèle en
expansion pour les opérations de gestion de grands comptes ; l’autre raison, ce sont les profits.
Les experts de la Fed ont déclaré, lors des auditions organisées par la commission Levin, que
cette activité générait des revenus qui sont deux fois plus élevés que la plupart des activités
bancaires traditionnelles (dans de nombreux cas, plus d’1 million de dollars par client et par
an). En échange de commissions qui se chiffrent entre 15 et 25% des opérations effectuées
(selon la complexité et les risques) les clients obtiennent un conseil privilégié sur la gestion de
leur portefeuille, l’immobilier, les meilleurs offres de prêt et les secteurs d’investissement les
plus attractifs.
Pour optimiser leur patrimoine, les particuliers fortunés se voient offrir plusieurs types
de services à forte « valeur ajoutée112 » :
- des comptes offshore et des comptes numérotés : autant de comptes courants, de
comptes d’investissement (obligations, actions, parts de fonds, etc.) ou de comptes de

110
Thierry Godefroy, Pierre Lascoumes, op.cit.,p. 80.
111
Christian Chavagneux, « Les banques sont mouillées jusqu'au cou dans la circulation mondiale de l'argent sale. Les preuves sont là »
Alternatives Economiques n° 194 - Juillet-août 2001. Cf. aussi, Jean de Maillard, Le marché fait sa loi : De l’usage du crime par la
mondialisation, ed. Mille et Une Nuits, Arthème Fayard, juin 2001.
112
Cf. Bernard Sionneau, « La création illicite de valeur : agents, stratégies, effets induits », in Management et Création de Valeur, actes du
Colloque International organisé par Bordeaux Ecole de Management, en collaboration avec L'Université des Sciences Economiques et
d'Administration Publique de Budapest, Bordeaux, 25 et 26 Avril 2002.
33
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

dépôts que nécessaire, répartis à des endroits différents de la planète, sous des noms de
code. L’ensemble produit une complexité redoutable pour les enquêtes menées sur
l’origine des fonds déposés : un gestionnaire de compte a ainsi déclaré qu’il était
courant que ses clients aient des comptes répartis entre plusieurs sociétés écrans ; en
outre, il a été constaté qu’aucune banque ne possédait de base de données centrale,
capable de rassembler toutes les informations sur chacun de ses clients ; et même si le
procédé existait, il dépendrait tout de même de sa mise à jour régulière par les
gestionnaires ; le secret bancaire associé à des havres fiscaux en limiterait également
l’usage. Ce faisant, la réalité actuelle, c’est que les banques permettent à leurs clients
d’avoir une multitude de comptes dans de multiples endroits sans compréhension
globale de leur situation ;
- des sociétés écrans appelées encore Private Investment Corporations (PICs) : elles
sont en général enregistrées dans des territoires qui protègent l’identité des
investisseurs113 ; les banques ouvrent alors des comptes dans leurs établissements au
nom de ces PICs, permettant par là même à leurs titulaires d’éviter d’être identifiés; il
est courant qu’un client soit le propriétaire de plusieurs PICs et les utilise pour
conduire toutes formes de transactions à partir des comptes de ces sociétés ; certaines
banques vont plus loin et acceptent d’ouvrir des comptes pour des PICs dont la
propriété est détenue par tous ceux qui en possèdent des parts (bearer-share PICs) ;
lorsque la banque ne détient pas physiquement ces parts, il lui est alors impossible de
savoir qui sont les propriétaires réels des sociétés ou de leurs comptes;
- des mouvements de fonds rapides, massifs et difficilement repérables : dans ce
registre, les gestionnaires de grands comptes peuvent proposer à leurs clients
l’utilisation de comptes « centralisateurs » (concentration accounts) ou de comptes
« suspensifs » (suspense accounts) ; ce sont des comptes établis par les banques pour
des raisons administratives qui leur permettent de rassembler des fonds d’origine
diverses avant de les expédier vers leur destination finale. Par leur intermédiaire, il est
possible à des banques d’expédier des fonds d’un pays à un autre, sans passer par les
comptes officiels de leurs clients ;
- des opérations de prêts importants adossées à des dépôts : les établissements chargés
du « private banking », incitent leurs gestionnaires à convaincre leurs clients d’utiliser
les dépôts sur leurs comptes comme garanties pour obtenir des crédits ; cette pratique
permet à la banque de récolter des commissions, non seulement sur la gestion des
dépôts, mais également sur les prêts. Mais cette pratique est également un conduit
pour le blanchiment : elle permet en effet à un client de déposer des fonds d’origine
douteuse et de les remplacer par l’argent propre d’un prêt. Dans ce cas, en effet, les
banquiers peuvent être moins tentés de s’interroger sur l’objectif et la sécurité du prêt
dans la mesure où il est adossé à une garantie fournie par le dépôt ;
- du « correspondent banking » : cette pratique intervient quand une banque offre ses
services à une autre banque située à l’étranger. Elle devient alors sa banque
« correspondante ». L’activité permet à des banques étrangères de mener des affaires
et de fournir des services à leurs clients dans des juridictions où elles n’ont pas de
présence physique. Une banque juridiquement enregistrée dans un pays étranger, mais
qui n’as pas de bureau aux Etats-Unis peut ainsi utiliser le correspondent banking pour
attirer ou retenir des clients criminels ou corrompus, qui sont intéressés par le
blanchiment d’argent aux Etats-Unis. Au lieu de devoir subir les contrôles américains
et payer un coût d’installation élevé, la banque ouvrira un « compte de
correspondant » (correspondent account) avec une banque américaine. Grâce à la
création de cette relation, la banque étrangère (appelée « respondent »), et ses clients,

113
L’identité des clients est enterrée dans des « records of jurisdiction » (archives juridiques) placées dans des pays qui ont des lois très
strictes sur la protection de l’identité des investisseurs privés.
34
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

pourront bénéficier de tous les services offerts par la banque américaine (appelée
« correspondent »)114.
L’enquête, menée à l’époque par la commission spéciale du Sénat révélait que, trop
souvent, les instruments du Private Banking, s’ils servaient à gérer des patrimoines acquis
légalement, étaient aussi utilisés pour faire circuler et valoriser les patrimoines illicites
d’organisation du crime et de politiciens corrompus. Comme le déclarait le Sénateur Carl
Levin : « Les banques américaines ne sont pas autorisées à ouvrir des comptes secrets sur le
territoire des Etats-Unis ; c’est pourquoi, les gestionnaires de grand comptes ouvrent des
comptes secrets et des sociétés écrans dans des pays qui les autorisent. En fin de compte, les
banques américaines aident leurs clients aisés à faire à l’étranger ce que ni leurs
établissements, ni leurs clients, ne peuvent faire à l’intérieur des frontières du pays115 ».
Citibank de Citigroup avait ainsi pu faire bénéficier de ses services de banque privée des
personnages « exposés politiquement » gravitant dans les plus hautes sphères du pouvoir de
leurs pays d’origine. Dans le cas de Raul Salinas de Gortari, le frère de l’ancien président du
Mexique, les services du Private Banking de Citibank l’avaient aidé, entre 1992 et 1994, à
transférer 87 millions de dollars issus du trafic de drogue hors du Mexique à destination de
comptes bancaires en Suisse, en cachant l’origine des fonds et leur destination. A la suite de
l’arrestation de Salinas, les enquêtes sur Citibank allaient prouver l’implication de la banque
dans le transfert de fonds (plus de 300 millions de dollars) pour le Cartel de Juarez (Cartel
Mexicain de la drogue). Elles révélèrent également l’existence de « Comptes Politiques »
appartenant à quelques 40 000 anciens et actuels officiels de haut rang d’Amérique Latine,
d’Asie et d’Afrique, parmi lesquels : Ali Zardari : mari de l’ancien premier ministre du
Pakistan, Benazir Bhutto, accusé d’avoir utilisé trois comptes bancaires de Citibank en Suisse
pour dissimuler 10 millions de dollars de dessous de table sur un contrat d’importation d’or
vers son pays116 ; Omar Bongo président du Gabon qui, depuis 1970, avait pu faire transférer
hors de son pays plus de 130 millions de dollars par l’intermédiaire de ses comptes à la
Citibank (les fonds qui alimentaient la caisse personnelle de Bongo avaient pour origine les
fonds du gouvernement du Gabon) ; les fils de l’ancien dictateur du Nigeria Sani Abacha :
grâce à leurs comptes privés à la Citibank ils avaient pu utiliser des sociétés écrans pour
transférer et détenir des actifs évalués à 110 millions de dollars117.
L’enquête officielle établissait que, dans tous les cas de figure, les gestionnaires « grands
comptes » de Citibank n’avaient pas respecté les procédures de contrôle et les
recommandations du gouvernement des Etats-Unis : aucune enquête n’avait été organisée sur
les antécédents des clients ; aucune enquête sur l’origine des fonds. Au contraire, la banque
avait tout fait pour faciliter l’arrivée des dépôts dans ses agences : établissement de sociétés
écrans ; création de noms de code ; mouvement des fonds par l’intermédiaire de « comptes
centralisateurs » ; investissements des fonds dans des activités économiques licites ou en
bons du Trésor américain.
Depuis, est-ce que Citibank avait modifié ses pratiques ? En 2000, 10 grandes banques
internationales signaient les « Principes de Wolfsberg », sorte de code de conduite (Know
Your Customer – KYC, Enhanced Due Diligence – EDD) à destination de la banque privée.
Citigroup en faisait partie et se dotait peu de temps après d'une cellule de 50 personnes
veillant à ce que l'établissement ne participe pas à des activités suspectes. Quatre ans plus tard
(en 2004), ses 4 succursales chargées de l’activité « banque privée » au Japon, perdaient
pourtant leur licence. Elles étaient accusées par les autorités japonaises d’avoir violé la loi sur
les transactions obligataires. Et en 2005, un rapport du Sénat américain établissait que

114
En juin 1999, les 5 plus importantes banques américaines impliquées dans ce type d’activité détenaient des comptes de correspondants
pour un montant de 17 milliards de dollars ; le total pour les 75 plus importantes banques américaines s’élevait lui à 34, 9 milliards de
dollars, in « Minority staff report for permanent subcommittee on investigations hearing on private banking and money laundering : a case
study of opportunities and vulnerabilities », November 9, 1999.
115
“Levin says U.S private banks profit off foreign corruption”, op.cit.
116
Ibid.
117
James Petras, “US Banks and the dirty money empire”, Dollars and Sense Magazine, September/October 2001.
35
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

l’ancien dictateur Chilien Augusto Pinochet possédait 63 comptes chez Citigroup formant un
réseau complexe monté pour blanchir de l’argent.
Malgré la poursuite des travaux du groupe de Wolfsberg préconisant une approche fondée
sur le risque (Risk-Base Approach – RBA) en juin 2006118 et un engagement à mettre en œuvre
toute les mesures de prévention (Anti-Money Laundering AML) prévues, le problème posé par
le private banking demeure, ainsi qu’en témoigne la proposition de loi déposée par le sénateur
Carl Levin en 2007119 et les exemples qu’il cite sur les manques à gagner fiscaux pour le
trésor public américain (de la part de particuliers ou entreprises). L’affaire UBS qui a
dernièrement défrayé la chronique aux Etats-Unis en est une illustration. Cette affaire, suivie
par le US Department of Justice et la Securities and Exchange Commission a vu la
condamnation d’un responsable de haut rang, Bradley Birkenfeld, accusé d’avoir aidé un
riche client à frauder le fisc américain120. En avril 2008, Martin Liechti, le responsable basé
en Suisse de la division de la banque privée pour UBS internationale d’UBS pour l’Amérique
du Sud et du Nord était également arrêté par les autorités et obligés de rester aux Etats-Unis
comme témoin121. Certains affirment que les grands cabinets internationaux de comptabilité,
qui vérifient les comptes des banques, pourraient jouer un rôle plus actif. Malheureusement,
de nombreuses informations tendent à montrer qu'ils sont souvent du côté des personnes
douteuses, facilitant les transferts illicites (cf. infra). Le sénateur Levin indiquait d’ailleurs
que, lors de son enquête, les comptables contactés « étaient non coopératifs et même
hostiles » lorsqu'il leur demandait des informations.

4-4 le rôle stratégique des « professionnels du droit et du chiffre122 » : les experts


fiscaux et légaux internationaux jouent un rôle essentiel dans l’utilisation des paradis fiscaux.
Selon Sol Picciotto, « ce rôle consiste à s'appuyer sur le vague et les incertitudes des règles
fiscales et financières, afin de déterminer des stratégies efficaces de contournement
règlementaire »123. Deux éléments expliquent l’importance croissance de leurs activités : tout
d’abord, la multiplication et la diversification des centres offshore qui ont permis de toucher
un public plus nombreux et diversifié ; ensuite, le développement des produits financiers
sophistiqués : leur manipulation est complexe et nécessite l’expériences de spécialistes ; ces
derniers offrent une gamme de leviers de dissimulation très puissants et ils sont devenus, pour
cette raison, des conduits privilégiés du blanchiment.
Pour les spécialistes du service central de prévention de la corruption qui travaillent
sur ces populations de spécialistes de l’offshore (conseillers juridiques, pénalistes, fiscalistes,
ou encore, notaires et gestionnaires de fortune) lorsque ces compétences techniques sont
croisées pour traiter des opérations spéciales, les montages sont alors redoutables, car la
plupart des failles et des risques sont pris en compte. Ce croisement de compétences est,
d’ailleurs, à la base des produits offerts par ces "ouvreurs de portes" vers les paradis fiscaux.
Où trouve-t-on ces spécialistes? Ce peuvent être des indépendants ou des professionnels
employés par les grandes banques d'affaires. Mais ce sont aussi les professionnels employés
par les fameux "Big Four" du conseil international : KPMG, Ernst&Young,
PricewaterhouseCoopers, Deloitte Touche Tomatsu. Ils exercent à la fois des activités de
conseil et de vérification des comptes des entreprises et contrôlent le marché des 500 plus
grosses FMNs dans ces domaines. Chacun opère dans 140 pays.

118
Le postulat de base de la démarche : reconnaître que la menace constante du blanchiment peut être gérée efficacement par une bonne
compréhension des risques potentiels liés aux clients comme aux transactions, in Rapport Moral sur l’argent dans le monde 2007, op.cit., p.
374.
119
Cf. Statement of Senator Carl Levin on “Introducing the Stop Tax Haven Act, Part I”, February 17, 2007.
120
Cf. François Pilet, “Birkenfeld, l’homme par qui tout est arrive”, Le Temps, 18 février 2009. Et aussi, Myret Zaki et François Pilet, « La
Suisse lève le secret bancaire pour raison d’Etat », Le Temps, mercredi 18 février 2009.
121
Cf. Haig Simonian, “UBS tells unit staff to avoid US visits”, May 27 2008 et aussi Chris Hughes, “UBS hit by more raiding parties” May
29 2008.
122
Christian Chavagneux, Ronen Palan, Les Paradis Fiscaux, op. cit., pp. 74-79.
123
Ibid. Cf. aussi, Sol Piciotto, « La naissance de l’offshore, les paradis fiscaux et le système internationale », L’Economie Politique, n°4,
octobre 1999.
36
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

Quels sont les éléments qui ont permis leur domination? Le développement de
l'activité multinationale des firmes américaines et la place prépondérante jouée dans ce
processus par Londres et New York ; la volonté des autorités de régulation anglo-saxonnes de
laisser aux professionnels le soin de définir les pratiques acceptables. Or, ces pratiques, dans
leur définition, restent vagues, ce qui permet aux géants de l'audit et leurs professionnels d'en
faire ce qu'ils veulent. Car les Big four ne paraissent pas vraiment préoccupés de "sécurité du
capitalisme mondial" en vérifiant que leurs pratiques sont saines. Leur préoccupation
principale, à l’instar des autres entités multinationales cotées, c’est la création de valeur pour
leurs actionnaires, en protégeant avant tout les intérêts de leurs clients. En échange de
commissions substantielles (comme les banques dans leurs métiers) ils rendent juridiquement
légitime la version des fait qui bénéficie à ceux qui les paient.
Et pour ce faire, ces cabinets n’hésitent pas à en œuvre de véritables « systèmes
d'ingénierie spécifique de la fraude fiscale ». C'est du moins ce qu'a révélé une autre enquête
menée encore par l’équipe du Sénateur américain Carl Levin en 2003. Cette enquête a montré
l'ampleur des pratiques de fraude fiscale mêlant cabinets d'audit, banques, juristes et paradis
fiscaux. . Dans le cas de KPMG, l'enquête sénatoriale révélait que le cabinet avait vendu des
produits de fraude fiscale à plusieurs centaines de personnes : le système avait permis à ces
clients d'éviter de payer environ 1,4 milliard de dollars d'impôts124. Le total des commissions
perçues s'élevait à 124 millions de dollars, soit un taux moyen de commission de 9%. Cette
enquête du Sénat américain avait permis de mettre en lumière un véritable système
d'ingénierie de la fraude en 5 étapes imaginé par KPMG. Suite à ces révélations, KPMG était
amené à négocier, en août 2005, un arrangement à l'amiable avec les services du trésor. Le
cabinet acceptait de payer 456 millions de dollars d'amende.
Les paradis fiscaux ont donc un impact direct sur le manque à gagner des recettes
budgétaires des Etats. Aux Etats-Unis, le coût atteint près de 350 milliards de dollars par an,
soit plus de 10%des recettes publiques totales. Les paradis fiscaux exercent aussi une pression
en faveur du moins-disant fiscal. Au sein de l'UE à 25, le taux d'imposition des entreprises
avait perdu 9 points de pourcentage entre 1995 et 2006, passant de 35% à 25,9% alors que le
taux d'imposition des revenus du travail restait stable sur la période (autour de 36%). Aux
Etats-Unis l’impôt sur le bénéfice des sociétés représente la moitié de son niveau des années
1960.
En général, les Etats ont donc intégré l'existence des paradis fiscaux. Ils ont internalisé
la nécessité de ne pas trop demander à l'impôt, en dépit des besoins immenses, sociaux et
économiques induits pour leur insertion dans la mondialisation. Quant aux Pays en
développement, le problème est encore plus difficile. Ces pays, en raison de l'évasion fiscale
des FMNs et des détournements de fonds de l’aide publique au développement par des élites
publiques corrompues, sont privés de recettes fiscales essentielles à leur développement.
Autres questions : que valent les statistiques sur la mondialisation des firmes, ou sur la
mondialisation financière, si personne ne sait vraiment ce qui passe et se passe dans les
paradis fiscaux? En outre, au moment où l’Europe paraissait être la région la plus en pointe
pour encadrer les comportements des paradis fiscaux, un scandale, survenu en Allemagne,
remettait en cause cette perspective. Le 15 février 2008, l’Allemagne apprenait, en effet, que
près d’un millier de ses contribuables avaient détourné 5 milliards d’euros au fisc125 par
l’intermédiaire du Liechtenstein. Mais l’évènement révélait, peu de temps après, une autre
réalité : l’incapacité des membres de l’Union Européenne à s’accorder sur la levée du secret
bancaire. La proposition se heurtait en effet à l’absence de consensus, de la part des Etats
membres les plus puissants de l’Union Européenne, sur l’opportunité de rayer juridiquement
les paradis fiscaux de la carte du monde.

124
Christian Chavagneux et Ronen Palan, op. cit., pp. 77-79.
125
Elise Vincent, « Monaco, Jersey, Liechtenstein : les divisions entre Européens gênent la lutte contre les paradis fiscaux », Le Monde,
Mercredi 27 février 2008.
37
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5 - les risques d’abduction des champions nationaux

Depuis la crise des subprimes, les pays riches ont redécouvert les « Fonds
Souverains » (Sovereign Wealth Funds), une catégorie de fonds d’investissements dont les
plus anciens datent des années 1970 (premiers chocs pétroliers) et par rapport auxquels, le
discours dominant sur la supériorité de la sphère privée et le désengagement irréversible des
Etats dans l’économie, avait occulté la résilience, voire l’existence. Leur redécouverte sur la
scène financière mondiale est due à plusieurs éléments : l’envolée des prix des matières
premières dont le pétrole, et les excédents commerciaux qui leur a permis d’intervenir comme
derniers recours dans le sauvetage des plus grandes banques d’affaires occidentales, mises en
difficulté par la crise des subprimes.
S’ils ont, individuellement, la possibilité de mobiliser des sommes colossales (875
milliards de dollars pour ADIA), ces fonds restent petits par rapport aux actifs cumulés gérés
par les Fonds de Pension et les Fonds Mutuels (cf. supra). En 2007, une estimation du poids
financier de ces « Sovereign Wealth Funds » affichait 2500 milliards de dollars126. Quant aux
montants investis par eux, ils représentent seulement 4% de capitalisation boursière
mondiale127. C’est peu, comparé à l’ensemble des actifs financiers mondiaux (plus de 100 000
milliards de dollars). Mais ces fonds pèsent toutefois plus que les hedge funds (seulement
1500 à 2000 milliards de dollars gérés). Pour l’instant, 60% de leurs actifs sont investis dans
des placements peu risqués : bons du trésor des grands pays industrialisés ; 40% sur des
marchés plus risqués : bourses ou produits financiers plus spéculatifs. Selon Morgan Stanley,
leur poids devrait augmenter : 12 000 milliards de dollars d’ici 2015 (soit plus du double des
réserves en devises mondiales actuelles)128.

5-1 des fonds souverains sauveteurs ou prédateurs? Fin avril 2008, les réserves de
change de la République Populaire de Chine atteignaient environ 1760 milliards de dollars
(1130 mds d’Euros). Générées par un formidable excédent commercial moteur de la
croissance chinoise, ces réserves inquiètent les pays occidentaux.
Il faut dire que les investissements groupés effectués par les fonds et entreprises d’Etat
chinois ont été concentrés dans des secteurs stratégiques : depuis fin 2005, plus de 650
entreprises d’Etat ont investi dans les secteurs du pétrole, des matières premières et des
télécommunications129. Cette réalité a motivé un pays comme l’Allemagne à prendre des
mesures conservatoires : en 2007, l’Allemagne a ainsi annoncé son intention de protéger ses
entreprises : il faut dire qu’en décembre 2007, son gouvernement s’apercevait que 2
acquisitions sur 3 outre-Rhin impliquaient des investisseurs étrangers (chinois et indiens) et
que 30 de ses plus grands groupes étaient contrôlés par des investisseurs étrangers. En outre,
loin de se limiter aux grands groupes, comme l’indiquait une étude de Deloitte (septembre
2007) 70% de ces rachats concernaient des PME130. Le ministère allemand de l’économie
réagissait en annonçant que le gouvernement examinerait toute prise de participation d’au
moins 25% d’un fonds souverain131.
Depuis un an, la liste de rachats d’entreprises effectués en Occident par les
investisseurs étrangers est impressionnante. En décembre 2007 : China Investment
Corporation (CIC) renflouait la banque Morgan Stanley à hauteur de 5 milliards de dollars132
sous forme d’obligations convertibles rapportant 9% d’intérêt. CIC a également pris 10% du
capital du fonds d’investissement Blackstone qui compte des participations importantes dans

126
Christian Chavagneux, « Quand les Etats investissement la finance », Alternatives Economiques n° 262, octobre 2007, pp. 32-34.
127
Ensemble des actifs financiers mondiaux : total de la capitalisation boursière mondiale et du stock des obligations émises par les
entreprises et les Etats.
128
Christian Chavagneux, « Quand les Etats investissement la finance », Alternatives Economiques n° 262, octobre 2007, p. 33.
129
« L’essor des fons souverains inquiète l’économie mondiale », Le Monde Economie, mardi 15 janvier 2008.
130
« Les étrangers contrôlent plus de 50% des groupes allemands », Le Monde, mercredi 19 décembre 2007, p. 14.
131
« La Chine accumule les devises », Le Monde, Edition Electronique, 2 juin 2008.
132
Isabelle Lesniak et Géraldine Meignan, « Les capitaux étrangers fondent sur Wall Street », L’Expansion, juin 2008, p. 42.
38
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

des grands groupes industriels comme Deutsche Telekom. La Bourse de Londres est entre les
mains du Qatar pour 20% et de Dubai pour 28%. Quant aux Russes, la banque VIB a acquis
5% d’EADS133. Jusqu’à présent, tous ces fonds ont des participations minoritaires. Aucun ne
siège au conseil d’administration des entreprises, même si Russes ont tenté d’y parvenir.
Reste à savoir combien de temps leurs gestionnaires, sous contrôle de leurs Etats d’origine, se
contenteront du rôle d’actionnaires minoritaires.
Le secteur américain de la banque d’affaire a été massivement investi par ces fonds,
suite aux très graves difficultés induites par la crise des subprimes. Trois fonds se sont portés
au secours de l’inénarrable Citigroup 134 (à la pointe des sinistres impliquant le secteur de la
banque d’affaire) : l’émirat d’Abu Dhabi pour un montant de 5 milliards d’euros, le
Singapourien GIC pour 4,7 milliards d’euros et le Koweitien KIA pour 2 milliards d’euros.
Quant à UBS (récemment mise en cause dans une affaire impliquant son activité « private
banking » - cf. supra), elle annonçait 10 milliards de dollars (6,8 milliards d’euros) de
dépréciations supplémentaires liées à la crise des subprimes135 et renflouait ses caisses grâce à
l’intervention du fonds public de Singapour GIC (qui détiendra 9% du capital). Selon Frédéric
Binggeli de la banque privée Edmond de Rothschild, « les faux pas d’UBS lui coûtent une
partie de son indépendance, avec la montée en puissance de ces investisseurs souverains qui
pourront jouer un rôle stratégique136 ». « Investissement stratégique » en effet, car UBS est le
premier acteur mondial de la gestion de fortunes privées (15% du marché)137, un domaine où,
vu les possibilités de profits grâce à l’économie offshore (mais aussi les risques de
malversations) la place financière de Singapour fait de gros efforts pour s’imposer, en attirant
les épargnants européens.
Si les « fonds pour les générations futures » justifient leurs investissements à l’Ouest
en affichant leur ambition de protéger l’épargne de leurs pays et de la faire fructifier, ils ont
néanmoins, et en quelques semaines seulement, subi des moins-values spectaculaires138.
Depuis l’entrée du fonds GIC de Singapour dans son capital, l’Union des Banques suisses
(UBS) a perdu 55 % de sa valeur, tandis que le titre Citigroup baissait de 40 % depuis l’entrée
du fonds ADIA d’Abou Dhabi dans le sien. Pour l’instant, l’addition reste salée, juste pour
prendre pied dans la « forteresse financière ». Le cas de la Chine est plus révélateur encore,
des ambitions déçues. En mai 2007, le régime de Pékin se portait acquéreur, pour 3 milliards
de dollars, de 10 % du célèbre fonds d’investissement américain Blackstone. Peu de temps
après sa création officielle le 29 septembre 2007, le fonds souverain CIC entreprenait, on l’a
vu, de « sauver » la banque d’affaires Morgan Stanley. De son côté, la banque Citic, bras
armé du gouvernement chinois (et assimilée à un fonds souverain), avait négocié des prises de
participation croisées à hauteur de 1 milliard de dollars, assorties d’alliances stratégiques avec
la banque d’affaires Bear Stearns. Depuis ces opérations, Blackstone a perdu 60 % de sa
valeur, Morgan Stanley, 26 %. Quant à Bear Stearns, rachetée pour une bouchée de pain par
JP Morgan Chase, elle est devenue la victime la plus spectaculaire de la crise des subprimes.

5-2 – la fin d’une vision « Disneyienne » de l’économie de marché : les manœuvres


des grands fonds inquiètent, car derrière eux, ce sont des appareils d’Etat, qui contrairement
aux croyances naïves propagées par l’économie dominante des deux dernières décennies du
siècle précédent, n’ont pas pour horizon unique la « démocratie de marché ». C’est donc avec
appréhension que les grands pays du Nord, qui ne mènent plus la danse, voient tomber leurs
fleurons aux mains d’intérêts étrangers dans des secteurs de pointe.
Les dirigeants occidentaux sont d’autant plus concernés qu’ils savent que les
gestionnaires de ces fonds peuvent utiliser tous les processus et outils que leurs propres

133
« L’essor des fonds souverains inquiète l’économie mondiale », Le Monde Economie, mardi 15 janvier 2008.
134
Marc Michaux, « Pour les banques, ce n’est qu’un début », L’Expansion n°728, mars 2008, p. 53.
135
« Les fonds souverains volent au secours des banques », Le Monde, 12 décembre 2007, p. 16.
136
Ibid.
137
Christian Chavagneux, « « Le double visage des fonds souverains », Alternatives Economiques n°266, février 2008, p. 11.
138
Ibrahim Warde, « Les fonds souverains…prédateurs, sauveurs ou dupes ? » Le Monde Diplomatique, mai 2008, pp. 9-10.
39
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

experts ont créés (dérèglementation, paradis fiscaux, astuces légales, bancaires et financières,
cf. supra) pour dissimuler des parties stratégiques de leurs acquisitions (firmes productrices de
technologies avancées : énergie nucléaire ou alternative, nano et bio-applications,
informatique, chimie et pharmacie, armements). De même, ils peuvent aussi envisager que
des entreprises investies soient obligées de se fournir exclusivement auprès des champions
nationaux des pays d’origine des fonds.
Confrontés à ces grandes manœuvres « souveraines », les dirigeants occidentaux, qui
n’avaient pas été choqués de voir le FMI et la Banque Mondiale imposer aux pays émergents
d’ouvrir aux investisseurs étrangers des secteurs aussi stratégiques que la distribution d’eau,
d’électricité, les transports, etc. ont décidé de réagir. En 2007 l’Allemagne a annoncé son
intention de protéger ses entreprises ; la Commission européenne envisage même de légiférer
pour empêcher toute prise de contrôle des entreprises européennes du secteur énergétique ; et
le gouvernement américain a demandé au FMI de travailler sur définition d’un code de bonne
conduite pour les fonds souverains. Même un think tank américain estampillé « ultralibéral »
comme Petersen Institute for International Economics propose une longue liste de contraintes
à l’encontre de ces fonds,.
Le ton a changé en Occident, car les acteurs menacés ne sont plus les mêmes : ce sont
les pays les plus riches, Etats-Unis en tête, après la crise des « subprimes » que leurs propres
banques ont manufacturée. Quelques années plus tôt, fin 2005 et mars 2006, lorsque le
gouvernement français mettait en œuvre ce type de politique, il se voyait reprocher de façon
virulente ses choix par la Commission européenne qui évoquait alors « le nationalisme
économique belliqueux, totalitaire et collectiviste »139.

5-3 des débats de « fonds » : les avis divergent aujourd’hui entre experts sur le
caractère bénéfique ou non des investissements réalisés par les fonds souverains140. Pour
certains, le rôle de ces fonds est négatif et il faut donc les « endiguer » : Jean-Hervé Lorenzi,
estime ainsi impensable que la propriété des entreprises et leur nationalité basculent aussi
massivement dans le nouveau monde au détriment de l’Europe et des Etats-Unis141. Et pour
éviter que les grandes sociétés cotées sur les marchés financiers internationaux soient acquises
par de nouveaux détenteurs du capital, il évoque plusieurs possibilités : sortir ces sociétés de
la cote avec l’aide des fonds de private equity ; limiter les droits des actionnaires ; re-
régulation des marchés financiers, pour que les Etats verrouillent le contrôle des grandes
entreprises. Olivier Pastré et Patrick Arthus ne partagent pas ce point de vue. Pour le premier,
il est mieux d’accueillir un fonds souverain à son capital et d’engager un dialogue constructif
que de se faire déstabiliser par fonds spéculatif et finir « vendu par appartements » comme la
Banque ABN Amro, attaquée par un fonds qui contestait sa gestion142. Quant au
second (directeur des études et de la recherche de « l’infortunée » Natixis – cf. supra) il estime
que le comportement d’investissement « raisonnable » (pas d’exigence de rentabilité trop
élevée) et « à long terme » (« des années et des années, voire perpétuellement ») des fonds
souverains, vaut celui du « capitalisme occidental » qui, selon lui, « vit dans un court-
termisme absolument terrible et qui veut du revenu, du résultat, de la valorisation143 » (il doit
en savoir quelque chose car c’est ce type de comportement qui a précipité Natixis dans la crise
- nda).
Plusieurs points méritent toutefois d’être soulevés en complément de ce débat
d’idées144 : tout d’abord, les dirigeants des fonds souverains les plus « agressifs » (c’est-à-dire

139
Christian Chavagneux, « Quand les Etats investissement la finance », Alternatives Economiques n° 262, octobre 2007, p. 34.
140
Cf. en complément, « Table ronde sur la stratégie d’investissement des fonds souverains : rentabilité à long terme ou contrôle sectoriel ? »,
Travaux de la Commission des Finances du Sénat, sous la présidence de M. Jean Arthuis, jeudi 15 mai 2008.
141
Entretien avec Jean-Hervé Lorenzi, « L’entreprise et la guerre des capitalismes », Enjeux Les Echos, juin 2008, p. 72.
142
Christian Chavagneux, « Le double visage des fonds souverains », in Alternatives Economiques n°266, février 2008, p. 11.
143
« Les fonds souverains volent au secours des banques », Le Monde, Mercredi 12 décembre 2007, p. 16.
144
Christian Chavagneux, « Le double visage des fonds souverains », op.cit., p. 11.
40
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

ceux qui recherchent les plus hauts rendements) ont été formés à la même école145 que les
« experts » de la banque et de la finance, responsables de la crise actuelle. Cette école leur a
donc appris à tirer parti de l’opacité du système bancaire et financier international avec, pour
résultat, qu’une bonne partie de leur argent est gérée par des intermédiaires financiers adeptes
de produits sophistiqués peut compréhensibles et de centres financiers offshore peu regardants
et peu diserts sur les capitaux qu’ils hébergent.
Dans le même ordre d’idées, on peut craindre également que ces gestionnaires de
fonds souverains se risquent à adopter des stratégies d’arbitrages semblables à celles des
Hedge Funds, stratégies susceptibles de provoquer ou d’entretenir des mouvements de tension
sur des marchés critiques (matière premières énergétiques et alimentaires, métaux rares) ou
des mouvements de panique financière. Nombre de ces fonds investissent également dans les
marchés immobiliers et boursiers des pays émergents. Ceux-ci étant étroits, ces
investissements contribuent à la formation régulière de bulles financières et immobilières. En
outre, « si l’Iran s’enrichit, le Hezbollah pourrait devenir plus fort ; la Chine aura davantage
de pouvoirs en Afrique ; dans le même temps, les idées défendues par l’Occident en matière
de société civile, d’environnement et de droit des femmes, pourraient être remplacées par de
nouvelles valeurs »146. Se pose ainsi directement le problème de l’amplification de l’influence
de pays qui sont des « autocraties pétrolières » et des « autocraties économiques » comme la
RPC, l’Iran, le Venezuela, la Russie, les monarchies du Golfe (si le baril atteint, un jour, 200
dollars, les réserves prouvées des 6 pays du Golfe équivaudront à 95 milliards de dollars, soit
2 fois la valeur de toutes les actions cotées sur marchés mondiaux)147.
Pour finir, les fonds souverains des pays émergents ne rassurent pas forcément les
observateurs, car ils n’ont pas encore apporté la preuve qu’ils pouvaient se conformer à une
ligne de conduite aussi rigoureuse que le Government Pension Fund Global (GPFG) créé en
1996 par la Norvège et qui gère 330 milliards de dollars148 : ce fonds, qui détient déjà des
participations dans près de 4000 entreprises (dont 90 françaises) ne provoque aucune crainte
parce qu’en moyenne, il ne dépasse pas 1% de participation et suit une stratégie
d’investissement éthique qui lui a fait exclure de sa liste toutes les entreprises liées au secteur
de l’armement (ni Thalès, ni EADS, etc.) ou les entreprises comme Wall Mart n°1 mondial de
la distribution, en raison des atteintes sérieuses et systématiques de cette entreprise aux droits
humains et du travail (cf. supra).

145
Ibrahim Warde, « Les fonds souverains…prédateurs, sauveurs ou dupes ? » Le Monde Diplomatique, mai 2008, pp. 9-10.
146
« Ce monde qui vient : avec un baril à 200 dollars », Courrier International n° 920, du 19 au 25 juin 2008, p. 35.
147
Ibid.
148
« L’essor des fonds souverains inquiète l’économie mondiale », Le Monde Economie, mardi 15 janvier 2008.
41
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CONCLUSION
La tentative de bilan des menaces économiques, esquissé dans ce texte, montre
clairement que le monde qui est celui de « l’économie de casino » et du « capitalisme du
grand large » est en train de basculer. Vulnérabilités financières de nos sociétés,
accroissement des inégalités et menaces structurelles majeures (énergétiques, alimentaire,
criminelles, environnementale) se combinent pour produire, aujourd’hui, un ensemble de
tensions internationales et infranationales de plus en plus difficiles à endiguer et gérer.
Dans cet environnement hautement volatile, les agents économiques et leurs élites,
ceux-là même qui ont installé, justifié et profitent le plus de la mondialisation, ont de plus en
plus de mal à convaincre.
En France, le public apprend ainsi que les entreprises françaises les plus compétitives
tirent leur épingle du jeu aux Etats-Unis149 : Air Liquide (fournisseur de gaz industriel),
Schlumberger (spécialiste des services aux pétroliers), Vallourec (tubes sans soudure), Suez
(vente et production d’énergie), Nexans (leader mondial des câbles) mais aussi des PME
comme Technogenia (produits à base de Tungstène) , EnXco, la filiale d’EDF Energies
Nouvelles en Californie, Areva avec une usine d’enrichissement d’uranium en Idaho et le
traitement des déchets nucléaires radioactifs dans l’Etat de Washington , Orange (Orange
Lab), en veille technologique à San Francisco, etc.
Mais ce même public comprend également que l’activité de ces entreprises n’est plus
liée au sort du territoire national (de fait elles réalisent une part croissante de leur chiffre
d’affaire et de leurs bénéfices hors des frontières de l’hexagone et de l’Union Européenne).
Dans le même temps, ce grand public subit le choc de crises structurelles combinées qui
impactent directement son mode de vie, son pouvoir d’achat et compromettent son avenir
professionnel et familial. Quant aux champions économiques nationaux, leur réussite
mondiale attire les convoitises. L’ouverture de leur capital les rend vulnérables aux appétits
de prédateurs dont les ambitions criminelles, souveraines, et les valeurs, ne sont pas
forcément compatibles avec les exigences de démocratie et de sécurité nationale de notre
pays.
Dans ce contexte, les élites économiques des pays riches sont en perte de légitimité et
de crédibilité. Protégées par des revenus qui les mettent, ainsi que leurs familles, à l’abri de
tous les aléas de l’économie financière, ce statut ne s’accorde plus avec l’exigence de
« compétitivité » et les réalités de déflation salariale, précarité de l’emploi et dégradation des
conditions de travail, imposées par cette économie de la crise et du krach. Pour un ancien
président de la République française, la dernière crise, celle des subprimes est d’ailleurs un
véritable coup de semonce adressé à la mondialisation150. Il y voit un double problème : un
scandale éthique et un problème d’élites. Le premier point a été abordé dans ce rapport, mais
celui des élites est posé de la façon suivante : les élites ne s’orientent plus vers la vie publique.
Leurs représentants vont travailler dans les entreprises et les banques. Ils voient ainsi le
monde à travers le prisme d’un système qui privilégie le « laisser-faire pour maximiser les
profits ». De fait, dans ce référentiel, les profits peuvent être immenses, tout comme les crises
et les pertes. Mais jusqu’ici, les espoirs de gains, difficiles à concevoir tant les chiffres sont
élevés, l’ont emporté sur toute autre considération de prudence et de retenue pour l’intérêt du
plus grand nombre.
Ce sont ces éléments qui ont fragilisé « l’économie de casino » et « le capitalisme du
grand large » et en ont compromis, les assises. Les faits parlent d’eux-mêmes : en août 2007,
tel trader vedette de Goldman Sachs, se plaignait ainsi, à sa direction, de la faiblesse de ses
revenus annuels de 70 millions de dollars, comparés à ceux de ses collègues, gestionnaires de
hedge funds qui pouvaient atteindre 100 millions de dollars ou de ceux de fonds comme
149
Chloé Hoorman, « Ça carbure pour les majors françaises », L’Expansion n°731, juin 2008, pp. 50-52.
150
Entretien avec Valérie Giscard d’Estaing : « La mondialisation l’a prouvé, on ne peut plus laisser la mondialisation livrée à elle-même »,
Enjeux Les Echos, Juin 2008, p. 50.
42
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

Fortress et Blackstone (cf. supra) dont l’un de ses amis (dirigeant de Fortress), un certain M.
Briger, était devenu milliardaire presque du jour au lendemain151. La revendication confirmait
en fait la réalité difficilement concevable pour le commun des mortels, des sommes
engrangées par les stars de la gestion de hedge funds, rassemblées dans une partie des Etats-
Unis (Greenwich, Connecticut), isolée de l’Amérique économiquement sinistrée : Eddie
Lampert, ESL Investments : 1,5 milliard de dollars, Paul Tudor Jones, de chez Tudor
Investment : 800 millions de dollars, respectivement premier et second au palmarès 2006 des
dix plus gros revenus annuels de ce secteur152.
La réalité était là : dans la possibilité, pour une poignée d’individus de gagner (ou de
perdre), en un minimum de temps, des sommes astronomiques, sans considération aucune
pour les conséquences globales éventuelles des arbitrages associés à ces gains (ou pertes) ou
pour la fragilité des modèles et des montages qui en sous-tendaient la mise en œuvre. Cette
économie, ses pratiques, la philosophie des « jeunes loups aux dents longues » qui la portait –
tous éléments à l’origine de la fragilisation de nos pays les plus riches et de la « contagion de
la précarité » (opposé à la « contagion de la prospérité » des trente-glorieuses) pouvaient être
résumés en une seule phrase, empruntée à l’œuvre de l’humoriste et cinéaste nord-américain
Woody-Allen : « Prends l’oseille et tire-toi ». Mais ses conséquences planétaires étaient
moins souriantes : elle l’ancrait en effet dans l’ère de « l’irresponsabilité globale », vectrice
de toutes les insécurités.

151
Monica Langley, « Why $70 million wasn’t enough », The Wall Street Journal, August 18, 2007.
152
Claire Gatinois, « La crise financière américaine a épargné Greenwich, capitale des hedge funds », Le Monde, 04.10.07.
43
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

Cahiers de Recherche du CEREBEM


1999
Š N°01-99 : Pour une clarification théorique du lien marketing-stratégie
Jean-François TRINQUECOSTE
Š N°02-99 : A benchmarking analysis of distribution in Venezuela
Angel DIAZ
Š N°03-99 : Logistics practices in Venezuela : an exploratory study
Angel DIAZ
Š N°04-99 : Quantifying lean manufacturing in Venezuela automobile assembly plants
Angel DIAZ
Š N°05-99 : On the practical application of multi-echelon inventory models for repairable
items
Angel DIAZ
Š N°06-99 : Conflit d'agence et performance des relais commerciaux, le cas des relations
exportateurs des pays développés importateurs dans un pays en voie de développement
Victor TSAPI
Š N°07-99 : Du comportement d'achat industriel au marketing des relations d'affaires
Tibor MANDJAK
Š N°08-99 : CD ROM et groupware : de nouvelles technologies pour un nouvel
enseignement du marketing
Pierre MORA, Jean-François TRINQUECOSTE

2000
Š N°09-00 : Ingénierie de recherche et de mesure des impacts financiers d'investissement
logistiques des transports : le cas d'une entreprise de soins et services à domicile
Jocelyn HUSSER
Š N°10-00 : Optimizing spare parts is not as easy as one two three.
Angel DIAZ
Š N°11-00 : L'accréditation : une nouvelle forme de production de la qualité dans les
services d'urgence hospitalière
Jocelyn HUSSER
Š N°12-00 : Marque et extension de marque : à propos d'un cas
François DURRIEU, Emmanuelle DELFOUR
Š N°13-00 : Interactions, performance des relais commerciaux et dysfonctionnement de la
filière des biens d'équipements industriels dans les pays en voie de développement
Victor TSAPI
Š N°14-00 : Performances comparées des entreprises publiques et privées : une étude
empirique dans un pays en voie de développement
Jean-Paul TCHANKAM
Š N°15-00 : La création d'entreprise aux Etats-Unis et en France
Christophe ESTAY
Š N°16-00 : A Pricing Model for Clearing End of Season Inventory
Tatiana BOUZDINE-CHAMEEVA, Arthur V. HILL
Š N°17-00 : Methodology of Cognitive Mapping Applied in Group Decision Support
Tatiana BOUZDINE-CHAMEEVA, Mohamed MICHRAFY
Š N°18-00 : A Review of Pricing Models in the Newsvendor Problem
Tatiana BOUZDINE-CHAMEEVA, Vincent BEURRIER, Arthur.V HILL
Š N°19-00 : La crédibilité des régimes de currency board : les enseignements de
l'expérience argentine
Michel DUPUY

2001
Š N°20-01 : Standardisation or Adaptation in International Marketing Communication:
Effects on Awareness Consumer Preference and Perceptions
Carl Arthur SOLBERG
Š N°21-01 : Logistique hospitalière : un remède aux maux du secteur de la santé
Sylvain LANDRY
Š N°22-01 : Exporter trust, Commitment and Marketing Control in Integrated and
Independent Export Channels
Carl Arthur SOLBERG

44
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

Š N°23-01 : Modes of Exporter Governance of Sales Subsidiaries and Distributors in


International Markets, A literature Review and Models
Carl Arthur SOLBERG
Š N°24-01 : Un modèle global de la satisfaction au travail : différence de perception entre
commerciaux et dirigeants
François DURRIEU, Pierre MORA, Christine LAGABRIELLE
Š N°25-01 : Stockless Hybride : une étude de cas
Sylvain LANDRY, Martin BEAULIEU, Hugo RIVARD-ROYER
Š N°26-01 : Le système de chariot de cas : recension des écrits
Sylvain LANDRY, Martin BEAULIEU, Josée PARENT
Š N°27-01 : Le rôle du brevet dans la gestion marketing et commerciale de la jeune
entreprise de haute technologie : résultats d'une étude de cas.
Stéphanie DUMEYNIEUX
Š N°28-01 : Identity and Organizational Commitment
Christophe ESTAY
Š N°29-01 : Systèmes de réapprovisionnement des unités de soins : description et
implications organisationnelles
Jean-Philippe BLOUIN, Martin BEAULIEU, Sylvain LANDRY
Š N°30-01 : The importance of relationship value for the stability of cooperative buyer-seller
relationships in industrial markets
Thomas WERANI
Š N°31-01 : Les distributeurs industriels et la marque: une comparaison interculturelle
Victor TSAPI
Š N°32-01 : Cognitive Mapping Methodology for Understanding of Business Relationship
Value
Tatiana BOUZDINE-CHAMEEVA, François DURRIEU, Tibor MANDJAK
Š N°33-01 : Market Orientation - Marketing and Economic Approach
József BERACS

2002
Š N°34-02: Is there Value in Strategy?
Fran ACKERMAN
Š N°35-02 : La question de l'évaluation dans un école de management
Martine FOURNIER
Š N°36-02 : La stratégie d'opération et l'analyse des ressources : constats et pistes de
recherche
Martin BEAULIEU
Š N°37-02 : Corporate Decision-Making in Emerging Markets: The Internationalization of
Petroleos de Venezuela
Cesar BAENA
Š N°38-02: Business relationships as value drivers?
Agnes WIMMER, Tibor MANDJAK
Š N°39-02 : Valorisation d'une opération de scission à partir d'un modèle d'options réelles :
le cas d'Eridania-Beghin-Say
Pascal BARNETO
Š N°40-02 : Les dynamiques de la création d'entreprises en France et aux Etats-Unis : une
société du salariat face à un environnement entrepreneurial
Christophe ESTAY
Š N°41-02 : Orientation marché et création de valeur par la petite entreprise dans un
contexte de pays en développement
Victor TSAPI, Monique TCHUENTE
Š N°42-02 : The Internationalization of Born Global Internet Firms
Carl Arthur SOLBERG, Jo Håvard BORSHEIM
Š N°43-02 : Management Style in Uncertain Times
Ian M. TAPLIN
Š N°44-02 : Service Failure in online Retailing : a Recovery Opportunity
Betsy B. HOLLOWAY, Sharon E. BEATTY
Š N°45-02 : l’Intelligence économique stratégique ( IES ) : une approche pertinente pour le
management des risques
Claude DELESSE, Gérard VERNA
Š N°46-02 : Valeur et marketing international : une tentative de clarification conceptuelle et
stratégique.
Georges HENAULT
Š N°47-02 : Le marché primeur des grands vins de Bordeaux : une analyse comparée de
leur évaluation sur les millésimes 1999 – 2000

45
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

Philippe BARBE, François DURRIEU


Š N°48-02 : Cultural Values and their Measurements in Consumer Behavior – Cultural Value
Researches in Hungary
Agnes HOFMEISTER TOTH
Š N°49-02 : Orientation clients perçue par les franchisés et implication organisationnelle.
Une approche confirmatoire
François DURRIEU, Claire GAUZENTE, Patrice ROUSSEL

2003
Š N°50-03 : A Method for Designing Superior-Value-adding Marketing Channels
James A. NARUS
Š N°51-03 : La gestion des lits d’hôpitaux : portrait de 4 établissements canadiens
Sylvain LANDRY
Š N°52-03 : La valeur informationnelle du temps : application d’un modèle de duration
Pascal BARNETO
Š N°53-03 : La gouvernance d’entreprise en 2003 : état des lieux
Eric PICHET
Š N°54-03 : L’analyse technique est-elle performante ?
Eric PICHET
Š N°55-03 : Analyse économique et formation
Jean-Pierre LE GOFF
Š N°56-03 : Information, communication, éthique : deux mondes qui s’affrontent
Gérard VERNA
Š N°57-03 : Consumer Purchasing Behaviour for Wine : What We Know and where We Are
Going
Larry LOCKSHIN
Š N°58-03 : A Dyad-network Approach on Inter-firm Collaboration and Partnering within a
Subsidiary Network Context: A Case Study in the Automotive Industry
Maria VELUDO
Š N°59-03 : Network Effects on Business Relationships
Sharon PURCHASE, Maria VELUDO
Š N°60-03 : La logistique hospitalière au Japon
Sylvain LANDRY, Martin BEAULIEU
Š N°61-03 : L’attitude par rapport aux soldes : Définition du concept et de ses antécédents,
analyse exploratoire et proposition d’un cadre conceptuel
Michael KORCHIA, Christine GONZALEZ
Š N°62-03 : The Economic and Marketing Consequences of Advertising Costs
Jozsef BERACS
Š N°63-03 : The Emergence of a Shared Vision in a Group Decision-Making Process :
Modelling Based on a Phase Transition Approach
Tatiana BOUZDINE-CHAMEEVA
Š N°64-03 : Examining the Role of Social Capital in the Knowledge Sharing Process through
the Business Network
Tatiana BOUZDINE-CHAMEEVA, Marina BURAKOVA-LORGNIER

2004
Š N°65-04 : How Do Consumer Choose Wine? Factors that Influence the Purchase Decision
Making in the Wine Category
Agnes TOTH-HOFMEISTER
Š N°66-04 : Evaluation de la qualité des grands vins de Bordeaux : Existe-t-il des
différences significatives entre dégustateurs?
Philippe BARBE, François DURRIEU
Š N°67-04 : Le passif de l’Etat-employeur en France : Evaluation au 1er janvier 2004 à la
lumière de la retraite 2003
Eric PICHET
Š N°68-04 : Managing Organisational Commitment : Explaining Labour Turnover in the UK
Clothing Industry
Ian TAPLIN, Jonathan WINTERTON
Š N°69-04 : Les facteurs-clés de succès des entreprises africaines : Le cas des facteurs de la
performance des entreprises manufacturières de la République Démocratique du Congo
Kéké Edgard MAKUNZA
Š N°70-04 : Un monde corrompu : Réflexions sur le présent et l’avenir du monde des
affaires et du monde tout court…
Gérard VERNA
Š N°71-04 : L’analyse typologique : De l’exploratoire au confirmatoire

46
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

François DURRIEU, Pierre VALETTE-FLORENCE


Š N°72-04 : Impact du processus d’influence du parrainage sportif : analyse du processus
de transfert affectif dans une approche longitudinale
François DURRIEU, Christian LABORDE
Š N°73-04: Organizational Innovation and Change Dissonance: Understanding User
Acceptance of CRM Technology
WESLEY J. Johnston
Š N°74-04 : Stopping rule use during information surch in design problems
BROWNE, Glenn J.
Š N°75-04 : Towards an Integrate value model of Business Relationships
Tibor MANDJAK & Judit SIMMON
Š N°76-04 : Business Relationship Value Matrices : Enabling the theory Building
Tibor MANDJAK ; Judit SIMMON & Tatiana BOUZDINE-CHAMEEVA
Š N°77-04 : Comment les P.M.E. dans le secteur viticole abordent-elles les questions
stratégiques ?
Tatiana BOUZDINE-CHAMEEVA

2005
Š N°78-05 : Le marketing dans les formations sanitaires camerounaises
Victor TSAPI & Marie-Noël ASSENE
Š N° 79-05 : Bifurcation Points in developing Business Relationships in Supply Chain
environnement
Tatiana BOUZDINE-CHAMEEVA & Estelle LOUVEL
Š N° 80-05 : A Theory of Organizational Communication : Organization as Rhetoric.
John A.A. SILLINCE
Š N° 81-05 : Une grille de lecture du marketing au sein des jeunes entreprises de haute
technologie : L’orientation marché.
Stéphanie PETZOLD
Š N° 82-05 : L’évaluation des actifs incorporels dans le référentiel IFRS
Pascal BARNETO
Š N° 83-05 : The shopping experience and the impact of expertise : An exploratory
approach
François DURRIEU
Š N° 84-05 : Jeunes entreprises de haute technologie : La question de l’accompagnement
marketing
Stéphanie PETZOLD
Š N° 85-05 : Pourquoi les marchés financiers sont-ils inefficients ? Rationalité individuelle
versus rationalité collective
Philippe BARBE
Š N° 86-05 : La démarche qualité et la gestion des connaissances: enchaînement ou inter
complémentarité?
Tatiana BOUZDINE CHAMEEVA et Alexandra Mer
Š N°87-05 : ANCOM- 2: a support tool for collective decisions based on causal mapping
Tatiana BOUZDINE CHAMEEVA
Š N°88-05 : Ni gaucho, ni Régent : Quand les abeilles meurent, les articles sont comptés
Alexandre DELANOË
Š N°89-05 : Entreprises et développement durable du territoire.
Laurence EBERHARD-HARRIBEY, François DURRIEU et Jacques Olivier PESME
Š N°90-05 : Inter-Firm Collaboration and Partnering within a Multinational and Network
Theory Approach.
Maria VELUDO
Š N°91-05 : Alberta Heritage Fund : Blessing Becoming Curse ?
Allan A. WARRACK

2006
Š N°92-06 : Attitudes toward seasonal sales : An exploratory analysis.
Michaël KORCHIA
Š N°93-06 : Développer l'exportation des PMI : Une étude des pratiques des entreprises
sous-traitantes françaises.
Valérie BARBAT
Š N°94-06 : Semiological theory of management tools applied to Target Costing in New Product
Development:
empirical inquiry in the French manufacturing industry
Aziza LAGUECIR & Philippe LORINO

47
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

Š N°95-06 : Les entreprises de survie et le développement de certains pays africains : Le


cas de la République Démocratique du Congo.
Allan A. WARRACK
Š N°96-06 : Packaging Design as Resource for the Construction of brand Identity
Ulrich ORTH
Š N°97-06 : La relation Etat-PME à travers l’aide publique :d’une logique hiérarchique à une
perspective relationnelle
Christophe ESTAY
Š N°98-06 : Théorie normative des parties prenantes et cohésion sociale
François LEPINEUX
Š N°99-06 : La responsabilité sociale des entreprises et le modèle socio-économique
émergent
François LEPINEUX
Š N°100-06 : Insurance , Climate Change and the Global Common Good : Emerging
responsibility Strategies in leading Companies
François LEPINEUX
Š N°101-06 : Prix conseillés : une nouvelle source de risque dans la distribution.
Isabelle TRICOT-CHAMARD
Š N°102-06 : Une lecture entrepreneuriale de l’internationalisation des PMI sous-traitantes
Valérie BARBAT & Martine HLADY RISPAL
Š N°103-06 : How large firms create industry norms and legitimacy the Growth of North
Carolina Wine Industry
Ian M. TAPPLIN & R. Saylor BRECKENRIDGE
Š N°104-06 : The effects of brand associations on brand equity, subjective knowledge and
brand interest
Michaël KORCHIA
Š N°105-06 : Les signes de marquage dans l’univers du vin : incidence sur l’attitude et
l’intention d’achat
Michaël KORCHIA & Jérôme LACŒUILHE
Š N° 106-06 : Business Relationship Management and Sociology – Part I: How Economic
Sociology does cope with Business Relationship?
Tibor MANDJÁK ; Zoltán SZÁNTÓ
Š N° 107-06 : Business Relationship Management and Sociology ; Part II : Thoughts about
the social embeddedness of business relationships
Tibor MANDJÁK ; Zoltán SZÁNTÓ ; Annamária ORBÁN
Š N° 108-06 : Business Relationship Management and Sociology - Part III : Theoretical
Model of Business Relationship Management.
Tibor MANDJAK
Š N° 109-07 : Business Relationship Management and Sociology - Part IV: Interfacing the
Market : Business Focused, Network Based Reengineering of a Hierarchy. The Case of the
Hungarian Broadcasting Company
Zoltán SZÁNTÓ ; Balázs VEDRES
Š N° 110-06 : Business Relationship Management: The Case of Hungarian Hospitals
Tibor MANDJÁK ; Judit SIMON ; Zsuzsanna SZALKAI
Š N° 111-06 : Stopping rules inInformation Search in online Wine Purchasing decisions
Tatiana Bouzdine-Chameeva ; Glenn J. Browne ; François Durrieu

2007
Š N° 112-07 : Le vignoble aquitain : entre atomicité et concentration
Marie-Claude BELIS-BERGOUIGNAN, Nathalie CORADE, Frédéric COURET, Jacques Olivier
PESME
Š N° 113-07 : Décisions boursières : de la rationalité optimisatrice à la rationalité limitée
Philippe BARBE
Š N° 114-07 : Why do the Swiss rent?
Steven C. BOURASSA ; Martin HOESLI
Š N° 115-07 : Diversification, risque et performance financière
Frantz MAURER
Š N° 116-07 : La trésorerie des entreprises françaises : tentative d'explication par la
démarche d'engagement crédible
Régis COEURDEROY & Henri KOULAYOM
Š N° 117-07 : Strategic Risk and Return : Self Correcting or Downward Spiraling
Relationships?
Frantz MAURER

48
Cahiers de Recherche CEREBEM BEM – Bordeaux Management School

Š N°118-07 : Panorama 2007 de la sensibilité des entreprises au développement durable et


à la responsabilité sociétale : Recherche - Action
Laurence EBERHARD–Harribey ; François DURRIEU ; Guillaume BARBAT
Š N°119-07 : Des modes d’utilisation du business plan.
Aziza LAGUECIR, Hervé COLAS
Š N° 120-07 : Taille, Structure de l’équipe dirigeante et rentabilité durable des entreprises
dans un contexte de pays en voie de développement.
Jules Roger FEUDJO , Jean-Paul TCHANKAM

2008
Š N°121-08 : Predicting House Prices with Spatial Dependence: Impacts of Alternative
Submarket Definitions.
Steven C. BOURASSA, Eva CANTONI, Martin HOESLI
Š N°122-08 : Rôle du pays d’origine dans la perception de la qualité du vin par le
consommateur africain : une étude menée dans le contexte camerounais.
Victor TSAPI, Paul DJEUMENE, Monique TCHUENTE
Š N°123-08 : House Prices and Bubbles in New Zealand
Patricia FRASER ; Martin HOESLI ; Lynn Mc ALEVEY
Š N° 124-08 :Balancing Exploration and Exploitation: A Formal Comparison of Punctuated
Equilibrium and Ambidexterity.
Tatiana BOUZDINE-CHAMEEVA ; Olivier DUPOUËT
Š N° 125-08 : L'intelligence économique en France : Etat des lieux 2008 et ébauche
d'évolution.
Claude DELESSE
Š N° 126-08 : Are securitized Real Estate Returns more predictable than stock returns ?
Camilo SERRANO ; Martin HEOSLI
Š N° 127-08 : L'entreprise et ses menaces économiques en 2008 : Une tentative de bilan
Bernard SIONNEAU

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