Академический Документы
Профессиональный Документы
Культура Документы
Sociétés n° 95 — 2007/1
142 Activités sociologiques
Sociétés n° 95 — 2007/1
Activités sociologiques 143
Paul BARASCUT
Étudiant en « Master 2 Recherche »
Sociologie, Université Paul Valery
Sociétés n° 95 — 2007/1
144 Activités sociologiques
In Situ donne à voir les interventions visuelles qui peuplent la ville de Paris. Le
début du phénomène est marqué par des bonshommes ronds au regard fantasma-
gorique, les Éphémères de Gérard Zlotykamien. Ils instaurent, vers 1963, cet art
en recyclage permanent qui prolifère sur les longues palissades de Paris alors que
les Halles sont en pleine construction et qu’on restaure le Louvre et la Comédie
Française.
« En 1991-1992, il était déjà difficile de se faire un nom, parce que tu étais
noyé dans la masse », dit le tagueur/grapheur O’Clock, se remémorant l’époque où
il a commencé à taguer jusqu’à devenir, à la fin des années 1990, une référence
en France et au niveau international. Tout comme lui, d’autres artistes témoignent
de la consolidation de l’art urbain, du street art, sur le territoire français. In Situ réu-
nit les intégrants de tribus urbaines qui se frôlent : la pochoiriste Miss Tic côtoie sur
la même page le grapheur Zevs et l’artiste urbain Honet. Ensemble, ils expriment
leurs avis et racontent leurs expériences. Dans cette partie du livre, est abordé aussi
le sujet de la répression policière, qui devient plus effective vers la fin des
années 1990 et culmine, lors du grand nettoyage des murs de Paris, avec la pour-
suite de cent cinquante grapheurs pendant « l’affaire SNCF » en 1999.
Dans la deuxième partie, l’évolution d’un art urbain présente des pages
dédiées à quelques acteurs de cette pratique. Parmi eux, Jonone, Jérôme Mesna-
ger et Space Invader. Le premier, un grapheur nord-américain, est devenu l’un des
piliers de la culture graffiti en France. Il est arrivé au début des années 1980, fonde
le Crew 156 et devient une figure dominante du terrain vague de Stalingrad, le
repère du graffiti français à cette époque. Jérôme Mesnager est le père du person-
nage blanc qui va décorer des murs de la ville jusqu’aux pochettes de compact
disc. Le dessin que Mesnager faisait en passant de la peinture blanche sur son pro-
pre corps avant de se tamponner lui-même sur le mur est maintenant reproduit
avec un pinceau, et même visible sur la Muraille de Chine. Enfin, le Français Space
Invader applique à travers le monde des figures en mosaïque, inspirées de son
homonyme, le mythique jeu vidéo d’Atari. Elles appartiennent à un street market
et peuvent être achetées sur le site Internet de Space Invader, qui remarque :
« L’artiste doit être désintéressé ! Oui, mais il faut bien qu’il vive l’artiste... ».
Face à un éventail d’artistes et d’actions trop vaste pour être exhaustif, In Situ
circule à travers plusieurs techniques d’intervention dans le paysage urbain et en
fournit ainsi une vision complète. Des photos plein la vue, la lecture des interviews
incite à découvrir et à « voyager » dans cet univers de l’art urbain.
Luciano SPINELLI
Chercheur au CeaQ
Université Sorbonne Paris V
Sociétés n° 95 — 2007/1
Activités sociologiques 145
Alberto ABRUZZESE
La splendeur de la télévision. Origines et développement des médias de masse
Traduit de l’italien par Isabelle Mansuy
Paris, L’Harmattan, 2006
Nous voyons que, dans le monde organique, lorsque la réflexion s’affaiblit, s’obscurcit,
la grâce y gagne en degré égal, en splendeur et en souveraineté. Mais de même que l’intersection
de deux droites en deçà d’un point, après un parcours à travers l’infini, soudain se reproduit au-delà,
ou de même que l’image dans un miroir concave, après un recul jusqu’à l’infini, soudain réapparaît
toute proche de nous, de même, lorsque la connaissance a pour ainsi dire traversé un infini, la grâce
est retrouvée ; si bien que, dans le même temps, elle apparaît la plus pure dans une stature humaine
lorsque celle-ci n’a aucune conscience ou bien lorsqu’elle en possède une, infinie, soit :
chez la marionnette ou en Dieu 1.
1. H. von Kleist, Sur le théâtre des marionnettes, Paris, Le Passeur/Cecofop, 1989, p. 37.
2. « Je lui exprimai mon étonnement de l’avoir aperçu à plusieurs reprises dans un théâ-
tre de marionnettes qui avait installé ses tréteaux sur le marché et qui égayait le peuple de
ses petits drames burlesques entremêlés de danses et de chants. Il m’assura qu’il prenait
grand plaisir à la pantomime de ces poupées et me donna clairement à entendre qu’un
danseur, s’il veut progresser, peut en retirer maint enseignement » (H. von Kleist, Sur le
théâtre des marionnettes, op. cit., p. 21).
Sociétés n° 95 — 2007/1
146 Activités sociologiques
3. On renvoie aux pages 23-31 de H. von Kleist, Sur le théâtre des marionnettes, op. cit.
4. Dans cette ligne de pensée, le corps se renforce et se modifie à travers les technologies.
On pense par exemple aux résultats esthétiques atteints au XXe siècle par le corps sportif :
athlétisme, cyclisme, football, moto, ski, tennis, etc.
5. On se réfère, en particulier, au premier et au deuxième chapitre de l’essai.
(A. Abruzzese, La splendeur de la télévision, op. cit.).
Sociétés n° 95 — 2007/1
Activités sociologiques 147
Sociétés n° 95 — 2007/1
148 Activités sociologiques
L’« être mode » indique un état dans lequel le style a atteint le statut de sens et de
fondement de l’expérience. Le pouvoir atteint par le style est le reflet du pouvoir
acquis par la mode. La coïncidence entre langage cognitif et langage performatif
« libère » l’individu du problème de la vérité ou de la fausseté des formes (repro-
ductibilité), à partir du moment où les formes ne disposent plus d’un référent
« externe » (nature, mort, vérité, progrès) avec lequel se mesurer. Le dualisme for-
me/contenu se dissout, et le nouveau sujet précipite vers les médias, qui endossent,
exhibent ou cachent. « Le signe fait sens, le signe devient signification 9. »
Le « moi » qui, dans une dimension dominée par l’empirisme ou par le besoin,
était le « centre » du langage ou du médium parce qu’il se posait comme son réfé-
rent extérieur, est maintenant devenu, dans une dimension ludique du désir, juste
une métaphore du médium ou du langage dont il dispose et dont il est composé.
Il est devenu un médium du médium, une figure de la figure. L’individu coïncide
avec les circonstances, les occasions, les habitudes, les accoutumances, les médias,
en un seul mot avec les looks dont il dispose à un moment donné. L’intérieur est
comme vidé, il se découvre métaphore ou image renversée de l’extérieur. Fiction
et réalité coïncident dans le médium qui est en même temps réalité matérielle et
fiction. Le look ou médium ou style sont en effet des dispositifs concrets qui incar-
nent et stimulent les désirs. Mais ce sont aussi les uniques lieux où l’on crée, où l’on
vit et où l’on se détruit. Les dispositifs réels qui « font naître » la vie historique. Ce
sont les actes créatifs générateurs de passé, de présent et de futur, les dispositifs où
se créent, vivent et se détruisent les images, les désirs, les ambitions. Le look (ou
médium ou style) est alors le seul « lieu », la « limite » infranchissable au-delà de
laquelle l’expérience et la vie semblent se perdre dans le néant.
En d’autres termes, l’art devient un « fait existentiel » 10 : « L’art s’est trivialisé,
il structure la banalité, c’est-à-dire qu’il fait société 11. » Comme si une sorte de
« theatrum/jeu des apparences ou styles ou masques » se créait. Il se produit ainsi
un arrêt du temps où les formes sont des moyens utiles au désir. Dans cet espace
ludique/artificiel (mode), où le soi coïncide avec le style, la dichotomie tradition-
nelle sujet/objet se dissout et vivre signifie « être au monde » 12, c’est-à-dire désirer,
Sociétés n° 95 — 2007/1
Activités sociologiques 149
participer, « être visible » 13. « Habiter redevient un acte poétique 14. » « L’ascétisme,
la retenue, la contrainte, propres à l’éducation judéo-chrétienne ne sont plus de
mise. Seule la consumation de l’instant prévaut 15. » L’imaginaire « qui, ainsi, se
dessine est essentiellement esthétique, celui des vibrations communes. Un état
d’esprit n’ayant plus rien à voir avec le méliorisme du progrès, mais mettant
l’accent sur ce que Kierkegaard nommait “l’infinité des possibles” 16. »
L’imagination sort extrêmement renforcée par les processus de mode, soit
parce que la dimension atteinte par les consumations montre comment la vie quo-
tidienne des individus singuliers est remplie de rêves et d’illusions, soit parce qu’elle
est redécouverte comme une modalité fondamentale pour être au monde. Et « être
au monde » avec la mode signifie se donner nécessairement avec les formes ou les
styles qu’on assume.
La distinction télévision/réseaux doit donc être entendue comme un « saut »
qui se réalise d’une forme à l’autre, d’un médium à l’autre, et donc d’une configu-
ration donnée à une autre. On passe de la dissipation d’une forme à la nouveauté
d’une forme ultérieure : de la désillusion ou la mort à une nouvelle illusion, à une
nouvelle vie ; d’un plaisir dissipé à un nouveau plaisir. On reproduit, de cette
façon, la dynamique anthropologique (et donc la « centralité » anthropologique)
du « système mode ». Il me semble que c’est à l’intérieur même de cette vision des
processus historiques produits par l’image de la mode que doit être liée la dichoto-
mie proposée par Abruzzese.
Cette dichotomie entre télévision et informatique crée une « loupe » ou une
optique qui sera largement opérationnelle dans La splendeur de la télévision, et
dans ses ouvrages successifs L’industrie culturelle et Lexique de la communication :
une loupe ou une façon de regarder un phénomène, le télévisuel, à partir de sa
mort. « La traduction progressive de divertissement en désespoir désigne simple-
ment une condition de fait : le point d’où regarder les modes mêmes, leurs voca-
tions à mourir, ou plutôt à voir par avance, dans la forme même de leur naissance,
leur mort 17. »
La télévision est, en effet, décrite au moment de ses charmes et de ses conta-
gions maximaux. Son instant de « splendeur » est en même temps le moment où
elle commence à s’éteindre.
Antonio RAFELE
13. « Un tel corps n’est construit que pour être vu, il est théâtralisé au plus haut point »
(M. Maffesoli, Au creux des apparences, op. cit., p. 34).
14. M. Maffesoli, Au creux des apparences, op. cit., p. 30.
15. M. Maffesoli, Le rythme de la vie, op. cit., p. 45.
16. Ibid., p. 45-46.
17. A. Abruzzese, Metafore della pubblicità, op. cit., p. 122. Citation traduite de l’italien
par Fabienne Perboyer.
Sociétés n° 95 — 2007/1
150 Activités sociologiques
Stefano CRISTANTE
Media Philosophy. Interpretare la comunicazione-mondo
Naples, Liguori Editore, 2005, 255 p.
Sociétés n° 95 — 2007/1
Activités sociologiques 151
système, pour pouvoir le combattre » (p. 218). Dès lors, le become the media des
premiers cyber-mouvements équivaut simplement à devenir l’opinion dominante.
Une opinion publique considérée par l’auteur comme un « champ de forces »,
déterminé par les pouvoirs des lobby, des ploutocrates et des médias. Ces derniers
représentent le scénario et le terrain de confrontation des forces, mais ils sont
aussi, avec les décideurs, les minorités actives et les multitudes, les acteurs de cette
confrontation car ils déterminent la direction de l’opinion. Cette exploration de la
compréhension du monde à travers la media philosophy est donc riche dans ses
contenus : à partir de l’origine des événements culturels, jusqu’aux nouveaux
rituels de la consommation, à l’art juvénile, aux blogs, mais aussi les conflits poli-
tiques et d’opinion, les violences du G8 de Gênes, le 11 septembre 2001, la guerre
et le war show de la logique télévisuelle.
Media Philosophy signe le début d’une nouvelle réflexion sur les médias et leur
aspect émotionnel, à travers des techniques et des méthodologies qui requièrent
une Erlebnis de la part du chercheur. La communication, selon Cristante, sera
alors la substance du désir de savoir et de la pratique de la connaissance, lorsque
l’ensemble du monde scientifique reconnaîtra sa propre action commune : « La
communication est le nom que les hommes ont choisi pour définir leur propre
nécessité d’établir des relations et de créer des réseaux discursifs. […] Viendra un
temps où université et communauté signifieront la même chose. »
Fabio LA ROCCA
CeaQ – Université Sorbonne Paris V
Sociétés n° 95 — 2007/1