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Le sentier d’Allah

par
AbdulKarîm Jossot
(Tunis, 1927)

Nous sommes à Tunis, en 1912 : c’est un dimanche


Durant ce tapage musical j’avais regardé autour de
matin. Je quitte l’avenue de France et je m’arrête sous
moi et j’avais été surpris de reconnaître plusieurs
les palmiers, devant la cathédrale ; machinalement je
personnages dont les opinions matérialistes étaient
lève les yeux sur le Père Éternel qui, dans un geste
avérées. Que venaient-ils chercher en ce lieu ? Le
bénisseur, semble chauffer ses mains de pierre au-
plaisir qu’ils pouvaient prendre à l’audition du
dessus du portail-salamandre ; puis, poussé par un
prédicateur dominical, dont le cabotinage étai t fort
désir pervers de découvrir, en cette église, d’infâmes
apprécié à Tunis, ne suffisait pas à m’expliquer leur
bondieuseries qui me mettront hors de moi, je suis les
présence ; j’avais une intime persuasion qu’ils étaient
Tunisois qui se rendent à la messe : je gravis les
là pour autre chose : pour s’assurer, par exemple, que
marches et je rentre.
toutes les lumières étaient réellement éteintes dans le
Ô la laideur de ce temple où la lumière pénètre grand ciel vide.
crûment, chassant le mystère ! Il est vrai que les
Et voilà que, du haut de la chaire, tombaient des
fidèles ne paraissent pas venir là pour s’épandre en
paroles dont se délectait en moi le paresseux, le
Dieu : ils sont, pour la plupart affligés d’une foi
rêveur, l’artiste : elles proclamaient que la science n’a
banale, d’une foi mesquine qui se contente de menues
jamais pu fournir une explication plausible du besoin
pratiques et de petites dévotions, d’une foi anémiée,
de croire, latent en chacun de nous ; que le seul
chlorotique.
progrès est l’évolution psychique ; que notre raison
Sitôt le seuil franchi, ils trempent le bout de leurs est bien peu de chose puisqu’elle ne peut s’identifier
doigts dans le bénitier, esquissent un signe de croix avec l’Absolu.
expéditif, un peu honteux, presque imperceptible ; ils
Le prédicateur parlait de la « lumière du cœur » :
attirent à eux une chaise sur laquelle ils appuient les
- Toutes nos facultés s’équipollent, énonçait-il, et
genoux et les coudes ; pendant quelques secondes ils
quand le cœur affirme, l’esprit ne peut nier.
inclinent la tête avec une componction simulée, puis
se redressant, ils jettent des regards circulaires, Il dévoilait l’indigence des intellectuels chez qui le
adressant des sourires, des signes, des saluts discrets cœur n’est pas en équilibre avec le cerveau.
à leurs connaissances. Autour de moi flottaient des fluides de piété ; des
C’est la foi bourgeoise, la foi machinale, héréditaire. prières rôdeuses me frôlaient, cherchaient à me
Combien peu, parmi ces pratiquants, paraissent pénétrer. Je leur avais fermé au nez les portes de mon
rongés du désir de Dieu ! Qu’ils sont rares ceux qui âme ; mais elles se faufilaient insidieusement par les
clament à l’idéal, les embrasés qui voudraient ravir le interstices et réveillaient les vieux souvenirs endormis
ciel ! (Violenti rapiunt illud). de mon enfance mystique : le charme des chants
liturgiques, la griserie de l’encens, toute la fascination
Soudain les orgues se mettent à jouer : de leurs
de la magie cérémoniale.
tuyaux s’échappent des accords tonitruants qui se
prolongent en ondes rythmiques dans les hauteurs de L’ambiance influait sur moi, je me pris à regretter la
la nef. Des nappes d’harmonie montent, s’étendent, foi perdue, mais en me rendant bien compte que
s’étirent, s’allongent, serpentent dans le vide, planent jamais plus, peut être, je ne ressaisirais le levier à
sur l’assistance endimanchée et lentement s’abaissent l’aide duquel on soulève les montagnes.
sur elle ; mais cette musique trop allègre n’enveloppe J’habitais Tunis depuis quelques semaines seulement
pas les fidèles dans une pieuse suavité ; elle ne les : j’avais quitté Paris, écœuré par les mille et un
magnétise point par la douceur des sons, ne les déboires de la vie d’artiste, fatigué par le tohu-bohu
amollit pas en une langueur mystique. occidental, en proie à un commencement de
Bientôt l’autel s’estompe derrière un nuage d’encens neurasthénie, et j’étais venu demander ma guérison à
; des chants s’élèvent et leur arabesque, qui Notre Père le Soleil qui rutile au ciel d’Afrique.
s’enchevêtre dans les volutes de fumée odoriférante, Ayant renoncé à peindre, je lisais beaucoup. Or il est
monté en tournoyant vers les voûtes sacrées, se mêle à remarquer que si nous nous trouvons dans une
aux notes qu’exhalent les orgues, puis avec elles se certaine disposition d’esprit, les livres idoines à la
perd là-haut, tout là-haut, dans le baricolage hurleur renforcer viennent d’eux-mêmes se placer sous nos
des verrières multicolores.

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yeux, comme s’ils étaient apportés par d’invisibles législateur dérouté s’est abstenu de le mentionner
mains. dans le code, évitant ainsi de lui infliger une pénalité.
Le souvenir du serment que j’avais entendu m’incitait On finit par classer l’affaire en décrétant que la
à philosopher, à méditer sur le sens de la vie, à conversion d’AbdulKarîm était une « conversion
rechercher la cause de toutes causes qui, Elle Seule d’artiste ».
Est sans cause. Alors, comme enchantement,
Je relève l’expression :
s’accumulèrent sur ma table de travail les ouvrages
des grands mystiques : Saint Jean de la croix, Et bien ! Soit, messieurs ! Seulement il faudrait nous
Molinos, madame Guyon, Sainte Thérèse, Jacob entendre : vos préjugés de provinciaux tardigrades me
Bœhme, d’autres encore. sont connus : je sais que vous êtes restés à la
conception dix-huit cent-trentarde de Henry Mürger
J’eus bientôt la pensée farcie de leurs élucubrations
et que, pour vous, l’artiste est un abracadabrant
et, naturellement, le laissait transparaître dans mes
personnage, un bohême tout mâchuré de romantisme.
entretiens. Un fervent catholique, à qui je me confiai,
En votre jargon simpliste « conversion d’artiste »
me proposa de me faire connaître un religieux
signifie que la puérile envie de porter un burnous
capable de m’éclairer. J’acceptai : il me conduisit à
m’incita seule à changer de religion. Vous jaugez ma
Carthage, chez les pères blancs.
mentalité avec vos mesures. Remisez vos faux poids
J’eus une longue discussion avec le moine à qui il me pour ne point vous leurrer : je préfère vous renseigner
présenta : je demandai à celui-ci de me fournir moi-même.
l’explication des mystères ; il me répondit que je
« Conversion d’artiste ! » Vous ricanez et vous ne
devais me contenter de croire sans comprendre.
comprenez pas que c’est précisément cela le miracle.
- Mais, lui objectai-je dans l’ancien et dans le
Pour prêcher une âme d’esthète. Allah ne pouvait
nouveau testament abondent des fictions, les
employer qu’un appât : le Beau. Il m’a donc saisit par
allégories, les symboles.
mon coté faible : il m’a montré la pauvreté sainte des
- Non, répondait-il froidement : prenez tout à la lettre. nomades ; Il m’a fait entendre les cantilènes que
modulent les bédouines quand la « guerba » sur
A près avoir consid éré a ve c stup eur cet
l’épaule, elles vont puiser l’eau à la source ; dans le
incompréhensif, je lui tirai ma révérence et… me fis
calme des soirs Il a fait lentement défiler devant moi
musulman.
des caravanes ; Il m’a offert le repos sous les
C’est que l’Islam sans mystères, sans dogme, sans palmiers… Pour me charmer le Généreux a composé
clergé, presque sans culte, m’apparaissait comme la des jeux de lumières et des harmonies de couleurs
plus rationnelle de toutes les religions ; je l’adoptais, admirables qui m’ont plongé dans l’extase ; durant le
estimant que la créature n’a pas besoin de passer par jour son soleil a flamboyé sur moi ; pendant la nuit
l’intermédiaire des prêtres pour adorer son Créateur. ses étoiles ont illuminé mes songes. Puis, du fond du
Dés que fut connue ma conversion, la presse Sahara, Il a fait accourir une puissance mystérieuse,
arabophobe fulmina contre moi, non pas que l’on une force enveloppant, irrésistible : le souffle de
s’indignât réellement de me voir abandonner l’ombre l’islam m’a prosterné, pantelant, sur le sable des
de la croix pour pénétrer dans la clarté du croissant ; dunes ; alors j’ai clamé l’attestation millénaire des
mais je m’évadais avec ostentation de mon époque et croyants : « Allah Est le Plus Grand ».
de ma race, je flanquais un coup de pied dans tout ce Cette exaltation apaisée, j’ai repris mon existence
que l’Occident révère, cela c’était inadmissible. coutumière ; mais bientôt des beautés nouvelles
Piètres psychologues, les acéphales coloniaux ne ravivaient mon enthousiasme tandis que les laideurs
devinaient pas que les cause profondes qui m’avaient européennes m’acheminaient vers le « grand dégoût
poussé à embrasser l’islamisme ; l’impudent qui ».
venait de les scandaliser eut volontiers déambulé dans Un des principaux facteurs de mon abjuration fut la
la vie sans arborer d’étiquette ; ils m’en imposèrent fatigue que me cause la trémulation ponantaise.
une : ils me traitèrent d’original. Regardez-vous roumis ! Considérez votre démence !
Cette qualification dont s’honore tout indiscipliné est, Vous courez à votre affaires, absorbés par l’espoir du
pour la tourbe des ilotes, représentative de la pire lucre, sans cesse agité, fiévreux, inquiet. Vos visages
ignominie : ne pas agir comme tout le monde, n’être sont contractés par les soucis d’argent ou dilatés par
pas conforme, se singulariser d’une façon des satisfactions basses. Si vos traits n’apparaissent
quelconque, se séparer du troupeau, mépriser la pas anxieux et crispés, ils sont distendus par une
majorité, est un forfait tellement exorbitant que le hilarité bruyante, enluminés par les ripailles et les
beuveries. Jamais de calme sur vos masques de chair,
jamais trace d’impassibilité ou de quiétude ; il est rare

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de rencontrer parmi vous une tête grave et
Or, un jour, je reçus la lettre que voici :
majestueuse comme on en voit tant chez les arabes.
Rien n’éclaire vos faces de damnés ; aucune idée Monsieur,
calme et reposante ne s’est incrustée en vos cerveaux Je suis arabe et mon intention première a été de vous
surmenés. Innombrables types sans caractère vous écrire en ma langue ; j’apprends que, malgré vos
vous groupez en troupeaux et grouillez dans les cafés, efforts, vous la balbutiez à peine. Je rédige donc ma
les cinémas, les dancings, les beuglants, les bureaux, lettre en français.
les usines et les casernes. Vous vivez une existence
frénétique, hallucinatoire et démoniaque, une vie hors Le monde musulman discuta longtemps la valeur de
nature qui vous rend horriblement malheureux, mais votre conversion. Le premier j’ai compris que vous
dont vous vous enorgueillissez pourtant et que vous étiez sincère ; mais peut-être pour vous comme pour
appelez « Civilisation ». le philosophe du doute Guyau :

Voulant m’arracher à votre enfer et m’attirer à Lui, « Cesser de se tromper ce ne serait plus vivre ».
Allah me fit prendre un chemin que nul ne parcourut. Vous ne pouvez pas être tout à fait religieux : vous
Quand je songe aux étranges étapes où je bivouaquai, êtes français, par conséquent inapte à embrasser une
il me faut faire appel au peu d’humilité dont je religion quelconque. Et cependant je voudrais vous
dispose pour ne point me considérer comme un élu. voir plus musulman ; vous goûteriez alors la joie de
C’est que je me revois, perplexe, plantant un point l’être d’une façon complète. Quand mes loisirs me le
d’interrogation devant l’obscure racine du mal ; permettront, j’éclairerai votre religion sur ma religion
essayant de stigmatiser les vices de mes tant ignorée par ceux-là même qui ont la prétention
contemporains par la déformation de leurs traits ; de vous l’enseigner.
cherchant partout les tares ; poussant la vérité toute A vous voir vêtu de l’archaïque et noble costume
nue contre les bourgeois pudibonds ; démasquant oriental, on s’imaginerait que vous n’en avez jamais
l’improbité des honnêtes gens ; fustigeant la lubricité porté d’autre : il n’est pas jusqu’à votre physionomie
des hommes vertueux ; faisant descendre de leurs qui ne soit devenue idéalement arabe, mais votre
piédestaux les hautes crapules ; emberlificotant mes démarche parfois vous trahit ; un rien attire votre
b o n s ho m m e s d an s la ta r a b isc o ta ge d e attention et vous fait hâter le pas ; on reconnaît alors
tirebouchonnantes arabesques pour amplifier les le français frivole.
expressions abjectes ou cyniques de leurs visages ;
Les vêtements arabes vous siéent parce que vous les
imprégnant ma rétine d’effroi et d’écoeurement ;
portez en artiste ! Les paroles de l’anglais dans le
emmagasinant en ma vision interne, une abondante
Faustin de Goncourt, me reviennent à la mémoire et,
provision de cauchemars.
sans nulle intention de vous blesser, je vous le jure, je
Pendant trente ans je n’eus d’yeux que pour les me prends à murmurer : « vous n’êtes qu’artiste, vous
laideurs qui posaient devant moi, et quand, à bout de n’êtes que cela ! ».
forces, exténué, saturé jusqu’à la vomiturition, je jetai
Vous avez renoncé à peindre pour écrire : cela
mon crayon, alors le Clément, le Miséricordieux me
s’appelle aller d’un mal à un autre. Cette activité
suggéra l’idée de passer la mer pour venir mouiller
cérébrale ne pourra jamais vous procurer ce que vous
dans le havre islamique.
cherchez : la paix. Quand on embrasse la religion
Vous avez raison ; c’est bien une conversion d’artiste musulmane on ne joue plus avec le feu. Faites comme
que la mienne ; c’est le P.P.C de quelqu’un qui a moi : ne croyez pas à votre intelligence ; ne pensez
toujours trouvé que les enthousiasmes des « sauvages jamais. Je sais que je vous demande de l’impossible.
blancs » étaient injustifiés et qui ne s’est pas adapté
Je suis pour l’impersonnalité ; je suis pour le sacrifice
à leur agitation, à leurs laideurs, à leurs mensonges.
des sentiments personnels. LE « je » si cher aux
Un an après ma conversion, les peuples, en état latins, caractérise bien cette race appelée à disparaître
complet d’ivresse patriotique, vomissaient du sang. : son agitation causera sa perte. L’islam est immobile
La démence occidentale avait atteint son paroxysme. ; à le constater tel, Renan s’imaginait l’avilir.
Loin du carnage, j’abandonnais peu à peu le plan L’immobilité c’est l’Éternité, le progrès tue ; la
exotérique sur lequel je m’étais tout d’abord réfugié civilisation a une fin.
; je m’élançais par-delà les formes extérieures et J’ai honte, monsieur, de paraître raisonner : je suis
scrutais l’hermétisme islamique. ennemi de la pensée ; je méprise mes connaissances
J’avançais peu dans mes cherches, mon ignorance de profanes ; je ne veux jamais avoir confiance en elles.
la langue arabe ne me permettant pas de consulter les Ainsi je jouis d’un bonheur immense. Et, comme je
livres qui traitent du soufisme et aucune tradition de ne suis pas égoïste, je désire le partager avec vous.
ces ouvrages n’ayant été faite en français.

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forme du Prophète, puisque de tous les hommes ce fut
Écrivez-moi donc poste restante au nom de Ghazali
lui qui manifesta l’âme du Monde avec le plus
et postez-moi toutes questions qu’il vous plaira.
d’intensité. Travaillez activement à dessiner en vous
Je vous prie de m’excuser si je signe d’un son icône ; efforcez-vous de sentir sa présence ;
pseudonyme ; j’ai pour cela de très sérieux motifs. persuadez-vous qu’il vous voit qu’il vous entend,
Ghazali. qu’il connaît vos pensées. Entretenez-vous avec lui ;
interrogez-le ; écoutez ses réponses : au début elles
J’avais des motifs non moins sérieux pour ne pas seront formulées par votre inconscient ; peu à peu
répondre à un inconnu : ma conversion m’avait elles vous arriveront d’ailleurs.
signalé à la vigilance des autorités, en cette période
belliqueuse ma correspondance était minutieusement A vivre en perpétuel commerce avec l’Envoyé
examinée par la censure. L’anonyme scripteur était d’Allah, vous finirez par le rencontrer dans vos rêves,
peut-être un policier qui me tendrait des pièges, me un beau jour il vous rendra visite en plein veille :
poserait des questions auxquelles ma brutale durant le « dhikr » il surgira devant vous, dans la
franchise me ferait répondre d’une façon même posture que la votre, ses genoux touchant vos
compromettante. genoux, il vous regardera en souriant et vous le
contemplerez sans frayeur. Alors, devant cette
Néanmoins j’étais intrigué : par certains passages que apparition qui reproduira vos moindres gestes, vous
j’ai jugé bon de supprimer, cette lettre décelait chez comprendrez que Mohammed c’est vous-même.
son auteur une large connaissance des théories
hermétiques. Il n’y avait à Tunis qu’un seul arabe qui Une fois résorbé en la Conscience Universelle, votre
pouvait l’avoir rédigée : c’était un nommé Kh… « Ego » devra encore ascendre : il lui faudra monter,
monter toujours jusqu’à l’ultime degré initiatique où
J’allai le trouver : il me donna sa parole qu’il ne Mohammed, se transfigurant pour la seconde fois,
m’avait pas écrit, et nous cherchâmes vainement devant Ahmed.
ensemble qui pouvait être le pseudo ghazali.
Telle est la voie étroite qui mène à la connaissance.
Je profitai de mon entrevue avec Kh… pour le Bien que la plupart des musulmans ne soupçonnent
questionner sur le mysticisme musulman, lui même pas l’existence de ce chemin secret, vous
demandant de m’indiquer le processus qu’il me fallait pouvez le suivre sans crainte : c’est la Tarîqa, le
suivre pour recevoir l’initiation « soufie ». sentier d’Allah.
- Je n’ai pas qualité pour vous la conférer, me J’eus avec Kh… d’autres entretiens au cours desquels
répondit-il ; mais quand vous serez mûr, vous il s’efforça de dessiller ma vue intérieure :
rencontrerez infailliblement le maître qui fera éclater - Il ne suffit pas, m’apprenait-il, de savoir que l’Âme
en vous la germination des graines mystiques et vous Suprême habite en vous ; il faut encore que vous en
gratifiera de l’illumination. ayez la conviction, et cette certitude que l’on appelle
- Qui est ce maître ? la foi vous ne l’acquerrez que par l’expérience.

- Il se dérobe, sans doute, sous une forme des plus Vous pouvez fort bien connaître théoriquement la
humbles : il peut être le marchand de gâteaux que nation sans pour cela savoir nager : c’est seulement
vous frôlez dans la rue, ou bien l’africain qui vous en vous jetant à l’eau que vous apprendrez à vous
masse au bain maure, ou même le mendiant qui vous maintenir à la surface. De même vous ignorez ce
demande l’aumône. Il suffira que son regard qu’est l’ivresse si vous n’avez jamais bu jusqu’à
rencontre le votre pour que s’établisse entre lui et tituber.
vous la communication télépathique. Il est donc indispensable que vous viviez en Dieu,
Mais vous êtes déjà sur la voie ; vous connaissez que vous le découvriez en toutes choses ; mais
certaines pratiques : les méthodes respiratoires et auparavant il vous faut Le chercher en vous-même.
l’entraînement de « concentration mentale » en usage C’est vous que vous trouverez. Se sentir (en) Dieu !
chez les oculistes. Bien qu’il ne m’appartienne pas de Quel meilleur expédiant pour échapper à l’horreur
vous initier au soufisme, je vais, du moins, tenter de d’être un homme ?
vous éveiller. Prêtez-moi votre attention. Introduisez l’idée de Dieu dans chacune de vos
Alors le mystagogue me conseilla de la sorte : pensées, dans chacun de vos mouvements, dans
- Vous ne connaîtrez Allah que par la méditation de chacune de vos actions : si vous parlez ou si vous
Mohammed (PSL). Cela revient à dire que l’on ne écoutez, si vous êtes assis ou si vous marchez, si vous
saurait atteindre l’Absolu sans une préalable buvez ou si vous mangez, si vous riez ou si vous
immersion dans la Conscience Universelle. Mais pour pleurez, pensez à Lui.
contempler une abstraction il faut la concréter.
Matérialisez donc celle-ci en lui faisant revêtir la

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murmurées pendant des siècles par des millions de
Persuadez-vous bien qu’Allah Est en vous. Que Sa
croyants, sont imprégnées d’une formidable magie
Présence devienne pour vous une inexpugnable
dont profite celui qui les récite ; l’ambiance des
obsession !
mosquées, des synagogues, des temples et des églises
C’est l’autosuggestion ? Qui prétend le contraire ? influe sur le fidèle en oraison, l’apaise et le plonge
Les idées que nous créons sont des (êtres vivants). dans le recueillement : les ablutions, les
Créez Dieu en vous-même. prosternations, tous les gestes rituels sont des
Pour arriver à ce résultat il existe un nombre infini de symboles dont la compréhension lui fournit un
voies : Ghazali, le plus célèbre des soufis prétend efficace adjuvant.
qu’on en compte autant que de souffles. Autrement Encore une fois c’est de l’autosuggestion, pourquoi le
dit : les directives spirituelles varient selon les nier ? M ais qu’est ce que l’autosuggestion ? Et
individus. qu’importe ! L’essentiel est d’implanter dans son
La religion catholique n’offre que les deux sentiers cœur l’idée de Dieu.
préconisés par son Christ : l’amour et la souffrance. Les exercices de piété deviennent évidemment de la
Ils existent aussi dans l’Islam ésotérique, mais en superfétation pour celui dont les regards se fixent en
compagnie d’une multitude d’autres. haut sans discontinuité : « tout ce que vous faites,
La voie la plus facile, celle que suivent la plupart des disait notre Prophète à des bigots qui marmottaient
adeptes, c’est l’abandon. Rien d’étonnant à cela des prières, tout ce que vous faites est inutile si vous
puisque le mot Islam est le nom d’action du verbe n’avez pas Allah pour but et s’Il n’est pas enfermé
(aslama) qui signifie : s’abandonner. dans votre cœur.

Abandonnez-vous ; ne faites plus votre volonté Quand le mystique a crée Dieu en soi, il s’éprend
propre ; obéissez à la volonté d’Allah : si vous pour Lui d’un ardent amour et, comme l’Âme
avancez la main pour tremper votre plume dans Suprême est tout, il la voit partout : il la découvre
l’encre, dites-vous que ce n’est pas votre vouloir qui dans chacun de ses semblables, dans les animaux,
dirige vos doigts vers l’encrier, mais qu’ils y sont dans les plantes, jusque dans les cailloux. Il aime
poussés par une volonté plus puissante que la vôtre. tout. Peu importe alors qu’il soit juif, chrétien ou
musulman : sa religion est l’amour.
Votre corps est l’outil d’Allah : Il le manie à sa guise,
reposez-vous et laissez opérer votre Maître. Kh… est mort. S’il m’a simplement « éveillé » sans
me pousser davantage, c’est que sa mission se bornait
Quand un musulman avance sur le sentier, sa là. A cette époque je n’étais pas prêt : je n’avais pas
première étape est le détachement : il se détache de atteint l’état de conscience qui devait me permettre
tout, renonce à tout. Il lui reste ensuite à s’évader de d’aller plus loin ; il était écrit qu’un autre viendrait
soi-même : nul ne peut naître a nouveau s’il ne meurt me prendre où lui m’avait laissé, car le maître se
préalablement. présente toujours au moment opportun.
La tâche est ardue : elle réclame un sacrifice de tous Des maîtres, il en existe partout, sur toute la surface
les instants ; le temps que l’on passe dans l’agitation du globe, dans toutes les religions et même en dehors
est du temps perdu, du temps volé à Dieu, et les des religions : que ce soient les gourous du
heures de passivité réceptive, les heures au cours Brahmanisme, les Mahatmas du Bouddhisme, les
desquelles on laisse Allah œuvrer en soi, sont les directeurs du catholicisme, les pôles de l’Islam, ou
seules qui soient employées. Comment pourrait-il des philosophes ignorés, partout se trouvent des
s’envoler celui qui s’obstine à s’échiner en remuant le évolués qui ont reçu la charge de faire avancer leurs
fumier du monde ? frères sur le sentier.
J’entends les protestations indignées des incrédules : On peut, à la rigueur, s’y aventurer seul, sans guide,
« c’est de la folie ! » s’écrient-ils. en ne faisant partie d’aucune secte, mais combien
Eh oui ! Gens de bon sens : c’est de la folie, de la plus pénible est la marche ! Que le danger nous guette
folie mystique ; mais récapitulez ce que vous a qui ne sont pas à redouter sous la protection du
rapporté, jusqu’à ce jour votre raison. L’ensemble de maître.
ce que vous lui devez se résorbe dans les deux mots La mort de Kh… laissa désemparés deux de ses
: civilisation, progrès. C’est précisément cette sentine disciples. Je ne les fréquentais pas ; ils éprouvèrent le
que les mystiques cherchent à fuir en édifiant le ciel besoin de se rapprocher de moi pour s’entretenir des
en eux. choses spirituelles. Très vivement attachés au défunt,
Les religions leur offrent une aide puissante : elles ils avaient vécu dans son intimité, et sa perte les
sont des tremplins qui les lancent très haut ; le rite est plongeait dans le désarroi.
un appui ; les prières verbales, toujours les mêmes,

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Nous nous déchaussâmes et nous accroupîmes sur des
C’étaient un français et une française convertis
tapis.
comme moi à la religion du Prophète : (Mlle Myriam
Céréno et Mr Djaffar Eugène Taillard). Quelques instant après, si Ahmed entrait, très grand,
très droit ; il nous salua.
Je les vis fréquemment : ils s’étaient lancés à cœur
perdu dans l’Islam et en observaient avec une grande Cédant à leur émotion Djaffar et Myriam éclatèrent
ferveur toutes les obligations. Très bon arabisant, en sanglots. Moins ému, et surtout moins
Djaffar (traducteur au tribunal de Tunis) possédait démonstratif, je restai impassible.
des manuscrits anciens traitant du soufisme : il les
Le Cheikh prit place ; d’un geste il nous invita à
étudiait et découvrait parfois dans ces parchemins
l’imiter ; un serviteur apporta du thé et des gâteaux.
quelques luminosités qu’il projetait dans mes
ténèbres. Quand à sayida Myriam, véritable sainte, Après s’être tamponné les paupières, Djaffar nous
elle me communiquait un peu de sa foi ardente ; elle servit d’interprète.
me réconfortait quand je tombais dans la sécheresse. Mes deux compagnons semblaient prendre un
Tous deux se rendaient compte de leur impuissance prodigieux intérêt au dessins du tapis, car ils ne les
à avancer sur la tarîqa sans le secours d’un guide. quittaient pas des yeux ; mais, moi, j’examinais le
Quand ils firent la connaissance du secrétaire d’un maître ; lui aussi me dévisagea ; nos regards se
Cheikh Algérien, si Mohammed Laïd leur parla de croisèrent.
son maître et ce qu’il leur donna la conviction que le Si Ahmed Ben Aliwa est âgé de cinquante six ans : il
Cheikh était un haut initié. Ils formèrent le projet a une belle tête de Christ douloureux et tendre. Sa
d’aller le trouver et me décidèrent de les longue barbe offre cette particularité que, noire sur le
accompagner. menton, elle est blanche sur les joues. Le visage
La mentalité occidentale est réfractaire à la maigre, ascétique, a une expression hautaine et
conception du « maître » : Barrès a fait, sur ce sujet, fermée. Dés que les paupières se lèvent, elles
une étude impartiale mais erronée. découvrent des yeux rieurs ; les lèvres charnues
s’entrouvrent en un sourire très doux ; l’homme qui
La « Tarîqa » n’est pas, à proprement parler, une «
parle est tout différent de celui qui se taisait ; les mots
voie » plus ou moins pénible : c’est une succession
s’échappent de sa bouche avec volubilité ; de temps
d’états de conscience de plus en plus élevés. Le
en temps les phrases sont coupées d’un « iya hakka
maître, lui, est parvenu au summum de cette série
sidi ? » (N’est ce pas sidi ?) Quêteur d’approbation.
d’états : il fait participer ses disciples à ses
acquisitions spirituelles. Puis, quand la parole s’arrête, le sourire se fige
brusquement ; le visage se ferme en même temps que
Mais pour cela le disciple doit se livrer à lui sans
s’abaissent les paupières ; le masque reprend sa
restriction : le maître ne peut donner qu’au prorata de
rigidité hiératique.
la façon dont on se donne de lui : il est indispensable
que le cœur du disciple se mette au diapason du cœur Sentant que nous étions éreintés par notre long
du maître, que ces deux cœurs vibrent à l’unisson ; voyage, le Cheikh abrégea l’entrevue : « cette
alors la fusion qui s’opère est telle que le disciple voit chambre, nous dit-il, est celle que je vous ai réservée
le maître en lui-même, que le maître se mire en son ; vous voici chez vous. » Il nous salua de nouveau et
disciple. Plus tard le disciple découvrira en son sortit.
maître le Prophète, plus tard encore Allah. J’examinai le local : un plafond, des murs, des nattes,
Nous partîmes Myriam, Djaffar et moi, pour aller des matelas, des coussins ; M yriam et Djaffar, encore
passer quelques temps auprès du Cheikh Ahmed Ben sidérés, regardaient toujours la porte par où était sorti
Mustapha Ben Aliwa (en 1924). le maître. Je les secouai et les engageai à procéder à
notre installation.
Le moqaddam de la zawiya vint nous cueillir à la
descente du train et marcha devant nous pour nous On apportait nos valises : nous les ouvrîmes et nous
montrer la route. A pied nous traversâmes en tirâmes des costumes arabes. Un quart d’heure
Mostaganem. plus tard nous étions transformés.

Quand nous fûmes à cinquante mètres de la demeure Nous tombions en pleine fête annuelle des alawiyyas
du Cheikh située à l’extrémité de la ville arabe, le : de toutes parts accouraient les « fuqâras ». Il en
moqaddam se mit à chanter d’une voix forte et à venait de tous les coins de l’Algérie ; il en arrivait
plusieurs reprises : « La ilaha illAllah ». C’est la même de Tunisie et l’on attendait un grand nombre
façon dont les alawiyyas annoncent la venue des de Riffains. Nous allions être environ six mille, car
visiteurs de marque. Il ouvrit la porte d’un jardin au cette année les compagnies de chemin de fer avaient
fond duquel nous attendait le salon de réception.

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consenti à tous les alawiyyas une réduction de chacun une bonne parole. Tous les yeux étaient
cinquante pour cent sur le tarif. braqués sur le maître et sur les deux convertis qu’il
traitait ouvertement en amis ; sur nous rejaillissait
Mais voici le Cheikh qui entre chez nous, tout troublé
l’amour que les fuqâras alawiyyas lui ont voué.
; il tend à Djaffar des lettres et télégrammes :
interdiction a été faite aux gens du Riff de passer la On a souvent et abondamment écrit sur les confréries
frontière ; dans la province de Constantine les musulmanes : on l’a toujours fait en se plaçant à
habitants des communes mixtes des Bibans et de l’extérieur alors qu’elles auraient dû être examinés de
Lafayette sont consignés par les Khalifats qui ont l’intérieur ; peu nombreux sont les européens qui ont
ordre de ne pas laisser partir sous peine de pu, comme moi, pénétrer dans une zawiya en qualité
destitution. Quelques fuqâras, ayant voulu enfreindre d’hôte à qui rien n’est caché.
cette défense illégale, ont été jetés en prison ; l’un
Si l’on veut étudier sérieusement les confréries, il est
d’eux se plaint d’être exposé en plein soleil du matin
indispensable de connaître leur origine, de remonter
au soir ; un autre est privé de nourriture et on
au début de l’Islam. Le Prophète enseignait à la foule
l’empêche de faire ses prières.
l’exotérisme islamique ; mais il avait une doctrine
Nous sommes consternés ; mais bientôt nous nous secrète, prolongement de la première, et dont son
révoltons et l’un de nous propose de partir à Alger gendre Ali était le dépositaire : « Je suis la ville de la
pour protester auprès du Gouverneur Général. science, se plaisait-il à répéter ; c’est Ali qui en est la
porte. » Ceux qui voulaient entrer s’adressaient donc
Le Cheikh approuve et part avec nous. Nous passons
à Ali.
une nouvelle nuit en chemin de fer ; le lendemain
matin nous nous présentons au bureau du Au commencement de l’Hégire, tous les savants, tous
Gouverneur. Celui-ci étant en congé, nous sommes les docteurs, tous les ulémas des mosquées
reçus par un quelconque rond de cuir. Après avoir pratiquaient et enseignaient la doctrine ésotérique ;
écouté nos doléances, ce fonctionnaire veut bien nous l’Islam était à son apogée spirituel. Mais sous
apprendre que, la famine étant imminente, le l’influence du luxe effréné des Abbassides, les mœurs
Gouvernement a cru devoir interdire l’exode des se relâchèrent, les croyances aussi. Les ulémas ne
Kabyles pour empêcher de dépenser futilement leurs reconnurent plus l’ésotérisme et se mirent à
économies. persécuter les initiés. Ceux-ci quittèrent Bagdad et se
réfugièrent dans les montagnes ; ils se vêtirent de
En entendant cela, je bondis et je demande si le
laine blanche ; on les désigna dés lors sous le nom de
Gouvernement oserait employer pareil procédé vis-à-
« soufis », le mot « souf » signifiant : laine.
vis des français. Je m’attire cette réplique :
- En l’occurrence il ne s’agit pas de français, mais Un musulman demandait-il à entrer parmi eux ? Ils
d’arabes. commencèrent par l’arracher à son milieu ; lui
coupaient barbe et moustaches ; lui rasaient la tête ;
- Vous établissez donc une différence entre eux ? Les
le revêtaient d’un déguisement burlesque ; lui
balles allemandes n’en faisaient pas.
conseillaient de se livrer à mille excentricités. Alors,
Le remplaçant du Gouverneur me décoche un regard s’il lui arrivait de laisser échapper quelques bribes
mauvais et ne répond rien. Il daigne cependant nous des enseignements qu’il avait reçus, personne
faire remarquer que le Gouvernement ne saurait être n’attachait d’importance à ses paroles que l’on
rendu responsable des sévices exercés sur nos frères considérait comme sortant de la bouche d’un fou. Il
et qu’il faut en accuser les autorités locales. Sur nos évitait ainsi la persécution.
instances il nous promet d’ouvrir une enquête.
Bientôt les soufis devinrent très nombreux ; des
Le lendemain nous étions de retour à Mostaganem. confréries se fondèrent. Chacune de ces associations
Pendant notre absence, d’autres pèlerins étaient pieuses avait à sa tête un maître initiateur. Quand un
arrivés. On en comptait tout de même trois mille. de ces maîtres mourrait, il arrivait fréquemment que
Dans un immense terrain, qui fait face à la zawiya, on son successeur se montre inapte à propager la
avait dressé des tentes sous lesquelles ils s’entassaient doctrine dans son intégralité ; la vérité s’émiettait, se
en sections : ici les gens de Tlemcen et de Bône perdait, et peu à peu cessait d’être promulguée.
(Annaba) ; là ceux d’Oran ; plus loin ceux de Beaucoup de chefs de confréries en arrivant à ne plus
Philippe-ville (Chlef)… .Toutes les villes et tous les considérer leurs fonctions que comme un moyen de
douars étaient représentés. Beaucoup avaient apporté vivre grassement des « ziyaras » offertes par leurs
de grands samovars en cuivre et faisaient le thé en adeptes.
plein air.
De nos jours la plupart des confréries sont dirigées
Escorté par Djaffar et par moi, le Cheikh passait au par des jouisseurs qui ne songent qu’à se procurer
milieu des groupes, s’arrêtait ici et là, trouvant pour facilement le bien-être matériel. Recherchant les

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faveurs gouvernementales, ils fournissent en échange don oratoire, il tenait à son idée et n’en voulut pas
certains renseignements, « rendent des services ». Ces démordre. Je me mis au travail.
tristes personnages ont des intérêts communs avec les
Quand j’eus terminé, j’allai, en compagnie de mon
ulémas des mosquées (sous l’influence du
maître et ami, flâner parmi mes coreligionnaires : tous
wahhabisme). Jaloux de leurs prérogatives, ces deux
savaient que j’étais l’hôte de leur chef : tous voulaient
derniers prétendent que l’ésotérisme ne repose sur
m’embrasser. Mes bons frères m’étouffaient ; jamais
aucune base sérieuse ; ils le déclarent contraire à la
mes lèvres ne s’étaient posées sur tant de barbes
religion et décrétèrent que seule l’orthodoxie fait foi.
rudes ; jamais mes joues n’avaient été baisées par tant
Aussi quand, par extraordinaire, surgit un maître de bouches masculines. Mais ces étreintes étaient
initiateur tel que le Cheikh actuel des alawiyyas, tout tellement sincères, je me sentais entouré de tant
le monde crie « haro » sur lui et sur ses disciples ; on d’amour que je n’éprouvais aucun dégoût à serrer
met tout en œuvre pour le dénigrer et le combattre : contre moi le burnous loqueteux d’un bédouin
c’est un gâte-métier. famélique, à rendre à celui qui le portait ses
fraternelles accolades.
Si Ahmed Ben Aliwa, en effet, ne s’occupe pas de
politique ; il ne recherche pas les honneurs et reste Vint la nuit : des lumières s’allumèrent ; les fuqâras
indépendant ; il n’exige de ses adeptes aucune se groupèrent en une seule assemblée et entonnèrent
cotisation annuelle et refuse leurs offrandes. C’est un leurs chants dont la plupart des refrains ramenaient le
soufi hautement initié qui se contente de préparer les message du Prophète : « Lâ ilâha illAllah » (rien
âmes de ses fuqâras à leurs destinées futures, à ce n’existe, Dieu Seul Est).
retour signalé par le Qoran : « d’Allah vous êtes
A la suite du Cheikh nous fîmes une trouée dans leur
partis ; à Lui vous retournez » (nous appartenons à
compacité : il nous fallut enjamber des personnes
Allah et à Lui nous retournons).
accroupis, nous appuyer sur un genou ou sur une
L’intelligence la plus lucide serait impuissante à épaule ; on en profitait pour nous saisir et nous
découvrir le chemin qui conduit aux régions embrasser la main. Nous prîmes place à terre, en
supérieures ; le cœur seul peut en trouver l’accès et pleine foule. T ous les yeux étaient braqués sur nous
c’est sur lui que notre Cheikh bien aimé impose ses : il y avait là d’étranges têtes de « majdoubs »
mais pleines de bénédictions. désorbités, mais aussi de beaux et calmes visages
reflétant le sérénité de l’illuminé.
De nombreuses attestations prouvent que, grâce à ses
exhortations, des confréries entières, véritables Cette nuit-là, j’ai laissé volontairement sombrer ma
repaires de bandits, sont maintenant pacifiées et que personnalité dans l’âme collective ; j’ai balancé le
leurs habitants ont tous été transformés en honnêtes torse de gauche à droite et de droite à gauche pour
gens incapables de commettre la plus légère suivre le rythme de la « qacîda » que, sur un mode
peccadille. aigu, criait un gosse d’une dizaine d’années et je me
suis surpris à chantonner le refrain clamé par trois
Il ne faut pas confondre la confrérie des alawiyyas
mille gosiers.
avec les autres sectes religieuses dont les
enseignements n’ont rien d’ésotérique : elle se Ah ! Que j’étais loin de Paris, de ses cénacles, de ses
rattache directement à celle des darqâwas par une coteries ! Quinze ans déjà se sont écoulés depuis que,
filiation spirituelle comportant seulement trois pour la première fois, j’ai prononcé la « chahâda » ;
transmissions de maîtres à disciples devenus maîtres mais jamais je n’ai aussi profondément ressenti
à leur tour. l’orgueil et la joie d’appartenir à l’Islam.
Quant à la confrérie bien connue des darqâwas, elle Et cela je ne l’aurais pas éprouvé si je ne m’étais
remonte, par ses préceptes et ses méthodes affilié à la confrérie des alawiyyas.
d’entraînement, au grand maître initiateur sidi Abil
D’un signe de la main le Cheikh fit taire les chanteurs
Hassan A-Chadhili qui, à Tunis, vers la fin du
; il se pencha vers moi et me pria de prononcer mon
quatrième siècle de l’Hégire, guidait des disciples sur
allocution.
le sentier de la sainteté.
Bien que je fusse en proie au trac du débutant, je me
Ainsi, de maître, nous est parvenue le dépôt occulte
levai et ce fut néanmoins d’une voix forte et assurée
et sacré dont sidi Ali Ibn Abi Talib, gendre du
que je débitai ce qui suit :
Prophète, fut le premier gardien.
Alhamdoulillah !
Le surlendemain de mon arrivée, le Cheikh me
demanda de préparer un discours en français et de le « Maître ! Frères »
prononcer devant les fuqâras assemblés. J’eus beau Ce soir je prends la parole en public pour la première
me récuser en lui affirmant que je ne possède pas le fois et comme tout ce qui m’arrive revêt une

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apparence paradoxale, il est divertissant de constater composent ignorent le premier mot de l’ésotérisme
que je m’exprime en français devant plusieurs islamique. Quand je cherchais le maître je ne le
milliers d’auditeurs dont la plupart ignorent ma trouvais pas ; lorsque je l’ai appelé il m’a envoyé son
langue. Mais je suis bien tranquille : mes frères disciple préféré et lui a confié la mission de me
alawiyyas me comprendront ; ils prêteront peu conduire auprès de lui.
d’attention aux vocables que ma bouche profère ; par
Me voici à ses pieds, parmi vous, fuqâras mes frères,
contre, ils constateront que leurs cœurs et le mien
et jamais je n’ai éprouvé d’aussi intenses sensations
vibrent à l’unisson. Peu leur importeront, dés lors, les
; jamais je ne me suis senti immergé dans tant de
paroles, qui s’envolent.
bonté, dans tant d’amour. Il me sera désormais
On vous a dit que je viens de Tunis ; je viens de bien difficile de vivre ailleurs. Je vais bientôt retourner en
plus loin : j’arrive de la région ténébreuse où les âmes mon Bordj de sidi BouSaïd ; j’espère ne pas y rester
errent, désemparées, à la recherche d’idéal. Je suis un longtemps et revenir ici terminer mes jours en paix,
évadé de l’enfer occidental : durant de longues en vivant l’ardente vie intérieure du mystique, en
années je fus ballotté par les remous de l’agitation répétant inlassablement le Nom Divin : Allah ! Allah
moderne ; j’eus des transports d’espoir fou suivis de !
crises angoissées ; je crus et je doutai ; je lus, je priai
Ayant fini, je m’accroupis de nouveau aux cotés du
; puis je retombai dans l’agnosticisme.
Cheikh ; les chants reprirent et continuèrent jusqu’à
Cependant Allah n’abandonnait pas son élu : pour ce que sur un nouveau signe de si Ahmed Ben Aliwa,
m’amener à Lui, Il me poussa dans des chemins tous les fuqâras se turent brusquement et se mirent
détournés : devant mon âme d’artiste, devant mon debout.
âme éblouie, Il fit miroiter les splendeurs orientales
Beaucoup d’entre eux se débarrassaient de leurs
; à l’assoiffé de justice que je suis Il dévoila les
burnous et les jetaient autour de nous. Bientôt nous
iniquités qui se commettent sur le terre africaine ; à
fûmes isolés par une muraille de vêtements. Pressés
l’éperdu d’infini, Il montra les minarets des
les uns contre les autres, chacun tenant dans sa main
mosquées.
la main du voisin, fléchissant légèrement les genoux,
Il plaça sur ma route un soufi qui m’éveilla. Cet initié les fuqâras commencèrent le « dhikr » . De milliers de
m’avait appris que le maître accourt toujours quand poitrines s’exhalaient des sons farouches, terrifiants.
on l’appelle. Je m’en suis souvenu à l’heure de la Une sorte d’aspiration, qui semblait tirée des ventres,
désespérance et j’ai tendu dans le vide mes bras était suivie d’un renvoi rauque, et cela recommençait
suppliants. Quelques jours après je recevais la visite sur un rythme à deux temps, s’accélérait… Parfois un
de sidi Mohammed Laïd Chérif. Nous nous assîmes cri jaillissait de la foule haletante ; c’était un «
dans mon jardin, au bord de cette admirable baie majdoub » qui tombait, terrassé, ne pouvant supporter
carthaginoise qu’encadrent des collines violacées. la puissance de la syllabe qu’il proférait, le « Hou »
Durant toute une après midi sidi Mohammed Laïd me final de « Allahou ».
parla de son maître en termes enthousiastes que je lui
Et c’était hallucinant de se trouver en pleine nuit,
demandai si ce maître consentirait à m’accepter pour
emprisonné comme je l’étais, dans un espace étroit de
disciple.
quelques mètres, entouré d’une masse compacte de
Sidi Mohammed me conseilla de m’adresser plusieurs milliers de bédouins exaltés qui poussaient
directement au Cheikh ; je me mis en route pour venir toujours, avec une frénésie de plus en plus
le trouver et voilà comment il se fait que je suis ce véhémente, leur terrifiant « Hou, Oûh ! ».
soir parmi vous.
Le Cheikh leva la main. Comme par magie,
Maintenant que vais-je faire ? Que suis-je venu l’incantation s’arrêta net ; il eut un silence de
chercher ici ? Tout simplement la méthode quelques secondes. Après quoi, sur une nouvelle
d’entraînement qui me mettra en état d’Ihsan. cadence et très doucement, très lentement, repartirent
les exclamations simultanées : « Hou ! Hou ! Hou !
On distingue, vous le savez, trois degrés dans la
Hou !... » Bientôt elles se ralentirent, s’affaiblirent de
religion : l’Islam, l’Iman, l’Ihsan. Celui qui se tient au
plus en plus, s’éteignirent…
premier degré est le croyant non pratiquant, mouslim
(musulman) ; au deuxième degré il observe les La foule se disjoint ; des mains prestes s’emparèrent
obligations cultuelles et devient moumen (croyant) ; des burnous qui nous entouraient, démolirent la
enfin, au troisième degré il avance dans la réalisation muraille des vêtements.
de l’unité : c’est un soufi.
Enfin délivrés nous nous levâmes et traversâmes le
Parvenu à ce stade, l’aide d’un maître lui devient campement. Les fuqâras regagnaient leurs tentes. Il
indispensable. Où le découvrir ce maître ? Certes pas me fallut encore me laisser baiser les mains, les joues
dans la camarilla des mosquées, car les gens qui la et répondre aux salutations et aux accolades.

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tel aussi bien en nous-même qu'au dehors. Il n'y a
Durant trois jours que dura la fête, le Cheikh fut fort
qu'un monde : c'est celui-là.
accaparé ; mais quand eût disparu le dernier des
pèlerins il put nous consacrer la plus grande partie de Ce que nous considérons comme le monde sensible,
son temps. le monde du fini ou temporel, n'est qu'un ensemble de
voiles cachant le monde réel. Ces voiles sont nos
Nous allions quotidiennement le rejoindre au bord de
propres sens qui ne nous donnent pas la vision exacte
la mer, au pied d’une falaise, à un endroit où il faisait
des choses, mais qui, au contraire, en empêchent et
construire une maisonnette qui devait lui servir de
limitent la pleine perception : nos yeux sont les voiles
résidence estivale.
de la vraie vue ; nos oreilles un voile de l'ouïe
Les ouvriers qui travaillaient à cette construction véritable, et ainsi des autres sens. Pour se rendre
étaient tous des fuqâras attachés à la zawiya ; tous compte de l'existence du monde réel, il faut faire
portaient au coup le chapelet des alawiyyas. Quand tomber ces voiles que sont les sens ; il faut en
nous nous descendions le sentier menant à la mer, il supprimer tout fonctionnement, fermer les yeux, se
s’en trouvait toujours un pour nous apercevoir de loin boucher les oreilles, s'abstraire du goût, de l'odorat,
et pour annoncer notre arrivée par un retentissant : « du toucher. Que reste-t-il alors à l'homme ? Il reste
Lâ ilâha illAllah ! ». Le Cheikh venait à notre une légère lueur qui lui apparaît comme la lucidité de
rencontre, nous conduisait sous une tente qu’il s’était sa conscience. Cette lueur est très faible à cause des
fait dresser à proximité du chantier : nous nous voiles qui l'entourent ; mais il y a continuité parfaite
accroupissions sur des tapis ; on nous servait du thé entre elle et la grande lumière du M onde infini. C'est
parfumé à la menthe et l’on nous apportait aussi de dans cette lueur que se concentre alors la perception
rouges tranches de pastèques. du cœur, de l'âme, de l'esprit, de la pensée.
Si Ahmed Ben Aliwa nous parlait de son maître al- Le « dhikr » du Nom divin, du Nom de l'Infini «
Bouzaydi, nous contait comment il l’avait connu. Lui Allah » est comme le va-et-vient qui affirme la
était tout jeune et déjà affilié aux aïssawiyyas. Ayant communication de plus en plus complète jusqu'à
cessé de s’y adonner, il continuait cependant, pour se l'identité (entre) les lueurs de la conscience et les
distraire, à charmer des serpents. éblouissantes fulgurations de l'Infini. Cette continuité
Un jour al-Bouzaydi se trouva devant lui et lui parla étant constatée, notre conscience peut, par le « dhikr
ainsi : », couler en quelque sorte, se répandre dans l'Infini et
- On m’a dit que tu fascines et que tu domptes tous fusionner avec lui au point que l'Homme arrive à se
les reptiles ; je serai curieux d’admirer ton talent. rendre compte que seul l'infini est, et que lui,
l'Homme conscient, n'existe que comme voile.
- Rien de plus simple, répondit le jeune Ahmed ;
demain j’irai chercher un serpent dans la montagne et Une fois cet état réalisé, toutes les lumières de la Vie
lui ferai exécuter des tours devant toi. Infinie peuvent pénétrer l'âme du soufi et le faire
participer à la Vie Divine ; il est en droit de s'écrier «
Il vint en effet le lendemain avec une petite vipère et Je suis Allah ! ». L'opération qui lui reste à
la fit travailler devant al-Bouzaydi. poursuivre est si subtile, tellement délicate, qu'il est
- C’est fort bien, concéda celui-ci ; mais ta vipère est nécessaire que l'esprit soit dégagé des préoccupations
petite. Pourrais-tu dompter un serpent plus gros ? de tous genres et que le cœur reste vide.

- La taille n’y fait rien : je me charge de dresser tous Ainsi palabrait notre Cheikh jusqu’à l’heure du
les serpents, si gros qu’ils soient. Maghrib. Quand le disque rouge du soleil s’enfonçait
dans la mer, un faqîr lançait l’appel à la prière. Tous
- Pourtant, repris al-Bouzaydi, il en est un, véritable
les ouvriers abandonnaient leur travail et nous allions
monstre, dont tu aurais moins facilement raison.
nous mêler à eux ; nous nous alignions sur des nattes
Veux-tu que je te la nomme ? C’est ton « nafs », ta
grossières, derrière le Cheikh qui faisait fonction
nature inférieure. C’est elle qu’il faut dompter, ce
d’imam.
sont tes passions que tu dois vaincre. Tu sais qu’il y
a deux sortes de guerre sainte ? La petite et la La prière terminée, nous remontions en compagnie
grande… La première est le combat qu’on livre aux des fuqâras maçons, le sentier abrupt qui escalade la
infidèles ; la seconde est la lutte contre soi-même. falaise et tous nous rentrions à la zawiya.

- A partir de ce jour, continuait le Cheikh, al- Le Cheikh me déclara :


Bouzaydi me prit comme disciple et voici ce qu’il - Vous êtes suffisamment avancé sur le chemin de la
m’enseigna : connaissance : il ne vous reste plus qu’à obtenir
l’illumination, c'est-à-dire l’élargissement de
L'infini ou monde de l'Absolu, que nous concevons
conscience qui vous permettra de réaliser par le cœur
extérieur à nous, est au contraire universel et existe

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ce que vous avez cérébralement acquis. Pour cela
Quand on fut hors du sable, on fit halte. Le Cheikh
résinez-vous à entrer en « khalwa ».
me tendit la main ; puis je me tournai vers les fuqâras.
- Qu’est ce que la « khalwa » ? Lui demandai-je. Tous voulurent m’étreindre et m’embrasser une
dernière fois. La lueur des lanternes me permit de
- C’est une cellule dans laquelle je place le
constater que beaucoup d’entre eux avaient les yeux
récipiendaire après qu’il m’a juré de ne pas en sortir,
humides. Mohammed Laïd, Djaffar et Myriam
s’il le faut, avant quarante jours. Dans cet oratoire,
montèrent avec moi dans le break pour
son unique occupation est de répéter, sans arrêt, jour
m’accompagner jusqu’à la gare ; le cocher toucha le
et nuit, le Nom Divin, en prolongeant chaque fois la
cheval de son fouet ; j’aperçu encore, dans la zone
dernière syllabe jusqu’à épuisement du souffle.
lumineuse, des mains éclairées qui s’agitaient ; puis
Auparavant, il doit réciter soixante quinze mille fois
tout rentra dans la nuit.
la formule de la « chahâda ». Durant la journée il
observe un jeun rigoureux qu’il rompt seulement le Maintenant que je ressasse, à distance, la retraite que
soir. je fis à Mostaganem, je constate que l’enseignement
du Cheikh est le plus simple, mais aussi le plus sûr,
- Combien de temps reste-il enfermé ?
de ceux qui me furent donnés ; pour aller au Père les
- Certains fuqâras obtiennent l’illumination soudaine, chrétiens passent par le fils, les théosophes par le
au bout de quelques minutes ; il en est d’autres pour logos ; Kh… lui-même, me conseilla de m’attacher à
qui cela nécessite plusieurs jours ; d’autres plusieurs Mohammed pour qu’il me conduise à Allah.
semaines. Je connais un faqîr qui l’attendit huit mois.
Le Cheikh des alawiyyas, lui ne propose aucun
Chaque matin il réintégrait la khalwa en me disant :
intermédiaire ; par sa méthode chacun a la faculté
« mon cœur est encore trop dur », finalement ses
d’ascendre l’ultime sommet et cette méthode consiste
efforts furent récompensées.
simplement à répéter : « Allah ! Allah ! ».
Mon départ eut lieu quelques jours après. Quand on
Tous les mystiques pratiquent la « concentration
vint me prévenir que l’heure était arrivée, je me levai
mentale » c’est un exercice qui exige une grande
pour prendre congé du Cheikh avec qui je conversais.
persévérance ; beaucoup renoncent à s’y adonner
Lui aussi se mit debout et me dit :
parce que la ténacité nécessaire leur fait défaut. Avec
- Nous ne nous quittons pas encore : je vais vous la méthode Alawi, l’esprit se concentre sans effort sur
accompagner un peu pour ne pas fatiguer le cheval. le mot que les lèvres prononcent : c’est en clamant le
Nous marcherons jusqu’à ce que la voiture sorte du Nom Divin, en l’ayant constamment à la bouche, en
sable et arrive sur la route. le dessinant en lettres gigantesques dans son cœur,
Dehors, dans la nuit, les fuqâras attachés à la zawiya, que le pérégrin de l’infini avance sur le « Sentier
au nombre d’une trentaine, nous attendaient. Un d’Allah ».
cortège se forma dont je pris la tête au coté du Cheikh
; immédiatement derrière nous s’étaient placés AbdulKarîm Jossot
Mohammed Laïd, M yriam et Djaffar qui, eux,
restaient encore quelques temps auprès du maître. Faqîr Alawi
Venaient ensuite le moqaddam de Tlemcen et celui
de Mostaganem ; puis, en un groupe impact, suivaient
les trente fuqâras ; le break qui devait me conduire à
la gare, fermait la marche et ses deux lanternes
allumées éclairaient fantastiquement notre petite
troupe.
Nous avancions en silence. Soudain le moqaddam de
Tlemcen lança dans la nuit les premières notes d’un
chant dont les paroles sont d’ »un poète connu. Après
chaque couplet son confrère de la zawiya reprenait le
refrain que Djaffar me traduisit :
Allah ! C’est à Toi que nous allons !
Nous allons à Toi Allah !
Cette marche nocturne faisait sourdre en nous une
poignante tristesse ; derrière moi j’entendais
sangloter mes trop sensibles compagnons.

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