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Psychomotricité

CHEZ LE MÊME ÉDITEUR

Dans la même collection :

MÉDECINE PSYCHOSOMATIQUE, par A. HAYNAL, W. PASINI et collaborateurs.


1997, 3e édition revue et corrigée, 344 pages.

Autres ouvrages :

LA RELAXATION THÉRAPEUTIQUE CHEZ L’ENFANT, par J. BERGÈS, M. BOUNÈS.


1996, 2e édition, 184 pages.
Psychomotricité

sous la direction de

André CALZA
Psychanalyste, psychomotricien, psychologue,
hôpital Lenval, Nice

Maurice CONTANT
Psychologue clinicien, psychomotricien,
I.E.P.S., Saint-Jeannet,
hôpital Lenval, Nice

3e édition
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© 2007, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.


ISBN 978-2-294-70135-1

ELSEVIER MASSON SAS, 62, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex


COLLABORATEURS*

Gabriel ALLEMANY, psychomotricien.


Françoise CANCHY-GIROMINI, psychomotricienne, directrice de l’école de psy-
chomotricité, Université Paris VI.
Albert C ICCONE, psychologue clinicien, docteur en psychologie, psychana-
lyste, professeur de psychologie clinique et de psychopathologie.
Jacques DEITTE, psychomotricien, psychothérapeute.
Françoise DESOBEAU, psychomotricienne.
Anne GATECEL, psychomotricienne, psychologue clinicienne, enseignante.
Barbara GRIS, psychomotricienne.
Jean-Baptiste G UILLAUMIN, psychomotricien, psychologue clinicien.
Denise LIOTARD, psychomotricienne, auteur, chargée d’enseignement en psy-
chomotricité.
Olivier MOYANO, psychomotricien, docteur en psychologie et psychopatholo-
gie cliniques, chargé d’enseignement.
Marc RODRIGUEZ, psychomotricien, psychologue, docteur en psychologie cli-
nique.
Geneviève PLATTEAU, psychomotricienne, thérapeute familiale et formatrice.
Bernard SAGE, psychomotricien, psychologue clinicien.
Jean-Luc SUDRES, psychomotricien, psychologue clinicien, maître de confé-
rences.
Daniel VIGNE, psychomotricien.

* Dans le cadre de cet ouvrage, tous nos collaborateurs ont une expérience
clinique de psychomotricien et ont participé à l’évolution de la recherche en
psychomotricité.
PROLOGUE

Cette nouvelle édition, plus de dix ans après la première parution de


l’ouvrage, constitue une occasion propice, au regard de l’évolution cli-
nique actuelle, pour poursuivre la réflexion engagée alors dans le
domaine de la motricité.
Nombreux sont les domaines psychopathologiques dans lesquels la
motricité est impliquée dans sa corrélation avec la morbidité : de
l’hyperkinésie de l’enfant (dit instable) à la conduite anorexique privi-
légiant les comportements hyperactifs à des fins de consommation
calorique, en passant par les conduites addictives de tous ordres. Autant
de problématiques de la dépendance qui engagent le surinvestissement
du corps et de la motricité.
Les nouvelles pathologies mettent l’accent sur l’agir au détriment du
psychique lorsque ce dernier est en souffrance de symbolisation. Il
serait néanmoins simpliste d’affirmer que la motricité s’oppose à la
symbolisation, qu’elle accompagne généralement. La question plus
fondamentale qui se pose est celle des liens unissant motricité et acti-
vité de symbolisation dans leurs corrélations positives et négatives.
Quand S. Freud élabore la règle fondamentale à travers la métaphore
du train — métaphore favorisant le transfert pulsionnel de l’appareil
moteur vers l’appareil visuel et le langage (verbal) —, il suppose que
l’analysant dispose de la possibilité d’effectuer de tels transferts intrapsy-
chiques et de la capacité à réaliser ce mode de symbolisation, suspendant
motricité et perception, dispositif qui favorise de ce fait l’intériorisation
motrice.
A. Green souligne qu’il y a transfert sur le langage, et R. Roussillon
complète en précisant que le transfert sur la parole et le langage, modi-
fiant leur statut, tendrait à devenir l’agent d’un appareil d’action.
In fine, le travail psychanalytique consiste à transformer cette action
en une forme de jeu, et permettre le travail de mise en sens nécessaire à
l’appropriation subjective. Mais si l’analysant ne dispose pas de cette
capacité à symboliser ces modalités lorsque la motricité est trop enga-
gée (érotisée?) pour être suspendue, le cadre, loin d’être perçu comme
un étayage à la symbolisation, est ressenti comme une menace pour le
fonctionnement psychique, comme une forme d’influence qui menace
l’identité du sujet.
Néanmoins, on constate que, d’une manière générale, le lieu de la
cure repose sur la suspension de la motricité et de la perception qui
VIII Prologue

favorise l’intériorisation motrice — temps fondamental qui rejoint le


modèle du rêve dans la vie nocturne.
La psychomotricité est concernée initialement par ce moment clé,
pour deux raisons essentielles. Tout d’abord, son cadre thérapeutique
n’inclut pas la suspension motrice et perceptive, mais elle en favorise
bien au contraire l’expression. Et, d’autre part, ses indications sont réser-
vées au traitement de patients en souffrance de symbolisation primaire.
La question qui se pose alors est celle-ci : comment cette motricité
en excès, traduisant une nécessaire décharge compulsive d’une excita-
tion psychique, non liée, va-t-elle pouvoir accompagner, ou non, la
symbolisation primaire?
Ce cadre thérapeutique particulier, propre à la pratique psychomo-
trice, doit favoriser la régression vers une expérience antérieure trau-
matique non symbolisée, passage qui s’effectue ici par l’acte psychique
et moteur. La compulsion de répétition prise dans le transfert devient le
levier thérapeutique révélateur du trauma.
Rappelons que pour D.W. Winnicott, toute expérience traumatique
passée, non symbolisée, se présente au sujet comme expérience à venir.
Autrement dit, le comportement qui se laisse observer dans l’ici et le
maintenant de la séance constitue la réédition motrice d’une expérience
psychique antérieure qui n’a pas pu se mettre au présent du moi. Elle ne
pourra acquérir un statut historico-pulsionnel que dans la mesure où le
cadre thérapeutique favorisera cette présentification qui avait échoué
antérieurement. Il s’agit donc pour le patient de revivre émotionnelle-
ment, dans la séance et dans le transfert, ce à quoi il s’était rendu affec-
tivement et psychiquement absent.
Une fois défini le cadre thérapeutique, nous essayerons d’en préciser
les modalités processuelles. En effet, les indications de la psychomotri-
cité se condensent autour d’une thématique centrale : la décharge pul-
sionnelle qui se traduit par une extériorisation motrice en quête de
liaison psychique. L’enjeu devient alors l’intériorisation motrice et la
liaison psychique à partir de la prise en compte de ce qui s’y oppose.
Comment le thérapeute va-t-il créer les conditions de la transformation
de la répétition en espace de jeu potentiel?
D.W. Winnicott recense trois types de jeux qui en permettent le
déploiement : le jeu du coucou ou « cherche-moi », le jeu de la spatule,
le jeu de la destructivité†.
En effet, ce déploiement requiert deux conditions : la potentialité que
le patient porte en lui à son insu, et la capacité du thérapeute à rentrer

† CALZA A., CONTANT M. — Le symptôme psychosomatique, Ellipses, Paris,


2002.
Prologue IX

en contact avec ce jeu potentiel. Le thérapeute va proposer des hypothè-


ses comportementales, motrices, incluant tous les canaux de communi-
cation. À cette manière d’établir le contact avec la réalité psychique du
patient, ce dernier réagira par une négativité en acte. L’interprétation
des formes de cette négativité constitue la base même de la subjectiva-
tion et de la transitionnalité ramenant la relation aux racines du jeu.
L’exemple du jeu de la spatule donné par D.W. Winnicott peut éclai-
rer ce développement théorique.
L’enfant qui est pris dans la répétition n’a pas conscience du poten-
tiel de jeu que recèle son activité qui consiste à jeter une spatule loin de
lui répétitivement. C’est la réponse de l’adulte thérapeute qui inscrit
l’activité dans un espace de jeu, dans une transitionnalité. La transfor-
mation de cette matière première psychique s’organise autour d’un
advenir du jeu et par le jeu, quand l’enfant va se mettre à refuser autre-
ment, à jouer à refuser.
Il faut aussi rappeler une autre notion importante, celle de la dialecti-
que de la destructivité développée par R. Roussillon.
Face à la répétition et aux passages par l’acte, qui pourraient être
vécus par le thérapeute comme des attaques réelles adressées à sa per-
sonne (ce qu’elles sont en réalité), il est fondamental que celui-ci reste
vivant et créatif face à cette destructivité. Il doit s’appuyer sur un con-
tre-transfert épistémologique afin d’éviter les contre-attitudes de rejet,
d’évitement phobique et de rétorsion d’une part, et de solution maso-
chique d’autre part.
AVANT-PROPOS

Pour questionner la psychomotricité, il nous faut revenir d’une part


sur l’origine du concept et d’autre part, au plan de la pratique, sur les
corrélations existant entre les troubles psychomoteurs et les difficultés
d’apprentissages scolaires.
La notion d’échec scolaire pose un certain nombre de questions, et
notamment, tout d’abord, une question d’ordre social, concernant l’ina-
daptation de l’école aux besoins psychophysiologiques de l’enfant, ce
qui implique par conséquent un réaménagement scolaire (horaires,
rythmes, type d’enseignement à adopter pour permettre le plein épa-
nouissement de l’enfant). Ceci nous amène à nous demander s’il existe
actuellement un aménagement du cadre scolaire qui soit entièrement
satisfaisant et de nature à constituer une prévention efficace contre
l’échec scolaire. C’est l’interrogation que posent les nouvelles tendan-
ces sociologiques, pédagogiques et psychiatriques. D’autres spécialis-
tes considèrent le problème d’une manière toute différente, au moins en
apparence : pour eux, l’école est le lieu révélateur des difficultés psy-
cho-affectives de l’enfant, que le maintien de celui-ci dans le milieu
familial avait masquées jusqu’alors.
Il y a un double questionnement auquel les psychomotriciens sont
confrontés comme en bien d’autres circonstances, et ce au plan de la
pratique clinique. En effet, on a d’un côté le problème de l’éducation/
prévention et de l’autre, celui, différent, d’une rééducation/thérapie,
problèmes auxquels les psychothérapeutes ne se trouvent généralement
pas confrontés. Cette situation qui tend à mettre le psychomotricien
dans une position d’« équilibriste mal assuré » est-elle à mettre sur le
compte de la seule ambiguïté d’une conception équivoque?
N’y a-t-il pas lieu de s’interroger sur un tel cadre de référence, dont
le moins qu’on puisse dire est qu’il constitue une espèce de négatif des
pratiques neuropsychiatriques et récupère ainsi toutes les contradic-
tions que la psychiatrie a repoussées et qui font retour en psychomotri-
cité à travers les troubles instrumentaux.
Autrement dit, si la psychomotricité existe à la fois comme concept
et comme pratique — et il faut pour cela s’en référer à Dupré qui créa
ce concept en 1900 — c’est bien de répondre à des questions restées
jusque là sans réponse dans le domaine de la neurologie psychiatrique.
Il faut en effet souligner que Dupré forma un concept « psycho-
motricité » en vue d’y insérer des troubles dont l’étiologie ne pouvait se
XII Avant-propos

situer ni dans le contexte de la neurologie ni dans celui d’une débilité


mentale.
D’où cette conceptualisation « en négatif » de la psychiatrie et dont
devait naître beaucoup plus tard une pratique s’appuyant sur cette
même conceptualisation, dans le but de répondre à ce qui fait problème
de façon évidente dans le domaine de l’institution scolaire, à savoir les
troubles dits « instrumentaux » qui sont par ailleurs des troubles psy-
chomoteurs par excellence.
Dès lors, poser en ces termes la question de la psychomotricité et des
troubles instrumentaux, loin de constituer une situation d’impasse, réa-
lise plutôt un constat d’évidence du point de vue social et thérapeuti-
que, à travers une historicité permettant de penser la psychomotricité
au lieu de s’en référer à l’agir sur un mode circulaire.
Contrairement à ce qui s’est pratiqué jusqu’ici, c’est-à-dire une
espèce de fuite en avant ou plutôt un déni des origines, il y a lieu de
faire retour en arrière vers les troubles instrumentaux, en vue de les
repenser. En effet, la psychomotricité n’est autre que ce pour quoi elle
a été créée, son intérêt résidant dans les champs qu’elle peut englober
et dans sa manière d’en traiter les problèmes.
A l’heure actuelle, il semble qu’elle se heurte à deux obstacles
majeurs dans le domaine des troubles instrumentaux : d’une part, l’avè-
nement de MBD (Minimal Brain Dysfunction) qui apporte une explica-
tion organiciste de ces difficultés psychomotrices : le trouble
instrumental aurait pour origine un dysfonctionnement cérébral
minime. Au niveau de la pratique, le MBD justifie la rééducation, mais
au niveau de la pensée, il occulte la relation à l’autre. Le deuxième obs-
tacle nous paraît être celui, plus subtil, qui consiste à assimiler les trou-
bles instrumentaux à des symptômes hystériques relevant d’un sens
symbolique primaire, auquel cas la notion même de trouble instrumen-
tal n’a pas lieu d’exister — or, cette notion reste incompressible. Au
plan clinique, elle relève du paradoxe, puisqu’elle entraîne un travail
interprétatif symbolique auprès des personnalités dont il est dit : leurs
difficultés d’intégration sur le plan symbolique rendent souvent inopé-
rante toute interprétation. Dans ces conditions, eu égard au type de tra-
vail thérapeutique engagé, la psychomotricité n’aurait plus de raison
d’être puisque, suivant ce modèle théorique, il s’agit d’un travail clini-
que de psychothérapie qui est requis.
A ce stade de la réflexion, apparaît la nécessité d’orienter les recher-
ches dans le sens de deux dimensions qui, pour être occultées dans les
deux orientations précitées, n’en sont pas moins présentes, en négatif :
il s’agit, d’une part, de l’espace et du temps, et d’autre part, de la rela-
tion à l’autre. Le MBD occulte la relation à l’autre et l’inconscient,
mais laisse apparaître dans son diagnostic la dimension de l’espace et
Avant-propos XIII

du temps, qui, cependant, perd tout son intérêt dès lors qu’elle ne s’ins-
crit pas dans la dimension relationnelle. La seconde conception tient
compte de la relation transférentielle, mais néglige la dimension de
l’espace et du temps en la réduisant à des contenus symboliques.
L’espace et le temps se trouvent ainsi occultés des rythmes biologiques
qui scandent les premiers échanges mère-enfant dans une double circu-
larité d’échanges corporels. De manière générale, plus qu’un pare-exci-
tation, la mère joue, pour le nourrisson, le rôle de synchronisateur de
plusieurs rythmes, permettant à ceux-ci de s’accorder et de s’harmoni-
ser. Il est question de genèse de la fonction en deçà de l’étayage du psy-
chique sur le biologique, période à laquelle pourrait se rattacher
l’origine des troubles instrumentaux.
Puisse cet ouvrage répondre aux interrogations que la psychomotri-
cité soulève depuis de nombreuses années. Le choix des auteurs et col-
laborateurs de cet abrégé devrait y contribuer, la qualité de leurs écrits
en atteste. Ils ont été sollicités en raison de l’intérêt que représente pour
la thérapie psychomotrice leur grande expérience clinique et leur
réflexion théorique affirmée. L’ambition de ce livre réside dans la dou-
ble perspective qui consiste à apporter quelques éléments de réponses,
à l’intérieur d’un domaine de recherches qui pour rester ouvert doit
rebondir vers d’autres questionnements.
Il s’agit bien là d’une opposition dialectique entre le positif et le néga-
tif, conditions nécessaires pour penser le corps, et la psychomotricité.
1
Eléments d’histoire et
d’épistémologie
Généralités sur l’investigation
et la thérapie psychomotrice
A. CALZA, M. CONTANT, O. MOYANO

ELEMENTS D’HISTOIRE ET D’EPISTEMOLOGIE1

« Les histoires de la psychomotricité sont plurielles » (Fauché, 1993,


p. 11), et notre survol historique, bien sûr subjectif, non exhaustif, se
bornera à poser quelques jalons qui ont influé sur l’évolution de nos
pratiques actuelles (cf. tableau infra, p. 11).

Les précurseurs
Le concept de psychomotricité était apparu au début du siècle der-
nier, avec les découvertes fondamentales des neurophysiologistes
(K. Wernicke, C.S. Sherrington, etc.). Tout en conservant un ancrage
dans la neurobiologie, la psychomotricité allait bénéficier de l’apport
des éléments fournis par les travaux intéressant la psychologie généti-
que (J. Piaget, A. Gesell), et surtout pouvoir étendre ses recherches
grâce à la contribution capitale d’Henri Wallon.
Les travaux d’H. Wallon, personnalité marquante de la psychologie
française, sont à l’origine de la psychomotricité par les perspectives
qu’il a ouvertes, tant à travers ses recherches sur l’évolution psycholo-
gique de l’enfant, qu’en raison de l’importance qu’il a accordée aux
émotions et aux tonus dans le développement et l’accès à la communi-
cation chez l’enfant. De nombreux auteurs, tels que J. de Ajuriaguerra,
se sont d’ailleurs inspirés de ses travaux.

1. André CALZA, Maurice CONTANT.


2 Éléments d’histoire et d’épistémologie

Dans l’Hommage à Henri Wallon, J. Le Camus définit trois impul-


sions qui ont permis à la thérapie psychomotrice de franchir d’impor-
tantes étapes pour arriver aux conceptions actuelles.
Nous n’insisterons pas sur la première, définie en 1930, et dont E.
Guilmain s’est inspiré dans ses Fonctions psychomotrices et troubles
psychomoteurs (1935).
La deuxième impulsion, que Le Camus appelle « période d’impres-
sion corporelle », remonte aux années 1960, et consiste essentiellement
dans l’amélioration des capacités de réception des informations issues du
corps propre ou de l’environnement. C’est durant cette période que théo-
ries et pratiques psychomotrices s’ordonnent autour du schéma corporel.
C’est aussi l’époque marquée par l’intérêt que J. de Ajuriaguerra a porté
aux travaux d’H. Wallon, notamment dans les trois études suivantes.
Tonus corporel et relation à autrui. L’expérience tonique au cours de
la relaxation (Ajuriaguerra et Cahen, 1960)
J. de Ajuriaguerra souligne que « l’état tonique est un mode de relation,
hypertonie de soulagement, de détente ou de satisfaction. (…) Le dialogue
tonique qui s’instaure entre le patient et le thérapeute au moment de la
cure doit être compris, pour une part du moins, comme une “reviviscence”
structurante du dialogue corporel, de contact et à distance, qui a été vécu
entre l’enfant et sa mère dans les premiers mois de la vie. »
De la psychomotricité du corps dans la relation avec autrui (Ajuria-
guerra et Angelergues, 1962)
« Chacun sait l’importance que Wallon a accordée au phénomène
tonique par excellence qu’est la fonction posturale des communica-
tions, essentielle pour le jeune enfant, fonction d’échange par l’inter-
médiaire de laquelle l’enfant donne et reçoit. (…)
« La fonction posturale est essentiellement liée à l’émotion, c’est-à-
dire à l’extériorisation de l’affectivité. ».
Le corps comme relation (Ajuriaguerra, 1962)
J. de Ajuriaguerra revient sur l’importance de la relation tonico-émotion-
nelle dans le premier développement de l’enfant : «La préoccupation cons-
tante de Wallon a été de bien montrer l’importance de la fusion affective
primitive dans tous les développements ultérieurs du sujet : fusion qui
s’exprime au travers des phénomènes moteurs dans un dialogue qui est le pré-
lude au dialogue verbal ultérieur que nous avons appelé le dialogue tonique.»
La troisième impulsion se découvre en 1970 : à cette époque, les
textes d’H. Wallon connaissent un renouveau d’actualité, grâce aux tra-
vaux d’H. Montagner, qui a étudié la genèse des comportements d’atta-
chement, ainsi que celle des comportements de communication
préverbale et non verbale, à partir des textes d’H. Wallon et de l’impor-
tance qu’il accorde au prélangage affectif, des émotions, des postures et
des mimiques, à ce qu’il a appelé la « communication affective ».
Éléments d’histoire et d’épistémologie 3

En 1952, Wallon avait écrit dans les Étapes de la sociabilité chez


l’enfant : « Durant la période qui correspond à peu près aux trois pre-
miers mois, l’enfant rassemble toutes ses réactions autour des soins qu’il
faut obtenir de sa mère, et cette nécessité, qui résulte de sa propre inapti-
tude à satisfaire par lui-même les exigences les plus essentielles de sa vie,
détermine dans son évolution une orientation qui est capitale pour
l’explication de ce qu’est advenue l’humanité. Les seuls actes utiles que
l’enfant puisse faire alors, c’est, par ses cris, par ses attitudes, par ses ges-
ticulations, d’appeler sa mère à son secours. Donc, les premiers gestes
qui lui permettront de s’approprier les objets du monde extérieur, ce sont
des gestes d’expression. » (Wallon, cité par Le Camus [1981]).
Avec la psychomotricité relationnelle, A. Lapierre et B. Aucouturier
(1982) sont aussi les continuateurs de la pensée d’H. Wallon, en réin-
troduisant les notions de fusion affective et d’identité.
Chez H. Wallon, le concept d’image du corps se fonde sur une appro-
che dialectique entre la physiologie, l’étude du système nerveux et la
psychologie, en personnalisant les fonctions. Il décrit des attitudes et
non pas des contractions, des relations et non des mouvements purs. Le
schéma corporel va se constituer sur la base de l’intéroception et de la
proprioception d’abord, puis de l’extéroception, les deux systèmes ne
fusionnant que tardivement par la constitution d’un espace unifié. De
même, l’émotion a pour base de départ une source organique, le tonus,
avec ses modalités de décharge ou de rétention, suivant le type psycho-
moteur. Mais cette base physiologique n’effacera jamais, dans la pensée
d’H. Wallon, tout l’aspect psychologique qui s’y rattache, en s’intéres-
sant à ce qui se passe chez le sujet dans sa relation à autrui.
Les raisons qui ont poussé H. Wallon à donner de plus en plus
d’importance au rôle d’autrui dans la genèse du schéma corporel ne
sont pas seulement liées au fait que les premiers stimuli sont provoqués
par les manipulations et les soins maternels — sources d’excitations
proprioceptives puis intéroceptives —, mais surtout parce que « pour
être Homme, il faut tout à la fois s’être identifié à autrui en tant que
modèle humain et s’en être différencié ».
Toujours dans l’Hommage à Henri Wallon, H. Chambron (1981) écrit :
« Ce double mouvement, qui n’est d’ailleurs jamais tout à fait achevé et
se poursuit sur le plan des attitudes, commence dès les premières organi-
sations fonctionnelles au niveau de la formation du schéma corporel. »
Ce processus d’identification-différenciation se poursuit tout au long de
l’enfance. L’adulte agissant d’abord sur lui, « l’enfant en vient à prévoir
l’action bénéfique ou maléfique d’autrui sur lui et à se prévoir2 en autrui.

2. Souligné par nous.


4 Éléments d’histoire et d’épistémologie

Ainsi s’accordent ce qu’il voit se préparer pour lui et ce qu’il en éprouvera


dans sa personne proprioceptive. »
C’est par le corps et par le tonus que l’enfant va donc agir sur autrui, et
l’émotion, avec toute la charge affective vécue qu’elle comporte, repré-
sente ce moyen privilégié d’échange et de communication avec autrui.
« L’expression et le dialogue tonique dont l’instrument est le corps précè-
dent le dialogue verbal et ne sont jamais abandonnés chez l’adulte. »
(Chambron, 1981).

Les continuateurs
Les travaux de J. de Ajuriaguerra et de son équipe viendront ensuite
compléter et élargir les bases de la notion de psychomotricité en y inté-
grant différents apports, tant du domaine de la neurophysiologie que de
celui de la psychanalyse. J. de Ajuriaguerra propose une nouvelle défi-
nition du trouble psychomoteur : « Les syndromes psychomoteurs ne
répondent pas à une lésion en foyer donnant des syndromes neurologi-
ques classiques ; ils sont plus ou moins activés, plus ou moins subis,
plus ou moins voulus, liés aux affects mais attachés au soma par leur
fluence à travers la voie finale commune, ils ne présentent pas pour cela
uniquement des caractéristiques du dérèglement d’un système défini. »
(Ajuriaguerra et Bonvalet-Soubiran, 1960).
Cette perspective ouverte par J. de Ajuriaguerra va susciter chez les psy-
chomotriciens un intérêt toujours plus vif pour la psychanalyse. Ajoutons
qu’en même temps, le somatotropisme des psychothérapeutes va aussi ali-
menter de multiples confusions entre les champs de compétences respectifs.
Tout d’abord, il faut se demander quelle est la place du corps dans la
psychanalyse : on en soulignera l’importance dans sa genèse. S. Freud a
besoin du corps pour parler du fonctionnement psychique de l’inconscient.
Le corps réel, symbolisé dans la première théorie des pulsions par les
besoins du corps biologique, s’estompe peu à peu pour faire place à la
libido, tandis que parallèlement le moi devient métaphore du corps.
« Le moi est avant tout un moi corporel, il n’est pas seulement une
entité de surface, mais il est lui-même la projection d’une surface.3 »
P. Fédida précise, quant à lui, que le moi est « une entité toute en sur-
face, une projection du corps » (Fédida, 1977, pp. 19 37). F. Gantheret
indique : « Cette projection marque une distance ; dérivation : un che-
min et une transformation de l’un à l’autre — du biologique au psychi-
que, du corps réel au corps dans le fantasme. Cette élaboration, il me
semble que c’est celle du symbole. » (Gantheret, 1971, pp. 135-146).

3. FREUD S., Le Moi et le Ça, cité par Sami-Ali (1984), p. 139, note 3.
Éléments d’histoire et d’épistémologie 5

P. Fédida remarque aussi que « le corps est ce par quoi le moi peut
exister comme effet : le moi est alors entité du corps », et il ajoute : « Là
où le moi veut désigner le corps, n’existe en fait qu’un jeu d’apparences
qui participent d’une existence imaginaire (fantasmatique), renvoyant
au sens inconscient. » (Fédida, 1977).
Pour les psychanalystes, par conséquent, le corps se définit relative-
ment au désir inconscient et aux fantasmes qu’il détermine. Pourtant, « la
psychanalyse, en semblant ne pas s’intéresser au corps, a bien (…) été
perçue par les contemporains de Freud comme une menace portant sur
l’institution du corps (dissimulée dans le concept d’organisme ou celui de
personnalité) et comme le risque de lui donner droit d’exister » (Fédida,
op. cit.). Dans la pratique psychanalytique, le corps n’est pas traité direc-
tement. Le patient ne présente pas son corps malade à un praticien qui ten-
tera de faire disparaître la douleur et les symptômes qui s’y rattachent.
Le symptôme corporel est, pour S. Freud, « le substitut d’un conflit
inconscient qui est lui-même de l’ordre de la représentation d’un discours;
(…) il est traité comme un élément du discours » (Pagès, 1982). Le seul
corps qui peut donc entrer en relation avec le praticien est le corps imagi-
naire, corps représenté par le discours. « Le corps est alors l’effet d’une
élaboration secondaire et c’est ce qui fait que la psychanalyse ne peut s’en
soucier sans le traiter comme le contenu manifeste d’un rêve » (Gantheret,
1971). Le corps devient dès lors l’objet d’un décodage.
F. Gantheret (op. cit.) observe que « dans la clinique, comme dans la
théorie, nous sommes amenés à considérer que le champ psychanalyti-
que s’établit dans une coupure qui laisse à l’un de ses bords le corps
biologique, pour en assurer de l’autre côté la reprise dans un langage,
dans un système de signes. »
Il nous faut préciser, sur les traces de J. P. Valabrega4, que la distinc-
tion primordiale pour la psychanalyse « entre corps anatomique ou ana-
tomophysiologique et corps fantasmatique, bien qu’elle apparût déjà
indispensable dans les études sur l’hystérie, n’a pourtant jamais reçu un
statut théorico-clinique suffisamment précis et solide. »
Mais surtout, cet auteur constate : « A-t-on suffisamment souligné
déjà que tout le problème de fonctions et significations du corps en psy-
chanalyse provient de l’hystérie et y fait nécessairement retour? ».
Pour la psychanalyse freudienne, cette situation de l’hystérie est un
fait capital aussi bien dans les implications théoriques que cliniques et
métapsychologiques qui en découleront.
J.-P. Valabrega insiste donc sur ce qui nous semble fondamental :
« L’hystérie, assurément, est l’observation princeps, mais en deux sens :

4. VALABREGA (1980), chap. II : « Vers une théorie intégrant le corps ».


6 Éléments d’histoire et d’épistémologie

celui de l’histoire et celui de la structure… ». Le patient, ou plutôt la


patiente, « apporte et propose son corps comme une énigme. (…) Ainsi,
avec l’hystérie princeps, le corps fait son entrée dans la psychanalyse ».
Cette conception du corps ramène donc à la psychopathologie freu-
dienne, laquelle a pour base de fonctionnement le refoulement, l’échec
du refoulement et le retour du refoulé.
Le modèle hystérique conversionnel est ainsi appliqué à toutes les
psychopathologies et, par extension, à la pathologie en général — et
ceci, malgré le fait que de nombreux auteurs s’accordent à distinguer un
ordre hystérique et un ordre psychosomatique au symptomatologique.
Le corps, au sens psychophysiologique, est réduit aux fantasmes sur
le corps et entièrement absorbé dans le corps fantasmatique. Si la théo-
rie peut encore donner le change, notamment la théorie des pulsions, les
pratiques psychanalytiques ne mentent pas qui réduisent le corps à des
éléments langagiers. Elles ne considèrent le corps que dans la mesure où
elles peuvent le faire parler ou parler de lui. Une pratique qu’autorise
largement la théorie lacanienne selon laquelle métaphore et métonymie
ne se distinguent en rien du déplacement et de la condensation.
C’est à Sami-Ali que va alors revenir le mérite de clarifier ce flou en pré-
cisant nettement dans ses travaux les points de convergence et de diver-
gence existant entre psychanalyse et psychomotricité : « Le corps propre ne
se réduit pas au réel, parce qu’il médiatise tout un monde de l’imaginaire »
(pour la convergence), et : « Le sens symbolique de la droite et de la gauche
n’épuise pas tant s’en faut une latéralité qui doit d’abord s’instaurer au
niveau du corps réel… » (pour la divergence) (Sami-Ali, 1977, p. 77).
Les travaux de Sami-Ali font ressortir que le corps, l’espace et le
temps sont intimement liés, le corps projetant la représentation d’un
espace et d’un temps qu’il a lui-même créés. Cette projection du corps
à l’extérieur détermine une identité des perceptions internes et exter-
nes, le corps se percevant dans un espace et un temps créés par lui.
D’un point de vue développemental, l’espace évolue de l’inclusion
réciproque à la tridimensionnalité en passant par un espace bidimen-
sionnel de complémentarité.
Cette constitution de l’espace imaginaire, évoluant du sensoriel au repré-
sentatif, suit ainsi tous les aléas de l’accession à l’œdipe et donc le degré de
différenciation en rapport au corps maternel. C’est l’analité, dans son
expression pulsionnelle, motrice et agressive, qui permet le passage vers la
tridimensionnalité (tiercéité) en brisant le miroir de l’espace duel spéculaire.
À la faveur de cette phase maturative, le dedans et le dehors se structurent
et, dans ce contexte, moi et non-moi se distinguent de manière plus affirmée.
D’une façon encore plus primaire (au sens de « premier »), le temps
tire son origine des rythmes corporels dès avant la naissance. La relation
au corps maternel à travers les rythmes corporels est présente in utero et
Éléments d’histoire et d’épistémologie 7

se poursuit à travers les échanges environnementaux. La mère joue le


rôle de synchroniseur des différents rythmes corporels du bébé. Le tout
premier rythme qu’il va structurer en relation avec le rythme maternel est
celui de la veille et du sommeil. Cette structuration est cependant fragile
et peut échouer pour déboucher sur des troubles du sommeil ultérieurs.
À ce stade du développement, les fonctionnements psychique et bio-
logique sont indifférenciés et soumis l’un et l’autre aux lois du rythme
et de la relation, « relation qui préexiste aux termes qu’elle relie ». Le
corps est d’emblée biologique et relationnel, et toute perturbation issue
de cette période influera sur le développement ultérieur pendant lequel
cette référence à ce passé immémorial sera continuellement réactuali-
sée. L’expression de cette perturbation conservera sa forme initiale en
rappelant le moment même de sa constitution.
Il nous semble que si, dans la théorie de Sami-Ali, l’espace et le temps
prennent une telle importance, au point de supplanter dans sa métapsy-
chologie la primauté généralement donnée au sexuel, c’est qu’il consi-
dère ces déterminants comme primaires au sens de « premiers ».
L’espace et le temps sous-tendent toutes les structurations ultérieures
de représentation, de fantasmatisation et de symbolisation. « Le corps
est le schéma de tous les schémas ».
Ces définitions renvoient aux réflexions de S. Freud (1923) sur le
moi et le corps :
«Le moi est avant tout un moi corporel (…) la projection d’une surface.»
Mais aussi :
« Le moi est finalement dérivé de sensations corporelles, principale-
ment de celles qui ont leur source dans la surface du corps, il peut ainsi
être considéré comme une projection mentale de la surface du corps, et
de plus (…) il représente la surface de l’appareil mental. »
Ainsi, plus encore qu’un pare-excitations, la mère joue pour le nour-
risson le rôle du synchroniseur de rythmes permettant à ceux-ci de
s’accorder et de s’harmoniser. Ce qui est en question, c’est la genèse de
la fonction en deçà de l’étayage du psychique sur le biologique, période
à laquelle pourrait se rattacher l’origine des somatisations.
Il faut donc se représenter un espace et un temps originaires, au cours
desquels la relation ne s’est pas encore constituée en tant que relation
d’objet. La pulsion n’est pas encore orientée sexuellement vers un objet
distinct du sujet.
La perturbation qui se produit pendant cette période prépulsionnelle
et présexuelle adopte, dans ces conditions de non-survenue, les figures
spatiales et temporelles comme unique modalité expressive.
À ce stade du narcissisme primaire, l’indifférenciation sujet-objet
domine : première phase orale narcissique, le dedans est équivalent au
dehors, le tout à la partie. L’étayage du sexuel sur les pulsions d’auto-
8 Éléments d’histoire et d’épistémologie

conservation n’a pas eu lieu. Cet étayage va dépendre de l’accès à une


première distinction sujet-objet.
L’hypothèse qu’on peut avancer est donc d’affirmer qu’une perturbation
psychique et biologique relationnelle issue de cette phase va d’abord adop-
ter les stigmates spatiaux et temporels de cette même phase, puis condition-
ner l’ensemble des développements et identifications sexuels ultérieurs.
Dans cette optique, l’espace et le temps ne peuvent donc être considé-
rés comme simples adjuvants instrumentaux de la psyché ou du somati-
que. Ils peuvent être regardés comme des équivalents symboliques d’un
trouble psychonévrotique dans la mesure où le franchissement des pro-
cessus primaires par le sujet s’est effectué sans perturbation majeure de
la relation intersubjective. Ils acquièrent ainsi, au cours des processus
secondaires, un statut psychique sexualisé et symbolique qui peut don-
ner, par exemple, à un retard systématique, chez un sujet névrotique, le
sens d’une opposition à une autorité.
Chez un sujet psychosomatique, le même retard n’aura pas la même
signification : il reste relationnel, mais reflète l’inorganisation d’une
fonction en voie de constitution. Et la solution adoptée sera bien sou-
vent une hyperadaptation au temps social de la montre ou de l’agenda,
pour compenser la béance du temps subjectif.
Autre remarque importante : l’observation clinique permet de cons-
tater comment la modification des rapports du sujet à son espace et à
son temps propres peut le conduire progressivement vers une impasse
psychosomatique et donc vers la maladie.
L’impasse est autant relationnelle que biologique : appréhendée à
travers un espace figé irréversible (lorsque le sujet ne parvient pas à
transformer l’autre en image de lui-même), et un temps qui devient
réversible, circulaire (en annulant le sentiment du temps qui passe), et
débouche sur un destin sans horizon. La répétition projette dans le futur
un passé sans mémoire qui refuse de s’effacer. Tout se passe comme si,
à l’opposé de l’hystérique qui souffre de réminiscence, le psychosoma-
tique s’épuisait de ne pas pouvoir oublier — pour se remémorer.
Parallèlement, la redécouverte de l’œuvre de D.W. Winnicott, grâce
aux écrits de R. Roussillon, allait permettre d’enrichir encore le concept
de psychomotricité en apportant des éléments autorisant d’en dégager
l’originalité sur le plan théorique (Calza et Contant, 2002). À l’instar
des théories de D.W. Winnicott, le corps doit se concevoir sous l’angle
du paradoxe, état « psychosomatique », qui permet de jeter des passerel-
les reliant des ensembles hétérogènes tels que subjectivité et réalité.
L’intérêt de la pensée de D.W. Winnicott, revisitée par R. Roussillon
(1991, 1999) et M. Berger (1990), se situe dans la structuration de la
psyché par l’expérience paradoxale. De cette expérience limite, où réa-
lités interne et externe deviennent compatibles et élaborent un rapport
Éléments d’histoire et d’épistémologie 9

d’homomorphie, découle la transitionnalité correspondant à un travail


de liaison et d’intégration du moi.
Lorsque tout se passe bien, les processus primaires se développent
dans l’illusion du trouvé-créé. Autrement dit, le processus transitionnel
permet à la réalité externe de donner une forme à la réalité interne. À
l’inverse, la prédominance d’une réalité (externe, par exemple) contre
une réalité interne supprime le paradoxe et crée une défense paradoxale.
Celle-ci se constitue par retournement, c’est-à-dire comme un procédé
de défense contre la réalité interne par le truchement de la réalité externe.
Notons que le premier paradoxe fondateur est la capacité d’être seul
en présence d’autrui. Pour l’enfant, il s’agit d’expérimenter la solitude
en présence de l’autre-l’autre, perçu comme objet interne-externe :
– interne, il relève du registre de l’intrapsychique et se doit de ne pas
être trop persécuteur;
– externe, il relève de l’intersubjectif et se doit de ne pas être trop intrusif.
Le respect de ces deux modalités psychiques lance un pont et permet
à l’enfant de faire l’expérience de solitude paradoxale. La mère est
doublement présente, d’une part comme fond silencieux réel dans le
jeu autoérotique de l’enfant, et d’autre part comme objet.
Cette expérience de solitude paradoxale, telle que décrite ici, est la
matrice de l’autoérotisme. De cet acquis, l’enfant va élaborer l’absence
de la mère. Nous constatons alors que l’absence s’élabore sur un fond
de présence satisfaisante et sécurisante.
C’est ici, également, le premier lieu de la problématisation du moi au
non-moi qui est aussi l’un des enjeux de la séduction. Mais si cette
expérience paradoxale ne peut se soutenir, le sujet sera conduit à orga-
niser cette fois des défenses paradoxales.
Les craintes d’effondrement qui surgissent alors obligent l’enfant à
constituer des défenses primaires et notamment temporelles, puisque
« le signe trace d’un événement passé qui, n’ayant pu être pleinement
expérimenté et symbolisé sur le moment ou après coup, hante le sujet
pour essayer de s’inscrire dans son histoire subjective et ainsi se pro-
pose comme expérience à venir » (Roussillon, 1994).
On retrouve cette temporalité circulaire qui fait de l’angoisse non
intégrée par le sujet l’objet d’une préoccupation projetée dans l’avenir.
Préoccupé par la différenciation moi/non-moi qui ne parvient plus à
s’organiser, le sujet n’est plus disponible à la tiercéité et à la sexualité
naissante. On débouche sur la confusion moi-autre liée à la confusion
avec l’environnement premier.
La crainte de perte de l’attachement est susceptible de provoquer
l’organisation d’une défense contre l’attachement chez certains sujets
en phase d’organisation narcissico-identitaire. D’un point de vue déve-
10 Éléments d’histoire et d’épistémologie

loppemental, cette phase se situe généralement pendant la période nar-


cissique primaire orale chez le petit enfant, mais elle peut aussi
perdurer dans la vie psychique et somatique d’un sujet si son évolution
n’a pas permis un détachement sans perte d’attachement.
Toute la vie pulsionnelle s’articule autour d’une thématique centrale
de recherche d’indépendance, qui ne peut se penser sans l’angoisse qui
s’y rattache. Cette angoisse se dialectise entre deux pôles que l’on
pourrait désigner comme le familier et l’étranger, et reste toujours liée
à l’identité (perdre l’autre ou se perdre dans l’autre).
La phase narcissico-identitaire orale à l’œuvre chez les patients psy-
chosomatiques prédomine. Sa récurrence intersubjective s’accompa-
gne d’une réactualisation des repères spatiaux et temporels liés à cette
période orale pendant laquelle la partie est égale au tout, la recherche
d’unité corporelle s’appuyant sur une partie du corps.
Il en résulte aussi la constitution d’un espace irréversible et d’un
temps réversible.
L’affect, en tant que modalité d’expression et d’auto-information sur
la manière dont le moi est affecté, peut alors faire l’objet d’un proces-
sus répressif.
Autrement dit, ce qui est en jeu, c’est le degré de différenciation par rap-
port au corps maternel. Dans le contexte décrit ci-dessus, l’angoisse de
l’objet se traduit par une angoisse de perte de soi et donc d’identité : cette
notion d’identité se fonde paradoxalement sur la relation à l’autre. Elle
dépend d’un rapport dans lequel être soi, c’est d’abord être l’autre (registre
du deux en soi, c’est-à-dire du double se référant au narcissisme secondaire).
Ce fonctionnement psychique auquel nous nous référons, et qui
implique la problématique de la séparation et de l’indifférenciation
moi/non-moi, engage le sujet dans sa totalité corporelle et psychique,
contrairement au fonctionnement névrotique qui engage le sujet de
manière partielle à travers un symptôme. Dans les états narcissico-
identitaires, la relation à l’objet partiel débouche sur une problématique
totalitaire (engageant totalement le sujet psychosomatique), tandis que
dans l’état névrotique, la relation à l’objet global débouche sur une pro-
blématique partielle (la perte d’objet n’équivalant pas à la perte de soi).
Issu de la dialectique intrapsychique et intersubjective, le conflit
passe par la différence soi/non-soi. Lorsque la solution névrotique
s’avère impossible, le sujet se trouve ramené à une position spéculaire
dans laquelle le double devient à la fois refuge et persécuteur.
Comme nous l’avons souligné plus haut, ce processus défensif va
immanquablement déboucher sur la notion de perte, soit potentielle,
lorsqu’elle s’accompagne d’angoisse, soit effective lorsqu’elle débou-
che sur un état dépressif, mais il s’agit alors de perte de soi et de perte
d’identité, et non de perte d’objet.
Éléments d’histoire et d’épistémologie 11

1870 NEUROLOGIE
LANDOIS
(Centres psychomoteurs)

1900 NEUROPHYSIOLOGIE PATHOLOGIE CORTICALE EDUCATION PHYSIQUE


SHERRINGTON WERNICKE TISSIÉ

1909 NEUROPSYCHIATRIE
INFANTILE

1935 DUPRÉ PETAT


GUILMAIN Motricité et intelligence Rééducation neuromotrice
Tests psychomoteurs
1948 et RPM WALLON WALTER
Motricité et caractère Rééducation psychomotrice

PSYCHIATRIE

«Charte de 1960»
1960

Courant rééducation Courant thérapie Courant éducation et


psychomotrice éclectique psychomotrice spécifique rééducation psychomotrice
(éducation nationale)
DUCHÉ AJURIAGUERRA LE BOULCH
Parallélisme psychomoteur Le corps comme relation Education par le mouvement

1970 ORLIC, BUCHER, MASSON BERGÈS, FLAGEY, SAMI-ALI VAYER, LAPIERRE-AUCOUTURIER

1980

Perspective Perspective Perspective


cognitivo-comportementale psychopathologique psychosomatique
2000

CORRAZE, ALBARET… GIROMINI, DEITTE… CALZA, CONTANT, MOYANO,


RODRIGUEZ…
Troubles psychomoteurs Troubles psychomoteurs Troubles instrumentaux,
s’appuyant sur postulat considérés comme manifestations de la rupture
organiciste: MBD. symptômes à traiter au niveau de la dialectique
Programme neuropsychologi- de la dynamique inconsciente corps réel/corps imaginaire.
que de rééducation avec et dans le registre du conflit, Corps, espace, temps,
renforcements positifs et du désir et/ou d'un défaut coordonnées fondamentales de
entraînements conditionnés. d'élaboration psychique. l'investigation et de la thérapie.

Tableau synoptique d’un historique de la psychomotricité.


12 Éléments d’histoire et d’épistémologie

L’INVESTIGATION PSYCHOMOTRICE5

Depuis de nombreuses années déjà, l’expérience clinique nous a


démontré la nécessité de procéder à un examen psychomoteur, indis-
pensable au cadrage de toute thérapie. Nous nous sommes efforcés de
mettre au point dix éléments d’investigation (regard - processus de
latéralisation - orientation, déplacements - tonus - gestes - jeu - respi-
ration - imitation - lecture du corps - contre-transfert émotionnel) utili-
sables pour cet examen, afin d’en déterminer principalement le cadre
spatio-temporel en permettant ainsi au sujet de se repérer dans la pers-
pective thérapeutique particulière de la psychomotricité, mettant en
œuvre la relation au corps du sujet et du thérapeute ainsi qu’à l’espace
et au temps (A. Calza, M. Contant, 1986). Quelques années d’expéri-
mentation clinique et de réflexion théorique nous ont amenés à rema-
nier non pas l’ensemble des dix points envisagés pour cet examen
psychomoteur, mais leur processus d’utilisation en fonction des cadres
de référence auxquels nous étions confrontés en tant que spécialistes.
C’est ainsi que, peu à peu, nous avons été conduits à distinguer entre
deux types de demande :
Diagnostic-observation, consistant essentiellement à procéder à un
examen psychomoteur, dans le but de donner consultativement un avis
global sur le fonctionnement psychomoteur d’un sujet ou bien encore
un avis intéressant un élément précis d’investigation, comme par exem-
ple tester la latéralité d’un enfant en vue de sa scolarité. Dans ce genre
de consultation, il n’est nullement question de thérapie psychomotrice,
mais plutôt de dégager des éléments objectifs pouvant contribuer à une
appréciation synthétique chez un enfant ou un adolescent, voire chez un
adulte, éléments qui viendront se conjuguer à diverses autres apprécia-
tions. Dans cette perspective, il nous a paru utile de porter notre atten-
tion avant tout sur des éléments objectifs d’appréciation ayant
davantage les caractéristiques d’un test psychomoteur, même si nous
estimons qu’ils doivent être considérés malgré tout dans le cadre d’une
relation à l’autre, c’est à dire à l’inconscient, qui préexiste aux termes
qu’il relie.
Cadre et processus, représentant davantage un préalable, une sensi-
bilisation à une thérapie psychomotrice. Interviennent ici des éléments
faisant référence à une objectivation de la relation à travers la mise en
place du cadre thérapeutique souhaitable, préfigurant le processus que
suivra le sujet s’il désire s’y engager. Dans ce cadre entrent également
les aspects d’investigation mis en œuvre pour le diagnostic-observa-

5. André CALZA, Maurice CONTANT (extrait, 1989).


L’investigation psychomotrice 13

tion, puisqu’il existe des cas mixtes pour lesquels nous avons à donner
un avis tant pour l’observation que pour une éventuelle prise en charge.
En tant que pratique spécifique portant sur le corps, la thérapie psy-
chomotrice que nous définissons par ailleurs se doit d’en rester au
niveau des données fournies par l’examen psychomoteur. La première
rencontre entre sujet et thérapeute doit donc permettre au sujet de con-
naître implicitement ou explicitement le champ sur lequel il va pouvoir
s’engager avec le thérapeute. En effet, celui-ci, par son écoute et son
implication active, est amené à préciser au sujet ses possibilités d’inves-
tigation en même temps que ses limites. Car, en fait, il va s’agir d’une
réciprocité d’échanges dans une interaction patient-thérapeute, tout en
n’oubliant pas de considérer que l’une des parties — plaignante —
requiert l’aide de l’autre. Nous écartons le terme de « bilan » qui nous
paraît faire référence à une expertise des retards dont le sujet est censé
être porteur, ce qui renvoie inévitablement à une dimension de rattra-
page et donc, exclusivement, à une rééducation qui ne pourrait tenir
compte du sens pris par le symptôme corporel dans l’histoire du sujet.
Cependant, en tant que spécialiste, le psychomotricien se doit d’ouvrir le
questionnement du sujet par rapport à une incapacité de celui-ci qui le
rend « demandeur », suscite une « demande » de la part de son entou-
rage. L’examen psychomoteur semble, par conséquent, être le lieu privi-
légié pour travailler cette « demande », inscrite dans « l’itinéraire » du
sujet, un cheminement qu’il est nécessaire d’approfondir avec lui, de
façon que sa présence puisse prendre un sens autant pour lui que pour
son entourage. La thérapie, elle-même, ne peut recevoir sa pleine
signification que parce qu’il y a projet et désir à son égard, et ce, simul-
tanément à l’intérieur comme à l’extérieur de la salle de psychomotri-
cité. Le sujet a ainsi la faculté de se déterminer en fonction des désirs des
uns et des autres. Cet examen psychomoteur reposant essentiellement
sur une interaction, c’est-à-dire en prenant compte des échanges émo-
tionnels, ne peut donc prétendre à une dimension objective. Il ne peut,
de ce fait, être considéré ni comme un bilan ni comme une expertise, ce
qui n’empêche pas qu’il soit nécessaire d’y inclure des éléments
d’objectivation dans la relation à l’autre, éléments qui constitueront
d’indispensables repères au démarrage d’une thérapie.
Le symptôme ou son expression physique prend ainsi une place
importante, car il apparaît comme le véhicule d’un mal-être réel dans
l’ici et le maintenant. C’est autour de lui que va pouvoir s’établir une
dialectique entre le corps réel, porteur du symptôme, et le corps imagi-
naire signifié de l’histoire corporelle du sujet. C’est autour du symp-
tôme que va pouvoir se déterminer le type de prise en charge, le projet
thérapeutique. C’est par sa présence, sa mise au jour, que la référence
au social va s’établir. De même qu’à l’extérieur, il joue le rôle de déno-
14 Éléments d’histoire et d’épistémologie

minateur commun à tout un réseau d’échanges - thérapeute, famille,


institution, sujet.
Exposé des problèmes. Pour poser un diagnostic psychomoteur, il est
important de bien dégager à l’avance les aspects sur lesquels on va le
faire porter. Autrement dit, quelle est la matière de ce diagnostic ? Bien
évidemment, ce type d’investigation ne peut se superposer à un dia-
gnostic psychiatrique visant à décrire une structure psychopathologi-
que particulière. Ceci reste du domaine d’autres spécialistes. Il n’en
reste pas moins que la connaissance des diverses formes de psychopa-
thologies nous paraît indispensable pour pouvoir cerner les types de
liens éventuellement existants entre les troubles psychomoteurs et la
forme de psychopathologie en cause. De plus, notre champ d’investiga-
tion ne se limite pas à la seule psychopathologie, mais s’étend aussi à la
pathologie non fonctionnelle recouvrant le domaine de la psychosoma-
tique non hystérique.
Ces deux grandes formes de pathologie que sont la psychopathologie
et la pathologie organique non hystérique ont pour corollaire, au niveau
de la psychomotricité, de mettre en évidence deux types nettement dis-
tincts de troubles psychomoteurs : les troubles psycho-fonctionnels et
les troubles instrumentaux.

Méthodologie
Elle s’appuie sur trois éléments fondamentaux à l’articulation du
corps réel et du corps imaginaire : la problématique du visage, le rêve
et ses équivalents, ainsi que les maladies organiques passées ou présen-
tes, afin de saisir la variabilité symptomatique qui permettra d’articuler
les troubles psychomoteurs au champ des psychonévroses ou aux
phénomènes de somatisation non hystérique. Examinons maintenant
ces différents points fondamentaux :

 Problématique du visage et psychomotricité

Au plan théorique, le visage est lié à l’identité du sujet, au même titre


que le nom et le sexe. Le visage est, en effet, la seule partie du corps qui
passe par une médiation que représente la figure maternelle et le miroir.
Le visage est aussi la seule partie du corps que l’on peut voir directe-
ment en dehors du dos qui, lui, ne constitue pas une zone de repérage
de l’identité du sujet. Dans cette médiation, le regard apparaît comme
l’objet essentiel, puisque le nourrisson est ce qu’il voit avant de s’auto-
nomiser. Ce qu’il voit est essentiellement le visage de la mère auquel il
sourit, d’après Spitz, vers le troisième mois, car « il distingue une figure
à trois dimensions de la projection de la même figure à deux
L’investigation psychomotrice 15

dimensions ». L’enfant acquiert donc le visage de sa mère avant


d’acquérir son visage propre, dans une phase de dépersonnalisation qui
culmine au huitième mois constituant le deuxième organisateur de
Spitz (1968). En présence de l’étranger et de sa mère, l’enfant réagit à
cette double présence par une phase d’inquiétude, non pas comme
l’interprète Spitz, à cause de l’angoisse de perte de l’objet maternel,
mais par un phénomène de dépersonnalisation puisqu’il a le sentiment,
pendant ce laps de temps, d’avoir deux visages différents, avant de sai-
sir l’existence de son visage propre (M. Sami-Ali, 1984). Les personna-
lités allergiques n’auraient pas réussi à reconnaître le visage de
l’étranger et ne manifesteraient pas l’angoisse du huitième mois. A
l’opposé, l’enfant psychotique reconnaît le visage de l’étranger pour le
soumettre à une projection qui le coupe de toute ressemblance avec soi
« faisant de lui l’étranger en soi l’autre absolument autre » (M. Sami-
Ali, 1984).
En psychomotricité, le visage constitue un élément clinique très
important qui s’exprimera à travers le dessin. Certains personnages
sont, en effet, représentés sans visage, ou bien selon un code culturel
stéréotypé ne laissant pas apparaître la moindre subjectivité, le plus
souvent en relation avec des troubles de l’espace et du temps. La rela-
tion au miroir constitue également un élément de diagnostic. Ainsi les
enfants psychotiques évitent de s’y affronter ou bien « se noient » dans
ce reflet narcissique.

 Fonction onirique et psychomotricité

En psychomotricité, notre attention se porte davantage sur le fonc-


tionnement onirique que sur le rêve et son contenu symbolique.
L’attention de la psychanalyse se porte sur le contenu symbolique du
rêve sans toutefois se référer à la problématique spatiale qu’elle impli-
que. Dans le rêve, il y a projection de soi en dehors de soi dans un
espace qui est le sujet lui-même. Le corps y est représenté en tant que
contenu et contenant. L’identité est parfaite entre le corps propre et
l’espace du rêve (M. Sami-Ali, 1986). Le rêve est le représentant de la
fonction imaginaire. Il possède des équivalents diurnes : l’émotion,
l’expression affective, les fantasmes, les hallucinations, l’inquiétante
étrangeté et le jeu. Ce qu’il nous semble important de repérer pour le
champ de la psychomotricité, c’est cette fonction de l’imaginaire qui
s’exprime à travers la subjectivité du sujet et qui disparaît par refoule-
ment dans les pathologies somatiques.
D’une manière générale, nous distinguons différents types de fonc-
tionnement oniriques :
16 Éléments d’histoire et d’épistémologie

– le cauchemar qui ne se situe pas dans la phase de sommeil para-


doxal, mais peut signifier un retour du fonctionnement onirique chez un
sujet, faisant suite à une absence de rêve. Il est lié à la profondeur de la
fonction onirique;
– le cauchemar répétitif qui, lui, semble être davantage une régres-
sion de la fonction onirique;
– le rêve-diagnostic : en sa qualité prémonitoire, il peut annoncer le
surgissement d’une maladie organique;
– le rêve utile qui survient chez des patients psychosomatiques que
leur pathologie de l’adaptation contraint à rêver uniquement de faits
concrets, relatifs à leur travail, à l’actuel et au factuel. Il se caractérise
par l’absence de condensation et de déplacement, ainsi que par la pau-
vreté des représentations fantasmatiques;
– les rêves abondants dont la particularité consiste en ce qu’ils ne
sont pas reconnus par le sujet lui-même comme faisant partie inté-
grante de son corps, mais qui paraissent en véritable rupture avec l’his-
toire du sujet dans une suppression originale des relations avec les
autres et avec soi-même. Ils rejoignent les rêves utiles;
– le rêve dans le rêve : forme complexe de rêve qui, ne s’appuyant
pas sur une réalité spatiale mais sur une négation, en vient à décrire une
situation paradoxale qui se traduit par un non-rêve : le sujet rêve qu’il
rêve ce qui supprime la projection d’une réalité.
Précisons que ces différentes structures de rêves dont nous ne rete-
nons pas le contenu, mais la forme spatiale qu’ils décrivent, peuvent
être un important élément de diagnostic. Il faut en particulier retenir les
rêves en miroir qui apparaissent principalement au cours d’un travail
thérapeutique, au moment où débute le remaniement identificatoire du
sujet. Ces rêves représentent le double spéculaire du sujet qui, en se
regardant dans le miroir, se transforme en double.
Observons que l’activité onirique est en corrélation avec la qualité du
sommeil chez un sujet. En effet, les insomnies s’inscrivent dans le
registre d’un mode de défense contre l’apparition du fonctionnement
onirique. L’absence de rêve ou plutôt l’oubli des rêves constitue la
forme majeure du refoulement de la fonction imaginaire. Elle a pour
équivalents l’absence de jeu et la difficulté de représentation du corps
dans un dessin, surtout d’un point de vue subjectif. Elle est, pour ainsi
dire, le soubassement psychique des phénomènes de somatisation
déclenchés par des situations d’impasse relationnelle. Le discours du
sujet est soumis aux mêmes contraintes que le corps. Il perd sa valeur
métaphorique et porte sur des faits concrets, en perdant sa référence au
temps et à l’espace.
L’investigation psychomotrice 17

 Somatisations et psychomotricité

La constatation clinique d’une corrélation négative entre l’imagi-


naire et la somatisation non conversionnelle, mais lésionnelle, impli-
quant le dérèglement du système immunitaire et une organisation
particulière de l’espace et du temps propre à ses formes de pathologies
organiques que nous décrivons par ailleurs, requiert qu’on prenne en
compte l’histoire médicale du sujet.
Le fonctionnement psychosomatique du sujet doit permettre de dis-
tinguer en psychomotricité les troubles fonctionnels des troubles ins-
trumentaux qui se rattachent à la maladie organique dans leur
expression d’une difficulté à organiser la genèse de l’espace et du
temps.
Les troubles psychomoteurs fonctionnels sont en corrélation posi-
tive avec un fonctionnement de l’imaginaire sans entrave; le corps étant
toujours porté par l’imaginaire, la somatisation sera alors uniquement
du registre conversionnel. Ces troubles portent donc sur une fonction
constituée, mais ce qui est relatif au sens qui accompagne et sous-tend
cette fonction est entravé. On a par conséquent ici une somatisation du
figuré.
L’investigation psychosomatique passe, s’il s’agit d’un enfant, par
des entretiens avec les parents au sujet de son passé médical. Le carnet
médical sera pris en compte dans l’investigation psychomotrice,
comme lieu d’inscription du corps réel. La recherche de somatisations
éventuelles dans la petite enfance et dans le présent permettra de mettre
en relation des éléments qui d’ordinaire ne sont pas reliés entre eux,
comme par exemple la maladie organique et l’imaginaire. Ainsi, il fau-
dra repérer les allergies éventuelles, cutanées ou respiratoires, rhino-
bronchites à répétition, troubles de la vision binoculaire… et demander
aux parents ou à l’enfant, dans quelles circonstances ils ont disparu, le
cas échéant. Il faudra aussi apprécier les modifications caractérielles
qui ont pu se produire, autrement dit ce qui a pu se substituer à la
maladie organique : autre type de phénomène organique ou
modification sur le plan psychique…
On doit procéder au même questionnement pour les adolescents et
les adultes, dans le but de suivre la variabilité symptomatique. Ce mode
de travail peut à première vue surprendre, mais il permet de s’orienter
et de cerner plus précisément l’unité psychosomatique du sujet et de
mettre en évidence les liens éventuels qui peuvent apparaître sous ce
jour entre le réel et l’imaginaire. Ainsi, au delà de ce que nous fourni-
ront ces informations pour formuler un diagnostic plus affiné, elles
peuvent nous aider à établir et à préciser le type d’engagement théra-
peutique à mettre en œuvre. Il est, en effet, primordial dans cette forme
18 Éléments d’histoire et d’épistémologie

d’approche, d’aider le patient qui se présente avec un trouble partiel


isolé, à relier ce symptôme ou syndrome à la globalité du fonctionne-
ment psychosomatique, dans les meilleurs délais. C’est à partir de cette
mise en place articulant le corps réel (maladies organiques) avec le
corps imaginaire (rêve, jeu, fantasmes, émotions, expressions affecti-
ves) qu’il faudra resituer le trouble psychomoteur instrumental ou
fonctionnel dans l’économie du sujet, en l’aidant à repérer l’oscillation
temporelle et spatiale des différents plans d’expressions somatiques ou
psychiques. C’est donc dans l’interaction de ces trois formes majeures
d’expression — troubles psychomoteurs, maladie, fonction de l’imagi-
naire — que se dégagera progressivement le fonctionnement psychoso-
matique de l’individu. Il ne s’agit nullement ici d’inscrire le sujet dans
une grille diagnostique permettant le recensement plus complet des
voies d’expression repérables chez lui, mais plutôt d’apprécier la dyna-
mique d’un fonctionnement psychosomatique en « remettant en jeu »
des fonctions généralement traitées par des domaines thérapeutiques
différents, donc tendant à isoler, à dissocier des manifestations apparte-
nant soit au champ somatique, soit au champ psychique.
La problématique de l’espace et du temps est, notons-le encore, le
dénominateur commun aux maladies organiques, aux affections psy-
chiques et aux troubles psychomoteurs, qui se retrouvent aussi bien
dans un champ que dans l’autre.
Adopter le point de vue psychosomatique, c’est, pour le psychomo-
tricien, savoir apprécier si le trouble psychomoteur est à mettre en rela-
tion avec la pathologie de l’adaptation, la somatisation littérale,
l’atteinte du corps réel — auquel cas il prend le caractère d’un trouble
instrumental, ou bien s’il relève de la psychopathologie, se situant
alors, en tant que trouble fonctionnel, dans le champ des psychonévro-
ses, ce qui détermine une prise en charge différente. Ce type d’appré-
ciation actuelle s’articule à la temporalité passée du sujet et à la
variation symptomatique oscillant du plan somatique au plan psychi-
que et inversement..
Pour clarifier ce qui précède, nous avons constitué un tableau récapi-
tulatif des différents éléments pris en compte dans l’examen psycho-
moteur pour tenter de déterminer la nature de ces troubles (v. p. 19).
Nous constatons combien il est difficile de mettre en pratique une
conception évitant des prises en charges multiples. En effet, dans le
cadre actuel de la division du travail et dans les applications de la théo-
rie de la pathologie qu’on y met en œuvre, il devient souvent extrême-
ment délicat et complexe de ramener à un ensemble unitaire une
pathologie qui se développe sur plusieurs plans. Le travail, remar-
quons-le, s’effectue sur différents plans, sans qu’on puisse en faire res-
sortir non pas la synthèse — qui peut se faire extérieurement — mais
L’investigation psychomotrice 19

TABLEAU SYNOPTIQUE (tiré de M. Contant, A. Calza, l’Unité psychosomatique


en psychomotricité, Masson, Paris, 1989).

Troubles fonctionnels Troubles instrumentaux


Implications Pathologie du corps Pathologie du corps réel
somatiques imaginaire ou
psychopathologie
Corps Identité entre corps et rêve Corrélation négative entre
projection et somatisation
Modèle Refoulement - Échec du Refoulement réussi de la
théorique refoulement - retour du fonction de l’imaginaire
refoulé conversionnel
Niveau Fonction constituée Fonction en voie de
d’apparition constitution
Symptômes Relevant du sens primaire Sens secondaire
Complaisance somatique Modifications caractérielles
Pas de symptômes
Espace - Temps Contenus symboliques Genèse de l’espace et du
temps
Latéralité Sens symbolique de la droite Inversion spatiale
et de la gauche Surmoi corporel
Conflit œdipien Relation fusionnelle à l’image
maternelle
Jeu « Agir jeu » Activisme - Instabilité
Actualisation fantasmatique « Agir réalité »
Rêve Fonctionnement onirique Refoulement du
présent fonctionnement onirique ou
rêves utiles
Rupture avec l’imaginaire
Somatisations Figuré ou symbolique Anonymat du corps
Corrélation positive entre Corrélation négative entre
imaginaire et somatisation imaginaire et somatisation
Visage Narcissisme primaire 3e mois Fixation au visage de la mère
Narcissisme secondaire 8e Difficulté à se différencier
mois
Reconnaissance du visage de
l’étranger différent de soi
Émotions Lient l’affect à la Refoulement émotionnel
représentation
Langage Déplacement et condensation Absence de subjectivité
Métaphore - Métonymie Primauté de la perception
Implications Conflit œdipien - Inhibition Conformisme social
psychiques passive psychonévrotique des « Fonctionnement opératoire »
fonctions psychomotrices
20 Éléments d’histoire et d’épistémologie

l’unité (M. Contant, A. Calza, 1989). En fait, cette unité ne peut être
obtenue que grâce à une conception qui puisse englober à la fois la
diversité des phénomènes observés et les ramener à des coordonnées
maniables. Par conséquent, pour parvenir à établir l’unité d’une patho-
logie observée sous ses différents aspects, il est nécessaire de rattacher
troubles instrumentaux et troubles névrotiques à la notion plus générale
de structuration de l’espace et du temps.
En évitant d’isoler aspect névrotique et aspect instrumental, et en exa-
minant comment cet ensemble de troubles s’inscrit dans une structura-
tion de l’espace et du temps, autrement dit, en prenant l’espace et le
temps comme coordonnées fondamentales de l’investigation, on pourra
réussir à obtenir une certaine vision unitaire de son fonctionnement.
Partant, on peut multiplier les variables entrant dans le champ de
l’investigation et donc arriver à comprendre de quel genre de pathologie
il s’agit : a-t-on, par exemple, affaire à une pathologie de l’échec du
refoulement ou, au contraire, à celle du refoulement réussi? Les acquisi-
tions spatio-temporelles ne sont-elles pas, en fait, une sorte de placage
masquant l’impossibilité d’accéder à la vie onirique ? On s’efforcera
également d’établir une coordination avec les maladies organiques que
l’on peut constater lors de l’examen du patient — allergie ou non — en
conservant naturellement les mêmes critères d’observation.
Une prise en charge séparée, segmentée, aboutit, si l’on ne tient pas
compte de cette unité psychosomatique et que l’on se contente de noter
l’ensemble des symptômes, à un « polydualisme », autrement dit à la
fragmentation d’un problème qui ne pourra donc trouver de solution,
puisque celle-ci ne dépend pas de la multiplication des interventions,
mais qu’elle tend au contraire à percevoir l’unité à travers cette multipli-
cation. Il faut déplorer que les psychanalystes ne s’intéressent que peu
ou prou à la question de l’espace et du temps, sinon pour relever qu’il
s’agit de contenus symboliques. Sami-Ali est le premier à avoir mis en
évidence l’importance de cette notion d’espace-temps pour l’investiga-
tion et notamment lorsqu’elle concerne l’investigation psychosomati-
que, parce qu’elle permet d’établir une coordination des phénomènes
relevant des différents champs d’observation et de parvenir de ce fait à
une vue plus sûre de l’ensemble des fonctions. On s’attache également à
bien distinguer une fonction constituée d’une fonction en voie de cons-
titution — la première rendant possible un symptôme névrotique corres-
pondant par définition à l’inhibition d’une activité psychomotrice
achevée quant à son étayage neurophysiologique, et la seconde dési-
gnant la genèse malaisée de cette même activité.
Les troubles psychomoteurs s’observent aussi bien dans les psycho-
névroses que dans la pathologie de l’adaptation.
Praxis psychomotrices 21

Rappelons que, dans le cas des troubles instrumentaux qui consti-


tuent la manifestation-témoin d’une rupture dans la dialectique réel-
imaginaire, le corps étant à l’origine du contenu et de la forme de
l’imaginaire, il faut éviter, au cours de la phase symptomatique mettant
en évidence le corps réel à travers la maladie et la perception privée de
toute inflexion subjective, l’écueil de renforcer le refoulement de l’ima-
ginaire par la priorité accordée aux acquisitions techniques mobilisant
des somatisations atteignant le corps réel. Il faut aussi éviter de provo-
quer un accroissement de l’énergie fantasmatique en mettant en place
des somatisations atteignant le corps imaginaire.
La technique mise en œuvre — en tenant compte des variations
symptomatiques — oscille de la sensorialité au fantasme, en mettant
l’accent sur la sensorialité et la perception, dans la psychose, et sur la
dynamique imaginaire dans la structure allergique, l’émotion servant
de lien par son origine biologique, d’une part, et par ses racines imagi-
naires dans son équivalence du rêve et du jeu.

PRAXIS PSYCHOMOTRICES

Cadre thérapeutique et transfert6


 Psychomotricité et transfert : un débat ouvert
Depuis de nombreuses années, on observe une intrication de plus en
plus étroite entre les concepts psychanalytiques et ceux issus de la pra-
tique psychomotrice. C’est ainsi que la notion de transfert a largement
franchi la limite de la situation analytique pour venir s’imposer dans le
champ de la thérapie psychomotrice.
Effectivement, on peut considérer que dans toute situation thérapeu-
tique est conféré au thérapeute un rôle particulier, et ce qui confère au
thérapeute ce rôle, par une répétition inconsciente de la part du sujet
qui souffre, c’est le transfert. Même si l’on parle de relation transféren-
tielle, d’aspects transférentiels, en tempérant un tant soit peu le dis-
cours, ce qui le sous-tend n’en est pas moins historiquement cette
notion freudienne du transfert.
Or, c’est déjà dans cette perspective historique, en regard de la praxis
psychomotrice actuelle, qu’il faut voir une différence fondamentale.
L’élaboration par Freud du concept de transfert a vu le jour au sein d’une
clinique de patients névrosés. Il était là question d’une psychopatholo-
gie, celle de la névrose adulte (rappelons que Freud n’a jamais travaillé
ni avec l’enfant souffrant ni avec les psychotiques dont il se méfiait beau-

6. Olivier MOYANO.
22 Éléments d’histoire et d’épistémologie

coup. Pour l’un, il élabora à travers les dires d’un parent — le petit Hans
—, et pour l’autre — le Président Schreber —, le modèle de la paranoïa
émergea d’une réflexion sur les écrits de Schreber lui-même).
Le sujet névrotique, dans le dispositif artificiel de la cure, « fabriquait »
sa névrose de transfert en actualisant sur la personne de l’analyste des
conflits inconscients, des contenus psychiques refoulés, des fantasmes et
scénarios imaginaires, des affects… le transfert était présent.
Lorsque nous, psychomotriciens, nous employons le terme de trans-
fert, c’est que nous le rattachons, consciemment ou non, à ce fonction-
nement. Le postulat de base étant, donc, qu’un transfert de contenus
psychiques s’établit. Selon la psychopathologie du patient ce postulat
sera aménagé : on parlera volontiers de transfert psychotique, de rela-
tion à caractère transférentiel, d’aspect transférentiel, de transfert litté-
ral, mais quelles que soient les variations autour du thème, ce qui
semble immuable, c’est que dans tous les cas considérés un transfert
s’installe, la magie de la thérapie opère, et c’est au sein de cette magie
que le psychomotricien devrait agir.
Mais en sommes-nous bien sûrs? Et si, en psychomotricité, il s’agis-
sait plutôt de tout autre chose ? Recevons-nous toujours les mêmes
pathologies ayant le même type de fonctionnement que celles pour les-
quelles la psychanalyse est une indication ? Peut-on, finalement, appli-
quer le modèle et la technique freudienne pour des pathologies qui
n’ont pas contribué à son élaboration?
Si non, comment considérer le cadre thérapeutique et la valeur des
troubles psychomoteurs, quel sera le statut du transfert dans ces autres
cas de figure?

 Un retour à la nosologie comme méthodologie


Pour tenter de répondre à ces multiples questions, nous avons eu
envie de faire un tour d’histoire et de faire le point sur des textes déjà
anciens pour certains mais brûlants d’actualité par leur éclairage averti.
La première question à partir de laquelle une logique dans notre
démonstration pourrait découler peut se formuler ainsi : à quelle psy-
chopathologie correspond ou appartient le trouble psychomoteur ?
En 1972, R. Cahn publie dans la Revue Française de psychanalyse un
article intitulé « Défaut d’intégration primaire et inhibition des appren-
tissages instrumentaux et cognitifs ». Il y décrit des tableaux cliniques
d’enfants présentant « des troubles sévères de la structuration temporelle
et spatiale, de la latéralité, du schéma corporel, aussi bien dans le corps
vécu que dans le corps représenté, ainsi qu’une immaturité motrice avec
retard fréquent de l’apparition du langage ». Bref, des enfants qui pré-
sentent toute la panoplie de nos troubles psychomoteurs, et au sujet des-
Praxis psychomotrices 23

quels R. Cahn s’interroge, en particulier sur la genèse des troubles. Mais


il ne trouve pas de réponse dans la perspective psychopathologique clas-
sique. Rappelons, pour mémoire, que la psychopathologie infantile est
issue de la métapsychologie freudienne qui, elle, est née d’après une cli-
nique exclusive d’adultes. Rappelons également que dans cette perspec-
tive tous « les symptômes servent à la satisfaction sexuelle du malade
(…). Chaque fois nous aurions à constater que leurs symptômes sont au
service de la même intention » (Freud, 1917). De plus, le modèle psy-
chopathologique freudien traitait d’adultes malades, certes, mais dont
toutes les fonctions psychiques et psychomotrices étaient constituées et
sur lesquelles venait se greffer, dans un appel à l’autre, le trouble névro-
tique. Alors que R. Cahn observe très justement que chez les enfants
dont il parle, « les troubles instrumentaux viennent au contraire témoi-
gner d’une impossibilité à construire la fonction ». Nous sommes bien et
il faut l’admettre comme tel, dans un registre radicalement différent que
celui que décrit la psychopathologie freudienne.
Nous ne croyons pas que le trouble psychomoteur serve à la satisfac-
tion sexuelle de nos patients… nous ne croyons pas que le trouble psy-
chomoteur soit le résultat d’un refoulement, d’un déplacement sur le
corps d’une représentation forcément déjà constituée, ou d’un affect par-
ticulier, venant parler en lieu et place d’un symptôme psychonévrotique.
Nous partageons plutôt l’avis de R. Cahn qui suggère que dans ces
cas-là, « on a affaire moins à l’inhibition des différentes fonctions
instrumentales ou symboliques — ce qui supposerait déjà leur struc-
turation préalable, plus ou moins solide —, que du retard, du trouble
ou de l’impossibilité de leur apparition et leur usage. Chez tous ces
sujets — quelle que soit leur organisation psychopathologique —,
l’existence des déficits instrumentaux et cognitifs dans tous leurs
registres ne peut guère provenir que d’un défaut des premiers proces-
sus d’intégration perturbant gravement les toutes premières structures
fonctionnelles ».
Cinq années plus tard, dans la revue La psychiatrie de l’enfant,
D. Flagey publie un article intitulé « L’évolution du concept de troubles
instrumentaux ». Elle dit observer souvent des troubles instrumentaux
pouvant apparaître isolément chez des enfants dits « normaux », c’est-
à-dire en l’absence de psychopathologie particulière. Par troubles ins-
trumentaux, elle entend les altérations de l’organisation psychomotrice
et de la représentation spatio-temporelle auxquelles s’ajoute bien sou-
vent toute la gamme des troubles du comportement de type instabilité-
impulsivité. Lorsque D. Flagey considère l’étiologie de ces troubles,
elle cite divers facteurs rentrant dans ce que l’on pourrait appeler
aujourd’hui les troubles des interactions précoces, facteurs qui grèvent
24 Éléments d’histoire et d’épistémologie

durablement l’établissement de l’organisation praxique et cognitive. Ici


encore, il n’est pas question d’un refoulement d’une représentation,
mais bien d’une impossibilité très précoce à construire la représenta-
tion elle-même. Nous ne sommes toujours pas dans le schéma freudien
classique.
Entre-temps, dès la fin des années 60, un psychologue-psychana-
lyste travaille à l’élaboration d’une théorie de la psychomotricité à
partir d’un groupe de psychomotriciennes qu’il a en supervision. De
cette élaboration plusieurs publications verront le jour, avec un cha-
pitre complet dans un ouvrage, Corps réel-corps imaginaire. Dans
cet ouvrage, Sami-Ali pose pour la première fois une définition de la
psychomotricité en regard de la théorie psychanalytique, cette der-
nière n’englobant pas la première mais pouvant servir à la compren-
dre pour peu que l’on en élargisse certains concepts. Nous voudrions
reprendre une phrase d’un entretien qu’il accorda à ce sujet en 1986
à la Revue Thérapie psychomotrice : « Je dois insister sur une oppo-
sition fondamentale que j’établis entre, d’une part, des fonctions
constituées mais susceptibles d’être entravées par des inhibitions
névrotiques ou psychotiques, de sorte qu’elles relèvent du travail
psychanalytique, et d’autre part, des fonctions en voie de constitu-
tion. Ce sont justement celles qui font que la psychomotricité a un
champ qui lui est propre ».
André Calza et Maurice Contant publieront trois ans plus tard leur
ouvrage, L’unité psychosomatique en psychomotricité, en insistant sur
la différence fondamentale qui oppose les troubles instrumentaux aux
troubles fonctionnels. Si le trouble fonctionnel est un trouble qui cor-
respond au schéma classique de la formation du symptôme freudien, le
trouble instrumental, dans lequel nous serions tenté d’inclure l’ensem-
ble des troubles psychomoteurs, renvoie pour sa part à une fonction en
mal d’élaboration, dont les assises neurophysiologiques sont défaillan-
tes, entraînant une atteinte au niveau du corps réel.
Forts de tous ces éléments, nous en concluons que le trouble psy-
chomoteur ne peut pas s’inscrire dans la psychopathologie freu-
dienne, il n’est pas un symptôme qui convoque une fonction déjà
constituée dont l’expression s’en trouverait entravée par un interdit
sexuel ou serait le siège d’une formation symptomatique par retour
du refoulé. Le trouble psychomoteur n’est pas un trouble psychoné-
vrotique. Il vient au contraire rappeler dans ses fondements les plus
neurophysiologiques l’impossibilité chez le sujet (les causes pouvant
être multiples) à constituer la fonction. La fonction est défaillante
dans son essence même, dans ses processus corporels d’organisation
les plus archaïques.
Praxis psychomotrices 25

Si cette définition vous convient, vous comprendrez bien que si le


trouble psychomoteur ne s’inscrit pas dans la psychopathologie freu-
dienne, il est vain, pour qualifier la thérapeutique psychomotrice,
d’utiliser comme « levier thérapeutique » le transfert, outil thérapeuti-
que hyperspécifique et réservé à la clinique psychanalytique. Prendre
en considération en thérapie psychomotrice le transfert (en connais-
sance de cause, c’est-à-dire en reconnaissant l’énorme pan concep-
tuel que ce terme convoque, de l’étiopathogénie des troubles à leur
résolution dans la liquidation de ce dernier) reviendrait, en quelque
sorte, à demander au dentiste de soigner une cardiopathie — sans
doute présente chez tel patient —, en le laissant repartir de son cabi-
net avec sa carie, sans l’avoir prise en considération ni s’être penché
dessus. Le psychomotricien soignerait-il la névrose de son patient
sans s’intéresser au trouble psychomoteur ? Cela non plus, nous ne le
croyons pas.
Mais alors, comment comprendre et aborder l’aspect éminemment
relationnel de notre pratique psychomotrice?
La question de la relation et du transfert est une question évidem-
ment très délicate. Nous l’avons abordée par ailleurs et, si nous ne
sommes plus tout à fait d’accord avec ce que nous avons écrit il y a
quelques années (Moyano, 1991, 1994) nous allons nous en expliquer
ici. Ce n’est pas si simple que cela d’avoir opposé, comme nous
l’avons fait, un transfert en termes de contenus psychiques d’un trans-
fert au niveau du contenant. Ce n’est pas simple car lorsque l’on
aborde les contenants de pensée on est quand même dans la psycho-
pathologie freudienne, qu’on le veuille ou non, donc dans une consi-
dération métapsychologique de la pathologie. Même si cela concerne
plutôt les pathologies limites ou narcissiques, cela s’inscrit bien dans
ce cadre. Nous ne voulons pas dire ici que nous nous démarquons à
tous prix de la psychanalyse ou que nous rejetons ce formidable
champ de connaissances, au contraire, mais notre propos est ici
d’expliquer notre conviction, c’est-à-dire que le thérapeute en psy-
chomotricité n’est ni un psychothérapeute d’inspiration psychanalyti-
que, ni un psychanalyste. Nous aurons à la fin de cet article à revenir
sur la notion de contenant qui, à ce terme de notre développement,
n’a pas encore sa place.
Revenons un instant à ce que dit R. Cahn. Il propose, lorsqu’il
aborde la thérapeutique des troubles instrumentaux et cognitifs, « une
sorte d’expérience relationnelle où le thérapeute, tolérant mais attentif,
prêt à aider l’enfant mais seulement lorsqu’il le demande, laisse à ce
dernier toute initiative, notamment dans le registre de l’expression
motrice et symbolique, favorisant la découverte et l’exploration des
objets ou du matériel et leur libre utilisation. (…) Ainsi le thérapeute,
26 Éléments d’histoire et d’épistémologie

(…) évitant à la fois le maternage et l’interprétation, vécus l’un et


l’autre comme insupportablement intrusifs, rend possible de spectacu-
laires évolutions sur le plan instrumental et symbolique ».
Nous sommes là sans doute, lorsque nous évoquons ce rapport rela-
tionnel fondé par une relation que nous appelons une relation
d’implication, au cœur de ce que M. Berger nomme « l’archaïque »
(Berger, 1996). L’archaïque n’est pas le fait du trouble psychotique,
considération structurale où les fonctions sont constituées mais
désorganisées par l’attaque des liens intersubjectifs ou leur gel
comme dans l’autisme. Dans l’archaïque, il est question de tout autre
chose : la fonction reste à constituer, elle est en voie de constitution,
en « latence d’agencement » comme le dit M. Berger. Le lien est alors
lui aussi à tisser, à construire, sans aucun doute, comme il en est pour
le bébé, à travers le jeu et le plaisir partagé avec l’autre. La représen-
tation ne naîtra pas de la frustration, elle naîtra du commerce avec
l’objet. Si la représentation de choses doit devenir une représentation
de mots, nous savons pourtant dès les études freudiennes sur l’apha-
sie que les représentations de choses comprennent des éléments bien
sûr visuels et auditifs, mais aussi des images motrices, gustatives et
tactiles, que les travaux de D. Anzieu ont si bien développées. A tra-
vers la relation psychomotrice la représentation doit se construire,
elle est elle-même en voie de constitution, en attente. Elle est en
attente de ce que l’on ne la réduise pas, comme bien trop souvent, à
une représentation directement de mots entendus, lus ou écrits par le
thérapeute. Pour construire la représentation, l’enfant doit utiliser le
psychomotricien comme premier support relationnel, générateur dans
les interactions de traces mnésiques mais aussi affectives. L’affect
partagé n’est certainement pas un affect du transfert, mais un affect
véritable qui prend sa source au sein de la relation intersubjective,
dans cet entre-deux qui n’appelle pas à revivre et à élaborer une
expérience antérieure, mais bien à faire naître une expérience neuve
et constructive pour l’enfant.
Ce n’est pas d’un affect du transfert qu’il s’agit car on ne revit pas
ce qui n’a jamais été vécu, on ne reconstruit pas ce qui n’a jamais été
construit.
La thérapie psychomotrice nous fait saisir à quel point la relation
est importante (mais pouvons-nous éviter de répéter cette évidence ?).
C’est à partir d’elle que tout s’organise, pour peu que le psychomotri-
cien s’y laisse impliquer suffisamment pour accepter d’être utilisé
comme un « médium malléable » (et il ne peut en être autrement au
risque de passer à côté de l’essentiel du travail thérapeutique à four-
nir). Mais tout en se laissant glisser dans cet espace, celui-ci n’en
exerce pas moins sa propre capacité à penser et à être affecté dans sa
Praxis psychomotrices 27

subjectivité propre. La relation thérapeutique n’est alors pas et ne


peut pas se définir comme une neutralité bienveillante. C’est au con-
traire une relation d’implication. La relation d’implication en interdit
la neutralité, l’enfant doit pouvoir utiliser le thérapeute et en jouer
avec plaisir ou déplaisir. Au sein de cette relation où le thérapeute est
pris dans le système relationnel de son patient mais actif dans les inte-
ractions (sorte de double position « passive-active »), l’enfant exer-
cera tant ses capacités motrices que psychiques avec ce partenaire
pas encore symbolique, mais sûrement « symboligène ». L’enfant se
construira dans cette relation réelle qui n’est pas la reviviscence
d’une expérience passée, mais qui se veut une fondation affective et
effective dans les processus d’organisation du corps, de l’espace et du
moi.
Le jeu, dans ce cadre, ne sera pas considéré comme chez M. Klein,
où ce dernier est d’emblée et a priori l’équivalent d’un rêve. Si c’était
le cas, cela supposerait que tout ce qui sous-tend la possibilité au jeu
imaginaire de se déployer dans la relation à l’autre (création des tra-
mes spatiales et temporelles, juste utilisation du schéma corporel et
du langage pour traduire le jeu et pouvoir jouer avec l’autre) est cons-
titué. Le jeu devient alors un symptôme à décrypter. Peut-être le psy-
chomotricien est-il alors celui qui doit permettre ce passage du côté
— et cette fois, nous emploierons le terme — des contenants de pen-
sée et de leur ancrage corporel à celui d’une pensée élaborée, symbo-
lisée, communicable.

 Le concept de contenant psychique


dans la théorie psychomotrice
Le transfert est, comme l’appelait Freud, le terrain où peut se résou-
dre la névrose. Le sujet en analyse y met en jeu les conflits, les impas-
ses de son existence. Sans doute faudrait-il réfléchir différemment la
relation transférentielle lorsque le contenant psychique est en cause
dans la souffrance du sujet : faiblesse dans sa structure, dans sa fonc-
tion, dans sa genèse.
Nous pourrions l’envisager si nous acceptions de centrer notre
écoute sur des mots, des signifiants relatifs aux contenants psychiques :
car le contenant psychique, ça se parle. Ça se parle d’autant plus qu’il
s’établit corrélativement et en relation avec le langage ; les contenus
psychiques, eux, s’élaborent en même temps que mature l’individu,
dans le langage, dans la projection fantasmatique. Les enveloppes psy-
chiques constituant le contenant psychique ne s’élaborent (sur l’infras-
tructure que constituent les contenants de pensée archaïques) que si le
sujet a pu mettre du sens, a pu investir, comprendre, métaboliser ses
sensations corporelles, et intégrer les zones corporelles les générant. Et
28 Éléments d’histoire et d’épistémologie

cette mise en sens passe nécessairement par l’établissement et le


maniement du langage.
Il existe alors, chez l’homme, des signifiants propres aux contenants
psychiques : ils décrivent la configuration particulière des enveloppes,
leur manque, leur effraction, leur morcellement, et nous le signifient
non pas en termes dynamiques ou économiques, mais en termes
d’espace, d’espace psychique, en termes relevant de la topologie.
D. Anzieu les appelle les « signifiants formels » (Anzieu, 1987). Ce
sont des signifiants dont la dimension spatiale est essentielle, qui tra-
duisent une configuration particulière du contenant. Ils s’originent dans
le ressenti du sujet et sont différents des fantasmes. « Ils parlent d’une
transformation d’une caractéristique géométrique ou physique du
corps », ils sont « constitués d’images proprioceptives, tactiles, cœnes-
thésiques, kinesthésiques, posturales, d’équilibration. (…) Le sujet
grammatical est une forme physique isolée ou un morceau de corps
vivant, non une personne entière » (Anzieu, 1987).
La pratique psychomotrice semble privilégiée quant au soin des
pathologies du contenant psychique : c’est peut-être là que se situe une
limite épistémologique entre le psychomotricien et les autres thérapeu-
tes d’un sujet en souffrance psychique. Cette prédilection est en fait le
reflet d’une équivalence conceptuelle. Grâce à la réflexion de Sami-Ali,
nous allons constater l’équivalence ou l’analogie conceptuelle entre la
genèse d’une théorisation de la psychomotricité et la genèse du conte-
nant psychique.
Le moi-peau, constitué des enveloppes psychiques, naît de la percep-
tion sensorielle et s’accomplit dans la projection fantasmatique. Pour
Sami-Ali, « le champ qu’explore la psychomotricité aura, en consé-
quence, pour limite inférieure la projection sensorielle et pour limite
supérieure la projection fantasmatique » (Sami-Ali, 1984). Or c’est de
cette projection sensorielle qu’il s’agit quand Anzieu aborde la genèse
du moi-peau d’abord comme peau-psychique (projection sensorielle de
la peau comme enveloppe du corps), puis par l’élaboration fantasmati-
que comme enveloppe des contenus psychiques. Nous rejoignons là le
double aspect du contenant psychique :
– l’aspect structurel : élaboré par la projection sensorielle, la peau
psychique;
– l’aspect fonctionnel : élaboré par l’imaginaire et la projection fan-
tasmatique, le moi en tant que fonction contenante.
Ainsi, nous pouvons superposer conceptuellement les limites infé-
rieures et supérieures de la psychomotricité et les deux aspects de la
genèse des contenants psychiques. Quand on considère les deux
concepts, on s’aperçoit que les deux s’originent dans le corps, leurs
limites sont les mêmes, et d’un point de vue dynamique les deux ten-
Praxis psychomotrices 29

dent à cheminer de l’activité perceptive et sensorielle vers l’activité


symbolique : le modèle du contenant psychique constitue une véritable
charnière entre la théorie et la pratique psychomotrices.
Parler du contenant psychique et de psychomotricité, c’est envisa-
ger dans un cas comme dans l’autre la limite entre le psychique et le
somatique, c’est parler du corps comme celui qui « médiatise le pas-
sage de l’activité perceptive à celle qui trouve dans le rêve son
expression la plus adéquate » (Sami-Ali, 1987), c’est poser la ques-
tion qui tente de définir le corps dans sa double appartenance au réel
comme à l’imaginaire, c’est se placer juste sur la frontière entre le
dedans et le dehors.
Pour Sami-Ali, la thérapeutique psychomotrice a pour rôle, entre
autres, d’être le « processus auquel, originellement, incombe la tâche
de créer un dedans et un dehors en séparant ce qui appartient au sujet de
ce qui lui est étranger » (Sami-Ali, 1987), rôle imparti au contenant
psychique dans le processus de différenciation soi/non-soi. Enfin, c’est
le corps, en psychomotricité comme dans la genèse du contenant psy-
chique, qui médiatise cette différenciation dedans/dehors, soi/non-soi,
réel/imaginaire, car il est cette surface de projection originelle, ce
« schéma de représentation auquel est imparti une activité de synthèse
absolument originale » (Sami-Ali, 1987).

 Le corps et le contenant psychique :


pour une genèse de l’espace et du temps

Le corps est ce lieu où prend naissance le contenant psychique entre


perception et projection, il est une surface de projection (Sami-Ali,
1987).
Nous allons voir comment le corps, espace de projection, participe à
l’élaboration des données temporelles et spatiales. Pour cela, il nous
faut comprendre que le temps et l’espace ne sont pas des données en
soi, mais existent seulement parce qu’il y a un corps pour les percevoir
et un psychisme pour les appréhender et les penser. L’espace euclidien
à trois dimensions est une construction mathématique pour tenter
d’expliquer la réalité sans pour autant constituer la réalité. En ce qui
concerne les notions d’espace et de temps, nous avons par trop ten-
dance à procéder à une réduction du modèle à la réalité, perdant de vue
que le temps et l’espace sont des données imaginaires qui s’élaborent
quand se construit l’individu.
Pour exemple, citons la notion de perspective : la perspective, la
profondeur du champ visuel, la notion de point de fuite ne sont pas
des données de la réalité en soi. Du point de vue de la réalité, la pers-
pective n’existe pas, elle n’est que le résultat de notre convergence
30 Éléments d’histoire et d’épistémologie

visuelle qui induit la perception d’un point de fuite, et la construction


de la perspective (nous en voulons pour preuve que les enfants anoph-
talmes — absence congénitale d’un œil — ne perçoivent ni le relief ni
la perspective). En fonction de cette perception binoculaire, l’homme
a élaboré des modèles mathématiques capables d’expliquer et de
reproduire cette troisième dimension, calculant les angles, la réduc-
tion de la taille de l’image de l’objet visuel en fonction de la distance
qui le sépare de la rétine, etc. Il y a fort à parier, si l’humanité avait
été constituée de cyclopes, que ces modèles auraient été radicalement
différents.
Le temps et l’espace n’existent que si nous sommes là pour les con-
cevoir et seulement s’il y a un corps pour les percevoir.
Au-delà de cette acception phénoménologique, rappelons que Sami-
Ali souligne que le temps imaginaire, traduit par le langage et l’imagi-
nation visuelle, fait toujours appel pour pouvoir accéder à notre cons-
cience aux données spatiales : « La perception du temps est toujours
médiatisée par des figures spatiales. Non seulement la forme géométri-
que du temps, linéaire, cyclique, répétitive, singulière ou plurielle, mais
encore le contenu concret de la conscience du temps est assimilé à
l’espace : on est dans le temps comme dans un espace fluide, ponctué,
orienté » (Sami-Ali, 1990).
La notion de temps s’élabore donc en référence à l’espace imaginaire
qui, comme nous allons le voir, dérive de la spatialité du corps propre.
L’espace se construit, grâce à la projection, par le passage de l’espace
corporel à l’espace de la représentation : nous saisissons à nouveau le
statut du corps comme central dans les processus d’élaboration spatiale
et temporelle.
Dans Le moi et le ça (1923), Freud considère essentiellement les
aspects tactile et visuel comme permettant une différenciation dedans/
dehors : le corps (ou ses parties le constituant) est perçu comme un
objet étranger et la peau permet la rencontre des sensations internes et
externes, première approche de la dialectique dedans/dehors en cours
de constitution. D. Anzieu y ajoute les sensations thermiques et les
échanges respiratoires. Mais il indique le rôle primordial du tactile per-
mettant de fournir au psychisme « en permanence quelque chose qu’on
peut aussi bien appeler le fond mental, la toile de fond sur laquelle les
contenus psychiques s’inscrivent comme figures, ou encore l’enve-
loppe contenante qui fait que l’appareil psychique devient susceptible
d’avoir des contenus » (Anzieu, 1985). La projection sensorielle de
l’enveloppe tactile est donc la première transposition spatiale du corps
propre, espace de projection, fondant l’appareil psychique en tant
qu’entité elle-même spatiale (Moyano, 1997).
Praxis psychomotrices 31

La relation contenant/contenu s’étaye sur les premiers schémas


sensori-moteurs que la notion d’espace d’inclusion réciproque
explicite : lorsque le bébé met sa main à la bouche, il a à la fois la
sensation du sujet qui touche et de l’objet qui est touché. L’espace
corporel a ceci de particulier que, même lorsque l’enfant saisit un
jouet, ou une partie du corps de sa mère, il perçoit simultanément une
sensation externe et une sensation interne. Il sent l’objet qui touche la
peau en même temps que la peau touchée par l’objet. Sami-Ali dit
alors que le corps crée un espace distinguant le dedans du dehors,
signifiant alors deux aspects complémentaires : « Le corps se ferme
sur lui-même tout en s’ouvrant sur un espace qu’il délimite et par
quoi il est délimité. Espace qui a ceci de remarquable qu’il reproduit
sur le plan de la perception externe la réalité corporelle dont il est la
négation. Tout se passe comme si le corps était doublement repré-
senté au-dedans comme au-dehors (…). Aussi l’espace de l’expé-
rience perceptive commence-t-il par se réduire aux coordonnées du
corps propre : il est par essence un espace corporel. De sorte que le
corps se trouve inclus dans un espace qu’il inclut à son tour et
inversement » (Sami-Ali, 1987). Cet espace d’inclusion réciproque,
espace corporel, constitue ensuite au fur et à mesure que se dévelop-
pent la motricité et les capacités symboliques, les repères corporels
de base : les notions dedans/dehors, haut/bas, devant/derrière, proche/
lointain, droite/gauche.
A ce moment-là de la vie de l’humain, la spatialité du moi semble, en
l’absence de la fonction projective en voie de constitution, épouser par-
faitement la forme et les limites du contenant psychique.
La représentation s’appuyant toujours sur l’expérience corporelle, au
travers des processus de projection, et dans l’espace de la relation à
l’autre par le biais du langage tonique puis verbal, l’espace corporel
cède la place à l’espace de la représentation. Ce mouvement est un
mouvement éminemment projectif, dans lequel les limites de la pensée
de l’enfant ne sont plus centrées sur sa propre personne ; l’enfant
s’ouvre sur le monde et en parallèle à cette ouverture, l’espace imagi-
naire se décolle de ses limites premières (celles du moi), le moi le pro-
jetant aux limites de la pensée elle-même. Mais cet espace est un
espace que le corps projette, où celui-ci est toujours le référent de
l’organisation spatiale qui en découle : devant moi devient derrière moi
si je me retourne. C’est donc toujours le corps propre qui est le média-
teur dans ce passage de l’activité perceptive à l’activité imaginaire.
Pour Gibello (1987), il existe un contenant de pensée archaïque rela-
tif à l’espace, antérieur à l’espace euclidien : ce contenant est tel qu’il
est modelable et déformable à merci, en l’absence d’un cadre cognitif
pouvant le stabiliser. Appréhender l’espace par le truchement du conte-
32 Éléments d’histoire et d’épistémologie

nant de pensée archaïque correspond à ne tenir aucunement compte des


mesures ni des formes, mais uniquement du caractère continu ou dis-
continu des traits qui le délimitent : l’espace de la pensée est l’espace
du moi (nous en revenons donc à la notion d’espace corporel), une pen-
sée « égocentrée » à ce stade du développement où le point de vue qui
prime est seulement le jugement du moi. Il y a coïncidence entre
l’espace de la pensée, l’espace du moi (le contenant psychique) et
l’espace corporel.
Il en sera de même pour le temps : la mesure du temps n’étant pas
innée, la perception du temps via le contenant de pensée archaïque sera
considérablement élastique, sans « ordonnement chronologique », sauf
celui de la soumission, encore une fois, au jugement égocentrique de la
pensée de l’enfant.
Gibello distingue « trois contenants archaïques : le fantasme incons-
cient, les processus cognitifs, le système de représentation de soi. Ces
trois contenants sont distincts, à l’œuvre dès le début de la vie. Au com-
mencement, ils constituent trois systèmes associatifs distincts, clivés.
Dans un second temps seulement s’établissent des liens associatifs
entre les éléments des trois systèmes archaïques.
Ces contenants élémentaires sont complètement transformés par le
jeu d’un contenant intermédiaire extrêmement puissant constitué par
les systèmes de représentations symboliques. Le principal est le lan-
gage qui intervient à partir du 12e-15e mois de la vie. A côté du système
langagier, les systèmes de représentations non verbales complexes
comme la logique, les mathématiques, les supports de création artisti-
que (musique, peinture, dessin, etc.) ou le langage des signes, ont le
pouvoir de métamorphoser la pensée archaïque, faite essentiellement
de représentations de choses et de transformations, en une pensée sup-
portée par des systèmes de signes.
Des contenants groupaux complexes coopèrent ultérieurement avec
les précédents et modulent les pensées organisées par eux. Je citerai
entre autres le groupe familial, les groupes d’appartenance sociale,
politique, spirituelle, divers, la culture » (Gibello, 1994).
Les trois contenants archaïques sont conceptuellement les plus pro-
ches de notre notion de contenant psychique et de la notion d’enve-
loppe psychique développées par Anzieu. L’altération ou la dysgénèse
des contenants archaïques touchera les grandes fonctions de l’enfant :
si c’est le contenant relatif aux fantasmes qui prévaut sur les deux
autres, il peut en découler une altération dans la structure de la person-
nalité de l’enfant, aménageant le mode de fonctionnement sur un regis-
tre psychotique ou état-limite.
Les anomalies des contenants de pensée cognitifs peuvent entraîner
un retard dans l’organisation mentale et du raisonnement ainsi qu’une
Praxis psychomotrices 33

dysharmonie cognitive : les processus d’apprentissages sont gravement


perturbés, les grandes fonctions sensorimotrices et psychomotrices ne
se développent pas correctement occasionnant au niveau cognitif des
troubles importants de la représentation spatiale, de la temporalité et de
la lecture, du calcul, et il en est de même pour le langage. C’est dans ce
cadre que Gibello diagnostique les dysgnosies, dyspraxies et les dys-
phasies de l’enfant, notant de plus généralement une perte de l’initia-
tive, de la curiosité, des limitations motrices.
Les troubles des contenants narcissiques ou relatifs à la représenta-
tion de soi s’observent également dans diverses formes de dysharmo-
nies d’évolution, donnant des pathologies narcissiques ou dépressives
camouflées, pouvant aller jusqu’à perturber la perception des limites de
soi et de l’identité.

 En guise de conclusion
Nous avons scindé notre présentation en deux parties. Si nous con-
sidérons en premier lieu les troubles psychomoteurs en regard de leur
inscription dans la perspective psychopathologique, nous constatons
que leur valeur n’a aucune commune mesure avec le symptôme psy-
chonévrotique. En résumé, la portée sexuelle ou présexuelle du trou-
ble psychomoteur n’est pas démontrée. En conséquence, le trouble
psychomoteur ne constitue pas une adresse à l’autre à travers un corps
donné d’emblée comme symbolique et fantasmatique. En vertu de ce
constat, le transfert (entendu dans son contexte historique et concep-
tuel le plus strict) ne peut pas être présenté comme un outil cohérent
et logique dans l’abord thérapeutique du trouble psychomoteur. Le
transfert nous semble un « concept nomade » (Anzieu, 1990) à l’égard
duquel les psychomotriciens doivent se montrer des plus humbles et
lucides, avertis, bien sûr, mais professionnellement prudents quant à
la revendication de ce concept comme d’un outil thérapeutique allant
de soi.
En deuxième lieu, il est vrai que l’on peut inclure certains troubles
psychomoteurs comme faisant partie d’un tout regroupant la défaillance
précoce du contenant psychique, sa défaillance dans le processus pro-
gressif de différenciation soi/non-soi, ou un défaut de symbolisation du
processus même qui s’origine dans l’activité corporelle. État limite par
excellence, quand les limites de soi et d’autrui ne sont pas définies,
venant grever le fonctionnement narcissique lui-même et plus tard la
capacité de se représenter, par défaut d’appropriation de soi (Berger,
1996). Dans ce cadre, définir la relation revient aussi à la définir comme
une relation d’implication. Dans cette relation le thérapeute en psycho-
motricité sera situé plutôt du côté du moi-auxilliaire que du sur-moi. La
relation avec le patient devient horizontale et non plus verticale, à type
34 Éléments d’histoire et d’épistémologie

parfois d’inclusion temporaire, soutenant momentanément le contenant


psychique défaillant du patient, l’aidant à devenir plus autonome par la
prise en compte, lors du jeu et de l’activité motrice, du rôle fondamental
du corps comme schéma de toute représentation, considérant la projec-
tion (sensorielle) pas encore comme un processus de défense du moi
mais comme un passage obligé dans le processus de démarcation du soi
pour construire l’espace psychique et le moi.

Processus thérapeutique7
La clinique met avant tout en évidence l’existence d’un point com-
mun à la plupart des cas qu’on a orientés vers la thérapie psychomo-
trice, orientation intervenant généralement à l’instigation de médecins,
psychologues, psychothérapeutes, instituteurs ou spécialistes divers,
soit en raison de leurs convictions personnelles, soit par suite du désis-
tement d’autres catégories de thérapeutes précédemment consultés.
L’examen des cas ainsi présentés concernant les troubles instrumen-
taux, qu’il s’agisse de troubles moteurs, caractériels, hyperkinétiques,
spatio-temporels ou de dysharmonies graves, et autres, fait ressortir une
quasi « absence » de la fonction imaginaire. Les sujets examinés
paraissent coupés de toute forme de représentation, de symbolisation.
Ils sont caractérisés par un intérêt pour l’agi, l’immédiateté des échan-
ges. Dans cette problématique, on doit donc s’attacher à repérer de
quelle façon la dialectique s’est bloquée entre l’utilisation du corps et
la construction de l’espace.
Chez les enfants, on observe a priori une incapacité à s’impliquer
dans le champ ludique. On a l’impression qu’ils sont à même d’y accé-
der sans pourtant pouvoir jamais y parvenir. L’intervention de l’adulte
ne fait qu’aggraver cet état de choses, car il se produit alors un « effet
parasite », tandis que de prime abord, on serait tenté de croire que
l’adulte est invité à participer à cette activité ludique. Le peu d’intérêt
manifesté par ces enfants pour le dessin et la pauvreté de leurs réalisa-
tions, semblent procéder du même type de difficultés.
Au niveau du corps, ce qui ressort, c’est la maladresse, avec des
gestes impulsifs ou très lents, un dysfonctionnement tonique, une
motricité fine ou globale désadaptée, cependant que les perceptions
spatio-temporelles présentent des lacunes considérables. Les repères
spatiaux sont confondus au niveau du vécu. Les passages explosifs à
l’acte ou les inhibitions intenses proviennent d’une absence de pro-
jection qui, ne permettant pas la délimitation claire d’un au-dedans et

7. Maurice CONTANT, André CALZA.


Praxis psychomotrices 35

d’un au-dehors, ramène tout à l’identique. Le corps n’est donc pas


« ce pouvoir originel de projection implicite dans la séparation du
sujet et de l’objet ». Il ne joue pas son rôle de schéma de représenta-
tion. Il en va de même au niveau de la temporalité, vécue comme
immédiate : on constate la perte d’intérêt tant pour le passé que pour
le futur. Il y a une véritable rupture avec leur histoire. A un investisse-
ment axé sur le factuel vient s’ajouter un intérêt presque exclusive-
ment concentré sur l’actuel. La dialectique entre corps réel et corps
imaginaire semble s’être figée.
Chez l’adulte, l’absence de la fonction imaginaire se manifeste par une
pauvreté ou une quasi absence de rêve : en effet, vidé de sa substance
imaginaire, le contenu du rêve devient pratiquement objectif et le sujet
n’en conserve aucun souvenir subjectif — le discours adhère entièrement
au réel, à la perception nue des choses, sans que transparaisse jamais une
quelconque inflexion subjective. A une telle absence de l’imaginaire ne
correspond cependant pas un quelconque déficit, mais bien plutôt,
comme le précise Sami-Ali en 1980, une pathologie de l’adaptation
caractérisée par un refoulement réussi de la fonction de l’imaginaire dont
le rêve est l’un des aspects principaux, et dont le jeu et les émotions cons-
tituent également des équivalents. L’aspect dysfonctionnant du corps est
mis en évidence sur le plan mécanique ou sur le plan organique, sans
possibilité de les relier à leur histoire psychique. Le fonctionnement —
autrement dit, la contrainte d’avoir à se plier impérativement à des règles
d’adaptation — entre ici pleinement en jeu, au détriment de toute mani-
festation de subjectivité. L’effort d’adaptation s’accomplit donc au désa-
vantage de l’imaginaire, mais l’autre est un autre intériorisé, représenté
par une relation narcissique jouant le rôle du surmoi corporel auquel il
faut obéir, et qui permet malgré tout au sujet d’exister dans son propre
corps. En tout état de cause, il détermine l’organisation de l’espace et du
temps et celle des fonctions physiologiques élémentaires.
Les troubles psychomoteurs renvoient à l’autorité sous deux formes.
Ils peuvent être :
– ou bien l’expression d’un symptôme névrotique par lequel l’auto-
rité se trouve passivement contrée (troubles psycho-fonctionnels),
– ou bien représenter une organisation spatio-temporelle lacunaire, mais
compensée par le placage de « trucs » adaptatifs permettant le fonctionne-
ment en faisant abstraction de la subjectivité (troubles instrumentaux).
La clinique nous apprend en outre qu’il existe des corrélations entre
motricité extéroceptive, végétative, troubles instrumentaux, et les pro-
blèmes somatiques, c’est à dire la maladie. On a, par exemple, été
amené à constater des difficultés spatio-temporelles dans des affections
aussi diverses que rectocolite ulcéro-hémorragique, diabète, céphal-
gies, rachialgies, allergies…
36 Éléments d’histoire et d’épistémologie

Soulignons encore que les troubles instrumentaux sont souvent liés


aux troubles précoces d’apprentissage scolaire, et préparent des soma-
tisations dont le dénominateur commun est le refoulement de l’imagi-
naire à travers l’écrasement de la subjectivité.
Au plan pratique, il faut noter l’intérêt du travail sur le contenant qui,
très utilisé avec les psychotiques, peut avoir également son utilité dans
le cas d’un travail sur des personnalités allergiques, renvoyées à la pro-
blématique imaginaire de la peau ou plutôt celle d’une régression au
tactile qu’un travail de relaxation peut réactiver, laissant apparaître des
phases d’angoisse et de dépersonnalisation structurantes à condition de
permettre au sujet d’éprouver dans son corps et au niveau tonique, la
possibilité de contenir ses affects dans un cadre spatio-temporel conte-
nant que le sujet s’approprie peu à peu au fur et à mesure qu’une liaison
entre l’éprouvé corporel (que représentent les contractions musculai-
res) et l’émotion (représentée par l’angoisse) s’établit, redonnant au
corps son rôle de schéma de représentation rétablissant la projection à
travers la vie onirique et ses équivalents.
Par contenant, nous entendons, par exemple, la technique utilisée
d’enveloppement dans un drap (cf. Cas de Yann, p. 37) prenant valeur
de seconde peau musculaire (cf. E. Bick, 1980, 240-244), mais aussi
l’engagement tonico-émotionnel verbal du thérapeute qui se situe dans
sa dimension contenante vis-à-vis du sujet, de par la possibilité qu’il lui
offre de s’approprier le rôle de pare-excitation en intériorisant progres-
sivement cette fonction. Ceci s’inscrit dans la perspective de l’utilisa-
tion du contre-transfert émotionnel en thérapie psychomotrice.
A l’évidence, l’engagement du psychomotricien sur un plan tonico-
émotionnel et verbal constitue un moteur de la thérapie, à condition de sui-
vre et de respecter la genèse des rythmes biologiques corporels jusqu’alors
figés. Tout l’art du thérapeute sera ici d’éviter l’interventionnisme mater-
nant, afin de replacer le sujet dans une double circularité d’échanges avec
l’autre et lui permettre de l’éprouver. Introduire des ruptures dans les ryth-
mes corporels du sujet constitue à notre avis un risque dans la mesure où le
sujet est obligé de se maintenir dans un état de dépendance vis-à-vis du
thérapeute. C’est ainsi que les personnalités psychosomatiques sont, dans
cette recherche permanente de discontinuité du temps en regard d’un sur-
moi corporel, en relation à l’objet maternel tout-puissant.
Nous distinguons le transfert et le contre-transfert en psychanalyse
du contre-transfert émotionnel en psychomotricité, terme que nous uti-
lisons pour décrire le phénomène qui nous paraît être à l’œuvre dans
tout travail thérapeutique quel qu’il soit à savoir « la réactualisation du
passé dans le présent », produisant une détemporalisation qui ramène
un phénomène vécu ou non-vécu dans l’ici et le maintenant, impliquant
en même temps la relation spatiale. Si en thérapie psychomotrice, on
Praxis psychomotrices 37

désire s’appuyer sur la « relation transférentielle », il nous paraît pri-


mordial de faire référence au « contre-transfert émotionnel » qui nous
semble de nature à mieux préciser les fondements du processus théra-
peutique en psychomotricité.
L’intersection de l’image du corps passée avec l’image du corps
actuelle, en relation avec l’implication émotionnelle du thérapeute est,
à notre avis, le phénomène qui, par le biais de l’émotion, crée en psy-
chomotricité l’émergence d’images émotionnelles desquelles l’étran-
gement inquiétant n’est pas exclu.
L’émotion, en tant que phénomène unifiant l’organique et le psychique,
est l’élément déclenchant, à travers la dimension syncrétique qu’elle pos-
sède. Toute émotion agglutine de manière indissoluble les événements du
passé qui ont participé d’elle. Chacun des événements qui l’ont accompa-
gnée est de nature à faire ressurgir cette émotion. Ainsi s’explique le fait
qu’à travers l’implication émotionnelle du thérapeute, certaines attitudes,
postures ou mobilisations du corps puissent évoquer des images figurant,
sollicitant les images passées du sujet, rattachées à l’émotion en question,
et permettant à celle-ci de ressurgir dans le présent. Rappelons que l’émo-
tion implique autant la musculature du sujet à travers le tonus qu’un senti-
ment ou un affect réunifiant le champ psychique et le champ somatique.
Les rythmes biologiques du corps impliquant la notion de temps s’y trou-
vent fortement engagés en liaison avec le tonus. Autant d’images du corps
qui se trouvent soudainement réarticulées les unes par rapport aux autres,
en référence aux images du corps émotionnelles du thérapeute.

 Illustration clinique

En illustration de notre propos, examinons le cas de Yann, un adoles-


cent de quinze ans.
Troisième d’une fratrie de quatre enfants, dont deux frères qui le précèdent : un
aîné, de vingt ans, militaire au moment de l’hospitalisation de Yann en psychiatrie infan-
tile, et un second frère de seize ans, asthmatique. Avec sa sœur, âgée de quatre ans, dont
il se montre jaloux, selon ses parents, il est parfois agressif. La relation aux parents est
perturbée et a rendu nécessaire un placement temporaire entre 1980 et 1982 (l’enfant
avait alors dix ans), puis une ordonnance de garde qui se poursuit actuellement.
La relation de Yann à sa mère a été perturbée dès les premiers mois de façon
gravissime. Déjà, à la naissance, il présente une toxicose qui nécessite une série d’hospi-
talisations. Y succèdent des problèmes pulmonaires qui prolongent encore ces hospitali-
sations entre deux ans et quatre ans et demi. La mère rapporte de cette période que Yann
refusait de rester avec elle et « préférait retourner vers les infirmières! ».
Le père, homme fruste et violent, bat sa femme et son fils, et Yann prend, semble-t-
il, une part active aux disputes fréquentes entre ses parents, à travers un comportement
manipulateur, également repéré à l’intérieur du service hospitalier où il tend à exacerber
les moindres failles qu’il a pu observer entre les adultes.
38 Éléments d’histoire et d’épistémologie

(En fait, ce qu’il ne supporte pas, c’est de voir l’ensemble de l’équipe soignante
adopter une conduite unitaire à son égard pour ce qui concerne les sorties, visites, etc. :
« Qu’est-ce que c’est que cette équipe, ils sont tous d’accord » — ce qui contraste avec
ce qui se passe chez lui.)
Au sujet du placement temporaire de Yann, le père nie ses actes de violence, en dépit
de la décision du juge : « soi-disant que le gosse était martyrisé. (…) Je n’ai pas tapé, il est
trop faible, et puis, si je veux, je n’ai pas besoin du juge pour lui donner des baffes ».
De son séjour précédent à la maison de l’enfance, Yann ne verbalise que des vécus
d’agression : « Il y a un copain qui met du parfum dans ma chambre… après, je tousse
et je fais une crise », « Quand ils reviennent du sport avec de la poussière, ils se
secouent près de moi. »
Au cours de l’hospitalisation de Yann en psychiatrie, le projet qui émerge est de faire
se briser le cercle vicieux de l’angoisse dans la relation de Yann à ses parents et dans celle
qui englobe la maison de l’enfance. Le discours que Yann prononce sur sa mère est très
agressif : parlant du regard, il dit se sentir observé par sa mère lorsqu’il regarde la télévi-
sion et sentir ce regard « méchant » qu’elle porte sur lui. Plus tard, à propos du visage, il dit
qu’il ressemble à sa mère, puis, se ravisant, il fait porter sa ressemblance sur plusieurs
personnes successivement, signifiant par là l’identité de tous les visages.
La prise en charge psychomotrice a été décidée en synthèse, à partir de tensions
corporelles repérées à l’examen en liaison avec les crises d’asthme. L’organisation de
l’espace est déficiente. La chronologie de l’histoire de Yann reste des plus floue. Il ne
parvient pas à réorganiser la succession de ses divers placements. Le discours est banal,
uniquement axé sur des faits concrets de la vie quotidienne dans le service.
Il n’arrive pas à parler de son vécu, ce qui se confirme à travers les séances de relaxa-
tion qu’on lui propose. L’expression de ce vécu est pauvre et répétitive. Les dessins du
corps qu’on lui fait exécuter demeurent identiques d’une séance à l’autre. Pour tenter de
contrecarrer cette pauvreté de l’imaginaire, il lui est proposé un travail avec la vidéo : les
séances seront filmées et l’exercice sera ensuite discuté. Ce projet l’intéresse.
Yann vit dans un état d’indifférenciation totale par rapport aux gens, ce qui se
répercute même au niveau de son propre corps : il ne parvient pas, en position allongée,
à différencier les parties de son corps en contact avec le sol de celles qui ne le sont pas.
Le travail consiste alors à lui faire prendre conscience de ces différenciations, grâce au
contact des mains sur les parties du corps qui ne touchent pas le sol. La séance se pour-
suit alors par une relaxation plus classique : il lui est proposé un travail sur l’imaginaire
à travers la respiration dedans-dehors. La peau étant considérée comme zone frontière,
limite entre les deux, Yann se trouve à ce moment mis en difficulté et, se redressant,
demande d’arrêter la séance, car, dit-il, il a très mal aux yeux avec les yeux fermés, et il
veut retourner dans le service (alors que la salle de psychomotricité se trouve à l’inté-
rieur même du service, mais elle est vécue par lui à cet instant comme extérieure). Lors
de la séance suivante, il pourra parler de ce qu’il avait alors ressenti et dit au thérapeute :
« C’est quand vous avez parlé de la peau que ça a été difficile ».
Aux séances suivantes, le thérapeute lui propose de continuer ce travail, en l’enve-
loppant dans un drap constituant une seconde peau protectrice. C’est alors qu’apparaît
pour Yann une série de rêves (jusqu’à ce moment, il ne rêvait pas) qu’il désigne comme
des cauchemars. Il raconte : « J’étais mort d’un accident (…) on m’a mis dans un
cercueil. (…) J’avais un accident de voiture, je tapais dans un camion-citerne de gaz
qui s’enflammait et j’étais défiguré (…) on me mettait dans un cercueil avec un petit
coussin dans le dos, et on me mettait dans la terre. Il y avait mes parents, mes frères, ma
sœur, mes copains, toute la famille. Ils faisaient la prière (…) ». À propos du rêve, Yann
Praxis psychomotrices 39

précisera qu’il y assistait, comme si c’était dans un miroir. La séance suivante amène
quelques modifications au déroulement du rêve : à la suite du même accident de voiture,
l’ambulance le transporte défiguré, mais vivant, et le conduit à l’hôpital. C’est là que
viennent le voir sa femme et ses enfants.

Plusieurs séances vont être consacrées à ces rêves ou équivalents de rêves, laissant
apparaître un récit qui se modifie par rapport au premier rêve. Yann semble moins inquiet
que lors du premier rêve, mais il commence son récit par : « C’est pareil que la dernière
fois ». Effectivement, l’axe du rêve reste l’accident, mais des modifications sont appor-
tées à la narration : par exemple, Yann est transporté à l’hôpital, on lui bande la tête, et sa
famille lui rend visite à l’hôpital (sa « femme », ses « enfants », un « copain »…).

Un autre rêve fait ensuite son apparition : celui de la « relaxation », au cours duquel il
s’abandonne au risque de ne plus se réveiller, au moment où le thérapeute lui propose, à la
fin de la séance, d’ouvrir les yeux. Il rêve qu’il ne se réveille pas, que le thérapeute appelle
le surveillant qui va le transporter dans un autre service dans lequel il se réveille enfin.

Puis, Yann rêve qu’il se voit en Autriche, en présence de l’impératrice et de l’empe-


reur. Il garde les vaches qui appartiennent au « royaume ». Il discute avec l’empereur qui
lui demande combien il garde de vaches. Cette assertion semble aussitôt s’annuler, Yann
précisant immédiatement qu’en fait c’est une vieille femme qui lui demande combien de
vaches il garde, tandis que l’empereur ne voulait pas que cela se sache…

Dès ce moment, les crises d’asthme vont cesser, mais Yann va passer d’un compor-
tement affable à un comportement tout à fait différent : « Il est enquiquinant » disent les
infirmiers. En fait, il devient agressif, gifle les plus petits, entre en conflit avec les
adultes sur le plan verbal, et même refusera de continuer le travail en relaxation, en
disant : « Je me soigne seul maintenant ! ».

Après une dizaine de jours de refus, Yann va consentir à reprendre le travail en


relaxation. Les exercices sont alors axés sur une double circularité d’échanges par
l’utilisation du corps de l’autre (à tour de rôle sujet-thérapeute), en le manipulant pour
lui donner des positions associées à une représentation, positions qui peuvent être
commentées par les deux interlocuteurs et qui permettent, le cas échéant, la projection
des fantasmes du sujet sur le corps d’autrui ou à travers le corps d’autrui dans une inte-
raction émotionnelle visant à médiatiser les conflits.

Cette série d’échanges permettra, à travers l’expression d’un vécu souvent axé sur
l’agressivité, de constater que Yann, contrairement à ce qui avait été observé au cours
des séances précédant la série de rêves, a de nouveau accès au corps imaginaire, et qu’il
s’investit dans ce travail où il faut imaginer la position qu’on lui indique, qu’il associe à
une représentation, et qu’en retour, il donne au thérapeute une position toujours sous-
tendue par une représentation.
Le cas de Yann, adolescent asthmatique, est caractéristique de la
structure allergique en plusieurs points. Ainsi, la problématique du
visage apparaît de façon très nette dans l’attitude qu’il adopte à l’égard
de tous : il ne marque aucune distance, s’adresse aux diverses person-
nes du service sans marquer la moindre distance, ce qui est typique de
la relation allergique, laquelle, sous un aspect « très sociable » et « très
adapté », est le signe d’une absence de réactivité à l’étranger, dont l’ori-
gine est l’absence d’angoisse du huitième mois devant l’étranger. Yann
essayera d’adopter différents visages pour y parvenir.
40 Éléments d’histoire et d’épistémologie

L’espace et le temps subjectifs ont laissé la place à une structuration


spatio-temporelle d’influence sociale et surmoïque. En effet, pour com-
penser le manque d’organisation de l’espace et du temps, Yann est
obligé de s’accrocher massivement aux règles de vie de l’institution qui
lui procurent un espace-temps adaptatif contraignant mais nécessaire.
Les difficultés de mémorisation que note l’instituteur et qu’éprouve
Yann dans le repérage chronologique de ses divers placements sont à
rattacher aux troubles temporels dans lesquels il laisse le présent et le
passé s’enchevêtrer.
De même, les rythmes corporels chez Yann passent d’une somno-
lence à des décharges motrices brutales, « traits distinctifs d’une écono-
mie qui ne connaît que des excès ».
Nous voyons ici se conjuguer une somatisation allergique avec des
troubles de l’espace et du temps auxquels s’associe une dysharmonie
du rythme corporel.
Le second point à noter est la corrélation positive entre la somatisation
chez Yann et l’absence de rêve et de ses équivalents (comme on peut le
voir sur ses dessins stéréotypés et pauvres dans leur production imagi-
naire) avant que le travail thérapeutique ne permette d’accéder de nouveau
à la vie onirique et, à partir de ce retour du refoulé, d’assister à l’arrêt
momentané des crises d’asthme qui s’accompagne en même temps d’un
changement de comportement chez Yann qui tend vers l’hypomanie.
L’exemple de Yann permet de comprendre qu’on ne peut faire abs-
traction des corrélations existant entre les troubles instrumentaux et
une somatisation qui peut se produire entre le vécu corporel et la con-
trainte adaptative.
Il nous paraît important de distinguer entre deux formes8 de somati-
sation au moins :
– l’une, relevant du modèle hystérique conversionnel — c’est le
corps qui parle, le corps qui fait sens, impliquant le corps imaginaire (le
corps se mêle à la conversation);
– l’autre, qui correspond à une somatisation littérale dans laquelle
l’imaginaire se trouve durablement refoulé par une formation caractérielle
allant de pair avec un surinvestissement du réel prédisposant à la maladie
organique.

8. « A ces deux formes majeures de pathologie échappant à la dichotomie psyché-


soma et où la somatisation est tour à tour en corrélation positive et négative avec
l’imaginaire, s’ajoute une troisième qui n’est pas un simple mélange mais où le
refoulement manqué de l’imaginaire en tant que fonction, cède la place au refoule-
ment réussi, transformant par la même la pathologie qui, du corps imaginaire,
passe au corps réel » (Sami-Ali, Conférence à Padoue, 25/4/1987).
Praxis psychomotrices 41

Le statut de l’émotion s’en trouve modifié : dans le premier cas, rat-


tachée au sens, elle lie l’affect à la représentation, alors que dans le
second cas, détachée du sens, elle fait retour au corporel en laissant
une trace dans le corps réel. Toute tentative d’intervention sur le sens
s’avérant inutile, voire néfaste, il faut recourir, pour ce second type de
manifestation pathologique, à un mode d’approche différent de celui
des psychothérapies classiques. En thérapie psychomotrice, la plupart
des cas qu’il nous a été donné d’examiner appartiennent à cette
seconde catégorie, bien qu’ils ne nous aient généralement pas été
adressés pour des affections somatiques, mais le plus souvent pour des
troubles instrumentaux.

 Quelle est dès lors, l’approche possible?

Pratique centrée uniquement sur le corps réel, elle risque de se trans-


former rapidement en orthopédie du corps ; pratique centrée sur le
corps imaginaire, elle court le danger d’amalgamer sens primaire et
sens secondaire du symptôme et également d’aggraver l’écart existant
entre corps réel et corps imaginaire.
La thérapie psychomotrice fonde son originalité sur une double
négation, et c’est l’association, la confrontation ou la dialectique de
cette double négation qui constitue la base de la praxis psychomotrice.
Elle est par excellence la pratique réunificatrice, créatrice ou re-créa-
trice du lien entre psyché et soma, entre imaginaire et réel, entre pré-
sence et absence, espace et temps, contenant et contenu. En résumé, la
thérapie psychomotrice apparaît comme l’instant d’une « dialectique
entre corps réel et corps imaginaire ».

Contre-transfert et transitionnalité9

Les deux moments capitaux de la psychomotricité demeurent le dia-


gnostic et la thérapeutique.
L’objet de ces deux temps essentiels continue de poser question sous
l’angle de sa définition et de son approfondissement. Comment le trou-
ble psychomoteur, depuis sa version manifeste, interroge-t-il le psycho-
motricien d’un point de vue latent. Autrement dit, à quelle réalité
psychique le trouble psychomoteur est-il référé? L’« évidente » banalité
du trouble psychomoteur fige l’observateur sur les rivages du visuel.
Par quelle méthodologie est-il possible d’accéder à cet arrière-plan?

9. Extraits de : CALZA A. et CONTANT M. (2001).


42 Éléments d’histoire et d’épistémologie

À quel arrière-plan psychique et somatique s’arrime cette « mise en


scène du corps »?
Quels outils théoriques permettent-ils d’y accéder ?
L’objectif central est de dégager une méthodologie permettant de
saisir une pathologie psychomotrice qui se déploie entre le psychique et
le somatique dans une situation pourvue d’une dimension transféren-
tielle.
Le symptôme psychomoteur présente, entre autres particularités,
celle de ramener dans le présent de la relation transférentielle l’instant
pictogrammatique, l’origine de sa constitution.
Ce qui s’actualise dans la relation au psychomotricien, c’est le
moment même de la constitution du symptôme.
Cette situation est rendue davantage complexe par le fait que les
troubles psychomoteurs dont l’essence archaïque relevant du narcissi-
que primaire est l’émanation d’une torsion paradoxale que le moi a
subie.
Il ne s’agit pas d’un transfert objectal mais plutôt d’une situation
relationnelle qui ramène dans le présent de l’indifférencié, du confu-
sionnel, du pictogramme.
En termes spatiaux, on est dans l’inclusion réciproque, dans l’indis-
tinction dedans-dehors, lorsque le tout est égal à la partie.
Si le transfert est présent, il est anobjectal. Ce qui s’exprime alors,
c’est essentiellement l’angoisse de non-assignation à laquelle a dû faire
face l’enfant en rupture - quête d’identité.
Poser le problème en ces termes place d’emblée la relation au centre
de la thérapeutique.
Le comportement, quel qu’il soit, n’est toujours qu’une réédition des
enjeux historiques qui vont se « re-agir », et se projeter dans la situation
thérapeutique proposée. C’est bien souvent sur le cadre thérapeutique
plutôt que sur la personne du psychomotricien que va se déployer
l’essentiel des modalités affectives du patient.
Précisons tout d’abord qu’il s’agit d’une situation relationnelle pour-
vue d’une dimension transférentielle. Cette définition nous éloigne du
transfert propre au cadre psychanalytique, mais permet de garder un
lien épistémologique avec ce dernier.
Ce transfert, qu’on appellera global avec les nuances énoncées ci-
dessus, nous semble plus proche d’un processus projectif que d’un sim-
ple déplacement.
La situation thérapeutique permet au patient de créer une forme qu’il
projette à l’extérieur de lui-même sur les objets de l’espace thérapeuti-
que, dont le psychomotricien fait partie - saisi dans sa réalité en soi et
non pas comme objet subjectif. Au départ, il n’a pas un statut privilégié;
Praxis psychomotrices 43

ce n’est que dans un deuxième temps qu’il va pouvoir faire l’objet d’une
subjectivation dans la mesure où l’enfant peut le formaliser comme un
double identique et narcissique.
Cette étape est fondamentale car elle permet au sujet de continuer à
penser (il s’ouvre au sentiment de continuité de lui-même), à s’identi-
fier dans un jeu de « mêmeté » d’être et de différenciation. À cet égard,
la référence à la paradoxalité et à la transitionnalité dans la perspective
proposée par D.W. Winnicott s’avère indispensable.
L’expérience que fait l’enfant à cet instant de la thérapie s’articule
avec celle de la capacité à être seul en présence d’un autre. Cette pré-
sence-absence continue décrite par D.W. Winnicott permet un détache-
ment sans perte d’attachement.
Phase orale dans laquelle le corps est à la recherche d’un sentiment
d’unité, mais aussi dans laquelle chaque partie du corps peut tour à tour
devenir le tout rassembleur.
Ce qui persiste malgré tout, c’est la dépendance à l’autre, avec peu à
peu une plus grande différenciation, mais qui prend la forme d’une
résistance à l’illusion incontestée jusqu’alors du trouvé-créé.
L’intersubjectif et l’intrapsychique s’entrecroisent selon que l’on est
observateur ou que l’on s’identifie au vécu infantile. Ces deux temps
s’alternent et scandent le travail thérapeutique.
Cette phase orale qui se caractérise par le fait de se sentir uni comme
un tout, de créer l’objet, puis de l’intérioriser et enfin de s’en détacher
se subsume dans l’expérience de détruit-trouvé (l’expérience de la des-
tructivité) qui propulse l’enfant hors du narcissisme primaire. Cette
phase essentielle s’appuie de plus en plus sur la relation à l’autre et
notamment sur l’expérience maintes fois renouvelée de la non-destruc-
tivité de l’objet (le psychomotricien dans son cadre) capable de conte-
nir l’agressivité de l’enfant sans rétorsion ni retrait. Encore faut-il
formuler à l’adresse du sujet des propositions de reconstruction concer-
nant les réalités historiques, y compris des hypothèses motrices, en
incluant tous les canaux de communication.
En pathologie clinique, cette expérimentation doit logiquement per-
mettre à l’enfant de se recentrer et favoriser l’accession du moi-corps
au sentiment de continuité10 de lui-même. La sortie du narcissisme pri-

10. Le psychisme se structure suivant une dialectique centre-périphérie. Le moi


développe alors un centre intégrateur. Lorsque l’objet ne peut se constituer
comme objet conteneur, il se sent persécuté par les angoisses de l’enfant vécues
comme destructrices. Il les retourne contre le noyau du moi de ce dernier non
détoxiqué. Face aux attaques de l’objet, l’enfant s’organise en défense par frag-
mentation du noyau du moi. Cette défense peut s’entendre, selon R. Roussillon,
comme le retour à l’état antérieur — pour éviter le retour de l’état antérieur .
44 Éléments d’histoire et d’épistémologie

maire devient possible non pas par frustration imposée de l’extérieur


mais bien parce que l’enfant a pu faire l’expérience de la non-destructi-
vité de l’objet qui devient ainsi extérieur à lui.
Pour autant, la question de la dépendance face à l’objet n’est pas
réglée. Si l’enfant a pu échapper ici au risque d’être un mauvais sujet
car il peut dorénavant rendre l’objet responsable de ses angoisses, ces
dernières existent en dehors de lui, lui permettent de l’idéaliser et
d’intérioriser les autoérotismes liés au narcissisme secondaire.
L’enfant qui cherche à s’exonérer de la dépendance affective et à
retrouver l’objet idéal perdu du narcissisme primaire en rentrant dans la
phase anale, va utiliser le retournement passif-actif11 comme mode de
défense.
Ce processus consiste alors à faire vivre au thérapeute électivement
choisi, son propre vécu de dépendance afin de s’identifier à ce double,
en intériorisant ses réactions affectives, dans le but de s’approprier le
sentiment de continuité de lui-même et de penser.
Les enjeux du retournement sont multiples et s’observe principalement
le désir de maîtriser l’autre afin de lui faire vivre le sentiment de dépen-
dance éprouvé précédemment.
Partagé entre le désir d’indépendance et la crainte d’être abandonné,
le conflit s’installe entre ces deux pôles : être gardé et être lâché.
Pendant cette phase anale, l’enfant accède à un espace bidimension-
nel de complémentarité imaginaire où chaque partie du corps veut être
le tout et se satisfaire pour elle-même, par elle-même, à l’exclusion des
autres.
Du point de vue des rythmes corporels, l’enfant passe de la concor-
dance liée à l’illusion du trouvé-créé qui va de pair avec la dépendance
affective totale, à la discordance entre son désir d’indépendance et la
loi du rythme biologique qui s’impose à lui et dont il ne peut profiter
qu’épisodiquement dans ce vouloir garder.
De cette période chaotique placée sous l’égide du surmoi maternel, il
ne pourra se dégager qu’en acceptant des compromis et notamment que
chaque partie n’est pas un tout mais une partie d’un tout. Se profile
alors le primat d’une zone corporelle : le pénis, qu’il va privilégier,
source de plaisir, tout le temps disponible, représentant de toutes les
pulsions partielles.

11. Retournement qui ne porte pas directement sur la pulsion comme dans le
fantasme, mais qui procède par actes, par comportements, et s’apparente à
l’identification projective, à l’externalisation d’une partie de soi : le sujet fait
vivre-sentir à l’objet visé par le comportement, ce qu’il a le sentiment d’avoir
subi et de continuer à subir.
Praxis psychomotrices 45

L’espace continue de se structurer, du derrière au devant, après le


haut vers le bas.
Le stade phallique constitue une phase d’investissement de la repré-
sentation.
Le temps acquis postœdipien s’appuie sur la différence des généra-
tions et le renoncement à concevoir que tout est possible en même
temps.
Le champ représentatif se développe et s’enrichit dans la reconnais-
sance de la différence des sexes et des générations, du lien avec l’élabo-
ration de la scène primitive où l’enfant découvre que ses parents l’ont
conçu : trouvé-créé dans le champ représentatif.
La culpabilité qui s’origine dans l’appropriation du plaisir prodigué
auparavant par l’objet idéal doit s’intégrer, à moins que l’objet ne s’y
oppose sur un mode répressif. Dans ces conditions, la honte se substitue
à la culpabilité et l’idéal du moi se maintient au détriment du surmoi.

 De l’espace-temps au sexuel : quelques jalons

Quelques éclaircissements sont nécessaires à ce stade de la réflexion


pour expliciter les développements ultérieurs.
À la suite des travaux de Sami-Ali, nous avions distingué les troubles
fonctionnels des troubles instrumentaux. Cette distinction nous paraît tou-
jours pertinente mais nécessite quelques considérations additionnelles.
Rappelons que les troubles fonctionnels névrotiques s’originent dans
la phase œdipienne, qu’ils sont liés à la sexualité infantile.
Les enjeux sont alors la mise en scène, en un champ conflictuel, du
jeu des identifications orchestré par la différence des sexes et des géné-
rations.
L’organisation œdipienne offre une matrice pour penser l’absence et
la différence. Désir et crainte de réalisation sont associés.
Dans ce contexte, l’inhibition névrotique porte sur l’interdit qu’impose
le surmoi au désir d’étendre la curiosité à la sexualité.
L’interdit peut alors s’étendre à la propulsion phallique, et la latéralité
se trouver ainsi entravée par l’interdit surmoïque d’accéder à l’impulsion
motrice latéralisée (au sens de J. Bergès). Le sujet est maintenu de ce fait
dans un espace bidimensionnel sexualisé12.
Dans les troubles instrumentaux que nous avions caractérisés comme
fonctions en voie de constitution, certains approfondissements, à la lumière
des travaux de M. Berger et R. Roussillon, nous paraissent éclairants.

12. Cf. CALZA et CONTANT (1994), pp. 87-88 : le cas de Thomas.


46 Éléments d’histoire et d’épistémologie

En effet, ces troubles psychomoteurs prennent racine dans une phase


développementale qui se situe entre la période orale préobjectale rele-
vant du narcissisme primaire et l’abord de la problématique œdipienne.
Au cours de cette période, l’enfant est confronté à des expériences
limites qui vont recevoir un statut organisateur dépendant de la qualité
des relations précoces et de l’environnement qui permettra de subjecti-
ver ses expériences, phase organisatrice dans la mesure où elle fera
l’objet d’un refoulement et d’une représentation.
Dans le cas des troubles instrumentaux, ces expériences limites n’ont
pu être intégrées par le moi et prennent une valeur désorganisatrice.
Le champ concerné prioritairement est le domaine perceptif et hallu-
cinatoire. Leur destin est logiquement de rejoindre les rives du précons-
cient pour céder la place aux représentations.
C’est la présence satisfaisante de l’objet qui doit permettre la distinc-
tion entre perception et hallucination. Ainsi le refoulement originaire
est activé par les premières représentations.
L’échec de ce processus aura pour conséquence la mise en souf-
france de la fonction représentative.
Le corollaire en est l’impossibilité de laisser advenir la mise en
mémoire, l’effacement.
Très tôt, les processus cognitifs et d’apprentissages corporels vont se
trouver placés sous le primat perceptif et hallucinatoire, à l’exclusion
du champ représentatif.
Ultérieurement, on observera chez certains enfants en difficulté
d’apprentissage cette impossibilité à stocker les informations pour les
réutiliser le moment venu.
Ils auront tendance à vouloir garder à la conscience toutes les infor-
mations par crainte de perdre leur identité en perdant une partie de
leurs acquis. Sur le plan économique, l’énergie réservée à la maîtrise et
au maintien de cette homéostase peut conduire à l’épuisement.
D’une manière générale, la vie psychique et pulsionnelle s’organise
autour du projet d’indépendance du sujet par rapport à l’objet. Les trou-
bles psychomoteurs sont les révélateurs des vicissitudes que rencontre le
corps de l’enfant à se détacher du corps maternel — l’enjeu étant l’indé-
pendance intersubjective coexistant avec le maintien du lien d’attache-
ment intrapsychique.
Angoisse de séparation, de perte et d’abandon allant de pair avec
l’angoisse d’intrusion, dominent les phases préobjectales, orale, puis
anale. Le couple angoisse de castration et de pénétration s’y réverbère et
y succède uniquement lorsque ces étapes sont franchies sans dommage.
Ce projet d’indépendance est sans cesse remis en cause par la crainte
de la perte de l’objet et de l’abandon. À la phase anale, la dépendance
Praxis psychomotrices 47

subie ou ressentie va conduire l’enfant, par un mouvement de retourne-


ment, à tenter de placer l’objet idéalisé sous sa dépendance.
C’est ce retournement passif-actif que l’on retrouve à l’œuvre dans
la relation transférentielle en psychomotricité, nécessaire à l’évolution
de la thérapeutique décrite par ailleurs et qui se distingue du transfert
par déplacement. Transfert sur le cadre et sur le thérapeute d’un proces-
sus non vécu13.
Les conditions et préconditions décrites ci-dessus, qui font appel
conjointement aux dimensions intersubjectives et intrapsychiques, se
projettent globalement (se trans-faire) sur le cadre thérapeutique spa-
tio-temporel incluant le psychomotricien dans un premier temps. Tout
le tact14 de ce dernier reposera dans sa capacité à favoriser le renonce-
ment à ces défenses archaïques et paradoxales afin de permettre l’émer-
gence objectale.
Le contre-transfert émotionnel, tel que décrit précédemment, mais
aussi dans l’ouvrage L’unité psychosomatique en psychomotricité (Calza
et Contant, 1989), peut être enrichi de la dialectisation des dimensions
intersubjectives et intrapsychiques.
La complexité du contre-transfert émotionnel se vérifie dans cet
écart entre l’engagement affectif du psychomotricien à base d’identifi-
cation projective, d’une part, qui tend à donner l’illusion à l’enfant
qu’il crée le monde et que le monde crée son moi simultanément, et la
nécessité, d’autre part, de se caler solidement dans un contre-transfert
épistémologique au sens de R. Roussillon15 — la question étant alors
de se demander quelle théorie nous nous faisons de l’autre, et de penser
à ce qui est en jeu.
La question de l’espace et du temps a toujours interrogé le champ de
la psychomotricité. Les travaux de Sami-Ali ont donné à ces détermi-
nants une place centrale dans sa conception de la psychosomatique.
Nous pensons notamment à ses recherches sur l’espace imaginaire et
sur le temps. Il soutient la thèse que la mère, davantage qu’un pare-

13. Se retirer de l’expérience vécue caractérise un mode de défense décrit par


R. Roussillon.
14. Tact (au sens ferenczien du terme) : faculté de se sentir avec, qui résulte
d’une identification projective à l’éprouvé du patient.
15. Comme l’observe R. Roussillon (1991), il paraît souhaitable d’examiner
deux aspects du contre-transfert qu’il est utile de séparer ici :
– le contre-transfert affectif du thérapeute, qui correspond plutôt à son rapport
même en cours de thérapie aux processus primaires,
– le contre-transfert épistémologique qui ressort davantage du contre-transfert
sur la thérapie et sur sa théorie, c’est-à-dire des modes d’or ganisation de la
secondarisation.
48 Éléments d’histoire et d’épistémologie

excitations, joue pour le nourrisson le rôle de synchronisateur de plu-


sieurs rythmes, permettant à ceux-ci de s’accorder et de s’harmoniser.
Nous avons, à la suite des travaux de Sami-Ali, tenté d’élaborer une
conception psychomotrice de l’espace et du temps donnant à ces déter-
minants la place centrale qu’ils occupent dans la vie psychique.
M. Berger, de son côté, a mis en évidence l’autonomie relative exis-
tant entre pulsions épistémologiques et pulsions sexuelles. Il nous
incite à approfondir les positions de W. Bion, qui exposait en 1962
l’importance des liens de connaissance, distincts des liens d’amour et
de haine.
S. Freud lui-même, en 1905, écrivait que l’origine de la pulsion de
savoir constitue d’autant plus une forme du besoin de maîtriser, qu’elle
ne relève pas de la sexualité.
Un débat dans ce contexte oppose les tenants d’une théorie de
l’espace et du temps (Sami-Ali), qui occupe une place centrale dans la
vie psychique précédant par là l’avènement du sexuel, dans un « en-
deçà » de l’étayage. Une topique de la profondeur est développée par
M. Berger, s’articulant aux topiques freudiennes.
Ce débat à distance est relayé par des auteurs comme C. Smadja, qui
remettent en cause les théories de P. Marty, inspirées de M. Ziwar qui
développe une théorie psychosomatique qui selon lui n’est pas fondée à
l’origine sur la sexualité.
La sortie du narcissisme primaire par le biais de l’expérience de la
destructivité s’ouvre au champ de l’altérité.
Les troubles psychomoteurs prennent racine en ce moment crucial
où doit s’instaurer la différence, qui n’est pourtant pas à ce stade une
différence des sexes, ni des générations. Pour autant, elle en constitue
la préforme. Il faut probablement que s’instaure durablement cet accès
à l’altérité pour qu’advienne ultérieurement le complexe œdipien.
Quels sont les constituants de cette mise en place et quelles en sont
les modalités?
J. Guillaumin nous apporte un éclairage sur ces questions. Il souligne
l’importance du préconscient comme lieu de stockage des représenta-
tions perceptives. Le préconscient tiendrait ainsi à la disposition du moi
les automatismes sensori-perceptifs, sensori-moteurs… acquis par
identification.
Pour être utilisables par l’enfant, ces schèmes sensori-moteurs doi-
vent être désexualisés, puis resexualisés dans un deuxième temps, con-
dition de leur détachement d’avec le modèle identifiant.
Dans l’œuvre de M. de M’Uzan, on retrouve cette préoccupation
moniste dans laquelle l’espace et le temps du double sont référencés de
manière primordiale aux pulsions d’autoconservation. Ces détermi-
nants primaires se distinguent dans un premier temps des pulsions
Praxis psychomotrices 49

sexuelles. Le sexuel viendrait s’étayer secondairement sur l’autocon-


servatif dès lors que la séduction (donc la relation d’objet) mise en jeu
précipite le sujet dans l’érogénéité du corps.
En conclusion, le préconscient jouant le rôle d’un pare-excitations
maternel externe, le rôle du psychomotricien n’est-il pas de désérotiser
la relation au corps pour lui permettre une resexualisation?
L’espace et le temps joueraient alors le rôle de « médium malléable »16
permettant une décentration corporelle, une désérotisation de la relation
par l’accès à la transitionnalité.
Le psychomotricien devra jouer avant tout le rôle de « pare-quantité »
pour endiguer le trop d’excitations dont l’enfant est porteur, la séduction
originaire, non tiercéisée, figeant l’enfant dans le registre d’une équiva-
lence entre le mot et la chose.

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2
Le nourrisson :
la dialectique psyché-soma
A. CICCONE, J.-B. GUILLAUMIN, B. SAGE, M. RODRIGUEZ

QUELQUES DONNEES POUR UNE REPRESENTATION


DE LA NAISSANCE A LA VIE PSYCHIQUE1

C’est dans la pensée postkleinienne que l’on trouve, dans le champ


de la psychanalyse, les données théorico-cliniques les plus propices à
une représentation des modalités de constitution de la vie psychique.
L’auteur central est Esther Bick. Elle a très peu écrit et a surtout trans-
mis oralement son enseignement, mais elle est pour la plupart des psy-
chanalystes postkleiniens contemporains une référence fondamentale,
surtout pour tout ce qui concerne les essais de compréhension des pro-
cessus psychiques primitifs (cf. par exemple D. Meltzer, F. Tustin,
G. Haag, C. Athanassiou, et bien d’autres encore). A partir d’une
méthodologie fondée sur l’observation de nourrissons dans leur milieu
familier, observation faite dans un état d’esprit psychanalytique — et
pour la formation psychanalytique —, E. Bick a développé une très
riche connaissance et une profonde compréhension des processus psy-
chiques à l’œuvre chez le bébé, chez ses parents, et des liens unissant le
bébé et son environnement familier. Tout le matériel à l’origine de la
modélisation, de la représentation que propose E. Bick est donc en
grande partie issu de très nombreuses observations directes — faites
par elle-même puis par les candidats analystes qu’elle supervisait —
auprès de bébés et de leur famille « observés » régulièrement dans leur
domicile sur une période d’environ deux années.
Freud a construit ses hypothèses développementales à partir de
l’analyse d’adultes. Il a toutefois réalisé des observations d’enfants et
souligné à quelques reprises l’intérêt de l’observation directe des

1. Albert CICCONE.
Quelques données pour une représentation de la naissance à la vie psychique 53

enfants ou de l’analyse d’une névrose à l’âge de la prime enfance


(1914, 1916-17, 1920) — cf. sa « supervision » de l’analyse du petit
Hans (1909). Mélanie Klein a analysé des enfants, mais elle a aussi
observé des bébés et commenté des observations de bébés (1952).
(Anna Freud aussi, de son côté, prônait l’observation directe des
enfants, 1957). S. Isaacs a précisé les principes méthodologiques de
l’observation et a souligné les liens étroits et intimes qui unissent
l’observation et la psychanalyse (1952). Mais c’est E. Bick qui a systé-
matisé et donné son cadre et son essor à l’observation des bébés en tant
qu’expérience de formation psychanalytique (1964).
Après les travaux de Freud sur le développement de la libido et la
constitution du narcissisme, après les propositions de M. Klein concer-
nant l’activité précoce, dès la naissance, d’un moi qui, bien que man-
quant de cohésion et ayant besoin de s’unifier, de s’intégrer (le modèle
développemental kleinien est un modèle où le développement va de la
non-intégration à l’intégration), va cependant utiliser d’emblée des pro-
cessus de clivage, de projection et d’introjection pour soutenir des rela-
tions objectales et narcissiques, E. Bick insistera sur l’identification à
un objet contenant comme condition préalable à l’opération de ces pre-
miers processus psychiques (1968, 1986). Elle décrit la fonction psy-
chique de la peau et montre la nécessité pour le bébé de rencontrer un
objet contenant avec lequel il puisse s’identifier pour se sentir suffisam-
ment contenu à l’intérieur de sa propre peau. Cette expérience lui per-
mettra de supporter la séparation d’avec sa mère et de se protéger de
l’effet désintégrateur qu’elle pourrait produire. Les premières relations
d’objet caractéristiques de la position paranoïde-schizoïde pourront
alors se déployer.
Je résumerai les principales propositions d’E. Bick, puis les connec-
terai aux théorisations d’autres auteurs et dégagerai un modèle de
représentation des débuts de la vie psychique. La plupart des idées évo-
quées ci-après sont développées en détails dans mon livre Naissance à
la vie psychique (A. Ciccone et M. Lhopital, 1991 ; cf. également
A. Ciccone et al., 1997).
E. Bick (1968, 1986) décrit le besoin qu’éprouve le bébé de trouver
un objet contenant qui puisse répondre à son état de non-intégration
psychique. L’objet optimal est l’objet maternant dans la situation de
nourrissage. Mais tout objet sensuel (une lumière, une voix, une odeur,
etc.) sera frénétiquement recherché pour retenir l’attention et donner
momentanément au bébé l’éprouvé d’un rassemblement des parties
éparses de sa personnalité. L’objet contenant est expérimenté comme
une peau. Il a une fonction de peau psychique. La fonction contenante
de l’environnement maternant sera peu à peu intériorisée, introjectée,
ce qui donnera à la peau sa fonction de frontière, délimitera les espaces
54 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

psychiques interne et externe et soutiendra le processus de séparation


psychique et d’individuation.
On peut donc se représenter l’état mental chaotique du premier âge
comme oscillant entre un état de désorganisation, de dissociation, de
dispersion, et un état où le bébé se sent rassemblé dans sa personne,
dans sa vie mentale, dans son corps. L’éprouvé du bébé est d’ailleurs
sans doute un éprouvé à la fois corporel et psychique, les deux termes
n’étant pas différenciés à ce stade.
Le bébé qui recherche le maintien de l’état d’intégration s’accroche
à des stimulations sensorielles ou sensuelles qui focalisent un temps
son attention et par là-même maintiennent éveillé son sentiment d’exis-
ter. Entre ces « points d’agrippement » (cf. C. Athanassiou, 1982), où il
est rassemblé dans sa vie mentale, le bébé se désorganise et il est pro-
bable que dans les états de désorganisation, de désintégration, est quasi
absent tout vécu d’identité. Par ailleurs, la capacité du bébé de mainte-
nir l’intégration est faible, et il a besoin de l’environnement pour
l’aider. Toute expérience nocive, désagréable (comme la faim, par
exemple) attaque ce fragile état d’intégration, d’unification, et désorga-
nise le bébé.
Au défaut d’une fonction contenante adéquate — la situation proto-
type de réalisation de cette fonction contenante étant représentée par
l’expérience du nourrissage, qui associe à l’alimentation le portage,
l’enveloppement, la satisfaction de toute la sensorialité, le bain de paro-
les, etc. — répondra un agrippement à des sensations, à des objets-sen-
sations qui maintiendront provisoirement l’illusion d’un
rassemblement. Ainsi, chez un bébé de quelques jours ou quelques
semaines, l’œil qui fixe une lumière, l’oreille qui s’arrête sur un bruit,
l’attention qui se concentre sur un bercement, etc., sont autant d’équi-
valents de bouches qui s’agrippent à un mamelon.
Quelle est la nature des vécus psychiques primitifs justifiant cette
recherche impérieuse d’un contenant? Freud avait déjà décrit la nature
« volcanique » de la vie pulsionnelle et la dispersion, la non-liaison des
différentes motions pulsionnelles travaillant chacune pour leur propre
compte (cf. par exemple 1915). F. Tustin (1972, 1986) reprend l’idée
selon laquelle les pulsions sont ressenties, dans les états primitifs,
comme des eaux jaillissantes ou des gaz dangereux (elle attribue la
nature liquidienne ou gazeuse de ces premières sensations au vécu intra-
utérin du fœtus qui flotte dans le liquide amniotique). Elle décrit le flot
de sensations multiples et dispersées auquel est soumis le nourrisson qui,
dans cette abondante sensorialité, se vit comme un ensemble d’organes
non reliés les uns aux autres, si bien qu’il peut parfois être tout entier
bouche, ou tout entier ventre, ou tout entier main. Le nourrisson vit son
Quelques données pour une représentation de la naissance à la vie psychique 55

corps comme n’ayant ni fin ni limites concevables, et ses substances cor-


porelles sont toujours menacées d’écoulement, de déperdition.
On voit donc, dans cette représentation, à quel point le bébé est aux
prises avec de terribles angoisses archaïques. M. Klein (1932, 1946,
1948) avait parlé des angoisses primaires de l’« anéantissement de la
vie », angoisses provenant du travail interne de la pulsion de mort.
D.W. Winnicott (1958, 1965, 1974) a décrit les angoisses
« inimaginables » du bébé, liées à la menace d’« annihilation » : se mor-
celer, ne pas cesser de tomber, ne pas avoir de relation avec son corps,
etc. Il a décrit les « agonies primitives » : sensations de chute inces-
sante, de perte de la « collusion psychosomatique », de faillite de la
« résidence dans le corps », etc. E. Bick (in M. Haag, 1984 ; E. Bick,
1986) compare le bébé envahi par l’angoisse agoraphobique due à la
naissance à un cosmonaute qui, dans l’espace, perdrait sa combinaison
spatiale (M. Haag précise que la moindre fuite dans la combinaison
spatiale d’un cosmonaute provoquerait sa désintégration immédiate par
rupture de la peau et des vaisseaux sanguins). E. Bick (1986) insiste
aussi sur les angoisses de chute, de liquéfaction qu’éprouve le bébé.
F. Tustin évoque les terreurs primitives en termes d’inondations, de
chutes d’eau, de tourbillons, d’éruptions, etc.
Ces angoisses corporelles primitives, angoisses postnatales norma-
les, sont apaisées, soulagées par une « tenue » adéquate du nourrisson
de la part de l’objet maternant, tenue à la fois physique et psychique.
L’absence ou la défaillance de cette tenue, de cette contention, conduira
à une activation excessive des angoisses primitives.
La fonction contenante est donc d’abord assurée par l’objet mater-
nant avant d’être progressivement intériorisée, introjectée. Si les expé-
riences réparatrices et intégratrices de rassemblement, de contention,
sont suffisamment répétées et de manière suffisamment rythmique, le
bébé pourra établir au-dedans ce lien tissé avec son objet (externe — du
point de vue de l’observateur, car la distinction interne/externe n’est
pas établie pour le bébé). L’introjection de la fonction contenante est
une condition à la construction du sentiment d’identité et à la constitu-
tion des « enveloppes psychiques » (telles que décrites par D. Anzieu,
1985, 1986, 1987).
L’objet contenant est un contenant non pas au sens d’un récipient,
mais au sens d’un « attracteur », comme dit D. Houzel (1985, 1987),
qui attire la vie pulsionnelle et émotionnelle du bébé. L’objet contenant
rassemble la sensualité éparse et crée les conditions de maintien d’une
« consensualité » (état inverse du « démantèlement » — D. Meltzer,
1975). Il est par ailleurs un transformateur des vécus bruts non psychi-
sables (R. Kaës parle de « conteneur » — 1976, 1979).
56 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

Nous abordons là la fonction plus spécifiquement psychique de


l’objet contenant maternant. C’est Bion qui donne les outils pour pen-
ser cette fonction. Winnicott (1958) avait déjà parlé de la
« préoccupation maternelle primaire » pour décrire l’état d’esprit de la
mère et son fonctionnement psychique. Mais Bion (1962) donne une
représentation très précise et très pertinente de l’interaction entre la
psyché naissante du bébé et la psyché maternelle, interaction constitu-
tive de la psyché de l’enfant. Bion construit trois principales notions
pour décrire ce processus : la fonction alpha, la rêverie maternelle et
l’appareil contenant-contenu, toutes trois étant intimement liées à la
notion d’identification projective.
Bion postule que la naissance et la qualité de la vie psychique d’un
être humain sont tributaires non seulement de la mère (ou de l’objet
maternant) mais de la vie psychique de la mère et plus particulièrement
de ce qu’il appelle sa « capacité de rêverie », laquelle est inhérente à la
mystérieuse fonction alpha. La fonction alpha convertit les données des
sens, éléments bruts appelés éléments bêta, en éléments alpha, élé-
ments disponibles pour la pensée. La fonction alpha de la mère lui per-
met de détoxiquer les projections du bébé (éléments bêta), lequel
pourra réintrojecter des éléments alpha permettant le déploiement
d’une fonction alpha propre et le développement d’une activité de pen-
sée propre.
Le bébé éprouve le besoin d’un sein par une sorte de « préconception
innée », de « pensée vide » qui attend d’être « remplie » par la réalisa-
tion du sein. Le besoin d’un sein est perçu par le bébé comme un
« mauvais sein », un élément bêta qui doit être évacué. La satisfaction
du besoin se confond avec l’évacuation du mauvais sein. Le « sein
désiré » pourra être ressenti comme une « idée du sein manquant » et
non plus comme un « mauvais sein présent », lorsque le mauvais-sein-
élément-bêta, projeté dans le sein de la mère, y aura été transformé,
converti en élément alpha, et réintrojecté ; ce bon-sein-élément-alpha
pourra alors fonctionner comme une représentation du sein distincte de
la réalisation du sein comme telle. Autrement dit, un contenu (le
« mauvais sein ») est projeté dans un contenant (le sein maternel) où il
est « appareillé » avec ce contenant, avant d’être réintrojecté sous la
forme d’un « contenant-contenu ». Cet appareil se développe jusqu’à
devenir le propre appareil à penser du petit enfant.
Cette fonction qu’accomplit la mère pour le bébé n’est autre que la
fonction alpha et elle constitue le premier pas dans l’activité de pensée.
Ce processus repose sur un processus d’identification projective
(M. Klein, 1946) où le bébé clive et projette une partie de sa personna-
lité qui se trouve dans un état chaotique et confus. L’objet adéquat dans
lequel est expulsée l’expérience émotionnelle contient cette partie de la
Quelques données pour une représentation de la naissance à la vie psychique 57

personnalité du bébé, et dans la « rêverie » commence le processus de


formation du symbole et de la pensée.
Essayons de nous représenter cette situation prototypique de nourris-
sage, où travaille cette interaction entre un bébé en état de désorganisa-
tion, de non-intégration ou de désintégration, et un objet maternant qui
va transformer le vécu chaotique du bébé en un vécu d’intégration.
Tout d’abord le nourrisson fait l’expérience de la disparition d’un mau-
vais sentiment, avec l’arrivée d’un bon sentiment gratifiant. De plus, il
fait l’expérience d’un rassemblement de toute sa sensualité et sa senso-
rialité grâce à l’attraction qu’exerce l’objet nourricier. La jonction entre
les différentes modalités sensorielles, entre le portage, l’enveloppe-
ment, l’interpénétration des regards, le contact du mamelon dans la
bouche, les paroles apaisantes et la plénitude interne, cette jonction
donne au bébé une expérience de rassemblement interne, un sentiment
moïque, un sentiment d’existence. Il y a là un sentiment basal d’iden-
tité et une première organisation de l’image du corps.
Si cette expérience est suffisamment bonne et répétée de façon
suffisamment rythmique, et donc suffisamment prévisible, le bébé
l’introjecte peu à peu et pourra la retrouver à l’intérieur de lui en cas de
besoin, et toujours avec l’aide d’un objet maternant compréhensif. Par
exemple, lorsque le bébé aura faim, son éprouvé sera toujours celui
d’un anéantissement, il ne pourra qu’évacuer cet éprouvé par la
motricité : s’agiter, pleurer, crier. Si la mère comprend le malaise du
bébé et le prend dans ses bras, le console, lui parle, le bébé se calmera,
pourtant il aura toujours faim. Mais cette mauvaise sensation sera
détoxiquée des angoisses catastrophiques. Elle se sera transformée en
un sentiment supportable et pourra même peu à peu laisser la place à
une possibilité pour le bébé de se représenter l’objet absent, le senti-
ment de plénitude à venir. C’est le début de la pensée.
L’expérience du nourrissage donne donc l’expérience d’une con-
jonction plurisensuelle. En cas de détresse ou de désorganisation, le
rappel d’une seule des modalités sensuelles peut souvent suffire à ras-
sembler le bébé, à lui redonner un vécu d’intégration. T.B. Brazelton
(1973) a d’ailleurs hiérarchisé la fonctionnalité des modalités d’apaise-
ment d’un bébé agité et en pleurs (depuis la simple présentation du
visage associée à la parole jusqu’à la prise dans les bras et le berce-
ment, en passant par la caresse, etc.) pour mesurer son aptitude à être
consolé.
La psyché naissante est donc à la recherche d’un objet contenant,
d’une autre psyché qui puisse l’accueillir et pourvoir à ses besoins
primitifs : détoxiquer ses perceptions des angoisses archaïques catas-
trophiques (sur la notion d’angoisse catastrophique, cf. W.R. Bion,
1965, 1966) et stimuler le sentiment d’identité, sentiment qui se fonde
58 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

d’abord sur un vécu de rassemblement de la personnalité. Ce vécu


s’appuie sur les capacités interprétatives de l’objet maternant et sur la
capacité d’attention du bébé. L’attention est la première manifestation
de l’existence d’un moi (cf. D. Marcelli, 1985). La capacité d’attention,
de porter attention à ce qui se présente, à l’intérieur ou à l’extérieur du
corps (cette distinction n’étant pas organisée chez le bébé), est une des
conditions au développement du sentiment d’identité.
Les premiers objets contenants sont des objets sensuels, nous l’avons
vu. Ceux-ci sont proches des objets ou des formes autistiques décrits par
F. Tustin. On peut d’ailleurs, suite aux conceptions de M. Mahler (1968)
et de F. Tustin, retenir l’idée d’une position autistique à l’aube de la per-
sonnalité (cf. aussi D. Marcelli, 1983; T.H. Ogden, 1989), plus précoce
que les positions paranoïde-schizoïde et dépressive décrites par
M. Klein, à condition d’une part d’insister sur le terme de position qui
suppose une « muabilité » de la psyché (qui peut osciller d’une position
à une autre), et d’autre part de considérer l’état mental autistique non
pas comme un état de fermeture absolue, mais comme un état où les
relations d’objet, même si fortement narcissiques, sont indéniablement
présentes et où l’ouverture objectale, même si éphémère, est aussi tou-
jours présente (cela est également vrai d’ailleurs de l’état symbiotique
caractéristique de la position paranoïde-schizoïde) — cf. A. Ciccone et
M. Lhopital, 1991. Il faudrait aussi repréciser les modalités de patholo-
gisation de ces positions développementales (cf. F. Tustin, A. Ciccone et
M. Lhopital).
Les angoisses archaïques propres à la position autistique poussent la
psyché à utiliser deux mécanismes de défenses principaux :
l’identification adhésive et le démantèlement (E. Bick, 1986; D. Melt-
zer, 1975). Ceux-ci conduisent le moi naissant à se coller à la surface
des objets, ou à éparpiller l’objet en une multitude d’éléments sensuels
non reliés les uns aux autres et à s’agripper à l’une des modalités sen-
suelles qui sert alors de surface. Comme toute défense, celles-ci ont
potentiellement un double effet : intégrateur ou désintégrateur. D’une
part, l’identification adhésive et le démantèlement ont pour effet, en
portant l’attention sur une seule stimulation sensorielle ou sensuelle, de
suspendre la psyché, d’interrompre l’ouverture sur l’extériorité et de
mettre en arrêt momentanément le mouvement développemental, mais,
d’autre part, ces processus défensifs protègent, même si temporaire-
ment et d’une façon peu efficace, le moi naissant d’angoisses catastro-
phiques. Ces angoisses primitives et archaïques (chute sans fin,
liquéfaction, anéantissement…) poussent le bébé, nous l’avons vu, à
s’agripper, à se coller à un objet support, et donc à constituer un objet,
si primitif soit-il. Il faut en effet souligner le rôle essentiel de ces
angoisses primitives comme facteur de développement (ainsi que le fait
Clinique psychomotrice du nourrisson 59

C. Athanassiou, 1982). M. Klein avait déjà insisté sur le rôle primordial


de l’angoisse et de la gestion de l’angoisse dans le développement psy-
chique et la formation du moi. Elle en a même fait l’un des moteurs
principaux du développement de la symbolisation et donc de la pensée
(1930, 1932).
Je terminerai en soulignant le rôle fondamental de l’objet et du lien à
l’objet, nous l’avons vu, dans la constitution de la psyché infantile. La
constitution de l’intrapsychique, du monde interne et des objets inter-
nes, s’appuie sur le lien intersubjectif et dérive de ce lien. J’ai évoqué
ici essentiellement les états psychiques les plus primitifs, mais il fau-
drait aussi parler, pour la question de la constitution des objets psychi-
ques, de l’importance des expériences symbiotiques — expériences un
peu plus élaborées que celles relatives aux états psychiques premiers.
C’est dans le lien à l’objet, et principalement le lien symbiotique, que
se créent les objets psychiques. Ce sont dans les expériences de sym-
biose partagée — expériences d’intenses communications, d’intenses
échanges de regards et de sourires entre le bébé et son objet maternant,
de profonde compréhension — que se « fabrique » la substance psychi-
que (selon la formulation de G. Haag), d’abord commune, puis dédou-
blée et partagée. Ce « partage », cette création partagée, cette
individuation est inhérente au processus d’intériorisation, et l’intériori-
sation psychique utilise en premier lieu des voies corporelles, celles de
l’autoérotisme. Or, c’est dans la « position symbiotique » (A. Ciccone
et M. Lhopital) que commence à œuvrer le véritable autoérotisme (qui
prend le pas sur l’autosensualité, procédé dépourvu de véritable activité
mentale). C’est par et à travers l’autoérotisme que se psychisent les
expériences relationnelles, que s’intériorisent les liens aux objets exter-
nes. (Pour ces derniers points, je renvoie à G. Haag, 1984 à 1988, et à
A. Ciccone et M. Lhopital, 1991). L’intériorisation d’un bon objet est
constitutive du sentiment d’identité et représente une condition au
développement de l’activité de pensée.

CLINIQUE PSYCHOMOTRICE DU NOURRISSON2

Nous envisagerons ce thème sous l’angle dynamique de l’interrela-


tion pour parvenir au concept de « lien » mère/bébé. Nous interrogerons
nos conceptions en retrouvant ce qui historiquement, avec les premiè-
res recherches de S. Freud puis de ses disciples, avec l’apport des
psychogénéticiens, mais aussi avec la prise en compte de l’apport
actuel des théories interactives, pourrait nous servir de soubassement

2. Jean-Baptiste G UILLAUMIN, Bernard SAGE.


60 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

théorico-clinique aux premiers dialogues psychomoteurs entre mère et


nourrisson.
Dans L’Esquisse, en 1895, S. Freud relevait déjà l’importance de la
réciprocité dans les premiers moments de la vie au service de la réduc-
tion des tensions et de la voie de satisfaction : « … L’excitation ne peut
se trouver supprimée que par une intervention capable d’arrêter
momentanément la libération des quantités (Qn) à l’intérieur du
corps… L’organisme humain à ces stades précoces est incapable de
provoquer cette action spécifique qui ne peut être réalisée qu’avec une
aide extérieure et au moment où l’attention d’une personne bien au
courant se porte sur l’état de l’enfant. Ce dernier l’a alertée, du fait
d’une décharge se produisant sur la voie des changements internes (par
les cris de l’enfant, par exemple). La voie de décharge acquiert ainsi
une fonction secondaire d’une extrême importance : celle de la com-
préhension mutuelle… » (Ibid, 336). Freud nous ouvre ainsi les pers-
pectives de ce qui deviendra, au fil de l’élaboration de la clinique
précoce, une nécessité d’entendre l’activité psychomotrice du bébé
comme « signal » et qui suppose, en retour, une « compréhension
mutuelle » soutenue par l’attention maternelle. Cette dynamique consti-
tuera le fil conducteur de nos hypothèses.

L’évaluation : une dynamique au service de l’unité


somato-psychique et de l’interaction mère/bébé
 Définition générale

L’évaluation chez le bébé renvoie à la notion de dépistage précoce de


toute anomalie ou trouble pouvant altérer son développement. Dans
cette préoccupation, l’évaluation s’inscrit dans une démarche dynami-
que, diagnostique et pronostique, qui s’organise autour des inquiétudes
portées par le corps médical, l’entourage familial… à partir du constat
ou de la suspicion de troubles pouvant affecter le bébé lui-même ainsi
que les inter-relations avec ses partenaires.
A la différence du bilan et de l’examen qui tendent, dans la démar-
che, à dresser un inventaire des troubles et à trop se focaliser sur une
mise en représentation de ce qui dysfonctionne, l’évaluation nous
apparaît s’inscrire dans une dimension plus globale d’approche du
bébé, destinée à éclairer la singularité de ce bébé au sein de son envi-
ronnement relationnel. En effet, l’évaluation prend également en
compte « ce qui est bien portant », comme l’indique l’étymologie latine
d’ « évaluer ». Notre préoccupation de cliniciens de la vie précoce, dans
la démarche évaluative, suppose alors d’être amenés à mettre en repré-
sentation le rapport existant entre ce qui est « bien portant » et les
Clinique psychomotrice du nourrisson 61

éléments de nature pathologique. Cette tâche délicate suppose une dou-


ble attention particulière, celle d’être confrontés :
– d’une part, à la réception et la compréhension de la souffrance pré-
coce dans les milieux qui la reçoivent (maternité, pédiatrie…);
– d’autre part, au respect d’une toile de fond, la « dynamique en
devenir » du bébé, afin de ne pas tomber dans le péril que R. Diatkine
dénonçait sous la forme métaphorique du « risque d’être les fossoyeurs
du devenir psychique de l’enfant ».
Nous rejoignons ainsi T.-B. Brazelton (1990) lorsqu’il écrit que
« …l’évaluation d’un nourrisson doit être considérée comme une
opportunité d’interaction avec lui, et à travers la façon dont il utilise
l’examinateur et ses matériels, on devrait obtenir la meilleure compré-
hension de son mode de fonctionnement… tout score d’évaluation
d’un nourrisson devrait inclure les jugements cliniques et subjectifs de
l’examinateur si on veut qu’il constitue une base de stimulation du
développement de l’enfant, car c’est à travers ces réactions que l’exa-
minateur peut entrer dans une relation de travail à la fois avec l’enfant
et ses parents pour favoriser son développement… L’évaluation d’un
nourrisson est donc une opportunité pluridimensionnelle pour le dia-
gnostic, pour le pronostic, et pour aborder l’interaction parents-
enfants ».
Et pour cerner encore plus précisément la finalité de l’évaluation,
nous rejoignons la conception de J.-P. Visier et coll. (in S. Lebovici,
1989) lorsqu’ils soutiennent qu’elle doit s’articuler autour de trois
axes :
– Le premier axe est d’apprécier la spécificité dynamique du bébé en
mettant en évidence ses dysfonctionnements, mais également en repé-
rant ses compétences et en faisant émerger ses potentialités.
– Le deuxième axe est d’éclairer la dynamique de l’inter-relation
entre le bébé et ses partenaires, en tant que « reflet du développement
psycho-affectif du bébé, des obstacles à ce développement, de ses
atouts, de ses perturbations » (S. Lebovici, 1983).
– Le troisième axe est la recherche d’une étiologie organique par la
réalisation d’examens complémentaires dans les cas où les troubles
constatés évoquent ou sont le signe d’une atteinte somatique.
Ces trois axes nous semblent nécessaires pour appréhender la dyna-
mique des potentialités d’évolution du bébé, afin de penser secondaire-
ment un dispositif de soin dans les cas où l’inquiétude et le désarroi, en
tant que signe d’alerte d’un risque d’altération du développement du
bébé, se révèlent fondés.
62 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

 De l’examen à l’évaluation du nouveau-né et du nourrisson


sous l’angle neurologique
J. de Ajuriaguerra (in C. Amiel-Tison et A. Grenier, 1980) assigne
comme but à la neurologie, de porter un diagnostic, fondé sur un bilan
établi à partir de l’étude des signes, symptômes ou réactions dont cer-
tains ont d’emblée une valeur d’anormalité. Il précise qu’en neurolo-
gie, « les “figures” qui nous sont offertes ou que nous pouvons
provoquer par nos examens sont considérées comme positives ou néga-
tives selon le moment de l’évolution de l’enfant. La symptomatologie
prend sa valeur en fonction de la disparition de certaines formes dites
archaïques ou de l’apparition de certaines formes qui entrent dans le
cadre de la linéarité de l’ontogenèse ». Ainsi, le bilan ou l’examen neu-
romoteur, constituerait en quelque sorte un « instantané », au sens pho-
tographique du terme, de ce que montre le bébé dans l’ici et
maintenant, au niveau de son équipement neurologique. S’il permet de
saisir avec certitude certaines formes de pathologies, lorsque l’observa-
tion du bébé et sa réactivité aux stimulations de l’examen coïncident
avec un ensemble de signes qui ont d’emblée valeur d’anormalité, en
revanche, la présence de certains signes confronte l’examinateur à
l’expectative quant au devenir normal ou pathologique du bébé. C’est
le cas pour les nourrissons dits « à risque de séquelles neurologiques »,
bébés auxquels nous allons nous intéresser au cours de ce chapitre.
Peu après leur naissance, ce sont des bébés qui souffrent d’une
détresse neurologique ou respiratoire, d’une déshydratation aiguë
sévère, d’une infection importante…, nécessitant leur hospitalisation
dans un service de néonatologie. Les anomalies neurologiques que pré-
sentent ces nouveau-nés s’expriment essentiellement par l’hypotonie,
l’hypertonie, l’hyper-excitabilité, la modification des automatismes
primaires, la régulation posturale insuffisante, l’éveil médiocre… Pour
un nombre important d’entre eux, l’examen neuromoteur ne permet pas
d’affirmer si les anomalies constatées ont un caractère transitoire ou
définitif, c’est-à-dire si elles vont être résorbées à l’âge de 1 an ou au
contraire devenir fixées, auquel cas le bébé se révélera infirme moteur
cérébral. Ainsi, avant cet âge fatidique de 1 an, en l’absence de dia-
gnostic précis, le pronostic s’avère incertain. Le bébé est alors placé
sous surveillance neurologique régulière et c’est l’attente angoissante
d’une normalisation des signes pathologiques qui occupe bien souvent
une place prépondérante dans les inter-relations avec son entourage le
plus proche.
La dimension de l’évaluation prend alors tout son sens, précisément
avec ces bébés, dans la mesure où elle constitue une démarche qui tente
de révéler « au plus juste » et « au plus tôt » leurs potentialités, sans
s’inscrire dans un registre de banalisation de leurs troubles, ou à
Clinique psychomotrice du nourrisson 63

l’inverse, sans hypothéquer leur devenir en annonçant d’emblée un pro-


nostic des plus sombre. Dans cette perspective, l’examen neuromoteur
complémentaire de A. Grenier, indissociablement lié à la façon dont il
s’inscrit au sein de la dynamique familiale, nous semble ouvrir une
alternative intéressante, véritable démarche évaluative pour ces nou-
veau-nés à risque de séquelles neurologiques. Il propose au niveau de la
surveillance neurologique de la première année, de rechercher une
symptomatologie particulière qui permet de reconnaître le plus près
possible de leur naissance, les nourrissons indemnes de handicap rela-
tionnel et moteur lourd, ce qu’il nomme le « prédépistage de la
normalité ». Avant de présenter sommairement cet examen dans sa
dimension évaluative, il nous semble nécessaire de retracer schémati-
quement l’examen neuromoteur classique.

• Examen neuromoteur
Il se pratique lorsque le bébé se trouve dans un état optimum d’éveil,
selon les états 2 et 3 définis par H.-F. Prechtl et R. Beintema (1964, 74)
(yeux ouverts, peu de mouvements; yeux ouverts, activité motrice fran-
che, pas de pleurs). Il comprend :
L’examen clinique du crâne. — Il consiste à inspecter la fontanelle
antérieure et les sutures, ainsi qu’à mesurer le périmètre crânien qui,
reporté sur une courbe de croissance céphalique déterminant la norme,
donne des indications sur un développement pathologique
(microcéphalie, hydrocéphalie) ou au contraire normal.
Une appréciation du développement sensoriel. — Elle se fait
autour de la fixation et de la poursuite oculaire, obtenues à partir de
34 semaines d’âge gestationnel, et du réflexe cochléo-palpébral qui
consiste en un clignements des paupières du bébé lorsqu’on tape des
mains à environ 30 cm de son oreille.
L’observation de la posture et des activités motrices
spontanées. — Elle se fait autour :
– du réflexe tonique asymétrique du cou spontané. C’est la posture
dite de l’escrimeur quand l’enfant est couché sur le dos, la tête tournée
de côté, les bras comme un escrimeur. Il est normal les trois premiers
mois, inconstant entre trois et six mois et absent après six mois chez
l’enfant normal;
– de l’hypertonie anormale des extenseurs du cou qui est observable
lorsque le bébé au repos, ne peut rester couché à plat sur le dos sans
qu’il n’y ait un espace libre entre le cou et le plan du lit ;
64 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

– de l’opisthotonos qui désigne une hypertonie permanente et anor-


male des muscles extenseurs du rachis. Le bébé ne peut pas rester à plat
sur le dos. Il a le tronc en arc de cercle;
– de la fermeture permanente des mains;
– de la paralysie faciale qui s’observe le plus facilement lorsque le
bébé pleure, le côté atteint restant figé, la bouche étant attirée vers le
côté opposé;
– de la motilité spontanée. Le bébé étant couché sur le dos, l’exami-
nateur observe la vitesse, l’intensité et la qualité de ses mouvements.
L’appréciation du tonus passif. — Elle s’organise autour de
l’extensibilité et du ballant. L’extensibilité musculaire est appréciée
segment par segment à l’aide de manœuvres évaluant l’amplitude d’un
mouvement lent conduit par l’examinateur, l’enfant étant passif.
L’étude du ballant consiste à déterminer l’amplitude du mouvement
créée par la mobilisation passive, rapide, d’un segment distal. Ce sont
les possibilités de freinage des muscles antagonistes qui sont recher-
chées dans l’étude du ballant, afin de mettre en évidence une éventuelle
asymétrie des membres.
L’appréciation du tonus actif. — On l’observe dans les activités
spontanées du bébé et à partir de la motricité dite « dirigée », qui
consiste de la part de l’examinateur à pratiquer différentes sollicita-
tions visant à obtenir des réponses motrices stéréotypées qui évoluent
suivant l’âge. Les réponses obtenues renseignent sur la réactivité
posturale de son système nerveux central, que Vojta (in C. Amiel-Tison
et A. Grenier, 1980) définit comme « l’aptitude à s’adapter aux change-
ments de position du corps dans l’espace ». A titre d’exemple nous
pouvons citer le réflexe de Landreau, qui met en jeu l’activité posturale
du corps tout entier lorsque l’enfant est maintenu en position ventrale,
ainsi que la manœuvre du tiré-assis, qui évalue les muscles fléchisseurs
du cou.
L’appréciation des réflexes archaïques. — Ils sont présents au
cours des premiers mois. Leur disparition survient à une date variable
mais leur persistance a une signification pathologique à partir de 5 ou
6 mois. On recherche essentiellement :
– la marche automatique déclenchée par une succession de pas par
contact du pied avec la table d’examen quand l’enfant est maintenu ver-
tical légèrement penché en avant;
– le grasping des doigts : la stimulation palmaire des doigts de l’exa-
minateur dans les paumes de l’enfant entraine une forte réaction des
doigts qui se fléchissent et agrippent;
Clinique psychomotrice du nourrisson 65

– la réponse à la traction des fléchisseurs du membre supérieur : si


l’examinateur une fois le grasping des doigts obtenu élève ses mains
comme pour soulever l’enfant, la réponse s’étend à tous les muscles
fléchisseurs des membres supérieurs. L’enfant est alors soulevé du plan
d’examen;
– le réflexe de Moro : l’enfant sur le dos est soulevé de quelques cen-
timètres par une légère traction sur les deux mains, membres supérieurs
en extension. Lorsque ses mains sont brusquement lâchées, il retombe
et le réflexe apparaît. On peut également déclencher ce réflexe en frap-
pant des mains sur le plan d’examen, en faisant un bruit soudain, en
pinçant la peau de l’abdomen, en étendant brusquement son cou. Dans
un premier temps, on obtient une abduction des bras avec extension des
avants-bras. Dans un deuxième temps, une adduction des bras avec
flexion des avants-bras. Le troisième élément est un cri. On note si ce
réflexe est absent, asymétrique, ou obtenu par une faible excitation.
L’appréciation des réflexes ostéo-tendineux. — Au niveau du
bras, si on stimule le tendon du biceps, on obtient une contraction du
biceps avec une contraction de l’avant-bras sur le bras. Au niveau de la
rotule, si on stimule le tendon rotulien, on obtient une contraction du
quadriceps et une extension de la jambe. On note si ces deux réflexes
sont absents ou exagérés. Au niveau du pied, le clonus du pied est
obtenu en imprimant un mouvement de dorsi-flexion rapide mais doux,
la hanche et le genou étant en position de flexion. La réponse consiste
en une succession rythmique de flexions, extensions du pied sur la
jambe. Un clonus persistant au-dessus de 10 mouvements est anormal.
Quelques secousses vite épuisables sont considérées comme banales
chez les nouveau-nés.
L’appréciation des réponses posturales et vestibulaires. — Elles
apparaissent au cours du développement du bébé, entre 6 et 9 mois, et
sont d’un grand intérêt clinique. On distingue :
– la réaction aux pressions latérales du tronc. Lorsque l’enfant est
assis, l’observateur imprime une brusque poussée latérale à la hauteur
de l’épaule. L’enfant doit étendre son bras du côté opposé pour parer la
chute. Ce réflexe est normalement présent entre 6 et 8 mois. On note
s’il est absent ou asymétrique;
– le parachute : l’observateur tient l’enfant contre lui en suspension
ventrale puis le projette brusquement, tête en avant, vers le plan de
l’examen. On observe alors un mouvement brusque d’extension des
membres supérieurs avec ouverture des mains, comme si l’enfant vou-
lait se protéger d’une chute. Ce réflexe apparaît entre 7 et 9 mois. On
note s’il est asymétrique ou absent. Son apparition est retardée chez les
enfants présentant des difficultés motrices d’origine cérébrale.
66 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

L’asymétrie de la réaction aux pressions latérales du tronc et du para-


chute peut orienter vers le diagnostic d’une hémiplégie.
Après cet exposé schématique du déroulement de l’examen neuro-
moteur, nous ne pouvons rendre compte en détail de l’ensemble des
anomalies que peuvent présenter ces bébés à risque de séquelles neuro-
logiques. Cependant, le tableau ci-dessous (Ibid, 47) met en évidence
les groupements symptomatiques caractéristiques observés au cours de
la première année de vie, ainsi que leur possibilité de normalisation.

Anomalies Normalisation

PREMIER TRIMESTRE

Hyperexcitabilité
Anomalies du tonus axial 2
(déséquilibre entre extenseurs mois
et fléchisseurs de la tête)
Contrôle de la tête
normal à 3 mois

DEUXIÈME ET TROISIÈME TRIMESTRE


PLUS RAREMENT QUATRIÈME TRIMESTRE

Hyperexcitabilité
Persistance des réflexes primaires 7
Pas de relaxation du tonus passif mois
des membres inférieurs
Anomalies du tonus axial
Pas de station assise Relaxation MI
(échec en arrière) Station assise normale
Redressement global persistant Apparition des réactions
posturales à une date
normale ou un peu retardée

ANOMALIES FIXÉES EN FIN


DE PREMIÈRE ANNÉE

Infirmité motrice cérébrale


Diplégie spastique 1
Hémiplégie spastique an
Tétraplégie
Choréo-athétose
Clinique psychomotrice du nourrisson 67

Ce tableau met en évidence les âges les plus intéressants à observer :


ils se situent aux alentours de deux et sept mois d’âge corrigé pour obser-
ver si les anomalies évoluent vers la normalisation. Au cours du premier
trimestre, les anomalies modérées les plus fréquentes s’expriment par
l’hyperexcitabilité et l’hypotonie de la moitié supérieure du corps avec
des fléchisseurs de la tête médiocres et un relâchement excessif des
membres supérieurs. Comme le notent C. Amiel-Tison et A. Grenier,
dans la grande majorité des cas, ces signes disparaissent dans le courant
du troisième mois. Les lésions cérébrales étendues donnant des anoma-
lies définitives s’expriment à cet âge par des signes cliniques d’emblée
plus inquiétants : peu de contact, troubles de la déglutition, mobilité pau-
vre, hypotonie globale, ou déjà opisthotonos permanent. Au cours du
deuxième et du troisième trimestre, des signes pouvant mimer une diplé-
gie spastique (hyperexcitabilité, réflexes archaïques vifs, non relâche-
ment du tonus passif des membres inférieurs, déséquilibre du tonus axial
avec hypotonie des muscles fléchisseurs du tronc et hypertonie relative
des muscles extenseurs du tronc) peuvent disparaître en fin de troisième
trimestre voire même en début de quatrième et le bébé se révèle indemne
de handicap lourd. De même, une hémiplégie spastique frustre diagnos-
tiquée vers le cinquième mois, très nette à six ou sept mois, peut dispa-
raître totalement avant la fin de la première année. C’est donc entre trois
et sept mois d’âge corrigé que l’interprétation d’une anomalie motrice
modérée est la plus compromettante.
Tout l’intérêt des examens neuromoteurs complémentaires réside
alors dans les potentialités qu’ils offrent d’affiner les examens neuro-
moteurs « classiques » pour évaluer au plus près et au plus tôt, le deve-
nir de ces enfants à risque de séquelles neurologiques. Celui de
A. Grenier nous semble particulièrement intéressant pour les psycho-
motriciens qui rencontrent ces bébés, et très révélateur de la démarche
évaluative envisagée sous un angle neurologique.

• Examen neuromoteur complémentaire de A.Grenier


Il s’adresse à ces nouveau-nés à risque de séquelles neurologiques et
a pour objet de reconnaître le plus tôt possible les nourrissons indem-
nes de handicap relationnel et moteur lourd, qui sont les cas les plus
nombreux. Pratiqué précocement en présence des parents et avec le
concours de ceux-ci, il vise à prévenir la mauvaise insertion familiale
de ces nourrissons. Cette double finalité s’inscrit tout à fait dans la
démarche évaluative telle que nous l’avons définie.
Cet examen qui propose une approche clinique différente des autres
examens neuromoteurs, ne se résume pas à une simple exploration des
aptitudes motrices et sensorielles du nourrisson, les unes après les
autres. Il repose sur la technique de la « motricité libérée » afin de
68 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

mettre en évidence les aptitudes relationnelles et motrices du nourris-


son et de pronostiquer un fonctionnement cérébral normal. La mise en
œuvre de la motricité libérée nécessite un temps de déparasitage qui
consiste à suspendre temporairement les réflexes primaires parasites du
nourrisson de moins de trois mois, afin d’obtenir sa participation active.
En effet, avant cet âge, la motricité réflexe est au premier plan et sous la
dépendance de l’impotence physiologique de la nuque. Chaque fois
que la tête bascule sans freinage, les étirements brusques du cou
déclenchent des mouvements parasites irrépressibles des membres
supérieurs, un réflexe de Moro, une dispersion de l’attention, qui inter-
rompt toute activité sensorielle relationnelle et motrice intentionnelle.
L’examinateur doit donc fixer manuellement la tête du bébé lorsque
celui-ci est assis sans dossier, soit sur la table d’examen, soit sur un
petit banc. Il peut être également en position demi-allongée sur le côté
(position latérale dite de « Récamier ») face à l’examinateur ou bien
face à un miroir, le miroir renvoyant à l’examinateur, au bébé et aux
parents un reflet plus global de chacun. Quelle que soit la position choi-
sie, dès que la nuque est fixée et que l’enfant s’est adapté, l’examina-
teur cherche à établir « l’état libéré » qui correspond à une disponibilité
sensorimotrice et relationnelle du nourrisson. C’est un état de commu-
nication, au départ purement sensoriel où il écoute la voix de l’exami-
nateur, suit les déplacements de sa tête… Il arrive qu’il n’aille pas au-
delà de ce stade de disponibilité sensorielle. Mais le plus souvent la
communication qui s’instaure dans ce « bain sensoriel » évolue vers un
véritable état relationnel où il entreprend une réelle recherche de l’exa-
minateur et répond à ses sollicitations. Son regard semble « aimanté »,
il imite les mouvements de langue et de bouche, ses quatre derniers
doigts s’ouvrent et quelques mouvements spontanés se produisent,
comme ceux des enfants plus âgés. Ses gestes ont perdu leur caractère
réflexe. Ils sont plus lents, plus harmonieux et plus coordonnés. Au fur
et à mesure que l’état relationnel évolue, l’examinateur sent que le
tonus postural se renforce, tout comme le tonus de la nuque, ce qui
témoigne de la participation de l’enfant et de sa présence réelle dans la
communication. Le nourrisson tient de mieux en mieux sa tête, jusqu’à
pouvoir la redresser quand l’examinateur ne la soutient plus. La mise
en évidence de cet état libéré, en présence des parents, s’avère, bien
évidemment, très précieuse pour révéler les potentialités du bébé à être
en relation avec son entourage. C’est à partir de l’obtention de cet état
de motricité libérée que l’examinateur sollicite alors le bébé, sur un
autre registre pour l’inciter à exécuter des changements de position au
cours desquels il sera possible de pronostiquer l’absence de handicap
moteur lourd. C’est la phase de « motricité dirigée ». A partir de la
position de Récamier, l’examinateur propose alors deux épreuves
Clinique psychomotrice du nourrisson 69

motrices dynamiques en laissant au nourrisson suffisamment d’initiati-


ves pour que sa participation active ne fasse aucun doute et en soute-
nant très légèrement les parties du corps pour lesquelles il éprouve des
difficultés à les soulever dans un déplacement. Ainsi peuvent être mises
en évidence des réponses motrices qu’un enfant infirme moteur céré-
bral, même plus âgé, ne sera jamais capable d’effectuer normalement.
L’examinateur propose à l’enfant deux épreuves motrices qui mettent
en jeu des redressements dans un plan latéral. Il associe ensuite une
série d’épreuves dynamiques de retournements et de redressement du
corps des deux côtés.
L’épreuve la plus ancienne consiste en un redressement latéral de la
tête et du corps au cours d’un effort intentionnel, avec appui latéral.
Cependant, l’état libéré accroît sa facilité d’exécution et la fiabilité de
son interprétation dans la recherche de l’intégrité des voies motrices. A
partir de la position de Récamier, l’enfant est allongé délicatement en
décubitus latéral complet. L’examinateur place une main sur les han-
ches de l’enfant et exerce une pression sur son bassin qui amorce une
bascule entre la partie supérieure et inférieure du corps, amenant sa tête
à se soulever de plus en plus, l’épaule servant de point d’appui. Quand
l’enfant force, parallèlement au redressement de sa tête, le tronc monte
progressivement jusqu’à la position assise et l’appui sur le membre
supérieur passe progressivement de l’épaule à l’avant-bras, pour se ter-
miner sur la main coude tendu. Lorsque la participation et le redresse-
ment sont obtenus, il est possible d’affirmer que l’organisation motrice
est intacte et que l’enfant peut atteindre une relation intense avec
l’entourage. L’autre épreuve, la réaction latérale d’abduction de la
hanche, est obtenue lorsque le nourrisson est couché sur le côté, les
pieds vers le miroir et le dos vers l’examinateur. Sa tête est sans appui.
L’examinateur contrôle la position des deux membres inférieures,
fléchissant celui du dessous et maintenant en extension celui du dessus.
L’examinateur provoque une série de balancements en mouvements de
« hachoir ». Tant que la tête reste ballante, il ne se passe rien. Par con-
tre, dès que celle-ci se redresse latéralement, à l’occasion d’un mouve-
ment actif déclenché par la voix de la mère ou de la présentation d’un
objet, la réaction se déclenche. Des contractions, qui partent du cou,
traversent le tronc qui s’incurve latéralement, atteignent la ceinture pel-
vienne et descendent le long de la cuisse et de la jambe en extension,
pour se terminer dans le pied qui se place en flexion dorsale. On
observe alors l’abduction de la hanche : le membre inférieur du dessus
tout entier s’élève de façon franche contre la pesanteur par la seule
force des abducteurs de la hanche examinée. La présence de cette réac-
tion permet d’affirmer l’absence d’infirmité motrice cérébrale et de
faire un pronostic extrêmement précoce de marche. Par contre, avant un
70 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

an, cette épreuve ne permet pas d’affirmer la présence d’un handicap


moteur lourd si la réaction est absente.
Ainsi, ce sont ces performances relationnelles et motrices observées
en état de motricité libérée qui sont recherchées lors de la passation de
l’examen neuromoteur complémentaire. Ce « pré-dépistage de la
normalité », pour une très large majorité des nourrissons à risque de
séquelles neurologiques, permet alors de soulager l’angoisse de
l’entourage proche, et de contribuer à la prévention des distorsions du
lien parents-bébé, distorsions que nous mettrons en représentation dans
la suite de notre exposé.
Pour utiliser correctement cet examen, dans sa finalité évaluative,
A. Grenier et A.-M. Dezoteux (1989, 15) précisent que l’examinateur
doit changer son état d’esprit, « davantage préparé par la tradition
médicale au dépistage précoce des séquelles qu’à la recherche d’une
nouvelle sémiologie orientée vers l’affirmation précoce de la
“normalité” ». Il s’agit donc d’une inversion radicale du sens épisté-
mologique de la surveillance neurologique. C’est une démarche qui
nécessite tout d’abord d’admettre une période de convalescence du
nourrisson, où les anomalies motrices, de communication, de compor-
tement, observées pendant les premières semaines de la vie peuvent
être légitimement attribuées à une fatigue générale résiduelle, consécu-
tive à la phase aiguë de la pathologie. Le nouveau-né hospitalisé dans
un service de soins intensifs a en effet souffert, a été soumis à des exa-
mens, des auscultations multiples. Il les subit dans la solitude, sans
« l’enveloppe de maternage » protectrice. Ce climat perturbateur (per-
sonnes qui le manipulent, lumière vive, bruits d’appareil, prélèvements,
injections…) peut très bien expliquer qu’il soit hyperexcitable ou au
contraire somnolent, qu’il ait des réponses motrices réduites ou exacer-
bées. La convalescence ainsi expliquée aux parents, offre une période
de détente qui leur permet de relâcher la tension après la phase aiguë de
soins intensifs. Ainsi, les anomalies constatées étant mises sur le
compte de la fatigue générale résiduelle, les parents vont potentielle-
ment mieux investir leur bébé, en le choyant, en l’entourant d’un maxi-
mum de soins et d’attention, pour que leur « petit convalescent »
récupère au plus vite une santé meilleure.
Cette démarche de prédépistage de la normalité doit se mettre en
œuvre pendant la période d’hospitalisation et dès la sortie des soins
intensifs, pour participer à un meilleur investissement familial du nou-
veau-né. L’examen, pratiqué également par des psychomotriciens,
s’effectue régulièrement sur plusieurs jours ou semaines, la période de
convalescence laissant tout le temps à l’examinateur que l’enfant fasse
la démonstration de ses compétences relationnelles et motrices face au
miroir, et ainsi face à ses parents qui deviennent des partenaires à part
Clinique psychomotrice du nourrisson 71

entière. Cette confrontation parents/bébé avec comme médiateur le


miroir et l’examen neuromoteur complémentaire constitue pour
A. Grenier et A.-M. Dezoteux, « la deuxième naissance du nouveau-né
à risque », parce qu’elle permet à beaucoup de familles de découvrir
leur bébé comme s’il venait de naître. Cette deuxième naissance joue
pour eux un rôle de « pontage » familial avant que se posent les vérita-
bles problèmes pronostics. Lors des premières passations, tant que
l’enfant n’apporte pas la preuve de sa normalité, cette absence est mise
sur le compte de la convalescence. Après sa sortie du service de pédia-
trie, le bébé est revu à deux ou trois reprises jusqu’au quatrième mois
d’âge corrigé et en règle générale l’examinateur doit avoir mis en évi-
dence toutes les performances relationnelles et motrices qui permettent
d’affirmer l’absence de handicap relationnel et moteur lourd. En
s’appuyant sur une enquête, A. Grenier (1980, 75-78) montre que ce
pronostic peut être fait dans près de 68 % des cas avant trois mois, et
dans un pourcentage beaucoup plus important avant le cinquième mois
d’âge corrigé. Pour le faible pourcentage d’enfants qui au cinquième
mois n’ont toujours pas présenté la réaction latérale d’abduction de la
hanche, il est encore possible de considérer les anomalies neurologi-
ques comme transitoires, car jusqu’à un an une normalisation de la
motricité se produit dans la majorité des cas. Il préconise une action
thérapeutique pour favoriser l’expression de ces performances motri-
ces. Il sera proposé à l’enfant de la kinésithérapie, de la psychomotri-
cité, mais le discours doit rester le même, c’est-à-dire que l’on
n’annonce pas des séquelles neurologiques tant que l’on n’a pas acquis
la certitude de leur présence. En fin de première année, il ne reste qu’un
pourcentage faible, 4,6 % d’enfants qui se révèlent infirmes moteurs
cérébraux. Pour ces enfants et leurs parents, nous pouvons penser que
la démarche de pré-dépistage de la normalité a permis que les interac-
tions précoces soient moins perturbées, ainsi qu’un meilleur investisse-
ment libidinal du nourrisson, en évitant l’installation d’une période
entre l’annonce des signes pathologiques et l’annonce du handicap,
dominée par l’angoisse. Nous pouvons également penser que cette
annonce du handicap se déroulera dans de meilleures conditions, dans
la mesure où règne un climat de confiance entre les parents et l’équipe
qui pratique la surveillance neurologique, sur la base d’une révélation
d’un potentiel de l’enfant déjà connu par les parents, et mis en évidence
par le rôle de tiers que constitue l’équipe. Enfin, la mise en place de sti-
mulations précoces à partir du cinquième mois, de même que la sur-
veillance orthopédique de désordres secondaires, en particulier de la
hanche, favorisent le développement des potentialités de l’enfant avant
même qu’il ne se révèle handicapé.
72 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

 De l’examen à l’évaluation du nouveau-né sous l’angle


de l’interaction : apport et limites de l’utilisation de l’Echelle
de Brazelton comme « médiation »
Les recherches de ces dernières années reprises par T.-B. Brazelton,
notamment celles de Klaus et Kennel, ont permis de mettre à jour ce
que chaque clinicien confronté à la clinique néonatale savait intuitive-
ment - à savoir que l’attention portée aux besoins des parents vis-à-vis
de leur nouveau-né a pour effet d’augmenter les potentialités affectives
et cognitives du nourrisson. Nous dirons également que le père et la
mère auront, en retour, d’autant plus de capacités à être parents face à
un bébé investi d’une certaine compétence.
Il nous semble que les psychomotriciens intervenant dans des servi-
ces de maternité ou de pédiatrie ont un rôle extrêmement important à
jouer à partir d’une démarche évaluative : ils constituent, en effet, par
leur double appartenance un point de liaison entre le domaine somati-
que et la dimension psychique. Nous savons que le bébé qui vient de
naître est, bien avant d’être reconnu comme « enfant » par ses parents,
fantasmé comme « enfant de la technique médicale ». La démarche
évaluative doit, à notre avis, peser les risques et les effets propres sus-
ceptibles d’être déclenchés par sa mise en place ; notamment le risque
d’une parole qui figerait l’infans dans une prédestination et un savoir
médical. Elle doit s’ouvrir, au contraire, à une attention bienveillante
avec un professionnel-thérapeute qui a le souci de recueillir, d’une part,
du côté des parents l’écart et parfois la rupture entre l’enfant fantasma-
tique et l’enfant réel et, d’autre part, du côté du bébé les meilleures
périodes d’éveil et de sensibilisation avant de les souligner en présence
des parents. Cette double perspective permet aux parents de laisser
émerger en eux après le bouleversement de la naissance leur
« parentalité » et au bébé de développer progressivement une confiance
à communiquer avec les moyens qui sont les siens parce que soutenu
par l’attention parentale. Le dispositif du clinicien néonatal devrait
pouvoir s’imaginer comme une aire sur laquelle peut venir se projeter
et se jouer ensuite l’écart entre l’imaginaire parental et les potentialités
du bébé qui se développeront d’autant plus si elles ont la chance de
pouvoir être accueillies. Le psychomotricien pourrait se penser comme
un trait d’union, une articulation qui accepte les enjeux dynamiques
entre l’écart de ces deux mondes et leur réunion à venir. Nous savons
tous que l’articulation peuvent être le lieu de la souplesse mais c’est
aussi sur elle que peuvent s’inscrire les tensions, les pressions, voire les
déchirures. En effet, il faut bien se dire que notre environnement social
est lui-même en pleine évolution : nous avons, d’une part, du côté de la
société des exigences qui pèsent de plus en plus tôt sur l’enfant et,
d’autre part, des familles qui sont réduites à leur simple dimension
Clinique psychomotrice du nourrisson 73

nucléaire. Cette double difficulté déclenche, chez les parents, un senti-


ment d’insécurité qui les confronte comme le souligne T.-B. Brazelton
(1981) à « …de terribles pressions internes et externes… ». Tout repo-
serait sur eux. Cette forme de réduction de la sphère familiale à sa plus
simple expression, préexistant à la venue au monde du bébé, fait
qu’une forme d’appui identificatoire qui existait auparavant avec la
famille au sens large est ôtée aux jeunes parents : ils sont propulsés
dans une identité lourde de parents sans profiter de l’appui, parfois
nécessaire, de leurs aînés.
Nous savons que le nouveau-né, si on prend comme point de compa-
raison les autres espèces, est soumis à une dépendance motrice très
importante du fait de l’immaturité de son développement psychomo-
teur en début de vie. Il présente par ailleurs des moyens développés
pour signaler ses besoins à son entourage. Cette immaturité et cette
dépendance communiquée constituent une voie d’avenir pour s’ouvrir
et s’inscrire dans la dimension psychique et affective, figurée par le
concept de « lien » à son environnement. La démarche évaluative peut
alors se comprendre comme la mise en scène qui pourrait mettre en
jeu, d’une part, les craintes et les projections parentales, d’autre part,
attester des potentialités réelles du bébé.
Il nous semble que l’évaluation conçue sous cet angle peut s’offrir
comme une aire de compréhension du nourrisson, à travers les problè-
mes qu’il va susciter chez ses parents, et mettre en valeur la notion de
« soutien » dont ils peuvent avoir besoin en passant d’une hyperprotec-
tion médicale au risque de se trouver complètement seuls face aux
enjeux propres à cette période de la vie.
Nous pensons, par exemple, que l’Échelle de Brazelton pourrait ser-
vir de base à l’établissement d’un jeu propice à recevoir ces différents
enjeux et ces différentes attentes de part et d’autre. Cette évaluation ren-
seigne sur l’usage que peut avoir le nouveau-né dans les différents
niveaux de conscience et sur ses réactions face à différentes formes de
stimulations. Sa passation suppose de ne pas interpréter les résultats
sous la forme d’une « prédictibilité » à venir, mais d’offrir les bases d’un
assouplissement, puis d’une ouverture vis-à-vis de ce qui a été recouvert
par la nécessaire mise en jeu des défenses maternelles (nous savons, par
exemple, que les projections si fréquentes à ce moment particulier de la
vie sont aussi nécessaires à l’établissement d’un lien mère-bébé). Ceci
revient à dire que le travail clinique consiste à accueillir les projections,
les respecter, mais aussi mettre en place un dispositif qui serve de révé-
lateur aux potentialités qui peuvent être reçues par la mère et lui servir
pour établir un lien dont elle sera à l’origine.
Cette évaluation-révélation prend en compte « l’état » dans lequel se
trouve le nouveau-né, en sachant que sa réaction dépend de l’état de vigi-
74 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

lance dans lequel celui-ci se trouve. Cette échelle décrit six états qui
reflètent à la fois la vigilance du nourrisson, son niveau d’excitation
motrice et la qualité de son vécu affectif. Il y a ainsi trois niveaux de
sommeil (profond, léger et assoupissement) et trois niveaux d’éveil
(calme, actif et les pleurs-agitation). C’est au cours de l’éveil calme que
le nouveau-né est le plus attentif et réceptif à son environnement.
L’appréciation d’ensemble mettra en lumière la variabilité des états qui
nous renseigne sur les capacités d’autorégulation du nourrisson. Ainsi
l’observation d’un bébé qui se met à se désorganiser (cris, pleurs, agita-
tion) face à des stimuli pénibles sera, dans l’esprit de cette évaluation,
une appréciation de la façon avec laquelle le bébé va tenter de réguler ses
propres états, puis éventuellement de la manière avec laquelle il peut
venir chercher une aide pour être soulagé de ses tensions. Le bébé
bénéficie de sa propre capacité de filtrage qui est appréciée et qui le pro-
tège d’un trop plein d’excitations. Le système nerveux central se déve-
loppe ainsi en mettant en place des mécanismes d’inhibition de
l’excitation motrice ou végétative. Ainsi, le jeune bébé va non seulement
développer une capacité personnelle afin de réguler ses propres rythmes
(alimentaire ou nycthéméral) mais aussi trouver une capacité à s’apaiser
lui-même en portant ses doigts à la bouche et en les suçotant. Nous ver-
rons en quoi dans les parties qui vont suivre on peut lire dès ces premiers
mouvements une amorce de ce que S. Freud avait postulé — à savoir que
le bébé à l’origine ne distingue pas les excitations internes et externes et
que c’est à partir du primat de plaisir érogène de la zone buccale que va
s’organiser une forme de distinction entre objet interne et externe. Nous
pouvons parler « d’évaluation » dans la mesure où il s’agit de distinguer,
à partir de la nature de ses besoins, l’habileté, la qualité avec laquelle il
inscrit sa corporéité au service d’un signe (moteur, neuro-végétatif avec
la coloration de la peau, par les cris ou pleurs etc.) qui devient message
afin d’être reconnu par un extérieur attentif.
Nous citerons simplement les 26 items qui composent cet examen en
demandant aux intéressés de se reporter aux documents plus dévelop-
pés (T.-B. Brazelton, 1983, 61-96) afin de saisir la complexité de cette
évaluation et de trouver les lieux de formation indispensable pour avoir
la rigueur nécessaire à cette passation et transformer l’examen en
« évaluation » tel que nous l’envisageons :
1. Diminution de la réaction à des stimuli visuels répétés.
2. Diminution de la réaction au hochet.
3. Diminution de la réaction à la cloche.
4. Diminution de la réaction au coup d’épingle.
5. Réponse orientée à des stimuli visuels inanimés.
6. Réponse orientée à des stimuli auditifs inanimés.
Clinique psychomotrice du nourrisson 75

7. Réponse orientée à un stimulus visuel animé — visage de l’exa-


minateur.
8. Réponse orientée à un stimulus auditif animé — voix de l’exami-
nateur.
9. Réponse orientée à des stimuli visuels et auditifs animés.
10. Durée et qualité des périodes de vigilance.
11. Tonicité musculaire générale au repos et quand on le tient.
12. Maturité motrice.
13. Réponse à la traction vers la position assise.
14. Pelotonnement — réponses aux caresses de l’examinateur.
15. Mouvements défensifs — réactions quand on lui couvre la visage
avec un bout de drap.
16. Capacité de se consoler avec l’intervention de l’examinateur.
17. Excitation maximum et capacité de se contrôler.
18. Rapidité pour atteindre les crises de larmes.
19. Irritabilité pendant l’examen.
20. Evaluation générale du type et du degré de l’activité.
21. Tremblements.
22. Durée de la frayeur.
23. Changement de la couleur de la peau (mesurant la labilité auto-
nome).
24. Labilité des états durant l’examen.
25. Activité auto-calmante : tentatives pour se consoler et reprendre
contrôle.
26. Activité main-bouche.
Ainsi les différentes formes de réponses du bébé permettent de saisir
avec quelle intensité il peut chercher par ses capacités à se protéger
d’un monde nouveau qui le « déborde ». L’évaluation permet alors de
saisir comment le bébé utilise une grande variation corporelle dans
l’échelle du sensible.

• Illustration clinique
Nous relaterons une situation clinique, déjà développée dans un de nos articles (J.-
B. Guillaumin, 1989, 33-34), où l’évaluation par cette échelle s’est constituée en média-
teur à la relation entre une mère et son nouveau-né.
Il s’agit d’un jeune bébé de six jours, né avec un pied-bot, et de sa mère. Le service
de maternité nous demande de recevoir cette mère en présence de son bébé. En effet, les
auxiliaires de puériculture s’inquiètent car cette mère laisse le bébé dans le berceau
toute la journée, qu’il y ait des visites ou pas, recouvert d’un drap : seul son visage est
en relation avec l’extérieur.
Pendant l’entretien, nous laissons, comme à chaque fois, la mère parler de ce
qu’elle a vécu autour de l’accouchement avant de nous pencher sur le bébé. Elle parle de
76 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

sa souffrance sur le plan narcissique, sans parler réellement du bébé : « cette naissance
m’a déchirée… j’ai énormément saigné… j’ai cru que je me vidais… ». Ces vécus nous
permettent de saisir l’atteinte dont elle est l’objet et nous donnent une première indica-
tion sur la façon dont nous allons pouvoir travailler avec elle. Par cette évocation de ses
souffrances, sur un mode hémorragique, elle nous amène à penser comment notre atten-
tion thérapeutique devra être avant tout au service de la constitution d’une enveloppe,
susceptible de contenir les vécus émotionnels et psychiques traumatisants. Notre souci,
sachant qu’elle n’est là que pour cinq jours, sera aussi de permettre à cette mère de ne
pas trop se vider afin qu’elle puisse repartir comme elle est venue.

Dans cette situation, nous ressentons comment cette mère pourrait nous amener à
oublier le bébé, ce qui nous semble en lien avec le fait que cette mère ne puisse pas, en
référence à M. Soulé « …fournir le stock narcissique que toute mère trouve dans son
corps pour en faire don à son enfant… » (M. Soulé, 1982, 67). Nous partirons de ce que
cette relation partielle et limitée (avec un enfant-visage) nous permet afin de trouver une
aire de rencontre qui tienne compte et respecte les impossibilités pour cette mère. Nous
proposerons au nouveau-né les items relatifs aux interactions visuelles et auditives.
Nous approchons le visage, il « s’accroche » au regard en fronçant les sourcils… Nous
lui parlons en prenant soin de sortir de son champ de vision… il nous suit sur un arc de
90°. La mère observe et demande à prendre cette place. Nous avons le sentiment qu’elle
vient prendre appui sur le soutien que nous lui avons offert : elle peut alors affronter
cette réalité qui, jusqu’alors, était insoutenable. Le nouveau-né, de son côté, les yeux
grand-ouverts, met tout en œuvre pour attirer l’attention de sa mère. Il est remarquable
dans son pouvoir d’attraction : il vient ainsi ramener le regard perdu dont il a besoin
pour se relier à sa mère. Nous pensons qu’il existe des enfants qui, face à une situation
de risque d’abandon sur le plan psychique, mettent tout en œuvre pour ne pas se voir
laisser tomber.

Par la suite, la mère découvre (dans les deux sens du terme) le bébé, nous invitant à
partager cette réalité difficilement soutenable sur le plan narcissique : elle parle de
« désolation »… avant de nous faire part de son refus de toute visite extérieure et des
questions qu’elle pourrait se poser pour l’avenir.

A partir de cet exemple, il nous semble particulièrement important


de souligner comment l’évaluation s’offre comme un médiateur qui a
permis à l’enfant « d’exister » en dehors de la menace qui pesait sur lui,
tout en respectant les défenses de la mère : « exister » pourrait vouloir
dire ici, trouver une place en dehors des projections maternelles. Là où
la mère restait focalisée par le morceau pied-bot sans pouvoir le relier à
un corps unifié, nous pensons qu’elle prend appui sur cette aire de
découverte pour supporter l’insoutenable. La confrontation à la réalité,
la corporéité du bébé vient lui montrer qu’il n’est pas pour autant
détruit par ses propres projections. Le « projecteur évaluation » vient
ainsi éclairer une autre réalité, les besoins du monde interne du bébé.
Nous assistons ainsi à l’émergence d’une relation spéculaire avec la
conjonction de deux désirs, l’un « de vivre » côté bébé et l’autre « de
faire vivre » côté maternel, en un tout qui commence à se reconnaître
avant de se relier.
Pour conclure cette partie, nous inviterons nos lecteurs à une pru-
dence quant à une lecture qui encouragerait une utilisation de cette
Clinique psychomotrice du nourrisson 77

« échelle » pour elle-même. A partir de ce développement, ponctué


par cette illustration, nous tenons à insister avant tout sur cette notion
de « médiateur » : celui-ci suppose en effet d’engager sa propre créa-
tivité clinique, de développer une écoute attentive aux besoins de la
mère et du bébé. Ce sera seulement au prix de cette exigence que le
clinicien trouvera les bases de ce qui deviendra alors un jeu nécessaire
entre les deux protagonistes. Restons prudents quant à la tendance
actuelle qui consiste, à n’importe quel prix, « à faire du bébé une
personne » (J.-B. Guillaumin et G. du Manoir, 1993). Le risque
encouru consisterait, au nom d’un positivisme excessif qui devien-
drait l’équivalent d’une défense maniaque destinée à se protéger des
affects et des fantasmes, à brader les enjeux de l’inconscient.

 Évaluation des troubles moteurs, posturaux et toniques au sein


de l’interaction mère/bébé
Nous envisagerons cette partie selon deux axes. Le premier concerne
l’évaluation des enfants de moins d’un an qui présentent un retard au
niveau des acquisitions motrices et posturales, sans anomalie neurolo-
gique. Nous nous référerons aux travaux de M. Myquel et de ses colla-
borateurs, M. Granon, A. Allari et M. Porte (1990, 13-18) qui, à partir
de l’étude de ces bébés, nous proposent une grille d’évaluation permet-
tant d’appréhender leur motricité, ainsi que les interactions motrices et
corporelles au sein de la dynamique interactive.
Le deuxième axe reprend des travaux que nous avons déjà dévelop-
pés (J.-B. Guillaumin et B. Sage, 1990, 19-25) concernant les troubles
du tonus qui accompagnent fréquemment les altérations précoces de la
personnalité du bébé et de l’inter-relation mère/nourrisson. Nous nous
attacherons à mettre en représentation l’impact et la résonance de ces
troubles au sein de l’inter-relation et nous tenterons d’établir une
classification de ces troubles.

• Évaluation de bébés de moins d’un an présentant des troubles


moteurs et posturaux, sans atteinte neurologique
L’étude pratiquée par M. Myquel et ses collaborateurs a pour point
de départ l’intérêt porté aux bébés qui présentent un retard aux acquisi-
tions motrices et posturales sans atteinte neurologique. Pour avoir une
population homogène, ils ont volontairement écarté les prématurés et
les bébés nés avec de faibles poids. Outre le retard pour lequel ces
bébés leur étaient adressés par les pédiatres, leur attention fut plus
spécifiquement attirée par la grande inertie motrice qu’ils présentent.
Très vite ces troubles moteurs ne leur apparaissent pas comme apparte-
nant exclusivement au bébé, mais plutôt relever d’une problématique
78 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

interactive entre le bébé et les parents, ce dysfonctionnement interactif


prenant part à l’apparition ou au maintien de ce trouble. Afin de systé-
matiser leurs impressions cliniques éprouvées au contact de ces bébés
et de leurs parents, ils furent amenés à élaborer une grille d’évaluation
pour apprécier, d’une part la motricité du bébé, d’autre part les inte-
ractions entre le bébé et ses partenaires.
Cette grille, qui s’adresse à des bébés de moins d’un an, se compose
de deux parties, une pour appréhender la motricité du bébé, l’autre pour
saisir les interactions. Nous nous contenterons ici de dresser la liste des
principaux items qui composent cette grille, les lecteurs plus spécifique-
ment intéressés pouvant la retrouver dans son intégralité dans d’autres
publications (M. Myquel et coll., 1989, 257-280; 1990, 13-18).
Pour la partie motrice, les items sont les suivants :
– tiré assis;
– tenue assise;
– soutenu debout;
– suspension, adaptation posturale;
– décubitus ventral;
– décubitus dorsal;
– retournement spontané;
– retournement provoqué;
– déplacement;
– tonus avec son appréciation neurologique.
Pour chacun de ces items la grille permet une évaluation dynamique
et qualitative et non pas seulement statique d’une acquisition. Son objet
est de cerner au mieux la capacité du bébé à faire des efforts ou non
pour arriver au résultat. Elle permet de repérer les possibilités motrices
du bébé et surtout, ses aptitudes à les utiliser à des fins posturales. Ces
items moteurs sont complétés par une appréciation générale de la gesti-
culation et de la manipulation d’objets, qui se déroule lors de l’examen
physique et lorsque le bébé est dans les bras de ses parents au cours de
l’entretien.
Pour la partie évaluant les interactions, les items s’organisent autour
de l’appréciation :
– des variations interactives du comportement du bébé, pendant
l’examen, avec la mère et avec le père,
– du comportement traduisant l’état affectif de l’enfant,
– des capacités interactives du bébé selon différents canaux (vocal,
regard, sourire…),
Clinique psychomotrice du nourrisson 79

– du type de contact corporel qui est proposé au bébé, son caractère


satisfaisant ou non pour les deux partenaires, et ceci à travers le portage,
les sollicitations corporelles et les sollicitations aux déplacements.
Enfin, la grille rend compte de manière globale de la qualité du
comportement de la mère et du père.
Bien que l’évaluation comportementale soit au premier plan, les
auteurs précisent que la dimension fantasmatique est maintenue et tou-
jours recherchée à travers l’écoute du discours parental et l’approche de
l’histoire transgénérationnelle.
Les résultats de l’étude, obtenus à partir de cette grille, confirment
bien les impressions cliniques de départ. Ainsi, sur un plan sémiologi-
que ces bébés se montrent inertes, ne se retournent pas alors qu’ils ont
l’âge et les moyens de le faire, ne se déplacent pas. La gesticulation est
rare et lorsqu’elle survient, c’est à vide, sans lien avec les émotions.
Enfin, ces bébés ne manipulent pas un objet placé à porté de leur main,
pas plus qu’ils ne se déplacent pour l’attraper, alors que par ailleurs, si
on leur place l’objet dans la main, ils le manipulent. Sur le plan interac-
tif, les auteurs mettent en évidence un dysfonctionnement chez chacun
des partenaires. Le bébé est indifférent ou opposant et ne manifeste pas
d’activité motrice à caractères interactifs. Côté parents, si le portage
apparaît de bonne qualité, ils changent peu le bébé de position. Les sol-
licitations corporelles se révèlent absentes, peu satisfaisantes ou trop
intenses, sans plaisir. Les sollicitations aux déplacements sont égale-
ment absentes.
Nous pensons, comme les auteurs, que cette grille constitue un ins-
trument très précieux pour dépister précocement ce tableau clinique
d’inertie motrice et le dysfonctionnement interactif qui lui est associé.
Elle permet d’objectiver les impressions cliniques éprouvées au contact
de ces bébés, afin d’élaborer précocement un dispositif de soin, sans
attendre que le trouble du développement moteur et l’organisation psy-
chopathologique du bébé soient installés. Les psychomotriciens trou-
veront dans cette approche, qui prend en compte les trouble moteurs et
posturaux dans leur dimension interactive, les bases d’une réflexion
propice pour penser à des dispositifs de soin qui permettent au bébé
d’inscrire sa motricité dans un registre d’activité pré-ludiques et ludi-
ques, afin que sa vie psychique naissante puisse s’organiser.

• Évaluation précoce du tonus : contribution à la compréhension


et à la reconnaissance des discordances de l’interaction mère/bébé
Nous prendrons en considération ici ce que sous-tend le « tonus en
relation », ses modifications, ses altérations, sa dynamique, au sein du
couple formé par le bébé et son environnement maternant. Nous nous
articulerons, pour les besoins de cette réflexion sur l’originalité et le fon-
80 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

dement de la clinique psychomotrice précoce, principalement autour


d’H. Wallon. Il nous permet de saisir comment les fonctions corporelles,
les mobilisations psychomotrices précoces, sont au service de l’expres-
sion de l’émotion qui deviennent significatives pour soi et pour autrui par
une forme de « contagion » suscitée : « …Il en résulte que c’est l’émotion
qui donne le ton au réel 3. Mais, inversement, des incidents extérieurs
acquièrent le pouvoir de la déclencher presque à coup sûr… Cette pré-
vention, focalisant autour d’elle sans distinction toutes les circonstances
de fait actuellement rassemblées, confère à chacune, même fortuite, le
pouvoir de la ressusciter plus tard comme le ferait l’essentiel de la
situation… ». Wallon explique, à partir de ce qu’il définit en terme de
« syncrétisme », « …comment il appartient aux émotions de réaliser des
liens 3 qui anticipent sur l’intention et le discernement… C’est par là que
s’instaure un premier mode concret et pragmatique de compréhension
ou, mieux, de participationnisme mutuels… » (H. Wallon, 1986, 123-
124). Ainsi, la théorie wallonienne inscrit d’emblée — c’est-à-dire de la
naissance jusqu’à 2 ou 3 mois — un stade qui est sous le signe de la
« mutualité ». La contagion nécessaire décrite par Wallon (1941) permet-
tra une bonne interprétation par l’entourage et donc en retour une inter-
vention adéquate. Le développement de cette compréhension créera les
conditions de « l’imprégnation sensitivo-motrice » ou de la « symbiose »
dans lequel le bébé se « fond » dans le corps de son partenaire et réagit
alors par mimétisme à ses mouvements. Ce qui nous paraît fondamental,
c’est ce que mobilise l’émotion déjà à ce stade : « …L’émotion tend vers
la représentation par les attitudes et les simulacres qu’elle met en jeu… »
(Ibid.). Nous pouvons comprendre à partir de ces éléments comment les
premiers agis, les premiers mouvements, nécessitent d’être reçus comme
signes. Ceci suppose l’existence de « communications posturales » aux-
quelles sont liées des significations; ce qui soutiendrait l’hypothèse de
formes de représentations précoces — c’est-à-dire à un autre âge que
celui qui situe l’émergence de ce phénomène entre le 18e et le 24e mois -
autres qu’imagées et verbales. Wallon parle d’ailleurs « d’expressions
posturales » qui ont un « caractère psychologique » : ce qui préfigurera
une notion qui lui est propre, celle de la « fonction posturale ». Pour cet
auteur, l’acte serait à l’origine de la vie mentale : l’évocation mentale, à
un stade ultérieur de développement, se constituerait sous la forme d’un
« simulacre » ou une « imitation différée » se déroulant en l’absence du
modèle dans un « espace subjectif ». Ainsi les premières formes de la
représentation trouveraient leurs fondements dans les premiers éprouvés
corporels et leurs adaptations mutuelles. Nous pouvons dès lors saisir
comment la psychomotricité précoce s’inscrit sous la forme d’un certain

3. Souligné par nous.


Clinique psychomotrice du nourrisson 81

langage. Un apport important dans la théorie de Wallon et que nous


retiendrons pour nous représenter ce que peut engager la psychomotricité
précoce, est la prévalence qu’il donne au tonus comme lieu d’expression
de la vie émotionnelle. Il nous dit à ce sujet : « …Le tonus est un réglage
complexe que mettent en évidence les différentes formes d’hyper ou
d’hypotonie… Il est l’étoffe dont sont faits les attitudes, et les attitudes
sont en rapport, d’une part, avec l’accommodation ou l’attente perceptive
et, d’autre part, avec la vie affective… » (H. Wallon, 1956, 236). Cette
base de compréhension sera au service de l’activité représentative qui se
secondarisera par le langage.
Nous allons à présent tenter d’établir une classification des troubles
du tonus, observés lors de l’évaluation et du soin, qui accompagnent
fréquemment les altérations précoces de la personnalité du bébé et de
l’inter-relation mère/nourrisson. Nous distinguerons, en illustrant à
partir de trois cas cliniques, « l’asyntonie », « l’hypotonie » et
« l’hypertonie », en nous interrogeant sur l’impact et la résonance de
ces troubles au sein de la situation interactive avec l’environnement
maternant et parental en tant que « dialogue corporel ».
Déjà en 1960, Ajuriaguerra, afin de définir le concept de « dialogue
tonique », évoquait le tonus comme une constante au soubassement de
l’histoire du sujet en interaction avec le partenaire de la dyade : « …Le
dialogue tonique qui s’instaure entre le patient et le thérapeute au
moment de la cure doit être compris pour une part, du moins, comme
une reviviscence structurante du dialogue corporel, de contact et à dis-
tance, qui a été vécue entre l’enfant et sa mère dès les premiers jours de
la vie… ». Nous pensons, quant à nous, que le « dialogue tonique »
vient établir une forme de jeu subtil interactif en mutualité (avec par
exemple relâchements chez les deux partenaires) et en complémenta-
rité entre la mère et le bébé, avec des temps de « relâchement »
(décroissance du tonus) chez l’un, et des temps de « reprise » (augmen-
tation du tonus) chez l’autre et vice versa. Ce jeu subtil de régulation
tonique qui s’inscrit dans la « synchronie », nous semble traduire toute
la dialectique corporelle attachement/détachement. Il vient en quelque
sorte nous donner une forme de représentation « du partage des états
internes », que D. Stern (in S. Lebovici, 1989, 204) a développé avec le
concept « d’accordage », et au-delà, de la dynamique des liens internes.
« L’asyntonie » dans l’autisme primaire
Après avoir évalué, au cours d’examens psychomoteurs, le tonus de
nombreux bébés présentant des signes précoces d’altération de la vie
psychique, nous sommes frappés par la forme de rupture de la structura-
tion tonique que le bébé autiste primaire présente dès les premiers mois
et parfois même dès les premiers jours. Cette rupture tonique nous sem-
ble en résonance avec son état psychique et sensoriel non intégré.
82 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

C’est le cas de Delphine, hospitalisée à six mois pour autisme pri-


maire et suivie en traitement depuis deux ans et demi. Au cours de l’éva-
luation psychomotrice, nous observons dans un premier temps Delphine
dans les bras de sa mère. Nous remarquons qu’elle présente une forme
de « rupture tonique » entre le haut et le bas de son corps, avec : d’une
part, une forme d’hypertonie dominante au niveau de la partie supé-
rieure du corps qui entraîne une hyperextension axiale (elle est pratique-
ment arc-boutée avec un rejet de la tête en arrière) qui s’accompagne
d’un fléchissement des membres supérieurs, les poings demeurant
serrés; d’autre part, une hypotonie des membres inférieurs qui restent
ballants dans les bras de sa mère. C’est cette discontinuité introduite par
la « rupture tonique » que nous définissons par « asyntonie ». Si la mère
tente d’introduire un changement dans sa façon de la porter, Delphine se
met à geindre. Nous remarquons alors la fixité qu’elle impose dans ce
qui devrait être un échange. Dans un deuxième temps, nous la prenons
dans nos bras pour éprouver la sensation de « rupture tonique » obser-
vée. Il nous semble important, pour les psychomotriciens, sans pour
autant vouloir réduire la démarche évaluative à ces signes, d’insister sur
cette « discontinuité du tonus », qui nous permet de penser le blocage
des intégrations corporelles du côté du bébé et l’impossibilité ou la
difficulté à être en « accord » pour les deux protagonistes de l’inter-rela-
tion. L’asyntonie, par sa fixité, et sa régulation extrêmement difficile,
vient traduire, à notre avis, toute la difficulté pour le bébé et l’environne-
ment à se rassembler en un « moi corps » vivant : toute la vie pulsion-
nelle du bébé nous semble au service de l’immobilité et nous ne
retrouvons pas ce jeu subtil de « synchronie » que nous évoquions pré-
cédemment, au niveau de la régulation tonique profonde.
En référence au concept de « dialogue tonique » qui viendrait tra-
duire chez le bébé le développement psychique avec un jeu au niveau
de la vie pulsionnelle, nous parlerons chez le bébé autiste primaire de
« dis-corps » qui demeure souvent « indicible » par les parents au cours
de l’évaluation. Il nous semble nécessaire de mettre en mot ces sensa-
tions de « rupture tonique », vécue dans l’inter-relation, pour traduire et
inscrire « l’asynchronie » et le « dis-corps » dans un discours (au sens
latin du terme : paroles échangées), afin d’offrir à l’environnement une
reconnaissance profonde de ce que le bébé fait vivre dans ce « dés-
accord ». Ces mots qui s’adressent au bébé comme aux parents
s’offrent comme une « texture », une trame reconnaissant les difficultés
qui séparent et réunissent les deux protagonistes de l’inter-relation. Ils
pourraient être les suivants : « …J’imagine les difficultés de tes parents,
c’est tellement difficile de t’offrir mes bras pour te porter. Il me semble
que, de ton côté, c’est comme si tu ressentais la peur de tomber, alors tu
as besoin de t’agripper… ».
Clinique psychomotrice du nourrisson 83

Ces sensations « insupportables » et généralement « indicibles » pour


les parents, nous semblent traduire l’altération des premiers modes
identificatoires de l’inter-relation à partir de la constitution de ce que
S. Freud (1923) ou encore D. Anzieu (1985), et bien d’autres auteurs,
ont défini comme le « pré-Moi corporel ». Nous pouvons effectivement
comprendre la fuite dans le contact avec l’arc-boutement et le rejet de la
tête en arrière comme une façon pour le jeune bébé de rompre l’échange
avec notamment la perte du regard et des points d’appuis nécessaires à
l’établissement de l’inter-relation mère/bébé. Le sentiment identitaire de
base nous semble être mis en brèche, ce qui fait dire à la mère au cours
de l’évaluation : « …Je me demande parfois si je suis bien la mère de ce
bébé… ce qui m’a frappé, c’est qu’elle a jeté sa tête en arrière dès le
troisième jour comme si elle ne voulait pas me voir… ». Nous pensons
également que la perte de contact chez ce bébé, avec le recours autisti-
que constant à un agrippement (membres supérieurs fléchis et les poings
serrés), traduit une sorte de blocage du jeu dynamique nécessaire aux
premières intégrations corporelles. Ce recours autistique
« d’agrippement primaire » nous permet d’imaginer les craintes du bébé,
vécues comme des sensations brutes de se sentir « laissé tomber ». Le
bébé met en place une forme « d’auto-contention », où il ne dépend que
de lui-même, qui n’a plus rien à voir avec ce « moule vivant et
accueillant » que Winnicott a défini avec le concept de « holding ». Nous
saisissons encore en ayant pris le bébé dans les bras, et en recourant à
une reconnaissance de notre propre contre-transfert dans l’analyse
secondaire de la situation engagée corporellement, l’impression de mor-
cellement qui entraîne une forme de « dés-investissement », et conduit
celui ou celle qui porte le bébé dans les bras à le reposer ou encore,
comme l’indique l’expression populaire, à « se refiler le bébé ». La « dis-
continuité » de la sensation fait vivre à celui qui est là normalement pour
recevoir le bébé, un état de rupture dans l’échange espéré. Quand nous
prenons le bébé dans les bras, nous ressentons cette difficulté à réunir les
différents morceaux, avec l’absence de sensation de cohésion que nous
retrouvons habituellement au niveau du tonus du bébé de cet âge. Nous
éprouvons ce que peut ressentir la mère face à l’impossibilité de se prê-
ter comme un partenaire qui viendrait contenir les sensations dispersan-
tes propres à l’immaturité de l’état neurologique et psychique du jeune
bébé. Il subsiste comme une forme de blocage au niveau des liens inter-
nes, un clivage qui se transcrit jusque dans la structuration tonique pro-
fonde que nous considérons comme un élément primordial dans le
soubassement et l’édification des premiers états de la personnalité, à la
frontière du psychisme et du somatique. Le risque est bien alors celui de
« laisser tomber » le bébé, et de confirmer ainsi les angoisses les plus
archaïques qui conduisent aux sensations décrites par F. Tustin (1989)
84 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

autour de l’angoisse du « trou noir » ou Winnicott (1975) avec « la


crainte de l’effondrement ».
L’hypotonie et les psychoses symbiotiques
Nous avons choisi d’illustrer nos propos à partir du cas clinique d’un
bébé, Julien, vu à 10 mois le temps de l’évaluation, et qui ne reviendra
en consultation qu’à trois ans et demi pour des troubles psychiques
conduisant au diagnostic de psychose symbiotique. Au cours de l’éva-
luation psychomotrice, ce qui retient de prime abord notre attention,
c’est l’impression d’une « mutualité interactive quasiment parfaite »
entre le bébé et sa mère. Ce bébé de 10 mois semble moulé dans les
bras de sa mère et nous ne percevons pas le jeu subtil que nous évo-
quions précédemment, d’une régulation tonique qui serait le reflet d’un
« accordage » mère-bébé. Cet accordage suppose une mutualité, mais
aussi une complémentarité à partir de différences introduites dans la
séquence tonique interactive. Julien présente au contact de sa mère une
hypotonie axiale importante. Il ne s’intéresse pas aux jouets que nous
lui présentons. Nous remarquons qu’il ne passe pas par une forme
« d’anticipation tonique » lorsque nous allons, pour le besoin de l’éva-
luation, le prendre dans nos bras.
En effet, nous avons pu mettre en évidence que, dès les premiers
mois, le bébé face aux bras qui se présentent à lui creuse les reins, bien
avant de pouvoir tendre les bras lorsqu’il désire être pris dans les bras.
A l’inverse, lorsqu’il refuse le contact, il manifeste un enroulement de
la colonne vertébrale. Nous remarquons une absence de l’une ou l’autre
manifestation chez le bébé qui présente des signes de psychose sym-
biotique. Par ailleurs, nous observons un retard du développement du
tonus axial et, par conséquent, l’absence de la mise en jeu d’une motri-
cité qui tend vers la verticalisation. Julien ne présente aucune anticipa-
tion motrice avec les reins qui se creusent pour permettre l’adaptation à
la tenue. Il ne présente aucun signe de réticence au contact. Il n’ébau-
che aucun acte moteur qui montre un désir de se tenir seul et conserve
en permanence une hypotonie axiale. Comment comprendre « cette
mutualité interactive quasiment parfaite », ce manque d’anticipation
tonique, cette hypotonie axiale… ? Nous ne ferons qu’émettre des
hypothèses élaborées à partir de ce qui nous a permis de comprendre le
développement dans le soin. Il nous semble que Julien se trouve dans
une « fusion » totale avec sa mère. Son tonus se caractérise par une
forme de « dilution » dans l’interaction avec elle. La mère de Julien
exprime cela avec une grande satisfaction, une sorte de plénitude quand
elle nous dit : « …Il est tellement agréable, il coule dans mes bras, on
est tellement bien tous les deux… ». Cela nous évoque également les
propos de la mère d’un enfant trisomique très hypotonique, dont nous
avons parlé dans un précédent article (B. Sage, 1989). Cette mère qui
Clinique psychomotrice du nourrisson 85

tenait son enfant collé à elle, la tête enfouie dans sa poitrine, disait
alors : « …tout ce qu’il ressent, je le ressens… il est bien comme ça ».
Elle exprimait les fantasmes d’arrachement de la peau symbiotique
commune ainsi : « …les gens ils ne savent pas te prendre… », sous-
entendu « …sans que ça nous déchire… ».
Nous assistons, en référence à M. Mahler (1968), à l’absence des
premières étapes du processus de séparation-individuation dans une
forme d’immuabilité de la phase symbiotique normale où « …le trait
essentiel de la symbiose est une fusion psychosomatique toute-puis-
sante, hallucinatoire ou délirante à la représentation de la mère, et en
particulier l’illusion délirante d’une frontière commune à deux indivi-
dus réellement et physiquement distincts. C’est vers ce mécanisme que
régresse le moi dans les cas des troubles les plus graves d’individuation
et de désorganisation psychotique, que j’ai décrits en termes de
« psychose symbiotique de l’enfant » … » (Ibid, 21). L’enfant souffrant
de ce type de troubles psychotiques resterait clos dans une « membrane
symbiotique commune ». Uni à sa mère et « séparé avec elle » du
monde extérieur, il projetterait au delà de cette membrane-frontière
toutes les perceptions internes et externes, ressenties comme désagréa-
bles. En effet, nous savons que les mécanismes de maintien en jeu relè-
vent d’une impossibilité psychique à internaliser la représentation de
l’objet maternant. Il nous semble par ailleurs que le développement du
tonus axial dépend de l’intériorisation chez le bébé d’un « phallus
interne » qui, à notre avis, relève également de l’intériorisation de la
dimension paternelle. Cette intériorisation de la dimension paternelle
avec une mère qui a « suffisamment le père en tête » favorise, d’après
nous, le détachement progressif du bébé et le développement du tonus
axial, le tout participant à son « éclosion au monde ». Il nous semble
que l’hypotonie du bébé vient confirmer, dans l’interaction, une forme
d’annulation de ce qui pourrait faire différence, du désir de « tendre
vers », en plaçant au premier plan, le besoin de conserver le « bon »
objet dans une indistinction corporelle. Lorsque Julien est revu à trois
ans, il demeure dans cette membrane symbiotique afin de préserver une
toute puissance qui lui permet de fusionner avec la partie bonne, en
laissant en dehors toute possibilité d’accepter la moindre partie mau-
vaise. L’extérieur devient alors support de l’angoisse.
L’hypertonie et les troubles autistiques secondaires
Nous nous appuierons sur l’évaluation d’Emilie, bébé de 5 mois. La
mère a eu un important accès dépressif à la naissance. Elle sera suivie
par un psychiatre d’adultes. La puéricultrice et l’assistante sociale de
secteur s’étonnent que nous soyons amenés à voir l’enfant car elles pen-
sent qu’elle a un très bon développement. Elle serait selon ces dernières,
« en avance sur son âge » car elle se redresse pour se tenir debout.
86 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

Nous remarquons cette forme d’hypertonicité lorsqu’elle se trouve


face à une personne. Elle entretient une forme d’hyperactivité qui, selon
une lecture en surface, laisserait apparaître un bon développement car
elle se tient pratiquement debout (l’hypertonicité étant toujours plus
valorisante pour l’environnement que l’hypotonicité). En effet, trop sou-
vent face à une mère dépressive, l’extérieur tente de s’appuyer sur
l’hypertonicité du bébé pour prouver à la mère que tout va bien, que « ça
tient », comme pour la tirer de sa dépression, de son « effondrement
interne » qui s’accompagne, chez elle, d’une asthénie et d’une diminu-
tion du contrôle tonique. Mais en fait, nous pensons qu’il se joue autre
chose au niveau intrapsychique chez le bébé : l’hypertonicité amènerait
l’enfant à échapper aux points d’appui extérieurs et traduirait l’impossi-
bilité à établir des liens. Emilie semble étrangement ne dépendre que
d’elle même. Nous ne retrouvons pas « l’élasticité » qui pourrait résulter
de l’introjection de la peau relationnelle précoce décrite par E. Bick (in
D. Meltzer, 1984, 241) ou D. Anzieu (1985). Elle évite le contact en pro-
voquant par elle-même une pseudo-rencontre qui se traduit par une
forme d’agir constant aussi bien avec les objets ou les personnes, ce qui
fait dire à la mère, « …elle, au moins elle déménage… ». Il nous semble,
quant à nous, que l’hypertonicité de ce bébé est au service d’une
« identification projective » excessive. Au cours de l’évaluation, nous
observons une motricité que nous qualifierons « en saccades » avec une
grande difficulté à se servir du jeu des articulations au niveau des épau-
les, des coudes ou des poignets. Ainsi ses mouvements ont peu d’ampli-
tude. D’autre part, les objets présentés semblent être appréhendés de
manière tout à fait partielle. Nous constatons également une absence des
activités auto-érotiques. L’objet semble uniquement utilisé par rapport à
l’activité de jeter, c’est-à-dire par rapport à sa dimension physique de
lutte contre la pesanteur. L’objet ne semble pas posséder de qualités sen-
sorielles relatives au plaisir.
Nous comprendrons, dans ce cas de figure, l’hypertonicité de cet
enfant comme la mise en place d’une forme « d’auto-contention » qui
permettrait de lutter contre un effondrement interne. Nous percevons
l’absence, à un niveau tout premier, de la constitution d’une peau psy-
chique commune entre ce bébé et son entourage maternant, fantasme
permettant au bébé de se sentir contenu dans une enveloppe, pour se
protéger des angoisses corporelles primitives de chutes ou de liquéfac-
tion. Toute son activité semble avoir pour finalité de rester accroché, de
« s’auto-contenir » et de tenir rassemblées les parties de sa personnalité
pour lutter contre les menaces d’anéantissement de son Self, ce qu’a pu
décrire E. Bick (Ibid.) dans l’état non intégré du premier âge.
En conclusion, nous mesurons à travers ces exemple cliniques, toute
l’importance à reconnaître précocement ce que S. Lebovici (1989)
Clinique psychomotrice du nourrisson 87

nomme « les dysharmonies interactives », pour aider au plus tôt la mère


et son bébé à « s’ajuster » mutuellement. Les troubles de la régulation
tonique entre le nourrisson et sa mère peuvent constituer, comme nous
avons tenté de le montrer, des signes précoces de dysfonctionnements
interactifs et d’altérations du développement de la personnalité du
bébé.

LA THERAPIE PSYCHOMOTRICE PARENTS-BEBE4

Introduction
Depuis une vingtaine d’années, les thérapeutiques qui s’adressent au
bébé dans le champ de la psychomotricité n’ont cessé de se développer
(Rivière, 1999). Initialement centrées exclusivement sur le bébé, ces
thérapeutiques ont paradoxalement montré qu’elles avaient de surcroît
un effet bénéfique sur le développement et la qualité des relations
parents-bébé (Rodriguez, 2002).
Cependant, force est de constater, à la lecture des quelques trop rares
articles et ouvrages qui leur sont consacrés, que la place des parents
dans le dispositif de soin en psychomotricité demeure insuffisamment
élaborée, et constitue un point aveugle dans l’élaboration des thérapeu-
tiques psychomotrices qui s’adressent au bébé et au jeune enfant.
À partir d’une expérience de plus de quinze ans comme psychomo-
tricien dans un centre d’action médico-sociale précoce (CAMSP) qui
accueille des bébés, des jeunes enfants et leurs parents, nous avons sou-
haité élaborer et rendre compte des principes qui guident notre travail
auprès des bébés et jeunes enfants présentant des troubles précoces du
développement psychomoteur.
La thérapie psychomotrice parents-bébé (TPPB) propose de faire
une large part à la place des parents dans le dispositif de soin en psy-
chomotricité et s’appuie sur l’hypothèse, communément admise, que
les parents, par leurs réponses ou leurs attitudes, influent directement
sur l’évolution de la motricité du nourrisson (Myquel, 1989).
Nous proposons, dans le cadre de ce chapitre, d’élaborer le cadre thé-
rapeutique de ce travail, de souligner la spécificité des processus théra-
peutiques à l’œuvre, et d’en dégager la spécificité en regard des autres
dispositifs thérapeutiques qui accueillent des bébés et leurs parents.
Les bébés qui nous sont adressés dans le cadre des consultations psy-
chomotrices ont pour particularité de présenter des « difficultés » dans
leur premier développement psychomoteur. Ces difficultés, pour l’essen-

4. Marc RODRIGUEZ.
88 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

tiel, concernent des retards dans les acquisitions posturales et/ou des
troubles des fonctions tonicomotrices et sensorielles. Ces bébés nous
sont adressés au CAMSP par des pédiatres, des médecins généralistes,
des médecins de PMI ou plus occasionnellement à partir de consultations
spontanées des parents.
Les retards et troubles du développement psychomoteur constituent
une large part des indications qui amènent les bébés et leurs parents à
consulter au CAMSP. Si la prévalence des troubles psychomoteurs est
relativement élevée, elle masque cependant une disparité à la fois clini-
que et étiologique qui nécessite dans un premier temps une investiga-
tion pluridisciplinaire (pédiatre, pédopsychiatre), où l’observation
psychomotrice occupe une place centrale.

De la conception des troubles psychomoteurs

La manière d’aborder le travail thérapeutique auprès des bébés et de


leurs parents dépend pour une large part de la conception que l’on se
fait des troubles psychomoteurs. Les facteurs favorisant l’existence de
ces retards ou troubles du développement psychomoteur sont d’ordre
somatique (génétiques, souffrance néonatale, etc.) et/ou environnemen-
tal dans les cas de dysfonctionnement interactif précoce ou de carence
affective. La recherche des facteurs étiologiques, bien que nécessaire,
demeure souvent peu opérante et se heurte à la complexité des facteurs
qui interviennent dans le développement psychomoteur de l’enfant.
Derrière les termes de retard et/ou de trouble précoce du développe-
ment psychomoteur se recoupent en fait des réalités cliniques et des
évolutions bien distinctes.
Si le développement psychomoteur est un processus continu qui
débute à la fécondation, la complexité des interrelations entre l’orga-
nisme, le milieu et l’instrumentation du bébé interdit toute vision par
trop réductrice et simplificatrice des troubles précoces du développe-
ment psychomoteur (Bullinger, 2004).
Par exemple, il nous paraît difficile d’inférer directement un trouble
précoce du développement psychomoteur à tel dysfonctionnement neu-
rodéveloppemental supposé. Nous ne partageons pas la vision d’une
« neuropsychomotricité » qui considère les troubles psychomoteurs
comme des troubles neurodéveloppementaux et qui vise comme ultime
objectif thérapeutique « la mise au point de programmes de stimula-
tions psychomotrices directement ciblés sur certains troubles »
(Rivière, 1999, p. 157). Dans cette perspective, le trouble psychomo-
teur est supposé être la conséquence d’un dysfonctionnement cérébral
a minima (notion venue remplacer celle de « lésion cérébrale a
Clinique psychomotrice du nourrisson 89

minima » jugée trop péjorative), sans toutefois qu’à aucun moment la


preuve de cette assertion soit administrée.
Dans un tout autre registre, nous considérons que la perspective que
nous définissons comme celle du « tout psychique » ne répond pas non
plus à la complexité observée. Par « tout psychique » nous entendons une
conception des rapports du corps avec la psyché qui vise à considérer
toute manifestation corporelle comme n’étant que la traduction d’une
problématique intrapsychique. Dans cette conception, le trouble psycho-
moteur est assimilé à un symptôme au sens analytique du terme, c’est-à-
dire suivant le triptyque classique refoulement/retour du refoulé/forma-
tion de compromis. Nous pensons, en accord avec la perspective psycho-
somatique, que cette généralisation abusive du modèle de la conversion
ne permet pas de penser la complexité et la diversité des manifestations
corporelles. Avec d’autres, nous exhortons nos collègues à se dégager
d’une position idéologique qui vise à ne proposer qu’une lecture intrap-
sychique et symbolique des troubles psychomoteurs. Cette position ne
permet pas de tenir compte de la complexité des fonctions instrumentales
et des rapports étroits entre l’instrumentation du bébé et son milieu.
Notre expérience nous montre que toute limitation à dominante
motrice du bébé fragilise la construction de la proprioception et entrave
les représentations de l’organisme et de l’espace. Tout atteinte de l’ins-
trumentation du bébé modifie sensiblement son mode de relation à soi,
aux autres et à l’environnement physique. Nous sommes sur ce point en
accord avec un auteur comme A. Bullinger lorsqu’il définit la perspec-
tive instrumentale comme « la progressive constitution d’une subjecti-
vité, la façon dont un individu s’approprie son organisme et les objets de
son milieu, qu’ils soient physiques ou sociaux. » (Bullinger, 2004, p.
25). Dans cette perspective, les troubles du développement doivent être
compris en fonction de l’instrumentation du bébé mais également à par-
tir des représentations et actions du milieu humain. Loin d’une approche
orthogénique ou pseudo-psychanalytique, le travail du psychomotricien
consiste précisément à soutenir les capacités instrumentales du bébé et à
l’aider à construire des proto-représentations qui lui permettent de
s’adapter au milieu et à son environnement. Ce travail ne peut cependant
se faire sans tenir compte des particularités du fonctionnement parental.

Des parents vulnérables

La difficulté motrice des bébés que nous rencontrons, leur incapacité à


faire des anticipations, à construire des représentations leur permettant de
comprendre et d’interagir avec leur milieu, les rendent particulièrement
vulnérables et dépendants des régulations avec leur environnement.
90 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

S’ensuit un effet de « spirale transactionnelle » négative qui peut


entraîner durablement des blessures pour le bébé et ses parents. Notre
pratique quotidienne rend compte de la blessure narcissique profonde
que constitue pour les parents la découverte d’un bébé « qui ne se déve-
loppe pas comme les autres ». Dans notre expérience, nous avons cons-
taté que les parents les plus en difficulté dans leur relation à leur bébé,
sont parfois ceux qui refusent tout soutien psychologique et se mon-
trent réticents, par honte, culpabilité, méfiance, à parler à un psychiatre
ou à un psychologue de leurs inquiétudes. Tout au plus acceptent-ils
d’« assister » aux séances de psychomotricité avec leur bébé, avec par-
fois une étonnante implication. Je me souviens ainsi d’une mère qui,
venant voir une collègue psychomotricienne avec son bébé, avait eu
cette magnifique formule : « Tu vas voir B., cela va t’aider et cela va
faire beaucoup de bien à maman ».
Ce constat, si souvent partagé dans les équipes, demeure néanmoins,
souvent pour des raisons institutionnelles, peu questionné. Au mieux
admet-on implicitement que les parents ne sont pas prêts dans l’immé-
diat, et que le cadre de la psychomotricité peut être un palliatif intéres-
sant. Nous avons souhaité pousser plus loin cette réflexion et nous
interroger sur les raisons qui amènent ces parents à accepter plus facile-
ment le cadre de la psychomotricité. Les modifications parfois specta-
culaires des représentations parentales et des modalités interactives
auxquelles nous assistons à l’issue de ce travail nous ont convaincu de
l’intérêt de ce dispositif dans l’aide à apporter aux bébés et à leurs
parents, et nous amènent à nous questionner plus largement sur les
interventions psychothérapeutiques parents-jeunes enfants.

De l’utilisation thérapeutique de l’évaluation psychomotrice


La première rencontre avec l’enfant et ses parents s’effectue générale-
ment autour de l’évaluation des caractéristiques psycho-sensori-motrices
de l’enfant. Pour ce faire, nous effectuons une observation dite « armée »
en utilisant comme médiation le Brunet-Lézine révisé (BLR).
Avant même d’être un outil d’évaluation, le BLR est avant tout un
instrument clinique qui, outre l’évaluation précise du développement
de l’enfant, permet :
– de caractériser le style interactif de la dyade, voire la triade, et de
façon plus large le holding proposé par la mère et accepté par l’enfant;
– de repérer les pratiques éducatives et en particulier les éventuels
points conflictuels;
– de tenir compte des variations interindividuelles, et de la créativité
propre à chaque enfant.
Clinique psychomotrice du nourrisson 91

Le parti pris de cette évaluation, que nous effectuons sur plusieurs


séances (souvent trois séances), est de considérer celle-ci comme une
étape centrale du processus thérapeutique.
Les observations concernant l’enfant, son comportement, ses carac-
téristiques personnelles, et ses compétences sensorielles et motrices
sont ainsi discutées longuement en présence des parents. Ce temps
d’observation est un temps « d’attention conjointe » portée sur l’enfant.
La transmission par le thérapeute du récit de la rencontre avec l’enfant
constitue pour les parents et le clinicien une expérience émotionnelle
commune à partir de quoi s’engage un échange possible sur ce que cet
enfant donne à voir, à penser et à ressentir. Loin d’un simple inventaire
des possibilités ou incapacités de l’enfant, l’observation conjointe vise
à partager les représentations du thérapeute et celles des parents.
Notre expérience nous a montré que le bilan psychomoteur, en plus
de sa fonction première d’évaluation, pouvait constituer un moyen pri-
vilégié d’entrer en relation avec les parents et constituer par là même
une médiation favorisant la mise en place d’une véritable alliance thé-
rapeutique. Le bilan est l’occasion d’aborder les caractéristiques per-
sonnelles du nourrisson, ses réponses motrices et toniques, ses
capacités d’autoapaisement et de régulations internes, ses sensibilités
particulières aux stimuli sensoriels.
Chaque nourrisson présente un style tonicomoteur, un ensemble de
réponses spécifiques aux stimulations diverses que l’examinateur met
en exergue.
Au-delà des aspects quantitatifs, la passation du bilan doit permettre
au thérapeute de préciser les caractéristiques suivantes.
Les caractéristiques personnelles du bébé : caractéristiques héri-
tées et/ou acquises précocement. Ces caractéristiques, souvent peu
négociables — ce que T.B. Brazelton appelle la signature du bébé —,
concernent essentiellement les rythmes (la régulation des niveaux de
vigilance), mais également les modalités de régulations sensorielles et
tonicoposturales qui différent sensiblement d’un bébé à l’autre. Nous
portons une attention toute particulière aux éventuels troubles de la
régulation (CD : 0-3 ans)5 qui se caractérisent par des difficultés du
bébé ou du jeune enfant à réguler leurs comportements et leurs proces-
sus physiologiques sensoriels, attentionnels, moteurs ou émotionnels,
et à maintenir un état de calme, de vigilance ou émotionnellement posi-
tif. Les bébés diffèrent sensiblement sur les capacités de régulation des
excitations issues du monde interne comme du monde externe, et

5. Classification diagnostique de 0 à 3 ans (Zero to Three. Traduction française


par Denise Parise, Éditions Médecine et Hygiène, Lausanne, 1998).
92 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

notamment sur les quantités de pleurs, l’aptitude à se laisser apaiser et


la capacité à adopter une conduite d’autoréconfort.
La qualité des modalités interactives, et notamment la qualité com-
portementale de l’interaction, sa qualité affective, ainsi que l’implica-
tion psychologique des différents partenaires de l’interaction. Un auteur
comme E.Z. Tronick a souligné l’importance des régulations mutuelles
et leurs rôles dans l’équilibre homéostatique du bébé. Le point impor-
tant que développe E.Z. Tronick est que le maintien de l’homéostasie est
un processus de collaboration dyadique, et que l’adulte dispensateur de
soins fait partie du système de régulation du bébé, tout autant que le pro-
cessus de régulation interne. Reprenant l’exemple classique de C. Ber-
nard à propos de la thermorégulation, il démontre de manière assez
convaincante que la régulation de la température centrale du corps du
bébé est un processus dyadique. Le bébé peut modifier sa température
en changeant de position et en augmentant son niveau d’activité. Il peut
aussi être tenu contre le corps de la personne qui lui dispense des soins.
Ces processus de régulation impliquent qu’il y ait communication entre
les différents éléments du système nerveux central de régulation du
bébé. Les modifications de pattern de portage des dispensateurs de soins
sont guidées par des signaux actifs (pleurs) et passifs (modification de la
couleur du tégument) du bébé. Ainsi, l’état physiologique du bébé est
régulé de façon dyadique, le dispensateur de soins agissant comme un
élément externe du système de régulation du bébé : « Ce que nous
savons maintenant du développement du cerveau modifie de façon radi-
cale la perspective dans laquelle nous étions ; celle-ci voyait l’expé-
rience interactive comme une simple modification quantitative de ce
qu’un cerveau déjà formé avait appris ou stocké. Nous savons mainte-
nant que la qualité des soins dispensés modifie le fonctionnement, la
structure et l’architecture neurochimique du cerveau. (…) Ainsi,
l’importance de la régulation mutuelle est claire; elle sculpte le compor-
tement, le corps et le cerveau. » (Tronick et Weinberg, 1997).
L’impact des représentations parentales et leurs incidences sur les
conduites de maternage.
Les caractéristiques rencontrées lors du bilan sont autant d’occasions
d’échanger avec la mère sur le comportement de son enfant, ses crain-
tes et ses représentations. Nous avons pris l’habitude de formuler nos
questions, contextualisées par les observations, sous forme de ques-
tions ouvertes afin de laisser aux parents toute latitude quant à leurs
manières de répondre: « Se comporte-t-il ainsi avec vous? Avez-vous
déjà observé cette réaction? ».
La seule véritable règle est de protéger le narcissisme des parents
mis à mal par la découverte d’un bébé « qui ne se développe pas
comme les autres ». Cela ne va pas de soi, notamment lorsque les con-
Clinique psychomotrice du nourrisson 93

duites de maternage paraissent inadaptées et que le thérapeute en prise


directe avec le bébé s’identifie à celui-ci dans un mouvement contre-
transférentiel intense. La possibilité de trouver des cadres institution-
nels (intervision, supervision) pour élaborer ces mouvements internes
parfois intenses s’avère d’un grand intérêt.
Néanmoins, nous avons acquis la conviction que la confrontation
directe du thérapeute avec l’enfant, la compréhension « de l’intérieur »
des difficultés rencontrées, peuvent favoriser l’empathie du thérapeute
vis-à-vis de la mère et une meilleure compréhension des difficultés de
cette mère face à cet enfant. Par exemple, le thérapeute qui prend dans
ses bras un bébé hypotonique et vit ce sentiment d’incompétence,
d’angoisse de chute que celui-ci renvoie parfois, percevra mieux la
souffrance et les difficultés maternelles à contenir ce bébé. De même,
lorsque le thérapeute fait l’expérience de la difficulté à apaiser un bébé
décrit comme inconsolable, il percevra certainement mieux le senti-
ment de culpabilité et d’incompétence que lui renvoient les parents.

De la position d’observation des parents


Nous avons parfois constaté, notamment chez les mères les plus en
difficulté sur le plan relationnel avec leur bébé, leurs réticences à
accepter d’emblée une position active et participante lors des premières
rencontres, et ce malgré les sollicitations du thérapeute. Cette position
de retrait s’accompagne le plus souvent d’un désir d’observer « de
l’extérieur » le thérapeute en prise directe avec leur bébé.
Derrière l’ambivalence de cette posture, qui met souvent à mal le
thérapeute dans son vécu contre-transférentiel, nous avons appris de
ces mères l’importance d’accepter cette position et tout l’intérêt de ne
pas précipiter un engagement maternel qui doit s’instaurer de lui-
même, une fois la confiance revenue. L’exemple de la mère de Pierre
est sur ce point exemplaire.

 Illustration clinique
Pierre nous est adressé au CAMSP à l’âge de sept mois par le pédiatre qui le suit
pour un retard postural important, qui s’accompagne sur le plan clinique d’un schéma
en hyperextension et d’une stagnation pondérale. L’importance de son retard de déve-
loppement global inquiète la kinésithérapeute et la psychiatre qui le reçoivent en
première intention. Après plusieurs entretiens, une thérapie parents-enfants est
proposée, mais sera refusée, notamment par la mère qui n’acceptera qu’une observation
ponctuelle par la kinésithérapeute de l’évolution motrice de son fils. Infirmière de son
état, Mme A. se décrit comme une femme dévouée à ses deux enfants « malades » et à sa
propre mère, diabétique. Elle gère d’une main de maître les soins de sa famille et laisse
peu de marge aux professionnels de santé dont elle dit ouvertement se méfier. Le père,
un homme plutôt effacé, ne semble pas avoir son mot à dire sur la santé de son enfant et
se réfugie derrière la compétence de sa femme. La souffrance de Mme A. face au retard
94 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

de développement de son fils est palpable et empiète sur les modalités interactives
jugées rigides et parfois inadéquates. Après bien des péripéties, M me A. acceptera, non
sans réticence, de me rencontrer pour une observation psychomotrice de son fils. Celui-
ci vient alors d’avoir deux ans. D’emblée elle donne le ton et me signifie qu’elle ne
s’engage à rien de plus que se faire un avis, et se réserve la possibilité d’accepter ou non
un suivi ultérieur. J’acquiesce bien évidemment à sa proposition et le premier temps
d’observation psychomotrice s’engage dans un climat pour le moins hostile. M me A.,
malgré mes tentatives de l’impliquer activement, se campe dans une position d’observa-
trice attentive et résolument passive. Malgré mes commentaires à haute voix, elle
demeure impassible et ne répond que très sèchement à mes interrogations sur les obser-
vations que je peux faire sur son fils. Les séances se suivront mais rien n’y fera. Épuisé
par cette présence « hostile », je finirai, dans une réaction contre-transférentielle non
maîtrisée, par lui demander de me laisser voir son fils seul. À mon grand étonnement
elle acceptera, mais à la séance suivante je découvrirai amèrement le prix à payer pour
ce passage à l’acte. Mme A., visiblement très contrariée, me fait part des difficultés
récentes de Pierre à la crèche. Il pleure, manifeste à la séparation, ce qu’il ne faisait pas
auparavant - bref, elle m’impute ces « nouvelles » difficultés, prétextant qu’il est
perturbé depuis qu’il est venu seul en séance. Je fais marche arrière et lui demande
d’assister de nouveau aux séances, ce qui semble l’apaiser et lui permet d’accepter de
poursuivre les séances. Au final, elle acceptera un suivi, suivi dans lequel elle sera
présente et campera durant de longs mois dans cette même attitude passive d’observa-
tion attentive.
De ce long temps de silence et d’observation passive, qui finira par céder, Mme A.
ne reparlera que bien des années après, et singulièrement au moment de l’évocation du
relais de Pierre dans une autre structure de soin. Entre-temps les choses ont bien évolué,
à la fois pour Pierre et pour sa mère, qui lors de notre dernière séance évoque non sans
une certaine émotion nos premières rencontres. Elle parlera alors longuement et pour la
première fois de son silence initial et de l’incapacité dans laquelle elle était d’accepter
toute aide. Elle se décrit alors comme totalement sidérée par l’état de son fils, comme si
elle ne pouvait plus penser cet enfant autrement que comme un enfant malade. De ces
longs silences et de ce temps d’observation si pesant pour moi, elle me dira que cela
avait été nécessaire et important pour elle, d’une part pour accepter de me faire
confiance, et d’autre part pour lui permettre de voir à distance son enfant comme si cette
trop grande proximité ne lui permettait plus de le penser.
Retissant le fil de nos rencontres elle évoquera, à mon grand étonnement et avec
une grande précision, une séquence de jeu que j’avais eue avec Pierre bien des années
plus tôt. Comme à son habitude Pierre manifestait des moments d’effondrement tonique
où il s’affaissait sur le tapis, le regard dans le vide, immobile quelques secondes avant
de se relever tel un ressort et poursuivre ses déambulations désorganisées habituelles.
J’avais alors interprété cela comme une tentative de symboliser les absences épilepti-
ques dont il était l’objet, et joué à grand renfort de sirènes les « pompiers » qui venaient
à son chevet. Cela l’avait d’abord étonnée, me précise-t-elle, puis interrogée sur un
comportement qu’elle pensait vide de tout sens et dont elle mesurait la part traumatique
qu’il pouvait contenir. Dans l’après-coup de cette reconstruction, il lui avait semblé que
ce comportement « étrange » lui était adressé. C’est certainement, au-delà des interpré-
tations que l’on peut donner de cette séquence, tout l’intérêt de ce dispositif qui vise à
soutenir les processus de subjectivation.
Il nous a fallu du temps, et la capacité de certaines de ces mères à
verbaliser leur ressenti dans un après-coup souvent éloigné de ces pre-
mières rencontres, pour comprendre l’état de sidération psychique dans
lequel ces parents se trouvent plongés par la blessure narcissique pro-
Clinique psychomotrice du nourrisson 95

fonde que constitue cet enfant « qui ne se développe pas comme les
autres ». Au-delà des craintes et fantasmes que mobilise chez les
parents toute thérapeutique supposée accéder à un savoir sur l’enfant et
son corps, nous avons été frappé par le désir de ces mères d’observer
attentivement leur enfant aux prises avec un autre adulte. Cette posture,
qui n’est pas sans mobiliser une certaine ambivalence vis-à-vis du thé-
rapeute, consiste à observer « de l’extérieur » un enfant dont elles décri-
vent après coup la difficulté qu’elles ont eue à le « déchiffrer ». La
blessure narcissique que constitue la rencontre avec un enfant « qui ne
se développe pas comme les autres » rend particulièrement vulnérables
et sensibles ces mères aux échecs de la relation primaire. Les mécanis-
mes de défense particulièrement à l’œuvre lors de cette période (déni,
projections paranoïdes, etc.) constituent une lutte contre la menace ini-
tiale d’effondrement narcissique. Observer leur enfant dans la manière
dont il peut « être-avec » le thérapeute, constitue pour ces parents une
tentative de se représenter eux-mêmes les multiples facettes d’« être-
avec » leur enfant.
La rivalité et la problématique œdipienne qui l’accompagne ne nous
semblent pas être au cœur de ce processus, et nous rejoignons en cela
les observations de D. Stern (1997) à propos de la « constellation
maternelle ». Ce n’est pas la position œdipienne qui semble ici primer
mais bien plutôt le sentiment profond d’une faillite de la relation pri-
maire à son bébé, les questions sous-jacentes à cette problématique
étant : Puis-je déchiffrer mon bébé? Puis-je répondre au mieux à ses
besoins? Puis-je jouer naturellement avec lui?
Cette posture d’observation attentive des mères correspond à un
désir profond de se mettre à distance de leur enfant, comme pour mieux
l’appréhender et le penser. Elle ne dure bien évidemment qu’un temps,
mais, de la capacité du thérapeute à contenir et transformer ce temps
d’observation chargé d’angoisses mortifères et destructrices, dépendra
pour une large part la suite du processus thérapeutique. C’est en effet
autour de ce premier temps d’observation que se noue ou se dénoue
l’alliance thérapeutique.
Dans notre expérience, ce n’est qu’une fois cette première phase pas-
sée que nous qualifions de « réanimation psychique » que la dimension
conflictuelle et ambivalente des parents peut s’exprimer. Lors des séan-
ces, cette ambivalence et cette dimension conflictuelle vont de pair avec
un engagement plus actif des parents dans le travail thérapeutique. Les
parents alors en confiance se permettent, souvent sur le ton humoristi-
que, de commenter les ratés qui ne manquent pas d’advenir lors des
séances entre l’enfant et le thérapeute. Nous accueillons cette « reprise
en main » des parents comme une évolution positive du travail théra-
peutique. Cela marque la sortie de la phase de sidération initiale et
96 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

l’émergence d’une conflictualisation possible, qui signe une reprise sur


un plan psychique de l’effondrement initial. Cette reprise s’accompa-
gne toujours d’une plus grande capacité à penser leur enfant.

Intérêt du travail direct auprès du bébé


En ce qu’il s’adresse préférentiellement et directement au bébé, le
dispositif thérapeutique en psychomotricité est souvent très investi par
les parents. Dans notre expérience, les mères ne nous en veulent pas
d’établir un contact direct avec leur bébé, et se montrent souvent très
intéressées par le fait que nous tentions de comprendre « de l’intérieur »
ce qui se passe pour leur bébé, comme si le monde du bébé leur était
énigmatique.
L’objectif de ce travail thérapeutique est de créer un espace de ren-
contre où les parents peuvent se donner à penser à leur enfant. Les
parents que nous rencontrons ne semblent plus être en capacité de réflé-
chir et d’interagir de manière adéquate avec leur bébé. La blessure nar-
cissique qu’inflige la rencontre avec « un bébé qui ne se développe pas
comme les autres » provoque une crispation de la manière d’« être-
avec » le bébé, et entraîne une spirale transactionnelle négative blessant
les deux partenaires de l’interaction. Dans l’absolu, si les parents peu-
vent aider leur enfant c’est ce qu’il y a de mieux à faire, mais il arrive
dans certains cas que la détresse soit telle que le détour par le bébé soit
la seule solution envisageable. Malgré les difficultés présentées par le
bébé, lorsque les parents voient qu’il est possible d’interagir avec leur
enfant et que celui-ci est capable de répondre aux sollicitations du thé-
rapeute, ils prennent conscience qu’une partie de leur enfant demeure
intacte. Nous avons pris conscience que lorsque nous soutenons un
bébé, la mère se sent en retour maternée et peut faire l’expérience à
nouveau d’un bon objet interne.
Nous n’ignorons pas que ce dispositif nécessite un certain tact de la
part du thérapeute, qui ne doit pas oublier, surtout lorsqu’il se retrouve
en relation directe avec le bébé, que les parents demeurent les partenai-
res privilégiés de cette rencontre. Il ne s’agit pas de favoriser le fan-
tasme que nous pourrions réussir là où les parents ont échoué, mais de
permettre à des parents blessés narcissiquement d’établir des ponts
dont ils pourront se servir pour retrouver leur bébé. Sur ce point, il nous
faut préciser que nous ne souscrivons pas à l’idée pourtant communé-
ment admise de synchronie dans l’interaction. Bien au contraire,
comme le souligne justement E.Z. Tronick, les ratés sont fréquents et
sont même la constante de toute interaction « normale ». Les études, à
partir d’analyses sérielles d’interactions menées par E.Z. Tronick et
J. Cohn (1987, 1989), contestent le modèle de la synchronie qui affirme
Clinique psychomotrice du nourrisson 97

qu’il y a une seule forme optimale de l’interaction. Ces auteurs mon-


trent qu’une grande partie des dyades mère-bébé réagissent et ajustent
leurs comportements affectifs en fonction du comportement de leur
partenaire, la quantité de temps pendant laquelle la mère et le bébé sont
dans des états synchrones étant relativement réduite. « Ainsi, il n’y a
pas de forme optimale universelle et unique d’interaction mère-bébé
par rapport à laquelle des déviations seraient considérées comme
pathologiques, ainsi que l’impliquerait le modèle de la synchronie »
(Tronick et Weinberg, 1997, p. 308).
Autrement dit, l’interaction « normale » ne serait qu’imparfaitement
régulée, d’où l’hypothèse que « l’élément majeur de la normalité des
interactions est la réparation d’erreurs interactives, [et] que d’elle
dépend le devenir développemental, plutôt que de l’affect positif ou de
la synchronie per se » (ibid., p. 314).
Dans cette aire d’expérience que constitue le cadre thérapeutique de
la TPPB, il en va de même. Ce qui nous paraît important, ce sont toutes
ces tentatives « de bricolage » qui visent, du côté de l’enfant et de ses
partenaires, à rattraper ces éventuels ratés.
Les modes d’approche thérapeutique habituels de la relation parents-
enfants, inspirés de la psychanalyse et notamment des consultations
thérapeutiques de S. Lebovici (1983) ou des thérapies brèves proposées
par l’école de Genève (Cramer, 1993), accordent une place centrale et
légitime aux représentations et projections parentales. Il s’agit très clai-
rement de modifier dans le cadre d’une relation transférentielle les
représentations parentales, c’est-à-dire les représentations internes que
les parents ont d’eux-mêmes et de leur enfant. Cela passe, comme le
souligne fort justement B. Cramer, par un dispositif où les parents sont
les partenaires principaux du thérapeute : « Tous les thérapeutes expéri-
mentés soulignent le rôle important de la présence de l’enfant comme
révélateur de la problématique maternelle, comme catalyseur du pro-
cessus thérapeutique et comme force de motivation pour l’engagement
thérapeutique de la mère. Pourtant, il faut reconnaître que le partenaire
principal du thérapeute est la mère : les interprétations s’adressent à
elle en premier et c’est par l’intermédiaire de mutations opérées au
niveau de ses conflits inconscients que la relation de l’enfant
s’améliore. » (Cramer, 1985, p. 2 100).
Les parents que nous rencontrons dans le cadre de ces thérapies sont
souvent dans l’incapacité immédiate de pouvoir profiter d’un tel dispo-
sitif. Leurs difficultés, parfois leurs réticences, viennent principalement
de ce qu’ils perçoivent souvent de manière aiguë et douloureuse le fait
qu’ils sont l’objet privilégié de ce traitement. Tout accès direct à leurs
conflits inconscients vient raviver leur blessure narcissique et renforcer
une culpabilité difficilement mentalisable dans l’immédiat. La culpabi-
98 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

lité et l’ambivalence des parents sont d’autant plus compliquées à vivre


que le bébé est authentiquement en difficulté dans son développement.
Il convient en effet de ne pas travailler trop prématurément sur la haine,
les conflits ou l’ambivalence éprouvée par les parents afin de ne pas
aggraver l’état de sidération psychique qu’évoquait notamment la mère
de Pierre.
Le dispositif particulier de la thérapie psychomotrice parents-
enfants, en ne portant plus toute l’attention du thérapeute sur le ou les
parents, peut permettre de ranimer psychiquement la capacité des
parents à penser leur enfant. Le dispositif déplace le face-à-face vécu
comme trop intrusif pour ouvrir un espace tiers d’attention conjointe où
l’enfant réel occupe le devant de la scène. Le principe de cette approche
spécifique de la thérapie parents-enfants est d’« être-avec » le bébé, au
sens de D.W. Winnicott : d’établir un lien direct avec le bébé.
Si habituellement on considère que le changement des représenta-
tions parentales modifie le comportement et l’interaction, nous propo-
sons de considérer le changement dans l’autre sens : les modifications
des capacités instrumentales et représentatives de l’enfant permettent
de modifier en retour les interactions et représentations parentales.

Le bébé : un partenaire privilégié et un sujet à part entière


Le cadre thérapeutique des TPPB n’est pas le cadre habituel des psy-
chothérapies mère-enfant, qui vise à modifier les « fantômes dans la
chambre des enfants », c’est-à-dire les représentations internes que les
parents ont d’eux-mêmes et de leur enfant. Il s’agit, par un travail direct
auprès du bébé, de soutenir ses capacités instrumentales et représenta-
tives, d’établir un lien dont les parents peuvent se servir pour retrouver
leur bébé.
Le principe fondamental qui sous-tend ce dispositif est de considérer
que le bébé est un partenaire privilégié, un sujet à part entière capable
de représentations complexes et d’avoir une action sur son environne-
ment et notamment ses objets privilégiés, père et mère. Lorsque l’on
sait que quatre fois sur cinq l’interaction est à l’instigation de l’enfant
(Moss et Robson, 1968), on comprend mieux l’impact des différences
individuelles sur la qualité des modalités interactives. Ainsi, un bébé
qui pleure souvent et longtemps tend à déclencher davantage d’interac-
tions avec sa mère qu’un bébé calme. Ce ne sont donc pas seulement sa
compétence et son dévouement qui font d’elle une mère plus ou moins
efficace, mais aussi le tempérament du nourrisson, qui demeure un fac-
teur de premier plan.
Les bébés et jeunes enfants que nous rencontrons sont souvent en
difficulté dans leurs capacités posturales et instrumentales. Toute limi-
Clinique psychomotrice du nourrisson 99

tation des capacités instrumentales du bébé, qu’elle soit innée où préco-


cement acquise, court le risque de modifier sensiblement ses capacités
de représentation de soi, de l’environnement et de l’autre. Le travail
direct du psychomotricien auprès du bébé vise alors à soutenir les capa-
cités instrumentales de celui-ci. Pour ce faire, le psychomotricien dis-
pose d’un savoir-faire, d’un ensemble de « techniques du corps » (au
sens de M. Mauss) qui permettent d’entrer en relation avec le bébé
selon les moyens instrumentaux et les canaux sensoriels dont il dispose
pour le faire. Tout le savoir-faire du clinicien consiste à utiliser sa com-
préhension des caractéristiques personnelles du bébé, pour développer
ses compétences instrumentales et lui permettre d’agir sur son corps,
son environnement et les autres. Ce faisant, il nous faut comprendre
que toute action qui vise à soutenir l’activité instrumentale du bébé est
déjà une manière de soutenir son activité représentative. L’instrumenta-
tion est déjà une forme complexe d’adaptation de l’organisme à l’envi-
ronnement, une première représentation de celui-ci. Aider le bébé à
habiter son corps c’est également lui permettre d’avoir une action sur
son environnement humain et physique. Notre expérience nous montre
que plus le bébé est démuni sur le plan instrumental, plus la dimension
émotionnelle est au-devant de la scène, entraînant une mobilisation
tonique qui s’autoentretient et fige le corps. Le bébé démuni sur le plan
instrumental développe peu de capacités d’autorégulation de ses états
internes, et se trouve particulièrement dépendant des régulations paren-
tales pour maîtriser les excitations venues du monde interne comme du
monde externe.
Ce qui caractérise notre approche par rapport aux autres techniques
est essentiellement que nous exerçons une action directe auprès de
l’enfant. Il s’agit pour nous très clairement d’accompagner l’enfant
dans sa découverte de sa relation au corps, aux objets et à l’autre. Les
techniques psychomotrices que nous utilisons n’ont pas d’autre objet
que de soutenir l’activité représentative de l’enfant. Les difficultés ins-
trumentales que ces enfants peuvent présenter nécessitent un « savoir-
faire », en termes par exemple d’organisation motrice (qui ne s’oppose
pas, comme on le soutient souvent, à la libre activité de celui-ci). Ces
techniques, si tant est qu’on ne les réifie pas, sont autant de solutions
proposées aux entraves que ces enfants rencontrent dans leur appétence
de découverte.
Nous considérons le jeune enfant comme un partenaire à part entière,
un « interlocuteur » avec qui nous conversons avec tous les moyens qui
sont à sa disposition. Pour qui a l’habitude de ces rencontres avec des
nourrissons, il est aisé d’interpréter un regard, un changement tonique,
une mimique comme autant de signes de l’approbation ou du refus de
nos propositions. Nous avons pu constater que les nourrissons, même
100 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

les plus entravés dans leur développement, étaient particulièrement


sensibles à la qualité de la présence du thérapeute. Nous pensons que
plus l’enfant est jeune, plus cette présence se doit d’être active et solli-
citante. Cette position d’« être-avec » prend ici toute sa signification.
Nous avons pris l’habitude de décrire ces rencontres comme une « aire
d’expérience » où se rencontrent deux subjectivités. De cette rencontre,
le thérapeute se doit de communiquer ce qu’il en pense aux parents et à
l’enfant dont le comportement s’en voit changé. Toutefois, force est de
constater que c’est principalement au travers des échanges non ver-
baux, des séquences interactives, des jeux que ce partage émotionnel
conscient comme inconscient trouve toute sa dimension.

 Illustration clinique
Lorsque je le rencontre pour la première fois, Paul a treize mois ; il m’est adressé
par la psychiatre du service pour un retard psychomoteur global, que j’évalue au BLR à
trois mois. Paul est le deuxième enfant de la famille et l’aîné est déjà suivi au CAMSP
pour des troubles du comportement.
C’est sa mère qui l’accompagne en le tenant serré dans ses bras. Paul est visible-
ment inquiet et ne me regarde que de manière très fugace. Je suis frappé par l’inquiétude
qui se dégage de ce nourrisson qui s’agrippe à sa mère, et il faudra de longues séances
pour qu’il accepte enfin d’être posé au sol sur le tapis et de s’intéresser aux jouets que je
mets à sa disposition.
Bébé peu sécure et au style hypertonique, Paul ne manifeste aucun désir de dépla-
cement et se montre particulièrement déstabilisé à la moindre tentative de mobilisation.
Cette insécurité gravitationnelle et l’hypersensibilité sensorielle qui l’accompagne sont
renforcées par l’intensité des angoisses maternelles qui se manifestent au moindre
mouvement de Paul. Les projections mortifères maternelles, du style « j’ai peur qu’il se
fasse mal », qui occupent le devant de la scène, ne font cependant l’objet d’aucune asso-
ciation. Le discours de Mme R. est assez pauvre et répétitif, accompagné de plaintes sur
son mari, ses enfants, discours d’où se dégage un profond sentiment de lassitude et de
résignation. Son intérêt pour le travail psychique en tant que capacité à tolérer, traiter,
négocier l’angoisse, la dépression, les conflits intrapsychiques et interpersonnels semble
étonnamment réduit. Sur le plan interactif, cela se traduit par un débordement de la
fonction pare-excitations maternelle et des difficultés comportementales à apaiser et
contenir Paul. Le style de maternage est chaotique, et M me R. oscille entre des phases
symbiotiques de collage, où Paul est collé contre son corps, et des phases de rejet où elle
le « dépose » brusquement au sol, visiblement très agacée, sans qu’aucune verbalisation
ne vienne accompagner son geste.
Comme je l’ai déjà souligné, je me place néanmoins toujours résolument du côté
de la mère et cela d’une manière d’autant plus nette qu’elle s’y prend mal. Ce n’est qu’à
cette condition qu’il devient alors possible pour le thérapeute d’entrer en relation directe
avec le bébé. Je n’engage aucune action directe avec celui-ci sans qu’au préalable je
n’aie demandé formellement l’assentiment des parents. Cela peut paraître parfois lourd
mais cela vient souligner le fait que rien ne sera possible sans cet assentiment.
Dans le cas de Paul, Mme R. acceptera sans aucune difficulté mes propositions.
Dans un premier temps il va s’agir de lui proposer d’expérimenter sur un gros ballon des
modifications posturales qui reprennent les niveaux d’évolution motrice (NEM) de son
Clinique psychomotrice du nourrisson 101

âge de développement. C’est un exercice particulièrement intéressant car il allie à la fois


un travail postural mais également tout un jeu de portage tonico-émotionnel, de
confiance entre l’enfant, le thérapeute et la mère. Les modulations sont possibles à
l’infini, et une partie du travail consiste également à verbaliser le ressenti interne du
bébé et les réactions de la mère qui ne manquent pas d’advenir. En ce qui concerne le
bébé, j’utilise ce que les Anglo-Saxons appellent le talkink baby, ce « parler bébé » qui
permet de s’adresser directement à l’enfant en utilisant des formulations qui laissent les
parents libres de pouvoir les entendre ou non, facilitant progressivement la prise de
conscience par les parents du « monde interne » du bébé.
J’insiste sur cette dimension relationnelle avec les parents car, à mon sens, aucun
travail direct auprès du bébé ne doit s’affranchir d’un soutien à la parentalité.
Il est également possible de solliciter directement les parents afin de jouer avec leur
bébé. Dans le cas de Paul et de sa mère, cela n’a pas été possible dans l’immédiat. Nous
avons constaté qu’il était souvent nécessaire que les mères retrouvent personnellement
un plaisir intérieur à jouer pour qu’elles acceptent ensuite de se montrer créatives avec
leur enfant. Cela prend parfois des figures étonnantes, comme dans le cas de la mère de
Paul qui régulièrement, parallèlement au jeu que j’engageais avec son fils, jouait en
écho avec un ballon ou un objet similaire à celui que j’utilisais. Ce jeu interne marque la
reprise d’un travail psychique et d’un processus d’identification à l’enfant.
La séquence que je vais décrire fait suite à un jeu de portage sur le ballon où pour
la première fois Paul demande directement de jouer avec sa mère et refuse par deux fois
mon aide en signifiant très distinctement son désir de jouer avec sa mère : « non…
maman ». Ce tournant dans la thérapie marque le moment où Paul vient signifier à sa
mère qu’il peut compter sur elle et qu’il souhaite qu’elle joue à le tenir sur le ballon, ce
qu’elle ne s’autorisait pas à faire jusqu’à présent.
Le jeu qui fait suite à cette courte séquence du ballon se déroule sur une table
installée près d’un miroir. Paul érige une tour en cubes qu’il s’applique avec beaucoup
d’attention à maintenir droite en équilibre. Il empile les cubes puis les fait tomber et les
empile de nouveau, et ainsi de suite, encouragé à distance par sa mère qui soutient ce jeu
de construction-destruction en lui ramenant systématiquement les cubes tombés. Passé
ce premier mouvement, il se lève et se dirige vers le miroir, monte sur le petit banc qui
est accolé à celui-ci et tout en maintenant serrés deux cubes dans sa main, se regarde
dans le miroir attentivement, en répétant avec jubilation « papapapa ». Il tente alors de
faire tenir les cubes contre la paroi du mur qui jouxte le miroir. Le cube tombe, il le
ramasse, recommence la séquence tout en regardant attentivement son image spéculaire,
la chute du cube s’accompagne d’une légère perte d’équilibre qu’il maîtrise cependant
avec une évidente jubilation.
Cette séquence est assez remarquable dans son enchaînement. Tout d’abord le jeu
de portage sur le ballon, jeu éminemment corporel où Paul expérimente la solidité du
holding maternel. Ce jeu corporel met en scène les angoisses archaïques autour du senti-
ment d’être tenu-laché par l’autre maternel. Ce n’est qu’après avoir expérimenté corpo-
rellement la solidité du lien à l’autre maternel que peut se dérouler le jeu du cadre que
constitue le jeu de cubes. Il s’agit ici de faire tenir ensemble, d’unifier, à l’instar du
corps propre, un ensemble d’éléments disparates. Pour que la structure puisse tenir et
s’ériger à l’instar de l’axe corporel, il est nécessaire que le premier mouvement de jeter
au loin l’objet ne le détruise pas, et que le lien à l’objet puisse se maintenir. Cela n’est
rendu possible que grâce au soutien de la mère qui accepte pour la première fois de
soutenir cette activité représentative, en ne se sentant pas détruite par la part d’agressi-
vité qui la sous-tend, et en ramenant l’objet cube pour que le jeu puisse se dérouler dans
toute sa fonction symbolisante. Comme le souligne R. Roussillon : « C’est une nouvelle
102 Le nourrisson : la dialectique psyché-soma

forme de jeu du détruit-trouvé mais dont l’enjeu, cette fois, est de se détruire tel qu’on a
été fait, assemblé, par l’autre, pour pouvoir se trouver fait/unifié par soi » (Roussillon,
1995, p. 195). La dernière partie de la séquence vient parachever ce mouvement d’unifi-
cation du corps propre autour du jeu du miroir, où Paul vérifie par l’image spéculaire
que lorsque le cube disparaît, tombe, il demeure unifié, érigé devant le miroir.

Cette longue séquence qui constitue un emboîtement de jeux de plus en plus


complexes souligne de manière paradigmatique l’évolution des processus de la symboli-
sation et le problème des conditions/préconditions de cette symbolisation dans le cadre
des TPPB.

Conclusion
La TPPB a pour double objectif d’aider au développement des capa-
cités instrumentales et représentatives de l’enfant, tout en proposant un
soutien à la parentalité. Notre expérience souligne l’étonnante capacité
des bébés et jeunes enfants à modifier les comportements interactifs et
les représentations parentales. Le bébé est un partenaire direct et cen-
tral de ce dispositif thérapeutique; nous pensons même que dans cer-
tains cas où il y a impossibilité de travailler directement sur les
représentations parentales, cette approche demeure la seule envisagea-
ble pour permettre une évolution du bébé mais également une meilleure
adaptation des modalités interactives parentales. Nous ne devons pas
perdre de vue que le temps du bébé n’est pas celui de l’adulte, et qu’il
n’est pas toujours possible d’attendre un changement des parents.
Il nous paraît nécessaire de reconsidérer la croyance habituellement
cultivée en une méthode thérapeutique « tous azimuts », et urgent,
comme le souligne A. Guédeney, de développer des techniques adap-
tées aux spécificités psychologiques de chaque période et de chaque
situation clinique. La TPPB offre un cadre particulièrement adapté aux
bébés « qui ne se développent pas comme les autres » et à leurs parents.
Afin que cette forme de thérapie, que nous pensons prometteuse, puisse
prendre toute sa place dans l’offre de soin qui s’adresse aux bébés et à
leurs parents, il nous paraît nécessaire que dans l’avenir la TPPB puisse
faire l’objet de travaux et de recherches spécifiques afin d’en dégager
tout l’intérêt mais également les limites.

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3
L’enfant :
de l’agi au représenté
G. ALLEMANY, A. CALZA, F. CANCHY-GIROMINI, A. CICCONE,
M. CONTANT, J. DEITTE, A. GATECEL, B. GRIS,
O. MOYANO, G. PLATTEAU

INTERDEPENDANCE DES FONCTIONS PSYCHOMOTRICES


ET DE LA PSYCHE1

« Au commencement était l’acte! »


La célèbre phrase de Gœthe nous invite à réfléchir sur la notion
même de « commencement » : en effet, si l’acte est premier, il n’a pas
de cause, or il est très difficile de concevoir un acte sans cause puisque
notre système de pensée est celui du rapport de causalité entre les élé-
ments, du moins depuis Aristote. En d’autres termes, nous avons une
tendance « naturelle » à considérer qu’il y a un point d’origine qui peut
s’appeler « psyché », ou « pensée », ou « idée » ou « âme », qui va être
le déclencheur de l’acte. Dans ce cas, il y a une relation de causalité
entre la fonction psychique et la fonction psychomotrice.
Or, s’il y a causalité, il ne peut pas y avoir, en même temps, interdé-
pendance entre ces deux fonctions.
En d’autres termes, dans le premier cas, nous sommes dans une rela-
tion d’exclusion d’un élément par rapport à un autre; et, dans le second
cas, nous sommes dans un rapport d’inclusion réciproque entre les
deux.
C’est cette seconde modalité que nous allons développer ici,
puisqu’aussi bien nous ne pouvons pas répondre à la question de l’ori-
gine. En effet, savons-nous, lorsque l’enfant paraît, s’il est le premier, ou
bien si est première la parole de sa lignée avant même qu’il ne soit né?

1. Françoise C ANCHY-GIROMINI.
106 L’enfant : de l’agi au représenté

– Ainsi, lorsque l’enfant paraît, on peut dire qu’il est un corps et,
qu’en tant que vivant il est animé d’un certain nombre de mouvement -
corps réel.
– Ainsi, lorsque l’enfant paraît, on peut dire qu’il a un corps, parce
que quelqu’un le regarde et fait de ce corps un certain corps (celui de
son enfant, par exemple) — corps imaginaire.
– Ainsi, lorsque l’enfant paraît, on peut dire qu’il va être nommé, et
que cette nomination lui donne corps en quelques sorte — corps sym-
bolique.
Le nouage entre les fonctions motrices et la psyché va s’effectuer par
l’intermédiaire d’un certain regard chargé de désir. A partir de ce
nouage, nous pouvons dire que la fonction motrice va devenir un acte
et que la psyché va être le lieu de la représentation de cet acte.
Il y a bien alors interdépendance entre les deux ; autrement dit il
n’existe pas d’acte sans représentation, et pas de représentation sans
acte.
Il n’y a pas de fonction transitive entre l’acte et sa représentation : il
y a immanence.
Cette interdépendance des fonctions psychomotrices et de la psyché
nous renvoie à la question de l’identité du sujet.
Rappelons brièvement qu’au moment de l’identification l’enfant fait
une relation entre : l’image qu’il voit en face de lui, son corps, et le
regard. Il fait l’expérience d’une relation entre deux objets : l’objet-
corps et l’objet-image (entre 6 et 18 mois). Nous savons que cette rela-
tion sera entifiée par la nomination de lui-même, et qu’ainsi l’identité
(moi-je) sera acquise (vers deux ans). Ainsi, acte et représentation se
nouent ensemble de façon solide, insécable.
Il convient, à présent, de s’interroger sur la façon dont travaille le psy-
chomotricien quand, de « l’agi au représenté », il se trouve au bord du
représenté pour avoir à dire l’agir du patient. Nous savons que le terme
agir connote aussi bien le geste que l’acte : en effet, le geste peut être le
lieu de la prise de possession de l’espace par le corps ; nous pouvons
alors considérer l’acte dans le champ étroit de la mise en mouvement du
corps (actes involontaires ou automatiques ; on peut penser à l’expé-
rience surréaliste de l’écriture automatique); ce seraient alors des actes
« inconscients », donc ratés, manqués, nécessairement. Ces actes, au
moment de leur effectuation sont hors du champ de la représentation,
puisque le terme représenter suppose de rendre sensible, présent, ce qui
ne l’était pas auparavant. Et c’est quelque chose qui renvoie à la cons-
cience du sujet, à l’image. La représentation se fait alors dans l’après-
coup de l’acte; au cours d’un travail d’élaboration, par exemple.
Clinique psychomotrice de l’enfant 107

En ce qui concerne le travail d’un enfant en psychomotricité, on peut


dire que le représenté est la mise en forme — en scène — d’une série
d’images, d’actes, par lesquels le sujet se présentifie à l’autre.
On peut partir de l’idée que l’enfant est porteur d’une certaine repré-
sentation imaginaire, qui est son histoire, et que la « mise en acte » de
ces images, dans un travail de perlaboration (durch-arbeit), devrait lui
permettre l’arrivée à la conscience de ce qui est de l’ordre du conflit
intra-psychique.
Dans ce cas, nous pouvons y repérer deux modalités :
– d’une part, si l’on se contente de « mettre en scène » (comme au
théâtre), nous pouvons dire que ce travail constitue, pour l’enfant, le
moyen le plus économique de décharger une énergie qui, sans cela,
pourrait être l’enjeu d’un conflit intra-psychique, avec apparition de
symptômes. Cette façon de faire aiderait à la décharge énergétique de
certaines pulsions de l’enfant;
– d’autre part, si la mise en acte du fantasme de l’enfant s’accompa-
gne d’un travail « interprétatif » du psychomotricien, il s’agit alors de
faire en sorte que l’enfant tienne un discours sur sa propre histoire.
Amener ainsi l’enfant à « agir » une représentation imaginaire et
« décharger » l’angoisse contenue dans cette représentation ; l’enfant ne
peut pas parler de ses fantasmes ou de ses rêves, alors il les « agit », les
dessine, les joue, les met en musique, etc. L’utilisation de cette fonction
psychomotrice va faire en sorte que le seuil d’angoisse de l’enfant soit
abaissé puisqu’elle a été traduite en un acte, dans un effet de « dé-
prise » de l’angoisse sur le sujet.
Cet acte est à considérer dans l’univers signifiant, c’est-à-dire dans
l’articulation du symbolique, de l’imaginaire et du réel (le tout consti-
tuant une unité). Et ce qui émerge alors pour l’enfant, comme
signification, peut être appelé une métaphore significative.
Ainsi, c’est dans l’acte que fait l’enfant qu’il y a inter-dépendance
des fonctions psychomotrices et de la psyché, et qu’à ce titre, l’acte y
est représenté.

CLINIQUE PSYCHOMOTRICE DE L’ENFANT

Méthodes d’investigation : du « bilan au contrat2 »


 Bilan psychomoteur
Le bilan psychomoteur, clé de voûte de nos programmes d’études, a
bien du mal à s’adapter à l’évolution de la pratique clinique et s’il

2. Jacques DEITTE.
108 L’enfant : de l’agi au représenté

demeure omniprésent dans l’esprit des étudiants, il faut bien dire que
les modèles jusqu’alors immuables qui s’en veulent les référents, de
Guilmain à Bergès en passant par Harris ou Ozeretski, commencent à
prendre des rides et j’espère même — sans pour autant mésestimer les
services qu’ils ont pu rendre — qu’ils deviendront bientôt franchement
anachroniques.
Pour pondérer ce propos très subjectif, je dirai que ce n’est pas tant la
technique du bilan psychomoteur qui doit être remise en cause que la
manière dont nous pouvons le pratiquer : cet examen ordonné,
quantifié, étalonné, transcrit (dont il existe des « formulaires-types »)
qui permet de dépister, d’évaluer, de juger et de concrétiser des troubles
dits spécifiques, est en effet généralement proposé à l’occasion d’une
première rencontre avec le patient; première rencontre qui met en pré-
sence deux réactions émotionnelles, dont l’une — celle du
thérapeute — est tempérée par ce que l’on peut appeler expérience pro-
fessionnelle, habitude de la pratique et du contact avec les patients,
maîtrise du contre-transfert… par le seul fait qu’il est « du bon côté de
la barrière », c’est-à-dire en position de pouvoir, de savoir et de juger,
que ce soit dans la réalité de la situation ou dans l’imaginaire du
malade, porteur quant à lui de l’autre réaction émotive et qui occupe au
contraire à ce moment là la place la plus angoissante : celle d’une situa-
tion d’examen. Et si cette inquiétude peut se désarmorcer parfois par la
qualité de la relation et des échanges verbaux auprès des patients adul-
tes, il en va tout autrement avec les enfants.
Il est en effet généralement admis que le premier examen psychomo-
teur, qui doit nous permettre de situer précisément, sinon la nature pro-
fonde de la souffrance ou du mal-être de l’enfant, du moins les
manifestations, les signes cliniques induits par cette souffrance ou ce
mal-être, il est donc généralement admis que cet examen se pratique à
l’occasion de notre première rencontre avec le jeune patient. Or, com-
ment pourrions-nous prétendre à une estimation objective, par exemple
des qualités de tonus, d’adresse manuelle, ou encore des possibilités
d’attention d’un enfant nécessairement en état d’inquiétude, sinon
d’angoisse, ou pour le moins en questionnement de ce que peuvent être
cet homme ou cette femme qui le reçoit, dans ces locaux intégrés dans
un contexte toujours plus ou moins médicalisé, pour ces épreuves qui le
placent, qu’on le veuille ou non, en situation d’examen c’est-à-dire
d’échec possible, faisant ainsi tout ce qu’il convient pour provoquer
réactions de prestance, manifestations tonico-émotionnelles parasites,
instabilité ou inhibition, etc., et ceci d’autant plus que cette consulta-
tion pourra éventuellement devenir le préliminaire à un suivi thérapeu-
tique et constitue, dans ces conditions, un engagement bien
compromettant dans la relation de transfert.
Clinique psychomotrice de l’enfant 109

C’est pourquoi, pour ce qui nous concerne et dans le cadre de notre


pratique en centre de consultation, j’ai choisi depuis longtemps déjà, de
recevoir au cours de ce que j’appelle un premier entretien d’observa-
tion, l’enfant et le couple parental ; ceci afin de dédramatiser le plus
possible cette démarche en terre inconnue, de rassurer l’enfant par la
présence de ses parents qui, eux, ne se considérant pas personnellement
en situation d’investigation se montrent généralement moins défendus
— du moins en un premier temps — plus spontanés en tout cas dans
l’entretien et permettent souvent des observations capitales sur le fonc-
tionnement de la cellule familiale et la qualité des relations qu’ils entre-
tiennent avec leur enfant.
Entretien d’observation d’autant plus nécessaire que les parents res-
tituent souvent en cette occasion des éléments d’anamnèse qu’ils n’ont
pas évoqués au médecin ou au psychologue qui les a éventuellement
reçus auparavant, ou bien encore qu’ils modifient, parce qu’ils se trou-
vent dans un autre contexte, qu’ils se sentent moins interrogés person-
nellement et intimement, parce que l’écoute que nous leur consacrons
résulte du cheminement spécifique qui est le nôtre et qui la rend diffé-
rente, parfois complémentaire, en tout cas inductrice d’autres deman-
des, d’autres désirs.
Et puis c’est là l’occasion première et fondamentale de signifier à
chacun que le travail thérapeutique effectué avec l’enfant nécessite
aussi l’engagement du couple — surtout lorsqu’il s’agit d’un très jeune
enfant — et qu’il ne suffit pas d’accompagner celui-ci à sa séance de
rééducation, d’aller faire son marché et de venir ensuite le récupérer
dans la salle d’attente, mais bien de travailler ensemble, dans le cadre
d’un contrat thérapeutique élaboré en commun.
Cette conception de l’examen psychomoteur, pour peu orthodoxe
qu’elle puisse paraître, n’interdit d’ailleurs nullement le recours éven-
tuel à un bilan traditionnel qui, dans certains cas précis, peut donner
aux parents ou aux enseignants une estimation rassurante qui permet
parfois de désarmorcer un climat d’inquiétude ou de conflits dont
l’enfant porte le poids : il s’agit alors d’une appréciation qualitative du
moment et, en aucun cas, de l’estimation chiffrée, objective et exhaus-
tive de la manière d’être du corps en relation.

 Contrat thérapeutique (Extrait J. Deitte, 1988)

La notion de contrat thérapeutique me paraît d’autant plus indispen-


sable à définir que le système de fonctionnement administratif habituel
des centres de consultation permet aux parents d’inscrire leur enfant et
d’être suivis eux-même le cas échéant, sans avoir à débourser d’argent;
or, si nous prenons grand soin, au moment de l’inscription, de leur
110 L’enfant : de l’agi au représenté

expliquer qu’une séance au CMPP coûte cher et que son prix est rem-
boursé au centre par la Sécurité sociale — c’est-à-dire par leurs propres
cotisations de salariés — la consultation est souvent considérée comme
un service public gratuit et l’implication nécessaire dans un travail
assidu et engagé, sans culpabilité, est parfois difficile à signifier. Or la
valeur effective du travail thérapeutique nécessite non seulement cet
engagement de l’enfant et de ses parents à « jouer le jeu », mais aussi
que des repères stables soient reconnus et admis, tels le cadre et le
temps des rendez-vous. En revanche, l’enfant et sa famille sont en droit
d’attendre de l’équipe du centre en général et du thérapeute en particu-
lier, certaines garanties qu’il convient de leur signifier, parfois dès le
premier entretien, sinon au cours de la cure.
Pour ce qui me concerne — chacun ayant le loisir d’aménager le pro-
tocole qui lui convient ou dans lequel il peut travailler sereinement —
le contrat que je propose à l’enfant peut se résumer ainsi : « Ici, on peut
tout dire mais on ne peut pas tout faire! » et, bien que ce protocole soit
entendu le plus souvent implicitement, sans qu’il me soit nécessaire de
le verbaliser, il m’arrive de préciser : « On ne peut pas tout faire pour de
vrai, mais on peut faire comme si… ».
En contrepartie à cette loi que je propose, je prends beaucoup de soin
à expliquer à l’enfant que l’équipe du CMPP est toute entière tenue à ce
que l’on appelle le secret professionnel et que ses propos ne seront
jamais répétés à l’extérieur de mon fait. Parfois, le seul énoncé de ces
clauses contractuelles suffit à aider l’enfant à restructurer ses propres
repères sociaux et affectifs et justifie, à mon sens, cette double appella-
tion de contrat thérapeutique.
Cela dit, la mise en place d’un tel contrat ne suffit pas toujours à faire
accepter aux parents que le CMPP puisse représenter pour leur enfant
un « lieu de plaisir », ou pour le moins d’expression possible de leur
imaginaire, notions qu’il leur est souvent bien difficile d’associer à leur
souci d’efficience scolaire par exemple. C’est ainsi que j’ai pu remar-
quer que le premier témoin susceptible de déceler les prémices d’une
évolution positive de l’enfant et d’y réagir, est sa mère : bien souvent
celle-ci perçoit, avant le thérapeute, les signes annonciateurs du mieux-
être de son enfant, les modifications — fussent-elles infimes — de son
comportement plus autonome ou de sa personnalité mieux structurée,
de sa maturité en voie d’élaboration… et, inconsciemment, parce que
cet enfant « qui bouge » remet en question un équilibre précaire que la
cellule familiale a construit avec et par ses difficultés et ses carences,
parce que cet enfant pour lequel elle a généralement « tout fait », « tout
donné » pour qu’il aille mieux, choisit de s’éveiller avec un étranger et
hors du cadre familial, inconsciemment donc, cette mère peut à ce
moment de la cure, manifester une certaine opposition, voire une
Clinique psychomotrice de l’enfant 111

certaine agressivité, par son attitude ou ses propos qui deviennent alors
pour le thérapeute annonciateurs de l’évolution de l’enfant. Il est à ce
moment là bien entendu nécessaire de proposer des consultations au
cours desquelles on reprécisera aux parents la nature du travail effectué
avec leur enfant, les termes du contrat thérapeutique et le projet qui est
le nôtre pour mener la cure à bien.

La question de l’indication3
La demande de la famille dans les trois-quarts des cas est celle d’une
rééducation technique. Bien souvent, la famille a du mal à percevoir
que la symptomatologie présente (qu’il s’agisse de troubles instrumen-
taux ou somatiques) a un lien avec des difficultés de vie existentielle du
patient. Devons-nous accepter que la solution du problème soit d’abor-
der une rééducation technique ou bien pouvons-nous faire apparaître
aux patients que les difficultés se situent à un niveau psychologique?
Le psychomotricien, par l’intermédiaire d’un impact corporel, peut
faire toucher du doigt, petit à petit, que le problème prend sa source
ailleurs. Ce travail d’élaboration avec la famille est primordial. Il faut
tenir compte du jeu que représente le symptôme par rapport à la dyna-
mique familiale ; apprendre à gérer le symptôme par rapport à la
demande de la famille. L’enfant est pris dans une relation à trois dès le
départ, et faire une séparation entre l’enfant et sa famille (dans le sens,
ne pas tenir compte de ce qu’elle est), est un écueil à éviter. L’approche
des parents est très importante et va gérer notre travail sur le plan théra-
peutique. Faire le point de temps en temps avec eux, les conseiller pour
que notre travail thérapeutique puisse avoir des répercussions dans la
vie quotidienne de l’enfant, est primordial.
D’autres familles tentent de se débarrasser du problème de leur
enfant en ne demandant qu’une intervention corporelle très technique.
Un travail sur le plan rééducatif peut rentrer dans le fonctionnement de
la famille et il nous sera difficile d’intervenir à un autre niveau (cela est
particulièrement prégnant dans la pathologie de l’adaptation ; l’enfant a
souvent beaucoup de mal à se repérer dans le temps et dans l’espace et
une approche technique lui apportant des « trucs » pour remédier à ses
difficultés ne vient que renforcer son mode d’existence habituelle.
Aucune possibilité d’évolution autre lui est alors offerte).
L’enfant, lui, n’a généralement pas de demande très explicite. Celui-ci
peut plus facilement l’exprimer dans le cadre d’un travail psychothérapi-
que qu’en orthophonie ou en psychomotricité. Au cours des entretiens

3. Anne GATECEL.
112 L’enfant : de l’agi au représenté

préliminaires, il me paraît intéressant d’essayer d’élaborer la demande


de l’enfant. La décision d’un suivi thérapeutique consistera à faire égale-
ment le lien entre la demande de l’enfant, celle de la famille et la symp-
tomatologie à laquelle le tout fait référence.
Lorsqu’il y a un retard important sur le plan du développement psy-
chomoteur qui touche aussi l’apparition du langage, il s’agit davantage
d’une indication de psychomotricité que d’orthophonie, reprenant là le
sujet dans sa globalité psychosomatique. Les indications d’orthophonie
pourraient concerner des difficultés au versant symptomatique, plus
précis. Par contre, les enfants chez qui le « symptôme écriture » renvoie
à un développement psychomoteur plus déficitaire relèvent plutôt de
suivis en psychomotricité. La différence entre une indication en réédu-
cation ou en psychothérapie réside davantage dans l’interprétation.
La relation transférentielle est aussi bien présente dans la relation
entre le psychomotricien et son patient qu’entre le psychothérapeute et
son client. Le psychomotricien, lui, répond surtout dans la réalité ou
bien utilise des équivalents d’interprétation. Lorsque les enfants pré-
sentent des troubles importants sur le plan psychologique, par exemple
une angoisse de castration posée sur la latéralité qui empêche l’enfant
d’utiliser sa vraie latéralité, il s’agit là d’un problème de corps très
symbolisé et il faut passer par une interprétation au sens analytique
(ramener la situation présente au passé avec tous ses désirs inconscients
imaginaires) du problème sous-jacent, c’est-à-dire de l’angoisse de
castration, et cela, dans le cadre de la psychothérapie, pour que cela
puisse évoluer.
Dans les cas de maladresse, associée fréquemment avec l’inhibition,
nous trouvons des enfants ayant une agressivité refoulée (les tests pro-
jectifs tels le CAT ou le TAT sont très révélateurs à ce sujet). Ces sujets
tentent de maîtriser leur agressivité en se créant une carapace corpo-
relle, rigide ne laissant aucun affect s’exprimer. Ces enfants peuvent à
la fois très bien réussir un travail de précision tel le découpage ou
l’enfilage de perles (tests psychomoteurs classiques) mais par contre
échouer les épreuves de lancer de ballon.
Ils auront également beaucoup de difficultés à faire jouer des person-
nages dans leurs jeux.
Une approche très technique de leur symptomatologie sans laisser
place à une possible émergence des affects permettra sans doute une
amélioration des troubles spécifiques (maladresse) mais il n’en restera
pas moins que la problématique affective n’aura été aucunement abor-
dée, voire élaborée.
En ce qui concerne l’instabilité psychomotrice, outre les problèmes
d’agitation source de difficultés d’attention à l’école, la problématique
affective liée à la difficulté d’établir une relation durable avec l’autre
Clinique psychomotrice de l’enfant 113

est le plus souvent écartée. En effet, il ne s’agit pas « d’apprendre » à


l’instable à se maîtriser sur le plan corporel mais d’aborder avec lui sa
difficulté relationnelle. Une approche ludique utilisant un cadre de tra-
vail précis, permettra peu à peu à l’enfant d’exprimer ses craintes quant
à sa relation avec l’autre, plus précisément avec l’objet maternel. Le
plus souvent, il s’agit d’un travail long et difficile permettant peu à peu
à l’enfant d’intérioriser la figure maternelle grâce à la relation transfé-
rentielle établie entre l’enfant et son thérapeute. L’enfant pourra expri-
mer sur un autre mode que l’agitation, la fuite imaginaire voire la
décharge motrice, son mal-être en utilisant peu à peu les mots, le des-
sin, le modelage etc. La thérapie psychomotrice consistera ici à aider le
jeune patient à passer de l’agi à la parole pour exprimer sa souffrance
(S. Cady, 1992).
Dans la pathologie de l’adaptation, certains écueils sont à éviter. Au
cours de l’examen psychomoteur, nous pouvons trouver un enfant qui
s’adapte très bien à toutes les situations proposées, docile, posé, mais
n’exprimant pas la moindre expression d’émotion sur son visage. Le
corps, lui, reste le plus souvent rigide. Dans les jeux que vous propose-
rez, il choisira le plus souvent une boite de jeux, permettant au maxi-
mum de mettre l’autre à distance ; mais il n’utilisera pas de
marionnettes ou de personnages leur faisant raconter une histoire. De
même, le dessin restera très pauvre et conventionnel. Quant à la vie
onirique, elle est totalement absente.
Pour quelles raisons ces patients viennent-ils consulter ?
Soit il s’agit de somatisations, soit ces enfants éprouvent de grandes
difficultés en géométrie. Il est parfois difficile de déceler les difficultés
d’orientation spatio-temporelles chez ces sujets. En effet, lorsqu’il s’agit
de cubes de Kohs ou bien du test de Bender, les résultats sont tout à fait
satisfaisants voire excellents. Par contre, l’épreuve de Piaget-Head est
très largement échouée. Ce qui paraît intéressant dans ces résultats et qui
confirme l’idée que nous nous faisons de ce type de fonctionnement
psychologique, c’est que tant que l’autre organise l’espace du sujet
(épreuve où il y a un modèle à copier comme dans les cubes de Kohs ou
Bender) cela ne pose pas de problème, par contre le test de Piaget-Head
implique que le sujet existe, s’oriente lui-même, ce qui s’avère impossi-
ble pour lui car il n’a pas d’identité propre; le sujet est renvoyé à une
difficulté existentielle qu’il ne peut pas élaborer. Le même genre de pro-
blème peut exister au niveau de l’organisation temporelle.
Une approche rééducative, technique, lui « apprenant » à s’orienter
ne pourra qu’aggraver son système adaptatif. C’est-à-dire qu’il sera
très coopérant au cours des exercices et pourra se montrer performant
dans la réalisation. Mais à l’occasion d’une situation non familière, il
ne saura pas davantage s’orienter car le thérapeute ne sera pas là pour
114 L’enfant : de l’agi au représenté

l’aider à se repérer. En effet, la problématique n’aura pas du tout été


abordée dans cette perspective rééducative et même totalement évitée.
La dernière symptomatologie que je souhaiterai aborder est celle des
problèmes rencontrés autour de la latéralité. Ceux-ci renvoient à une
difficulté existentielle comme l’a souligné Sylvie Cady dans son livre
(1988). Par exemple, tel enfant ne pourra pas utiliser la main dominante
du fait d’une angoisse de castration liée à l’utilisation de celle-ci. La
latéralité en miroir est à comprendre comme une difficulté de sépara-
tion d’avec sa mère. Par exemple, l’enfant utilisera sa main gauche,
seulement parce que sa mère utilise sa main droite (en miroir, il s’agit
de la même). L’enfant et sa mère, dans ce cas là, sont dans un même
espace, non différencié. Le travail thérapeutique consistera donc là à
aider l’enfant à se différencier de sa mère et acquérir une latéralité
usuelle qui lui soit propre.
Dans tous ces exemples de symptomatologie psychomotrice que
nous venons d’évoquer, nous avons pu noter combien il était important
de comprendre dans quel type de fonctionnement psychopathologique,
les troubles psychomoteurs sont apparus.
Un lien entre le fonctionnement imaginaire, la problématique affec-
tive et la symptomatologie sont à mettre en évidence au cours de l’exa-
men psychomoteur. Un examen psychologique utilisant par exemple le
WISC-R et un test projectif (CAT, TAT, voire le Rorschach) peut être
tout à fait complémentaire à cette étude et nous aider à faire des liens
entre les problèmes existentiels du patient et la symptomatologie psy-
chomotrice ou la somatisation.
De là, une approche thérapeutique englobant les problèmes psychi-
ques et somatiques est à envisager.

Corps familial et difficultés instrumentales de l’enfant4


Il est toujours étonnant de constater à quel point le corps de l’enfant
et le corps familial sont en harmonie, ce qui nous est la plupart du
temps signifié dans la consultation des difficultés instrumentales que
présente l’enfant.
« L’image du corps est un objet différent selon l’usage que l’on en
fait, nous dit Paul Schilder, et elle est toujours d’une certaine manière la
somme des images du corps de la communauté ».
Dans la consultation des enfants qui présentent des difficultés psy-
chomotrices, je me demande régulièrement si je dois commencer par
comprendre l’équipement et le fonctionnement du corps de l’enfant

4. Geneviève PLATTEAU.
Clinique psychomotrice de l’enfant 115

comme instrument « propre » ou s’il est plus adéquat de comprendre


d’abord comment fonctionne l’enveloppe familiale qui le contient.
S’agit-il de comprendre les parties du corps de l’enfant comme parties
de la famille? L’instrument défaillant, c’est-à-dire l’enfant, souffre-t-il
plus dans son corps ou protège-t-il les autres parties, c’est-à-dire la
famille, d’un fonctionnement douloureux et moins abordable ? Ce qui
est clair, c’est que le problème de l’enfant le différencie des autres
membres de la famille, alors que par ailleurs tout semble baigné dans
une ambiance unie, sereine et indivisible. Même si ces familles me
semblent montrer certaines caractéristiques, il ne s’agit pas nécessaire-
ment de « dysfonctionnement » mais beaucoup plus de particularités
qui leur sont propres.
La difficulté dans l’étiologie des troubles instrumentaux est sa multi-
plicité et sa diversité : il n’y a pas une cause mais une série de causes
qui font la difficulté de l’indication thérapeutique. Gisèla Pankow nous
dit en 1977 que « les zones de destruction de l’image du corps corres-
pondent aux zones de destruction de la structure familiale » : elle expli-
que que l’autre devient « espace » — « enveloppe » mais ne peut avoir
de désir car il fait « bloc avec ». Tant que l’enfant est vécu comme par-
tie du corps de sa mère, et par ce fait soumis au désir et à la parole de sa
mère, celle-ci est contente, mais elle repousse l’enfant pour ne pas
montrer qu’elle a besoin de cette symbiose. L’approche et le rejet sont
compris dans un même mouvement entre partie et totalité, ce qui ne
donne aucune issue (G. Pankow, 1977).
Je pense que souvent l’origine des troubles instrumentaux et des
difficultés présentées dans ces familles est en lien avec ce qui est de
« l’espace de séparation » et de « l’angoisse de séparation ». L’espace
de séparation, premier espace qui sépare, qui sépare le corps, qui crée
la défusion, et l’angoisse qui en découle. Les corps mère-enfant ne for-
ment plus un corps mais deux entités différentes. C’est l’individualisa-
tion, mais aussi l’insécurité. Cette séparation mère-enfant ne peut
s’effectuer que grâce à l’appartenance à un groupe. Le processus de
séparation permet de dépasser et d’intégrer la position dépressive, il
permet de reconnaître ses propres limites, et en même temps, il recon-
naît l’autre dans son altérité. C’est la capacité qu’a l’enfant de se sépa-
rer de sa mère, de se différencier : c’est le moment de la séparation
« moi, non-moi » permettant le début de la représentation. La parole est
l’un des premiers mouvements de la symbolisation, nécessitant une
désunion, une distance, une distinction, une séparation.
Berger nous disait en 1984 que « si l’autonomisation n’est envisagea-
ble pour personne, c’est que la zone commune partagée par les parents
et l’enfant concerne la dépression, l’absence d’espoir, ou traumatisme
réel, ou un autre champ commun dont la caractéristique est d’être
116 L’enfant : de l’agi au représenté

source d’insatisfaction. Parents et enfants ne peuvent y puiser la sécu-


rité nécessaire pour s’éloigner les uns des autres. Le champ commun
des parents et de l’enfant n’est pas assez satisfaisant pour que ce der-
nier puisse renoncer à une très grande proximité physique et/ou psychi-
que avec eux ». Il nous dit aussi « c’est la référence à l’histoire
individuelle des parents qui introduit la différenciation tout en souli-
gnant le champ commun » (M. Berger, 1984). Quelques années plus
tard, en 1990, Berger va toujours dans le même sens et nous dit : « Le
début de la différenciation entre projection et monde externe, ne se
construit pas par frustration, mais par son inverse, par apaisement et
satisfaction. Ceci a nécessité que les projections transitent par un cadre
familial qui présente une permanence tant affective que temporelle, qui
contienne les variations de l’état psychique de l’enfant sans être désor-
ganisé ou débordé par elles » (M. Berger, 1990).
Si je prends le cas d’un enfant que je nommerai « Adrien » :
Cet enfant intelligent a de nombreux troubles instrumentaux et comportementaux
dans une structure de personnalité fragile. Il a eu d’importants troubles somatiques dès
la petite enfance tels que allergies, diarrhées, vomissements. Les parents vivent dans la
même maison que les grands-parents maternels et l’arrière grand-mère maternelle. Les
grands-parents paternels vivent à quelques centaines de mètres de cette maison.
Adrien sera élevé par sa mère et ses deux grands-mères. Les grands-parents inter-
fèrent toujours énormément dans la vie familiale et il existe une énorme rivalité entre les
trois couples (parents — grands-parents maternels — grands-parents paternels) qui se
joue par rapport à « qui exerce le mieux le rôle parental ? ».
Adrien, aîné de trois garçons, est le principal enjeu de ce conflit et lorsqu’il est trop
difficile, il séjourne chez les grands-parents paternels.
Les parents somatisent : la mère a un ulcère à l’estomac, de l’anémie, des
problèmes aux intestins. Le père, en conflit tacite avec sa mère depuis toujours,
n’aborde toujours pas cette mésentente car il craint la rupture de relation, ou de « tuer »
sa mère qu’il décrit comme une malade imaginaire. Adrien semble, lui, agir l’agressivité
non dite et continuer à réunir « tous ses parents ».
Les angoisses d’Adrien passent dans son corps et le paralysent tout à fait. Parallè-
lement, la mère dit : « Toute ma famille est très angoissée, mon père est dépressif, ma
mère et mon frère sont soignés pour des angoisses et moi chaque fois que je passe
devant l’école de mes enfants, ça se noue dans mon ventre ».
Le père dit ne pas connaître l’angoisse mais se montre un père hyper autoritaire,
parfois très rejetant et fonctionnant sur le déni. Même si Adrien fut pris en charge indivi-
duellement, en thérapie du développement, la famille fut suivie parallèlement par le
même thérapeute.
En effet, il était impensable pour eux de différencier les personnes. Ils voulaient le
même référent pour leur enfant et pour eux-mêmes. Un travail considérable s’effectua,
d’alliance à l’unité familiale, de renarcissisation des parents, de renforcement de leur
rôle parental, de dédramatisation de l’angoisse. Les entretiens familiaux leur permirent
de mettre des mots sur les événements chaotiques, de leur donner un sens et de se les
approprier.
Quand ils demandèrent que le deuxième enfant soit examiné, car il présentait des
tics, de l’angoisse et de l’énurésie, ce fut l’occasion d’entrer petit à petit dans un
processus de différenciation et de les envoyer chez un autre thérapeute.
Clinique psychomotrice de l’enfant 117

A ce moment là, Adrien put occuper tout son espace, mettre lui-même des mots sur
ses symptômes corporels et oser commencer à s’approprier son thérapeute (après deux
ans) en proposant des jeux où l’on pouvait se toucher.
Il commença à se poser des questions sur la vie familiale, mais « en dehors » de la
maison. Il put affirmer son désir de continuer sa thérapie, même devant son père qui
tentait de dire qu’il n’avait plus envie de venir.
Ce cas illustre de nombreux points que nous retrouvons dans les
familles d’enfants ayant des troubles instrumentaux. Dans ces familles,
les parents s’expriment plus par le corps en ce sens que ce sont des
parents qui somatisent facilement, ou qui sont débordés par leur hyper-
activité ou qui cumulent les deux. C’est le corps qui traduit les affects
qui ne peuvent pas être nommés. « L’agi » est très important, voire
vital, « le senti » est dangereux. Si l’affect montré par le corps et la
parole vont dans le même sens, c’est vécu comme menaçant. Il y a une
grande distance entre les deux, et une non-congruence entre le contenu
et l’analogique. Il existe là, je pense, une angoisse de séparation sous-
jacente et archaïque dans ces familles. La parole, symbole de l’affect et
de sa représentation, montrerait une séparation, une relation plus dis-
tante puisque symbolisée : d’où l’on choisit que ce soit le corps qui tra-
duise et montre ou ne montre pas l’affect, ce qui maintient une relation
plus intime, plus proche, une famille plus unie.
Il y a dans la famille, comme chez l’enfant, un « mal être corporel »,
le corps est maladroit ou souffrant, mais sans lien avec l’intérieur. Ceci
engendre toutes les règles d’indifférenciation, de confusion, de limites
non définies dans le temps et dans l’espace, de frontières inexistantes.
Souvent nous retrouvons chez les enfants nous consultant des enfants
ayant été élevés par plusieurs personnes ayant des liens proches. Les
repères affectifs s’avèrent alors difficiles et en même temps, une agres-
sivité se révèle intensivement par rapport à la mère à qui à la fois
l’enfant fait inconsciemment des reproches, et par rapport à qui il
recherche une proximité « trop grande », donc intolérable.
Je pense à Thomas :
Cet enfant est élevé parallèlement par sa mère et sa grand-mère maternelle
(présente quotidiennement). Actuellement Thomas échoue à l’école alors qu’il est intel-
ligent.
L’examen psychomoteur montre de gros problèmes d’indifférenciation et de coor-
dination au niveau du corps.
Thomas, âgé de dix ans, dort toujours non seulement dans la chambre de ses
parents, mais dans le lit de ses parents à côté de sa mère. Thomas a, dans sa petite
enfance, présenté des vomissements pendant plusieurs mois. Actuellement, il dort avec
un seau à côté du lit imaginant toujours vomir.
Dans l’histoire familiale, les espaces étaient réduits et le temps n’était pas
« inscrit ».
Le père estime avoir eu une enfance heureuse, mais il a été élevé par ses grands-
parents paternels, ne sait pas qui est sa mère et a vu quelques fois son père. La mère a
été élevée par sa mère seule. Son père est parti quand elle avait cinq ans. Sa mère a
118 L’enfant : de l’agi au représenté

beaucoup travaillé pour s’en sortir seule. Son père est revenu, et a réépousé sa mère,
quand elle s’est mariée elle-même.
Les parents de Thomas en se rencontrant étaient avides de former une famille très
unie. Leur fille aînée fut à ce point colérique et difficile qu’ils ont attendu dix ans pour
faire leur second enfant et ont renoncé au troisième.
Le père se présente comme un « grand-père » et est peu présent. La différence des
générations est déniée. L’enfant fait partie d’une cellule familiale et semble plus consi-
déré comme « objet » que comme « sujet ». Son temps et son espace sont appropriés par
la mère qui elle-même ne fait rien pour elle. La famille n’a pas de liens extérieurs.

Il y a un fonctionnement entre le tout ou rien qui infiltre les difficul-


tés d’apprentissage. « Cette confusion permanente entre la partie et le
tout se retrouve au niveau corporel : lors des syncinésies, un geste
d’une partie du corps s’accompagne de mouvements des autres parties
et lors des paratonies, le corps du sujet est pris par l’hypertonie. Dans
les troubles praxiques, le transfert du mouvement s’opère non dans une
partie ou sur la totalité du corps propre, mais dans un espace qui est
celui d’autrui… par une sorte d’identification de substitution d’autrui à
soi-même » (M. Berger, 1990).
Je pense que le problème d’identité est réel chez Thomas et qu’il ne
peut actuellement se distancier et se différencier que par une agressivité
violente et destructrice. La fusion et la confusion du système familial,
l’inhibent et lui interdisent de fantasmer… Fantasme et réalité se con-
fondent et l’angoissent. Son corps n’est pas sa propriété.
Je pense qu’avant d’entreprendre une thérapie de développement
avec Thomas visant l’investissement de son propre corps, l’investisse-
ment d’un espace privilégié dans une relation privilégiée, l’appropria-
tion de son temps et de son espace, le thérapeute doit montrer la
nécessité d’une collaboration avec la famille. En effet, l’enfant serait
pris dans des messages contradictoires : s’approprier un espace qui lui
serait propre, et partager l’espace parental. C’est pourquoi, c’est avec
l’aide de la famille qu’un traitement de l’enfant est possible. Les
parents de Thomas ont vite compris qu’il était nécessaire de redistri-
buer les espaces dans leur intérieur. Dès lors un traitement individuel
put s’entamer où les parents se sont sentis d’emblée « les partenaires »
nécessaires du thérapeute de leur enfant. Berger nous dit en 1990 : « Le
fonctionnement étroitement fusionnel est maintenu parce que la rela-
tion entre les membres du groupe était source d’insatisfaction profonde
qui empêchait tout détachement » (M. Berger, 1990). « Les affects qui
apparaissaient comme les plus originels étaient des sentiments de
dépression profonde, d’angoisse de ne pas arriver à se relier à autrui.
Nous nous trouvons confrontés au paradoxe suivant : plus une famille
est fusionnelle, moins les sujets qui la composent peuvent se représen-
ter comme unis. Cette carence de représentation « objet–famille » les
oblige à maintenir une symbiose comportementale dans la réalité »
Clinique psychomotrice de l’enfant 119

(M. Berger, 1990). C’est le cas du père de Thomas qui s’est contenté de
ce qu’on lui a présenté de sa famille mais n’a jamais cherché à connaî-
tre son histoire, c’est-à-dire celle de sa mère et celle de son père et qui
n’a donc jamais pu se représenter l’interaction de ses parents. Ce père
se décrit comme démissionnaire et incapable de liens propres.
Dans ces familles, le vécu du temps est souvent inadapté, ou seule-
ment fonction d’eux-mêmes, et non de la réalité extérieure. Il est par-
fois tout à fait nié pour éviter le vécu de « séparation ». Il y a une
confusion « dedans – dehors », puisqu’il semble qu’il n’y ait que le
« dehors » qui existe pour l’espace, et le « dedans » pour le temps.
L’image interne que la famille vit et l’image qu’elle montre se confon-
dent alors qu’elles sont très différentes. (Ce sont souvent des familles
qui demandent qu’on aille chez elles et ne veulent qu’un seul théra-
peute). Ces enfants en traitement confondent le lieu de la thérapie et
l’extérieur de ce lieu : ils ont besoin d’explorer les alentours de ce lieu;
il confondent « espace privilégié » correspondant plus à un espace
vécu, et « espace extérieur ». Il y a du reste dans ces familles des espa-
ces mal gérés dans le sens de « quel espace appartient à qui
précisément? ». Ce sont des familles portes ouvertes et il y a une confu-
sion des espaces, c’est-à-dire une sorte d’envahissement et d’intrusion
dans l’espace de l’autre. Il y a des limites qui ne sont pas claires entre
ce qui est réalisable ou pas, ou ce qui est permis ou pas, des frontières
très floues qui entraînent une confusion des repères, une confusion des
désirs ou non-désirs qui peuvent parfois entraîner une confusion de la
réalité. Ce sont souvent des parents qui ne peuvent pas mettre un
« stop » à leur enfant et ne jouent pas leur rôle de pare-excitation.
Par opposition, si les parents sont différenciés, ils deviennent beau-
coup plus une limite du corps qui protège et donne droit d’avoir son
propre corps à soi. L’image de soi est fragile, la seule image montrée
comme solide est l’image de l’unité familiale.
Dans les problèmes d’agressivité, les conflits sont montrés comme
inexistants : ils ne peuvent être nommés car ce serait dangereux et
menaçant pour l’équilibre familial, il y aurait un risque de différencia-
tion. Les seuls conflits « parlés » sont ceux des enfants entre eux, car
ces enfants étant vécus comme « objets » beaucoup plus que comme
« sujets », ces conflits ne sont pas vécus comme menaçants. Ils sont
maîtrisables pour les parents. Ces familles ont peu d’espace intérieur :
les individus ont beaucoup plus tendance à « agir » qu’à « intérioriser ».
On peut dire que ce sont des gens qui consultent et poursuivent leur
traitement car cela fait partie de leur action. Mais ces parents qui ont du
mal à considérer leur enfant comme sujet, comme être distinct d’eux-
mêmes, sont très souvent encore les enfants de leurs propres parents
avant tout, pour répondre aux désirs des grands-parents. Ils ont besoin
120 L’enfant : de l’agi au représenté

du corps de leur enfant pour se sécuriser dans leur peau, ils trouvent
chez leur enfant ce qu’ils n’ont pas reçu de leurs parents.
L’image familiale est donc fragile puisque non-identifiée ; il y a une
confusion des rôles, des normes, des limites et parfois des sexes. Les
relations sont mal définies. Personne n’a sa place ou tout le monde peut
avoir la même place. On pourrait parler comme le dit Bowen de
« masse indifférenciée de l’ego familial » (M. Bowen, 1984). Les trou-
bles sont marqués aussi bien dans le corps individuel que dans le corps
familial. L’enveloppe corporelle et l’enveloppe familiale sont fragili-
sées. Il y a un lien entre le manque de repères familiaux et le manque de
repères corporels. Ce sont deux systèmes différents imprégnés des
mêmes règles. Les difficultés psychomotrices de l’enfant sont souvent
dues à une indifférenciation entre son corps et celui de ses parents, son
psychisme et celui de ses parents. Il s’agit donc de comprendre les rela-
tions entre les corps comme des relations entre les formes : il faut
reconnaître les parties en tant que parties, et établir à partir de cette
base, la conception de l’unité du corps qui pourrait être séparé d’un
autre corps.
Le thérapeute vise donc à utiliser la famille dans sa totalité et chaque
membre du couple comme référent différencié et stable permettant des
repères familiaux clairs. Ceci permet de relancer les processus
d’identification, et d’enveloppe commune, en même temps.
« L’expérience du corps se conçoit dans l’opposition dialectique du
corps réel et du corps imaginaire. Le corps : à l’origine du contenu et de
la forme de l’imaginaire » (Sami-Ali, 1984). C’est cette dialectique
entre le corps réel et le corps imaginaire qui me paraît intéressante : elle
permet de comprendre les difficultés réelles du corps de l’enfant en ten-
tant de les relier à l’histoire mais aussi à l’imaginaire du corps familial.
Ce lien, entre la structuration dans l’espace et dans le temps du corps
individuel de l’enfant, et les fantasmes de l’histoire de la famille suggé-
rés par le même thérapeute, permet à l’enfant de laisser s’ouvrir
l’espace de « son propre imaginaire ».
C’est ce que démontra le petit David âgé de sept ans se présentant de
façon tout à fait destructurée tant au niveau psychique que physique.
Après quelques séances familiales où son histoire d’enfant colom-
bien adopté fut retracée avec les attentes fantasmatique des parents et
après une série de séances individuelles où j’ai proposé des jeux de bal-
lon structurés dans le temps et dans l’espace, des jeux de camp repré-
sentant la Belgique et la Colombie, David put me demander ce qu’était
un orphelinat et pourquoi sa maman de Colombie l’avait abandonné. Il
put me raconter tous ses fantasmes par rapport à l’abandon de sa
maman d’origine et me dire qu’il était fâché sur sa mère adoptive qu’il
imaginait l’avoir « enlevé » à sa première maman. Une série de jeux de
Clinique psychomotrice de l’enfant 121

« voleur d’enfant » où il mit en scène ses fantasmes d’abandon de façon


structurée l’aidèrent à bien progresser.
Ce qui m’apparaît fondamental, c’est l’alliance du thérapeute à la fois
à l’enfant et à la famille. La structure sécurisante (thérapeute – famille –
école) autour de l’enfant créé un espace intermédiaire et une garantie du
processus d’évolution. « Ayant abandonné le mythe de la neutralité et de
la séparation, le thérapeute n’a pas non plus la prétention de connaître
objectivement la réalité en tant que « vérité absolue » (Onnis L., 1991).
Il me paraît essentiel que le traitement soit une « co-évolution », « enfant
– famille – thérapeute » où chacun s’investit dans une durée non-limitée
et dans un espace où chacun est un créateur distinct. Les failles narcissi-
ques basales, comme le dit D. Flagey, sont tellement importantes chez
ces enfants et dans ces familles qu’il paraît primordial de tout mettre en
œuvre pour éviter toute nouvelle expérience d’échec.
Le corps de l’enfant est un signal pour l’adulte, et sa lecture nous
permet d’entrevoir d’autres signes dans le corps familial. Le partenariat
« thérapeute – famille – enfant » autorise à imaginer les liens symboli-
ques entre ces deux corps réels (corps de l’enfant et corps familial) et
rétablit les processus d’identité et d’autonomisation.

Troubles psychomoteurs

 Latéralité et troubles lexico-graphiques5


Se situant à l’intersection du corps réel et du corps imaginaire par la
référence qu’elle instaure à l’égard du neurologique, du psychique et
aussi du social, la latéralité accompagne la genèse de la personnalité et
représente à ce titre l’élément diagnostic majeur de la psychomotricité.
Différents facteurs s’y trouveront donc impliqués : ceux qui sont
issus du psychique, s’articulant au conflit œdipien, ceux qui font réfé-
rence au facteur héréditaire et à la dominance hémisphérique, c’est-à-
dire au champ neurologique, sans oublier les facteurs sociaux dont
l’importance est capitale, la latéralité pouvant représenter les moyens
de pression et d’échanges entre l’enfant et sa famille, ou encore avec
l’école. On notera aussi que la référence sociale, bien qu’en régression
à l’heure actuelle, indique la préférence marquée pour la droite, comme
le montre le terme « mal à droit ».
Il y a généralement dans l’ensemble des civilisations occidentales et
orientales davantage de droitiers que de gauchers, mais le problème
génétique ne saurait masquer les problèmes psychologiques qui se

5. André CALZA, Maurice CONTANT.


122 L’enfant : de l’agi au représenté

rattachent à la structuration de la latéralité accompagnant la structura-


tion psychique de l’individu.
A l’heure actuelle, il semble que l’attitude de répression éducative
concernant le choix préférentiel de la main droite est en régression ce
qui n’exclut pas l’exigence du conformisme qui s’impose à l’enfant dès
son entrée au cours préparatoire, exigence sociale, scolaire, qui ne peut
tenir compte de l’évolution affective de l’enfant. Celui-ci, n’ayant pas
encore choisi de façon certaine entre sa main droite et sa main gauche,
est obligé de s’adapter à l’obligation qui lui est faite, et à se normaliser
par rapport à un rythme et à une forme d’écriture et de lecture allant de
gauche à droite.
Pendant ses années d’apprentissage scolaire, l’enfant peut se trouver
en situation fragilisante tant pour des raisons psycho-affectives que
pour des raisons de gaucherie. Il peut donc être mis en difficulté du fait
de l’organisation spatiale, généralement prévue pour les droitiers et
enseignée par des droitiers. L’enfant gaucher est ainsi obligé de trans-
poser les informations au plan spatial et au plan moteur, ce qui lui
demande un temps de latence.
Les travaux récents effectués sur les hémisphères cérébraux
(Hecaen, 1984) indiquent clairement qu’il n’existe aucune référence
qualitative au niveau des transmissions cérébro-motrices ; et les deux
hémisphères travaillent de manière équivalente par l’intermédiaire du
corps calleux qui assure les transferts d’apprentissages d’un hémis-
phère à l’autre.
La dominance hémisphérique se réalise tardivement, l’observation
des tout-petits permet d’ailleurs de constater qu’ils utilisent indifférem-
ment la main droite ou la main gauche. Ce n’est donc que progressive-
ment qu’une dominance s’établit, du reste assez tardivement, ceci
expliquant que, dans cette structuration neurologique, des facteurs psy-
chiques puissent intervenir et jouer finalement un rôle important qu’il
faut distinguer des facteurs proprement neurologiques.
Deux types de facteurs nous paraissent intervenir dans cette mise en
place :
– Les facteurs sociaux modifient d’une manière importante les rap-
ports importants à la latéralité, puisque l’obligation d’écrire d’après un
mode conventionnel, à un rythme conventionnel, le contraignent à dif-
férencier la représentation corporelle de la gauche et de la droite. Ainsi
est donnée à l’enfant la représentation d’un corps où s’inscrivent des
différenciations qui peuvent s’avérer néfastes si, par exemple, l’enfant
gaucher est obligé d’écrire de la main droite faute de n’avoir pu faire un
choix délibéré à temps. C’est ainsi que Freud, gaucher contrarié, pou-
vait parler de « misérable représentation de l’espace lui donnant
l’impression d’avoir deux mains gauches ».
Clinique psychomotrice de l’enfant 123

– Les facteurs psycho-affectifs dans la structuration de la latéralité


passent par deux moments importants : celui de l’art du maternage,
assuré par la figure maternelle lui permettant une double circularité
d’échanges indispensables à la structuration de la latéralité. Premier
mouvement organisateur précédent celui de l’identification corporelle à
la personne du même sexe, créant la différenciation qui structure
définitivement la latéralité dans la référence œdipienne.
De là peuvent découler les difficultés dans l’organisation libidinale
de la latéralité; car l’échec du premier niveau entraîne une stase « en
miroir », l’enfant adoptant l’utilisation de la main droite en référence à
une figure maternelle omnipotente qui n’a pas pu lui permettre de
s’autonomiser. L’espace de la représentation étant un espace figé, géré
par autrui, il n’est pas certain que le sujet soit parvenu à une structura-
tion œdipienne et ce type de difficulté renvoie aux troubles instrumen-
taux. L’échec du second niveau s’inscrit davantage dans un accès à la
situation et au conflit œdipien, puisqu’il résulte d’une identification
massive à la personne du même sexe, se traduisant par l’utilisation de la
main opposée à la main dominante au plan neurologique par
identification à la main qu’utilise le parent du même sexe.
La représentation du corps dans l’espace et de l’orientation est en
concomitance avec cette structuration. Les notions droite/gauche, haut/
bas, devant/derrière, sont issues de cette possibilité de se représenter
soi par rapport à l’autre, et l’autre par rapport à soi.
C’est ainsi que la représentation du corps dans l’espace issue d’une
difficulté pour le sujet de se différencier de l’autre se traduit au plan cli-
nique par une représentation d’un espace figé, le sujet pouvant donner
la droite et la gauche uniquement grâce à un phénomène en miroir, de
façon exacte sur lui et en miroir sur autrui, démontrant ainsi l’existence
d’une relation spatiale non dialectisée, masquée par des trucs adaptatifs
qui lui donnent la sensation d’exister dans son corps.
En illustration de ce qui précède, prenons deux cas d’enfants :
Thomas est âgé de six ans lors de sa première consultation au dispensaire. Il est
agressif à l’école et instable en classe. Il est élève du C.P. Lorsqu’il est en rang, « il se
bat pour être en tête » indique sa mère. Puis elle dit : « En classe, ça va, sauf quand il ne
sait pas… alors, il envoie tout en l’air. Cela s’est déclaré au moment où j’ai divorcé, il y
a trois ans… ».
Pendant toute la consultation, Thomas reste la tête enfouie sur les genoux de sa
mère, ne regarde pas et ne répond pas aux questions. Sa mère indique : « Il est toujours
comme ça… il se tortille, il vit autour de moi… ». Elle se sent très coupable de cette
situation et explique : « On a divorcé, parce que nous vivions deux vies parallèles, sans
vie de famille… Quand on a un mari, c’est pour vivre à deux… ». A propos de son ex-
mari, elle continue de dire « mon mari » et ajoute : « Mon mari est très distant, très sec.
Chaque fois que je le vois, ça me fait quelque chose… ».
Elle reconnaît avoir tendance à surprotéger Thomas. Son entourage dit qu’elle
n’est pas assez sévère : « Avec son père, il est bien… avec moi, quand il ne veut pas
124 L’enfant : de l’agi au représenté

obéir, il fait des caprices terribles, il me tient tête… mais je ne cède pas… Par moments,
il m’épuise, ce sont des rapports de force ! ». Elle le trouve remuant et maladroit et
remarque qu’il tombe très souvent.
– Notons encore que Thomas a une sœur aînée âgée de neuf ans, qu’on a récem-
ment opérée d’un défaut de convergence visuelle.
– Outre son instabilité, l’examen psychomoteur révèle chez Thomas une angoisse
sous-jacente qui ne peut s’exprimer qu’à travers un perpétuel mouvement du corps qui
empêche l’altérité du rythme. Du point de vue spatial, Thomas inverse systématique-
ment la représentation droite-gauche sur lui et sur autrui. La latéralité neurologique est
située à gauche pour l’œil et la main, à droite pour le pied.
La façon dont Thomas aborde l’arithmétique est bien significative de cette organi-
sation particulière. Ainsi, si on lui propose d’additionner deux nombres, comme par
exemple 10 + 3.
Ce que l’on constate avec les additions posées verticalement, c’est que le signe +
se trouve posé sous le chiffre des dizaines, donc à droite de l’opération, l’unité étant
inscrite sous le premier chiffre, donc à gauche de l’opération, par conséquent dans une
position spatiale inversée, en miroir. Néanmoins, le résultat est juste, Thomas effectuant
le calcul sur ses doigts.
Si l’addition est maintenant posée horizontalement, un autre fait significatif appa-
raît. Thomas ne parvient pas à placer un quelconque chiffre à droite du signe =. Il inscrit
le résultat à gauche du signe =, ce qui donne, par exemple :
2 + 24 = (au lieu de 2 + 2 = 4), ou encore :
3 + 36 = (au lieu de 3 + 3 = 6).
L’organisation spatiale chez Thomas renvoie à l’espace tridimensionnel qui doit en
principe permettre à l’enfant de briser le miroir de l’espace duel. Mais, chez l’enfant, la
séparation intervenue entre ses parents alors qu’il avait trois ans a fragilisé le développe-
ment des objets internes et sa capacité à maîtriser sa musculature. Il n’est pas à même de
supporter son agressivité généralement traduite sur un mode anal de mise à distance. La
séparation réelle a réactivé l’angoisse de séparation d’avec la figure maternelle et
s’accompagne d’une recrudescence de la culpabilité.
Chez Thomas, les dessins sont sexués bien que de manière rudimentaire au niveau
graphique. Ainsi, sur la partie gauche d’une feuille, son dessin s’accompagne du
commentaire : « Un petit garçon qui a perdu sa maman dans la forêt, sa maman s’est
retournée pour regarder derrière elle, et lorsqu’elle a regardé devant, il n’y était plus. La
police est prévenue, mais en reculant risque d’écraser le petit garçon ».
Sur la même feuille, une autre histoire apparaît séparée de la première par un arbre
immense. A droite de l’arbre : « Le papa, il voulait casser l’arbre et il s’est cassé la
voiture ». « Sur le toit, un voleur qui n’a pas pu prendre la voiture car elle était cassée ».
En haut de la feuille, à l’aplomb de l’arbre, un soleil-visage domine le tableau. Ce
dessin donne à penser que, bien que présents, les éléments fondateurs de la structuration
œdipienne restent séparés les uns par rapport aux autres, voire même parallèles.
Ici, nous constatons toute une série d’images du corps, projetées soit
à travers le dessin, soit à travers les additions, voire même à travers les
discours maternels, la motricité malhabile de Thomas et la latéralité.
On y trouve quelque chose de commun, tant au point de vue formel
qu’au point de vue dynamique. Ces images du corps — au sens clini-
que du terme — présentent des affinités et sont structurées sur un
même modèle, modèle actualisé dans chacune des images et non par
une des images.
Clinique psychomotrice de l’enfant 125

Il existe donc un grand X dont on ne s’occupe pas directement,


mais on peut déduire que, ces images ayant la même caractéristique
formelle et dynamique, elles sont élaborées de la même manière.
Quelque chose se projette dans ce grand X qui est le corps en tant que
schéma de représentation.
L’angoisse de séparation et le X que l’on retrouve dans le discours
maternel (les vies parallèles, le mari) sont également dans le dessin de
l’enfant et la séparation de la mère et de Thomas est dévastatrice puis-
que la police devient dangereuse. La double séparation d’avec le père et
le mari est représentée par un arbre immense et une voiture cassée, la
mère et l’enfant étant à gauche de l’arbre et le père à droite.
Dans les additions, gauche et droite réapparaissent. Le père ne peut
plus être représenté à droite du signe = qui renvoie aussi aux deux vies
parallèles. Et pour Thomas, l’impossibilité d’accéder à l’altérité du
rythme corporel prolonge cette série.
Aux prises avec cette angoisse de séparation, Thomas se réfugie
dans une relation de dépendance à l’égard de la mère ce qui se traduit
au plan de la perception par des relations spatiales symétriques et
complémentaires.
Dès lors, le travail du psychomotricien consiste à suivre une progres-
sion allant d’une relation objectale fusionnelle à la conquête d’une
image du corps autonome corrélative de l’accession à l’œdipe.
Cette observation psychomotrice nous ramène à la psychopathologie
freudienne ayant pour base de fonctionnement l’échec du refoulement
et le retour du refoulé.
La conception du corps qui en découle et dont elle est issue est celle
du modèle hystérique conversionnel.
Rappelons un fois encore que le corps dans l’hystérie présente le
même statut que dans le rêve : il est une présence imaginaire, fondée
sur une anatomie régie par des lois particulières qui ignorent l’anato-
mie du corps comme le précise Freud (1956).
Nul doute que le symptôme hystérique parle. S’il n’est pas réductible
au langage, il puise à la même source que lui, source que le corps four-
nit par ses possibilités expressives les plus élémentaires et qui se
retrouvent intégralement dans l’élaboration onirique.
A l’instar du rêve, les symptômes hystériques sont le lieu où se maté-
rialise par déplacement et condensation un désir inconscient. Les proces-
sus primaires possèdent un rapport d’équivalence avec la métaphore et la
métonymie. Le corps renvoie alors au langage verbal, décodable, comme
dit Freud (1956), dans ses études sur l’hystérie, comme des hiéroglyphes
où le mot est égal à la chose et l’alphabet où la lettre est l’objet.
126 L’enfant : de l’agi au représenté

Tout différemment se présente la cas de Lionel — déjà présenté dans


notre livre L’Unité psychosomatique en psychomotricité (M. Contant,
M. Calza, 1989).
Agé de huit ans, Lionel est élève d’une classe de CE1. Il a été examiné à l’instiga-
tion de son institutrice, inquiète de la fréquence des inversions dans les dictées et le
calcul de l’enfant. Et, lorsqu’il est en rang, il confond aussi devant et derrière.
Lors du premier entretien en psychomotricité, la mère de Lionel arrive accompa-
gnée de sa sœur aînée. Celle-ci « profite de l’occasion » pour parler de sa fille qui
éprouve, semble-t-il, de graves difficultés. En fait, les deux sœurs ont épousé deux
frères. Pour ce qui est de Lionel, sa mère explique que les premières difficultés se sont
manifestées chez lui alors qu’il présentait un syndrome de West (à 5 et 11 mois). A un
an et demi, il ne tenait pas assis, était hypotonique et, d’après sa mère, se montrait très
craintif par suite de sa maladie, soignée à la cortisone.
Depuis lors, la mère reconnaît avoir hyperprotégé son fils. Lorsqu’il a été en âge de
fréquenter le cours préparatoire, elle lui a fait donner des cours particuliers et l’a elle-
même aidé le soir pour « essayer de lui donner une marge ».
L’endormissement pose toujours problème depuis ses quatre ans. Il ne se laisse pas
aller : « Dès qu’il commence à s’endormir, il se reprend, et se réveille ».
D’après la mère, l’enfant, d’une façon générale, manque de méthode. « Au piano,
comme ailleurs, c’est toujours un problème de ligne : il ne suit pas la ligne ». Ce à quoi
elle s’attache, c’est de lui apporter « méthode » et manière de suivre « la ligne ». Dès
lors, l’enfant va être structuré par une figure maternelle omniprésente. C’est ainsi que,
Lionel écrivant de droite à gauche, sa mère va lui structurer l’écriture et la lecture, en lui
indiquant la direction à suivre par une grosse flèche rouge qu’elle place en haut de la
feuille. Un point dans la marge indique à Lionel où il doit s’arrêter (horizontalement).
Toujours dans la marge, elle place des chiffres : 1, 2, 3, 4, 5…, pour bien montrer à
l’enfant à quelle ligne il se trouve sur le plan vertical. En calcul, le problème se
complique, Lionel posant les centaines, dizaines et unités, toujours en partant de la
gauche, pour faire ses opérations. Il est vraisemblable que l’enfant ne fait plus la distinc-
tion entre le sens de l’écriture et le sens des opérations, puisqu’il doit s’en référer à un
seul modèle, celui que dicte l’instance surmoïque, en l’occurrence, la mère.
Au moment de l’examen, Lionel se présente comme un enfant craintif, peu
remuant, mais ayant une remarquable aisance verbale et un vocabulaire assez riche pour
un enfant de cet âge, ce qui compense le désinvestissement corporel au niveau spatial.
Cependant, les difficultés de représentation éprouvées par Lionel au niveau du corps
dans l’espace apparaissent rapidement. Il confond devant-derrière, inverse la représenta-
tion droite-gauche. La latéralité neurologique révèle une dominance œil-main-pied à
gauche, alors qu’il écrit de la main droite. Les dessins du bonhomme restent pauvres et
stéréotypés.
Lorsque l’on fait part à la mère de ces faits, celle-ci réplique vivement qu’elle-
même est une gauchère contrariée et qu’elle refuse catégoriquement que l’enfant soit
rééduqué maintenant avec un changement de main, par crainte qu’il ne perde son
acquis. Il faut en effet souligner que Lionel, enfant intelligent, compense ses difficultés
spatiales par un important travail de mémorisation qui l’épuise, tout en lui permettant de
se maintenir à un bon niveau scolaire.
Remarquons que Lionel utilise la main droite dans la référence « en miroir » à la
figure maternelle, elle-même gauchère contrariée, une organisation de la latéralité qui
n’a pu passer par l’identification au père, au reste très souvent absent en raison de ses
obligations professionnelles.
Chez l’enfant, les dessins laissent apparaître une reduplication de l’identique. Tous
les personnages qu’il dessine ont le même visage, dessiné suivant un code qui ne les
Clinique psychomotrice de l’enfant 127

distingue en rien les uns des autres et ne laisse transparaître aucune subjectivité ni
aucune différenciation sexuelle. L’espace est structuré autour d’une relation bidimen-
sionnelle et pour Lionel il est régi par des rapports de symétrie reflétant la latéralité
perçue sur le corps de l’autre. Les confusions spatiales se rattachent à une expérience
singulière de l’espace en tant que forme d’organisation perceptive englobant le corps
propre et celui d’autrui en une totalité imaginaire. Quant à la relation à l’autre, elle ne
peut être modifiée, l’autre étant pour lui le point fixe absolu. Ce qui est un jeu semble
bien être ici l’impossibilité de passer de l’espace corporel à l’espace de représentation.
Le rythme corporel lui-même est désubjectivisé : il est ce qui résulte de l’adapta-
tion à des normes extérieures qui régissent le temps et l’espace du sujet. Il y a donc
surinvestissement de l’adaptation sociale et contre-investissement de l’imaginaire, lais-
sant le corps réel privé de son double imaginaire, situation qui prédispose à la somatisa-
tion. La corrélation positive entre corps imaginaire et somatisation qui apparaissait dans
le cas précédent cède la place à un mode de fonctionnement mettant en corrélation néga-
tive l’imaginaire et la somatisation.
En résumé, la pathologie de l’adaptation relève chez Lionel d’un conflit œdipien
ayant ceci de particulier que, par crainte d’avoir à affronter une figure d’autorité pater-
nelle aussi bien que maternelle, il doit annuler toute activité où il pourrait s’affirmer et
s’annuler par là-même dans son corps. Et l’imaginaire, en tant que lieu d’expression de
la subjectivité, en subit les conséquences.
Le discours où sont examinés les événements exprimés dans leur littéralité devient
banal. Les rêves, quant à eux, restent près du réel ou n’intéressent pas Lionel. Cette mise
à l’écart de l’imaginaire est favorisée ici par l’incapacité de la mère d’indiquer à son fils
une autre enfance que la sienne. Et ceci, pour des besoins de rendement scolaire, de
conformisme social, d’adaptation à des situations marquant le passage d’une génération
à l’autre. On peut dès lors constater que la fonction de l’imaginaire toute entière peut
subir un refoulement qui renvoie à l’œdipe aussi bien qu’à une période pré-œdipienne.

Le refoulement de la fonction de l’imaginaire est un refoulement qui


ne se met en place que très lentement et finit par atteindre l’ensemble
des fonctionnements. Au lieu de s’intéresser au rêve, le sujet fait porter
son intérêt sur tout ce qui est réel, technique, incitateur d’activités pra-
tiques, au détriment du fantasme qui se dévalorise, de l’activité du rêve
et de ses équivalents, afin de se conformer aux normes sociales.
Ici, on a, non pas une formation symptomatique, mais une formation
caractérielle puisqu’il n’y a pas de symptôme, mais des traits de carac-
tère qu’on peut recenser sans pour autant que le sujet présente une
affection psychologique quelconque.
Il est donc nécessaire de décloisonner ces différents champs tant psy-
chiques que somatiques; en effet, un sujet présentant une maladie orga-
nique peut également développer à un autre moment une affection
proche de la psychose ou de la névrose. Il faut donc poser à tout instant
le problème du corps réel et du corps imaginaire, ainsi que celui de la
variabilité symptomatique.
On comprendra dès lors que pour la psychomotricité, le travail ne
peut se réduire à un simple enregistrement du comportement. Ce com-
portement, quelle que soit l’évidence de son déroulement, n’est lui-
même qu’une réédition et se trouve porté par une force inconsciente.
128 L’enfant : de l’agi au représenté

Si nous examinons maintenant la psychomotricité dans sa démarche


proprement dite, nous remarquons qu’elle s’attache à l’étude des symp-
tômes instrumentaux relevant des troubles de l’image du corps, et
qu’elle répond ainsi à des besoins et à des indications spécifiques. Elle
doit s’efforcer d’articuler les troubles psychomoteurs au champ des
psychonévroses et à celui des manifestations de somatisation.
Ces deux grandes formes de pathologie que sont la psychopathologie
et la pathologie organique non hystérique ont pour corollaire, au niveau
de la psychomotricité, de mettre en évidence deux types nettement dis-
tincts de troubles psychomoteurs : les troubles fonctionnels et les trou-
bles instrumentaux.
La clinique psychomotrice ne se limite pas à la seule psychopatholo-
gie, mais s’étend également à la pathologie non fonctionnelle que
recouvre le domaine de la psychosomatique non hystérique.
De ce fait, l’espace et le temps prennent une valeur de référence uni-
verselle puisqu’ils peuvent être ramenés à des contenus symboliques
dans les pathologies conversionnelles qui, si nous reconnaissons une
pertinence au modèle lacanien, s’inscrivent dans un rapport à l’incons-
cient structuré comme un langage, suivant l’équation métaphore-méto-
nymie équivalent à déplacement et condensation.
A l’opposé, les pathologies non conversionnelles présentent certes
aussi la particularité d’être repérables dans l’utilisation de l’espace et
du temps, mais non plus sous leur aspect de contenus symboliques,
mais dans l’ordre d’une genèse qui n’a pu se constituer. Ce qui se
trouve entravé ici, c’est le fonctionnement imaginaire, ce qui empêche
le corps de jouer son rôle de schéma de représentation. Le sujet est con-
traint de faire appel à ses repères incertains qui rendent problématiques
ses limites corporelles et la structuration de l’espace et du temps.
A titre d’exemple, prenons le cas de J., une adolescente de 14 ans.
J. présente des difficultés d’adaptation scolaire qui l’ont amenée à s’adresser à un
institut médico-professionnel.
Au cours de l’examen psychomoteur, elle décrit les difficultés qu’elle rencontre
tant en lecture qu’en écriture : elle confond les p et les q, les b et les d, mais elle met son
retard sur le compte de son état de santé (affection rénale idiopathique, vers 6/7 ans,
purpura thrombopénique avec possibilité d’une primo-infection tuberculeuse qui l’a
contrainte à des absences répétées à l’école.
Sans nous attarder davantage sur l’anamnèse, nous nous attacherons ici à décrire la
mise en place de « trucs adaptatifs ». En effet, J. éprouve rapidement des difficultés à se
repérer au niveau de l’espace et son intérêt se porte rapidement sur la représentation
défectueuse de la droite et de la gauche. Elle se remémore alors la difficulté qu’elle avait
éprouvée alors qu’elle était en cours préparatoire pour distinguer la main droite de la
main gauche. Aussi s’était-elle fiée aux indications que lui donnait le maître à qui elle
était d’ailleurs très attachée. Elle était obligée, dit-elle, de toucher son poignet gauche
de sa main droite, et inversement, pour s’aider à mémoriser ces notions, s’appuyant
donc sur une trace mnésique pour maintenir présentes ces deux représentations. Peu à
Clinique psychomotrice de l’enfant 129

peu, par la suite, elle se dégagea de ce contact sensoriel et un simple mouvement


d’épaule suffisant à lui indiquer la droite et la gauche, elle put se déplacer plus facile-
ment en ville sans se tromper de direction. C’est ainsi qu’elle était parvenue à construire
un repérage spatial qui, bien que figé — elle ne peut le transposer sur autrui (elle ne peut
indiquer correctement gauche et droite sur autrui) — lui donne cependant le sentiment
d’exister dans son corps. Ceci, à partir d’une figure omnipotente, celle du maître du
cours préparatoire, image que J. transpose progressivement au contact des poignets puis
des mouvements d’épaule.
Nous cherchons donc de quelle manière il est possible de s’en référer
à l’espace et au temps comme dénominateurs pour toutes les formes de
pathologies, d’une part en s’en rapportant aux contenus symboliques
et, d’autre part, à la non-constitution de l’espace et du temps.
Les troubles psychomoteurs relèvent soit du premier champ, celui de
la psychopathologie, soit du second, celui de la psychosomatique non
hystérique.
Cette distinction permet entre autres choses de constater l’existence
des troubles de la latéralité relevant d’un conflit œdipien et l’accompa-
gnant, à différencier des troubles de la latéralité qui se manifestent en
relation avec la genèse malaisée de l’espace et du temps.
La problématique de l’espace et du temps reste entièrement liée à la
présence ou à l’absence d’imaginaire d’une part, et au fait qu’elle est
inséparable de la relation d’autorité, d’autre part.
On soulignera que les troubles psychomoteurs renvoient doublement
à l’autorité. Ou bien ils ont une valeur de symptôme névrotique, par
quoi l’autorité se trouve passivement contrée, ou bien, au contraire, ils
témoignent d’une organisation déficitaire de l’espace et du temps, com-
pensée par des « trucs adaptatifs », permettant au sujet d’utiliser un sys-
tème de prothèse qui lui fait exclure sa propre subjectivité.
La relation de conformité instaure une relation de dépendance à
l’autre qui se voit investi de l’autorité physique et morale de définir au
sujet sa façon de vivre son corps pour atteindre l’adaptation souhaitée.
Considérer la théorie psychomotrice sous l’angle de l’opposition
dialectique entre corps réel et corps imaginaire, c’est la placer, non pas
dans la perspective de la médecine psychosomatique, mais plutôt
comme suivant un axe qui n’isole pas le psychique du somatique, ins-
taure une double corrélation, à la fois positive et négative entre imagi-
naire et somatisation, dont les liens de contiguïté se laissent observer
dans la clinique, et conçoit toute pathologie comme un fonctionnement
psychosomatique régi par le principe de la variabilité symptomatique.
130 L’enfant : de l’agi au représenté

 Instabilité psychomotrice ou hyperactivité infantile6


Une longue expérience clinique de psychomotricien m’a constam-
ment confronté à un type d’enfants diagnostiqués « instables psycho-
moteurs ou hyperactifs » — troubles fréquents en clinique infantile
(l’un des grands motifs de consultation pédopsychiatrique en même
temps que l’indication quasi systématique de thérapie psychomotrice),
dont la pathologie se distingue surtout par la difficulté que nous éprou-
vons à la caractériser.
Sans aucun doute, ces cas d’enfants instables ont suscité pour moi un
contre-transfert de manière tout à fait intense et m’ont obligé ainsi à
tenter de mettre au point une élaboration tout à fait particulière. C’est
également autour d’eux que mon identité de thérapeute a été plus parti-
culièrement sollicitée.
Aperçu historique et réflexion épistémologique
Faire l’historique de la notion d’instabilité revient à faire, en quelque
sorte, l’historique de la psychomotricité.
Les références sont nombreuses, qui conduisent de la neurologie à la
psychologie, de la psychiatrie aux écoutes multiples de la psychanalyse.
Il ne s’agit pas ici d’en tracer une présentation exhaustive mais d’ouvrir,
à travers l’histoire de cette problématique de l’instabilité, une réflexion
épistémologique, et de considérer un certain nombre de perspectives.
À la fin du XIXe siècle, un médecin, le Dr P. Tissié, traitait un cas
d’« instabilité mentale avec impulsions morbides » (1894). Sous hyp-
nose, la parole du médecin « redresse » une pensée défaillante ou per-
vertie. Avec la gymnastique médicale, c’est l’exercice physique, dirigé
par le sujet lui-même, qui intervient sur l’ordre psychique, avec une
qualité morale et psychologique, représentant une liaison entre les cen-
tres psychomoteurs et le mouvement. P. Tissié construit un nouvel
espace objets-concepts oscillant entre physiologie et psychologie.
En 1897, M.D. Bourneville décrivait chez des enfants présentant une
légère arriération, une instabilité caractérisée par une mobilité intellec-
tuelle et physique extrême.
Mais ce sont surtout les premiers travaux d’H. Wallon (L’enfant turbu-
lent, 1925) qui vont marquer l’étape essentielle dans l’évolution de cette
notion d’instabilité : à partir d’une étude clinique de 214 enfants, laissant
entrevoir une liaison entre affectivité et désordres moteurs, H. Wallon met
en doute l’existence d’une constitution spécifique d’instable. Il fait jouer
un rôle très important à l’émotivité et à son terrain humoro-endocrino-
sympathique, lésé ou non, et dégage surtout le substratum organique du

6. Maurice CONTANT.
Clinique psychomotrice de l’enfant 131

déficit de coordination motrice chez l’instable (syndromes pyramidal,


cérébelleux, dystonique, subchoréique), soulignant l’importance prépon-
dérante du sous-cortex intégrateur. Il montre le retentissement de l’activité
« mythique » de cet instable sur ses réactions sociofamiliales dans un
milieu antérieurement déséquilibré. Si, du point de vue psychologique, la
description du syndrome par H. Wallon est intéressante, elle reste cepen-
dant attachée, du point de vue pathogénique, à une neurologie dont la
symptomatologie avait été enrichie par des études sur l’encéphalite épidé-
mique. En 1926, H. Wallon distinguera l’instable asynergique, par défaut
de coordination et d’unité (le turbulent), de l’instable épileptoïde, à la
conduite désordonnée, qui se livre à des violences et à des fugues, et de
l’instable subchoréique, dont l’instabilité a pour origine un déséquilibre
de l’innervation contractile (Fauché, 1993).
En 1940, J. Abramson, dans son livre L’enfant et l’adolescent insta-
ble, présente de nombreuses observations cliniques sous l’angle du tri-
ple développement intellectuel, affectif et moteur, et s’attache à une
étude plus générale de la psychologie de l’enfant instable et particuliè-
rement de sa personnalité, d’après laquelle l’instable est « opposant à
tout ce qui est stable et organisé, suggestible et influençable par tout ce
qui est mobile et irrégulier; son humeur oscille entre une gaieté un peu
tendue et une dépression d’ennui ».
En 1942, A.M.J. Chonus écrit que « les deux aspects (moteur et psy-
chique) démontrent clairement que l’instabilité n’est pas seulement une
question de motricité mais aussi de caractère ; c’est enfin une question
de manque de durée ou de continuité de la conduite entière ». Pour lui,
ces enfants sont des « chercheurs et perdants de forme ». L’instabilité
apparaît souvent comme le « paradigme récurrent de l’écart moteur à la
norme sociale », notamment scolaire (Robineau, 1993).
En filigrane se pose donc un problème essentiel, dépassant les méca-
nismes rééducatifs et situé au cœur de toute entreprise psychologique :
le rapport de l’adaptation et de la discipline. C’est chez A. Beley que
l’on trouvera ce questionnement. Dans son ouvrage L’enfant instable
(1951), il conclut : « L’instabilité de l’enfant, ce mal du siècle, (…) est
devenue le problème collectif de la neuropsychiatrie infantile. (…) Cet
enfant instable, devant le reflet immaturé et mal organisé d’une patho-
logie sociale (…) se laissera entraîner au délit ».
C’est encore et toujours le personnage de l’instable qui s’offre à
l’œuvre rééducative, et les règles didactiques sur lesquelles s’appuie la
séance de psychomotricité sont sans ambiguïté : « Premièrement,
enfermer l’instable dans un cadre fait de discipline et de rythme de
coordination; deuxièmement, assagir sa motilité et son attention par un
dressage quotidien ; troisièmement, l’entraîner au calme et à la
maîtrise » (Walter, 1948).
132 L’enfant : de l’agi au représenté

J. Abric offre en 1956 un tableau vivant de cette instabilité :


« Momentanément calme, [l’enfant] se détend soudain, court, crie,
grimpe sur un meuble (…) l’appartement est un champ de manœuvres,
et quelles manœuvres ! C’est un “brise-fer”, disent les parents (…)
Bavard, son monologue est décousu, il change de sujet, se préoccupe
fort peu de son interlocuteur, à la manière des tout-petits ».
G. Terrier (1956) évoque aussi « le bas voltage de la tension
psychologique » en rappelant la théorie selon laquelle « l’instable souf-
fre de dissociation dans la maturation des fonctions intégratives
psychophysiologiques ».
J. de Ajuriaguerra, en 1960, définira les syndromes psychomoteurs
(incluant les instabilités psychomotrices) comme « ne répondant pas à
une liaison en foyer donnant les syndromes neurologiques (…) comme
liés aux affects, mais attachés au soma ». Ses travaux, tout en souli-
gnant le polymorphisme de l’instabilité, reprendront les conclusions de
A.M. Chonus pour ce qui concerne l’importance du caractère. Il défend
deux formes extrêmes d’instabilité, tout en admettant l’existence de
formes de passage :
– d’une part, l’instabilité subchoréique, qui est « un mode moteur
d’apparition précoce répondant à une absence d’inhibition d’une hyper-
activité qui disparaît avec l’âge »;
– d’autre part, l’instabilité affectivo-caractérielle qui est « d’avantage en
relation avec la structure du milieu dans lequel les enfants vivent » (1970).
Suivront une série de travaux où le caractériel se confond à l’insta-
ble, autrement dit, dans la plupart des cas, le caractériel est un instable.
Pour J. Bergès (1974), suivant la qualité de l’enveloppe tonique du
sujet, il faut distinguer deux types d’enfants instables :
– ceux manifestant un état tensionnel, état de tension intense avec
absence posturomotrice, blocages respiratoires, crampes. L’instabilité
apparaît dans ce tableau de malaise postural comme l’irruption brutale
d’une accumulation tonique;
– ceux qui manifestent un état de déhiscence où l’instabilité corres-
pond à une recherche de limites ; ces enfants ressentent leur corps
comme « quelque chose qui fuit », qui n’est plus enfermé. On note ici
une hypotonie, une instabilité végétative et une impossibilité de con-
trôle tonico-émotionnel.
Ceci permet à J. Bergès de poser la signification de l’instabilité à
deux niveaux : celui des rapports du dedans et du dehors, et ce que l’on
pourrait appeler la problématique de ce qui est défaillant ou vient à
manquer dans cette enveloppe.
Autrement dit, il y a :
– d’un côté ce qui est contenu, maintenu, ce qui est à l’intérieur avec
les aléas de ce qui vient de l’extérieur : c’est « le corps réceptacle »;
Clinique psychomotrice de l’enfant 133

– d’autre part, une thématique qui se rapproche davantage de la cas-


tration « c’est-à-dire : la frontière, la ligne entre ce qui existe et ce qui
risque de ne pas exister » (Bergès, 1991).
Les uns (les hypertoniques) tentent de sortir d’un moule trop rigide,
les autres, au contraire, avec leur enveloppe aux contours trop flous,
cherchent un contact avec l’extérieur pour se définir eux-mêmes. Chez
ces enfants présentant un état de déhiscence, l’instabilité apparaît
comme une quête incessante de limite du corps : « Les frontières sont
indécises, floues et le vécu interne est celui du vide, d’une perdition
d’énergie, d’une impression de fuite » (Bergès, 1974).
Cette analyse présente quelques similitudes avec celle de L. Kreisler
(1987). Dans sa clinique psychosomatique, celui-ci identifie un ensem-
ble syndromique significatif qu’il nomme syndrome du comportement
vide. L’instabilité a valeur expressive, souvent comme « une activité de
type maniaque installée à titre défensif à l’égard d’une dépression sous-
jacente ». Mais elle est aussi un obstacle à la mentalisation dans le
registre d’une structure comportementale. Deux caractéristiques res-
sortent de ce comportement : l’accrochage ininterrompu aux objets
extérieurs, à l’ambiance, et la nécessité impérieuse de ce mode de fonc-
tionnement7.
Avec R. Misès et coll. (1988), les «troubles des fonctions instrumentales »
font l’objet d’une étude et d’une classification (CFTMEA). Ces troubles
(dont fait partie l’instabilité psychomotrice) représentent un chapitre indé-
pendant des grandes structures psychopathologiques, en offrant la particula-
rité de ne s’associer ni à la névrose, ni à la psychose (sauf en tant que
catégorie de complément). Ils exposent en outre une étiologie inconnue.
M. Berger, dans son livre L’enfant instable (1999), rappelle que quel
que soit le type d’instabilité (instabilité symptôme, instabilité entité ou
instabilité d’origine neurodéveloppementale), et quelles que soient les
options théoriques du clinicien, un tableau consensuel d’instabilité peut
s’articuler autour de deux grands pôles. D’une part, le pôle moteur,
avec une instabilité motrice ou hyperkinésie (l’enfant est agité, a tou-
jours besoin de faire quelque chose, il est maladroit, ne tient pas en
place, etc.), et d’autre part, un pôle psychique avec une instabilité psy-
chique (problème de fixation de l’attention ou distractibilité, difficulté à
suivre les consignes et à terminer une tâche, etc.). Coexistent souvent
l’impulsivité (difficulté à attendre son tour, à contrôler ses émotions et
à supporter les frustrations), ainsi que divers autres troubles classiques
associés (troubles instrumentaux, dyslexie-dysorthographie, difficultés

7. Cf. aussi les conduites autocalmantes, dans Szwec (1995).


134 L’enfant : de l’agi au représenté

de mémorisation, mais aussi une fragilité narcissique et une angoisse


de séparation).
Sans exclure d’éventuels facteurs neurophysiologiques, M. Berger
prend le parti de proposer une classification en fonction de l’histoire
familiale et relationnelle de l’enfant. Il ne retient pas les sujets dont
l’instabilité n’est qu’un signe, un symptôme parmi d’autres d’« une dif-
ficulté psychique aisément repérable » (psychose, problématique hysté-
rique, etc.). C’est à partir d’une étude sur soixante enfants présentant
une instabilité « entité clinique », qu’il tente de décrire leur mode de
fonctionnement psychique et corporel singulier. Il constate que la
grande majorité de ces enfants (54 sur 60) ont souffert de relations pré-
coces perturbées.
L’idée centrale développée par M. Berger, qui s’inspire des travaux
de R. Roussillon, est qu’il s’agit bien d’une véritable pathologie du
mouvement et de la pensée. En effet, pour cet auteur, nous avons affaire
à un « comportement qui concerne spécifiquement ce qui n’a pu se
structurer psychiquement chez un sujet. L’instabilité renvoie à ce qui
n’a pas pu être symbolisé (…) et ce sont les traces de ce vécu non sym-
bolisé qui harcèlent l’enfant à l’intérieur (…) ne lui laissant aucun
repos et aucune échappatoire possible ».
Dès lors, M. Berger pose la question de la relation à l’objet primaire
qui n’a pas été satisfaisante. Il a discerné quatre processus qui permet-
tent de comprendre la nature de cette défaillance dans la relation pré-
coce à l’objet : les conséquences d’un holding défectueux, la mise en
place de procédés autocalmants, un échec dans la constitution de
l’espace imaginaire et de la rythmicité, et la présence « flottante » d’un
objet menaçant.
Pour M. Berger, il existe donc une structure psychique spécifique à
certains enfants instables. Il semble que pour cet auteur, cette instabilité
entité pourrait correspondre à un défaut de symbolisation, suite à des
échanges intersubjectifs précoces non satisfaisants.
Parallèlement à ces études françaises, les auteurs anglo-saxons ont
isolé, dans le cadre des troubles du comportement, ce qu’ils appellent
le syndrome hyperkinétique. Ce syndrome comporte une activité exagé-
rée précoce, des troubles de l’attention, une impulsivité, des variations
d’humeur, des troubles de l’apprentissage et une anxiété (syndrome de
Straus et Lehtinen, 1947). D’un point de vue étiologique, ces auteurs
ont décrit des paralysies d’origine cérébrale a minima (minimal brain
disease ou minimal brain damage), des immaturités cérébrales se rap-
prochant de l’ancienne notion d’infantilisme moteur.
P.H. Wender (1971) ainsi que Pain et coll. (1968), après Bax et Mc
Keith (1963), ont précisé et partiellement critiqué ces conceptions.
L’étiologie leur semble liée à un « dysfonctionnement cérébral minime »,
Clinique psychomotrice de l’enfant 135

une terminologie qui se situe au niveau de la fonction de ce que les mini-


mal brain damages situaient au niveau des structures neurophysiologi-
ques de base (Safer et Allen, 1976).
Aujourd’hui dénommé trouble déficitaire de l’attention avec hype-
ractivité (TDAH) (Attentional Deficit and Hyperactivity Disorder
[ADHD] pour les Anglo-Saxons), ce trouble associant déficit de
l’attention et hyperactivité selon la quatrième édition de la classifica-
tion de l’Association américaine de psychiatrie (DSM IV), reste l’un
des troubles infantiles psychopathologiques les plus étudiés.
Partant du point de vue de la neuropsychologie du développement,
modélisée par R.A. Barkley (2000), de nouvelles modalités de prises en
charge spécialisées se sont développées en France, principalement avec
J. M. Albaret et J. Corraze (1996). Elles sont souvent associées à des
traitements médicamenteux comme les psychostimulants et plus préci-
sément la Ritaline (méthylphénidate) : traitement suspensif mais non
curatif (Dulcan et coll., 1997).
Les craintes, souvent évoquées en France, que ce type de traitement
n’induise une addiction aux substances psychotropes, ont été générale-
ment rejetées par des études cliniques, qui démontrent que le risque est
très faible (Biederman et coll., 1999).
À l’heure actuelle, on retrouve, en schématisant, deux thèses oppo-
sées et encore sujettes à de nombreux discours partisans et polémiques,
à savoir :
– d’une part, un point de vue organiciste, postulant l’hyperactivité
motrice comme un syndrome bien défini (le TDAH tel que défini dans
le DSM IV), mais isolant la maturation neurophysiologique du reste de
l’évolution du sujet;
– d’autre part, un point de vue psychopathologique définissant l’ins-
tabilité psychomotrice comme un symptôme, expression de conflits
psychiques sous-jacents, mais négligeant les aspects neurobiologiques.
Or, l’instabilité psychomotrice ne saurait se réduire ni au psychopa-
thologique ni au neurophysiologique. Sortant des querelles d’écoles,
les travaux de M. Berger (1999), de F. Joly et coll. (2005), et de
J. Ménéchal et coll. (2001) partent de la complexité de la clinique de
l’enfant et de sa famille, et d’une confrontation des approches actuel-
les, sans idéologie préconçue, et proposent des hypothèses cliniques et
théoriques tenant compte de la « pluridimensionnalité de l’être en
développement ».
Interrogation théorico-clinique
Comme on a pu le constater dans le chapitre précèdent, cerner le
domaine précis de validité de la catégorie « troubles du mouvement et
de la pensée » n’est pas chose facile.
136 L’enfant : de l’agi au représenté

Étant donné la complexité des tableaux cliniques, il m’a paru indis-


pensable de mettre au point une méthodologie de recherche respectant,
en l’intégrant, toute la singularité de ces situations tant du point de vue
clinique que théorique (Contant, 1995). La question centrale était de
s’interroger sur les liens qui unissent motricité et symbolisation dans
leurs corrélations positives et négatives.
Ces premiers contacts avec ces « pathologies de l’agir » m’avaient
donné matière à bien des réflexions et des interrogations : comment
parvenir à débrouiller ces situations « difficiles » où le type de relation
transférentielle met en évidence certaines dérégulations du narcissisme
et singulièrement du narcissisme primaire?
Et pour bien cerner le champ des recherches auxquelles je m’attache
ici, il ne sera pas question de traiter de l’ensemble des instabilités psy-
chomotrices, mais uniquement de présenter certains cas de situations
limites, où l’instabilité ne peut être interprétée ni comme symptôme
névrotique, ni comme manifestation psychotique : il s’agira donc de
patients réputés difficiles, nous confrontant à des organisations psychi-
ques dans lesquelles l’expérience du « détruit-trouvé » n’a pas pu avoir
lieu. Ces sujets répètent indéfiniment l’échec primordial du détachement
primaire de l’objet non symbolisable car enkysté dans le narcissisme pri-
maire. Souvent suivis en thérapie psychomotrice, ces cas sont souvent
aussi étiquetés états limites ou « pathologies limites de l’enfance »
(Misès, 1989). Ces nouvelles « souffrances narcissico-identitaires » met-
tent l’accent sur l’acte, l’agir, la motricité active, au détriment du psy-
chisme lorsque ce dernier semble en souffrance de symbolisation
primaire (hyperactivité motrice/hyperpassivité psychique?). La question
qui se pose alors est : comment cette motricité en excès traduisant une
nécessaire décharge compulsive d’une excitation psychique non liée, va-
t-elle pouvoir accompagner ou non la symbolisation primaire?
Dans un contexte de ce genre, je me suis demandé si l’utilisation de
l’outil psychanalytique en tant que système de connaissances avait réel-
lement toute sa pertinence pour ce type de recherche.
• Tout d’abord, en psychanalyse, la notion d’acte présente une poly-
sémie qui rend son étude complexe. La conception classique courante
veut que l’acte soit une décharge qui vise à soustraire un contenu psy-
chique — soit, soustraire le sujet à un conflit, à une difficulté (autre-
ment dit, le soustraire en fait à un travail psychique). On pense ici à
l’acte constitué par une décharge motrice court-circuitant la représenta-
tion. Ici, la symbolisation s’oppose aussi bien à la perception, par cer-
tains côtés, qu’à la motricité. D’où cette généralisation abusive de
signification que prend parfois l’acte : court-circuiter la mentalisation.
De plus, qui dit agir, dit corps en mouvement et, comme le soulignait
déjà D. Anzieu, en 1974, et le réaffirmait N. Carel en 1987, le corps
Clinique psychomotrice de l’enfant 137

était et restait encore trop absent des théories référentielles psychanaly-


tiques. C’est pourtant dans la pensée postkleinienne et postwinnicot-
tienne que l’on trouve maintenant les données théorico-cliniques du
champ de la psychanalyse les plus adaptées à une conception de cer-
tains types d’agir, non pas uniquement en fonction de modalités défen-
sives, mais comme des étapes dans un processus en devenir, comme
des jalons dans un mouvement évolutif du moi.
Mes observations ici vont surtout s’appuyer sur la conceptualisation
telle que R. Roussillon l’a développée. En reprenant la théorie des com-
mencements de la symbolisation, en s’efforçant de tirer de la pensée de
S. Freud (1913) une théorie de la symbolisation en acte, par l’acte, en
passant par l’acte et non pas en le retenant ou en le suspendant,
R. Roussillon (1993) développe ainsi une théorie en deux temps : « il
faut que les choses soient suffisamment agies, suffisamment mises en
acte, actualisées, pour pouvoir valablement se suspendre et se resymbo-
liser autrement ».
Se met alors en évidence une espèce d’antinomie : il y a, d’un côté,
ce que l’on appelle les passages à l’acte, et qui seraient des mouve-
ments destinés — au moins sur l’un de leurs versants — à se soustraire
à la symbolisation, et, d’un autre côté, l’action nécessaire pour que la
symbolisation puisse se produire8.
• Il s’agit ensuite, là, de configurations transféro-contre-transféren-
tielles qui font toucher la limite de pertinence du dispositif et des
modèles qu’il implique. Autrement dit, dans ces situations singulières,
on part de l’expérience du dysfonctionnement de la situation thérapeu-
tique classique et de ses repères. Le collage à l’objet exclut toute ambi-
guïté, toute capacité dans l’éprouvé des projections transférentielles :
ces conjonctures transférentielles se présentent plutôt comme des for-
mes de « transfert paradoxal. » (Anzieu, 1975)9.
À cet égard, la référence à la paradoxalité et à la transitionnalité, dans
la perspective proposée par D.W. Winnicott, s’avère indispensable.
L’intérêt de ce type de modélisation, que j’ai reformulé en me basant
sur l’expérience acquise, mais qui me semble s’équilibrer largement
avec le propos de R. Roussillon (1991) est qu’il fournit un ensemble de
repères heuristiques permettant de prendre en compte bon nombre de

8. R. Roussillon différencie l’acte-décharge (sans « écran »), l’acte-signe (acte en


quête d’écran), l’acte-écran et l’acte expérience (Roussillon, 1991, p. 170-171).
9. Transfert sur le cadre et sur le thérapeute d’un processus non vécu nommé
« transfert par retournement » par R. Roussillon ; c’est un mouvement de
retournement passif-actif, « le retournement procédant par comportements » (à
distinguer du transfert par déplacement) (Calza et Contant, 2002).
138 L’enfant : de l’agi au représenté

ces « conjonctures transféro-contre-transférentielles » auxquelles je me


trouve confronté dans la pratique avec ce type d’enfants « agités ».
Ceci nous amène cependant à envisager une autre série de questions
relatives au contre-transfert du thérapeute face à l’agir.
Il me paraît souhaitable, tout d’abord, comme l’observe également
R. Roussillon (1991), d’examiner deux aspects du contre-transfert qu’il
est utile de séparer ici :
– le contre-transfert affectif du thérapeute, correspondant plutôt à
son rapport même en cours de cure aux processus primaires ;
– le contre-transfert épistémologique qui ressort davantage du con-
tre-transfert sur la thérapie et sur la théorie, c’est-à-dire des modes
d’organisation de la secondarisation.
Il m’a paru intéressant de faire état d’un « cas singulier » (Widlöcher,
1990) — et non « cas unique », en considérant qu’il pourrait constituer
une première étape dans une investigation en devenir, ce « cas singulier »
pouvant s’inscrire « dans la découverte, la surprise, voire le paradoxe »
(ibid.).
Je me référerai donc à un cas clinique particulièrement exemplaire,
celui d’un enfant de sept ans, envoyé par son école dans un centre
médico-psychologique pour « une instabilité psychomotrice excessive
limitant toutes les acquisitions scolaires et perturbant la classe ».
Partant de ma confrontation initiale au comportement symbiotique
entre cet enfant et sa mère, et en m’appuyant aussi sur le matériel clini-
que des premières séances d’une thérapie psychomotrice qui a duré deux
années, je voudrais tenter de mettre particulièrement en évidence les pro-
cessus qui ont rendu possible la création d’un espace de jeu potentiel.
Plus précisément, je vais reprendre le contenu de ces premières séan-
ces pour retranscrire la manière dont les éprouvés corporels du patient
dans des agirs débordants ont pu accompagner une élaboration men-
tale, autrement dit étayer la symbolisation primaire, plutôt que la court-
circuiter, en insistant impérativement sur l’action du thérapeute pour
les contenir, les ressentir et les vivre sans rétorsion ni retrait, avant que
l’enfant ne puisse les transformer à son tour.
On rendra ainsi compte concrètement de cette activité de transforma-
tion, à la base de l’activité de représentation — passant « de l’action à
la pensée, entre rejet et fusion », véritable expérience de rupture dans
la continuité, l’instabilité psychomotrice participant à cette mise en
œuvre de liaisons nouvelles, voire en quelque sorte en les facilitant.
Schématiquement, l’articulation autour de deux grands axes princi-
paux s’est faite en partant des critères suivants :
– d’une part, la problématique de la séparation et celle de la destruc-
tivité qui y est associée. Toutes deux sont fondamentales à l’activité de
transformation, qui est à la base de l’activité de représentation;
Clinique psychomotrice de l’enfant 139

– d’autre part, les conjonctures transféro-contre-transférentielles


singulières, et, en particulier, tout ce qui est relatif à mon propre contre-
transfert.
Illustration clinique
Noé venait d’avoir sept ans lorsque le psychiatre de l’équipe du CMP m’avait
demandé de le recevoir en vue d’une éventuelle prise en charge thérapeutique. Trois ans
auparavant, une consultation avait mis en évidence des troubles du comportement et des
difficultés de contact chez l’enfant : « Enfant instable, fuyant dans ses activités et diffi-
cile à cerner ».
La mère, veuve depuis un an, après le décès accidentel du père, restait avec trois
jeunes garçons, Noé étant le dernier. Fatiguée par des crises d’asthme, elle avait dû
cesser de l’allaiter au bout d’un mois. À l’âge de deux ans, Noé fut opéré d’un strabisme
et, précisait sa mère : « Il avait eu du mal à se séparer de moi ». À sept ans, il était
toujours énurétique et recherchait l’isolement.
Face à l’extrême instabilité de l’enfant, l’interne en psychiatrie s’avouait désarmée
et, de son côté, le médecin souhaitait mettre fin à une prise en charge difficile en raison
d’un « transfert amoureux » de la mère sur lui. Il indiquait : « L’enfant est à la recherche de
limites. Je propose une prise en charge thérapeutique avec quelqu’un d’autre que moi… ».
Pour ainsi dire, la mère et l’enfant étaient « abandonnés ». Il fallait les prendre tous
les deux, dans une perspective de « halte de la proximité » (Al Naffari). Dès avant de les
recevoir, je pensais en moi-même à ce père mort dont on ne parlait guère, à cette mère
veuve, à la « séduction dévorante… », et à ce fils à l’agir débordant. « Être vivant, c’est
bouger… et ne pas se laisser prendre au filet… ».
Lors de notre première entrevue, j’avais été frappé par l’attitude gênée et rigide de
la mère et de l’enfant. Elle, figée, ne répondait qu’à peine et sèchement aux questions.
Ce n’est que peu à peu qu’elle allait se départir de cette inhibition pour me dire : « Noé a
besoin de votre aide et moi aussi peut-être ». Noé, bien à l’écart de sa mère, tenait serré
entre les bras un bateau de type Zodiac. Le préambule l’impatientant, il me lança en me
montrant son bateau : « Je vais t’en apprendre là-dessus… ».
Je demandais à le voir seul et, lui, très à l’aise, se mit à décrire avec une précision
minutieuse les aspects techniques du bateau. Il connaissait parfaitement le vocabulaire
maritime technique. Puis, il me dessina, avec la même minutie, un bateau de « J.Y.
Cousteau ». Le flux de ses paroles ne favorisait guère l’échange que j’aurais souhaité
engager. Cherchant à rompre ce « vide » par des questions plus incisives, je me heurtais
à un refus : « On perd du temps avec tes questions ». Pourtant, lorsque j’évoquais son
père, il me répondit, sans me regarder : « Mon père est mort dans un accident. Il avait un
Zodiac sur le toit de sa voiture accidentée. Il construisait des ponts, des radeaux ». Puis
il se remit à dessiner, cette fois le Titanic, « le plus grand des bateaux… il a coulé parce
qu’il s’est fracassé sur un iceberg », et il se lança dans une très longue description des
circonstances techniques de l’accident.
Lorsque je demandai de faire revenir sa mère, il se mit à hurler, à s’agiter, à sauter,
jetant de tous côtés ce qui lui tombait sous la main. Cette agitation désordonnée et
intense me décontenança, me troubla, tandis que la mère effondrée me demanda : « Que
pouvez-vous faire? ».
Peu à peu, le calme revint et Noé remarqua : « C’était mieux quand on était tous les
deux ». La mère ajouta : « Les difficultés de Noé remontent avant la mort de son père
(…) tout a commencé quand, à deux ans, il a été opéré pour ses yeux ».
140 L’enfant : de l’agi au représenté

Elle établissait d’emblée un lien de pensée négatif entre Noé et la mort du père :
opération à l’âge de l’autonomie par rapport à la mère (opération ? mort du père?…).
Cet événement du passé, insuffisamment subjectivé, semblait revenir comme une rémi-
niscence, face à la position que j’incarnais, en « re-présentant », en « re-présentifiant »
un ailleurs (le père vivant?), un extérieur mettant initialement en danger la dyade (« Il ne
pouvait plus se séparer de moi »). Cet événement traumatique, inscrit dans la psyché
maternelle, organisait en quelque sorte ce que A. Carel (1989) nomme « la représenta-
tion de la causalité psychique ».
À l’issue de cette prise de contact, je me sentis quelque peu épuisé, démuni, et
immédiatement, pourtant, m’apparaissait la nécessité de « prendre appui dans le
corps » : corps de l’enfant, corps de la mère, corps du père/corps du thérapeute — en
suivant la formule de G. Pankow (1983) qui aimait à dire qu’avec les patients souffrant
de structuration, il fallait prendre appui « là où on a pied, c’est-à-dire le corps ». Bien
entendu, il faut entendre par là que l’appui se trouve dans les « représentants
psychiques ». J’ai pu alors mesurer à quel point le fait de me sentir « bombardé » par des
projections du monde interne de Noé et de sa mère dans mon espace psychique pouvait
être ressenti au niveau de mon propre corps, ce qui m’a permis de saisir la vulnérabilité
et la détresse de ce « lien mère-enfant » :
– d’une part, cette mère qui mettait en avant une causalité objective corporelle
(opération des yeux de son fils) à leur souffrance actuelle — « Je me sens partir en petits
morceaux », disait-elle au médecin,
– d’autre part, Noé, qui regardait du coin de l’œil en ne montrant pas son visage
(pendant plusieurs mois, il me fut d’ailleurs impossible de me représenter son visage).
Rappelons que N. Crémel et L. Mathie (1981) affirment que le visage constitue « le
lieu privilégié des représentations travaillées par le désir, où se noue l’identique et le
différent, le lieu où se joue l’identification et où se farde l’identité ». Il nous a semblé
important de ne pas « perdre de vue » ce support de l’identité — support des premiers
échanges par les yeux et par la bouche sur le mamelon.
À ce propos, G. Haag (1988) évoque ce qu’elle appelle « l’expérience de la double
interpénétration : celle de la bouche et du mamelon et de l’intense œil à œil des
premières rencontres de la vie du bébé » : cette expérience paraît être le tout premier
organisateur de la psychisation du bébé.
Pour Noé, on a ainsi deux séparations précoces difficiles : à deux mois, arrêt brutal
de l’allaitement au sein, à deux ans opération d’un strabisme — angoisse de séparation
(« Il ne pouvait plus se séparer de moi »).
On pouvait également noter l’importance du corps dans les agirs de Noé (« troubles
du comportement ») notamment réactivés en présence d’un tiers (« C’était mieux quand
on était tous les deux »). R. Roussillon (1993) rappelle que « l’agir, l’action est néces-
saire pour que la symbolisation puisse avoir lieu », et précise par ailleurs qu’il fallait
qu’il y ait eu « une présentification dans le transfert des difficultés de la symbolisation
des conflits historiques, de tout ce qui est en souffrance de symbolisation chez le sujet
(…) il faut que ça se présente et que ça se mette en acte transférentiel pour que la
symbolisation ait lieu » (ibid.).
Accepter de recevoir Noé supposait que je m’engage à me mettre à la disposition
de ses besoins et d’une nécessaire « répétition-agie » permettant à l’enfant de rejouer un
véritable état de détresse, autrement dit, favoriser la régression à une expérience anté-
rieure traumatique non symbolisée. (Le passage s’effectuant par l’acte psychique et
moteur, et la compulsion de répétition prise dans la relation transférentielle étant le
levier thérapeutique révélateur du trauma.) Mais toute la difficulté, telle qu’elle m’était
Clinique psychomotrice de l’enfant 141

apparue au départ, s’avérait dans ce que ces attaques, souvent violentes, constituaient en
même temps une espèce de destruction de mes facultés d’élaboration.

Pour Noé, qu’est-ce qui, à travers le bateau — et nous verrons par la suite l’impor-
tance de cet objet —, se transférait ainsi ? De l’accident dramatique en voiture du père à
l’accident de mer (mère) — le naufrage du Titanic — vers lequel il nous conduisait. Se
posait l’interrogation de ce que ce père avait emporté avec lui — Noé subjectivait-il la
mort de son père comme étant de son fait? Le vécu d’être à l’origine de la mort de son
père amplifiait le traumatisme, d’où son explication minutieuse de l’accident et cet inven-
taire détaillé des débris du navire au fond de la mer — une véritable « autopsie » du corps
du navire. Mais au-delà du père mort, se découvrait la mère, omniprésente, dévorante et
dévorée. Pour celle-ci, je ressentais déjà qu’un grand voile noir annihilait toute représen-
tation psychique de l’objet perdu, et qu’en aucun cas ce voile ne devrait être levé. Elle
insistait pour indiquer que son enfant souffrait déjà avant le décès dramatique du père.

J’avais le sentiment étrange de me sentir placé dans l’immédiate et impérieuse


nécessité d’agir, mais sans savoir au juste comment, en tout cas à grand-peine et de
manière sinueuse. En quelque sorte, selon l’expression de P.C. Racamier (1992), je
devenais le « partenaire obligé » de ce couple mère-enfant.

Et le même scénario que lors de la première rencontre allait se reproduire les fois
suivantes. Noé était impatient : « Tu es encore en retard, il faut se dépêcher, il ne nous
reste que 3 heures… ». Et sa verbalisation de prendre un cours torrentueux comme s’il
était irréductiblement pressé, et de se lancer tête baissée dans de longues explications,
très détaillées, sur le Titanic, le Zéphir, un bateau garde-côte, un voilier, un paquebot, le
France, la caravelle de Colomb… qu’il s’appliquait à dessiner avec la plus grande atten-
tion et de façon précise, déchirant rageusement la feuille de papier s’il lui arrivait de se
tromper. Je devais être installé toujours à la même place, sans en bouger, sans parler,
Noé étant assis en face de moi, sur « sa » chaise. Très vite, Noé allait me considérer
comme un prolongement de lui-même.

Il me restait donc à subir patiemment cet inévitable et répétitif scénario. Essayer


d’introduire une variante quelconque, à l’aide de pâte à modeler, par exemple, c’était
encourir le risque d’une violente colère : « On perd du temps, monsieur casse-couilles »
me lançait-il au visage.

Réduit à une totale « impuissance », je tentais bien de me réfugier dans mes


pensées. À l’évidence, je me heurtais à des mécanismes visant à supprimer toute diffé-
rence entre lui et moi, en espérant qu’il me deviendrait possible d’introduire un élément
de différenciation, mon contre-transfert constituant l’unique repère dont je disposais.

Noé avait besoin de toutes les façons de me contrôler totalement en attaquant mes
processus de pensée10. Mes retraits narcissiques étaient des tentatives de défense contre
la qualité intrusive du désir de Noé de projeter sur moi des parties de lui-même, mais
aussi de lutter de mon vécu d’une véritable incarcération de la personne du thérapeute
soumis à son omnipotence.

L’appareil de langage pour Noé était devenu un appareil d’action, moins pour se
représenter que pour agir sur l’autre. À ce moment précis du travail, « l’appareil langage
est transformé en appareil d’action, retour à l’action » (Roussillon, 1993).

10. À relier avec ce que M. Berger (1999) décrit comme un besoin d’immobi-
liser l’objet menaçant — en l’occurrence, ici, le thérapeute.
142 L’enfant : de l’agi au représenté

Après m’avoir englobé dans la relation, à l’évidence la séparation était difficile


dans cette relation sans distance, et me quitter, pour lui, c’était quitter une partie de lui-
même. Quand je lui demandais d’aller chercher sa mère, Noé manifestait une irruption
brutale d’angoisse, et se mettait à renverser le matériel de la salle, à jeter des objets sur
moi en hurlant une bordée d’injures, en déchirant les feuilles de papier, en cherchant à
casser des jouets… Tout cela allait en s’accentuant de séance en séance, une manière de
rompre le rythme des échanges relationnels, en préférant détruire plutôt que d’être
détruit par l’absence de l’autre. Je m’efforçais de lui faire entendre qu’il existait un
certain nombre d’interdictions pour qu’il respecte le cadre de notre dispositif — en lui
interdisant de m’agresser physiquement ou bien de se faire mal, ou de casser le matériel.
Ceci pour tenter de lui faire prendre distance vis-à-vis de ses angoisses. Cette rétention
physique n’y suffisant pas, j’essayais de résister à cette tempête en mettant coûte que
coûte des représentations sur ce qu’il me faisait éprouver, tout en lui expliquant ce que
je pouvais comprendre de ses manifestations motrices désordonnées et en lui fixant un
prochain rendez-vous — manière de passer à la représentation d’une continuité du
contact susceptible de faire évoluer les relations pulsionnelles à autrui.
Vraisemblablement, cette agitation motrice incessante 11 constituait aussi une tenta-
tive de mise à distance de toute forme possible de pensée — toutes choses qui, pour
moi, rendaient extrêmement pénible et fragile l’instauration d’un lien avec lui.
Impossible séparation — angoisse de séparation — « répétition dans la cure de
traumatismes précoces qui ont altéré la qualité de lien et l’illusion primaire, qui ont créé
des zones enkystées de confusion moi/non-moi et empêché la mise en place de la para-
doxalité ouverte, maturationnelle », celle qui caractérise le processus transitionnel,
comme l’a montré R. Roussillon (1991).
Avec un sourire crispé, la mère soulignera : « Je préfère partir, je ne supporte plus
ça… et pourtant il est content de venir, je n’ai pas besoin d’insister ». Noé ajoutera :
« C’est pour ça que je m’excite à la fin… ».
En présence de sa mère, les attaques de Noé redoublaient. Je répétais, à partir de ce
que j’ai éprouvé et que je continuais à éprouver, face à eux, qu’il ne leur était pas encore
possible de se séparer. J’interpellai Noé, puis sa mère, en reprenant les termes de sa
phrase concernant l’opération des yeux et la difficulté de l’enfant à se séparer d’elle
ensuite. Je leur disais qu’au fond, c’est un peu comme s’ils se retrouvaient confrontés à
revivre cet événement qui les avait mis en danger — et qu’ils se défendaient.
Pas vraiment d’écho immédiat à cette remarque, si ce n’est que leurs visages se
décrispèrent sensiblement et que, pour la première fois, je vis vraiment le visage de Noé.
Rappelons que pour D.W. Winnicott, toute expérience traumatique passée, non symbo-
lisée, se présente au sujet comme « expérience à venir ». Autrement dit, le comportement qui
se laisse observer dans l’ici et le maintenant de la séance constitue une réédition motrice
d’une expérience psychique antérieure qui n’a pas pu se mettre au présent du « moi ». Elle
ne pourra acquérir un statut historico-pulsionnel que dans la mesure où le cadre thérapeu-
tique favorisera cette « présentification » qui avait échoué antérieurement (Calza et Contant,
2001). Il s’agissait donc pour Noé de revivre émotionnellement dans la séance et dans le
transfert ce à quoi il s’était rendu affectivement et psychiquement absent.

11. Il semble s’agir là de ce que R. Roussillon décrit comme l’acte-déchar ge


(sans « écran »), décharge de grosses quantités d’excitation pour se soustraire
aux processus de pensée, mais contenant également à l’état d’ébauche une
représentation en train d’advenir (Roussillon, 1991, p. 170).
Clinique psychomotrice de l’enfant 143

Mais face à la répétition et aux passages par l’acte, que je pourrais avoir vécus
comme des attaques réelles adressées à ma personne (ce qu’elles étaient en réalité), il
demeurait fondamental de tenter, coûte que coûte de rester vivant et créatif face à cette
destructivité. Il me fallut m’adosser à un contre-transfert épistémologique afin d’éviter
les contre-attitudes de rejet, d’évitement phobique et de rétorsion, d’une part, et de solu-
tion masochique, d’autre part.
Je sentis là une transformation de ma position initiale, où Noé et sa mère me deman-
daient en quelque sorte d’agir (« Que pouvez-vous faire? ») comme un remède (du latin
re-medium), à une position que j’adoptai non sans peine et qui se référait à ce que R.
Roussillon (1991) décrit sous le concept de médium malléable, c’est-à-dire le représen-
tant-chose ou représentant-objet de la représentation de la fonction représentative.
Noé était furieux parce que j’étais en retard : « Où tu étais? ». Il avait apporté un
objet avec lui qu’il cachait derrière son dos : « Le bateau de l’armée du roi ».
Il commença à dessiner ce bateau tout en me demandant : « Pourquoi tu détestes la
fin de la séance? » et en me proposant un troc : il voulait échanger un paquebot (qui est
dans la salle) contre son bateau du roi.
Je lui fis remarquer que tous les objets de cette salle devaient y demeurer. Mais,
devant son insistance, je lui proposai de lui prêter ce paquebot en échange de son bateau
— reliant en paroles cet échange de prêts à la difficulté de se séparer. Il ajouta que, dès
qu’il le pourrait, il me rendrait le paquebot. Il voulait immédiatement aller voir sa mère
pour lui parler de cet échange. « Je vais te signer un contrat », me dit-il. Je rédigeai avec
lui ce contrat que nous signâmes tous les deux. Puis il ajouta : « Je fais un dessin pour
toi, pour que les jours où je ne viens pas, tu penses à moi… ».
Ensuite, me regardant : « Tu as un peu les cheveux de Pépé Atchoum » pour
évoquer mes cheveux grisonnants, puis il poursuivit en disant : « Pourquoi les pépés et
les mémés qui vont bientôt mourir, ils ont pas besoin de garder tout ce qu’ils ont - ils
donnent tout - ma mémé me donne tout ce qu’elle a - mon papa aussi il est mort… » et il
évoqua un souvenir (le premier) : « Une fois, mon papa et mes deux frères, on a fait les
fous - maman disait : “vous allez vous faire mal” (…) on rigolait bien, mais des fois
mon père me donnait des coups sur les fesses avec la brosse quand on était pas sages ».
À l’entrée de sa mère, il dit calmement : « Notre contrat est fait - on est en paix ».
À la séance suivante, Noé vint avec le paquebot emprunté et me dit : « J’ai bien
dormi », et il commença à dessiner sur le tableau le bateau Santa-Maria. Puis, il dessina
mon bateau : « De face ou de profil? ». Ensuite, il voulut dessiner un voilier miniature
qu’il avait eu lorsqu’il avait six ans, il se dessina sur le voilier avec une barbe en
remarquant : « Y a une tête de mort sur la voile. J’avais la barbe, maintenant je l’ai
rasée… ». Me regardant du coin de l’œil, il nota chez moi l’absence de barbe naissante
que j’avais la fois précédente. Il dit alors : « Mon père aussi il avait la barbe des fois ».
Puis continua par une série de questions : « Est-ce que tu es intéressé par les bateaux?
Est-ce que tu crois en Dieu? Est-ce que tu préfères la glace à la vanille ou celle au
chocolat? ». Puis, il s’exclama : « On est pareil ». Je lui fis alors remarquer sa grande
inquiétude lorsqu’il constatait une différence importante dans ce que nous pouvions
ressentir l’un et l’autre. À ce moment, il semblait proche de moi, détendu et en confiance.
En réfléchissant à l’ensemble des diverses manifestations qui se sont développées
au cours de ces séances, plusieurs remarques et hypothèses se sont présentées à moi :
– pour tenter de repérer son identité, Noé expérimente différence et similitude par
toute une série de questions « pareil/pas pareil » (Dieu, les bateaux, les glaces, etc.) ;
144 L’enfant : de l’agi au représenté

– il veut savoir beaucoup de choses sur moi : si comme lui, à sept ans, je faisais des
bêtises, si je détestais l’école. Il m’interroge sur les caractéristiques de mon logement en
cherchant ce qui est semblable au sien. Lorsqu’une différence lui apparaît, il est déçu et
se montre plus insécurisé. Il s’élabore ainsi une dialectique paradoxale : reconnaissance
à la fois de la différence et de la « mêmeté », de la continuité et de la discontinuité, de
l’identité et de l’altérité.
L’identité surgit de la répétition du même (et non répétition de l’identique)
(M’Uzan, 1970), et établit le même différent, grâce à un jeu analogique où tout est équi-
valent, soit non différent. Ce mouvement est la manifestation et la marque de la mise en
œuvre d’un processus de projection, qu’il existerait un dehors et un dedans psychique,
au moment même où l’équivalence établie entre le corps et l’espace extérieur au sujet
lui fournit les moyens de se représenter le fonctionnement du corps propre.
C’est à ce moment que je commence vraiment à imaginer l’enfant dans son cadre
familial, et à me rendre compte que je connais en fait peu d’éléments sur son histoire,
sachant bien que l’histoire est « le parcours obligé de la possibilité d’individuation »
(Gauthier, 1990). C’est elle qui me permet d’envisager le patient comme sujet.
Noé commença à me regarder en me montrant son visage, tout en évitant encore de
se regarder dans le miroir qui se trouvait dans la salle. Mon visage, différent du sien,
était mis en relation d’équivalence avec d’autres visages qui lui étaient familiers. D.W.
Winnicott (1975) nous a appris que le premier et véritable miroir, c’était le visage, et dès
lors, si l’enfant voit le visage de la mère, « il se voit dedans » et la réflexibilité psychique
est assurée. Il reste à « intérioriser » le miroir maternel et à l’« oublier ».
Pour M. Pinol-Douriez (1984), « le miroir du visage de la mère, loin de refléter le
“même”, le “semblable” ou l’“identique”, met en jeu ce que Bion a appelé la “fonction
alpha” ».
Pour Sami-Ali (1974) : « L’enfant commence d’abord à être sans visage, puis à
voir le visage de l’autre, le troisième temps du processus se définit par la perception du
visage de l’autre comme étant autre ». De plus, « sans visage, le sujet a d’abord, dès lors
que se met en place vers l’âge de trois mois la vision binoculaire, le visage de la mère ».
L’auteur insiste donc, pour ce qui est de la vision binoculaire, sur le fait qu’elle se cons-
titue en relation avec le premier objet qu’est la mère, c’est-à-dire les yeux mêmes que
l’enfant fixe dans ses yeux. Les troubles de la convergence (strabisme) renverraient à la
difficulté de cette première convergence qui, de toute façon, est sous-tendue par la ques-
tion de la distance optimale à établir avec l’objet primordial. Distance où se joue un
conflit centré sur la passivité et l’activité.
La problématique de la séparation semble bien avoir été relancée par la « réobjectivation
du traumatisme » (Roussillon, 1991).
Je ressens bien que les conditions sont réunies pour une transformation de la répé-
tition-agie en espace de jeu potentiel. Noé restait toujours en face de moi, s’exprimait
avec vivacité et abondamment. Il semblait investir son travail avec moi de plus en plus.
J’avais surtout l’impression qu’il m’était possible de parler, de penser et je commençai à
exister indépendamment de lui.
Reprenons l’évolution de ces deux séquences interactives. Je dirais d’abord que,
tout au long des séances précédentes, j’eus la conviction que cet objet-bateau — disons
plutôt ces objets, car il y a eu une multitude de bateaux, que ces bateaux représentaient
pour moi le corps psychique de Noé en relation « inclusion-réciproque » (Sami-Ali,
1974), avec le corps psychique de la mère, avec un surinvestissement des repères
spatiaux et des limites (précision quasi obsessionnelle et méticulosité des dessins et
descriptions, paralysés, pétrifiés) sur une mère déchaînée.
Clinique psychomotrice de l’enfant 145

Jusque-là, Noé avait évité les situations trop impliquantes qui risquaient de lui faire
perdre ses repères rigides qui s’avéraient être des boucliers inefficaces contre les coups
venus de l’objet.
D’ailleurs, son implication plus forte dans la relation thérapeutique était insoute-
nable. Pour me parler, il fallait réduire la distance entre lui et moi. Nécessité qui réactivait
son angoisse de perte, la distanciation psychique de Noé étant jusque-là remplacée par une
mise à distance spatiale. Les objets-bateaux étaient aussi indispensables qu’interchangea-
bles, dans une négation du temps et de la différence (tentative de réduction à l’identique).
C’est, de ce fait, la dynamique de l’espace qui allait permettre de « réparer les fissures dans
le réseau symbolisant » (Pankow, 1983) et introduire Noé dans le temps de son histoire.
Noé, dans l’espace de la séance, allait alors progressivement faire l’expérience de la
séparation d’avec sa mère sans trop s’exposer à la menace de rupture de lien et de perte
de l’objet. C’est lui qui mit en route et osa expérimenter l’espace de séparation.
Jusqu’alors, Noé m’avait confronté à ce paradoxe : de ne pouvoir me conduire à sa réalité
psychique que dans la suture ou la rupture. Encore fallait-il en saisir le sens, et l’opportu-
nité qu’elles pouvaient offrir pour que ces « failles » du processus thérapeutique puissent
se transformer en sources potentielles de la vie psychique et de l’élaboration mentale.
Il est également important de rappeler mon « retard » — mon tout premier —
absence réelle au début — qu’il avait immédiatement relié à la séance précédente.
« Pourquoi tu détestes la fin de la séance? ». Face à mon « passage à l’acte » d’absence,
il proposait un contrat — un échange qu’il fallait envisager doublement puisqu’un
contrat engageait les deux parties.
1.– Noé voulait me donner son bateau — objet du dehors de l’espace thérapeu-
tique, mais venant du dedans (représentation psychique interne) : un « fragment de la
mère » (Gutton, 1988). On peut assurément y voir le signe que Noé constituait là un
« représentant externe/interne de la symbiose primitive, représentant grâce auquel il
peut commencer à accepter de sortir de celle-ci » (Roussillon, 1991).
Lorsqu’il avait fait son échange et que son bateau était entre mes mains, « avant de
signer », Noé voulait aller immédiatement rejoindre sa mère pour lui en parler. Situation
de crainte, quant à l’existence ininterrompue de sa mère et, par là, de la sienne propre :
chaque « utilisation » interne d’un objet faisant courir le risque de détruire celui-ci.
C’est aussi pour lui l’expérience de la non-séparation, c’est-à-dire du lien
psychique décrit par G. Haag (1989), où, pour pouvoir se séparer, il faut en quelque
sorte suffisamment intérioriser la non-séparation — c’est-à-dire le lien, les liens. Et
c’est ce processus d’intériorisation du lien qui semblait fragile chez Noé. Dans la
mesure où il se séparait (psychiquement) de l’objet-mère, il devait impérativement véri-
fier dans la réalité que le lien n’était pas détruit.
D’autant qu’il allait se séparer réellement de cet objet. Tout se passait comme s’il
manifestait le besoin de vérifier que le lien n’était pas détruit, autrement dit : « qu’il n’a
pas détruit l’objet réel, ni provoqué sa désapprobation, que la mère — objet externe —
est toujours vivante et autorise la séparation » (Ciccone et Lhopital, 1991).
Le rapport ici/là-bas se trouve donc médiatisé par le rapport primordial dedans/
dehors.
Je voudrais préciser que, pour moi, à la suite de Sami-Ali (1974), la question de
l’espace me paraît inséparable de la problématique générale de la projection et de
l’introjection.
Mais, il faut tout de même souligner que ce mouvement ne devait pas se concré-
tiser et que mes paroles suffirent à le rassurer, à lui permettre de se représenter ou de se
146 L’enfant : de l’agi au représenté

re-présentifier sa mère. C’est ainsi que Noé commença à représenter dans l’espace
thérapeutique l’alternance de présence/absence de la mère auquel il était soumis, rappe-
lant le jeu de la bobine décrit par S. Freud (1920).
Ainsi, comme le note Ph. Gutton (1988), se trouve jouée ici « la permanence du
lien mère-enfant archaïque, au moment même où sa manipulation en met les éléments à
distance… il joue son passé ; son jeu actualise son passé ».
2.– En échange, je lui avais prêté le bateau-paquebot appartenant à l’espace thérapeu-
tique. On peut ici faire l’hypothèse que Noé, avec cet objet réel, récupérait pendant mon
absence les parties projetées en moi qui, au moment de notre séparation réelle, l’expo-
saient à des véritables angoisses « d’arrachement de sa peau psychique » et de perte
d’objet. Je me suis d’ailleurs interrogé, à ce moment-là, sur le statut des objets de l’espace
thérapeutique : à qui appartiennent ces objets? peuvent-ils sortir de cet espace? Je peux
répondre maintenant : à la symbolisation. Et, avec Noé, cette sortie (au-dehors) de l’objet
appartenant à l’espace thérapeutique est bien allée dans le sens de la symbolisation.
3.– Une phase, encore, mérite d’être évoquée : c’est lorsqu’il me faisait un dessin
en disant : « Je fais un dessin pour les jours où tu ne viens pas, tu penses à moi ».
À partir de cette trace, cette représentation graphique, il me demandait en définitive
de ne pas l’oublier, de ne pas l’abandonner, de ne pas le perdre de vue. J’entendis ce
« contrat » comme un contrat d’adoption psychique. Noé aussi m’interrogeait là sur la
symbolisation et me demandait si notre lien était fiable. Quelle était la nature de ce lien
(de l’investissement de l’autre, de mon investissement)?
En réfléchissant à l’ensemble des différents mouvements qui présidèrent à l’orga-
nisation de ces séances, je dirais comme R. Kaës (1990) que « le rétablissement de la
capacité de former des symboles d’union et d’utiliser des objets transitionnels suppose
la rupture de l’éprouvé du vide et du trop-plein. L’espace transitionnel est un espace de
présence et d’absence (ni trop de l’un, ni trop de l’autre, ni pas assez), jeu dans un cadre
de contenu dans un conteneur, de tension paradoxale, tension quand même… ».
Dans les séances, il s’agissait maintenant beaucoup plus de s’amarrer à des
moments de l’œdipe plutôt que de rester fixé sur la position narcissique primaire (avec
le contact des angoisses surgies directement de l’expérience sensorielle primitive), sans
pour autant perdre de vue les éléments organisateurs des premières séances.
Quant à Noé, je tiens à remarquer qu’à plusieurs reprises, il se mit à « perdre son
temps » avec un plaisir évident, en regardant et en classant tous les dessins qu’il m’avait
faits depuis le début, tout comme l’on regarde un album photos. De même, il mettait en
ordre mes notes — notre « cahier de bord » — il me demandait parfois de relire certains
passages de ce qu’on avait fait ensemble. Il semblait refaire l’histoire de sa thérapie -
thérapie, comme premier lien possible d’une histoire personnelle. Il s’inquiétait aussi de la
réalité de son thérapeute et demandait : « Que devient-on quand on grandit? ». Le problème
de la temporalité — du changement et de la continuité — demeurait omniprésent.
Son inquiétude et son impatience quant à la « perte de temps » revenaient certes
périodiquement, mais avec moins de prégnance qu’auparavant. Pour Sami-Ali (1974), le
temps qui se perd ou qui se gagne fait référence à l’origine même de la temporalité dans
le contrôle anal. Réflexions de Noé : « La psychomotricité avec toi, c’est trop rapide
pour moi », ou encore : « La psychomotricité c’est pas de la faire rapide qu’il faut ».
« Le temps, enveloppe de l’action réunificatrice et projective de la durée d’exis-
tence chez la mère subit les mêmes lois de l’espace winnicottien. » (Green, 1976)
Le problème de la constitution d’un espace de séparation entre nous réapparut,
mais pouvait maintenant se « jouer », se « mettre en scène », se représenter. Un scénario
Clinique psychomotrice de l’enfant 147

était construit à l’intérieur d’un espace bien précis. Dans la pièce, une frontière séparait
nos deux domaines respectifs ; si l’étendue de nos espaces respectifs pouvait encore
fluctuer en fonction de nos rapports fantasmatiques, cet espace nous permettait d’éviter
une confrontation permanente, bien que toute relation ait mis en tension nos espaces et
identités respectives, ce qui, à mon sens, définit parfaitement la structure spéculaire de
l’espace imaginaire (Sami-Ali, 1974).
Avant de conclure, je souhaiterais relater un court extrait d’une scène12 créée par
Noé, remarquable dans sa thématique du jeu des signifiants :
« Il était une fois… Un capitaine (Noé) et son matelot. Celui-ci n’a de cesse que de
venir espionner son capitaine par le trou de la serrure. Le capitaine s’énerve et explose
violemment en voyant son matelot “l’espionner”. Il fulmine, écume, suffoque. Le
matelot s’inquiète et s’enquiert de savoir si le capitaine n’a pas de soucis. Celui-ci
demande que le matelot appelle sa femme en lui disant : “Je suis tombé malade à cause
de toi”. Et il ajoute : “Ce matelot m’a donné le cancer !”.
« Lorsqu’il voit le matelot venir encore l’espionner, il lui crève les deux yeux :
“Comme ça je suis tranquille, il est aveugle… Le secret, je le cache et je ne veux pas
qu’on le découvre — je vais employer les grands moyens…”. Puis, le capitaine prend
son pistolet et tue le matelot… il cherche ensuite un autre matelot qui, lui aussi, va
l’espionner. Le capitaine entre en fureur et “s’épuise”.
« En haut, le capitaine a un beau lit avec de belles couvertures. Il a toujours son
coffre à trésor avec la clé de sa cabine sur lui. Il a aussi une grande belle lampe avec un
abat-jour et un superbe lustre…
« Le matelot reste toujours enfermé “en bas”, au fond de la cale dans le noir, “en
train de pleurer”. Son WC est ancien et fuit — “Tu es obligé de faire pipi, caca dans une
vieille jarre avec dedans de l’eau et du pipi et une toile d’araignée; ton lustre est cassé,
ça ne marche pas. C’est ça quand on est prisonnier…”.
« Puis, le matelot s’endort, bercé par les “grandes vagues qui voguent”. Mais il se
réveille car “il y a tellement de vagues que tu ne peux pas t’endormir”.
« “Pourquoi il y a des gens qui ont peur dans le noir et voient des monstres? Moi,
je n’ai pas peur. Avant, je faisais des cauchemars, maintenant, je ne rêve plus”. Puis le
capitaine arrive dans la cale avec une lampe : “Regardez, votre chambre est sale! pour-
quoi avez-vous peur ? je vous laisse un plan et tu pourras venir me voir !”.
« Le matelot téléphone au capitaine pour lui dire qu’il a peur tout seul : “Les
capturés sont isolés, c’est normal” dit le capitaine, “racontez-moi vos cauchemars,
cette odeur de cabinet, tout… le dernier, le plus horrible cauchemar que vous avez fait
avec l’odeur de cabinet…”. »
L’histoire vécue allait se poursuivre…
En réfléchissant à cette difficile « incarcération » au fond de cette « cale
crasseuse », j’appréhende d’être toujours à la merci d’une énorme lame de fond surgie
de la brume. Mais j’espère aussi qu’il devient peu à peu possible de jouer avec Noé sur
une de ces pentes douces qu’on nomme l’estran — ni la mer, ni la terre, la partie du

12. On peut parler maintenant, à la suite de R. Roussillon, d’actes-e xpériences


étayants comparables à l’expérience du jeu, qui permettent d’actualiser une
potentialité du moi, et du rapport du moi au monde, qui n’a pas pu être e xpéri-
mentée dans l’histoire vécue du sujet (Roussillon, 1991, p. 172).
148 L’enfant : de l’agi au représenté

rivage qui se découvre aux basses mers et que l’eau recouvre à marée haute. La vie qui y
existe n’est ni celle de la terre ni celle de la mer. Elle participe des deux. Après les
vertiges des vagues déferlantes, l’accalmie et peut-être la possibilité de jeter l’ancre et
de débarquer sur la terre ferme, en sécurité…

Pour conclure
Comme on peut le constater, je me suis efforcé de montrer qu’il est
possible de penser autrement ces pathologies de la motricité en mouve-
ment — à l’aide des travaux sur la dialectique de la destructivité de R.
Roussillon, chez qui, assurément, la référence centrale reste l’œuvre de
D.W. Winnicott.
Dans cette optique, mon hypothèse de départ était la suivante.
L’hyperactivité a une fonction défensive ou protectrice — excitation
corporelle — pare-excitations, mais elle contient aussi, à l’état d’ébau-
che, une pensée ou une représentation-chose en train d’advenir ou à la
recherche d’une forme. La décharge pulsionnelle se traduit par une
extériorisation motrice en quête de liaison psychique.
Autrement dit, je pourrais maintenant reformuler l’hypothèse cen-
trale, en disant qu’à travers les agirs débordants de l’enfant instable, un
jeu potentiel est en souffrance, ce qu’il exprime inconsciemment à ce
moment-là. Et il y a ici non seulement le jeu potentiel du patient, mais
également la capacité du thérapeute à entrer en contact avec ce jeu
potentiel pour lui permettre de se déployer comme un jeu véritable.
L’enjeu devient alors l’intériorisation motrice et la liaison psychique à
partir de la prise en compte de ce qui s’y oppose. Ce travail de révéla-
tion de la potentialité ludique est donc un travail d’extraction de la
dimension inconsciente d’un comportement. Simplement, dans ce
comportement, ici d’agitation, ce sur quoi on met l’accent, ce n’est pas
le fantasme ou le désir, mais la potentialité de jeu existant et de symbo-
lisation primaire.
Il m’a dès lors paru souhaitable pour cette première expérience dans
le cadre d’un travail de recherche, d’essayer de mesurer la pertinence et
l’éventuel degré de validité de ces hypothèses, à partir de l’étude d’un
cas singulier : le cas Noé.
Ce qui, ici, se trouve avéré, c’est que la ou les modalités du jeu de
l’absence et de la présence et du rapport absence-présence concernant
la symbolisation, sont en voie de constitution. En effet, il n’y a pas de
symbolisation qui ne rencontre la question de l’absence et la question
du tiers conçu précisément comme la représentation issue de l’absence.
Par ailleurs, cette instabilité joue un rôle de pare-excitations prothéti-
que paradoxal, puisqu’il repose sur une enveloppe d’excitation (excita-
tion corporelle/pare-excitations psychique).
On remarque aussi que de tels comportements ne sont ni agression,
ni destruction ou attaque, mais qu’ils peuvent être considérés comme
Clinique psychomotrice de l’enfant 149

une potentialité de jeu. Encore faut-il proposer au patient des


« hypothèses » — y compris comportementales, motrices, en incluant
tous les canaux de communication. À cette manière d’établir le contact
avec la réalité psychique du patient, ce dernier va réagir par une négati-
vité en acte. L’interprétation des formes de cette négativité constitue la
base même de la subjectivation et de la transitionnalité, ramenant la
relation aux racines du jeu.
De là, dans le travail clinique présenté, mon projet de montrer à
l’enfant ce qu’« il ne sait pas qu’il sait », autrement dit, qu’il aspire à
jouer. L’enfant qui est pris dans la répétition n’a pas conscience du
potentiel de jeu que recèle son hyperactivité. C’est la réponse du psy-
chomotricien qui inscrit l’activité dans un espace de jeu, dans une tran-
sitionnalité. La transformation de cette matière première psychique
s’organise autour d’un advenir du jeu et par le jeu, quand l’enfant va se
mettre à refuser autrement, à jouer à refuser (Calza et Contant, 2002).
Ces points étant acquis, il se pose à nouveau d’autres questions,
notamment au niveau des facteurs maternels qui peuvent entrer en ligne
de compte dans l’échec de l’expérience de séparation.
Encore faut-il s’interroger pour apprécier si ce que j’ai fait ressortir
ici est réellement spécifique à certaines instabilités, ou bien si des
caractéristiques analogues, voire identiques, pourraient se retrouver
dans d’autres types de pathologies. C’est par la continuation de patien-
tes recherches sur de multiples cas qu’on parviendra à élucider de tels
épineux problèmes à l’avenir.
« Au commencement était l’action… », telle est la proposition énon-
cée par S. Freud, à la fin de l’ouvrage Totem et Tabou (1913), qui refuse
de clore la discussion par une décision définitive et absolue.

Troubles sensoriels

 Psychomotricité et surdité13
Depuis 1950, des études multiples ont porté sur l’évaluation des trou-
bles psychologiques, psychomoteurs et intellectuels de l’enfant sourd.
Très parcellaires, n’explorant qu’un aspect particulier du comportement
de l’enfant sourd, en comparaison de l’enfant entendant; leurs résultats
sont souvent contradictoires (cf. l’ouvrage de D. Busquet et C. Mottier,
1978, qui décrit tous ces travaux avec une grande précision).
Un retard ou des conduites spécifiques aux sourds dans certains
domaines sont contrebalancés par des aptitudes particulières dans

13. Barbara G RIS.


150 L’enfant : de l’agi au représenté

d’autres. L’intérêt historique qu’elles présentent réside dans l’apprécia-


tion des positions éducatives qui ont jalonné la prise en charge des
enfants sourds, favorisant tour à tour une éducation oraliste, gestuelle
ou mixte, qui est à l’heure actuelle encore un sujet de polémiques et de
divergences institutionnelles, rendant très complexe une approche glo-
bale objective. Il n’est pas inutile de se souvenir que pendant des
décennies, la surdité a été entachée d’un caractère d’étrangeté, de malé-
diction et semblait devoir priver les sujets qui en souffraient d’une part
d’humanité.
En réservant l’exclusivité de la pensée et de son développement à la
possibilité d’exprimer oralement des idées et des concepts, l’éducation
spécialisée a essentiellement centré ses efforts sur les capacités d’orali-
sation des sourds. Dans les institutions, ce passé reste très prégnant…
Les nombreuses recherches en cours aujourd’hui sur la clinique psy-
chologique et psychomotrice de l’enfant sourd restent l’objet d’équipes
ayant peu ou pas de contact entre elles. Peu diffusées, elles semblent
s’orienter dans les mêmes directions de travail. Nous ne pouvons toute-
fois méconnaître les incidences nombreuses qu’origine la surdité sur le
développement global de l’enfant ; et les effets engendrés par la
déficience sensorielle chez l’enfant dans l’appréhension et la construc-
tion du monde qui l’environne. L’enfant sourd l’est déjà dans le ventre
maternel, il est sourd à la naissance… sourd aux paroles, aux explica-
tions, au bruit, au monde… La suppléance sensorielle apportée par les
autres sens, si elle autorise l’enfant sourd à affiner son expression sen-
sorielle et motrice et aide à son développement, ne suffit pas à compen-
ser la perte de l’ouïe et le rapport habituel qu’entretient l’audition avec
les autres sens. Les troubles de la communication importants, qui exis-
tent dès le début de la vie chez l’enfant sourd, retentissent sur son déve-
loppement global et vont nécessiter dans tous les cas un soutien
rééducatif long et spécialisé.
Actuellement, ce sont les recherches menées par D. Anzieu qui sem-
blent les plus intéressantes pour le travail du psychomotricien. Le con-
cept du Moi-peau, qui élabore le soutien épidermique et tactile du moi
psychique, fournit des repères théoriques précis au psychomotricien,
dans son approche clinique de la surdité et des défaillances réelles que le
handicap sensoriel peut amener dans la construction identitaire du sujet
sourd. Pour D. Anzieu, l’enveloppe sonore serait la première à se consti-
tuer chez le nourisson et permettrait la formation des enveloppes tempo-
relle et spatiale, bien avant que les autres enveloppes sensorielles
(olfactive, visuelle, tactile et gustative) ne s’organisent. L’absence de
l’audition pourrait dès l’origine contrarier la mise en place et la cons-
truction des différents espaces psychiques nécessaires à la formation de
l’appareil psychique. Nous pouvons donc élaborer que la surdité – par
Clinique psychomotrice de l’enfant 151

l’absence ou la restriction du bain sonore qu’elle entraîne – modèle une


organisation psychique particulière; et nous dégager des modèles théo-
riques habituels qui se réfèrent à l’enfant entendant… D’autre part, les
nombreux travaux sur l’importance des premières relations tactiles
mère-enfant, sont autant d’apports fructueux à l’évaluation précoce
mère-enfant sourd et de la place primordiale que prend le toucher dans
ces échanges. Nous pouvons alors hypothéquer la difficulté qu’aura
l’enfant sourd à s’adapter aux contingences d’une communication autre,
quand les rapports de proximité corporelle se raréfieront. L’accordage
tonique entre le bébé sourd et sa mère, souvent difficile à instaurer,
pointe les perturbations précoces que connaît la communication dès son
installation. L’échange fragilisé par l’annonce du handicap, qui agit
comme un choc traumatique sur le couple parental, et les incompréhen-
sions mutuelles qui se succèdent quotidiennement, semblent jouer un
rôle déterminant dans le développement psycho-affectif de l’enfant
sourd. La possibilité pour l’enfant sourd de trouver un moyen d’échange
efficient avec son entourage, ou son absence, sera la condition néces-
saire à son évolution, et pourra lui permettre de développer des relations
signifiantes au monde des personnes et des objets. Un soutien attentif et
cohérent à la famille sera tout aussi indispensable.

• Développement psychomoteur de l’enfant sourd


Il nous apparaît chez l’enfant sourd, souvent plus complexe que chez
l’enfant normal. Les stades d’évolution motrice (stations assise,
debout, marche) semblent s’effectuer avec un certain retard par rapport
à la norme en vigueur; mais il n’est pas possible de généraliser la per-
manence de telles difficultés à tous les enfants sourds, et de conclure
que la surdité implique inévitablement un retard dans les apprentissa-
ges de base.
La pratique prolongée du psychomotricien auprès de l’enfant sourd
le conduit à remarquer qu’il ne peut être établi de profil psychomoteur
spécifique à l’enfant sourd, dans la mesure où une communication
suffisamment signifiante n’a pu lui permettre de créer et de maintenir
des relations correctes avec son entourage (à partir du moment où la
surdité ne s’accompagne pas d’autres pathologies organiques).
Les difficultés psychomotrices émergent le plus souvent quand
l’enfant sourd n’a pu développer des échanges corrects avec son entou-
rage et poser des demandes adaptées. Le corps est alors utilisé par
l’enfant sourd comme lieu de discours et devient le siège de manifesta-
tions psychomotrices diverses : le symptôme psychomoteur apparaît
comme une solution de compromis. Ainsi, les perturbations dans le
développement psychomoteur de l’enfant sourd doivent s’analyser dans
le contexte particulier du vécu de la surdité de l’enfant au quotidien,
152 L’enfant : de l’agi au représenté

comme de l’acceptation du handicap par l’entourage. Dès lors, la con-


frontation répétée du psychomotricien aux agis désordonnés de l’enfant
sourd l’oblige, à chaque nouvelle rencontre, à définir les éléments clini-
ques se rattachant directement au handicap.
La formation du psychomotricien nous paraît d’extrême importance,
en raison de la particularité que présente l’enfant sourd dans l’expres-
sion corporelle de ses affects, et demande à celui-ci d’avoir suffisam-
ment travaillé ses propres résistanes pour ne pas être déstabilisé par ces
agis…

• Bilan psychomoteur de l’enfant sourd


En ce qui concerne l’enfant sourd, il est important de ne pas mécon-
naître les difficultés qu’engendre la surdité, tant sur le développement
global que sur les incidences portées sur les actes de communication
les plus élémentaires, qui vont complexifier la relation dès le début et
mettre en défaut les compétences du psychomotricien dans ses capaci-
tés d’évaluation et de perception des « ressources psychomotrices » de
l’enfant sourd. La passation des différentes épreuves du bilan ne peut
s’appuyer sur la consigne orale dans la plupart des cas et les échelles de
développement ne sont pas étalonnées, de ce fait, pour une population
sourde. L’examen psychomoteur de l’enfant ou de l’adolescent sourds
ne présente pas de différence significative avec l’examen psychomoteur
classique de n’importe quel autre enfant. Les épreuves du bilan s’adap-
teront au niveau de la communication utilisée (oral, gestuel, corporel)
et tous les supports graphiques, visuels et mimiques, seront valorisés.
Afin de ne pas pénaliser l’enfant sourd dans une comparaison réduc-
trice aux résultats d’un enfant entendant, du même âge, l’accent sera
porté sur les possibilités individuelles de l’enfant sourd : d’entrer en
relation avec autrui; d’utiliser son corps pour exprimer des émotions et
d’évaluer ses aptitudes motrices dans des actes moteurs — simples et
complexes — dans les situations les plus diversifiées (activité sponta-
née et dirigée, relation individuelle et de groupe, situation scolaire et de
jeu…). Le niveau de surdité, la présence de restes auditifs, la présence
ou l’absence de langage seront également des indicateurs précieux pour
affiner les épreuves de l’examen psychomoteur et orienter le psycho-
motricien dans son évalutation. Cet examen nécessitera plusieurs ren-
contres avec l’enfant, et sera confronté aux autres examens réalisés.

• Troubles psychomoteurs
Les plus fréquemment rencontrés chez l’enfant sourd et qui ont fait
l’objet de publications diverses (D. Donstetter, 1980; M.-H. Herzog,
1981; B. Gris, 1985) portent sur :
Clinique psychomotrice de l’enfant 153

– L’organisation psychomotrice fondamentale. — Tonus :


L’oreille ne pouvant jouer son rôle d’alarme visant à la régulation
tonique dans les différentes postures, la tonicité musculaire de l’enfant
sourd est souvent majorée de façon importante aboutissant à des synci-
nésies durables et des paratonies persistantes. Ces dysharmonies toni-
ques sont à relier vraisemblablement aux ratés rythmiques de la dyade
mère-enfant sourd d’une part, et d’autre part, à la prédisposition natu-
relle de l’enfant sourd à se contracter dans tous les éprouvés d’intru-
sion, par manque de moyens d’anticiper la venue ou l’action de
l’entourage. Mode tonique qu’il perpétue en grandissant.
Equilibre : les atteintes vestibulaires très fréquentes quand l’oreille
interne est lésée, le perturbent. Parfois, malgré un vestibule intact, il est
précaire.
– Les potentialités psychomotrices. — L’acte moteur : la coordina-
tion, les capacités d’anticipation, d’inhibition motrice, le niveau de
vigilance montrent des perturbations allant jusqu’à des tableaux d’ins-
tabilité posturale majeure, qui sont à relier dans au moins 80 % des cas
à des difficultés de gestion et d’implication dans les actes interactifs
(les études montrent que les enfants concernés ont reçu une éducation
oraliste (cf. D. Donstetter, 1989).
Le temps est une notion que l’enfant saisit péniblement et qu’il nous
faut envisager au-delà de son handicap, qui fragilise évidemment les
repères rythmiques. Si les incompréhensions se succèdent au quotidien
par l’absence ou la fragilité des explications données et si un intermé-
diaire prend en charge la majorité de ses demandes, l’enfant sourd ne
peut intégrer la succession temporelle et comprendre ce qui se vit
autour de lui au quotidien. La présence du handicap modèle une organi-
sation atypique du temps chez l’enfant sourd ; envisagé tout de suite
dans un futur d’enfant « parlant et entendant » « son passé de mutisme »
est rapidement éliminé de son histoire… Par la méconnaissance de son
histoire d’enfant sourd, le handicap et les perspectives rééducatives lui
étant rarement définis, et par les manques d’informations donnés, le
temps se fragmente et ne peut être saisi dans un continuum structurant.
En favorisant au maximum les moyens de compréhension de l’enfant
sourd, nous pouvons l’aider à se projeter dans le futur, tout en assumant
pleinement la chronologie de son histoire.
L’espace : la différence qui s’opère entre les enfants déficients audi-
tifs présentant un retard moteur et ceux qui ont un niveau de développe-
ment correct, ne peut s’expliquer seulement par la profondeur de
l’atteinte auditive, mais témoigne de la validité des procédés de com-
munication et de la place particulière qu’occupe l’acte visuel dans leurs
échanges. La majorité des enfants sourds en difficulté de communica-
tion présentent des perturbations de la fonction visuelle. En utilisant la
154 L’enfant : de l’agi au représenté

vue comme sens substitutif à l’ouïe défaillante, l’enfant sourd déve-


loppe des conduites de collage à l’objet et de fixation du visage
d’autrui, qui l’empêchent de s’ouvrir au monde extérieur et d’organiser
des actions motrices indépendantes.
Ainsi, l’apparition de la marche tardive (souvent vers 16-20 mois)
doit s’analyser dans deux directions :
– le contexte familial, qui a pu freiner inconsciemment l’agi auto-
nome de l’enfant (plus fragile, car handicapé),
– la difficulté propre de l’enfant à se dégager d’une relation sécuri-
sante basée sur les repères tactiles et visuels…
Les difficultés d’installation d’une latéralisation ferme témoignent
de cette même impossibilité de l’enfant (qui a fondé tout son registre
communicationnel sur la vue) d’opérer une reversilité des repères spa-
tiaux, et de se dégager d’une identification en miroir (à un autre déten-
teur de l’outil communicatif). L’appropriation défaillante de
l’espace,qui entrave ses acquisitions, semble donc s’originer dans le
manque d’outils de communication adaptés à son handicap ; en privilé-
giant le mode d’expression verbal dans son éducation, nous privons
l’enfant sourd pendant un temps (temps nécessaire à la construction de
l’oral) des moyens d’affirmer son autonomie et d’agir seul. Notre prati-
que psychomotrice en institution nous amène à rencontrer quotidienne-
ment des enfants sourds en difficulté motrice globale, ne pouvant se
situer dans un continuum temporo-spatial. La nécessité d’offrir à
l’enfant sourd très précocement un ensemble de procédés de communi-
cation, apparaît fondamentale pour son identité et la gestion des repères
temporo-spatiaux. Sinon, nous l’encourageons à utiliser des repères
parcellaires, essentiellement issus du canal visuel, qui dépossède le
regard de sa composante relationnelle, et fige l’enfant sourd dans un
comportement de dépendance aux agis d’autrui.
La clinique psychomotrice auprès d’enfants sourds en grande
difficulté nous montre qu’en restaurant chez eux les bases d’une com-
munication signifiante, ils parviennent progressivement, par la réorga-
nisation de leur champ visuel, à investir l’espace et à s’y mouvoir avec
efficacité.
– Les capacités de communication. — Le bilan doit tenir compte
des possibilités langagières de l’enfant sourd et de son niveau de
surdité. Quand l’enfant sourd souffre d’un manque important de
moyens de communication et ne parvient pas à exprimer clairement
son questionnement, le corporel prend le relais « du dire impossible »
et les difficultés psychomotrices se précisent.
Toutes les manifestations psychomotrices énoncées ci-dessus sem-
blent découler de cette impossibilité d’établir une communication avec
Clinique psychomotrice de l’enfant 155

autrui. Il apparaît donc, qu’au delà du handicap sensoriel (qui fragilise


l’organisation psychique et psychomotrice de l’enfant sourd), on ne
peut parler de difficultés spécifiques à la surdité. Nos travaux doivent
nous conduire à élaborer les conditions nécessaires à une évolution har-
monieuse de l’enfant sourd et veiller à respecter et accroître ses poten-
tialités communicatives dans le registre où elles émergent. L’apport de
la LSF et l’éducation polysensorielle favoriseront chez l’enfant sourd
une expression personnelle et éviteront le détour corporel.

• Education, rééducation, thérapie psychomotrice


L’éducation psychomotrice : le travail corporel, rythmique, les sti-
mulations tactiles, vibratoires et émotionnelles, en affinant les praxies
et les possibilités de ressenti tonique, sont à développer; l’écoute par la
peau, à privilégier… Les apports du psychomotricien à l’équipe peu-
vent être très dynamisants pour ce travail de stimulation sensorielle.
La thérapie psychomotrice va concerner deux catégories d’enfants.
Les enfants sourds présentant des surhandicaps : le travail
s’appuiera sur les techniques et les stimulations réservées à ce type de
pathologies, en insistant sur les possibilités individuelles de communi-
cation.
Les enfants sourds sans pathologie surajoutée, mais qui par absence
de code langagier structuré, s’enlisent dans un agi corporel inadéquat,
et agissent au niveau du corps les conflits intrapsychiques qui les tra-
versent. L’expression du conflit s’exprime alors suivant des modes qui
nous sont bien connus dans la clinique psychomotrice : registre névro-
tique, psychotique, pathologie adaptative (pathologie du banal de
Sami-Ali, 1980) et psychosomatique (centré souvent sur la sphère
ORL).
La thérapie psychomotrice auprès de l’enfant sourd est souvent lon-
gue et nécessite une prise en charge régulière avant que des possibilités
de changement soient observables. La souffrance de l’enfant sourd et la
blessure narcissique importante infligée à l’entourage qui doit faire
face à un enfant différent, dont le handicap peu visible invalide grave-
ment ses possibilités relationnelles, rendent très difficiles le travail thé-
rapeutique et l’ouverture acceptée et reconnue à d’autres formes
d’expression inhabituelles, tant du côté de l’enfant que de sa famille.
Pour le psychomotricien, ce n’est pas la surdité qui est l’objet de soins,
c’est la rencontre avec un sujet porteur de surdité.

• Techniques utilisées
– Techniques de stimulation sensorimotrice du jeune enfant.
– Techniques d’expression picturale et graphique.
156 L’enfant : de l’agi au représenté

– Travail thérapeutique autour de l’imaginaire : jeu de rôle, mime,


psychodrame, marionnettes…
– Approches corporelles : les techniques de massages, l’expression
corporelle, émotionnelle, les techniques bioénergétiques et leurs déri-
vés s’avèrent particulièrement intéressantes auprès des adolescents
sourds, qui souffrent de ne pouvoir extérioriser leur vécu intime de
sujet sourd et trouvent dans ces supports des aides à l’appropriation de
sensations et de mises en actes de leurs difficultés.
La relaxation sous ses formes multiples est un moyen très positif
d’aborder le sujet sourd ; des approches en sophrologie, visualisation
sont tout à fait possibles après adaptation des consignes. (D. Donstetter,
1986, et d’autres auteurs ont présenté des expériences de relaxation
auprès d’enfants et d’adolescents sourds très prometteuses).
Les risques attenants au travail de psychomotricien dans le champ de
la surdité sont à relever du côté d’une indication mal posée, où son
action pourrait être envisagée comme une technique de stimulation
supplémentaire devant servir le travail de rééducation spécifique por-
tant sur la parole.
Le psychomotricien devra veiller, plus encore que dans d’autres
lieux institutionnels, à ne pas être utilisé à des fins rééducatives strictes,
mais définir l’impact thérapeutique de son action.

Conclusion
L’intérêt que présente la psychomotricité dans ses axes éducatifs et
thérapeutiques auprès de l’enfant sourd réside dans différents points :
– la prise en compte d’un discours corporel éminemment personnel
de l’enfant sourd,
– la possibilité de réintégration de la perte sensorielle à une véritable
unité psychosomatique,
– par le choix dynamisant qu’elle se donne, d’envisager au travers
d’un travail corporel, une autre façon d’appréhender la surdité non plus
comme attribut identitaire exclusif, mais comme le point de départ
d’une rencontre avec un sujet, qui en est porteur…
Les perspectives nouvelles apportées par les recherches individuel-
les, encore trop peu diffusées, des thérapeutes en psychomotricité, tra-
vaillant auprès des enfants et des adolescents sourds, montrent l’intérêt
que présente la surdité au plan clinique et sont très encourageantes pour
l’avenir de notre pratique psychomotrice.
L’enfant sourd semble pouvoir être envisagé au delà de sa surdité et
retrouver un statut de sujet parlant, à part entière…
Clinique psychomotrice de l’enfant 157

 Polyhandicap14

Il s’agit au cours de ce travail de montrer la place que peut occuper


la psychomotricité auprès d’enfants porteurs de troubles graves des
fonctions motrices avec ou sans atteintes des fonctions mentales. Il
faut distinguer les enfants dits infirmes moteurs cérébraux pour les-
quels les capacités intellectuelles peuvent être intactes ou peu atteintes
et les enfants dits polyhandicapés, qui correspondent à la définition
suivante : « Enfants présentant un handicap grave à expression multi-
ple avec restriction extrême de l’autonomie et déficience intellectuelle
sévère » (E. Zucmann, 1985). Pour ces enfants, dès leur plus jeune
âge, la prise en charge est médicale, rééducative, éducative et théra-
peutique ce qui implique le travail d’une équipe pluridisciplinaire dans
laquelle prend part la psychomotricité.
Le suivi rééducatif des déficiences motrices de l’enfant est souvent
assuré très précocement car le diagnostic de ces déficits peut être très
précis grâce aux examens très affinés de la neuromotricité mis au point
par divers praticiens (M. Le Métayer, 1989; N. Pinsard et coll., 1984;
C. Amiel-Tison et A. Grenier, 1980 ; T.-B. Brazelton, 1983). Deux
constatations s’imposent dès à présent, le corps de l’enfant est pris dans
un discours médical et il est l’objet de soins très spécifiques et technici-
sés sur le réel du handicap constaté.
Le psychomotricien situe son action au niveau du corps propre de
l’enfant dans une tentative de corporéisation (P. Aulagnier, 1986) ou de
personnalisation (D.-W. Winnicott, 1971) dans la visée à long terme
d’une structuration chez ces enfants d’un « moi corporel » qui puisse
être support et lieu d’échange et de relation avec son environnement
parental et soignant. Ces enfants émettent des signes corporels qui sont
accueillis, décryptés et parlés par le psychomotricien dans l’espace de
la séance. Celle-ci peut comporter un temps de relaxation avec contact
corporel et nomination à l’enfant de son corps; le but est d’arriver à une
détente difficile à obtenir et viser à ce que l’enfant puisse se laisser aller
à ses pulsions passives et trouver une dimension de maîtrise de son
corps dans ce mouvement accompagné. Le corps de l’enfant peut être
envahi par les mouvements involontaires qu’il subit du fait de son han-
dicap, ceux-ci doivent être parlés, ils sont ce qui signe la différence et la
singularité de cet enfant c’est d’une parole authentique sur le handicap
dans ce que le regard du psychomotricien perçoit mais aussi sur le
savoir qu’il a de ces phénomènes et la capacité de mettre en œuvre un
savoir faire acquis dans le domaine de la rééducation fonctionnelle
(exemple : inhiber une extension, etc.). Un autre temps de séance est le

14. Gabriel ALLEMANY.


158 L’enfant : de l’agi au représenté

travail devant le miroir où l’enfant va faire connaissance avec son


image par l’intermédiaire du regard (F. Dolto et J.-D. Nasio, 1987). Il
aura également une perception de son corps dans sa totalité et sa globa-
lité, le miroir sera utilisé dans sa fonction structurante dans la forma-
tion du « je » (J. Lacan, 1966). Il est nécessaire pour ce temps que
l’enfant soit dans une situation de confort et de sécurité tant physique
qu’affective. Pendant ces deux séquences, on est dans le recherche d’un
état de moindre tension qui permette au sujet-enfant d’éprouver son
corps dans une dimension de plaisir dont on connaît la fonction structu-
rante (J. Bergès, 1985).
Le corps de l’enfant dans ces temps est agi, touché, regardé, parlé,
pensé, ce qui permet de créer une identité de perception entre l’enfant
et le thérapeute dont la parole vient faire à la fois coupure entre leurs
deux corps et lien dans la recherche d’une identité de pensée qui ouvre
sur la dimension symbolique. La perspective est de pouvoir structurer
des échanges et pour l’enfant de pouvoir utiliser cette conduite sémioti-
que qu’est la communication émotionnelle comme un mode de faire-
savoir qui implique pour le thérapeute une interprétation et une mise en
sens des signaux émis par l’enfant pour créer et soutenir une dimension
symbolique de l’échange.
Le handicap crée un relation d’emprise sur l’enfant (D. Décant,
1987) et sur ses parents qu’il faut tenter de rompre ; car souvent cela
s’accompagne, comme le dit M. Pagès, d’une violence fantasmatique
de la part des parents envers l’enfant (M. Pagès, 1982).
Un exemple, F. âgée de 3 ans, arrive au bout d’un an de travail à se détendre. Elle
est atteinte d’une hémiplégie infantile sévère associée à une épilepsie. Je lui demande de
détendre son membre inférieur qui est en triple flexion. F. me regarde, elle a compris,
mais la commande ne peut s’effectuer. Je pose mes doigts sur son genou et F. abaisse
lentement son membre inférieur jusqu’au sol et le maintien un long moment. La maman
dira : « elle ne le fait qu’avec vous », et effectivement F. ne réalisera plus cela que quand
sa maman sera absente des séances et plus jamais en sa présence. Je venais de mettre le
doigt sur un conflit dans la relation inconsciente entre F. et sa maman qui se rejouera par
la suite dans l’utilisation de ce mouvement dynamique de F. en présence de sa maman.

Ceci nous amène à parler du fait que quand l’enfant est jeune, ces
séances se passent souvent avec les parents présents, certains parents se
libèrent de leur propre tension, ils parlent du corps de leur enfant, de
leurs difficultés dans les gestes quotidiens (portage, habillage, alimen-
tation), certains sont avides de gestes techniques ou d’un savoir,
d’autres sont dans un vécu dépressif qui « abolit la prime de plaisir
qu’on devrait rencontrer dans l’agir, le penser, le contact : c’est à cette
absence de plaisir que réagit l’infans, à cette impossibilité pour la mère
d’exprimer, signaler, manifester dans ses contacts avec son enfant,
qu’elle vit et partage une expérience de plaisir » (P. Aulagnier, 1986).
Clinique psychomotrice de l’enfant 159

Il s’agit de se référer à la clinique de l’attachement (J. Bowlby, 1978)


dans ces interactions mère-enfant (S. Lebovici, 1983), évaluer les
échanges émotionnels (accordage), repérer les réactions du bébé aux
séparations (strange situation), noter les incidences affectives, les atti-
tudes corporelles des parents, apprécier la qualité du regard et chez
l’enfant la recherche ou l’évitement qu’il a à l’égard du parent présent
dans le temps des séances et en référer dans les réunions d’équipe pour
évaluer les différents ressentis des intervenants.
Il faut noter la place privilégiée du toucher, du regard, de la parole et
du plaisir partagé au cours de ce holding et de ce handling que consti-
tuent ces séances. Le toucher cherche, comme disent Calza et Contant
(1989), « à élaborer un espace psychique à partir d’un espace biologi-
que, sensoriel et sensori-moteur dans le passage par l’ordre qui puisse
amener la résolution de certains conflits ».Il se situe dans une perspec-
tive qui tente de mettre en place les conditions d’advenir à la situation
symbolique où il y a absence de toucher. Le regard et son lien au pul-
sionnel dans le plaisir de se voir, de regarder et le plaisir de montrer,
dans sa fonction dans le procès de personnaison (F. Dupré, 1984) décrit
dans le stade du miroir de Lacan tient une place essentielle dans ce tra-
vail (N. Deniaux, M.-A. Kipman, 1981; J. Lacan, 1973; P.-A. Raoult,
1986). La parole vient faire mention aux différentes motions pulsion-
nelles qui animent l’enfant (G. Allemany, 1990) et elle le fait entrer
dans le registre du code de la communication et de la tentative de créer
un sens à la rencontre de ces corporéités créant un écart à partir duquel
l’enfant pourra faire signe (exemple de F. : le signe est dans son regard
qui répond à ma demande et qui dit : « compris » mais donne à ton tour
le signe du lieu du corps dont tu me parles et la réponse est le contact de
mon doigt posé sur son genou). Le psychomotricien introduit égale-
ment cet espace du plaisir partagé qui vient atténuer la sauvagerie du
surmoi corporel que représente le handicap sévère de l’enfant. Il faut
donc œuvrer pour désidentifier l’enfant de son handicap, celui-ci n’est
pas réduit à son infirmité.
Pendant le temps des séances de psychomotricité, l’enfant est égale-
ment débarrassé de ces nécessaires prothèses qui collent à sa peau dans
d’autres temps de la journée (siège moulé, plâtre de verticalisation,
etc.); il retrouve une image de son corps amputée de ces suppléances
peu à peu intégrées dans l’image qu’il a de son corps. Il y a surtout un
retour à une régulation tonique sans cet étayage que constitue l’ensem-
ble de ces appareillages qui assiste son tonus postural et génère un
autre rapport à l’espace.
La place du psychomotricien est donc dans la précocité de mettre en
relation le « je » de l’enfant et son corps (F. Giromini, 1985) avec les
représentations psychiques qui peuvent se forger lors de ces échanges
160 L’enfant : de l’agi au représenté

et structurer un autre rapport au monde de l’enfant que par le réel de


son handicap qui pourrait amener le « je » de l’enfant à non investir ou
désinvestir ce corps qu’il a à habiter, à investir « comme son lieu, son
espace, son sol non séparable, non distanciables de lui-même »
(P. Aulagnier, 1986).
Quand l’enfant est plus âgé et suivi dans d’autres conditions, le plus
souvent institutionnelle et en séances individuelles sans les parents ou
en groupe, il reste cette nécessité d’un code de communication qui
passe par le corps et qui soit transmissible à toute l’équipe qui travaille
avec l’enfant, la relaxation reste une indication avec la prudence impo-
sée par les modifications que fait intervenir la puberté (J. Bergès,
M. Bounes, 1974 ; J. Bergès, 1992) ; il faut également favoriser les
expériences cognitives et adapter la rééducation à cette visée. Différen-
tes méthodes existent et sont pratiquées; certaines utilisent la sensori-
motricité, d’autres favorisent le développement de la sensorialité
comme mode d’approche (J. Hulsegg et coll., 1989).
La thérapie psychomotrice constitue donc un abord spécifique de ces
jeunes enfants atteints de troubles graves des fonctions motrices et
mentales par le fait qu’elle n’aborde pas le corps de l’enfant par le réel
de son handicap mais qu’elle tente d’amener le sujet enfant à investir
son corps comme lieu de parole et d’échange afin qu’il puisse faire
signe et sens. C’est un travail long et difficile qui se construit et s’éla-
bore dans le temps, l’espace, l’histoire et la dynamique des séances de
psychomotricité et qui constitue une expérience vivante et humaine.

Autisme, psychose et médiation corporelle15

La pertinence de la médiation corporelle dans le travail clinique


auprès des enfants autistes et psychotiques s’appuie essentiellement sur
deux idées : la première consiste à dire que l’observation détaillée des
manifestations corporelles renseigne quant à la vie émotionnelle et sub-
jective, et notamment quant aux éléments non symbolisés de la situa-
tion observée; la deuxième idée, corrélative à la première, consiste à
dire que l’acte est la première modalité de symbolisation, et que la mise
en jeu du corps est une voie d’appropriation des expériences non sym-
bolisées. Cependant, la médiation corporelle est aussi porteuse de vio-
lence et de séduction, et potentiellement génératrice d’angoisse,
particulièrement chez l’enfant autiste ou psychotique dont l’image du
corps traduit l’activité d’angoisses catastrophiques non détoxiquées. La

15. Albert CICCONE.


Clinique psychomotrice de l’enfant 161

médiation corporelle doit donc connaître ses propres limites quant à


l’approche d’enfants autistes et psychotiques.
L’idée d’une possible lecture corporelle des phénomènes psychiques
s’est développée dans différents champs, dans différentes pratiques,
depuis les travaux de Freud sur l’hystérie. Un auteur comme G. Haag a
apporté une contribution considérable à la compréhension des proces-
sus psychiques chez l’enfant autiste ou psychotique, tout comme chez
le nourrisson, à partir de l’observation détaillée des messages infraver-
baux, des interactions, des attitudes et des comportements. Se basant
sur l’expérience d’observation attentive des bébés telle qu’enseignée
par E. Bick (L. Miller et al., 1989), elle montre comment l’observation
détaillée des situations, des interrelations, des manifestations corporel-
les, renseignent sur la subjectivité des sujets observés. Le repérage des
moindres manifestations corporelles autour desquelles s’organise la vie
psychique du bébé donne une expérience profitable à l’approche de la
vie émotionnelle des enfants psychotiques, autistes, et autres, à partir
de l’observation attentive des manifestations corporelles, verbales et
non verbales, et des interactions. Un tel travail nécessite un dispositif
rigoureux dont rendent compte plusieurs ouvrages (cf. par exemple :
R. Sandri et al., 1994; M.-B. Lacroix et al., 1995; A. Ciccone et al.,
1998).
La médiation corporelle auprès des enfants autistes et psychotiques
est donc pertinente en ceci que l’observation fine des situations corpo-
relles et des interactions renseigne sur la subjectivité (d’autant plus
lorsque l’enfant n’a pas ou n’a que peu de langage), dès lors que les
conditions propices à un tel décodage sont posées.
G. Haag, par exemple, a proposé des éléments précieux de compré-
hension sur la façon dont se construit l’image du corps chez le bébé,
comme chez l’enfant autiste ou psychotique — ou sur la façon dont
l’image du corps échoue à se construire —, ainsi que sur la façon dont la
scène corporelle dramatise ces processus psychiques de construction.
On peut dire que l’image du corps résulte d’un double mouvement : un
mouvement que l’on peut qualifier de centripète, d’intériorisation des
interrelations, et un mouvement que l’on peut qualifier de centrifuge, de
projection de la subjectivité sur la réalité externe.
Le mouvement centripète d’intériorisation est représenté par la notion
d’« identification intracorporelle » développée par G. Haag (1985,
1987). L’identification intracorporelle rend compte de la façon dont un
bébé intériorise une expérience en rejouant dans son corps, de lui à lui, à
travers la mise en jeu des segments de son corps, une interrelation qu’il
vit ou qu’il vient de vivre avec un objet de son entourage. Par exemple,
un bébé tenu dans le giron maternel et qui attrape avec une main le
pouce de l’autre main, rejoue avec les mains l’enveloppement maternel.
162 L’enfant : de l’agi au représenté

Un bébé qui écarte brusquement les bras alors que sa mère s’éloigne,
rejoue avec ses membres la situation de séparation, etc.
Autre exemple : on peut facilement observer un bébé de 8 à 10 mois
sur sa chaise haute, nourri à la cuillère par sa mère et jouant à laisser
tomber un objet, que la mère ramasse inlassablement. Si l’on observe
de près la séquence, on s’apercevra que le bébé jette l’objet au moment
où il déglutit le bol alimentaire. On peut dire que ce mouvement de
laisser tomber l’objet est une projection dans l’espace de la représenta-
tion « excorporée » de la chute du bol alimentaire dans le corps. Le
bébé élabore dans son corps, par son corps, le processus d’incorpora-
tion. Il vérifie, par ailleurs, la survivance de l’objet. Il vérifie que
l’incorporation, et les éléments sadiques oraux que celle-ci mobilise
(notamment à cet âge-là), n’ont pas détruit l’objet, n’ont pas détruit la
mère nourricière. L’objet fait retour (la mère le ramasse), la mère a
donc survécu à l’incorporation. Autrement dit, le bébé fait l’expérience
que l’incorporation psychique, qui s’étaie sur l’incorporation orale, ne
détruit pas l’objet. C’est comme cela que s’acquiert, entre autres, la
notion de permanence de l’objet. Et l’on voit bien le rôle de l’environ-
nement dans le déploiement de ce processus. Le destin de cette expé-
rience est bien différent si l’environnement réagit autrement, ne permet
pas la retrouvaille, empêche le jeu.
Bref, l’identification ou l’imitation intracorporelle permet une psy-
chisation des expériences. Elle constitue l’intériorisation des expérien-
ces de lien aux objets, et participe à la construction des objets internes.
L’observation détaillée et attentive de ces mouvements corporels, de
ces manifestations dans le corps, donne des indications sur le déroule-
ment des processus psychiques d’intériorisation, de construction de
l’image du corps et des liens aux objets, et sur les pannes, les faillites,
les achoppements de ces processus.
Le mouvement centrifuge de projection dans l’espace et dans la réa-
lité externe est présenté par G. Haag dans ce qu’elle décrit des
« projections spatiales et architecturales de l’image du corps », et plus
particulièrement des constructions de « représentations de contenance »
et de « représentations de squelette » (G. Haag, 1997). On observe ce
travail de symbolisation primaire de l’image du corps chez le bébé,
mais on l’observe aussi de façon spectaculaire chez l’enfant autiste,
parce que justement l’image du corps échoue à se constituer, et l’enfant
reste agrippé de façon compulsive à ces représentations primaires, à ces
formes corporelles et géographiques qu’il tente d’intérioriser.
L’investissement des formes, des représentations spatiales et architec-
turales, concerne d’abord, comme le montre G. Haag, des
« représentants de contenant ». L’enfant investit des formes spatiales, des
représentants de contenant, représentant le mouvement de constitution
Clinique psychomotrice de l’enfant 163

d’une peau psychique, à partir d’une duplication d’une peau commune


symbiotique avec l’objet primaire. La répétition compulsive de l’agrip-
pement à ces formes signe l’échec de l’intériorisation de cette enveloppe,
de cette peau psychique.
Des indices de cette symbolisation primaire de la fonction conte-
nante, de cette constitution de représentants architecturaux de conte-
nance, se trouvent par exemple dans les processus de projection
spatiale de la perception circulaire et sphérique du Self : on voit ainsi
l’enfant investir tout type de forme sphérique (ballons, cerceaux, etc.) ;
on voit l’enfant répéter la création de formes sphériques (par exemple
par des mouvements de rotation, par des roulades, etc.). L’enfant
autiste, tant qu’il achoppe à déployer ce processus de symbolisation
primaire, reste agrippé à des formes en deçà des formes sphériques, qui
sont des formes rythmiques, des formes de balanciers rythmiques, des
kinesthésies rythmiques, ou bien des formes tourbillonnaires, qui
signent l’échec de la constitution de la circularité.
Cette circularité se fait, se fabrique, dans le lien à l’objet : c’est le
saut dans l’objet (« le saut dans le regard », comme le précise par exem-
ple G. Haag), le saut de l’identification projective et le retour à soi,
retour dans lequel on emporte un peu de la peau commune avec l’objet,
qui fabrique cette circularité et cette peau à soi. Si ce mouvement inter-
pénétrant et symbiotique avec l’objet fait défaut, l’enfant ne peut que
s’agripper à des formes autistiques pour ne pas tomber, pour assurer un
semblant de continuité d’être.
Voici l’exemple d’une séquence avec une enfant autiste de 4 ans qui
montre cette tentative d’intériorisation, de symbolisation primaire de
contenant.
L’enfant, qui pénètre pour la première fois dans mon bureau, investit immédiate-
ment un fauteuil doté d’une forme particulière : il a une forme sphérique (ses deux bras
se rejoignent et forment un arc de cercle). Elle éprouve la circularité du fauteuil. Elle
fait le tour de l’arc de cercle, le flaire, s’y love, et en même temps bascule, à la limite de
la chute, de façon répétitive. Elle dit, pendant ces manœuvres : « C’est dur les bras ».
Puis elle s’excite, cherche à se masturber.
Elle éprouve donc la dureté des bras du giron maternel, et tente de maîtriser les
angoisses de chute de ce contenant qu’elle échoue à intérioriser. Elle remplace
l’angoisse de chute par un agrippement à une activité masturbatoire.
Après ce jeu, elle prend des éléments sphériques qui s’encastrent : pour chacun
d’entre eux, elle éprouve la dureté du bout qui dépasse (pour venir s’encastrer dans
l’autre élément) avec sa bouche et sa langue, puis elle explore avec la langue le trou de
l’élément (dans lequel vient s’encastrer l’autre), et le laisse ensuite tomber.
La circularité dure de l’objet qui ne contient pas renvoie à l’expérience primaire
d’un mamelon qui tombe, qui ne tient pas la bouche, et à l’intérieur duquel on ne peut
pas se réfugier, car on tombe avec.
Après ces manœuvres, l’enfant fait un rond avec ses doigts et passe sa langue à
l’intérieur. Elle continue de symboliser corporellement cette fonction contenante qui fait
défaut. Puis elle s’assoit, se balance en arrière en me regardant et se tient les mains, une
164 L’enfant : de l’agi au représenté

main la ramenant sur le devant, à une position d’équilibre. Est-ce que le regard peut
attacher, retenir? Est-ce que la plongée dans le regard peut construire cette circularité
contenante et détoxiquer les angoisses de chute?
Alors que je mets en mots ce qu’elle semble montrer, elle retrouve un point d’équi-
libre et dessine des cercles fermés. La représentation architecturale de l’image du
corps, de la forme sphérique du Self, est bien en train de se constituer. Après avoir
dessiné plusieurs cercles, elle jette la feuille et n’y prêtera plus attention.
Voilà donc un exemple d’observation directe de ces tentatives
échouées de symbolisation primaire des fonctions de contenance.
On peut en voir bien d’autres exemples. G. Haag parle, par exemple,
des enfants autistes qui, lorsqu’ils sont angoissés, courent d’un mur à
l’autre, de façon affolée, en dessinant une sorte d’étoile dans la pièce.
Tout se passe comme si l’enfant tentait de maintenir en place les limites
d’un espace à trois dimensions, qu’il est très difficile pour lui de con-
server pendant un temps long, et surtout dans les moments de désorga-
nisation.
Outre les représentants de contenant, G. Haag décrit aussi les
« représentants architecturaux de squelette, ou des axes et articulations
du corps ». Il s’agit des projections spatiales des représentations du
moi-squelette, des axes corporels, une fois la contenance suffisamment
intériorisée. On voit cela, par exemple, dans la façon dont l’enfant
s’intéresse aux angles de mur, aux arêtes (se coller aux angles de mur,
être capté par les tuyaux qui descendent le long d’un angle de mur,
etc.). Tout se passe comme si l’enfant éprouvait la sensation de l’axe,
de la verticalité, mais aussi la sensation de la soudure entre deux parties
du corps. On peut évoquer, par exemple, toutes les obsessions concer-
nant la symétrie, les points d’attache (comme l’enfant qui passe son
temps à flairer la jonction des pages de n’importe quel livre). Tout se
passe comme si l’enfant cherchait à éprouver et représenter primaire-
ment la soudure des points articulés du corps. Cette soudure, là aussi,
se réalise dans la soudure du lien à l’objet.
C’est, en effet, vers 5 mois que le bébé joue avec ses mains, ses
pieds, en tirant dessus. Il éprouve la solidité de l’attache en même
temps qu’il élabore les expériences de séparation, de « séparabilité » de
l’objet (accès à la position dépressive, période de l’angoisse à l’étran-
ger). Il expérimente la solidité de l’attachement : l’objet qui s’absente
revient (voir l’exemple précédent du bébé sur sa chaise haute nourri par
sa mère et qui joue à jeter les objets).
L’idée d’une symbolisation primaire, corporelle et spatiale, des pro-
cessus psychiques, notamment des processus de constitution primitive
de l’image du corps et du Self, permet de construire un outil théorique
et méthodologique très utile dans le travail clinique auprès de patients
présentant des troubles graves du développement ou de la personnalité.
Une observation fine des comportements, des attitudes, du langage du
Clinique psychomotrice de l’enfant 165

corps, permet d’accroître le contact avec la vie émotionnelle (sur les


modalités d’une telle observation clinique, cf. A. Ciccone, 1998).
Cette observation nécessite bien évidemment une formation, et un
dispositif rendant possible l’élaboration à partir de l’observation.
L’expérience de l’observation attentive des bébés et de leur environne-
ment, des moindres détails corporels et interactifs autour desquels
s’organise la vie psychique du bébé et les liens intersubjectifs, observa-
tion travaillée dans un dispositif d’élaboration, donne une formation
pertinente à l’approche des enfants autistes et psychotiques.
Outre ce qu’elle produit comme compréhension grâce à l’observa-
tion clinique des manifestations corporelles, la médiation corporelle
dans l’approche des enfants autistes et psychotiques trouve sa perti-
nence dans ce qu’elle propose elle-même comme modalités primaires
de symbolisation. Comme on l’a vu, l’enfant symbolise d’abord par
l’acte. La médiation corporelle visera ainsi à proposer des voies de
symbolisation corporelle, primaires, des expériences subjectives.
C’est ce qui se passe lorsque dans un jeu certaines angoisses sont
dédramatisées. Par exemple, faire un jeu avec un enfant dans lequel est
organisée une situation où une perte d’équilibre conduit à une récupéra-
tion d’équilibre (un saut, un atterrissage, …) peut permettre de dédra-
matiser chez l’enfant des angoisses de chute (angoisses terrifiantes que
vivent souvent les enfants autistes).
Cependant, l’approche corporelle active elle-même l’angoisse. La
médiation corporelle, surtout si elle implique le toucher, peut être vécue
comme une violence, une intrusion ou une séduction, et déclencher des
angoisses persécutoires, claustrophobiques ou désintégratives. Quand il
y a « trop de corps », la médiation corporelle peut provoquer une réponse
corporelle sur le mode de l’excitation, comme l’agitation motrice ou les
conduites masturbatoires, où le corps est investi non plus comme lieu de
symbolisation, mais comme lieu d’agrippement sensuel, ou d’hallucina-
tion d’un objet ou d’une sensation dont la permanence excitante annule
tout éprouvé de séparation, et donc tout travail de pensée.
Inviter l’enfant autiste ou psychotique à une communication, lui qui
attaque toute communication, c’est déjà une provocation pour son nar-
cissisme omnipotent, et cela demande beaucoup de prudence et
d’attention. L’inviter à une relation contenant un excès de corporel, lui
qui se protège contre des angoisses corporelles très concrètes, c’est
l’inviter à se désorganiser.
Les effets de violence et de séduction, inhérents à tout soin, mais par-
ticulièrement présents dès lors que le corps est en jeu, et potentielle-
ment désorganisateurs si la médiation contient trop de corporel, doivent
être repérés et contenus. C’est ce que visent, entre autres, les dispositifs
d’élaboration et de réflexion à partir des pratiques cliniques.
166 L’enfant : de l’agi au représenté

Si la médiation corporelle est pertinente dans l’approche de l’enfant


autiste ou psychotique, elle rencontre aussi des limites qu’elle se doit
de connaître et de travailler.

Psychomotricité de l’autisme : statut du corps et du langage16


De nombreuses publications sur l’autisme font autorité en la matière,
mais il n’en reste pas moins que l’autisme présente des formes d’expres-
sion si diversifiées que son étiologie reflète une multitude de points de
vue très différents les uns des autres, et qui s’opposent dans leur
conception : approches génétiques ou neuro-biologiques sont confron-
tées aux conceptions psychodynamiques, psychanalytiques ou éthologi-
ques. Ces multiples références théoriques posent problème, en particulier
dans la démarche thérapeutique qui en découle et qui peut s’échelonner
des méthodes strictes de conditionnement jusqu’à la psychanalyse.
Pour ce qui est des bases biologiques de l’autisme, les points de vue
sont nombreux, voire contradictoires. Certaines recherches vont dans le
sens d’une diminution de l’asymétrie des hémisphères cérébraux à
laquelle seraient associés les troubles du langage et de l’imitation ges-
tuelle. En neurobiologie, on constate l’augmentation de la sérotonine
dans les différentes humeurs, mais on observe également ce fait dans
les retards sans autisme. Pour d’autres chercheurs les troubles métabo-
liques de la dopamine seraient en cause, mais il y a co-occurence de ces
troubles dans le retard mental, ce qui complique le problème.
Pour certains autres auteurs, un trouble des circuits nerveux pourrait
bien être à la base de cas d’autisme pur. C’est ainsi que, pour Gilberg,
pourrait s’expliquer l’incapacité de l’autiste à reconnaître la signification
émotionnelle des objets. Pierre Geismann, par contre, pense que l’organi-
cité de l’autisme infantile n’en est pas pour autant démontrée. Et il souli-
gne que « cela pourrait aussi bien confirmer le rôle important de
l’environnement dans le tissu cérébral lui-même ». Ce qui, pourtant, res-
sort de ces études, c’est un constat statistique — celui du « très bon état
physique » des enfants autistes, confirmant par là les constatations clini-
ques faites par certains pédiatres au sujet de la rareté des maladies infec-
tieuses chez les enfants autistes même en période d’épidémie.
Quelle place occupe la thérapie psychomotrice à l’intérieur de ce
champ théorico-clinique? Quelle contribution originale peut-elle offrir
de par sa spécificité au traitement de l’autisme?

16. Maurice C ONTANT, André CALZA.


Clinique psychomotrice de l’enfant 167

Pour reprendre l’expression de Wartel, toute clinique suppose des


« présupposés » théoriques permettant d’inscrire les observations dans
le cadre défini.
Comment aborder les problématiques de l’autisme et de la
psychose? En psychomotricité, rappelons qu’on considère trois déter-
minants fondamentaux — le corps, le langage et la pensée — dans
leurs rapports respectifs à l’espace et au temps. Et c’est l’espace qui,
pris comme dénominateur commun, va constituer le fil rouge de notre
démarche. Pour Kant, « notre sensibilité est toujours soumise aux con-
ditions du temps et de l’espace originaire inhérents au sujet ». Et c’est
cette particularité qui nous contraint de penser de manière spatiale que
Bergès appelle « infirmité ». Il faut bien préciser qu’il ne s’agit nulle-
ment ici d’une démarche phénoménologique comme celle de Merleau-
Ponty (1945) posant le sujet « achevé » face à l’espace, mais que nous
prenons l’espace-temps permettant à toute pensée de s’organiser à par-
tir de données non pas innées mais acquises à travers la relation d’objet
en suivant les aléas de la genèse posée en terme de différenciation par
rapport au corps maternel. On voit donc que cet espace-temps n’est pas
purement intellectuel, mais également affectif et lié au développement
libidinal. C’est dans ce sens que Gisela Pankow (1974) a ouvert la voie,
avec pour objectif de faire avec l’espace vécu ce que Freud avait fait
avec le mythe, autrement dit de l’ouvrir à la vérité existentielle et sym-
bolisante. Pour elle, le corps vécu de l’homme se trouve confronté à la
loi, d’une part, par rapport aux relations inter-humaines, et d’autre part,
par rapport à l’ordre spatial du corps lui-même. Les modalités de ce
processus ne se limitent pas aux significations prêtées aux symboles,
mais exigent en outre la relation à l’autre, relation éminemment spa-
tiale sous-tendue par le désir.
Sami-Ali (1990) considère, pour sa part, l’autisme et la psychose
comme une pathologie de la pensée qui se manifeste en terme d’espace.
Ce sont deux formes de pathologies différentes dans leurs modalités
d’expression et qui sont le résultat d’une situation relationnelle catas-
trophique sous-tendue par le désir de mort ou de non-vie psychique.
Ainsi, l’enfant ne doit pas exister de façon autonome au plan
psychique : pour être, il ne doit pas être. Il lui faut donc exister dans la
non-existence, point de départ d’une contradiction à laquelle il peut
réagir de deux façons qui se traduiront en termes de solution psychoti-
que ou autiste. La solution autiste consiste à faire en sorte que cette
impensable contradiction n’advienne jamais, d’où la nécessité de
dénouer les liens qui le relient à la figure maternelle. Ce sont donc
notamment le langage verbal et le regard qui en tant que moyens de
liaison et de communication, seront les plus gravement perturbés. La
relation d’objet se limitera dès lors à l’objet lui-même, sans autre statut
168 L’enfant : de l’agi au représenté

que celui de son existence propre, sans lien par conséquent avec
d’autres objets. L’objet n’entre en relation avec rien, d’où l’élimination
du risque de destruction. Si l’on prend l’exemple : « Le mur est blanc »,
cette proposition deviendra pour la pensée — le mur est mur et le blanc
est blanc. L’espace se limite à un dedans et à un dehors immuables : le
dedans reste le dedans, et le dehors reste le dehors. Cette projection
uniciste vise à rendre tout échange impossible. Le dehors contre lequel
l’enfant se défend, c’est la figure maternelle ainsi que l’ambiance
maternelle. Il y a donc un « dedans » et un « dehors ». Ces deux termes
ne sont pas sujets, mais l’un est mauvais (le dehors) tandis que l’autre
ne l’est pas. C’est ainsi que l’enfant parvient à neutraliser le dehors qui
demeure extérieur, tandis qu’il reste au dedans.
Rappelons un exemple emprunté à Berthe Rehahla qui décrit cette
organisation du non-lien, en montrant un enfant qui dessine un cheval
au galop, en traçant trois cercles séparés et en expliquant que le premier
cercle, c’est lui, le second — le cheval, et le troisième — le galop. En
fait, l’intégration de la contradiction modifiant la structure de la pensée
relèverait de la solution psychotique, l’organisation spatiale se tradui-
sant par un espace constitué d’emboîtement ou d’inclusions récipro-
ques, dans lequel le dedans fait partie du dehors qui fait partie du
dedans. Il faut noter l’équivalence des dimensions : petit = grand, et
surtout, le tout est égal à la partie. On a donc là non un espace de repré-
sentation, mais un espace qui évite la perte, car si l’on perd, on
retrouve, et si l’on retrouve, on perd. Ainsi l’enfant se met à l’abri de
l’angoisse de perte.
La sculpture de Narcisse de Zadkine, créée en 1949, évoque chez
Pankow (1974), une conception du narcissisme rejoignant cette
analyse : « Ainsi », dit-elle, « Zadkine a-t-il saisi l’aspect de la dissocia-
tion dans le problème de Narcisse : une partie du corps devient le tout.
C’est cela qui signifie la destruction ». Le phénomène de dissociation
se conjugue avec le rejet (c’est ainsi qu’elle traduit « Verwerfung). Le
rejet d’une partie du corps suivant un « ordre nouveau », ou nouvelle
loi, suffit à ce que le corps soit tout entier objet de rejet.
Nous venons de voir que l’absence de langage dans l’autisme peut
être envisagée comme un évitement des liens à la figure maternelle.
Ceci nous amène donc à nous interroger sur le langage verbal dans ses
rapports à l’espace et à la pensée dans la psychose.
Le linguiste Benveniste (1966) établit une distinction entre symbo-
lisme linguistique et symbolisme de l’inconscient freudien. Pour lui, la
langue est un système, un instrument d’agencement du monde et de la
société, et chaque langue a sa spécificité et sa configuration propre du
monde. Mais, aucune langue n’échappe au principe de contradiction et
ne peut utiliser une même expression pour deux notions qui s’excluent
Clinique psychomotrice de l’enfant 169

mutuellement ou sont seulement contraires. Benveniste affirme qu’une


langue qui admettrait l’identité de « grand » et de « petit » serait une
langue qui n’a littéralement pas le sens de la distinction de « grand » et
de « petit » et dans laquelle la catégorie de la dimension n’existe pas. Il
paraît donc évident qu’on ne puisse imputer en même temps à une lan-
gue la connaissance de deux notions en tant que contraires et l’expres-
sion de ces notions comme identiques. Benveniste souligne qu’un
« langage est d’abord une catégorisation, une création d’objets et de
relation entre objets ». Imaginer un stade de langage, où certain objet
dénommé comme étant lui-même et en même temps n’importe quel
autre et où la relation exprimée serait la relation de contradiction
permanente : la relation non relationnante où tout serait soi et autre que
soi, donc ni soi, ni autre, c’est imaginer une pure chimère ».
Nous savons que, dans la psychose, le principe de contradiction n’est
pas respecté puisqu’il est intégré, ce qui modifie à la fois la structure de
la pensée et l’organisation de l’espace. Ce point de vue, nous le retrou-
vons chez Gisela Pankow (1974) lorsqu’elle affirme : « Le phénomène
d’un langage qui se vide de son sens et dans lequel les mots ne disent
plus ce qu’ils devraient dire, est étroitement lié selon moi au problème
de l’espace ». Selon elle, l’individu mentirait — d’abord dans son
espace, en l’abritant plus ou moins mal, puis dans son corps, en ne
l’habitant plus. Dès lors, le langage ne constituerait plus une ouverture
dans la communication, mais une espèce de « crampe » où le mensonge
annule l’accès aux références symbolisantes. On pourrait donc en infé-
rer que le non-respect du principe de contradiction provoquerait, outre
la modification de la structure de la pensée, la régression du langage
verbal, vers un langage se rapprochant de celui du rêve établissant des
relations spatiales à inclusions réciproques.
On rapprochera de cette analyse du langage, celle de l’univers carro-
lien et celle de Wolfson. Nous nous appuierons sur l’analyse faite par
Mme Crasson (1973), orthophoniste, pour décrire le langage chez
Wolfson, malade mental non traité, qui va élaborer avec une grande
minutie un système de défense, essentiellement basé sur le langage, et
qu’il a consigné dans un livre « Schizo et les langues » (1970). Wolfson
poursuit maniaquement, comme il le dit lui-même, ses études de langue
maternelle — en fait, la parole de sa mère : la mère, en effet, reste le
personnage central de ce livre et la relation entre elle et l’auteur est trop
saturée d’angoisse pour être supportable. Ce qu’il tente de faire, c’est
de désarmer sa langue maternelle, de la neutraliser, en la traduisant,
non dans une seule langue qui se révèlerait par trop limitée, mais dans
différents idiomes, à la recherche de quelque chose de satisfaisant,
comme lorsque le sens passe par différents systèmes de transformation.
Pour ce faire, il utilise le « procédé scientifique » suivant : un mot de la
170 L’enfant : de l’agi au représenté

langue maternelle étant donné, il doit trouver un mot étranger de sens


similaire, ayant également des sons et des phonèmes communs soit en
français, soit en allemand, en russe ou en hébreu, les quatre langues
étudiées par l’auteur. Un mot le « persécute » fréquemment – c’est
« ladies » – d’une chanson intitulée « Good night, ladies », que la mère
du psychotique chantait en s’accompagnant à l’orgue électrique, alors
que celui-ci étudiait. Ce mot « ladies » l’irritait profondément et il
redoutait de l’entendre prononcer inopinément par un quelconque pas-
sant, chaque fois qu’il sortait, car dit-il, « le monde contient la moitié
de femmes ». Il craignait tout autant de le voir écrit sur la porte des toi-
lettes s’il devait s’y rendre. Par contre, il n’éprouve nulle gêne pour le
mot « men », car le mot allemand « männer » a une prononciation rap-
prochante. Pour se débarrasser du terme obsédant de « ladies », il sera
amené à le remplacer par le mot allemand « Leute » (gens) en se disant
que les femmes sont des gens et donc la moitié des gens. Cependant,
cette substitution ne le satisfait pas entièrement, en raison de la trop
grande différence des voyelles d’une part et du passage du « d » au « t »,
bien que cette transformation suive une règle phonétique. Un jour où sa
mère chantait « Good night ladies », il parvient à associer malgré tout le
mot « ladies » avec le mot russe « Lioudi » qui signifie à peu près la
même chose que le terme « Leute » (gens). Nous avons ici un trait
significatif de la façon dont le psychotique s’en prend au langage et à la
pensée pour fuir la douleur, selon la terminologie du psychanalyste
anglais Bion. Tout en se déplaçant dans la bibliothèque de l’Académie
de médecine pour y rechercher des ouvrages, Wolfson s’efforce en
même temps d’imaginer la configuration spatiale d’un composé biochi-
mique assez compliqué17.
Sami-Ali (1980) analyse ce procédé consistant à imaginer un espace,
alors qu’on est en train d’en parcourir un autre, comme la reduplication
du même. Les deux espaces coïncident au double plan du réel et de
l’imaginaire. L’infiniment petit rejoint l’infiniment grand, de sorte que
le corps propre minuscule et immense contient un espace dans lequel il
est contenu. Le mot est dans le corps et le corps dans le mot – deux espa-
ces qui s’impliquent mutuellement. L’univers carrolien confirme ce
point de vue tendant à démontrer que le sens du langage verbal est sou-
mis aux modifications du corps et de l’espace, modifications sous-ten-
dues par le rêve autour de l’axe « haut-bas » du « pays des merveilles » et

17. Il est à noter que Wolfson se déplace dans un espace qu’il ne connaît pas, il
cherche son chemin et pour ce faire il élabore simultanément la configuration
spatiale d’un composé biochimique. Cette situation ne saurait être confondue
avec celle d’une personne écoutant une conférence d’une oreille distraite, se
laissant aller à des associations diverses par exemple.
Clinique psychomotrice de l’enfant 171

« droite-gauche » « de l’autre côté du miroir ». D’après Sami-Ali (1974),


les aventures d’Alice « au pays des merveilles » exposent ce qu’il peut
advenir d’un corps propre lorsqu’en proie à un incompréhensible délire,
il cède à la tentation de grandir ou de rapetisser au-delà de toute mesure.
La structure du langage elle-même s’en trouve modifiée : « Je dis ce que
je pense ou du moins je pense ce que je dis, c’est la même chose, n’est-
ce-pas? » demande Alice. « Pas du tout la même chose » proteste Chape-
lier. « Tant que vous y êtes, vous pourriez aussi bien dire que je vois ce
que je mange, c’est la même chose que – je mange ce que je vois ». Un
fait fondamental est observable : c’est qu’il suffit que le corps propre
n’ait plus de dimensions fixes pour que les objets perdent leur constance
et l’espace ses coordonnées euclidiennes.
Dans l’autisme, les fonctions corporelles apparaissent comme des
non-fonctions : la bouche ne mange pas, l’intestin n’expulse pas. Tout
est figé du point de vue relationnel, parce qu’il n’y a pas de lien à la
figure maternelle. De ce fait, manger n’est pas un lien à la mère et par
conséquent manger un bout de papier à la même valeur que manger une
pomme de terre – c’est la réalité matérielle de la nourriture. Alimenta-
tion et élimination cessent en tant qu’activités relationnelles de même
que la pensée et la perception. Le corps n’existant pas pour soi, du
même coup, la possibilité de faire exister le soi s’annule. Le corps
existe alors pour un autre devenu le dehors et qui n’est pas soi. Il existe
une identité chez l’enfant autiste entre le dehors et le surmoi corporel
qui dirige tous les actes de la vie, organisant le temps et l’espace, et
empêchant toute activité imaginaire. Nous pourrions donc affirmer, en
suivant Sami-Ali, que le corps, à l’instar du moi, c’est d’abord une
fonction – ni sujet, ni objet – c’est ce qui permet à l’objet d’exister en
tant qu’objet image du corps, avant d’être perçu en tant qu’objet. Le
corps est par conséquent un schéma de représentation, et le fait d’avoir
un corps, c’est le fait d’avoir des objets et un espace. Dire « je » signifie
qu’il existe un ici et un là-bas, qu’il existe un dedans et un dehors, une
droite et une gauche. Le fait d’avoir un corps, c’est la même chose que
d’avoir un espace, mais c’est aussi avoir des objets. La même réalité se
déroule sur deux plans – un plan appelé « corps », et un plan que nous
appellerons « monde ». Ce qu’on appelle « corps », c’est un objet dans
un espace constitué par le corps. Dire, par exemple, « je suis ici » cor-
respond à une position dans l’espace résultant de la projection du corps
dans l’espace. Il est impossible de penser les relations spatiales sans
corps, sauf tout à fait abstraitement. Cependant, ces déterminants ne
sont pas donnés. Ils ont leur genèse.
Le concept d’objet-image du corps présente certaines analogies avec
celui que F. Dolto (1984) désignait par le terme « anthropomorphisation ».
Il s’agit donc de cette impulsion à donner une apparence animale, végé-
172 L’enfant : de l’agi au représenté

tale ou objectale inanimée à ce qui est en fait une idée, une représentation
mentale, une problématique humaine. L’anthropomorphisation corres-
pond à la façon projective dont se met en place la fonction symbolique
chez le jeune être humain dans son rapport au monde. D’après F. Dolto,
« un enfant ne peut pas prendre contact avec quoi que ce soit qui l’inté-
resse sans l’anthropomorphiser, sans l’humaniser et sans un transfert
même sur les objets ». Elle ajoute : « L’enfant prête une partie de son
image du corps à des objets, à des personnes (…) et il entre à ce moment-
là en communication ». Ainsi, l’image du corps elle-même peut-elle être
abordée comme fruit d’une projection de soi dans une représentation, tel
l’enfant de 18 mois pour qui l’étoile du berger brillant dans le cosmos
peut être un reflet du regard de la mère. Bernard Guilleraut (1989)
précisera : « C’est d’abord avec son corps que l’enfant représente pour
autrui, c’est d’abord son corps qu’il représente ».
Nous avons donc tenté d’esquisser dans les pages précédentes le sta-
tut du corps, du langage, dans l’autisme et la psychose, avec en déno-
minateur commun l’espace. Nous avons pu constater à la lumière des
travaux de différents auteurs, que ces trois facteurs déterminants étaient
très intriqués et dépendaient des aléas de la relation primordiale à la
figure maternelle en termes de liens ou de non-liens, de représentation
et d’émotion. On a là une problématique concernant le narcissisme et le
rôle de l’autre en tant que double du soi.
Ceci nous amène à considérer un sujet qui nous tient particulièrement
à cœur, tant au plan théorique que clinique : nous voulons parler de l’imi-
tation, qui est l’objet, à l’heure actuelle, de recherches importantes, en
particulier dans le domaine de l’autisme. C’est ainsi que par exemple, les
recherches sur l’imitation dans l’autisme, entreprises par Jacqueline
Nadel (1980), tendent à démontrer que les enfants autistes sensibles à
l’imitation, sont plus enclins à accéder au langage verbal que les enfants
qui y demeurent insensibles. Elle donne, en outre, un caractère de
« liant » à l’imitation qui apparaît comme un passage obligé à la commu-
nication. Marcelli (1989), reprenant Winnicott, établit un rapport entre
l’imitation et le visage de la mère en tant que miroir. Il a récemment émis
une hypothèse à propos de l’imitation qui, associée à une représentation,
permet l’identification secondaire. Il se place, à propos de l’imitation
précoce, dans cet en-deçà de la névrose infantile, des identifications
secondaires et des représentations d’images parentales. Au début, la
question sujet-objet ne se pose pas… La dyade mère-enfant s’identifie
dans un processus circulaire, grâce à ce jeu mimétique interactif incons-
cient. En 1983, dans un article paru dans la revue Neuropsychiatrie de
l’enfance et de l’adolescence, nous avions souligné, à la suite de Cramer,
l’importance des échanges imitatifs dans le dyade mère-enfant, soit 16 %
du temps des échanges entre la mère et l’enfant qui y étaient consacrés.
Clinique psychomotrice de l’enfant 173

Par imitation, il faut entendre tous les phénomènes qui permettent de


créer des liens émotionnels entre sujet et objet. Ceci dépasse largement la
dimension cognitiviste et acquisitive de l’imitation et rejoint les théories
de H. Wallon sur l’imitation comme phénomène de partage émotionnel,
dans lequel sujet et objet sont confondus, tout en étant radicalement dif-
férents. L’émotion prend la valeur d’un phénomène de l’ordre de la
« croyance » imaginaire. Pour qu’une émotion soit partagée, il faut
qu’elle soit reconnue par au moins deux personnes comme ayant une
valeur réelle, alors qu’elle possède un statut imaginaire de l’ordre de la
représentation qui cesse d’exister dès lors que l’adulte ne partage pas
cette croyance. Le phénomène imitatif émotionnel subsiste à l’état latent
même chez l’adulte et préside la plupart du temps aux échanges des adul-
tes entre eux. L’émotion possède en outre deux particularités intéressant
le champ de la pratique psychomotrice :
1. elle est reliée au tonus (le tonus étant la base organique de l’émo-
tion) et à la fonction posturale qu’elle modifie tout en étant stimulée par
un système de feed-back par ces derniers, la présence d’autrui consti-
tuant un facteur déterminant;
2. l’émotion possède un caractère syncrétique agglutinant de
manière indissoluble tout ce qui peut participer d’elle… C’est ainsi que
l’un des éléments ayant participé à cette émotion, est de nature, par son
évocation, à permettre la réactualisation du passé dans le présent en fai-
sant resurgir l’émotion primordiale.
Que le symbolique préexiste à l’acquisition du langage verbal,
l’enfant est malgré tout mis en demeure d’y accéder. Ce qui n’est pas
explicité, ce sont les mécanismes présidant à cette acquisition. Le
terme « identité » signifie « le même », et qu’est-ce qui, dans le passage
de l’un à l’autre, s’en approche le plus si ce n’est l’imitation gestuelle,
verbale, émotionnelle (mimétisme conscient ou non-conscient) ? Mais
le travail d’imitation n’a de valeur que pour autant qu’il permette à un
moment donné de constituer des objets symboliques stables dans un
espace ouvert à l’autre.
On a là une synthèse initiale consistant à donner aux objets une cons-
tance symbolique qui ouvre l’espace de la parole, de la fonction de
symbolisation.
Dans le travail d’imitation, l’enfant se substitue aux divers objets
qu’il manipule tour à tour pour créer entre les objets et son corps une
relation d’équivalence.
Tout objet devient le corps propre, de même que le corps devient
simultanément chaque objet. Seulement, ce travail se fait en relation à
la présence maternelle stable qui permet une introjection archaïque
orale, anale et aussi tactile, olfactive, visuelle, auditive et motrice. Par
sa fiabilité. En acceptant l’agressivité de l’enfant qui cherche à rompre
174 L’enfant : de l’agi au représenté

la relation fusionnelle, la mère le soutient dans ce travail en ne dispa-


raissant pas sur un mode phobique par exemple.
On peut donc supposer que si le corps tient une place centrale dans la
constitution du langage verbal, c’est dans la mesure où il permet de
faire la synthèse du monde, par imitation, à condition qu’il soit mis en
équation avec le corps de la mère suivant le modèle : objet = corps pro-
pre, corps propre = mère. Il faut donc que la mère soit introjectée dans
sa totalité pour qu’un objet soit créé à son image, constant et perma-
nent. C’est ainsi que se constituent les objets-images du corps, dans la
mesure où ils représentent la relation du corps de l’enfant au corps de la
mère, dans une double circularité d’échanges, soumise à l’art du mater-
nage qui consiste à donner à l’enfant la possibilité de gérer son propre
espace-temps à travers le respect de ses rythmes corporels.
Prise sous cet angle, l’imitation, loin de mener à un éparpillement
identificatoire, peut constituer un langage gestuel durable, et c’est dans
ce sens qu’elle peut être utilisée en thérapie psychomotrice ; c’est tout
au moins avec cette intentionnalité théorique qu’elle est appliquée avec
certains enfants autistes ou psychotiques qui l’acceptent.

LA REPETITION DANS LE JEU DE L’ENFANT :


AU-DELA DE LA COMPULSION18

Les illustrations cliniques qui vont suivre illustrent la difficulté de


l’enfant porteur d’importants troubles psychomoteurs à constituer la
fonction, c’est-à-dire à construire le long chemin praxognosique
(depuis les fondements neuromoteurs jusqu’à l’expression symbolique)
nécessaire à la double constitution d’une cohérence personnelle et
d’une intelligibilité du monde externe.
Hugo est adressé par l’école au CMP pour instabilité, grande difficulté dans les
apprentissages (il est en grande section de maternelle). Il se comporte à l’école comme
s’il n’avait jamais été scolarisé. Lorsque je rencontre l’enfant pour la première fois (il a
5 ans et demi), le contact est d’emblée très bon, je retrouve même par la suite dans mes
notes une interrogation : le contact n’est-il pas trop bon? La relation n’est-elle pas trop
facile, trop familière pour une première rencontre? Que signifie cette proximité relation-
nelle très positive qu’induit l’enfant dans la rencontre à l’autre?
Au sein de ce sentiment d’étrange familiarité, Hugo est instable et paraît souvent
couper tout rapport de cohérence entre l’action en cours (jeu, activité corporelle) et la
verbalisation qui accompagne cette action. D’un sentiment d’étrangement familier, je
bascule alors dans l’inquiétante étrangeté. Dans une même séance, dans un même
temps, deux espaces se distinguent peu à peu, en relation de double inversés : l’étrange
familiarité et l’inquiétante étrangeté. Ces deux espaces internes ressentis de façon
personnelle et subjective me paraissent le reflet de l’activité de Hugo et de la non-cons-

18. Olivier MOYANO.


La répétition dans le jeu de l’enfant : au-delà de la compulsion 175

titution de son espace propre. Tout semble se passer comme si l’enfant pouvait se
dédoubler pour suivre en un même temps une séquence verbale donnée conjointement à
une activité corporelle sensée, sans que l’une et l’autre n’entretiennent le moindre
rapport en commun (du moins manifeste).
Lors de notre seconde rencontre, Hugo m’interpelle à tout bout de champ « Olivier,
regarde… Olivier, comment on fait… » etc., comme si nous étions des connaissances de
longue date qui prennent un grand plaisir à se retrouver.
Je m’interroge en outre sur le trouble du regard que présente Hugo : il paraît
refuser de fixer le visage de l’autre lorsque les deux visages sont relativement proches.
En quoi cela peut-il prendre sens dans la mesure où, tout à la fois, Hugo ne peut pas me
regarder en face alors que la tonalité relationnelle qu’il induit est extrêmement chaleu-
reuse et semble synonyme de plaisir? La fuite du regard est si prégnante que l’épreuve
d’imitation de gestes est irréalisable, mon corps ne peut être accepté comme support
visuel pour l’enfant. La posture et le corps d’autrui, lorsque autrui est l’initiateur d’une
relation où l’imitation est de mise, sont alors soudainement projetés aux antipodes du
familier, et la sollicitation de l’autre renforce ce mouvement projectif19 qui délimite par
là même l’espace inverse du familier, l’espace de l’étranger. Le corps d’autrui, lorsque il
est sous-tendu par la sollicitation de l’autre ne peut constituer de modèle identificatoire
pour Hugo. Si la vision ne permet pas à l’enfant (mis à part, sans aucun doute, la vision
à la dérobée où deux regards ne se font pas face) d’appréhender le corps de l’autre, il
s’ensuit de graves perturbations dans la représentation de son propre corps. La cons-
cience corporelle de son dos, de l’arrière-plan, est balbutiante, il ne connaît pas les
parties de son corps. Je découvre également qu’il ne sait ni dessiner un bonhomme ni
envisager comment construire un bonhomme en pâte à modeler.
L’espace topologique est structuré mais paraît avoir évincé la question du corps
dans son étayage : nous sommes debout, face à face. Je demande à Hugo de nommer ma
position — « Hugo, derrière le terrain de foot » répond-t-il. Si j’insiste, il répond à
nouveau qu’il est derrière le terrain de foot. En revanche, en manipulant un taille-crayon
et en le disposant de différentes façons par rapport à un bonhomme Playmobil, Hugo
contre toute attente, retrouve « devant », « derrière », « dessus », « dessous », « à côté » et
« de l’autre côté ». Il peut situer la position relative d’un objet par rapport à un autre, ce
qui demande en soi une première décentration et nécessite une opération intellectuelle
(d’autant plus que le bonhomme Playmobil fait face à l’enfant, ne se plaçant donc pas
selon la même orientation que son corps propre, mais en direction inverse). La verbali-
sation de ma position par rapport à lui, dans une situation où nos deux corps en sont les
protagonistes, est impossible. Dans le cadre de cette relation, Hugo semble fuir pour se
réfugier aux confins de son espace imaginaire, « derrière le terrain de foot ».
Un espace éminemment imaginaire, un espace organisé autour de deux pôles, le
proche et le lointain, respectivement liés aux sentiments d’inquiétante étrangeté et
d’étrange familiarité.
C’est dans ce contexte que je rencontre désormais Hugo toutes les semaines,
pendant deux ans. Lors de la première année, un travail de « contenance » est proposé à

19. La projection dont il est question ici est sans aucun doute assimilable au
concept de projection sensorielle de Sami-Ali, projection à l’œuvre dans la
constitution de l’espace et des objets (traités alors comme des objets-images
du corps) dont le rôle est dévolu au corps propre comme schéma premier de la
représentation. La projection est alors sous-tendue par un mécanisme
s’étayant sur les modalités perceptives, en l’occurrence visuelle pour notre
exemple. Voir Sami-Ali (1970, 1974).
176 L’enfant : de l’agi au représenté

l’enfant. Hugo, très attiré par les jeux éducatifs (puzzles, Memory, jeu de cartes) qu’il
utilise sans cesse, permet de placer les séances sous le signe de la délimitation : à travers
toutes ces situations, il apprend et acquiert des repères qui balisent le champ de sa
pensée. Des repères cognitifs, des repères spatiaux, des repères temporels, des repères
corporels, le dessin du bonhomme se structurant en parallèle. Ces repères permettent de
délimiter une pensée qui peu à peu émerge et prend corps, la pensée est en train de se
structurer. Cette étape me semble après coup avoir été primordiale et incontournable.

Après coup seulement, parce que pendant cette première année, cha-
que séance a ressemblé aux autres. Cela n’a pas été sans provoquer
chez moi une certaine lassitude.
Séances répétitives, sensation d’absence de matériel psychique…
pourtant, c’est au sein de cette répétition que l’enfant construit sa pen-
sée. Si je ressens, moi, un affect s’éloignant de plus en plus d’un affect
positif au fur et à mesure des séances, il n’en n’est pas de même pour
Hugo. Il répète, et il répète dans le plaisir. La répétition n’est sûrement
pas là le reflet de la compulsion de répétition mais bien le signe que
quelque chose, une fonction, est en train de se constituer et qu’elle se
constitue dans l’association plaisir-répétition. Il me faut apprendre
alors à devenir le témoin patient de cette constitution, en accompagnant
l’enfant dans ce cheminement. Le thérapeute a une fonction qui ne se
résume pas comme le dit D. Anzieu à « interpréter dans le transfert les
failles et les surinvestissements défensifs du contenant et à « construire »
les empiétements précoces (…), mais à offrir à son patient une disposi-
tion intérieure et une façon de communiquer qui témoignent à celui-ci
de la possibilité d’une fonction contenante et qui lui en permettent une
suffisante intériorisation » (Anzieu, 1985). Lorsque Hugo propose un
jeu, il lui faut tout d’abord en apprendre les règles pour les utiliser, afin,
dans la répétition, d’en retirer des bénéfices en termes d’acquis cogni-
tifs. Petit à petit, dans la collaboration ou la compétition, la pensée con-
crète de l’enfant se structure; il apprend par exemple à compter lorsque,
après chaque partie de Memory, il désire savoir qui de nous deux a
gagné : il se saisit alors de nos tas respectifs et en compte les cartes.
C’est d’un besoin interne qu’a surgi la nécessité pour l’enfant de
compter, et non d’une exigence externe, qu’Hugo investit encore comme
une contrainte inutile ou dangereuse. C’est à ce titre sans doute qu’une
thérapie d’enfant, sans être galvaudée, permet un bénéfice en terme
d’acquis, d’apprentissages éducatifs, sans que cela ne soit ni, d’une part,
un but en soi, ni, d’autre part, une approche suffisante dans ce domaine
pour des enfants atteints à ce point dans leur fonctionnement cognitif.
La mise en chantier de la pensée et des représentations s’exprime à
tous les niveaux, la projection sensorielle se met cette fois au service de
la constitution d’un espace de la représentation. Le dessin du bonhomme
apparaît subitement, sans phase transitoire par le bonhomme têtard.
La répétition dans le jeu de l’enfant : au-delà de la compulsion 177

Quand je rencontre Dorian, les séances en psychomotricité ressem-


blent étrangement à ce scénario.
Je reçois Dorian à la demande express du médecin consultant, en « troisième
main ». L’enfant, adressé par l’école, a déjà rencontré deux de mes collègues (un
psychologue et une psychomotricienne) qui, quelque peu désemparés par le niveau et
l’impossibilité de communiquer de l’enfant, ont chacun conclu à son incapacité à être
testé et n’ont pas souhaité poursuivre plus avant un quelconque travail avec lui.
Dorian est maintenu en moyenne section de maternelle, il a presque six ans. Son
niveau scolaire ne dépasse pas celui d’un enfant entrant en petite section de maternelle,
c’est dire l’important retard global (psychomoteur, cognitif et affectif) qu’il présente.
Son langage est un jargon inintelligible, même ses parents ne le comprennent pas. Il ne
présente manifestement aucun trouble envahissant du développement ni de la communi-
cation qui pourraient évoquer un trouble de la personnalité.
Je le rencontre une première fois avec ses parents. Pendant cet entretien, il joue
avec des cubes en silence, couché au sol, sans m’adresser la parole. Je suis frappé par la
violence de la mère à l’égard de son fils, une violence d’autant plus forte que plus
l’enfant est en échec scolaire, plus les exigences maternelles vont croissant et semblent
avoir pour effet de le déstructurer plutôt que de l’aider à grandir. A la maison on ne joue
pas, Dorian doit travailler deux fois plus que tous les autres parce qu’il est en retard à
l’école… L’enfant est en détresse évidente, une détresse affective, psychique et cogni-
tive. Dorian ne sait rien et ne sait rien faire, il ne sait même pas jouer.
Dorian est très atypique. En séance, il joue seul, c’est-à-dire qu’il entasse. Il se
saisit de tout ce qu’il peut prendre et fait un tas, un amas. Il m’adresse de temps en
temps la parole mais dans un jargon au départ absolument incompréhensible. Si je lui
propose de jouer avec moi, il vient volontiers et peut s’inscrire dans un jeu commun
comme un loto, des encastrements, un Memory. Dès que l’initiative lui est laissée, cette
cohérence s’évanouit aussitôt et l’informe est à nouveau à l’ordre du jour. Durant
certaines séances (trop souvent à mon goût), la construction du tas remplit tout le temps
de la rencontre. Quand Dorian est parti, je range… et cela semble se répéter sans fin.
J’apprends qu’à la maison il fait la même chose. Soit il déplace les éléments du
mobilier, soit il entasse tout ce qu’il peut trouver dans sa chambre en disant qu’il joue.
Ce jeu semble tellement bizarre à ses parents qu’ils ne peuvent pas jouer avec lui. Lors
de nos rencontres, quand je lui demande ce qu’il fait, il répond qu’il « range ».
De temps en temps, Dorian s’assoit au bureau et dessine. Ses dessins sont très peu
structurés, ou incohérents, en tous cas ils s’inscrivent au mieux dans une
bidimensionnalité : le dessin de la maison (en spontané, sans consigne) montre un rabat-
tement complet et son premier dessin ressemble étrangement à l’anneau de Mœbius,
évoquant là une topologie de dimension 1.
Au fur et à mesure que le temps passe, c’est-à-dire après plus d’une année, Dorian
reste au fil des séances de plus en plus de temps au bureau à jouer ou dessiner. Il parle
aussi, me raconte des histoires dans son jargon, mais son débit et ses troubles articula-
toires sont tels que je ne peux saisir que quelques mots ça et là. Il continue toujours et
encore à faire des tas qui deviennent maintenant des constructions. Mais enfin, un sens
apparaît : les constructions comportent des logiques d’appui, de spatialité, et Dorian
prend manifestement un plaisir sans fin à construire pour construire. Dès qu’une cons-
truction est finie, il la défait pour en recommencer une autre. Il n’y associe aucun
discours, aucun scénario de jeu. Dorian empile, juxtapose, met d’aplomb, superpose,
aligne, croise, met dessus, met dessous, empile selon les formes, classe selon les
couleurs, puis décide que la construction est finie. Il la défait et recommence…
En quelques mois, j’ai la sensation que Dorian est passé de l’informe
à la structure. Cette structure expérimente les premiers rapports spa-
tiaux, les rapports topologiques de voisinage, de proximité, de limite.
178 L’enfant : de l’agi au représenté

Les multiples constructions mettent en jeu tout le corps de l’enfant, pri-


vilégiant cette forme d’activité à toute autre, devant sans doute expéri-
menter l’acte avant de pouvoir se le représenter. L’acte, ici, étant en
rapport certain avec celui de la construction de la dimensionnalité et
de la spatialisation du monde extérieur. Cette construction étant l’indi-
cateur que dans son monde interne, l’espace se construit aussi.
« On apprend en grande partie avec son corps. La manière dont il est
touché, la curiosité dont il est l’objet, les actes qu’on le laisse accom-
plir, les rythmes qu’on lui propose et le fond émotionnel et matériel sur
lequel se déroulent ces expériences organisent la pensée dès la
naissance » (Berger, 1996). Cette pensée qui, jusqu’à présent, s’est
trouvée « en panne », en réponse à la façon (mais quelle façon?) dont
Dorian a été touché, pensé, fantasmé, autorisé à accomplir, à bouger…
La pensée et les fonctions instrumentales se mettent en route, séance
après séance et Dorian devient ainsi capable de représenter le réel : un
jour, après avoir étalé une couverture au sol, il dépose un carré en plas-
tique à chaque coin. Je place des éléments sur la couverture, un rond
rouge, un carré bleu, une poupée. Je lui demande s’il serait possible
qu’il dessine cette construction. A ma grande surprise c’est non seule-
ment possible, mais le dessin est cohérent dans tous les rapports topo-
logiques. Si les jeux précédents de constructions nécessitaient un
impérieux besoin pour l’enfant de passer par l’acte, il est devenu main-
tenant capable de représenter dans l’espace graphique cette première
structuration.

La répétition, reflet d’une construction


Deux vignettes cliniques somme toute banales, si ce n’est qu’il nous
a semblé intéressant de découvrir au cœur de cette banalité quotidienne
du métier de psychomotricien, une conception différente de la répéti-
tion chez l’enfant.
Le constat que nous avions fait pour Hugo est sans doute valable pour
Dorian. L’enfant qui présente un important retard dans les acquisitions
doit construire ce qui est en « latence d’agencement ». Cette construc-
tion est toujours médiatisée par une activité corporelle, sous l’argumen-
tation que la projection sensorielle ne se met à l’œuvre que lorsque le
corps peut modifier l’environnement, expérimenter cette modification et
recommencer à l’envi cette expérience. La projection sensorielle vient
permettre l’articulation d’une activité à une représentation, elle média-
tise le passage de l’activité sensori-motrice à l’image mentale.
Ce passage, chez des enfants comme Hugo et Dorian, enfants déjà
âgés pour expérimenter les prémisses des représentations symboliques,
correspond en séance à un besoin effréné, une avidité, voire une excita-
Bibliographie 179

tion à expérimenter et répéter pour permettre la constitution de la fonc-


tion au sein de ce « terreau fertile » de gestes, de mouvements, de
paroles qui, finalement, demandent à être effectués en-présence-de-
celui-qui-pourra-les-contenir (au sens de Bion). Le psychomotricien-
conteneur ne le deviendra que dans un processus d’effacement. Il ne
s’agit pas de se poser en tant que contenant potentiel, attitude cons-
ciente et prédéterminée, il faut offrir une disponibilité sans failles à
l’enfant, dans la relation bilatérale d’implication, et supporter la répé-
tition qui signifie là tout, sauf une compulsion de répétition.
Cette disponibilité doit s’inscrire dans la compréhension que la répé-
tition vient parer à la « latence d’agencement » dont nous parlions. On
ne comble pas cette latence en une fois… Combien de fois le bébé lan-
cera-t-il sa cuillère? combien de fois faudra-t-il que sa mère se baisse
pour la ramasser?
Le psychomotricien, en accueillant le jeu de l’enfant, devient ainsi
son complice symboligène. Cette image doit nous rappeler que si (et
nous en revenons là à notre texte du chapitre I) dans le transfert la rela-
tion est verticale, ici elle devient horizontale, le thérapeute et l’enfant
travaillant de concert, l’un permettant à l’autre, dans son soutien et sa
disponibilité non intrusive de devenir un peu plus lui-même. L’enfant,
dans cette relation d’implication, pourra progressivement se différen-
cier et se rendre disponible aux objets (objets de relation, objets de jeu,
objets libidinaux), envers lesquels il établira de véritables relations
(playing, relation d’objet). La possibilité que ce processus s’établisse
incombe au psychomotricien. Nous sommes là, sans aucun jeu de mots,
pour permettre la symbolisation de la symbolisation. Le psychomotri-
cien se singularise par sa fonction symbolisante, il travaille dans
l’espace premier, dans ce passage de l’espace corporel bidimensionnel
— dans lequel rôde parfois le motif du double (Moyano, 1995, 1997a,
1997b, 1998, 1999) — favorisant son déploiement vers un espace tridi-
mensionnel de la représentation.

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4
L’adolescent :
le corps entre biologie
et passion
J.-L. SUDRES

Rapprocher « adolescence » de « psychomotricité » apparaît


d’emblée provocateur tant l’enfant, puis l’adulte, ont régné sur cette
jeune science au fur et à mesure de son épanouissement. De plus le ter-
rain des bibliographies internationales avoue sa vacuité, celui des prati-
ques cliniques ses manques ! Baignée dans un tel constat, une
psychomotricité de l’adolescence peut-elle se concevoir, s’exprimer, se
formaliser en un corpus scientifique et clinique ? Entre les amalgames
réductionnistes des uns, les ignorances des autres, l’affirmation posi-
tive d’une psychomotricité spécifique à l’adolescence dépasse la sim-
ple gageure. Puisant ses sources aux carrefours multidisciplinaires, elle
témoigne d’un dynamisme singulier et d’applications cliniques perti-
nentes qui n’en demeurent pas moins mal connues…
Période d’élection des temps modernes et époque de redonnes bio-
psycho-socio-culturelle, l’adolescence en difficulté et/ou en malaise
rencontre avec la psychomotricité un pôle thérapeutique unificateur
dans un soin ne supportant pas la sur-spécialisation dévitalisante voire
« dysidentitaire ». Appréhender un telle clinique requiert un passage
par l’héritage historique et l’actualité avant même de plonger dans les
changements de cette période de vie. Le corps occupe en cette traversée
une place d’élection parfois chahutée par des troubles aux connotations
plurielles justifiant une évaluation objectivante pluriaxiale et des traite-
ments psychomoteurs oscillant symphoniquement du focalisé à l’holis-
tique. Simple prolégomène dans ce dédale tissé de complexités, ce
Image du corps et image de soi : de l'hétéro à l’auto-perception 183

chapitre s’essaie, dans un synopsis à la fois humaniste, technique et cli-


nique, à forger une psychomotricité de l’adolescent en un temps socié-
tal où l’étiquetage de cette période existentielle en « crise »,
« déviance », « hors norme »,… devient un leurre préoccupant.

IMAGE DU CORPS ET IMAGE DE SOI : DE L’HETERO


A L’AUTO-PERCEPTION

Les transformations corporelles, mêmes si elle ne surgissent pas en


une nuit, sont aussi rapides que brutales; de plus elles ne correspondent
pas toujours à l’idéal psychiquement construit… Elles conduisent
l’adolescent à effectuer des check-up répétitifs afin d’utiliser ce qu’il
ressent de son monde interne et externe pour accéder à une homéostasie
empruntant peu ou prou le sentier de défenses temporaires (réactions
de prestance, ascétisme, passages à l’acte,…), voire de travers psycho-
pathologiques (anorexie, boulimie, pelade, ruptures,…) Toutefois en
nombre de cas ces transformations de soi sont attendues et bien reçues.
Elles entraînent en toutes circonstances un travail psychique du jeune
sur « ces narcisses » que sont « les images » avec quasi systématique-
ment des répercussions psychomotrices.

Impacts du rythme de la maturation pubertaire


M.-H. Tobin-Richards, A.-M. Boxer et A.-C. Petersen (1983) ren-
contrent chez des jeunes d’un âge moyen de 13 ans une relation entre la
représentation corporelle et le développement pubertaire qui varie
selon le sexe. Ainsi chez les garçons existe une corrélation linéaire
positive; plus ils sont en avance dans leur développement, meilleures
sont leurs images du corps et plus ils se sentent attirant. Tandis que
pour les filles la corrélation s’avère curvilinéaire; seules celles qui se
perçoivent dans un développement moyen et normal se déclarent satis-
faites de leurs corps et physiquement attirantes1. Par ailleurs il convient
de souligner qu’un tel constat est infiltré d’expectations socio-culturel-
les parfaitement opérantes qui évoluent au fil des décennies (D. Wea-
therley, 1964; D.-E. Hamachek, 1980).
Rappelons que l’augmentation pondérale se traduit par un gain en
« corps maigre » (squelette et tissu musculaire) pour le garçon et en
« corps gras » (tissu adipeux) pour la fille2, contribuant ainsi à façonner

1. Un tel pattern de perceptions a été en partie confi rmé par les travaux de
J. Brooks-Gun et M.-P. Warren (1985), E.-D. Nottelmann, E.-J. Susman and
al. (1987), E.-B. Grief et K.-J. Ulman (1982)…
2. Le poids réel du garçon est supérieur à celui de la fille.
184 L’adolescent : le corps entre biologie et passion

une image corporelle. Or, le poids est un indice utilisé par les enfants
dès l’âge de 3 ans pour catégoriser autrui, mais les filles y sont plus
sensibles que les garçons (A. Worsley, 1981; D.-R. White, 1981; D.-R.
White, K. Mauro, J. Spindler, 1985). A 12/13 ans, les jeunes focalisent
leur attention sur leurs pieds, jambes, tronc, bras ; puis à partir de 15/
16 ans sur leurs poids et tailles (R. Canestrari, M.T. Magri,
F. Muscianesi, Picardi, 1980). Notons que cette focalisation pondérale
largement médiatisée, perdurera toute la vie au point de laisser insatis-
faits 32 % d’hommes et 70 % de femmes de nos sociétés industriali-
sées (A.-E. Fallon, P. Rozin, 1985). Quant aux filles les plus grandes et
aux garçons les plus petits, ils affichent une insatisfaction corporelle et
d’eux-mêmes (estime de soi). Récemment M. Choquet, S. Ledoux et
H. Menke (1988) retrouvent sur une population française scolarisée
âgée de 16 à 18 ans cette préoccupation constante par rapport au poids
avec :
– à 16 ans, un sujet sur quatre qui se perçoit trop gros ou trop petit
(26 % des filles se considèrent trop petites, 36 % trop grosses alors que
20 % des garçons se décrivent trop petits et 11 % trop gros).
– à 18 ans, l’image corporelle des filles ne se modifie pas tandis que
celle des garçons s’améliore (5 % se trouvent trop gros et 10 % trop
petits).
Même si les 16/18 ans se jugent comme ayant du charme, environ
un sur deux n’aime pas être photographié, ni se regarder dans une glace
d’où la nécessité de manier avec prudence en clinique psychomotrice
l’usage de tout extra feedback (photographie, film vidéo, miroir…).
Enfin la maturité génitale conduit :
– le garçon à s’intéresser à ses organes génitaux avec une note
d’anxiété et de fréquentes conduites de comparaisons avec les pairs,
– la fille à se focaliser sur les seins (M.-B. Rosenbaum, 1979).
En fonction du niveau de maturation pubertaire impliquant l’accès à
un certain type de raisonnement (pré-opératoire, opératoire), les désirs
et le statut du sujet se modifient au sein de la famille. Le point de conflit
maximum avec les parents correspond au moment des changements les
plus importants. Les relations sont alors plus difficiles avec la mère
qu’avec le père; cela d’autant plus que la puberté est précoce. Au fur et
à mesure se produit une distanciation émotionnelle et une autonomisa-
tion (S.-T. Hauser, W. Liebman et al. 1985; L. Steinberg, 1981, 1987).
In fine la traversée adolescente pousse la dynamique familiale dans un
rapport de co-création et co-évolution (R. Neuburger, 1987; L. Onnis,
1988) que le psychomotricien ne saurait ignorer dans la prise en charge
d’un jeune.
Image du corps et image de soi : de l'hétéro à l’auto-perception 185

Apparence physique et identité

Sans s’arrêter sur la beauté faciale perçue dés l’âge de 3 ans, la


beauté physique est clairement identifiée par les deux sexes dès 6 ans
quelles que soient les cultures considérées. Cette inculcation aussi
efficace que précoce fait que le sujet dispose très tôt, à travers le regard
d’autrui, d’une information sur son image corporelle. Cette communi-
cation, généralement non verbale, se réalise autour du consensus socio-
culturel que le corps idéal masculin est mésomorphe (grand et musclé)
tandis que le féminin est ectomorphe modéré (grand et mince). Actuel-
lement, même si la minceur est un critère de référence pour les deux
sexes (A. Worsley, 1981), elle jouit dans les cas pathologiques comme
l’anorexie mentale d’une surprenante tolérance esthétique alors qu’en
substance s’affiche un refus de féminité… Quoi qu’il en soit plusieurs
travaux démontrent chez l’adolescent comme chez l’adulte que la
beauté auto-évaluée (même si l’appréciation est irréaliste) demeure le
meilleur prédicteur de la satisfaction corporelle et de l’estime de soi
(N.-M Minahan, 1971; L.-B. Hendry, P. Gillies 1978).
Si cette « variable méconnue » qu’est la beauté physique (M. Bru-
chon-Schweitzer, 1990) ne saurait être appréhendée comme l’apanage
de l’adolescence, celle-ci rencontre en cette période un ré-étalonnage
dans lequel se mêlent statut social, position scolaire, popularité et
maturité pubertaire… avec la médiation du regard d’autrui. Regard
somme toute distordu par une alloplastie3 voire une autoplastie4 parti-
culièrement fleurissante en ce temps de vie (M. Nahum, C. Valensi,
C. Atlas, 1987). Mais aussi regard guetté par un adolescent qui soumet
son corps réel mouvant à l’écoute du jugement d’autrui. Le corps social
finit à terme par supplanter le corps réel du sujet. Dans ce processus
d’égotisation et de socialisation sévit le stéréotype « ce qui est beau est
bon » avec des avatars multiples établissant qu’en général les sujets les
plus beaux s’avèrent davantage récompensés, soutenus, aidés… que les
laids. Bien que chacun finisse par se comporter conformément à ce que
l’on attend de lui, il existe de nombreuse exceptions5. Enfin des travaux
comme ceux de C. Francisse, A. Lefebvre et P. Salengros (1983) éta-
blissent que le rapport entre l’image de soi actuelle et l’image idéale

3. Ce sont des artefacts pour objets extérieurs tenus et/ou portés (vêtures,
lunettes, boucles d’oreille,…).
4. Là, les transformations affectent le corps de manière plus ou moins réversi-
bles (tatouage, teinte des cheveux, chirurgie esthétique…).
5. Par exemple un laid peut sur-investir des activités intellectuelles et/ou
professionnelles, se dotant ainsi d’une reconnaissance d’un autre type
balayant le stéréotype sus-énoncé.
186 L’adolescent : le corps entre biologie et passion

tient dans l’aspiration à une acceptation de soi, une valorisation identi-


taire et un évitement de la conformité restrictive.

« L’être-corps » adolescent
Dans ce creuset narcissique, le corps transparaît comme une inter-
face entre le monde externe, interne et fantasmatique avec un « Moi
peau » (D. Anzieu, 1985) en cours de ré-élaboration dans la quête d’une
néo-identité métabolisant chacun de ces appareils vivifiants potentielle-
ment porteurs d’un auto-engendrement (A. Birraux, 1990). Pris à la
croisée d’un système d’échanges et de communications, le corps a des
besoins; il désire, symbolise, suscite, tout en étant image et masse char-
nelle. Référence socio-culturelle, repère spatial et représentatif, le
corps se positionne dans une dialectique en laquelle le jeune se con-
fronte à un système de multicontraintes l’amenant de facto à réaliser
une action créative quelle que soit la voie empruntée (psychopatholo-
gie, passage à l’acte, création littéraire ou autres).
Confronté, comme le rappelle Ph. Jeammet (1991) à partir de
l’étayage kleinien travaillé par E. Jaques (1974), à une forte sollici-
tude de la position dépressive qui s’élabore de manière silencieuse ou
par touches discrètes ou encore fort bruyamment lorsque la perte objec-
tale apparaît, le jeune dispose de l'ambiguïté d’un corps méconnu
représentant de soi, des parents et des regards des autres. S’il peut
croire choisir sa pensée, cela devient très vite obsolète pour le corps.
S’adonner à une relation de plaisir avec son corps revient à l’accepter
comme représentant parental; bref à embrasser ce qu’il refoule le plus :
la dépendance. A partir d’une telle ambivalence, se reconnaître dans
son corps, et qui plus est dans son corps sexué entraîne un travail psy-
chique à étayage pulsionnel. Lorsque ce processus délicat achoppe,
notamment par un effacement des parents et/ou de leurs images dans la
constitution de son soi corporel, surgit une délibidinisation avec un cli-
vage entre corps externe et interne entraînant à terme un blocage des
identifications avec un corps mécanisé et maîtrisé. La transcription
symptomatique d’un tel clivage s’étend d’un masochisme basal 6 à
l’anorexie en passant par la dysmorphophobie et les pathologies der-
matologiques, (Ph. Jeammet, 1984 ; H. Chabrol, 1991). A côté de ces
attaques contre le corps, la pathologie de l’agir, fréquent reflet d’un
débordement des capacités d’organisation névrotiques, d’une angoisse
et d’une dépressivité, prend des formes diverses telle que la prise de ris-
ques en laquelle ils recherchent une sensation forte pour exister à la

6. On pensera ici à l’hygiène de vie spartiate à laquelle se soumettent certains


jeunes.
Troubles psychomoteurs de l'adolescence… 187

périphérie d’eux mêmes (D. Marcelli, A. Braconnier, 1983). Dans ce


processus la mort se pose en contrepoint paradoxal : « se tuer pour
exister ». Ces conduites ne flirtent avec la pathologie que lorsque elles
se répètent et construisent une néo-identité corporelle négative. En
d’autres cas le débordement des capacités d’organisation névrotiques
conduiront l’adolescent vers un aménagement de nouvelles relations
objectales via un processus de névrotisation.
Ces divers devenirs corporels cheminent dans le marais des ruptures
bio-psycho-socio-culturelles avec en dénominateur un choc-entrechoc
du dedans, du dehors, du fantasmatique et du symbolique. In fine, il
s’avère bien plus aisé pour l’adolescent de se sentir étranger à son corps
qu’à sa psyché. Vivre un changement tout en le pensant (pansant) n’est
réalisable que dans un après coup (Ph. Jeammet, 1980). Au décours de
ce trajet « l’être-corps » adolescent s’édifie et se définit dans la formu-
lation ramassée : « exister par, avec et dans son corps ». En s’adressant
à « l’être-corps » la clinique psychomotrice dispose d’un champ
d’action électif (secondairement préventif) justifiant pleinement toutes
les procédures de soins médiatisées.

TROUBLES PSYCHOMOTEURS DE L’ADOLESCENCE :


DEFINITIONS, CLINIQUES ET ACTUALITES

Plurifactorialité du trouble psychomoteur de l’adolescent


La plupart des écrits emploient quasi-aléatoirement, l’un pour
l’autre, des concepts aussi variés que « trouble », « symptôme »,
« syndrome » … pour désigner des difficultés psychomotrices
spécifiques étiquetées sur l’étayage de conceptions neurologisantes.
Trois d’entre elles hantent toujours ce champ :
– l’une à substratum purement neurologique s’origine dans les types
moteurs7 définis par H. Wallon dans les années 30. La difficulté psy-
chomotrice s’entend alors comme un syndrome bien déterminé du sys-
tème nerveux central dont le type n’est qu’une forme atténuée avec une
multiplicité de variantes auxquelles s’adjoignent des caractéristiques
psycho-affectives;
– l’autre, plus souple, développée par l’équipe de J. de Ajuriaguerra
dans la décennie 1950, propose une approche neuro-psychologique. Le
trouble psychomoteur est identifié comme une entité n’existant qu’en

7. H. Wallon distinguera pas moins de 7 types différents : infantilisme moteur,


asynergie motrice et mentale, extrapyramidal inférieur, extra-pyramidal
moyen, extra-pyramidal supérieur, cortico-projectif, cortico-associatif.
188 L’adolescent : le corps entre biologie et passion

l’absence de lésions en foyer susceptibles de donner des symptômes


neurologiques classiques. Toutefois ce trouble s’inscrit dans le neuro-
somatique à la croisée de l’affectif et du milieu d’évolution;
– enfin, depuis une vingtaine d’années « le dysfonctionnement céré-
bral à minima » ou MBD (Minimal Brain Dysfunction), que certaines
écoles prônent dogmatiquement, reprend dans une essence neurobiolo-
gique les apports de J. de Ajuriaguerra pour définir toutes les difficultés
psychomotrices. En clair le MBD désigne un trouble léger ou sévère de
la conduite ou de l’apprentissage relié à une atteinte structurelle du sys-
tème nerveux central (sans lésion en foyer) issue de multiples étiolo-
gies (biochimiques, onto-néo-post natales, traumatiques, sensorielles,
affectives, etc.) combinées ou non, s’exprimant de manière ponctuelle
ou intermittentes essentiellement dans des signes neurologiques et/ou
neuropsychologiques légers (J. Corraze, 1981 ; L. Warzyniak, M.
Rodriguez, E. Pidoux, O. Mayano, 1990). Ainsi toute une catégorie de
troubles psychomoteurs (hyperkinésie, dyspraxie, trouble de l’orienta-
tion temporo-spatiale…) ont été considérés comme des troubles de
l’apprentissage (learning disabilities) résultant d’un MBD inféré et/ou
scientifiquement détecté (psychométries, investigations neurologiques,
examens para-cliniques) (H.G. Weiss, M.S. Weiss, 1976 ; W.M.
Cruickshank, 1977).
Le réductionnisme véhiculé par ces approches ne saurait conduire à
oublier que toute difficulté psychomotrice chemine dans un contexte
socio-écologique donné et résulte d’un ensemble de facteurs culturo-
bio-psycho-moteurs s’agençant singulièrement (même s’il existe les
entités syndromiques). Une telle position fonde une évaluation psycho-
motrice pluriaxiale afin de disposer d’un état des lieux intelligible
influençant directement les modalités de prise en charge thérapeutique
de l’adolescent.
Schématiquement, dans l’usage générique de l’expression « trouble
psychomoteur » se logent (sans préoccupation étiopathogénique) :
– « la difficulté psychomotrice », simple reflet d’un retard de déve-
loppement dans une ou des habiletés 8 spécifiques (coordination des
mouvements, équilibre, motricité manuelle,…);
– « le symptôme psychomoteur » qui, tout en incluant la difficulté
psychomotrice, reflète davantage un dysfonctionnement et/ou une con-
duite stérile (agnosie digitale, stéréotypie, impulsivité…);

8. Il convient de différencier « les aptitudes psychomotrices » déterminées


génétiquement des « habiletés psychomotrices » sensibles à l’environnement
socio-culturel, éducatif, affectif, etc.
Troubles psychomoteurs de l'adolescence… 189

– « le syndrome psychomoteur » regroupant en grands cadres noso-


graphiques clairement identifiés (hyperkinésie, dyspraxie, débilité
motrice,…) symptômes et difficultés psychomotrices.
Le formel d’une telle classification permet un repérage du secteur et
de la place du trouble psychomoteur présenté par le jeune. Quant à
l’attitude qui consiste à apposer au sein des entités psychiatriques et/ou
neurologiques et/ou somatiques des syndromes psychomoteurs sans
regards pondérateurs, elle relève d’un abus diagnostique fréquent dans
la clinique adolescente 9. Le trouble psychomoteur, quel qu’il soit,
s’exprime donc dans un carrefour culturo-somato-psychique requérant
à chaque fois une analyse holistique de la situation à partir et au delà
des signes et/ou discours manifestes.

Des reliquats de l’enfance aux contemporains de l’adolescence


Nombre de troubles psychomoteurs de l’enfance, quelles que soient
leurs étiologies, perdurent à l’adolescence sous une forme identique
(séquelles neurologiques par exemple) ou bien modifiée et/ou larvée
(maladresse, stéréotypie motrice, motricité digitale défaillante,…). En
fait, lorsque un trouble psychomoteur même basal (dystonie, dys-
praxie, désorientation spatiale,…) traverse l’adolescence, il est rare que
le sujet n’ait pas mis en place des mécanismes de compensation. De
plus l’évolution spontanée, tout comme les prises en charges thérapeu-
tiques (psychomotrice et autres), façonnent nombre de troubles
psychomoteurs ; c’est dire l’importance d’une analyse sémiologique
anamnestique fouillée.
Débutant dès la petite enfance le syndrome hyperkinétique, caracté-
risé par la triade symptomatique : « hyperactivité, impulsivité,
inattention », illustre parfaitement ce type de problématique diachroni-
que (J. Thivierge, 1985 ; M. Dugas, 1987). En effet à l’approche de
l’adolescence ce syndrome peut emprunter plusieurs voies :
– une disparition plus ou moins complète de la symptomatologie ;
– une persistance de l’ensemble des symptômes ou de quelques-uns ;
– un développement d’une personnalité anti-sociale;
– des difficultés de socialisation de type névrotique ;

9. Ceci n’exclut pas pour autant l’existence et l’opérationnalité des données


psychomotrices dans ce type d’entité. Le Manuel diagnostique des troubles
mentaux (DSM III-R) de l’Association mondiale de psychiatrie tout comme la
Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent
(CFTMEA) sont, avec leurs critères d’inclusion et d’exclusion, tout à fait
pertinents en cet endroit.
190 L’adolescent : le corps entre biologie et passion

– des addictions;
– des troubles sexuels.
Voies toujours à même de se conjuguer en divers cocktails quelque-
fois bien éloignés de la symptomatologie initiale de l’enfance (J. Bié-
derman, S.-V. Faraone, K. Keenan, M.-T. Tsuang, 1991; S. Mannuzza,
R.-G. Klein et al., 1991).
Par contre d’autres troubles psychomoteurs, sans être des contempo-
rains sensus scripto de l’adolescence, peuvent naître et/ou s’amplifier
en cette période; tel est le cas de la maladie des tics de Gilles de la Tou-
rette (M. Dugas, 1985; M. Schachter, 1986). Les premiers symptômes
de ce trouble apparaissent entre 2 et 21 ans soit sous la forme de :
– tics moteurs ou complexes intéressant surtout la tête (clignement
des yeux, etc.), le torse (haussement des épaules, etc.) et les membres
(secousses, etc.),
– tics vocaux simples (grognements, aboiements, reniflements,…)
ou complexes (coprolalie, écholalie, palilalie,…);
– tics multiples et associés (verbaux et moteurs).
Souvent c’est dans la phase péri-pubère que la maladie apparaît et
s’installe avec des phases de rémissions plus ou moins complètes
(G. Erenberg, R.-P. Cruse, A.-D. Rothner, 1987). Elle s’inscrit dans le
cadre des mouvements pathologiques psychomoteurs au même titre
que les tics moteurs isolés, les stéréotypies isolées et le syndrome cho-
réiforme. De plus, elle offre un ensemble d’hypothèses étiologiques
biologiques et biochimiques en cours d’études (J.-F. Leckman, J. Del-
tor, D.-J. Cohen, 1983; E. Shapiro, A.-K. Shapiro, et al. 1989)
Enfin il est des troubles psychomoteurs :
– moins spectaculaires et / ou classiques que ceux sus développés
mais qui traversent l’adolescence avec une intensité variable engen-
drant un désavantage10. Il suffit de rappeler les impacts des difficultés
d’orientation et de projection spatiales, des dysgraphies, des inhibi-
tions, des déficits visuo-perceptifs… pour mesurer le caractère poten-
tiellement invalidant de tels troubles dans la vie quotidienne, scolaire et
professionnelle (A. Fernandez-Zoïla, 1987 ; B. Gillet, 1987, A. Rault,
1987);
– littéralement spécifiques de la période adolescente ; il s’agit de
ceux affectant le corps dans ses réalités, ses images et ses symboles.
Ces troubles se retrouvent dans diverses modalités corporelles allant du

10. Entendu au sens de l’OMS, le désavantage ou handicap résulte d’une défi-


cience ou d’une incapacité limitant ou interdisant l’accomplissement d’un rôle
normal en rapport avec l’âge, le sexe et les facteurs sociaux.
Troubles psychomoteurs de l'adolescence… 191

symptôme isolé à l’inclusion dans un complexe psychopathologique


(Ph. Jeammet, 1981, 1984; R. Cahn, 1987).

Troubles de l’être-corps : synopsis


Si depuis les années 50, les spécificités de pathologies à expressions
et formes corporelles ont pris place dans le champ de la clinique ado-
lescente, c’est essentiellement sous le joug de la psychopathologie en
laquelle le corps se réduit par trop au rang de symptôme internalisé et/
ou externalisé. Le paradoxe réside dans l’affirmation constante de tout
un pan de la psychomotricité de s’occuper du corps psycho-somatique
dysfonctionnel et de délaisser cette période de vie emplie de singulari-
tés corporelles.
Véritable aiguillon des transformations psychiques, le corps, qui
s’exhibe dans une pathologie, témoigne d’une faillite des représenta-
tions psychiques plongeant l’adolescent dans des systèmes économi-
ques et compensatoires complexes. L’être-corps devient le lieu de
résolution des conflits et des résorptions pulsionnelles dans une
homéostasie tissée d'ambiguïtés. Les transformations pubertaires,
notamment avec les mouvances du référentiel postural, du schéma cor-
porel, de l’image du corps et du corps social, offrent de multiples voies
expressionnelles à ces pathologies. Bien que fréquemment incluses
dans le somatique, le psychosomatique, le psychopathologique, sous la
forme de symptômes ou de syndromes, ces pathologies de l’être-corps
prennent avec le regard psychomoteur une tonalité novatrice. Puisant sa
fécondité dans la pluralité, cette nosographie des troubles de l’être-
corps ne peut être que partielle tant le corps de l’adolescent constitue le
point cardinal d’une multitude de pathologies répondant à la définition
du trouble psychomoteur. En délaissant toutes les pathologies neurolo-
giques, déficitaires et chroniques, il apparaît cliniquement possible de
déterminer quatre grands types de troubles de l’être-corps11 donnant à
voir (image corporelle), à ressentir (perception corporelle), à entendre
(plainte corporelle),… à la fois à soi, à l’autre et au monde ambiant.

 Pathologies de l’être-corps fonctionnel


Asthénies, céphalées, lombalgies, dorsalgies, acnés… hantent plus
de la moitié des êtres-corps d’adolescents (M. Verron, P. Angel, 1985;
M. Choquet, S. Ledoux, H. Menke, 1988) dans un discours peu et/ou

11. Il est clair que l’être-corps est avant tout une notion clinique opération-
nelle qui établit le lien entre le concret et le psychique via une théorisation
conceptuelle.
192 L’adolescent : le corps entre biologie et passion

mal écouté. Quant aux troubles psychosomatiques à type d’hyperten-


sion artérielle labile, d’eczémas atopiques, d’allergies, de pelades, de
vertiges,… de natures ponctuelles ou non, ils traduisent directement un
flirt avec une alexithymie 12 pouvant évoluer vers une psychose
d’organe quand le Moi-peau13 ne remplit plus ses fonctions élémentai-
res (20) et/ou que le court-circuitage corporel défensif n’est plus opéra-
tionnel (S. Consoli, 1985 ; F. Gontard, 1985 ; M. Sami-Ali, 1987 ;
V. Mazeran, S. Olindo-Weber, 1989 ; A. Cordié, 1991 ; G. Ferrey,
1992).
L’angoisse est un affect de base éprouvé par tous les adolescents
avec des différences d’intensité et de durée dépendant de la capacité
d’élaboration du Moi. Lorsque le jeune se retrouve face à ses pulsions
libidinales et agressives sans objet d’investissement, il doit les évacuer
et les métaboliser pour éviter la dépersonnalisation. La réduction de
cette tension interne peut se faire par une projection sur une partie du
corps (cœur, abdomen, tête,…) créant ainsi la plainte hypocondriaque
(céphalée, trouble visuel, état nauséeux, douleur abdominale,…).
Plainte vectrice par le corps de la souffrance psychique du sujet, celle-
ci peut atteindre le stade du délire et/ou de la bouffée délirante aiguë
marquée par la crainte d’une maladie (J. de Ajuriaguerra, 1970 ;
R. Ebtinger, J.-P. Sichel, 1971). Quoi qu’il en soit le niveau d’angoisse
du jeune affecte notablement ses performances psychomotrices
(J. Terelak, 1990).
Bref, ces pathologies de l’être-corps s’établissent dans un décalage
entre adaptation et subjectivité avec une maîtrise de l’imaginaire satel-
lisant le corps en objet transitionnel, transitoire et transactionnel. Un tel
processus permet au sujet d’éviter la confrontation pulsionnelle tout en
édifiant une pseudo construction identitaire.

12. Il s’agit d’une incapacité à verbaliser ses émotions ou sentiments ; ce qui


se retrouve fréquemment dans les maladies psychosomatiques ( cf. P. Bertagne,
J.-L. Pédinielli, C. Marlière, 1992 ; J.-L. Pédinielli, 1992).
13. Le Moi-peau répond « au besoin d’une enveloppe narcissique et assure à
l’appareil psychique la certitude et la constance d’un bien-être de base »
(D. Anzieu, 1985, 39). Il exerce neuf fonctions (maintenance, contenance,
pare-excitation, individuation, intersensorialité, soutien de l’excitation
sexuelle, recharge libidinale, inscription des traces et autodestruction) que l’on
retrouve quasiment point par point dans l’élaboration et les atermoiements du
processus d’être corps adolescent.
Troubles psychomoteurs de l'adolescence… 193

 Pathologies de l’être-corps alimentaire

– l’anorexique14 exhibe un corps amaigri, voire cachexique, résultant


d’une fonte du pannicule adipeux et d’une amyotrophie ; le tout
s’accompagnant d’une aménorrhée. L’anosognosie est quasi totale
même lorsque existent des conduites boulimiques ; ceci se traduit par
une distorsion cognitivo-somatique de l’image du corps conduisant par
exemple au surinvestissement des activités sportives. Défense contre la
dépendance familiale, métabolisation corporelle des pulsions libidina-
les, maîtrise du corps, refus des transformations pubertaires… ; telle est
la portée économique des clivages entre objet psychique interne et le
corps en tant qu’objet psychique spécifique (D. Agostini, 1990 ;
H. Chabrol, 1991). Le Moi en se clivant perturbe les identifications, le
jeune s’enferme dans cette conduite, le corps se fétichise et se désin-
carne pour devenir un garant du narcissisme. Le corps anorectique est
un corps délirant où s’affronte une structuration infantile dans le con-
texte de sociétés industrialisées reconnaissant la minceur comme une
norme;
– l’obèse15 affiche quant à lui un corps aux formes imposantes,
occupant de l’espace et, en soi, davantage provoquant que celui de
l’anorectique. Bien que la majorité des cas d’obésité surgissent durant
l’enfance, c’est durant l’adolescence qu’elle s’installe sans pour autant
se confondre avec la discrète surcharge pondérale péri-pubertaire.
L’adolescent obèse se caractérise par une inactivité avec un sentiment
d’ennui (vide interne) engendrant une tension anxio-dépressive
réduite par des conduites alimentaires d’hyperphagie et de grignotage
souvent renforcées par des habitudes familiales. Le corps obèse offre
une protection contre les pulsions libidinales ainsi qu’une sensation de
sécurité interne et d’affirmation de soi fonctionnant en nombre de cas
comme un équivalent défensif pour une adaptation socio-culturelle
optimum malgré une identité sexuelle trouble (H. Bruch, 1978 ;
D. Marcelli, Th. Canarella, B. Gaspard, 1979). En fait l’adolescent
obèse n’a pas investi son corps dans sa totalité, il n’utilise qu’un nom-
bre de partitions limités de ses potentialités (M. Giroux, G. Gonthier,
1985) et extériorise une insatisfaction corporelle larvée (B.-K. Men-
delson, D.-R. White, 1985).
Au-delà de ces pathologies, le jeune peut se livrer à un ascétisme ali-
mentaire reflétant, sous couvert d’apparence physique idéale, une ten-

14. Les sujets présentant ce type de pathologie sont à 95 % de sexe féminin.


Généralement l’anorexie mentale survient entre 13 et 15 ans.
15. L’obésité se définit par un rapport poids-taille-âge supérieur de 20 % aux
normes du poids de santé.
194 L’adolescent : le corps entre biologie et passion

tative de maîtrise pulsionnelle. Quoi qu’il en soit, « maigres et gros »


apparaissent à terme désavantagés (quel que soit le domaine considéré)
même si des hyper-investissements focalisés (intellectuel, sportif,
manuel…) amènent un temps d’illusions (L.-B. Hendry, P. Gillies,
1978).

 Pathologies de l’être-corps distordu


Sorte de seconde issue à la mentalisation (v. p.) la dysmorphopho-
bie16 s’étaie sur la distorsion réelle et/ou fantasmatique de l’image cor-
porelle que vit tout adolescent au cours de ses transformations
pubertaires. Généralement le sujet se focalise de manière obsédante
sur :
– une partie du corps (main, pied, nez, oreille, bouche…) jugée
comme trop massive, trop petite… malformée;
– la silhouette, notamment en ce qui concerne l’abdomen, les fesses,
la taille…, la morphologie, perçues trop maigre, trop volumineuse…
inadéquate;
– les caractères sexuels secondaires.
Le dysmorphophobique se présente pour M. Peruchon, J. Destruhaut
et J.-M. Léger (1981) :
– soit avec un hyperinvestissement des limites corporelles. En ce cas
une focalisation sur une partie précise du corps reflète un clivage où le
mauvais objet est circonscrit et enkysté; le reste du Moi-corporel con-
serve ainsi une stabilité défensive;
– soit un investissement défaillant de l’enveloppe corporelle. En ce
cas le mauvais objet n’est plus focalisé sur une zone corporelle précise
laissant moins d’autonomie et de structuration au Moi.
Cette dichotomie clinique se retrouve dans les travaux de l’équipe de
R. Canestrari (1980) qui dégage l’existence d’une dysmorphophobie
péri-pubertaire (localisée) et une dysmorphophobie des 15-16 ans
(fluctuante) à caractère sub-normal. En fait la dysmorphophobie de
l’adolescent est à considérer dans l’interpénétration des sources biolo-
giques, affectives, corporelles et sociales (S. Tomkiewicz, J. Finder,
1967).
Des troubles de la motricité (akinésie, dyskinésie, hémiplégie…), de la
sensibilité (anesthésie, hyperesthésie, paresthésie…), de la sensorialité

16. Elle n’est pas à proprement parlé une phobie compte tenu qu’elle a un objet
permanent, plus ou moins localisé, et internalisé. D’ailleurs le DSM III-R lui
préfère le terme de « dysmorphie ». D’autres, comme V. Mirabel (1982), propo-
sent d’employer le terme « dysmorphesthésie » pour désigner ces troubles de
l’apparence liés à la distorsion de la perception esthétique de l’image de soi.
Troubles psychomoteurs de l'adolescence… 195

(anosmie, cécité, mutité…) aux manifestations les plus aiguës (épilepsie,


vomissement, évanouissement…); les conversions hystériques de type
névrotique s’installent habituellement à l’adolescence de manière transi-
toire (de quelques jours à quelques mois) en affectant quasi-égalitaire-
ment filles et garçons.
Le jeune n’est pas conscient de produire intentionnellement ses symp-
tômes17 d’autant qu’il n’affiche aucune gêne par rapport à ceux-ci. Si
l’entourage se montre très réactif à ces atteintes, elles tendent à s’amplifier
mais à disparaître en l’absence de spectateurs. Classiquement une relation
temporelle avec un stress psychosocial (voire un besoin psychique) à
retentissement conflictuel se repère dans l’émergence du trouble; au point
que bénéfices primaires et secondaires cohabitent (P. Moron, 1974). Par
ailleurs D. Marcelli et A. Braconnier (1984) repèrent dans ces troubles
fortement surdéterminés trois mécanismes psychologiques :
– Dans l’un, le sujet se trouve conflictuellement sous le joug des pul-
sions libidinales et d’un interdit surmoïque. L’expédient psychique
après un refoulement de la partition pulsionnelle est de transformer,
puis de dériver, cette énergie en un symptôme corporel à lui seul évoca-
teur des processus en jeu18.
– Dans l’autre, le corps symptôme devient objet transitionnel et/ou
transactionnel d’une relation de dépendance parents-adolescent établie
dans la petite enfance. La conversion hystérique apporte ici un maintien
de cette relation avec un pré-texte régressif renforcé par une dynamique
familiale pathogène. C’est dans ce cadre, où les limites entre corps du
jeune et corps des parents sont ténues, que s’observent des symptômes
majeurs comme par exemple une atasie-abasie.
– Dans un autre enfin, la conversion ne surgit que lorsque les méca-
nismes de refoulement du sujet apparaissent submergés par le flot pul-
sionnel. Tout un quantum énergétique est alors dirigé « en décharge »
vers le corps. In fine ce corps, devenu hyperlibidinalisé constitue un
réceptacle pulsionnel d’élection conduisant à un clivage où il ne se
dévoile que comme une chose autre. A ce niveau, le jeune a mis son
corps en actes par une conversion19.
Bien entendu, dans nombre de cas, ces trois mécanismes s’interpénè-
trent. Ceci souligne la difficulté thérapeutique et la nécessité princeps

17. Ce trait permet d’effectuer clairement la différence avec la simulation en


laquelle le sujet produit consciemment un symptôme corporel afi n d’échapper
à une contrainte et/ou de manipuler son entourage et/ou de quémander un
dédommagement.
18. On pensera par exemple à la masturbation refoulée qui se traduit par des
paralysies des membres supérieurs.
19. Celle-ci ressemble à une sorte de psychopathie corporelle.
196 L’adolescent : le corps entre biologie et passion

de réaliser un diagnostic fin sans sombrer dans une inflation d’examens


para-cliniques reflétant fréquemment un évitement de la problématique
psychique et/ou familiale.
La dépersonnalisation se définit comme un vécu de détachement de
soi avec une impression d’être devenu un observateur de sa propre réa-
lité psychique et/ou corporelle. Cliniquement ces expériences d’étran-
geté, d’altération de la continuité temporelle du Moi et du vécu
corporel se manifestent par un sentiment « d’inquiétante étrangeté » et
d’irréalité avec une impression de se sentir :
– dans un état de rêve ou d’être « robotisé » (personnalité à distance);
– et/ou avec des limites, des grandeurs, des formes corporelles dis-
tordues.
Malgré tout, le jeune critique cette symptomatologie ; il demeure
donc capable d’apprécier la réalité.
Largement soulignée par nombre d’auteurs, la dépersonnalisation tou-
che avec des intensités très variables 30 à 70 % d’adolescents et de jeunes
adultes avec parfois la survenue de plusieurs épisodes entraînant un han-
dicap (J.-M. Gauthier, 1981). De plus elle est fréquemment intégrée dans
les psychoses et les états limites en tant que « symptôme clef » servant de
mécanisme défensif contre la dépression sous-jacente et les changements
corporels. En ces cas, elle permet un retour à un état d’indistinction
régressif entre le Moi et le non-Moi dominé par des projections-introjec-
tions archaïques (S. Fisher, 1970; M. Sami-Ali, 1974. C. Ziskind, 1991).
Enfin évoquons brièvement l’existence d’un être-corps distordu sin-
gulier (à même d’intégrer les pathologies sus décrites) dans des proces-
sus pathologiques tels que la psychose (collectif, 1984), la dépression
(A.-J. Marsella, L. Shizuru and al. 1981; H. Chabrol, 1988; L. Kœnig,
1988), la psychopathie (R.-E. Tremblay, 1980; J.-P. Chartier, 1986), les
addictions (C. Olievenstein, 1982 ; J.-L. Venisse, M. Sanchez-Carde-
nas, R.-P. Emery, 1992)… en fait peu investigués sous cet angle…

 Pathologies de l’être-corps agressé


Dans ce cadre nous n’aborderons pas la fugue, le vandalisme, le vol,
mais plutôt ce qui emprunte la voie de l’auto-agression corporelle à la
fois comme mécanisme de défense et/ou mentalisation corporelle et/ou
stratégie identitaire interactive dont les valeurs organisatrices et initiati-
ques ne peuvent pas être négligées. En clair il s’agit de pathologies où le
monde interne s’extériorise dans et sur un défaut d’élaboration signant
une souffrance. La pensée « impensable » apparaît « corporéisée » dans
un acte auto-agressif à haute valeur communicative. Le travail de dif-
fraction des émotions opéré par déplacements des représentations est
court-circuité.
Troubles psychomoteurs de l'adolescence… 197

La tentative de suicide (TS) s’inscrit pleinement dans cette problé-


matique en stigmatisant l’impossibilité d’entrer dans un processus
dépressif pathologique (Ph. Jeammet, 1986). Même si elle ne concerne
que 1 sur 5 des suicidaires (c’est à dire ceux qui pensent au suicide) la
TS est largement représentée durant l’adolescence20. Notons encore
que les filles font presque le double de TS que les garçons qui eux ont
des gestes suicidaires plus violents, plus graves et plus répétitifs. Ces
derniers meurent plus par suicide que leurs consœurs (F. Davidson,
A. Philippe, 1986).
Le plus souvent le corps est agressé par des cocktails médicamen-
teux, quelquefois par des produits ménagers (insecticide, désinfectant,
déboucheur…) ou encore par des conduites à risques (overdose, acci-
dent de la circulation, accident professionnel…) sans rapport strict avec
l’intensité du désir de mort. Par ailleurs les suicidants primaires ou
récidivistes ont plus d’antécédents somatiques, de troubles corporels
(fatigue, nervosité, dysomnie…) et de conduites de consommation
addictives (tabac, drogue, alcool…) évoquant un malaise initial de
l’être-corps (F. Ladame, 1981; M. Choquet, 1989). Enfin avec la TS, le
jeune révèle l’impasse narcissique qu’il expérimente aux risques d’une
autodestruction lui permettant d’être!
Les automutilations impulsives participent de ces mêmes défaillan-
ces (cf. Début de ce paragraphe). Ces actes constituent une véritable
décharge motrice en réponse directe et immédiate à une situation de
conflit, de tension ou de frustration chez un sujet présentant une image
de soi peu affirmée et une relation d’objet informe (H. Scharbach,
1986). Ce mode d’externalisation pulsionnel et impulsif conduit le
jeune à attaquer son corps, plus exactement des parties de son corps
(poignet, avant-bras, visage…), par divers moyens mécaniques (cou-
teau, cigarette, lame de rasoir…) et/ou des auto-administrations de
coups et lésions (gifle, coup de poing, grattage…). Notons qu’à l’issue
de ces attaques du corps, parfois extrêmement violentes, l’adolescent
déclare ne pas avoir ressenti de douleur… Par ailleurs la clinique quoti-
dienne tend à démontrer une légère sur-représentation des filles.
Enfin dans ces pathologies de l’être-corps agressé, signalons des
entités moins caractéristiques de cet âge mais qui deviennent de plus
en plus fréquentes ; il s’agit du corps sub-maitrisé des sportifs de haut
ou moyen niveau (C. Carrier, 1992) et des obsessionnels compulsifs
(S.-J. Rachman, R.-G. Hodgson, 1980).

20. 0,35 % de T.S. chez les adolescents contre 0,19 % dans la population
générale.
198 L’adolescent : le corps entre biologie et passion

Trop souvent l’être-corps du jeune se voit reléguer dans une acces-


soirité niant sa dynamique et sa place. Ainsi quand ces troubles de
l’être-corps apparaissent au sein même d’une entité psychopathologi-
que, ils se doivent d’être investigués et contextualisés en maniant à cha-
que fois des analyseurs pluriaxiaux. L’être-corps est le mode identitaire
permettant au jeune de rencontrer une ou des identités au sein même
d’une ambiguïté (inévacuable) à terme tolérable et tolérée.

EXAMEN PSYCHOMOTEUR DE L’ADOLESCENCE :


PLURIDISCIPLINARITE THEORIQUE, TECHNIQUE ET CLINIQUE

L’examen psychomoteur en question…


Opter pour le terme d’« examen » s’avère en soi significatif dans le
sens où il s’agit bien de considérer, d’observer et d’analyser ce qui est
présenté (en l’occurrence un symptôme) dans un axe d’intelligibilité
holistique. Tandis que le terme de « bilan », certes plus usité, renvoie
davantage à un inventaire descriptif où quelquefois seules des difficultés
sont mises en exergues. Quant au terme d’« évaluation », qui jouit
actuellement d’un engouement, il apparaît en tant que jugement sur une
situation donnée et est plus adapté à l’appréciation des effets de change-
ment dans une thérapie (P. Gerin, 1984). Ce point de vocabulaire con-
duit à pointer la présence sur un continuum de deux tropismes : l’un à
connotation purement psychométrique et neuromotrice, l’autre plus
éthologique et analytique (J.-L. Laurent, P. Pontradolfi, 1990). L’affron-
tement, tout comme l’apanage de l’une de ces positions, n’apportent
qu’une efficacité clinique partielle pour investiguer l’adolescent. En
conséquence, l’examen psychomoteur de cette population ne peut que
cheminer dans une pluridisciplinarité créatrice. Les apports théoriques,
techniques et cliniques de disciplines comme la neurologie, la psychia-
trie, la psychologie, l’orthophonie,… dans des agencements et modéli-
sations novatrices confèrent à l’examen psychomoteur une identité.
Si depuis longtemps, des praticiens s’essaient à l’édification d’un
examen psychomoteur standard pour l’enfant, l’adulte et l’âgé, l’ado-
lescent n’a pas été gratifié d’un tel intérêt (S. Masson, 1983, 1986).
Outre la totale hérésie clinique de proposer « un examen clef en mains »
à l’adolescent ou encore de projeter les procédures d’investigation uti-
lisées pour l’enfant et/ou l’adulte, il devient pertinent de réaliser « un
examen à géométrie variable ». Autrement dit, même si un corpus
investigatif basal (latéralité, orientation temporo-spatiale, équilibre,
dissociation-coordination des mouvements, être-corps…) apparaît
incontournable, le praticien se doit d’adapter son approche au
problème du sujet (et non l’inverse) dans une perspective bio-psycho-
Examen psychomoteur de l’adolescence… 199

socio-culturelle. Ce type d’examen quantitivo-qualitatif permet à terme


de mettre de l’objectif dans du subjectif et inversement; le tout devient
ainsi communicable et reproductible (J.-L. Sudres, 1991).

Essai de définition
Malgré la multitude des références à l’examen psychomoteur, il
règne une polysémie constituant une véritable aporie ! Cette situation
conduit à forger une définition opérationnelle étayée à la fois sur les
données de la clinique armée (P. Pichot, 1978) et de la clinique psycho-
motrice (J.-J. Guillarmé, 1982; Ph. Pham-Van, 1990). Ainsi il semble
pertinent d’appeler examen psychomoteur :
– une rencontre singulière avec un sujet (en l’occurrence adolescent)
et ses contextes de vie; le tout en privilégiant l’entretien clinique dans
un cadre transférentiel;
– une pluralité d’observations et d’évaluations cliniques référencées
d’une part à des stades développementaux, d’autre part à une percep-
tion de la situation bio-psycho-socio-culturelle et familiale du sujet;
– un ensemble de situations expérimentales (tests psychométriques,
questionnaires, check list,…) standardisées, servant de stimuli à des
comportements qui seront évalués par une comparaison (statistique ou
autre) à ceux d’autres sujets placés dans la ou les mêmes situations ;
– des liaisons ponctuelles et/ou approfondies avec les entourages
(familial, scolaire, professionnel, amical, …) du sujet.
L’intrication de ces quatre points en un même espace-temps confère
à cette modalité sa raison d’être et sa force.

Objectifs principaux
Avec l’adolescent, il apparaît totalement obsolète de se focaliser sur
la seule recherche de symptôme et/ou syndrome. En fait l’examen psy-
chomoteur s’ouvre sur :
– la connaissance globale du jeune et de son vécu, notamment par
rapport à l’être-corps,
– l’observation de ses comportements, de ses conduites, de sa plasti-
cité adaptative, de la qualité de ses relations interpersonnelles et grou-
pales,
– l’appréciation objective de ses performances et aptitudes psycho-
motrices, cognitivo-affectives et sociales,
– la suggestion d’examens et/ou d’explorations complémentaires,
– l’intelligibilité de la situation et des difficultés présentées,
200 L’adolescent : le corps entre biologie et passion

– l’élaboration d’un projet d’intervention prophylactique et/ou


d’accompagnement et/ou thérapeutique sur des expectations étayées,
– la constitution d’éléments de références pour d’éventuels contrôles
ultérieurs,
– l’information de l’équipe médico-psycho-sociale mais aussi du
jeune lui-même, voire de sa famille21.
L’examen psychomoteur de l’adolescent est donc un outil clinique
de dépistage, de prévention, de diagnostic, de pronostic, d’information
et de thérapie à ouverture maximum. Osciller de la surface aux profon-
deurs du sujet relève d’un authentique art clinique menant à des interfé-
condations où les articulations, les processus, les défenses,… à l’œuvre
offrent une modalité d’investigation psychomotrice novatrice.

Rencontrer l’adolescent

Chacun sait que l’adolescent consulte peu (collectif, 1990). Lorsque


cette démarche s’initie, même dans l’entremise d’une pression (paren-
tale, scolaire, amicale, …) avec une opposition larvée22, elle signe un
insupportable et une rupture d’homéostasie. La rencontre avec le jeune
comporte quelque chose d’intense, voire parfois de déstabilisant, tant la
banalité relève de l’urgence! De plus il réclame dans une alliance thé-
rapeutique, toujours ambivalente et fugace en ses débuts, une réponse
quasi instantanée à son « cas ». La proposition d’examen psychomo-
teur, parce qu’il ne peut s’agir d’un imposé vécu comme une ingérence
parentale, doit se dérouler dans une négociation ouverte et bienveillante
lui garantissant sa place de sujet acteur unique et le secret. De sa place,
stigmatisé par son âge, son sexe, sa profession, le praticien s’essaiera,
dès les premiers instants, à l’édification d’un espace de jeu éradiquant
toute relation de dépendance ; les risques de dérapage sont grands en
cette entreprise.
Lorsque la famille accompagne le jeune, il convient de la rencontrer,
c’est-à-dire de :
– l’entendre dans ses peines, ses revendications, ses craintes, son his-
toire fantasmatique et réelle, … tout en lui signifiant sa place dans ce
processus d’examen,

21. Nombre de jeunes consultent « sous X » (soit anonymement) ce qui auto-


rise souvent une meilleure authenticité.
22. En général ils refusent, du moins dans un premier temps, ce dont ils pres-
sentent qu’ils ont le plus besoin.
Examen psychomoteur de l’adolescence… 201

– lui expliquer dans un langage accessible le pourquoi de cet examen


et les grandes lignes du contenu de l’investigation après s’être informé
de la représentation qu’elle s’en était forgée.
Une telle procédure évite un vécu parental d’exclusion et/ou de maî-
trise familiale. Tout parent confiant sa progéniture à un praticien doit
bénéficier d’un tel accueil le plaçant de fait dans une dynamique de
sujet acteur. En fin d’examen, un temps de restitution de paroles se doit
de cohabiter avec « un temps de résultats ».
Rencontrer l’adolescent, c’est donc aussi rencontrer son microcosme
et son macrocosme avec tolérance et sérénité.

Trame POEMS : contenu et dynamique

L’enjeu d’un tel processus d’investigation requiert non pas une mais
plusieurs entrevues d’autant que nombre de travaux tendent à démon-
trer que les représentations, forgées par le ou les praticiens, des difficul-
tés des patients se modifient considérablement au cours des cinq ou six
premiers rendez-vous (A. Dazord, P. Gerin et coll., 1989 ; P. Gerin,
A. Dazord, 1992). Par ailleurs, la variété de l’examen psychomoteur
fournit au jeune une diversité de miroirs en lesquels il peut se percevoir
sans risque de succomber à la dépendance d’un tiers (Ph. Jeammet,
1980; J.-L. Donnet, 1983). Sa plasticité inhérente à l’exploration de ce
temps de vie n’abolit pas une certaine rigueur de mise en forme : la
trame POEMS. Modulable à souhait en fonction des contextes clini-
ques, cette trame évite tout fonctionnement routinier ; l’examen devient
ainsi une aventure et une création à deux (J.-L. Sudres, 1991). En clair,
la trame POEMS comprends un temps de :

 Psychométrie (P)

Celui-ci comporte tout un ensemble d’outils (tests, questionnaires,


échelles, …) se répartissant en :
– un champ neuromoteur : latéralité (usuelle et neurologique), orien-
tation temporo-spatiale, praxies (constructive, idéatoire, idéomotrice,
habillage, bucco-faciale), gnosies (digitale, stéréo, auditivo-phonéti-
que,…), attention, promptitude mentale, temps de réactions, impulsi-
vité cognitivo-motrice, organisation visuo-perceptivo-spatiale, style
moteur, équilibre (élevé, au sol, uni-bipodal), saut, dissociation-coordi-
nation des mouvements, motricité manuelle, dextérité digitale, contrôle
précision manuel, développement psychomoteur, graphomotricité,
capacités d’apprentissages, mouvements parasites stériles, tonus mus-
culaire, relâchement, etc.,
202 L’adolescent : le corps entre biologie et passion

– un champ cognitif : opérations logiques, aptitudes mentales pri-


maires, automatismes intellectuels et scolaires, raisonnement (abstrait,
concret, associatif, différentiel, visuo-spatial, …), mémoire (iconique,
topographique, verbale, …), etc.;
– un champ être-corps : schéma corporel, image du corps, focalisa-
tion corporelle; satisfaction corporelle, frontière corporelle, conscience
corporelle, gêne, douleur-inconfort corporel, relaxation, etc.;
– un champ créativité : pensée divergente, attitudes – tempéraments
– intérêts créatifs, personnalités créatives, productions créatives, aptitu-
des esthético-artistiques, etc.;
– un champ socio-adaptatif : intérêts (scolaire, professionnel, spor-
tif…), intelligence sociale, développement psychosocial, compréhen-
sion des concepts verbo-sociaux, relations parents-enfants, relations
avec les pairs, conduites dans les lieux d’habitations et publics, etc.
Pour chacun de ces champs existe une multitude d’outils psychomé-
triques de nature qualitative et/ou quantitative facilitant l’investigation
de la problématique adolescente. Dresser un listing, même partiel, de
ces outils dont certains ne couvrent qu’une partie de cette période de
vie23, serait illusoire. De fait, pour disposer d’un panorama minimal,
chacun est invité à se référer :
– d’une part aux catalogues des éditeurs de matériel psychométri-
ques (Centre de psychologie appliquée à Paris, Établissements d’appli-
cations psychotechniques à Issy les Moulineaux, Institut de recherches
psychologiques à Montréal…);
– d’autre part aux ouvrages de R. Zazzo, N. Galifret-Granjon et coll.
(1979) ; J. Cottraux, M. Bouvard et P. Légeron (1985) ; P. Bech,
M. Kastrup et O.-J. Rafaelsen (1989) ; C. Barthélémy et G. Lelord
(1991);
– et enfin aux articles de M. Dugas (1986); M. Stigler, B. Plancherel
et coll. (1986); R. Fourasté, J.-L. Sudres, P. Moron (1989); J.-L. Sudres,
R. Fourasté, P. Moron (1992)…
Dans l’investigation de l’adolescent, la psychométrie n’est qu’une
simple médiation quantitivo-qualitative ayant valeur de « testing psy-
chothérapique ». (Elle n’est en rien réductible à des épreuves motrices).

23. Nombre d’outils vont de l’enfance à l’âge de 12-13 ans ; d’autres débutent
selon le champ considéré à 15 ou 16 ans. D’où la nécessité de réaliser des
adaptations en certains cas de suivis thérapeutiques et de jongler avec
plusieurs outils.
Examen psychomoteur de l’adolescence… 203

 Observation (O)
Elle se déroule tout au long de l’examen et consiste à apprécier par la
vue, la palpation, la mobilisation passive et volontaire, la mise en acte,
les aspects suivants :
– la morphologie et l’esthétique,
– le niveau de développement pubertaire,
– la tenue vestimentaire et l’hygiène,
– le traitement de l’être-corps,
– la mimique et la motricité faciale,
– le langage tonico-émotionnel et le tonus musculaire,
– le jeu des communications non verbales, infra-verbales et cultu-
relles,
– le langage verbal,
– les conduites psychomotrices (marche, équilibre, coordination-dis-
sociation des mouvements, motricité manuelle, attitudes de compensa-
tion motrice, lenteur, impulsivité, hyperactivité, maladresse, etc.),
– l’orientation temporo-spatiale,
– les mouvements parasites (tics, stéréotypies, syncinésies, persévé-
rations…),
– les signes neurologiques patents (« hard ») et légers (« soft »),
– les signes somatiques de l’anxiété, de la dépression, de l’inhibition,
du mal-être corporel,
– le degré de fatigabilité et de concentration,
– l’autonomie socio-adaptative,
– les capacités d’élaboration et de créativité,
– les réactions cognitivo-affectives et socio-culturelles.
Ces points d’observations naturalistes, relativement classiques,
apportent une pondération capitale à la psychométrie. Ils peuvent, avec
l’accord du jeune, s’enrichir d’une éventuelle démarche sur le terrain
familial et/ou amical et/ou scolaire et/ou professionnel (M. Basquin,
1985; B. Durand, A. Gautrot, 1985; J. Hochmann, 1986).

 Entretien (E)
Incluant, dépassant et prolongeant la simple rencontre dans le sens
où chaque entrevue va cheminer par et avec cette modalité d’équilibra-
tion qu’est l’entretien; soit ce qui « entre » se « tien ». Bien entendu, par
delà le recueil des données anamnestiques et de la symptomatologie, il
s’agit de :
– mesurer dans la vie quotidienne du sujet la valeur de la plainte et/
ou de la difficulté révélée ou non par une épreuve psychométrique;
204 L’adolescent : le corps entre biologie et passion

– conduire le sujet à verbaliser les perceptions qu’il a de sa place


dans sa famille et le rôle qu’il s’y octroie;
– apprécier ce que M. Laufer (1983) appelle des « signaux d’alerte »
(étendue du rejet du corps sexuel, distorsion entre l’image interne et
externe, étendue du sentiment de passivité face aux actes et pensées,
niveau de plaisir corporel…) et Ph. Jeammet (1984) « une série
d’écarts » (entre la représentation de soi enfant et d’un nouveau corps
sexué, entre les nouveaux modèles identificatoires et les identifications
archaïques, entre les moyens et l’aspiration à satisfaire les vœux œdi-
piens et l’idéal du moi…);
– explorer les failles précoces, la manière de traiter le corps, les
bénéfices secondaires et le niveau de raisonnement;
– déterminer le rôle structurant du conflit, du passage à l’acte, du
symptôme…;
– évaluer les capacités d’anticipation, c’est à dire « ses greffes d’ave-
nir sur le présent » (J. Sutter, M. Berta, 1991).
Tous ces éléments permettent au trouble psychomoteur présenté et/
ou objectivé de s’inscrire dans la dynamique bio-psycho-socio-cultu-
relle du sujet et de sa famille.
Entendre le latent dans le manifeste, l’inconscient dans le conscient,
le non-dit dans le dit, l’inavouable dans l’avouable,… sans pour autant
percuter les défenses et le narcissisme du jeune, dépeignent la finesse
d’un tel entretien, oscillant du semi-directif à l’association libre. Dans
ce cadre, les fausses notes cliniques peuvent se bousculer :
– emploi inapproprié du « tu » ou du « vous »;
– usage immodéré de silences vides24 ;
– décalage dans le langage employé avec des extrêmes allant de
l’intellectualisme au verlan en passant par l’argot (G. Roux, 1989; S.
Tomkiewicz, 1989).
Nombre de détours verbaux menant à l’exploration de l’être-corps
recouvrent des réponses du type « bof », « ça ne va pas », « ça craint »,
« ça me prend la tête »… Elles forment des écrans opaques que seule la
médiatisation (auto-questionnaire corporel par exemple) permet de
contourner. Le sujet peut ainsi s’autoriser à dire ce qui, dans la relation
duelle non médiatisée, était psychiquement inacceptable, insupportable
et intolérable. Reprises avec lui dans un second temps, ces données
conduisent à mettre verbe et sens sur un impossible à dire et à vivre ini-
tiaux. Bref la difficulté de l’entretien consiste à explorer l’adolescent en
sujet :

24. Par opposition aux silences pleins en lesquels la psyché élabore.


Examen psychomoteur de l’adolescence… 205

– acteur de son investigation,


– capable de tisser des liens entre les différents temps de sa vie,
– apte à effectuer des perlaborations,
– riche d’un potentiel bio-psycho-socio-culturel.
L’entretien chemine virtuellement dans le thérapeutique (C. Chiland,
1983).

 Espaces méconnus (M)


Cette expression de M. Soulé (1985) souligne la nécessité de prendre
en compte tout ce qui se dit et/ou s’est dit, se joue et/ou se déjoue, se
corporéise et/ou se décorporéise… dans la salle d’attente, les couloirs,
le secrétariat… Dans tous ces lieux de transit, de sas, d’interface, l’ado-
lescent exprime et montre d’autres facettes de lui-même, souvent
moins contenues et plus authentiques; d’où la pleine justification d’une
extension de l’investigation (perceptions, ressentis, constats…) hors
des murs du local du praticien et auprès d’autres personnels (secrétaire,
agent de service, hôtesse…) dont le sens clinique n’est en rien
négligeable! Cette procédure de détour et de débordement implique un
travail d’équipe en lequel la capacité de se laisser surprendre soit entre-
tenue.

 Synthèses - Interprétations (S)


Entreprise complexe et délicate (non réductible à un chapelet de tests
ou d’objectivations) en laquelle le praticien se doit d’inclure avec dis-
cernement les apports externes (rapports scolaires, sociaux, médi-
caux…) tout en déterminant le niveau de qualité de vie. A partir de tout
cet ensemble d’informations parfois contradictoires, redondantes et
parcellaires, il doit s’essayer à :
– porter une appréciation et/ou un diagnostic dans la veine d’une
compréhension développementale et dynamique25 ;
– apprécier la nécessité ou non d’un complément d’examen, voire
d’investigations (complémentaires) d’une autre nature;
– proposer et argumenter une éventuelle prise en charge psychomo-
trice ou autre;
– élaborer un pronostic avec un balisage temporel.
Les « résultats » de cette synthèse-interprétation sont à transmettre à
l’adolescent voire, s’il est d’accord, à ses parents; ceci afin de le posi-
tionner en sujet artisan de ses propres changements présents et à venir.

25. Quelle que soient la ou les obédiences théoriques.


206 L’adolescent : le corps entre biologie et passion

A l’issue de cette investigation, les prémices relationnels sont bien éta-


blis pour cheminer vers et dans une thérapie.
Si la question du normal et du pathologique traverse l’examen psy-
chomoteur de l’adolescent, il n’est pas toujours aisé d’y répondre. De
même la dimension transitoire ou non des difficultés n’a de valeur que
dans une perspective diachronique dont il convient de mesurer la valeur
structurante. N’est-il pas nécessaire pour nombre de jeunes de passer
par un temps de marginalisation aux formes multiples pour accéder à
une intégration-agrégation positive? La fonction de rites de passage se
doit d’être constamment analysée dans les difficultés psychomotrices
présentées par le jeune (Ph. Jeammet, 1980; A. Van Gennep, 1981).

 La neutralité psychomotrice : un mythe!


Que l’on adopte une attitude bienveillante, un comportement de
technicien comportementaliste, une directivité policière ou autre, la
neutralité est dans l’examen comme dans la clinique psychomotrice
un vœu pieux tenant de l’impossible. Au-delà du verbe, le praticien
présente à divers moments (items moteurs mimés pour reproduction
et évaluation par exemple) son corps avec son historicité et son
actualité ; le langage corporel s’établit d’emblée en tant qu’incontour-
nable (M.-F. Richard, 1989). La demande étant rarement manifeste
mais plutôt noyée dans des symptômes écrans, le praticien est conduit
à aller au devant du sujet en lui proposant « des sentiers de déverse-
ments psychiques et corporels » avec en corollaire un risque perma-
nent à maîtriser : l’erreur et l’intrusion persécutives. D’emblée
s’instaure un contrat tacite dans une relation transférentielle.
Le trouble exhibé et/ou découvert dans l’examen psychomoteur
s’inscrit en l’espace d’un plan subjectif-intrasubjectif et corporel-intra-
corporel dans une situation donnée. L’implication du praticien, soit son
type de présence et d’être-corps, son aptitude à l’analyse du transfert-
contre-transfert, son degré d’élaboration de sa propre adolescence :
– d’une part influenceront sa perception des difficultés et troubles
psychomoteurs;
– d’autre part limiteront les projections complémentaires, ses rejets
et ses hystérisations.
Tout examen psychomoteur est donc une compréhension, une tra-
duction et une interprétation d’informations pour un praticien singulier
dans un lieu spécifique qui fait sens.
Bibliographie 207

Conclusion
Entre corps réel et corps imaginaire, l’être-corps adolescent se
déploie dans des difficultés et/ou troubles infiltrant avec toute une
gamme de formes l’ensemble de la psychopathologie juvénile. Ne pas
tenir compte de cet état de fait revient à cheminer dans des conceptions
anachroniques des troubles psychomoteurs et secondairement à
octroyer un soin de moindre qualité aux jeunes.
La difficulté de fonder une psychomotricité de l’adolescent tient :
– d’une part à l’absence de statut pour cette période de vie qui fleurit
tous les discours de la modernité;
– d’autre part, au peu de place que la pratique psychomotrice
accorde à cette période de vie alors même qu’elle répond littéralement
à toutes ses ambitions.
C’est dans ce double paradoxe que le psychomotricien œuvre avec, à
chaque fois, la tentation d’une sur-spécialisation échappatoire et appau-
vrissante.
Le soin psychomoteur de l’adolescent constitue au sein des sciences
humaines et médicales une modalité novatrice, certes mal connue, mais
promise à un bel avenir dans nos sociétés industrialisées.
« L’adolescence est le seul temps où l’on ait appris quelque chose ».
Marcel Proust (A l’ombre des jeunes filles en fleurs).

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5
L’adulte :
corps, affect et représentation
F. DESOBEAU, A. GATECEL, D. VIGNE, O. MOYANO

EXAMEN CLINIQUE CHEZ L’ADULTE1

L’examen clinique chez l’adulte est tout à fait spécifique. Le plus


souvent, le malade peut lui-même exprimer le motif de sa consultation
chez le thérapeute. Qu’il s’agisse de troubles instrumentaux ou de
somatisations, il paraît nécessaire de resituer les difficultés du patient
dans le contexte où celles-ci sont apparues mais aussi dans la propre
histoire familiale du malade. Ainsi, plusieurs entretiens paraissent
nécessaires pour mieux cerner la demande du patient, son mode de
fonctionnement psychopathologique et ses qualités d’élaboration psy-
chique. Il ne faudrait pas pour autant tomber dans l’excès inverse où il
s’agirait d’un interrogatoire ne laissant plus de place au malade pour
s’exprimer. Une anamnèse trop cadrée qui chercherait à tout prix à met-
tre en exergue une causalité événementielle aux problèmes psychomo-
teurs ou somatiques présentés par le patient n’aurait aucun sens.
La présentation qui va suivre est plus une grille d’observation (à
avoir en tête) permettant d’orienter de manière relativement souple les
premiers entretiens.
Dans certaines formes de fonctionnement psychopathologique (par
exemple : pathologie du banal décrit par Sami Ali, 1980), l’anamnèse
ne pourra être constituée qu’au bout de six mois d’entretien, voire
même plus. En effet, lorsque les affects ont été gommés, les événe-
ments traumatiques refoulés, etc., il faudra attendre qu’une relation
transférentielle puisse s’établir entre le malade et le thérapeute pour
qu’une histoire du patient puisse prendre corps.

1. Anne GATECEL.
210 L’adulte : corps, affect et représentation

Il me paraît intéressant dès le premier entretien de porter son atten-


tion non seulement au discours du malade mais aussi à sa présentation
physique, son attitude corporelle, ses modes de déplacement, ainsi qu’à
son débit verbal. Ces éléments déterminent chez le sujet un certain
investissement de son corps et son propre rythme corporel.
Un repérage sur la composition de la famille, le développement psy-
chomoteur du sujet, son parcours scolaire, la formation professionnelle
et son insertion professionnelle seront l’objet également de ces pre-
miers entretiens. Il me paraît néanmoins plus intéressant d’insister sur
les troubles instrumentaux ou les somatisations du patient, leur mode
d’apparition, leur inscription dans l’histoire du patient. Même si le
sujet ne peut pas faire de lien entre les troubles somatiques et des
difficultés d’existence personnelles, il est important dès le début du tra-
vail thérapeutique, de mettre les deux plans somatique et psychique en
parallèle. Le travail de lien se fera par la suite…
Un essai de repérage autour des identifications transgénérationnelles
me paraît également déterminant dans notre travail. Par exemple, dans un
cas clinique de relaxation (cf. observation de Claude présentée par
l’auteur in Contant M. - Calza A. Les Troubles psychomoteurs et le thé-
rapeute en psychomotricité, Masson, Paris, 1993), nous pouvons noter
l’apparition de vertiges chez cette patiente à 30 ans, troubles que décri-
vaient également sa mère à sa fille lorsqu’elle avait eu elle-même 30 ans.
Un travail autour de la problématique de la séparation sera abordé
avec précaution. En effet, un bon nombre de somatisations apparaissent
à la suite d’événements faisant référence à la notion de quitter (deuil,
séparation, déménagement). Des affects dépressifs n’ont pas pu s’expri-
mer à cette occasion et une forme de somatisation vient camoufler en
quelque sorte une dépression dite essentielle.
Un questionnement à propos du mode de fonctionnement imaginaire
du malade nous permettra de mieux cerner son comportement face au
rêve et à tous ses équivalents (nous entendons par là, la rêverie, le fan-
tasme, la croyance magique, le jeu, le transfert, l’hallucination, etc.).
Cela nous donnera un certain aperçu de son mode de fonctionnement
psychopathologique.
S’agit-il plus d’une somatisation faisant référence à la psychopatho-
logie freudienne (névrose, psychose, hystérie…), ou bien de la patholo-
gie de l’adaptation, ou bien d’une personnalité allergique (eczéma,
asthme), ou d’une forme de symptomatologie mixte. Le travail théra-
peutique qui pourra être proposé par la suite tiendra compte de tous ces
éléments recueillis au cours des premiers entretiens, du travail d’élabo-
ration du thérapeute quant à définir un diagnostic non pas en terme de
sémiologie psychiatrique mais plutôt sous la forme d’une nosologie
psychanalytique.
Indications 211

En dernier lieu, un travail tenant compte de la demande même du


patient et du respect de celle-ci me paraît fondamental. Un travail d’éla-
boration constant de la part du thérapeute permet une meilleure appro-
priation du travail thérapeutique par le patient. Ainsi dans la cure de
relaxation comme elle vous est présentée dans l’observation de Claude
(Ibid.), il ne s’agit pas d’appliquer une technique définie à l’avance,
structurée, mais les consignes sont modelées sans cesse dans cette inte-
raction patient-thérapeute tenant compte non seulement du travail psy-
chothérapeutique entrepris mais aussi du propre rythme corporel, du
rythme d’élaboration et de perlaboration de la patiente.
Les différentes techniques de relaxation ou de rééducation psycho-
motrice ne sont pour moi que des outils qu’il convient d’adapter, de
moduler en fonction de chaque situation thérapeutique. Il ne s’agit pas
de plaquer un outil sur une pathologie mais d’adapter une technique en
fonction de chaque relation transférentielle établie avec un patient.
Pour cela, il faut se départir d’un supposé savoir appris en formation
pour rester en tant que thérapeute un « psychologue surpris » comme
nous le dirait si bien T. Reik (1935).
En effet, tout nouvel apport théorique a souvent tendance à se
rigidifier trop vite nous faisant parfois oublier cette authenticité de la
relation à l’autre et nous conclurons cette présentation de l’examen cli-
nique chez l’adulte sur la notion de « tact » décrite par S. Ferenczi
(1927/28) : « Le tact, c’est la façon de “sentir avec”… La modestie de
l’analyse n’est donc pas une attitude apprise, mais elle est l’expression
de l’acceptation des limites de notre savoir ».

INDICATIONS2

La thérapie psychomotrice peut s’adresser à des patients qui souf-


frent de failles importantes du Moi, carences de certaines fonctions
psychiques, de difficultés de parler d’eux. Pour ces patients, il est sou-
haitable qu’en plus d’un dialogue verbal, il s’appuie sur le « corps
propre » du psychomotricien qui met à leur service l’empathie dont il
est capable, favorisant ainsi l’ouverture au réel : ce qui est palpable et
permet le contact (de con/avec et tact/toucher donc échange de tou-
cher). Cet étayage par le réel est sollicité chez des patients de structure
psychotique afin de réduire un processus dissociatif ou délirant, ainsi
pour reprendre une métaphore chère à Lowen, de leur permettre
« d’avoir les deux pieds sur la terre ». Dans ce travail de « grouding »
(enracinement) psychique (contact avec la réalité), énergétique (une

2. Daniel VIGNE.
212 L’adulte : corps, affect et représentation

forme de mise à terre de l’énergie d’un organisme), et corporel (prise


de conscience du centre de gravité de l’alignement et de son rapport au
sol), Lowen restitue au patient l’un de ses acquis majeurs dans la lignée
phylogénétique, la position debout.
Lorsque l’on cherche à préciser la spécificité de la thérapie psycho-
motrice, on fait souvent appel à des expressions telles que « dialogue
tonique », ou « langage à médiation corporelle », « motricité en
relation », expressions qui situent bien un terrain d’échange privilégié,
mais qui n’expliquent pas pour autant en quoi consiste l’échange. Or,
c’est bien là la difficulté!
Il est souvent mal aisé de convertir en mots ce qui se passe de mots.
Mais que serait une expérience sur laquelle on ne puisse mettre des
mots? C’est à cette complexité que nous invite l’émotion.
La clinique nouvelle des interactions précoces nous a montré com-
bien sont précieux tous les petits signes qui témoignent de l’affectivité
et de la vie mentale du nourrisson.
Dans les six premiers mois, mère et bébé vivent dans un « bain »
d’affects (S. Lebovici, 1983). Tout est prétexte à communiquer de
l’affect. Cependant, les interactions affectives des premiers mois se res-
sentent, mais ne se laissent pas facilement décrire, en raison peut-être
de la difficulté des adultes de lier les affects archaïques, à l’état brut du
bébé, à des représentations; d’où le recours fréquent à la métaphorisa-
tion pour les décrire. L’interaction affective, c’est pour le bébé faire
l’expérience que sa vie émotionnelle peut se partager avant même
l’apparition du langage. C’est ce que Stern a décrit sous le terme d’har-
monisation des affects ou « d’accordage affectif ». « L’harmonisation
des affects contribue à la formation du soi chez le tout-petit (« self-
affectif »). Elle peut être considérée comme une étape sans doute
nécessaire vers le langage; elle se situe à mi-chemin entre l’imitation
pure et simple et la véritable traduction symbolique (D. Stern, 1985).
La présence du thérapeute en psychomotricité n’est pas sans simili-
tude avec la présence de la mère auprès de son enfant à fortiori s’il est
malade. Ce n’est pas seulement avec les mots que des patients en crise
peuvent s’apaiser, mais c’est par ce qu’ils perçoivent intimement, de la
voix, du corps, des gestes et de la présence du thérapeute et de ses pos-
sibilités d’accueil. Apprendre ainsi à se mettre à l’écoute de l’autre tout
en restant à sa propre écoute est un long apprentissage. La présence du
thérapeute est basée sur sa sensibilité et sa capacité de réponse à tout un
éventail d’émotions. Habituellement, les parents dans leurs interac-
tions, amènent leur enfant au-delà de son niveau de performance immé-
diat vers un niveau de développement supérieur. En thérapie
psychomotrice, il nous faut activer et engager un tel processus.
Engagement corporel en thérapie d’adultes 213

Le psychomotricien est, à mon sens, le professionnel de la santé le


plus à même de travailler au niveau du « corps propre » du malade, en
restituant cette approche dans la dimension psychologique, et par rap-
port au fonctionnement de la pensée.
Dans des situations régressives (pack, manifestations émotionnelles,
passage à l’acte), nous travaillons sur la mise en place du contenant
psychique à partir de l’expérience corporelle, la notion de pare-excita-
tion de Freud peut ici nous servir de métaphore à un de nos rôles : pro-
téger l’organisme contre les excitations nocives de l’environnement.
Dans une pratique où les émotions sont des indicateurs qui donnent
sens au cours du traitement parce qu’elles révèlent à la fois ce qui est
ou a été significatif biologiquement, le thérapeute s’implique dans son
propre corps et par là même, offre quelque chose de lui. A partir du
« corps réel », il y a mise en jeu du « corps imaginaire et fantas-
matique ». Placé face à la régression du patient telle qu’elle se traduit
par son discours, ses affects, le thérapeute doit rester ouvert à ses pro-
pres associations; il doit également rester attentif à ce qu’il vit, à ce qui
surgit dans son corps. Ainsi la contre-réaction du soignant, les phéno-
mènes de contre-transfert nous interrogent-ils dans ce que nous vivons
et exigent de nous d’observer ce qui se joue dans notre chair afin de
nous repérer et comprendre notre propre attitude.

ENGAGEMENT CORPOREL EN THERAPIE D’ADULTES3

« La liberté est une augmentation de conscience » (G. Deleuze).


« A partir du moment où s’organise une représentation symbolique
de la dramatique de l’individu, quel que soit ce mode de symbolisation
s’introduit une capacité ludique; on ne peut jouer qu’à partir d’un cer-
tain degré de liberté que la symbolisation introduit » (R. Diatkine).
L’expression corporelle et émotionnelle du vécu nous a paru être
chez l’adulte, l’approche qui répondait le mieux aux impératifs de la
psychothérapie à médiation corporelle.
Nous avions eu, dès 1964, le privilège d’être avec quelques-uns, à
l’origine de la thérapie psychomotrice de l’enfant. Nous refusions la
rééducation psychomotrice telle qu’elle nous était enseignée, à partir
de méthodes pédagogiques et gymniques existantes, trop souvent faites
de batteries de mouvements progressifs dont la répétition devait entraî-
ner chez les enfants leurs qualités psychomotrices proprement dites,
afin de les rendre plus aptes aux apprentissages. A côté de ces
« méthodes » nous voulions créer la « thérapie psychomotrice ». Nous

3. Françoise D ÉSOBEAU.
214 L’adulte : corps, affect et représentation

savions qu’un enfant en souffrance est perturbé globalement dans son


fonctionnement psycho-affectif et mental, voire somatique. Notre
apport a été de laisser-faire l’enfant, dans une aire de jeu, afin que de
son propre mouvement, il s’engage avec le thérapeute dans un dialogue
corporel. Nous savions que le vécu sensori-moteur et psychomoteur de
l’enfant, l’engageant dans de multiples relations, fonde et structure
son activité mentale. En thérapie psychomotrice, l’enfant mis en acti-
vité spontanée, dans un espace-temps donné, en présence du théra-
peute, s’engage dans le jeu projectif de son vécu. Il est là, tout entier,
dans cet espace d’échanges : pas à pas, par touches successives et par
répétitions, par des aménagements du décor et de l’espace, par l’utilisa-
tion des objets, accessoires ou personnages, progressivement il met en
forme ce qu’il a d’essentiel à exprimer de ce qu’il vit. Espace thérapeu-
tique de liberté, de réalisation, de projection et de rencontre : celle-ci
étant primordiale.
Parlant de l’acteur, Sophie Moscovo écrit :
« Par ces visions intérieures, il ouvre les fenêtres de son âme et
donne à voir en les confiant, les images qu’il reçoit, celles que provo-
quent en lui le lieu et la situation où il se trouve ».
Et encore :
« Le plateau est là, nu; ainsi l’imagination est libre d’y dessiner tous
les espaces possibles, les espaces des passions intérieures, et les espa-
ces extérieurs ».
Voici ainsi posée, la scène sur laquelle s’engage le sujet qui n’a que
le chemin du non-verbal pour communiquer au thérapeute son monde
intérieur. Relation privilégiée qui permet à quelqu’un de mettre en jeu
ses projections, et allant de l’agi au représenté, d’organiser ses repré-
sentations internes.
L’essentiel se crée dans la rencontre avec le thérapeute dans ce dialo-
gue corporel.
A partir de ces données fondant la thérapie propre à l’enfant, com-
ment pouvions-nous imaginer la thérapie corporelle de l’adulte ? Com-
ment l’engager à vivre et à exprimer corporellement son propre
discours?
Le plus souvent bloqué dans son corps, il nous fallait le rendre actif,
l’engager dans son langage corporel, créer un espace d’expression et de
communication. La relaxation m’a paru être une des meilleures propo-
sitions permettant à un adulte de se re-brancher sur ses ressentis. Par le
jeu du tonico-affectif, la relaxation mobilise chez lui, ses émotions et
son imaginaire. En le branchant sur les ressentis corporels, nous lui
permettons de tisser des liens entre l’expérience, ici et maintenant, et
des expériences passées. Mais personne n’ignore combien il est
difficile de parler de ce que l’on éprouve.
Engagement corporel en thérapie d’adultes 215

Grâce aux thérapies émotionnelles qui arrivent en France dans les


années 70 (bioénergie, gestalt, groupe de rencontre, rebirth, cri primal),
nous apprenons à explorer les émotions et à faire qu’elles s’expriment.
Elles se trouvent être à la deuxième charnière du somatique au
psychique; la première étant le tonico-affectif. Par l’expression émo-
tionnelle du sujet, nous retrouvons les traces de ses premières organisa-
tions ou désorganisations, de ses premiers investissements libidinaux,
de ses fixations, de ses souffrances refoulées. Le cri permet des passa-
ges d’un niveau d’expression à un autre, du mouvement-acte au mou-
vement émotionnel, de l’émotion aux mots. Ces mots en se disant alors,
vont permettre chez le sujet un remaniement de sa structure interne, de
ses modes de fonctionnement et de ses modes relationnels.

Principes de base
Dans la thérapie d’expression corporelle et émotionnelle, ce n’est
pas le corps du sujet qui est le lieu privilégié d’intervention, mais le
sujet dans son corps en relation. « Le corps humain est toujours
l’expression d’un moi et d’une personnalité, et il est dans le monde »
(P. Schilder).
Nous avons l’intention dans cette thérapie de saisir l’homme dans sa
globalité en interaction à son environnement. En partant du principe
fondamental que dès sa conception l’individu est un être en relation,
nous savons qu’il a à gérer des relations multiples en lui et à l’extérieur
de lui, pour survivre. Toute pathologie ou mal-être est un rétrécisse-
ment des possibilités de relation.
Dans un premier temps, le travail thérapeutique visera à une remise
en relations, un déclivage, une libération.
Pour illustrer notre travail, imaginons un schéma simpliste de la per-
sonne en relation.
Supposons trois sphères intriquées l’une dans l’autre : la sphère
mentale, la sphère affective, la sphère somatique. Chacune de ces sphè-
res contient la réalité mais aussi une charge du symbolique et de l’ima-
ginaire du sujet, entraînant dans toute relation ces trois dimensions.
N’oublions pas que l’individu est animé des mouvements conscients et
inconscients de son psychisme.
Dans la sphère mentale nous trouvons essentiellement la structura-
tion temporelle et spatiale, l’organisation des connaissances, l’imagi-
naire et la pensée, sans oublier la mémoire.
Dans la sphère affective se retrouvent les affects qui ont accompa-
gnés nos premières expériences vitales jusqu’à ce jour : plaisir, déplai-
sir, tendresse et colère, peur et courage, peine et joie.
216 L’adulte : corps, affect et représentation

Représentations

Émotions

Affects

Tonico-affectif

Soma

1. Schéma fictif de l’être en relation. « L’être au monde ».


Engagement corporel en thérapie d’adultes 217

Le spirituel

Mémoire
imaginaire

Représentations
Connaissances

Sentiments
Émotions

Affects

Tonico-affectif

Soma

2. Schéma fictif de clivages possibles. « Le Sensible ».


218 L’adulte : corps, affect et représentation

Dans la sphère somatique à côté de la motricité, de la sensorialité,


nous trouvons la vie organique et végétative. Entre soma et affect, nous
connaissons la zone qui participe à l’une et l’autre sphère, le tonico-
affectif. Dès qu’il y a vie, le tonus est mêlé à l’affect.
Ce premier pont va être sollicité en thérapie par la relaxation et le
mouvement, les variations toniques mobilisant immanquablement les
émotions. La mobilisation de celles-ci permettra de créer notre second
pont thérapeutique, par cette zone commune qui participe à la fois de la
sphère affective et de la sphère mentale. Ces trois sphères sont norma-
lement en liaison constante. Ce tout représente la personne en relation
aux autres et à l’univers. Mais il peut se faire qu’un individu ne survive
que dans l’une de ces trois sphères. C’est là qu’il reçoit et émet. C’est
de là qu’il parle.
La pathologie s’installe dans la discontinuité, dans la déliaison. C’est
le cloisonnement : chaque sphère tourne sur elle-même et s’asphyxie.
L’être en souffrance n’est plus l’être ouvert au monde, existant dans
toutes ses dimensions, mais fermé et retourné sur lui-même, aliéné.
Dans cette approche thérapeutique où le langage corporel du patient
est pris en compte, nous thérapeutes, sommes avec lui, là où il est. Peu
à peu, nous l’accompagnerons sur un trajet de re-liaisons successives
jusqu’au jeu des remémorations, des associations libres, des représen-
tations. En le branchant sur son vécu corporel par la relaxation, nous lui
permettons de tirer des fils pour commencer à tisser sa toile, faisant des
liens entre l’éprouvé et le mouvement corporel et/ou émotionnel qui
survient, entre la respiration, le souffle, la voix, les cris, jusqu’aux mots
qui vont organiser le discours personnel du sujet.
Si le langage verbal est un organisateur fondamental de l’être
humain, nous savons que le mouvement le précède, en tant qu’organi-
sateur fondamental de l’être engagé dans les échanges essentiels à la
vie.

Modalités techniques
« Se sentir exister avec sécurité dans un corps autonome, représente
un état autonome de moins en moins répandu. Quand la règle de libre
parole tue le contact de l’échange, c’est du corps que la libre expression
se fraie son chemin » (D. Anzieu).
En prenant le langage corporel comme médiation de la psychothéra-
pie de l’individu, nous retrouvons les chemins, les traces de ses premiè-
res organisations ou désorganisations, de ses premiers investissements
libidinaux, de ses fixations, de ses souffrances. Les mouvements du
corps aussi bien que les sentis, modifient les échanges toniques et per-
mettent des états régressifs, qui libèrent le refoulé.
Engagement corporel en thérapie d’adultes 219

 La relaxation (de type J. de Ajuriaguerra)


La relaxation permet au sujet d’éprouver son vécu corporel, réel et
imaginaire, par l’abaissement de la vigilance et les variations toniques,
en présence plus ou moins proche du thérapeute.
Le patient se présente le plus souvent immobilisé dans son corps,
figé ; soit offrant un état de clivage entre un moi regardé et un moi
regardant; soit dans un corps qui lui est étranger, extérieurement offert
à autrui et intérieurement insensible; soit engagé totalement dans une
partie souffrante du corps.
Nous voulons lui permettre de vivre ce qui lui appartient en propre :
nous ne l’invitons pas à vivre en relaxation un certain bien-être, un nir-
vana, mais à percevoir et vivre ses ressentis profonds. La proposition va
donc consister à lui demander ce qu’il ressent ici et maintenant : temps
de concentration sur une partie du corps, qu’il ressent plus
particulièrement; par inductions verbales ou proprioceptives, ou tacti-
les il est aidé à entrer dans un bain de sensations. Ne « rien faire »,
« laisser faire », est essentiel à cette invite. Tout ou partie que ce corps
porte en lui de confus et d’inexprimé, et de bloqué dans les tensions, se
réveille, émerge peu à peu. Les traces mnésiques sont réactivées. Ces
perceptions entraînent un afflux d’affects, denses et confus, que les
mots seuls ne suffiraient pas à contenir, et réduiraient.
« Qu’y a-t-il de non communicable en mots, qui se fige dans le
symptôme » (M. Mannoni).
Le corps du patient devient alors terrain de rencontre de soi, lieu
transitionnel, objet médiatique, porteur d’inconscient à déchiffrer
comme nous le faisons des rêves.

 Le mouvement
« Le mouvement ne ment pas » (M. Graham).
Centrées sur les ressentis de son corps, liées à tout ce qui s’y accro-
che, des intentions de mouvements surgissent : décharges des jambes,
blocage des mâchoires, rotations de la tête, poings qui se ferment, posi-
tion fœtale… Ce mouvement survient souvent à l’insu du sujet. L’inter-
vention du thérapeute, corporelle ou verbale, permet au sujet de se
regarder faire, de reconnaître son mouvement, soit à l’origine dans la
tension, soit déjà dans son expression. Il est alors invité à s’en saisir et
à l’amplifier.
« Les images acoustiques, visuelles, cénesthésiques et motrices du
mouvement, parviennent au système conscient du sujet et c’est alors, à
ce prix, que s’effectue la déliaison de l’énergie, ce qui rend possible un
remaniement personnel ».
220 L’adulte : corps, affect et représentation

Peu à peu, ce mouvement agi intensément, va entraîner un change-


ment de respiration, des déplacements, des sons, des cris. Alors surgit
toute une dramatisation du vécu, une explosion. D’autres mouvements
s’associent et l’émotion se réveille.
« Qu’est-ce que je suis en train de faire? »
Rejet, pénétration, dégoût, agression, peur, appel, agrippement…
Nous touchons le message du corps. Sa mise en acte n’exclut pas la
dramatisation, au contraire, elle permet la symbolisation d’un vécu
enfoui et réveille les affects qui lui sont liés.
Les émotions et les images surgissent. Les liaisons se recréent entre
corps, affect et représentations. Porteur de sens, le mouvement engagé
dans le champ thérapeutique devient opérant et libérateur.
« L’engagement moteur accompagne le retour du refoulé ».
Du mouvement répétitif mais privé apparemment de sens, le mouve-
ment est devenu expression du conflit ou du désir refoulé. Il a levé les
barrages, réanimé les émotions et recréé les images.
La voie sensitivo-motrice, a pris la voie tonico-affective. Le mouve-
ment rebranché sur l’émotionnel et le mental se dégage de sa charge
inconsciente et le sujet retrouve dans son mouvement des moyens
d’expression libre.
Je dirai qu’il y a le non-mouvement, bloqué dans la tension qui va
être peu à peu perçue comme origine d’un certain mouvement, qu’il y a
le mouvement répétitif et vide qui enchaîne le sujet et signale son
malaise, qu’il y a le mouvement intentionnel nourri de la pulsion
immédiate qui elle-même recouvre souvent le désir inconscient, et
qu’enfin, il y a le mouvement plein, qui engage l’être dans toutes ses
dimensions retrouvées.

 L’expression de l’émotion
« Sachant que dans un mouvement de bascule la résistance par l’ins-
cription corporelle fera bientôt place à une expression émotionnelle qui
servira de levier, et permettra l’émergence de la représentation
manquante » (A. Lefèvre).
L’expression émotionnelle est maintenant liée au mouvement. Elle le
domine très vite; réveillée, c’est elle qui va entraîner la dramatisation et
l’expression corporelle.
Comment dire ce que je ressens au moment où je déborde d’émotion ?
Ce que je sens dépasse la parole, alors je joue, je mets en scène,
j’investis le plateau thérapeutique et tous les signes du corps traduisent
et transmettent mon émotion.
« Expression dramatique improvisée qui engage l’être entier dans
son corps et sa vie psychique ».
Engagement corporel en thérapie d’adultes 221

Mouvements, gestes, regards se transforment. Bruits, souffle, cris,


rires, pleurs participent à la représentation. Et si le verbal accompagne
le jeu du corps, c’est celui-ci qui est premier et thérapeutique, et engage
l’être tout entier. La dimension verbale est alors, encore, secondaire à la
dimension non-verbale.
« Le langage des mots doit céder la place au langage par signes »
(A. Artaud).
Car l’émotion se fait violente; l’asservissement de l’affect permet la
levée du refoulé, et surviennent la remémoration et l’évocation de
l’expérience traumatisante. L’émotion bloquée, non vécue parce
qu’insupportable charge le somatique ; l’émotion perçue et refoulée,
charge l’imaginaire. Dans les deux cas la voie somato-psychique se
verrouille. L’expression émotionnelle retrouvée va permettre la
décharge tensionnelle et le retour du refoulé. La vivance affective de la
situation conflictuelle, va par la voie des associations permettre l’élabo-
ration des conflits. Ainsi le patient retrouve des niveaux de régression
profonds et des points de fixation très anciens. Il défait des circuits de
répétition et sort de deuils pathologiques.
Le corps devient métaphorique, porteur d’imaginaire et de symboli-
que, décrypté par le sujet qui le vit et l’exprime au thérapeute qui reçoit
et renvoie.

 La verbalisation
Si la relaxation permet au sujet de lier sensations, mouvements et
émotions, l’émotion mise en jeu, au lieu de rester rivée au corps, per-
met le passage à la sphère mentale. Ce travail qui, au départ était
recherche, exploration, est devenu dans l’espace thérapeutique explo-
sion de projections, ressaisies et intériorisées : la représentation ouvre
et organise l’espace mental.
Respiration, voix, cris vont solliciter les représentations et permettre
que des mots viennent ponctuer le mouvement corporel et émotionnel.
Au-delà du confus, de l’inexprimé, du vécu figé, du mal-être, un che-
min se trace vers l’organisé, le dire, la parole, le discours verbal. Le cri
du nouveau-né était signal, décharge tonique et émotionnelle en dehors
de toute représentation. Ce cri appelait une réponse. C’est pourquoi le
mouvement dans sa qualité tonique est lié à la sensibilité du sujet qui
parle. Lié à l’activité motrice, peu à peu le verbal s’en détache pour
devenir lui-même, comme le mouvement, organisateur de cet « être au
monde ». L’un est organisateur de l’être, dans l’espace extérieur, l’autre
est organisateur de l’être dans son espace interne et mental. C’est le jeu
continu des échanges externes-internes, projections-introjections, qui
constituent la dimension de l’homme.
222 L’adulte : corps, affect et représentation

Ce sont les jeux des expériences et des frustrations successives qui


permettent la création, ou la re-création de l’espace interne. Le cadre,
les limites et la loi structurent la pensée et permettent la verbalisation.
Je veux dire que celle-ci est issue des échanges internes et externes qui
ponctuent la socialisation et l’individuation de chacun.
Au lieu de se montrer et de se donner à soigner, voilà que le sujet
commence dans un « moi-je » personnalisé, à parler de soi, de ce qu’il
ressent en même temps de ce à quoi ça le fait penser : peu à peu s’ins-
taure un discours personnel qui lui-même, renvoyé dans l’espace théra-
peutique, va solliciter la remémoration et l’imaginaire. Les mots
surviennent au fur et à mesure que la représentation de l’expérience se
répète et s’organise. Les associations libres se mettent en place, sollici-
tant les images. Les rêves surviennent et se racontent. Des liaisons
s’effectuent entre les différents secteurs de l’appareil psychique. Voici
le moment où est abandonné le jeu, la représentation agie, pour parler.
La verbalisation est l’aboutissement de l’exploration des ressentis cor-
porels et de leur expression.
« L’évocation par les mots vient remplacer la mise en scène par la
crise ».

Fonctionnement
 La relation thérapeutique
A. Jodorowsky, cinéaste, à qui l’on demandait de parler de l’autisme,
s’adressant à son auditoire, dit :
« Qu’est-ce qu’un thérapeute?
C’est un homme invisible, c’est un homme qui a complètement
sacrifié sa présence, pour entrer dans le problème de l’autre… Tant que
l’on n’est pas rentré dans la présence de l’autre, dans l’existence de
l’autre, on est autiste. On est dans son monde à soi ».
La thérapie corporelle est une situation de rencontre. Là en est
l’essentiel. Rencontre qui s’origine dans le langage corporel, souvent
dans le corps à corps, allant de l’infra-verbal au verbal. Cette relation
privilégiée et tous les mouvements transférentiels qui y sont liés, créent
le champ thérapeutique, c’est-à-dire le champ associatif.
Ce temps-espace est tout entier pour le sujet. Il lui appartient. L’atti-
tude fondamentale du thérapeute sera d’être pleinement en présence du
sujet : il va créer un espace, un lieu en lui, et, entre le sujet et lui, pour
le sujet. Ce champ de communications, d’échanges, va se charger des
projections du sujet qui se saisit du thérapeute, en en faisant son objet.
Là, dans cet espace, prennent sens les expériences multiples du sujet, et
s’organise une représentation de ses ressentis et de ses agis.
Engagement corporel en thérapie d’adultes 223

Le langage corporel du thérapeute se constitue dans un tissu d’atten-


tion profonde : il sent, écoute, regarde, prend telle ou telle attitude, res-
pire, donne de la voix ou de la parole. Il contient, relâche, se rapproche,
s’éloigne. Il attend, il se tait : silence verbal, émotionnel, gestuel; dis-
ponible à ce qui vient de l’autre. Dans le rien ou le quelque chose, il va
reconnaître la personne. C’est dire les réorganisations successives de
cette relation; selon les moments du sujet, le thérapeute interviendra à
différents niveaux, modulant ses interventions.
Cette présence corporelle du thérapeute va être présence physique,
enveloppe contenante, support. C’est toucher, maintenir, contenir, por-
ter, parler, sans forcément le faire dans le concret. Attitude fondamen-
tale d’attention et d’écoute où le regard joue un rôle primordial : le
regard est « le cordon » qui lie, et signifie, et maintient le sujet, lui pro-
diguant l’énergie du thérapeute.
Des mouvements aux gestes, du confus à l’élaboré, de l’agi au repré-
senté, du cri au mot, le thérapeute est là où est le patient, l’accompa-
gnant dans son discours en deçà ou au-delà du verbal, et l’amenant des
états bloqués ou réactionnels, au dire.
Long chemin que parcourent ensemble patient et thérapeute. C’est
un peu comme si nous acceptions de descendre au fond du puits avec
lui, et, que pour rester avec nous, le sujet finissait par apprendre à
remonter en retissant les liens, en s’ouvrant à nouveau, comme les pou-
mons du nouveau-né se déploient à la rencontre de l’air, milieu exté-
rieur, pour vivre. Peu à peu, le thérapeute accompagne le patient sur un
trajet de reconstruction de soi, par re-liaisons successives jusqu’au jeu
des associations libres, des remémorations, des représentations.
« Un des principes fondamental de la thérapie émotionnelle est de
constituer un contenant solide à l’intérieur duquel le patient, se sentant
en sécurité, peut régresser à son lieu de fixation et donner libre cours à
sa vie pulsionnelle sans risque de désintégration ».
La disponibilité du thérapeute lui permet la résonance du discours en
son imaginaire et selon sa symbolique. Ainsi, tout au long du fil, le thé-
rapeute va donner du sens, aller du réactionnel à l’expression, de l’agi
au représenté, du non-verbal au verbal et permettre chaque passage de
niveau d’expression dans le continu de l’un à l’autre.
Pour le thérapeute c’est un travail référent qui permet d’établir les
liaisons :
– référent à l’histoire du sujet, inscrite dans sa famille et son milieu
de vie,
– référent au continu de son chemin thérapeutique.
Le travail du thérapeute s’inscrit aussi dans ses propres références théo-
riques, références qui permettent à partir de l’organisation psychique du
sujet, d’élaborer son discours, entendre dans la relation transférentielle.
224 L’adulte : corps, affect et représentation

Ce travail de déchiffrage, de décryptage, d’élaboration progressive ani-


mera la réponse corporelle et verbale du thérapeute. Car si le sujet n’a pas
encore les mots pour dire ça, il entend les mots du thérapeute qui percu-
tent son imaginaire. Sans cesse le thérapeute va inventer une stratégie
pour mobiliser le sujet dans la situation où il s’engage. Il le renvoie à ses
propres sources et ressources, l’appelant à développer et visualiser son
propre film. Le mobiliser c’est lui proposer des alternatives lui renvoyant
sans cesse ses projections en vue d’introjections et de prises de conscience
par le jeu de ses propres associations. Le thérapeute est dans une adapta-
tion continuelle. Au fur et à mesure que le sujet évolue, inductions et pro-
positions se transforment. Disons que très actif au départ, le thérapeute va
entrer dans l’ombre et le silence, laissant toute la place au sujet. Branché
sur le vécu du patient, ici et maintenant, le thérapeute prépare l’étape ulté-
rieure en retenant et soulignant le moindre indice qui la prépare. Il lui faut
saisir dans la situation ce qui est signifiant et le renvoyer au patient.

 Le cadre

Le cadre et la règle jouent un rôle de contenant et instaurent un sys-


tème de pare-excitation. Les limites de sécurité sont garanties par le
thérapeute dans le cadre. Cette thérapie d’expression corporelle et émo-
tionnelle s’organise dans l’espace d’une thérapie individuelle ou de
groupe. Le plus souvent le choix se fera à partir de la demande du
patient, mais aussi en fonction de ses modes relationnels.
D’emblée certains patients s’engagent dans une relation duelle,
maternante ou non : leur recherche première est que quelqu’un
s’occupe d’eux.
D’autres, bousculés par leurs problèmes relationnels (familiaux ou
professionnels, amoureux ou sociaux), demanderont le groupe.
Des passages de l’un à l’autre cadre s’opèrent en fonction de l’évolu-
tion de la thérapie de chacun; ou bien une combinaison des deux for-
mules s’organise.
Dans un premier temps de la thérapie, l’individuel fait surgir des
conflits ou souffrances liés aux premiers moments de la vie, et à la rela-
tion primordiale mère-enfant. L’être en soi est en souffrance.
Le groupe va amplifier l’expression émotionnelle et brancher le sujet
sur ses relations au mode extérieur. L’être au monde est en souffrance.
Dans ces deux voies de thérapie nous retrouvons les deux chemins de
l’évolution normale de la psychomotricité de l’enfant :
Il y a des enfants qui parlent avant que de marcher, et d’autres qui
marchent avant que de parler.
Engagement corporel en thérapie d’adultes 225

En thérapie individuelle, les patients vont parler leur vécu corporel


assez rapidement, et ceux qui doivent agir leur vécu corporel trouveront
leur espace d’expression dans le groupe.

 Le groupe
« La psychothérapie de groupe est une forme particulière de traite-
ment qui s’est donné pour objectif de guérir aussi bien le groupe consi-
déré comme un tout, que ses membres par l’intermédiaire du groupe »
(J.-L. Moreno).
Comme dans tout groupe, les participants se distribuent les rôles en
fonction de ce qu’ils vivent eux-mêmes. Le groupe en tant que tel
existe, s’organise et se développe. Il devient support d’évolution de
chacun et développe sa personnalité propre. Aucun groupe n’a la
même.
Le thérapeute fait partie intégrante du groupe. Il est engagé dans
l’expression corporelle et émotionnelle de chacun. A tout moment, il
lui faut être disponible au décryptage des mouvements qui s’opèrent.
C’est de cette analyse que dépend son propre mouvement. Il est pour le
groupe objet d’identification et de projection, mais représentant de la
loi, et à ce chef, assure la protection du groupe et de chacun en son sein.
Le groupe permettra à chacun la prise de conscience de ce qu’il est
par l’établissement d’un réel contact avec ses sensations, ses émotions
et son imaginaire, grâce aux situations multiples vécues avec d’autres.
Le groupe est un espace de liberté, de dire vrai, de réalisation, de pro-
jection, d’introjection, et de rencontre. Le sujet se sentant suffisamment
en sécurité, peut relâcher son système de défense, trop coûteux ou mal
adapté, et par là remanier son économie libidinale. Le groupe est un
véritable outil thérapeutique, où l’on retrouve les interactions des
identifications variées, des transferts latéraux. Terrain d’affrontement,
miroir de soi, lieu de projection, il participe à la thérapie de chacun.
« Le groupe exerce des effets psychothérapeutiques sur les personnes
qui le composent. Il peut rétablir la situation fantasmatique intra-sub-
jective, et avec elle, les dispositions au jeu, à la créativité, à la symboli-
sation. Il peut défaire les identifications imaginaires, et reconstruire de
nouvelles identifications narcissiques et symboliques. Il permet, mieux
que la psychothérapie individuelle de retrouver et perlaborer les trau-
matismes précoces » (D. Anzieu).
On peut dire que le groupe en tant que tel participe à la fonction thé-
rapeutique. Il est témoin, contenant, garant de la continuité du discours
de chacun. Sans risque d’être détruit, il permet à chacun d’oser contre
lui ses mouvements agressifs ou de rejet, il gère les conflits intra-muros.
Pour chacun il est processus d’interactions et d’émotions partagées.
226 L’adulte : corps, affect et représentation

Conclusion
Si le sensori-moteur est à l’origine de l’activité mentale du jeune
enfant, on peut postuler que le blocage de l’activité sensori-motrice de
l’individu va entraîner un blocage de l’activité mentale.
L’inhibition des affects, ou une trop grande charge émotionnelle,
vont aussi bloquer la vie psychique et relationnelle du sujet. Le refoule-
ment de l’imaginaire est sans doute à l’origine de la somatisation, en
référence aux travaux de Sami-Ali, de même que le refoulement mnési-
ques des premières expériences de la vie. Sur ces blocages, signes de
souffrances, la thérapie corporelle et émotionnelle va opérer la restitu-
tion des liaisons entre le ressenti des tensions par le lâcher-prise, leur
mise en mouvement, l’explosion des émotions qui y sont liées, évo-
quant les images et les mots qui manquaient. La relation thérapeutique
permet un re-vécu des expériences en situations traumatisantes, un
remaniement, une réorganisation des représentations.
Il s’agit d’un travail thérapeutique à partir d’un matériel archaïque qui
n’a jamais été mis en mots, ni en soi, ni à personne, ni par personne : soit
parce qu’il n’y avait pas de mots pour révéler l’intolérable, soit parce
que l’interdit les bloquait, soit parce qu’il n’y avait personne à qui dire.
L’expression à quelqu’un de ce vécu, va libérer le sujet et le remettre au
contact de ses sources de plaisir, mobilisant ainsi sa vie pulsionnelle. Il
s’avère alors un remaniement de l’économie libidinale du sujet, de
l’investissement des objets ainsi que la réorganisation des représenta-
tions. Au cours de ces réorganisations le sujet est appelé à changer de
niveau d’expression ; c’est ainsi que la souffrance qui s’exprimait au
niveau somatique, trouvant sa représentation, se dira en mots. C’est
retrouver l’être dans toutes ses dimensions et sa capacité à vivre.
« Un corps est toujours l’expression d’un moi et d’une personnalité,
et il est dans le monde » (R. Schilder).
Être dans toutes ses dimensions, c’est appeler l’homme à vivre sa
dimension corporelle dans ce qu’elle a d’échanges continuels entre
milieu interne, milieu externe, dans sa relation au monde. Dans ses
limites personnelles, c’est-à-dire dans son espace à soi, toujours envahi
d’imaginaire.
Cette thérapie s’adresse aussi bien à des gens dits « normaux » qui
recherchent un épanouissement, un mieux vivre, une évolution person-
nelle, qu’à des gens « en souffrance », souffrance bloquée au niveau
somatique, ou affectif : relationnel ou sexuel, ou mental. Ils ont à vivre
« les angoisses de perte d’identité, d’inexistence ou de vide, ou encore de
perte de la réalité corporelle ». Les limites de cette psychothérapie sont
liées aux limites de conscience et de liberté de chaque être. Mais toute
thérapie est un plus de liberté et de conscience : soit un plus d’humain.
La relaxation psychomotrice et l’« ombilic psychosomatique » 227

LA RELAXATION PSYCHOMOTRICE
ET L’« OMBILIC PSYCHOSOMATIQUE » :
PERSPECTIVES CLINIQUES ET THEORIQUES4

La relation ombilicale fœto-maternelle et son devenir psychique


Le premier mode de relation entre une mère et son enfant s’origine
dans la vie intra-utérine, à travers une relation symbiotique organique.
La mère nourrit l’enfant qu’elle porte par le biais d’un lien physiologi-
que et affectif intense, son corps étant prêt et fonctionnel pour cet
échange, parfois, bien avant que son esprit ne prenne conscience de la
vie naissante que le corps porte depuis quelques semaines déjà. Pen-
dant neuf mois, une relation ombilicale permet un échange sanguin
entre la mère et son enfant. Le corps maternel nourrit le corps de
l’embryon puis du fœtus, s’occupe d’en recycler les déchets, soit par
voie sanguine, soit en filtrant le liquide dans lequel baigne l’enfant à
venir. Si la mère subit un stress intense, son système hormonal va satu-
rer son corps d’hormones spécifiques qui franchiront la barrière fœto-
placentaire et viendront irriguer le fœtus. Si la mère est calme et déten-
due, le fœtus ou l’embryon le sera aussi. D’emblée, l’être humain se
forme dans une niche psychosomatique, dans laquelle il partage non
seulement des nutriments nécessaires à sa croissance, mais aussi, par le
biais de la voie sanguine via le cordon ombilical, les retentissements
physiologiques et hormonaux de l’état psychique de la mère. Ne serait-
ce, par exemple, qu’en entendant les bruits internes maternels qui, en
condition calme, d’agitation ou d’angoisse, subissent eux aussi de
grandes variations (rythme cardiaque, bruits digestifs, accélération res-
piratoire, etc.). Il y a aussi matière à présumer de la capacité psycholo-
gique du fœtus à s’accorder à l’état psychologique de la mère ou du
père. Si les appareils digestif, excrétoire et respiratoire, le système san-
guin, les appareils sensoriels et le système locomoteur sont amenés à
fonctionner pendant la vie intra-utérine, on peut imaginer qu’il en est
de même de l’appareil psychique, qui utilisera tous ces rudiments fonc-
tionnels pour y ancrer sa propre activité.
La psychanalyse nous a appris l’importance, dans le développement
de l’appareil psychique, que revêtent les castrations successives, dans
leur fonction autonomisante et symboligène (Dolto, 1984). Chaque
castration vient signer une étape importante de la vie d’un sujet, étape
que celui-ci aura à symboliser pour permettre le passage à un autre
niveau de fonctionnement, en intégrant les modes antérieurs. P. Aula-
gnier (1975) a montré combien les processus originaires puis primaires

4. Olivier MOYANO.
228 L’adulte : corps, affect et représentation

s’intégraient au mode général de fonctionnement de la psyché, en


remarquant que l’appareil psychique ne renonçait jamais à ses modes
antérieurs de fonctionnement, qui constituent en quelque sorte les stra-
tes ou fondations inconscientes de l’édifice psychique. Par un effet de
régression appelé par une fixation, il n’est pas rare, notamment dans les
processus pathologiques, de faire appel à nouveau et en les privilégiant,
à ces modes antérieurs de fonctionnement. Ainsi l’obsessionnel devient
soudain dominé par la mainmise de la pulsion anale et de ses dérivés,
qui non seulement ont forgé son caractère, mais viennent maintenant
s’inscrire au-devant de la scène névrotique. Le symptôme obsessionnel,
les mécanismes de défense étayés sur le fonctionnement corporel de la
sphère anale envahissent la sphère psychique, au détriment du reste.
Les castrations orale, anale et génitale constituent la triade du déve-
loppement libidinal de l’humain, en tenant compte des destins de la
pulsion à chacune de ces étapes. La personnalité psychonévrotique se
structure dans les bornes ainsi délimitées, avec, comme application des
avatars de ce développement, la survenue de la psychopathologie. Mais
peut-on oublier pour autant, encore aujourd’hui, la première des castra-
tions, la castration ombilicale ? En reprenant deux arguments cités plus
haut et en les énonçant comme des postulats, à savoir que l’appareil
psychique ne renonce jamais à ses modes antérieurs de fonctionnement
et qu’on peut y avoir accès par fixation-régression, notamment dans les
processus pathologiques, comment élaborer, à travers ces deux postu-
lats, le destin psychique de la castration ombilicale et ses avatars ?

Une expérience clinique

Mme Navel m’est adressée en consultation par son psychiatre qui la


connaît depuis de nombreuses années. De personnalité schizotypique,
elle entretient un rapport parfois flou avec la réalité, sans pour autant
avoir jamais développé de délire organisé. Mme Navel est retraitée, vit
seule depuis la mort de sa mère qui remonte à quelques années. Les
deux femmes ont passé la plus grande partie de leur existence ensem-
ble: la mère ne s’est pas remariée après le décès de son mari, Mme Navel
de son côté n’a jamais rencontré d’homme pour en faire un compagnon
dans l’existence. Les deux femmes étaient extrêmement liées, et le
deuil de la mère, comme on le verra par la suite, n’a jamais été accom-
pli chez Mme Navel. Cette dernière vient en consultation pour essayer,
sur les conseils du psychiatre, une thérapie par relaxation. Mme Navel
est toujours extrêmement angoissée et les soirées sont un véritable cal-
vaire depuis plusieurs années, en raison du traitement draconien que lui
impose un psoriasis qui recouvre l’ensemble du corps et une grande
partie du visage. Tous les soirs M me Navel doit prendre un bain et
La relaxation psychomotrice et l’« ombilic psychosomatique » 229

s’enduire de produits à base de pétrole pour ramollir son derme devenu


sec, épais et cassant en journée, puis elle doit l’assouplir en le pomma-
dant à l’excès, afin d’éviter les grattages nocturnes qui l’irritent
jusqu’au sang. Mme Navel décrit également la quantité de squames con-
tenues dans ses draps au réveil, avec un langage descriptif très cru, qui
lui font penser qu’elle perd réellement sa peau pendant la nuit.
Mme Navel présente un discours cohérent mais très infantile, avec un
timbre de voix aigu, décrivant sa vie de retraitée monotone, scandée par
l’entretien régulier de la « tombe de maman » au cimetière. Elle a envie
d’essayer la relaxation, pour voir, sans avoir d’a priori positif ou néga-
tif. Son psychiatre lui en a parlé, alors pourquoi pas.
Très rapidement, après quelques séances, Mme Navel m’informe de
ce qui a changé pour elle. Elle vient de remplacer le bain en soirée par
une séance de relaxation qu’elle fait dans son lit. Elle avait en effet
associé la sensation de chaleur qui apparaissait pendant les séances, à
celle ressentie le soir dans son bain chaud. Elle se demandait si l’une ne
pouvait pas remplacer l’autre, et après avoir essayé, cela marchait. Elle
a l’impression que cette chaleur a aussi la capacité de diminuer les sen-
sations de grattage.
Au bout de quelques semaines, Mme Navel s’est approprié la relaxa-
tion comme une méthode quasi miraculeuse qui possède des vertus
apaisantes et curatives directes sur les effets secondaires de son psoriasis
(irritations et grattages). La sensation de détente et de chaleur qu’elle
ressent lui permet aussi, dit-elle, de diminuer ses angoisses à l’endor-
missement. L’effet de transfert semble massif, un transfert autant sur le
cadre que sur le thérapeute. La relaxation apporte ici, dès le départ, ce
que Lévi-Strauss a décrit comme une efficacité symbolique : « La cure
consisterait donc à rendre pensable une situation donnée d’abord en ter-
mes affectifs, et acceptables pour l’esprit des douleurs que le corps se
refuse à tolérer » (Lévi-strauss, 1974, p. 226). Je me laisse moi aussi
prendre au jeu, en commençant à croire à un effet magique de la relaxa-
tion. Chaque séance avec Mme Navel devient pour moi une confirmation
narcissique, mais l’intérêt est aussi d’entendre une patiente décrire si
finement ses sensations corporelles et ses états psychiques. La relaxa-
tion possède la capacité directe de pouvoir la soulager dans son corps et
dans son esprit.
C’est toujours dans cet état d’esprit partagé que Mme Navel, un jour de
grande pluie, vient à sa séance. Elle est très inquiète parce que « maman
va être toute mouillée par la pluie »; elle explique sa crainte, à chaque
fois qu’il pleut, que sa mère ne se mouille au cimetière. L’entretien de la
tombe est devenu une activité centrale dans sa vie de retraitée :
Mme Navel passe ainsi beaucoup de temps avec sa mère, lui parle, lui
raconte sa vie, comme si la mort n’avait pu interrompre un certain lien,
230 L’adulte : corps, affect et représentation

une certaine qualité de relation vitale entre une fille et sa mère décédée.
Une communication persiste entre Mme Navel et un objet maternel, sur
le fond, on pourrait être conduit à le penser, de la persistance d’un lien
psychique ombiliforme. Dans sa personnalité psychotique, Mme Navel a
constitué et fait perdurer une sorte de cordon ombilical imaginaire qui
maintient une relation symbiotique perdue, dans la réalité. Après la
séparation du corps maternel à sa naissance, Mme Navel se trouve main-
tenant séparée de sa mère par la mort; c’est sans doute dans le déni de
cette ultime séparation que perdure cet ombilic psychique.
Lorsqu’elle aborde les sensations corporelles que lui apporte la séance
de relaxation, Mme Navel évoque des sensations de chaud et de picotement
sur le ventre, que ce soit en ma présence ou à la maison. Elle passe sa
main sur son nombril et cherche le nom de cet endroit. Elle ne le connaît
pas. Insistante, elle s’inquiète de ce nom qu’elle ne connaît pas, et me
demande de l’aider. Tout à son écoute et surpris de ce manque du mot, pris
également dans la sensation et de la relaxation et d’une pression sur le
nombril, j’ai moi aussi un manque du mot. Je me trouve dans l’impossibi-
lité de me souvenir du nom de cette zone corporelle. Plus je lutte en ten-
tant d’appeler ce nom dans ma mémoire, plus il m’échappe. La séance
suivante, je lui dirai enfin ce nom retrouvé, après avoir parlé de notre man-
que partagé de la fois précédente. Ainsi, je lui dirai que cet endroit du
corps qu’elle montrait de sa main s’appelle le cordon ombilical, ce qu’elle
accepte. Ce ne sera que lors de la séance de supervision ultérieure que je
m’apercevrai de mon lapsus, qui m’aura poursuivi jusque dans ma prise
de notes, dans laquelle j’ai écrit « cordon ombilical » sans que l’incon-
gruité de l’emploi de ce terme ne parvienne à ma conscience. J’ai con-
fondu le nombril et le cordon ombilical. Ou plutôt, pris dans une relation
transférentielle intense avec Mme Navel, je n’ai pu nommer, peut-être dans
une expérience d’hallucination négative partagée, cette zone cicatricielle
qui, par son existence, vient rappeler sans cesse la coupure primitive
d’avec le ventre maternel. Mme Navel, passant d’une sensation corporelle
à une représentation manquante, m’a entraîné dans ce même processus.
Il n’est pas rare de voir évoquer par un collègue ce partage d’idées, de
sensations, d’éprouvés corporels ou de douleurs au cours d’une séance
de psychothérapie ou de psychanalyse. C’est d’ailleurs le constat com-
mun de ces expériences, peut-être pas quotidiennes, certes, mais néan-
moins partagées par la majeure partie d’entre nous, qui m’a conduit à
réfléchir sur ces problématiques. M. N. Gros (2002) a mené à la Pitié-
Salpêtrière un travail de recherche visant à travailler l’hypothèse que
lors d’un travail de massage, il pouvait s’établir un échange d’éprouvés
entre le sujet massé et le masseur, que ce soit sous la forme de sensations
corporelles partagées, d’images identiques venant à l’esprit de chacun
des deux, ou bien de mots décrivant la situation thérapeutique.
La relaxation psychomotrice et l’« ombilic psychosomatique » 231

Nous sommes là dans un partage d’éprouvés, de représentations


jamais vraiment très secondarisées, pouvant aller d’une sensation cor-
porelle à l’évocation d’une image ou d’un mot, d’un verbe, traduisant
souvent l’état corporel du patient.
Il s’agit à présent de s’interroger sur le type de représentations qui
peuvent ainsi circuler, et par quel mode la circulation se fait.

L’ombilic psychosomatique
« Par exemple, les écrits de Wilfried Bion sur l’impact des fantasmes
maternels sur le nourrisson sont très fins et d’un grand intérêt clinique,
mais son explication du mécanisme de cette influence est confuse - un
peu comme si les fantasmes de la mère et ceux du nourrisson commu-
niquaient et s’affectaient l’un l’autre à travers un médium immatériel »
(Stern, 1995, p. 60).
Nous allons livrer maintenant nos premières réflexions sur ce sujet.
Considérant ma propre expérience auprès de Mme Navel, nous nous
trouvons dans une complexité pathologique particulière qui lie un trou-
ble psychosomatique assez invalidant à une psychopathologie elle aussi
marquée. Notre expérience commune va trouver son origine dans une
sensation corporelle autour du nombril, puis dans l’incapacité à évo-
quer ce nom; le sens de ce refoulement ou déni peut facilement être mis
en lumière par rapport à la problématique de Mme Navel. Je poursuivrai
ensuite notre illusion commune en proposant un lapsus quasi interpré-
tatif de la situation, mis à part qu’il n’aura eu aucun effet interprétatif,
ni pour Mme Navel, ni pour moi. Le lieu de l’interprétation ne corres-
pond manifestement pas au lieu de notre échange d’éprouvés et du par-
tage de représentations en difficulté. C’est là que se trouve sans doute le
point nodal de la compréhension de ce phénomène : pendant son dérou-
lement, il n’est pas possible de l’interpréter. De même que le symptôme
psychosomatique ne s’interprète pas, l’échange entre un patient et son
thérapeute d’éprouvés corporels ou de certains types de signifiants ne
semble pas non plus sensible à l’effet de l’interprétation.
Lorsque M. N. Gros décrit les signifiants échangés, ils semblent tout
à fait répondre aux critères que D. Anzieu (1985) donne pour définir les
signifiants formels. On les retrouve :
– sous la plume de G. Rosolato (1985), comme signifiants de
démarcation;
– chez B. Gibello (1985), comme représentants de transformation ;
– chez P. Aulagnier (1975), comme pictogrammes;
– chez S. Tisseron (1994), comme schèmes de transformation ;
– chez Ph. Claudon (2001), comme représentations corporelles d’action.
232 L’adulte : corps, affect et représentation

La liste de synonymes est longue pour décrire ce type de signifiants


en attente de symbolisation secondaire. Ayant pour fonction de décrire
le fonctionnement du moi en tant que moi corporel (ce qui signifie éga-
lement, pour D. Anzieu, la capacité à décrire l’état actuel, pour un sujet,
de la configuration de ses enveloppes psychiques), ces signifiants vont
émerger de ce noyau psychosomatique, lieu où se figurent et se forment
les enveloppes psychiques successives, à la croisée permanente de
l’expérience corporelle et de son inscription psychique. Les frontières
du moi sont labiles et fragiles. P. Federn (1952) avait, le premier,
démontré leur caractère permanent d’interface entre le sujet et le
monde extérieur, de même qu’entre la libido d’objet et la libido narcis-
sique, et leur labilité au cours de la vie et des aléas psychiques du sujet.
D. Anzieu (1990) avait décrit le travail nocturne que doit accomplir le
rêve au sein du moi pour retisser du moi-peau ce qui en avait été altéré
pendant la vie psychique diurne. Les enveloppes psychiques sont fragi-
les et sont traversées en permanence par des sensations issues du
monde externe comme du monde interne, d’origine somatique ou psy-
chique. Cette traversée donne ainsi naissance à ce type particulier de
représentations : certaines en devenir de secondarisation par le langage
et l’appareil à penser, mais d’autres vouées à demeurer ce qu’elles sont,
c’est-à-dire des témoins de l’état tonique, musculaire, sensoriel, cœnes-
thésique du sujet, en bref, de son fonctionnement psychosomatique
inconscient et préconscient.
Nous formulons l’hypothèse que c’est là, dans ce noyau psychosoma-
tique constitué des différentes enveloppes corporelles du moi, que se
trouve l’origine des sensations partagées que nous évoquons depuis le
début de notre propos. Un noyau psychosomatique intégré dans les stra-
tes profondes de la psyché mais toujours en contact avec les différentes
instances psychiques, formé par l’entrecroisement des enveloppes psy-
chiques, elles-mêmes au carrefour du psychique et du fonctionnement
corporel et somatique.
Par quel(s) processus l’échange des matériaux évoqués plus haut
(sensations corporelles, signifiants formels, émergence de processus
primaires) est-il possible entre les deux protagonistes ? Il serait aisé
d’évoquer ici le fait que l’identification projective est à la source de
cette dynamique, si ce n’est que l’idée que nous nous en faisons ne per-
met pas de défendre cette hypothèse. Nous avons proposé par ailleurs
l’existence théorique d’un « isthme narcissique » qui permettrait la per-
sistance d’un contact psychique dense et permanent entre deux sujets
(Moyano, 2002). La proposition en avait été faite chez des enfants et
adolescents présentant une dépendance forte à l’objet, voire un mode
de relation d’objet anaclitique où l’autre constitue encore pour soi un
double narcissique, un double primaire sur lequel le sujet doit
La relaxation psychomotrice et l’« ombilic psychosomatique » 233

s’appuyer en permanence pour pouvoir fonctionner. Dans ce mode


relationnel particulier, l’existence d’un isthme narcissique implique un
chevauchement chez le sujet des deux niveaux entremêlés du fonction-
nement narcissique : le narcissisme primaire et le narcissisme secon-
daire. Elle implique également un entremêlement entre représentation
de soi et représentation d’autrui. Nous avions remarqué de plus que
l’isthme narcissique peut conduire à la construction d’un fantasme
commun, entre une mère et son fils, d’identité psychique partielle, ou
de partage des pensées. Ce fantasme s’appuierait sur un état : celui de
perméabilité psychosomatique entre les deux sujets, une perméabilité
entretenue en l’occurrence par le maintien du support sur l’objet narcis-
sique primaire. Dans les éléments cliniques relevés précédemment, s’il
s’agit le plus souvent, comme P. Marty (1958) l’avait remarqué dans la
relation objectale allergique, d’un fantasme conscient; il n’en demeure
pas moins que la perméabilité psychique évoquée appellerait plutôt à la
définition d’une perméabilité psychosomatique vécue et partagée par
deux sujets en présence. L’isthme narcissique, s’il permet un échange
de représentations le plus souvent attachées au temps du narcissisme
primaire, c’est-à-dire corrélatives de la constitution du soi, permet aussi
que ces représentations encore très ancrées dans le fonctionnement
organique puissent véhiculer des éprouvés corporels. Ces éprouvés
sont rattachés au fonctionnement de l’individu pris comme une unité
psychosomatique, à l’émergence de la symbolisation, avant la capture
par le langage et la symbolisation secondaire.
On pourrait évoquer dès lors l’isthme narcissique et l’ombilic psy-
chosomatique comme deux synonymes d’un même état, l’état psychi-
que cicatriciel de la première castration, la castration ombilicale.
L’ombilic psychosomatique constitué présente alors un lieu de passage
psychosomatique, reliquat de la symbiose fœto-maternelle et de la rela-
tion ombilicale, par lequel une perméabilité psychosomatique peut
s’établir de fait entre deux individus, sans pour autant que soit concer-
née la faculté projective de l’individu. On pourrait prendre ici comme
modèle la membrane osmotique qui permet que s’établisse un équilibre
entre deux milieux sans qu’il existe pour autant une force active agis-
sant d’un milieu vers l’autre. La membrane serait, ici, figurée par le
contact psychique des moi-peau en présence. Ce lieu de passage relie
deux sujets à travers leur propre noyau psychosomatique, dans la
mesure où la sédimentation narcissique des éprouvés corporels pour
leur intégration au sein du moi n’a pas été possible (figure 1). À la
façon dont W. Bion a décrit la fonction de détoxication des éléments et
éprouvés psychiques du nourrisson par la fonction de rêverie mater-
nelle, en cas d’impossibilité d’intégration d’éprouvés psychosomati-
ques au sein du soi puis du moi, ceux-ci se trouvent dérivés par l’isthme
234 L’adulte : corps, affect et représentation

narcissique que constitue l’ombilic psychosomatique. Sans doute la


mère a-t-elle ce travail à accomplir auprès du fonctionnement psycho-
somatique de son enfant, et le travail thérapeutique à fournir en de tels
cas pourrait consister – mais ce n’est là qu’une première piste de
réflexion – en ce que M. N. Gros a décrit dans sa recherche, c’est-à-
dire : « Le ressenti était confondu aux deux personnes. (…) Il y avait
une confusion mentale dans la régression. Le fait de penser à nouveau
pour mon propre compte, nous a permis de sortir de ce magma indiffé-
rencié et angoissant ». Il faut que le thérapeute lui-même fasse l’effort
pour deux, tout au moins au départ, de tiercéiser la relation, sans doute
en secondarisant ces éprouvés d’abord pour lui-même, puis pour son
patient par la suite. Tout comme D. Anzieu proposait que le thérapeute
s’autorise, un temps, à verbaliser pour le patient limite l’état de ses
enveloppes psychiques, les éprouvés véhiculés par l’ombilic psychoso-
matique, s’ils n’ont pu être intégrés au sein du moi, devront être resti-
tués au patient comme son propre vécu dans un premier temps, puis
comme vécu à libidinaliser pour s’en réapproprier le contenu. Il s’agi-
rait d’un travail d’intégration psychosomatique, en quelque sorte, pas-
sant paradoxalement par la parole de l’autre avant que d’être intégré en
soi comme expérience reconnue par le narcissisme du sujet. Peut-être
qu’ici se trouve, d’ailleurs, un des mécanismes inverses de ceux qui
produisent la somatisation.

Reliquat psychique de la castration ombilicale. L’ombilic fonctionne à la façon


d’une membrane osmotique, à la jonction des deux moi-peau et des noyaux
psychosomatiques.

Noyau
psychosomatique OMBILIC PSYCHOSOMATIQUE Noyau
(lieu d’apparition des éprouvés
Isthme narcissique/échange d’éprouvés psychosomatique
corporels et psychiques,
signifiants formels)

Rôle de sédimentation narcissique des éprouvés


corporels pour leur intégration dans le moi. En cas
d’échec de ce processus, les éprouvés «flottants»
sont véhiculés au sein de l’ombilic psychosomati-
que. L’autre est pris comme un double narcissique
(au sens littéral et intégrateur) du soi.

Sujet A Sujet B

Figure 1.
La relaxation psychomotrice et l’« ombilic psychosomatique » 235

Conclusion : la relaxation, un mode d’approche privilégié


La relation au double narcissique-psychosomatique permet une pré-
cipitation des éprouvés corporels et psychiques dans un espace où le
contact avec l’autre devient possible, un contact « psychosomatique »
au sens littéral du terme, c’est-à-dire qui met en relation, par la collu-
sion entre eux des différents espaces psychiques (sensoriels, perceptifs,
moteurs et kinesthésiques, intéroceptifs), les noyaux psychosomatiques
en présence.
Nous avons constaté dans d’autres situations thérapeutiques, que la
relation visuelle permet d’amorcer, chez certains sujets, une communi-
cation inconsciente que décrit notre notion d’ombilic psychosomatique.
L’amorçage en est rendu possible lorsque la relation visage à visage rap-
pelle et prolonge l’expérience du miroir primitif, à quoi le sujet, au plan
narcissique, éprouve un besoin constant de se référer.
L’un des intérêts majeurs de ces constatations réside dans la question
qu’elles posent dans les situations où des enfants, adolescents ou adultes
sont en quelque sorte fixés à ce niveau de fonctionnement et de relation
d’objet narcissique. La situation de soin se complique alors considéra-
blement si l’on ne tient pas compte que les sujets concernés par cette
problématique seront beaucoup plus sensibles à tous les aspects de spé-
cularité que la situation thérapeutique engendre, plutôt qu’aux aspects
d’interprétation et de compréhension qui sont généralement proposés
par le psychothérapeute. Dans des situations psychopathologiques spé-
cifiques, comme les pathologies psychosomatiques ou les troubles nar-
cissiques (nous en oublions certainement d’autres), il faut tenir compte
du fait que les patients investissent le thérapeute non pas comme
quelqu’un d’autre qui peut les faire accéder à leur propre subjectivité à
travers l’altérité du thérapeute, mais bien comme un double, face auquel
il ne s’agit pas de comprendre nécessairement ou d’abréagir, mais de
s’adapter pour obtenir la relation en miroir nécessaire et parfois même
vitale.
Ces considérations doivent nous guider et orienter le dispositif théra-
peutique lui-même. En privilégiant notamment les relations face à face,
le cadre thérapeutique permet à ces sujets de pouvoir conserver un
appui visuel – un étayage devrions-nous plutôt dire – sur l’autre. Sans
cet appui, la fragilité des assises narcissiques peut venir perturber en
profondeur l’installation du processus thérapeutique.
L’un des plus intéressants des aménagements possibles est, à nos
yeux, celui proposé par la relaxation d’inspiration psychanalytique à
inductions variables (Sapir et Reverchon, 1975; Sapir, 1993). Le théra-
peute peut se trouver en face du patient ou sur le côté, en tous les cas à
portée de regard de ce dernier. L’induction des consignes à la première
236 L’adulte : corps, affect et représentation

personne renforce l’identification croisée patient/thérapeute et instaure


d’emblée un fantasme fondateur dans le démarrage du processus théra-
peutique, un fantasme de spécularité et de réciprocité : celui-là même
qui va permettre un « contact psychosomatique », en permettant que les
vécus corporels et psychiques puissent s’affecter l’un l’autre chez le
patient et le thérapeute. La relaxation doit permettre de créer d’abord
un cadre conforme au fonctionnement psychique de ces sujets qui ont
besoin d’un appui sur le double pour fonctionner, puis induire, par le
biais des consignes, des sensations soit ressenties par le thérapeute lui-
même, soit, d’une séance à l’autre, et c’est là l’intérêt certain des induc-
tions variables, des sensations initialement rapportées par le patient. En
les énonçant à nouveau à la première personne, le thérapeute formule
alors un véritable pacte narcissique à l’égard de son patient, en respec-
tant son besoin de spécularité. De même, la répétition et l’induction
dans les consignes de relaxation des vécus et sensations ayant émergé
chez le patient, au cours des séances précédentes, lui donnent un effet
de contenance narcissique. Mais le décalage temporel permet, par défi-
nition, de « temporiser » les mécanismes croisés d’identification. Dans
l’espace ainsi créé, une première distanciation peut être donnée, appor-
tant avec elle le recul nécessaire et la possibilité d’une activité en posi-
tion « méta » sur les vécus actualisés par la relaxation.
Ceci constitue à nos yeux l’instauration initiale préalable à l’accom-
plissement de la thérapie elle-même, sans laquelle l’issue de cette thé-
rapie peut se trouver considérablement pénalisée. Par la suite, et
seulement par la suite, l’interprétation par le thérapeute du besoin de
spécularité peut être travaillée. Ce besoin du double a été expérimenté,
le patient est conforté dans sa relation d’objet narcissique et ne se sent
pas menacé. Ces bases posées, il faudra faire émerger de la différence
et travailler la capacité d’élaboration de cette différence avec le patient.

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6
La personne âgée :
du comportement
à l’acte imaginé
D. LIOTARD

Au cours du vieillissement, vie psychique et vie somatique, bien que


régies par des lois différentes, fonctionnent dans une indissociabilité,
une interdépendance, plus marquées encore que dans les périodes où
l’étayage social, professionnel, familial est solide.
La thérapie psychomotrice œuvrant dans cet espace de rencontre
entre le somatique et le psychique nous paraît essentielle pour son
regard global, spécifique, porté sur le sujet âgé. Complément aux autres
regards professionnels et gage par cette collaboration, de diagnostics et
de suivis thérapeutiques plus affinés, voire appropriés aux besoins du
sujet âgé. Des évolutions, des améliorations seront favorisées, des auto-
nomies sauvegardées, là où elle n’étaient plus pensables, imaginables.
Dans la clinique, ces besoins sont essentiellement centrés autour des
avatars de l’image de soi et de la fragilité de la verticalité, d’où les
menaces et les craintes d’un effondrement physique et psychique se tra-
duisant dans le discours verbal et corporel offert à l’observation,
l’écoute d’autrui.

L’IMAGE DU CORPS ET SON DEVENIR

« L’irrésistible avancée des jours la terrorisait, brouillait le présent,


était un rappel constant de la réalité de son âge. Elle vivait une douleur
qu’elle n’osait confier à personne. Elle souhaitait se réveiller un matin,
s’apercevoir qu’elle avait oublié ce qu’elle était devenue et tout ce qui
L’image du corps et son devenir 239

se rapporte à la vieillesse, et oublier aussi qu’il y a un futur » (I. Scha-


velzon, 1988).

Métamorphoses
De sa naissance à sa mort, l’homme est soumis au temps, limité par
lui, son corps en éprouve la durée, en connaît les métamorphoses. Si
nous nous intéressons à ces changements observables, au point de les
décrire, c’est dans la perspective d’une meilleure compréhension de
leur retentissement sur la relation de la personne âgée à l’égard de son
propre corps, à sa façon de le vivre, le sentir, l’investir ; relation
empreinte d’une profonde ambiguïté. Cette compréhension du vieillis-
sement se fera dans l’articulation du somatique, du psychique, en lien
avec l’environnement.

 La peau et ses métamorphoses


Par son apparence arborant rugosités, tâches roussâtres, rougeâtres,
« fleurs de cimetière » comme les nomment certaines personnes, et de
par sa sensibilité modifiée, la peau est souvent vécue comme une sur-
face d’échanges repoussante, voire honteuse, donc moins apte au dialo-
gue du toucher, au plaisir. Or, plus que jamais le besoin de contact,
voire d’agrippement est là…
En tant qu’enveloppe corporelle, plissée, ridée, fanée, ayant perdu
son élasticité, elle est un contenant aux limites devenues floues,
flasques, incertaines pour le corps et le visage où la mimogestualité
s’est modifiée.

 Le corps et ses métamorphoses


Indépendamment de la saison, il est trop chaud, trop froid, lorsqu’il
n’est pas douloureux… Courbé, son relief tend à s’uniformiser autour
d’une taille augmentée. Raccourci sur son axe, moins stable, il est
plus lourd à porter, l’aisance l’a déserté au profit de la lenteur, la
maladresse.
En proie à une désorganisation tonique, la posture est souvent figée,
en attente. Le mouvement ne traduit, ni ne connaît plus l’amplitude, la
spontanéité, la fluidité. Aux effets de sénescence, s’ajoutent fréquem-
ment les effets de pathologies neurologiques, post-traumatiques, ou qui
les laissent évoquer…
La marche se fait à petits pas, souvent heurtés, traînés, avec l’assu-
rance d’une canne, d’un bras, d’un agrippement, fréquemment recher-
ché… Se sentant vulnérable, fragile, la personne réduit peu à peu
l’espace de ses déplacements jusqu’à le limiter à l’espace du fauteuil,
240 La personne âgée : du comportement à l’acte imaginé

puis à celui du lit. Privée par l’immobilité, de l’ensemble des sensations


kinesthésiques, proprioceptives, tactiles… le schéma corporel va se
déstructurer, sans compter les répercussions néfastes d’un alitement
prolongé pour le bon maintien des fonctions tant physiologiques, que
psychologiques comme la désorientation temporo-spatiale, à un âge
avancé.
Mouvements et perceptions connaissent la même économie, avec
une diminution des espaces sensoriels (visuel, auditif) entraînant une
perte des informations; l’intégration de ces dernières est moins perfor-
mante, de même qu’un temps de latence augmenté, dans les réponses,
est observé.
Les modifications n’épargnent pas l’intime avec l'appauvrissement des
caractères sexuels secondaires et la perte possible de la maîtrise sphincté-
rienne, entraînant des modifications psychologiques importantes.
Au niveau de la sexualité, si un retour possible de la sexualité à ses
origines est décrit, c’est-à-dire, retour au corps et au corps seul, avec
abandon du primat génital et de l’altérité du choix objectal, au profit
des investissements libidinaux partiels (Balbo, 1989), la possibilité
d’une continuité existe, en lien avec les comportements antérieurs et le
degré de communication avec les partenaires (Gaillard, 1986). Cette
poursuite est rendue difficile, par les données démographiques mais
surtout par la persistance de mythes et/ou d’influences culturelles
déniant la possibilité de désir ou de sa réalisation chez la personne
âgée.
Au travers des espaces moteur, sensoriel, sexuel, c’est l’espace rela-
tionnel qui est touché, appauvri, désinvesti. Ceci dans un corps où
l’indifférence paraît plus supportable que la souffrance d’assister,
impuissant, aux outrages du temps et où la sensibilité se cache dans ses
profondeurs.
Mise à la retraite, la personne âgée assiste et participe à sa mise à dis-
tance du monde, ce qui a pour effet d’accélérer plus encore le processus
de sénescence, par manque de stimulations, de motivations. En effet,
une des particularités liée à l’âge semble être l’altération du niveau de
performances par le non-emploi prolongé d’une ou des fonctions (phy-
siologique ou/et psychologique), d’où l’importance d’une continuité de
sollicitations.
Si le processus du vieillissement, dans ses phénomènes anatomo-
bio-physiologiques, est une donnée asynchrone, variable d’un individu
à l’autre, constante tout au long de l’existence, aux répercussions indé-
niables dans l’organisation de la personnalité, ainsi que dans les rap-
ports à autrui et au monde, la conscience de vieillir, elle, advient
brutalement, un jour, dans un miroir et/ou le regard d’autrui… Fré-
quemment précédée d’un événement traumatique (chute, maladie,
L’image du corps et son devenir 241

retraite, deuil, placement…), la personne se reconnaît âgée, endosse les


identités d’une personne dite âgée, son comportement oscille alors
entre douleur, révolte, résignation, soumission, banalisation…

L’image du corps et ses rapports avec l’image spéculaire


« Elle brisa la glace, en pila les morceaux dans un mortier afin que
rien ne demeurât du visage qui s’y était reflété » (I. Schavelzon, 1988).
Ce qui apparaît alors, ce qui fait irruption, derrière l’apparence d’une
image flétrie, vieillie, haïe, c’est le poids du réel, le non-représentable,
l’indicible, c’est-à-dire ce qui renvoie la personne à sa finitude. Le
corps, lieu de l’ancrage du Moi et lieu de temps est aussi le lieu où la
mort se traduira.
Dans ce stade du « miroir inversé » (Herffray, 1987), « l’assomption
jubilatoire » du petit d’homme reconnaissant son image, dans les bras
d’autrui, fait place chez l’âgé, à une reconnaissance laborieuse car
douloureuse : « Je ne me reconnais plus… que suis-je devenu(e)… je
ne suis plus comme avant… » où se mêle la désolation, l’effroi. Com-
bien préfèrent encore ne pas se regarder, voire ne pas se reconnaître, en
dehors de toute pathologie démentielle, tant le sentiment d’estime de
soi est bouleversé.
Altérée par le temps et les pathologies, modifiée par la douleur et le
plaisir, l’image du corps traduit ces changements dans les comporte-
ments, apparences, attitudes, ainsi que dans l’expression gestuelle de la
personne et dans l’expression de son visage, le visage qui est tout le
corps selon Salomon Resnik. Au travers de la relation à cette image
déchue, offerte et communiquant avec le regard d’autrui, l’amenant à
anticiper ou dénier son propre vieillissement, c’est toute l’histoire du
narcissisme propre à chacun, qui se trouve mise en jeu avec ses failles
passées qui se ravivent et ses lignes de force pour faire face… C’est
aussi tout le problème de l’identité qui est posé car comment maintenir
une continuité alors que la personne sent et exprime une discontinuité,
« je ne suis plus le ou la même… » Dans une perspective dynamique
qui inclut autant les dimensions corporelle, affective que sociale, nous
constatons que certains sauvegardent suffisamment d’amour envers
eux-mêmes, trouvent un équilibre et nous donnent à voir force, cou-
rage, sérénité, alors que d’autres avec un Moi plus fragile, moins déve-
loppé, un narcissisme plus défaillant, sombrent dans la dépression, la
mélancolie, l’hypocondrie…
Ce corps où le réel fait effraction se doit de se nourrir de symbolique
et d’imaginaire pour rester en vie, jusqu’à sa mort. Avec l’âge et le
grand âge, le corps est amené à assumer ses pertes successives. De la
possibilité à affronter sa propre mort à venir, chaque instant de vie
242 La personne âgée : du comportement à l’acte imaginé

prendra une importance, une qualité de sensations, d’émotions, qu’il


n’avait pas auparavant (Butler), ce que nous avons vérifié cliniquement
au cours de nombreuses thérapies et accompagnements de fin de vie.
C’est en renonçant à sa continuité biologique au profit d’une continuité
plus idéelle (Bianchi, 1989) que le corps restera sensible au plaisir, et
non seulement à la souffrance, la peur, l’angoisse… Seule issue, sem-
ble-t-il, pour éprouver aussi la traversée de désirs, d’intérêt porté à
autrui, au monde, et pour se sentir nourri de projets à court terme qui
seront réalisés ou ne le seront pas… De la présence de ce courant de vie
dépend la présence d’un sens trouvé à l’existence. « Je perçois en moi
une autre vie, plus courte, et je ne dois pas la regarder, mais m’impré-
gner d’elle, car je n’ai pas encore atteint la fin des choses » (I. Scha-
velzon, 1988).
Moi-peau, schéma corporel, image du corps, image spéculaire, inte-
ragissent ensemble et sont altérés par les effets du vieillissement, tout
comme le narcissisme. Le psychomotricien sera amené à faire un va-et-
vient constant entre sa clinique et la théorie, s’il veut élargir son champ
de compréhension et son champ d’action.

CLINIQUE PSYCHOMOTRICE

Le problème en gériatrie plus encore qu’ailleurs, c’est la méconnais-


sance de la thérapie psychomotrice et de ses indications. En pratique, il
faudrait sensibiliser les médecins pour qu’ils nous adressent pour
expertise, les problèmes suivants qui peuvent bénéficier de cette appro-
che corporelle globale, centrée sur la personne : syndrome post-chute,
syndrome de glissement, séquelles d’accident vasculaire cérébral,
maladie de parkinson, dépression… C’est aussi la présence d’un dis-
cours du sujet âgé, de l’environnement ou de soignants, qui banalise les
pertes avec l’avancée du temps, or si certaines fonctions sont irrémé-
diablement perdues, d’autres peuvent être retrouvées au sein d’une
relation thérapeutique et demandent une intervention rapide.
Autre difficulté, le choc dû à la présentation déficitaire de la per-
sonne âgée, hospitalisée, institutionnalisée. Il faut décoder sa souf-
france, entendre sa demande au-delà des mots. Il faut se laisser toucher
par ce corps déshabité qui fait obstacle à la relation et entrevoir que
quelque chose est possible…

Indications
La chute avec son cortège funeste de conséquences, réelles et imagi-
naires, est redoutée. Il est vrai qu’il s’agit d’un des symptômes, en cli-
nique gériatrique, les plus fréquents et les plus graves, à l’origine de
Clinique psychomotrice 243

bien des hospitalisations. D’après Ph. Seffert, au-delà de soixante-cinq


ans, une personne sur deux, fait tous les ans, au moins une chute. Si le
pronostic immédiat n’est pas trop péjoratif (15 % de fractures, trauma-
tismes, plaies), à moyen terme, c’est-à-dire un an après la chute on
retrouve 25 % de décès (4 fois plus que dans la population témoin) et
50 % des sujets ont une perte d’autonomie suffisante pour être placés
en structure de Long Séjour. Au traumatisme physique s’ajoute le trau-
matisme psychique lorsqu’il y a hospitalisation avec la perte des repè-
res, des habitudes, du domicile, la peur de l’inconnu, de la chute à
venir, de l’espace, du futur etc.
La plupart des indications reflètent l’importance de ce symptôme et
concernent les troubles résiduels de l’équilibre, voire des phobies de la
marche qui se développent dans les suites directes ou après un alite-
ment dû à une pathologie organique, entraînant une perte partielle voire
totale d’autonomie. Derrière ce symptôme se cache fréquemment
l’expression d’un phénomène anxio-dépressif, il est souvent en lien
avec une pathologie de deuil, ou peut servir d’expression à un conflit
plus névrotique, il est toujours à l’origine d’une blessure narcissique
importante, altérant l’image du corps du sujet. C’est dire l’importance
de la prise en compte de la chute chez la personne âgée et d’un soin
approprié à sa souffrance, dans le but d’éviter l’escalade du signe et la
perte irrémédiable de l’autonomie.
D’autres indications concernent davantage les problèmes liés :
– aux états où l’angoisse est somatisée,
– aux états où le corps sert de lieu d’expression des conflits, discours,
affects,
– aux mauvaises relations avec le corps lorsque celui-ci est utilisé de
façon régressive pour exprimer les blessures narcissiques,
– aux troubles de l’investissement corporel qui vont du surinvestisse-
ment de certaines parties à son désinvestissement, en lien avec la patho-
logie du narcissisme et de la pathologie dépressive, si fréquentes en
clinique gériatrique.
– aux états où la personne est en perte de repères temporo-spatiaux et
corporels afin de l’aider à se restructurer. Dans l’objectif de retarder
l’évolution d’un processus démentiel ou de l’amener à une expression
moins déficitaire, plus élaborée, d’une dépression masquée.

Entretien – Examen psychomoteur


La particularité du sujet âgé peut rendre ce temps d’investigation
difficile par les défaillances sensorielles (vision-audition), les séquelles
de pathologies (paralysie, aphasie…), la fatigabilité mais aussi par le
manque de compréhension, de participation, la confusion… Dans ces
244 La personne âgée : du comportement à l’acte imaginé

cas, plusieurs temps seront nécessaires, de même que les temps d’obser-
vations sur les lieux de vie, de soins, seront précieux. Au cours de
l’entretien, une relation, prémisse d’une alliance thérapeutique, va cher-
cher à se nouer. L’intérêt porté à la personne, les sollicitations dont elle
sera l’objet, vécues parfois comme de véritables mises en tension ou
éveil, lui permettront de se sentir plus vivante, intéressante, valorisée.

 Anamnèse et biographie
Si l’étude du dossier médical renseigne sur l’anamnèse, elle sera
couplée avec les informations données par les différents praticiens
(médecin, infirmière, aide-soignant, kinésithérapeute, ergothérapeute,
orthophoniste, psychologue…) pour leur vision spécifique.
Puis l’écoute active du psychomotricien, dans un climat chaleureux
et respectueux, se portera sur la recherche d’éléments biographiques.
Seule une connaissance approfondie de la personne dans les différents
âges de sa vie (passé – présent – futur) et dans ses milieux de vie, per-
mettra une compréhension fine d’une histoire rendue souvent complexe
par sa durée. L’émergence de souvenirs vivaces et de leur contenu émo-
tionnel sera donc privilégiée. Lors d’une hospitalisation, d’une chute, il
sera également important de recueillir toutes les explications, motifs,
souvenirs de la personne. C’est-à-dire savoir si elle se repère dans la
chronologie de sa pathologie et comment elle la perçoit.
L’appréciation de la mémoire tant des faits passés que des faits
récents, ainsi que celle de l’orientation temporo-spatiale se fera natu-
rellement dès cette phase de l’entretien biographique. La connaissance
du contexte familial et social est également importante à connaître. Si
la présence de rôles à jouer, offerts à la personne, facilite son évolution,
leur absence la limite souvent à un rôle de malade fixé à sa dépendance
et à ses bénéfices secondaires. Les renseignements donnés par l’entou-
rage seront donc des éclairages complémentaires.
Ainsi la qualité du soin et l’élaboration d’un projet thérapeutique
souple, adapté, avec un choix d’approches appropriées, s’avère déjà, en
prise directe avec une compréhension globale de la personne, tant dans
ses aspects psychodynamiques que sociaux.

 Observation
Visuellement autant que par une sollicitation active du corps, le psy-
chomotricien va procéder à une lecture statique et dynamique du corps
de la personne âgée. Présente dès le début de la rencontre, l’observation
s’intéresse à :
– la présentation (hygiène, tenue, esthétique…),
– la typologie, la morphologie,
Clinique psychomotrice 245

– la mimogestualité, l’expressivité, le regard,


– la tonalité vocale, l’expression orale,
– le tonus musculaire, la posture, l’attitude,
– l’équipement psychomoteur (équilibre, marche, coordination, dis-
sociation, motricité globale et fine, latéralité),
– la présence des réactions émotionnelles, des signes d’aisance, de
malaise, d’anxiété, d’angoisse, de repli, de prestance…,
– la présence de signes neurologiques.
Seront également évalués la capacité d’adaptation et le niveau
d’autonomie de la personne.
L’ensemble de ces signes recueillis permettront de préciser, affiner
un diagnostic, ainsi qu’ils aideront à confirmer ou infirmer l’indication.

 Appréciation de l’image du corps et ses représentations


En fin d’entretien et d’observation, il sera possible de demander un
dessin de personnage masculin ou féminin. Placée dans un climat de
confiance, encouragée par le thérapeute, la personne âgée dépassera
surprise et inhibition pour se représenter.
L’introduction du dessin permet à la fois de capter une des traces
possibles de l’image du corps et de dépasser le contrôle du discours se
traduisant souvent par une banale énonciation de plaintes somatiques.
Les commentaires présents durant la réalisation ou dans l’après-coup
seront riches d’informations sur le vécu du vieillissement, des troubles,
de l’isolement… Temps d’expression, de symbolisation, de sublima-
tion, privilégié, le dessin permet à la personne âgée de se relier à son
affectivité et au monde de ses pensées. « La feuille et la trace graphique
permettent la création d’un espace utilisé par la personne pour se dis-
tancier de son image de malade et retrouver un état de sujet désirant »
(Liotard, 1990). Pour le psychomotricien, l’introduction de ce support,
dès la phase de l’examen psychomoteur et tout au long de la thérapie,
facilite l’évaluation de la représentation du vécu corporel (connais-
sance, conscience, investissement), introduit une dynamique riche.
Référence de base aux multiples fonctions, le dessin saisira l’évolution
tant de la thérapie, que de l’image du corps, en perpétuelle communica-
tion et élaboration. Le dessin, outil clinique pour le thérapeute, est aussi
utilisé par le sujet âgé qui laisse émerger sa créativité (cf. D. Liotard,
1990, « Dessin et psychomotricité chez la personne âgée », qui propose
des analyses clinique et théorique ainsi qu’une grille d’évaluation du
dessin).
Ce temps de l’examen psychomoteur est avant tout un temps de ren-
contre, d’écoute, d’observation, de compréhension, d’appréciation de la
personne dans sa globalité, pour évaluer ses troubles autant que ses
246 La personne âgée : du comportement à l’acte imaginé

compétences, où l’adaptation du psychomotricien, sa créativité, ses con-


naissances et son sens clinique seront tour à tour sollicités.

Prise en charge du sujet âgé


 Critère de prise en charge
Dès la première rencontre au cours de l’entretien, il sera question du
désir de la personne âgée, de son souhait de s’engager dans un projet de
soin la concernant, de son envie d’aller mieux… Outre le désir d’un
autre à son égard (médecin, équipe soignante, entourage), il paraît
essentiel de la resituer en tant que sujet acteur de son histoire, d’autant
plus lorsqu’elle est dans une institution de soin et/ou d’hébergement
temporaire ou définitif. Dans ce début d’alliance thérapeutique, c’est
aussi la notion de contrat entre le sujet âgé et le psychomotricien qui
sera abordée.
Les contre-indications se situeront autour des fixations trop fortes ou
trop anciennes à un statut de malade ou de personne dépendante, avec
des bénéfices secondaires, bien ancrés, voire entretenus par l’environ-
nement, plus « satisfaisants » que la perspective de se relier à une possi-
bilité d’autonomie psychique, physique, souvent plus exigeante et
difficile.
Pour certaines personnes, il sera illusoire à leur âge de restaurer une
unité psychique et corporelle, une approche plus fonctionnelle de leur
motricité est alors conseillée, plus rassurante, elle éveillera moins leurs
résistances, facilitera leur possibilité d’amélioration.
Les réactions contre-transférentielles du psychomotricien seront
également à prendre en considération et interviendront dans la
confirmation du suivi.

 Lieux de prise en charge


Les possibilités d’intervention du psychomotricien en milieu géria-
trique sont multiples, autant que le sont les réalités du vieillissement et
la diversité des institutions réservées : centre de prévention, centre de
jour, centre de cure, résidence médicalisée ou non, maison de retraite
médicalisée ou non, MAS, MAPA, hôpital gériatrique et/ou psychogé-
riatrique. Selon les lieux, les pratiques psychomotrices iront donc de la
prévention à la thérapie, incluant l’accompagnement des personnes en
fin de vie. Les modalités iront du travail individuel au travail en groupe.
Le rythme des séances variera en fonction des modalités et des lieux
d’intervention. Il tentera de respecter les besoins de la personne âgée,
sachant que lorsqu’elle est en situation très régressive un étayage mas-
sif est nécessaire.
Clinique psychomotrice 247

 Techniques utilisées

– Techniques de stimulation sensorielle, techniques de massage,


techniques de relaxation ; particulièrement importantes pour l’impact
du toucher dans le travail sur l’enveloppe corporelle et les fondements
de l’identité.
– Techniques d’expression émotionnelle, techniques d’expression
(graphique, picturale, vocale, théâtrale…), techniques bioénergétiques,
en particulier dans la recherche de l’ancrage au sol et le renforcement
de l’équilibre… bien que le soin psychomoteur soit au-delà…

 Spécificité de la prise en charge du sujet âgé

La présentation d’une personne âgée en souffrance, est déficitaire, en


retrait. Sa gestualité est figée, son corps délaissé. Elle exprime des
signes et symptômes qui l’empêchent de… Elle est souvent en proie à
une peur panique. Peurs de se mobiliser, verticaliser, de se déplacer,
d’affronter le vide… Debout, elle ne tient plus… Son discours troué
exprime une perte de l’élan vital que nous pouvons entendre comme
une perte de désir, d’identité.
Le travail du psychomotricien visera à apprivoiser ce corps vieilli,
malade, handicapé, pour aider la personne âgée à le reconnaître comme
sien. C’est par les sensations liées à la relaxation, au mouvement, à la
respiration, à la présence d’émotions, que peu à peu d’autres percep-
tions du corps, d’autres représentations, d’autres investissements seront
possibles. C’est par l’engagement de sa sensorialité, de sa motricité, de
sa sensibilité que le psychomotricien va permettre à son patient
d’éprouver… de ressentir… son unité. La présence du thérapeute, sa
disponibilité intérieure sont indissociables de sa capacité à penser ;
cette attitude nous évoque de frappantes analogies avec l’attitude de la
mère, captant à travers le peau à peau avec son nourrisson, les appels,
besoins, angoisses, satisfactions. Dans ce réel corps à corps, parfois
seule alternative possible dans les moments de grande régression, ou de
besoin de restauration narcissique, le psychomotricien offrira un conte-
nant corporel pour suppléer aux défaillances du Moi-peau, il verbali-
sera les échanges pour donner sens, établir des liens, en même temps
qu’il sera garant du cadre thérapeutique.
L’écoute de la souffrance, l’étayage offert, la revalorisation narcissi-
que apportée, au sein d’une relation transférentielle et contre-transféren-
tielle chargée, où les deux corps sont engagés, vont renforcer l’identité
tant corporelle que psychique de la personne âgée. Réconciliée avec son
corps, lieu à nouveau de dialogue, s’étonnant de possibilités retrouvées,
elle cherchera à se relier à son histoire pour la poursuivre. Que ce soit
248 La personne âgée : du comportement à l’acte imaginé

pour goûter d’ultimes moments de vie, de rêve, ou pour recouvrer son


autonomie, en partie ou en totalité, pour un avenir légèrement plus long.
Les limites de ce travail seront celles du temps; celles de la personne
âgée par ses capacités corporelles et psycho-affectives, son âge, son
environnement social et familial; celles du psychomotricien par sa for-
mation professionnelle et personnelle, sa capacité à affronter son pro-
pre vieillissement, sa propre mort ; celles de l’institution par la
souplesse, la cohérence, l’orientation de ses projets de soins.

BIBLIOGRAPHIE

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LIOTARD D. — Dessin et psychomotricité chez la personne agée. Masson,
Paris, 1990.
SCHILDER P. — L’Image du corps. Gallimard, Paris, 1980.
WINNICOTT D.-W. — Le Corps et le self. In Nouvelle revue de Psychana-
lyse, 3, 1971.
WINNICOTT D.-W. — L’Esprit et ses rapports avec le psyché-soma. In De la
pédiatrie à la psychanalyse. 1958, Payot, 1975.
INDEX

A Contre-transfert affectif, 47, 138


— émotionnel, 12, 36
Acte, 136
— épistémologique, 47, 138
Activités auto-érotiques, 86
Corps et langage, 166
— motrices spontanées, 63
Adolescent, 182 — imaginaire, 106
Adulte, 209 — réel, 106
Agnosie digitale, 188 — symbolique, 106
Angoisse, 192
— de séparation, 115 D
Anorexique, 193 Débilité motrice, 189
Apparence physique et identité, 185 Dépersonnalisation, 196
Asyntonie, 81 Déplacements, 12
Autisme primaire, 81 Développement psychomoteur de
Auto-contention, 86 l’enfant sourd, 151
Automutilations impulsives, 197 — sensoriel, 63
Auto-perception, 183 Diagnostic-observation, 12
Difficulté(s) instrumentale(s), 114
B — psychomotrice, 188
Bilan psychomoteur, 107 Discontinuité du tonus, 82
— — de l’enfant sourd, 152 Dominance hémisphérique, 122
Dysfonctionnement cérébral a
C minima, 88, 134, 188
Dysmorphophobie, 194
Cadre, 12
Dyspraxie, 189
— thérapeutique, 21
Capacités de communication, 154 E
Caractères sexuels secondaires, 194
Cauchemar, 16 Échelle de Brazelton, 72
— répétitif, 16 Éducation, 155
Clinique psychomotrice, 242 Enfant, 105
— — de l’enfant, 107 Engagement corporel, 213
— — du nourrisson, 59 Entretien, 203
Contrat thérapeutique, 109 Enveloppement, 36
250 Index

Espace, 20 Immanence, 106


— de séparation, 115 Impulsivité, 188
— méconnus, 205 Indication, 111
Être-corps adolescent, 186 Inertie motrice, 77
— agressé, 196 Instabilité psychomotrice, 130
— alimentaire, 193 Interaction mère/bébé, 60, 77, 79
— distordu, 194 Investigation psychomotrice, 12
— fonctionnel, 191
Évaluation, 60 J
— du tonus, 79
Examen clinique chez l’adulte, 209 Jeu, 12, 146
— du crâne, 63 — potentiel, 148
— neurologique du nouveau-né et du
nourrisson, 62 L
— neuromoteur, 63
Latéralité, 114, 121
— — complémentaire, 67
— en miroir, 114
— psychomoteur de l’adolescence,
198 Lecture du corps, 12
Expression de l’émotion, 220
M
F
Maladie des tics de Gilles de la
Fonction onirique, 15 Tourette, 190
Maladresse, 112
G Marche automatique, 64
Maturation pubertaire, 183
Gestes, 12
Métamorphoses, 239
Grasping des doigts, 64
Méthodologie, 14
H Moi-peau, 150
Mouvement, 219
Hyperactivité, 130, 149
Hyperkinésie, 189 N
Hypertonicité, 86
Hypertonie, 85 Narcissisme primaire, 43, 136
Hypotonie, 84 Nourrisson, 52
Hystérique, 125
O
I
Obèse, 193
Image du corps et son devenir, 238 Observation, 203
Imaginaire, 17 Organisation psychomotrice
Imitation, 12 fondamentale, 153
Index 251

Orientation, 12 Respiration, 12
Rêve(s) dans le rêve, 16
P — utile, 16
Parachute, 65 — -diagnostic, 16
Pathologie de l’adaptation, 113 — abondants, 16
Polydualisme, 20
Polyhandicap, 157 S
Posture, 63 Silhouette, 194
Potentialités psychomotrices, 153 Somatisation, 17
Pré-Moi corporel, 83 Stéréotypie, 188
Prise en charge du sujet âgé, 246 Surdité, 149
Problématique du visage, 14 Symbolisation
Processus, 12 — primaire, 136
— de latéralisation, 12
Symptôme psychomoteur, 188
— thérapeutique, 34
Syndrome hyperkinétique, 189
Psychométrie, 201
— psychomoteur, 189
Psychomotricité de l’autisme, 166
Synthèses - Interprétations, 205
Psychoses symbiotiques, 84
Psychothérapie de groupe, 225
T
R Technique, 36
Temps, 20
Réaction aux pressions latérales du
tronc, 65 Thérapie
— latérale d’abduction de la hanche, — psychomotrice parents-bébé, 87
69 Thérapie corporelle, 222
Redressement latéral de la tête et du Thérapie psychomotrice, 155
corps, 69 Tonus, 12
Rééducation, 155 — actif, 64
Réflexe(s) de Moro, 65 — passif, 64
— archaïques, 64
Trame POEMS, 201
— ostéo-tendineux, 65
Transitionnalité, 41
Regard, 12
Troubles autistiques secondaires, 85
Relation thérapeutique, 222
— de l’être-corps, 191
Relaxation de type J. de Ajuriaguerra,
219 — instrumentaux, 14, 21, 35, 123
— psychomotrice, 227 — lexico-graphiques, 121
Réponse à la traction des fléchisseurs — moteurs, 77
du membre supérieur, 65 — posturaux, 77
— posturales et vestibulaires, 65 — psycho-fonctionnels, 14, 35
252 Index

— psychomoteurs, 121, 152 U


— — de l’adolescence, 187 Unité, 20
— psychosomatiques, 192 V
— sensoriels, 149 Verbalisation, 221
— toniques, 77 Vieillissement, 238

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