1963
Francois-Albert Viallet
Vial/et : Vous etes un vital, Feito, un affectif. N'avez­
vous pas peur de la mort ?
Feito: J'y pense beaucoup mais je n'en ai pas
peur. Dans ma période artistique antérieure, on a cru
déceler un dualisme, un ensemble contradictoire;
soit. Cela a disparu de ma peinture et de ma vie;
si vous tenez absolument a coller une étiquette sur
mon travail, employez le mot de monisme; mais je
vous mets en garde : personne, moi-meme en dernier,
ne sait ce qu'il en sera demain.
Vial/et: En plus, il y a un autre facteur qui me rem­
plit de joie : vous vous renouvelez. Lorsque tout le
monde criait au miracle, en face de vos matiéres
minérales, des surfaces lunaires, des soleils blancs
dans un univers spatía!... iI vous était facile de garder
votre marque de fabrique comme I'ont fait tant d'au­
tres. Vous ne I'avez pas accepté, iI y a continuíté
chez vous. Je n'y trouve plus rien de métaphysique,
Feito ; au contraire, une vitalité totale, je dirais meme
un mépris de la métaphysique. Savez-vous a quoi je
pense ? A I'un des paradoxes irrespectueux du Zen
qui dit : « Si tu rencontres le Bouddha, tue-Ie. »
L'artiste se met a rire.
Feíto: C'est curieux, mais savez-vous ce qu'on m'a
dit au Japon ? Que ma peinture co'incidait avec la
mentalité du Zen ... Pourtant je ne m'en suis certaine­
ment pas inspiré; la lecture d'un livre sur le Zen m'a
seulement confirmé ce que je sentais en moi : la dia­
lectique entre I'effort et la non-réussite ... Savez-vous
que j'ai toujours peur avant de commencer mon tra­
vail... ?
Vial/et: Et maintenant, je m'excuse d'y revenir,
n'avez-vous pas de préoccupation picturale, pas de
« but.> ?
Feito réfléchit, puis sourit : iI est aussi sincére que
secret.
Feito: Je continue mon chemín que je n'explique
paso Je suis sorti du spatial, de la recherche des
matériaux rares, des séries terreuses, du noir prédo­
minant, de ce qu'on a appelé les paysages sidéraux ;
puis il y avait la tache rouge qui dominait mes toiles.
11 y a eu des passages, tenez, ce tableau la, par
exemple:
En effet, I'espace est encore présent ; la, il y a tout
I'orchestre : du granulé, des explosions, des éclats de
nuage, un « soleil » ...
Vial/et : Maintenant, vous tentez d'aller vers la sim­
plification ; les grands fonds monochromes, les plans
qui relaient les reliefs, ces larges fleuves noirs bros­
sés a la truelle, le monde chromatique en deux dimen­
sions ou presque ; vous avez renoncé au luxe de la
poésíe ; je ne vois pas de symbole, chez vous, mais
une présence réelle : ceci est le monde.
62
.
Viallet: You are vital, Feito, and emotional. Aren't
you afraid of death7
Feito: I think of death often, but without fear.
Viallet: Also, you have another quality which fills
me with ¡oy: you renew yourself. When everyone was
a vishing praise upon you for your mineral-like mat­
ters, your lunar surfaces, your white suns in space,
it would have been easy for you to stick to your tran­
demarks as so many others have done. You did not
accept to do so. There is continuity in you.
Feito: In my earlier artistic period, it was said my
work revealed dualism, or a contradíctory ensemble;
so be it. That has disappeared from my work and
from my life; if you are absolutely determined to pin a
label on my work, use the word "monism"; but let me
warn you: no one, and least of al! myself, knows what
my work will be Jike tomorrow.
Viallet: I find nothing metaphysical in it, Feito; on
the contrary, a total vitality. I'd go so far as to say it
is a mockery of the metaphysical. Do you know what
it makes me think of7 One of those disrespectful
paradoxes of Zen, which says: "If you meet the Bud­
dha, kili him."
The artist bursts out laughing.
Feito: It's odd, but do you know what they said to
me in Japan? That my painting coincided with the
mentality of Zen. And yet it is certain that I díd not
draw my inspiration from it; reading a work on Zen
mere/y confirmed what I felt in myself: the día/ectíe
between effort and non-success... Do you know that
I am a/ways afraid before beginning my work7
Viallet: And now, excuse me for returning to the
subject, but have you no pictoria/ preoccupation, no
" goal"7
Feito reflects, then smiles; he is as sincere as he is
secretive.
Feito: I'm continuing my course, which I don't
explain. J've finished with the spatial, the researeh
into rare matters, the earthy series, with black predo­
minating-what have been cal/ed by others my astral
landscapes; then there was a red spot which dominat­
ed my canvases. There have been epochs, here, for
example, /ook at this picture: in fact, space is still
present; there, there is the whole orchestra: gran u­
latíon, explosions, bursts of c/oud, a "sun" ...
Viallet: Now, you are trying to move toward simpli­
fication; great monochromatic backgrounds, planes
which relay with reJiefs, these wide bJack rivers posed
with the troweJ, the chromatic world in two dimen­
sions, or nearly; you've renounced the luxury 01
poesy; I see no symbol in your work, but a real pre­
sence: this is the world.
J \

1956 - peinture, 80x 110 - collection Margot Fonteyn, Londres

Luis Feito

« Une surface que j'aime; que je fais, que je "A surface that I love; that I make; that I work and
laboure. Je fouille en ses racines. Je I'ouvre jusqu'a turno I dig among its roots. I open it out tilll find my
rencontrer mon sillon. Elle croit et je la rencontre. furrow. It grows and I encounter it. Strike it; I break
Je la frappe ; je la brise. je la détruis. Je m'écorche. it; I destroy it. I skin myself. At times I caress it.
Des fois, je la caresse.
H Sometimes the light breaks through, hope; some­
« Parfois, la lumiere surgit, I'espérance; parfois,
times, nothíng. And I continue to wander. Wander­
rien.
ing on it. Dry and burned. And from time to time
" Et je continue a errer. Cheminant sur elle. Seche
I fínd water.
et brülée. Et quelquefois, je rencontre de I'eau.
« Elle s'ouvre. Je tombe dan s ses noirs. Sans fondo "The surface opens up. I fall into íts blakness.
" Je me heurte a sa pierre vierge. Pureo L'espace Bottomless. I collide with its virgin stone. Pureo
se fait. Saute. Je lui arrache son silence. Je tords son Space is created. Leaps. I tear its si/ence from it.
mystere. Et elle nait. » twist íts mystery. And it is born."

13
1959
Vers un ordre dans le baroque
Le sens profond de la démarche de Feito pourrait
aujourd'hui atre défini comme un ordre transcendan­
tal du baroque, un Iyrisme de la matiere brute controlé
par une organisation poétique - a la fois affective
et rationnelle - de la lumiere. Cette idée centrale
domine toute analyse de détail d'une ceuvre dense et
drue, puissante par I'absolue cohérence de son
développement.
Poétique de la matiere
La pate dont se sert I'artiste pour obtenir ses effets
d'épaisseur est une émulsion de sable et de fin gra­
vier dans I'huile de lin. La pate a atteint chez lui la
pleine autonomie picturale. Néanmoins, iI ne cede
jamais au vertige Iyrique de la matiere ; il ne s'y perd
pas, iI la domine constamment par I'eftet de lumiere
qui intervient en phénomene compensateur. Ce per­
pétuel controle assigne a la matiere un role primor­
dial, mais limité. La matiere ne constitue jamais une
fin en soi, elle est au service exclusif de la couleur,
qui n'est elle-me me pour Feito qu'un mode particu­
lier d'identífication de I'espace pictural.
L'imagination de I'espace
C'est évidemment I'imagination de I'espace qui est
déterminante dans I'ceuvre de Feito. Tous les élé­
ments picturaux, El commencer par la matiere et la
couleur, lui sont asservis.
Pour le peintre castillan, I'espace est une réalité
immanente qu'il s'efforce d'atteindre et non un
concept qu'iI développe. L'artiste doit capter cette
réalité et la fixer de fayon tangible El raide des
moyens plastiques qu'il a fait siens. Une définition de
I'espace obtenue El partir d'une combinaison de plans
linéaires ou de n'importe quelle structure graphique
demeure conceptuelle: c'est pour rompre précisé­
ment ave e cette notion conceptuelle de I'espace que
Feito a abandonné le graphisme.
Aquel niveau se situera done I'intervention de la
lumiere dans ce systeme d'intégration spatiale? La
lumiere est avant tout une certaine qualité d'espace
et non pas une valeur chromatique. C'est le produit
d'une parfaite identification de la couleur a I'espace.
Pierre Restany
Toward Baroque Order
The deep sense 01 the painting 01 Feíto could today
be delined as a transcendental order 01 baroque, a
Iyricism 01 raw paint controled by a poetic orga­
nization-at once allective and rationa/-ol Iight.
This central idea domina tes any detailed analysís 01
a work which is dense and vigorous, powerlul because
of the absolute coherence 01 its development.
The Poetry of Texture
The ímpasto which the artíst uses to obtain his
ellects of texture is mixed with an emulsion 01 sand
and fine gravel in Iinseed oil.
The paint itself for him has attained full píctorial
autonomy. Nonetheless he never gives in lo the
Iyrical vertigo 01 texture; he does not lose himself in
it, but constanlly domina tes il by the effect of light
which acts as a compensatory phenomenon. This
perpetual conlrol assigns a role lo the paint texture
which is primordial, but not unlimited. Texture never
constitules an end in itse/f, but is placed at the exclu­
sive service of color, which itself with Feíto ís never
more than a particular means 01 identifying pictorial
space.
Imagination of Space
It is obviously his concept 01 space that is the
determining factor in the painting of Feito. AII other
pictorial elements, beginning with Feito texture and
color, are subservient to il.
For the Castilian painter, space is a self-evident,
inherent reality which he strives to attain, and not a
concept which he develops. The artist must capture
that reality and tie it down in a tangible fashion,
with the aid 01 the plastic means he has conquered.
A definitíon of space obtained through a combination
01 linear arrangements or any other graphíc structure
remains conceptual; it was precisely in order to break
with that conceptual notion of space that Feito aban­
doned graphism.
At what level could the participation 01 light in such
a system 01 spatial integration be situated? Light
is aboye all a certain quality 01 space and not a
chromatic value. It is the result 01 a perlect identifi­
cation of color with space. Its nature is affective;
 Marc Albert - Levin
FEITO
On a si souvent dit tout ce que la peinture a d'indi­
cíble, tellement écrit qu'iI n'y avait rien a écrire...
J'aime I'ceuvre de Luis Feito, voila ce qu'il faudrait
pouvoir expliquer, je ne sais pas trop comment.
Remarquez, <;:a n'est pas un amour neuf, c'est déja
presque neuf ans d'amour. Et si rien n'est plus clair
que les raisons d'une passade, quoi de plus mysté­
rieux que les raisons d'une fidélité ?
11 Y a deux ans, j'avais essayé de trouver le ton
neutre pour parler d'une ceuvre que depuis 1959 rai
vu se faire presque toile apres toile et que nous som­
a
mes quelques-uns connaitre tres bien. Cela donnait
par exemple :
A ce qu'on appel/e en Europe assez imprécisément
'" /'abstraction Iyrique", on a coutume d'opposer des
tendances plus récentes, Pop Art et Op Art, sans pré­
ciser toutefois si elles en constituent un réel dépasse­
ment, si el/es viennent combler en quelque sorte une
carence poétique, ou si el/es indiquent seulement un
changement d'orientation qui laisserait les problemes
posés par /'abstraction Iyrique purement et simple­
ment en suspenso C'est vers la seconde hypothese
que ¡'inclinerais personnel/ement devant une ceuvre
comme celle de /'Espagnol Luis Feito, El mes yeux
rune des plus fortes et des plus passionnantes qui
se créent en Europe actuel/ement...
Aujourd'hui, je ne sais plus ce que veulent dire Pop
ou Op ou abstraction Iyrique, je ne sais plus quels
problemes sont restés en suspens, mais je voudrais,
pour parler de Feito, retrouver des yeux tout a fait
neufs ; me demander, par exemple, comme si je ne
le savais pas, s'iI est petit ou grand, brun ou blond.
dans quel quartier il habite, pourquoi iI aime le fla­
menco, s'il reve en fran<;:ais ou en espagnol, et qu'est­
ce qu'íl trouve de tellement extraordinaire dans une
peinture de Piero della Francesca ... et au lieu de vous
raconter mes amours (depuis cent ans maintenant
que Baudelaire est mort, vous savez bien que des
mots pareils, en critique d'art, n'ont plus cours), je
voudrais faire fonctionner ma tete comme un film de
Godard, ou mieux, comme la plus ordinaire des équi­
pes de télévision.
« Felto premiE~re )) (clap)
Paris, rue Monsieur-Ie-Prince, au 32. La maison
d'a c6té, au 30, c'est une curieuse boutique avec en
vitrine des disques et des coquillages, qui s'appelle
'" Librairie du Pacifique, Voyages, Arts, Folklore ". On
y trouve également des reproductions de Gauguin en
couleur grand format, et de vraies peintures indíge­
nes sur écorce dont I'une adopte comme motif de
frise un avíon biplan, de ces avíons biplans comme
on en voit dans les illustrations de livres d'aventures
du genre «Les Cinq Sous de Lavarede". On n'y
vend pas les pointes de feutre « made in Japan»
révées, mais un antique crayon a bille bleu et un long
carnet a spírales qui feront pour le critique d'art une
caméra acceptable.
Sur le trottoir d'en face, un restaurant chinois, une
devanture sur laquelle on peut lire « Bible-Art-Litur-
artiste peintre
painter
It has been so often expressed that painting is in ex­
pressible, so much was written that there was nothing
to write... I like Luis Feito's work, that's all I would
like fo say, in one way or another. And this is not a
new love, but a passion of nine years time. /f there
is nothing clearer than the reasons for a passing
fancy, what is more mysterious than the reasons for
such faithfulness?
Two years ago, I tried to find a neutral tone to des­
cribe this work that some of us know so wel/ and
that I have witnessed since 1959 manifest itself, in
can vas after can vas. This gave, an example, at that
time:
It is the fashion to oppose what is termed rather
loosely in Europe as "Lyrical Abstraction" with the
most recent trends like Pop Art and Op Art, without
specifying, however, whether they represent a real
step forward, if by opportune timing, they fill in a kind
of poetic lacuna, or if they simply signal a change in
orientation which would keep the problems posed by
Iyrical abstractíon purely and simply unresolved.
I tend to follow the second alternative when I am
confronting the work of Luis Feito, who to my way
of thinking is one of the strongest and most exciting
creative talents currently painting in Europe ...
Today, I no longer understand what was meant by
Pop or Op, or by Lyrical Abstractíonism, I don't know
which problems are sti/l un resolved, but in speaking
of Feíto, I would like a gift of completely new eyes,
re-asking myse/f for example, as if I had no idea,
whether he is tal/ or short, if his hair is brown or
blond, where he lives, why he /ikes Flamenco, if his
dreams are in French or in Spanish and what qualities
he finds so extraordinary in the painting of Piero della
Francesca... And instead of telling you love stories
(100 years after Beaudelaire's death, you know that
such terms in art críticism are no longer fashionable)
I would like to let my head function ¡¡ke a Godard
movie, or rather like the most ordinary team of tele­
vision cameramen.
Feíto (take one)
Paris, rue Monsieur-Ie-Prince, number 32. The
building next door, number 30, is a strange boutique
whose window is filled with records and sea shel/s
cal/ed "Librairie du Pacifique, Voyages, Art, Folklore".
A/so to be found-/arge reproductions of Gauguin in
color, and native paintings on real bark paper, one
of thesehas for a frieze design an old biplane of the
same ilk as the iIIustrations in old books of adventure
tales, /ike "Les Cinq Sous de Lavarede". Dreamy
Magic Markers "made in Japan" are not sold there,
but instead an ancient blue ballpoint and an elongated
spiral notebook will perform acceptably as a camera
for the art critico
Right across the street are a Chinese Restaurant,
and a storefront which reads "Bible-Art-Liturgie", an
1
 ,
~'OOT .
gie ". une librairie orienta:e et naturellement, le gris
d'un ciel d'hiver et le pavé mouillé. Et la charcutiére,
sur le pas de sa porte, avec I'air de se demander ce
que ya veut dire, gribouiller comme ya, si r;:a n'est
pas un contractuel dressant sournoisement des
contraventions pour stationnement illicite.
Icí, flash back, on pourrait montrer Feito devant sa
propre voiture, ou se plaignant dans son franr;:ais
tres personne( des difficultés qu'on a El se garer, ou
expliquant comment ayant un jour trouvé la place
libre, il a laíssé sa voiture devant sa porte pendant
presque un an, quitte El prendre le métro ou ('autobus
chaque fois qu'i( avait El se déplacer. La voix « off »
du critique d'art, alors qu'on verrait indifféremment
la place de la Concorde ou les nouveaux aménage­
ments des berges de la Seine, pourrait ensuite signa­
ler d'un ton neutre la vitesse (démentielle) El (aquelle
iI roule lorsqu'il part en vacances ou revient seul
d'Espagne.
S'engager ensuite par la porte étroite, monter I'es­
calier de guingois en indiquant qu'au dernier étage
de cet immeuble frappé d'alignement habrte I'actrice
Franr;:oise Arnoud et alors justement qu'iI était en
Espagne, qu'elle avait un jour oublié de fermer un
robinet de sa salle de bains. A son retour, Feito avait
trouvé une bonne partíe de son plafond moisi ainsi
que la totalité de ses innombrables costumes de la
meilleure coupe. Pour compenser ce qui pourrait,
dans ce qui précéde, paraitre trop frivole, ajouter
qu'avant d'obtenir brillamment son diplOme a I'Aca­
démie des Beaux-Arts de Madrid, il avait entrepris des
études de séminariste et qu'en dehors de I'enviable
occupation de "peintre abstrait", les deux seu les
professions qui I'aient jamais tenté étaient celles de
pretre et de toréro.
Le téléspectateur, déja préparé a ceUe évidence
par la vision pas tellement accidentelle des mots
« Bible-Art-Liturgie ", devinera-t-iI enfin qu'il va avoir
affaire a I'un de ces artistes européens (O combien
folkloriques!) qui ont été loger dans l'Art le sens
Sacré?
« Feito seconde » (clap)
11 est en pyjama, il se rase. Mais oui, quoi de plus
rassurant, tout peintre abstrait qu'il est, il est en
pyjama et il se rase. Et dans sa salle de bains, il y a
au mur toute une série de gravures de Goya sur la
corrida, des tirages récents, mais mis sous verre
quand meme, a cause de la buée.
- Je ne savais pas si tu viendrais ...
Et pendant qu'il finit de se raser, on peut entendre
le poste de radio déclarer: « Le dernier numéro de
" Lui ", le magazine de I'homme moderne, est paru ...
Franr;:ois Chalais s'est promené pour vous dans de3
rues sordides et pittoresques... la fantastique auto­
critique de I'Empereur de Chine". C'est suivi des
« Oignons » ; " Les Oignons» interrompus par Feito,
frais rasé, d'un geste sec a la sixiéme ou septiéme
mesure. Alors, vite un rapide coup d'ceil, un petit
coup de crayon a bille sur le bel objet japonais,
la-bas, sur la table basse (ouí, iI I'a ramené du Japon,
et iI sait bien tout ce que la peinture abstraite doit au
bouddhisme Zen) devant I'énorme toile sur fond vert
sombre avec une barre noire qui traverse une bulle
rouge agauche, et une forme bulbeuse noire a droite
qui flotte dans un vert moins vert.
2
oriental bookshop and of course the gray winter's sky
and wet pavement of Paris. And the butcher's shop
at hís doorstep aSking ítself what all this scribbling
means, if it's not a meterman slyly slípping tíckets for
íIIegal parking.
Here, flash back, we would picture Feíto in front of
his own car, or complaining in his unique French the
diffículties encountered in parking a car, or perhaps
explaining that after finafly finding an empty space,
he left his car in front of his door for nearly ayear,
preferring to ride the metro or bus each time he
wanted to go somewhere. The critic's voice, "off",
during the flashing of the Place de la Concorde or the
newly-created thoroughfares along the banks of the
Seine, might neutralJy indicate the speed (in a word,
mad) at which he drives when departing on vacation
or returning alone from Spain.
Entering then the narrow door, climbing a lopsided
staircase, indicating in passing that the top floor is
inhabíted by the actress Fram;oise Arnoud, who just
happened one day, while Feito was in Spain, to leave
her water faucet running. Feíto returned to a dam­
pened ceiling as wefl as an ínundated wardrobe of
his countless well-cut suits. To compensare a bit (if
it ís possible to do so) for the preceding description,
appearing perhaps somewhat frivo/ous, it should be
added that before so brillíantly obtaining his degree
at the Academy of Fine Arts in Madrid, Feito had pre­
vious/y undertaken seminary studies and beyond of
the en viable occupation of "abstract artist", the only
two professions that ever tempted him at all were
those of priest and bul/fighter.
Even though the television viewer is already clued
in by the not-so-accidental vision .. Bible-Art-Liturgie",
will he ever guess that he wiJ/ be dealíng with one of
these European artists (how co/orful) who puts into
painting a sense of sacredness?
Feito (take two)
He wears pajamas and he shaves. But of course,
what is so reassuring, abstract painter that he is, he
stíll wears pa;amas and he shaves. The wall in his
bathroor.l is covered with a series of recentiy publish­
ed engravings-Goya origina/s of the corrida, under
glass, of course, beca use of the steam.
- I did not know if you would come ...
And while he finishes shaving, the radio blares
"the latest issue of Lui, the magazine for the modern
man is on the stands... Franr;ois Chalais discovered
sordid and picturesque streets for you... The fan­
tastíc self-críticísm of the ruler of China". Followed
by "The Onions". Sidney Bechet's onions, inter­
rupted in the sixth or seventh measure, with a quick
flick o( the wrist by Feito freshly shaven. A rapid
glance, a fast scribble on the handsome Japanese
piece of furniture, over the low table (yes, he brought
it from Japan, and he wefl realizes the debt abstract
painting owes to Zen Buddhísm), all takes place in
front of the huge canvas of dark green background
with a huge red ball on the left, traversed by a black
bar, and a bulbous black form on the right hand side
floating in a "not-exactly-green" green.
 Feíto: «Bon, parlons peu, mais parlons bien (i1
avale une pílule, un tranquíllísant sans doute). Ouí,
je commence la semaine prochaine. »
Je luí avais demandé si les grands formats pour
Venise, c'était pour bientot. Venise, pour ceux qui
savent, c'est a la peinture ce que Cannes est au
cinéma, c'est pendant les délibérations du jury et
avant la remise des prix trois jours de fiavre et d'in­
trigues, de cocktails et de parlotes dans et hors des
" Giardini ", au café Florían ou a I'hotel Danieli.
Et on a essayé de bien parler. De cette curieuse
nouvelle fa~on qu'íl a de pe:ndre maintenant. Alors,
ya ne lui suffisait pas d'avoir, pendant des années,
mis du sable dans I'hulle pour faire « de la matiare »,
ya n'était pas assez d'avoir gesticulé plus tard autour
de la toile et exécuté avec elle un vrai numéro de der­
viche tourneur pour chasser de sa tete trop c;vilisée
les quelques idées toutes faites, ces clichés en pein­
ture qu'il voulait éviter ... ? Non, non. La matiére, le
sable dans I'huile qui luí crissait sous les pantoufles
quand iI marchait dans I'atelier, c'est fini, bien fini,
méme s'il était dit dans le meilleur article jamais écrit
sur lui que «jamais /'usage de la matiere ne /'a
conduit a ce maniérisme plus ou moins dérivé de
/'art brut dans lequel devaíent sombrer de nombreux
peíntres européens. La matiere devint chez luí le
creur, le foyer de certaínes toi/es, le point d'attache
des formes ou leur point de repos lorsqu'elle n'était
pas drainée pour donner corps a des é/éments
gestue/s ».
Mais voila que les «éléments gestuels", a leur
tour, se sont assagis, qu'ils ont perdu cette beauté
virile, la fayon dont un noir rapeux s'effrangeait sur
un fond pale, uniforme et lisse. lis se sont d'abord
changés en barreaux, d'ou les formes-couleurs
s'échappaient a grand-peine, le geste a ralenti, sa
trace s'est amolie jusqu'a rester plantée la, dans le
vert ou le jaune, avec la plus folle incongruité.
Ce n'est pas d'eux non plus que nous avons parlé,
mais de I'étrange métamorphose que vienne:1t de
connaitre ces "plans monochromes juxtaposés a la
toile peinte quí, par un subtil décalage de ton pa.r
rapport a la toile iumelle, acquiérent une expressivité
qui leur est propre et rendent plus dramatiques
encore les mouvements de la toile peinte ». Les plans
monochromes ne sont plus monochromes, Feito peint
maintenant sur eux d'autres formes, destinées a s'ac­
coler aux premiéres, mais qui ne s'y raccordent
jamais tout a fait paree que le repérage, aussi vague
que possible, n'est autre que le souvenir qu'il en
garde et ce qu'iI sent plus ou moins confusément que
la premiare toile appelle. Si bien que le critique admi­
ratif a pu noter: comme si entre les deux chassis
iI y en avait un troisiéme, comme s'jJ y avait une troi­
siéme toile peinte dans le vide, pour rien !
Mais derriere ces formes?
C'est le moment révé pour intercaler I'un de ces
éternels dialogues de sourds: ces formes, ces for­
mes non figuratives d'accord, mais quand meme plus
ou moins rondes ou plus ou moins carrées, et ces
couleurs, qu'elles soient ou non mélangées, qu'est-ce
qu'elles signifient? Rien. Rien d'autre que ces for­
mes et ces couleurs-Ia en un certain ordre arrangées,
«qui tirent leur sens de la fayon dont elles s'orga-
Feito: - O.K., le1's start. Fast but fo the point.
(He smiles and swallows a pill, tranquilizer no doubt).
Yes, 1'11 begin next week.
1 had asked hím if the big formats for Venice were
for quite soon. Venice (as you may know) for the
painter is what Cannes is for the fí/m maker, before
the prizes are conferred and during the three day
period the jury delibera tes, is a fever of intrigue,
cocktail parties, and discussions within and without
the "Giardini", in the Cafe Florian or the Danie/i
Hotel.
And we tried to talk, and stick to the point. I\bout
hís curious new method of painting. It was not
sufficient for him to continue with addíng sand to the
oi! to produce texture, it was not enough to have
waved his arms around the can vas and danced with
it-the performance of a whir/ing dervish, to chase
from his all-too-civilised mind all preconceived ideas,
and those clichés in painting that he wished to
avoid? No, no. The substance, the oi/ mixed with
sand whích always crunched under his slippers as he
walked around the studio; it's over, definitely over,
even though, in the best article ever written about
hím, it was said that: "never has the use of the
material driven him to this mannerism more or less
derived from .. L'art brut" (raw-art) in which numerous
European painters seem to have been engulfed. For
Feito, the textured part became the heart, the central
focus of the painting, the fixations of the forms or
their moment of repose, when it was not drained to
give body to gestual elements."
But these "gestual elements" have in turn, sub­
sided, they have lost this viril beauty, the rough
textured black, fringed on a pale background, uni­
form and smooth. They fírst turned into bars, from
l'lhich the color escaped with diffículty. The grand
gestures have s/owed down, their trace has softened
unti! it finally settled, in the midst of the green or
the yellow, with the wildest incongruíty.
We spoke a/so of the new metamorphosis that has
just come to know "these monochromatic surfaces
which, by juxtaposition against a designed canvas
whose background color varies only subtly in grada­
tion of tone; thus they gain a singular expressiveness
which renders even more dramatical the movements
of the designed canvas". These "monochromatic
surfaces" also ceased to be monochromes. Feito
now paints other forms on them which are planned
to be coupled with the first paintings, but the linkage
is never complete because his reference point (as
vague as possible) is nothing more than the recol/ec­
tion he retains of the first painting, and what he
fee/s more or less conscious/y it requires. So that
the admiring critic can remark: it seems as if between
the two canvases there was a third, painted in the
air, for no appearent reason.
And behind these forms?
It's perfect moment to incorporate the proverbial
moot point: these forms, agreed they are non-figura­
tive forms, but still more or less round or square, and
these co/ors whether they are mixed or not, what do
they signify? Nothing. Nothing more complicated
anyway than these particular forms and co/ors arrang­
ed in a certain order, "which take their meaning from
how they are organized in relation to each other in
3
nisent les unes par rapport aux autres dans un espace
bidimensíonnel donné ». Mais derriére ces formes,
quelles idées ? Pas d'idées. Tout au plus de vagues
idées de formes, la toile d'aprés qui naít de la pré­
cédente, des idées de formes aussi courtes que pos­
sible, des "themes» si I'on veut, qui s'épuísent en
trois ou quatre toiles. Mais qu'est-ce qui pousse Feito
é cette recherche harassante, comme aveugle, de la
« meilleure » toile, é cette peche é la baleíne blanche
dont ji revient toujours bredouille, avec, des pieds é
la tete, le tremblement de rage de I'avoir vue passer
si pres? Un sens ? Ouí, elles doivent avoir un sens
puisqu'elles assenent leurs couleurs pures et leurs
formes étranges avec la meme impudeur, la meme
tranquille assurance que certaines fleurs bizarres,
qu'elles vous balancent é froid de bien curieuses évi­
dences, que les mots ne savent plus nommer. ..
Ces toiles, Feito les voit apparaitre. Plus elles le
surprennent lui-meme, plus elles lui paraissent « nou­
velles ». Les plus nouvelles, oui, voilé les "meil­
leures ». «Nouvelles », bien sOr, par rapport é I'his­
toire de I'art que nul, comme la 10i, n'est censé igno­
rer, mais nouvelles surtout pour ce petit brin de ver­
tige qu'elles luí apportent, et cette angoisse mal défi­
nie de ne pas tres bien savoir ou on a été, ni ou
cela vous menera, dróle de peche miraculeuse qui
s'échappe par toutes les mailles de ce vieux filet
percé, un chassis comme au temps de Rembrandt,
des couleurs pures et quelques pinceaux.
Feito : - 9a me plan parce que c'est tordu, irritant,
parce que 9a me parle au ventre. Parce qu'i/ y a je
ne sais pas quoi, la devant moi, qui me tord le ventre.
A censurer : tout ceci est absurde, totalement incon­
cevable en 1968, lorsqu'on est conscient d'appartenir
a cette «ere technologique» qui a tordu le cou au
romantisme et a la subjectivité.
Un brin d'impossible
« /1 y a des gens qui émettent encore des sons sur
des instruments El cordes a /' lige de la bande électro­
nique», écrit avec une belle impartialité Harold Rosen­
berg, dans un texte qui proclame I'absorption de !'art,
« activité du secteur privé », échange de personne a
personne, par I'art des « mass-media », I'art commer­
cial du secteur public. 11 y a (encore !) é I'époque du
cinéma et de la télévision, des gens qui étalent des
couleurs sur une toile, et, inutile de nier plus long­
temps, Feito est de ceux-Ia. 11 est toujours é la pour­
suite de ce quelque chose de renversant qu'il ne sait
pas définir, mais qu'iI retrouve, par-dela les siécles,
dépassant le prétexte figuratif, par exemple devant
une ceuvre de Piero della Francesca: !'ímpression
qu'on a attrapé la un brin d'impossible. Ce qui per­
met a un homme de s'émouvoir en face d'un objet
negre dont les fonctions magiques demeureront tou­
jours mystérieuses, et de toute fayon accessoires,
qu'est-ce que c'est? Du temps de Baudelaire on
ne I'avait pas me me trouvé beau. Mais le beau, c'est
un critere variable, le beau fixe, ya n'existe paso Feito,
par exemple, iI n,est rien qu'il n'évite avec plus
d'acharnement que ce qui pourrait etre beau: ses
toiles ont d'abord été belles comme les nuages (ce
sont les autres qui I'on dit, lui, bien sOr, ne voulait
pas). Puis la beauté des nuages s'est ab'imée dans
la beauté des flammes, celle des braises rougeoyant
4
a tVJO dimensional space". But what are the ideas
behind these lorms? There are no ideas. At the
most, there are vague ideas of forms, the precedíng
canvas genera tes the succeeding one, and so on;
notions of forms are as briel as possíble, there are
themes which are díssípated in three 01 tour canvases.
But what is it that pushes Feíto blindly in his tireless
que:;;t tor the "best" painting, the hunt tor the great
white whale from which he always retums empty
handed. trembling with rage from head to loot al
having been so near? A meaning? These canvases
ought to possess a meaning since they smíte you
with their pure co/ors and their strange forms. with
the same impudence. the same serene assurance
as certain eccentric flowers, since they jolt you into
a V'lorld 01 a singular obvio:Jsness that words cannot
define.
These paintings, Feito regards theír "apparition".
The more they surprise him, the newer they seem to
him. And the newest. yes, here are the best. They
have to be new according the criteria 01 art history,
which, like the law, cannot be ignored. But aboye all
new beca use 01 this s./ight touch 01 dizziness it pro­
vides lor him, and the undefinable anguish rooted in
not knowing where he is at or where he is led. in
this miraculous catch which escapes through the
mesh 01 this old tom net: a canvas as in Rembrandt's
epoch, some pure co/ors and a lew brushes.
Feíto: - I like it because it's tortured, irrítating,
because it erupts from my innards; because there is
something, in Iront 01 me-I don't know what-that
twists my guts.
Censored: AII this is absurd, utterly inconceivable
in 1968, when one is conscious 01 belonging to the
.. age 01 techno/ogy", the death 01 romanticism and
subjectivity.
A touch of the impossible
.. There are to this day, in the era 01 electronics.
people who still emit sounds on string instruments"
wrote Harold Rosenberg, the american art critic.
with notable impartiality in a text declaríng the end
of art as an activity of the private secteur, "exchange
from person to person", replaced by "the art of mass
media", the commercial art 01 the pub/íc sector.
There are (stiJl!) in the film and television age, people
who spread pigment on canvas, and it's use!ess to
deny any longer, Feito is one 01 them. He is cons­
tantly in pursuit 01 a certain bewilú'ering something
that he can't define, but which he will rediscover,
through the centuries, reaching beyond figurative
pretext; as for instance in Iront 01 a work of Piero
della Francesca, the leelíng that arare moment was
caught, that a touch 01 impossible was captured.
The lact that aman ís moved by an African letish,
whose magic lunctíons remain lorever mysteríous and
in any case, for westemers, accessory. what is it?
In Baudelaire's day, they would have been denied
any beauty. But Beauty ir; a changing criteríon, per­
manent beauty does not exíst. In Feito's case, there
is nothing he avoids more fiercely than whatever
could be termed "beautílul". His early paintíngs
possessed a cloud-like quafíty (as others remarked,
01 course, he never thought of such a thíng). Then
the beauty 01 clouds was destroyed in the beauty 01
flames, the embers reddening in the night. One day,
 dans la nuit. Alors plus de braises, plus de lumiere,
plus de nuit, I'éclat brutal d'un jaune vulgaire, acide.
Mais on pouvait parler encore du sable de I'arene et
des pompes de la corrida. Et de destructions en des­
tructions, de sacrileges en sacrileges, en employant
systématiquement les couleurs ha'ies, les roses, les
verts, les complémentaires afin qu'elles se détruisent,
on en arrive la : a ces toiles que d'aucuns s'obstine­
ront a trouver belles sans savoir pourquoi.
11 y a un débat, vieux comme la peinture, sur le plus
ou moins de « réalisme" d'une ceuvre d'art, qu'on a
vu renattre récemment avec une vigueur toute neuve.
11 ne s'agit pas du plus ou moins de réalité contenu,
symboliquement représenté, dans une ceuvre d'art,
mais au contraire, de la fa(fon plus ou moins radicale
qu'elle a de ne renvoyer qu'a elle-meme, a ces quel­
ques pouces carrés de vraie toile ou de couleur a
I'huile. On entend rompre avec I'aspect «illusion­
niste» de la peinture (une illusion qui repose sur un
certain nombre de conventions et qui suppose connu
un certain mode de lecture) pour arriver a la belle
évidence d'un phénomene réel. Qu'il le veuille ou
non, je crois que I'ceuvre de Feito n'est pas étrangere
a cette démarche. En fa ce d'une de ses toiles, on ne
peut se permettre de rever ni a la mer ni aux petits
oiseaux, on n'a meme pas besoin de ce que le cri­
tique d'art américain Harold Rosenberg appelle
«J'hypotMse que des coins de terre verte et une
vraie lune subsistent derriere le réseau des commu­
nications ». On se trouve en face d'un objet tout
aussi artificiel et tout aussi inutile qu'une cuvette
de W.-c. en kapok mou d'Oldenburg, par exemple.
Et on serait tenté de lui appliquer, pourquoi pas, les
memes mots qui servent a justifier un objet trouvé
de Duchamp : « En tant qu'objet, sa valeur est exac­
tement égale él son prix dans la quincaillerie. En tant
que symbole, elle est unique, done théoriquement
sans prix et iI est impossíble de la copier.» Mais la
s'arretent sans doute des ressemblances que Feito
est loin de rechercher. Sa peinture a lui est incorri­
gible, elle a perdu certaines illusions peut-etre, mais
elle n'est ni froide ni détachée ; elle attend toujours
et réalise souvent ce miracle : une certaine commu­
nication. 11 ne s'agit pas de retourner dans les bois
(quels bois ?), ou de nier un monde technologique
par lequel on est modelé chaque jour et dont on goOte
pleinement les avantages. 11 s'agit de savoir si I'on
veut y réagir, y répondre. 11 parait que c'est un luxe
qu'on ne peut plus se permettre qu'en Europe. L'Eu­
rope a-t-elle un tel retard technologique ? Ou se ser­
vira-t-elle de la technologie pour défendre les valeurs
auxquelles elle tient? Elle se priverait alors d'un
vertige bien américain, celui de la fuite en avant,
celui de précipiter un mouvement de «dépersonna­
lisation » dont on déclare du bout des levres qu'on
le craint.
Je ne voudrais pas faire de I'ceuvre de Feito un dra­
peau, une sorte de défense et illustration d'un genre,
" la peinture abstraite », dont toutes les productions,
a mes yeux, sont tres loin de I'égaler, dont tres peu
meme partagent ses caractéristiques. Je voudrais
seulement qu'on jette un regard sur «cette autre
réalité qu'elle propase" et que, de retour au quoti­
dien, on essaie de comprendre ce qui a bien pu
changer.
Marc Albert-Levin.
l
no more embers, no more Iíght, no more níght, but
instead the brutal burst 01 vulgar, acid yellow. One
could stíl/ speak 01 the sand in the arena and the
pomp 01 the corrida. And Irom destruction to des­
truction, Irom sacrilege to sacrílege, in systematically
using obnoxíous colors, pinks, greens, complements
which destroy one another, he finally arrived at these
paintings which some will insist on calling beautilul
wíthout knowing exactly why.
There is a debate as old painting itseft concern­
ing the realism 01 a work 01 art. The discussion has
been recently revived with a renewed vigor. It was
not question 01 content, al knowing how much 01
the reality was symbolically represented in a work
01 art, but it was on the contrary, a question 01 the
more or less radical manner a painting possesses of
only relating to itself, to some few square inches of
real can vas and oil pigment. One intends to break
with the "illusionistic" aspect of painting (an iIIusion
based upon a certaín number 01 conventions and
which assumes that a certaín mode 01 reading is
known) to attain the indisputable evidence 01 any
real phenomenon. Whether he wishes it or not, I
think Feito's work lalls into this realm. Looking at
one 01 his paintings, one can't dream of the sea or
little birds, and there is no need lor what Harold
Rosenberg calls "the hypothesis that some corners
of green earth and a real moon exist behind the
communications network". One fínds oneself con­
fronting an object that is altogether artificial and
useless, as for example Oldenburg's Kapok toi/et
bowl. It would be tempting to use the same words
which justify an object chosen by Duchamp "taken
as an object, its value is exactly equal to ¡ts price
in a hardware store. Take as a symbol, ít is unique;
therefore, in theory it becomes priceless and is thus
impossible to imitate". But this is where the resem­
blences, which Feito himself is lar Irom seeking, stop.
To him, his painting is incorrigible, it has perhaps
lost some "i/lusions" but ít is neither cold nor
detached, it always expects and often crea tes some­
thing miraculous: a certain communication... It's not
a matter of going back to the woods (what woods?),
or to negate a technological world which kneads us
each da y, and whose advantages we lully taste. It's
a matter 01 knowing if one wants to react and respond
to it. Jt seems that only in Europe one can permit
oneseft such a luxury. Does Europe really lag so
far behind technologically? Or does she use techno­
logy to defend the values to which she adheres?
Anyway she deprives herself of a typically American
giddiness, that 01 the flight beforehand, precipitating
the "depersonalízation" while pretending to analyze
it. I don't want to make Feito's work appear like
an exemplary banner, a kind of "defense and iIIus­
tration" 01 abstract art in general when very few
abstract works, to my way of thinking, embody the
same characteristics, or are even comparable.
I would !ust like to have you look at this other
reality that it offers, and that in returning to the daily
routine, you try to understand what has been affected
and perhaps changed.
Marc Albert-Levin.
s
 NOTE BIOGRAPHIQUE
1929 Nait le 31 octobre, a Madrid.
1954 Obtient le diplóme de professeur de dessin a rEcole de San
Fernando, Madrid.
Obtient une bourse du ministere de l'Education Nationale
d'Espagne et du Gouvernement franc¡:ais.
Est pris la méme année sous contrat d'exclusivité par la
Galerie Arnaud, a Paris.

EXPOSITIONS PARTICULIERES
1954 Galerie Bucholz, Madrid.
1954-55 Galerie Fernando Fe, Madrid.
1955 Tiempo Nuevo, Madrid.
Galerie Arnaud, Paris.
1956 Galerie Grange, Lyon.
1957 Galerie Arnaud, Paris.
1958 Galerie Arnaud, Paris.
1959 Galerie Arnaud, Paris.
Galerie Apollinaire, Milan.
1960 Galerie Grace Borgenicht, New York.
Galerie Arnaud, Paris.
Salle personnelle a la XXX" Biennale de Venise, dans le
pavillon espagnol.
Galerie Lorenzelli, Bergamo.
1961 Exposition rétrospective, peintures de 1953 11 1961. Galerie
Arnaud, París.
Salle personnelle 11 la LXVI' Exposition des artístes finlan­
dais, organísée par Suomen Taíteiliaseura, Helsínki, Finlande.
1962 Tokyo Gallery, Tokyo.
Galerie Handschin, Bale.
Kunstnernes Kunsthandel, Copenhague.
1963 Galerie Argos, Nantes.
Ateneo de Madrid.
World House Gallery.
Galerie Camille Hébert, Montréal.
Galeríe René Métras, Barcelone.
1964 Gordon Woodside Gallery, Seattle, U.S.A.
Exposítion rétrospective au Mu~ée de Hambourg.
Galerie Arnaud, Paris.
1965 Musée de Tacoma (Wash.), U.S.A.
Gordon Woodside Gallery, San Francisco.
Galerie Arnaud, Paris.
1966 Galerie Arnaud, Paris.
Galerie Grises, Bilbao.
La Chaux-de-Fonds, Suisse.
1967 Gordon Woodside Gallery, Seattle.
1968 APIAW, Liege (Belgique).
Exposition rétrospective: 1953-1965, Musée de Verviers
(Belgique) .
Galerie Arnaud, Paris.
Biennale de Venise (salle personnelle dans le pavillon
espagnol).
Galerie Lorenzelli, Bergamo (Italie).
Musée d'Art Contemporain, Montréal.
1969 Musée du Ouébec, Ouébec.

SALONS ET EXPOSITIONS DE GROUPE

1955 Galerie Fernando Fe, Madrid - «Abstraits », La Havane ­ 1953 - pel
«Der Kreis », Vienne - «Divergences 3 », Galerie Arnaud,
Paris - «Réhabilitation de la gouache », Galerie Arnaud,
París - Kunsthalle, Mannheim - Saint-Sébastien, Saragosse
et Séville.
1956 Musée d'Amiens - Geneve - « Peinture espagnole du XX' sie­
ele », Londres - « Permanence de l'art », Musée de Picardie,
Amiens - Musée des Beaux-Arts, La Havane - «Diver­
gences 4 », Galerie Arnaud, Paris - Stedelijk Museum, Schie­
dam Stedelijk Museum, Amsterdam - « Réalités Nouvelles » •
Biennale Hispano-Américaine . Biennale d'Art Méditerranéen,
Le Caire, Athenes.
1957 «Pentagone », Galerie Arnaud, París . «Cinquante ans de
peinture abstraite », Galerie Creuze, París - «Otro Arte »,
Madrid - «New talents in Europe », Université d'Alabama •
« Analogies », Galerie Arnaud, Paris - «Divergences 5 »,
Galeríe Arnaud, Paris - «Réalités Nouvelles» • «Comparai­
sons » - Biennale de Sao Paulo - X' Prix Lissone, Lissone,
Italie.

6
 1958 « Festival d'Art d'avant-garde », Nantes, France - « El Paso »,
Madrid - «Divergenees 6 », Galeríe Arnaud, Paris - Galerie
Grange, Lyon • «6 painters from París », Howard Wise
Gallery, Cleveland - Zanesville Museum, Cincinnati Museum,
Michigan Museum . Danks-Franks Kunst, Copenhague . «Art
du XX· sj(~cle », Musée de Charleroí - Gouaches, Galeríe
Palette, Zurich - « Néo-Ecole de París », Tokyo - «Réalítés
Nouvelles» - « Comparaisons» - XXIX' Bíennale de Veníse.
1959 « Jeune peinture espagnole », Musée de Río de ¡aneíro, Lis­
bonne «El Paso », Galeria Gaspar, Bareelone - Tooth
Gallery, Londres - Galería Silo, Madrid - «La peinture
actuelle », Galerie Arnaud, Paris - «Jeune peinture fran­
C;aise ", Danemark - « 13 peintres espagnols », Musée des Arts
déeoratífs, Paris - Musées de Fríbourg, Bale el Munich ­
« Comparaisons » Ire Biennale de Paris . Documenta Il,
Kassel. Allemagne - XI' Prix Lissone, Lissone, Italie.
1960 «Young Spanish Painting », Museum of Modern Art, New
York, Washington, Columbus, Coral Gables, San Antonio,
Chicago, New Orleans, Toronto, Manehester - «Divergen­
ces 7 », Musées de Verviers, Liege, Anvers . «New Spanish
Painting », Galerie Tooth, Londres - «Euro-Kunst », Copen­
hague - « Antagonismes », Musée des Arts décoratifs, París -
Biennale de Venise - Ecole de Paris, Galerie Charpentier,
Paris.
1961 «Lauréats de la Ir. Biennale de Paris ». Galerie Lacloehe,
París - «Peinture espagnole », Musées royaux de Belgique,
Bruxelles - Exposition itinérante a travers les Etats-Unis,
organisée par le Museum of Modern Art de New York ­
«Lauréats de la XXX' Biennale de Venise », World House
Gallery, New York· XII· Prix Lissone, Lissone, Italíe (hors
eoneours) . Prix Carnegie, Pittsburgh.
1962 Peinture espagnole a la Tate Gallery, Londres - Carnegie
Institute, Pittsburgh - Peínture espagnole a la Galerie Tooth,
Londres - «Trente-six dessins contemporains », Galerie Jac­
ques Massol, Paris.
1963 Galerie Camille Hébert, Montréal - «Peintres de l'Ecole de
París », Gordon Woodside Gallery, Seattle «Donner a
voir », Galerie Creuze, Paris - «Arte de Hoy de America y
España », Madrid Peinture espagnole, Maison de la Culture,
Caen - Biennale de Sao Paulo - Salon d'Automne.
1964 Galerie Argos, Nantes - Nouvelle Galerie Handschín, Bale.
Príx Carnegíe, Pittsburgh - Salon d'Automne, París, Tokyo.
1965 Musée de Céret, Franee - «Promesses tenues », Musée Gal·
liera, Paris - Festival de I'U.N.E.F., a Marseille.
1966 Galeríe l'Atelier, Toulouse (France) - Salon d'Automne -
Galerie Lafayette, París - Galerie Pilotes, Lausanne.
1967 «Jazz et peinture », Musée Galliéra, París - «Jazz et pein­
ture », Antibes (Franee) - Fondation Maeght, « 1955-1965 ».
Vence (France) - Salon d'Automne, París - Salon d'Automne,
Tokyo - « Le Feu », Galerie Cimaise Bonaparte, Paris - Expo­
sition Galerie Arnaud a l'Institut Franc;ais de Cologne (Alle­
magne) - «23 peíntres de París », Tokyo - Bordeaux - Sal~n
d'Automne.
1968 « Grands et reunes », Paris - Maison de la Culture de Caen
(Franee) - Peíntres d'aujourd'hui en France, Prague.

PRIX
1956 Biennale de l'Art Méditerranéen, Le Caire, Athenes.
a
1959 Prix de l'U.M.A.M. la Biennale de París.
Príx Lissone, Lissone, ltalie.
1960 Príx David Bright a la Biennale de Venise.

MUSÉES ET COLLECTIONS PUBLIQUES

Musée d'Alexandrie - Musée de l'Ateneum. Helsinkí - Musées
royaux de Belgique - Galerie d'Art moderne, Rome - Musée des
Beaux-Arts, Montréal, Canada - Fondation Guggenheim, New
York - Musée de Houston, Texas - Albright Art Gallery, Buffalo,
U.S.A. - Museo de Arte Moderna, Rio de Janeíro - Musée Lissone,
Lissone, ltalie - Musée de Goteborg, Suede . Museo de Arte
Moderno, Paris - Art Gallery, Toronto - Musée d'Art eontempo­
rain, Montréal - Université d'Atlanta • Musée de SeattIe, U.S.A. -
Musée de Verviers, Belgique - Musée d'Art Moderne, New York·
Centre National d'Art Contemporain, Paris - Musée d'Art Moderne
de la Ville de Paris - Musée Cantini, Marseille - Chase Manhattan
Bank, New York - Musée d'Art Abstrait, Cuenca, Espagne • Musée
d'Art Moderne, Tokyo • Bridgestone Gallery, Tokyo . Musée d'Art
Moderne, Nagaoka (lapon).

a
1958
Pourquoi chaque toile de Feito retient-elle donc
si longtemps mon regard et mon esprit? Pourquoi
suis-je sensible a cette poésie Ol! le sens du concret
se mele a une philosophie fataliste ? Comment puis­
je y voir parfois, dans la nuit de I'espace surgir
d'étranges planetes enfin a la portée de I'homme?
Déja la flamme noire qui éclaire le regard de Feito
confere une impression de résolution presque fanati­
que a ce visage encore jeune qu'encadre une meche
sombre.
Le « comment» n'est pas le « pourquoi » mais ji y
conduit souvent le critique. J'examine avec un reil
inquisiteur les toiles qui depuis les dernieres années
ont marqué les étapes d'une affirmation rapide. En
1954, le dessin laísse encore percevoír I'ombre d'une
réalité immatéríelle et enserre comme un filet une
surface richement colorée. En 1955, le dessin devient
pur graphisme, se détache du fond, se trouve seul
suspendu « en I'air o>. En 1956, seules quelques lignes
droites, horizontales ou verticales, esquissent des
quadrilateres curieusement assemblés et tentent de
s'incorporer a la matiere de la toile.
Certaines de ces reuvres de Feito frólent un abime
Ol! les disciplines picturales, une rigueur fonction­
nelle ne parviennent pas a masquer la tristesse, le
mysticisme ascétíque qui semble la base de son ins­
piratíon.
Une telle démarche doit logiquement conduíre au
suicide ou a un renouvellement brutal. C'est cette
derniere solution qui le conduit a faire table rase de
tous les éléments parasites de son style.
11 abandonne tout dessin, se met a travailler anar­
chiquement la pate, a triturer la matiere en quete de
ses possibilités d'expression. 11 conserve de cette
péríode une série de toiles : blanche et brune, blan­
che et ocre, terre et empreintes sombres, grís et noír
quí I'ont laíssé profondément insatisfait.
Leurs imperfections plastiques n'empechent pas,
cependant, une émotion tres humaine et une trou­
blante anxiété de s'en dégager.
Un jour Feito ajouta une tache rouge, et ce fut
comme si Prométhée avait une foís de plus dérobé le
feu du cíel. Le tableau trouva a la foís la vie et I'étin­
celle qui I'embrase. C'est la une fa«on tres person­
nelle d'expliquer la breve visite du génie, cette rapide
prise de conscience de sa personnalité véritable, mais
chacun reconnaitra que c'est avec les toiles a tache
rouge que Feito a découvert sa personnalité et un
style original.
20
Georges
Why does each can vas of Feíto hold my
and my thought so long? Why am I so drawn
this poetry where the concrete idea blends with
fatalistíc philosophy? How is it that lean
times see in it strange planets issued from the
of space, coming finally wíthin man's reach?
A black flame líghts Feito's glance, gives
impression of an almost fanatic resolutíon to hís sfil/
youthful face, framed by dark locks.
" How" is not the same thing as "Why", but it
often leads the critic to an explanation. I examined
with an inquisitive eye, the canvases that marked
the stages of a rapid affirmation. In 1954, the drawing
still gives a hint of an immaterial reality, enclosing as
in a net a richly co/ored surface. In 1955, the drawing
became purely a graphíc treatment, coming forth from
the background, suspended a/one "in the air". In
1956, we find only a few straight horizontal or vertical
fines, sketching out curious/y grouped quadrilatera/s
that try to work themselves into the matter of the
canvas.
Some of these works tremble on the brink of the
abyss where pictorial discipline and a functional rec­
títude are not able to mask the melancholy and the
asee tic mystícísm that seem to be the basis of his
inspiration.
Su eh a procedure leads logically either to suicide
or a violent renewal. Happi/y, it was the latter solufion
that Feito took to clear away all the parasítical eJe­
ments of his style.
He abandoned all traces of drawing, and put himselt
to working his paint freely, trituratíng it in search 01
all of its possibilities for expression. He has kept
a series of canvases from this period: white and
brown, white and ocher, earth tones with dark
imprints, gray and black, all of which left him deepJy
unsatisfied. Their technical imperfections, however,
didn't prevent a very human kínd of emotion and a
dísturbing sort of anguish to emanate from them.
One day Feito added a touch of red, and it was
as if Prometheus had once again sto len fire from
heaven. The picture not only found its Jife, but a/so
the spark that set it ablaze. This is perhaps a very
personal way of explaining the brief visit of inspira­
fíon, the rapid insight into his true personalíty, but
everyone wiIJ admit that it ís with the canvases wíth
the touch of red that Feíto discovered his personality
and his original style.
Sa nature est affective, elle est ordonnancement et
durée. La lumiere picturale est le facteur de sensi~
bilité pure du tableau, qui en donne le ton et I'esprit.
e'est aussi I'essentiel facteur d'équilibre et de cohé~
rence de I'cauvre, celui qui enregistre les impulsions
de I'instinct tout comme les contrOles de la volonté.
La lumlere transcendantale et I'élan spirituel
La répartition de I'effet lumineux entre les épais~
seurs de pate et les espaces lisses, si elle donne a
I'cauvre sa tenue Iyrique et sa cohérence unitaire, ne
détruit pas pour autant les profondes résonances
affectives qui sous~tendent la définition dialectique de
I'espace.
La pate picturale évoque le présent, le tangible,
le cOté matériel de la réalité. Elle s'oppose, par sa
seule intervention, a la complete diffusion de la
lumiere dans le vide des zones lisses. Elle recherche
avidement ce bain de spiritualité qui lui donnera la
vie. Sans le contact, le heurt, ou la pénétration de la
lumiere elle ne peut échapper a I'immanent détermi~
nisme de l'lnerte, qui est sa Loí.
Allons plus loin encore: cette opposition tend a
figurer en un meme lieu le précaire équilibre, le dou~
loureux dilemme de la condition humaine. L'Etre est
situé a égale distance du Réel contingent et du Néant
infini, entre le Tout et le Rien.
Si I'on peut déja parler de grandeur a propos de
Luis Feito, c'est dans la mesure ou iI a su communi~
quer a son cauvre cette dimension spirituelle de l'ln­
connu, néant ou universo L'etre individuel y trouve la
gamme complete des états de réceptivité contempla~
tive au travers desquels íl se pressent lui~meme,
depuis la conscience de sa singularité jusqu'a I'an~
goisse de sa néantisation.
Dans ses contrastes et ses communications, I'cauvre
de Feíto témoigne toujours de cette ambivalence ou
s'affrontent tour a tour la sensualité et la mystique,
la matiere et I'esprit ; tel est le principal ressort de
cette ame castíllane, mélange terrien et mystíque
de réalisme et d'imagination, de simplicité et de
noblesse.
Le sceau de la grandeur Iyrlque
Je situe pour ma part cette aventure silencieuse
et secrete parmi les plus hauts sommets de la vie
intérieu re. Feito s'integre tout naturellement dans la
grande lignée des peintres de I'élan mystique. Bien
qu'il soit tres peu soucieux de son rayonnement per­
sonnel et qu'il dédaigne tous les actes d'extériorisa­
tion publicitaire, son cauvre faite pour défier le
temps parle pour lui. A travers I'intensité spiri­
tuelle et le pouvoir affectif qui en émanent, notre
époque reconnait des a présent le sceau d'une gran~
deur Iyrique trop oubliée, mais dont l'Espagne avait
gardé le nostalgique secret, l'Espa~ne de Ribera ou
du Gréco de TOlede, de Zurbaran ou de Navarette.
28
it is creation for order, and duration. Pictoríal
is the purely sensitive factor 01 a paintíng
sets the tone and the spirit 01 the work. It ís also
essential factor 01 equilibrium and coherence 01 th.
can vas, the factor that registers the impulses of Ih.
instinct as well as the controlling dictates 01 the will.
Transcendental Light and Spiritual Flight
A/though the distribution 01 luminous ettect
built-up texture and smooth spaces gives its IlntTRmln.
coherence and /yrica/ quality to the work of
such a divísion does not for all that destroy the deep
attective reverberations whích resound under Ihe
dia/ectícal defínitíon of the pictoría/ space.
The paint as such evokes the present, the tangible,
the material aspects of realíty. By its presence a/one
it opposes itself to the complete dittusion of light
into the emptiness ot the smooth areas. It avidly
seeks that plunge into spirituality that will give ít lite,
Without the contact or col/ísion with or the penetration
01 light it cannot escape the inherent determinísm 01
the Inert, which is its Law.
Let us go sti/l larther: that opposition tends at the
same time to embody the precarious equilibrium, the
painful di/emma of the human condition. The Being
is situated equidistant from the contíngent Real and
the infinite Nil, between the AII and the Nothing.
If it is already permissible to speak of grandeur
when speaking 01 Luis Feito, it is because of Ihe
degree to which he has known how to communicate
to his work that spiritual dimension of the Unknown,
be it Void or Universe. The individual being finds in
that expression the complete range 01 states 01 con­
templative receptivity through which he has a beginn­
ing comprehension 01 his own being, Irom the cons­
ciousness 01 this síngularity to the anguish 01 his
annihilatíon.
In its contrasts and its communíons, the works 01
Feito always bear witness to that ambivalence where,
one after the other, sensuality and mysticism, subs·
tance and spirit, meet, touch, and pass on. This is
the inner core of the Castilian soul 01 Feito, an earthy
and mystícal mixture or realísm and imagination, 01
simplícíty and nobilíty.
The Seal of Lyrical Grandeur
For my part, I would place this quiet and secretíve
adventure among the híghest peaks 01 internal life.
Feito integra tes himself most naturally into the great •
line 01 painters 01 mystícal elan. Although he is little
concerned with hís personal radiatíon and although
he dísdains al/ acts 01 publicízing, his works-created
to dely time-speak for him.
By the spíritual intensity and the affectíve power
that emanate Irom them, our time already recognízes
the mark of a Iyrical grandeur which has been too
much lorgotten, but of which Spain has kept the
nostalgic secret, the Spain 01 Ribera or El Greco, 01
Zurbaran or Navarrete.
 1960
C'est dans I'acte de peindre qu'est le drame de
la peinture - Feito s'explique Ia.-dessus - et non
dans de pseudo-intentions spirituelles suggérées
apres coup. La priere, c'est I'effacement du corps,
le monologue de rame et non la confidence de désirs
extorqués a. Dieu. Quelque vague pudeur ou quelque
respect humain nous empéche de définir précisément
le contenu spirituel d'une reuvre. On n'ose pas
- abus de confiance - et le peintre lui-méme
camoufle derriere les structures de sa toite des sen­
timents qu'iI estime trop intimes pour étre établis.
On joue alors avec des concepts difficiles a. analy­
ser. Sacré, mystique, ésotérique, tellement généraux
qu'ils ne portent guere a. conséquence. On craint pro­
bablement de connaftre leur contenu exact. Et si la
bombe était amorcée ? On se paye de mots graves
comme avec de la monnaie de singe. On sait bien que
la peinture est I'expression sensible de la vie inté­
rieure, de la joie sipirituelle a. saisir la lumiere, la
couleur et les formes mais on feint d'oublier le but
de cette aventure intime - Pour étre clair, je pense
aussi que I'on redoute de tomber dans I'impasse de
la peinture a. themes, pour spécialistes et pour tout
dire, confessionnelle, alors on biaise - je n'ai pas
interrogé Feito (iI ne m'aurait certainement rien dit
car chacun est libre de trouver ce qu'iI cherche) et
bien qu'jJ eut autrefois hésité a. entrer dans les ordres,
cela ne m'autorise pas a. I'épingler d'office au cata­
logue des peintres ... je n'ose plus dire sacrés, et reli­
gieux n'a pas grand sens. Car enfin, un peintre qui
prend avec le monde extérieur les plus belles libertés
et les transfigure au gré de ses ferveurs (quelles
qu'elles soient), qui accepte et nous fait percevoir
r certaines réalités cachées maís tres précises, non
irréelles mais surnature"es, ce peintre-Ia. n'est-iI pas
! un mystique ?
Lorsque les structures s'affirment, que s'impose la
matiere picturale, le dessin s'efface et disparait mais
en méme temps une nouvelle dualité s'établit entre
les fonds lisses et la matiere granuleuse sur la toite
jusqu'au moment ou son espace s'actualise et occupe
le premier plan. Alors Feito s'est trouvé et ce délicat,
ce timide, s'exprime avec violence sur de grandes
toiles a. la limite de ses dimensions physiques qu'iI
couvre, a. plat, comme dans une transe amoureuse.
Franc;ois Mathey
The drama of painting lies in the act 01 painting-as
Feíto has explained-and not in the mental pseudo­
intentions attributed after the fact. Prayer is the
withdrawal 01 the body, a monologue 01 the soul rather
than the confiding 01 desires to be wrought Irom God.
Some vague modesty or some lorm of human respect
prevents us Irom delining precisely the spiritual con­
tent 01 a paintíng. We do not dare-ít would be
abusing trust-and the painter himse/f camouflages
behind his canvas'e structures the leelings which he
deems too intimate to bring to /ight. We then play
with concepts which are difficult to ana/yze-sacred,
mystica/, esoteric-and so general that they're of no
consequence. We probably fear knowing their exact
meaning. And what il the bomb were fused? Serious
words are exchanged as il they were wooden coins.
It's well known that paínting is the sensitive expres­
sion 01 an internal Jife, 01 the spiritua/ loy which comes
from seizing Iight, color and forms, but we pretend to
forget the goal of the intimate adventure invo/ved.
More precisely, I think that we're apprehensive o,
lal/íng into the dead-end 01 thematic painting, paint­
ing lor specialists and, all considered, conlessional
painting. The end resu/t is that we become evasive.
I didn't question Feito (and he certainly wouldn't have
told me anything since each man is free to lind what
he's seeking) and though he once considered enter­
ing a monastic order, it doesn't grant me the right to
put him in the ranks 01... weIJ, I don't dare say the
ranks 01 the sacred painters, and the word religious
doesn't make much sense. But in the last analysis,
a painter who takes the most wonderlul /iberties with
the outside world and transforms it under the impulse
01 his earnestness, whatever it may be, who accepts
and shows us certain concea/ed but very precise
rea/ities which aren't unreal but supernatura/-isn't
such a painter a mystic?
The drawing disappears when the structures and
the pictoria/ matter come to the lore, but at the same
time a new dua/ity sets in between the slick back­
ground and the granular matter on the can vas until
the moment when his space becomes actual and
moves to the loreground. That's when Feito found
himsell and the polite, shy man violently expressed
himself on large canvases limited only by his own
size which, spread out flat on the floor, he covered
in a sort 01 an amorous trance.
 1964
«leí et maintenant ", e'est la devise des réalisa­
teurs engagés dans une action qui porte en elle la
justification du passé et les perspectives de I'avenir.
Luis Feito, naguere, a affirmé I'avoir adoptée et j'en
ai éprouvé quelque surpríse, car ce peintre m'a tou­
jours semblé posséder les signes caractériels de la
secondarité. Son ceuvre porte d'ailleurs les traces
visibles d'une interrogation, d'une angoisse, d'une
difficulté d'etre qui ne sont pas les traits habituels de
ceux que la seule minute présente, que le seul lieu
!,
'! actuel préoccupent. 11 faut plutot voir dans cette réfé­
11 rence au « Hic et Nunc » des esprits positifs, la mise
'1
i\ en condition de I'acte créateur tout entier, dans son
;1
ambigu'ité temporel/e. La sincérité, voire I'authenticité
morale, qui sont exigées aujourd'hui du peintre
abstrait, pour que ses toiles parviennent a se distin­
guer des infinies virtualités plastiques du non-figu­
ratit, le conduisent notamment a se couper de ses
formulations antérieures, a rechercher des renou­
vellements périodiques et, également, a ne rien vou­
loir prévoir de I'évolution future de son ceuvre. Le
peintre ne doit pas savoir ou il va et ne plus se sou­
venir d'ou il vient. 11 en est de cette succession d'im­
mobilités temporaires comme de la fleche de Zénon :
ji faut bien a la fin qu'elle tombe. Feito, lui, ne se
préoccupe pas de ce qui se passera apres ; il se veut
désir créateur en devenir, attaché a sécréter une
peinture qui échappe a I'ordonnance de la mémoire
et de la raison. Cette attitude volontairement modeste,
tout entiere soumise a la dictature imprévisible et
mystérieuse de I'ceuvre, répond sans doute a I'efface­
ment naturel de cet artiste qui hait le bruit et le monde,
répond courtoisement a coté des questions qu'on lui
pose, n'aime que modérément les voyages, fréquente
peu de gens et parait finalement assez peu saisis­
sable a ses amis eux-memes. Pourtant les ceuvres
déja nombreuses et tres affirmées de Feito appa­
raissent dans une impressionnante continuité et pro­
cedent davantage, malgré certains changements radi­
caux, d'une évolution progressive que de volte-face
révolutionnaires.
Les problemes d'espace, le clair-obscur, le dualisme
plastique ont fait place a un nouveau parti chroma­
tique, ou des nappes de jaunes ou de vert crus entrent
en conflit avec I'habituelle tache de noir et I'unique
rosace de pate rouge. L'insolite, la dissonance volon­
taire, I'intensité crissante de cette nouvelle contron­
tation aboutit a un rapport de force, a une déflagra­
tion entre les couleurs intruses et les vestiges d'un
noir et d'un rouge aujourd'hui ramenés sur un seul
plan. L'art attachant, «impressionnant» de Feito,
dans le sens exact du terme, nous concerne bien
évidemment par d'autres séductions que celles de
simples moyens picturaux, des habituelles recettes
de la cuisine pigmentaire. Les présences sourdes, les
tendances secretes, les monstres amicaux qui habi­
tent le peintre se répandent dans chacune de ses
toiles (meme dans celles, éclatantes d'un dynamisme
vital, de sa période actuelle), en un combat convulsif
d'une pathétique et inquiétante puissance.
7$
Gerald Gassiot- Tala
H Here and now", that is the motto of those creators
engaged in an action which carries within itselt the
justification ot the past and the perspectives lor the
future. Luis Feito, once upon a time, declared he had
adopted this motto, and I felt quite surprised, sinoe
this painter always seemed to me to possess the
visible traces of a questioning, an anguish, of a díffl­
cu/ty of being which are not the habitual traits 01
those whom the present moment and the present
place occupy completely. It is more logical to see,
in this reference to the "hic et nunc" of positive spi­
rUs, the conditioning of the creative act in its enUrety,
in its temporal ambiguity. Sincerity, or, in other
words, moral authenticity, as demanded today ot the
abstract painter, in order that his canvases come to
be distinguished from the infinite plastic virtualities
of the non-figurative, conduct him, notably, to
renounce earlier formulations, to seek periodical rene­
wal, equally, to relrain Irom in any way predicting the
luture evolution 01 his work. The painter is not supo
posed to know where he is going and not remember
where he came Irom. This succession 01 temporary
immobilíties is something like Zeno's arrow: in the
end the arrow must fal/. Feito, lor his part, does no!
think about what will happen afterwards; he claims
to be a creator in the process of becoming, secreting
a kind of painting which escapes trom the ordering 01
memory and reason. This voluntarily modest attitude,
entirely submitted to the unforeseeable and myste­
rious dictatorship of the work, is natural enough
considering the elfacement of this artist who hales
the noise and turbulence 01 daily living, replies cour­
teous/y to the ques!ions asked him, is only moderately
fond of travel, sees very few people and fínally seems
rather elusive even to his Iriends. And yet the already
numerous and highly-affírmed works 01 Feito appear
with an impressive continuity and proceed more from
a progressive evolution, in spite of certain radical
changes, than a revolutionary about-Iace.
The problems of place, of chiaroscuro, of plastic dua­
lism have given way before a new chromatic consí­
deration, where yellow or harsh green surfaces enter
into conflict with the usual spot of black and the
single rose of red impasto. The unusual, the volun­
tary dissonance, the crackling intensity of this new
conlrontation ends up in a display 01 lorce, a delia­
gration among the intruding co/ors and the vestiges
of black and red today brought back to a single plane.
The appea/ing art-"impressive" in the exact sense
01 the term-ol Feíto is of concern to us, evidently,
for other seductions than those 01 simple pictorial
means, the usual pigmentation recipes. The heavy
presences, the secret tendencies, the friendly mons­
ters which ínhabit painting, spill out upon each one
of his canvases (even those, brílliant in their vital
dynamism, 01 his current period), in the convu/sive
combat of a pathetic and disturbing power.
 1966
A ces deux procédés, I'emploi de la matiere, qui
joue en contrepoint avec de grands a-plats colorés,
et une gestualité contrólée, vient depuis peu de s'en
ajouter un troisieme: I'intégration de toiles entiere­
ment monochromes dont I'intensité optique pourrait
rivaliser avec celle des recherches géométriques les
plus dépouillées. Ces plans monochromes, en rap­
port géométrique avec la toile peinte, étaient peut­
etre annoncés par les fonds d'une seule couleur qu'on
trouvait dans la peinture de Feito depuis plusieurs
années. S'ils contribuent, comme ceux-ci, a créer un
certain espace, et non par exemple a s'organiser en
diptyques ou en triptyques de fa<;:on décorative, ils
acquierent une expressivité qui leur est propre, et
de subtils décalages de ton par rapport a la toile
jumelle créent une rupture qui rend plus dramatiques
encore les mouvements de la toile peinte. Ainsi Feito
combine-t-il de fa<;:on extremement personnelle cer­
taines des acquisitions majeures de la peinture non
figurative et les met au service d'une reuvre unique
dont la présence, la puissance de choc purement phy­
sique, me me lorsqu'elle ne rend son reuvre ni facile
ni agréable a regarder, ne peut manquer de frapper.
On a beaucoup parlé de la nécessité de peindre. 11
est pourtant bien peu d'artistes a ma connaissance
dont la vie illustre cette nécessité de fa<;:on plus
entiere et plus Iittérale que celle de Luis Feito. Mais
qu'est-ce au juste que cette nécessité ? La premiere
nécessité, pour lui, c'est celle de « s'exprimer ",
d'exprimer le monde, a la fois ce qu'il y apporte et ce
qu'il en retient; donner forme a ce qui n'en a pas
encore et sera comme le résumé, la condensation ou
I la dramatisation de son rapport avec le monde. C'est
I la nécessité de coller a ce qu'il ressent, a ce qu'il
est a un moment donné, et I'obligation de le dévoiler,
! quand bien meme le résultat de cette opération n'au­
rait rien de plaisant ni pour lui ni pour les autres. La
seconde nécessité est d'un tout autre ordre, elle cor­
respond a ce qu'on appelle parfois les lois de la
peinture, dont on a dit qu'elles échappaient au pein­
tre aussi bien que les lois de la physique au physi­
cien. C'est essentiellement un probleme technique,
celui de la communication sans laquelle ce que veut
exprimer le peintre ne pourrait dépasser le stade du
symptóme, du monologue ou de la folie. Meme si
elle ne se borne pas la, ce pourrait etre aussi la
nécessité de connaftre son métier et de s'en servir,
nécessité dont Feito, qui est diplómé des Beaux-Arts
de l'Académie de Madrid, parle souvent.
A la différence de certaines reuvres abstraites qui
cultivent les ambiguHés pour s'ouvrir aux mille et une
interprétations dont le spectateur voudra les enrichir,
celle de Feito est étonnament concrete. Loin d'étre
irréaliste, elle ne tire au contraire son plein sens que
de ce va-et-vient qui mene notre regard de la réalité
qui nous entoure (et dont a aucun mC'lT1ent nous ne
perdons conscience) a cette autre réalité qu'elle pro­
pose, pour revenir au quotidien qui, a son tour, s'en
trouve étrangement changé.
90
Marc Albert-Levin
To these two procedures-the use of matter in
counterpoint to great colored expanses and a con­
trolled action paínting-a third may be added: the
integration of entirely monochromatic canvases whose
optical intensity may rival with that of the purest
geometrics. These monochromatic surfaces, in geo­
metrical relafion to the painted canvas, were, perhaps,
announced by the single-colored backgrounds which
have been seen in Feito's paintings for the past
several years. If they contribute, as these do, to the
creation of a certain space, and not, for example, to
their self-organization in decorative diptychs or trip­
tychs, they achieve an expressiveness which ís theirs
alone and, through subtle gradations of tone with
relation to the twin canvas, create a rupture which
makes even more dramatic the movements of the
painted canvas. Thus, Feito combines in an extremely
personal fashion certain 01 the major acquisitíons 01
non-figurative painting and puts them at the service
of a uníque work, whose presence, power and purely
physical shock eflect even when it makes hís work
both dífficult and disagreeable, cannot lail to impress.
A lot has been said about the need to paint. There
are, however, but very lew artists whose lífe iIIustrates
this necessíty in a more literal and total lashion than
that of Luis Feito. But what, exactly, is this necessity?
The lirst need, for him, is to express, express himself,
express the wor/d-both what he bríngs to it and
retains of ít-and to gíve a form to that which is stil/
form/ess and which will be the resume, the condensa­
tion or the dramatization of his relationship with the
world. 1t is the need to lix what he feels, what he is,
at a given moment. 1t is his need to unveil what he
is, even though the result of this unveiling may revea/
nothíng that is pleasing for him or for others. The
second need is of an entírely different order: it corres­
ponds to what is sometimes known as the "Iaws of
painting", of which it is said that they are as unknown
to the paínter as the laws of physics to the physicíst.
It is essentially a technical problem, that of commu­
nication, wíthout which the thing the painter wishes
to express would never get beyond the symptom
stage, the stage of monologue or madness. Even íf
it is not confined to it, ít wou/d a/so be the need to
know his cralt and make use of it, a need often spoken
of by Feito, who has a Fine Arts diploma.
Differing from those abstract works which cultivate
ambiguity in order to open the way to a thousand and
one interpretations on the part of the spectator, that
ot Feito is astonishingly concrete. Far from being
unreal, it achieves, on the contrary, its ful/ meaning
only trom that sense of movement which attracts OUT
regard to the reality which surrounds us (and of which
we at no time lose consciousness) to that other Teality
whích it proposes, only to propel us back to that
everyday realíty which, in turn, we fínd strangely
'""" altered.