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Fiction et abstraction
Thiphaine Samoyault
Abstract
Fiction and Abstraction
Fiction is best taken pragmatically; nonetheless a formal trait, intertextuality, sign of an authorial choice of literary model, often
gives it away. In any case, fiction moves, like the other arts, towards abstraction; but concrete values such as duration,
possibilities, amplification stay proper to stories — which implies dynamic typologies if any.
Samoyault Thiphaine. Fiction et abstraction. In: Littérature, n°123, 2001. Roman Fiction. pp. 56-66;
doi : 10.3406/litt.2001.1720
http://www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_2001_num_123_3_1720
Fiction et abstraction
CQ 7. W.K. Wimsatt et Monroe Beardsley, «The Intentional Fallacy » [1946], dans Monroe Beardsley, The
OO Verbal Icon. Studies in the Meaning of Poetry, University of Kentucky Press, 1954.
8. Michael Baxandall, Formes de l'intention, sur l'explication historique des tableaux, Jacqueline Cham-
LITTÉRATURE bon- 199L
n° 123 - sept. 2001 9. Dans Littérature et théorie (intentionnalité, décontextualisation, communication), Champion, 1998.
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10. Henri Legrand, « Lettre à Jules Romains», publiée dans Cahiers Jules Romains, 6, Flammarion, 1985, 59
p. 350.
11. Giorgio Agamben, Quel che resta di Auschwitz, Varchivio e il testimone, Homo Sacer III, Bollati LITTÉRATURE
Boringhieri, 1998, p. 15. n° 123 -sept. 2001
ROMAN FICTION
OU 12. Arrivée de Lituanie en Italie dans les années trente, Zvi Kolitz mène dès 1940 en Palestine un combat
extrême au sein de l'Irgoun pour la création d'un État juif, qui lui vaut de se retrouver par deux fois dans
LITTÉRATURE 'es prisons britanniques. Mais pour des raisons tactiques, il a aussi terminé la guerre dans les rangs de l'ar-
n° 123 - sept. 2001 mée d'Angleterre.
FICTION ET ABSTRACTION
poétique qui, décidément, ne lui convient pas (même si, du coup, les
problèmes augmentent!). Ce n'est pas une ontologie restreinte, comme
la propose Genette dans L'Œuvre de l'art afin d'élargir la poétique 15 et
qui semble décalquée de la problématique qu'ont rencontrée les
philosophes analytiques américains — Comment rendre compte des objets
fictionnels? — , ontologie qui se double d'une pragmatique considérant,
à la suite de Searle et de Goodman, les actes de langage; mais il s'agit
d'une ontologie qui déplace précisément le roman hors de la poétique
(ou plus exactement qui ne permet plus de le saisir dans les termes de la
poétique), et une ontologie totale puisque le défaut qui caractérise le
roman n'est pas un défaut d'être mais précisément un défaut de généri-
cité. Cette ontologie est interrogation sur le monde et ses expériences-
limites, sur le temps et son expansion infinie.
Un principe conducteur me semble régir la forme du roman
jusqu'à sa réception, qui est à la fois au fondement de son mode et de son
action : la continuité. Il définit assez exactement l'ontologie de sa
forme informe, à tout le moins se constitue-t-il en rouage majeur de sa
logique. Si l'on veut faire reposer cet examen ontologique sur des
préceptes dynamiques, comme ceux d'augmentation ou d'accélération, la
continuité paraît essentielle en étant le moteur à la fois de la durée et
de l'illimité. L'itinéraire du commencement à la fin conduit alors
l'écrivain sur un chemin qui peut être celui décrit par Claude Simon
comme la voie ouverte par la cécité d' Orion, manière dont le xxe siècle
poursuit le trajet du roman vers l'art: « Parce qu'il est bien différent,
écrit-il dans Orion aveugle, du chemin que suit habituellement le
romancier et qui, partant d'un "commencement" aboutit à une "fin". Le
mien, il tourne et retourne sur lui-même, comme peut le faire un
voyageur égaré dans une forêt, revenant sur ses pas, repartant, trompé (ou
guidé?) par la ressemblance de certains lieux pourtant différents et
qu'il croit reconnaître... [...] Aussi ne peut-il avoir d'autre terme que
l'épuisement du voyageur explorant ce paysage inépuisable.» 16 La
continuité est ici soutenue par la possibilité du recommencement. Elle ne
se présente plus comme le dépli d'un monde infini mais mystérieux
dans ses replis (ce que l'on éprouve au plus haut point dans La Bataille
de Pharsale par exemple).
Un paradoxe travaille ainsi la notion de continuité, et c'est en cela
qu'elle est productive: elle peut à la fois signaler l'absence d'œuvre —
et se donner comme principe ontologique — et constituer l'horizon loin-
15. En s 'interrogeant sur les modes d'être de l'œuvre d'art, Gérard Genette place d'abord l'analyse du côté
de l'ontologie; la démarche est toute provisoire et ne réduit pas l'œuvre à son immanence. En s'interrogeant fJ\
ensuite sur les modes d'agir, Genette déplace la perspective ontologique du côté d'une perspective pragma- \)J
tique. Je ne considère pas pour ma part que des questions fonctionnelles (« À quoi ça sert?» ou « Comment
ça marche?») soient à exclure de l'ontologique LITTÉRATURE
16. Claude Simon, Orion aveugle, Skira, 1970, [p. 13-15]. n° 123 -sept. 2001
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17. Lorsque le modèle épistémologique majeur était l'organique (modèle visé par le classicisme: voirCan-
guilhem, Connaissance de la vie, Vrin, «Machine et organisme», 1992, p. 101-127), la continuité allait de
soi ; les passages de la partie au tout et du tout à la partie, considérés comme équivalents, ou tout simplement
métonymiques, ne posaient pas de problème. Avec l'abandon des systèmes universalistes, l'apparition, dans
64 les sciences, de notions telles que le fractal, la catastrophe ou le désordre, la crise de la représentation porte
aussi sur le refus du continu. Alors que ce refus provenait, chez Valéry, de ce que le continu était considéré
LITTÉRATURE comme la mort de l'œuvre, il procède désormais de l'impossibilité ou de difficultés épistémologiques po-
n° 123 - sept. 2001 sées au nom des singularités.
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et discontinu est ainsi étroit puisque, même dans ses formes les plus
extrêmes, il y une forme de continu que le discontinu recouvre,
mouvement du corps vers le sens qui ne rend pas forcément le continu
discontinu mais les fait exister l'un par l'autre en une relation consubstantielle.
Et c'est, fondamentalement, ce qui relie la continuité à l'inachevable
plus qu'à l'unité totalisée. On trouve peut-être le meilleur exemple de
cette hantise dans l'œuvre de Virgina Woolf. C'est Rhoda qui parle dans
The Waves: «II y a un frein dans le flot de mon être. Un courant
profond se tasse contre l'obstacle, il frappe par à-coups, il tire, un nœud
tout au centre résiste. Oh! c'est une douleur, cela, c'est l'angoisse. Je
faiblis. J'échoue. » Ici, le discontinu tente d'arrêter le continu, le
mouvement continu de l'être qui sombre, il est un obstacle mais il est aussi un
temps d'arrêt: voilà peut-être une des manières de caractériser le
discontinu, un temps d'arrêt sur le chemin qui conduit à la mort, la possibilité
d'une renaissance ou d'un recommencement, même s'il est en même
temps une suspension qui ressemble à la mort. Ainsi, me semble-t-il, la
continuité se saisit dans un cercle qui la fait être un principe de la forme,
puis la modalité du langage de la représentation et enfin l'être dans ce
langage qui à son tour donne forme. Mais il convient de marquer une
différence avec l'esthétique mélancolique. La forme du défaut de forme
comporte bien un deuil, s'établit sur des décombres, mais elle n'a pas
vocation à exprimer un désastre. Sans rendre le continu à la béatitude du
lié, à l'unité et à l'harmonie, il faut le rattacher plus exactement à
l'inclusion du temps, et du monde, dans le roman.
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