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· FINANCES ET FINANCIERS

DE L'ANCIEN RÉGIME

" "
OUVRAGES DE o1EAN BOUVIER

Le Krach de l'Union générale, 1878-1885, Presses Universitaires de


France, 1960.
Les RotlLschlld, Club français du Livre, 1960.
Le Crédll Lyonnais de 1868 d 188S; les années de formation d'une
banque de dép6ts, S.E.V.P.E.N., 13, rue du Four, • AUalres et gens
d'allalres f, 2 vol., 1961.

OUVRAGES DE M. HENRY GERMAIN-MARTIN

De la prétf'ndue talUite des lois économiqllU depuis 1914, ParIs, 1925.


Réglementation de fe:llportation des capitaU:ll, Paris, 1926.'
Cours d'histoire et d'organisation des banques, Centre d'Etudes supé-
rieures de Banque, 1948.
COur8 de documentation el de méthode écono,rniques, Centre d'Etudes
sUpWleures de Banque, 1951. .
La documentation des seruices d'études économiques dana les banque8,
Centre d'Etudes supérieures de Banque, 1963.
La banque en France, ln Banking Systems, Columbia University
Press, New York, 1954.
Monnaie, ln Dicllonnaire des sciences économiques, Presses Univer-
sitaires de France, 1958.
« QUE SAIS-JE? »
LE POINT DES CONNAISSA..~CES ACTUELLES
N° 1109 ======
-=='

FINANtES ET FINANOERS
DE L'AN[IEN RÉGIME
par

Jean BÙUVIER
DodBur ès LeI/res
Aqrlg4 d. l'UmrersiU
DiNCletw d'UtIIfA A l'Éeolt Pratique du Bllulea É/tIIfA

et

Henry GERMAIN-MARTIN
Pro/_ /lU CmIre d'ÉItIIfA ~ à Ballqllf

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE


108, BotJLEVABD SAINT-GEBMAlN, PARIS

1964
D~POT L~GAL
1re édition 1er trimestre 1964
TOUS DROITS
de traduction, de reproduction et d'adaptation
réserVés pour tous pays
© 1964, Presses Universitaires de France

J
INTRODUCTION

1. - Ambigulté des mots. Ambigulté des fBits.


L'EncyClopédie méthodique, dans son édition de
1783, définit ainsi le mot Finance: « Ce terme s'en-
tend le plus ordinairement des deniers publics du
Roi et de l'Etat; il signifie cependant quelquefois
de l'argent monnayé. Ce banquier a bien de la
finance dans son coffre; les jeunes gens ne sont pas
beaucoup chargés de finance. On dit aussi un baril
de finance, pour dire un baril d'espèces monnayées. »
Dans le même ouvrage le «financier» est « l'homme
qui manie des finances, c'est-A-dire les deniers du
Roi. En général on donne ce nom A toute personne
connue pour être intéressée dans les fermes, régies,
entreprises ou affaires qui concernent les revenus
du Roi.· A cette définition, le peuple, on doit
entendre par ce mot le vulgaire de toute condition,
ajoute l'idée d'un homme enrichi et n'y voit guère
autre chose ».
Au tome II du Dictionnaire universel du Commerce
de Savary des Brûlons le verbe « financer» est défini :
«Fournir de l'argent comptant»; et quant au mot
« financier» : « Celui qui manie les finances du Roi.
On ledit dans le négoce pour signifier un homme
extrêmement à son aise, qui a fait une grande for-
tune. Il est riche comme un financier. »
La Bruyère dans ses Portraits a été féroce pour
les « traitants », nom « autrefois» donné, dira l'Ency-
clopédie méthodique à « tout homme qui, moyennant
une avance d'argent, se charge oit du recouvrement
J:l~un droit nouvellement établi, ou de la perception
6 FINANCES DE L'ANCIEN R~GIME

de ceux que l'on attribuoit à des offices de nouvelle


création ».
Mais les mots de « finance» et « financier Il ainsi
cernés sont bien antérieurs aux XVIIe et XVIIIe siècles.
En français médiéval « finance » se rapportait à
toute taxe payable périodiquement, aussi bien
qu'aux revenus en argent des princes et des villes.
Froissart écrit de l'Italien Dino Rapondi, courtier
favori des ducs de Bourgogne au xv e siècle : c( Par
lui, se p~uvent faire toutes finances. » Dès le
xv e siècle, les expressions d' «hommes de finance »,
« gens de finance », « financiers » s'appliquaient
indistinctement à la fois aux fonctionnaires respon-
sables des deniers publies, et aux gens d'affaires
de statut privé qui collaboraient étroitement avec
les précédents à l'entretien des recettes de l'Etat.
Ces « financiers» des xv e et XVIe siècles étaient dits
partitanti (c< partisans ») en Italie - le « parti» ou
partito représentant toute opération d'argent conclue
avec un prince - , hombres de negocios, asentistas
en Espagne - d'asiento, contrat de crédit passé
entre les financiers et le prince.
Ainsi les frontières ont été de tout temps indé-
cises et mouvantes qui permettraient de cerner
l'exacte signification des vieux mots de « finance »,
« finances Il, « financier Il. Ils demeurent entourés
d'un certain halo d'indétermination et d'ambiguité.
Ils pouvaient avoir, selon les circonstances et selon
les textes, soit un sens étroit et technique se rappor-
tant aux paiements et au numéraire; soit un sens
large et, en quelque sorte, « politique» quand ils
avaient trait à tout ce qui touchait à la marche de
l'Etat; mais, à partir de là, le sens des mots se
diluait et s'abâtardissait à nouveau : « financier li
en venait à être utilisé comme synonyme de riche
banquier ou négociant et était indifféremment
INTRODUCTION 7

employé, dans le langage courant du moins, à propos


d'opérations privée!! ou publiques.
. Or, il importe de distinguer, et surtout pour les
"iècles passés, le « financier Il du « banquier lI. Selon
un dictionnaire de la fin du XVIIIe siècle (1), Banque
signifie « commerce et trafic d'argent qu'on fait
.remettre de place en place, d'une ville à une autre,
par des lettres de change et par correspondance Il ;
et les « Banquiers sont des personnes qui font pro-
fession publique du commerce de la banque et du
change pour faire profiter leur argent, tant· dans
l'étendue du royaume que dans les pays étrangers».
Le banquier aide ainsi au négoce des marchandises
en réglant les paiements, et en faisant crédits et
transferts de place en place, de pays à pays. Négo-
éiant pour son compte en même temps qu'inter-
médiaire dans les paiements, trafiquant à la fois des
denrées, des marchandises, des monnaies d'or ou
d'argent et des lettres de change, le banquier ne
fait alors qu'affaires privées.
Mais qui ne voit précisément ici la source de cer-
taines ambiguttés de vocabulaire tout à l'heure
signalées? Le banquier, manieur d'espèces et de
créances, pourra devenir un « homme de finance Il
s'il met ses capacités d'intermédiaire, son crédit,
ses disponibilités et celles de ses amis et correspon-
dants, son habileté en affaires au service du Roi et
de l'Etat. Il passe, à ce stade, au rang de prêteur
et de fournisseur d'argent et de services pour le
compte du prince. De là, le pas est vite franchi
qui peut lui permettre de devenir une sorte de fonc-
tionnaire, si le prince donne pouvoir au banquier
de prélever pour son propre compte telle ou telle

(1) Claude-Joseph de F'El'lt'ÈRE. DfclfoMafre de droft el de pralfque.


BOUV. ~. t. lu 1779.
8 FINANCES DE L'ANCiEN RltGIME

ressource fiscale pour se rembourser lui·m~me des


avances qu'il a faites. Ainsi, selon les opérâtions
qu'il. entreprend, un homme d'affaires peut être"
successivement ou à la fois, « banquier» et « finan-
cier ». Il en alla effectivement de la sorte durant
des siècles, du XIIe auxvm e siècle. L'ambigutté
des mots de « financier» et « finance »tient ainsi
à un,certain état de fait. Le «financier» demeure un
homme à double face, tout à la fois entrepreneur
privé et collaborateur des affaires publiques.
On a pu même avancer l'opinion, non sans quelque
exagération cependant, qu'il n'y eut pas avant l'ère
des grands établissements de crédit - la fin du
XIXe siècle - de banquier proprement dit, seul
existant auparavant le « financier », homme qui J

n'a pas de rapports avec le public, qui ne dépend pas


de lui, mais du prince et des « Grands» ; instrument'
de l'appareil fiscal d'Etat, fournisseur du budget,
et non pas serviteur des besoins du commerce.
Ce qu'il ya de vrai dans ce point de vue, c'est que
le banquier des siècles passés, celui d'avant l'ère
de la « révolution industrielle », n'était effective~
ment pas en contact avec le public, au sens où nous
entendons ce mot aujourd'hui. Sa clientèle était
restreinte à des proches, des amis, des parents.
Les banques étaient des « maisons de banque » à
structure' et assise familiales, dont les ressources
provenaient de la fortune des promoteurs, de
quelques dépôts importants mais peu nombreux,
et dont les emplois se cantonnaient à quelques
opérations de grand négoce, d'industrie et de
finance (rapports avec l'Etat ou le prince) : opé-
rations peu nombreuses, mais grosses de profits
- ou de périls. Il n'empêche que ces banquiers
d'ancien type étaient loin d'être accaparés par
le seul service des « affaires d'Etat » et que, des
INTRODUCTION 9

changeurs du XJ8 siècle aux: « maisons » huguenotes


du xVIn8 , en passant par les grandes « compagnies»
d'hommes d'affaires italiens des XIve-XV 8 siècles
et par les entrepreneurs du XVI8 siècle (du type
des Fugger) ils ont effectivement aidé au dévelop- -
pement des forces de production, des échanges '
int,emationaux: et à l'établissement progressif du.
marché mondial.
Pour les temps contemporains, la querelle de
vocabulaire rebondit. Que peut bien être un finan-
cier aux: XIXe et xxe siècles ? Le ministre des
Fin"nces et les quelques grands maîtres des deniers
publics ? Les chefs des établissements bancaires
importants - lorsqu'ils se font les intermédiaires
entre l'Etat et les épargnants au moment du lance-
ment des emprunts publics? Ou lorsqu'ils sont en
contact direct avec le gouvemement pour lui fournir
d~s avances à court terme et lui permettre par
exemple, au cours du xxe siècle, de payer ses
fonctionnaires aux: fins de mois? Mais n'est-ce pas
un financier aussi que l'homme d'affaires - ce
peut être un banquier ou un grand industriel - qui
« lanceD une entreprise nouvelle, « finance» l'établis-
sement nouveau en organisant la constitution du
capital, puis son expansion ultérieure ? On connait
la distinction entre le crédit nécessaire à une entre-
prise pour aSS1U'er ses fournitures, ses règlements,
son « roulement » d'argent, et les moyens de finan-
cement qui lui permettront de se moderniser, de
s'équiper, de s'agrandir; dans cette perspective,
le crédit à court terme relève du domaine bancaire;
le crédit à long terme du domaine financier. D'où
la distinction actuellement classique des marchés
il monétaire D et « financier D.
D semble cependant que l'on ait intérêt à fixer
. certaines limites à l'emploi Ile mots dont le champ
10 FINANCES DE L'ANCIEN R.fGIME

d'application s'étend avec les modifications écono-


miques elles-mêmes. Les termes de financiers et
de finances demeurent profondément marqués par
leur emploi originel. Le sens « noble » de ces mots,
débarrassés de leur gangue, réduits à l'essentiel,
se rapporte toujours en dernière analyse amI opé-
rations de l'Etat. Il n'y a de vraies « finances»
que celles de la collectivité publique, et de véritable
« financier II que le collaborateur de l'Etat.
II. - Spécüicité des affaires de finances
Longtemps le financier, fonctionnaire à demeure
du prince, ou personne privée faisant des affaires
occasionnelles avec l'Etat, est demeuré dans une
position difficile. Le prêt à intérêt, prohibé par
l'Eglise, éta~t la matière première de la finance;
mais son industrie gardait quelque clandestinité
dans ses formes, puisqu'il s'agissait de tourner les
interdictions canoniques. Naturellement, le finan-
cier était un réprouvé par nature s'il était Israélite.
Chrétien, il ne pouvait pas sans risque pratiquer
ouvertement son métier; il demeurait en marge
de la loi ecclésiastique, du moins de la lettre de cette
loi. Il rusait et fraudait par raison professionnelle.
D'où le mutisme du financier sur lui-même. La
pénombre lui convenait~
Une autre circonstance est venue ajouter à
l'obscurité qui entoure toute opération de finance:
au « secret des affaires », arme de toujours dans la
concurrence, à la prudence raisonnée vis-à-vis de
l'attitude de l'Eglise, le « secret du prince lI, c'est-à-
dire celui de l'Etat, a additionné ses effets. Les
finances, pas plus que la diplomatie, n'ont jamais
été opérations dont on débat sur ]a place publique.
Mais J'absence de pub1icité des opérations, le
caractère « couvert » des démarches, les décisions
INTRODUCTION 11

plises en comité restreint entre le prince, ses


ministres et ses banquiers, l'éloignement du financier
du public, et la haine que ce dernier lui portait
souvent en· tant que collecteur d'impôt, tous ces
éléments d'une situation de fait pouvaient, selon
les temps, être favorables ou funestes aux gens
de finance. Leur martyrologe est long, si leurs
fortunes éclatantes ont défrayé les chroniques;
de 1315 à 1522, d'Enguerrand de Marigny à Sem-
blançay - c'est-à-dire de Louis le Hutin à Fran-
çois 1er - , sur douze administrateurs en chef des
finances du roi de France, hui,t ont péri de mort
violente, victimes du « bon plaisir Il du prince,
trois ont connu la proscription, l'exil, la prison,
un seul a pu tirer profit d'une retraite paisible.
A côté de ces illustres victimes de la « finance du
roi », on ne saurait oublier les séquestrations et
confiscations visant les Juifs ou les « Lombards »,
le supplice des Templiers, les « Chambres de Justice»
des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles à l'encontre des
« traitants », le procès et la mort lente de Nicolas
Fouquet... A la vérité, le métier de financier
n'acquiert quelque sécurité que dans la seconde
moitié du XVIIe siècle en Angleterre et au XVIIIe siècle
en France - encore faut-il omettre ici la triste
fin de certains « fermiers généraux » sous la Révo-
lution - époques où le pouvoir discrétionnaire
du prince n'est plus aussi absolu et où les bourgeoi-
sies, dans leur essor, limitent la liberté d'action
du roi. Epoques aussi où les ~apacités fiscales de
l'Etat sont bien au-dessus de celles des siècles du
Moyen Age, et où certains procédés extrêmes sont
abandonnés.
Que le métier de financier ait ainsi mêlé les plus
grands honneurs et les plus grands périls est
explicable. On flatte le financier quand on a besoin
i2 FINANCES DE L'ANCIEN RICGIME

de Jui, quand le Trésor du prince est aux abois. Le


t'inancier est,. à ces moments, celui qui a « ducrédif», .
plus de crédit que tout le monde; il avance immé-
diatement les sommes nécessaires;i1 se Jes procure
auprès de ses amis et met sa fortune à contribu:tion•.
Mais, en contrepartie, Jes intérêts qu'il réclame
sont considérables et la frontière deVient indécise
entre les avances qu'il fait, sa cassette personnelle,
et le Trésor. n attire alors aisément l'envie et la
dénonciation. On l'a loué comme sauveur de l'Etat.
On peut aussi bien le condamner comme vampire
des finances royales : les· deux ehoses sont vraies, ' ,
suecessivement et à la fois.
Quant à l'historien, s'il est mieux placé que )e
grand public pour être au fait de la finance et des
financiers, il s'en faut qu'il en sache autant sUr
ces sujets, encore aujourd'hui, que sur les actes des
chefs d'Etat. TI est aisément dépaysé - il le fut
longtemps du moins - devant les tec~ques finan..
cières. La finance a conservé pour lui d'autant plus
un certain caractère de mystère qu'il est fréquem-,
ment à court de docu.nientation sérieuse : en
France, les archives financières de J'Ancien Régime?
dès le début du XVIIIe siècle, ont subi d'irréparables
dégâts; rares aussi jusqu'ici sont les correspon-
dances d'affaires des siècles passés qui permettraient
de reconstituer des opérations continues; d'ailleurs
autrefois déjà - et de nos jours bien davantage ... -
de grands faits en matière d'opérations financières
n'ont fait robjet que de décisions orales. Dans ces
dernières decennies mê~e, où l'histoire économique
des siècles passés a fait des progrès' décisifs, les
historiens se sont plus intéressés à la « marchan-
dise D, c'est·à·dire aux techniques, aux courants,
aux lignes de force des 't<hanges marchands, qu'aux
. questions proprement financières. Le hasard,' a
INTRODUCTION 13

88D8 doute guidé leurs travaux: les correspondances


des marchands italiens du Moyen Age, les papiers
des Fugger ou des banquiers espagnols, flamands
et lyonnais du XVIe siècle, ceux des banquiers pro·
testants du XVIIIe siècle ont été des acquisitions
précieuses et, chemin faisant, on y voit bien se
_croiser le " change D et la « finance ». Mais l'étude
de cette dernière en elle-même est demeurée plus-
, esquissée que traitée, parce qu'elle présente enfin
_ un dernier type de difficulté spécifique. L'analyse
de la (1 finance D requiert l'obligation de mener
l'enquête, simultanément, sUr deux plans et seJon
deux perspectives différentes. D'un côté, ce qui
concerne les besoins du prince et son pouvoir, les
instruments politiques et fiscaux, la très lente et
très expérimentale construction de l'appareil d'Etat.
De l'autre, la formation non moins progressive
de la matière monétaire et des moyens de paiement,
l'apparition des « _marchands banquiers » et des
sociétés d'hommes d'affaires : la face privée des-
affairjlS financières, à côté de leur aspect public.
On retrouve ici l'ambiguné de la finance, qui
plonge à la fois dans le domaine d'Etat et les
affaires particulières, relève et de la Cour et de la
Ville, et se développe parallèlement à l'évolution
. des formes politiques, et des activités - et instm-
mente - économiques.
Justifions enfin les limites de notre propos. Si
les affaires de finance et les hommes qui s'y
rattachent paraissent avoir, à travers les époques"
des points communs, l'erreur serait cependant de
croire qu'iJ-s'agit là d'un thème uniforme, constant
à travers l'histoire, « de Babylone à WaIl Street »y
pour reprendre le titre de l'ouvrage récent de
A. Colling. Sans doute y a-t-il quelque permanence
des techniques et des procédés dans les affaires
14 FINANCES DE L'ANCIEN R2CIMB

d'argent : le crédit demeure le crédit; il n'y a pas-


avance d'argent, à quelque période que ce soit, sans
intérêt payé pour l'avance, sous une forme ou une
autre. Sans doute aussi l'appât du gain est-il un
mobile qui ne se trouve pas être le privilège d'une
époque ou d'un système économique. Mais au-delà
de rapprochements au demeurant superficiels,
mieux vaut être attentif à la spécificité des faits.
Le système des finances publiques, à telle ou telle
époque, est étroitement rattaché à,l'environnement
économique, aux structures sociales, à l'organisation
de l'Etat et aux formes politiques.
Le sujet de cet ouvrage est par conséquent limité
volontairement aUx affaires de finance d'une certaine
économie, d'une certaine société, d'un certain type
de gouvernement - auxquels les historiens ont
commodément donné le nom d'Ancien Régime.
Il y a évidente « unité du sujet » à concevoir
les .finances dans le cadre historique des XIIe-
XVIIIe siècles. Une économie à base agraire, une très
lente constitution - et fort inégale selon les zones
de l'Europe - des éléments de base du capitalisme
industriel ultérieur, un outillage monétaire demeuré
en permanence inférieur aux besoins; une société
toute pénétrée des structures - et des valeurs -
seigneuriales et féodales; des types d'Etat tendant
au style « monarchie absolue », mais d'un absolu-,
tisme singulièrement tempéré par l'état même de
l'économie et de la société : toutes ces circonstances
ne pouvaient fournir les bases que d'un mode spé-
cifique, déterminé, d'affaires de finance. Ce mode
disparaîtra précisément avec l'avènement des formes
modernes de la vie sociale, celles du capitalisme.
La fin dcs « fermiers généraux Il, de ce point de vue,
vaut un symbole. Après « 1789 », en France du moins,
le style ancien de la finance est mort à jamais.
CHAPITRE PREMIER

AU TEMPS DES cITÉs


ET DES ÉTATS EN FORMATION
(J([[e.~e siècle)

1. - Conditions générales de développement


des affaires de finance
La conjonction du réveil écol).omique de l'Eu-
rope - la « révolution commerciale » dcs XIe-
XIIIe siècles - et du progrès des formes poli-
tiques nouvelles - cités marchandes, principautés,
Etats - au cours du Moyen Age est à la base de
l'essor des affaires de finance. D'un côté: la matière
même de la finance, les métaux précieux, la monnaie
sous ses formes déj à développées et les procédés
de transferts et de règlements (numéraire d'or et
d'argent et lettres de change). De l'autre: le besoin
d'argent, la nécessité de le rassembler pour l'em-
ployer à la grandeur de constructions politiques
qui vont en s'étendant. Les traits fondamentaux
des affaires de finance à cette époque procèdent
bien, à la fois, de l'état du développement écono-
mique et de celui de l'organisation politique.
« Le régime financier d'un pays, a écrit G. Le-
febvre, par la nature des dépenses, le choix des
impôts, est étroitement solidaire de la constitution
politique et de l'état social» (1). L'historien parlait
des finances de la royauté française des XVIIe et
(1) Annalel, 1931, p. 112.
16 FINANCES DE L'ANCIEN R~GIME
/

xvme siècles, et voulait rappeler que la division


de la société en « ordres », basée sur les privilèges,
aussi bien que le caractère « absolu II de la monarchie
sont les éléments finalement explicatifs des inéga-·
lités fiscales du temps, du désordre et de l'ineffi-
cacité de la perception, du ga~pillage des revenus
de l'Etat. Mais si l'on se rapporte aux siècles anté-
rieurs où les formes politiques de l'Etat monar-
chique n'étaient qu'en gestation, où le pouvoir
du prince ne s'exerçait à l'origine que sur quelques
lieues carrées et où l'administration « centrale »
se confondait encore avec la domesticité de la « gens l)
princière, on conçoit encore mieux la faiblesse des
ressources découlant d'une telle situation. Les capa- .
cités financières du pouvoir et de l'administration
n'étaient pas à la mesure des ambitions et appétits
des dirigeants. Rivalités et luttes entre cités d'Italie,
« duel » chronique des monarchies anglaise et fran-
çaise, expéditions militaires des Croisades,· ambitions
angevines en Italie du Sud, li: Reconquista» de
l'Espagne sur les Maures ont alimenté pour la
plus grande part la faim d'argent des cités et des
royaumes. A quoi s'ajoutaient des dépenses plus
purement civiles d'administration et de Cour qui,
elles aussi, ne pouvaient que croître.
En face de tels besoins et en fonction d'un appareil
d'Etat encore embryonnaire que pouvaient fournir
les sujets ? Ceux-ci étaient des paysans, ou des pro..
priétaires fonciers nobles et ecclésiastiques. Dans les
royaumes en formation la richesse était essentiel..
lement foncière. Elle demeurait sous la stricte
dépendance des saisons et du sol. Quand, à force
de ruses et de contraintes, le roi aura subjugu6 la
noblesse féodale et établi Jes premiers et rudimen.·
taires impôts - fouages et aides -le rendement de
celix-ci ne demeura pas seulement fonction de l'effi-
AU TEMPS DES CIT~S 17

cacité ·administrative, mais d'abord de l'état des


récoltes. Au fond, les finances des sièCles d' « Ancien
Régime» Ont été celles d'Etats à base fondamentale-
ment agraire; elles demeureront telles, dans l'Eu-
rope occidentale, jusqu'au XVIne siècle. Les paysans
étant, en dernière analyse, ]a .seule matière impo-.
sable et imposée, c'est l'état de la production agri-
cole qui règle ]a capacité contributive: la faiblesse
et les irrégularités de l'une nourrissent là faiblesse
et le~ irrégularités de l'autre. On comprend mieux
cet état de fait si l'on songe à ce qu'étaie:p.t, encore
aUXIXe siècle, les finances de l'Empire ottoman ou
eelles d'Egypte et de Tunisie, qui peuvent servir
de point de comparaison.
La· contre-épreuve de cette situation ne serait-eUe
pas fournie d'ailleurs par le recrutement demeuré
longtemps étranger des financiers ? Et aussi par
l'origine non directement agricole de leurs disponi-
bilités ? Ce sont les cités marchandes, et d'abord
celles d'Italie, puis de Flandre, puis d'Allemagne
méridionale, qui assurent aux princes, dans tout le •
cours du Moyen Age, l'aide pécuniaire qu'ils
réclament continûment. Au « budget » dé« l'Etat »
- si l'on peut employer ces mots évoquant bien
plus la vie contemporaine que les siècles· du Moyen
Age ,...- leurs hommes d'affaires fournissent fina-
lement les fonds de roulement qu'une économie
statique, qu'une administration primitive ne sau-
raient alimenter avec régularité. Mais ces .apports .
d'argent frais, disponible, mobilisé avec une cer-
tairie rapidité, ont leur source dans le grand négoce
et l'industrie; cet argent n'est pas le fruit direct du
travail de la terre mais le produit d'un trafic auquel
on a donné le nom « d'international » - nom un
peu. forcé, puisque le grand négoce ne s'étendait
alors que de la Baltique aux côtes africaines et
J. BOUVIER ET H •. G.ERMAIN-MARTIN
FINANCES DE L"AN.f:fEN RÊGIME.

c;I~ Pl;>oche-Orient à L'A.ngœterre. A:u:x: :re8S0mree~.ainsi .


~bijjsées, dans. un sectelU! où les rapports de.~,
d:'U.~net d'échange de type. capitaliste se co.,.
tit~erQnt ~térieurement, les. hOIDnl6S dtaffàmres.
peuve~ ajoutel'·leurs. « services- », aU. sens actuel du
mop. Ils .ont acquis et MquièreDt de tnieux eD J:Q.ièux;.
du4all1;,MoyenAge à la .Renaissan()e~ les. tleclm.i1fues~
Gu, m,anÏement des métaux· et du. numéN.ire, ceJles,
de. leur· « change »; et de leur transfert. Ils ont mi!;I,
~ poim, p~' nécessité professionnelle aJ,l,tam qui'en
l1aison. (Je. la. faiblesse du: stock monétaire, &s: poo-,
cédt$s,llQUiVeaUX de paiement et de, crédit aitglementlSi
en· foÎ1'~ CQntrats et lettres. de change. I1s ont' encore- .
l'avantage d'avoir, en deI!!: villes choisies, dies fac~
t.eura, des commis. des représentants; ils ont' aussi
leurs, eourrie:œ~ et, en forçant un peu les, mots, .011<
pourrait parler des réseaux marchands du Moy.en.
Age, ~en, D.f). comparant. év.idemment. pas la densité;
et· Ir efficacité de. telles. liaisons •aY.ec les résealJ.X> han~.
ca.k.es,ou.d'infQrmatiQn. de notre temps •. Cet appareil;,
ces, procédés peuvent me mis au, service des, pnis.. <

BanCeS politiques- ...:.,.princes,. rois;. OUi papes. Rois,


d'Â:ngleterre et: de, France alm XlII,!:l e.t· XIV.e siècles.
necmteJ!ont ainsi de nombreux: (~ fonctionnaires ».
des, finances d'origine italienne. Âussi,. malgré, las,
poursuites: engagées·fr.équemment: oontre les (~·Lo:œ..,
bardu, malgréle.peu:d'estime do-nt:ilason'tentnurés.
dans les Cours~ finit~on,toujours par.,r.evenir,àicu:x;
et;, par· recourir, à lem aide, tant: que, le, dév.alop~.
pement; économique ({, national ) n'assure pas: au,
prin~e.l'appui de financiera, du cru : Jacques Cœur:
n~aurait. pas, pu. déwlopper ses· entreprises. dans; Ùt1
Fra:pce dü xn6 ,siècle. EtJes"rois.d'Angleterre attenr'
dront, la seconde moitié du. XVIe. siècle pou être.
à peu. près indépendants.dffJ financiers; itàliens QU,
allemands.
AU TSMPS DES CITÉS ' 19

, Certes, il est encore un autre mode de condition..


nement des atfaires de finance : l'interdiction de
l' CI usura lI, la malédictitm lancée depuis des siècles
par l'Eglise contre ceux qui font de l'argent avec
du temps, et n,OD par lem .propre trav~ pl'oductif~
'la condamnatlOD évangélique du « l1che lI. Mais
plus on a étudié l'attitude de l'Eglise face aux ttans~
formations économiques du Moyen Age, plus on s'est
aperçu que, dans les faits, les admonestations des
gens d'Eglise n'ont pu èttlpêcher le développement
du crédit, du co:mm.erce d'argent, du gain de spécula·
tion. La réalité des besoins économiques s'est fina..
lement imposée, et les casUistes ont eu tout
. loisir de multiplier exceptions et tempéraments
autour de l'interdiction de principe du prêt à intérêt;
L'Eglise elle-même, d'ailleurs, fut bien contrainte
de recourir directement - et souvent la première -
à des procédés qu'elle réprouvait en théorie; son
évolution la conduira jusqu'au trafic des « Indul-
gences » dont Luther séra horrifié. « Avec plus de
sou.plesse qu'à l'égard d'autres évolutions, écrit
J. Le Goff, l'Eglise, de la compromission ~vec la
féodalité, passa à la compromission avec le capita-
lisme» (1). Les gens d'affaires forent cependant obli..
gés de ruSer avec la lettre de l'interdit, de dissimuler
par exemple le prêt à intérêt dans le contrat de '
change, et de s'assnrer par une attitude religieuse
active, par une pratique effective de la charité,
le repos de leur conscience; Finalement, le grand
prêteur d'argent du Moyen Age ne règle pas ses
act:ivit& avec autant de liberté que le bourgeois
du XIX8 siècle.
Encore fallait-il que la matiêre premiêre des
affaires de fmanee - les métau précieux et les,
(1)' Marchands et banquiers du Magen Age (c Que sais-je? .).
- .. ',','

20 FINANCES DE L'ANCIEN RgGIME

moDDaies ....:... soit assurée dans sa production,dans"


18 fabrication et dans sa circulation. Sous des
poussées diverses - besoins du commerce lointain;
fiscalité pontificale et fiscalités princières et royales;
croissance des villes et des transactions ordinaires -
s'est effectué le passage du paiement en nature au
paiement en espèces : « Evénement capital » selon
Henri Hauser et qui, en France, se produisit par
degrés entre l'époque de Saint-Louis et- celle (le
Philippe VI de Valois - cijsons au XIIIe siècle. Mais
la production métallique et le ravitaillement en -.
« métaUx monétaires Il semblent bien être demeurés,
au cours du Moyen Age, en deçà d'une demande
qui allait grandissant avec les progrès' des échanges
et l'accroissement de puissance des organismes
politiques.
Le grand fait de l'histoire monétaire du. Moyen
Age est ce que l'on a appelé le « retour à l'or» à
partir. du XIIIe siècle, siècle des florins toscans et
des ducats vénitiens. Le bimétallisme n'en subsista
pas moins et le sous-sol e~opéen fut opiniâtrement
fouillé pour assurer le ravitaillement en métaux
précieux. TI n'empêche que les ~ et xve siècles
connurent la « faim d'or»; alors, par le commerce,
les négociants européens visèrent à drainer la
production d'or du Soudan et de Guinée : les
voyages portugais le Jong des cÔtes occidentales
. de l'Afrique précéderont, au xve siècle, les « grandes
découvertes ».
Naturellement le système monétaire une fois
réanimé par l'emploi simultané de l'or et de l'argen:t
tomba sous le coup des manipulations princières·
de la monnaie, des « remuements Il; mais MQrc
Bloch a bien montré que ces pratiques, en général
de type inflationniste, avaient pour origine fonda-
mentale la pénurie relative de métaux précieux.
AU TEMPS DES CIT~S

Quoi qu'il en soit, la matière première des affaires


de finance n'en existait pas moins à partir du
XIU e siècle. Techniques et instruments des paiements
privés venaient à point servir besoins et ambitions
des princes.
Encore ne conviendrait-il pas de moderniser à
l'excès les « découvertes techniques» du Moyen Age
en matière de négoce, de banque, de monnaie· et de
finance. Là aussi, il fallut souvent redécouvrir et
. ' réap.prendre certains moyens remontant aux Ara-
bes, à Byzance, voire à l'Antiquité elle-même. Les
procédés des calculs, par exemple, demeurèrent fort
longtemps primitifs: jusqu'à la fin du XVIIIe siècle
en France la comptabilité publique ne fut pas tenue
en chiffres arabes, mais en chiffres romains. Pour
établir les comptes, on utilisait des tables carrées,
divisées en cases, sur lesquelles on disposait des
jetons; tel était d'ailleurs « l'échiquier» anglais du
XIIIe siècle, dont le nom subsiste encore de nos jours
à l'ens~igne du ministère des Finances britanirique.

II. - L'ère des « Lombards »


A la base de la finance: la banque ; à l'origine de
la banque: la « marchandise D. TI n'est pas question
de refaire ici l'analyse de la « révolution commer-
ciale D, avec ses deux pôles de forces, l'Italie et la
Flandre, ni la description du métier de marchand
et de banquier. Le fait dominant, c'est la prépon-
dérance ita1ienne, qui se poursuivra jusqu'au
XVIIe siècle dans les échanges « internationaux »
du temps, prépondérance des cités et des hommes
d'affaires de la péninsule. C'est en Italie que naissent
les premières formes du capitalisme commercial :
l'association, le groupement des capitaux, leur di-
vision en « parts D; l'assurance des risques du
,', ~' ,'. . i
(.

22 FINANCES ·DE L'ANCIEN RllGIME

. eo:âmi.erce maritime; l'apparition des valeurs - ~e _ i'

l'on nommera bien plus tard « mobilières » - avec, '.


1~' déveJoppement des dettes municipales· 'dont' le~' .
.titres deviendront négociables, à l'égal des « parts »
de certaines grandes entreprises; le dép&t d'argent
en banque - donc le règlement (oral d'abord) par
« compte courant », et le crédit bancaire; la compta-
bilité rat;ionnelle des entreprises, avec le système .
«.à parties doubles.»'; les. techniques des changes
monétaires et des paiements et· crédits lointains,
grâce au contrat de change puis à la lettre dè ,
change; enfin la mise en place des «réseaux Dmar~
chands, sur les foires « internationales D, dans les
ports, dans les villes-capitales. Naturellement tous·
ces procédés nouveaux se sont développés" très
~mpiriquement, par étapes et degrés, et toutes les
cités ou régions ne marchent pas au .même rythme.
n faüt attendre les XIVe et xve siècles pour les voir
fonctionner dans leur ensemble d'une manière régu-
lière. n demeure, d'autre part, dans le monde de la
marchandise et de la banque des couches diverSes,
une certaii:te spécialisation des fonctions - du moins
dans certains centres, comme Bruges - et des
'degrés' dans le rayonnement géographique, la ri-
chesse, ,l'activité. n existe une sorte de plèbe des
« Lombards li qui confine aux prêteurs sur gages;
alors qu'à l'inverse, les couches élevées des « mar-
chands-banquiers D, des « cambistes lI, des « hommes
d'affaires» finiront par former des compagnies assez
stables, à base familiale, et trafiquant de tout aUx
lieux de rencontre européens des marchandises, des
monnaies, et des affaires : là se fixeront les grandes
puissances financières du Moyen Age.
A) La question des Templiers•.- Hégémonie de
fait. de la banque italienne, par conséquent, à sou-
AU TEMPS DES CITSS 23

ligner dès l'abord. Mais l'irritante questio~des


Templiers subsiste. Irritante paree que, faute d'une
documentation suffisante, les historiens de cet
illustre ordre religieux, devenu pllÏssance finaneière
aux xne et XIIIe siècles, ont eu peut-être tendance
à forcer les traits de leur modèle; on a voulu parfois
les faire plus avancés que les Italiens en matière
. d'opérations de hanque, de technique comptable
et de paiements. Léopold DeHsle a. sans doùte
. raison d'être prudent: {( Précurseur.sou émules des
sociétés italiennes )J, écrit-il d'eux. Ils sont en tous
les cas le seul groupement dont le Tôle financier
puisse être comparé à celui des plus grandes (( compa-
gnies » italiennes. On devine bien les raisons de
leur puissance : les richesses rassemblées, l'ubiquité
~ on compterait dans les 8 000 A 9 000 comman-
deries de l'Ordre au temps de sa splendeur à la
fin du xme siècle - le caractère inviolable de
leurs édifices, la foree militaii-e, l'indépendance
vis-A-vis du pouvoir politique. D'où les services
rendus aux puissants: grands seigneurs, rois, papes.
Tout en conservant son indépendance, l'Ordre finit
par former une véritable administration chevau-
chant les frontières politiques. TI recueille des
sommes d'argent mises en dépôt et des ohjets
précieux; le trésor des rois de France au cours
du XIIe siècle est enfermé au Temple de Paris;
en 1261, le roi d'Angleterre, menacé par une révolte
de ses harons, vie:nt là déposer les joyaux de sa cou-
ronne. L'Ordre est chargé par les papes, parallèle-
ment aux Hospitaliers, d'envoyer des fonds en
Terre Sainte; il avait la garde et le maniement
d'une partie des subsides levés dans la chrétienté
par Rome. Les opérations de prêts, d'avances, de
cautions, n'étaient non plus pas rares: avances à
Louis VII au moment de la deuxième croisade,
; ;.
24 \ FINANCES DE L'ANCIEN ~~GIME:

A Jean sans Peur, à des monastères (tel Cluny


~ 1216), à Baudoin II, empereur de Constantinople,'
qui, vers 1240, eng~ge la « vraie c.roix » comme
garantie d'une somme d'argent empruntée par lui,
aux Templiers de Syrie. L'aspect le plus'« moderne»
de 'leurs opérations apparait s~ns doute' le, mieux,
dans les transports de fonds et les paiements à
4Ïstance; c'est par leur :intermédiaire qUe Suger
envoie de l'argent à Louis VI:l en Palestine, que
Jean sans Terre fait encaissements et. versements
entre l'Angleterre et la France. Mais·ils ne rendent
de tels services que parce que l'organisation des
échanges est encore imparfaite. Dans la France du
milieu du XIIIe siècle, « les méthodes de maniement
d~s fonds sont encore très primitives; la compta-
bilité insuffisante pour permettre les virements de
compte à compte; la lettre de change est inconnue:
Pour transférer les valeurs en évitant le déplacement
de numéraire, le moyen le plus efficace est d'utiliser
les maisons du Temple» (G. Duby) (1). On connàit
enfin le rôle de financiers du Trésor que les Tem-
pliers ont joué en particulier auprès des rois de
France pendant tout le XIIIe siècle, jusqu'au joUr
où Philippe le Bel décidera de la rupture, de la
condamnation et de la confiscation (1307-1314).
Mais avant d'être sacrifiés par le débiteur royal,'
les Te~pliers, en France, ont collaboré' avec les
b~sàl'administration des impôts, encaissé les
produits de certaines levées, acquitté des pensions
et des gages, avancé de l'argent à des barons, rem-
boursé des sommes prêtées à la Cour. par des Lom-
bards .~ le tout au nom. du roi. Il est possible que
la' condamnation des Templiers, à laquelle on peut
assigner' à bon droit diverses raisons, revête finale-
t. ~) 'G. DUBY ~t R. MANDJlov. Histoire de la cil1iliBation'/rançaiBe;
AU TEMPS DES CIT,gS' 2S

'~ent .Ie sens suivant : ils disparaissent quand la


. : . monarchie française se sent assez forte, adminis-
- trativement et .politiquement, .et quand l'Etat royal
se croit capable de se passer de léurs encombrants
services et de s'approprier leurs biens.

B) Les banquiers italiens et les finances pontifi-


cales. - Les finances pontificales, avant même
celles .,.des Etats en formation, sans doute, ont été
les premiers pourvoyeurs des grandes opérations
cc internationales ». L'Eglise romaine fut le premier
Etat A mettre sur pied une armature d'impÔts;
les papes du XIIIe siècle 'la renforcèrent en raison
de leurs luttes contre le pouvoir impérial; ceux du
XIVe siècle, en Avignon - de 1305 A 1377 - conti-
nuèrent d'autant plus les traditions de fiscalité
établi~s par leurs prédécesseurs que la crise écono-
mique et la pénurie monétaire du XIVe siècle ren-
daient plus difficiles les .prélèvements d'argent sur
le clergé - donc sur les fidèles. Les banquiers ita-
liens au service de la Papauté ne furent pas tant les
collècteurs directs des innombrables levées ponti-
ficales - réserves, expectatives, annates, dépouilles,
décimes, subsides pour Croisades, denier de Saint-
Pierre, droits de Chancellerie, revenus domaniaux -
que les techniciens chargés de les centraliser, de
les administrer et d'en virer les soldes A la Chambre
apostolique, l'organisme financier de la Curie.
Comme l'a écrit M. Le Bras: « Les grandes opé-
rations de la Papauté favorisaient, malgré les doc-
trines canoniques, le commerce de l'argent» (1).
L'Eglise prêta son « concours Ala naissance du capi-
talisme modeme » (1). Mais c'est que « tout grand

(1) Compte rendu de la thèse deM. RENOUARD (Rel1ue historique


de tIroit françaÙl et étranger, 1945).
FINANCES DE L'ANCiEN Rltt:IME

.·.dessein suppose une alliance ·opportune. de l'Eg~


·et· de la Finance» (1). .'
. « Aucun prince, dit M.. Renouard dans 'sa thèse,
ne joue sur un tel clavierintemational '» que le
SouYerain Pontife du XIVe siècle, celui d'Avignon;.
, auquel les expéditions d'Italie, la construction des
palais et l'entretien d'une Cour prodigue co'iÎtent
très cher, en un siècle de pénurie. Les fonds étaient
drainés depuis la Scandinavie, l'Ecosse, le Portugal,
Chypre. C'était précisément l'étendue, la distance,
qui rendai~nt obligatoiresles.services des banquiers.
Sans doute avant que les grandes « compagnies .»
italiennes n'interviènnent dans les circuits ecclé-
siastiques de l'argent - au XIIIe siècle ---les Papes
avaient-ils utilisé monastères et ordres religieux,
et d'abord les Templiers, comme « banquiers ».
MaiS' la disparition de ces demiers, au début du \.
x:rve siècle, augmente le rôle des intermédiaires
«'lombards ». Depuis longtemps certains marchands
italiens avaient mis leurs connaissances ·techniqUes
aU. service de Rome ; le Siennois Angelerio avait
été l'un des plus anciens trésoriers de Grégoire IX.
Au XIVe siècle les intermédiaires fiilanciers de
la Curie son~ surtout des Toscans: gens de Florence, .
Lucques, Sienne, Pistoie. Ds exécutent pour le
compte de la Curie trois types d'opérations ban-
caires : transferts de fonds de place à place; garde
de dépÔts; prêts et avances. Ce que faisaient somme
toute, concurremment à eux, les Templiers. Mais
M. Renouard a clairement montré combien, mieux
que les llloines-financiers, les compagnies italiennes
se trouvaient en position favorable pour les trans-
ferts de fonds de place à place sans mouvement
d'espèces. Les compagnies florentines avaient besoin
(1) Compte rendu de la thèse de M. RBNo"OAlUJ (.ReIiue llstorique
de droit tr~1s et étran(/el', 11145). . . .. .
AU TEMPS DES CITlts 27

'd'eèp~el'l à .Londres, à Bl'l1ges, à Chypre, où elles


'. étaient en position d'acheteurs de marchandises
. (laines, draps semi-travaillés,. produits d'Orient).
Par contre, elles disposaient de fonds en monnaies
à J»aris, Avignon, Florence, où .elles se trouvaient
"vendeurs de. ces marchandises. Situation inverse
pour la Papauté, qui avait à encaisser des revenus
dim,s toute la chrétienté, mais ~e faisait de grandes
dépenses qu'à Avignon et en Italie; dans ces condi-
.; tions presque idéales les transferts de fonds étaient
, facHes ; des virements à base « régionale » permet-
taient aux deux parties de satisfaire leurs besoins
réciproques d'argent liquide. Les deux systèmes
étaient complémentaires •
.Mais les Toscans, banquiers des papes, étaient
aussi leurs fournisseurs de produits divers - dont
les. riches étoffes - , jouaient le rôle de courriers et
d':il1formateurs et, tout normalement, prirent rang
de fonctionnaires apostoliques : la frappe des mon-
/ 'naies leur fut confiée; la ferme de certains impôts
(tailles, gabelles) de même : c'était pour eux le
moyen de se rembourser à la source des prêts faits
à la Curie; à ce moment, ils sont bien tout à la fois
banquiers privés et financiers-fonctionnaires.
Sans doute, et M. Renouard. l'a analysé avec
beaucoup de finesse, les relations entre le'$: papes
et leurs banquiers italiens ont connu des'phases
. diverses. Elles sont passées « de la défiance et de la
circonspection à une intimité qui se fait de plus en
plus familière ». Dans un premier temps, jusqu'au
déb'Q.t des années 1340, les papes demeurent pru-
dents, emploient à la fois les services de plusieurs
compagnies bancaires surtout florentines: les Bardi,
,Peruzzi, Acciaiuoli, Bonaccorsi; de 1342 à 1367,
après les faillites florentines de 1343-1346, après
'les pertès essuyées par les Florentins dans leurs
.",' ..

28 FINANCES DE L'ANCIEN R:SGIME

prêts à Edouard III d'Angleterre, la Papauté leur


cherche des remplaçants et vit d'expédients; enfin
dans une dernière période, jusqu'au retour à Rome,'
les compagnies florentines, mais de nouvelles (les
Alberti « antichi », Guardi, Ricci, Strozzi) ont les
rapports financiers les plus étroits avec la Curie
d'Avignon; les papes deviennent leurs véritables
« obligés» (M. Renouard).
Ainsi la participation des « Lombards », et surtout
des Florentins, aux affaires pontificales, a été l'un des
éléments importants de l'histoire des b8Jlquiers-
- marchands : de « maisons de commerce gentilices » ,
elles sont devenues « banques internationales »
(M. Le Bras). Cependant il faut prendre garde de
ne pas exagérer le volume des affaires financières
pontificales; le budget des papes d'Avignon demeu-
rait inférieur à celui des grandes monarchies du
temps; les transactions des Souverains Pontifes
représentaient un chiffre modeste par rapport à
l'ensemble du mouvement d'affaires italien. Enfin
la comptabilité de la Chambre apostolique n'était
pas elle-même à l'avant-garde des techniques.

C) Finances princières. - Les finances princières


et royales ont, de Jeur côté, exigé pour ainsi dire
en permanence le recours à l'aide extérieure. Ce
sont les Croisades et les rivalités territoriales entre
princes qui, par leur coût, ont été à l'origine dela
fiscalité. En Angleterre comme en France, à la fin
du XIIe siècle, l'expédition en Terre Sainte fournit
aux rois l'occasion de taxer pour la première fois
les biens meubles de leurs sujets. On peut avoir une
idée du coût des expéditions guerrières pour les
trésoreries princières du temps par ce seul fait :
l'entretien de la tête de pont anglaise à Calais, où
ne séjournaient en permanence que 1132 soldats
AU TEMPS DES CIT1tS 29

angl~, dans les années 1370, «engloutissait environ


-lUi. sixième des revenus globauX de la monarchie
&nglaise.•• On voit quelle saignée de capitaux repré-
. sentait cette occupation militaire improvisée» (1).
En France, au XIIIe siècle, il suffisait de mobiliser
deux ou trois mois une armée de deux à trois m.ille
cavaliers « pour multiplier par trois ou quatre les
besoins en numéraire et vider d'un coup le Trésor.
Un siège un peu long peut entraîner une gêne durant
plusieurs années» (2).
Les bailleurs de fonds du roi d'Angleterre, aux
XIIIe-XIVe siècles, sont des négociants étrangers
établis à Londres. Ds sont venus d'abord pour
essayer de recouvrer les sommes prêtées par eux
aux Croisés anglais; de là, ils sont passés aux achats .
de laine et à son transport sur le continent, puis
aux opérations financières. Florentins, Génois,
Lucquois, Catalans, Hanséates tiennent tout le
commerce extérieur du pays. Sous Edouard 1er et
Edouard Il, les principaux financiers à Londres
sont les Frescobaldi; ils sont désignés comme rece-
veurs de tous les droits de douane dans les ports
anglais et de tous les revenus royaux en Irlande
comme en Guyenne. Jusqu'en 1310, ils auraient
successivement prêté 122 000 sterlings à la monar-
chie ànglaise ; sommés alors de rendre leurs comptes,
ils préfèrent quitter le pays clandestinement, avec
leurs trésors enfouis dans des balles de laine, et
rallient Florence. Leur place est aussitôt prise par
lesBardi et les Peruzzi, Florentins eux aussi.
Edouard III fait largement appel à eux; mail! les
réactions « nationales» envers les banquiers étran-
gers, qui sollicitent et obtiennent de la Cour pri~-
(1) E. PE1IlI.OY, Compte de W. Gunthorp, trésorier de Calais,
1871-1372, Mémoiru de la Commission départementale du Monuments
htstorique& du Pas-de-Calais, t. X, l, Arras, 1959.
(2) G. DUBY et R~ MANDROU, Ouurage cité.
3D FINANCES DE L'ANCIEN, RÉGIME

l~f)$ oo:rn:œerciaWi; et pl'otections en contrepa11ie


de lew aide financière, s'affirment. En 1322, la
maWQ:n des Bardi à Londres est mise à sac; en 1343;-
llait à Londres la curieuse Socielas Anglorum, grou-
. paJl.t tre»te-trois marchands anglais associés pour
aff'enner les douanes et l'impôt sur les laines, et
pom: arracher aux hommes d'affaires italiens le
IJlOB.opole de l'exportation de la précieuse matière
t~tile vers les Flandres; il est vrai que le grou-
pement ne vivra pas plus de deux ans. Cet essaidè
cl'éation d'-un groupe finallcÏer du cru est éontempo-
rain de la décolÛitqre des Florentins à Londres. Les
débuts de la « guerre de Cent aJ1S )J n'ont pas été
favorables au roi d'Angletene ; il fait banqueroaœ,.
et les Bardi~ Pernzm, Acciaiuoli, créanciers mépri..
~8, déposent successivement leur hilan de' 1343
à 1346. La m.onarchie anglaise :ré'usSÏiJra &1lX XIVe et
Xye sièeles à. rl asswrer" par un impôt é1evé et per-
~aDent sur les lames expœtées, des :re:m:tréeg; fiscales
D.Qt~el:l.
A. lev plus helle t1poque - et cela peut dOIllllrer
~ idée: de. la puiSS"aItee des w. rése:aux. n ital:iieœ. -~
~ ks années 1310-13M), les. RaMi a",aien.t eudœ
représentants" axoo magasins et btm:eaux,. en Italie
d'@œrd : à. Aneône:,. Aquila.. Bari, Earle!llta, Gênes,.
Na~ Ometto" 1?alemne.. Pise+ Venise';' eu Médio
'tcel'fanée et CLans l'Occident : à AvigJœon,. Ba:tcelane,.
:SJ!U~,. Chypre, CQllstQtme!p1e,.Jénsalem, L~dres,.
MaiOil!qtle', Mius.eille, N:K:.e, 'Paris, llliodes,. ~
Tt.uù8..
Sau dQute" et les :faiIl1itesi « aog1laiaes l» de ltMJ3;..
IM.Q p~!litt:liU1: de le SQuligner~ Ces comtnctiom:
Du"ehandes et bancaire& à r échelile du: mliJD.de eu.:ro-
péen. ont-eUes. de la fragilité. « Colosses aux pieds
4f'up )lit a~ écrit l'1ri&1i0J!Ïcm italieD A. Saporl r
ses travaux, ainsI que ceux deM. Ren.ownd et cie,
· M.. R0Gwe:r:, ent· mOllilll'é, qua ce1:llCidragilitétenait à Ce'
..cp:e Véchafawil.:age des·.grMldes. compagnies reposait
'palP'.1lrOp, sm le cr6dit ~ crédit· o&rt aux compagnies.
pu leurs. déposantst et Ol'odit o'U'V.ert pu les compa-
gnies. aux princes.; dans; les deU'Xl cas· il, pouvait Y'
avOÏl:i' pém;, les d'pats étaien1l remhoUl'sables à,
vue·;- ils· fomnaient une n-ès gtrosse proportion dans.
l'ensemble de lraeti/i;' ils, provenaient de clercs,
~, nohle&t de marchands, ét!langers à la direction'
de&. x:mmes;; ce" type, de· ressources demeurait fragile
.. par-ee que sous le coup: dw menaces, de retraits d~8r­
gent; Quant' à la confiance que1es!hommeB' d'affaires'
italiens' pou:v.aient avoir' envers· leurs .débiteurs' prin.·
ciers· ou Myaux; elle fut sowvent mabnenée. La posi..
tian. sociale de l'homme d'argen1l n'était pas telle,
à l'époque qu'il d'ût attendre du plÙnce un ex~ès,'
d!égaJlds:et de ménagements. Le. meilleur moyen de-
régle~' Ie.s! dettes.· d'Etat· était de les; annulèD' par' la:
banqueroute·; Ill" monarchie anglaise se sauve ain&f.
d'un' mauvais pas, alors qu'elle est· responsable·
des,faillites florentines du XIVe siècle.
PlUs, généralement'; Marc Bloch, a; souligné' la'
contradiction fondamentale qui minait 111', position'
des CI capitalistes italiens du' Treœnto », (l~ :' «.. En
haut;d8s.pratiques et dos'ambitions,(ç oapitalisteS',» ;
au; tréfondS, une' économie encore primitive, une'
structme· sociale moroelée~ une teohnique rudimen-
taire-•. ll-.(l!'èst<hien,là.toutel'ambigmw,des'premÎer8s'
formes·,du commerce de l'argent<; il.y a'plaeage'de'
formes. K'modemes ». d'économie sur des sociétés'à,
base fondamentalement agraire, et qui' demeurent
enoore quasi; immobiles.
Cès,faibles8es intrinsèques despre-miers.Bnaneiersr
e:x;pliquent leurr oarrousel' à, travers les' sièclès du'

(1) Annales, 1935; p. 486:


32 FINANCES DE L'ANCIEN R:tGIME'

Moyen Age, les règnes et les pays. Cités, familles, ,


groupes se relayent les uns les autres; poursuivis
ou ruinés un temps, les fournisseurs d'argentré,ap-
paraissent ensuite; des « dynasties » nouvelles rem-'
placent les anciennes; tel qui subit les effets A'une
banqueroute à l'OcCident, retrouve des éléments,
d'affairès en Orient. Suggestives à cet égard seraient
l'histoire des princes d'Anjou en Sicile et celle des,che-
valiers français en Morée aux XIUe-XIVe siècles, dans
leurs rapports avec les fournisseurs d'argent italiens.,
Mais les financiers italiens du Moyen Age les:plus
,typiques demeurent les Médicis de la Florence du
xv e siècle; leurs activités bancaires ne sont sans.'
doute que le couronnement c;le leurs opérations
industrielles et, surtout, commerciales. M. Renouard,
signale que l'entreprise de draps d'un Médicis -+- au,
XVIe siècle - ne produisait que cent cinquante
pièces par an ; c'est encore un indice que les « grandes'
affaires » du Moyen Age sont à apprécier avec pru-
dence, c'est-à-dire relativement à leur propre temps.
Mais si affaires d'industrie, monopoles de trafic
- comme l'alun de Tolfa affermé à la Papauté en
1459 - mouvements de marchandises forment ,bien
la base .de la fortune des Médicis - en un siècle
d'ailleurs où l'aire du commerce italien commence
à se rétrécir du côté de l'Orient et de l'Extrême-
Orient - ce sont leurs opérations financières, qui'
décident finalement de leur destin; la filiale de
Londres, pour avoir consenti des prêts excessifs à
Edouard IV au temps de la « guerre des Deux-
Roses »disparaît en 1471 ; celle de Bruges est ruinée"
en 1480 pour avoir imprudemment misé sur Charles,
le Téméraire; celle de Lyon doit sa déconfiture
à la gestion d'un directeur local trop autonome'
et mal surveillé; et la « compagnie », en tant qu'en-,
treprise intemationale, s'effondre lors de l'entrée,
AU' TEMPS DES CIT~S Il

" des troupes de Charles VIII à Florence en 1494~


Cette fin est symbolique; les financiers italiens du
xve siècle, et spécialement ceux de Florence, à une
époque où l'organisation politique en Italie tendait
à,passer de l'échelle de la Cité à celle de l'Etat ter-
ritorial, se sont de plus en plus mêlés à l'activité
proprement politique et à la direction gouverne-
mentale; concurrences d'affaires et rivalités pOUl'
le pouvoir s'entrecroisaient. Ce n'était pas là une
condition de. sécurité et de dl;lrée.
H. Pirenne a pu ainsi noter 'qu'on voit se renou-
vel~ fréquemment les dynasties d'hommes d'affaires
au Moyen Age - et, plus généralement, tout au
long de l'histoire économique moderne - parce
.que l'esprit d'entreprise va comme en s'affaiblissant
à travers les générations et que l'adaptation à de
nouvelles conditions économiques est malaisée pOUl'
les, descendants des fondateurs des firmes. On le
voit .bien à comparer les attitudes de came de
Médicis et de Laurent le Magnifique; les fondateurs
des firmes sont des entrepreneurs dynamiques; leurs
successeurs jouissent de la richesse acquise; pris
dans l'atmosphère sociale dominante, les francs ..
tireurs du capitalisme commercial rentrent dans
les cadres de la société traditionnelle, s'intéressent
aux affaires d'Etat et aux beaux-arts plus qu'au
négoce, immobilisent leurs fonds qu les stérilisent
en terres, seigneuries, dépenses somptuaires, acti-
vités de mécénat. C'est alors qu'ils deviennent vul·
nérables, abandonnent la marchandise pour « '\fine
noblement », ou font faillite. L'homme d'affaires
«,dégénère et s'embourgeoise» (M. Renouard).
Nous laissons de côté, en raison de ses caractères
spécifiques, la question des finances municipales et
des dettes urbaines que l'on a davantage étudiée,
J. BOt1VlBll BT Il. GElIlILUN-MAllTIN 3
"

"

34. FINANCES DE L'ANCIEN ,RiGIME'

'jusqu'alors, dans 'le ças "des cites italiennes qUe


,dans celui des villes' flamandes. Cette~stion
,serait d'ailleurs liée à celle des premières banques ,
" J. '
:publiques (Gênes, Catalogne). Ici, le, plussouvènt, '
ce ne sont pas des financiers isolés qui finissen~ par
: avoir affaire à la ville, mais les créanciers poup~s
,en une sorte de syndicat de gestion de'la detie", .'
. ;,
dont l'exemple le plus remarquable est celui fourni:
par la Casa di San Giorgo, à Gênes;
Ill. - L'exemple français ,
A) Administration fiscale et gens d'affaires 'fran:- '
çais. - C'est sur l'exemple de la monarchie française ':
que l'on peut sans doute le mieux saisir cette
conjon.ction des besoins du prince et des services
'de l'homme d'affaires qui caractérise la finance
' - bien que les archives financières de l'ancienne
monarchie aient été plusieurs fois victimes de lamen:-
,: tables destructions. La pièce la plus ancienne' de
comptabilité publique que l'on connaisse, dite « pre'-
miér budget de la monarchie française Il (1), remonte
aux années 1202-1203; et les savants' auteurs qUi
ont publié ce compte, par ailleurs partiel - il
intéresse les bailliages, prévôtés et garnisons-fron:-
tières (l'administration locale), mais non l'Hôtel
, du Roi (l'administration centrale) - précisent'
bien que « les ressources financières des Capétiens
nous sont totalement inconnues pour les XIe et'
,XIIe siècles ».
..... '. La formation d'une administration financière fut"
'très empirique et progressive. Jusqu'au XVIe siècle la
dualité subsista entre finances ordinaires (le budget
du domaine royal) et finances extraordinaires (le

,'(1) F. LOT et R. FAWTtER, Le premier budget de la monarchie fran-


çaise,: le compte général de 1202-1203, Paris, 1932, Bibliothèque de
l~Ecole des Hautes Etudes. , ' ,,'
.. :,.
'.A.i} . TEMPS DES' CITP:S .

· budget de l'Etat royal). Mais les seè'9ndes occupèrent


~1lÎle place depl:us en plus grande. dans l'ensemble
·desrevenus des rois :lerôle des dépenses de guerre'
:
(Croisades, luttes contre les princes anglais) fut
décisif. de ce point de vue. En fin d'évolution,
sous· Charles VII, le « domaîne » ne fournit' que
• 1 50 000.1 100 000 livres sur un total de revenus . ;
d'envirQn 1800000 livres. Dès son origine le sys- .,
,

:tème fiscal présente deux traits propres à l'époque


d' <ç Ancien Régime» : l'affermage d'une partie des'
,recettes fiscales; et la constitution d'une oligarchie
'.d'« officiers de finances» : trésoriers de :France,
généraux des finances, gens de la Chambre des
Comptes, qui étaient aisément maîtres de leurs
. propres circonscriptions et de leurs affaires. L'admi-
n;istration financière sous Charles V, puis Charles VII
....
,~ 's'Qrtout, tend cependant à prendre progressivement
les caractères d'une organisation étatique relati-
,; vement ordonnée. .' ,~

· C'est dans une machinerie « budgétaire )llong-:


te;mps informe et instable que les banquiers privés
du roi, des Templiers jusqu'à Jacques Cœur, s'in-
s~rent. R. Gandilhon a usé à propos des financiers .
du xv e siècle, Jean de Beaune et son gendre Briçon-
net, marchands à Tours, et fermiers de péages. ,et
de traites, d'une formule qui vaut pour tous leurs
émules : « Leur rôle dans les finances royales est
aussi important que difficile à connaître. » .
, Et valable aussi pour tout le Moyen Age - et,
au-delà - l'explication que le même historien
donne des « emprunts continuels et divers ». de
· Lol.JÏs XI : la lenteur du recouvrement des impôts,
:et la nécessité de trouver des intermédiaires prê-'
teurs pour avancer les sommes dont l'échéance de
'. rentrée. était incertaine et éloignée dans le temps ..
. . On serait tenté de distinguer une sorte d'évolution
- - -,1
,1

36 FINANCES DE L'ANCIEN RBGIME

dans l'histoire des banquiers des rois de France,-


parallèle à l'histoire économique de l'Europe -du
XIIIe siècle aux temps modernes. A la finance « inter-' ; •
nationale» a succédé, par paliers, la finance «natio-
Jlale )); aux Lombards, les hommes d'affaire~ du
cru: ,'facques Cœur, Semblançay, Fouquet, Samuel
Bernard jalonneraient l'évolution. Encore faudrait-il
distinguer que les positions de ces qUatre finan-
ciers exemplaires n'étaient pas exactement compa-
,rables, Je premier et le dernier étant d'abord ban-
quiers. les deux autres d'abord hommes des financês
du roi; l'ère des « Lombards» - ou, plus exàcte-
nient, des étrangers - ne se termine d'ailleurs
pas au Xve siècle; les hommes d'affaires italiens,
puis allemands - sans même aller jusqu'aux Gene-
vois du XVIIIe siècle - joueront toujours un rôle
actif auprès des maîtres des finances publiques aux
XVIe et XVIIe siècles.
En tous les cas, la prédominance des marchands;,
banquiers italiens du XIIIe au xV,e. sièéle demeure
remarquable; si les Juifs sont de plus en plus can-
tonnés dans l'usure et le prêt à la consommation
par une ségrégation économico-religieuse qui e~t
allée en s'accentuant au cours cJu Moyen Age, les
« Lombards» - en fait surtout les gens de Toscane:
Lucques, Sienne, Florence - malgré les poursuites
chroniques que leur position même rendait inévi-
tables, entretinrent avec continuité les « fonds de
roulement)) des monarques besogneux. Nous savons
quels services divers outre ceux de fournisseurs de la
Cour en denrées et objets de luxe ils pouvaient rendre.
,Ce que l'on connaît moins, c'est la place que leurs
avances tinrent dans le « budget général» des princes
et l'histoire en quelque sorte interne de leurs rapports
avec la monarchie. Les études qui leur ont été consa-
crées. tant en France qu'en Italie, ne résolvent pas
.AU TEMPS DES CITltS, 37

, tout à fait avec netteté ces points particuliers, faute


de documentation.
«A côté d'eux, a .écrit Marc Bloch, comm~rçants.
et financiers indigènes ... la France n'est pas Unique-
ment une dépendance de la finance italienne» (1)";
Mais les financiers français n'avaient pas, de beau-
coup, l'envergure des transalpins; on les voit canton-
nés dans certaines villes provinciales, au service des
princes et des agglomérations de la région, mais
entrant plus rarement en affaires avec le roi: tels, au
XIIIe siècle, les financiers d'Arras représentés sur-
tout par les familles Crespin et Louchart; non
constitués en société, à la différence des compagnies
italiennes, c'étaient des marchands et gros 'proprié-
taires qui plaçaient leurs gains commerciaux et
fonciers en rentes viagères et prêts à intérêt; ils
ne sollicitaient pas les dépôts, ne disposaient pas
de. représentants hors d'Arras; la plus ancienne
opération connue des Crespin est un prêt au comte
de Saint-Pol remontant à 1223; dans la seconde
moitié du XIIIe siècle, Calais, Ypres, Bruges, Tournai, .
Gand sont débiteurs des bourgeois d'Arras - dont
certains acquerront d'ailleurs des titres de noblesse
et abandonneront les gains bourgeois pour vivre
noblement; en 1285, Philippe le Bel, par l'inter-
médiaire du Trésorier du Temple, leur emprunte;
Us gagneront au contact de la Cour des charges
honorifiques et des Crespin entreront dans l'admi-
nistration royale comme receveurs d'impôts. Mêmes
traits chez les Y salguier de Toulouse, issus de
changeurs locaux à la fin du XIIIe siècle et dont la
fortune commence avec la saisie des biens des
. Juifs p~ décision de Philippe le Bel (1306); Rai--
JDOJld Y salguier fut l'une des trois personnes dési-
. ,(t) 1.4 FrlUlce SOÙ8 les derniers Capétiens, 12118-1828 (A. Colin,
1958). '
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pées par. ,Guilla1.Ùlie ,de ' Nogaret pourpo1ll'suivrei, ,.,: ,


la vente des biens des J ms toulolUlainSf il fut' :,
~~ené à prêter dë l'argent, plus ou moinssponta- ,"
n~ment et à diverses reprises, à Philippe le :Be~,;,. :
il y gagna du moins l'anoblissement. Ses fila furent:
,0
.1
palmi les nombreux créanciers de Philipp'e VI de, :'
Valoisen 1341-1346; ils devinrent « conseillers » . ,. '

du: roi, chargés d'aider le receveur des dixi~mes de "

la ,provinée de Narbonne à payer les gai'lli.$ons du


;--'.' ToUlousain et du N arbonnais ; ils reçurent d"sdota-
tions royales en terres ~t, dès 1380,aucun Y-sâ1guie~
,:' ne s'adonnait plus ni au change ni au colnnierce;'"
; <&

,0, .•. ilé ,disparaissent alors en tant que bourgeois èt ,


'..: « financiers ». D'autres figures de financiers « indi-
gènes'» ont pu être esquissées. Tous, finalement, ne
s'évadent ,pas de leur vil]e d'origine- le cas
Jacques Cœur mis à part ....:. et, témoins des courants ',,'
sociaux, du temps, finissent par être absorbés dans,,','
l'aristocratie, « capitalistes repus •.. se retirant, pour
ainsi dire dans une sorte d'honorariat flatteUr et
demi-oisif» (L. Febvre). '
Jacques Cœur lui-même, au ][V8 siècle, est une
" \ s,orte ,'de cas d'espèce par l'ampleur de ses affaires
, .l:·
et la singularité de son destin; mais son rôle permet
jus,tement de ne pas repousser tout à fait à l'arrière'"
plan l'action des grands marchands français pour,
le seul profit de celle des compagnies italiennes.:. ': 1

.". Peut-être l'entrepreneur d'affaires que le Berrichon,:


a été si parfaitement, brassant tout ce qui pouvait': '
l'être - «sa fortune prend toutes les formes "
caractéristiques de la richesse à son époque li ' " ,1
(M. Mollat) ..... symbolise-t-il à sa manière la nais-, :
sance .d'une économie, de type national. Ce 'Cils' "
d~Un marchand pelletier originaire de Saint-Pour'"
çain, ét~li à Bourges, se fait connaître, à sep, débuts, ' '
'dans'une opération' finàncièiefoii~uspecie. s'Ùr;,:
.....
.... .... ;
'1:::

'. .~

. ,'l'aitinagecie la' monnme: royale·' (été· 1429)";, en


tant' qUe K:fel'DÛer », de la IIlonnaie émise dans la
.. •' ville ou réside alors Charles VII, le «roide Bourges »,
'il a éu)is 300. marcs d'argent· au-dessouS du ~tre
.' ' .:f~;·. s'assurant ainsi d'évi~ents«profits illicites Il.
,"", '....
"; '::Ce i{iilgulier départ ne l'a pas empêché de faire, et
'. fortune, et' carrière. « La hardiesse de J acqueil
., ,Cœur,a' surtout consisté à profiter dé l'état lamen'"
'.'
table du pays pour pratiquer largement l'accapa-.
.,
l'ement et le.monopole I)(R. Pemoud). Le chancelier ',' .:
Je~ Jouvenel des Ursins ravait dit en langage . -.:,:?'
ancien : « n a empoigné toute la marchandise de ce
, royâùme, et partout a ses facteurs, qui est enrichir
. Tine personne et appauvrir mille bons marchands. »
Jacques Cœur, accapareur et « nouveau riche II des
temps de détresse - détresse politique, budgétaire,
, " monétaire - a toujours profité de la protection
., . royale; sa chance initiale n'est-elle pas d'ailleur.s
l'installation du dauphin Charles à Bourges ? 11
· a réussi tous ses coups en fonction de la situation
qu'il s'était acquise comme homme indispensable
· au prince, jusqu'au jour où le prince décicie de
.sacrifier le financier - entrepreneur pour sa commo- -":.
:~tépersonnelle. Quels rôles, successifs ou simul-
....
· tanês, a-t-il remplis auprès du roi ? Fabricant de
, mo~aie, fournisseur de Cour «( argentier 11),ila
t, " . ,probablement intéressé personnellement le roi dans
',. certaines de ses entreprises, en « compte à demi »;
,il a prêté fréquemment de l'argent au roi - ainsi
. pour la campag.ne de Normandie; il a naturellement
;rempli les fonctions d'agent' fiscal, d'agentdiplo-
'matique et d'information, le cas échéant. Homme
d'affaires, il a été présent en Méditerranée comnie
à Bruges et Rouen ; il a gagné beaucoup en vendant
. 'des armes aux Infidèles du Proche-Orient, avec
~~ption8 pontificales en, faveur de ce trafic,
_l,,'

.1
, \

40
/

doublé de celui des esclaves; il s'est fait manufac-_


tùrier à Montpellier, propriétaire- de mines métal... -
liques en Lyonnais (cuivre, plonib argentifère);
marchand de sel, de draps; d'épic.es,d'armes, proprié~
taire foncier dans toute la France (au moins vingt-
cinq seigneuries), et propriétaire d'immeubles en
diverses villes, et pas seulement à Bourges où son-
fastueux hateI, datant des années 1440, subsiSte
encore. _
- «L'homme d'affaires le plus étonnant du Moyen -
Age _», dit M. Mollat. Arrêté en 1451, évadé en 1_45-4, _
il disparut à Chio en 1456, c'est-à-dire bien avant
l'aube des temps nouveaux du XVIe siècle. Ses
« facteurs » et seconds comme Guillaume de Varye,
Antoine Noir, Jean de Beaune, Antoine Grignon,
Pierre Jobert «se comportent en trafiquants, voire
même en forbans» (M. Mollat). Ce n'est pas là-un
trait d'époque. Jacques Cœur n'a aucun mérite qui -
lui soit propre, mise à part la réussite, et on ne peut
mettre à son crédit aucune découverte partiCulière
dans le domaine de la technique des affaires; il a
été un brillant émule des hommes d'affaires italiens
- il était en relations avec les Médicis et les Bardi -
et seinble bien être tombé comme beaucoup d'entre
eux, victime de débiteurs qui avaient intérêt à l'éli- ,
miner, mais aussi de la structure même de ses eriga-
g~ments : des capitaux considérables à la -fois dis~
persés géographiquement et immobilisés; une liqui-
dité faible. Les hommes d'affaires du temps 'étaient'
des « aventuriers »dans la mesure où ils jouaient
imprudemment du « découvert ». Mais, -finalement,
on connaît mieux Jacques Cœur, brasseur d'affairés"
que Jacques Cœur, banquier de Charles VII. M. Mol-
_lat -écrit :« On voudrait pouvoir trouver plus sur
l'activité proprement financière de l'Argentier....
C'est'IUe là, DOUS le savons; se rejoignent, et lé
AU TEMPS DES CIT:tS 41

secret du roi, et le secret des affaires, pour dérober


à l'Histoire ce qu'elle recherche.
On a souligné depuis longtemps que Jacques
Cœur eut d'ailleurs une postérité à sa façon: Jean
de Beaune, à Tours, Guillaume de Varye, Jean de
Villages et le propre fils de Jacques, Jean Cœur,
reprirent du service sous Louis XI qui tint, semble-
t-il, à rappeler certains des collaborateurs de l' « Ar-
gentier ll. Jean de Beaune, marchand-drapier et'
banquier de Tours, fut correspondant des Pazzi
et 'des Médicis; Louis XI .eut' un compte courant
ouvert sur ses livres, et. le compte était souvent
débiteur. Par Beaune, la « filiation II se fait avec
SembJançay, comme si la continuité d'un groupe
de gens d'affaires français avait été assurée de
Charles VII à François 1er•

. B) Le rôle des « Lombards » en France. - A la


différence des financiers indigènes; ceux d'Italie
ne sont pas issus de villes à marché local, mais
d'agglomérations qui rayonnèrent au loin, de véri-
tables marchés « internationaux )1.
C'est par le relais des foires de Champagne qu~ils
sont entrés en contact avec Paris, centre de consom-
mation, et, tout naturellement, avec la royauté;
mais la Provence et l'Anjou, possessions des rois
de Naples, leur étaient ouverts; ils y occupèrent
des charges publiques dans les finances et la justice ;
de même la Guyenne et la Normandie sous le
contrôle anglais; au XIVe siècle enfin~ les voilà à
demeure dans l'Avignon pontificale. Le plus souvent
leurs pretniers contacts avec la monarchie ou les
grands féodaux n'eurent pas des causes financières,
mais des raisons commerciales : obtention de sauf·
conduits; de pertnis de séjour ou d'exportation.
De là ils passèrent aux fournitures d'objets de luxe
..' ... . ,
.,','
~ . .:. i·
. .. .
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.;., '. . .-.'
.J: . . '.'

.... ~.~ '.

,.
.......\ ' ..

.... . aux Grands et lem expérienoe, lem en~egent,Je~.:, :-.:


"traDsformèrent en fournisseurs d'argent, à· la fou' ': •
_éprisés et sollicités. Etanfdonné les risques du."
_étier de marchand· et ceux, encore plus gands".' .: -
,de prêteurs des rois, leurs marges bénéficiaires/ '
étaient considérables; les princes ne l'ignoraient:·
,pas qui, chroniquement, faisaient main basse . sut .
leurs biens, tout en renvoyant aux calendes· le
• règlement de leurs créances; les Lombards' de ce .
. point de vue n?eurent pas. grand-chose à,eIivier
aux, Juifs. TI en alla ainsi sous Philippe le·Hardi~
en 1277, sous Philippe le Bel en 1299 et 1308.. puis~ . " ,
à des intervalles rapprochés entre 1315 et 1324~ " '.
, sous Philippe VI de Valois en 1 3 2 9 . . . ,
Les groupes de Lombards se succédèrent, arrivant
en France par vagues, au rythme même de l'histoir~..:
:des grandes cités italiennes. Pas de Vénitiens, SflDl!:.
doute, qui,pour le crédit lui-même, restèrent .en'· . ,
,arrière des autres marchands italiens et demeurèrent' .'
. e~clusivement tournés vers l'Est, vers le commerce·. .,
, du Proche-Orient. Peu de Génois étaient installés" "
éD. France, du moins avant les XVe-XVle siècles :;: ~
, Saint ,Louis utilisa déjà leurs services lors de l~: .
septjème croisade. Les XIIe-XIVe siècles furent le·' :.
temps des Siennois, puis des gens de Plaisance, deI! ",
Lucquois, enfin deI! Florentins. On ne les ,trouve' ,
pas seulement à Paris, mâis dans de nombreuses '
;Vil1es, marchands et banquiers à la fois. Les Tolomei
.et· Buonsignori de Sienne sont en France dès là, .
•'début du XIIIe siècle et les premiers y réapparaissen~ .
; 'à la fin du règne de Philippe le Bel, après le déclin
siennois. Les Placentins à la fin du XIIIe siècle
(orlnent à Paris une véritable colonie, vingt-deux
_aisoné de 1292 à 1300; les plus importantes, '.
d'entre elles, les Gandoulfe d'Arcelles, prêtent à la
fois au roi,à la haute noblesse - au comte~d'A1en··, /:
",

AU TEMPS Dl$S, CIT:eS 4lf

," , . ';çon ;en 128~' - aux villes., Les Place~tin~ étaient


d'ailleurs liés aux banquiers de Gênes. 'Les Lucquois
, ont été, en particulier, étudiés par L. Mirot, tels
les Spifame au XIVe siècle : Bartolomeo Spifame
était fournisseur de la Cour de Philippe VI de
Vàlois et passait pour l'un des plus importants
banquiers de l'époque; il fut l'un des principa'IPC
- " hlPlleurs pour le paiement de la rançon de Jean'
':
le- Bon; il aida Charles V à constituer la flotte qui,
en 1370, ramena Urbain V à Avignon et fit des
avances d'argent au roi en 1373 et 1377. Bartolomeo, '
,',installé à Paris, propriétaire foncier en Normand.le,
, 'possesseur' d'immeubles dans la capitale, avait des
'facteurs à Bruges, Avignon, Montpellier, Londres,
Florence, Bologne, Pise, Venise; mort en 1385, il
, ,fut, inhumé dans l'église des Grands-Augustins;
, sa descendance en France fournit des officiers de'
finance et de justice et des évêques; elle s'éteignit,
, au' inilieu du XVIIe siècle. Bel exemple d'ascension
h'Ourgeoise dans la hiérarchie de la société tradi-
tionnelle. « Les Lucquois, écrit L. Mirot, se glissèrent
- 'partout; ils furent maîtres des monnaies, maîtr~s"
, 'et généraux des finances, maîtres des requêtes de
, l'Hôtel, conseillers à la Cour des Aides et au Par-
" lement., » Ainsi, à côté des Spifame, les Arnolfini,'
, Cenami, Forteguerra, Trenta. Le mieux connu des
hommes d'affaires de Lucques demeure Dino'
Rapondi, dont le théâtre d'affaires s'étendait à
tout l'Occident depuis la fin du XIVe siècle mais
qtïi,exilé de Lucques, resta en Flandre et en France.
Fournisseur des ducs de Bourgogne, il devint un,
, .familier de la CoUr de Paris et de la haute noblesse
sous 'Charles V et Charles VI; il fut surtout le'
:PrJ-nC!pal ,agent financier d~ Philippe le Hardi : il
lm ,avance des sommes, lm procure des emprunts
sûr la place de Bruges, ~e paye sm la levée de cer- '
, ',' , t "
,.
\. '. 1 .

. \

FINANCES DE L'ANCIEN R~GIME

tains impôts, surveille la frappe des mO!ID.aies de


Flandre et contrÔle ~ême des travaude forti~
lication ; quand Jean sans Peu:t eut' été fait prisone
nier des Turcs à Nicopolis les relations commerciales
de Rapondi avec l'Orient le désignèrent pour négo~ ,',
cier le chiffre et le paiement de la rançon du prince ;'
ayant parfaitement. réussi dans sa mission, son
influence à la Cour de Bourgogne grandit; de prin..
cipal banquier, il passe au rang de conseillèr poli.
tique; il a, à Paris, rue de la Vieille-Monnaie, un
hÔtel célèbre à.l'époque, mais n'a pas acqms de
titre de noblesse. Il est enterré en 1415 dans la'·
chapelle ducale de Dijon, insi~e honneur.
Les données constantes des destins des banquiers
de Cour sont ainsi le passap:e du colportage de pro-
duits de luxe à la ,situation de fournisseurs d~arge~t,
puis d'agents financiers des princes et des roUi.
Le plus souvent, s'ils sont Français, ils abandonnent
finalement la « marchandise », fortune faite,p'0Ur .
entrer dans les cadres dirigeants de la société et
grossir les. rangs deI!! Il officiers » roya1;lX. On peut.
dire qu'alors ils ont abandonné leur classe sociale
d'origine pour entrer dans l'un des groupes de la
société constituée; ce inouvement, qui prendra par
la suite une bien plus grande ampleur" et qui
accompagne le développement de la puissance mo-
narchique, est bien visible déjà en plein Moyen Age.
A côté des Lucquois, mais à la fois avant eux - ..
et après eux : les Florentins. Ds apparaissent en .
France sous Philippe le Bel, avec les trois fr~;res.
Nicholuccio, Biscio et Musciatto de Franzesi
«( Biche Il et « Mouche» comme on les app~la e~
leur temps) aux débuts du règne et avec les Guidi,
trésoriers et maîtres des monnaiés dans les dernières
années; le receveur du domaine royal en<;ham~
p~gne était, à la même époque, le banquier florentbi
AU TEMPS DES CIT:tS 45

René Accorre, fixé à Provins: il vit, en 1288, vendre


tout ce cju~ilpossédait au profit de la Couronne ...
Quant aux· frères Franzesi, ils étaient à Paris
entre 1282 et 1292 les agents des compagnies flo-
rentines des Scali et des Frescobaldi; puis ils tra~
vaillèrent pour leur propre compte et furent les
hommes à tout faire de Philippe le Bel qui, pour la
guerre de Flandre, les utilisa comme fournisseurs,
'émissaires et corrupteurs patentés. Ils perçurent
pour le compte du roi toutes sortes de revenus.
Ils tmrent les comptes de nombreuses sénéchaus-
sées, gérèrent la majeure partie des finances extraor-
dinaires, frappèrent des monnaies. Ils font faillite
dans des conditions obscures en 1307 après avoir,
somme toute, aidé le roi à secouer la tutelle du
Temple. Les Scali firent de même sous Philippe ]e
Long et perçurent par exemple en 1322 les droits
d'exportation de Toulouse, les revenus des salines
.de Carcassonne, et de la décime des provinces
ecclésiastiques de Toulouse, Narbonne et Bordeaux.
Autres Florentins du début du XIVe siècle, mais
rayonnant exclusivement entre 1283 et 1325 en
Dauphiné et Provence, les Gianfigliazzi qui furent
les hommes de service des Dauphins, comtes de
Provence et rois de Sicile.
Au xv e siècle, les Florentins détinrent en France
une sorte de monopole, à Paris et à Lyon surtout,
où l'on dénombre une douzaine de compagnies
importantes - en premier lieu les Médicis. Louis XI
encore Dauphin utilisa pendant son exil en Flandre
les services du Lucquois Giovanni Arnolfini, fermier
du tonlieu de Gravelines, fournisseur et prêteur
attitré de Philippe le Bon. Devenu roi, Louis XI
!J'attacha Arnolfini qui devint général des finances,
tandis que son neveu ~arc Cenami était nommé
« élu sur le fait des aides». Mais en 1465, ils furent
;: ... '

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46.· ,FINANCES D,E L~ANCIEN . R:SÇI~:


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destitués' e~ raison dès' sympathies qu'n.. av:8ie~t '


,çonse;rvées pOUl' Charles' le Téméraire., TI ,seinbI~ .
que Louis XI, dont lesaIDhitions étaient·coiiteUses,
Ail voulu. employer l'arme financière pour v~nlr
à bout de son coriace rival; il voulut att4'eren
,France les manieurs d'argent italiens poU'f en .'
prive~ le duc de Bourgogne; dès 1466,J:ou~s lës
.... '
grandes maisons italiennes, et pas seulement floren- '.'
tines, étaient fixées à Lyon, dontles foires s'ép.Ii... :
nouissaient, après avoir plus ou moins abanc!Onné.,·:
,les foires de Genève ·en déclin: tels 'le!! Médicis, ,:
Fàzzi, Na~i (représenté p~ Capponi), GriinQldi,
Spinelli. La filiale lyonnaise des Médicis ouvrit ::
des comptes à des personnalités de la Cour, dont pro" :,
bablement l'historiographe Commynes. Elle assura, :.:
aveè les Pazzi, les paiements du roi en Cour de ..
Rome (droits afférents à des dignités ecclésiastiques,
règlement de frais de procès). Les Médicisalimen-
" tèrent le trésor de Louis XI en prêts et en garanti\,?s
diverses de paiements : ainsi en 1475 et 1479; ils,
assurèrent pour le roi de France le règlement de la .'
pension proinise à Edouard IV d'Angleterre; fré-
quemment les' Médicis avançaient de l'argent à '
Louis XI pour quelques mois à des intérêts de 13- ~_;
20 % l'an. Mais, comme l'indique l'historien Gan-
dilhon, ces avances, ainsi que d'autres faites à la
ville ,de Lyon, étaient stipulées reIDhoursables non '
par le roi ou la ville, mais par de hauts offici~s
royaux, des grands seigneurs ou des échevins qtJi,
se reconnaissaient personnellement responsables des .
dettes royales ou municipales : prudence élémen-
taire de la part des prêteurs. ,- -
Ceux-ci d'ailleurs se souciaient de gagner de
l'argent partout où une affaire se trouvait poss\bJe•
. Si Nori, l'un des facteurs des Médicis à Lyon, deyint
conseiller et cc valet de chaIDhre » _de Louis XI,
,;

..... " "

:,'
::A.TJ., TË.MPS DE$ CITltS

,,:et'remplit.es fonctions 'd'un agent diplomatique "


,',.--,'il sera envoyé en ambassade auprès 'du duc) de,
" Milan .:.- il n'en est pas moins expulsé en aOllt 1468 ,
'i'
pour avoir aidé de ses deniers Philippe de' Savoie.
".,' Quant, à la firme des Médicis, elle jouait bien' sur
'deux tableaux à la fois, comme l'avaient faît d'ail-
. ,'1eUl'S les Templiers en leur temps entre les rois
,'d'~gleterre et de France : Tommaso Portinari,
,:leUr facteur à Bruges, est l'un des principaux ban-
quiers du Téméraire, puis de Maximilien., ' '
" ,Mais le recours constant de Louis XI aux compa-
gnies italiennes s'éclaire dans le climat monétaire
d'un xv e ' siècle qui voit s'exaspérer la faim de
Ïn9nnaie et s'affirmer des politiques économiques
" nationales à, une époque où les Etats mènent une
'yér,itable politique de défense et d'accaparement,
de l'or, et visent à établir une relative stabilisation
"'monétaire.
•••
Dira-t-on que, chemin faisant, avant même
.:,d'aborder la question de la « modernité » du, , "
;XVIe siècle, les analyses précédentes, même en tenant
',compte de leur nécessaire brièveté, nous ont mis
, ,en contact avec les premières formes du capitalisme?
',MaiS ni le caractère monétaire des échanges, ni
,.l'ÏilterVention du crédit ne définissent le capita-
lisine, lequel, en tant que système économique,
,'se, caractérise par un certain mode social de pro-
duction. Les « financiers » du Moyen Age ne sont
~ , pas les premiers « prototypes » des grands capita-
,listes contemporains, parce qu'ils sont plus des
'intermédiaires que des producteurs, des négociants
fi[ internationaux » que des manufacturiers ...;... et

sui1:out parce que leur action n'a bouleversé ni


l'é:eonomie ni la société; bien au contraire, ils ,s'in-

,0"
FINANCES DE' L'ANCIEN RSGlMÈ

tègreJ).tà l'!>rdre existant qui finit par'les absorber•.


En t~t qu'hommes d'affaire~ d'ailleurs,le Diéèa;';'
maille de leurs gains tientà.la fois à l'usure, au pari .
spéculatif, à l'accaparement de produits rares, aux
p~sitions de monopole acquises auprès des rois, aUx
opérations parasitaires greffées sur les besoinsfinan-
ciers des cités et des Etats. Ces procédés sont tout
à fait d'ancien type: hauts profits marginauX d'un-
monde demeuré fondamentalement .rural, et d'une
économie qui commence seulement; en certaines .
régions très limitées, à passer au stade de l'industrie .
- entendons du salariat. « Quelque chose en moi,
malgré tout, a écrit L. Febvre, résiste à l'emploi
de ce qualificatif de « capitaliste» accolé au nom et
à l'œuvre d'hommes du XIIe siècle. » On a parlé
cependant de « pré-capitalistes » à propos des
. grands marchands du Moyen Age et non sans
quelque raison, parce que certaines conditions du
développement ultérieur ·du capitalisme sont peu
. à peu mises en place par les marchands - ban-o,
CVliers, à leur insu s'entend. Ds ont à leur façôn,
par leur rôle dans les échanges, pr.éparé la formation
des marchés, marchés nationaux, marché «mondial »,
tels qu'on les voit .bien imparfaitement réalisés
encore au xve siècle, mais cependant reconnais-
sables, marchés qui seront le terrain nourricier des
formes capitalistes de production. Ds ont aussi
. contrib-qéà établir' certaines formes de « l'accumu"
lation primitive» du capital et ont dirigé le démar-
rage 'du « capitalisme commercial »,phase. de pré-
paration du capitalisme contemporain. Comme l'a
écrit justement ;Pierre Vilar : « Le g~ marchand
est spéculatif, fragile. L'usure, si répandue, étant
un prêt à la consommation ne peut aboutir à une
accumulation globale... Mais. ce qui ne crée pas de
capital peut créer, localement, des capitalistes. Ce
'AU ,TEMPS 'DES CITtS

qui ne peut assurer la croissance prépare le démar-


rage'» (1); Bien plus tard que le xv e siècle, lorsque
le développement même de l'économie dite mar-
chande aura rendu moins fréquents les hauts profits,
et les taux usuraires de type « Moyen Age », le finan-
. cement de la production industrielle de masse pourra
QUvrir au capital accumulé d'autres emplois,
d'autres voies de gain, et le système économique
et social, dans son ensemble, subira les profondes
, mutations de la « révolution indUstrielle », c'est-à-
dire du capitalisme (2). Sous Jacques Cœur, on est
encore loin de compte; mais les révolutions qui
~odifient l'équilibre des sociétés ont lentement
, mûri avant de s'épanouir.
On peut enfin reconnaître que, les conditions PQIi-
tiques n'étant pas séparées ni séparables de l'en-
semble du développement social, les banquiers de
.Cour dans la mesure, qui est grande, oii ils ont aidé au
,développement des Etats, de leur machinerie bureau-
cratique, de leur administration centralisée, ont pré-
paré - de fort loin il est vrai -l'efficacité, la «ratio-
nalité» des gouvemements de type modeme. C'est
précisément lorsque l'Etat n'aura plus besoin d'eux
qu'en tant que tels, ils disparaîtront. Mais il y faudra'
du temps - des siècles encore, après un Jacques Cœur.,
(1) P. VILAR, Croissance économique et analyse historique'
(Conférence internationale d'histoire économique, Mouton & Cie,
Paris, 1960). '
(2) Voir là-dessus encore le suggestif article de P. VILAR, Déyelo~
pement historique et progrès social i les étapes et les critères (La
Pensée, nO' 7 et 8, 1961).

J. BOUVIER ET H. GERMAIN-MARTIN
BOMMES D'AJ:i'Ii'AIRES ET ~1At8
AV ~. sd:tt~

t - Lü :d.tJUvèàiütéé ~c6ilumiC}Ueè 4n. XVIe éi~ê


·.1@e1 W.tttrienlf. bt IIj):Qgttlmps diseù.té de la k mo-
"tl~W » (8. Ha\l8et) d", IIièeM des gl'aBdea déoou"
.V",~g. de 1.. 1l~fu:nn8 et do la ReBalssmce. Le .,hat
. cJ@at~'!Al'Q oU;'\r~rt.MtW! pluS on péuèaé tians léi
iQ,Qu;yn'q1jo, fnooBtee.tflhles du. XVIe siOe1e, JbÏeü
_ l~ ~OJt'IJQtt çommo un. .pùoWssement, un 61.1"0
pnrw1t . • t~'icl~oelÎ. cie eou.nu~~ de modifi..
..,.d.lU nduJmais!!lflhloè clam la périoie aàtérleüre-.
"'ua
Gllslèqlt prddi8!ftux .., tU!B1lIlt\t61U( D'a pas wu.joùl'e
.i&clb d~ rw.ptUrl'. m.3Ï8 do contUtlÛté& et c1e
PI~e$iOJlth G'elilt partiouIi~:reinéilt âet dans l~ .
domain~s économique, bancaire et financier. « Eco- .
aEmUq\lemell1i. éerit )li Bnudel., le XVIe siècl~ n'a
·î,a's ~té a'iliIâi ÎloVilté'ln- qu''biil'à étlr1t ~ Jl eBtb."u~
\ ..... fl"U lôillJl., ~imê .1~f'..&u.t8'éemefJ.t, '$i l'on
'Vè'ut, (là la quail.trtl~sur la qww't6 ..... c"est-;à·~
de l'invention originale. Mais si ses outils de crédit
et ses habitudes marchandes lui viennent du, passé,
s'il en a hérité, il a su largement s'en servir, presque
les renouveler» (1).
(1) F. BRAUDEL, Préface ll'ouvrage de R. de ROOVER, L~lllJOlutfon
de la lettre de change, XIV~-XVIII' si~cles (8.&V.P.E.N., 1953).
-',.'.
'.. ,
../

HOMMES D'AFFAIRES AU XVIe. Sr~CLE 51

Le domaine bancaire n~ connait alors que des


novations techniques limitées : l'application de
la. ncorsa dans le dernier tiers du siècle, après
l'interdiction solennelle par le pape, en 1571, dès
crédits de foire à court terme (les « dépÔts »); et les
débuts véritables de la pratique de l'endossement
des lettres de change. La ricorsa était un procédé
qui consistait à f~ voyager d'une foire urbaine
à une autre foire. urbaine, par exemple de Gênes ~
Besançon, les engagements de dette à court terme
jusqu'à leur remboursement final; on tournait
ainsi l'interdit ecclésiastique qui visait les prêts
d'argent faits sur une seule place, sans qu'ü y ait
déplacement de fonds. Le déplacement étantappa-
remment organisé par la ncorsa, l'interdit tombait.
Quant à l'endossement, ü fit de la lettre de
change un instrument de crédit beaucoup plus
souple puisque, par lui, le bénéficiaire de la lettre
en· transférait le paiement, donc la propriété; à
un tiers. Mais morsa et endossement ne se généra-
lisèrent effectivement qu'au XVIIe siècle. Ainsi « en
ce qui concerne la pratique commerciale le XVIe siècle
reste médiéval dans s.on esprit et ses méthodes Il
(H. Lapeyre) (1). Dans ces conditions, les nouveautés
bancaires du XVIe siècle relèvent du quantitatif :
extension géographique du champ d'action des
hommes d'affaires avec les grands voyages inter-
océaniques et l'entrée en force dans les affaires de
l'Etat espagnol et les négoces atlantique et indien;
.diffusion des techniques bancaires, en particulier
en matière de comptabilité, grâce à l'imprimerie;
surtout, accroissement considérable du volume des
transactions étant donné les progrès de la naviga-
(1) . H. L.u>BYBB, Deux articles sur les questions de banque et de
crédit nu XVI" siècle. Rell. d'hist. modo ~t cont., no 4, 1956. et nO S,
1961 ..
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,52 'FINAivéES
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DE:' L'ANCIEN RSGIJ\tfE':
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. . .... ,,'
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,'., tiop et l'ouverture m,ondiale de8 affaireseurop,ée~e8":, :,t
" ~ais il ~ve ù.n po~i' où les changeD1ent8:cp~.n.'·~ ~..~~
."titatifs . eUx-mêmes peuvent se muer en modifica.", . /
tions qualitative8. Et c'e8t en quoi peut·être le ~
XVIe 8i~cle économique, bancaire .et financier: :se ',".
,différencie du Moyen Age. 5'11 y a « différence,dè
proportion8 » (1) entre le8 deux époque8, c'e8t ' en :
r~8on d"un «phénomène pui88ant de croi88ance » (1) ::", '.,
. de la fin du xve siècle jusqu~au début du xVIle siècle.,:'; /' ,"" :,'
la conjoncture économique est à l'expansion. Lon,g;.'
temp8 portée au 8eul crédit de l'inflation monétaire '
." ~,
(l'afflux de8 métaux précieux d'Amérique) cettè'
, expan8ion tend à être compri8e aujourd'hui en tant"
que phénomène économique général qui a touché
agriculture et industrie dè8 le dernier quart du , '

.:'." xv e 8iècle - c'e8t-à-dire bien avant l'inflation•


Dan8 le domaine du trafic de l'argent, qui nous .~. "

intére88e plu8 particulièrement, l'apparition de8


« foire8 de change» - Gêne8, Genève, Lyon, Bruge8,
Anver8 - et de8 « bour8e8 » (foire8 permanente8)
date de la fin du xv e 8iècle : le8 mécani8me8 qui vont'
jouer à plein au XVIe 8iècle dans le va8te circui:t
européen de8 affaire8 de finance 8e mettent a88ez
tat en place. Aux « foire8 de change » on règle le8
lettre8 de change de place à place par compensation; ,
ce type de papier tend aus8i à être utilisé comme'
instrument de crédit, et non plu8 8eulement de
transfert.
Le8 manieur8 d'argent et de marchandise8 ont. ,
vécu et re88enti chacun pour leur propre compte i .'
le « phénomène de croi88ance ». Il a été accélértS '
par ces nouveauté8 que L. Febvre a qualifiées, de
« vraie ,révolution» - c'e8t-à-dire changement qua~

. ,(1) F. BRAUDEL et SPOONER, Les métau:c monétaires et Z'économie


du ,XVIe .iècZe, Congrès international des Sciences histo"ques. ,
Rome, 1955. .
.. :..
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.,.... ;;.!. , ,.
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::. , . ;~ ...

,2:··.·::~Ui.~~ etâ~llf la ~c;'ntre et lese(rets:réciptoquea '.


':'.-; oni: c.J:oJ!né au' siècle nouveau ses traits spécifiques :.
;' "dêôouvertes.maritimes, modification des cOUran,ts' " .; !
" commerciaux glissant de la Méditerranée à l'Atlan- .'
",c ..,tique, fondation des premiers empires colQniaux~
.. affluX ,de inétaux précieux en Europe, bouleverse- .;
. "ment des prix, d'une part; de l'autre, progrès des
'; Etats,ëonstit1ltion des grands ensembles politiques,
,.luttes' p.Our rhégémonie en Europe centralé et occt-,
:dentale,besoins financiers ÏJisolites par leur volume;.
~v~((le coût démesuré des guerres, l'étendue des,
:. frontières à défendre et le nombre des « fronts » à
. en~tenir, appétits désordonnés de luxe et de .. '
,ricliel!se chez les princes et dans les couches élevé,es.· . . ,
" r
"de,}a société. « Une fièvre d'or s'empare du monde. ' ..
,.'eitier. Et une génération innombrable de nouveaUx'.
-'riches surgit, qui incarne puissamment les tendanC4'!I
. de· l'époque » (1). '
" ".".n fa~t cependant prendre garde_de ne pas âo~er
,.'a~ traits nouveaux de l'économie et de la psycho~, ., .
'

. " . ,logie une extension sociale qu'ils n'eurent pas. De ',.


-.' ~:: .·ne:s'affirmèrent, d'abord, que progressivement a'il "
.. ' . 'coW'li du siècle~ et fort inégalement selon les pays'
e~:les; classes. Et ils n'allèrent pas jusqu'à boule- .
:verSer, ni l'économie, ni la société dans leur ensemble. -
':I11i, bnt, se]Îl!t:Q1ent ~ m~. cela est déjà considé- , l,

rable' -- préparé les changements ultérieurs, ceux


, ".' de la: destruction des anciens régimes. .
'. . .. ,En tous les cas -- et nous laissons de caté l'étude'
.",' de cet aspect des choses -- en ce siècle d'essor,l'ins,-
.'truinentmonétaire, malgré l'argent et l'Qraméri-
/;, ': ;c8inii,demeura mal adapté aux besoins. Les hommes. , , "
":;, :,id.'âf€aires d'il XVIe siècle ont continué à vivre ·dans
. une atmosphère raréfiée. Ds étaient « perpétu~-
.. . . .. . .
, : ('1) 1.. P'mmIB,.. Ca~tallsme et capitalistes, article reurac1uIt daIIII
'-le,~' Pour an. hfstofre cl plUt entière, S.E.V.P:E.N•• 1981.'

. ~ .
. \ ......... " ';,!.-:. .. :
,.~
, .- 54 ' FIN4NCES DE L'ANCIEN R.tGIME

lement menacés d'asphyxie »,c'est-à-dire de faillite


(Delumeau) (1). Les causes? Sans doute le déficit
commercial vis-à-vis de l'Asie et la constance dù-
courant d'émigration du numéraire en direction
de la Méditerranée orientale; l'augmentation de la
production et des échanges en Europe entraînant
une demande plus forte de moyens monétaires pour
les opérations courantes; les exigences financières
des Etats en guerre et le rôle perturbateur des
banqueroutes gouvernementales'; enfin le détour-'
nement d'une proportion croissante de métaux
précieux pour la fabrication de bijoux, objets de .
luxe, ornements décoratifs, objets du culte. Finale-
ment, la demande globale a grandi plus que l'offre.
L' « étroitesse l) monétaire n'était que relative;
mais elle n'en existait pas moins. D'où l'importance
et l'ampleur des pMnomènes de crédit au XVIe sièCle.

II. - Les besoins de crédit et les modes de crédit


A) Guerres, hausses des prix et finances. - « Dans
le domaine politique, a écrit E. J. Hamilton, l'hégé-
monie de l'Espagne repose en partie au XVIe siècle
sur les possibilités d'entretien de troupes et de mer-
cenaires en pays étranger, que fournit à sa monar-
chie l'abondance de 1]1. et de l'argent tirés par
elle du Nouveau Monde» (2). C'est soûligner le
volume nouveau des Lesoins financiers dus aux
conflits entre prm.ces. La guerre, chaque an plus
coûteuse - arquebuses, artillerie, fortifications,
escadres, mércenariat, effectifs croissants, .durée des
campagnes, multiplicité et éloignement des lieux de
combats - entraîne la victoire définitive des stmc-
(1) J. DELU.MEAU. Vie économique et sociale de ROmé dans la
_nde moilié du. XVI' siècle (Paris. 2 vol•• 1957).
(2). Annales, 1932.
HOMMES D'AFFAIRES AU XVIe SIitCLE' ·55

tures d'Etat sur celles des cités et des seigne~e&.


.Ehrenberg, dans les premières pages de son
maître-ouvrage, rappelle les conseils du « condot-
tiere» Trivulzio à Louis XII en 1499,à la veille
de l'invasion du Milanais : « Thois choses sont
, nécessaires: de l'argent, encore de l'argent, et tou-
jours de l'argent» (1). .
Là aussi, les réalités du XVIe siècle ne sont que
celles' du siècle précédent, mais grossies. Les pro-
blèmes financiers de Charles Quint seront de même
nature que ceux d'Alphonse V le Magnllnime, maître
de l'Aragon, de la Catalogne, de la Castille, . et de
l'Italie méridionale, et dont les procédés financiers
ont été récemment analysés (2).
Ces problèmes sont toujours ceux provenant du
contraste entre le caractère immédiat des besoins
d'argent en tel lieu - palais ou champ de bataille -
et l'éloignement géographique, ou chrono~ogique,
des disponibilités en numéraire. Plus 'l'Etat es~
étendu, plus les problèmes sont complexes'; et, si les
territoires sont écartelés, tels ceux des HabsboUrg
à leur époque de puissance, les dif(icultés se trouvent
encore accrues. « Les richesses des rois, écrit
H. Hauser, sont des richesses futures, et des richesses
payables ici ou là, à Séville, à Barcelone, à Anvers,
à Rome. Or, c'est sur place, et tout de suite qu'il
faut payer. » Les ~estions de circulation des
métaux précieux et es monnaies (numéraire et
« papiers ») revêtent donc une importance fonda-
mentale. L~ qui ne peuvent pas compter davan-
tage au XVIe siècle qu'au Moyen Age sur des rentrées
fiscales suffisantes et régulières, ~othèq:neDt et:
'!liMent en faveur des prêteure, pour trouver du
(1) EHRENBERG, Le siècle des Fugger (trad. française, pluis, 1955,
S.E.'V.P.E.N.).
(2) H. LAPEYRE, Alphonse V et ses banquiers (Le Mouen Age,
no' 1-2, 1961). . ,...
'i

;
. . '. .
FINANCES DE "L'ANCniN, RtGIME
. ' , '

· crédit, tout ce qui est possible : produits Jirlniers ')


"":"et ée sera la fortune des Fugger bâtie sur le cmv.r6; .
cargaisons espérées -les Portugais, au début dl!
X'V1e siècle, seront les maitres de la mutation des
: épices en argent sur la place d'Anvers; subsi«les
"promis par les « Diètes», « Etats » ou « Coitès »;
~ revenus d'Ordres de chevalerie réservés au :roi
\" . ~ tels les maestrazgos d'Espag.Ù.e cédés aux Fugge~ .
.. et· autres financiers allemands; rentrées fisêales
· affermées à d'innombrables fermiers et traitants ;
'fonction publique négociée au détail. grâce à cette
VlnâIit6 des « offices » dont les produits étaient
escomptés par les rois de France et le placement
assuré par des financiers, industrie qui pren4 pré-
'cisément son essor au XVIe siècle. Mais toute hyPo-
thèque ou aliénation n'étant toujours qu'un acte
relevant du « bon plaisir D du monarque, rien de '
plus aléatoire que de telles garanties; d'où les gros
iittérêts réclamés par les manieurs d'argent et les
· profits des hommes d'affaires~~dont le niveau rap-'
pelle ceux du Moyen Age, mais qui n'ont eux-mêmes
qu'un temps: les banqueroutes partielles demeurent
le meilleur moyen de transformer en dettes à long
terme (rentes, juros) les écrasantes accumulationS
des·dettes « flottantes D, à court terme.
Mais les' besoins financiers des Etats grandissent
aussi à cause de la hausse séculaire des prix, qui
entraîne celle de toutes les dépenses d'Etat. '« F;n
gros, a écrit M. Braudel, il y a eu désarmement pro-
gressif des Etats devant le coût gran,dissant de la
vie. De là, leur âpreté à se. créer des ressources; à
s'associer .au. mouvement montant des prix. Le
plus clair de l'histoire des Etats au, xVI~sjècle
· reste leurs luttes fiscales» (1) •

. (1) Le Mlclfterran4e. p.409.


j ._'. '.'

'./ .'
", • 'f'

:-..

; ·::::,:~esterait âl'historien ..:- il est loUi de pl;l1~:voixle"


l.·.: faire d~~e ·manière satisfail;1ante· - à .m.ësurer.les ,'.. .
.' pllrts· 'respectives des. diverses rentrées d'~gent .:. '. '.
. ; dans. les « tl.'ésors » d~s princes et desEta~s: Pfj~~":
. J1scal~ (avec quels dech~ts en cours de CIrCUIt, ,. ,". '. c
. :.partdes « emprunts forcés », part des «offices .. », ~. ., :
'.' part des « rentes », part des dettes flottantes et des "'RP; __~
.' . folll'Iiitures d'argent des hommes d'affaires - sanS,. . ,
'. oUblier les' apports fournis, en cas d'ex;trême,
:; ". :qrgence par la fonte des bijoux, de la vaisselle .et , ,
dés ornements en métaux précieux.
..
B) Fermes et prêts. ~ Les principales opérations
(inancières auxquelles donnent lieu les affaix~s .
.
:.
,','.'

'd~Etat sont à classer sous deux rubriques,lesquelles:


·demeurent d'ailleurs en étroits rapports: les fermes ','. \

. . ,et les prêts. Les premières intéressent à vrai· dire


,« tous les échelons de la société marchande .»(1);
'. '. lIeigneurs, collectivités ecclésiastiques, municipa,-
. lit~s, Etats, font rentrer tout ou partie .de leui!l
rèvenus par des intermédiaixes, les fermiers, et la
." , gamme aussi bien que le volume des fermes,'sont '
int'inÏs; les fermes sont en principe adjugées .~u
plu:s offrant; mais le principe s'accompagne de" .. . .,
. toutes sortes d'entorses et de combinaisons•. Aux
échelons élevés de la ferme, il est fréquent que ,la
., .,f~oumiS8ion s'accompagne, de la part du fermier, . .'
. . . d'une avance . ortante à l'autorité qUi .
yen a perception de droits; la ferme n'est alors .'
qu'un certain mode de remboursement d'uni prêt
antérieur; il en allait ainsi pour les maestTugos•
.'L'adjudicataixe d'une ferme était souvent le repré .. ,.
Iilentant d'un groupe (association de « parsonniers »
---:-' on dira des « cautions» alix XVIxe et XVIIIe siècles);

.' " .r.


..
....
:
'.:' ..: '"
1.

58 FINANCES ,DE L'ANCIENaSGI.ME'

il pouvait aussi fractionner sa ferme et la cédèr à


des a sous-traitants ».Lorsque le système de. la
. ferme s'appliquait aUx revenus de l'Etat, il recoù... ·
vrait en général la perception des taxes ou impÔts
indirects .: taxes sur les marchandises, droits .d.~
passage et douanes diverses; les princes faisaieni
effort, le plus souvent, pour se réserver la levée des
.jmpôts direc,!, en vue de laquelle ils disposaient
d'une administration fiscale plus ou moins cohé-
rente d' a officiers de finance ». Tel était le cas du
royaume dè :France. Mais oit recruter des « fonc- .
tionnaires .» capables, sinon dans les milieux mar-
chands ? « Entre agents des finances et fermiers,
note Ehrenberg, la différence était donc minime.
Le plus souvent; les uns et les autres collaboraient
étroitement. Ils formaient une classe solidaire. »
Cette solidarité, faite souvent de com romissions,
entre 0 IClers et ermlers emeurera len un trait
constant des structures administratives d'Ancien·
Régime.' « Un financier, écrira Le Tellier au siè~e
suivant - et il entendait par là un prêteur du roi
et iun fermier d'impôts - doit estre auprès d'un
surintendant ce qu'est un soldat auprès d'un capi-
taine : il ne doit l'abandonner qu'avec la vie.»
Naturellement, en raison de leur position person-
nelle de marchands et de banquiers, et de leurs
fonctions de percepteurs de taxes, les fermiers
étaient gens à avoir dJ)...,œé.dit, ~n permanencet}ls
étaient alors 'en permanence aussi au service de
l'Etat, selon un processus irréversible. Pour avoir
placé des capitaux en p~êts au souv~rai~, ils ~taie~t
devenus entrepreneurs fIscaux; malS pUIsqu'ils ren-
traient dans leurs fonds, ils étaient en position d,e
faire de nouvelles avances d'argent au prince. Il
y avait là une sorte de logique qui devait entraîner .
bien des ho.mmes d'affairei! à des déboires doulou-
, "

BOMMES D'AFFAIRES AUXyIe SIÈCLE S9

.. l'eux. Arrivés à, un certain' degré de l'apports avec


l'Etat; les marchands.banquiers n'avaient plus la
- liberté .de se dégager : l'histoire des Fugger le
montre assez. Quant aux conséquences d'un tel
système sur la moralité des gens des « finances
. du roi », sur la corruption de toute la vie publique
et sur l'exploitation ,des contribuables, elles sont
suffisamment connues.
A côté des fermes, les prêts - mais d'un type
particulier. Le crédit public comménçait à peine
à s'organiser et les rois ignoraient l'utilisation des
emprunts à long terme placés dans un vaste public.
Certes, ces procédés d'emprunt n'étaient pas tout
à ~ait inconnus; le Moyen Age italien et espagnol
les avait continûment employés, mais à la seule
é~helle des cités: c'était le système des monti, c'est·à·
dire de placements dans une ,clientèle- urbaine assez
vllste de rentes, viagères ou perpétuelles, moyen·
nant la cession d'un capital. TI se po~uivit au
xvie siècle, dans le même cadre : les papes, nous le
verrons, l'utilisèrent régulièrement à Rome. TI
s'étendit même aux dimensions de l'Etat avec les
juros d'Espagne et les célèbres « rentes sur l'HÔtel
de Ville )l (Paris) à partir des années 1520. Mais en
rmson de leurs formes archaIques - tout achat de
rentes, à Paris, entramant la rédaction d'acte
notarié - ces emprunts publics ne pouvaient assurer
à eux seuls l'entretien des budgets royaux. D'où le
recours aux prêts à court terme,. perpétuellement
renouvelés sous forme de dette flottante. auprès
des hommes d'affaires, des· marchands.banquiers,
et des organismes nouveaux dont ils disposaient au
XVIe siècle : « foires de change » et -bourses. Cette
forme d'emprunts prit le tr..ot, puis le galop, des
années 1500 aux années 1560, et leur volume attei·
gnitdes sommes considérables sur les deux places
.. , ~ .. .'.
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60 "
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, ",
d'Anvers-(Chatles Quint,:puisPhilipPè: Il). et' de
'. Lyoli(Fl'ançois 1er, puis Renri II). Le dâliget :de'
l'emprunt à court terme c'est que, à l'écheance;,
. l'emprunteur est rarement en mesure de rembo~ser,
l'échéance venant toujours trop tôt. Alors l'exq:pruiJ.t
est: reconduit, les intérêts s'accumulent, :d':u,utTes
: emprunts sont conclus dans l'intervalle et la! 'dette'
fait boule de neige « dans une confusion et un .toUli-
billon vertigineux» (Ehrenberg) qui entraînaient
prêteurs d'argent et princes. Les taux des ,prêt~ ~,"
à, court terme oscillaient entre 12 % et 25 %l'an;:>
'ils étaient conclus en général pour des périodes "de
,trois mois correspondant à l'origine aux échéanc~$:"
, des foires. Il arrivait que certaines firmes famili~es ; i
les traitent avec leurs seules forces ; le plus souvent
se constituaient de véritables syndicats : tel le
fameux Grand Party de Lyon en 1555, ou les ,grou-
pements de financiers génois, espagnols, allemands ,
qui concluaient des asientos à Madrid ou à Bruxelles. "
Dans ce dernier cas, le pr,êt se compliquait d'UJ:l
tr~nsfert de fonds à longue distance; la mona~hie
espagnole vivait sur les arrivages d'argent;' d~~
Amériques ; mais les galions ne touchaient SéviUe
qu'une fois l'an; les contrats d'asientos assuraiènt,
à l'Etat des disponibilités sur diverses places
,1'.- d'Europe à termes fixes - le plus souvent sur la
place d'Anvers en raison du rôle des Pays-Bas espa-
gnols dans l'équilibre de l'empire des Habsbourg ~
et ils prévoyaient le remboursement de ces ,ayances','
en,Espagne.,L:int~!Y~:tltion des gens d'affaires était
ainsi particulièrement nécessaire dans le cas~e8
Etats relevant de la couronne d'Elllpagne, où la.
dispersion géographique des revenus à recevoir "'",
s'ajoutait à celle des paiements à faire.
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Les ,hommes d'àlfaires. - « Banque 1) 0'11
',' «,.change » signifiaient au XVIe siècle, comme au
. ::' .Moyèri. Age, maniement des espèces et maniement
". ,'déa:CJ.'éances (lettres de change) ; du maniement des .
~pèceli est sortie la banque de dépôts et de vire-
'. : mel)~~. eXercée soit par des changeurs et banquiex:s .' .'
•. pnv;s, soit .par des banques publiques - exclusi- . , ~I,

.vem,ent en Espagne (( Taulas » de Barcelone et de


.
':Val~ce) et à Gênes avant le dernier quart du'
;'. '

.xYIE! siècle. Mais le maniement des créances, c'est-à- . .....


· 'dire' .du papier, « les allées et venues de l'argent :
:e#tte.les différentes 'places» (H. Lapeyre), la· sp·é... ·, .
" ,cw.a~on pat « a;rbitrages » entre le prix de l'argent
·.'~sur leS divers marchés de change, sont le fait des
... ':-.'«, xn~chands-banquiers » (Roover) ou « hommes
.' .d'~es » (Lapeyre). Ceux-ci mêlent, en règle
. .·gén:~ale,affaires de marchandises (négoce lointain,
,« il;!.temational») avec les essais d'accaparement;.· ':.
'.
· "qu'elles comportent alors, entreprises industrielles . '
(DÛiles et textiles), opérations financières avec
..,', .', pMces et Etats. Ds ne sont donc pas spécialisés,
';-du moins à l'origine de leur fortune, car l'évolution '
:: ,dè .l~urs activités en conduira beaucoup à port«)r
. sûrtout l'effort vers le commerce d'argent et les
.' , '. :prêtS~ et à délaisser relativement le commerce~ Au ':' : :-'
: .' ~. siècle, plus visiblement encore que dans l~s.
:, sièolesprécédents, ils ont joué le rôle d'animateurs
.'" ,dè. la vie économique. . .
. . .. '« Un flot ininterrompu de lettres de change ne
cessait de circuler entre les diverses places d'Europe»
'(:O:~Lapeyre). Ces transferts de fonds avaient pour
.~ase8 le négoce des marchandises, le règlement des ',.'
'taxes ,ecclésiastiques à Rome, les dép~es 'mili- .'."'"

.. :;-', ,.
", ,"

62 FINANCES DE I1ANCiEN RlSGiME ,"

taires des grands Etats; sur ces trois' poste~l'aug­


mentation quantitative, propre au XVIe siècle, fut:
considérable. Mais, répétons-le, le mécanisme même
des transferts ne fut pas une invention de l'époque.
Les transferts étaient l'armature sur laquelle s'édi-'
fiaient les arbitrages, quj prirent alors une ampleur
considérable. Il s'agissait ici, pour les hommes "
d'affaires, de faire fructifier leurs capitaux par les
allées et venues des lettres de change entre les
places, en profitant des variations des cours. Ce
procédé compliqué, risqué (défaillance poss,ible du.
« tiré Il) permettait en tous les cas de gagner (le l'ar-
gent sans tomber sous le coup des interdictions
ecclésiastiques concemant le prêt à int~rêt, qui" _,
n'auraient pas manqué de jouer sUes prêts avaient
été faits, par les hommes d'affaires, sur une seule
et ~me place. Mais les besoins de crédit (emprunts
à court terme des Etats) et l'attrait du gain devin- '
rent tels au. XVIe siècle queles hommes d'affaires en,'
arrivèrent à utiliser un type plus direct de placement
sous la forme du « dépôt Il en foire : les « dépôts "
étaient des avances faites d'une foire à une autre
dans, une même ville, soit trimestriellement, à des
taux variant selon le marché; ils furent régulière-
ment pratiqués aux foires de Castille (1), à Lyon,
à Anvers, aux foires « génoises Il, mais pâtirent •
partir de 1571 de la décrétale du pape Pie V quiles
condamna explicitement.
Les mlll"tres du jeu, c'est-à-dire les grands hommes
, d'affaires, opéraient, à une éc'helle bien plus vaste
que celle du Moyen Age. Ehrenherg a: calculé qUe,
si les Pazzi, à Florence, disposaient au début du~',

(11 Les foires de Castille se tenaient successivement à Vlllalon.


MI!icllD.a dé! Campo, Medina de Rloseco, et de nouveau Medina dei
Campo. Ici,les apparences étaient sauves puisque l'on tirait les traites
sur des locaUtéi différentes. ',
;ave siècle d'oo 6apital équivalent à 147 kg d'Ol'
lillf et it celUi dl! Laurent et de Cosme de Médicis,
,tU milieu du :xva liIièble, repmentait 1 750 kg, le
tdpitâl social d.es Fuggeï', en 1546, équivalait à
13 000 kg de métal précieux; dans la très brillante
pMiOclè de 1511·1527 le profit annuel :moyen des
FUggmo atteignit 54 %. Des ol'(Jissances identiques
dans 1. trafiè lIîà1'Chand ont pu être calculées.
De_ ~oupes rtSgiontlU:1C d'hommes d'affttires
dtmûnent le XVIe siècle: 1ee Italiens et lei Allemands
du. Sud. Le rôle joué par les Espagno18, Portugais,
Flumands, a été beau.coup plus effacé; Anglais et
FrançiÜs n'apparaiseent pour ainsi dire pas en tant
que prêteurs dans les grandes opérations fman-
clères dé surface intemationrue. La persistance dès
cl t6seawc » italiens tt'est pas étonnante. Ds demeu-
rent lél màttres et initiateurs de t01l8 les trafiès;
mais, à la veille d'un décisü mouvement de bascule
dawi là vie ~col1onûque continentale, qui se pro-
dttii-a il11 X'\Tne siècle 4'\1'ee l'essor hollandais et
brittlllruque, ils connaissent leur dernier grand
liiècle. Le mouvement qui, dès la seconde moitié
du ~~ei.l3lè. entl'aÎllé la restriction de leur ancien
CI)m.JDerce 6\1'eo le Levant (invasions ottomanes),
let inëite à 'se :retourner de plU8 en plus '\l'ers l'Ouest
miBdit'manéeit : Espagne, Portugal, AÇDl'eS, côtes
afrioàinel8 de l'Ouest; et vers la façade Nord·Ouest
• l'Eü.tope ; ile sont done en place lorsque le trafie
atlantique .'ébl'anle. Jusque Ve'l'S le milieu du
x,"p 8iècJ~ les lIudeoDS italienttes p~ondêrantes
aont, comme ab s"Îètlle pl'écédent, originaire.. de
'l'b18~ahe- Lucqut>is 01J. Florentins. Les Frescobaldi
et tfllâltêtottl. il Londres, qui remplirent l'espèce
d.'ihtv.tègta.efinanciel' lIépal'ant lete1Y1pèdes M&üciB
dèa-eilli d~s Fo.gge~ ; les Af'fttitadi et Gaspar Ducci
à AD'\Tèl's. ; les forts ttoniliremc « Lolnhards )) de Lyon ~
':t, .
. .";
. .~
,'" .' . . . ft .. '
" ....
.. ' ';'i
" .:' ',: 'FINANCESDE L'ANCIEr'; R~GIJ,V1E,"
" ....

, ':8On~, Strozzi; Guadagni, Pazzi, Capponi, l.A1bi.~: "


, Dans la seconde moitié du,' sièclè les hommes,d~af-,
fâir~s italiens de surface européenne sôtit :surtO:ut ",'
Génois : Spinola, Grimaldi, Centurioni, Cattaneo,
Doria, Sauli... ' ,,' '.,.' '
.
~ ~, .
Ce déplacement d'influence a sans doute ses o:ri~ ,
gines au xve siècle : intervention préc!)ce, des ,
. ~ .. Génois dans le commerce maritime de l'Espagne .. "
" Mais ce sont les conditions nouvelles du trafic de
, 'l'argent espagnol empruntant la voie Bar.celon~- ':
Gênes et délaissant le chemin d'Anvers, qui en font
lé trait dominant de la seconde partie du « long:»"
XVIE! siècle. C'est alors que joue à plein entre ,les
" ' mains génoises « la grande machinerie des foirés·' (le
Besançon » (M. Braudel) qui se fixent, après· de "
nombreux périples, à Plaisance à partir de 1579.;
Les circonstances politiques aussi, en rangeant,,;
entièrement, les Génois du côté de Charles Quint, '
contre François 1er, à partir de 1527, 'avaiElnt
entraûlé les banquiers de Gênes dans le grand cu-
rousel des finances des Habsbourg, après av:oir
,servi Charles VIII, Louis XII et François! Jar,.
Enfin, ils ont profité, à partir de la première ban-
, queroute de Philippe II (1557), de l'affaiblisseDJ,ept ,"
'des prêteurs allemands qui avaient jusque-là tlmu
une grande place dans les opérations financièr'~ ,
de Charles Quint, et, au-delà de 1575 (deuxième:'
, banqueroute de Philippe II), du déclin des foires'de ,
Medina deI Campo - et du recul anversois. ~s
hommes d'affaires génois tiendront les finances de
"l'Espagne, de banqueroute en banqueroute, jusque
vers le milieu du siècle suivant, époque où se ti\#t "
le flot d'argent américain arrivant à Séville, époque, '
où, ,avec l'Espagne, l'Italie et le Levant, l'~spa,ée
méditerranéen qui avait, depuis le XIIe siècle, bnposé '
~s rythmes à l'Europe du Centre et de'I'OueSll,
" '
HOMMES D'AFFAIRES AU XVIe SI:kCLE 65

semble s'effacer de la -carte économique àctive du


continent.
La montée des hommes. d'affaires allemands
- .Allemands de Bavière et de Franconie...,.... à partir
. -du dernier quart du xv e siècle est l'autre fait re~ar~
cfuable de l'histoire des « puissances d'argent» au
XVIe siècle. Fait explicable par la -situation des
villes bavaroises au débouché des routes transal·
pilles menant de Venise à l'Allemagne, et. de là,
par leRbin, aux Pays-Bas et à la mer du Nord;
et par leur position au cœur de la grande zone euro·
péenne productrice d'argent (Harz, Tyrol, Bohême),
zone qui fournit une production croissante à la fin
du Xve siècle et au début du XVIe, avant d'être
éclipsée par l'apport d'Amérique : mais celui-ci
ne devient massif qu'après 1545. Fait explicable
. aussi par la montée des activités industrielles en
Europe centrale, stimulées par le commerce mer du
Nord-Méditerranée et ses occasions de débouchés:
extraction et travail des métaux (cuivre et fer),
industrie textile (futaines: tissus de lin et de coton) ;
d'où les ventes de produits textiles et métallur-
giques, tant à Venise que dans l'Europe de l'Est
et sur la façade de la mer du Nord. De fait, tous les
. grands hommes d'affaires allemands du XVIe siècle
ont d'abord fait fortune d~ les mines, la vente
des métaux, des produits métallùrgiques .et des
tissus. De là, ils sont passés aux opérations de crédit
aux princes. Le destin des Fugger, s'il- est hois_
série d'un certain côté, par l'éclat de la réussite et
la .dimension des enireprises, est cependant de ce
- point de vue profondément typique et démonstratif.
L'ascension des Fugger, à AugsboUrg, aux XIVe.
Xve siècles, à partir de l'installation du -tisserand
Hans Fugger en 1367, à-la fois artisan et commer...
çant, est en soi banale ; Hans meurt en 1409, négo.
J. BOUVIER ET B. GBRMAIN-MARTIN 5
": :' ,
"

l '1.·"· .. _ . _

FiNANCES DE L~ANCIEN' R:tGI,M$.';< "


. '.' . .
ciaIJ.t enrichi. De lui procèdent deux branches,fà~~ .
, , 'liales : les Fugger « du chevreuil ». et les Fugger·«.des .>
..... , . lis » que distinguent leurs « armes ». La preniière
,branche est, jusque vers les années 1480, la plus
, imp,ortante et la géographie de ses entreprisespi'~-:
figUre les grandes affaires du XVIe siècle :impor- ',.:~'
tations d'épices, soieries, coton, safran' en pr()ve- ;.'
nance de Venise et de Milan ; exportation de pro-' .,
duits manufacturés; en 1480, des affaires~deqe'
dernier type ont déjà été traitées à Anvers, à LeipZi,g
. ,et au Danemark ; et Lukas, qui fait faillite à la fin
du siècle après avoir été l'un des dirigeants de la:
;"r'
1, municipalité d'Augsbourg, a participé à des prêts'
à l'empereur. « Mais tout ceci, écrit P. JeaJlll#t, ".
. se situe à un niveau qu'atteint souvent l'activité'
de la bourgeoisie marchande d'Augsbourg.» ,Ce,
sont les fils de Jakob l'Ancien, mort en 1469, de "
la branche des « lis » : Ulrich, Georg et Jakob - dit ':
.,plus tard « le Riche » - qui portent la firme à un .
'niveau supérieur d'activité. A noter que Jako.b,,
le' plus jeune, a abandonné l'état ecclésiastique
auquel il se destinait pour entrer dans les affaires '
familiales en 1473 ; il deviendra le chef de la maison
après s'être imposé à ses deux frères, morts en 1506
et 1511. Il a fait ses classes commerciales, coIiUne
tant de jeunes bourgeois d'Augsbourg au Fonilaco
dei Tedeschi, à Venise. Mais il a la chance de par-
venir à la direction d'une maison de négoce déjà
, ·.bien assise lorsque la conjoncture économique,et '. ".'
politique en Europe offre aux grands marchands',
de prodigieuses occasions de gains. Cependant, dans
.' , les conditions fondamentalement explicativesde-"
r .,.
la réussite de Jakob le Riche, les traits anciens, de
type Moyen Age, subsistent. C'est attachés à:la .
fortune des grands princes du temps, c'est e~
fo~ction de la conquête de positions, favorables
'.'- . ~.' .

. .....'::
67

.;.. dans les rouages' d'Etat que les plus grands Fugger
tireront'.le maximum de leUrs entreprises d'indus- ,.,.;"
~:,,:"trie, de,négoce et de banque. D'un côté, alliance
, ' 'avec les Habsbourg, dont la cause est embrassée
"'.
,',-: sans réticence par ces hommes d'affaires catho- '. -"'.,

", '"l

,', , ,liques : pénétration classique à la Cour impériale


, '; par les fournitures (vente de draps en 1473 à l'oc-
. casion du mariage de Maximilien et de Marie de
,', B~urgogne), par les crédits gagés. sur les mines
, d'argent du Tyrol (opérations de 1485 et 1487 entre
.' Jakob et le grand-duc Sigismond de Tyrol, qui gou-
. . vemait la province pour le compte des Habsbourg),
,:.'.puis par ceux garantis sur les mines de cuivre. de la
. même région (1496, prêt à Maximilien). Le mouve-
.L· • ment est alors lancé qui va faire des Fugger, pour
". ,;.",
des décennies, les principaux entrepreneurs et négo-
.ciants métallurgistes d'Europe centrale, avec le
. ''< monopole établi, en particulier, sur les mines de
',':" cuivre du Nord de la Hongrie. Mais, financiers de
:',:' Maximilien jusqu'à sa mort (1519), ils s'installent
,'. & Anvers (1493), dans ces Pays-Bas, cœur des pos-
sessions de Maximilien, et à l'époque même où les ,. ", y,~.

, épices portugaises commencent à s'y traiter sur


. une grande échelle. Jakob Fugger, avec ses facto-
.. reries dispersées d'Italie du Nord à Dantzig et
,: / d'Anvers à Lisbonne, peut offrir ses services de
banquier à Maximilien : il fera merveille en par-
o ticulier en 1509 en mobilisant en quelques semaines,
par des lettres de change, des subsides que les alliés
, .,- de Maximilien lui avaient promis, mais payables
à dates éloignées et sur diverses places.
D'un autre côté, alliance avec l'Eglise; et sur
'cette union financière du trône impérial et de ",.;

. 'l'autelpontificaI, Jacob bâtit son exceRtionnelle


. fortune. Un des frères de Jakob, Marc, était ecclé-
l'",.
: si astique ; de 1471 à 1478, il travaillera dans les
')

68 FINANCES DE L'ANCIEN R:tGIME

services de la Chancellerie apostolique. J akoba un


comptoir à Rome même : opérations avec la Cùrie,
'avec les princes de l'Eglise qui passent par l'inter..
médiaire des Fugger pour leurs transferts d'argent,
participation' à la ferme des Monnaies pontifical~s.
Il ,aide financièrement Albert de Brandebourg' à
acquérir l'archevêché de Mayence - prêt de
2! 000 ducats pour l'achat à Rome de la confir~
mation de la charge et pour l'envoi du pallium.
C'est alors que, pour pouvoir rembourser ,son han- '
quier, l'archevêque obtient de Rome la perception
des « indulgences» en Allemagne (1516) ; désormais
un représentant des Fugger accompagne frère
Tetzel, le célèbre prédicateur des « indulgences Il,
dans ses tournées et la recette de ce trafic ancien
et traditionnel va moitié à Rome, moitié à Jakob;
Luther bâtira la Réforme là-dessus : « Fuggerei,
Wucherei. II Léon Schick a souligné pour sa part
récemment (1) l'importance du rôle joué, dès les
années 1490, dans les affaires de Jakob, par Melchior
de Meckau, évêque de Brixen, trésorier des Habs-
bourg à partir de 1498; l'évêque fut habilement et
personnellement intéressé aux affaires de la firme et,
à partir de 1496 au moins, déposa une part de sa for-
tune dans les coffres des Fugger: apport d'argent qui
a peut-être été décisif pour l'extension des affaires
de la maison. L'évêque de Brixen aida Jakob dans ses
démêlés avec les producteurs de cuivre du Tyrol, ce
qui permit au banquier à partir de 1506 de monopo-
liser à peu près l'écoulement du cuivr~ et de l'ar- '
gent de cette province; lorsque le pape Alexandre VI,
fit de Melchior un cardinal, les affaires romaines
des Fugger devinrent aussitôt florissantes ; mais la
mort du cardinal, en 1509, entraîna pour Jakob

(1) L. SCRlCK, .Jacob Fugger (S.E.V.P.E.N., 1957).


BOMMES D'AFFAIRES AU XVIe SI:kCLE 69

une « crise de trésorerie », qu'il put surmonter.


L'humeur guerrière et les ambitions impériales de
Maximilien d,emeurèrent heureusement une source
continue de bénéfices : l'homme d'affaires, en
dehors des avances d'argent, vendait au prince
soieries, draps, armes à feu et obtenait des faveurs
douanières pour ses ventes de cuivre en Italie.
Même constance dans l'entreprise pour ce qui était
du transfert des revenus pontificaux du Nord
des Alpes vers Rome. De tout temps, depuis le
DUe siècle, les rapports avaient été forcément
étroits entre collecteurs des fonds et marchands.
De 1495 à 1520 les Fugger transférèrent les revenus
de 64 des 110 évêchés existant en Allemagne,
Pologne et dans les Etats nordiques. Pendant tout
le premier tiers du XVIe siècle, la firme demeura le
grand banquier de l'Eglise en'Pologne, Hongrie, dans
les Etats autrichiens et dans toute l'Allemagne; et
bien avant la célèbre affaire des «indulgences» de 1516
Jakob avait aidé au transfert des sommes recueillies
à ce titre, service qui lui rapportait une commission
de 5 %, non compris les bénéfices de change. Ainsi,
sous Jules II, Léon X et Adrien VI les Fugger
tinrent à Rome et dans les affaires de l'Eglise une
place qui avait été auparavant celle des Florentins.
Mais la chronique des Fugger - provisoirement
arrêtée au moment de la célèbre élection impériale de
Charles Quint en 1519 - est loin de renfermer toute
la cc geste» des hommes d'affaires allemands dont les
plus importants furent tantôt rivaux des Fugger, tan-
tôt associés à eux. Ehrenberg a consacré quelques pa-
gès aux plus célèbres d'entre eux: les Welser, Hoch-
stetter, Haug, ManIich, Hervart, Tücher, Imhof, etc.

B) Les centres d~affaires. - Même si l'on pouvait


'entreprendre une étude complète des fimt.es ita-
.... ': . :·':'.~l ~

;'.:. "
.~ .
.';
;:~'. ·~.,.~S·: ~.
..)..'::,.:':1.
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lienn~ etallemande.s,du. XVIe siècle, 'dans ,le cadre':-;,,:<;


d~une8érie de « portraits» d'hommesd'affaire8'~t<,~ :~'
de ,maisons, il reste.rait encore à anaIys,ei'.lé jeu '
. ~ .. ' de ces' points de rencontre des échanges européens , ,
.'. ~ .. qu'étaient les grandes'places de foires, de,bour8es",;:";~':
:~ ~./ :.
de changes, de « dépôts '» et de finances. Quatre ':';;';,:;:;
~l"'; ". '. villes, et leur entoùxage régional, ont joué ce rôle '<,> ':
f'· .. ,···.
'. ':.i privilégié de pôle d'attraction des affaires .: Lyo1J,"~;'
Anvers, Medina deI Campo, Gênes. L'histoire n'a' ;-,
pas encore débrouillé, pour toutes égaIèment l'éche:
veau complexe des causes de leur essor et de leur" " "
déclin, leur rayonnement respectif, ni la chronique : "
même des grandes affaires qui s'y tr~tèrent. Chro~ '"
nologiquement, Lyon apparaJt la {iremière, comme ,
foire de change et pas seulement 7 eu de commerce '"
marchand, à la fin duxve siècle. Elle reste un~ " , " l ,
« Toscane française» jusqu'aux banqueroutes de la ',:' ',"',
, .... seconde moitié du siècle; son rôle comme centre '
de compensation (les' « quatre' paiements de Lyon ») "
demeurera notable jusqu'à la fin du, règne de
..... '
Louis XIV, mais sa grande époque se situe mcontes- ", '
tablement dans la première moitié du XVIe siècle. '
Lyon: a plus été, semble-t-il, un centre de foires ,
qu'un centre boursier; l'activité y était concentrée,','
dailsles semaines entourant les foires trimestrielles, ;; ,
alors qu'à Anvefs elle était devenue quQtidienne en
"'.: .'
raison de sa plus grande intensité. Le développement,! '
de la place, s'il trouve bien ses fondements naturel~ ,
dans le négoce (soieries et draps de laine italieJlB ,,'
d'abord, puis épices, par ordre d'importance) et '",
dans une situation de « contact du grand commerce.:',::,."
d'importation et du commerce de redistribution ',;
dans le royaume» (M. Gascon) (1) a dil beaucoup à '
(1) R .. GASCON, Article, sur le commerêe des épices à Lyoli al1"
XVI· slèèle CAnnales, no 4. 1960)., La thèse de ,M. Gascon sur 'la ',',',
bourgeolsle lyonnaise du XVI· sièCle est en cours d'Dn}mlSSioD.. '~, ';..,
, r',:',

' ..... ,'


, ,
"-
",
"

, ,
, ,
HOMMIts
:.; . ~.
D'AFFAIRES
., '
AU XVIe'
,. Sl1:ciE, ,71

<1~ soUicitudè des rois de France qui, depuis, les' ....


'.:

initiatives de Louis XI en faveur des foires (1~63) ,


-:-:- venant il est vrai après de premières mesures
~. . .pt~~s .par Charles VI et Charles VII ~ ont voulu
, â.voir là un réservoir de capitaux à court terme où
\':t>~ser,: d'où la liberté du commerce des métaux
.'", ",précieux accordée aux foires. M. Gascon souligne
,," •qU.~en, tant que centre du commerce de l'argent,
-X~yon fonctionnait bien avant l'arrivée des métaux
",américains: l'essor des foires de change date de la
période 1494-1520. Nous verrons à' propos des . -, { .
" affaires royales quelques-uns des épisodes mar- . t':,'
" quants de l'histoire financière de Lyon. Mais l'une ','

-des 'originalités de la place tient à la rencontre;


au .brassage permanent des influences italiennes
~'~eaucoup d'hommes d'affaires florentins y étaient
"des réfugiés politiques - et allemandes : banquiers
protestants ennemis de Charles Quint, ou autres
spéculant sans vergogne sur les différences en.tre
Anvers et Lyon. Par ailleurs, l'importance des
transactions commerciales et financières, la variété
des pièces de monnaie utilisées, leurs variations à
êpaque décision royale, aboutissent à l'utilisation
~ comme aux foires de Genève de la mi-xv e siècle -
d'une monnaie de compte propre à la place, l'6cu
'de marc (65 écus au marc) « mètre international
des valeurs » qui annonce la « monnaie de banque j)
du XVIIe siècle, telle qu'elle sera lancée par la Banque
d'Amsterdam. " ,
, .' Anvers a été beaucoup plus 'étudiée que Lyon. '
Bruges, quoi qu'on en ait dit, avait été au Moyen
Age ,un marché plus régional qu'international.
Anvers dut son rôle « mondial» à partir de. la fin
,du Xve siècle jusqu'au troisième quart du XVIe,
à diverses circonstances économiques et politiques.
« }»ortugais, Hauts-Allemands et Anglais confiti~

..;.
72 FINANCES DE L'ANCIENR1J;GIME

tuaient, les trois piliers' du commerce mondial


d'Anvers» (1). C'est la confluence du négoce des
draps de laine anglais - succédant aux exporta-
tions' de laine brute vers la Flandre - des,' arrivées
d'épices d'origine portugaise, et des fournitures
minières, métallurgiques et textiles d'Europe cen-
trale qui fondent la' prospérité marchande de la
ville. Sa docilité envers Maximilien, Philippe le
Beau, puis Charles Quint contribua A l'établir,
d'autre part, comme centre du commerce de l'argent
fournisseur de créditA court terme, c'est-A-dire
selon la juste expression de M. Roover, comme
« marché monétaire ».
Cependant, les aspects les plus spectaculaires,
parce que nouveaux, de l'essor d'Anvers ne doivent
pas entraîner l'historien A des erreurs d'optique.
L'Anvers du XVIe siècle n'est pas le Londres du
xrxe - ni même l'Amsterdam du XVIIe siècle.
Dans son récent ouvrage E. Coomaert a fait res-
sortir le caractère surtout européen et continental
du marché anversois (2). Les Fugger et leurs pareils
ne résument pas toute l'activité anversoise et le
négoce avait plus de continuité et de permanence
que les grandes ,opérations poIitico-financières trai-
tées sur ,place.' '
La mise en, place de la Bourse d'Anvers - mar-
chandises et changes -,. a dû être progressive. Elle
était sans doute, réalisée dans les faits avant de
rêtre en quelque sorte en droit, par l'édification
d'un bâtiment spécial copié sur le modèle de la
logiamarchande italienne (1531). Ma~s la croissance
des opérations de finance - changes et « dépôts» -
par -rapport aux négociations de marchandises

_ (1) VAN HOUTTB, Annales, no 2, 1961.


, (2), E. COORNAERT, Les Français et le commerce international d
AliVèrs ffln du XVo-XVlo siècle) (M. Rivière li Cio, 2 vol.; 1961).
HOMMES D'AFFAIRES' AU 'XVIe SIÈCLE 73

semble s'être faite assez tardivement à partir de's


années 1540. Ehrenberg ne devait pas se tromper
de beaucoup quand il· notait : « Dans la formation
des grandes Bourses, l'impulsion ne vient pas de
l'offre des capitaux, mais de la demande des
princes. » Certes, l'offre était bien, à Anvers,
permanente. Mais les grandes opérations durent
tout aux besoins d'argent de Charles Quint et de
Philippe II, de même que celles de Lyon se dévelop-
pèrent sous la pression de François 1er, puis
d~Henri II. Ehrenberg date des années 1540, et
du grand effort militaire fait alors de part et
d'antre, le fait que « Jes princes perdirent leur reste
de prudence à l'égard des emprunts flottants
à intérêt, qui devinrent désormais un expédient
régulier ». C'est alors que,' tant à Anvers qu'à
Lyon, les princes, avec Gaspar Ducci puis Schetz
. d'un côté, le cardinal de Tournon de l'autre, comme
intermédiaires respectifs, s'adressèrent non plus seù-
lement à des marchands particuliers, mais à l'en-
semble du marché monétaire; les opérations d'em-
prunt à court terme se rapprochèrent de la forme
moderne des souscriptions publiques. Le volume
des affaires traitées sur ces bases grossit démesu-
rément sur les deux places dans les décennies 1540
et 1550 : au-delà, à trois reprises, les souverains
régleront leurs dettes par des banqueroutes (1557,
1575, 1596). Certes, M. Roover peut insister sur le
fait qu'il n'y avait, même à Anvers, qu'une petite
minorité de grandes maisons dont les disponibilités
étaient suffisantes pour les prêts princiers; mais
ces grandes maisons attirèrent les dépôts de parti-
culiers, et pratiquèrent elles-mêmes l'emprunt sur
le marché pour ·être en mesure, à leur tour, de
satisfaire les demandes des gouvernements. D'où
l'expression de Van Houtte qUi qualifie de « marohé
,.•.' •.,;.:.:,.:•.

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. ; " ,~;-: .. ' . . _, . ~ .' .' . i: .
. ; : ." d'un 'style nouveau» le marché interQ,ationàl.:d~ '.
:- 0:": l'~gènt à Anvers. Les maîtres «lu. jeu fu.reilt,:.d. ::.'
. _ un' premier temps; à la fin du xve siècIeet:'aû>
début du XVIe siècle, les marchands-banquiers '
,: '-, ," italiens: ils disposaient, en tant que vende~' ;~\; :' .
,prod~t.s ~éditerranée~, d'une balance comm~rc~kle; .
bénéflcuure; par la sUIte, et surtout à p~; des, '
années 1510-1530,Jes Florentins, victimes des ~odi"';:,
, :, ficatiolls en cours dans le négoce européen,cèd~n.t _ '
:.,,: 'la place aux négociants allemands qui diilpo~t .. ,
à leur tour, à Anvers, de soldes commercia~ actif$j: .
,disponibles pour des opérations de prêt. c'esi .' or.,
,à cette époque, que, avec l'arrivée de Cbm::l(ls
" l,', Quint à la tête d'un énorme héritage de territoirèl!l :
et d'Etats, le centre de gravité de la politique .
, habsbourgeoise se transféra aux Pays-Bas. Leseré--;
':-_'," " dits aux pouvoirs publics ouverts à Anvers par;Jes
',' seuls Fugger s'élevèrent de 18500 livres de gros;"
de Frànce en 1527, à 24 500 en 1533, à 187000;'
," 'en1546 - on voit ici le saut des années 1540-;et
à 360000 en 1560. A côté des Fugger, d'autres:.·'
gens de Nuremberg et d'Augsbourg, et à côté d~eUx
encore, des firmes espagnoles, flamandes et ita-
liennes : la plupart d'entre ellès ayant teîldànc~,',
: à délaisser la « marchandise » pour les opérations ..
'.' . moins pénibles et plus fructueuses des prêts. :La
. population elle-même participait au mouvement en .
l'alimentant: elle versait de l'argent en dépôt,·à··
intérêt fixe (7 % à 12 %) chez les marchand~-l>!1~c
quiers. Qui empruntait ? Les villes des Pay~-Ba8,
:le gouvernement de Bruxelles sous l'autorité 4e
Charles Quint, le « facteur» représentant le gouver-~· ,
nement portugais, l'agent royal de la Couro~e.
britannique, le' très célèbre Thomas Gresham,:.«fû
.'. ... séjourna. à Anvers de 1551 à 1574. Prêts couverts,
, ...... naturellement, par 'd'amples garanqes : DUlfcha~~.,
'<.;: .. ..~.,'

. ".:
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HQlK1ltEs .... . AUXVle'.~IÎ;cJ::>:


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,~. ..' . .,;" - " ~
'·75

.'. dis~~~J;even~ fiscaux;, « avals » de ~uDieipalités


.
~r' ou:de'uauts personnages. .
" Dans le dernier tiers du siècle, Anvers· décline
aU'profit du centre génois et de ses annexes:les
fo~~ dites « de Besançon ». Dès le milieu du siècle,
certamell des bases commerciales de l'essor anversois
sont, '6branlées : diminution du négoce des épices,
fe~et'iÙ'e de la factorerie portugaise, ralentisse-
ment .des exportations anglaises de draps. Le
·r· cominerce d'Anvers souffrit considérablement, par ..-:;
". ai1le~,: des hostilités maritimes : les corsaires
angI1ûs et néerlandais, en lutte contre l'Espagne, , :i

contrôlaient la Manche et l'on connaît l'échec final


de. Philippe II dans sa tentative pour rétablir le
cOD,~ôle de la route maritime Espagne-Pays-Bas
:.' à 'son'profit. En 1568, le gouvernement anglais
s'~ait saisi de cargaisons de métaux précieux, .~. -.
." . propriété de banquiers génois. C'est alors que la ~,' :.

route de l'argent espagnol vers Anvers commence


à délaisser la façade atlantique de l'Europe pour .
.; j.

emprunter une direction méditerranéenne : Séville-


B.,celone-Gênes. Les faillites chroniques .de Phi-
lippe II et de ses successeurs sont un autre élément
d'affaiblissement de la Bourse anversoise. Anvers
.•..
souffrit enfin directement de la guerre aux Pays-
Bas entre Calvinistes et Espagnols (sac d'Anvers
,:~, par les Espagnols en 1576 ; entrée de Farnèse dans
la Ville en 1585). La ville va demeurer jusqu'au ' . ::'
xVIn8 siècle un centre bancaire et un marché moné- '- ....
taire actifs, mais dans le seul cadre régional et au
profit du seul gouvernement espagnol, qui demeure
maître des Pays-Bas du Sud. ,
j, La,montée des Génois dans la seconde moitié du
xVI8 siècle Jl des causes tenant à l'ancienneté et à
, l'exç~n~nce des techniques bancaires génoises. Mais
; .• ' _ leurprepondérance en matière de crédits, ·de trans-

. ..' '~':'.'~

. '
~.'.
';'.
:.: '
'
76. FINANCES DE L'ANCIEN R:gGIME

rêrts et de « finances » tient autant à des facteurs


écon:omiques profonds qu'à .des causes .politiques.
A partir de 1528 les Génois sont devenus banquiers
de Charles Quint. Ce sont eux: qui, forcés de délaisser
les « paiements» de Lyon, incitent l'empereur, au
début de 1535, à créElr les « foires de Besançon.»
après avoir erré quelque temps à Montluel, près de
Lyon, et à Chambéry (1534). Celles-ci vont être
ambulantes et se tiendront successivement à Besan-
çon, puis dans toute une série de villes des Cantons
suisses et d'Italie du Nord; mais elles se fixeront
le plus fréquemment à Plaisance. On a noté que ces
foires ne quittèrent pas la vieille route terrestre. du
commerce, toujours active, entre Méditerranée ~t
mer du Nord par les cols des Alpes, la Franche-
Comté et la Lorraine. Leur caractère spécifique;
fort bien analysé par Ehrenherg, c'est qu'elles
servent d'instruments au centre d'affaires génois,
première place bancaire d'Europe désormais, et
qu'elles permettent la mise en place du système d~
la ricorsa qui fonctionnera en grand au siècle suivant.
Désormais, Gênes devient le centre de distribution
des arrivages de métal-argent du Nouveau Monde.
Les foires dites « de Besançon », ou « à la génoise »
reprirent à celles de Lyon le système de compta-
bilité en écus de marc; elles n'étaient que des foires
de paiement, et ne négocièrent jamais des marchan-
dises. On y procédait par compensation et virements.
Les grandes maisons de Gênes qui, à travers .les
banqueroutes, assuraient alors les asientos de
Philippe II et de ses successeurs devaient verser
des fonds en Italie ou aux Pays-Bas, encaisser les
remboursements en Espagne et les transférer à
l'étranger, et dirigeaient finalement vers l'Europe
les courants de l'argent-métal espagnol arrivant
à Séville. « Ce ne furent pas les mines· de Potosi,
HOMMES D'AFFAIRES. AU XVIe SIitCLE 77
1

écrit Ehrenberg, mais les foires des Génois qui


permirent à Philippe II de mener sa politique
d'hégémonie et à ses successeurs, pendant des
dizaines d'années encore, de soutenir des guer-
res. » Mais ces foires étaient nées du déclin
d'Anvers, de Lyon et de Medina deI Campo., Elle
demeurèrent très actives. tant que les Génois furent
engagés dans les affaires _gouvernementales espa-
gnoles - c'est-à·dire jusque vers 1620-1640.

IV. - Finances princières


« L'Etat, au point de vue financier, n'existait pas,
a écrit L. Febvre. Il y avait Je soûverain. Le sou-
verain qui était un particulier (... ) mais qui ne
pouvait trouver du crédit que comme particulier•
.ce n'était pas la France qui empruntait en 1530,
majs un prince, François 1er, qui inspirait plus ou
moins de confiance avx prêteurs» (1). On a cité
récemment une lettre de Philippe II (février 1580)
fort significative de l'inexpérience financière des
princes : « Ces questions de change et d'intérêt,
écrit-il à l'un de ses secrétaires, jamais je n'ai pu
les faire entrer dans ma tête; je n'en finis jamais de
les comprendre» (2). Richelieu aussi, une fois au
pouvoir, avouera son ignorance financière.

A) Les emprunts des papes. - On connaît désor-


mais a:vec précision la situation des finances ponti-
ficales dans la seconde moitié du XVIe siècle depuis
les travaux de M. Delumeau. Les dépenses grandirent
1 du fait des ambitions territoriales des papes en

. (1) Le marchand du XVIe siècle; article reproduit dans le recueil:


Pour une histoire à part entière.
(2) ·J.'GENTIL DA SILVA, Annales, nO 4, 1949. . :
,.,':';
. .," ......
:.,::"
-." .... ,.
.:; :~~, '
" ,'.

78/' .. _" FiNANCES PÉL'ANCfEN Rg';!:ME


.;. "

ltaIie~ de la lutte contre les protestants en EùrÔPe.


et contré les Turcs en M~diterrailée : Sixte.!'~t
constrW.sit même une flotte de guerre. Elles gran-
dirent aussi avec -les constructions coûteuses des
papes de la Renaissance, qui voulurent faire ,de
Rome une capitale grandiose; la seule reconstruë-
'", tion' de Saint-Pierre (1506-1626) demanda plus':de
44 tonnes d'argent fin, soit l'équivalent des :recettes
bru,tes du Saint-Siège pendant une année entière
: :~' ., j.
à la fin du XVIe siècle. L'Etat pontifical tira des
ressources croissantes de ses propres territoires' en ,1".

Italie, par les impôts : d'où des révoltes cotilme


celle'de Pérouse en 1540-1542. Mais il fut contraint
d'emprunter dé plus en plus à partir de 1526,' et
surtout dans la seconde moitié du siècle: en lUi de~­
.~, .
siècle environ Rome emprunta plus de 380 tonltes
d'argent fin. Banquiers florentins d'abord, puis
génois furent les intermédiaires obligés des papes. . ~,

,'-
Sous Léon X et Clément VII -au début du _siècle
il y eut une véritable « invasion florentine» ; Une
trentaine de banqui~rs étaient alors fixés à Rome.
La seconde moitié du siècle voit grandir la place des
: ' ,' .. Génois, surtout sous Sixte-Quint, à la fin de la période. p';;
",,'

Ces hommes d'affaires brassaient, naturellettlent,


'. ,; toutes opérations : importation des blés, ferme"des :,1
mines d'alun de Tolfa, assurances maritimes, fe:tmes : ',!
..
. ~
1
\ fisèales et douanières, paris - on pariait av.ec
fureur au moment des élections de cardinaux ou
de papes -- postes divers dans l'administration
financière de l'Eglise, les depositerie, dont la: plus
;."."

•.. ..... .
,
~ /.
'
luerative, la depositeria generale, consistait à -tenir
le mouvement de caisse de la Chambre apostolique;
Mais surtout : achats et ventes des emprunts des
papes~ Jes monti ; achats en gros et revente en détail.
Sans doute, la nature juridique d,es monti était-elle
adaptée aù.x interdits ecclésiastiques conce~t le
',. .. '.'.
....... ..- ~~: '~.:
.: ...., ~.
.
i.
'l~ :~. " ",

.. ':ir~'~·Z;~;ou ~rl".$I~cÙ
\.
........
,

',.
.
,. ...
-,,:.:,' .-, '

;:'"~:':'pr.êt~à "intérêt. C'étarlt une 'application ducontra.i ",'


',':' :de' rente,'permis, lui, par l'Eglise. La papàuté
, ,,> vœ..daii à"des particuliers le droit de percevoirde~' ,', ",
c, ; ' , / ,,~uités
; leur paiement était garanti par le produit
'.. ' ':'~e
certains impôts. Les parts d'eJllprunts, assiDri- "
"lables'à ,des titres de rente, étaient dites luoghi d,i "
'monte. Ce système d'emprunt entra à Rome' en
'.: " application à partir de 1526; mais il était_ tradi-
, " tionnel dans les grandes cités italiennes ou espa:-
.. gn~les depuis le XIVe siècle; Florence et Gênes 'le
'pratiquaient régulièrement; leurs. banquiers se
',contentèrent de le mettre à la dispositioll des
, .,finances pontificales. Le service de la dette, absor-
"bait à lui seulles trois quarts des revenus de l'Etat
,:romain. Les luoghi di monte étaient vendus dans le
' . ' -,public, et pas seulement romain, à commission; un
, ::marché s'établissait et la Ville Etèmelle devint une
, boUrse des rentes. Les monti pontificaux se plaçaient '
. dans toute l'Italie; les banques publiques nées dans
la péninsule à la fin du siècle consacrèrent à leur .:'

"achat une forte part de leurs dépôts. n est possible' ",


que le système soit devenu finalement pour de',
"l1ombreux épargnants, romains en particulier, «une' , .-
.' .,.
. ':.
. .invitation à la paresse économique » (Delumea'Q.).
" n,fut en tout cas l'un des mécanismes d'enrichis,-
,'-:~meli.t des banquiers de la ville. Si leur fortune
:semble avoir été en général inférieure à celle des:
'principaux cardinaux et neveux des papes, M. Delu-'
'~~au cite quelques exemples de belles réussites : ,
,.... .;A.- Chigi, .mort en 1520, aurait eu un revenu annuel'
'. "Aquivalent à 237 kg d'or; G. Ceuli laisse à sa mortt " '

."' ,,':1. : .. -:"t


"en 1579, l'équivalent de 14 700 kg d'argent ... Les :'J .-'
financiers du Saint-Siège, au XVIe siècle, appa-
'raissent de toutes manières comme les continuateurs
des _,marchands-banquiers de la Cour d'Avignon,
mais, à plus vaste échelle. "
, ,

',.'
80 FINANCES DE, L'ANCIEN. RPJ:GIME' -'

. B) Les finances de Charles Quint et de PhilippeD.


- Les·. affaires financières de Charles Quint, puiS
de·, Philippe II, dominent· incontestablement· toutes
les grandes opérations du siècle. Elles sont de même.
type dans l'un et l'autre règne, mais leur équilibrè
interne évolue. Jusqu'au milieu du siècle le Nouveau
Monde et ses apports métalliques ne jouent qu'mi·
raIe / médiocre dans les forces vives de l'Empire.
Les Pays-Bas - c'est-à-dire Anvers - fournissent
alors une part considérable des revenus impériaux; ,-
la rupture se placera entre 1540 et 1550 et, à partir
de 1560, Séville devient le centre fournisseur de ,
l'Empire. Le temps de Charles Quint n'est pas
encore celui de. Philippe II. Charles Quint, selon
M. Braudel, est « une collection de princes, d'EtatS
et de budgets, de possibilités et de faiblesses finan-
cières » (1). Or, si l'on est en passe, grâce. aux tra.-
vaux de l'historien espagnol R. Carande, de tout
connaître sur les finances de Castille, rien de tel
pour les Pays-Bas; on connait· bien Jes mécanismes
des affaires traitées par. Charles. Quint avec les
grandes firmes fixées à Anvers; on est moins bie~
renseigné sur leu:t volume total - on l'était du
moins, jusqu'à une date toute récente. Le gou-
vemement des Pays-Bas entretient en permanence
pour le compte de l'empereur une dette flottante,
à' court terme, sur la place d'Anvers: celle-ci se
situait au niveau de 10 à 50 000 livres, en 1515;
elle est à 7 millions, en i556. C'est à partir de
1525-.1530 que le centre d'Anvers commence à jouer
son grand raIe de pourvoyeur de capitaux : les
Fugger, Gualterotti, Hervart, Hochstetter, Mai-·
tadiprennent des taux de 12 % à 15 % l'an sur ces
(1) BRAUDEL, Les emprunts de Charles Quint sur la Dlaee d'Anvers
(Colloque Charles-Qllfnt, C.N.R.S., 1959). Et le rapport de B. c.ua.um:s
li Cologne (CollOqlltwn Karl V, 1958). . ..
HOMMES D'AFFAIRES AU XVIe SI:kCLE 81

'avances renouvelées de trois mois en trois mois.


Lorsque l'accumulation des arriérés non payés
.des dettes à court terme en arrive à une. sorte de
.saturation, ~n « consolide» ces dettes par le moyen
d'émission de rentes, viagères ou« héritières» (c'est-à-
dire perpétuelles), ce qui entratne le non-rembour-
sement du capital prêté. C'est le mécanisme même
des futures banqueroutes de Philippe II. Le mon-
tant de ces consolidations n'a· cessé d'augmenter :
80000 livres en 1516, 1 miIlion en 1554. « Sans
doute, à partir de 1550, les. Pays-Bas ne peuvent
plus supporter à plein le poids de la politique
impériale. Tout l'effort, peu à peu, devient exclu-
sivement le lot de l'Espagne et, au-delà, de
. l'immense aventure du Nouveau Monde» (F. Brau-
del). Viendra alors le temps des asientos.
La permanence du trafic des créances entre le
gouvernement de Bruxelles et les hommes d'affaires
d'Anvers entraîna la présence de « facteurs» du
souverain, 'chargés de suivre le mouvement de-la
dette aussi bien que de passer des contrats de 'four-
~tures et d'équipements pour les armées: Lazarus
. Tucher joua ce rôle de 1529 à 1541 ; Gaspar Ducci
de 1542 à 1550 - qui se fit dans sa charge une
solide réputation de spéculateur et d'aventurier.
Philippe II utilisera les services d'un Flamand,
Gaspar Schetz (1555-1561) ; à la fin du siècle le
Génois Fieschi tiendra le poste.
n faudrait pouvoir suivre, à trave7-'S l'histoire
exemplaire des Fugger, les hauts et les bas des
rapports entre Charles Quint et ses f$nanciers prê-
teurs. L'analyse des dessous financiers de l'élection
impériale de juin 1519 est à peu près faite •.Elle
_marque le début de l'union étroite entre Jakob le
. Riche et ses successeurs et Charles Quint : elle
l'eXplique, en. vérité, car les deux puissances sont
J. BOUVIER ET H. GEl\IIIAIN-MARTIN 6
81 FINA.NCES DB L'A.NCIBN 1t8G1MB

.d.4l1orDlaiS attaohées l'u6 à l'autl'G P81' mthèt:


xoéoipJ'oqu.e. L'éleotion reviont ell tctut, l Charles.
Quint, à 852 000 :florin.e, dont 548 000 fo'l.lmis pu
les Fusge:r, 143000 par les Welser, le .:reete p~
deux banqu.iers génois et par le Florentin Gu.alt~... .
rotti~ Jakob fut contrablt llour III première fois de
faire· oe p1'êt Bans garantie, plQ"ce qu'il avait alofs
besoin de l'al!p'li de Charles Quint pOUl" sauver SOs
oréanoes $ur Maximilien défunt et $e$ vastes riaar..
ohé. de cuivre. Déso~ais « J akoh Fugf5el' pel'd
sa liberté, celle de refuser des crédits " (L. Sçhiok).
Uue pattie de la som,me avancée devait être rem...
boursée en Espagne; J akobdut réclam~ avec
fermeté, pour être payé, dims une· lettre célèbre du
24 mai 1523 : « Il est aussi connu et avéré. ~ 8U18
mon aide Votre Majesté n'aurait ja:rnais pu obtenir
la couronne romaine ••• Si j'avais voulu ab~donner
la Maison d'Autriche et favoriser la Fl-anee, j'au.raie
obtenu heaucoup d'argent et de biens, comme 0Jl
:me l'a p1'Opos&. " C'est alOl'll (1525) qu'il obtient de
l'empereur la ferme des mtJ8strallSos qui devait
finalement relayer avec d'autres fennes en Espagne
(mercure d'AImaden) le cuivre honS!0is dans la
g'ographie des grandes affaÙ'es des Fugger. MaÛI
la contrepartie fut que, apl'~s Jakob, ·sea S~OeS&81U'8,
cle plus en plus aeoaparés par les affaires anvçraohtel ,
et espagnoles, furent enp-atnés dans la l'onde ipJ~
nale des emprunts de Cha1'les QUÙlt et de Phi..
lippe II. TI Y eut 1Ul véritable « déplacement du
oeDtre da gravité Il (1) de l'entreprise. Les Fuggex'
en IU'l'ivà:rent, à pll1'tÜ' de 1540, à avoh eux·:m.&v.ee
"aooUl'8 au "l'édit 8m' la plaee d'AnvQ" po~ ali~
mente:!;' leups prêts aux priJlC)8S : OD appeladt alors
Fusse, brtef. 108 obligatio:as à co\U't· te1'D.J.e qu'Ua
(~) P. JIAmIlJI', AWllllH, 18155. C'f.IIl\ lIA. saü qu'M_ F1asstr
8lI~ OOD.tralnt d'atiQdoDD.81' le OWW4I ho~lI.-
, "

HOMMES D'AFFAIRES AU XYIe SIlJCLE 83

J.i4gooiaieu.t el/. BO'l1l'se. Laurs faote~ à ÂJl~eJS


.'11, milieu du lIiècl~, mal cQlltr61ée,poWJsèJ'ent',.,wc
affab;es financièJ:'68 : Veit Ha!l entraina la fimlo
dans df!JS opérations oomidérables aveo la' Cour
d'Angletel'1'e; son sucees,eUl' Mathails Oertel prêta
8UlS meS'!11'e à Philippe II en 1555·1557. Ehrenberg
avait compté 17 prêts espagnols des Fugger;
Carande en a dénombré plU$ de 100. Maie la première
banqueroute de Philippe II (1657) marqua le début
du déclin de la maison. « La Bourse d'Anvers, écrit:
EhreDberg, fut fatale .ux ;Fugger, comme elle le
.:fut à bien' d'autres maillons de oommerce. » Cepen.
dant la firme déclina au,ssÎ en quelque sone plU.'
pClnte nat'U,l'elIe. Après Anton (1525-1560), les IJUç~
C6SSeUl'S ne surent pas demeurer unis; ni s'adapter
à l'évolution de la conjonoture. Il est vrai que
Gênes, à 1'6poque des foÎl'es « de BeSlU1çQn II, était
désormais mieux placé qu'ÂnV8I'S (et ~'Augs ..
bourg). En tant que puissance financière, les Fugger
disparalssent dans 1. première moitié du "VIle siècle.
Ils avaient été les hommes d'affaÎl'es d'uns époque.
Les avatars fin.ancÏers du' gouvernement de Phi..
lippe II montrent avec assez de netteté que le flot
de l'argent américain, malgré ~on volume Cl'Olsllant
jWlqu'à la f:in. du. siècle, ne suffit jamais aux
hOIlOlnS, ni ne répondit aux rythJI16S des; besQins du
gouvern.ement de l'Espagne. Philippe) II dépensa'
toUjOU-ti plUl! que ses ressources. Portée en qUelque
sorte par le dynamisme de la pl'oduction des JIlétaux
précieux, l'la politique européenne excéda toujO'\l'E'e
'les Uloyens fo'l,lmÏs par l'argelit d'.Amérique. Et oe
paotolç lui.même ne rendit pas Philippe Il intU..
P,' endlU'lt des hommes d'affaÜ'es. Les métaQ préa.
oieu tl"averlilaient l'Espagne sans la féconder;
l'argent venu .des « Indes » à. titre privé ne floldait'
fina1e:œent que les ill1portat.iollitÎtrangn, aux-
84 FINANCES Dlf L'ANCIEN RtGIME

quelles l'Espagne s'habituera aux dépens de son


propre développement économique; quant à l'argent
introduit dans le pays pour le compte du souverain,
il était à l'avance engagé entre les mains des banquiers
du roi, qui arrivaient toujours à le sortir du pays.
Les foires de Medina deI Campo, qui eurent une grande
activité des années 1550 à 1580, permettaient règle-
ments commerciaux et financiers, mais les perfec-
tionnements mêmes de leurs compensations, comme
le souligne Ehrenberg, « fournissaient aux bourses
mondiales un bon moyen pour tourner l'interdic-
tion del'usure ... et masquaient une demi-banqueroute
perpétuelle lI. Le défaut permanent, structurel, du
ravitaillement en argent par le Nouveau-Monde
résidait en effet dans son irrégularité. Les galions
n'arrivaient qu'une fois l'an, d'un coup, et à une
date plus ou moins tardive. Or ] a guerre avait
des exigences quotidiennes ; seuls les hommes
d'affaires pouvaient assurer des fournitures d'argent
avec régulariité, grâce à l'armature internationale
des foires et des Bourses. D'où la mise à l'encan des
revenus espagnols de toutes sortes - revenus cas-
tillans essentiellement - et l'escompte du stock
métallique apporté par les galions. Les hommes
d'affaires se chargeaient des transferts, assuraient
les paiements de par l'Europé et, surtoùt, avan-
çaient l'argent nécessaire. Le tout par le jeu de&
changes, puisqu'il s'agissait de régler aux Pays-Bas,
en Allemagne, en France, en Italie, partout où
l'expansion espagnole marquait sa présence, des
sommes en monnaies nationales, dont la contre-
partie était libellée en monnaie espagnole. A l'échelle
des possessions écartelées de Philippe II, c'était le
triomphe des techniques bancaires mises au point
au Moyen Age, et dont les Génois devinrent alors
les grands maîtres, après la première banqueroute
HOMMES D'AFFAIRES AU XVIe SIP:CLE 85

de Philippe II (1557). Comme l'a souligné L. Febvre


à propos de la thèse de M. Braudel, l'Empire espagnol
du XVIe siècle pose d'abord un « problème de
liaison Il : « Une bonne moitié des gestes de Phi-
lippe II s'expliquent uniquement ... par la nécessité
de maintenir ses liaisons, d'assurer ses transports,
d'effectuer dans chaque lointain district de ses
royaumes les indispensables transferts d'argent.
Routes des armées, des lettres de change, des métaux
précieux ... Il A ces besoins répondaient les asientos.
Les asientos, financièrement, équivalaient à une
opération de change puisqu'ils comportaient crédit,
transfert, et passage d'une monnaie dans Une autre.
Mais, juridiquement, ils avaient une complète ori-
. ginalité en tant que contrats bilatéraux entre le roi
. d'Espagne et un (ou plusieurs) hommes d'affaires.
Les contrats indiquaient avec précision toutes les
conditions de l'opération: somme avancée, montant
du remboursement, prix du change, époque du
remboursement. En tant que contrats, ils corres-
pondaient alors à ce· que l'on appelait en France
un « parti Il. Ils servaient surtout à financer la
guerre aux Pays-Bas à partir de 1566, dont la Cas-
tUte faisait les frais. Il était exceptionnel que,
d'Espagne, le gouvernement put faire passer direc-
tement du numéraire à Anvers: il le fit en 1567,
lors de l'envoi du duc d'Albe.
Mais nous savons que ]a voie maritime du numé-
r~e par la mer du Nord devint rapidement impra-
ticable et, ni du caté de la France, ni du côté de
l'Italie, la Couronne ne parvint à organiser elle-
même les envois de numéraire. Les asientos devin-
rent ainsi une obligation. Généralement ils étaient
assortis de privilèges ou de libéralités : par exemple,
le droit d'exporter du numéraire hors d'Espagne.
Mais il existait deux modalités d'asientos : ils
86 FINANCES DE VANCIEN R$GIME

pouvaient être conclus soit à Madrid, Il oit en Flandre. "


aveeles gouvemeurs6l1pagnols. Lespremièrs étaie~t
directement discutés" avec la monarchie, étudiés
attentivement, et remboursables en Espagne: partie
en paiements comptants, partie en assignations
(libranzàs) sur l'argent A venir des « Indes» ou
sur divers revenus de la Couronne, à des échéances
plus ou "·moins éloignées. Les seconds étaient sou-
vent négociés à chaud, en raison d'urgentes néces-
sités, et devaient être ensuite acceptés par le pouvoir
de Madrid, ce .qui impliquait des risques pour les
hommes d'affaires. Pour les asientos importants
de véritables consortiums de négociants se consti-
tuaient et, fréquemment, les mêmes maisons se
rencontraient dans des contrats différents; chaque
participant pouvait d'ailleurs fractionner son lot
et le céder à des tiers. Ces négociations entraînaient
d'étroits rapports entre fonctionnaires espagnols
de la Ha%Ïenda et hommes d'affaires; les faits de
corruption ne pouvaient être que. fréquents. Le
mépris et la haine de l'étranger en Espagne s'exer-
çaient avec force contre les banquiers allemands.
puis génois, qui tiraient profit des besoins du Trésor.
Les ,banqueroutes qui se succédèrent jusqu'au milieu
du XVIIe siècle - 1557, 1575, 1596, 1608, 1627,
1647 - n'étaient pas tout A fait des interruptions
de remboursement, car Philippe II et ses succes-
seurs n'avaient pas la liberté de ruiner tout à fait
leurs prêteurs. Ils se contentaient de « consolider»
la dette flottante grossie par l'accumulation des
asientos, c'est-A-dire d~en étaler le remboursement
en donnant A leurs créancie:fs ·des juros, c'est-A-dire
des rentes (1). Celles-ci pouvaient être, par la suite,

. (1). Sur les ,rapports étroits entre (IIcienlos et luros, voir le très
suggestif article de M. A. CASTILLO, Dette flottante et dette conso-
nd~e en Espa(p1e de 1557 à 1600'(Annales. no 4;1963).
HOMMES D'AFFAIRES AU XVIe SI:kCLE ·87

négo.ciées, et les préteurs, avec plus ou moins !ie


pertes, .rent;rer dans leur capital. D'ailleurs, très au
(ait de!1 pratiques princières, les hommes d'affaires
s'efforçaient toujours de tirer pied ou aUe de leurs
engagements; il arrivait souvent qu'une partie
dU. prêt faisant l'objet d'un contrat déterminé était
versée non pas en numéraire, mais en marchandises,
à bon prix; ou mieux encore, en anciennes créances
du gouvemement laissées en souffrance. Ainsi pros-
pérait la « finance », alors que l'économie espagnole
s'anémiait. La première moitié du XVIIe siècle verra
s'étendre, après la mise à l'encan des métaux d'Amé-
rique et des richesses du pays, « la crise de la puis-
sance et de la conscience espagnole» (1) et co~en­
cer la décadence séculaire de la péninsule ibérique.
C) Les finances françaises: nouveautés et tradition.
- Etant donné la natUre même de l'économie,
. de la société et de l'Etat, la contradiction permanente
demeure entre ressources publiques et dépenses
publiques. . .
Quant à l'administration financière d'abord, elle
se modifie sans doute assez profondément de Fran-
çois 1er à Henri IV, mais comme à tâtons et par
à-coups. . . .
La monarchie tend à unifier, à simplifier et à
rendre plus efficace l'administration fiscale; elle
brise de 1523 à 1536 l'admini!1tration concussion-
naire des grands officiers, « Messieurs des Finances»
. - exécution de Jacques de Beaune, sieur de Sem-
blançay, en 1527 - et met en place, très empiri-
quement, par des réformes qui se poursuivent jus-
qu'à Henri IV, une achninistration centrale et pro-
vinciale des finances qui a pour piliers « Conseil des

., (1) P. VILUl, Le templ du QuIchotte, Europe, 1956.


88 FINANCES DE L'ANCIEN R~GIME

Finances» d'une part, « généralités» d'autre part.


Mais les hypothèques pesant sur les finances n'en
sont pas levées pour autant : la vente des offices
(Bureau des parties casuelles, 1522), leur hérédité,
et leur multiplication font qu'une partie de la
« fo:qction publique » commence à échapper au
pouvoir. D'ailleurs ni du côté des officiers de
finances, ni du côté du prince, les habitudes ne
changent; l'argent ne rentre pas mieux, alors qu'iJ
est dépensé de plus en plus rapidement.
, D'où l'extension des « rentes sur l'Hôtel de Ville »,
à partir de 1522, qui commencent à fonder la notion -
de crédit public et la pratique de la dette à long
terme. D'où l'épanouissement du second type d'em-
prunt royal, celui-là même que les conditions éco-
nomiques nouvelles du XVIe siècle permettaient à
grande échelle: l'emprunt à court terme, « 'de foire ll,
passé avec les grands marchands-banquiers qui
puisent dans les disponibilités monétaires des places
commerciales qu'ils contrôlent. C'est là le rôle
de la place lyonnaise et des hommes d'affaires
toscans et allemands. On a provisoirement dénom-
bré 209 sociétés de marchands-banquiers en France
au XVIe siècle, dont 169 avaient leur siège à Lyon
(143 Italiens, 15 Allemands ou Suisses). Ainsi pré-
pondérance lyonnaise, et prépondérance italienne.
Ce sont les guerres d'Italie, à la charnière des Xve
et XVIe siècles, qui entraînent de plus en plus les
marchands-banquiers de la péninsule dans les
affaires de prêts au roi. Sous Charles VIII. Louis XII
et au début du règne de François 1er, les banquiers
génois traitaient les affaires de prêts en collaboration
avec « Messieurs des Finances li; ceux-ci offraient
fréquemment leur garantie personnelle, plus solide
que celle du prince .. Ainsi en 1496, en 1507, en 1515
et 1516. Après 1528, la rupture entre Gênes et la
· HOMMES D'AFFAIRES AU XVIe SrP:CLE 89

France est complète. La place sera libre, à Lyo~


pour d'autres hommes d'affaires italiens et pour les
Allemands du Sud. Il est vrai que les rapports entre
François 1er et les Florentins de Lyon passent aussi
par des hauts et des bas, selon l'état des rapports
politiques entre les Médicis de Florence et la Cour
de France. Mais c'est à partir des années 1530, une
fois définitivement liquidée ou amoindrie l'ancienne
oligarchie des hauts officiers de finance, que la
monarchie tente de donner quelque régularité au
système des emprunts de foire à court terme. De
1536 à 1538, sous l'impulsion du cardinal de Tour-
non, lieutenant général dans le Sud-Est, et de
quelques grands officiers royaux, une série d'opé-
rations de prêts en foire de Lyon fournit à Fran-
~ois 1er et Henri II des disponibilités importantes.
« Plus encore qu'Anvers, a écrit Ehrenberg, la Bourse
de Lyon résulte d'un effort conscient des souve-
rains. » C'est que les motifs politiques -le règlement
des dépenses de guerre - sont pressants. A partir
de 1542 - on retrouve encore ici l'importance
des années 1540 dans les affaires financières euro-
péennes - les emprunts royaux à court terme,
renouvelés trimestriellement de foire en foire, à
14-16 % l'an, deviennent réguliers chaque année.
A cette date, Tournon ne réside plus régulièrement
à Lyon, mais est représenté par des commissaires
royaux qui utilisent les services de J'intermédiaire
allemand Jean Kléberg (mort en 1546, créancier
de François 1er pour 13500 livres). Hommes
d'affàires allemands (tels les Welser) et italiens par-
ticipent aux opérations. Cette nouveIle série d'em-
prunts demeure cependant mal connue; il Y en eut
en 1542, 1543, 1545, 1546; en 1547, à la mort de
François 1er, l'ensemble de la dette royale à court
terme, à Lyon, s'élève à 6860000 livres - soit,
90 FINANCES DE L'ANCIENR~(;IME'

selon R. Doucet, le' total des recettes du Trésor


pour l'année ••• Si en 1548 les deux tiers dé cette
é première» dette sont remboursés, le JD.ouve-
ment reprend, sans interruption de 1549 1,1557.
Les créanciers demeurent toujours l la fois des
maisons italiennes et allemandes; parmi ces der-
nières, on connaît plus particulièrement le raIe très
actif de 'deux banquiers de Strasbourg, MinItel e~
Obrecht ,qui, quoique Réformés, ont été banquiers
de Henri 11 et de Charles IX. Au début de 1555, la
dette s'élevait à 4937000 livres. Comme les em-
prunts étaient garantis sur divers biens du roi et
des commissaires royaux, les ,obligations royales
étaient négociées et avaient un cours sur la place:
« Rudiment d'une bourse des valeurs» (R. Doucet).
Le « grand par'y » mis sur pied en 1555 ne fut à
aucun degré ~e révolution dans les te'Chniques des,
prêts à court terme, mais le prolongement et l'ess'ai
de inise en ordre des opérations des années ~té.
rieures; par contrat en bonne et due forme avec
ses créanciers étrangers (pany) Henri II a l'ambi-
tion d'unifier les créances anciennes, d'étaler leUr
remboursement sur dix ans, en 41 foires, « véritable
plan d'amortissement de la dette» (Ehrenberg), en
donnant aux prêteurs des assignations sur les
recettes générales de Lyon, Toulouse, Montpellier
- et en leur demandant de nouvelles avances,
incluses dans le contrat. Mais l'opération demeura
ouverte, c'est-à-dire que d'autres prêts vinrent
s'ajouteJ:', dès la fin de 1555, à la masse primitive.
, Finalement, le total des créances du « grand party »
- qui n'aurait été viable que si les premiers enga-
gements n'avaient pas été dépassés - 'atteignit
J2 200 000 livres, soit la plus forte dette qU'l:1D- roi
de France ait' jamais eue jusqu'à cette époque.
Comme dans la plupart de cessort!'s d'opératioilB,
HOMMES D'AFFAIRES AU XVIe SI:kCLE 91

. o~ J;levoit pas avec précision avec quels fonds traM


v~ai~nt.les banquie~; il semble qu'ils devaient,
une fois le contrat signé, revendre « au détail » au
moins une partie de leurs créances, et intéresser
par là' aux emp~ts de nombreuses personnes.
C'est ce fait qui a frappé bien des contemporains
et qui donne une certaine allure de nouveauté,
de « souscription publique» à l'ensemble de l'opé M

ration. La « chute» du « grand party» .n'est qu'une


banqueroute princière classique, qui commence en
1558 : le roi réduit les trois quarts de ses paiements,
verse à ses creanciers des rentes sur la ville de
Lyoni .. La mort de Henri II e;n 1559 donne le coup
de grâce à l'opération; la liquidation des contrats
de 1555-1558 trllfnera jusqu'aux années 1580 et
ne sera d'ailleurs jamais close, en ce sens que les
dettes royales ne furent pas tout à fait éteintes - il
s'en fallut même de beaucoup. « Le grand parti
avait accordé dix ans de répit au royaume »selon
R. Doucet. Il avait fonctionné parallèlement aux
foires d~ Lyon, qui étaient sa base réelle. Mais
l'infidélité royale retentit à son tour. sur la place
de· Lyon, pour .laquelle' les banqueroutes de la
seconde moitié du siècle - d'autres suivirent celle
de 1558, et dès 1567M1568 - furent l'un des éléments
.' de son affaiblissement.
Dans le dernier tiers du siècle, époque des ban-
queroutes d'Etat sur le continent, de la crise des
centres d'Anvers et de Lyon, de l'infJ.a:tion en
Franc.è des « mauvaises monnaies », et des troubles
civils et . religieux qui agitent les profondelJU .du
royatm;le, les relations entre hommes d'affaires et
monarchie en France voient s'accuser des tx'aits
anciens, mais cp,i' acquièrent' désormais un certain
oaractère de généralité. On entre dans l'ère des
« partis », des « fermes », des « traiiés », .qui se. Pro-
'/', \

92 ' FINANCES DE L'ANCIEN R~GIME

longera durant les XVIIe et XVIIIe siècles. Evolution


inéluctable : la défiance des prêteurs du roi' 'êtaiit
accrue, les administrateurs des finances royales,
pour obtenir des prêts, devaient de plus' en plus
hypothéquer certains revenus fiscaux du Trésor.
D'où les « partis» : plusieurs hommes d'affaircs,
groupés lorsque l'opération était d'importance, affer-
maient,telle ou telle ressource fiscale, c'est-A-dire
se faisâient percepteurs de droits pour rentrer daD.s
leurs avances. Le principe de l'affermage fiscal
n'était pas nouveau; la pratique non plus. Mais
cette dernière prend désormais des proportions
nouvelles et aboutit Ala mise en place dans l'appareil
d'Etat lui-même d'une oligarchie de financiers
étrangers drainant en France même l'argent ddnt
ils ont besoin et dont les pouvoirs succèdent, A
tout prendre, A ceux de « Messieurs des Finances lI,
contre lesquels la monal'chie avait· tant lutté dans
la période précédente. Pour les recettes du domaine
royal, pour celles des aides, traites et gabeHes (impo-
sitions « indirectes lI) les fermes sont de règle. Elles
permettent sans doute au roi l'économie d'une admi;'
nistration et lui assurent des rentrées dans des
délais meilleurs, puisque les « fermiers » font des
avances. Mais les fermes sont A l'origine d'innom-
brables concussions au moment de l'adjudication
des baux et elles entrainent, pour les contribuables,
les conséquences les plus néfastes. Sans doute
distingue-t-on au XVIe siècle les débuts. d'une
.concentration des fermes, dispersées au niveau' des
paroisses : d'où la multiplication des fermes dites
« générales » fusionnant en .un contrat des' traités
jusque-lA différents; l'exemple le plus connu en
est le « bail des cinq grosses ·fermes » (1584) qui,
après quelques tâtonnements, est définitivement
appliqué A partir de 1598. Les « receveurs », dans les
HOMMES D'AFFAIRES AU XVIe SIÈCLE 93

" généralités », se contentent d'encaisser le montant


des baux et ont un droit de contrôle fort théorique
sur la gestion des fermiers. Les {( fermiers » ou
« traitants » deviennent ainsi des officiers publics
provisoires, pendant la durée des baux qui varient
de 2 à 8 ans, et sont renouvelables. Mais une fois
la pratique de la ferme bien entrée dans les mœurs,
son application ne peut que s'étendre à d'autres
objets que certaines rentrées fiscales : le roi peut
conclure un « parti» ou un « traité» pour les objets
les plus divers : ravitaillement des troupes, fourni-
tures d'armement, négociation en bonne et due
forme des « offices » désormais vénaux et bientôt
héréditaires ... Les « traitants» deviennent des entre-
preneurs polyvalents. De ces personnages, qui ont
défrayé la chronique du temps, on connaîtra surtout
les Toscans de Lyon, fixés à Paris dans le dernier
tiers du siècle. A l'extrême fin du siècle seulement,
semble-t-il, quelques noms de traitants d'envergure,
d'origine française, apparaissent. Les Florentins qui,
dans la première moitié du XVIe siècle, ont pro-
gressivement perdu leurs positions en Angleterre
et aux Pays-Bas, et qui doivent laisser aux Génois
les grandes opérations des Habsbourg, ont désormais,
avec certaines firmes lucquoises, la France comme
terrain réservé. Le fait que deux Médicis soient
devenues reines de France sous Henri II (Catherine)
et sous Henri IV (Marie) explique d'ailleurs la
solidité des positions conquises par eux : ils les
conserveront, malgré l'intermède d'un Sully, qui ne
les aime guère, mais est contraint de s'en servir, j1:l8-
qu'au milieu du XVIIe siècle. Les Salviati, Strozzi,
Capponi, Albizzi, Guadagni, Diaceto, Rucellal,
Gondi, Bandini ont fourni non seulement des finan-
ciers, mais des hommes de guerre ou d'Eglise à la
monarchie. Parmi les Lucquois : les Bonvisi et, à la
FIN4NCES DE L'4NCIEIV R.~GIME

, tiD, du lièol6, les Cenaud et Zametti. La plu.,~!Sl&bfÇ


d.e. fermes de l'6poque fu.t l'entreprise dite lQ grand
party du '61(1585) par laquelle fultent affenn:i1s les
(1 greniers à sel» des promces du Nord et de l'Ouest;

à un mo:œent de pénurie de sel, le 8f(Jntl p(Jrty,


avec Zametti, détenait le monopole d'aohat du sel
ibérique et de sa vente dans oertaines l'égions !ran...
9aises •.• De grands personnagel'l de la COU1' avaient
été intéressés aUx bénéfices de l'af'faix'e. Sully· en
parlera dans ses M'rrwiru. à titre d'exe:rnple de
rapacité des. financiers. A quelques· reprises (en
1584, en 1597) furent agitées cont1'e le8 b'aitants
des menaoe~ de poUl'8uites. La monarchie n'exigea le
plus souvent que de simples versements d'amendes.
Mais il· faut bien reoonnaitre. encore une fois, fJ1ltl
tous les défauts de l'organisation. financiboe du.
temps tenaient à des (lauses profondes ~ ne dis~
paraib'ont CJU'avec les transformations radicales de
la' fin du :X:VIUQ siècle.
*
!II •
n se~le bien, tout oompte fait, que" l'espresllliou.
de « modernité )1 attachéè au XVIe siècle doive ê'b'e
0mployée avee précaution. Les grands ho.mes
d'affaires du XVIe sièclenerullJparaiS$ent.üs pas,
de la scène finalement, en tant qu'entrepreneU1'8 ?
Et l'on' a pu poser, aveo l'alson, cette question:'
(( Ne rep:résentent@Û6 pas bien un Moyen Àg8DloUR
l'ant ?» (1). Les Clonditiou.s de leU1' réussite ~ oo~e
lei oauael!l de leUl'8 écheos ~de!qeQ,1'ent œalgré tout ,
d'au.cie:u. type; iIli'I ont e~ploité dei p08ition. ~ .
œ.onopole, 'travaillé S'Q.1' de. maroh61l in6guliel'i et
disC)op.tm,us, Ile 18l>nt 'levés pal,' 1ell U'afiosd'm~
f!lW1oell, . ont 6troittlmeut att.aché lev' f01'tae
BOMMESD'Â.FF..4:11UCS A.U XJ'Je SI:kCLE 95

-ü.Pogoeto ..... 6. çelle de~ pèe@s. Il y a danll


tOut cela de l'cwennn'.; 011 n'y rCQonnaÎt PA" lell
UQit8 fort différents du o!\pitwmo copwmpfJrlsin
qui de1UJlJlde une cmame régularité et ".atioJ1a1it~
clUlI'J le. affaires et qui recherche davantage l'exten.
liOU: ~antitative des op6ratioD$ qu.fil le pal'i risCJ"é
sUl' ~elquel'J grosses affaires.
Au. fond, ,,'ést la speculation sur It;ls ohanges Cf\Û,
comme au !\1oyen Age, l'elite la grande préO«,1cupatiQJl
des JUlll'Chands-banquiers du XVle siècle. Elle demeu..
:rera 4'ailleUl's, jusqu'au m.i1ieu du XIX" siècle, }'op4.
ration favorite. de la pl'Ofe8Sion bancaire. Mais ce
no ,eront p11l8 a101'8 les «cambistes li qui joueront le
l'Ôle de mattres de jeu. dans les grandes opérations
de (( l'iIldustrialism,e )J. Ds apparaitront au contraire;
à cette date, comme gens d'Ull a'Q.tre âge, à l'arrière.
garde du mouvement capitaliste. Or, la tentation
- et l'erreur d'appréciation - serait de voir en
eux, au XVIe siècle, une avant-garde du futur sys-
tbme de production et d'6ehanges. Ce q1U C/lt frap-
pant, tout au contraire, c'est « le faiLle dévelop-
pement des structures du capitalisme au XVIe siècle
dans la vie économique générale » (1). A propos de
l'extension des affaires financières des grands mar-
chands-banquiers on a pu écrire, non sans raison :
« Il s'agit moins des débuts du capitalisme que de
l'extension du prêt à intérêt à des taux le plus sou-
vent uSuraires » (2). L'excroissance des phénomènes
de ,finances (prêts aux princes sous toutes leurs
formes) est, du point de vue du développement éco-
nomique général, un fait négatif; Tout ce qui va dans
les Trésors d'Etat, avances diverses, capitaux des
offices et des rentes, etc., est détourné du secteur
de la production. La mentalité même des hommes
(1) P. JEANNIN. Le81Jlal'e1umdB du XVIe siècle,p. 91·92.
(2) L MOMNJEB, Annales, 1948.
96 FINANCES DE L'ANCIEN RJ!GIME

d'affaires du temps n'est-elle pas une sorte detra-


duction de cette stérilisation par la « finance »..de
capitaux qui auraient pu être actifs? Ce n'est pas
un trait propre à la seule société française. que le
passage de la « marchandise Il à l' ( office li, ou à une·
position sociale rentière (1). En bref, les Fugger,
pris ici comme symbole, ne sont pas les précurseurs
des (( rois Il du capitalisme triomphant du XIXe siècle.
Mais cela ne signifie pas, répétons-le, que malgré
eux ils n'aient pas préparé certaines des conditions
de l'épanouissement ultérieur d'un autre système
économique. Les assentistas, (( b'anquiers de Cour li,
( traitants Il passeront; le .marché, les marchés
- marchés nationaux, marché international -
demeureront. Grâce à eux - sans oublier d'autres
facteurs de développement - le capitalisme ( com-
mercial Il pourra se transformer en capitalisme
( industriel Il.

(1) Excellents développements sur ce point dans lIiANDROU,


lntroduction à la France moderne.
CHAPITRE III

VUE PERSPECTIVE
DES AFFAIRES DE FINANCE'
AUX XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES

I. - Economies et finances d'Etat


« Au siècle des Génois, 1550-1630, succède le
siècle de Colhert, qui n'est pas de prospérité» (1).
Une malédiction commune plane sur le « long
XVIIe siècle» de 1630-1640 à '1720-1730; avec la
haisse de production des mines américaines, le
métal lancé dans la circulation représente une pro-
portion décroissante de la masse monétaire totale
européenne. Même si les faits monétaires ne sont
pas, à eux seuls, déterminants et explicatifs, il
n'en est pas moins vrai qu'au dynamisme chao-
tique du XVIe siècle succèdent des temps de rémis.-
sion, de plafonnement et de secousses extrêmement
hrutales entre hausses et haisses des prix, dans le
court terme. Dans toutes les zones touchées Pl:lr la
« haisse séculaire des prix » - mouvement visihle
dans le long terme - se reconnaissent des phéno-
.mènes identiques: langueur des affaires, haisse du
taux des revenus, haisse du rendement des· impÔts.
. . Il est alors justifié de rattacher à ces phénomènes

(1) F. BRAUDEL, De l'or du SoudaD. •• (Annales, 1948).


J •. BOUVIER ET H. GERMAIN-MARTIN 7
'" ..
" ':

.98. nNANCES IJE L'AiVCIÈN R:tGIME-:

d'ensemble tout ce qui touche à la politique etatique


en matière de' finances, de monnaies et' de dévelop:".
pement . économique. A la base, la déjà vieille
contradiction, mais qu.i prend, en temps de « réces~
sion lI, une acuité dramatique entre les besoins
d'argent des souverains et les difficultés de ~'en pro.- .T
curer. Il faut citer Colbert: « Je crois que l'on demeu:-
rera facilement d'accord de ce principe qu'il n'y a
que l'abondance d'argent dans un Etat qui fasse
la différence de sa grandeur et de sa· puissance» .•
(Rapport à Louis XIV, 3 août 1664). Une conjoric,;
.. tian, génératrice de tensions plus vives encore qu'au .
. XVIe siècle, se produit dans le long XVIIe siècle
.entre la grandeur et le désir de grandeur des monar~
.chies .et l'état de faiblesse des instruments de la
i!andeur : le développement économiqp.e, la riches~e
nationale, la capacité contriby.tive, les res80urcea
.en argent frais. D'où les divers aspects de la théotie
. -' ii théorie véritable il y eut jamais - et de~a
pratique mercantiliste et l'importance du rôl~
attribué aux mf.taux précieux par les gouvernante
de ce temps, qui recherchaient d'autant plus à en
capter les sources - essentiellement par le commerce
extérieur - que leur rythme d'accroissement avait
faibli. Le mercantilisme dans ses pratiques très
empiriques était adapté à une ère de constriction
monétaire. « Les hommes, dit Marc Bloch, furent
impuiSsants contre une gêne monétaire qui dépais- .
~ait leurs possibilités d'action Il (1). .
; Politique monétaire et finances de l'époque mer-
can1;iliste sont alors mieux explicables. A la « guerre
d'argent Il (Colbert) -'- c'est-à-dire la guerre commer-
ciale appuyée sur la force militaire - s'ajoutent lcs
,mutations monétaires en série, « ..... dévaluations»
(1) Marc BLOCH, Aspects ·économiques du siècle de Louis XIV
(C.D.U., 1 9 3 9 ) . . .

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A'IRES 'A. . ' XVIie ET" XVIIIe' SrkCLES 99
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que' ne ~em'lent pas .fondamentalement contrarier


"quelques « renforcements» opportuns :en1700
'.la livre tournois ne représente plus que 7,02 g
'd'argent fin contre 17,96 g en 1513. Ces muta-
'ti~ns, plus nettement encore que dans les siècles
précédents, représentent à la fois un effacement
partiel des dettes de l'Etat, un expédient fiscal,
"un artifice de trésorerie. Quant aux méthodes
fiscales et affaires de finance, elles se poursuivent
,dans. la France du XVIIe siècle selon l'exacte trajec-
toire, de, la seconde moitié du xVIesiècltf : le mot
e « traitant » succède au mot « partisan lI, mais les

réalités demeurent les mêmes; la monarchie fait


'~frlt de tout; plus encore qu'au XVIe siècle la
, po~tique.gouvemementale relève de la conjoncture
.' de' guerre extérieure, et presque continuellement
d'Henri IV à Louis XIV les finances sont finances
de temps de guerre. Mais comment percevoir aisé-
ment taille et taxes en période de pénurie moné-
.taire? D'où, précisément, avec l'inflation' des
'1,>e!!oins d'argent-, l'indispensable rôle des financiers
. et des banquiers, gens « ayant du crédit» - plus
que Je ministre, plus que le souverain ...-:. et que
ministre et souverain protègent tout en les mau-
diss'ant,
Autre signe de la continuité des méthodes finan-
cières anciennes dans la France du XVIIe siècle,
l'absence de crédit public", Ce sont de~,particUlier8
en tant que tels qui prêtent au roi; prêtent-ils'
d'ailleurs? Le roi vend des offices, des billets de
loterie, des rentes (perpétuelles ou viagères), il
n'emprunte pas. Qui sOUBCrit une rente ou achète
une charge aliène son capital; l'Etat ne le rem-
, bOUrsé pas. Dans le même sens, l'avantage présenté
par les financiers du roi - du point de vue royal -
c'est qu'ils se remboursent directement sur le contri-
100 FINA.NCES DE- L'A.NCIEN R:tGIME

Jm.able ; le roi n'a pas à puiser dans ses disponibilités


,pour les pàyer. D'~ù la rigidité d'un tel sysièmè.
Ce qui manque toujours, aux -moments aigus de
pénurie budgétaire, c'est un « volant de trésorerie ».
On constate cependant une nette divergence
d'évolution entre l'Angleterre et la France : la
très provisoire « Caisse des Emprunts » de Colbert
ne soutient pas la. comparaison avec la Banque
d'Angleterre et finalement. si l'expérience de Law
échoue· à Paris à l'entrée du XVIIIe siècle, c'est
que le contexte français est' encore trop en retard
pour. supporter sans dommage les médications nou-
velles. de l'apôtre modeme de l'inflation de papier-
monnaie. Au caractère traditionnel des affaires de
finances sous Louis XIV correspond ·l'insù.ffisance
es· mo ens monétaires de crédit et de han e à
l'interieur même du royaume. Situation
en Angleterre (1) •
. S'il existe des points communs dans la situation
des finances publiques des· deux pays aU cours des
xvue et XVIIIe siècles (augmentation de la pression
fiscale directe et indirècte, recours croissant à l'em-
p~t; élargissement de la circulation fiduciaire,
rôle considérable d'adminis4'ations financières cen-
trales spécialisées) les divergences sont bien· 'plqs
importantes. Mais elles ne prennent leur vr~ relief'
qu'à partir de l'extrême fin du XVIIe siècle: dans
un pays,' l'~leterre, où le dévelôppement écono-
mique est p us accéléré qu'en France, où le sens de
rentrêprise, des « âffaires », a gagné à la fois mon-
neyeà men et landed men, où les changements sociaux
et politiques ont donné poids et efficacité à l'in-
fluence. des grands négociants, banquiers et manu-
(1) Voir. R. MOUSNIBB.L'4volutiOD des. fiDaDces ,publlquea en
FraJlcII et en Angleterre pendant les. guerres de la llgue d'AujsbOUrg
et de succession d'Espagne (.Rell. hilitOJ"ique; 110 l, 1951). -
AFFAIRES AUXXVIJe ET XVIIIe SIÈCLES 101

facturiers, on constate qu'après les révolutions du


XVIIe siècle, tant par le self gOfJemment local que
par le rôle des institutions politiques centrales (Par-
lement, Cabinet) les ens aisés les tabl s les
bour eois ou ro ri . - ciers contrôle ec-
-ti' ent ud : financièrement,fiscalement
la monarchie est subordonnée. En second lieu, par
comparaison à l'administration fiscale française,
célle d'Angleterre a des traits plus modernes et plus
d'efficacité: un corps de fonctionnaires des finances
dépendant du seul gouvernement est en voie de
se constituer à la fin du XVIIe. Il n'y a pas c( d'offi-
cierS )) ni de « fermiers» disputant au pouvoir d'Etat
lès bénéfices de l'adnrlnistration du royaume. Si les
deux pays, d'autre part, empruntent de plus en
plus, le gouvernement anglais est en mesure de le
faire à d'autres conditions et sous des formes plus
modernes que la France. Grâce à la formation de la
Banque d'Angleterre, à :t!D-e circulation monétaire
Weux orgatllsêe et plus sftre. à une confiance plus
g!ande envers l'Etat, peut se constituer une dette
publique, fidèlement -respectée par le gouvernement,
alors que la monarchie française devra toujours
recourir à des particuliers (traitants, banquiers,
grands officiers, fermiers généraux) pour survivre.
Mais la dette anglaise, en raison de l'efficacité plus
grande du systèltle -fiscal, est bien inférieure à la
dette française. Ainsi les particularités des systèmes
:(inanciers des deux pays sont bien liées à leurs
régimes économique, social et politique propres.
Au XVIIIe siècle l'atmosphère change en ]!;urope,
à partir de 1720-1730 : augmentation des produc-
tions de métaux p;récieux américains, montée des
prix .et des profits, stabilités monétaires (Angle-
tërre 1719, France 1726), poussée démographique,
expansion au commerce colonial, début, -en Angle-
J"~ ,
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~
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.J -
'-', '
102 FINANCES DE, L'ANCIEN,R:tGIME

. ' terre d'abord, de la « révolution induàtrielle» ': ' . '


le, t,out aboutissant à rérosion, plus ou moins, a~~:,
lérée, selon les régions 4;lt les Etats, de l'ancienne
économie et de l'ancienne société. Le temps vien.l
du triomphe de la « bourgeoisie active dans ses
mult;iples catégories» (M. .Labrousse). ',',' .
'. IF ,.', Le démarrage décisif du XVIIIe ,n'a pas sur,les"
, '
'. affaires financières les mêmes incidences en Angle- ,
terre, qu'en France en raison de la disparité des'
co~ditions sociales et politiques, et de l'inégalité" .
des développements éconoPlÎques. Dans un cas,une
situation d'Etat consolidée, une « révolution bour-
geoise» qui a passé compromis avec l'ancienne ans-
tocratie, une prospérité accrue, permettent de fonder
largement le crédit public: les ressources de l'em- . ,
pruilt d'Etat de type contemporain peuvent s'ajou-.
ter à celles de la fiscalité. Dans l'autre càs - le
cas français - avec des st~ctures sociales et poli-
tiques inchangées, le rendement effectif de l'ÏJnpôt
n'augmente pas sUffisamment ; hausse des, prix
,et prospérité d'inflatio~ s'accompagnent de la
baisse du salaire réel, de la diminution du pouvoir
, d'achat et de consomma,tiondes paysans et artisans.
paW! une situation économique en expansion, le
contraste ' lent éc ors entre la ri hesse
eoise et la auvreté de t ' est en derriière
an se, ce e e a masse • Il n'existe ni
mstitution manCI re, m co lance sociale, ni régime
politique qui permettraient de fonder le. ~redit
public sur de nouvelles bases; et d'ailleurs l' li. axpé-
rience » de Law n'a pas arrangé les choses de ce
po~t 4e vue. L~égalité fiscale serait probablement
un remède, mais comment toucher au système
d'impôts sans atteindre les privüèges, c'est-à~dire
sans détruire les fondements mêmes de l'ordre
monarchique ? I,.aRévolution naîtra ainsi, dans $es
" -'....
,
:~ \
. ~ 1

.. '. "

103
l,

'.' <:: origJnes' iDunédiates, .d~ la question: fiscale"


laque~e
" révelera, au' sens chimIque du mot, les contradic~
tiQJisde l'économie, de la société et de la direction
pôli.tique.

II. - Situation des gens de finance


dans la France de la monarchie absolue
,:P n'est pas question ici de suivre aux XVIIe et
, , XVIIIesiècles l'histoire des finances et des financiers,
'mais d'indiquer quelles sont les questions principales ~ .',

qui: se posent à ce propos, en montrant en parti-


ct;ilier les lacunes de nos connaissances. '

'A) La question de l'origine du « crédit» des gens


d'~es.- Considérons provisoirement d'une
,', maIiière indistincte les gens d'affaires gravitant dans
, ': ': lils opérations de finances, qu'ils soient « officien »,
, ',:, banquiers, traitants, intermédiaires de plus ou moins
haut étage. Les contemporains de Richelieu'ou ceux
du cardinal de Fleury - et les historiens à leur
, sui~e - vont répétant qu'ils ont «du crédit», c'est-à-
, 'dire, à la fois, des disponibilités immédiates ou à
, " très court terme en argent liquide, et les moyens
, ," de se procurer, en France ou à l'étranger, de l'argent ' .. :-:
,',' crais, , les moyens de battre le rappel de ressources
, eXtérieures à eux. Il est évident que la source fon-
damentale de ces disponibilités relève de la « mar-
, chandise», des fortunes et profits d'origine commer- '>
.'
ciale,' des placements faits dans les « affaires du ",":

roi» par la bourgeoisie marchande et des possibilités


de mobilisation, de transfert, de crédit, que donnent
a1.1.i 'gens d'affaires les circuits nationaux et inter-
,nati9nauxdes échanges. On voit assez bien,' jus-
qu'~lors, s'exercer cette mobilisation desdisponi-
bilités dansles circuits de la ban<{Ue «iIi.temationale :0 "
104 FINANCES DE VANCIEN RtGIME

du. temps, la banque huguenote en constante expan-


sion de Louis XIII (rôle de Herv'art) à Louis XIV
(Samuel Bernard) et à Louis XV (Necker). Mais on,
est bien moins au fait du rassemblement _des
« épargnes » au niveau des structures intérieures,
nationales, des affaires financières. Ceci, très cer-
tainement, faute d'analyse:l sociales poussées, et de
monographies (régionales, familiales) qui, si les do-
cuments, du moins, étaient suffisamment loquaces,
permettraient de reconstituer les réseaux sociaux
du drainage; les groupes de « traitants » et leurs
appuis tant dans les provinces qu'à Paris ; la part,
dans les capitaux rassemblés lors des « traités»' entre
la royauté et ses gens d'affaires, des ressources
propres de ceux-ci et des ressources empruntées
par eux ; la part de diverses couches sociales (offi-
ciers de tous types, rentiers du sol, négociants
actifs, noblesse) dans ces rassemblements de capi-
taux; la ventilation des placements des fortuneS
et des revenus entre les diverses possibilités .de
plac~ment; le rôle de la thésaurisation comme
source possible de disponibilités; enfin celui de
l'accumulation d'origine fiscale, les officiers prêtant
fréquemment au roi les produits mêmes des impÔts
directs ... Autant de questions qui demeurent encore
dans le clair-obscur de l'analyse sociale et écono-
mique. Sans doute perçoit-on que les liens de
famille devaient peser d'un grand poids dans ces
sortes d'affaires. Mais les groupes de traitants coin-
cidaient-ils entièrement avec des clans familiaux
ou avaient-ils. une « clientèle » permanente ? TI
semble en tout cas que siJes « traitants » étaient
bien placés pour mobiliser des ressources et capables
d'avancer au pouvoir de grosses sommes, les offi-
ciers de fin.a~ce dans leur masse l'étaient peut-être
moins': on aurait là l'une des explications de ,leur
AFFAIRES AUX XVIIe ET XVIIIe SISCLES lOS

: déc~ lace à la puissance affirmée -de l'intendaJlt


(u le roy dans la province »). Celui-ci s'appuyàit
yolontiers, dans sa qilête permanente de ressources
liquides, sur les gens d'affaires de statut privé
«( traitants ») parce qu'ils étaient davantage capables
de répondre aux sollicitations financières du gou-
vemement, .et parce qu'ils avaient, vis-à-vis dl;'
ce dernier, moins d'indépendance _. du moins au
xvne siècle - que le corps des propriétaires d'offices •
.Polii" illustration, voici des extraits· d'une lettre
autographe de Colbert envoyée le 5 septembre 1661
au banquier Hervatt, peu après l'arrestation de
Fouquet: « Feu M. le Cardinal (1) m'ayant assuré
les derniers jours de sa vie que je trouverois toujours
dans vostre bourse une assistance de deux ou trois
·millions de livres (•••) à présent que j'ay esté obligé,
par diverses raisons, de faire arrester le surintendant,
j'ay esté bien aise de vous écrire ces lignes pour
vous· dire que vous me ferez plaisir de me préparer,
.. soit par vostre moyen, soit par celuy de vos amis,
la plus grande somme que voUs pourrez afin que
je m'en puisse servir, au cas que j'en aye besoin.
Sur quoy j'attendroy vostre réponse. » Mais quels
étaient les « amis » de Hervart ? Que représentait
le « groupe» Hervart ? Voilà 1" sujet.
Quant aux mécanismes et aux techniques du drai-
nage de l'argent, sous forme d'emprunts aspirés
par mille voies vers le Trésor, ils durent beaucoup,
et.4e pl9.S en plus du xvne au XVDIe, ausystème
des « billets» et « effets» qui accoutuma, quoi qu'on
en ait dit, de nombreuses personnes au « papier ».
Le « billet» - bien qp.'il ne fm pas Il deban!JY.e J)-:-
rêconnaissance de dette circulant, était connu en
~ance bien avant LawJ. et continua sa carrière bien

(1) Mazarin•.
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.••.. j. ; ': • ~, ~ '..... • ~ :'. • ~:. • ~.~.. L ,;

FINANCES /JE.lJANCIEN R~QIM$":


',,'

ap~. Les« billets» plutÔt, carl~s organîsmês 0:0;


les;,:personnes qui les .émettaient pour e:t:Q.pl'1lJiter
· étaient fort nombreux : billets émis par les offiëiers
. de fin~ces (surtout billets des receveurs géné~a'IDÇ);
et par les organismes d'Etat (Caisse des Emprunts
'sous Colbert,« billets de monnaie» à.partir de 1701..
billets de l' «' Extraordinaire des Guerres », de la .
Màrine, de l'Artillerie, « billets d'Etat » de 1716·
1.···. émiS pour éponger la dette flottante), billets .é~s '
:par les traitants, par les fermiers géDréraux. J'our
·tous va:Ient ces' formules de l'Encyclopédie écrites
, à propos des hauts officiers de finances: « Ces bille~
'ne sOnt qu'un moyen par lequel un trésorier, unrec~­
veur .généra:I prête son nom et son crédit à l'Etat
pour emprunter de l'argent destiné à faire le. ser~,
vice dont il est chargé. Ce sont proprement des anti!"
cipations. » Mais, répétons-le, ce qui manque enco;re
à l'ana:Iyse historique c'est une sorte de sociologie
, despoi:tèurs de billets. Tous ces papiers, publics ou.
privés, avaient fait natlirellement très tôt; «lès l~
XVIe siècle, l'objet d'un trafic dont les interm~diaires
étaient les « courtiers de change, banque et marchan-
diSes lI, érigés comme officiers en 1572 et constitués.
à Paris en compagnie en 1634 et en 1639 pour l~
·négociation de tous effets publics et privés .:-. don~
ceux des traitants. Les courtiers devenus ensuite
:« agents de. change» rendirent d'ailleurs des serViQes
financiers' directs à la royauté. A la fin du règne .~ .
'Lowe'Xly un véritable marché des valeurs seconS~.
·tftue à Paris. mais il n'auraexisience officiell~
· et local officiel - la Bourse de la rue, Vivièime ....,..
qu'à partir de l'ap:êt de sl3pteD.lP.r~ l7~~ .. _:,
·l;l)Jlié...~hies et ,types de geDs d'~. ~ Au.
problèm~ :.du drainage .se . rattachent ' ceUx: qui
concernent les distinctions d'o!=dre profelJsionnel
- ,
et.:
:.
,.

:;. <.
, A,FFAIR;ES,'AUX XVIIe ET XVIIIe SIkcLES 107

.social' à étahIk entre les diyers personnages ayant


~e ,rare privilège d'avoir « d~ crédit ». Une étude de
, cè inilieu distinguant avec soin les categories, les
.hiérarchies' et leur évolution au cours des deux
, sièe1.e~ ne serait pas un travail inutile. Tel texte
'-' du,temps, par son imprécision même, montre que,
, la' société « financière » de l'Ancien Régime n'avait
,','. pail des structures simples (1). La hiérarchie des
:,; ~offjciers de finances est connue, celle des gensd'·af-
,:" fair~s de type privé, banquiers, fournisseurs, et
« traitants» de tous types l'est beaucoup moins- et
les ,rapports étroits entre ces deux hiérarchies
. demeurent plus mystérieux encore. Sans doute
connaît-on les aspects juridiques des distinctions
. prafèssionnelles et sociales dans ces milieux dé
.finance 'et ',de banque, mais bien moins les modes
effectifs d'activité, d'enrichissement et d'ascension
sociEÛe. ,On a pu souhaiter récemment que se mul~
. tiplient lés monographies sur le milieu des officiers
',:'" de -finance au XVIIIe siècle.
Les besoins de recherches nouvelles dans cettci
, dÏl'ection' se font d'a\l.tant plus sentir que la do-
)' "cumentation n'est pas absente, la ( bibliographie»
. du' sujet assez nourrie - mais désordonnée et dis-
persée à souhait, et, malheureusement, très4ta-
. chevée ..
,Autre thème d'études dans ce domaine: le main~
. tien. mais en même temps le recul, jusqu'à l'époque'
de.Mazarin, des banquiers italiens dans les affaires

(1) On trouve dans les Lettres, Instructions et Mémoires de èolbert


',' (écUlé par CLtMENT, t. H, Ira Partie, pp. CXCIX et cc, en note,l$63)
un Mémoire au sujet des fermes rédigé probablement par LE TELLIER
et qUi conUent les formules suivantes : • Il Y a toujours eu, detluis
plus de trente ans, dans les aUrures du Roy, de trois ou quatrè
sortes de financiers : des traitants dans les fermes générales, des
r,eèlweurs I!énéraux en tltre d'office, des particuliers qui faisaient
des'.prestsdes recettes générales, quoyque sans office et d'autres qui
faisoient différents traités de plusieurs natures ji'affalres. . '
~ .' ,.
108 FINANCES DE L'ANCIEN RtGIME.

du roi ; la montée parallèle - probablement depuis


SUlly - des banquiers protestante (Feydeau, Hèr-
vart, Formont, Jabach), précédant leurs grands
rôles de la fin du XVIIe et du XVIIIe siècle, enfin la
prolifération depuis les Moysset (sous. Henri IV)
jusqu'aux Pâris et Crozat des traitants français,
d'origine populaire ,devenus indispensables comme
prêté-noms, intermédiaires et hOIqJlles à tout faire.
Mais au XVIIIe siècle le personnage du traitant
tel qu'il apparut aux XVIe-XVI~e siècles tend à dis~ .
paraitre. « Il y a eu autrefois des traitante », dit un '
ouvrage de 1787 (1). Les perfectionnements relatifs.
de l'administration; l'augmentation de la richesse
nationale; la croissance régulière des produits de·
la . Ferme générale; le tarissement de la création
d'offices nouveaux, dont on avait tant abusé au
XVIIe siècle au point que l'imagination des « don·'
neurs d'avis» ne trouvait plus de charges publiques
nouvelles à mettre en « traité »; et surtout, sans
.doute, le développement du crédit public: emprunts
de toutes formes, en particulier viagers sous NeckeJ:',
placés en France ou sur des places étrangères, telles
Amsterdam et Genève; enfin les réels services ren- '
dus à l'Etat par la Caisse d'Escompte !,.,partiJ'!'
de 1776. font que, progressivement, le gouvemement
royal utilise moins les anciell§.J!rocédés des SI affairés'
extraordinaires ». Le même' tèxte. de 1787 nOte'
Justement : « Les affaires ne sQnt plus concentrées '
dans Un aussi petit cercle de gens, enrichis par des .
usures publiques, qui faisaient la loiidans dcs temps'
diffieiles. » La finance, en quelque sorte, met quelque
ordre et régularité dans ses propres affaires. A '
côté des officiers, ce sont les fermiers généra.tq qui
spnbolisent désormais pour aiDAi dire excluSivement;
(1) SÉNAC DB MEILHAN, COllBidhatfollB 'BUI' les richesses lit le luze,
'Amsterdam et ParIs, '1787. chap. S6: • Des financiers.. .
AFFAIRES AUX XVIIe ET XVIIIe SI:kCLES 109

la fÏilance du régime. Ces· Earvenus respectables


. n'ont plus les louches allures a~ leurs prédécesseurs
. du si.ècle précédent. Et ce n'est pas là, seulement,
question de génération.

C) Evolution de l'organisation financière monar-


chique : officiers, intendants, fermiers généraux.-
Pour ce qui concerne administration financière et
fiscalité, on a dégagé depuis longtemps les lignes
priilcipales d'évolution, mais il reste encore des
zones d'ombre, surtout pour le XVIIIe siècle, le
XVIIe siècle - ces dernières années - étant davan-
tage l'objet de travaux. Qu'il soit impossible à la
monarchie de « moderniser» administration et fisca-
lité, c'est l'évidence. La modernisation véritable
ne pourra se faire qu'une fois l'Ancien Régime dis-
paru: ce sera l'œuvre des régimes bourgeois, depuis
1789 jusqu'au baron Louis, ministre des Finances
. de la Restauration - pour l'essentiel. Mais l'impos-
sibilité de réduire réellement désordre et abus de la
fiscalité dans une société à privilèges ne signifie
pas que la monarchie n'ait pas cherché à améliorer
les instruments dont elle disposait, c'est-à-dire à
les rendre plus maniables et plus efficaces. Il y eut
amsi - mises à part les transformations des struc-
tures centrales, au niveau du Conseil du Roi - des
changements qui se sont ordonnés selon deux ten-
dances: d'une part, la reprise en mains du contrôle
de l'administration financière grâce à des agents
ne dépendant directement que du pouvoir : luttes
de Richelieu et de Mazarin contre les rébellions
chroniques des grands officiers, et stérilisation des
officiers .de finances refoulés et neutralisés par des
« commissaires II royaux. Ceux-ci, les « intendants ll,
viennent dans chaque généralité remplacer la gestion
« indirecte » des officiers par la gestion « directe »
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de la « bureaucratie D mO:r;larchiqu~ sans :doute,Jnau ..
pl'ogrès imposé par l'étàt de gu~rre ét les. e~gence8
fiscales; et conflit inteme fondaniental à l'intérièuJ;' .'
III,ême des structures administratives d'Ancien
Régime. Ce conflit rebondira,. une fois passé le rèp'e.:
de Louis XIV, t01,lt au long du XVIII~ siècle~ jusquià
· culminer en 1787-1788 au cœur de la « r6volte :.
", .
nobilia4'e D . · . ' .: :
. D'autre part, maintien du principe de l'aff~rm~ge ..
· '. po~ la perception des taxes indirectes, mais conceIl~
tration progressive des« fermes D de la fin au
"
XVIe. siècle jusqu'à Colbert, qui sceJle, pour Un
siècle, la définitive organisation de l'imniense JD,achi.. .
nerie de la « ferme générale D. Mais sur ce' point,
grave c~nce de la recherche historiquè : l'histoire ... ;.•
de là ferme générale au XVIIIe siècle - et celle des .
· « :fermes D royales dans les périodes précédentes - .
· restent pour ainsi dire à faire alors que l'on a d~li.
monographies nombreuses et valables sur l'impat
··dijoect. Parmi les nombreuses questions que pose
le fonctionnement de la ferme générale on.peùt .
.retenir le problème: « ferme D ou « régie D des impatâ ~
indirects ? On sait que la monarchie, dans la seconde
· paxtie du règne de Louis XV, puis sous Louis XVI; \
· . essaya .de diminuer les attributions et pouvoirà des .: ..
" " fermiers généraux et de passer à une formep~us . ;
·"modeme de perception ~e certaines taxes •. ·. Autre
· suje:tde recherches: l'évolution desprodui~ de la
. ferme générale, à l'échelle nationale e.t régionale,
j:.•
comme. traduisant la conjoncture économique\ elle-
même. Mieux que la taille, semble-t-il, leI!: taxés
· . indirectes devaient refléter dans une certaine mesure
· la'situàtion des échanges. Mais nouslaissons)~Lde
· caté, en tant que telles, les questi9ns - et labiblio-
~aphie - concemant l'ensemble de la 1iscalitéroyale(
·~ ,"
"

. ~'.

,:D) ''Chronique des aff~ fiiumcières et pniss.nce


IlOciale croissante des manieUrs d'argent;~ C'est
icj qu:ilfaudrait rédiger non un chapître, mais tout
'qD.livre nouveau: histoire de la politique financière,
perçue du point de Vile du roi, des « surintendants )l,
'des «contrôleurs généraux» ; histoire des crises des'
fin~'Ces 'royales, c'est-à-dire des périodes partj-
~~ièrement aiguës de détresse monétaire, et budgé:'
taire' '- car la crise des finances, au demeurant, fut
continue; histoire des idées et des systèmes « surIe
f'ait des finances », qui fleurissent particulièrement
'au XVIIIe siècle, après les « réformateurs » de,la
fin d'Il XVIIe. Sur ces thèmes, 'plus classiques, les
historiens ont depuis longtemps travaillé; en par-
tant ' des grandes collections historiques et de
quelques études - comme celles de H. Hauser sur ','
Richelieu et de Paul Harsin sur Law - en remon-
tant" aux grands recueils de documents publiés,
, en utilisant les dictionnaires et ouvrages de valeln'
" sn le commerce et la finance parus aux. XVIIe et
xVIiie siècles, on peut reconstituer assez exactement
cette tragédie continue d'un système politique qw. '/

ne pe'!lt se donner de bonnes finances parce qu'au-


cune'des conditions économiques, sociales et poli-
tiques n'est posée qui permettrait de résoudre
dans le régime le problème financier. C'est là,
d~ ailleurs, tout ,le sens de l'échec des expériences .
d~,un ,Colbert, d'un Law ou d'un Turgot. Si diffé-,
rente,!! qu'elles soient par les circonstances qui les
ont entourées et les hommes qui les ont conduites
~ Colbert n'était pas un doctrinaire, à la différence
des deux autres - ces expériences ont visé. le
',commun but d'enrichir le « royaume» pour apporter
Une sohition permanente, définitive, à la pénurie
du Trésor; .en quoi ces hommes avaient des vues
d~homnies d'Etat, alors que rien ne 'permet- ,.
"".'
112 FINANCES DE L'ANCIENR2GIME .

tait qu'ils puissent, en leur temps, triompher.


Mais à travers les accidents de l'histoirefinan--
cière des deux derniers siècl~s de l'.An:cien Régime.,
et jusque dans la crise financière et politique finale
de 1787-1789, se développe une tendance sociale
que l'on ne peut toutefois qualifier tout à fait de (,
nouvelle, car. elle eut des précédents : la· montée
des manieurs d'argent et la force sociale que confèr~
la familiarité du numéraire,des créances et dés
« papiers» de toute espèce, traduction sociale d'une
mutation économique en profondeur, celle de la
croissance du capital mobilier à côté de l'ancienne
forme foncière de la richesse. La montée des gens
d'affaires de tous ordres est bien un élément, sous
l'Ancien Régime, du renforcement de la bourgeoisie
et prépare les mutations sociales finales. Dans l'état
de tarification adjoint à la déclaration du 18 jan-
vier 1695 établissant la capitation, il n'est pas sur-
prenant que dans les deux premières « classes » de
contribuables, à côté des ministres et princes du
sang, soient placés fermiers généraux et trésoriers des
grandes administrations. Les « banquiers et agents
de change ) sont, il est vrai, dans la onzième classe :
mais leur fortune est plus insaisissable que celle des
hauts officiers de finances (1). « Si le financier man-
que son coup, avait noté La Bruyère' dans les pages
célèbres de ses CaTa~tères consacrées aux gens d'ar-
gent, les courtisans disent de lui: c'est un bourgeois,
un homme de rien, un malotru. S'il réussit, ils lUi
demandent sa fille. » La consécration sociale acquise
par les manieurs d'argent n'est pas seulement témoi-
gnée par toute la littérature - romanesque, théâ"
traIe, économique et politique - du XVIIIe siècle,
elle est démontrée par ce fait qu'après Fouquet le
(1) MII1'C BLOCH, Asped8 iconomiquts dl1. ngné de Lorrû XIV
(SOrbonne. 1939). - ,
1

AFFAIR,ES AuX XVIIe ET XVIIIe SrÈCLES US

financier - le grand, financier ...-,est pour ainsi


dire intouchable. La dernière « Chambre de Justice»,
celle de 1716, a distribué des amendes, mais non
clescondamnations à mort. On n'est plus au temps
de François 1er faisant disparaître un Semblançay,
. ni même de Louis XIV triomphant, condamnant
Fouquet à la mort lente. C'est, pour ainsi dire,
l'inverse, désormais : Pâris du Verney et Pâris de
Montmartel ont été les inspirateurs de la politique
financière à, diverses reprises et rien ne s'est fait
sans leur avis sous la Pompadour. Pour finir, c'est
'Necker, un banquier genevois, bourgeois à la per-
fection tant par ses origines, sa profession, que par
son style de vie, étranger de statut, qui, de 1776
à 1781, est nommé à ,la tête des finances royales
et, à coups d'emprunts, permet.à la monarchie de
mener une « grande politique » dans la Guerre
d'Indépendance américaine (1).
Mais ici une confusion doit être levée. Dans ce
groupe des manieurs d'argent tous, il s'en faut, ne
participent pas, même à leur insu, aux mouvements
profonds qui préparent la destruction de l'économie
et de la société d'Ancien Régime. Quand on dit que
,la bourgeoisie du XVIIIe est « révolutionnaire » il
s'agit d'une vérité globale, et qui, d'autre part,
'fait référence à la situation objective de ce groupe;
mais un groupe fondamentalement hétérogène
, . • comprenant ses couches « conservatrices » et ses
couches « progressistes » - pour employer par
.commodité un vocabulaire actuel. Il existe des
couches bourgeoises attachées à l'ordre ancien, (( pa-
. rasitaires » ; et d'autres, qui, même si elles n'en ont
(1) H.Lüthy peut citer cet extrait d'une lettre de l'abbé ·Terray
(janvier 1772), contrÔleur général, à Necker, alors simple banquier:
« Nous vous supplions ·de nous secourir dans la journée. ,D.aignez
venir à notre aide pour une somme dont nous avons un besoin
indispensable. Le moment presse et vous êtes notre seule ressource••
J. BOUVIÉR ET H. GERMAIN-MARTIN
... ;

114 FINANCES DE L'ANCIEN' RISGIME

pas toujours. une conscience immédiate, sont déta-


chées de la société d'Ancien Régime et jouent le raIe
d'éléments actifs, dissolvant la société rurale, éei~
gneuriale et monarchique, et préparant le triomphe
du capitalisme. La promotion sociale des manieurs
d'argent en général ne peut donc avoir dans. sa
totalité. le sens d'une mutation sociale préparant les
· changementsrevolutionnail'es. Ici, une analyse s'im~
pose qui permette de distinguer dans ce monde
'divers et complexe des milieux de l'argent, ce qui
· meurt de ce qui naH.
E) Une distinction fondamentale 1 banquiers et
financiers. - Cette distinction ne date pas des
XVIIe et XVIIIe siècles, il s'en faut. Nous l'avons
soulignée dès notre introduction· et nous l'avons,
chemin faisant, rencontrée fréquemment du XIIIe
au XVIe siècle. Les financiers sont au servioe du
prince '; les banquiers au service du.négoce interna-
tional.Les rapports entre les deux groupes demeu~
rent, bien siîr, étroits. Mais pour le cas français, en .
raison de l'apparition des réseaux de la banque '
protestante dans l'Europe des XVIE!~XVIIIe siècles,
la distinction prend désormais des formes accusées,
originales, et dont l'analyse permet d'approfondir
l'histoire de l'ensemble de la société :&ançaise. A
.l'époque même -le XVIJ6 siècle - où la monarchie
compte davantage sur ses « traitants » que sur ses
« officiers de finances » pour entretenir les. fonds
· de roulement de son. économie et de son budget
de guerre, elle fait de plus en plus appel aux services
des marchands~banquiers et, tout naturellement, à
ceux de la re1igion réformée, en raison de leurs
positions en Europe. Les ministres de Sa Majesté
catholique, à commencer par le catdinal de Riche~
lièu, n'ont jamais hésité à s'appuyer sur euX pour
AFFAIRES AUX XVIJe ET XVIIIe SIÈCLES 115

résoudre le permanent problème des p81èments


à faire à l'extérieur (soldes .des années, règlement
des fournitures de guerre et du ravitaillement,
entretien des subsides auX princes alliés, importa-
ppns de grains en temps de disette). Il ne s'agit
pas seulement des noms toujours cités des Herwart,
Bernard et, plus tard, Necker~ mais bien d'une foule
d'autres négociants-banquiers - les « Genevois »
du XVIIIe siècle - dont l'ouvrage récent de H. Lüthy
a tracé les portraits définitifs et saisissants. Sur le
renforcement de « l'internationale huguenote» grâce
aux conséquences de la Révocation de l'édit de
Nantes (1685) ; sur ladi~spor~protestante au départ
de la France à la fin du XVIIe siècle; sur le maintien
effectif des liaisons d'affaires, malgré les rigueUl"s
de la loi, entre les « nouveaUx catholiques» demeurés
en France après abjuration et leurs parents émigrés;
sur les rapports entre ces milieux et le pouvoir à la
fin du règne de Louis XIV, puis à partir desBDnées
1760, on est désormais ,amplement informé. La
recherche historique, après les travaUx de H. Lüthy,
se trouve alors dans une situation qui peut para.itre
paradoxale .: nous. voici· bien mieux au fait des
banquiers que des fixùuiclers~· La vIve lueur jetée
sur les premiers accuse. les ombres portées qui mas-
quent encore les seconds. L'auteur de, La banque
protestants en France souligne lui-même, à titre
d'exemple, deux lacunes dans notre connaissance
des affaires de finàiices du roi : « La tache blanche
que forme le milieu du XVIIIe siècle dans notre
connaissance historique ne disparaîtra que quand
seront connues avec noms et chiffres, et autrement
que par des anecdotes de Cour, les luttes autour des
positions-clés de l'économie royale. L'histoire et la
direction du Trésor royal du règne des Pâris à celui
du « clan autrichien » Laborde-Micault-Nettine·
116 FINANCES DE L'ANCIEN RJ!:GIME

(et Calonne), celle des « blés du roi », celle de la Ferme


générale, celle de ,la Compagnie des Indes, restani ..
à faire ou à refaire. La plupart des sociétés finan-
cières ,du milieu du siècle mentionnées plus loin
et qui, à la différence de celles de 1770-1790, sont
encore tenues en mains par les gens d'office et de
finances n'ont encore intéressé aucun historien» (1).
A propos des années d'agiotage financier et boursier
précédant 1789 Lüthy écrit encore : « Nous man-
quons toujours de toute étude sérieuse et même
de toute étude tout court sur les manieurs des
finances du roi et de la Cour, sur la haute finance
d'office, sur la Ferme générale, sur les affaires des
Trésoriers de la Guerre et de la Marine, dont" les
faillites de 1796-1787 fuient les cra ements avant- .
co eurs de la débâc e, sur es mances et inanciers
du comte d'Artois, les Radyx de Sainte-Foy, les
Pyron de Chaboulon et Bourboulon ( ...), sur ceux
du comte de Provence (...), bref sur les vrais :nia-
nieursd'argent du royaume de France; autant dire
que l'histoire financière de l'Ancien Régime reste
à faire. »
~1;: La distinction entre financiers et banqyiers au
XVIIe, et plus encore au XVIIIe, n'est pas une dis-
tinction seulement professionnelle et technique ; elle
est fondamentalement sociale. Les « gens de
f~ finance», officiers du roi, propriétaires héréditaires
de leurs charges, sont liés à la monarchie établie,
c'est-à-dire solidaires de ses structures - et d~
sa durée. Ils sont liés au maniement du numérair"
lui-même, des espèces sonnantes, par la fiscalité
qui est leur domaine. La matière première de leur
industrie c'est « la monnaie métallique du royaum!')
agricole» (H. Lüthy). Parvenant par l'office à de

(1) H. LÛTIlY, t. II, p. 13, n. 1.


AFFAIRES AUX XVIIe ET XVIIJe SIltCLES 117

haùtes positions, les gens de finance doivent enfin


fàire leurs. preuves de catholicité. Ainsi sont-ils
de toute manière, par leur situation professionnelle,
lel1!l." rôle dans l'économie et dans l'Etat, leur idéolo-
s!e,intégrés à l'Ancien Régjme, d~ns le r8gime
(H. Lüthy). .
1 g Les banUJ1iers, par contre, dont la grande masse
~!!t protestante, sont «hors du régime Il. La banque
est ~ofession libre (1), ouvel:"f:e, en dehors de toute
ôrgaiiisation corporative, échappant à la réglemen-
tationde type mercantiliste. Le banquier travaille
avant tout sur les « papiers Il commerciaux, « n'Ilgite
que des signes Il· (Ri,varol) et, par sa position pro-
fessionn~lle, joue sur un clavier intemational. Son
domaine : les changes et les places de change de
l'Europe, où il a des correspondants, des amis, des
parentés. TI mérite donc l'accusation de «cosmopo-
litisme Il que làncent contre la banque huguenote
des pamphlétaires français du xvme, défenseurs
de la finance «·nationale li. Le banquier n'est pas
« officier Il, n'a pas de charge publique, et seâitue
hors des cadres de la .machinerie d' • L'exemple
e , ec er est pa 8.1tement émonstratif: ce pur
banquier, arrivé pour quelque temps à la direction
des finances royales (1776-1781) non par ses talents
propres mais par le «. crédit li intemational dont il
disposait, ne sera jamais intégré véritablement à
l'Ancien Régime; il fait figure à la. veille de la
Révolution d'opposant à la finance traditionnelle
et· de caution des . W!ph-~tio;ns bourgeoises à une
conduite « rationnelle li de la fiscalité et du budget~
(U Sous la réserve que le banquier ne s'Intéresse ,pas, par aillelU'll,
il la marchandise. Un dletlonnalrii du xvm o slèele note il eet é«ard :
• Chaeun peut s'ériger en banquier; Il n'y a point de matlrlse;
mals pour fa,1re la banqull et la D1arehandlse tout ensemble dans lei
lieUx ofl il y'a mattrlse, 11 est nécessaire d'avoir été reçu marchand •
(.J;epriztiCfen des luges et des consuls, Anonyme, 1742, p. 35). Voir
f~ la note' de H. L'OTBY (olWr. cité, t. II, p. 774).
118 FINANCES DE L'ANCIEN RJ!:GIME

«En forçant un peu les choses, écrit H. Lü:thy.


on peut dire que dans la France du XVIIIe la Finance
était catholique d'esprit aussi bien que de fait, et
la Banque, protestante. » Autrement dit, on cons-
tate une coïncidence entre clivages sociaux, profes-
sionnels et religieux. Une foïncidence, certes,
relative,-mais intf-ressante à souligner par sa relati-
vité même ; il existait, d'une part,· des banquiers
catholiques, « nationaux », tels les puissants Lecou..
teulx (Rouen), les Magon (Saint-Malo), ou lë «ban-
quiér de la Cour », J .-J.. de Laborde. Mais ces
banquiers du· cru demeuraient plus proches de la:
finance que de la banque car ils avaient établi le
principal de leurs activités sur la base du commerce
dés piastres d'Espagne, l'importation du numéraire~­
argent, la fourniture des ateliers de monnaie royaux
et .du Trésor. Les dynasties familiales que ces
marchands-banquiers, négociants d'affaires mari-
times et coloniales, avaient fondées, accumulaient
offices et charges publiques. D'autre part, en sens
inverse, une petite partie de la banque huguenote,
parmi les familles' demeurées en ·France après 1685,
s.'agrégea étroitement· à-l 'Ancien Régime eil reniârit
en quelque sorte ses origines, en entraBt dans les
grandes administrations économiques ou financières
de la monarchie : les Cottin et les Saladin dans la.
Compagnie des Indes, les Tronchin dans la Ferme
générale, d'autres dans la Manufacture royale des
Glaces. Mais cette « petite poignée de gens» (Lüthy)
ne supprimait pas la .ligne de démarcation fonda-
mentale entre « Fipa:ù.ce » et « Banque ».
Naturellement la ligne de démarcation ne signi-
fiâit. pas qu'il n'y eut aucun rapport entre les deux
groupes; s~ le plan technique, c'est-à-dire celui
dés affaires, leursrericontres ou leurs collaborations
étaient fréquentes puisque les uns et les autres fa,i-
\

AFFAIRES AUX XVIIe ET XVIIIe SI1tCLES 119

saient surtout fortune en traitant d'opérations avec


l;Etat, tant dans les affaires de guerre que-dans oelles
d'importations de grains. Les banquiers protestants
ne se sont pas fait faute, eux non plus, de spéouler
sur les piastres; tandis que les financiers n'igno-
raient pas .le maniement des lettres de change. La
Caisse d'Escompte, telle qu'elle fonctionnera dans
les années 1780, est l'un des terrains de rencontre
des deux groupes. Mais la distinction fondamentale
n'en demeurait pas, moins entre les deux milieux.
Or, dans l'atmosphère d'une -société déchirée et
d'un régime décrié, la finance et les financiers du
XVIIIe siècle n'avaient plus de partisans qu'eux-
mêmes. Représentant sans doute « un groupe d'in-
térêts formidable » (Lüthy) - importation d'argent
et fabrication des monnaies, système fiscal tant
direct (officiers de finance) qu'indirect (Ferme géné-
rale), positions solides dans la plupart des sociétés
royales : Compagnie des Indes et grandes manufac-',
tures à privilèges - ils étaient vulnérables dans la
mesure même où l'Ancien Régime l'était devenu.
« Plus que toute autre institution d'Ancien Régime
la finance d'office était un monstre lourd et inadap-
table d'un autre âge » (Lüthy). Elle disparaîtra
donc corps et biens, le fermier général Lavoisier
compris, à côté de Magon, Laborde et tant d'autres,
dans les dix dernières années, du siècle. Alors que
Ja banqy.eL elle, parce qu'elle avait été « hors du
régim.!L» se trouvera en place dès les premières
heures pour s'ada ter aux conditions nouvelles
, bo' SOCIete os - 0 utlOnnaire: a
anque de France naît en 1800 et la « banque hugue-
note » lui fournit bon nombre de ses premiers diri-
geants. Qu'un Lavoisier finisse sur l'échafaud, mais
qu'un Perrégaux, qu'un Mallet, qu'un Hottinguer,
quelques années plus tard, soient parmi les têtes
f-.

. ...
120 FINANCES DE. L'ANCIEN R:tGIME .

. de l'institut d'émission signifie bien que l'Ancien· ..


Répe n'est. plus; le capitalisme contemporaiIi.·
met en place ses premières structures. Les financiers
d'Ancien Régime sont morts. Le règne des banquiers
d'aujourd'hui .approche.
Ces choses une fois rappelées, on ne résout pas
pour autant le problème des origines lointaines,
profondes, de la Révolution. Car le. fait que la·
banque soit « hors du régime » ne signifie pas que
la banque - à elle seule! - ait «fait la Révolution li,
même si elle en a, en dernière analyse, hautement
profité. Ce n'est pas par référence à des« complots»
. - maçonnique, protestant, etc. - que l'on vient à
bout de l'explication des causes profondes des·
mutations décisives des années 1789-1799. Mais
quels groupes de gens d'affaires - négociants,.
marchands-banquiers, nobles « entrepreneurs », in-
. dustriels, etc. - ont préparé effectivement l'ébran-
lelQ.ent des modes de production anciens? Vaste
question sur laquelle; dans toute l'Europe, les his-
toriens n'oJ!,t pas fini de travailler.
\

CONCLUSION

·1; La finance de style Ancien Régime commence


à mourir en Angleterre après les révolutions du
:XVIIe siècle, alors qu'elle ne disparait en France
qu'à la fin du XVIIIe et qu'on la voit survivre au
· XIXe siècle dans ]e reste de l'Europe jusqu'à des
· époques variables selon les pays. Lorsque la fiscalité
ëàt uniformément établie, qu'elle ne touche plus
sèulement les produits de la terre mais aussi les
autres formes de la richesse et qu'elle est tenue ell.
inainS par l'appareil d'Etat lui-même; lorsque
dépenses et recettes budgétaires sont prévues avec
qu.elque ordre et contrôlées par des assemblées;·
lorsque l'Etat n'emprunte plus à des particuliers;
mais au public, alors le mode princier des affaires
de finance disparait. Les « financiers» et « banquiers
de Cour» n'ont plus à être les parasites nécessaires
.du pouvoir. Nous avons di! sacrifier dans nos
développements le cas anglais et procéder à son
propos p.ar allusions. C'est dans ce pays cependant
qu.e se sont produits les changements décÏ8üs en
matière financière et que le style actuel de la finance
pUblique a tout d'abord été instauré : après his
finances « monarchiques », les finances « bour~
geoises ». Par choix, délibéré et forcé à la fois, notre
étude a porté essentiellement sur les premières.'
- 2. Conditions économiques, sociales et politiques~
indissolublement, expliquent les traits origiilaux
· de ces finances d'Ancien Régime. La dette du priIlce
/.
1

122 FINANCES DE 'L'ANCIEN RtGIME


"

repose sur la terre, dont les produits sont en denner .


~ssort les gages rééls des emprunts de toutes sortes
qu'il est cOJ;1traint de faire. Mais cette dette apparait
d'autant plus parasitaire que, par essence, la fisca-
lité repose sur l'inégalité, et le budget sur le « bon
.plaisir Il. C'est toujours là qu'achoppent l'analyse
- et l'action - d'esprits lucides, tels Richelieu,
Colbert ou Turgot. Ds ne peuvent pas réformer
réellement les finances ni se passer des financiers,
puisqu'ils ne réfléchissent et n'agissent que « dans
le Régime ». Mais si les finances d'Ancien Régime
ont été conformes à la base agraire de l'économie
et .aux structures sociales et politiques correspon-
dantes, elles ont aussi répondu aux conditions moné-
taires de leur temps : pour les XVIe-XVIIIé siècles
par exemple, « siècles de monnaies métalliques
souveraines et de crédit naissant Il (Spooner) elles
ont employé à la fois le numéraire et le « papier »;
la rafle fiscale des espèces et les instruments « mo·
demes » des transferts et des crédits. C'était déjà .
un signe d'adaptation. Du XIIe au XVIIIe siècle, les
finances d'Ancien Régime dans leur volume, leurs
formes, leurs instruments ont connu une certaine
évolution.
3. Ehrenberg a écrit que les « puissances finan-
cières Il, à l'époque modeme, sont de plus en plus
devenues « nationales » : le caractère « européen' 11
des réseaux de marehands-banquiers italiens du
Moyen Age, l'ubiquité des grands « hommes d'af-
faires Il du temps des Fugger ont fait place dans le
cadre des grands Etats progressivement constitués
à l'action de groupes nationaux, autonomes, de
financiers embrigadés sous J'aütorité royale. Muta-
tion certaine. Mais aux liens « intemationaux »
d'ancien type se sont très 'Vite substitués de nou-
veaux, lesquels ont eu, depuis, longue vie. Si l'appa-
CONCLUSION 123

rition de l'Etat moderne entraiDe norma1e~ent


une « nationalisation » de la finance, les groupes
constitués désormais sur base nationale entrent à
leur tour en rapports étroits : la solidarité dès
« marchés li, la permanence des échanges commer-
piaux - et leur développement - le flux des
métaux et des monnaies, les nécessités des·transferts
sont autant de facteurs de base à ces rapports
, d'argent entre pays dont la « banque internationale
huguenote » donne. dès le XVIIIe siècle. une sorte
d'exemple achevé.
4. L'Etat contemporain, une fois établi sur la
base du mode bourgeois de vie économique et de
constitution sociale et politique, aura cependant
lui aussi toujours besoin de ressources assurées à
court terme, de volant de trésorerie, de disponibi-
lités immédiates. Au financier attaché au prince
succèdent alors le banquier et la banque en tant , ,
qu'auxiliaires - non bénévoles - du Trésor. Aucun
régime fiscal ne saurait suffire, à lui seul, aux
besoins de l'Etat. Dettes flottantes, emprunts conso-
lidés, roulent en permanence, que ce soit dans l'An-
gleterre du premier Pitt en voie de se dégager de
J'ancienne économie, ou la France d'aujourd'hui.
« L'industrie» de la finance n'est donc pas morte
aVeC la finance d'Ancien Régime. Elle a pris des
, formes nouvelles dans un contexte désormais nou-
veau, celui de l'époque du capitalisme développé.
Il est impossible de ne pas évoquer ici, à titre d'illus-
tration, l'exemple de l'adaptation à deux périodes
historiques successives d'une dynastie d'hommes
d'argent : celle des Rothschild. Ils ont commencé
comme « banquiers de Cour li particulièrement
typiques dans l'Allemagne du dernier tiers du
XVIIIe siècle. Et, sous nos yeux, ils prennent figure
d'hommes d'affaires parfaitement typiques aussi
124 FINANCES DE L'ANCIEN R2GIME

du grand capitalisme actuel. Exemple révélatelU'


d'une continuité dynastique à travers une série de
discontinuités historiques. Mais, pour l'historien,
ce n'est pas la permanence d'un nom qui compte.
Que cette adaptation d'une « dynastie bourgeoise»
(Beau de Loménie) à une succession d'états écono-
miques et de régimes politiques ait été réussie,
sans doute. Mais il n'empêche qu'entre les Roth-
schild du XVIIIe et ceux d'aujourd'hui il y a, dans
l'activité professionnelle et le rôle économique, tout
ce qui sépare la société agraire et seigneuriale de la
société industrielle et capitaliste.
5.· La finance d'Ancien Régime en tant que terrain:
d'affaires, et les financiers de cette époque en tant
que groupe social ne sont pas à l'origine du capi-
talisme contemporain. On a pu soutenir depuis
longtemps que, dans le cas français. par ;exemple,
le système fiscal, le drainage de l'argent effectué
par traitants et partisans, les modes d'emprunt.'
de la monarchie - en particulier créations et ventes
d?offices et multiplications des rentes -oritdérivé
hors du secteur industrie-commerce des capitaux
qui ont ainsi manqué au développement économique;
quoiqu'une petite partie d'entre eux (par les compa-
gnies à privilèges, les manufactures royales) y soit
retournée. Les hommes des finances princières ou
royales n'ont rien bâti de durable. Ils ont fait for-
tune, fondé des dynasties opulentes, mais ni les
Médicis, ni les Fugger, ni Samuel Bernard, n'ont
finalement laissé des entreprises. Vivant à l'époque
pré-industrielle, pré-capitaliste, il n'en était sans
doute pas question pour eux et ils se sont finalement·
intégrés à l'aristocratie par les liens personnels,
la mutation foncière de leur fortune, les fonctions
publiques ou semi-publiques exercées, leS titres de·
noblesse acquis à poids d'argent: « trahison de la
CONCLUSION 125

b()urgeoisie» -(M. Braudel), !( mentalité d'évasion


vers l'état nobiliaire ... esprit de reniement» (M. Man-
drou). Ils n'ont donc pas été un ferment révolution-
naire dans l'évolution du corps 'social. Ce n'est pas
_ dans le secteur «finances» que se sont préparées - il
s'en. faut ~les modifications de structure et d'éqUi-
libre de l'économie et de la société anciennes. L'en-
treprise libre, la séparation du travailleur et de ses
inst1'UID.entsde travail, l'apparition du groupe des
propriétaires d'instruments de production et de
celui des. salariés, la mécanisation et la division du
_trav:ail, la concentration des capitaux et de l'outil-
lage - pour n'en retenir que les traits les plus évi-
.dents ;- ont constitué -les éléments de formation
du mode de production. capitaliste. Ceux-ci ont
mûri lentement à l'intérieur de l'ancienne économie
et de l'ancienne société, subissant parfois des impul-
sions plus brusques (rôle du facteur démographique,
de la circulation monétaire et du crédit). Mais il
. faut rechercher leur préhistoire dans les' modifica-
tions des structures agraires, dans les progrès des
techniques industrielles et la constitution des pre-
miers noyaux de production industrielle (par 0ppo-'
sition au type artisanal), dans la formation et l'élar-
gissement des marchés, tant par la croissance démo-
-graphique, la constitution d'Etats territoriaux, que
par la découverte du globe... Ces divers processus
représentent tout autre chose que les affaires de
finance d'ancien type. Celles-ci, tout au contraire,
ont stérilisé économiquement les capitaux rassem-
blés pour le Prince et détruit bien des possibilités
d'investissement. On qualifie parfois trop hâtive-
ment de « capitalistes» les puissances d'argent du
Moyen Age et des Temps Modemes - à moins dc
donner à cette épithète un sens vague et sans
rigueur. La vérité est que bien des « hommes d'af·
126 . FINANCES DE L'ANCIEN. RBGIME

{aires » du Moyen Age eide l'époque modeme,


après avoir démarré commeentreprene~ .de négoce
et d'industrie, se sont transformés en finânciers :
reconversion d'activités et stérilisation économique.
C'est bien là une -preuve que les structures sociales',
et politiques de l'Ancien Régime ont été un frein,
un obstacle, au développement du capitalisme. En
tous les cas, une fois franchi ce verrou, la rapidité
du développement économique s'est singulièrement
accélérée: en Angleterre d'abord, terre ducapita-
lisme naissant. A partir de ce seuil de développe-
ment, les financiers d'Ancien Régime ne sont plus.
Mais, répétons-le, les banquiers, eux, ont, avec une
efficacité certaine, suivi le mouvement de l'histoire.
C'est pourquoi les économistes ont pu lancer daris
le vocabulaire l'expression de« capitalisme industriel'
et bancaire l) à propos des réalités de notre temps.
Mais l'histoire des « puissances d'argent » dans le.
monde contemporain et celle de leur rôle dans les
finances d'Etat seraient un nouveau thème - et un
autre ouvrage.
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

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HARSIN (P.), Les doclrina monétaira et financières de la France
du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, 1928. .
TABLE DES MATI~RES

INTRODtrCTION •••••••••••••••••••••••••••••••• ,... 5'


J. Ambiguïté des mots. AIÎlblguité des falts, 5. - II. Spé-
dficité des alIalres de finances, 10. '
CHAPITRE PImmEn. - Au temps des' cités et des EtatS
. en formation (me_XVe siècle) ••••••.•••••••••••• 15
1. Conditions générales de développement des alIalres, de
finance, 15. - II. L'ère des _Lombards " 21. - III. L'exemple
français, 84. "
CHAPITRE II. - Bommesd'affairea et Etats au XVIe siècle· '50
J. Les nouveautés économiques du XVI" siècle, 50; .,- II. Les
besoins de crédit et les modes de crédit, 54. - III. • Puls-
sances d'argent. (Ehrenberg) et marchés de l'argent, 61. -
IV. Finances princières, 77.
CBAPI~ 111.- Vue perspective des affaires de fûumce
aux xvne et XVIIIe siècles •.•••••••••• '. • • • • • • • • • 97
, J. Economies et finances d'Etat, 97. - II. Situation des gens
de finance dans la France de la monarchie absolue, 103.

CONCLUSION •••••••••••••••••••••••••• .-. • • • • • • • • • • 121


BmLIOGRAPBIE SOMlllAŒE ' . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127

,1964. - Imprimerie deà PreSses Universitaires de France. - Vendôme (Franee)


ÉDIT. N0 27545 DIl'BDIt EN FRANCE 00.N° 18 080

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