Sans doute convient-il d’ajouter, mais non de la mé langer avec les facteurs pré cé dents, la

complexité religieuse de l’Ukraine, qui n’est pas sans influence sur l’identité
Ukrainienne. De fait, « l’identité ukrainienne n’a pas de ré fé rent confessionel pré cis 11» :
outre les juifs, les musulmans (Tatars de Crimé e), les protestants et les catholiques (ou
plutô t les gré co-catholiques, qui ré pré sentent la deuxiè me confession religieuse
d’Ukraine12), il ne faut pas oublier que l’É glise orthodoxe elle-mê me apparaît trè s
divisé e. On peut ainsi trouver trois branches de l’É glise orthodoxe ; l’É glise orthodoxe
rattaché e au patriarcat de Moscou (UPC-MP), l’É glise orthodoxe ukrainienne rattaché e
au patriarcat de Kiev (UPC-KP) et l’É glise orthodoxe ukrainienne autocé phale.
La construction nationale ukrainienne est rendue plus complexe encore par ce facteur
religieux : celui-ci n’est pas sans apporter quelques paradoxes, « qui s’expliquent pour
l’essentiel par l’enjeu particulier que repré sente le cas ukrainien 13». Celui, d’abord, que
chacune des trois É glises concurrentes ambitionne d’incarner la nation et la tradition
relgieuse ukrainienne, ce qui se traduit par des projets identitaires dont les piliers sont
l’É tat et l’orientation gé opolitique du pays. Le second consiste en l’opposition de deux, et
non pas trois, traditions ecclé siales au sein de l’orthodoxie ukrainienne : on l’aura
compris, ce paradoxe est le corollaire du pré cé dent, puisqu’à la tradition orthodoxe
moscovite (UPC-MP) s’oppose la tradition byzantine ukrainienne du patriarcat de Kiev
et de l’É glise autocé phale. Le troisè me paradoxe, enfin, consiste en ce que l’É glise
orthodoxe ukrainienne, autocé phale ou autonome, n’a aucune lé gitimité au yeux de la
communauté panorthodoxe. L’UPC-MP (l’É glise orthodoxe rattaché e au patriarcat de
Moscou), pour autonome qu’elle semble ê tre, n’en reste pas moins une partie de l’É glise
orthodoxe russe.
Ainsi, ré sume Natalya Boyko, « deux conceptions de la construction ecclé siale sont en
concurrence en Ukraine : l’une, dont le centre est à Kiev, est tourné e vers le patriarcat de
Constantinople et l’autre repose sur une relation é troite avec Moscou. Sur le plan
idé ologique, malgré les diffé rences de juridiction dues à l’ingé rence du politique dans le
religieux, le patriarcat de Kiev et l’É glise autocé phale agissent dans le mê me esprit et
partagent la mê me hostilité vis-à -vis de l’UPC-MP, pour laquelle l’attachement au
patriarcat de Moscou constitue un lien à la fois religieux et politique 14». Sans doute a-t-
elle raison d’ajouter que « le rapport à la nation ukrainienne est à l’origine de la fracture
de l’orthodoxie ukrainienne 15».