Академический Документы
Профессиональный Документы
Культура Документы
Coben
Intimidation
Traduit de l’anglais (États-Unis) par
Roxane Azimi
ÉDITIONS
FRANCE
LOISIRS
Titre original : The Stranger
Publié par Dutton, un membre de
Penguin Group (USA) Inc., New Y ork.
Ce livre est une œuvre de fiction. Les
noms, les personnages, les lieux et les
événements sont le fruit de
l’imagination de l’auteur ou utilisés
fictivement, et toute ressemblance avec
des personnes réelles, vivantes ou
mortes, des établissements d’affaires, des
événements ou des lieux serait pure
coïncidence.
Alors ?!?
Ryan est en A.
2D ou 3D ! À vous de choisir !
Les fausses échographies étaient
vendues 29,99 dollars pièce. En mat,
brillant et même transparent. Avec des
champs pour taper le nom du médecin,
la clinique ou l’hôpital et la date de
l’échographie. On pouvait choisir le sexe
du fœtus ou la simple probabilité
(« Masculin – 80 % de certitude »), sans
mentionner l’âge, la gémellité, en veux-
tu en voilà. Pour 4,99 dollars de plus, on
pouvait ajouter un hologramme à l’écho
pour faire plus authentique.
Adam avait le cœur au bord des
lèvres. Corinne avait-elle pris l’option
hologramme ? Il n’en avait pas le
moindre souvenir.
Le site persistait à traiter l’affaire sur
le mode de la plaisanterie. « Idéal pour
les soirées de célibataires ! » Hilarant,
oui. « Idéal pour les anniversaires et les
gags de Noël ! » Gags de Noël ? Faites
un paquet avec un faux test de grossesse
et déposez-le sous le sapin pour papa et
maman. Fou rire garanti.
Évidemment, toute cette histoire de
« gags », c’était pour éviter les
poursuites judiciaires. Ils ne pouvaient
pas ignorer que les gens utilisaient leurs
produits pour tromper leur monde.
C’est ça, Adam. Continue à jouer la
vertu outragée. Continue à te voiler la
face.
Il se sentait à nouveau groggy. De
toute façon, il ne pouvait rien faire de
plus ce soir. Il allait se coucher et
réfléchir calmement. L’enjeu était trop
important pour prendre une décision
précipitée.
Adam passa devant les chambres de
ses deux fils pour se rendre dans la
sienne. La maison tout entière lui
semblait soudain aussi fragile qu’une
coquille d’œuf. S’il n’y prenait pas garde,
cette rencontre avec l’inconnu risquait
de l’amener à tout broyer.
Il pénétra dans leur chambre à
coucher. Un livre de poche, premier
roman d’une auteure pakistanaise, était
posé sur la table de chevet de Corinne. À
côté, il y avait un magazine aux pages
cornées. Une paire supplémentaire de
lunettes de lecture. Corinne, qui n’avait
pas de gros problèmes de vue, n’aimait
pas les porter en public. Le radio-réveil
servait aussi de station d’accueil pour
son iPhone. Adam et Corinne avaient les
mêmes goûts musicaux.
Tous deux étaient fans de
Springsteen. Ils l’avaient vu en concert
une bonne douzaine de fois. Adam, lui,
avait tendance à se lâcher, tellement pris
par la musique qu’il perdait tout
contrôle de lui-même. Tandis que
Corinne restait concentrée. Elle se levait
et peut-être bougeait un peu, mais sans
quitter la scène des yeux.
Il passa dans la salle de bains pour se
brosser les dents. Corinne utilisait une
brosse à dents supersonique dernier cri
qui ressemblait à un engin de la NASA.
Adam, pour sa part, restait vieille école.
Il flottait dans l’air une vague odeur de
teinture chimique. Corinne avait dû
retoucher ses cheveux avant de partir.
Ses cheveux blancs semblaient sortir
sous forme d’une seule longue mèche.
Au début, elle les arrachait et les
examinait de près. Puis, fronçant les
sourcils :
— Ça a la couleur et la texture de la
laine d’acier.
Son portable sonna. Il jeta un œil sur
l’écran, même s’il savait déjà qui c’était.
Il recracha le dentifrice, se rinça
rapidement la bouche et répondit :
— Hello !
— Adam ?
C’était Corinne, évidemment.
— J’ai déjà appelé tout à l’heure.
On sentait une note de panique dans
sa voix.
— Pourquoi n’as-tu pas décroché ?
— Thomas était au volant. Je ne
voulais pas me déconcentrer.
— Ah…
Il y avait un bruit de fond, de la
musique, des rires. Elle devait être dans
un bar avec ses collègues.
— Alors, comment ça s’est passé ce
soir ?
— Bien. Il a été pris dans l’équipe.
— Et Bob ?
— Quoi, Bob ? C’est un bouffon, là-
dessus il ne changera pas.
— Il faut être gentil avec lui, Adam.
— Certainement pas.
— Il veut mettre Ryan milieu de
terrain pour qu’il ne fasse pas de l’ombre
à Bob junior. Ne lui en fournis pas le
prétexte.
— Corinne, il est tard, et j’ai une
grosse journée demain. On en reparle à
ton retour, O.K. ?
Quelqu’un en arrière-plan – un
homme – partit d’un grand éclat de rire.
— Tout va bien ? s’enquit-elle.
— Mais oui.
Après avoir raccroché, Adam rinça sa
brosse à dents et se lava le visage. Deux
ans plus tôt, quand Thomas avait
quatorze ans et Ryan dix, Corinne s’était
retrouvée enceinte. Ce fut une surprise.
Avec l’âge, Adam rencontrait un
problème de baisse du taux de
spermatozoïdes, si bien que leur
contraception tenait plus de la méthode
du vœu pieux. C’était, bien sûr,
irresponsable de leur part. À l’époque,
Corinne et lui n’avaient jamais abordé le
fait qu’ils n’auraient pas d’autres
enfants. Cela semblait couler de source.
Adam surprit son reflet dans le
miroir. La petite voix revint le harceler.
Il sortit dans le couloir à pas de loup, se
rassit devant l’ordinateur et tapa test
ADN. Il y en avait chez Walgreens. Il
allait cliquer sur commander en ligne,
puis se ravisa. Quelqu’un d’autre
risquait d’ouvrir le paquet. Il irait en
chercher un dans la matinée.
De retour dans la chambre, il s’assit
sur le lit. L’odeur de Corinne, puissante
phéromone même après tant d’années,
semblait imprégner la pièce, ou alors
son imagination lui jouait des tours.
La voix de l’inconnu résonna à ses
oreilles.
Vous n’étiez pas obligé de rester avec
elle.
Adam posa la tête sur l’oreiller, cilla
et se laissa bercer par les bruits familiers
de la maison endormie.
5
Puis :
Et aussi :
IL SAIT.
Chris Taylor relut le message et se
demanda encore une fois où et quand ils
s’étaient plantés. Les Price, cela avait été
une commande. C’était peut-être ça,
l’erreur, même si, la plupart du temps,
les contrats sur commande – et il y en
avait eu un paquet – étaient les plus
sûrs. Le paiement avait été versé par un
tiers, une grosse société d’investigation.
En un sens, c’était plus réglo, car, en
l’occurrence, il n’y avait pas eu recours
au chantage.
Le protocole d’usage était simple. On
déterre un secret inavouable sur un
individu lambda par le biais du Net. La
personne a le choix. Soit elle paie, soit
elle refuse de payer, auquel cas son
secret est dévoilé. Dans un cas comme
dans l’autre, Chris était content. Le
résultat final était ou bien lucratif (la
personne payait), ou bien cathartique
(elle avouait). Quelque part, ils avaient
besoin des deux. D’argent pour faire
tourner leur petite entreprise, et de
vérité, car c’était le but de l’opération,
leur raison d’exister.
Un secret révélé n’est plus un secret.
C’était sûrement, pensait Chris, le
point faible des contrats commandités.
Eduardo avait une nette préférence pour
ceux-ci. Ils travailleraient, disait-il, avec
des sociétés de surveillance haut de
gamme, triées sur le volet. Une manière
de s’assurer la sécurité, la facilité et un
bénéfice net dans tous les cas de figure.
La méthode même était d’une simplicité
trompeuse : la société leur fournissait un
nom. Eduardo cherchait sur leur base de
données – dans le cas de Corinne Price,
ce fut Grossesse-Bidon.com –, on leur
réglait la note, et le secret était divulgué.
D’un autre côté, Corinne Price
n’avait pas eu le choix. Oui, il avait dit la
vérité au mari. Mais uniquement pour
de l’argent. La détentrice du secret
n’avait eu aucune chance de
rédemption.
Ce n’était pas bien.
Le secret était un terme générique ;
en réalité, c’étaient des mensonges et des
trahisons, voire pire. Corinne Price avait
menti à son mari sur sa prétendue
grossesse. Kimberly Dann avait menti à
ses parents, honnêtes travailleurs, sur sa
façon d’arrondir ses fins de mois. Kenny
Molino avait triché en se dopant aux
stéroïdes. Marcus, le fiancé de Michaela,
avait fait pire en piégeant son
colocataire et sa future femme avec la
fameuse vidéo.
Un secret, pensait Chris, c’est comme
un cancer. Ça prolifère. Ça vous mine de
l’intérieur pour vous réduire à l’état
d’une coquille vide. Il était bien placé
pour le savoir. Quand il avait seize ans,
son papa, l’homme qui lui avait appris à
faire du vélo, qui l’accompagnait au
lycée et entraînait son équipe de base-
ball, avait exhumé un abominable secret
qui métastasait depuis longtemps.
Il n’était pas son père biologique.
Quelques semaines avant leur
mariage, la mère de Chris avait eu une
dernière aventure avec un ex, à la suite
de quoi elle était tombée enceinte. Elle
s’en était toujours doutée, mais c’est
seulement quand Chris avait eu un
accident et que son père avait voulu lui
donner son sang que la vérité avait
éclaté au grand jour.
— Toute ma vie, lui avait dit son
père, n’a été qu’un vaste mensonge.
Il avait essayé de faire au mieux. Se
disant qu’un père n’est pas uniquement
un donneur de sperme. Un père, c’est
quelqu’un qui s’occupe d’un enfant, qui
l’aime et l’élève. Mais le mensonge
suppurait depuis bien trop longtemps.
Voilà trois ans que Chris n’avait pas
vu son père. C’est ce genre de
répercussion qu’un secret a sur la vie des
gens.
Après ses études, Chris avait
décroché un poste dans une start-up sur
Internet appelée Downing Place. Il s’y
plaisait bien. Il croyait avoir trouvé une
seconde famille. Mais, malgré ses beaux
discours, la société cultivait les secrets
les plus innommables. Ainsi, on confia à
Chris la gestion d’un site appelé
Grossesse-Bidon.com. Ils mentaient, et
se mentaient à eux-mêmes, en
prétendant que les gens achetaient de
faux ventres pour faire une blague ou se
rendre à une soirée costumée. Mais
personne n’était dupe. En théorie, on
peut toujours aller à une fête déguisée
en femme enceinte. Mais les fausses
échographies ? Les faux tests de
grossesse ? De qui se moquait-on ?
Ce n’était pas bien.
Chris avait vite compris qu’il ne
servirait à rien de dénoncer ses
employeurs. La tâche était trop ardue et,
curieusement, Grossesse-Bidon avait des
concurrents. Tous ces sites en avaient.
Et si l’on s’attaquait à l’un, les autres
n’en sortiraient que plus forts. Chris se
rappela la leçon que son « père » lui
avait apprise dans son enfance. On fait
ce qu’on peut. On sauve le monde, une
personne après l’autre.
Il se trouva des comparses dans le
métier, bénéficiant du même accès aux
secrets que lui. Certains étaient plus
attirés par l’aspect pécuniaire de
l’aventure. D’autres avaient conscience
de faire le bien et, même si Chris ne
tenait pas à transformer la raison sociale
de l’entreprise en croisade religieuse,
quelque part, sa nouvelle opération
prenait les allures d’une quête morale.
Finalement, ils se retrouvèrent à
cinq : Eduardo, Gabrielle, Merton,
Ingrid et Chris. Eduardo voulait tout
faire sur Internet : formuler la menace,
révéler le secret au moyen d’un mail
dont la source serait indétectable. Dans
l’anonymat le plus complet. Mais Chris
n’était pas d’accord. Que cela plaise ou
non, leur intervention chamboulait la
vie des gens. Il fallait donc agir en
direct. Avec compassion, avec une
touche d’humanité. Les gardiens du
secret étaient des sites Web sans visage,
des robots, des machines.
Eux seraient différents.
Chris relut pour la énième fois la
carte d’Adam Price et le bref message de
Gabrielle : IL SAIT.
Le voici donc en position d’arroseur
arrosé : lui aussi avait maintenant un
secret. Sauf que ce n’était pas pareil. Son
secret n’était pas pour tromper, mais
pour protéger… ou était-ce une simple
excuse pour justifier son comportement,
comme chez la plupart des personnes
qu’il rencontrait ?
Chris savait qu’ils flirtaient avec le
danger, qu’ils se faisaient des ennemis,
que certains ne comprendraient pas le
bien-fondé de leurs agissements et
riposteraient pour continuer à vivre
dans leur bulle.
Et voilà qu’Ingrid était morte.
Assassinée.
IL SAIT.
Chris ne voyait qu’une seule issue
possible. Il fallait le neutraliser.
46