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"REPERES"

COMITÉ DE RÉDACTION
Jacques COLOMB, Département "Didactiques des disciplines", INRP
Michel DABENE, Université de Grenoble III
Suzanne DJEBBOUR, École Normale de Melun
Gilbert DUCANCEL, École Normale d'Amiens
Colette FINET, Circonscription de Péronne
Jocelyne FOUQUET, Circonscription de Paris XVIIL
Marie-Madeleine de GAULMYN, Université de Lyon II
Rosine LARTIGUE, École Normale de Melun
Maurice MAS, IUFM de Grenoble, Centre de Privas
Maryvonne MASSELOT, Université de Besançon
Alain NICAISE, Circonscription d'Abbeville
Hélène ROMIAN, Département "Didactiques des disciplines", INRP
(rédacteur en chef)
Catherine TAUVERON, École Normale de Clermont-Ferrand

COMITE DE LECTURE
Suzanne ALLAIRE, Université de Rennes
Alain BOUCHEZ, Inspection Générale de la Formation ties Maîtres
Jean-Paul BRONCKART, Université de Genève, Suisse
Jean-Louis CHISS, CREDIF, ENS de Saint-Cloud
Jacques DAVID, Ecole Normale de Cergy-Pontoise, INSERM
Francette DELAGE, Circonscription de Nantes
Simone DELESALLE, Université Paris Vlll
Claudine FABRE, Université de Perpignan
Frédéric FRANÇOIS, Université Paris V
Claudine GARCIA-DEBANC, Ecole Normale de Rodez
Claudine GRUWEZ, Mission Académique à la Formation de Lille
Jean-Pierre JAFFRÉ, CNRS
Claude LELIÈVRE, Université Paris V
Jean-Baptiste MARCELLESI, Université de Rouen
Marie-Louise MOREAU, Université de Mons, Belgique
Yves REUTER, Université de Lille 111
Bernard SCHNEUWLY, Université de Genève, Suisse
Jacques WEISS, IRDP de Neuchâtel, Suisse

Directeur de publication : Francine DUGAST, directeur de l'INRP.

Les articles envoyés à la revue doivent être dactylographiés et comporter 10 à


15 pages de 3 500 signes. Les articles non insérés ne sont pas retournés.
REPÈRES N° 3 - 1991

ARTICULATION ORAL/ÉCRIT
Sommaire
1ère partie : ÉTAT DES UEUX
Présentation
par Jacques DAVID et Catherine LE CUNFF 3
Quelques aperçus sur l'enseignement de l'oral dans l'école héritée
de Jules Ferry
par Frank MARCHAND 7
L'oral contre l'écrit
par Danièle MANESSE et Isabelle GRELLET 17

2ème partie : DIRE POUR ÉCRIRE, RÉÉCRIRE, DONNER À VOIR


Écrire, une activité complexe étayée par la parole.
Étude des échanges oraux dans des tâches de réécriture
menées par des enfants de 7 ans
par Jacques DAVID 25
Différence entre les processus de production de trois genres :
du dialogue entre énonciateurs au texte écrit
par Bernard SCHNEUWLY 45
Quand dire, c'est faire... écrire
par Robert BOUCHARD 67

3ème partie :DIMENSION DISCURSIVE :


DÉCALAGES ET CONVERGENCES
L'emploi de quelques connecteurs dans les récits. Une tentative
de comparaison oral/écrit chez des enfants de 5 à 11 ans
par Serge MOUCHON, Michel FAYOL et Jean Emile GOMBERT ... 87
Le conte comme outil de médiation en situation interculturelle
par Nadine DECOURT 99
Expliquer à l'oral, à l'écrit, en sciences (Cours moyen 1 et 2)
par Gilbert DUCANCEL 117

4ème partie PERSPECTIVES MÉTALINGUISTIQUES


:
ET ASPECTS SOCIAUX
Le rôle des capacités métalinguisitques dans l'acquisition
de la langue écrite
par Jean Emile GOMBERT 143
Au cur des confusions entre l'écrit et l'oral :
les représentations de l'orthographe
par Agnès MILLET 157
Regards rétrospectifs et prospectifs sur une problématique
par Catherine LE CUNFF et Hélène ROMIAN 173
Résumés des articles 189
Notes de lecture, par Hélène ROMIAN 193
Numéro coordonné par Jacques DAVID et Catherine LE CUNFF,
avec la collaboration d'Hélène ROMIAN
Institut National de Recherche Pédagogique
Département Didactiques des disciplines
29, rue d'Ulm 75230 PARIS Cedex 05
Tel : (1)46.34.90.92

REPÈRES |
Recherches en Didactique du Français Langue Maternelle
"REPÈRES" nouvelle série
améliore sa présentation, adopte un format plus lisible
publie désormais 2 fois par an des dossiers plus importants
s 'ouvre à tous les chercheurs concernés par la didactique du français langue maternelle

"REPÈRES"
Un espace d'échange^ de débat scientifique pour tous ceux qui interrogent le rôle
fondamental du langage oral, écrit dans les apprentissages, l'échec ou la réussite
scolaires, le devenir des élèves. l

"REPÈRES"
Un outil de travail pour les formateurs, les chercheurs en didactique du français
langue maternelle :
- le Français, discipline d'enseignement et composante des autres enseigne¬
ments
- des recherches menées à l'école et pour l'école, et pour la formation des maîtres
- des problématiques de recherches en cours, et des bilans.

NUMÉROS À PARAÎTRE EN 1991


n° 3, nouvelle série :
ARTICULATION ORAL/ÉCRIT
Dir. Jacques DAVID, Catherine LE CUNFF
Il a semblé important de réactiver une problématique, aujourd'hui négligée pour
l'écrit, mais qui n'en a pas moins suscité des travaux significatifs dans les années 70.
Le numéro présente, dans cette perspective, des études, des recherches et des réflexions
issues d'horizons divers, en sciences du langage et en didactique.

n° 4, nouvelle série :
SAVOIR ÉCRIRE, ÉVALUER, RÉÉCRIRE EN CLASSE
Dir. Jean-Pierre JAFFRE, Hélène ROMIAN
L'objectif du numéro est de réunir des contributions de psycho et sociolinguistes, de
didacticiens sur un thème qui se situe au c ur de la nouvelle organisation de l'école
primaire en cycles : comment déglobaliser la notion de "compétence scripturale" ?
Quelles en sont les composantes ? Quelles relations peut-on observer entre ces
composantes, quelles variations ?

©INRP
ISBN : 2-7342-0293-1
PRÉSENTATION

Par J. DAVID et C. LE CUNFF

L'enseignement de l'oral et de l'écrit occupe une place importante à l'école


primaire. Mais quelle place exactement ? Quelle part respective ces deux domaines
d'acquisition occupent-ils ? Comment s'opère leurarticulation ? Quelles compétences
sont visées ?
En écho à ces interrogations et venant presque les illustrer, nous relevons que
les dernières instructions relatives à l'organisation des cycles à l'école primaire
(Ministère de l'Education nationale - Direction des Ecoles, Janvier 1 991 ) envisagent
l'oral et l'écrit autant dans la définition des compétences spécifiques au «domaine de
la maîtrise de la langue» que dans la présentation des autres objectifs, liés aux
«compétences transversales» comme aux «compétences disciplinaires».

Le dossier que nous avons constitué pour ce numéro a (ou plus exactement
avait) pour ambition de présenter l'état actuel de cette problématique dans les
recherches en didactique du français. Nous voulions brosser un tableau aussi
complet que possible des directions de recherches, voire des résultats obtenus dans
ce domaine. Il semble, cependant, que la question de l'articulation de l'oral et de l'écrit
reste encore plus l'objet d'études anciennes que celui de recherches récentes ;
même si dans les sciences de référence, les travaux linguistiques et
psycholinguistiques suggèrent un renouvellement des recherches en didactique du
français. Aussi, le présent dossierconstitue-t-il à la fois le révélateurde ces manques,
de ces absences, mais aussi des voies possibles pour de nouvelles investigations
et des réactualisations conséquentes.

De fait, il nous a bien fallu admettre, à la suite de la consultation de la banque


de données DAFTEL Emile Hide l'INRP, que peu de chercheurs étudiaient actuel¬
lement ces rapports oral/écrit. Ce n'est pas, non plus, faute d'avoir sollicité nombre
de ceux qui, dans les années 1970, avaient travaillé la question. Il ressort pourtant
de toutes ces investigations que la plupart d'entre eux ont engagé leurs recherches
dans des directions différentes, notamment dans celles plus spécifiques de l'écrit.
Sans doute faut-il y voir là, la conséquence d'une réorientation plus générale des
recherches en sciences du langage ou, plus sûrement, l'effet du caractère
intrinsèquement insaisissable de l'oral qui ne peut être objectivé et traité (sauf
lorsqu'il est transcrit !) aussi aisément que l'écrit.

Malgré ces difficultés, il nous a semblé important de réactiver cette problématique


trop longtemps négligée et de présenter des études, des recherches, des réflexions
susceptibles de renouveler les pratiques scolaires écrites ET orales. Aussi, avons-
nous réuni autour de ce thème les contributions de chercheurs en sciences du
langage, de formateurs d'enseignants, de didacticiens venus d'horizons divers.
La première partie s'ouvre avec deux articles qui ont pour objectif de dresser un état
des lieux de la question. Il s'agit, tout d'abord, avec la contribution de F. Marchand,
de s'intéresser aux places respectives de la langue orale et de la langue écrite dans
l'enseignement du français. L'auteur nous propose quelques aperçus historiques de
REPÈRES N" 3/1 991 J. DAVID - C. LE CUNFF

cette délicate cohabitation en s'appuyant sur les instructions officielles de 1 923. Il


montre combien la part de l'enseignement de l'oral y est réduite tant dans la définition
des objectifs assignés aux martres que dans la masse des productions demandées
aux élèves.
Un saut dans le temps, nous ramène à la situation actuelle des classes de CM2 et
de 6ème. L'enquête menée par D. Manesse et I. Grellet va à ('encontre des idées
admises et insiste sur le fait que, dans cet affrontement entre l'écrit et l'oral, c'est ce
dernier qui domine, tout du moins pour ce qui concerne le volume de temps consacré
aux échanges langagiers dans le cours de français. Les auteurs ne s'en tiennent pas
à ce simple constat, elles proposent une description détaillée des modalités de ces
échanges oraux. On trouvera dans cette étude matière à réflexion et surtout des
enseignements particulièrement éclairants pour la didactique.

La deuxième partie regroupe trois contributions qui ont pour point commun de
refléter une direction de recherche sans doute très nouvelle et susceptible d'un
traitement didactique fécond. Toutes trois montrent comment l'oral et, plus préci¬
sément, la verbalisation de l'écrit par des sujets plus ou moins jeunes donnent à voir
les processus d'écriture impliqués dans des tâches rédactionnelles diverses. A partir
d'une série de dialogues entre enfants et avec l'adulte enregistrés au cours
d'activités de réécriture, J. David nous invite à suivre les stratégies individuelles et
collectives déployées par des élèves de CE1 dans la composition écrite d'un texte.
L'objectif est de mieux connaître les procédés de révisions privilégiés à cet âge et,
à travers les arguments avancés, de mieux cerner les facteurs métalinguistiques en
jeu dans ce type de travail.
B. Schneuwly, s'appuyant sur l'hypothèse vygotskienne du «passage de
l'interpsychique à l'intrapsychique», étudie lui aussi les diabgues d'élèves (entre 1 0
et 17 ans) produits pendant qu'ils écrivent à deux des textes narratifs, explicatifs et
argumentatifs. Le projet est double, il s'agit tout d'abord d'élaborer une méthodologie
pour l'étude de l'oral échangé durant la rédaction d'un texte écrit et, ensuite, de
montrer, à travers ces échanges, que les processus d'écriture varient sensiblement
d'un type de texte à l'autre.
Dans la troisième étude de ce chapitre, R. Bouchard étudie lui aussi le rapport
oral/écrit dans les dialogues conduits par deux adolescentes engagées dans la
rédaction d'une lettre informelle. Dans cette situation, chacune des deux élèves se
trouve différemment impliquée : l'une, française, connaît les contraintes communi¬
catives et formelles caractéristiques d'un tel écrit «ordinaire» et doit répondre aux
besoins discursifs et linguistiques de l'autre, une amie allemande apprenante
allog lotte. L'objectif de l'auteur est d'étudier l'activité de coopération mise en oeuvre
par les deux sujets et, entre autres, d'analyser l'activité épi- et métalinguistique
déployée par une élève native, dotée de la formation grammaticale dispensée au
cours du cursus scolaire obligatoire.

Le volet suivant, envisage non plus l'oral comme lieu d'observation pour
comprendre l'écrit, mais davantage l'articulation de ces deux modes langagiers, soit
pour en marquer les décalages, soit pour en souligner les points de rencontre.
Partant de récits oraux et écrits produits par des enfants de 5 à 1 1 ans, S. Mouchon,
M. Fayol et J-E. Gombert, comparent l'emploi d'un certain nombre de connecteurs
considérés comme la trace d'opérations de cohésion textuelle et d'ancrage discursif.
Présentation

De cette étude, il ressort que, à l'oral comme à l'écrit, la fréquence et la diversité des
connecteurs s'accroît en fonction du degré de complication des trames narratives et
de leur place à l'intérieur de ces trames. L'acquisition des connecteurs est en fart très
précoce dans les deux modes ; le décalage oral/écrit dépend pour l'essentiel du
degré d'élaboration des trames. A âge équivalent, elles apparaissent plus sommaires
à l'écrit qu'à l'oral.
Le second article repose sur un autre genre narratif : le conte. Dans son exposé, N.
Decourt relate une expérience à la fois riche de références linguistiques, littéraires,
culturelles ... et d'acquis accumulés sur le terrain, dans des écoles scolarisant des
enfants de migrants. Le conte y apparaît comme un outil de rencontre et de médiation
entre école et familles, entre culture orale et culture écrite, entre variabilité orale et
permanence scripturale. Recueillant et transcrivant les différentes versions orales
d'un conte donné comme point de départ du projet, les enfants sont au coeur de
l'activité. Ils deviennent à leur tour acteurs et auteurs de leurs propres variantes. A
partir de cet oral et au moyen de cet écrit, ils entrent résolument dans l'intertextualfté
de l'univers littéraire.
Le discours explicatif est aussi envisagé dans cette troisième partie avec le travail
présenté par G. Ducancel à partir d'activités scientifiques menées avec des élèves
de Cours Moyen. L'auteur montre qu'expliquer à l'oral ne peut se limiter à une simple
activité dialogique. Réciproquement, à l'écrit, cette conduite ne se réduit pas à. du
monologique. L'analyse des corpus oraux et écrits recueillis nous amène à réviser
l'idée trop rapidement admise d'une opposition nette entre explication orale et écrite.
En fart, la nature de ces différents discours dépend plus de son objet, en l'occurrence
scientifique, que du mode langagier adopté.

La quatrième partie est composée de deux articles qui apportent un éclairage


nouveau sur une autre dimension du rapport oral/écrit. J.E. Gombert commence en
nous proposant une étude des capacités métalinguistiques précoces de l'enfant.
L'auteur démontre leur importance décisive dans l'acquisition de la lecture-écriture.
Il nous invite à opérer une distinction fondamentale pour la didactique des langues
entre l'émergence des capacités métalinguistiques et la stricte mise en place des
capacités de communication verbale. Il s'engage, par ailleurs, à répondre à des
questions primordiales, en particulier celle de l'impact du niveau de connaissance et
de maîtrise de la langue orale pour les apprentissages de l'écrit.
La deuxième contribution, présentée par A. Millet, nous entraîne du côté des
représentations sociales de l'orthographe. L'étude des propos recueillis auprès
d'élèves (écoliers, collégiens et lycéens) et d'enseignants (instituteurs, professeurs
de collège et de lycée) montre comment ces différents usagers de l'écrit ont pu
concevoir une orthographe "idéale, indéterminée et sumormative qui tend à en voiler
les fonctionnements linguistiques et sociaux. La connaissance de ces différentes
constructions nous apparaît déterminante dans l'appréhension des relations sou¬
vent contradictoires entre l'Ecrit et l'Oral. Au delà, elle nous oblige à reconsidérer cet
objet d'enseignement/apprentissage pour proposer une pédagogie à la fois raisonnée
et dépassionnée.

En écho à la première partie et pour clore provisoirement le dossier, H. Romian


et C. Le Cunff montrent comment les recherches en cours se situent par rapport à
celles des décennies précédentes : recherches des années 70-75 qui posent à la fois
REPÈRES N° 3/1 991 J. DAVID - C. LE CUNFF

la «priorité de l'oral» et l'importance première d'une articulation oral/écrit explicitée


en classe ; celles des années 75-80 qui voient s'affirmer une pédagogie de l'oral pour
l'oral, mais aussi pour l'écrit ; celles des années 80-90 où le thème n'intéresse plus
personne en tant que tel, mais n'en chemine pas moins. On peut s'interroger
aujourd'hui surce que signifie la résurgence de ce thème. A-t-on avancé ? régressé ?
Avoir...

Quoiqu'il en soit, le lecteur voudra bien y trouver une tentative de contextualisation


des recherches en cours, présentes ou absentes dans ce numéro, et qui nous
semblent potentiellement riches pour la didactique du français. Par cette voie, nous
désirons engager la réflexion dans un domaine singulièrement absent du présent
numéro de Repères : celui de la formation des enseignants. Mais peut-on mettre la
charrue avant les boeufs et proposer d'inscrire dans les programmes des éléments
pour une didactique de l'oral et de l'écrit avant même que le problème théorique de
leur articulation soit, sinon résolu, du moins plus avancé ? Il reste, cependant, que
nous ne pouvons passer sous silence cette question et particulièrement aujourd'hui,
dans une période où les chercheurs en didactique du français se trouvent double¬
ment impliqués dans la mise en place des nouveaux Instituts Universitaires de
Formation des Maîtres, d'une part, et dans la redéfinition des objectifs, contenus et
méthodes d'enseignement, d'autre part.

Paris, le 20 février 1991


QUELQUES APERÇUS SUR L'ENSEIGNEMENT
DE L'ORAL DANS L'ÉCOLE HÉRITÉE
DE JULES FERRY

Frank MARCHAND
École Normale d'Auteuil

Cet article ne contient pas un historique de la langue maternelle orale à l'école


élémentaire, mais de simples aperçus historiques, lacunaires et limités à l'ensei¬
gnement inspiré par les instructions de 1 923.
Vouloir se faire l'historien de l'enseignement de l'oral présente des difficultés à
plusieurs titres.
Tout d'abord, c'est un domaine qui est abordé davantage sous l'angle de
l'apprentissage que sous celui de l'enseignement, car l'enfant apprend à parler avant
d'entrer à l'école et les moyens mis en uvre par la mère ne relèvent pas du domaine L

de la pédagogie au sens où ce terme désigne les exercices scolaires.


D'autre part, l'enseignement de l'oral est par nature - contrairement à celui de
l'écrit - un enseignement qui ne laisse pas de traces pour l'historien. Il a fallu attendre
que le magnétophone vienne au secours de la recherche pour disposer d'un objet
stable se prêtant à l'investigation. Cela ne remonte guère au-delà des années
cinquante. Et encore, en plus de l'appareil, faut-il la volonté d'enregistrer et de
conserver, c'est-à-dire se constituer un objet d'étude. Si bien que, de toute façon, la
pratique quotidienne innocente ne laisse d'elle-même que le souvenir d'un vécu -
auquel on ne peut accorder aucune confiance, bien entendu.
C'est pour ces raisons, sans doute, que l'on rencontre si peu d'historiens de
l'enseignement de l'oral. Mais l'on pourrait se demander pourquoi l'on n'a pas fait, au
moins, comme on vient de le faire pour la lecture (1 ), l'historique du discours tenu sur
cet enseignement. C'est, tout simplement, que ce discours a eu peu d'étendue
jusqu'aux environs des années 1965 qui ont vu l'avènement du Plan Rouchette.
Lorsque ce discours existait dans les instructions officielles, il était de quelques
lignes ; dans les rapports des évaluateurs (bulletins d'inspection) il manquait de
cohérence et était souvent contradictoire ;dans lesouvragesde «psychopédagogie»,
il dérapait tout de suite vers les ornières de l'écrit - lecture ou vocabulaire - où il
cherchait un terrain plus solide.
C'est en raison de cette situation que je ne veux pas me présenter comme un
historien de l'enseignement de l'oral et que je crois nécessaire de définir le cadre
dans lequel se situent les lignes qui vont suivre.
Le travail sur lequel elles se fondent a déjà plus de vingt ans. il date très
exactement de 1 969 et a donné lieu à une publication qui me dispenserait d'occuper
un précieux espace dans ce numéro de revue si l'on pouvait encore se la procurer.
Elle n'est malheureusement plus disponible. C'est ce qui m'autorise à revenir ici,
d'une manière abrégée, sur son contenu.
Avant de me livrer à son exhumation, je vais en indiquer la référence à l'intention
de ceux qui voudraient approfondir la question et, surtout, pour ceux qui seraient
à la recherche d'un corpus que je crois assez rare et que mon étude a à peine
effleuré.
REPÈRES N° 3/1991 F. MARCHAND

Il s'agit :
D'une thèse de troisième cycle :
1.
Frank Marchand - L'enseignement de la langue française parlée et écrite à
l'école élémentaire (niveau CM) : le modèle pédagogique et son influence sur la
constitution du modèle de performance de l'élève. Janvier 1 970. Université Paris X-
Nanterre.
Tome 1 : 207 pages (étude).
Tome 2 : 330 pages (annexes).
Ces annexes comprennent, entre autres :
- 30 bulletins d'inspection portant sur des exercices d'élocution et de rédaction
(entre 1950 et 1965),
- des fiches utilisées par les instituteurs pour faire leurs leçons d'élocution et
de rédaction,
- l'interview de trois instituteurs sur l'enseignement de l'élocution et de la
rédaction en 1 969,
- des leçons enregistrées transcrites in-extenso. Cette partie constitue un
ensemble de 120 pages dactylographiées,
- une vingtaine de rédactions d'élèves (de 1969).

2. D'un ouvrage tiré de la thèse de troisième cycle :


Frank Marchand - Le français tel qu'on l'enseigne. Larousse. Paris, 1 971 .
Préface de Jean Dubois ; 222 pages.
Cet ouvrage, épuisé, se trouve dans la plupart des bibliothèques universitaires
et d'école normale. C'est une réécriture de la thèse accompagnée d'une sélection
des documents annexes. La deuxième partie du livre, intitulée «L'enseignement de
la langue parlée» (65 pages) sera reprise dans cet article sous forme d'extraits.
L'important matériel documentaire décrit ci-dessus a été entièrement recueilli
au cours de l'année scolaire 1 968-69 dans trois classes de cours moyen de la ville
de Bourges. On peut le considérer comme représentatif de l'enseignement mis en
usage par les instructions de 1 923 et 1 938. On constatera en effet que les documents
pédagogiques utilisés remontent fréquemment à dix ou quinze ans en arrière. Les
trois enseignants, d'autre part, en sont environ à la moitié de leur carrière et montrent
(par l'interview) qu'ils vivent encore largement sur les acquis d'une formation initiale
se situant vers 1950-55. Or, à cette époque du proche après-guerre, les idées
pédagogiques en honneur étaient encore celles des instructions de la Troisième
République. D'où la validité de l'étude pour donner un aperçu de ce qu'était
l'enseignement de l'oral dans une école se situant encore dans la filiation de Jules
Ferry.
Avant de présenterquelques traits du tableau synchronique dressé à l'occasion
de l'étude de 1969, je voudrais encore présenter quelques réflexions annexes qui me
viennent à la lecture de textes plus anciens.
Ces textes font apparaître que dès la fin du XIX' siècle, il existe un discours sur
l'enseignement de l'oral mais que celui-ci est motivé par des finalités d'ordre politique
qui le réduisent à un aspect particulier. Dans les débuts de l'école républicaine, si l'on
s'est préoccupé de l'enseignement de l'oral, c'est avant tout pour résoudre un
problème qui s'est ensuite estompé pour ressurgir aujourd'hui pour d'autres raisons.
Ce problème était le suivant : comment concilier un enseignement national unifié de
Quelques aperçus sur l'enseignement de l'oral dans l'école héritée de Jules Ferry

la langue française avec une diversité linguistique marquée au début du siècle par
la variété des dialectes et des argots ?
Ce discours était tenu par des grammairiens et des linguistes qui se muaient
occasionnellement en pédagogues. Tel est le cas de Michel Bréal vers 1880 et de
Ferdinand Brunot vers 1910. Convaincus des bienfaits de l'école républicaine et
soucieux de contribuer à son développement, ces savants ont écrit et professé à son
service. Ils ont vu également en elle le moyen de renforcer l'unité linguistique,
important élément de cohésion de l'unité nationale.
Voici deux brefs extraits qui montrent une approche caractéristique de l'oral
scolaire il y a un siècle. On verra que, seul, l'aspect normatif et réflexif est pris en
compte et à peu près nullement l'usage.
Le premier extrait est de Michel Bréal (Article Langue française du Dictionnaire
de pédagogie et d'instruction primaire publié sous la direction de Ferdinand Buisson
Hachette ; 1887).
"Pourles élèves voisins de nos frontières du midi, l'italien ou l'espagnol aideront
à éclairer le français ; ils seront comme des plantes exotiques qui appellent
l'attention sur les productions de notre sol. Pour tous ceux qui, à côté du
français, possèdent un patois, le patois donnera pareillement matière à de
nombreux et instructifs rapprochements... [suivent de nombreux exemples de
contributions philologiques possibles des patois]... Les petits Parisiens n'ont
pas de patois à leur usage ; mais l'instituteur fera bien de leur citer de temps à
autre quelques mots de ce genre, pour leur donner une idée plus juste de ces
anciens dialectes : ils ne sont pas la corruption ou la caricature du français ; ce
sont des idiomes non moins anciens, non moins respectables que le français,
mais qui, pourn 'avoirpas été la langue de la capitale, ont été abandonnés à eux-
mêmes et privés de culture littéraire. Que nos enfants accueillent toujours avec
affection et curiosité ces frères deshérités du français ! Une fois qu'ils auront
l'habitude d'observer les mots, ils feront attention aux idées et aux usages.»
Le second extrait est de Ferdinand Brunot (L'enseignement de la langue française -
A. Colin; 1911).
"Si tous les enfants de France auxquels s'adresse l'enseignement, étaient dans
des conditions identiques au début, on pourrait songer à exprimer cet effort par
une formule générale et commune. Mais il s'en faut que partout l'enseignement
de la langue doive être identique.
Il y a d'abord, dans quelques pays, des enfants qui, pariant dans leur famille le
flamand, le bas-breton, ou telle autre langue étrangère, ne connaissent le
français que par l'enseignement de l'école.
En outre, bon nombre d'enfants parlent, avant leur entrée à l'école, et en dehors
de l'école, un patois roman. Ce dialecte peut-être plus ou moins voisin du
français, il n'en est pas moins une langue distincte, ayant un vocabulaire
souvent assez particulier, des formes et des tours spéciaux. La méthode directe
s 'impose pour les uns comme pour les autres.
Enfin, beaucoup d'enfants parient français, mais un français corrompu, in¬
fluencé sort par le patois, soit par l'argot, sort enfin par toutes sortes d'actions
diverses. Ces enfants sont incontestablement moins favorisés que ceux qui
entendent employer autour d'eux un français correct."
Comme on le voit, "Quelle langue pader à l'école ?»(1) n'est pas un problème
nouveau. Ce n'est pas la totalité de l'enseignement de l'oral, mais il lui est
REPÈRES N° 3/1991 F. MARCHAND

perpétuellement sous-jacent et ces deux extraits avaient pourfonction d'en rappeler


la permanence. Venons-en maintenant à l'enseignement proprement dit, c'est-à-dire
à la description de ce que l'on pourrait appeler la manière traditionnelle de procéder,
qui a été de règle pendant un siècle pour le moins.
On présentera quatre extraits de l'étude évoquée au début :
- le modèle selon les instructions officielles,
- le modèle selon un manuel de psychopédagogie,
- le modèle selon les inspecteurs,
- le modèle pédagogique tel qu'il est mis en uvre.

Le modèle selon les instructions officielles.

Les Instructions ne font pas grand cas de la langue parlée.


Celles de 1938, assimilant, sur le plan pédagogique, les deux codes, parlé et écrit,
ont volontairement groupé rédaction et elocution.
"C'est à dessein, [disent-elles], que les nouveaux programmes du cours supé¬
rieur et de l'année de fin d'études primaires élémentaires ont réuni dans un
même paragraphe les indications relatives à la rédaction et à l'ékxution qui
figuraient, dans les programmes de 1923, dans des paragraphes différents.
Apprendre à écrire, comme apprendre à parler, c'est apprendre à penser. La
méthode par laquelle l'enfant apprend à exprimer sa pensée par écrit ne diffère
pas de celle par laquelle il apprend à parler. Et cette méthode consiste à diriger
intelligemment lapratique, de façon àcréerdes habitudes et des automatismes. »
C'est la seule mention qui so'itf arte de lalangue orale. Encore est-ce pour la présenter
comme modèle d'acquisition de la langue écrite. Il est à noter
- que l'on considère le problème de l'acquisition de la langue comme résolu :
l'enfant a appris à parler en parlant, de même il apprendra à s'exprimer par
écrit en écrivant. Le rôle du maître sera auxiliaire et s'exercera sur une
activité naturelle qu'il lui suffirade diriger «intelligemment». Ainsi retrouvons-
nous la parabole dont on a coutume d'user en pédagogique : celle du
jardinier qui oriente, accélère ou retarde la croissance d'une plante dont le
secret lui échappe ;
- que le problème est présenté comme faisant partie d'un problème plus
général : celui de l'apprentissage de la pensée. L'acquisition de la langue,
ou bien l'exercice de la parole (la distinction n'est pas faite) est, en soi, un
élément de la pensée. Les deux sont assimilés.

Les Instructions de 1923 réglaient le compte des «exercices d'élocution» en


douze lignes. Ce passage était inséré entre le vocabulaire et la grammaire et détaché
de la composition française. Si bien que l'unité de l'expression n'était pas soulignée.
L'élocution était, au contraire, mise en parallèle avec le vocabulaire :
"De même que les exercices de vocabulaire, les exercices d'élocution ont été
gradués avec soin. Au début, on guide l'élève ; on lui demande simplement de
répéter ou de résumer ce qu'il vient d'entendre. Mais, peu à peu, on lui laisse
plus de liberté : ce sont ses impressions personnelles qu'on lui demande de
traduire après les lectures et les promenades qu'il a faites, les leçons ou les
expériences auxquelles il a assisté. Nous ne verrions d'ailleurs aucun inconvé¬
nient, si des enfants montrent de bonne heure un certain goût pour l'invention.

10
Quelques aperçus sur l'enseignement de l'oral dans l'école héritée de Jules Ferry

à les laisser racontera leur guise hs histoires dues à leur imagination. Comme
les exercices de vocabulaire, les exercices d'élocution ne seront féconds que
s'ils apportent aux enfants de la joie."
Cette divergence dans la présentation souligne l'opposition qui existe entre les
deux séries d'Instructions. En 1923, l'idée d'un apprentissage méthodique est
encore présente. En 1938, l'accent est mis sur l'expression. Il semble que nous
puissions entendre le terme expression comme très voisin de l'acte d'énonciation (au
sens de production d'énoncés). Cette opposition correspond à celle qui existe entre
lesthéoriessous-jacentes aux Instructions : en 1 923, théorie d'inspiration cartésienne
fondée sur l'idée d'analyse-synthèse ; en 1938, conception globalisante beaucoup
moins rationalisante.
Le seul modèle que l'on puisse décrire est doncceluide 1 923. Il est extrêmement
rudimentaire et s'organise autour de deux mots : gradué et joie.
Enseignement gradué ; sa progression se développe en deux temps :

Le Maître L'élève

Premier guide entend


temps répète
(petite classe) résume

Deuxième provoque en fournissant la ma¬ traduit ses impressions person¬


temps tière (lecture, promenade, le¬ nelles, raconte à sa guise les
(cours çons, expériences) laisse da¬ histoires dues à son imagination
moyen) vantage de liberté

Enseignement donné dans la joie ; c'est au praticien de la faire naître...

Le modèle selon le manuel de psychopédagogie

Le manuel étudié est Psycho-pédagogie pratique par Villars, Toraille et Ehrhard-


Istra, 1960.
Dans ce manuel comme dans les Instructions de 1 923, l'étocution est détachée
de la rédaction et rapprochéedu vocabulaire. Les intentions de 1 923 sont matérialisées,
puisque vocabulaire et elocution sont rassemblées au même chapitre. A l'intérieur
du chapitre, les auteurs traitent toutefois séparément des deux disciplines après
avoir donné les quelques mots d'explication suivants :
« Vocabulaire et elocution : deux activités qui contribuent à la connaissance de
la langue, qui sont voisines, mais qu'il est nécessaire de distinguer avec soin.
Tandis que le vocabulaire étudie le sens des mots, l'étocution a pour but
d'amener l'enfant à parler correctement, et elle s'efforce d'améliorer la manière
dont il s'exprime. Nous étudierons doncces deux activités distinctes."
D'un autre côté, les auteurs ont placé au début du chapitre sur la rédaction les
généralités relatives à l'expression. Ils s'expliquent sur ce choix :
"Pourquoi, dans cette mise en du langage, accorder la prééminence à
l'expression écrite ? Ne pourrait-on dire qu'il s'agit là d'une activité artificielle,

11
REPÈRES N" 3/1 991 F. MARCHAND

caron parle beaucoup plus qu'on écrit. Répondons aussitôt que c'est une chose
de parler et une autre d'écrire. Tel qui laisse les paroles couler de ses lèvres ne
peut plus rien exprimer sur "le vierge papier que sa blancheur défend». La
pensée concrétisée par l'écriture devient un objet. Comme objet, elle possède
alors des qualités propres. Elle aune forme, unestructure, des apparences. Elle
peut donner naissance à une d'art, et l'on conçoit alors qu'elle art une
réalité objective aussi forte que celle d'un tableau ou d'une sculpture lorsqu'elle
est poème ou belle page de prose. Mais elle peut n 'apparaître que comme un
magma informe, comme une pâte indécise. Il est donc nécessaire d'apprendre
à écrire.»
Nous voici confirmés dans cette idée que l'apprentissage de la langue parlée ne
constitue qu'un objectif secondaire à l'école primaire. L'école apparaît, à travers
ces lignes, comme le lieu où l'on écrit. La parenté avec la pensée d'Alain (ou celle
de Paul Valéry) est évidente et domine l'ensemble de la théorie des auteurs. L'écrrt
est noble, car il objective la pensée et la fait triompher du temps, il est noble
également parce qu'il oppose des résistances à l'usage et que sa production
demande un effort de mise en forme subordonné à la connaissance d'une technique
délicate. Au regard de cette activité créatrice d'essence supérieure dont le modèle
achevé est l'oeuvre d'art, l'expression orale paraît facile, vulgaire, fragile et ne
requiert pas, pour se manifester, la préparation des maîtres. La langue orale, c'est
l'affaire de la récréation, de la famille, de la rue.
Le manuel propose un modèle nettement plus détaillé que celui des Instruc¬
tions mais qui va dans le même sens. Il serait trop long de le présenter ici.

Le modèle selon les inspecteurs

Pour étudier le modèle pédagogique transmis par les inspecteurs, nous avons
utilisé sept rapports d'inspection relatifs à des leçons d'élocution. Certains de ces
rapports concernent le cours moyen, mais nous avons dû en prendre également qui
ont été faits dans des cours élémentaires. Les comptes rendus de leçons d'élocution
ne foisonnent pas, en effet, dans les bulletins d'inspection. C'est une preuve
supplémentaire du peu de place que tient, dans les années cinquante, l'enseigne¬
ment de la langue parlée à l'école élémentaire.
Les rapports d'inspection complètent utilement le manuel de psychopédagogie,
car on a la certitude qu'à l'époque ils atteignaient l'instituteur et que leur influence
s'étendait à l'ensemble de la carrière.
Dans ces rapports, l'objectif assigné à la leçon d'élocution n'est pas toujours
le même. Deux positions très différentes l'une de l'autre sont représentées. Pour
certains, «/a correction du langage est l'objectif principal de la leçon d'élocution» ;
pour d'autres, «l'essentiel doit résider dans l'effort d'expression. A la conception qui
met en avant la qualité du langage, s'oppose celle qui fait d'abord confiance au
volume de langage émis.
Le contenu des leçons d'élocution est variable, et les maîtres doivent opter
entre deux tendances divergentes. Ou bien le langage émis par l'élève sert à
communiquer une expérience personnelle ou collective, ou bien il doit, avant tout,
reproduire un modèle. La première tendance s'exprime sous cette forme dans un
rapport : "/'elocution vér/fab/e[est] construite sur les observations personnelles» ou
sous celle-ci dans un autre : "le principe de partir d'une réalité connue et étudiée pour

12
Quelques aperçus sur l'enseignement de l'oral dans l'école héritée de Jules Ferry

servir de matière à l'expression est tout à fart juste.» Nous rencontrons la seconde
tendance dans ce rapport, où il est noté : la maîtresse "S'attache à obtenir que les
enfants reproduisent correctement les phrase lues et à ce qu'ils expriment les
diverses actions de l'épicier. C'est de bonne méthode et c'est bien là, effectivement,
le but de l'exercice d'élocution.»
La méthode, enfin, préconise deux manières de procéder qui découlent des
conceptions divergentes que nous venons de souligner. D'une part, il y a ceux pour
qui la leçon d'élocution doit agir sur la forme du langage de rélève, soit par sous¬
traction : "épurer le discours et notamment supprimer certaines expressions», soit
par substitution : «tes fillettes parlent et de manière correcte, les phrases mal
construites étant reprises, les mots impropres changés», soit par addition : «//
conviendrait de faire une place à l'étocution dacquisrtbn : faire acquérir quelques
tournures que les élèves pourront incorporer à leur langage et commencer par les
faire entrer dans des phrases variées (parexemple, les tournures propres à exprimer
lajoie, la surprise, le mécontentement, etc.)». D'autre part, il y a ceux pour qui la leçon
d'élocution doit, en priorité, donnera l'élève le plaisir de produire du langage. Il est
dit dans un rapport, par exemple : «Ce qu'il faut obtenir avant tout, c'est que l'élève
éprouve le besoin de traduire ses impressions et qu'il le fasse avec plaisir. C'est à
cette condition que l'exercice d'élocution deviendra fécond», ou bien encore :
«Laisser de la liberté et présenter l'exercice sous la forme d'un jeu.»
Le caractère ambigu de la théorie ne se contente pas d'engendrer des
contradictions d'un inspecteur à l'autre. Il en provoque chez un même inspecteur.
Ainsi, l'auteur de deux rapports que nous venons de citer pour illustrer des
conceptions contradictoires est une seule et même personne. Il n'y a pas lieu de
penser que cette position soit équivoque à dessein pour permettre une critique facile
et systématique des procédures de l'instituteur, quelles qu'elles soient. Il faut plutôt
y voir le reflet d'une prudence inquiète qui souhaiterait concilier ce qui jusqu'alors n'a
pu l'être : la liberté joyeuse et épanouissante et la contrainte normative. Les conseils
de l'inspecteur sont des conseils de prudence. Si l'on se consacre à la liberté, il
rappelle qu'ily a aussi la «correction». Si l'on se préoccupe de corriger, il rappelle.que
l'enfant ne peut s'exprimer que dans la liberté.

Le modèle pédagogique tel qu'il est mis en uvre

Le corpus utilisé consiste en trois leçons d'élocution enregistrées. Les enre¬


gistrements ayant été transcrits sous forme d'un texte dactylographié, il a suffi de
compter les lignes consacrées au langage des élèves et celles consacrées au
langage du maître. La comparaison des deux nombres nous renseigne d'une façon
suffisamment précise.
La leçon n° 1 présente un intérêt particulier dans la mesure où elle a pour but
de rendre compte d'un spectacle pour enfants, Gbmoêlet les pommes de terre, auquel
un certain nombre d'élèves ont assisté le matin même. Le maître a cherché une
situation réelle : il est naturel que celles qui ont assisté au spectacle en fassent le récit
aux autres. Cela aurait probablement eu lieu pendant la récréation. La situation est
bonne, car tout le monde peut parler. Les unes peuvent raconter, les autres
demander des compléments d'information. Les conditions de la communication sont
donc aussi satisfaisantes qu'elles peuvent l'être dans une classe.

13
REPÈRES N° 3/1991 F. MARCHAND

La leçon n° 2, qui a pour thème, Rêver d'aventures, est un entretien qui ne


s'appuie suraucun objet précis, nitexte, nif ilm, ni gravure, ni spectacle, ni événement
quelconque. Le centre d'intérêt de la semaine tourne autour du rêve, de l'aventure,
de l'évasion. On a fait quelques lectures qui vont dans ce sens, comme celle à
laquelle il est fait allusion au début de la leçon (un extrait des Aventures de Tom
Sawyer), et c'est tout.
La leçon n° 3, au contraire, prend comme point de départ un texte précis (texte
d'Anatole France : Attaque de la diligence). Après avoir raconté le texte, on élargit
le débat et l'exercice prend alors pour matière l'expérience personnelle des élèves.
Le démontage du mécanisme mis en uvre dans ces leçons figure dans Le
français tel qu'on l'enseigne (pp. 72 à 92). Il se présente sous forme de plusieurs
analyses détaillées incluses dans un exposé qui constitue un tout. Il est difficile de
l'abréger ou d'y pratiquer des extraits sans la dénaturer. Je vais m'y risquer toutefois
et l'on me pardonnera le caractère fragmenté du résultat et son appauvrissement.
Nous avons procédé à un comptage pour mesurer le volume de langage produit
au cours d'une leçon par le maître et les élèves. La décomposition par quarts à
laquelle nous nous sommes livré permet de voir si la répartition est constante d'un
bout à l'autre de la leçon ou si, au contraire, elle varie d'une façon significative.

Pourcentage du langage des élèves


par rapport au langage total

Leçon 1 Leçon 2 Leçon 3


1" quart 59% 40% 38 %

2* quart 35% 29% 36%


3* quart 27% 21% 35%
4* quart 35% 30% 30%
MOYENNE 39% 30% 35%

On peut conclure de ce tableau que le maître parle environ pendant les deux-
tiers du temps et que l'importance de ses interventions augmente à mesure que la
leçon avance.
Quant au contenu de la leçon, voici quelques remarques que l'on a pu faire à
propos de la leçon n° 1 .
Il faut arriver au troisième tiers de la leçon n° 1 pour trouver une observation
relative à la correction formelle. Le Manuel de psychopédagogie auquel nous avons
fait allusion au début préconisait d'organiser chaque leçon d'élocution sous forme
d'une succession de séquences devant se dérouler en deux temps successifs :
- tout d'abord l'enfant «produit» un certain volume de langage pendant que le
maître s'efface et n'intervient que pour encourager ;
- ensuite, le maître reprend cet énoncé, le critique et le fait rectifier.

14
Quelques aperçus sur l'enseignement de l'oral dans l'école héritée de Jules Ferry

L'observationdont nous parlons ici ne représente pas véritablement la deuxième


phase d'une telle séquence. La voici :
Isabelle : Quand une des cinq dames...
Le Maître : Pourquoi tu commences ta phrase par quand une ? Essaie d'arranger
un petit peu. Autrement dit, là, tu finis la mienne. Bon. Quelqu'un d'autre
pendant ce temps. Nicole, toi, tu as dit ?
Nicole: Quand une...
Le Maître : Maispourquoicommencerunephraseparquandune ? Déjà, vous m'avez
faitplusieurs phrases comme ça. Marie-Hélène. Bon. Vas-y, tulareferas
ta phrase... ?Ah oui, d'accord. Est-ce que le passage des bananes...
Cette intervention n'est pas la deuxième phase d'une séquence, car elle vient
accidentellement. C'est un petit geste d'impatience devant une faute persistante.
L'acte de correction n'aboutit pas. La deuxième réplique du maître l'ajourne, et il n'en
sera plus questions ensuite.
Au cours de cette leçon, le maître est exclusivement préoccupé du contenu de
l'énoncé, non de sa forme. Son effort s'oriente selon deux directions successives :
au début, la narration des faits (recherche des fonctions noyaux, pour reprendre la
terminotogie de Roland Barthes) ; dans le reste de la leçon, l'analyse du comique et
du tragique (ce qui équivaut à peu près à la recherche des indices). A tout moment,
que ce soit dans l'une ou l'autre partie, sa préoccupation est l'exhaustivité et la
précision :
- N'oublier aucun détail :
"Ils font d'autres rencontres bien plus amusantes.»
«Ah ! Mais il y a un petit trou là.»
- Aider sans cesse la mémoire :
"Ils font une rencontre...»
- Eviter les erreurs :
"Liverpool, c'est en Angleterre et non en France.»
" Ce n'est pas le remède.»
- Faire des enumerations complètes :
« Essayons de chercher ce qui était amusant. L'ensemble de leurs costumes.
Aussi bien les costumes des dames, que ceux des enfants, que ceux des
messieurs.»
« On est dans le mouvement. Bon. Encore. Qu'est-ce qui faisait beaucoup de
mouvement ?»
Il résulte de cette orientation que l'exercice se trouve réduit à la première partie
du schéma modèle. Les interventions du maître sont à peu près exclusivement
consacrées à la stimulation. Les consignes de liberté, de souplesse, de tolérance,
d'abstention ne sont suivies qu'en ce qui concerne la forme. Pour ce qui est du
contenu, le maître est trop préoccupé de faire coïncider le modèle construit par les
élèves avec son propre modèle pour qu'il puisse faire preuve du moindre libéralisme.
L'objectif n° 1 , faire parler le plus possible, est remplacé par celui-ci : faire dire
exactement ce que l'on veut qui sort dit. Cette modification de la perspective est elle-
même imposée par la srtuation dans laquelle les enfants sont placés, situation que
l'on peut qualifier d'utilitaire, puisqu'il y a nécessité de transmettre avec fidélité un
passage précis. Nous sommes ici dans une situation de communication contrôlée et
non plus dans une srtuation d'expression.

15
REPÈRES N° 3/1991 F. MARCHAND

Nous mettrons fin ici à ce qui est davantage un témoignage qu'une page de
l'histoire des pratiques scolaires. Témoignage fort incomplet, on s'en rend compte,
mais dont nous espérons qu'il aidera à se faire une idée des procédures suivies il y
a quelques décennies pour enseigner aussi bien que possible cet objet qui nous
importe tant et que l'école a tant de mal à s'approprier : le langage parlé.

NOTES

(1) A.M. CHARTIER - J. HEBRARD. Discours sur la lecture (1880-1980). Bibliothèque pu¬
blique d'information. Centre Georges Pompidou. Paris, 1989.
(2) Emile GENOUVRIER. Quelle langue parler à l'école ? Propos sur la norme du français, in
Langue française nc 13. Larousse, février 1972.

16
L'ORAL CONTRE L'ÉCRIT

Danièle MANESSE, INRP, Paris


Isabelle GRELLET, Lycée Montaigne

Monsieur A : «Mais au fart ! Puis-je vous demander où vous ?


Madame B, très précise et décidée : "Mais pas de Inon, non, rien. Je
vais jusqu'au, pour aller chercher mon. Puis je vais à la.
Monsieur A, engageant et galant, offrant son bras : "Me permettez-vous
de?...
Madame B : "Mais, bien entendu INous ferons ensemble un bout de.
Monsieur A : "Parfait, parfait !...
(Jean Tardieu, finissez vos phrases)

Pour cadrer l'ensemble des réflexions qui vont suivre, deux constats à l'intérieur
desquels elles s'inscrivent (1 ) :
- L'enseignement du français langue maternelle est en difficulté : la crise,
comme on l'appelle, decet enseignement, est attestée parses acteurs, les professeurs,
et sans cesse répercutée par les médias sous l'antienne angoissée de la «baisse du
niveau». Ces doutes sur l'efficacité de l'enseignement de la langue, quand il ne s'agit
pas d'opinions négatives et sans appel, touchent surtout à la capacrté de l'école à
donner aux élèves la maîtrise de l'écrit. Disons, pourfaire vite, que cet état de crise
resurgit périodiquement et est attesté à chaque époque d'avancée dans la
démocratisation de l'école.
Aussi n'est-il pas propre à l'enseignement du français, mais à celui de lalangue
maternelle en général, et on le trouve amplement décrit dans les pays qui traversent
la même conjoncture historique (un exemple parmi d'autres : le témoignage qu'en
apporte le rapport Bullock sur la Grande-Bretagne, ainsi que tous les travaux qui l'ont
suivi) (2).
- Deux courants importants ont, depuis la fin des années 60, réorganisé dans
ses principes, sinon dans les faits, l'enseignement du français.
Le premier est la conséquence de l'influence importantedes études piagétiennes,
et a pour effet de promouvoir une intention «pédocentrique» dans les démarches
pédagogiques : «accent porté sur l'expression, l'action et la motivation de l'enfant».
Cette réorientation psychologique de la pédagogie, dont Bronckart remarque qu'elle
«a été bien acceptée par le corps enseignant et par les décideurs politiques »(3) - les
instructions officielles en vigueur en France, par exemple, sont significatives à cet
égard - est au c déjà des grands courants d'idée de pédagogues militants entre
les deux guerres, comme Freinet, auquel évidemment a manqué la reconnaissance
scientifique acquise par le constructivisme.
Le second courant, lié au développement de la linguistique appliquée, a fait
passer l'idée de l'importance de la communication dans la classe, et celle de l'usage
d'abord oral de la langue, qui se trouve dès tors investi d'une dignité nouvelle : il est
non seulement le moyen des échanges dans la classe, mais peut légitimement être
étudié pour lui-même.

17
REPÈRES N" 3/1991 D. MANESSE - I. GRELLET

L'écrit, l'oral constituent les deux grands domaines de l'enseignement de la


langue maternelle (laissons ici de côté l'enseignement de la littérature). Par l'atten¬
tion nouvelle portée à l'oral, comment résiste ou se réorganise l'enseignement de
l'écrrt ? Quelles relations entretiennent-ils dans la classe, selon quel équilibre - ou
quels déséquilibres - leur coexistence est-elle gérée ?
C'est là l'objet de cet article, dans lequel nous apportons des données sur l'oral
et l'écrit en classe de français de CM2 (la dernière classe du primaire) et de 6* (la
première classe du collège.
Ces données sont issues d'une masse très importante collectée lors de la
recherche interdisciplinaire «articulation école-collège», dont l'objet était d'évaluer
les ruptures et les continuités de «contrat didactique» entre ces niveaux charnières (4).
La grille écrit-oral s'attachait, dans cette recherche, à décrire les comportements
verbaux dans les classes, et nous l'avons mise en uvre pendant l'observation de
1 30 séquences de classe de français de CM2 et de 6*, dans des établissements très

différenciés du territoire national. Les hypothèses qui ont présidé à sa construction


étaient que l'entrée au collège se traduisait par une inflation importante de l'écrit,
tandis que l'économie des échanges se transformait : davantage de cours magistral,
moins d'échanges de type affectif, moins d'échanges sur l'organisation du travail.
Toutes hypothèses largement démenties, d'ailleurs.
Concernant l'oral comme l'écrit, les informations qui suivent sont de l'ordre de
la didactique, en ceci qu'aucun aspect purement linguistique - marqueurs
conversationnels, formes particulières des écrits - ne sont pris en compte dans une
enquête de cette ampleur. Ce sont des catégories larges qui ont été utilisées : type
d'émetteur (maître, classe ou élève) et prises de parole, limitées par le changement
de locuteur, se répartissant en quatre types d'oraux : «organisationnel», «relationnel»,
c'est-à-dire d'ordre individuel et non lié au savoir, «didactique», soit sous laforme du
«question-réponse» sort sous forme d'exposé. Pour l'écrit, nous avons simplement
distingué l'exercice de la copie (dictée ou à partir du tableau). De même, nous avons
mesuré le temps, d'écrit comme d'oral. Aussi c'est d'abord un témoignage quantitatif
qui va suivre.

1. L'ORAL AU COURS DE FRANÇAIS : UN RYTHME EFFRÉNÉ

Au cours de français, on parle énormément, les échanges sont beaucoup plus


nombreux que durant les cours des autres disciplines excepté ceux de langue
seconde. Déjà extrêmement rapide au CM2, (300 échanges à l'heure en moyenne)
le rythme s'accélère encore en 6* (340 à l'heure). Tout se passe comme si le
professeur de français cherchait à rentabiliser au mieux sa séance en accélérant le
débit et en gommant les temps morts. Les répliques s'enchaînent sans interruption,
et on n'a guère le temps de la réflexion. Les élèves sont conscients de l'accélération
au collège : les explications du professeur leur semblent plus rapides que celles du
maître, et ils ont l'impression qu'on leur laisse moins de temps, pourfaire leur travail
au collège qu'à l'école (5). Tel professeur, par exemple, commence tous ses cours
par la phrase rituelle : «Dépêchez-vous, nous avons déjà perdu 7 minutes». Même
si l'on peut penser qu'en présence d'observateurs, les enseignants ont tenu à
encourager, encore plus qu'à l'habitude, la participation des élèves, on retient l'image
d'un cours de français très vivant, au dialogue constant, voire ininterrompu : il n'y a

18
L'oral contre l'écrit

presque jamais de silence, et comme la parole circule sans cesse, on écrit peu,
comme on le verra. Et même quand on écrit, on se tait rarement.

Une parole hachée

Contrepartie de cette hyperactivité, ces échanges, menés de main de maître à


un rythme endiablé, sont très brefs, parfois limités à quelques mots. En terme de
moyenne, les prises de parole n'excèdent pas dix secondes. Leurs échanges ont les
caractéristiques que décrit Bourdieu, s'agissant d'échanges adultes-enfants : syn¬
taxe peu complexe, phrases courtes.
En 1965, Jackson, observant des classes aux États-Unis, relevait que les
communications entre le maître et les élèves étaient courtes et fréquentes : 3 par
minute en moyenne (6). Concluant une étude menée en France dans des classes de
migrants, Blanchet et Chalet notaient que «chaque enfantastatistiquement prononcé
0,4 fois dans la journée un énoncé un peu plus long et complexe que * passe-moi ta
gomme»(7)...
Très fluide en apparence, la communication se paie en fait d'un manque
d'autonomie de l'élève : il n'a pas l'initiative du dialogue, ni le temps de réfléchir
personnellement, de mener un raisonnement à son terme, ni de terminer ses
phrases. Il s'exprime par lambeaux de phrases quadrillées par les questions du
maître, il se glisse dans les trous de son discours, il produit "des énoncés tronqués
destinés à s'intégrer dans tes énoncés magistraux» (7). Au travers d'énoncés si
courts, si hachés, les élèves ne peuvent faire par exemple l'apprentissage de la
phrase complexe : avec ses interventions trop fréquentes, l'enseignant "n'arrive à
tirer d'eux que de pauvres énoncés parcellaires, tout à fait impropres à leur faire
intérioriser les structures syntaxiques» (8). L'objectif profond qui préside à la mul¬
tiplication des échanges est certainement de développer la maîtrise de la langue ;
les formes mêmes de ce dialogue contribuent à invalider cet objectif.

Les interlocuteurs : la place prépondérante du maître

Aux deux niveaux observés, la part des interventions du maître est stable, les
deux tiers. Cette proposition est la même que dans bien des études antérieures :
celle de Jackson en 1 965, de G. Ferry en 1 969 ou de Giordan et Vecchi en 1 978 (9).
Le maître a l'initiative de toutes les questions ou presque, il prend en charge à 95 %
l'exposé des connaissances : même en ce qui concerne les consignes ou l'organi¬
sation des tâches, les élèves s'expriment peu. Enfin les remarques affectives sont
presque toujours le fait du maître. Le schéma question-réponse est le seul à induire
une également répartrtion des prises de parole entre l'enseignant et les élèves, qui
n'interviennent donc que pour répondre à des questions, individuellement ou en
chnur.
L'exclusivité du poids de la parole du maître se note également dans la
correction des erreurs (10) : c'est lui qui, toujours les détecte, c'est lui qui, par le jeu
d'un question-réponse, conduit à leur correction par les élèves. Il serait certes
absurde et démagogue de supposer une relation enseignant-enseigne où il se
passerait l'inverse ; cela dit, bien souvent, et on l'observe dans l'analyse précise de
la correction des erreurs, dans ce type de pédagogie du dialogue que Giordan et

19
REPÈRES N° 3/1991 D. MANESSE - I. GRELLET

Vecchi nomment la "pédagogie de la devinette», le maître seul possède le fil con-


ducteurde sa démarche, et l'enfant "S'exerce, le plus souvent avec succès, àdeviner
s'il doit être du même avis que celui qui vient de parler, ou au contraire, s'y
opposer» (11). Bien souvent le maître renonce à prendreen compte les réponses qui
sortent du but qu'il s'est fixé, et à corriger les erreurs qui s'enchâssent les unes dans
les autres. L'activité bruissante cache en fait une grande passivité des élèves, car
plus que d'être à l'initiative d'une démarche de correction, «tes élèves ne savent pas
ce qu'ils cherchent... il leur est difficile d'être actifs devant un problème qui n'est pas
le leur.» (12).

La nature des échanges : un feu roulant de questions-réponses

Au cours de français, plus encore que dans les autres disciplines, la part du
schéma question-réponse est prédominante dans les deux cycles. Surce point, c'est
du cours de langue étrangère - qui fait de ce type de questionnement un instrument
privilégié d'apprentissage - que le cours de langue maternelle se rapproche le plus.
Le dialogue occupe près des 3/4 des prises de parole en CM2 (68 %), à peine moins
en 6e (63 %). Vieille question ! Voilà un siècle au moins que les grands pédagogues
préconisent la pratique en classe de la «méthode socratique» contre l'usage exclusif
de la «leçon». Selon le Dictionnaire de pédagogie, les «interrogations» sont une
partie essentielle de l'enseignement. Elles ont une double fonction : de révision et
d'exercice du raisonnement (13). L'introduction des méthodes actives a donné au
dialogue une nouvelle fonction : celle de découvrir des notions nouvelles, et cette
forme d'échange a doucement remplacé le cours «magistral». L'ancien usage
professoral de la langue s'est considérablement dévalué, remplacé par ce nouveau
parler hésitant et interrogatif dont parle P. Bourdieu (14).
Certes les classes ont l'air animé, vivantes, participantes, et ce modèle de cours
questionnant sans relâche est celui qui, par exemple, a la faveur de l'Inspection, en
France. Mais du dialogue socratique, on n'a gardé que les formes : on n'a pas le
temps de réfléchir, le silence est inacceptable : le maître pose des "questbns
simples presque toujours suivies de la réponse désirée» (15), car la tentation per¬
manente est de faire l'économie "d'un cheminement lent et finalementjugé inutile où
le disciple est censé construire ou redécouvrir son savoir avec l'aide du maître» (1 6).
Les élèves sont donc rarement actifs pendant ces échanges ; ils "identifient», «re¬
produisent», mais ont peu souvent l'occasion de construire leurs connaissances ou
de poser un problème. Cousinet, déjà il y a un demi-siècle, considérait l'accroisse¬
ment apparent de l'activité de la classe par la méthode diatogale comme «un chapitre
comique de la pédagogie traditionnelle» (17), fondant sa critique sur le fart que rien
de nouveau ne peut s'acquérir dans un tel mouvement : comme le note en effet Van
Bergsen, dans la plupart des cas, l'enseignant «pose des questions ou des pro¬
blèmes dont les réponses sont préalablement connues des élèves» (18). Et pour¬
tant ! Dès son début, les limites de la méthode «socratique» étaient pointées parses
promoteurs : à rien ne servent «les questions» qui n' «amènent (que) des réponses
convenues, stéréotypées, apprises par crur, qui tournent au catéchisme. L'ensei¬
gnement mis en demande et réponse est au rebours du bon sens pédagogique» (1 5).
Aussi bien, et les pédagogues l'ont toujours souligné, la méthode diatogale est
difficile à pratiquer. Elle nécessite de bonnes conditions matérielles, un nombre
d'élèves limité : dans une classe trop nombreuse, trop d'élèves sont spectateurs

20
L'oral contre l'écrit

d'une joutedontiissont exclus ;onaégalementsoulignérimportancedesconnivences


culturelles entre l'enseignant et ses élèves pour faciliter les échanges. Est-il interdrt
d'établir un lien entre le regard critique porté sur l'invasion de l'oral dans les collèges,
et l'irruption dans ces collèges depuis une quinzaine d'années, d'enfants qui ne
parlent pas comme on «devrait écrire» ?

La disparition en français du cours «magistral»

Les questions occupent donc la majeure partie du temps de la classe, et, peut-
être minorée par le codage qui ne permettait pas de mesurer la durée précise des
énoncés, la part de l'exposé apparaît très réduite en CM2 (1 1 % des échanges) et
elle progresse à peine en 6» (14 %) : l'apport des connaissances passe plus par le
jeu du question-réponse que par le cours magistral.
Depuis une vingtaine d'années, le cours de français n'a plus comme contenu
isolable et privilégié l'étude de la littérature et des techniques liées à cette dernière.
Il se laisse plus réduire à des pratiques qu'à des apports de contenu : pratiques de
lecture, d'orthographe, de grammaire, dont chacun des deux niveaux que nous
avons étudiés ne fait qu'approfondir les acquis antérieurs. La faible proportion du
cours magistral s'explique donc bien. Mise en rapport avec le déluge du question-
réponse, elle témoigne de la difficulté d'enseigner cette discipline : l'instituteur,
comme le professeur de français, doivent faire naître un questionnement sur des
connaissances que pour la plupart, ils n'ont pas eux-mêmes transmises.

2. L'ÉCRIT EN COURS DE FRANÇAIS : PEU D'ÉCRIT

En classe de français, on apprend à écrire : c'est là, et là seulement que


s'élabore cette maîtrise dont toutes les disciplines auront besoin. Or, première
contrepartie de l'envahissement de l'oral dans la classe de français, on y écrit peu,
et moins - et ceci est fait pour surprendre - que dans les autres disciplines : le petit
tableau qui suit donne, en minutes, le temps consacré à l'écrit sur une heure de cours,
pour quatre des disciplines participant à la recherche :

français hist.-géo mathématiques langue seconde


CM2 13 mn 11 mn 17 mn
6*"* 17 mn 20 mn 23 mn 5 mn

Ainsi, les élèves ont moins souvent le stylo à la main en français qu'en maths
ou en sciences humaines ; certes plus qu'en langue, dont le projet en 6e est
essentiellement oral. Il s'agit làde moyennes, certes, mais qui, à de très faibles écarts
près, engagent les trois quarts des séquences que nous avons observées. Ainsi,
quels que soient les bénéfices de l'animation orale de la classe, l'écrit en pâtit déjà
quantitativement ; si son acquisition reste l'objectif principal que se donnent les
enseignants de français, le temps que, dans la pratique quotidienne de la classe, on
y consacre, fait douter qu'on le puisse atteindre, sauf à penser que l'activité orale en
soi est immédiatement transférable en acquisitions dans le domaine de la langue
écrite.

21
REPÈRES N" 3/1991 D. MANESSE - 1. GRELLET

Des écrits en miroir de l'oral

Les écrits sont brefs (moins de 10 mn pour les 4/5 d'entre eux). Si la durée
globale de l'écrit s'accroît en 6», c'est seulement par le fait d'un temps plus long
consacré à la copie - la capitalisation dans le cahier - qui passe de 2mn en CM2 à
7mn en 6*. Alors, que sont les écrits ? des exercices d'application.
L'exercice apparaît bien comme la contrepartie écrite du questionnement oral :
puisé, dans la majeure partie des cas, dans le stock des exercices du livre ou fart à
partir de polycopiés, il est un réinvestissement immédiat de l'oral qui l'a précédé : à
une consigne cadrée, qui exige une réponse unique, pour laquelle la main de l'enfant
est étroitement guidée, il y a une réponse bonne. L'écrit n'est qu'exceptionnellement
silencieux, précédé d'oral pour éclairer la consigne et ponctué de questions-
réponses. Cette pratique d'accompagnement par la parole, qui correspond à coup
sûr à un souci d'aide de la part de l'enseignant, est d'ailleurs pointée par les élèves
comme une difficulté : il leur est très difficile d'écouter et d'écrire à la fois.
Ainsi l'écrit n'a pas de mise en scène propre, il ne répond pas au projet de mener
l'élève à prendre en charge, à organiser même un petit projet. La règle est toujours,
comme pour l'oral, un écrit collectif et uniforme, prédécoupé et immédiatement
corrigeable.
Cependant les écrits longs existent ! nous le savons : la «rédaction» (compo¬
sition) est un exercice pratiqué par tous, à la fin du primaire comme au collège (19).
Certes la présence d'observateurs, même bien acceptée des enseignants, détour¬
nait ces derniers de montrer de longues séquences silencieuses écrites ; d'autre
part, au collège au moins, les rédactions sont souvent faites à la maison. N'en
demeure qu'en dehors de cet exercice mensuel ou bi-mensuel, îéconomie de l'oral
et de l'écrit obéit aux mêmes lois en français qu'en mathématiques par exemple. Où
est donc, dans les traits structurant le comportement didactique global, la spécificité
de la discipline qui enseigne l'écrit pas seulement comme un moyen, mais comme
une fin ?

Nos observations confirment et précisent maintes études antérieures : sur la


règle des «deux tiers» en faveur de la parole du maître, sur le grand nombre, la
rapidité et la brièveté des échanges. Elles montrent que ces caractéristiques sont
particulièrement marquées au cours de français.
On pourrait se contenter d'en tirer la conclusion qu'on s'est décidément orienté
vers le dévetoppement de la compétence orale de communication. Il appartiendrait
à un étude plus fine de montrer l'illusion que recouvre cette incroyable animation par
la parole : le morcellement des échanges ne permet pas, on l'a vu, l'acquisition par
les élèves d'une maîtrise véritable de la langue orale ; ils ne peuvent apprendre ni à
communiquer entre eux, ni à mener un raisonnement jusqu'au bout. Nombre de
questions que le maître pose sont des questions «routinières», celles dont il sait que
les élèves connaissent la réponse (20). L'oral dominant, le question-réponse,
initialement prôné pour la révision, prend la place du cours magistral, apport frontal
des connaissances. Le cadre de la classe ne permettant pas un vrai dialogue
«socratique», on tente d'introduire des notions à peu de frais, comme s'il s'agissait
de révisions.

22
L'oral contre l'écrit

Ce déplacement de fonction se retrouve à l'écrit, et c'est dans les rapports


réciproques qu'entretiennent l'oral et l'écrit qu'une faiblesse du cours actuel de
français langue matemelle peut être trouvée. Brefs, entrecoupés, rapides et étroitement
canalisés sont les échanges oraux ; courts, morcelés et guidés sont les écrits.
Plus encore, la parole occupe tant de temps qu'on écrit fort peu et parfois même
pas du tout : 1 7 % des séquences que nous avons observées, plus qu'en aucune
autre discipline, sont sans aucun écrit. Il y a ainsi une espèce de fuite inconsciente
devant l'entraînement soutenu et complexe à l'écrit.
C'est que les enseignants ont de gré ou de force été amenés à envisager
autrement son apprentissage avec l'arrivée au collège d'une nouvelle catégorie
d'élèves qui n'ont plus les mêmes referents culturels, la même aisance à accepter
la langue normée qu'autrefois. La forme même des échanges oraux s'est modifiée,
ils ont perdu leur vernis académique. Les enfants ne parlent plus comme des livres,
leurs maîtres non plus d'ailleurs, et le passage à l'écrit ne s'en trouve pas facilité.
On pourrait donc expliquer - pour une part - les difficultés de l'enseignement du
français par un de ces mouvements dont l'histoirejet singulièrement celle de la
pédagogie - est coutumière. Le bâton se serait tordu dans l'autre sens : d'un
enseignement trop littéraire, trop fondé sur l'écrit comme fin en soi, on serait passé
à un enseignement noyé dans l'oral. De plus, si les élèves maîtrisent mal l'écrit, ce
n'est pas tant parce qu'on parle trop, c'est la nature même des échanges oraux qu'il
faut incriminer. Tels qu'ils sont conduits, ils desservent les objectifs qu'ils se
proposent, et qui demeurent les mêmes qu'avant : acquisition d'une langue orale et
écrite de qualité.

NOTES

(1 )Ce texte propose les résultats d'une recherche terminée en 1 988, dont les enseignements
nous semblent cependant encore valides ! Il a paru en décembre 1988 dans la revue
Mother Tongue Education Bulletin (vol. 3, n° 1) dont nous remercions Gilles Gagné, son
directeur, d'avoir bien voulu nous autoriser à le reproduire.
(2) BULLOCK, S.A. éd., A language For Life, H.M.S.O, London, 1975.
(3) BRONCKART J.P., Les sciences du langage, un défi pour l'enseignement, UNESCO-
Delachaux et Niestlé, Paris, 1985, p. 107.
(4) Les enseignements en CM2 et en 6e, ruptures et continuités, Coll. Rapports de recherches
n° 11, INRP, Paris, 1987, passim, et Enseignants de CM2et de & face aux disciplines, coll.
Rapports de recherches n" 9, 1986.
(5) «Les représentations des élèves sur les disciplines», rapport intermédiaire de recherche,
DP1, 1986, INRP, Paris, dactyl.
(6) Cité par A. RAFFESTIN, L'observation du componement des maîtres», 1 974, CRDP de
Rouen, doc. ronéotypé.
(7) GUEUNIER N., «Se parfera l'école», BREFàéc. 1979. Larousse, p. 24.
(8) MARCHAND F., Le français tel qu'on l'enseigne, PUF, Paris, 1 971 , p. 21 0.
(9) FERRY G. , « Les communications dans la classe» , Bulletin de Psychologie, n° 272, XXI I
1-2 oct. 1969, p. 85.
(10) Équipe AEC, Le statut de l'erreur dans l'enseignement, coll. COLLÈGES, INRP, 1987,
p. 1 1 1 et sq.

23
REPÈRES N° 3/1991 D. MANESSE - 1. GRELLET

(11) FRANÇOISF.,«DiaJogueetdéplacenTentdscxir^àréccte»,LeFra/7ça/sau/buro7ïu/,n071,
1985, p. 37.
(12) GIORDAN et VECCHI, op. dt, p. 150.
(13) BUISSON F., (sousladlr.de), Dictionnaire de pédagogie, 1880, Paris : Articles «Socrate»
(G. Compayre) ; «Interrogation», «Méthode interrogative» (J. Steeg).
(1 4) BOURDIEU P., Ce que parler veut dire, p. 56 et 78.
(15) LANDSHEERE G. de, BAYER P., Commentas maîtresenseignent.Analysedes interactions
verbales en classe, Ministère de l'Éducation national et de la culture, Documentation 21 ,
Bruxelles 1974, p. 58.
(16) LEGRAND L., «De l'idéal du dialogue à l'imposition du savoir», BREF déjà cité, p. 6.
(17) CitéparLEIFetRUSTIN, Philosophie de réducation.Pans, Delagrave, 1970,3vol.,Tome 1,
p. 258.
(18) Cité par de LANDSHEERE, op. dt, p. 58.
(19) MANESSE D.. GRELLET L, MONCHABLON M.A., «L'écrit en CM2 et en 6« : images et
réalités», Études de linguistique appliquée, 1988, nc 71.
(20) SAVIC S., «Quelques fonctions des questions posées par des adultes à de jeunes
enfants», in Bronckart J.P.,Malrieu et alii, Genèse de la parole, PUF, 1977, p. 231 etsq.

24
ECRIRE, UNE ACTIVITE COMPLEXE
ÉTAYEÉ PAR LA PAROLE
Etude des échanges oraux dans des tâches
de réécriture menées par des enfants de 7 ans
Jacques DAVID

Cet article constitue une présentation encore provisoire et partielle d'une


recherche actuellement en cours sur les processus d'écriture de jeunes enfants et,
plus particulièrement, sur les caractéristiques du travail de réécrrture mené par des
petits groupes d'élèves de CE1. Nous le limiterons, pour l'essentiel, à l'étude des
échanges oraux recueillis au cours des discussions menées au sein de ces petits
groupes (interactions entre enfants, bien sûr, mais aussi avec l'adulte) sur les deux
versions d'un même texte à «arranger».
i

1 - POSITIONS THÉORIQUES ET PROBLÈMES MÉTHODOLOGIQUES

Concernant le travail d'écriture, la plupart des recherches actuelles s'accordent


pour montrer que les différences avec la production d'oral, ne reposent pas sur de
simples modalités de codage ou de transcodage. En fart, il y a dialogisme dans ces
deux activités langagières. Cependant, la situation de l'énonciateur d'écrit (ou
scripteur(1 ) diffère sensiblement de celle de l'énonciateur d'oral (ou locuteur, pour ne
pas dire «parleur»). Dans la première, les informations doivent être explicitées pour
être partagées par le lecteur, alors que dans la seconde, elles peuvent rester dans
l'implicite de l'échange. A l'écrit, le scripteur doit anticiper sur les connaissances de
son destinataire et les inclure dans son texte ; à l'oral, le locuteur peut rectifier à tout
moment son discours pour l'adapter en fonction des réactions du public. L'évaluation
du point de vue de l'autre fait donc partie intégrante de la composition du texte écrit
et constitue, le plus souvent, un préalable à sa réalisation. Dans les échanges oraux,
les ajustements ont un caractère plus facultatif car ils dépendent étroitement des
éventuelles réactions de l'audience. Ces différences s'expliquent, pour l'essentiel,
par la nécessité de prendre en compte la distance temporelle inhérente à toute
communication écrite (l'écart entre le moment de l'écriture et celui de la lecture).
Cette contrainte constitutive oblige le scripteur à mettre en jeu des compétences
discursives à la fois abstraites, complexes et multiples.
Par cette présentation, nous nous rapprochons, bien évidemment, du point de
vue développé par Vygotski (1 934/1 985), pour qui le langage écrit est conçu comme
une "fonction psychique supérieure». Nous reprendrons certains aspects de cette
conception, et notamment le fait que l'apprentissage de l'écrit suppose «une
symbolisatbn au second degré», c'est à dire un passage au «langage abstrait qui
utilise non les mots, mais les représentations des mots». Nous reviendrons égale¬
ment sur le caractère inévitablement décontextualisé de ce langage écrit qui, à la
différence de l'oral, suppose un «interlocuteur imaginaire ou seulement figuré», ... et
peut être assimilé à «un discours-monobgue»(2). Enfin, nous n'oublierons pas de
traiter les problèmes de conscientisation-intériorisation liés au fart que l'écrit implique

25
REPÈRES N° 3/1991 J. DAVID

un «rapport plus indépendant, plus volontaire, plus libre» ; à la différence de l'oral


qui n'a pas l'obligation d'être «conscient et volontaire».
La contre partie de cette liberté attachée au langage écrit réside certainement
dans le fait que sa maîtrise exige un temps d'apprentissage considérable, en fait le
temps de la scolarité et même au delà. Aussi, de nombreuses recherches(3),
conduites par des linguistes, des psychologues et/ou des psycholinguistes, se sont-
elles développées, ces dernières années, pour mieux décrire les différentes com¬
posantes de cette acquisition complexe. Nous avons ainsi, actuellement :
- une meilleure connaissance de la genèse de l'écriture chez le jeune enfant,
pré-lecteur ou nouvellement scripteur (Ferreiro, 1 988 ; Ferreiro & Gomez-
Palacio, 1988) et,
- une vision plus claire des problèmes de «mise en texte» qui se posent à
l'enfant dans la composition de récits (Fayol, 1 985) ou de textes explicatifs
et argumentatifs (Schneuwly, 1988) en rapport on non avec des modèles
théoriques du sujet écrivant (Hayes & Ftower, 1980 et 1981 ; Cooper &
Matsuhashi, 1983 ; Bronckart et alii, 1985).
Les méthodologies utilisées pour mener ces recherches sont également
diversifiées et suivent des évolutions importantes. Si les premières études se
contentaient d'inférer les processus d'écriture à partir des textes achevés, la
nécessité d'une meilleure compréhension de l'activité du sujet-écrivant (surtout au
cours de l'apprentissage) a conduit les chercheurs à analyser, dans leur déroulement,
les processus impliquésdans la rédaction des textes (4). Différents modes d'approches
ont ainsi été utilisés :
- l'étude des variantes de brouillons qui offre des descriptions fines tant des
procédés de révisions utilisés que des catégories linguistiques traitées
(Fabre, 1986, 1987, 1989);
- l'étude, en temps réel, de l'activité d'écriture par l'analyse des débits et,
surtout, des lieux et durées des pauses (Matsuhashi, 1 981 et 1 982 ; Piolat
1983 ;Foulin, 1989);
- l'étude des protocoles verbaux, c'est à dire des verbalisations effectuées à
haute voix par les sujets au cours de l'écriture (Ftower & Hayes, 1980 et
1981 ; Bereiter et Scardamalia, 1984).
Nous avons repris certaines des modalités de la première et de la troisième
technique en focalisant l'activité de nos jeunes sujets de CE1 sur la réécriture,
également en temps réel, d'un brouillon d'élève du même âge présenté sous deux
versions différentes. Pour ce faire, nous avons procédé en demandant, dans une
première phase, à tous les élèves de différentes classes de CE1 (5), de composer un
récit en se référant à une suite de quatre images relatant un accident de vélo, pour
des lecteurs-destinataires bien définis et ayant le même âge. Sur labase de ces récits
écrits, nous avons choisi quatre enfants à la fois bons lecteurs, susceptibles de traiter
un ou plusieurs aspects du travail d'écriture et, surtout, capables d'interagir avec les
autres au sujet d'un texte. Ces enfants ont entre 6;1 1 ans et 7;8 ans, moyenne à 7;4
ans). Nous avons regroupé ces quatre enfants, trois jours plus tard, pour leur
demander un double travail de réécriture à partir d'un brouillon recopié par nos soins
et présenté comme l'une des productions écrite par un élève de leur classe. Si nous
avons, tout d'abord, respecte l'orthographe du texte d'origine avec les premiers
groupes d'enfants, nous avons été contraints, par la suite, d'orthographier le texte
source pour le soumettre à d'autres groupes d'élèves. Nous reviendrons sur ce

26
Écrire, une activité complexe étayée par la parole

changement dans les conditions de la réécriture car il va nous permettre, entre


autres, de dégager des résultats et des propositions transférables à la didactique de
l'écriture. Lors de cette deuxième phase, nous avons procédé en deux temps. Dans
le premier, les quatre enfants ont effectué séparément une lecture-révision individuelle
sur un exemplaire du texte reproduit par nos soins. Ensurte, ils ont été invités à
confronter les différentes versions des «brouillons» ainsi rectifiés dans une discussion
collective dont les résultats ont été inscrrts(6) sur un exemplaire grand format, de type
affiche. Le travail de l'adulte, outre la notation des propositions de modifications sur
l'affiche, consistait à conduire les débats et susciter les interventions sans pour
autant intervenir sur leur contenu. De plus, il devait relire autant de fois que
nécessaire le texte progressivement amendé. Les échanges ont été enregistrés et
transcrits. Ils correspondent à une durée comprise entre 20 et 30 minutes et
comportent une moyenne de 85 prises de parole pour les enfants (les interventions
et relectures de l'adulte étant comptabilisées séparément). Nous avons ainsi un
double corpus : l'un constitué des versions successives du texte modifié, l'autre
comportant les dialogues conduits lors de la réécrrture collective. Cependant dans
l'état actuel de la recherche, nous n'envisageons pas de donner des résultats
quantifiés. Nous nous contenterons d'indications présentées sous forme de propor¬
tions à valeur essentiellement indicative. En fait, nous allons analyser l'ensemble
des procédés et phénomènes métalangagiers mis en oeuvre par les enfants en les
illustrant, à chaque fois, d'extraits tirés des corpus recueillis. Nous les traiterons à
l'intérieur de trois niveaux d'analyse que nous allons détailler. Ceci nous permettra,
par la surte, de formuler des conclusions susceptibles de prolongements dans la
conduite des activités rédactionnelles en classe.
Nous distinguerons, tout d'abord, parmi toutes les interventions, celles qui
s'inscrivent dans un rapport au texte écrit dans son état de brouillon, de celles qui
privilégient un rapport plus ou moins explicite aux variables externes de la com¬
munication écrite, notamment le rapport au lecteur-destinataire et, corrélativement,
au réfèrent. Nous aurons, ensuite, la possibilité d'étudier et de catégoriser les
différentes modifications du texte. Nous visons par là une description la plus
éclairante possible des procédés de révision qui se trouvent privilégiés à cet âge et
en fonction des compétences respectives de chacun. Nous pourrons également
comparer ces mêmes procédés de reformulation appliqués, d'une part, à la version
non-orthographiée ou «brute» et, d'autre part, à la même version mais cette fois-ci
orthographiée. Enfin, nous étudierons les différentes justifications avancées par les
élèves pour étayer leurs propositions de modification. L'étude de ces explications et
arguments nous aidera à mieux cerner les facteurs métalinguistiques en jeu dans le
travail d'écriture.

2 - LES UNITÉS LINGUISTIQUES TRAITÉES DANS LES RÉÉCRITURES

La plupart des études relatives au travail de composition de textes écrits chez


l'enfant mettent en évidence que plus ceux-ci sont jeunes et/ou inexpérimentés
moins ils parviennent à mobiliser l'ensemble des composantes impliquées par la
tâche (Fayol & Schneuwly, 1988). Plus précisément, en concentrant toute leur
activité d'écriture sur des opérations dites de «bas niveaux» - pour l'essentiel le
codage des mots selon des procédés de transcription phono-graphique souvent
tâtonnants - ils parviennent difficilement à rédiger leur texte en intégrant les variables

27
REPÈRES N° 3/1991 J- DAVID

externes et, notamment, le point de vue du lecteur-destinataire (pour une synthèse,


Gombert, 1990).
Les premiers résultats obtenus jusqu'ici vont dans le même sens. Ainsi, sur un
total provisoire de 245 propositions de révision, 75% d'entre elles n'envisagent que
des problèmes locaux, situés exclusivement sur l'axe paradigmatique et générale¬
ment strictement orthographiques. Dans une recherche sur les processus de
composition écrite, Humes (1 983) observe également que les enfants et les adultes
inexpérimentés se contentent de corriger les aspects les plus superficiels :
arrangements orthographiques, plus grandes précisions lexicales, ... Dans notre
corpus, nous trouvons de nombreux essais de modification qui ont pour but d'offrir
une autre traduction graphique d'un mot :

(Exemple 1 )

J : garson ça s'écrit avec euh un G un A un fl un C avec une cédille un O et un W


A : D'accord comme le dit Julien gar(s)[çton ça s'écrit comme ça avec un C
cédille pas avec un 5 d'accord
L: Ouais je l'avais mis moi aussi L

(Exemple 2)
V: A mè ça s'écrit pas comme ça
A: Alors?
V: Ca s'écrit M-A-l.
A : y a même un S ... M-A-l-S d'accord ?

ou encore de tenter de rectifier un morphème grammatical erroné :

(Exemple 3)
J15 :A tombe il y a un S et c'est quand ils sont plusieurs qu'y a un S
A12 : Alors qu'est-ce qu'il faut mettre ?
J16 :Benfaut l'enlever

(Exemple 4)
N aux ça s'écrit pas comme ça
:
A : Ça s'écrit comment ?
N: A-U
A: "y a pas de X... pourquoi?
N : par/ parce qu' y a qu'un seul ballon

Si dans les deux premiers exemples, les rectifications phono-graphiques font


appel à des connaissances maîtrisées ; en revanche, la correction des marques
grammaticales (exemples 3 et 4) ne semble pas encore répondre à des acquisitions
stabilisées.
Comme nous le constatons, ces révisions ne dépassent guère le cadre du mot.
Et même, lorsqu'il s'agit d'incohérences manifestes, les élèves s'en tiennent à des
modifications locales pour, comme dans l'extrait suivant, insérer un blanc graphique
à l'intérieur d'un syntagme mal segmenté :

28
Écrire, une activité complexe étayée par la parole

(Exemple 5)
A Faut l'enlever ... Ensuite ... Je vous le relis si vous voulez [deux petits gar¬
:
çons] jouent aux ballons est un granfd] garson en vélo arive et un notre
garson tonbefs) et se blese mè se relève toublesé
L : toublesé ça s'écrrt pas comme ça ça s'écrit T-O-U-Tun petit espace B-L-é-S-E
A : Alors y a un petit espace effectivement ça s'écrit en deux mots toutblése

puis, proposer une deuxième correction toute aussi pointue, laissant le problème de
la répétition du verbe (blesse ... blessé) non-réglé :

(Exemple 6)
J : Alors c'est B-L-E accent aigu -deux S-E... avec un T.
A : Plutôt avec un é ... Bon je relis [deux petits garçons] jouent aux balbns est
un granjd] garson en vélo arive et un notre garson tonbe(s) et se blese mè
se relève (toublesé) [tout blessé]
J : blese ... B-L-E- deux S -E
A : Ators là c'est deux S et pas un seul S d'accord

Parfois, le problème soulevé a une dimension textuelle plus large. Cependant,


celle-ci n'est que rarement perçue comme telle et se trouve traitée, comme précé¬
demment, de façon isolée par l'application d'une opération de transcription.

(Exemple 7)
L un notre garson 'y a deux fois garson.
:

A : Oui et alors qu'est-ce qu'i faut faire ?


L: ... G-A-fl'yaun S
A: Ah oui?
L : C avec une cédille -O-N.
A : Ici ... et puis ici aussi d'accord ?

Dans ce cas, comme dans beaucoup d'autres, le problème de la répétition


semble détecté ; mais, trop complexe à régler, l'enfant se contente de proposer un
arrangement orthographique plus simple à effectuer. Sur cet aspect également,
Bartlett (1 982) distingue trois opérations successives qui ne sont pas obligatoirement
réalisées. Les sujets qu'il a étudiés peuvent ainsi détecter un élément inadéquat sans
pour autant l'identifier, ni le modifier (cf. aussi Fayol & Gombert, 1987).
Il arrive également que le problème soulevé soit, en surface, pointé comme une
correction de type morphologique, alors qu'en fart, il s'agit d'une proposition impli¬
quant une ré-organisation du texte à un niveau supérieur :

(Exemple 8)
J : V a il a oublié à arive là
A : Il a oublié quoi ?
J : V a un Ta arive
N : Non 'y a un S
L : y a un fl
A : Oui ça s'écrit avec deux fl ...

29
REPÈRES N" 3/1991 J.DAVID

A travers cet exemple, nous voyons qu'il n'est pas toujours aisé pour l'adulte de
déceler, dans les propositions des enfants, celles qui suggèrent des corrections
formelles des verbes, de celles qui peuvent entraîner une redéfinition des valeurs
temporelles. En l'occurrence, le T, le S et le R rajoutés successivement par les trois
enfants correspondent certainement au «sentiment» diffus qu'il faut employer un
temps du passé (imparfait ou passé composé).
En définitive, le résultat de cetravail n'est qu'en partie satisfaisant. Le trartement
superficiel débouche bien souvent sur une version corrigée, certes plus conforme au
plan orthographique, mais généralement aussi, sinon plus, opaque que le texte
d'origine. Du point de vue didactique, nous avons dû pousser plus loin la réflexion
métalinguistique pour trouver des différences significatives entre le texte ainsi
modifié par les groupes d'enfants et leurs premiers textes écrits individuellement lors
de la phase de sélection.
Face à ces difficultés, nous avons sensiblement modifié les conditions de la
réécriture et demandé à d'autres groupes d'enfants d'effectuer le même travail à
partir du même texte, mais présenté dans une version orthographiée.
Conformément à ce que nous attendions, les échanges et les propositions de
révision se sont, dès lors, concentrés sur des problèmes d'organisation du texte
dépassant la dimension du mot. Les erreurs de transcription étant neutralisées, les
enfants se sont attachés à modifier la distribution des syntagmes :

(Exemple 9)
A (relisant): ...[Ejt un grand garçon arrive [sur son vélo][.] ([Et]) [le vélo renverse]
[un des] garçonjs] [qui jouait au ballon]].] [le garçon qui s'est fait renverser
est] [bien] blessé].]
S: Oui
A : Ça vous va
G : qui s'est fait renverser [par le vélo]
A : Est-ce que c'est la peine de préciser [par le vélo] ?
G : Oui
S : Moi je trouve que c'est pas la peine
A : C'est pas la peine pourquoi ?
S : Parce que c'est déjà écrit [le vélo renverse] le/ le garçon [qui jouait au balbn]

pour, comme dans cet exemple, tenir compte des informations déjà fournies
antérieurement dans le texte.
Un plus grand souci de cohérence se manifeste donc, tant au niveau de la
signification globale du récit, qu'au niveau des relations de cô-réf érence où certaines
ambiguïtés dans la dénomination et la reprise des personnages sont levées :

(Exemple 10)
V : Ah il y a encore quelque chose parce que le vé/le euh celui qui est sur le vélo
il se relève pas tout blessé
A : Alors qu'est-ce que tu veux changer qu'est-ce que tu veux rajouter ou
modifier ? ... Oui Vincent?
V : Ben on pourrait dire euh [et] [le garçon qui s'est fart renverser par le vélo] se
relève tout blessé
A : [et] [le garçon qui s 'est fait renverser par le vélo] se relève tout blessé

30
Écrire, une activité complexe étayée par la parole

V : Ou alors [et] [le garçon ...


A : Vas-y je t'écoute
V : [et] [le garçon qui s'est fart renverser...
A: ...qui s'est fait/
V: /est tout/
A : /renverser...
V: ...est blessé ouais
A : ...est] blessé qu'est-ce que vous en pensez les autres ?

Par delà ces modifications visant une meilleure compréhension des faits et
événements du récrt, les enfants proposent également des transformattons améliorant
la lisibilité du texte, notamment par l'introduction de marques de ponctuation :

(Exemple 11)
G : Aussi [lesenfants]jouentaubaltonaprès\ltaulmét\reunpointe\un Emajuscule
A: Un E majuscule à et
G : Oui un E majuscule après le point

souvent suivie de changements dans l'emploi des connecteurs :

(Exemple 12)
C : On met un point à la fin
A : A la fin de quoi ?
G : Ouais on met un point à la fin
A : Ici ? Bon on relit pour voir si ça va Frédéric ?
F : Dans la dernière phrase on enlève (mais) et on met [et] a la place
A : Alors toi tu veux enlever le (mais) et mettre [et] à la place [et] se relève tout
blessé

Cependant, en proposant une réécriture du texte sous une version orthogra¬


phiée, nous n'obtenons pas ou peu de révisions des marques liées aux relations
temporelles. De fart, les formes verbales, mais aussi les adverbes, locutions et
syntagmes circonstanciels exprimant une quelconque temporalité, ne se trouvent
que rarement modifiés. Les problèmes liés aux différents repérages temporels et à
la délimitation des parties du récit («arrière-plan/premier-plan» ou «cadre/action»)
ne sont pas identifiés explicitement dans les propositions de reformulation avancées.
Sur cet aspect, sans doute, les enfants sont soumis à des facteurs de maturation et/
ou de connaissance des procédés d'écriture intégrant à la fois les variables externes
du réfèrent et celles du contexte. Il faut, en effet, un haut degré de maîtrise des
différents plans du texte pour prendre en compte le point de vue du lecteur-
destinataire et lui fournir les repères temporels indispensables à sa réception.
Il reste que nous pouvons augmenter les possibilités de réflexions linguistiques
et de révisions des textes chez les enfants de cet âge, en neutralisant ce qui, dans
le texte source, leur apparaît comme le plus important ; à savoir les éléments
orthographiques immédiatement identifiables en surface. Mais ce niveau tocal et
plus précisément orthographique, n'est-il pas aussi celui sur lequel les enseignants
concentrent l'essentiel de leurs efforts. Les activités d'écriture, mais aussi de lecture
et de réflexion sur la langue se limitent généralement au trartement de petites unités

31
REPÈRES N° 3/1991 J. DAVID

égales ou internes au mot et à l'analyse de relations ne dépassant pas le cadre de


la proposition ou de la phrase.

3 - QUELS TYPES DE RÉVISION SONT PRIVILÉGIÉS ?

Les études menées sur les variantes de brouillons d'enfants de cet âge
montrent que les modifications visent principalement à supprimer et à substituer,
mais très rarement à ajouter et à déplacer de petites unités très locales (C. Fabre,
1 986). Ces procédés - ainsi que la taille réduite des éléments corrigés - n'entraînent

généralement pas de bouleversement dans la signification globale du texte. En fait,


les jeunes scripteurs ont tendance à composer leur texte en procédant «mot à mot».
Aussi, les suppressions, majoritairement utilisées, témoignent-elles de la même
difficulté à rédiger un texte en suivant un plan bien défini en rapport, notamment, avec
l'audience. Il semble, en effet, qu'il leur soit plus facile d'enlever de l'écrit, ou d'en
changer, que d'en ajouter. Les premiers enregistrements transcrits que nous avons
étudiés montrent, que sur un total de 165 modifications effectivement opérées, les
retraits d'éléments linguistiques ne représentent que 24 % et correspondent au
procédé le moins utilisé ; alors que les remplacements sont majoritairement employés
avec 46 %. Les ajouts constituent, quant à eux, 30 % des corrections retenues. Il
apparaît doncque latâche de réécriture sollicitée et l'origine du texte à arranger (récit
produit par un enfant n'appartenant pas au groupe qui le ré-écrit) conduit les enfants
à privilégier le procédé de substitution au détriment des opérations de suppression
pourtant plus spontanées.
Mais regardons de plus près la nature de ces procédés de révisions. Les
quelques suppressions relevées affectent exclusivement des unités réduites,
généralement égales ou inférieures au mot :

(Exemple 13)
A : Alors vas-y Elodie ... on commence au début du texte ?
E : A ballons il y a pas de S
A : ballon(s) on enlève le S ...

Les ajouts, à l'inverse, visent principalement à compléter une phrase par une
nouvelle proposition :

(Exemple 14)
A (relisant) : ... [Mathieu] ionbes et se blese [mais] se relève [tout blessé]]]
R : [et Olivier] ... [et Olivier s'excuse]
A : Alors toi tu voulais rajouter quelque chose Rémi... Quoi ?
R : [et Olivier s'excuse]
A : Alors on repousse le point là et on met [et Olivier s'excuse]

par un syntagme entier ou par un mot :

(Exemple 15)
A (relisant) : ... pour l'instant on regarde la proposition de Lucile ... Alors et se
relève ...

32
Écrire, une activité complexe étayée par la parole

L: [avec du sang]
A : Ça te va Vincent ?
V [[plein] de sang]
:

A : [et] se relève [tout blessé][[plein] de sang]... Qu'est-ce que vous préférez ?


V: [avec [plein] de sang]

Seul le procédé de substitution s'applique à toutes les unités linguistiques : aux


lettres ou aux groupes de lettres inférieurs au mot :

(Exemple 16)
N : garson il y a deux S
A : Non il y a pas deux S
N : y a un S
il
A
: Non non plus
N et P : un C
A: Un C cédille...

mais aussi aux mots ou aux syntagmes entiers ; ce qui entraîne généralement une
ré-organisation du sens de la phrase et même parfois du texte :

(Exemple 1 7)
M : C'est pas en ... c'est pas un grans gar[çton en vélo
A : Oui et alors
M : un grans gar[ç]on [faisait du] vélo

De ces premières données, nous constatons que les suppressions et les


adjonctions apparaissent en nombre moins important que les substitutions. Les
premières n'affectent que de petites unités et correspondent, en fait, à la rectification
de marques orthographiques : les S ou les X d'un pluriel superflu (exemple 13). Les
secondes s'appliquent exclusivement aux unrtés, mots ou lexemes, comme l'adjectif
[plein] (exemple 15) et même à des propositions ou des syntagmes complets : [et
Olivier s'excuse] ... [avec du sang] (exemples 14 et 15), pour une plus grande
précision informative et une meilleure adéquation au réfèrent.
Les substitutions ou changements constituent le type de révision le plus
fréquent. Elles touchent l'ensemble des unités, qu'elles soient porteuses de sens
comme le verbe [faisait] qui exprime un procès à l'imparfait (exemple 1 7), ou non
comme le ç cédille à la place du S de gar(s)[ç]on (exemple 16).
Bien évidemment, nous ne pouvons établir ces premiers constats qu'à partir
d'un travail de réécrrture effectué sur la version «brute» ou non-orthographiée du
texte source. Lorsque nous étudions les révisions effectuées sur le texte présenté
dans sa version orthographiée, les résultats apparaissent inversés. Sur un total de
115 modifications, les ajouts correspondent à 48 % des corrections réalisées (contre
30 % pour la version originale non-orthographiée), ators que les substitutions ne
représentent plus que 22 % de celles-ci (contre 46 % précédemment). Le procédé
de suppression, quant à lui, reste à peu près stable à 26 % (24 % dans la première
version). Bien sûr, ce dernier ne s'applique plus à des marques orthographiques
limitées, mais, par exemple, à des éléments d'organisation textuelle désormais
apparus facultatifs :

33
REPÈRES N° 3/1991 J. DAVID

(Exemple 18)
P :Mais aussion peut en\everle[E]t[levétorenverse]/[E]tpe vétorenversejon pourrait
enlever celui-là aussi
A : Vous êtes d'accord les autres ? On regarde si on l'enlève [tes enfants]jouent
au ballon].] [E]t un grand garçon arrive [sur son véto][] ([Et]) [le vélo
renverse] [un des] garçonjs] [qui jouait au ballon]].] [le garçon qui s'est fait
renverser est] [bien] blessé].]
P et S : Oui

Ces suppressions sont surtout utilisées pour rectifier des éléments précédem¬
ment ajoutés. C'est le cas, dans cet exemple, du connecteur (]E]t) devenu obsolète
par suite de l'introduction d'une ponctuation forte, en l'occurrence un point.
Nous constatons, en fait, que ces enfants peuvent développer un comportement
plus créatif en multipliant les ajouts lorsqu'ils se trouvent ainsi dégagés des
problèmes orthographiques de surface. Ils se mettent plus volontiers à compléter les
énoncés, permettant ainsi une meilleure interprétation du récit. Dans ce sens, nous
relevons de nombreux ajouts qui tendent à accroître la lisibilité du texte par
l'introduction de segmentations :

(Exemple 19)
A (relisant) : ... Alors [les enfants]jouent au balbn[.][E]t un grand garçon arrive
[sur son vélo] [E]t [le vélo renverse] [un des] garçon[s] [qui jouait au ballon]
[E]t [le garçon qui s 'est fart renverser est] [bien] blesse].]
D : Ouais, ap/ après [sur son véloji aut mettre un point aussi un point
A : Il faut mettre un point d'accord un point ...Là ... alors ? ... Alors ça va ?

mais aussi, à améliorer la cohérence narrative en levant des ambiguïtés co-


référentielles :

(Exemple 20)
A : Alors la proposition de Sophie c'est [les enfants puent] au ballon].] (e)[E]t
un autre garçon arrive [sur son vélo]].] (e)]E]t le garçon tombe et se relève/
S : /[le garçon qui jouait au balton] tombe et se/ et se relève tout blessé
A : Ators [Ejt le garçon et on rajoute [qui jouait au balbn] tombe ...

Alors que le procédé de déplacement est complètement absent dans les cas de
réécriture du texte original non-orthographié, nous trouvons parfois - mais en nombre
limité (5 cas) - des inversions de syntagmes tels que :

(Exemple 21)
C : Moi j'ai pas mis le même truc
A : Alors vas-y Claire tu parles plus fort et tu nous dis ce que tu as fait
C : [Elle regarde un grand garçon sur un/ sur son vélo]
A : Ah oui plutôt que de dire [un vêtojanive elle a écrit et un grand garçon arrive
[sur son vélo] qu'est-ce que vous préférez ?
G : Oui un grand garçon arrive [sur son vélo].

34
Écrire, une activité complexe étayée par la parole

Dans ce cas, il s'agit d'introduire un personnage tiers qui se trouvait effacé dans
la version de départ. En ré-organisant la phrase, cette enfant propose une thématisation
différente (un grand garçon au lieu de vélo, dorénavant placé en position de com¬
plément) qui évite une ambiguïté quant à l'actant du procès (arrive)eX accroît d'autant
la compréhension des événements successifs du récit.

Il résulte de ces différentes données que les enfants de CE1 , utilisent plus
volontiers des procédés de substitution que d'adjonction lorsqu'ils opèrent sur un
texte présenté sous sa forme première non-orthographiée. Inversement, les ajouts
sont plus nombreux et plus conséquents dans le travail sur la version orthographiée.
Notons de plus, que, dans ce cas, les substitutions et suppressions affectent
principalement les insertions effectuées antérieurement. Cette inversion dans les
résultats obtenus s'explique par le fait que, sur la première version, les jeunes
scripteurs limitent leurs interventions créatrices d'écrrts poursecontenterde changer
ou de retrancher de petites unités locales ; alors que, sur la seconde, ils se trouvent
libérés de ces tâches et peuvent envisager des problèmes de niveau plus élevé,
réglés le plus souvent par des ajouts.
En travaillant sur le texte orthographié, ils intègrent plus aisément les contraintes
de la communication écrite ; ce qui se traduit par plus d'ajouts pour une plus grande
clarté des contenus (adéquation du texte au réfèrent), une meilleure lisibilité
(insertion de marques de ponctuation) et une cohérence renforcée (levée des
ambiguïtés co-référentielles).

4 - LES CONDITIONS ET LES MODALITÉS DE LA RÉÉCRITURE

Par delà l'étude linguistique des éléments modifiés et l'analyse catégorielle des
procédés de révisions, il nous semble important de décrire les conditions et les
modalités de ce travail particulier de réécrrture.
Tout d'abord, il nous apparaît indispensable de relever que l'ordre dans lequel
s'effectuent les multiples modifications ne correspond pas toujours à la linéarité du
texte. Il arrive souvent qu'une proposition succède à une autre sans qu'il y ait de
continuité spatiale :

(Exemple 22)
A (lisant le texte pour la première fois) : ... Alors vas-y Hélène ... à toi
H : à ballons il y a pas de S
A : où ça ? ... au début du texte ?
H : Oui là
A : ballon(s) on enlève le S ... voilà
H : A la fin ton:: tou:: blé troublé ... troublé ça veut rien dire !

Dans cet exemple, les rectifications sont produites par la même enfant. Le
phénomène est encore plus fréquent lorsque plusieurs d'entre eux interviennent et,
bien sûr, lorsque le groupe revient sur des modifications apportées antérieurement
(exemple 19).
Sur cet aspect encore, nous notons une différence importante pour chacune
des deux versions proposées. En effet, lorsque le texte a été orthographié

35
REPÈRES N° 3/1991 J- DAVID

préalablement, c'est la chronologie du récit qui prime et sert de fil conducteur au


travail de réécriture :

(Exemple 23)
A (lisant le texte pour la première fois) : (...) ators ... Damien ?
D : Euh au départ ils jouent tau\ mettre pes ontants jouent] parce que sinon sinon
on sait pas ce que ça veut dire
A : Bien vous êtes d'accord aussi les autres ? Vous êtes d'accord ? Ators on
enlève ça et on met pes enfants]jouent au ballon et un grand garçon en vélo
arrive et un autre garçon (...) ... quelqu'un d'autre ? Sonia ?
S : après à un grandgarçon en vélo arrive un grand garçon il faut mettre euh [un vélo
arrive]

Dans ce cas, les enfants tiennent à localiser leurs énoncés (D : ... au départ...
et S : après à ...) en utilisant des repères spatio-temporels.

Il nous faut cependant noter que la relecture, ou plutôt les relectures succes¬
sives, effectuées par l'adulte sur un texte externe au groupe d'enfants, les amènent
à mieux identifier les problèmes rédactionnels. Dans son étude sur les connaissan¬
ces supposées des scripteurs, Bartlett avait déjà observé chez des enfants plus âgés
(1 0 à 13 ans) des capacités à repérer les ambiguïtés co-référentielles dans le texte
d'un autre, mais pas dans le leur. Une distanciation semble donc possible pour les
textes qu'ils n'ont pas composer eux-mêmes. Nous pensons également augmenter
cette mise à distance du texte et son objectivation, non seulement, en choisissant un
brouillon écrit par un autre enfant, mais aussi, en proposant de nombreuses
relectures. Cependant, si dans la plupart des cas ces relectures sont les plus neutres
possibles, il arrive également qu'elles induisent plus ou moins directement des
rectifications :

(Exemple 24)
A : Ators pour savoir quel est le mot qu'il faut mettre il faut relire depuis le début
d'accord ? ... On lit ensemble il jouent aux ballons est un grans garson en
vélo arive et un notre garson tonbes et se blese me se relève toublése
M : garson il y a un C cédille
A : Bon d'accord ... je relis encore une fois il jouent aux ballons est un grans
gar(s)[ç]on en vélo arive et un notre gar(s)[ç)on tonbes et se blese me se
relève toublése
Au -.[troublé]
A : Oui mais toi Aurélie tu as carrément changé le mot tu en as mis un autre tu
as cru qu'il voulait
écrire troublé ... d'accord ?
Au : Il fallait mettre blessé c'est blessé !

Par la relecture complète du texte l'adulte focalise inévitablement l'attention des


enfants sur les derniers termes du texte. C'est donc souvent ceux-là qui se trouvent
spontanément corrigés.
Il reste que ces relectures sont à la fois fréquentes et, le plus souvent, intégrales.
Ainsi, nous observons qu'elles permettent plus sûrement l'identification de problè-

36
Écrire, une activité complexe étayée par la parole

mes de contenu ou d'organisation du texte qui se trouveraient difficilement traitables


si elles étaient limitées à un syntagme, une proposition ou même une phrase.
De fait, en constatant que les scripteurs les plus jeunes et les moins expérimen¬
tés procèdent «mot à mot» dans l'écriture ou la réécrrture de leur propre texte, il nous
apparaît déterminant de relire intégralement celui que nous leur soumettons afin que
les difficultés de «mise en texte» surgissent plus nettement.

Il arrive toutefois que ces problèmes de textualisation ou de planification soient


détectés, ou plutôt «ressentis», sans pour autant être identifiés et résolus par une
modification satisfaisante. Ainsi :

(Exemple 25)
B : Et euh ... après tonbe juste avant tonbe ... et celui-ci tonbe
A: et un autre grand gar[ç]on tonbe... etcelui-citonbedoncon enlève et un autre
grand gaifçpn tonbe et on met ef celui-ci tonbe
B : Oui ... non
A: et un autre grand gar[ç]on et celui-ci tonbe ,

B : Oui ... un garjçjon plutôt


A : Regarde sur les images c'est pas le grand garçon qui tombe (...)

Concernant les révisions appliquées au texte original non-orthographié, nous


constatons que nombre d'entre elles relèvent plus de l'intention que de la réalisation.
Elles ne sont pas toujours suivies d'effet :

(Exemple 26)
A (...) on relit une fois encore [deux petits garçons]jouent aux ballons est un
:
gran[d] garson en vélo ar[r]ive et un notre garson tonbe(s) et se blese [mais]
se relève [tout blessé]
F : deux petits garçons euh ... un notre garson il y a trop de garçons.
A : D'accord ! Qu'est-ce qu'il faut faire alors ? Florence ... hein ?
F : Je sais pas

Si la répétition du même mot (garçon), désignant des actants différents semble


poser un problème, celui-ci n'est cependant pas analysé clairement et, surtout, ne
trouve pas de solution satisfaisante. Réciproquement, certaines révisions sont
énoncées fortuitement. Elles ne résultent pas d'une réflexion intentionnelle (cf.
Gombert). Il arrive souvent comme dans l'échange suivant que le problème à traiter
s'inscrive dans une dimension textuelle plus large. Cependant, celle-ci n'est géné¬
ralement pas perçue comme telle et l'élément erroné se trouve corrigé comme les
autres selon le même procédé de transcription :

(Exemple 27)
A Oui regarde ...je relis ilpuent aux ballon est un grans garfçpn en veto arive
:
et un notre
S : C'est pas est c'est un ... ilpu[ai]ent aux ballon [et]
A : C'est [et] d'accord ouï très bien là on enlève le S c'est e(s)t E-Tcomme ça
... Ators toitu m'as dit ilpu[ai]entauxballontu as changé làc'est écrit ilpuent
aux ballon ... Alors c'est il puent ou joujaijent

37
REPERES N" 3/1991 J. DAVID

G : puent !
S et E : pujaijent !
A : Elodie ? Plutôt il jouent ou il joujaijent aux balton
E, S et P : ilpu[ai]ent !
E: On va mettre pu[ai]ent
S : ilpu[ai]ent
E : Parce qu'ils sont deux

Nous voyons que, dans la proposition initiale de S, le premier élément modifié (ef au
lieu de est) l'est explicitement. Cependant, un deuxième changement est énoncé
(joujaijent à la place déjouent), mais celui-ci reste implicite. Il correspond, en fait, à
une révision fortuite liée à une relecture du texte. Cette transformation n'est pas
intentionnelle, même si l'adulte la reprend par la suite pour tenter de la proposer de
nouveau aux enfants. Le changement de temps grammatical impliqué par cet ajout
de la terminaison [ai] de l'imparfait entraîne une recomposition du texte qui, d'un
simple rapport de faits sans reliefs, devient un récit avec un arrière-plan mieux
délimité. Il reste que, si la nécessité d'une rectification superficielle (pujaijentk la
place de puent) semble évidente, la raison avancée reste strictement orthographique
et sans aucun rapport. Il apparaît donc que les enfants puissent saisir - ou plutôt
«sentir» - un tel problème de repérage temporel lorsque celui-ci reste dans l'implicite
de la relecture. Ils ne parviennent toutefois, ni à l'identifier, ni à le traiter en le situant
au niveau de l'organisation globale du texte. Ils se contentent d'une justification qui,
comme les autres, s'inscrit dans le cadre des arrangements orthographiques locaux.
Concernant ces mêmes justifications et explications, les différences sont
également significatives. Sur la version originale, les corrections effectuées en
surface du texte, lors du travail opéré font principalement appel à des arguments liés
à la référence-image et certainement aux acquisitions grammaticales :

(Exemple 28)
A : (...) Oui ils sont deux garçons
E : Alors s'ils sont deux ... Alors il faut mettre un S à il
A : D'accord un S

Cependant, le recours à ces mêmes images ne suffit pas toujours à étayer les
arguments :

(Exemple 29)
V : A [autre grand] garjçjon je préfère mettre grand monsieur
L : (rires) Ah non c'est nul un grand monsieur I
A : Pourquoi Vincent ?
V : Ben parce que je trouve que c'est un homme
L : C'est bête ! Ca se voit que c'est pas un homme
A : Pourquoi ça fait bête ? Attends mais il suffit pas de dire c'est mieux ou ça fait
bête si on ne dit pas pourquoi
N : Ben ...
A : Pourquoi tu préfères un [autre grand] gar[çpn ... plutôt qu'un grand
monsieur ? ... Et toi Lucile ?

38
Écrire, une activité complexe étayée par la parole

L : Parce que ça veut rien dire


A : un monsieur ?
L : Je trouve que ça fart pas très bien
A : Pourquoi ça fait pas bien ?
L : Parce que c'est pas un monsieur ... ça ferait un peu bête comme histoire
A : Ah bon !
N : Parce que sur l'image c'est pas un monsieur c'est un grand garçon
A : Parce que sur l'image c'est pas un monsieur c'est un grand garçon
J : Ben si c'est un monsieur
L : C'est un adolescent

Dans cet échange conflictuel, l'insistance de l'adulte oblige les enfants à justifier
leurs propositions contradictoires. Cependant, ils continuent de s'opposer sur
l'interprétation du référent-image, sans voir que le remplacement de garçon par
monsieur aurart évité de dénommer d'un terme unique deux personnages distincts,
et, par là-même, permis de résoudre un cas d'ambiguïté probable.
En fait, ce n'est qu'à partir de la version orthographiée que les enfants étayent
leurs révisions d'explications prenant en compte l'audience :

(Exemple 30)
A (lisant le texte pour la première fois): ils jouent au ballon et un grand garçon
arrive et un autre garçon tombe et se blesse mais se relève tout blessé ators
... Régis ?
R : à ils puent \e préfère mettre [deux garçons jouent] parce qu'autrement on peut
pas comprendre.

Dans ce cas, le ON de l'argument renvoie, non seulement au groupe des


enfants relecteurs, mais aussi à n'importe quel lecteur potentiel.
Les ajouts de marques de ponctuation s'effectuent sur le même mode :

(Exemple 31)
A : (...) alors tout à l'heure Gregory disait que lui il préférait mettre un point après
ballon ici ... mais pourquoi ?
G : Benparcequesinonfaudraitfaudraittoujoursparlercommeçasansprendrede
l'air alors ce serait un peu embêtant de parler tout le temps sans prendre de l'air

Là également, la justification est donnée par référence au travail du lecteur-


destinataire ; même s'il s'agit d'une lecture orale correspondant généralement à un
exercice scolaire, il reste que cette explication nous fournit des indications didacti¬
ques intéressantes pour aider les élèves à évaluer leur propres écrits et, éventuel¬
lement, pour élaborer des exercices de segmentation-ponctuation incluant ce
procédé de relecture orale.
Sur des problèmes de cohérence aussi complexes que les dénominations-
reprises des actants d'un récit, nous avons relevé des arguments tout aussi
pertinents. Ainsi dans l'échange suivant :

39
REPÈRES ND 3/1991 J.DAVID

(Exemple 32)
S : [Ejt le garçon [qui jouait au ballon] tombe et se/ et se relève tout blessé
A Pourquoi tu mets ça ? Tu peux nous expliquer pourquoi tu fais cette/ce
:

changement ?
S : Parce que si on dit que un garçon on on croit que c'est un autre garçon

si le deuxième ON (... on croit ...) correspond au point de vue du destinataire, le


premier se place, lui, du côté de l'énonciateur ('... sion dit ...). Une telle clarté dans
l'explication n'est pas exceptionnelle. Elle peut, cependant, être formulée dans
d'autres termes et sur la base de débats souvent animés :

(Exemple 33)
A (relisant) : (...)[et]se relève tout blessé
V : Non parce qu'on l'a déjà dit tout ... se blesse et se blesse mais se relève tout
blessé ça ça se dit pas çà
A : Bien ça la fiche mal ... bien pour toi t'es pas d'accord ... alors Frédéric?
F : [et] se relève tout blessé
A : [et] se relève tout blessé bon on va voir si ça marche les autres ? Elise peut-
être non ?
E : Ouais ça va
V : Non parce que y a déjà blesse deux fois faut mettre/ en plus ce serait le vélo qui
se blesse parce que euh [le vélo renverse][un des]garçon[s]]quipuart au ballon]
et se blesse ça veut dire que c'est lui le vélo qui se blesse

Cependant, le point de vue adopté est parfois plus hésitant et passe d'un pôle
énonciatif à l'autre :

(Exemple 34)
B : Aussi de dire mais il se relève tout blessé on pourrait dire il pourrait dire/ au lieu
de dire mais se relève tout blessé on on pourrait dire mais [le garçon] se relève
tout blessé non pas pas toutblesséon drt mais le garçon se re/èveparce que touf
blessé on l'a déjà dit

Dans le même énoncé, cet enfant se place tour à tour du côté de l'énonciateur,
d'abord indéfini (... on pourrait dire ...) pour, ensuite, le dénommer implicitement (...
il pourrait dire ...), puis l'effacer complètement (... au lieu de dire ...) et, enfin, le re¬
trouver sur le mode indéterminé (... on pourrait dire ... on dit ...)

En résumé, les conditions et les modalités de ce travail de réécriture jouent un


rôle déterminant pour amener les jeunes scripteurs à proposer des révisions
satisfaisantes. Nous constatons des différences sensibles selon que l'on soumet aux
enfants le texte source dans une version originale non-orthographiée ou dans une
version préalablement orthographiée. Dans le premier cas, les rectifications très
locales sont effectuées de manière aléatoire à différents emplacements du texte
(exemple 22). Ces arrangements n'aboutissent pas toujours. Nous relevons, en
effet, de nombreuses intentions de corrections non suivies de résultats (exemple 25),
ou bien, à l'inverse, des révisions énoncées implicitement dans le cours de la

40
Écrire, une activité complexe étayée par la parole

relecture, sans réelle prise de conscience linguistique (exemple 27). Lorsque des
justifications sont fournies, celles-ci sont généralement conformes aux attentes
scolaires (exemple 28) et/ou arbitraires (exemple 29).
Dans le second cas, une distanciation est possible. Les enfants suivent plus
votontiers la linéarité du texte (en l'occurrence, la chronologie des événements) pour
trarter des problèmes de contenus par rapport au réfèrent, mais aussi par rapport au
texte lui-même (exemple 23). Les modifications apportées le sont de manière
réellement intentionnelle. Elles tiennent compte des points de vue réciproques du
lecteur-destinataire (exemples 30 et 31) et de l'énonciateur (exemples 32 et 33).

5 PERSPECTIVES POUR LA DIDACTIQUE DE L'ÉCRITURE

A travers cet article, nous avions pour projet de décrire les caractéristiques d'un
travail de réécrrture particulier, mené parde jeunes scripteurs, en montrant l'importance
des échanges oraux - entre pairs et avec un adulte - dans la construction de
compétences d'écriture étendues. Nous avons limité la présente étude à l'analyse
des unités linguistiques modifiées, puis à la caractérisation des procédés de
correction utilisés et, enfin, aux conditions et modalités impliquées par le travail de
révision. Le travail mené sur le double corpus (les variantes successives des textes
écrits et les dialogues enregistrés tors des séances collectives de réécrrture) nous a
permis de dégager des résultats (encore provisoires) et de confirmer des constantes
déjà observées par d'autres auteurs dans le domaine.
Au delà de ces premières conclusions, nous pouvons aussi proposer des
prolongements pour une didactique de l'écriture à l'école.

a) Les enfants de cet âge se contentent, bien souvent, de modifier leur texte
dans ses aspects les plus superficiels : arrangements orthographiques, substitutions
lexicales. Aussi convient-il d'alléger ce travail de «mise en mots» en focalisant leur
attention sur des problèmes de composition plus élevés. Pource faire, la présentation
d'un texte orthographié - où les erreurs de transcription de trouvent neutralisées -
nous apparaît déterminante pour les amener à envisager des modifications en
rapport, notamment, avec le niveau des relations interproposittonnelles support de
la macrostructure (7) du texte.

b) L'analyse explicite des erreurs ou des incohérences n'est pas toujours


réalisable immédiatement. Nous avons vu que lorsque les enfants faisaient appel à
des connaissances sur la langue, celles-ci appartenaient pour l'essentiel aux
domaines orthographique et grammatical et se limitaient généralement aux relations
internes à la phrase. Nous pouvons, dès lors, penser un travail métalinguistique qui
serait mené sur des catégories linguistiques élargies aux relations
interproposittonnelles et portant, par exemples, sur les chaînes de relations
anaphoriques (cf. Charolles (8), 1986 et 1988), sur les valeurs d'emploi des temps
verbaux et leur combinaison avec les circonstanciels adverbiaux ou syntagmatiques
(cf. David, 1 990), la répartition et la progression des informations (cf. Combettes(8),
1986, 1988), ou encore, la distribution des marques de ponctuation et/ou de
connexion dans un texte. A notre avis, un tel travail n'est pas impossible avec des
enfants de cet âge. Il aurait l'avantage de rendre explicite des intentions de
modification qui relèvent trop souvent de l'intuition et restent généralement sans
prolongement.

41
REPÈRES N° 3/1991 J. DAVID

c) L'importance, à lafois quantitative et qualitative, des procédés de substitution


(et inversement le moindre recours aux atouts et retraits) nous conduit à penser qu'un
apprentissage des techniques de révision est nécessaire.
Certes, les nouveaux moyens technologiques liés à l'informatique et aux
traitements de texte peuvent, à la fois alléger ce travail et l'optimiser. Cependant,
dans l'attente d'une généralisation de ces moyens, une manipulation sur papier reste
nécessaire - et le restera sans doute -. Il nous apparaît primordial que les enfants
sachent revenir sur leurtexte en utilisant l'ensemble des procédés à leur disposition :
les retraits et leschangements, mais aussi, les ajouts et les inversions, plus rarement
pratiquées. Tout d'abord, ils doivent, pour la plupart, se défaire de l'idée qu'un texte
est achevé dès le premier jet. Aussi, devons-nous les aider à accepter de les
retoucher, voire d'en proposer des variantes successives. Ensurte, il faut qu'ils
modifient leurs écrits plus pour en ajouter que pour en enlever ; car les unités
retranchées ou substituées restent superficielles et limitées à la microstructure du
texte, alors que les compléments portent plus votontiers sur sa macrostructure. De
fait, nous avons tout intérêt à promouvoir les procédés d'ajout pour amener ces
jeunes scripteurs à retoucher l'organisation d'ensemble du texte, généralement
associée à la prise en compte du destinataire.

d) La distanciation du texte à modifier est une condition indispensable au travail


de réécriture. Aussi, avons-nous choisi d'effectuer celui-ci sur le texte d'un autre
enfant, puis de proposer plusieurs relectures de celui-ci avant toute intervention et,
surtout, au fur et à mesure de l'avancée des modifications. Ces relectures succes¬
sives assurent une réelle objectivation du texte et permettent l'exercice d'une
réflexion métalinguistique plus efficace. De fait, de telles techniques de lecture-
révision peuvent être transférables, soit dans des discussions impliquant de petits
groupe d'élèves (sinon le groupe-classe dans sa totalité), soit dans des échanges
inter-individuels des textes à traiter (cf. Garcia-Debanc, 1 990, chap. 4).

Ces indications et propositions doivent permettre aux élèves les plus jeunes et
les moins expérimentés d'acquérir des habiletés d'écriture précises dont on mesure
mal encore les effets en retour sur le dévetoppement des compétences langagières
orales. Mais ceci relève d'un autre programme de recherches.

NOTES

(1 ) Ce terme ne convient qu'imparfaitement car il renvoie, dans certains cas, au seul travail de
«mise en mots» du sujet écrivant (recherche de graphies, codage orthographique, voire
même calligraphie), sans toujours prendre en compte la dimension rédactionnelle inhé¬
rente à toute «mise en texte».
(2) Même si nous pouvons discuter ce terme «monologue» qui, en l'occurrence, peut être
conçu comme une variante particulière d'une situation fondamentalement dialogique.
(3) Nous ne citerons que les ouvrages les plus conséquents et, généralement, les plus
importants.
(4) Cf. également, dans ce même numéro, les contributions de B. Schneuwly et de R. Bouchard.

42
Écrire, une activité complexe étayée par la parole

(5) Il nous faut remercier ici les enseignants de ces classes pour la qualité de leur accueil et
l'intérêt qu'ils ont porté aux différents aspects de cette recherche.
(6) Dans les extraits donnés ci-après, les éléments de texte lus, relus ou modifiés sont portés
en italiques ; les ajouts sont notés entre crochets, les suppressions entre parenthèses.
(7) Nous reprenons ici l'opposition énoncée par Fayol et Schneuwly (ibid.) qui distinguent les
opérations affectant la macro-sctructure, de celles qui touchent la micro-structure du texte.
(8) Ces deux auteurs proposent des pistes de travail et des exercices à mener avec des élèves
plus âgés, relevant des cycles des collèges et des lycées. Cependant, la plupart d'entre-
eux peuvent être adaptés à l'âge des enfants de notre étude.

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REPÈRES N° 3/1991 J. DAVID

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44
DIFFERENCES ENTRE LES PROCESSUS
DE PRODUCTION DE TROIS GENRES:
DU DIALOGUE ENTRE ÉNONCIATEURS
AU TEXTE ÉCRIT
Bernard SCHNEUWLY, Université de Genève

"Pour parier nous nous servons toujours des genres du discours, autrement drt,
tous nos énoncés disposent d'une forme type et relativement stable, de structuration
d'un tout. Nous possédons un riche répertoire des genres de discours oraux (et
écrits). Dans la pratique, nous en usons avec assurance et adresse, mais nous
pouvons en ignorertotalement l'existence théorique. Comme Jourdain chez Molière,
qui parlait en prose sans le soupçonner, nous partons (et écrivons, B.S.) en genres
- variés - sans en soupçonner l'existence...» (Bakhtine 1984, p. 284)

De toute évidence, la portée psychologique de cette position théorique n'est pas


encore explorée à fond, tant s'en faut. Le présent texte se veut une contribution à
l'édifice théorique qui oeuvre dans ce sens. La voie d'accès choisie pour aborder le
problème est encore peu utilisée: il s'agit d'observer des dialogues d'élèves produits
pendant qu'ils écrivent un texte à deux, donc d'analyser une articulation particulière
entre oral et écrit. Dans la présente phase exploratoire de la recherche, notre objectif
est double : élaborer une méthodologie pour décrire de tels dialogues et vérifier, à
travers leur analyse, l'hypothèse que le processus de production de textes écrits
varie en fonction des genres.

GENRES ET PRODUCTION DE TEXTES ÉCRITS: DEUX CONCEPTIONS

Les types de textes et les genres attirent depuis un certain temps déjà l'attention
des psychologues du langage (voir Bronckart étal, 1 985 ; Pellegrini, GakJa et Rubin,
1 984 ; Fayol, à paraître), mais sans qu'une théorie explicite n'ait encore pu être

formulée quant à leur incidence concrète sur le fonctionnement langagier, et plus


particulièrement sur le processus de production de textes écrits. Schématiquement,
on peut distinguer deux positions théoriques.

Dans l'une, les chercheurs postulent un fonctionnement langagier unique dans


lequel le genre n'intervient que comme une variable parmi d'autres sans l'affecter
fondamentalement. Pour la production de textes écrits, le modèle de Bereiter et
Scadamalia (1987) est sans doute le plus connu et le plus typique. Le processus
d'écriture y est conçu comme résolution de problèmes, du moins au niveau d'auteurs
experts. Ecrire serait, sur la base de connaissances discursives et de contenus, un
processus de définition de buts et de sous-buts de plus en plus spécifiques, menant,
en fin de compte, à un texte. Ce processus est unaire, toujours le même, sans
différenciation en fonction de types de problèmes ou de situations à résoudre ; seuls
changeraient, évidemment, les buts qu'on se pose et les références discursives et
de contenu choisies.

45
REPÈRES N° 3/1 991 B. SCHNEUWLY

L'autre approche postule des systèmes relativement stabilisés et cohérents de


production pour les différents types de textes ou genres («conduites» chez Espéret,
1 989 ; «types d'activités ou d'actions langagières» chez Schneuwly, 1 988). Selon

cette conception, il y aurait une relation étroite entre d'une part des types de
contextes, reconnus comme tels et relativement stéréotypés, et d'autre part des
types de textes ou genres, caractérisés par des structures textuelles particulières et
des configurations d'unités linguistiques déterminées. Cette relation serait assurée
par le fait que les différentes opérations de production langagière sont intégrées en
systèmes mis en place ontogénétiquement par un processus de différenciation
croissante. Dans l'état actuel de notre modèle (voir par exemple Schneuwly 1988)
nous distinguons schématiquement et de manière simplifiée les niveaux et types
d'opérations suivants :
- Le premier niveau englobe les opérations liées à la création d'une base
d'orientation de l'action langagière. Nous pensons ici essentiellement à des
questions que pourraient se poser les auteurs telles que : En tant que qui
parlons nous ? Qui est le destinataire ? Qu'est-ce qu'il sait, comprend ? Quel est
le but que nous voulons atteindre avec le texte ? Quels sont les modèles
langagiers qui sont normalement utilisés dans le type de situation dans laquelle
nous nous trouvons ?
- Le deuxième niveau est celui de la gestion discursive, à savoir la recherche
et l'élaboration des contenus pour le texte d'une part, la structuration com¬
municative du texte en fonction de modèles textuels de référence et son an¬
crage dans la situation matérielle de production d'autre part.
-La linéarisation finalement comprend également plusieurs types d'opérations :
nommer les objets, personnes et actions (lexicalisation) et les farts ou évé¬
nements (syntagmatisation) et enchaîner ces éléments de sorte que le texte
sort compris : problème de cohésion (reprise anaphorique, surte des temps du
verbe), de connexion et segmentation (organisateurs textuels et ponctuation)
et de modalisation (unités spécifiant le rapport de l'énonciateur à ce qui est dit).

Du point de vue de l'incidence des genres, il paraît vraisemblable que par


exemple le statut et l'importance du destinataire, élément de la base d'orientation, ne
sont pas les mêmes dans la rédaction d'un fart divers et d'une explication ; au niveau
de la gestion discursive, le mode de recherche de contenus en est affecté de même
que l'élaboration du plan de texte ; ceci a des répercussions au niveau de la
linéarisation dans les opérations de lexicalisation aussi bien que dans celles de
textualisation. Les formes que prennent les opérations dans les différents types
d'actions langagières constituent des systèmes relativement stables, les acquis de
production langagière dans un genre n'étant pas transposables sans autre de l'un à
l'autre. Ou, comme le dit Bakhtine: "Nombreux sont ceux qui, maîtrisant
magnifiquement la langue, se sentent vite démunis dans certaines sphères de
l'échange du fait que précisément, ils ne maîtrisent pas, dans la pratique, les formes
du genre d'une sphère donnée.» (1 984, p. 286)

46
Différences entre les processus de production de trois genres

TYPES D'ACTIONS LANGAGIERES : UNE NOUVELLE APPROCHE


DU PROBLÈME

La conception que nous venons de présenter est basée sur l'observation,


difficilement explicable par un modèle unaire de production langagière conçue
commerésolutiondeproblème.queledévetoppementontogénétique et interindividuel
est inégal selon les différents types d'actions langagières. Les méthodes utilisées
jusqu'à présent pour mettre en évidence ces inégalités consistent à varier les
contextes de production, en proposant aux énonciateurs des situations qui norma¬
lement résultent en un genre ou type de texte donné, et à observer les textes produits
par des sujets de différents âges (de Week, 1989 ; Dolz, 1990 ; Schneuwly, Dolz et
Rosat, 1 989). Ces études descriptives et corrélationnelles ont abouti à un corps
d'hypothèses expliquant le rapport entre paramètres du contexte et caractéristiques
du texte et notamment au concept de types d'actions langagières tel que dévetoppé
ci-dessus. Pour préciser les résultats de ces travaux, il est nécessaire d'observer
plus en détail le processus de production «on line» , comme disent les anglo-saxons,
c'est-à-dire dans son déroulement même.

Deux méthodes principales ont été utilisées jusqu'à présent en psychologie du


langage écrit pour observer le processus de production on Une (Fayol et Schneuwly,
1 988). L'une consiste à observer et à analyser les pauses et les débits de la
production d'un texte (pour le problème des types de textes voir par exemple Foulin,
Fayol et Chanquoy, 1 990) ; l'autre, à demander à l'auteur d'un texte de commenter
à haute voix ce qu'il est en train de faire. Cette deuxième méthode n'a pas encore été
utilisée pour aborder comparativement différents types de textes. Elle a deux
désavantages majeurs : a) elle est très difficilement réalisable avec des élèves ;
b) elle dédouble le processus de production langagière par un autre qui n'a aucune
fonction communicative et qui de ce fait est purement artificiel, reflétant autant ce que
le sujet pense devoir ou pouvoir dire à propos de ce qu'il fait que ce qu'il fait
réellement.

Observer des dialogues de producteurs de textes écrits ne souffre pas de ces


deux désavantages. C'est pourquoi il nous a paru constituer une méthode intéres¬
sante parmi d'autres pour mieux comprendre le fonctionnement langagier et
notamment pour comparer ce que font les sujets (ou en tout cas une partie de ce
qu'ils font) quand ils produisent un texte d'un certain type. A quoi accordent-t-ils de
l'attention ? Comment procèdent-t-ils pour élaborer les contenus ? les formulations ?
pour trouver les mots ? Comment intervient la représentation du destinataire ? Quel
est le rôle des modèles langagiers de référence ? Et aussi : que savent les auteurs
du texte et de son fonctionnement et comment ce savoir influe-t-il sur la production
d'un texte? Notre intérêt ici porte donc essentiellement sur le processus de prod uct ton
tel qu'il apparaît dans les dialogues des élèves producteurs de texte. Le dialogue est
analysé comme révélateur des différences entre les processus en oeuvre dans la
production de différents genres (pour une analyse de dialogues semblables, mais du
point de vue de la dynamique interactionnelle, voir Pouder, Temporal et Zwobada-
Rosel, 1990).

47
REPÈRES N° 3/1991 B. SCHNEUWLY

TROIS GENRES PRODUITS À DEUX

Le matériel que nous allons présenter a été recueilli en suivant une procédure
identique pour chaque genre : le chercheur présente à deux sujets une situation de
production de texte ; il élabore avec eux l'essentiel du contenu (les sujets sont donc
censés maîtriser le contenu et collaborer à la mise en texte du contenu en fonction
des paramètres de la situation présentée) ; il enclenche l'enregistreur et les laisse
produire le texte sans intervention aucune en se mettant loin à l'écart des sujets ou
en sortant de la salle où se déroule l'expérience.

Ce sont pour des raisons à la fois pratique et théorique que nous avons opté
pour la séparation des phases d'élaboration du contenu et de la mise en texte :
pratique, parce qu'elle limite l'ampleur des problèmes à trarter dans l'analyse ;
théorique, parce que nous étions moins intéressé à observer comment des auteurs
élaborent un nouveau contenu que de savoir comment un contenu déjà élaboré et
connu est transformé par l'activité d'écriture.

Dans le présent article, nous allons présenter les tendances observées lors la
production en dyade de trois genres (1) :
a) Fait divers
Les sujets reçoivent une bande dessinée sans parole relatant un fait divers (prise en
otage d'un automobiliste par un autostoppeur ; émission de signaux SOS avec les
feux arrière ; libération par la police) et, à titre d'illustration du genre attendu, un fait
divers récent tiré d'un quotidien tocal. L'expérimentateur leur présente ensuite la
consigne suivante : «La bande dessinée ci-jointe relate un événementqui s'est passé
le ... (jour précédant l'écriture du texte) 1990 à San Franciso. Vous êtes journalistes
à la Tribune de Genève et vous devez écrire un fait divers (un article racontant un
événement particulier) à partir de cet événement. Voici un exemple de fait divers de
la Tribune. Ecrivez un texte du même type.» L'expérimentateur discute la bande
dessinée avec les élèves afin de s'assurer que celle-ci est bien comprise. Puis il
rappelle la consigne et fart observer brièvement le fart divers apporté comme
illustration.
b) Lettre de lecteur
Les deux sujets reçoivent une lettre de lecteur qui affirme, en s'appuyant sur
quelques arguments, qu'il ne faut pas donner d'argent de poche aux élèves. L'auteur
de cette lettre demande aux lecteurs de réagir à sa proposition. Après lecture de la
lettre, l'expérimentateur et les élèves mettent en évidence les arguments utilisés et
élaborent des contre-arguments. Puis la dernière phrase de la lettre qui demande
une réponse est relue : il s'agit de la consigne pour le texte à rédiger.
c) Explication de règles de jeu
Après avoir appris à jouer au dara (jeu ressemblant au morpion avec un damier de
5x6 cases et 6 jetons par personne) et avoir joué 3 parties, les sujets reçoivent la
consigne suivante : «Vous avez appris à jouer au dara. Ecrivez un texte pour
expliquer à des personnes qui ne connaissent pas le jeu, comment y jouer. Pensez
à un texte comme on en trouve sur les boîtes de jeu ou dans des livres.»

Les textes ont été produits par 28 dyades d'élèves de 9-10 et 12-13 ans (pour
la répartition précise, voir tableau 1 ). La longueur des dialogues est très inégale et

48
Différences entre les processus de production de trois genres

varie en fonction des textes et pour chaque type de textes en fonction des dyades
(voir les moyennes des tours de paroles par dialogues et les écarts types dans
tableau 1 ). On notera surtout qu'il y a deux fois plus de tours de parole dans les faits
divers que dans les deux autres genres.
Tableau 1

faits divers lettres de lecteurs régies de Jeu


tours de paroles tours de paroles tours de paroles
N total moy. écart N total moy. écart N total moy. écart
9-10 ans 4 806 201.5 139.4 4 462 115.5 67.2 4 195 48.8 20.9
12-13 ans 5 995 199.0 147.6 5 479 95.8 73.1 6 743 123.8 53.6
Total ~9" 1ÔÔ1 20Ô.1 134.8 9 941 1Ô4.6 6é.9 TO" 938 93.8 57.Ô

A ces textes s'ajoute une lettre de lecteur écrite par deux élèves d'une école
supérieure de commerce de 1 7 ans (560 tours de parole), ce qui amène le total des
tours de paroles analysés à 4 240.

COMMENT ANALYSER LES DIALOGUES: UNE MÉTHODE

L'étude que nous présentons ici, nous l'avons dit, est exploratoire. Très peu de
travaux de recherche recourent à la même méthode et il n'y a donc pas encore de
mode d'analyse éprouvé de données ainsi recueillies. La plus poussée est celle de
Antos (1982) qui propose une catégorisation des problèmes de formulation qui
peuvent apparaître lors de l'élaboration collective d'un texte de toi par des experts
adultes : organisation du texte (genre, structure, proportions) ; adéquation factuelle
(clarification des farts, preuves, etc.) ;compréhensibilité (clarté, brièveté, exactitude) ;
problèmes liés au destinataire (sa motivation, ses attentes, son savoir; expériences
communes entre énonciateur et destinataire) ; problèmes interactionnels (rapport
entre personnes en communication pour élaborer le texte) ; image de soi (effet en
retour sur vision de l'autre) ; problèmes esthétique et stylistique. Etant donné qu'elle
a été développée pour analyserdes interactions entre experts pour un type particulier
de texte, cette grille d'analyse catégorise trop en détail des processus de haut niveau
et ne porte pas assez d'attention à d'autres de plus bas niveau.

Pour la description de «ce que font» les auteurs durant la production d'un texte
écrit à deux, nous avons donc développé un autre outil d'analyse. Le problème qui
se posait à nous était en fait double : a) Quelles observables retenir comme
particulièrement significatives pour mettre en évidence les processus de production
dans les dialogues ? b) Quelles opérations distinguer pour caractériser ces proces¬
sus?

Nous avons retenu comme observables des parties de dialogue qui instaurent
par rapport au texte écrit un rapport qui va du linguistique (ce qui est dit correspond
à ce qui est écrit ou à écrire) en passant par l'épilinguistique («activité métalinguistique
non consciente», Culioli cité par Gombert 1990, p. 22) jusqu'au métalinguistique et
à Pextralinguistique. Les catégories suivantes ont été définies :
- Dans les dialogues, le texte écrit apparaît en général d'abord sous forme orale
(dictée ou simple énoncé de ce qui est à écrire). Cette formulation orale peut être

49
REPÈRES N° 3/1991 B. SCHNEUWLY

proposée par l'un des deux partenaires ou être construite conjointement par les
deux, chacun assumant un bout de l'énoncé en construction.
A : autostoppeur
B : lui fait signe
A : de s'arrêter

Nous ne nous intéresserons dans le présent article qu'à cette deuxième forme,
la construction conjointe.
- Une première formulation orale (ou éventuellement écrite) d'un énoncé ou d'un
bout d'énoncé peut être modifiée, par la personne qui l'a proposée ou par l'autre.
Nous observons in vivo un processus de correction, avant même l'écriture du
texte. Cette variation peut porter sur l'axe paradigmatique (variation
paradigmatique) aussi bien que sur l'axe syntagmatique (variation
syntagmatique)ou combiner lesdeux. Elle peut affecter le niveau du morphème
aussi bien que le niveau de la phrase complexe. La variation nous semble être
proche de ce que certains auteurs francophones appellent «activité
épilinguistique». Voici un exemple :

H : celui-ci étant dans la voiture braque une arme sur le chauffeur


Y: sur le menton du chauffeur

- Souvent les auteurs émettent un jugement ou une évaluation intuitive quant


à un terme, une formulation, un texte, sans justifier leur jugement. Il s'agit d'une
appréciation affective globale qui s'exprime dans des expressions telles
que -.«c'est bon», «ça va pas bien». Cette conduite nous semble se situer à la
frontière entre l'épi- et le métalinguistique.
- La verbalisation explicite des problèmes rencontrés et des solutions envisa¬
gées constitue une part importante des dialogues. Nous nous trouvons dans le
domaine de l'activité métalinguistique qui est caractérisée, du point de vue du
contenu, par le fait qu'on parle de ce qu'on doit dire, devrait dire, aurait dû dire
(ou écrire) ou encore peut, pourrait ou aurait pu dire (écrire) (la dimension de
modalisation exprimée entre autre par «devoir, pouvoir, falloir» semble fonda¬
mentale dans cette activité), et du point de vue de laforme, par le fait qu'on utilise
des termes métalinguistiques qui désignent, sous une forme ou une autre, des
aspects de l'activité linguistique en cours ou à réaliser (il faut dire...., l'intro¬
duction, laconclusion, ils necomprendront rien àcettephrase, je suis bloqué,....).
La verbalisation peut sort être anticipatrice, à savoir concerner des bouts de
texte ou le texte à produire, soit rétrospective ou évaluatrice, c'est-à-dire avoir
pour objet un bout de texte déjà formulé, oralement ou par écrit.
- A certains moments, le dialogue peut s'autonomiser par rapport à l'activité
langagière en cours (production du texte écrit) et porter sur les contenus sans
référence directe au texte à produire, ou, pour le dire plus précisément, sans
souci de mise en texte, le but de la production du texte restant bien entendu
toujours présent et déterminant le sens global de cette autonomisatton toute
relative.

50
Différences entre les processus de production de trois genres

B attends parce que regarde [montre une situation sur le damier] tu n'a pas le drort
:
d'en placer plus de deux comme ça ...
En ce qui concerne les opérations de production de textes, nous prendrons
comme référence celles présentées plus haut et dont certaines sont proches des
catégories de Antos:
- création d'une base d'orientation (destinataire, énonciateur, but, modèles
langagiers) ;
- gestion discursive (élaboration des contenus, structuration communicative) ;
- linéarisation (lexicalisation et syntagmatisation; textualisation avec con¬
nexion, cohésion et modalisation).

Les catégories d'observables ne sont bien entendu pas indépendantes de


celles des opérations. Les deux premiers niveaux de ces dernières feront essentiel¬
lement l'objet d'activités métalinguistiques ; le troisième niveau, lui, apparaîtra
surtout dans les activités linguistiques et épilinguistiques. Mais a priori, aucune
combinaison n'est exclue.

Dans la présente phase exploratoire du travail, il nous a paru prématuré de


procéder à une quantification des résultats. Nous avons néanmoins classé l'ensem¬
ble des phases des dialogues en fonction des observables que nous venons de
présenter et les avons interprétées sur la base des catégories d'opérations. Nous
avons ainsi obtenu une image assez fidèle des principales tendances en oeuvre dans
les dialogues des trois genres analysés.

RÉSULTATS ET DISCUSSION

Pour la présentation des données, nous procéderons genre par genre et


aborderons les différents niveaux du processus de production en suivant l'ordre :
base d'orientation, gestion discursive et linéarisation, avec les différents types
d'opérations qui les composent. Mais auparavant mentionnons deux phénomènes
observés dans l'ensemble des dialogues, indépendamment du genre:

a) Le souci d'une bonne orthographe est constant chez les élèves : peu soutenu
chez ceux de 12 ans et plus, il est très marqué chez les plus jeunes. Il résulte en
général en activités métalinguistiques, mais peut aussi s'exprimer par une évaluation
intuitive.

b) Le but général de l'activité n'est jamais discuté, ni le statut de l'énonciateur


(sauf une ou deux remarques marginales sans effet), ni le choix d'un modèle textuel
par rapport à d'autres possibles ou du point de vue de sa pertinence par rapport au
contexte.

Tout se passe comme si la consigne évoquait une représentation suffisamment


précise du contexte pour démarrer la production ou comme si la consigne n'était pas
un objet discutable. Il s'agit là peut-être du reflet de lasituatton scolaire où la consigne
qui propose de «faire comme si» ne peut être qu'acceptée ou refusée telle quelle,
mais rarement transformée ou précisée (sauf bien entendu s'il s'agit de projets
élaborés en classe par la classe). Mais il se peut aussi que ce niveau de la

51
REPÈRES N° 3/1991 B. SCHNEUWLY

représentation du contexte - de la création d'une base d'orientation - sort difficilement


accessible à la verbalisation au cours de l'activité langagière pour des élèves de l'âge
observé. Elle est en quelque sorte son préalable ; la transformer signifierait transfor¬
mer l'activité même.

a) Fait divers

- Création d'une base d'orientation

Dans les dialogues à propos des faits divers, toute préoccupation concernant
le destinataire est absente. Dans un seul texte il en est fait mention, quand il s'agit
de choisir une forme de dénomination pour l'actant principal : «M Shannon, ils sa¬
vent pas tous qui c'est».

Dans aucun des dialogues, il n'y a anticipation générale du contenu ni structuration


communicative générale du texte, à l'exception du bref passage suivant :

E à la fin pour comprendre on dit que son compagnon avait téléphoné puis que ...
:
qu'il avait vu ...
V: mais à la f7n(FD1)(2)

Au niveau de la structuration communicative plus locale, le genre «fait divers»


est évoqué dans plusieurs verbalisations explicites pour justifier des décisions et
propositions concernant l'usage ou non du discours direct, de la forme du titre, de
l'utilisation de certaines expressions comme le nom propre ou soudain ou le choix
du temps des verbes. Plus généralement, deux élèves mentionnent qu'il ne faut pas
mettre trop de détails dans le fait divers et deux autres se posent à plusieurs reprises
la question de savoir s'il est possible, dans ce genre, d'inventer des faits dont ils ne
disposent pas (nom d'une rue ; une marque de voiture).

- Gestion discursive

Le contenu, lui, n'est guère anticipé, même au niveau local. Dans quelques
dialogues (4 sur 1 0), des élèves discutent néanmoins de ce qu'on pourrait appeler
la logique narrative. Prenons deux exemples :

[l'automobiliste, menacé parl'autostoppeurqu'ilaprisdans sa voiture, faitdes signes


de détresse]
E : il a roulé pendant trois heures et il... a fait des signaux avec ses freins
.... après heu
V : attends, c'est cette partie
E : son compagnon
V : son copain ? parce qu'ici il fart des signes particuliers.
E : eh bien justement, il doit les comprendre, lui.. .. Il doft avoir quelque chose avec
/u/(FD1)

52
Différences entre les processus de production de trois genres

G : 1'autostoppeur rentra dans la voiture


M : ef sortit de son sac un fusil
G : oui mais avant il y a
M : oui bien là il
G : il dit j'aurais pas dû le prendre
M : ouais..non mais il faut dire parce que... pourquoi .. non ... Il faut dire que il sort
... qu'il sort son fusil de son sac sinon il dirait pas sinon George Shannon dirait
pas. ..qu'il faudrait pas le prendre. ..parce que là Il ne sait pas ce qu'il a dans
son sac (FD10)

Dans de tels passages, les élèves verbalisent explicitement qu'ilfaut mentionner


telle action pourque telle autrepuisse avoir lieu, ouquetelactant doit avoirou ne peut
avoir telle caractéristique pour que tel événement puisse se produire. Il s'agrt
d'opérations de la gestion discursive que nous appellerons «microplanification».

De nombreuses variations syntagmatiques et pragmatiques concernent éga¬


lement la microplan'rftoation. Les élèves proposent des modifications de l'énoncé
pour trouver un enchaînement d'actions satisfaisant. Il s'agit presque toujours
d'actions dont on veut décrire la suite avec plus de détails ou dont l'ordre n'est pas
satisfaisant dans une première version.

B : le policier fart exprès de dire qu'il pouvait partir


D : non le policier fit semblant de ne rien avoir entendu et dit qu'il pouvait partir
B : dene pas entendre ce que disait le conducteur et laissa partir l'inconnu (FD5)

De tels passages apparaissent dans la plupart les dialogues analysés.

- Linéarisation

La majorité des échanges dans les dialogues portent cependant sur le niveau
de linéarisation.

La construction conjointe d'énoncés avance soit par groupes syntagmatiques,


comme dans FD7,

A : tout d'un coup


B : autostoppeur
A : tu sais écrire ou bien ?
B : autostoppeur oui je sais ...2 p... eur
A : autostoppeur
B : lui fait signe
A: des'a/rêfer(FD7)

sort, dans des phrases complexes, souvent coordonnées par ET, par propositions.
Dans ce dernier cas, il s'agit d'une manière de continuer le texte par simple
enchaînement d'actions allant souvent de pair:

53
REPÈRES N° 3/1991 B. SCHNEUWLY

D : la police arriva ... t'as pas besoin d'aller à la ligne


B : et demanda d'ouvrir la voiture (FD5)

Il y a néanmoins quelques cas isolés qui concernent la construction du syntagme


même :
B: non mais ... peut-être c'est une ancienne Mercedes ... qui servait à son travail de
D : réparateur en téléphones (FD5)

De très nombreux échanges sous forme de variations paradigmatiques ou, plus


rarement, syntagmatiques ont trait à la dénomination précise d'actants ou d'objets
ou à l'utilisation d'expressions stéréotypées; d'autres, presque aussi nombreux,
concernent la dénomination d'actions :

P : le gars de la Marine ... quelqu'un de la Marine ... une personne


C : une personne
P : un monsieur
C : une personne de la Marine
P: ça va pas
C : un conducteur de voiture
P : non ...un conducteur tout d'un coup le remarqua son SOS (FD9)

C l'autostoppeur s'assit tranquillement et


:
P non ... s'installa
: .

C : et braqua son arme


P : non ... s'Installa
C : braqua son arme sur
P: s 'installa (FD9)

Les termes et expressions choisis sont parfois aussi soumis à des évaluations
intuitives (voir exemple ci-dessus : «ça va pas»). Dans d'autres cas, la critique des
termes et expressions choisies est explicite et se fart à travers une verbalisation
rétrospective, le critère invoqué pour justifier la modification étant le plus souvent la
répétition du même mot.

H : celui-ci étant dans la voiture braque une arme sur le chauffeur


Y : sur le menton du chauffeur
H : sur le chauffeur ...y a pas besoin de préciser (FD6)

L'analyse sémantique pour le choix d'un verbe peut être assez subtile :

B [Relecture] le conducteur sachant faire du morse eut l'idée d'en faire ...eut l'idée
:
de s'en servir ... eut l'idée d'essayer d'en faire ... d'essayer
D : mais s'il sait en taire il va pas essayer
B : essaya de convaincre l'homme qui était denière ? on va quand même pas dire
faire faire deux fois [Maintien de la première version] (FD5)

54
Différences entre les processus de production de trois genres

Au niveau de la textualisation, deux problèmes préoccupent visiblement les


élèves dans la construction de leur texte : les temps des verbes et les reprises
anaphoriques. Les variations et verbalisations sont relativement nombreuses à leur
propos.

Pour les temps des verbes, on trouve surtout des variantes paradigmatiques.
Les hésitations portent d'une part sur le choix ou le changement d'une base
temporelle, d'autre part sur le choix entre passé simple et imparfait. Dans un cas, il
y a l'ébauche d'une justification du choix du temps du verbe par une verbalisation :

C ils l'emmènent en prison ... Us l'emmenaient ... ils l'emmenèrent en prison


:
P ils l'emmènent
:
C : ils l'emmenaient
P : non ils l'emmènent
C : ils l'ont emmené je sais pas si ça va ?
P: oui
C : ils l'ont .. o...n...t

C: les policiers l'ont emmené


P : l'emmènent
C : les policiers l'ont emmené en prison ... fermée à double tour... non (FD9)

En ce qui concerne les reprises anaphoriques, les élèves recherchent certes


des solutions par variation paradigmatique,

E son compagnon voit le signal et téléphone à la police (...) en lui disant qu'il est
:

en danger
V: en leur disant
E : en leur disant ... disant ... que son compagnon non que son ... que monsieur
V : que M. Shannon (...) est en danger (FD1 )

mais en général, ils verbalisent le problème. Il y a prise de conscience de l'erreur ou


de Pambiguité et correction. Cela peut aller, comme dans l'exemple FD7, jusqu'à la
justification explicite d'une dénomination pour éviter une ambiguïté :

H : e//e voit l'individu


Y : // voit l'individu
H : non c'est la police ! elle voit l'individu (FD6)

A écarta le policier
:
B le conducteur (rires) (...)
:

A: qui était en danger


B : non le conducteur
A : en danger
B : mais on sait qu'il est en danger
A : ben tiens si on se dit que c'est un autre ? (FD7)

55
REPERES N° 3/1991 B. SCHNEUWLY

b) Lettre de lecteur

- Création d'une base d'orientation

Bien que le destinataire apparaisse directement dans les textes (vous), il n'est
pas évoqué dans les dialogues, à deux exceptions près :

N [se dicte] : à la fin vous avez écrit qu'Une faut pas donner d'argent de poche aux
enfants... point ...c'est faux .... c'est faux ben ça va pas
A : c'est faux et vrai non ?
N : comment on pourrait dire c'est faux ? c'est faux ça va pas très bien
A: c'est pas correct ?
N : nous on pense que c'est faux... parce que sion lui dit c'est faux c'est pas très
poil ... nous virgule
A : [écrit] nous, on pense que c'est faux et vrai (LL1 2)

D : nous sommes mieux placés que lui pour savoir sf


E : ouais ators là c'est du chantage ? aha
D : ahaben ouais que nous sommes j'sais pas pour savoir si on a des sacrifices ou
pas par exemple ...
E : mais non eh il est vrai... par exemple on peut mettre un petit quelque chose
pour l'amadouer ? (VLB)

C'est comme si l'énumération des arguments et leur valeur de vérité à elles


seules suffisaient pour convaincre quelqu'un ; les élèves ne définissent pas de
stratégie d'argumentation enfonction d'un destinataire, sauf dans ledernier exemple
produit par les élèves de 1 7 ans.

Dans de nombreuses variations et dans plusieurs verbalisations rétrospectives


transparaît une certaine difficulté de se constituer comme énonciateur collectif :

A : je trouve que
D : nous trouvons !
A : oui c'est vrai (LL1 3)

C : je suis sûre que de nombreux lecteurs et lectrices sont du même avis que moi
S : là on pourrait dire nous (LL5)

- Gestion discursive

Plusieurs dialogues contiennent des verbalisations anticipatrices plus ou moins


élaborées et précises d'une partie ou de l'ensemble du texte, du point de vue du
contenu et/ou de son plan. Ce sont évidemment les élèves les plus âgés qui planifient
leur texte dans son ensemble :

D : bon ça c'est le début hein l'introduction maintenant


E : Selon votre avis ... non ... j'sais pas ce que tu veux dire dis voir un

56
Différences entre les processus de production de trois genres

D : j'sais pas que eh d'après lui ...les élèves possèdent toujours de l'argent ...ils
gaspillent en achetant des choses inutiles et puis nous on lui drt mais tatata ta
E : non mais si tu commences comme ça après il faut ...on va à tous les coups on
va répéter ses arguments à lui et puis donner nos contre-arguments ... ça irait
pas trop tu vois ... il faudrait qu'on lui dise au début qu'on est eh qu'on est pas
tout à fait... enfin qu'on est pas du tout d'accord avec son opinion ? et puis après
on donne ... on dit pourquoi ? (LL8)

Mais en règle générale, les passages de planification du texte portent sur des
aspects plus locaux :

L [vient de terminer une phrase] : Voilà ça c'est le chapitre 1


S : maintenant le 2 (LL3)

B : nous sommes d'un avis contraire sur l'argent de poche un point voilà
A : par exemple heu
B: il faut dire pourquoi (LL7)

E : [écrit: mais sur quoi vous basez-vous f] j'suis pas méchant quand même je vais
jusque-là ... [écrit: peut-être que pour vous l'achat]
D : puis il faudrait donner une exemple là
E : puis là on donne une exemple
D : oh et puis on peut donner les exemples qu'on a drt avant là les jeux informatiques
et puis les bandes dessinées ?ça ca très bien (LL8)

La réflexion sur le plan du texte peut aussi se faire par des verbalisations
rétrospectives qui préparent la suite du texte :

A : [écrit en dictant] les enfants apprennent beaucoup en recevant de l'argent de


poche
M : ils apprennent à compter
A : oui mais ça ça irait avec le 1
M : oui
A : tandis que le deux on pourrait dire je sais pas (LL6)

D : on passe au deuxième chapitre


A : oui
D : qu'est-ce qu'on mer [lit 2ème paragraphe de lettre de lecteur] en fait dans notre
dernière phrase on a répondu aux deux trucs à la fois (LL13)

Les élèves de 17 ans reviennent même à un endroit sur la logique de


l'argumentation à la base de leur texte :

D : ouais mais moi ce que je vois pas trop c'est le rapport ... parce que t'as vu tout
d'un coup le truc de la société machin là ... puis tout d'un coup tu... tu parles d'un
sentiment d'indépendance j'trouve que ça j'vois pas le rapport
E : mais c'est l'argent le rapport c'est l'argent qui prend le plus d'ampleur
D : oui

57
REPÈRES N° 3/1991 B. SCHNEUWLY

E : au sein de la société il est important de s'y habituer très vite... il est vrai que celle-
ci donne un sentiment d'indépendance ...
D : mais ça va pas trop
E : mais
D : j'en sais rien
E : bon on met pas comme l'argent a de plus en plus de valeur (LL8)

Dans plusieurs dialogues (5 sur 10), apparaît à une ou diverses reprises une
nette distinction entre phase d'élaboration du contenu, sous forme de verbalisation
anticipatrice, et phase de formulation. L'indice le plus clair de cette distinction est la
présence d'expressions telles que : // fauf dire que, on pourrait dire, etc.

B : [après plusieurs tentatives de formulation] moije crois qu'on va abandonner l'idée


du téléphone
A : mais pourquoi ? tu dis une bêtise on ça va bon alors tu veux ... je veux redire
une idée sur le téléphone
B : oui redis (LL7) <

A : Maintenant on pourrait lui dire que ça c'est faux le fart d'être incapable
D : oui mais comment ? ... car... car bien que certains enfants utilisent leur argent
(LL13)

Cette capacrté de distinguer explicitement une phase d'élaboration ou d'esquisse


du contenu et une autre de formulation semble être liée à une capacrté relativement
développée de production de texte. Ce sont en effet les élèves de 17 ans qui
distinguent le plus nettement les deux phases en de nombreux passages.

La fréquence relativement élevée de planifications locales est probablement


aussi liée au fait que dans l'argumentation il y a une variété relativement grande
d'actes langagiers à effectuer pour composer un texte : justifier, donner un exemple,
citer l'opposant, mettre les énoncés en rapport les uns avec les autres ; donner un
nouvel argument ; annoncer le contenu qui suit (voir les exemples donnés ci-
dessus).

Plus haut nous avons indiqué que l'élaboration du contenu pouvait à certains
moments devenir relativement indépendante de la production du texte en cours. Cela
se passe dans trois dialogues. Voici un exemple :

S : parce que toi tu as toujours de l'argent sur toi pour acheter n'importe quoi ?
L : non moi j'ai jamais ... tu vois je fais comme ça ... j'ai pas d'argent sur moi puis
comme ça après je vais voir quelque chose qui est bien ators
S : si c'est vraiment utile tu vas chercher de l'argent
L : non moi (...) alors je réfléchis pendant que je vais à la maison pour chercher
S : mais oui moij'aijamais de l'argent sur moi pour acheter n'importe quoi... sic'est
pour rentrer en bus ou comme ça ... sip dois m'acheter quelque chose que je
devais acheter

58
Différences entre les processus de production de trois genres

L : tu vois sijamais ... cette après-midij'ai le cours de Martine et parfois je prends


un franc et je m'achète un Mars
S : eh bien voilà on dit qu'on a jamais de l'argent sur nous pour acheter n'importe
quoi... on prend de l'argent quand on a prévu d'acheter quelque chose qui n'est
pas inutile
L : sij'ai plus rien dans ma valise quej'ai tout mangé à midi et bien je suis obligé de
manger quelque chose
S : voilà il faut dire cela [elle dicte] nous nous avons jamais d'argent sur nous àpart
quand on a prévu d'acheter quelque chose qui n'est pas inutile. (LL3)

Des difficultés de formulation peuvent aussi être résolues par une exploitation
du contenu à l'oral :

D : mais qu'est-ce que tu veux dire vas-y


E : regarde c'est vrai que l'argent ça nous donne un sentiment d'indépendance ?
mais c'est pas vrai que que eh ... que nos parents ont plus aucune autorité sur
nous ? quoi
D : bon ators
E : alors
D : attends (...) on pourrait dire (LL8)

- Linéarisation

Au niveau des processus de linéarisation, les tendances suivantes se dessinent


très nettement.

Les élèves produisent de nombreuses variations paradigmatiques pourtrouver


un bon terme ou une expression juste en vue d'atteindre une plus grande précision
(nous faisions parfois comme vous dites -nous gaspillions notre argent comme vous
dites; retenons - économisons; dans la rubrique boîte aux lettres - dans lepurnal à
la rubrique boîte aux lettres; article - lettre), ou pour d'autres raisons difficiles à définir
(ce qui permet de ne pas acheter - ce qui les empêche; idioties, bêtises, attrape-
nigauds; chose qui n'est pas utile - chose inutile). Dans certains cas, les élèves
verbalisent les raisons d'un choix :

S : nous économisons notre argent


L: ef nous essayons
S : ef nous arrivons de
L: ef nous essayons de ne pas le gaspiller
S : mais on y arrive
L: oui mais c'est ... on essaye quoi
S: oui ... mais il faut aussi dire que nous on arrive
L : ben non parce que tu sais ... là cela fait comme si on arrivait je pense (LL3)

A : ça pourrait être utile au ... au cas où


B : l'absence de nos parents ne... ne serait pas révélée
A : (...) où l'absence de nos parents ... parents ne serait pas convenue c'est plus
simple (LL7)

59
REPÈRES N° 3/1991 B. SCHNEUWLY

D : vous affirmez
A : non vous dites
D : non c'est plus best affirmer je te dis... non bon mettons dites (LL1 3)

Notons que souvent le changement d'un terme est proposé en donnant comme
justification la volonté d'éviter une répétition.

Contrairement aux faits divers, les constructions conjointes sont relativement


rares dans les lettres de lecteur. Celles que nous avons répertoriées concernent en
grande majorité des phrases complexes, en général avec subordination (pourque,
pour+inf.;parce que, quand, etc.). Ce n'est que dans lediatogue des élèves plus âgés
qu'on rencontre des constructions conjointes par groupes syntagmatiques, rendues
possibles peut-être par l'élaboration plus minutieuse du contenu.

Pour les opérations de textualisation, seule celle de modalisatton apparaît de


manière régulière, aussi bien dans des verbalisations rétrospectives que dans des
variations paradigmatiques et syntagmatiques. Ces modalisations sont de trois types
- quantificateurs : plusieurs personnes - tu exagères beaucoup de personnes ;
leur vacances - une partie de leurs vacances ; nombreux enfants - tous les
enfants ... ça c'est presque sûr ; certains enfants car il n'y a pas beaucoup
d'enfants ; beaucoup d'enfants - la plupart des enfants en général ; certains
enfants - la plupart ; en ont pas - en ont bien peu - en ont généralement bien
peu;
- modulateurs d'appréciation : pas bien assez ....assez ; que nous trouvons
très très trop plutôt trop - négatif; peut-être utile - peut-être n'est pas
convaincant ; nous voulons vous informer que vous avez entièrement tort -
non t'exagères en partie ;
- valeurs de vérité : nous le gaspillerons peut-être - non nous aurions plus de
chance de le gaspiller ; qui n'est pas inutile - on ne peut pas savoir si c'est
utile on met qui nous paraît utile ; nous trouvons que l'argent est utile - nous
pensons que l'argent de poche est quand même utile ; peuvent apprendre -
apprennent ; faut - faudrait ; vous avez l'air de penser- vouspensez...puisqu'il
ledit

Une dernière particularité, difficile à situer dans notre grille d'analyse, doit être
mentionnée. Dans la plupart des dialogues, les élèves amorcent au moins une fois
la surte du texte en posant un élément linguistique avant même d'avoir ébauché le
contenu qui suit. Cet élément peut être un organisateur argumentatif (parce que, car,
par exemple, en effet), un modalisateur (il est vrai) ou une numérotation
(deuxièmement, mets 4). Voici deux exemples :

S : ma copine et moi sommes mortié moitié ... d'avis moitié moitié ... car ... parce
que non parce que ça va pas
C : parce que y a pas tous les enfants

M : cinq là ?
A oui ... parce que là je crois que c'est tout .. mais mets toujours 5
:
M : je mets quand même 5 et je te barre après si jamais

60
Différences entre les processus de production de trois genres

A il me semble qu'on avait quelque chose


:
M moi il me semble aussi
:

A: y a peut-être ... quand les enfants ... quand ils achètent (LL6)

Il semble qu'à défaut de verbaliser explicitement la suite du texte à l'aide


d'expressions métalinguistiques ou d'une esquisse du contenu à formuler, les élèves
la fixent linguistiquement par des éléments qui circonscrivent le type de contenu qui
doit suivre (un exemple, une justification, un nouveau point de vue), cette amorce ou
fixatton d'un élément de la superstructure par une unité qui la représente facilitant
probablement la recherche d'un contenu correspondant.

c) Explication de règles de jeu

- Création d'une base d'orientation

Le destinataire est relativement souvent invoqué lors de la production d'expli¬


cations de règles de jeu. On le mentionne pour justifier des décisions quant au
contenu, quant à des formulations proposées et quant à l'évaluation globale du texte.

J : après quand vous avez posé tous vos pions, ben attends quand y a un qui fart
un triple
M : oui mais comment foire des triplettes ? ça ils savent pas comment faire
J : si par exemple on a deux en ligne (EJ1 )

A : on pose les jetons


Z : non non cela ne vapas aller... on pose les jetons sur le damierparce que sion
pose les jetons sans rien du tout ils ne vont pas savoir (EJ8)

L : je sais pas s'ils vont comprendre le Jeu hein (EJ2)

Dans deux cas, les auteurs relisent le texte, en se mettant explicitement du point
de vue du lecteur :

S : y a encore quelque chose à dire ? attends je relis et toi tu fais comme si tu ne


savais rien
C: d'accord (EJ9)

Plus encore que dans les lettres de lecteur, les élèves font des remarques et
observations sur le plan général dutexte ou surdes parties du plan à rédiger, souvent
en référence à des modèles langagiers connus.

H : ben alors on met comme dans les vrais jeux on met ...
S : le dara (...)
H : et puis on peut mettre le matériel (...)
H : // faut mettre le but, on met le but du jeu (EJ4)

61
REPÈRES N° 3/1991 B. SCHNEUWLY

C: on peut commencer.. .écoutez ... non .


S: on peut pas dire parce qu'on doit juste dire les règles
C: oui mais des fois quand tu lis les règles d'un jeu on nous dit
S : ators il faudra écrire but du jeu
C : c'est pas bien but du jeu au début dép le but du pu c'est gagner c'est évident
S : mais on peut pas tout de suite mettre les explications [temps de réflexion] (EJ 1 0)

- Gestion discursive

Davantage aussi que dans les lettres de lecteur, les élèves élaborent des
parties du contenu indépendamment de la mise en texte et vont dans certains cas
jusqu'à des essais de petites séquences de jeu sur le damier.

A : quand on a placé
B : attends parce que regarde [montre une situation sur le damier] tu n'as pas
le droit d'en placer plus de deux comme ça. ..là tu peux en placer un deux trois
puis là... tu peux en placer deux mais ...tu ne peux pas en placer trois (...) attends
on va déjà faire notre petit machin [petit pian pour expliquer]
A : mais il faut tous les mettre voilà comme ça ils sont tous dessus ... voilà vas-y
B : ators on met que . ... quand ils sont tous sur le damier on peut les déplacer où on
veut (EJ8)

A certains endroits, la séquentialisatton des contenus est discutée par les


élèves (verbalisation anticipatrice) :

S : .// fauf poser chacun à notre tour un pion


C : oui mais d'abord il faut dire qu'on a 3 pions on peut en bouffer un à l'autre
oui en manger un
S : non parce que regarde ... il faudrait mieux dire il faut poser chacun à notre tour
parce qu'ils savent pas comment il faut les poser ... il faut le dire en premier
(EJ10)

A d'autres endroits, des verbalisations rétrospectives ont trait au fait qu'un


contenu a déjà été mentionné ou dort être mentionné pour qu'on comprenne,
contrairement à ce que prétend le partenaire.

S: H faut faire
L : // faut essayer de faire
S : / faut faire une triplette pion avec
L ; mais on a déjà écrit (EJ2)

H puis faut dire que si tu mets quatre pions de surte comme ça par exemple [les
:

pose sur le damier] ... ben ça forme pas une triplette


S : mais ils vont dire que c'est logique
H : oui non pas forcément il y a quand même trois ptons dedans ... c'est pas si
logique que ça donc tu mets heu [dicte]... quatre ptons ... se suivant ... ne
forment pas une triplette (EJ4)

62
Différences entre les processus de production de trois genres

- Linéarisation

En ce qui concerne finalement la linéarisation, on notera d'abord que les


processus de textualisation sont tout à fait absents des dialogues.

Les variantes et les quelques rares verbalisations rétrospectives concernant la


lexicalisation portent sur des termes à utiliser (partie nulto - match nul ; chacun son
tour - l'un après l'autre; principe - but ; il s'agit de -il faut...qu'est-ce qu'on veut se
compliquer ; de façon à -pour que ; chacun son tour -un à un ; dort avoir - possède ;
règle règlement - instruction ; bougez - placez ; bougez ils vont croire que c'est
comme ça ; les rouges - ses six pions ; objet du jeu - composition du jeu) ou sur des
formulations plus complexes à améliorer (devant vous devant nous tu parles à qui
si tu dis devant vous ; il ne peut y avoir que deux jetons de la même couleur - il est
interdit de mettre plus de deux ptons de la même coutourquise suivent - qui se suivent
de la même couleur ; il faut 6 jetons chacun - chaque pueur aura six jetons ; puis
finissez la partie comme ça -et ainsi de suite jusqu'à ce que fa partie sort terminée ;
il faut avoir 5 cases en face - les 5 cases devant nous)

Contrairement aux lettres de lecteur, les constructions conjointes, relativement


peu fréquentes il est vrai, portent toutes, à une exception près, sur l'élaboration
d'énoncés par groupes syntagmatiques.

CONCLUSIONS

Il est évidemment trop tôt pour conclure : les situations de production sont
encore trop peu variées ; la méthode d'analyse des dialogues n'est pas encore assez
systématique et précise ; les groupes de sujets analysés sont trop limités. Nous
pensons néanmoins pouvoir formuler les deux conclusions provisoires suivantes.

1 . La méthode d'analyse présentée permet une première description assez

bonne de ce qui se passe dans les dialogues analysés du point de vue des opérations
en jeu. Elle devra être affinée. Nous avons vu plus haut que, pour les opérations, il
est nécessaire de prévoir un niveau «microplanif ication» et qu'en ce qui concerne les
observables, il faut être attentif à l'utilisation d'unités linguistiques pour amorcer la
suite d'un texte. La méthode devra sans doute être modifiée quand elle sera
appliquée à d'autres genres ou utilisée pour des dialogues produits par d'autres
sujets.

Le rapport entre les catégories d'observables et les types d'opérations doit être
mieux défini. Il apparaît que les constructions conjointes concernent presque
exclusivement le niveau de linéarisation ; les variations portent également sur la
linéarisation, mais permettent aussi d'élaborer plus finement des enchaînements
d'actions au niveau local (microplanrfication ); les verbalisations et évaluations par
contre peuvent avoir pour objet tous les niveaux du processus de production. Les
elaborations autonomes du contenu, elles, concernent essentiellement le niveau de
la gestion discursive, plus spécifiquement la recherche de contenus, mais dans
certains cas aussi la structuration communicative.

63
REPÈRES N" 3/1991 B. SCHNEUWLY

2. Quand ils écrivent un texte à deux, les élèves ne font pas la même chose pour
différents types de texes. Ceci va tout àfait dans le sens d'un modèle différenciateur
du dévetoppement du langage tel que nous l'avons esquissé au début de ce texte.

Dans les faits divers, l'essentiel de l'activité dialogique porte sur la formulation
linguistique : trouver la bonne dénomination des actions et acteurs ; soigner les
enchaînements des actants et des actions ; travailler la suite logique des actions. La
cohérence locale et la cohésion du texte semblent être le souci principal résultant du
contexte de production qui, lui, est fixe et n'intervient plus directement dans
l'élaboration du texte. Dans les lettres de lecteur, énonciateurs et destinataires
apparaissent timidement à travers les échanges des élèves ; le gros de l'effort porte
sur la variété des actes langagiers à effectuer dans le texte : annoncer, justifier,
donner un exemple, donner un autre argument, citer l'opposant, mettre les énoncés
en rapport ; cela impose une plus grande explicifation de la planification ; au niveau
de la linéarisation, le choix des formes linguistiques dépend plus d'un souci de
précision que de style ; mais ce qui compte par dessus tout est la modalisatton
précise des énoncés, c'est-à-dire le souci que l'évaluation que porte l'énonciateur sur
les affirmations sort à la fois précise et argumentativement efficace. Dans les
explications de règles de jeu finalement, le destinataire apparaît massivement
dans les dialogues comme référence décisive pour décider que dire et comment, en
fonction notamment de ses connaissances et capacités ; type de texte plus stéréo¬
typé et plus simple, son modèle est plus cité et pris explicitement comme référence ;
l'élaboration précise du contenu prend une place importante et se reflète également
dans des séquences portant sur le choix des termes et expressions ; les opérations
de textualisation par contre n'apparaissent pas du tout.

Les dialogues analysés dans cet article ne sont évidemment pas un décalque
des opérations réelles de production de texte, mais reflètent certaines difficultés
réelles des élèves et certains de leurs points forts dans l'élaboration d'un texte. Dans
ce sens, la valeur indicative des observations fartes en faveur d'un modèle
différenciateur est non négligeable. Il est nécessaire néanmoins de préciser et
d'élargir les recherches sur les dialogues produits durant la composition de textes
écrits. Il s'agrt notamment d'observer des différences entre dialogues en fonction de
l'âge et d'analyser la dynamique de la production de textes à deux au lieu d'en rester
à une vision descriptive statique.

NOTES

(1 ) Je remercie les étucSants de mes séminaires «Didactique de la langue» tenus en 1988/89


et 1 989/90 à l'Université de Genève pour leur collaboration au recueil et à la transcription
des dialogues et des textes.
(2) Les lettres et numéros servent à identifier les dialogues dans le corpus: FD signifie Fait
divers, LL lettre de lecteur, EJ explication de règles de jeu.

64
Différences entre les processus de production de trois genres

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Française, 81, 52-69.

65
QUAND DIRE, C'EST FAIRE ... ÉCRIRE

Robert BOUCHARD
Centre de Didactique du Français
Université de Grenoble III

1. INTRODUCTION

L'enseignant quand il corrige les travaux écrits de ses élèves ne peut établir son
diagnostic pédagogique que sur la base du produit scriptural fini (rédaction, dis¬
sertation... etc) que ceux-ci ont écrit précédemment, habituellement en dehors de sa
présence. Or il est évident que ce produit ne montre que les traces superficielles, les
«fautes», des problèmes d'élaboration rencontrés au cours du processus même de
production.
L'étude des brouillons avec leurs ratures successives peut être une première
méthode de saisie de ce processus de production quand on ne peut pas l'observer
«in vivo» (dans le cas des manuscrits d'écrivains par exemple (cf. Grésillon &
Lebrave 1 983). Mais leurinterprétation suppose la résolution de problèmes pratiques
évidents de relecture des éléments raturés et d'établissement d'une chronologie
entre des ratures qui ont pu être effectuées pour la même zone du texte à des
moments très différents d'élaboration, premier jet ou x° relecture. Si un repérage et
un classement des phénomènes corrigés, c'est-à-dire posant problème au rédacteur
peuvent être ainsi élaborés (cf. Fabre C. 1987), par contre la dynamique même du
phénomène de production ne peut que difficilement être ainsi étudiée à l'aide de ce
qui ne constitue encore que des traces superficielles.
Nous avons donc choisi une autre méthode. Il s'agrt d'observer la production en
cours en serrant au plus près la manière dont elle est vécue par l'écrivant mais sans
troubler cependant le processus en cours. Nous ne lui demandons pas en consé¬
quence de verbaliser «artificiellement» son activité, ce qui implique un contrôle
métalangagier supplémentaire qui risque de parasiter, modifier, le processus normal
de production écrite. Nous avons choisi - après et avec d'autres chercheurs (cf. ici
même les articles de J. David et de B. Schneuwly) - d'utiliserdes situations d'écriture
qui exigent foncttonnellement une verbalisation et le cas échéant une explication ou
même une négociation des hypothèses d'écriture, c'est-à-dire tout simplement des
situations collectives de production écrite (cf. Bouchard 1988, 1991a et b). L'enre¬
gistrement de l'interaction verbale correspondante, les éventuels brouillons indivi¬
duels ou collectifs, comme le texte définitif constituent un matériel qui permet
d'observer avec précision «l'événement de production», dans sa chronologie, avec
ses étapes (éventuelles) de planification préalable et de correction a posteriori, ses
retours en arrière, ses changements de rythme... Non seulement on peut alors
classer les zones grammaticales ou lexicales de difficulté mais on peut aussi prendre
en compte, le moment où le problème se pose, son temps et ses étapes de résolution
les hypothèses successives et les «méthodes» (au sens de l'ethnométhodologie)
utilisées par les écrivants, comme les éventuelles relations de causalité entre
phénomènes superficiellement distincts qu'une simple analyse a posteriori n'aurait
pu percevoir...

67
REPÈRES N° 3/1 991 R. BOUCHARD

Ajoutons que cette méthode semi-expérimentale permet d'observer la sensibi¬


lité du processus de production à différentes variables. En modifiant telle ou telle
donnée de la tâche «vraisemblable» à accomplir collectivement : genres discursifs
proposés, contraintes de registre créées par les situations de réception définies,
différences de compétence langagière entre membres des équipes de co-scripteurs
constituées, on peut mettre à jour diverses déterminations du phénomène (cf.
Bouchard 91a).
Nous insisterons également sur le fait que cette procédure de recherche ne
vient pas «parasiter» l'activité didactique normale de la classe. Au contraire, ces
situations de production écrite collective nous semblent en elles-mêmes
pédagogiquement positives. Elles contraignent implicitement les élèves à des
échanges métalangagiers fonctionnels. La réflexion grammaticale n'est plus une
simple discipline scolaire, coupée de l'utilisation effective de la langue, mais est
intégrée dans cette utilisation, est socialisée dans une activité collective dotée
d'enjeux sociaux.
La variation des critères de définition de latâche, intéressante expérimentalement
pour les recherches sur le processus de production écrite, nous semble également
l'être pédagogiquement dans les classes, par les occasions de diversification de
l'expérience discursive des élèves ainsi créées (cf. Bouchard 91c).

2. LA SITUATION DE PRODUCTION ÉTUDIÉE

Le présent travail porte sur une situation particulière de production écrite


collective. Après avoir étudié par ailleurs la production de textes très spécialisés
(mathématiques) par des adolescents francophones (1 988), puis par de jeunes
adultes scientifiques non francophones (1991b), nous avons pris comme cible une
interaction dite «exolingue» (Albert & Py 1 986) c'est-à-dire mettant face à face un
locuteur «natif» et un locuteur «non-natif» (alloglotte).

Elle est sinon complètement naturelle du moins vraisemblable c'est-à-dire


susceptible de stimuler chez les participants des représentations de l'événement
communicat'rf et en particulier de la situation de réception du message : une
adolescente française Véronique aide sa correspondante allemande, en séjour
linguistique chez elle, à écrire une lettre à son professeur de français, tout en
enregistrant les négociations correspondantes. La transcription fart partie d'un vaste
corpus du même type établi par l'équipe d'E. Gûl'ich à l'Université de Bielefeld
(Allemagne).
Ajoutons simplement que l'alloglotte apprend le français par ailleurs et que
Véronique est encore scolarisée. La langue française est non seulement un moyen
de communication mais encore une cible consciente d'acquisrtion/apprentissage
pour l'une et un objet d'enseignement pour l'autre. Nous nous intéresserons à cette
influence de l'école et de son trartement spécifique des problèmes linguistiques sur
leur mode de négociation metalangagiere. Elle reste sensible surtout par rapport à
l'écrit, réalisation linguistique caractéristique de l'école tant en langue maternelle
qu'en langue étrangère.

Il ne s'agit pourtant que de produire une lettre informelle, familière, appartenant


donc à un genre «ordinaire» (Dabène 87) et non pas scolaire, sans caractéristiques

68
Quand dire, c'est faire... écrire

fortes de registre ou de plan, ni exigence textuelle particulière due à une contrainte


de longueur par exemple.
Le contrat énonciatif et la définition des «places» correspondantes est simple.
La lettre n'a pas de valeur collective, elle est a priori prise en charge par un «je» et
non pas par un «nous», même si techniquement la rédaction implique le coscripteur
natif. Le destinataire lui-même enfin est unique et bien connu des rédacteurs.

3. PRODUCTION ÉCRITE ET DEGRÉS D'«EXOLINGUISME»

La situation «exolingue» choisie a l'avantage, en creusant l'écart langagier et


éventuellement culturel entre les participants, de susciter des négociations
métalangagières plus nombreuses, qui peuvent avoir pour thème la langue elle-
même comme la mise en texte ou en page, ou la situation de communication. Elle
permet en particulier d'étudier les procédés facilitateurs utilisés spontanément par le
natif pour aider Pallogtotte à produire un discours écrit. En créant ainsi un effet de
loupe, elle rend ces phénomènes plus sensibles à l'observation.
Ajoutons cependant que cette notion d'exolinguisme peut être définie de façon
plus ou moins large, en d'autres termes qu'elle comprend des degrés intermédiaires
entre endolinguisme pur et exolinguisme pur.
Ainsi comprise elle recouvre non seulement les cas d'échanges entre locuteurs
de langues maternelles différentes mais aussi tous les cas où les répertoires verbaux
des partenaires ne coïncident pas totalement, y compris quand ils sont réputés avoir
la «même» langue maternelle. Dans cette dernière acception, pertinente d'un point
de vue sociolinguistique, la communication exolingue apparaît comme beaucoup
plus fréquente que le strict endolinguisme, même au sein d'une seule communauté
linguistique.
Cet exolinguisme relatif peut en particulier sembler caractéristique du fonction¬
nement de l'école en tant que lieu de contacts entre adultes et enfants, et entre
enfants français et «migrants» comme entre enfants français socio-culturellement
contrastés. Il est même implicitement à l'origine de l'idée, paradoxale dans les
termes, d'un nécessaire enseignement scolaire de la langue maternelle. Si l'école
française a à enseigner le français à des enfants français, c'est bien parce que ceux-
ci ne parlent pas tous de la même manière et surtout ne parlent pas tous (et en tous
cas n'écrivent pas) comme l'école le voudrait.

Situations exolingues et contrat didactique

Dans les situations exolingues caractérisées, le locuteur «natif» se dort


implicitement d'aider son interlocuteur «altoglotte» dans la formulation de ses
énoncés. On constate une «bi-focalisation» (Bange 1987) de la communication : les
échanges portent simultanément sur les referents extralinguistiques, objets de la
conversation, et sur les moyens linguistiques qui permettent de les exprimer.
Dans les situations exolingues de production écrite collective, on constate
même une «tri-focalisation» (Bouchard 1991 b) de la communication : aux deux
thèmes de négociation précédents s'ajoute celui de la norme propre à l'écrit
(négociation de problèmes d'orthographe, de (calli/typo)graphie, de mise en page,
de planification du discours, de respect de superstructures textuelles...).

69
REPÈRES N° 3/1991 R. BOUCHARD

L'événement langagier est ators pour une part déterminé par la confrontation
des systèmes linguistiques et des représentations langagières des participants. Il
sera plus ou moins aisé à gérer en fonction de la proximité de ces systèmes
(communication endolingue pure, ou relativement endolingue), et dans le cas de
l'écrit, en fonction aussi de la nature du registre exigé par la srtuation de réception
visée. Un mode de coopération communicative, pouvant reposer dans certains cas
de dissymétrie exolingue sur un véritable «contrat didactique» (cf. de Pietro et al. 89)
est chaque fois implicitement élaboré par les participants.
Par exemple, dans ce corpus, enfonctton de leur degré d'implication émotionnelle
collective dans les événements relatés, Véronique/Irma oscillent entre deux systè¬
mes de «places» (cf. Flahaut 1978) réciproques : celui, symétrique, de complice/
complice où on voit la native non seulement corriger formellement l'énoncé de son
amie mais aussi renchérir sur le contenu de celui-ci en jouant sur les modalisations
appréciatives :

Exemple 1 :
I : On va bien ensemble <-

V : On s'entend bien
de mieux en mieux
toupurs mieux
I : Ah ouais
V: Hein
... et celui dissymétrique d'enseignant/apprenant (de langue et culture française) où
la première corrige automatiquement les productions de la seconde, pour des
raisons qui peuvent être uniquement de respect de la norme grammaticale :

Exemple 2 :
1: on est allé à une amie de/
V: on est allé CHEZ
1: ah on est allé chez une amie ?
V: hm
1: de moi

Linguistiquement le contrat varie donc de la coopération linguistique fonction¬


nelle, visant l'inter-compréhension orale ...

Exemple 3 :

I : On se laisse comme ça
V: Hein
I : On se laisse comme ça
V : On se laisse ?
I : Oui, on le laisse
la laisse
Hm tout comme ça, la lettre
... au contrat didactique impliquant que l'on ne parle plus de la langue uniquement
pour résoudre les problèmes rencontrés en cours de rédaction, mais que l'on profite
de celle-ci pour donner/glaner des renseignements sur la langue :

70
Quand dire, c'est faire... écrire

Exemple 4 :
V: ... à part ça'
I : [apa(R)j
qu'est ce que c'est [apaR] ?
V : eh c'est
à part ça c'est une expression que tu mets, ehm
pour dire eh d'un autre côté' tu sais
I : ouais mais
V : ouais c'est une expression que tu dis
t'as parlé d'quelquechose puis tu dis eh. mh
c'est pour dire que tu vas
[parler d'autre chose
I : ah ouais, mhm'

V: à part ça et eh quepuechose de pas très


[important
I: (rit)

On assiste ators àdes sollicitations métalangagières de l'expert linguistique par


l'alloglotte comme à la production spontanée par le natif de commentaires du même
genre, éventuellement d'une certaine étendue (cf. ci-dessus).

On pourrait en déduire, au plan du fonctionnement de l'école contemporaine,


que l'hétérogénéité des compétences linguistiques dans une même classe n'est pas
obligatoirement un obstacle pédagogique. Elle peut engendrer des échanges
fructueux où les élèves les plus à l'aise linguistiquement, loin de perdre leur temps
au contact d'élèves «différents», développent leur propre savoir métalinguistique en
aidant leurs camarades dans le cadre d'un enseignement mutuel renouvelé.

Le but de ce travail particulier sur ce corpus particulier sera donc l'étude de cette
activité facilrtatrtoe déptoyée par le locuteur natif (et peut-être plus généralement par
le locuteur «linguistiquement dominant») pourpermettreàson interlocuteur d'accomplir
la tâche scripturale fixée.
Nous nous intéresserons plus particulièrement à deux phénomènes :
- les représentations de la norme de l'écrit qu'il sera ainsi amené à expliciter,
et leur lien éventuel avec celles développées par l'institution scolaire qu'il n'a
pas encore quittée ;
- sacapacité à satisfaire les besoins d'aide discursive ou linguistique ressentis
par l'alloglotte.
Sur ce dernier point en effet, l'apprenante étrangère va poser des questions
portant sur des phénomènes linguistiques non étudiés en langue maternelle car a
priori largement maîtrisés «naturellement» par tous les élèves francophones (ex :
prépositions, genre des substantifs, déterminants, place de l'adjectif...). Pour y
répondre, Véronique devra «bâtir sa grammaire», (s')expliciter (à elle-même) les
régularités de son fonctionnement linguistique. En effet dans le cadre du «contrat
didactique» qui les lie implicitement, Irma va lui demander non seulement la solution
pratique de ses problèmes de langue mais aussi des explications, des justifications
métalinguistiques plus générales. C'est donc en quelque sorte une grammaire

71
REPÈRES N° 3/1 991 R. BOUCHARD

fonctionnelle du discours écrit, non enseignée scolairement, que notre élève en fin
de scolarité obligatoire, se voit amenée à construire dans ce type de situation.

4. LA GESTION DES PROBLÈMES LANGAGIERS LORS DE


L'INTERACTION EXOLINGUE

Les problèmes langagiers rencontrés au cours de la rédaction peuvent avoir


trart aux performances orales des interlocuteurs (cf. «bi-focalisatton»)... aussi bien
qu'à la norme générale de l'écrit ou au registre propre au genre sélectionné en
fonction de la situation de réception (cf. «tri-focalisation»).
A l'oral ils peuvent être ressentis par l'un comme par l'autre des deux partenaires
(cf. exemple 3 ci-dessus). Ne sont ainsi «refusés» que les énoncés impossibles à
comprendre parce que matériellement inaudibles, ou trop complexes dans le cas
d'un destinataire allogtotte, ou mal formés au point d'être difficilement interprétables
dans le cas d'un destinataire natif.
A l'écrit par contre le refus pourra avoir des raisons plus variées, ayant trait à des
raisons locales purement linguistiques (bon usage des prépositions par exemple),
mais aussi à des raisons contextuelles, discursives (ex. : 7, emploi de «surtout»), ou
à des raisons situationnelles, d'acceptabilité sociale (tutoiement ou vouvoiement
ex. : 5).

4.1. Les reformulations

La solution de ces problèmes linguistiques ou plus largement langagiers passe


pardes reformulations modifiant localement (corrigeant, complétant . ..) ou globalement
l'énoncé non accepté.
Ces reformulations, man'rfestationsdynamiques orales, comparables aux ratures
de l'écrit, peuvent être classées en fonction de l'origine énonciative de l'énoncé
reformulé : ici énoncé du natif ou de l'alloglotte. La nature de la réalisation matérielle
de celui-ci - fragment d'intervention orale ou ébauche de formulation écrrte - a
également son importance. Nous avons évoqué ci-dessus la raretédes reformulations
«normatives» des énoncés oraux de l'alloglotte, hors des situations d'enseignement
institutionnelles ou «contractuelles». Ce critère par exemple peut donc permettre de
discriminer nettement différents types de situations exolingues, en déterminant la
nature plus ou moins didactique du contrat qui lie les participants.
Entrent ensurte en ligne de compte, en contraste éventuellement avec cette
première caractérisation, l'identité du locuteur qui demande cette reformulation
explicitement (ou la suscite implicitement en manifestant sa difficulté de production
ou de compréhension), et celle de celui qui la produrt effectivement. Dans le premier
cas, on distinguera entre auto ou hétéro-initiation de la reformulation, dans le second
entre auto ou hétéro-reformulation. Cette seconde série de critères permet de
distinguer, dans ces situations exolingues a priori dissymétriques, les «places
réelles» qu'occupent les deux interactants et en particulier d'examiner la capacité de
l'alloglotte à solliciter des informations linguistiques du natif et la nature de ces
informations.

72
Quand dire, c'est faire... écrire

La caractérisation des reformulations en fonction de ces différents critères peut


se matérialiser sous la forme du tableau ci-dessous. Il permet un certain nombre
d'observations quantitatives préalables.

On constate par exemple qu'alors que le natif est seul à se reformuler,


l'alloglotte ne produit lui-même qu'un sixième de ses propres reformulations.
D'autre part, il apparaît clairement que ce sont les énoncés de l'alloglotte -
essentiellement des tentatives de formulation écrite - qui sont reformulés (presque
cinq fois plus). Mais ils le sont pratiquement autant à la demande de leur auteur qu'à
l'initiative spontanée du locuteur natif.
On peut remarquer de plus que le nombre de ces reformulations augmente
considérablement à mesure que la tâche avance, en particulier celles inrtiées par
l'alloglotte lui-même. C'est lui qui, plus que le natif, assume le contrôle de la mise au
point lexico-grammaticale de la lettre jusqu'au terme de celle-ci.
Le contrat de co-action entre les deux partenaires s'apparente bien à un contrat
didactique : elles se donnent pour but non seulement de terminer au plus vite la tâche
fixée mais aussi de rapprocher l'interlangue de Paltoglotte de la langue standard.

\ Source des
Natif Alloglotte
\ énoncés à
, .\ problè- Interventions Formulations Interventions Formulations
1 n i - \r moo
.. .. \ mes orales écrites orales écrites
dation \
des \
reformulations \ Langue Inscript

Natif Auto-initiation Hétéro-initiation


0 3 3+ 1 Z s
Total : 3 3 + 12
Alloglotte Hétéro-initiation Auto-initiation
1 3 0 2+iz â
Total : 4 2 + 15
Total 1 6 3+1 2 + 12 £
général
7 5 + 2S

Chiffres soulignés : hétéro-reformulations


Chiffres non-soulignés : auto-reformulations

Classement et dénombrement des reformulations

Enfin, dans cette étude centrée sur les activités facilitatrices déployées par un
locuteur natif lors de la réalisation d'un discours écrit, nous nous intéresserons aussi
à la nature plus ou moins explicitement métalinguistique du commentaire qui
accompagne éventuellement la reformulation, et à l'origine de ce besoin éventuel

73
REPÈRES N° 3/1991 R. BOUCHARD

d'explication : origine spontanée ou demande de l'alloglotte, nature du problème,


existence d'un commentaire scolaire classique ...

5. LES AUTO-REFORMULATIONS PRODUITES PAR LE NATIF

5.1. Les auto-reformulations auto-initiées : bribes et gloses

Soulignons tout d'abord que ce phénomène d'auto-reformulation auto-initiée


est courant voire systématique en situation endolingue. Il est à l'origine du phéno¬
mène de «bribe», de faux départ, remarqué par tous les spécialistes de l'oral
«authentique» et en particulier par C. Blanche-Benvéniste et son équipe du Groupe
Aixois de Recherche en Syntaxe. C'est à eux que nous empruntons le procédé de
présentation tabulaire de nos exemples.
Cependant vu la nature de latâche et le non investissement (de principe) du natif
dans la rédaction de la lettre, c'est le type de reformulation le moins fréquent ici :

exemple 5 :
V: ... "que je t'ai promis d'écrire»

V : eh tu mets «que je VOUS ai»


I : hm, «je vous ai»c'est la même ?
V : eh ben c'est l'vouvoiement
vous avez
vous
I : ah ouais ...

Dans l'exemple ci-dessus il s'agit d'un amélioration d'une première hétéro-


reformulation. On pourrart donc la considérer comme une hétéro-reformulation à
double détente au cours de laquelle se manifeste, après coup, un contrôle
métalangagier, ici portant non pas sur la norme proprement grammaticale mais plutôt
sur la norme interactionnelle (opposition sociale entre tutoiement et vouvoiement).
On en trouve cependant aussi des exemples, de nature métalinguistique, qui
n'ont pas pour but de fournir l'énoncé définitif mais qui viennent après coup. Ils visent
à gtoser celui-ci par une sorte de traductton intralinguale afin de mieux le faire
accepter :

exemple 6 :
V : On s'entend bien
de mieux en mieux
toupurs mieux
(cf également exemple «surtout» ci-dessous)

5.2. Les auto-reformulations hétéro-initiées :


les réponses métalangagieres

Ces demandes de reformulation, quand elles ne concernent pas l'oral, sont


souvent explicitement ou implicitement, en tout ou partie, des demandes de com-

74
Quand dire, c'est faire... écrire

mentaire métalinguistique. L'alloglotte désire un complément d'information gramma¬


ticale avant de prendre en compte la forme proposée qui échappe à son savoir ou
à son savoir-faire linguistique :

exemple 7 :
V : on est resté... jusqu'à ...
I : Pourquoi ne j'pas jusqu'AU'
V: jusqu'A parce que après c'est six eh :
I : ah ouais

V : tu mets jusqu'AU quand t'as après un a


I: aie
V: a: eheio u
I : ouais
V : ouais mhm une voyelle quoi
I : six heures
(cf. aussi ex. 4 : «Qu'est ce que c'est «a part ça «?»)

Hétéro-initiations, contrat didactique et contrat «scolaire»

Dans les deux exemples que nous avons cités, l'initiation de la reformulation par
l'alloglotte est produite par des questions explicites «pourquoi (pas) ?» «qu'est-ce
que c'est ?» On trouve des exemples de ces questtons au début comme à la fin de
l'interaction. Elles manifestent - surtout la première - que l'alloglotte conserve
pendant toute l'interaction une exigence de clarification métalinguistique qui dépasse
celle offerte par une simple paraphrase.
D'autre part le caractère général de la question posée montre aussi qu'elle
entend dépasser le contexte discursif particulier de cette tâche précise, pour
connaître d'hypotétiques règles générales de foncttonnement.
On peut y voir une claire manifestation de ce qu'on pourrait appeler un «contrat
scolaire» excédant par ses exigences le contrat didactique postulé par de Pietro et
al. (1987).
Ce dernier ne donnait naissance a priori qu'à des échanges (dits «latéraux» car
ils s'écartent de la ligne directrice de la conversation) de la forme :
- difficulté de production/compréhension,
- reformulation,
- acceptation/reprise.

Les échanges métalinguistiques sont ici de la forme :


- difficulté de conceptualisation + question métalinguistique généralisante,
- réponse métalinguistique générale (éventuellement sous forme de «règle
scolaire),
- (acceptation).

Cesdéveloppementsmétalinguistiques, qui apparaissentsousformede réponse,


ne sont pas produits spontanément par le natif. C'est Irma, ralloglotte/apprenante,
qui les sollicite, se comportant avec sa camarade native comme, à l'école, avec son
enseignante. Elle est soucieuse non seulement d'avancer dans la tâche, non
seulement d'acquérir par la pratique, mais aussi d'apprendre consciemment,

75
REPÈRES N° 3/1991 R. BOUCHARD

réf lexivement. Remarquons cependant que Véronique, elle, ne va pas jusqu'au bout
de ce contrat scolaire : si elle produit volontiers des commentaires métalinguistiques
quelquefois d'une certaine longueur par contre elle ne va pas jusqu'à retarder l'apport
d'information afin de faire trouver la réponse à l'alloglotte elle même, suivant un rituel
pédagogique fréquemment utilisé en classe.

Les réponses métalinguistiques de Véronique


Elle se montre typiquement plus à l'aise dans les explications fonctionnelles de
l'emploi des formes (cf. «à part ça») que dans les explications formelles de faits
morphologiques «obligatoires» (cf. «jusqu'au»). Nous pouvons faire l'hypothèse
qu'elle peut plus facilement expliciter sa compétence communicative consciente,
que sa compétence linguistique «automatique».
Dans ce dernier cas, les commentaires méta-linguistiques sont plus ou moins
appropriés (cf. ex. : 7), car le natif n'a plus simplement à manifester son intuition
linguistique naturelle mais à verbaliser un savoir métalinguistique largement lacunaire.
Par un paradoxe qui n'est qu'apparent, dans l'exemple 7, c'est l'apprenante allemande
qui possède la «bonne» règle (au « à le) qu'elle a sans doute dû apprendre
explicitement à l'école, alors que son amief rançaise, qui ne Ta acquise qu'implicitement,
énonce une «règle» parfaitement non-pertinente.
Remarquons cependant que si elle ne possède pas la «bonne règle» elle n'en
abandonne pas pour autant la «bonne place» d'experte linguistique et assume cette
position en fournissant vaille que vaille une explication même si celle-ci est totale¬
ment erronée, construite sur l'«écho» d'une règle scolaire ...

6. LES HÉTÉRO-REFORMULATIONS PRODUITES PAR LE NATIF

Il s'agrt essentiellement d'aides ou de corrections. Ces phénomènes sont très


importants quantitativement dans notre corpus. Il s'agrt de la matérialisation la plus
directe de l'efficacité du contrat inrtial de co-actton proposé par Véronique. Ce contrat
peut fonctionner implicitement, chacun apportant sa phrase, son mot ou son
morphème au discours rédigé en commun selon la règle du jeu proposée initialement
par Véronique :

«fu fais une lettre et puis après j'corr'ige»

Correspondent tout particulièrement à ce projet les hétéro-reformulations


hétéro-initiées des énoncés de l'alloglotte.

6.1. Les hétéro-reformulations hétéro-initiées : les corrections

exemple 8 (cf. exemple 9) :


I : On va bien ensemble
V: On s'entend bien
On s'entend bien
I : Oui "On s'entend bien» (intonation "répétition»)

(cf. aussi exemple 5 «chez/à»)

76
Quand dire, c'est faire... écrire

Il s'agit de la manifestation la plus claire du rôle fonctionnel de conseiller


linguistique, assumé par le natif avec le plein assentiment de l'alloglotte. Nous avons
en effet déjà noté que nous obtenions un nombre très comparable d'hétéro-
reformulations auto-initiées par l'alloglotte qui demande spontanément au natif de
l'aider en fournissant une forme linguistiquement plus juste ou discursivement plus
appropriée.
C'est essentiellement à propos de problèmes de langue, tels que ceux que
traitent l'école, que Véronique corrige spontanément les propositions d'énoncés
formulées par Irma. Sur quatorze conecttons, par exemple, quatre concernent des
questions d'orthographe d'usage, deux des questions de lexique, deux autres des
problèmes de genre des mots, deux enfin des problèmes d'usage des prépositions.

Remarquons enfin qu'elle se lasse assez vite de ce rôle. Lors de la phase finale
de la tâche on trouve plus d'hétéro-initiations auto-initiées qu'hétéro-initiées.

6.3. Les hétéro-initiations auto-initiées : les demandes d'aide

Celles-ci peuvent poser au natif des problèmes de localisation et d'interprétation


de la difficulté de codage rencontrée par l'alloglotte :

exemple 9 :
1: eh: depuis lanu'it...
la nuit ?
ou ehm c 'est'
V pendant
1: pendantla nuit ?
ouehm
V (bas) cette nuit'
1: ehm non non ehm
V avec nos amis'
1: non ehm. .. beaucoup
V (?)
1: ehm nous fait
ehm mieux' ... dans la nuit ... que dans le pur (rit)
V ah SURTOUT P nuit
1: surtout la nuit
V c'est
surtout c'est euh
euh
plus la nuit
1: oui
V aue le iour. surtout
I : ouais «ensemble surtout ...»

L'informateur est alors amené àfaire des hypothèses grammaticales sur le type
d'amélioration que recherche son co-scripteur. A partir du syntagme pointé par celui-
ci «la nuit» et de sa position dans l'énoncé, on constate qu'il procède en deux temps :

77
REPÈRES N° 3/1991 R.BOUCHARD

il opère différentes tentatives purement formelles, introduction d'une préposition,


transformation du déterminant, avant, dans un second temps, de proposer une
modification sémantique, possible dans le co-texte et dans le contexte.

7. DES REFORMULATIONS AUX SOLLICITATIONS DE


FORMULATIONS

S'opposent globalement à la catégorie des reformulations essentiellement


locales que nous avons étudiées, les sollicitations de formulations, émises par le natif
afin de dynamiser la production de l'alloglotte «Tu veux dire quoi?», «Après ?»
(2 fois).
Il s'agrt alors de demandes de verbalisation des projets d'énoncé plus globaux
que l'alloglotte est censé avoir préalablement conçus. Elles peuvent porter sur
différents niveaux d'organisation du discours cible.
Il arrive aussi qu'lrmaexplicite elle-même spontanément ses projets énonciatrfs.
Ainsi en début de tâche, elle propose une planif icatton globale de la lettre «peut être
je écrire d'abord quelque chose sur moi, et après ensemble». En cours de rédaction,
elle intervient de la même manière méta-discursive pour la rédaction d'un épisode
plus particulier «'Hier1, oui, on raconte...».

Dans ces différents cas, toutes ces interventions métalangagières précèdent


les formulations écrites. D'autre part elles ne se situent pas à un niveau lexico-
grammatical comme les reformulations, qui, dans ce cadre discursif «proto-narratif» ,
ont trait en particulier au micro-système linguistique du repérage temporel (depuis,
déjà, toujours, jusqu'à, j'ai/je suis allée...). Elles concernent des phénomènes plus
globaux de planification sémantique ou textuelle de la lettre en cours de production.
On peut percevoir à travers elles les représentations du «plan de texte» (JM Adam)
sous jacent que possèdent les interactants. Relativement lâche, il repose, plus que
sur une organisation globale, sur une structuration pas à pas, par épisodes simplement
enchaînés («après ?», «après ?»), s'appuyant sur les macrostructures locales d'un
script «touristique» (évaluation globale du séjour, évocation climatique, liste des
différents lieux visités...). C'est ce script que sollicite Véronique en cas de panne
d'inspiration d'Irma. Elle enchaîne alors avec des évocations géographiques (5)
«Paris la nuit est très bien», (12) "J'ai vu Beaubourg...», ou météorologique (9) «//
ne fart pas beau ici». D'autre part chacun des énoncés ainsi réalisés sur la base de
ces thèmes est susceptible ensurte d'être accompagné par une evaluation conclusive :

exemple 1 0 :
On est resté jusqu'à six heures
Après ?
Ehm, c'était très bien

Se constituent ainsi des épisodes prédicatifs binaires (information + évaluation


conclusive), semblables aux échanges informatifs oraux, s'enchaînant au moyen de
marqueurs d'intégration, linéaire comme «ef» ou plus spécifiquement "àpartça» (ci.
exemple 4).
Ces négociations des représentations portant sur la macrostructure et la
planification «pas à pas» de ce genre discursif «ordinaire», la lettre informelle, enfin,

78
Quand dire, c'est faire... écrire

sont complétées par des négociations de son organisation paradiscursive : mise en


page, calligraphie, abréviations conventionnelles :

exemple 1 1 :
I : Chère Madame Sûrich

V : Eh tu mets "Madame» comme ça, tu sais, tu mets un «m» au dessus et un «e»

V : Non, non, en haut, comme ça

... ou de sa présentation générale :

I : On la laisse tout comme ça, la lettre

V : On la recopie
I : Non
V : Pourquoi ?
I : (rit) C'esf beau ... comme ça

V : O.k. !

8. CONCLUSION : SITUATIONS EXOLINGUES ET COMPÉTENCE


METALANGAGIERE DES LOCUTEURS NATIFS

Dans les situations exolingues de production écrite d'un discours «ordinaire»,


les partenaires agissent en fonction d'un contrat souple de coopération.

Il s'agit d'abord d'un contrat de co-actton organisant matériellement le travail en


commun. Cette collaboration est du même type que celle qui peut lier un écrivain
public et son client. Momentanément d'ailleurs c'est ce qui se passe quand Véronique
accepte d'écrire à la place d'Irma en réglant simultanément et tacitement les
problèmes linguistiques (orthographe, morphologie) correspondants.

Mais à ce contrat pratique s'ajoute, en situation exolingue, un contrat didactique


organisant une collaboration spécifique au plan langagier. Il concerne la résolution
des problèmes de langue rencontrés à l'oral mais surtout à l'écrit par l'alloglotte. Il se
manifeste essentiellement lors des nombreuses reformulations hétéro/auto-inrtiées
des énoncés produits par Irma.

Par ailleurs nous avons constaté qu'il avait tendance, dans le cas de ces co-
scripteurs adolescents, à évoluer sans l'atteindre vers un contrat «scolaire». Ils
sollicitent/ajoutent spontanément des commentaires méta-linguistiques similaires à
ceux attendus dans une classe de langue.

De telles situations exolingues de production écrrte collective, permettent donc


d'étudier les compétences langagières et métalangagières des participants telles
que les a, en partie au moins, façonnées leur cursus scolaire.
On constate à ce propos que Véronique est plus efficace pour déceler l'énoncé
mal formé, lui substituer une expression plus grammaticale ou plus acceptable («tu/
vous ; «on/nous») et élaborer une paraphrase que pour fournir un commentaire

79
REPÈRES N° 3/1 991 R. BOUCHARD

métalinguistique expliquant le fonctionnement morphosyntaxique de la langue. Son


intuition linguistique, manifestation de sa grammaire implicite de «native» est plus
productive que son savoir grammatical explicite développé à l'école... si ce n'est
peut-être par rapport aux problèmes locaux, orthographiques et lexicaux !
Ce dernier point peut sembler révélateur du type d'attention à la langue
développé par notre institution scolaire, comme de ... l'efficacité relative de cette
formation métalinguistique. Cette étude est trop rapide pour prétendre tirer des
conclustons définrtives à ce propos. Nous pensons, qu'en créant d'autres situations
de production écrrte spécifiques, il est possible d'évaluer la qualité de cette formation
grammaticale scolaire, quant à des problèmes linguistiques ou pragmatiques précis :
maîtrise explicite de micro-systèmes syntaxiques, de phénomènes ou de genres
discursifs variés...

Mais nous voudrions insister pour terminer sur l'intérêt pédagogique immédiat
de l'utilisation en classe de ces activités (relativement) exolingues.
Cette étude voudrait montrer que l'association au sein de groupes de travail
d'élèves «différents», francophones ou non francophones, d'âges ou d'origines,
sociales, géographiques, hétérogènes, peut ne pas apparaître comme une simple
fatalité pour l'école mais comme une possibilité pédagogique supplémentaire. Elle
permet aux élèves les plus à l'aise linguistiquement de développer leur compétence
métalinguistique dans le même temps où leurs camarades moins avancés profitent,
eux, linguistiquement, de cette formation mutuelle.

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Quand dire, c'est faire... écrire

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100.

ANNEXE

Le processus et le produit

1. Le produit : le texte de la lettre

Chère Mme Surich

On écrit ensemble la lettre que je vous ai promis d'écrire. Je suis là depuis une
semaine, maintenant. On fait beaucoup de choses ensemble, surtout la nuit. Paris
la nuit est très bien. Hier, on est allé chez une amie de Véronique et on a vu un copain.
On est resté là jusqu'à six heures. C'était très bien.
Il ne fait pas beau ici. Il y a toujours beaucoup de nuages. A part ça, on s'entend
bien, de mieux en mieux.
J'ai vu Beaubourg et les Halles, les Invalides et le Panthéon, et le Grand et le
Petit Palais. On a vu des cafés la Seine et la Cité, et je suis allée à une soirée, et je
connais déjà un café et un cinéma. On est allé voir I' «Année dernière à Marienbad» ...

81
REPÈRES N" 3/1991 R. BOUCHARD

2. Le processus de production des énoncés (par noyaux proposKionnels)

* 1° Planification de l'interaction par le natif

(0) Chère Madame


Mme Sûrich
* 2° Planification de l'interaction par le natif (après qui pro quo)

On écrit ensemble
(1 )
(on/nous ?)
On écrit ensemble la lettre qu'est ce que c'est j'ai drt à Mme S, je vas
écriver un lettre à toi ?
aue je. t
vous ai promis d'écrire.

* (Incursion du père interrompant l'événement communicatif)

(2) Je suis là pour


depuis une semaine maintenant.

* (1° tentative de réorganisation de la co-action par l'alloglotte)

(3) On fart beaucoup de choses ensemble, la nuit


depuis
pendant
surtout la nuit.

(5) La nuit à Paris est très bien-


Pari? la nuit est très bien.

(6) Hier, on est allé à


chez une amie de moi
de Véronique

* (2° tentative de réorganisation de la co-action par l'alloglotte)

et on reste avec un ami


ou avec un copain ?
on a vu un copain

(7) On est resté là jusqu'à six heures


(pourquoi pas jusqu'au ?)
jusqu'à six heures.

(8) C'était très bien.

82
Quand dire, c'est faire... écrire

* (3° tentative de réorganisation de la co-action par l'alloglotte)

(9) Il fait pas beau ici.


Ici. il ne fait pas beau.

(1 0) Il y a toujours des (je ne sak; pas dans le ciel ?)


rivages
beaucoup ou toujours ?
toujours beaucoup de nuaaes
f1 1 ) A part ça on va bien ensemble
s'entend bien,
de mieux en mieux.

* (Remise en cause ironique de la tâche «expérimentale» (écriture + enregistre¬


ment) par l'alloglotte)

M2i J'ai vu Beaubourg

* (4° tentative de réorganisation de la co-action par l'alloglotte)

et (des/les)
les Halles
le Panthéon. Saint-Michel.
les Invalides et le Panthéon, le
Grand et le Petit Palais.

(13) On a vu des cafés, la Seine, la Cité.


et la Cité

(14) et je
j'ai
je suis allé à un fête
une soirée
un soirée ?
une soirée

(15) Et je déjà connais un café et un cinéma


suis allée, non ?
connais
connais déjà un café et un cinéma.

(1 6i Je suis allée voir «L'année dernière à Marienbad» :


On est allé voir «L'année dernière à Marienbad» ...

Soulignés rapports du natif


Italiques : formulations interrogatives

83
REPÈRES N" 3/1 991 R. BOUCHARD

ANNEXE 2

Recensement des reformulations produites par Véronique

(Le n° inrtial indique l'énoncé de la lettre concerné par la reformulation)

Source des Natif Alloglotte


énoncés à
problè- Interventions Formulations Interventions Formulations
Initiation mes orales écrites orales écrites
des
reformulations Langue Inscript

Natif Auto-initiation Hétéro-initiation


Niveau locutoire : 0. Mme
2. semAine L
12.BEAUbourg
12. PanTHeon

Niveau linguistique :
- Grammaire : 2. pour/depuis
2. je va/vais
6. à/la Palais
14,un/une soirée

- Lexique : 11. on s'entend


bien
14. fête/soirée

Niveau discursif :
5. paris la nuit
6/7. on est resté
/on a vu
11. de mieux en mieux
12. (pas de) et
12. (pas de) et

Niveau communicatif
1 . tu/vous

84
Quand dire, c'est faîre... écrire

SfUr°Lde! Natif Alloglotte


énoncés à
problè- Interventions Formulations Interventions Formulations
Inîtiatio mes orales écrites orales écrites
des
reformulate Langue Inscript

Natif Auto-initiation Hétéro-Initiation


Niveau locutoire : 3. com
me ça?
1 . tu fais une lettre
12. fais encore
une fois 13.
comme ça, la
Seine?
14. soi
1

rée tu écris
comment ?
15.
connais avec
deux n ? avec s,
hein?
116.
"est" comme
ça?
Niveau linguistique : I.qu'estcequec'est... ?
-Grammaire : , . ..,.,, 3. depuis/surtout
7.jusqua/AU ?
9. toujours/beaucoup
12. les/des Halles
12. le/la palais
15.jedéjàcon-
nais, ça marche ?
| 16. pourquoi ne

pas s ? (allé(S) ?

- Lexique : 5/6. chauss... ?


10. nuages/ciel

Niveau discursif : 11. A part ça?

Niveau communicatif 1. nous/on?

85
L'EMPLOI DE QUELQUES CONNECTEURS
DANS LES RÉCITS
Une tentative de comparaison oral/écrit
chez des enfants de 5 à 11 ans
Serge MOUCHON, Michel FAYOL, Jean Emile GOMBERT
LEAD / CNRS URA 665

L'objectif du présent travail est d'étudier l'emploi d'un certain nombre de


«connecteurs» - ef, mais, alors, soudain (ou tout à coup) tors du rappel oral et écrit
de récits relatant des événements plus ou moins prévisibles.
Ators qu'à l'oral les liaisons entre les énoncés peuvent être éclairées par le
contexte extralinguistique, à l'écrit, elles doivent être marquées explicitement. Les
«connecteurs» sont ces indices explicitant les relations entre deux propositions
successives. Ils apparaissent comme des mots ayant perdu leur signification lexicale
propre et pouvant spécifier certaines des relations structurales du texte. Leur rôle ne
se limite pas aux relations interphrastiques, mais ils fonctionnent comme des
«organisateurs textuels» (Schneuwly, 1 988). Ils constituent la trace des opérations
effectuées par le tocuteur/scripteur pour forger la cohésion textuelle et l'ancrage du
texte dans le contexte. A ce titre et comme le souligne Schneuwly (ibid. p. 1 02) «il n'y
a pas de relatbn bi-univoque entre organisateurs textuels et opérations». Cepen¬
dant, les «connecteurs» ci-après étudiés (ef, mais, ators, soudain) sont, à de rares
exceptions près, les seuls à apparaître dans les récits recueillis. Les conditions de
leur acquisition et de leur maîtrise, envisagées ici comme l'un des aspects importants
du développement des compétences linguistiques de l'enfant, constituent la base de
cette étude.
Lorsqu'on examine les recherches consacrées aux «connecteurs», deux types
de phénomènes retiennent particulièrement l'attention. Le premier concerne l'important
décalage temporel entre, d'une part, l'apparition des divers types de liaisons dans la
production spontanée des enfants et, d'autre part, leur maîtrise dans des tâches
expérimentales de compréhension (Mouchon, Fayol & Gombert, 1 989). Le second
fait apparaître un «retard systématique» de l'écrit sur l'oral. Ainsi, le même enfant qui,
ayant déjà appris à écrire, utilise mais ou tout à coup, à l'oral, ne semble employer
ces «connecteurs», à l'écrit, que plusieurs années plus tard. Ce constat, bien avéré,
est surprenant en ce sensqu'aucune justification claire n'est fournie à ce phénomène.
La présente expérience vise à proposer une explication de ce décalage, explication
étayée par des données empiriques.
L'examen des travaux menés à l'oral, fait ressortir une très grande précocité de
l'acquisition des «connecteurs» élémentaires, à la fois les premiers et les plus
fréquents à apparaître dans les récits écrits (Fayol, 1981). Ainsi, l'emploi de
conjonctions telles que ou, mais, et (etpis)- ou de leurs équivalents anglais - apparaît
dans le discours spontané des enfants dès l'âge de 3 ou 4 ans ( Bates, 1 976; Brown,
1 973 ; Johansson & Sjolin, 1 975). De même, French & Nelson (1 985) montrent que,

lorsque l'enfant - même très jeune - dort s'exprimer à propos de situations de la vie
courante qu'il connaît bien (des "scripts»; cf. sur cette notion, Fayol, 1 985 ; Fayol &

87
REPÈRES N" 3/1991 S. MOUCHON - M. FAYOL - J.É. GOMBERT

Monteil, 1 988), on observe des emplois pertinents de termes tels que avant, après,
ou, mais, parce que, etc.
Les résultats de ces travaux, souvent conduits dans une perspective piagetienne
sont complétés par ceux de Braunwald (1 985) à partir de l'observation longitudinale
de sa fille âgée de 15 à 36 mois. Cet auteur observe que des «connecteurs» se
développent très précocement à partir d'emplois très limités pour ensuite, apparaître
graduellement dans des contextes plus généraux.
A l'oral encore, la prise en considération des contraintes pragmatiques ou
communicatives fait également ressortir les compétences précoces des enfants à
utiliser les «connecteurs» simples. Ainsi, ef apparaît en premier vers l'âge de 25 mois
(Brown, 1 973 ; Scott, 1 984). A la fois marqueur de la continuité discursive (Shiff rin,
1 986) et élément de coordination additive, et apparaît comme plurrf onctionnel à tout

âge (Jeruchimovicz, 1978 ; Peterson & Me Cabe, 1987). L'ordre d'émergence des
autres marques de liaison et des relations sémantiques correspondantes est, à
quelques variations près, le suivant (Pour une revue Kail & Weissenborn, 1984) :
- relation temporelle : alors,
- relation causale : parce que,
- relation additive : mais/soudain/tout à coup.

Alors (ou «then») est également un morphème plur'rfonctionnel, ayant un statut


de «relateur causal» et/ou d'organisateur discursif (Jisa, 1984). Présent dans le
discours oral dès l'âge de 3 ans, il précède généralement l'acquisition de mais (ou
«but»), employé de façon appropriée dès 3/4 ans selon French & Nelson (1 985).

Mais, comme soudain/tout à coup marque une rupture dans le continuum


événementiel. Tous trois signalent la présence ou la survenue d'un obstacle.
Toutefois, mais ne semble pas introduire une coupure aussi marquée que soudain
et est employé dans des situations où l'on a surtout affaire à des farts «traités comme
inaccomplis» (Fayol, 1 986). Mais domine donc dans des récits comportant des
obstacles statiques. En revanche, les événements ayant une composantedy namique
induisent surtout l'emploi de soudain/tout à coup (Mouchon, Fayol & Gombert, 1 989).
En résumé, les analyses précédentes conduites à propos de l'oral, mettent en
évidence le caractère pertinent et précoce des emplois des «connecteurs» usuels.
Les travaux, plus rares, abordant l'utilisation des «connecteurs» à l'écrit font
apparaître des décalages systématiques par rapport à l'oral. Ainsi, ce n'est qu'à partir
du CE2 que les enfants commencent à expliciter par des connecteurs des relations,
sort chronologiques, soit causales. Même ef apparaît peu au CP où les productions
écrites demeurent, soit monophrastiques, soit constituées d'énoncés juxtaposés
sans véritable unité thématique (Fayol, 1986). C'est seulement lorsque l'enfant
produrt des textes dotés d'une unité thématique et organisés selon les principes
«canoniques» du récit qu'apparaissent les marqueurs des différentes relattons. Avec
la complexification des récits apparaît une succession de marques de liaisons.
Lorsque ces récits comportent plusieurs propositions, celles-ci peuvent être expli¬
citement reliées par et. La généralisation des productions de type «script» (Fayol &
Monteil, 1988) suscite l'apparition de marques de liaisons temporelles puis/après/
ensuite. Enfin, le développement des récits respectant l'organisation canonique
entraîne l'emploi de nouveaux modes de connexion indiquant la présence, la nature
(causale, adversative...) et la force des relations entre propositions successives.

88
L'emploi de quelques connecteurs dans les récits

Ainsi, les analyses, conduites à l'écrit, mettent en évidence la très étroite


dépendance des «connecteurs» par rapport à la structure des textes. Le décalage
oral/écrit pourrart donc résulter essentiellement de ce que les trames élaborées par
les enfants à l'écrit, à âge équivalent et au moins jusqu'à 8 ans, sont beaucoup plus
frustes qu'à l'oral. L'utilisation des connecteurs serait alors étroitement
dépendante des caractéristiques de la trame relatée. Toutefois, les arguments en
faveur de cette thèse reposent, pour l'essentiel, sur des analyses de corpus dont on
connaît les limites de validité.
L'objectif de la recherche ci-après rapportée est de lever la contradiction
observée entre oral et écrit en apportant un certain nombre d'arguments empiriques
issus d'expérimentations. Celles-ci s'appuient sur des récits brefs disposant d'une
unité thématique et organisés selon les principes canoniques. Comme le recours aux
productions spontanées ne permet pas de contrôler la représentation cognitive de la
srtuation décrite, nous avons utilisé une technique de rappel différé censée simuler,
au moins partiellement, la production. De fart, Goldman et Varnhagen (1983),
rapportent que leurs sujets introduisent dans des rappels d'histoires, des
«connecteurs» non présents initialement. Ceux-ci sont différents selon que les faits
relatés comportent une complication ou la référence à un obstacle (d'où l'apparition
de «connecteurs» causaux ou adversatifs) ou selon qu'ils se révèlent banals (auquel
cas, seul ef se trouve rajouté). Des faits de même nature ont été observés à 9-1 0 ans
par Pearson (1975) et, entre 5 et 8, ans par Espéret et Gaonac'h (1986).
Nous avons essayé d'utiliser systématiquement une situation expérimentale
analogue. Pour cela, nous avons présenté à des enfants de brefs récits illustrés et
nous nous sommes assurés, par des questtons, de leur compréhension. Cela fait,
nous avons sollicité des rappels différés, oraux ou écrits, en fournissant comme
indices les illustrations fournies tors de la présentation initiale. Nous avons ainsi
obtenu des rappels, oraux et écrits, portant sur les mêmes trames dans lesquelles
survenaient des événements dont nous contrôlions la plus ou moins grande
prévisibilité et certaines caractéristiques (caractère statique ou dynamique de
certains des faits relatés).
L'étude des travaux antérieurs, à l'oral et à l'écrit, et l'analyse critique des
méthodes utilisées nous ont conduits à émettre trois hypothèses, valables tant pour
l'oral que pour l'écrit :
H1 : L'organisation des trames événementielles est l'un des facteurs déterminants
de l'utilisation des «connecteurs» (ceux ici étudiés). On peut, en particulier, s'atten¬
dre à deux types de phénomènes :
H1.1 : Les «connecteurs» - toutes occurrences confondues - devraient être plus
fréquents dans les textes recelant une complication. C'est en effet dans ce cas que
leur fonction cohesive apparaît la plus nécessaire (Fayol, 1 986).
H1.2 : Les différents types de «connecteurs» devraient apparaître de manière
différenciée en fonction de certaines caractéristiques des trames événementielles.
Ainsi :
- ef devrait dominer (en fréquence) dans les textes décrivant des farts banals
et d'agencement stéréotypé («scripts») ;
- mais devrait survenir majoritairement lorsque le déroulement d'une série de
faits se trouve contrecarré par la présence d'un obstacle «statique» (= un état)
(Cf. Goldman & Varnhagen, ibid.) ;

89
REPÈRES N° 3/1991 S. MOUCHON - M. FAYOL - J.É. GOMBERT

- souda/n/touf à coup devraient apparaître lors de la survenue d'un événement


inattendu s'opposant au déroulement d'une série de farts.
Les données disponibles ne permettent pas de déterminer a priori les facteurs
à l'origine des emplois de ators.
H2 : Les «connecteurs» ici considérés devraient apparaître à des sîtes bien déter¬
minés. On peut ainsi s'attendre à observer :
- mais, soudainAout à coup en tête des énoncés décrivant la présence d'un
obstacle ou la survenue d'un événement inattendu ;
- ef plutôt au début du dernier énoncé des textes (Cf. Fayol, 1981).
H3 : L'effet de l'âge, s'il en subsiste un, devrait se manifester, comme l'ensemble de
la littérature le signale à l'écrit comme à l'oral, par une diminution de la proportion de
ef (Bennett-Kastor, 1 986 ; Fayol, 1 981 ) et par un accroissement de la proportion des
autres «connecteurs».

MÉTHODE

Cinq groupes de 18 sujets (9 garçons et 9 filles) chacun ont été tirés au sort
parmi un échantillon de 15 classes (représentant quatre niveaux scolaires) : 3 GS,
3 CP, 6 CE2, 3 CM2. Ces sujets ont été répartis en deux groupes seton les modalités
du rappel.

Rappel oral : Dix-huit sujets d'âge moyen 5;4 ans (extrêmes 5;1 à 5;1 0) issus
de Grandes Sections d'écoles maternelles (notés GS).
Dix-huit sujets d'âge moyen 6;4 ans (extrêmes 6;3 à 6 ;1 0) issus de Cours Préparatoires
(notés CP).
Dix-huit sujets d'âge moyen 8;6 ans (extrêmes 8;1 à 8;9) issus de Cours Elémentai¬
res 2ème année (notés CE).

Rappel écrit : Dix-huit sujets d'âge moyen 9;0 ans (extrêmes 8;3 à 9;4) issus
de Cours Elémentaires 2ème année (notés CE.E).
Dix-huit sujets d'âge moyen 1 1 ;0 ans (extrêmes 10;6 à 1 1 ;6) issus de Cours Moyen
2ème année (notés CM).
Dix-huit récits comportant chacun six propositions, chacune illustrée par un dessin,
ont été élaborés. Ces textes ont été conçus, de sorte que leur trame suive l'un des
schémas canoniques d'organisation narrative : Cadre + But + Tentative + (Action vs.
Etat obstacle ou Evénement obstacle) + Résultat + Fin (Fayol, 1985).

Ces récits ont été construits à partir de 6 amorces comportant chacune 3


propositions. Ces propositions fournissent le Cadre, le But et la Tentative communs
aux 3 éléments de chacune des familles de récits. A chacune de ces amorces ont été
associées trois suites différentes correspondant à trois types d'événements.
- La première ne comporte aucun obstacle (=Sans Obstacle, notée SO)
s'opposant à la réalisation du But. Le texte final relate donc un «script»:
séquence hautement prévisible et, de ce fait, dépourvue de toute surprise (et
intérêt !).
- La deuxième introduit, après la tentative, un Obstacle Statique(noté OS)
décrit presque systématiquement par un verbe d'état (être, avoir, sembler...)
à l'imparfait.

90
L'emploi de quelques connecteurs dans les récits

- La troisième relate, après latentative, la survenue d'un événement inattendu


(Obstacle Dynamique noté OD) décrit à l'aide de verbes résultatifs instan¬
tanés (arriver, exploser, renverser, etc.; Cf. Fayol, Abdi & Gombert, 1989)
présentés au passé simple.

Le tableau 1 donne un exemple des 3 versions réalisées à partird'une même amorce.

Tableau I. Exemple de texte avec amorce commune (proposrtions 1 , 2 et 3) et


trois verstons( SO = Sans Obstacle; OS = Obstacle Statique; OD = Obstacle
Dynamique).

LES CHAMPIGNONS
1. José aimait beaucoup les champignons.
2. Il avait envie d'aller en ramasser.
3. Il partit dans les prés avec son panier.
SO: 4. Les champignons poussaient partout. 5. lien remplit son panier. 6. José allait
se régaler le soir.
OS: 4 Aucun champignon ne poussait dans les prés. 5. Le panier resta vide. 6. José
n 'allait pas se régaler le soir.
OD:4. Dans un pré un taureau poursuivit José. 5. José nepouvaitplus ramasser de
champignons. 6. Il n'allait pas se régaler le soir.

Chaque sujet traite les 6 récits et les 3 versions mais il ne voit un récit que sous
une seule version. Il s'ensuit que chaque enfant a eu affaire à deux textes de chaque
version (SO/OS/OD).
Les récits ont été présentés par blocs de deux afin d'empêcher un rappel littéral
des propositions. L'expérimentateur avait enregistré au magnétophone les textes et
faisait d'abord entendre chacun d'eux une fois sans aucune illustration puis une
seconde fois en associant un dessin à chaque proposition. Cette procédure visait à
assurer la compréhension et la mémorisation des trames car un faible taux de rappel
eût interdit toute analyse fiable de la distribution des «connecteurs». L'adjonction
d'illustrations permettait, outre la facilitation de la compréhension, de disposer
d'indices de récupération associés chacun à une proposition. Il s'agissait ainsi
d'évrter que certaines informations ne soient pas rappelées et, de ce fart, empêchent
l'analyse des trames narratives de rappels. Après présentation de chaque récit,
l'expérimentateur posait des questtons inf érentielles (pourquoi ?...) afin de s'assurer
de la compréhension des enfants.
Lorsque le premier récit d'un bloc de deux avait été ainsi présenté,
l'expérimentateur procédait de même avec le second. Celafait, ildemandart ators un
rappel du premiertexte en fournissant les images comme indices. Il sollicitait ensurte
de la même manière le rappel du second texte. L'expérimentateur passait ensuite au
bloc des deux récits suivants, et ainsi de suite. La même procédure a été utilisée à
l'oral et à l'écrit. Toutefois, cette dernière condition expérimentale a rendu possible
la passation simultanée par deux sujets, cependant que les enfants ont été vus
individuellement à l'oral.
Tous les rappels oraux ont été enregistrés au magnétophone puis retranscrits
et analysés par catégories narratives. Les rappels écrits ont permis une exploitation
directe. Les taux de rappel des informations prépositionnelles contenues dans les

91
REPÈRES N° 3/1991 S. MOUCHON - M. FAYOL - J.É. GOMBERT

textes sont très élevés (.80 à .90) y compris chez les plus jeunes. La fiabilité des
traitements est donc très grande.

RÉSULTATS

A l'oral comme à l'écrit, chez les plus jeunes comme chez les plus âgés, les
enfants ajoutent systématiquement et massivement des «connecteurs» lors des
rappels. Nous les avons relevés en fonction de l'âge, des versions (SO/OS/OD) et
des sites (devant l'Action ou l'Etat ou l'Evénement en position 4 : noté E ; devant le
Résultat en position 5 : noté R ; devant la Fin en position 6 : notée F). Compte tenu
de la procédure utilisée le nombre obtenu (sur 3 maximum) a été retenu dans les
analyses qui, afin de faciliter la lecture, ne seront pas rapportées. Nous nous
bornerons simplement à signaler la sign'ificativrté ou la non significativité des
variations.

Analyse globale

Les résultats de cette première analyse font apparaître un taux moyen d'emploi
des «connecteurs» double à l'oral par rapport à l'écrit (respectivement 1.49 contre
.762 sur un maximum de 3 tous groupes confondus et 1.36 contre .691 au CE2). A
l'écrrt, on enregistre une légère augmentation en fonction de l'âge (ici confondu avec
le niveau scolaire, de .691 au CE à .833 au CM). A l'inverse, le taux moyen diminue
régulièrement à l'oral de la GS au CE ( de 1 .65 à 1 .36). Toutefois, ces variations ne
sont pas significatives.
Les versions exercent un effet significatif à l'oral comme a l'écrit. Le nombre
moyen de «connecteurs» se révèle plus élevé avec OS et OD qu'avec SO, à l'oral
(respectivement 1.66 et 1.51 contre 1.3) et à l'écrrt (respectivement .842 et .824
contre .620). Enfin, des effets significatifs induits par les différents emplacements
sont présents à l'oral et à l'écrit.
Les «connecteurs» sont massivement rajoutés au début du constituant Evé¬
nement des récits OS et OD (Etat vs Action) à l'écrit comme à l'oral. A l'opposé, ce
même constituant reçoit très peu de «connecteurs» pour la condition SO. Enfin, à
l'écrit comme à l'oral, le nombre moyen de «connecteurs» enregistrés sur le
constituant Fin des trois types de récits suit une distribution très voisine.
Ainsi, cette première analyse globale ne met pas en évidence d'effet associé à
l'âge (H3), ou à la modalité oral/écrit. Dans les deux cas, l'examen des rappels fait
nettement ressortir qu'au-delà de 5 ans, les enfants rajoutent systématiquement des
«connecteurs» et que ces ajouts s'effectuent aux mêmes endroits sous les deux
modalités de rappel. Seule, diffère la proportion globale plus élevée à l'oral qu'à
l'écrit.

Cette analyse tend donc à confirmer le rôle joué par les trames événementielles:
dès qu'elles sont compréhensibles par les enfants, elles entraînent la mobilisation
des «connecteurs» pertinents. Ceux-ci apparaissent majorrtairement lorsque le récrt
fait référence à une complication (statique ou dynamique) (H1.1). De plus, ils se
situent à des emplacements identiques, à l'oral comme à l'écrit, essentiellement
devant le constituant Evénement pourOS et OD.L'étudedes différents «connecteurs»
devrait permettre de préciser ces farts.

92
L'emploi de quelques connecteurs dans les récits

Etude par «connecteur»

Le dénombrement des occurrences, «connecteur» par «connecteur», à partir


des deux conditions (oral et écrit) fait apparaître la même hiérarchie des fréquences
partexte : ef(écr.,.37/or.,.96)> mais (.271.30) > ators (.08/. 1 7) > soudain/tout à coup
(.05/.06).Comme on le constate, le taux moyen d'emploi de mais et de soudain/tout
à coup est sensiblement identique à l'oral et à l'écrit (respectivement .27 à l'écrit et
.30 à l'oral pour le premier et .05 contre .06 pour le second tous groupes confondus
et .31 contre .27 et .08 contre .05 au CE2). Au contraire, et est trois fois plus souvent
employé à l'oral.
L'emploi des «connecteurs» ators, mais et soudain/tout à coup est comparable
à l'oral et à l'écrit : mais et alors se manifestent essentiellement avec OS et, dans une
moindre mesure, avec OD, tandis que soudain/tout à coup apparaissent exclusi¬
vement avec OD. Quant à et, il est massivement suscité par SO, à l'oral comme à
l'écrit mais moins fréquemment sous cette dernière modalité.
Ces premières constatations doivent être complétées par l'étude systématique
de chaque «connecteur». t

ET: c'est le «connecteur» le plus employé par tous les enfants, à tous les âges,
à l'oral plus encore qu'à l'écrit (.96 contre .37 tous groupes confondus et .81 contre
.32 au CE2). Cependant, la fréquence de efdiminue en fonction de l'âge à l'oral (1 .07
en GS, 1 au CP, .81 au CM), mais tend légèrement à croître à l'écrit (.32 au CE, .42
au CM) sans que ces variations soient significatives. En revanche, à l'oral comme à
l'écrit, les Versions exercent un effet significatif sur le taux moyen d'emploi de ef (1 .25
avec SO contre .75 et .90 avec OS et OD à l'oral ; .60 avec SO contre .21 et .31 avec
OS et OD à l'écrit). Et apparaît donc essentiellement et massivement avec SO.
L'impact des Emplacements est, lui aussi, significatif, à l'écrit comme à l'oral.
Ainsi, et est surtout employé dans le cadre de trames événementielles banales. A
l'écrit, il se répartit entre Fin et Résultat (respectivement .472 et .620), et à l'oral il se
situe majorrtairement devant le constituant Fin (1.45 contre .79 à Résultat et .64 à
Evénement). Il semble ainsi que ef fonctionne à l'oral et à l'écrit, mais plus encore à
l'oral, comme un marqueur textuel signalant l'achèvement de la narration (pour une
observation semblable dans des analyses de corpus, Cf. Fayol, 1981, p. 465 et
suivantes). Par ailleurs, ef est aussi utilisé, à l'oral comme à l'écrit, mais cette fois
surtout à l'écrit, comme un marqueur reliant des propositions entretenant entre elles
un rapport que l'enfant pourrait signaler avec «donc» ou «ators» (Eisenberg, 1 980).
En outre, la supériorité de la fréquence de ef à l'oral, avérée quel que sort l'empla¬
cement et/ou le type de trames peut résulter du recours à une «routine énonciative»
nécessaire au maintien de la continuité énonciative du monologue. Cette stratégie
de conservation de la parole est superflue à l'écrit puisque le texte ne sera soumis
au lecteur qu'une fois achevé.

MAIS : L'emploi de ce «connecteur» est stable à l'oral et à l'écrit, quel que soit
l'âge (.29 en GS, .30 au CP et .31 au CE pour l'oral ; .27 au CE, .27 au CM pour l'écrit).
L'effet associé aux versions se révèle très net à l'oral comme à l'écrit : seules
les trames OS et OD suscitent l'emploi de mais (.51 avec OS et .29 avecOD à l'écrit ;
.60 avec OS et .28 avec OD à l'oral tous groupes confondus et, respectivement, .26
et .13 contre .72 et .22 au CE2).

93
REPÈRES N° 3/1991 S. MOUCHON - M. FAYOL - J.É. GOMBERT

Comme prévu, la présence d'un obstacle statique induit un emploi


significativement plus fréquent de mais à l'oral et à l'écrit. Ces résultats sont con¬
formes aux données déjà rapportées par Caron (1 978) et Fayol (1 981 , 1 986 à l'oral) :
la spécificité de l'usage de mais se manifeste dans des situations où il convient
d'exprimer des résistances (amélioration vs dégradation) contrecarrant l'évolution
attendue (ou normale), des événements.
Ainsi, à tous les âges ici considérés, à l'oral comme à l'écrit, les enfants
recourent à l'emploi de mais avec une égale fréquence et dans le même contexte
pour signaler l'occurrence d'une complication.

ALORS : Plus fréquent à l'oral qu'à l'écrit, alors n'a toutefois pu faire l'objet
d'analyses statistiques en raison du faible taux d'occurrences. Après une chute à
l'oral entre laGS et le CP (.24 à. 10), la fréquence moyenne tend à augmenter du CP
au CE (.10 à .15). Elle croît également à l'écrit (de .04 au CE à .12 au CM). A l'oral
comme à l'écrit, ators est surtout présent dans les versions OS (.31 contre .03 avec
SO et .1 6 avec OD à l'oral; .16 contre 0 et .07 avec SO et OD à l'écrit). De plus, 1 8
des 33 emplois de ators repérés à l'oral et 1 6 sur 1 7 à l'écrit sont en co-occurrence
avec mais. Ces farts tendent à montrer que, à l'oral comme à l'écrit, les enfants
utilisent le «connecteur» ators de manière assez semblable pour introduire la ré¬
solution subséquente à une complication statique amorcée par mais. (Par ex.: « ...
mais la couleur lui plaisait pas alors il trouvait toujours sa chambre triste «; S1 8, CE
à l'oral. «... mais il était trop mouillé. Ators, ils ne ramassèrent pas le foin «;S 5, CM
à l'écrit).

SOUDAIN/TOUT A COUP : On note une élévation des taux d'emploi, à l'oral,


à partir du CE (9 emplois contre 5 en GS et autant en CP) tandis que les chiffres
demeurent stables entre les deux groupes de l'écrit (5 emplois au CE2 et 4 au CM).
Seules les versions OD ( 1 8 cas sur 1 9 à l'oral, la totalité des cas à l'écrrt)
entraînent l'usage de ces «connecteurs» qui se situent systématiquement devant le
constituant Evénement. En conséquence, il apparaît ici aussi que, dès 5 ans, à l'oral,
et, pour les plus âgés, à l'oral comme à l'écrit, soudain/tout à coup est employé
exclusivement dans des récits décrivant la survenue d'une complication «dynami¬
que» venant perturber le déroulement «normal» des faits ( par ex.: «...il partit et en
ramassa ( des champignons) touf à coup un taureau vena» ; S6, CE à l'oral;».. .ils
partent en tracteur. Soudain, un orage éclate». S8;CM, à l'écrit).

DISCUSSION

L'objectif de cette recherche était de fournir des arguments expérimentaux en


faveur de la thèse selon laquelle les «connecteurs» élémentaires (et /alors /mais /
soudain / toutàcoup) sont très tôt disponibles et apparaissent à l'écrit comme à l'oral
dès que les caractéristiques des trames élaborées par les enfants deviennent
suffisamment complexes et pertinentes pour en justifier l'emploi. Pour cela, on a
demandé à des enfants de 5, 6, 8 et 1 1 ans de rappeler oralement ou par écrrt ,des
récits décrivant des trames événementielles banales ou comportant un obstacle
(statique ou dynamique) dépourvues de «connecteurs».
Tout d'abord, les résultats obtenus font apparaître que, dès 5 ans, tous les
enfants utilisent massivement, systématiquement et régulièrement les «connecteurs»

94
L'emploi de quelques connecteurs dans les récits

ici étudiés, à l'oral. A l'écrit, le même phénomène s'observe dès que l'enfant maîtrise
cette modalité. Il semble que le contrôle exercé sur les trames afin de rendre leur
structure et leur niveau de complexité identiques à l'oral et à l'écrit ait abouti à
permettre l'emploi, chez tous les enfants, à tous les âges, des «connecteurs»
élémentaires ef / alors / mais / soudain / tout à coup.
Ensuite, en accord avec nos hypothèses, on observe à l'oral comme à l'écrit que
- la fréquence d'occurrence des «connecteurs» s'élève en présence d'un
obstacle ou d'une complication (H1.1) ;
- les «connecteurs» se diversifient seton les différents types de trames :
efapparaît surtout avec les séquences rapportant desfarts banals («scripts») ;
mais en présence d'obstacles statiques ;
soudain /tout à coup avec la survenue d'événements inattendus (H1 .2) ;
- laf réquence d'occurrence des «connecteurs» varie avec les sites et les types
de trames (H2).
Les «connecteurs» apparaissent massivement en tête du 4ème constituant
narratif, celui qui introduit l'obstacle statique (dans OS) ou l'événement inattendu
(dans OD).
En revanche, lorsque la trame est de type "script» les «connecteurs» se situent
presque exclusivement devant les 5ème et/ou 6ème constituants (Résultat et Fin) ;
cet effet est essentiellement dû à l'augmentation delà proportion de ef dans les versions
SO.

En résumé, il apparaît, que l'acquisition des «connecteurs» et leur utilisation


dans les productions écrites et orales sont précoces. En effet, dès lors que l'on
s'assure de la compréhension et que l'on contrôle la structure des trames
événementielles, les enfants sont capables d'utiliser correctement les
«connecteurs» les plus élémentaires. Il semble que leur présence ou leur
absence, à l'oral aussi bien qu'à l'écrit, tienne, non pas à des difficultés
linguistiques ou notionnelles en rapport avec les termes eux-mêmes, mais au
fait que certaines conditions d'emploi sont ou non réunies. Ainsi, le décalage
oral/écrit résulte sans doute essentiellement de ce que les trames élaborées par les
enfants à l'écrit, sont, à âge équivalent, beaucoup plus sommaires qu'à l'oral. De fait,
dès que ces trames recèlent des obstacles ou des complications, les «connecteurs»
correspondants sont utilisés. En revanche, tant que les faits rapportés demeurent
frustes et/ou banals, seul ef est employé. Ceci confirme les résultats des études
relatives à la genèse du récit (Appelbee, 1 978 ; Fayol, 1 983 ; Miller et Sperry, 1 988 ;
Umiker-Sebeok, 1979 ; Waters et Hou, 1987) : la complexification et la cohésion
croissante des faits rapportés dans les narrattons au fur et à mesure du développement
de l'enfant, entraînent l'apparition des «connecteurs» appropriés.
Il reste à comprendre les raisons pour lesquelles les trames élaborées par les
enfants, à âge équivalent, sont beaucoup plus sommaires à l'écrit qu'à l'oral.
Les chercheurs apparentent la composition écrite à un système complexe de
résolution de problème composé de trois processus majeurs : la planification, la
transcription et la révision. La planification - notam ment dans ses aspects conceptuels
se rapportant à la construction d'un plan et à l'élaboration d'un réseau de buts et de
sous-buts ainsi qu'à l'organisation textuelle globale - y apparaît comme le processus
fondamental. Un tel processus ne peut être maîtrisé que si l'habileté des scripteurs
à gérer les activités de «bas-niveau» relatives à la transcription (activité graphique,

95
REPÈRES N° 3/1991 S. MOUCHON - M. FAYOL - J.É. GOMBERT

orthographe, etc..) est elle-même acquise, voire automatisée. Or, cette automati¬
sation n'est que partiellement assurée chez l'enfant de 1 0-1 1 ans. Et les activités de
traitement «superficiel», encore conscientes, entraînent vraisemblablement encore
une surcharge attentionnelle. Le sujet ne disposerait donc plus d'une capacrté
d'attentton suffisante pour effectuer des traitements de «haut-niveau» exiges par
l'élaboration de récits plus complexes. Il n'y parviendrait qu'au terme de plusieurs
années d'apprentissage.
Par ailleurs, la situation monologique dans laquelle se trouve l'enfant écrivant,
en l'absence d'objectifs communicatifs immédiats et sans contexte socialement
motivant le prive de rétroactions («feedback»). Elle exclut le recours à un réfèrent
situationnel, supprime la possibilrté d'utiliser les faits prosodiques (débit, mélodie,
rythme, etc.) et contraint le scripteur à recourir à des systèmes de marquage
complexes dont il n'a pas encore la maîtrise complète. Enfin, les représentations
attachées à la langue écrite (respect des conventions, qualité du style, etc.) exigent
du locuteur une élaboration et une surveillance particulières de son discours. Celui-
ci doit être explicite et conforme aux normes linguistiques.
L'ensemble de ces contraintes limite vraisemblablement davantage encore, les
possibilités des plus jeunes.

Les conclustons précédentes, selon lesquelles l'emploi des «connecteurs»


dépend essentiellement des caractéristiques des textes, suggèrent deux possibilités
d'intervention didactique destinées à développer la compétence narrative des
enfants.
Il s'agrt d'une part, d'inciter à l'utilisation des «connecteurs», en proposant,
comme nous l'avons montré, des trames qui en sont dépourvues. Dans cette
perspective, il paraît nécessaire de s'appuyer sur le domaine des connaissances
dont dispose l'enfant et de recourir à des situations fonctionnelles de communication.
Par ailleurs, l'autonomie fonctionnelle qui caractérise l'écrit, fart de ce dernier un
système de production abstrait où la prise de conscience et l'analyse se substituent
aux régulations de l'action. C'est pourquoi l'étude systématique et guidée des
occurrences des connecteurs dans des récits devrait faciliter l'appréhension des
différents niveaux d'organisation des textes et favoriser la construction de repré¬
sentations mentales correspondantes. En maîtrisant mieux ces relations, l'enfant
pourrait recourir de manière plus pertinente encore aux marques textuelles qui les
traduisent.
Ces activités devraient favoriser l'émergence d'attitudes métalinguistiques.
Elles devraient également aider à l'intégration des différentes procédures cognitives
et linguistiques à l'oeuvre au cours de la planification de la composition écrite.

96
L'emploi de quelques connecteurs dans les récits

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98
LE CONTE COMME OUTIL DE MÉDIATION
EN SITUATION INTERCULTURELLE
Nadine DECOURT
CEFISEM, École Normale de Lyon

Le travail qui va être exposé ici s'inscrit dans le champ mouvant et problématique
de la scolarisation des enfants de migrants. Il a eu pour principal point d'ancrage deux
écoles et un collège où le pourcentage de la population immigrée varie entre 38 et
56 %.
Comment procéder avec des élèves doublement étrangers à la culture de
l'école, du fait de leurs conditions de vie et de leurs cultures d'appartenance, pour les
amener à la maîtrise de l'écrit ? N'y aurait-il pas moyen de convertir en avantage le
«handicap» de l'écart culturel, de trouver entre l'école et la famille des médiations ?
Il m'a semblé que le conte pouvait offrir cette ressource et qu'il y avait fort à parier
sur une pratique concertée de la littérature orale. Le présent article tâchera de
développer et d'argumenter ce propos, de montrer comment de l'idée de médiation
entre oral et écrit nous avons été amenés, adultes et enfants, à opérer un véritable
transfert d'expérience de la variabilité du conte oral à la variation de l'écriture.
La recherche (ou l'aventure ?) dont procède cet article, est placée sous la
direction de Jean PERROT (professeur, Paris XIII) et a reçu l'appui vigilant de
Camille LACOSTE-DUJARDIN (directeur de recherche et d'étude, CNRS-EHESS)
ainsi que de C. BONN (professeur Paris XIII). Elle va donner lieu par ailleurs à un
article dans la revue du CNRS Littérature orale arabo-berbère (à paraître) : «Le conte
maghrébin dans tous ses états ou les enjeux de la variation pluriculturelle».

1. HYPOTHÈSES DE TRAVAIL

1 .1 Le conte comme outil de médiation entre l'école et les familles

Un double constat est à l'origine de cette recherche.


Le premier est celui d'une fragilité, voire, dans bien des cas, d'une rupture de
la transmission orale. Des parents, semble-t-il, oublient ou mettent en sommeil des
compétences qui ne peuvent plus trouver place ici. Il y a «les misères de la vie
quotidienne», souvent invoquées parmes informatrices, mais aussi ladisqualification,
parfois sournoise, d'un patrimoine éclipsé par le prestige de l'écrit. Les parents
connaissent-ils suffisamment l'intérêt que portent au conte les pédagogues ? Ceux-
ci, en dépit de leurs visées pédagogiques, prennent-ils suffisamment au sérieux
l'objet même de leur pratique et l'importance de l'oralité ? N'oublions pas en effet
notre propre histoire, celle que nous rappelle Jack Zipes (1 ) ou Marc Soriano (2) : le
détournement du conte populaire parCh. Perrault et les transformations opérées par
sa réécriture. Malgré tout le "Renouveau du conte en France et ailleurs» célébré par
un récent colloque (3), la représentation du conte comme matériau éducatif pour le
«premier âge» n'est pas sans persister, un conte à la rigueur bon pour les femmes,
bon pour l'école (milieu lui-même très féminin) ou encore bon pour les personnes
âgées. Nul doute alors que le conte immigré ne souffre lui aussi de cette image de

99
REPÈRES N° 3/1991 N. DECOURT

marque que peut lui renvoyer la société d'accueil. Pourtant l'usage pédagogique qui
caractérise notre culture du conte pourrait être l'argument même d'une relance de la
transmission. De fait, le conte ne pourrait-il entrer dans un disposrtif de lutte pour la
réussite scolaire des «enfants de la tradition orale» (même si ces derniers sont aussi
les «enfants de la télévision») ? Il s'agirait, à travers lui, de débloquer l'imaginaire qui
s'est arrêté, explique le psychothérapeute Abdessalem Yayaoui (4), avec le
franchissement des frontières.
Le deuxième constat est celui d'une rupture entre la culture de l'école et les
cultures du foyer, entre les pratiques langagières et les moyens de transmission du
savoir qui opèrent plus ou moins bien de chaque côté. Si les enfants de l'immigration
constituent un ensemble hétérogène (du fart de l'âge, de l'appartenance ethnique,
des trajectoires familiales propres), ils partagent cependant le plus souvent une
grande difficulté à maîtriser l'écrrt exigé à l'école, à accéder à ce que Geneviève
Vermes appelle un " usage décontextualisé du Pngage»(5). Ces difficultés sont sans
doute communes à bien d'autres enfants français de même milieu socio-culturel et
tout aussi étrangers à la culture graphique en vigueur à l'école. Cependant il y a peut-
être à parier avec les premiers, sur les ressources d'un parler bilingue en voie de
réhabilitation, sur leur capacité à passer d'une culture à l'autre, à prendre des repères
de nature à développer une flexibilité cognitive. Cela suppose, selon Josiane F.
Hamers (6), une représentation positive des langues-cultures en présence, de même
qu'un complet exercice des compétences langagières dans l'une et l'autre langue.
Or la langue maternelle, chargée d'affect et de valeur symbolique, devient souvent
un simple moyen de communication ordinaire. Redonner droit de cité au conte dans
la famille ne pourrart-t-il, à cet égard, opérer à la fois une nécessaire légitimation de
la langue du foyer et la restauration de son plein usage ? Quant aux enfants qui ne
comprennent plus leur langue d'origine, ce n'est pas pour autant qu'ils ont évacué la
question précisément de leurorigine et de leurfiliation, dans une société quiconteste
à tout bout de champ leur choix d'identité ; il importe de leur fournir des possibilités
et des stratégies de repérage.

1.2 De l'idée de médiation à l'idée de variation.


Incidences sur les rapports entre oral et écrit

S'intéresser aux «racines», étant donné l'hétérogénéité des appartenances


ethniques des enfants concernés, ne peut qu'amener au spectacle de la variation.
En effet qui dit collectage dit collection de corpus aléatoires. L'idée de médiation a
pour corollaire l'émergence du pluriel. La variabilité du conte oral peut donc être
utilisée poursubvertir nos représentations d'un écrrtqui ne feraitque figer, conserver,
tel que le stigmatise Paul Zumthor (7).
D'une part, si les textes écrits servent à fixer chaque version, ils donnent en
même temps à voir et à étudier des ressemblances et des différences : ils permettent
d'entrer dans un système de transformations et d'en faire l'analyse. L'écrit apparaît
alors comme un outil d'exploration, comme l'instrument d'investigation par excellence
de ce quif ait l'essence du conte oral. Il n'y a ni domination ni aliénation àcraindre mais
une solidarité à fonder entre deux modes spécifiques de communication et de
trartement des données.
D'autre part, le comparatisme prend valeur d'invitation à la variation. Etudier les
variantes d'un conte provoque l'écriture d'autres variantes et, plus encore, amène à

100
Le conte comme outil de médiation en situation interculturelle

concevoir l'écriture comme variation. Il s'agit bien là d'expérimenter un autre rapport


à l'écriture et à la création.
Enfin, n'y a-t-il pas àescompterde ce travail la constitution d'une «bibliothèque»
qui puise ses ressources aussi bien dans les textes oraux que dans les textes écrits
pour alimenter l'imaginaire ? Comment des enfants vont-ils construire et exploiter un
répertoire, se forger, ce faisant, leur culture du conte et d'un conte ? Ne leur
appartient-il pas d'opérer leur propre articulation de l'oral et de l'écrit, par-delà tout
programme du pédagogue ? A cet égard, le conte ne donnerait-il pas aux élèves les
plus démunis le moyen d'appréhender Pintertextualrté, d'entrer véritablement en
littérature ?
Telles sont les hypothèses qui se sont affinées dans le temps même de leur mise
en oeuvre et qui ont présidé à ce que nous pourrions appeler «l'idée de corpus».

2. QUESTIONS DE MÉTHODE

2.1 Le choix d'un conte-type : «La vache des orphelins»


Grande était la tentation, au démarrage, d'embrasser les contes les plus connus
des familles maghrébines. Il était pourtant plus prudent de choisir un seul conte qui
serait un support et un passeport à la fois pour les diverses activités et démarches.
La monographie aiderait à mieux sérier les objectifs, à affiner analyses et outils.
Comment ators résister à l'attrait de «La vache des orphelins»? Des élèves de
CE 2 avaient réalisé, à partir de la version de Marguerite Taos Amrouche (8), un
montage qui ne trahissait pas le merveilleux du conte. Qui plus est, l'un des auteurs
était arrivé avec une version russe, pêche miraculeuse et début de collection. Ici le
frère et la soeur avaient nom Ali et Aïcha, là Alionouchka et Ivanouchka
Dans un cas, les enfants sont orphelins de mère. Ils se nourrissent grâce au lait
de la vache que cette dernière leur a laissée et résistent ainsi aux persécutions d'une
marâtre. Mais celle-ci finit par surprendre leur manège et exige la mort de la vache
Elle est égorgée (le plus souvent vendue à un boucher dans les autres versions
maghrébines) ; il ne reste plus aux enfants qu'à partir. Le conte russe, lui, donne à
voir dès le départ l'errance de deux enfants complètement orphelins. Mais voici que,
comme au Maghreb, le frère, assoiffé, est transformé en animal, la soeur rencontre
un prince(«tsar» ici, «sultan» là-bas) et accepte le mariage à condition que ce dernier
s'engage à protéger le frère animal. Bonheur provisoire, étant donné la malveillance
de la marâtre ou d'une femme jatouse, n'hésitant pas cette fois à pousser la soeur
enceinte au fond d'un puits (dans la plupart des versions) ou dans la mer (version
russe) pour prendre sa place. Tout à la fin rentre dans l'ordre grâce à l'échange de
refrains entre le frère (menacé de mort à son tour) et la soeur, échange surpris par
un tiers et occasion de la délivrance. Le frère, dans la version de Marguerite Taos
Amrouche et dans la version russe, retrouve la forme humaine.
Il s'agrt en fart du conte-type T450 (selon la classification internationale d'Aarne
et Thompson). Ce conte présente plusieurs avantages. Tout d'abord il est très
répandu dans un répertoire international et facilement accessible à des élèves. De
plus, il reste très présent dans les mémoires des familles d'origine maghrébine et en
particulier, nous y reviendrons, kabyle. Il offre des thèmes qui sollicitent fort
l'imaginaire : thème de l'enfance maltraitée, thème de l'abandon, thème de l'animalité

101
REPÈRES N° 3/1991 N. DECOURT

(avec la poétique du bestiaire et de la métamorphose). Enfin, à travers le thème de


la séparation et de l'exil, «La vache des orphelins» est de nature à éveiller chez tous
des résonances complexes touchant à l'histoire et à la problématique même de
l'immigration.

2.2 Mises en oeuvre

Avant même la construction d'un dispositif pédagogique, une étape préalable


s'imposart, celle d'un collectage auprès des familles de l'immigration. Oui ou non, à
travers «La vache des orphelins» pouvait-on attester la permanence d'une culture du
conte ? Enseignantes d'école maternelle, travailleurs sociaux ont été sollicités pour
servir d'intermédiaires. La confiance dont ils jouissaient auprès des familles était la
condition nécessaire pour délier les langues. Dans le même temps, une première
série de travaux a été lancée, du CP au CM 2 (Ecoles J. Brenier et S. Signoret, dans
la ZEP de Saint-Priest), pour vérifier l'intérêt des enfants, leur aptitude à entrer dans
une démarche comparative.
Ces essais ont été suffisamment concluants pour nous autoriser à concevoir,
en équipe, un Projet d'Action Educative associant plusieurs groupes d'enfants :
- une classe de CM 2, par demi-groupe, à raison d'une heure et demie par
quinzaine à la BCD (Ecole J. Brenier, avec Michèle Raynaud, responsable
de la BCD et co-pilote du projet sur le terrain) ;
- une classe de CM 2, dans le cadre d'un atelier informatique, à raison d'une
heure et demie par semaine (Ecole S. Signoret, avec Marie-Christine Fichet),
atelier relayé en cours d'année par des séances de travail en petits groupes
à la BCD (avec Josette Ceccaldi et Ginès Rubio) ;
- une 6ème et une 5ème, du collège voisin , dans le cadre du cours de Français
(Collège Colette, avec Danièle Pirodon). Ces deux classes rassemblaient
des élèves jugés suffisamment «en retard» pour effectuer le parcours 6ème-
5ème en trois ans.

D'octobre à juin, les étapes ont été les suivantes :

contage de la version source


1ère étape :
La version contée a été différente pour chaque groupe d'enfants concernés.
Cette diversification répond essentiellement au souci d'éviter le ghetto des versions
maghrébines, comme au souci d'amplifier les effets de la variation tant au niveau du
corpus de base qu'au niveau des réécritures.

Heme étape : activités de collectage


La version-source ayant été présentée comme une version parmi d'autres, les
enfants, munis d'un titre et de quelques mots-clés, se sont mis en chasse. Enquête
auprès des familles, recherches à la BCD, à la Médiathèque de Saint-Priest, l'objectif
était de rapporter le plus de versions possible.

Illème étape : travaux de comparaison


Cette étape a pris plus ou moins de temps seton l'importance du corpus réuni
par les enfants. Contage d'une ou deux versions, ou véritables moments de criée où
plusieurs conteurs alternent exptoration minutieuse sur le mode du "C'estpareil, c'est

102
Le conte comme outil de médiation en situation interculturelle

pas pareil», il s'agrt là d'une phase stratégique, puisque l'écrit entre en scène et que
s'y détermine, dans une élaboration collective, le canevas (voire le «contrat») de
réécriture.

IVème étape : production de variantes


La consigne a été donnée d'écrire (individuellement ou en groupe) une autre
version du même conte, tel qu'il s'était dégagé des travaux de comparaison. Un seul
groupe (déjà familiarisé avec le conte) s'est lancé dans la fabrication d'un livre-jeu,
autre manière d'explorter les variantes selon une forme d'écrrt inédite pour tous et
dont pourtant tous étaient consommateurs.

Vème étape : mises en spectacle


Le conte-type étant l'élément fédérateur du projet, une grande attention a été
donnée aux modalités de rencontres et d'échanges. La synthèse finale a consisté à
faire une distribution-spectacle du document final. Lectures éclatées selon une
partition ad hoc (élaborée en deux séances avec la conseillère pédagogique de
musique, M. Simonci), lecture théâtrale des premières pages du livre-jeu ont servi à
clôturer les travaux.

2.3 Appuis théoriques

Hypothèses de travail, mises en oeuvre pédagogiques, analyse des résultats


ont fait l'objet d'un travail de recherche-action conduit dans le cadre d'une thèse en
littérature comparée (9). Le choix de cette discipline peut surprendre dans un
domaine essentiellement dominé par la Linguistique et ses diverses branches
(Comment apprendre le français à des enfants de migrants ?) et plus largement par
les Sciences Humaines (Comment prendre en compte ladiversité culturelle du public
concerné ?). La littérature fait certes aujourd'hui une timide percée dans un pro¬
gramme d'éducation à l'ouverture culturelle. Quant à la littérature comparée, encore
moins présente dans le champ des pratiques interculturelles, elle m'est apparue
comme la discipline la plus pertinente pour aborder un objet éminemment transculturel,
pour opérer un décentrement salutaire par rapport aux débats et aux pratiques en
vigueur. La littérature orale, du même coup, a surgi avec la même nécessité, dans
l'approche d'une problématique de la transmission ici et maintenant, et, plus
largement, de l'articulation oral /écrit en srtuation pluriculturelle. C'est pourquoi je ne
reviendrai pas ici sur les travaux déjà signalés en ce qui concerne la situation
langagière des enfants de migrants et privilégierai plutôt les principaux ouvrages qui
m'ont guidée dans cette recherche.
Une première notion était à prendre en compte, celle de «conte-type», utilisée
par Aarne et Thompson dans leurclassiftoation internationale et reprise par P. Delarue
et M.-L. Ténèze dans leur «catalogue raisonné» du conte populaire français (1 0). Si
cette notion paraît de plus en plus problématique, il est pourtant difficile d'en faire
l'économie pour quiconque manipule et fait manipuler des contes. C'est pourquoi il
est prudent de multiplier les éclairages, ceux des structuralistes mais aussi ceux des
ethnologues, plus sensibles aux variations culturelles dans la mise en oeuvre du
schéma du conte. Les travaux de Claude Lévi-Strauss (1 1 ), fournissent (est-il besoin
de le rappeler ?) une entrée privilégiée dans le système de transformations inscrit
dans le conte comme dans le mythe. D'autres apports sont venus enrichir cette

103
REP ÈRES N° 3/1 99 1 N. DECOURT

approche. Signalons tout d'abord l'étude de Guy Denhière (12), qui s'attache
précisément aux règles de transformation du récit à partir des phénomènes de
compréhension et de rappel. Elle nous a été particulièrement précieuse tant pour
l'analyse des versions immigrées du collectage préalable que pour celle des
transformations opérées par les enfants dans leurs propres récits. Il n'est ators que
de suivre Joseph Courtes dans sa ronde des motifs (13) pour ne pas céder à la
tentation de réduire le conte à un pur enchaînement narratif. Ce dernier propose en
effet une sémio-poétique qui redonne au conte toute sa densité et à la moindre
variante tout son prix : «Un des acquis de notre recherche est au moins celui-ci : au
début de notre propos, nous avons émis ridée seton laquelle le figuratif, pour avoir
sens, devait être sous-tendu par une forme thématico-narrative déterminée; puis
nous nous sommes aperçu qu'il existe une autre forme d'organisation des figures
non plus située sur l'axe syntagmatique, mais sur celui paradigmatpue, qui permet,
elle aussi, de donner un sens, mais cette fois autre, de type plutôt connotatif. Point
n'est besoin désormais, en effet, de reverser ce «surplus de sens» que donnent par
exemple les triades «soleil» / «lune» / «étoile» et «noix» / «noisette» / «amande» au
compte de l'esthétique ou de la stylistique, comme l'ont fait si souvent jusqu'bi les
folkloristes. Car il est clair maintenant que ces «détails» («soleil» /«lune» /«étoile»,
«noix» /«noisette» /«amande»), loin d'être gratuits, fruits du hasard, de l'enpl'rvement,
sont en fa'rtjustificîables, sémiotpuement parlant, d'un autre type d'organisation, de
caractère paradigmatpue, que les narratotogues patentés risquent fort d'oublier, et
qui rend compte, pour une bonne part, de la densité sémantique de nos traditions
populaires.» (14)
En ce qui concerne plus particulièrement l'articulation oral/écrit en jeu dans la
variation et dans son exploitation pédagogique, je me suis appuyée tout d'abord sur
les travaux de Jack Goody (15) pour puiser dans son plaidoyer pour la «Raison
graphique» matière à mieux concevoir le rôle de l'écrit dans les activités de
comparaison. Son analyse de l'écriture comme mode spécifique de traitement des
données est en effet une invitation à enseigner l'écrit autrement, à apporter des
repères entre les avantages respectifs de l'oral et de l'écrit sans exclusive ni
discrimination. D'autre part Jack Goody, dans son éloge de la rature, devance le
plaidoyer joyeux de Bernard Cerquiglini, intitulé, de fait, Eloge de la variante (1 6).
L'auteur, en qualité de spécialiste de la littérature médiévale, y remet en question
notre conception du «texte» comme intangible, unique, figé une fois pour toutes dans
une forme inaltérable. A travers tant les manuscrits du Moyen Age que les logiciels
de trartement de texte, il nous encourage à nous représenter et à vivre l'écriture
comme instance de mouvement et de liberté. Cette variabilité dans et par l'écriture
pourrait être mise en rapport et en opposition (telle a du moins été notre démarche)
avec la variabilité du texte oral, telle qu'elle se dégage des travaux de Paulette
Galand-Pernet (17) et de Camille Lacoste (18). Spécialistes de littérature orale
arabo-berbère, celles-ci ont mis en évidence un «système de signaux démarcatifs»
qui, par leur redondance même à la surface du texte, guident l'auditeur dans le
découpage du conte. Indicateurs de temps et de lieu, verbes de déplacement et
d'introduction de discours, noms propres, formules etc., ces signaux démarcatifs
créent des effets de symétrie véritablement constitutifs d'une poétique du texte oral.
Ces divers apports théoriques nous ont donc servi d'appuis pour imaginer une
constellation de pratiques puisant dans les ressources de l'oral comme dans les
ressources de l'écrit, l'objectif étant d'aider des enfants à s'approprier les deux

104
Le conte comme outil de médiation en situation interculturelle

systèmes en s'aidant de l'un pour mieux repérer l'autre et réciproquement. Ils ont
fourni en même temps des outils précieux pour une analyse comparative des textes
collectés et des textes produits, laquelle a été choisie comme pièce maîtresse du
dispositif d'évaluation.

3. ANALYSE DES RÉSULTATS

3.1 Une tradition vivante ou l'oralité réhabilitée


Le travail de collectage, mené en préalable puis intégré dans le projet péda¬
gogique, a eu pour effet de nous montrer que les littératures orales perdurent en
immigration. Elles peuvent se trouver réactivées, transformées et remplir pleinement
leur fonction de médiateur culturel. Je ne développerai pas ici tout ce qui concerne
la transmission des contes et la manière dont des conteurs parviennent à jouer avec
les problèmes de langue et de mémoire pour inventer des procédés de contage
adaptés à une situation interculturelle. Je me contenterai d'émettre l'hypothèse d'une
féminisation du contage immigré du fait même des relations privilégiées qui peuvent
s'établir entre une institutrice et des mères, une animatrice decours d'alphabétisation
ou de couture et les groupes de femmes dont elle a la responsabilité. II y a
assurément une acculturation réciproque qui s'exerce à travers l'intérêt de l'école
pour les pratiques de l'oralité et l'intérêt des familles pour la réussite scolaire des
leurs, laquelle passe d'abord par la conquête d'un lire/écrire en «bon» français.
Toujours est-il que la «demande» de l'école a fait émerger des patrimoines et des
conteurs, tant parmi les adultes que parmi les enfants. Desfemmes analphabètes ont
pu redresser l'image dévalorisée que renvoie de leur «ignorance» l'entrée des plus
jeunes dans le monde de l'écrit. Quand on sart la précarité des enfants confrontés à
ce genre d'expérience (19), l'on ne peut que parier sur l'instauration de tels liens
positifs entre parents et enfants. Il est à remarquerque la plupart des contes viennent
defamilles kabyles, fortement enracinées dans leurpassé.désireusesde transmettre
un patrimoine quia échappé à l'oppression de la culture arabe et participe d'une forte
revendication "identitaire. «La vache des orphelins», àcet égard, aservi de révélateur
dans des classes où brusquement, et le néologisme est significatif d'un long silence,
des élèves ont pu proclamer, comme Salima : «Moi, je suis kabylienne». Dans
certains cas, notre demande aopéré un travail de restauration : restauration du conte
(une mère a sollicité tout son voisinage pour combler ses trous de mémoire),
restauration de la transmission (la mère de Walid a décidé de conter à nouveau à ses
enfants, ce à quoi elle avait renoncé pour des problèmes de langue, son français
comme leur compréhension de l'arabe étant trop laborieux). Des enfants se sont mis
à transcrire les contes de leurs parents. L'un a fart remarquer qu'il avait «corrigé les
fautes» de sa mère en «traducteur» zélé du conte oral en un français écrit conforme
à sa représentation de la norme. D'autres ont même signé leurtranscription, signant
à la fois l'acte de propriété et l'acte d'écriture. Ils ont ainsi commencé à prendre la
mesure de la parole, à appréhender la différence entre deux systèmes de narration
remis à parité.

105
REPÈRES N° 3/1991 N. DECOURT

3.2 L'écrit au service de l'oral

Les enfants ont fait la découverte de la variation du conte, une découverte


déclenchant immédiatement une ardeur à la comparaison et une ténacité qui a
étonné tous les adultes concernés par l'expérience. En témoignent la précision des
observations, la multiplicité des prises de parole, la durée même d'un travailqui aurart
pu en rebuter plus d'un. D'une certaine manière, le comparatisme s'est avéré un jeu
d'enfants, mené avec le plus grand sérieux. Certains ont fart assaut d'exigences,
obligeant la classe, le groupe à passer de l'impression au constat. Ils sont entrés ce
faisant, et sur du texte, dans une démarche scientifique. L'écrit s'est avéré l'outil par
excellence de leur exploration. Ce sont eux qui ont proposé l'usage de tableaux et
ont veillé à l'expression la plus pertinente des critères à dégager, des oppositions à
mettre en oeuvre. L'étoffe du conte a sans doute joué un grand rôle dans la qualité
de leur participation : émotion, imaginaire et passion cognitive se sont ici, à travers
les uns ou les autres, renforcés. N'oublions pas non plus, comme facteur essentiel
de la dynamique, l'attitude du maître, son art de se montrer lui aussi exigeant, «en
recherche». Plusieurs séances ont donc été nécessaires pour arriver au bout des
curiosités portant chaque fois sur un corpus de deux ou trois versions (ators que les
temps de production ont été ensurte très variables d'un groupe à l'autre). La
comparaison a eu là valeur de technique d'appropriation du conte-type. Elle a
rebondi, une fois les textes écrits, au moment des mises en commun. Désirs de
confronter sa version avec celle des autres, tant pour le plaisir qu'à des fins d'auto-
oud'inter-évaluation.ontfait naître des tableaux individuels et collectifs. Certains ont
voulu «corriger» ce qu'ils jugeaient contraire au schéma canonique; d'autres ont
simplement constaté leurs écarts; d'autres, stimulés par la trouvaille de tel ou tel, ont
voulu reprendre leur production pour l'améliorer. Outil de critique, le tableau a donc
été un moteur de la variation, dans une effervescence de l'écriture. Il s'est trouvé à
la fois l'instrument d'une esthétique de la réception et, nous allons y venir, l'instru¬
ment d'une autre pratique de l'écriture. Les enfants se sont sentis des auteurs,
prenant place eux aussi dans les colonnes, à côté des frères Grimm. Le jour de la
synthèse finale, chacun est venu inscrire le nom de ses héros, l'animal de la
métamorphose, le pays de l'exil : tableau ludique, pour finir, qui a conduit à l'écriture
collective d'une partition. L'écrrt s'est trouvé là au service d'une mise en voix de la
variation du conte à l'opposé du contage linéaire traditionnel. Cette nouvelle oralrté
eût été inimaginable sans le processus préalable d'écriture. Ne se posait plus, en tout
cas, la question que nous avions rencontrée au départ : est-ce que c'est la vraie
version du conte ? De la même manière se trouvait subverti le parcours fléché de
l'oral à l'écrit, de l'écrit à l'oral auquel le conte sert quasi rituellement de support.

3.3 Quand l'écriture devient art de la variation

En produisant leurs propres variantes, les auteurs se sont installés au coeur


d'un système de transformattons. Ils y ont fait moins l'expérience du vertige que celle
d'une nouvelle liberté. Il est bien apparu à tous qu'il n'y a pas plus de texte intangible
que de version vraie, que l'écriture est d'abord capacrté à trarter de l'écrit, c'est-à-dire
à raturer, à réécrire, à inventer. Des élèves du collège se sont même hasardés aune
tactique, à première vue, fort économique : plutôt que de corriger une «faute»
grammaticale, ils «changeaient la pièce», le motif, quitte à commettre bien d'autres

106
Le conte comme outil de médiation en situation interculturelle

fautes à la place. Certains sont restés très près d'un modèle. Par exemple, fort
impressionnés par une version de «La vache des orphelins», ils ont suivi le conte
maghrébin, s'ingéniant à remplacer la vache par quelque chèvre nourricière ; mais
les infimes différences relevées ne disent pas moins une prise de possession du
conte, qu'ils ont écrit long, avec plaisir. D'autres se sont attardés sur le récit des
persécutions, d'autres se sont laissés entraînés par le stéréotype du mariage,
arrêtant brutalement leur narration à mi-parcours. D'autres ont recherché les effets
de surprise, déjà tout à leur succès d'auteurs. Quant à Disteh, un élève de CM 2
d'origine congolaise, il a recueilli tous les suffrages, en prenant la gageure de mettre
en scène dès le départ non pas un frère et une soeur mais un frère et son demi-frère.
S'il exprimait par là quelques difficultés personnelles, il n'en a pas moins joué avec
un véritable casse-tête narratif : justifier le mariage du roi avec le demi-frère. Nous
prendrons donc appui sur son texte, donné intégralement en annexe, pour mieux
démontrer le caractère heuristique de la variation dans la logique imaginative de
l'enfant. De fait le récit de Disteh fourmille de notations qui laissent paraître la malice
du conteur et renforcent la cohérence du texte. Disteh sait opposer l'insouciance du
père au sentiment de culpabilité éprouvée par la fille après la mort de sa mère. Les
persécutions exercées par la marâtre sont notées du point de vue d'un enfant jaloux
du sort réservé à son petit frère. Le complot de la marâtre, emprunté à la version
slovaque du conte (20), est lui aussi traité au plus près des représentations de
l'enfant : "Puis une nuit Bemba, le petit frère de FidélP, chercha sa bille et vit la bille
devant la chambre de son demi-frère. Il se rapprocha pour le prendre et entendit la
marâtre dire que le lendemain elle allait les vendre quepue part». Fart autobiogra¬
phique, gâterie supplémentaire ou trait de culture, le petit frère a, lui, le privilège de
dormir dans lachambre de ses parents. Le motif de la bille nouscondurt en fart devant
la chambre des parents, comme aux portes de la scène primitive. Enfin Disteh
propose un motif tout aussi familier pour mettre en scène la transgression de
l'interdiction de boire : "Il fit exprès de s 'évanouir et roula pour être plus près de la
source.» La feinte de l'évanouissement vient ici se substituer au prétexte de l'oubli
(talisman, flèche, chaussure ou livre) trouvé dans notre corpus. Place est donnée au
corps, au jeu, à l'enfance, dans une création originale. Il n'est pas jusqu'à
I' "hippopotame magique» qui art enchanté les enfants, un hippopotame alliant le
merveilleux du conte et la réalité de l'animal.

3.3 La preuve par le livre-jeu

Le livre-jeu élaboré par la classe de CM 2 de l'école J. Brenier a pris valeur


emblématique. Il est devenu pour tous les enfants du PAE l'objet fétiche ou plus
exactement l'objet de reconnaissance du projet. Les auteurs l'ont vécu comme une
véritable aventure, comme quelque chose de radicalement nouveau. Certes les
premiers jets ont témoigné de la difficulté de la tâche. Les auteurs ont dû chercher
des procédés pour résoudre les problèmes majeurs et élaguer quelque peu l'arbre
foisonnant offert par leur «bibliothèque» du conte. Cette analyse ne saurait entrer
dans les limites du présent article. Je me contenterai ici, à partir du trartement qu'ils
ont fait du bestiaire, de donner un aperçu de leur travail d'écriture comme «écriture
de la variance» au sens où l'entend Bernard Cerquiglini. En effet, si les enfants
renoncent aux nombreux animaux rencontrées dans les diverses versions, c'est pour
isolertrois animaux, quivontgénérer.àeux seuls, toute une dynamique variationnelle

107
REPÈRES N° 3/1 991 N. DECOURT

conforme à leurs principaux traits d'opposition : le lion (déjà présent dans la version
nivernaise), le cerf (animal le plusf réquent de notre corpus) et une souris de leur crû,
tradrtionnelle ennemie des puissants de ce monde. Partis d'une commutation
mécanique («La soeur n'a pas le temps de dire non que le petit frère se transforme
en IPn/ced/souris») les voilà qui travaillent la scène de la métamorphose, jouent sur
les temps et les artifices de présentation, avant d'énoncer une conclusion qu'ils
répètent dans chaque unité :

p. 10
Soeurette se retourna, mais c'était trop tard. Frérot était transformé en un cerf
au regard triste et au poil doux.
La pauvre soeur était désespérée de voir son malheureux frère transformé en
animal après avoir bu l'eau magique. Ils se réfugient tous les deux dans une
grotte. Tous les matins, Soeurette va boire à la rivière et se rince le visage.

p. 11
Quand Frérot boit l'eau, immédiatement il se transforme en un lion au pelage
marron clair et à la crinière blonde. C'est un lion effrayant mais inoffensif. ...

p. 12
Soeurette n'a pas le temps de l'empêcher de boire. Frérot boit l'eau et le voilà
transformé en petite souris grise aux yeux brillants. ...

La répétition prend du même coup valeur poétique pour qui lit plusieurs
parcours.
Sous l'impulsion de la qualif icatton animalière, les auteurs vont interpréter à leur
manière la négociation du mariage entre la soeur et le prince (la plupart des versions
maghrébines mettent en scène le motif de la montée dans l'arbre et de la ruse de la
vieille Settoute pourfaire descendre la jeune fille prudemment réfugiée en haut d'un
palmier-dattier).
A la demande de protection du frère posée, dans toutes les versions, comme
condition au mariage, ils vont, eux, ajouter une scène de capture. Moyen dechantage
pour le prince qui a donné l'ordre d'arrêter l'animal, c'est aussi le moyen de déployer
«l'excès joyeux» de la variation, pour reprendre les termes de Bernard Cerquiglini :

p. 21
«Oui, sepneur» répondirent les gardes.
Ils utilisèrent un piège et un filet. Dès que le cerf en sortant se promener, mit la
patte dans le piège, ils jetèrent le filet sur lui. Le cerf était prisonnier. Il ne pouvait
plus bouger.

p. 49
Les gardes discutèrent entre eux :
«Comment va-t-on faire? Il faut trouver un piège pour capturer P lion.»
Un des gardes dit : «Nous allons creuser un grand trou et le recouvrir de
branches. Nous attacherons un agneau de l'autre côté du trou. L 'agneau va crier
et le lion entendra les cris de l'agneau. Alors il s'approchera pour le prendre et
il tombera dans le trou et nous pourrons l'attraper.»
Les gardes firent aussitôt ce que leur camarade avait dit, la ruse réussit. Le lion
fut fait prisonnier. »

108
Le conte comme outil de médiation en situation interculturelle

p. 50
Le capitaine ordonne à un de ses gardes d'aller chercher une petite cage et du
fromage pour attraper la souris.
limit P fromage dans la cage et accrocha P ficelle. La souris était prisonnière,
elle ne pouvait plus se sauver. Le capitaine l'emmena au prince.

Chaque animal reçoit, on le voit, un traitement spécifique. La capture du lion


prend une ampleur que n'ont pas les deux autres. Elle est traitée sur le mode de la
résolution de problèmes. Au cerf est réservée une certaine majesté : mouvement de
foule, mouvement de filet relèvent d'une esthétiquecinématographique et introduisent
une belle scène de chasse. Quant à la capture de la petite souris, elle se situe aux
antipodes de l'héroïsme; plus question de mobiliser la garde royale; l'ordre donné à
un subalterne suffit.
La spécification animalière débouche enfin sur le plain-chant de la variation : à
la sécheresse de lacondrtion énoncée dans les versions de référence, encore visible
dans le «modèle du cerf», s'oppose une expression de la tendresse accordée à
chaque image du frère-animal :

p. 17
Le prince demanda à Soeurette de se marier avec lui.
Soeurette hésita un moment, puis elle drt :
«J'accepte, mais à une condition, je veux garder avec moi mon frère qui a été
transformé en cerf en buvant de l'eau magique. Il ne faudrait pas lui faire de
mal.»
te prince jura de ne pas tuer son frère

p. 47
Quand le prince la demande en mariage, elle lui drt :
«A une condition vous ne fartes aucun mal au Ibn.» Et elle lui raconte toute
l'histoire.
Soeurette fit mettre son frère dans une immense cage aménagée pour qu'il ne
s'ennuie pas. Tous les purs elle lui rendait visite et lui donnait à manger.
Elle lui parlait, mais Une lui répondait pas. Mais il la regardait gentiment.

p. 48
Soeurette décida d'accepter le mariage à une condition : que la petite souris soit
l'amie de tout le royaume. Ainsi elle sera nourrie trois fois parjour dans la plus
luxueuse des cages. Et surtout aucun chat ne sera autorisé à rentrer dans le
palais.

Ainsi des enfants se sont-ils pris, nous semble-t-il, au «jeu de la redite et du


retour, de la reprise et du changement» qui caractérise pour Bernard Cerquiglini
l'acte même d'écrire, tel que le révèlent tant «la mobilité incessante et joyeuse de
l'écrit médiéval» que «l'écran dialogique et multidimensionnel de l'ordinateur» (21)
Ils ont fait oeuvre originale, exprimé leur sensibilité, leur émotion dans un libre emploi
de l'écriture et des motifs du conte traditionnel. Tant pis s'il leur a fallu renoncer, au
passage, aux éléments les plus spectaculaires de la variation, à l'exotisme des noms
propres et des pays, pour mieux circuler dans les pages du livre-jeu, dans leur
imaginaire.

109
REPÈRES N° 3/1 991 N. DECOURT

4. ÉLÉMENTS DE VIGILANCE ET DE QUESTIONNEMENT

L'idée de corpus s'est donc ancrée dans un ensemble de pratiques innovantes


pour les enfants et les adultes. Le pari de la médiation nous semble avoir été tenu.
A la fin de l'expérience, la version de la mère de WalkJ, écoutée en début d'année
avec l'intérêt que le groupe des pairs peut accorder à l'apport d'un des leurs, a changé
de statut : elle a été réclamée comme texte en résonance avec d'autres, pour le plaisir
du texte même. Loin de se lasser, les élèves ont voulu explorer d'autres versions, se
lançant parfois dans des lectures «difficiles» ou dans une écoute gourmande de la
variation. Le travail continue et les élèves en viennent eux-mêmes à «lever» des
corpus, à entreprendre ou à suggérer des études comparatives. Il s'agit à présent
d'affiner notre outil, de trouver des procédures évaluatives pour approcher au plus
près des effets observables. Ce travail ne peut se faire qu'à long terme, avec
beaucoup de prudence et (faut-il l'avouer ?) de la chance aussi. Telle mère, devenue
conteuse, ne nous a-t-elle pas dit un jour avoir retiré du «soutien» son fils, parce
qu'elle ne voyait pas pourquoi ce dernier était en échec ? Le fait devoir son conte
imprimé avait en effet radicalement modifié son rapport au savoir et, partant, sa
conception de son rôle éducatif. Nous devons pour l'instant nous contenter d'une
série d'indices de ce type, au hasard des confidences. Par exemple, la mère de Walid
nous a confié un jour, comme nous l'avons déjà signalé, qu'elle s'était remise à dire
des contes à ses enfants ; nous avons appris que telle autre mère commençait à
emprunter des livres de contes maghrébins à la bibliothèque du centre social, ceci
dans le désir de retrouver un patrimoine pour le transmettre. Quant aux représenta¬
tions et aux comportements des enfants, outre ce que nous en a appris l'analyse des
textes, ils ont fait l'objet d'entretiens et d'observations, mais nous savons trop
l'importance du suivi d'une expérience pour nous illusionner sur les résultats de
l'instant. Nous pouvons cependant attester la validité de la démarche. C'est pourquoi
je voudrais, pour finir, attirer l'attention du lecteur, qui serait tenté par ce type de
travail, sur un certain nombre de pièges.
Le premier piège, malgré le garde-fou que constitue le corpus en lui même,
serait de se focaliser sur la mémoire de l'immigration et d'enfermer l'enfant dans de
prétendues racines. Si certains enfants ont voulu, dans leurs contes, profiter de la
séquence de l'exil pour opérer un retour dans leur pays d'origine, d'autres, toutes
origines confondues, ont préféré émigrer en Australie, véritable pays mythique, par
le biais de la télévision et des documentaires, tout à leurs rêves de moutons ou de
kangourous. Un groupe d'élèves de 5ème a eu l'astuce d'utiliser les racines
yougoslaves de l'un pour s'offrir le luxe d'un exotisme que ne représente pas une
culture maghrébine vécue au quotidien dans la classe. La fabrique du texte ne nous
mettrait-elle pas là sur la voie d'une très libre exploitation par chacun de ses
ressources familiales ?
Il est un autre piège, et non des moindres, qui consisterait à enfermer les auteurs
dans le carcan d'un schéma canonique du conte. Sans doute faut-il admettre tous les
écarts et toutes les transgressions, c'est-à-dire respecter le dit de chacun. De fait, les
textes ont manifesté toutes sortes d'influences, celle des pairs, celle de la télévision
ou celle d'une culture scolaire. Le goût de l'aventure, chez les plus grands, est venu
subvertir la structuredu conte et signaler un désir d'évasion, qui est aussi ledésird'un
autre genre de discours.

110
Le conte comme outil de médiation en situation interculturelle

Enfin, dans l'hypothèse même d'une médiation entre culture de l'oral et culture
de l'écrrt, un intérêt tout particulier estàporter sur l'établissement et le traitement des
textes du collectage. D'une part l'enfant ne peut, de manière positive, corriger le texte
de sa mère que si tous les moyens sont mis en oeuvre pour lui faire apprécier la
qualité intrinsèque de la narration originale, par-delà les erreurs de morpho-syntaxe,
les confusions de registres de langue ou les approximations de vocabulaire, lise peut
que l'enseignant ne résiste pas aux normes qui lui ont été inculquées et qu'il inculque
à son tour. Il importe donc de veiller tout particulièrement à une esthétique de la
réception des nouvelles formes de la tradition orale en immigration L'outil, sinon, se
retournerait contre ses utilisateurs. D'autre part la même vigilance est à apporter
dans la transcription de ces contes immigrés et dans leur lecture. Les recueils
actuellement disponibles ont souvent été composés dans l'urgence de productions
pédagogiques, soucieuses avant tout de restaurer des liens entre générations,
d'établir des passerelles entre l'école et les familles. La question du texte se trouve
réduite à une recherche de lisibilité, laquelle s'exerce (il faut bien le reconnaître) dans
le registre d'un écrit scolaire. Peuvent alors disparaître tous les signaux démarcatifs,
déjà évoqués et, avec eux, le système des résonances et des symétries dont les
spécialistes de littérature orale ont analysé la force. Le passage à l'écrit risque par
là-même de procéder à un véritable laminage du texte, à l'opposé des transpositions
créatrices qui en préserveraient la saveur. Du même coup s'effondrerait tout l'édifice
échafaudé. A manquer la spécificité de l'objet littéraire, l'on manquerait assurément,
à terme, l'efficacité de l'outil pédagogique et didactique.

Au terme de cette expérience, nous pouvons donc témoigner du pouvoir


heuristique de la comparaison. Outil d'analyse, outil de créativité et de jeu, cette
dernière a permis d'embrasser une matière étonnamment complexe et d'entrer, à
partir de l'oral et par le moyen de l'écrit, en littérature.
Le conte s' avère alors un support privilégié, par toutes les résonances qu'il
éveille en chacun, en chaque aire culturelle donnée et dans le choc même des
rencontres. Il permet de réactiver des patrimoines, mais aussi de doter les plus
démunis d'une bibliothèque, d'un système de modèles où puiser librement.
Des élèves y ont découvert le plaisir de la différence. Il n'est pas de texte qui ne
renvoie à un autre texte, pas de version qui ne s'inscrive dans un jeu de variantes.
Texte oral, texte écrit? L'articulation féconde en didactique ne serait-elle pas
aujourd'hui dans une reconnaissance du texte et de l'intertextualité, dans la quête
d'une texture aux inépuisables reflets. Le conte exercerait pleinement sa valeur
initiatique : initiation au texte en son principe dialogique, au gré des mutations
technologiques, dans une conception plus tolérante, c'est-à-dire fondamentalement
dynamique des rapports entre oral et écrit.

On s'est contenté, ici, d'ouvrir des pistes. Les lecteurs n'ont pas manqué de
percevoir «l'énormité» de l'entreprise : prendre du recul dans les champs "mouvants
et piégés de l'interculturel, revisiter le conte comme objet littéraire, au statut
problématique en immigration, à la lumière des développements récents de l'analyse
textuelle, gérer les divers aléas (collectage auprès des familles immigrées, mise en
confiance des uns et des autres, problèmes de traduction, interventions en pointillés
sur le terrain seton les disponibilités du chercheur - formatrice à temps plein -),
analyser, en l'absence de modèles constitués, au croisement des cultures et des

111
REPÈRES N° 3/1991 N. DECOURT

disciplines, un corpus hétérogène, mettre en uvre des démarches, des pratiques


adaptées...
Le doute et la prudence ont guidé la recherche. Si les vérifications essentielles
ont été faites - avec une priorité donnée, dans le cadre d'une thèse de littérature
comparée, aux méthodes de l'analyse textuelle - le travail se poursurt, pour deux ans
encore, avec une diversification des corpus. L'objectif est aujourd'hui de tirer au clair
- de manière plus communicable - les implications pédagogiques et didactiques de
l'idée de corpus.

ANNEXES :

1) Canevas élaboré par le CM 2 de l'École J. Brenier

Frère et soeur Qui est A ?


AetB Qui est B?

maltraités par CetD Comment ?

sont obligés de partir Où?

A n'écoute pas les conseils de E Quels conseils ? Qui est E ?

est transformé en animal Quel animal ?

B protège A Où sont-ils ? Comment vivent-ils ?

F aperçoit B (+ A) Qui est-ce ? Que fait-il là ?


F et B se marient Comment décide-t-il B à accepter ?

Mais CetD retrouvent AetB Comment ?

essaient d'éliminer 1)A 2) B Comment ? Où est F ?

Retour de F

B est délivrée Comment ? Par qui ?


et A?

C et D sont punis Comment ?

112
Le conte comme outil de médiation en situation interculturelle

2) Version de Disteh

Il était une fois un homme qui vivait heureux dans un village nommé Madtva avec
sa femme et sa fille.
FPélie, la fille, voulait avoir un petit frère, fe père et la mère acceptèrent
Quepues mois plus tard, la mère était surP point d'accoucher. Malheureuse¬
ment, à l'accouchement, la mère mourut alto avait eu un mignon petit garçon et elle
n'avait pas eu le temps de fe voir !
FPélie se sentait un peu coupable, son père, lui, c'était différent; il ne pensait
qu'à se remarier.
Un mois plus tard le père se maria et eut un charmant petit garçon. Sa nouvelle
mère était méchante, elle disait toupurs que son fils était plus jeune et qu'il devait
avoir un tas de choses. Elle leur demandait de faire des travaux qu'une fille de douze
ans et un garçon de huit ans ne devaient pas faire. Les enfants voulaient aller au
marché, mais elle ne voulait pas. Elle préférait y aller avec son fils pour lui acheter
plein de choses.
Puisunenurt, Bemba, PpefrtfrèredeFidélie, chercha sa bille et vit la bille devant
la chambrede son demi-frère. Il se rapprocha pour la prendre et il entendit P marâtre
dire que le lendemain elle allait les vendre quepue part. En entendant raconter cela
le frère courut tout raconter à sa soeur. Ils s'enfuirent dans la forêt, dans le noir.
Le pur se leva. Les deux enfants poursuivirent leur chemin jusqu'à une source
où parterre il était écrit : «Celui qui boira cette eau sera transformé en hippopotame
magique.» Fidélie lut à son frère le message et lui conseilla de ne pas boire. Bemba,
lui, il s'en moquait. Ilfitexprès de s'évanouir et roula pour être plus près delà source.
Il but et se transforma aPrs en hippopotame. Fidélie ne trouvait plus son frère, alors
elle courut vers la source et vit qu'il était transformé en hippopotame. Elle l'emmena
dans une cabane qui se trouvait devant un pommPr. Ils se nourrissaient toupurs de
pommes et buvaient l'eau du pays qui était tout proche.
Quatre ans passèrent Fidélie était déjà une belle jeune femme. Un jour un roi
qui se promenait avec son chien et ses gardes vit la vieille cabane. Il regarda dedans
et vit fa belle jeune femme. Le roi tomba tout de suite amoureux d'elle et lui proposa
de se marier avec lui. Fidélie avait déjà l'âge de se marier, elle accepta et ils eurent
un enfant très beau. Avant de s'enfuir, Fidélie avait écrit une lettre et son père l'avait
lue. Dans cette lettre, il était écrit que la marâtre voulait les vendre. Le père, en lisant
cela, chassa sa deuxième épouse et son deuxième fils, lis recherchèrent tous les
deux Fidélie et Bemba pour les tuer et, un beau pur, ils arrivèrent devant le château
du roi. Quand ils virent la reine et l'hippopotame, ils les reconnurent Un beau matin
la vieille mère invita la reine à venir visiter la prison et d'un coup elle l'assomma, la
recouvrit de boue et la poussa denière Ps barreaux. Pendant ce temps le roi, qui était
en promenade dans la forêt, revint. Une trouva plus sa femme. A la place de sa femme
il y avait un homme! Le roi drt :
- Que faites-vous P ?
- Tu ne me reconnais pas ? Je suis ta femme.
- Ma femme, ce n 'est pas un homme! reprit le roi.
- C'estnormal. Montrera, l'hippopotame magique, m'atransformée en homme;
il faut te tuer pour que je redevienne une femme.
- Comme tu voudras.

113
REPÈRES N° 3/1991 N. DECOURT

La vieille dame et son fils ne savaient pas que la carapace d'un hippopotame
était dure. Le roi emmena des soldats et tira sur l'hippopotame mais ce mammifère
résista. Alors les soldats l'emmenèrent dans la prison et l'enfermèrent pour le tuerie
lendemain. Le roi s'était arrêté devant tes barreaux où se trouvait la femme
recouverte de boue. Ilpensa un moment que c'était peut-être sa femme mais il oublia
vite cette idée et ne chercha pas à comprendre.
Le roi était très malheureux et le bébé aussi ! Le roi retourna à la prison avec un
seau d'eau et s'arrêta encore devant la cage de la femme au visage plein de boue.
Il ouvrit la cage et nettoya la figure de la jeune dame et vit que c'était sa femme. Après
avoir délivré l'hippopotame, la reine raconta tout au roi. Le roi fit emprisonner la vieille
dame et son fils en leur mettant de la boue sur le visage. Quant au petit frère Bemba,
il fut transformé en un jeune garçon de quatorze ans.

3) Petite bibliographie sélective

1) Pour entrer dans le conte-type T450


L
BELAMRI R., Les graines de la douleur, Paris, Publisud, 1982, p. 15-28 : «La vache
des orphelins».
S.A.H.Y.O.D., Lundja, contes du Maghreb, Paris, L'Harmattan, 1987, p. 68-78 : «La
vache des orphelins».
TAOS AMROUCHE M., Le grain magpue, paris, La Découverte, 1 966, p. 55-62 : «La
vache des orphelins».
GRjMM, Les trois plumes et douze autres contes, Folio Junior, 1979, p. 33-44 :
«Frérot et Soeurette».
MASSIGNON G., De bouche à oreilles. Le conte populaire français, Berger-Levrault,
1983, p. 253-255 : «Le frère agnelet».

2) Conte et variation
CLO n° 25, «Cendrillons», Paris 1989.
CALAME-GRIAULE G. (et al.), «De la variabilité du sens et du sens de la variabilité»,
in Le conte. Pourquoi ? Comment ?, CNRS, 1982.
CERQUIGLINI B., EPge de la variante, Paris, Des travaux/Seuil, 1989.
DELARUE P..TENEZE M.-L., Le conte populaire français, Paris, Maisonneuve Larose,
4 vol., 1957, 1963, 1976, 1985.
DENHIERE G., // était une fois... Compréhension et souvenir de récits, Presses
Universitaires de Lille, 1 984.
GÔROG-KARADY V. (édité par), D'un conte à l'autre. La variabilité dans la littérature
orale, Paris, CNRS, 1990.
PAULME D., La mère dévorante, Paris, Gallimard, 1976.
PEJU P., L'archipel des contes, Paris, Aubier, 1989.

114
Le conte comme outil de médiation en situation interculturelle

NOTES

1) ZIPES(J.), Les contes de fée et l'an de la subversion, Paris, Payot, 1986.


2) SORIANO (M.), Les contes de C. Perrault Culture savante et traditions populaires, Paris,
Gallimard, 1979.
3) Colloque International. Musée des Arts et Traditions Populaires. 21-24 février 1989, à
l'initiative des ATB, de la DRAC de l'Ile de France et de l'Age d'Or de France, avec le
concours du CNRS.
4) YAYAOUI (A.), "Le temps des enfants, le temps des parents ou linévitable réparation
narcissique", in GRAPE, Petite enfance et immigration. Vouhirou subir l'interculturel ?, 1987.
5) VERMES (G.), "Développement coginitif et bilinguisme des enfants de migrants", Migrants-
formation, n° 74, septembre 1988, p. 14-20.
6) HAMERS (J. F.), "Un modèle socio-psychologique du développement bilingue. Langage et
Sodété, n" 43, mars 1988, p. 91-102.
7) ZUMTHOR (P.), Introduction à la poésie orale, Paris, Seuil, 1983.
8) TAOS AMROUCHE (M.), Le grain magique, Paris, La Découverte, 1 966.
9) à paraître aux Presses Universitaires de Lyon fin 91 .
10) DELARUE (P.), TENEZE (M.-L), Le conte populaire français. Paris, Maisonneuve Larose,
4 vol., 1957, 1963, 1976, 1985.
1 1 LEVI-STRAUSS (C), "La structure des mythes", in Anthropologie structurale I, Paris, Pion,
)
1 958, p. 227-255., Le cm et le cuit, Paris, Pion, 1 964; Du miel aux cendres, 1 967...

1 2) DENHIERE (G.), // était une fois... Compréhension et souvenir de récits, Presses Univer¬

sitaires de Lille, 1984.


13) J. COURTES, Le conte populaire : poétique et mythologie, Paris, PUF, 1986.
14) ibid., p. 242.
15) GOODY (J.), La raison graphique, Paris, Ed. de Minuit, 1979.
16) CERQUIGLINI (B.), Eloge de la variante, Paris, Des travaux/Seuil, 1989.
17) GALAND-PERNET (P.), "Signaux démarcatifs dans "La fille-Gazelle", conte berbère du
Tazerwalt (Maroc)", in LOAB, n° 6-7, 1973 et 1974, p. 53-98.
18) LACOSTE (C), "Friponne, une féministe au pays des sultans", LOAB, n° 15, 1984, p. 45-
74.
19) se reporter là-dessus à l'analyse d'Augustin BARBARA, "Avoir des parents analphabètes
ou l'enfant précaire et responsable", Migrants-Formation, n° 79, décembre 1 989, p. 54-78.
20) "Le petit frère transformé en cerf", in Contes Slovaques, Grûnd.
21) ibid. p. 114.

115
EXPLIQUER À L'ORAL, À L'ÉCRIT,
EN SCIENCES
(Cours Moyen 1 et 2)
Gilbert DUCANCEL
Équipe INRP de l'École Normale d'Amiens

Dans le cadre de la recherche INRP «Résolutions de problèmes de français»


(G. Ducancel, 1 989a), l'équipe de l'École Normale d'Amiens se centre sur la
didactique de la production écrrte des discours narratifs, prescriptifs, argumentatifs
et expositifs-explicatifs. Des articles antérieurs ont présenté la recherche effectuée
sur les trois premiers genres (G. Ducancei, i 989b et 1 990). Celui-ci est consacré au
quatrième, et, plus précisément, à l'explicatif proprement dit.
Le premier problème que l'équipe de recherche a eu à résoudre a été de définir,
de spécifier le discours explicatif dont la production est objet d'enseignement/
apprentissage. Elle l'a fart (1 . ci-dessous) à partir de la visée explicative, de l'activité
discursive, des constituants du texte explicatif.
Par ailleurs, si "expliquer, c'est faire comprendre» (J.F. Hatté, 1988), l'ensei¬
gnement de l'explication se situe dans un contexte inter-didactique, à l'intersection
du champ disciplinaire du français et d'autres champs disciplinaires (ici, les sciences
expérimentales), ou bien, à l'intérieur de celui du français, à l'intersection de
l'apprentissage, du dévetoppement de pratiques discursives, et de l'analyse de
celles-ci. Il nous faut donc expliciter les interactions entre ces champs (2 ci-dessous).
Nous montrons, en particulier, que la décision d'expliquer, le choix de l'objet de
l'explication, l'organisation des propositions explicatives dépendent au premier chef,
des informations et des représentations que possède, que rassemble l'émetteur
quant à la compréhension, aux connaissances, aux conceptions de ceux avec
lesquels il est en communication dans le champ disciplinaire concerné.
C'est d'abord de ce point de vue que l'équipe de recherche traite, en classe, une
variété de situations de communication orale et écrrte (4 ci-dessous). Nous montrons
qu'en sciences, l'interlocution, qu'elle soit orale ou écrite, est commandée par
Pintellection. C'est celle-ci qui permet le développement d'enchaînements explica¬
tifs. Nous en présentons les conditions didactiques et nous analysons la forme qu'ils
prennent. Ils font alterner polytogues et monologues, à l'oral comme à l'écrit. Nous
précisons, pour finir, en quoi ces deux modes d'interlocution diffèrent quelque peu
selon qu'on est à l'oral ou à l'écrit.

1. LE DISCOURS EXPLICATIF COMME OBJET


D'ENSEIGNEMENT/APPRENTISSAGE

A la différence d'autres types de discours (narratifs, prescriptifs, par exemple),


l'identification du discours explicatif comme objet d'enseignement/apprentissage
n'est ni immédiate ni simple, d'autant qu'on relève des catégorisations différentes
dans les articles ou les ouvrages de linguistes et de psycho-linguistes.

117
REPÈRES N° 3/1991 G. DUCANCEL

1.1. La visée explicative

S'il est clair qu' «expliquer, c'est faire comprendre», il est clair aussi que la visée
explicative ne suffit pas à définir le discours explicatif comme tel. En effet, tout type
de discours peut avoir une fonction explicative dans telle srtuation, dans tel contexte,
peut s'y interpréter comme une explication.
On se centre alors sur un acte de langage, expliquer, et l'on vise àfaire découvrir
la variété des conduites langagières explicatives. On travaille avant tout au niveau
pragmatique. Au plan discursif, par contre, on n'aperçoit pas bien quels apprentis¬
sages spécifiques peuvent être visés par le maître. L'équipe partage, surce plan, le
point de vue de J. Caron (1983, cité par J.F. Halte, 1988) seton lequel on se trouve
ators devant «la totalité indéfinie des déterminations empiriques. Domaine
inanalysable, informe.»

1.2. L'univers de référence

L'univers de référence ne suffit pas non plus à définir le discours explicatif.


Identifier cet univers comme celui de la cognition permet, certes, au didacticien,
non seulement de choisir les objets d'étude et les activités permettant la production
de discours explicatifs, mais lui permet aussi de distinguer, pour un même réfèrent
précis, des discours formulant des connaissances sur celui-ci et des discours qui
racontent l'histoire de la construction de ces connaissances, ou qui prescrivent ce
que l'on doit faire/ne pas faire à son propos, etc.. (Ex., à propos des maladies : ce
qu'est un microbe, un virus, un vaccin, un sérum ; rappel de la croyance en la
génération spontanée, récit de la découverte du microbe delà rage et de son vaccin
par Pasteur, etc.. ; conseils d'hygiène...).
Cependant, plusieurs types de discours se partagent ce même univers de
référence. Nous appelons «discours d'information pure et simple» le discours
qui présente les informations disponibles sur un sujet, sans solliciter d'une manière
ou d'une autre les connaissances des destinataires sur la question, et qui les
présente de manière énumérative (depuis un texte-liste jusqu'à un texte liant
syntaxiquement proposrtions et «paquets» de proposrtions).
L'exposé est, quant à lui, sous-tendu, par une organisation conceptuelle
(catégorisation, relations entre informations, structure notionnelle,...) des contenus.
Les indicateurs de celle-ci sont multiples. Les propositions sont regroupées
thématiquement par concepts (l'aspect extérieur d'un animal, son squelette, sa
dentition, son régime alimentaire,...). La liaison entre les concepts est explicite, ou
au moins, repérable. L'organisation conceptuelle du discours est fréquemment
affichée : titre, sous-titres, introduction qui la présente ; commentaires du locuteur au
fil du discours... Dans tous les cas, - mais plus ou moins explicitement -, le discours
réfère aux connaissances supposées des destinataires sur le sujet -ou des sujets
voisins. C'est, d'ailleurs, ce qui justifie l'organisation conceptuelle du discours. Le
pari est, en effet, qu'elle rencontrera au moins un écho dans celle des destinataires,
et, par là, la fera évoluer.
Le discours explicatif réfère au même univers, celui de la cognition. Il se
distingue, pour nous, du discours informatif etdu discours expositif à deux plans : au
plan interdiscursif, au plan textuel.

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Expliquer à l'oral, à l'écrit, en sciences

1.3. L'espace interdiscursif scientifique

En histoire et en épistémologie des sciences, l'interdiscursivité est analysée ou


bien diachroniquement, ou bien synchroniquemenL
Pour Bachelard, le travail de l'épistémotogue est de retrouver, d'analyser, de
comparer les discours scientifiques successifs, qui énoncent le vrai (G. Bachelard,
Le matérialisme rationnel. PUF, 1953). G. Canghilhem reprenant Bachelard, af¬
firme : «Levrai, c'est le drt du dire scientifique. A quoi le reconnaître ?Aceci qu'il n'est
jamais dit premièrement Une science est un discours norme par sa rectification
critique. (Ce discours) est une histoire.» («Rôle de l'épistémologie» dans «Idéologie
et rationalité». Vrin, 1977).
Le discours de la science est, diachroniquement, ajustements successifs,
complètements, et, quand survient unecrise, ruptures et nouveaux dires. L'étude des
crises illustre bien la seconde approche, l'approche synchronique. G. Canguilhem
(1975)yarecourspouranalyser «lapolémpuequiopposelamarkiensetdarwiniens»
au XIX* siècle à propos du «problème des rapports entre l'organisme et le milieu» :
«Lamarck écrit que... Darwin se fait une tout autre idée ... Il écrit... » Il démontre que i
«la question est mal posée» par les deux biologistes, et que les discours postérieurs
à cette crise se sont efforcés de «retourner la relatbn entre milieu et être vivant.»

1.4. L'interdiscursivité de l'explication

J.F. Halte (1988) définit le discours explicatif diachroniquement et


synchroniquement par rapport aux discours qui se profèrent, s'échangent dans une
sphère de communication. «Le discours explicatif survient lorsqu'un
dysfonctbnnementliéàla compréhension d'un phénomène apparaît dans l'interactbn
et la perturbe. (Elle) esf suspendue. Le discours explicatifprend pour objet nouveau
le phénomène qui forme obstacle (...) et pour enjeu le rétablissement de l'interactbn
première.» Le discours explicatif succède donc à un autre discours bloqué par un
obstacle, ou se développant de manière non pertinente ou inacceptable pour le
locuteur. Il se différencie par là des informations pures et simples et des exposés. Il
se différencie aussi des discours de reformulation répétant, reprenant, paraphrasant
un discours précédant en ceci que, comme le note J.F. Halte, son objet est «te
phénomène qui forme obstacle.» (C'est ainsi, par exemple... que la formulation d'un
exemple est ou n'est pas explicative. Voir D. Coltier, 1988).
Le discours explicatif ne s'appréhende donc que dans le cadre d'un enchaînement
de discours relevant de l'univers de la cognition. (Il en est de même du discours
argumentatif, mais dans l'univers des croyances, des opinions, des attitudes...).
Dans ce cadre, il est synchrone d'autres discours. D'abord, parce qu'il réalise une
«boucle (...) métacommunicattonnelle» (J.F. Halte), originale parmi les nombreux
processus langagiers de régulation de l'interlocution dont usent les partenaires.
Ensuite, - et, peut-être, surtout -, parce qu'il «se branche» sur un ou des discours qui
manifestent un conflit cognitif. Psychocognifrf , quand tel enfant prend conscience
de l'insuffisance ou de l'hétérogénéité, voire des contradictions, de ses savoirs et de
ses conceptions, et sociocognitif d u fait de la diversité des savoirs et des conceptions
dans un groupe en interaction. Cela revient à dire que le discours explicatif
accompagne la prise de conscience des problèmes cognitifs et vise à les résoudre.

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REPÈRES N° 3/1991 G. DUCANCEL

1.5. Structure textuelle du discours explicatif

Cela conduit à se poser la question de la structure textuelle du discours


explicatif. D. Cottier (1 986) identifie trois constituants macro-structurels du type
textuel explicatif : questionnement - problématisation ; résolution ; conclusion. Elle
indique également qu'il s'agit de «moments» dont la succession est contrainte dans
le déroulement du discours. Nombre de textes (en particulier écrits) valident
empiriquement ce schéma. Par ailleurs, il est en cohérence avec ce qui a été mis en
lumière au plan interdiscursif.
Ce schéma textuel permet lui aussi de distinguer le discours explicatif de
discours voisins. Les textes d'information pure et simple, les exposés ne comportent
pas le couple problème-résolution. Les reformulations non explicatives non plus :
elles mettent en mots autrement un discours antérieur, sans pointer un problème qui
a pu s'y poser et le thématiser.
L'équipe de recherche a, cependant été condurte à approfondir sa première
approche de la structure textuelle desdiscours explicatifs. Comme le soulignent leurs
auteurs mêmes, les schémas macro-structurels sont des modèles théoriques,
construits, qui visent à schématiser la diversité des textes «naturels» et à permettre
de décrire n'importe lequel de ceux-ci, mais ceux-ci ne «réalisent» pas toujours
(jamais ?) exactement le modèle. En conséquence, le modèle est un outil d'analyse,
un guide de lecture des textes des élèves, en aucun cas un schéma à enseigner/faire
appliquer.
Plus précisément, l'analyse de textes explicatifs pris dans des manuels, dans
des brochures, nous a conduits à constater que le constrtuant conclusion n'est pas
toujours présent, toin de là. Le constituant questionnement - problématisation, quant
à lui, ne l'est pas toujours, au moins sous la forme d'une séquence textuelle distincte
des autres. Il peut être «fondu» dans la résolution, de manière plus ou moins allusive
ou plus ou moins explicite. Par ailleurs, la succession des constituants est plus libre
qu'on pourrart le penser. La conclusion peut être affichée en premier, comme un
sous-titre ou un résumé-entrée en matière, et être ou non reprise en fin de texte. Le
problème lui-même peut être formulé explicitement seulement après la résolution...
Enfin, en classe, il est tout particulièrement nécessaire de considérer les
explications dans le cadre d'enchaînements discursifs, jalonnant l'étude scienti¬
fique de longue durée entreprise, et de discours co-occurents ayant trart à telles
questions, à tels problèmes se posant à un moment de cette étude. Dans ces
contextes, les discours explicatifs oraux et écrits n'ont pas à tout coup, n'ont pas à
avoir la macro-structure questionnement-problématisatton ; résolution ; conclusion.
L'explication formulée par un élève ou par un groupe, reprise, reformulée par un ou
plusieurs autres, renvoie le plus souvent à un questionnement, à une problématisation
formulés dans un discours antérieur, parfois relativement ancien, ou dans un
discours contemporain, l'un et l'autre ayant fréquemment des émetteurs autres que
ceux qui répondent. Ces réponses n'apportent, en général, pas de solution, ou bien
seulement une solution partielle ou provisoire. Par contre, elles entraînent souvent
une reformulation du problème, etc.. L'équipe a ainsi été conduite à travailler non
pas sur tel discours explicatif circonscrit et clos, mais sur des enchaînements de
séquences explicatives, partois fort longs, et sur la polyphonie (parfois la cacophonie. . . )
de séquences synchrones. Il se pourrart que cet objet que la didactique s'est donné

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Expliquer à l'oral, à l'écrit, en sciences

fût heuristique en linguistique, ce qui conduirait entre autres, à redéfinir le texte


explicatif, et à en proposer d'autres schémas macro-structurels.

2. DIDACTIQUE DES SCIENCES ET DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

Notre recherche sur renseignement/apprentissage du discours explicatif au


cours moyen est constituée de trois volets : pratique de l'explication en sciences
expérimentales ;pratiquedans ledomainedufrançais à propos d'activités d'écriture ;
objectivation et comparaison de ces pratiques d'explication, ce troisième volet se
mettant progressivement en place dans l'année et clôturant celle-ci. Il ne sera rendu
compte dans les limites de cet article que du premier volet.
Conduire les élèves à produire des discours explicatifs en biologie, en physique
pose des problèmes d'ordre inter-didactique.

2.1. Des obstacles historiques et idéologiques

On peut, en effet, se demander si on enseigne ainsi les sciences, ou le français.


Les réponses à la question des rapports entre les deux disciplines à l'école, sont
historiquement et idéologiquement situés, comme l'ont montré G. Ducancel, M.
Pechevy et M. Yziquel (1 980). On pourra se reporter au détail de leur analyse. Disons
simplement, ici, que pour les Instructions Officielles «anciennes» (1 923, 38, 45 ,53,
57) les disciplines scientifiques sont subordonnées au français. «L'exercice de
composition française est celui qui rendra (à l'élève) le plus de services dans la vie. »
«Il faut que toutes les autres disciplines aient (pour cela) accumulé dans l'esprit de
l'enfant des farts et des notions» (mais, aussi, les aient dotés) «d'une langue pré¬
cise», (utilisant) «tes mots propres». C. Freinet, lui, propose d'organiser les activités
suivant des «complexes d'intérêt». Ceux-ci peuvent être, en particulier, appréhen¬
dés dans les textes libres des élèves qui, en effet, révèlent «leurs besoins, leurs
tendances, leurs intérêts» si l'on prend la peine de «voir ce que (ces textes) nous
apportent de vie». Les activités scientifiques mises en place à partir de ce que les
élèves ont exprimé sont, à leurtour, le point de départ de lectures, d'exposés, etc..
Le principe de cohérence entre ces activités est l'investissement personnel : prise en
charge d'un projet, créativité, autonomie, originalité... Les Instructions Officielles
des années 70 (1 972 et 1 977-78) tracent, quant à elles, unef rontière entre disciplines
«instrumentales» (Français et Mathématiques) et disciplines «d'éveil». Celles-ci
donnent «place», «valeur», «sP.niTicatbn» aux «activités d'expressPn et de com¬
munication». Mais elles justifient aussi «tes exigences constantes d'intelligibilité, de
communicatPn, de conectPn manifestées par le maître en toute occasion», qui
s'acquièrent par des «activités spécifiques et systématpues» de français, qui visent
«rigueur» et «structuration» par «entraînement mécanique», «répétition», «re¬
dressement des fautes, des expressions vicieuses».
Aucun de ces ensembles de textes pédagogiques n'adopte un point de vue
interdisciplinaire. Freinet situe son discours ailleurs. Les I.O. anciennes assujettis¬
sent les sciences au français. Les I.O. des années 70 font essentiellement des
activités d'éveil «te cadre d'une pratique naturelle» de compétences acquises,
douloureusement, ailleurs, dans l'horaire de français. Non seulement ces textes
n'ouvrent pas de piste à la recherche d'une interaction entre enseignement du

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REPÈRES N° 3/1991 G. DUCANCEL

français et enseignement des sciences, mais Ils y font obstacle. Le Plan de Ré¬
novation de l'Enseignement du Français (INRP, 1 972) les recherches des Équipes
Sciences Expérimentales de l'INRP (1973 ; 1976), la recherche interdisciplinaire
Français - Éveil scientifique (INRP 1 980 ; INRP 1 983) se srtuent, au contraire, dans
une perspective que l'on pourrait appeler de double fonctionnalité.

2.2. Les réponses des recherches en didactique

«La pensée scientifpue s'appuP nécessairement, de façon organique, sur la


fonction symbolique, la communbatPn. Les différents niveaux de formulatbn
répondent à une nouvelle problématique et mettent l'accent sur une nouvelle façon
de définir le phénomène» (INRP, 1976). G. Ducancel (INRP, 1983) insiste sur le
caractère «performatif» scientifiquement des modalités de la communication en
classe : «tes étapes de l'activité de résolution de problèmes (...) se confondent avec
les échanges, les confrontations, les «disputes ... .» Inversement, «toute activité
(langagière) comporte nécessairement une composante liée à l'objet d'étude»
(INRP, 1972), et la recherche interdisciplinaire (malheureusement supprimée en
1 980) avait commencé à explorer les voies d'un enseignement/apprentissage des

discours oraux et écrits en classe de sciences (p. ex. S. Fabre et M.A. Livet dans
INRP, 1980, pour l'oral ; M. Pechevy, Partie 3.2.1. , dans INRP, 1983, pour l'écrit).
Les équipes engagées dans la recherche inter-disciplinaire Français-Éveil
scientifique ont été conduites à se poser la question du rôle de l'oral, de celui de
l'écrit dans l'investigation scientifique. Des recherches antérieures des équipes
INRP-Français avaient déjà formulé le problème didactique en des termes qui
récusaient une dichotomie allant parfois jusqu'à l'affirmation qu'on a affaire à deux
langues. Ainsi, s'appuyant sur des travaux de F. François, de L Lentin, C. Nique écrit
à propos du travail sur l'oral pour l'apprentissage de l'écrit :
"Il n'y a pas deux langues, mais il y a deux usages de la langue :
- un usage par lequel on parle de quepue chose qui n 'est pas commun aux
deux interlocuteurs, et qui se manifeste le plus souvent à l'écrit, mais aussi
à l'oral (...)
- un usage par lequel on parle de quepue chose de complètement commun
aux deux interlocuteurs. C'est l'oral familier le plus souvent, mais aussi l'écrit
des brouillons, de certaines correspondances... (...)
(En conséquence), il s'agit d'apprendre à maîtriser l'usage «à distance» de la
langue, à l'oral et à l'écrit » (dans E. Charmeux, G. Ducancel, J. Zonabend, 1 985).
G. Ducancel (2.2.2 et3.2.2. dans INRP, 1 983) reprend ladistinction de ces deux
usages de la langue dans les activités scientifiques, à partir de l'analyse des
discours que les enfants y tiennent. Il note, en particulier, que dans situations où les
interlocuteurs sont en présence et effectuent la même activité les discours oraux ont
des caractéristiques de l'écrit scientifique (en particulier, élimination de l'allusif, de
l'implicite, enonciation à la 3* personne, dénomination de variables en jeu, énoncé
de leurs effets, ...) quand ils s'efforcent d'explicrter leurs représentations, leurs
conceptions différentes du phénomène, d'expliquer ce qu'ils ont observé ou le
résultat de leurs expériences. "Cependant, un tel oral (...) n'inscrit pas les signes,
(...) ne fixe pas les énoncés, qui se prêtent donc moins (que l'écrit), à l'analyse, à la
critique, aux corrections, aux approximations successives...». Pour que ces

122
Expliquer à l'oral, à l'écrit, en sciences

reformulations soient possibles, différentes procédures sont proposées dans


l'ouvrage : rappel oral ultérieur, prise de notes par le maître, rédaction de leurs
proposrtions par les élèves,...
Cependant, la mise en relation des discours oraux et écrits dans les activités
scientifiques, les passages, les reprises, les transferts des uns aux autres n'ont pas,
à notre connaissance, donné lieu à des travaux didactiques spécifiques, n'ont
pas été, en eux-mêmes, objets de recherche.
Certes, des analyses de séquences scientifiques mettent parfois en rapport
discours oraux et écrits. Présentant deux versions, successives du compte rendu
écrit d'une visite effectuée par un groupe d'élèves à un producteur d'endives,
G. Ducancel (2.2.1 . dans INRP, 1 983) indique que le premiertexte est fort proche des
notes prises par les élèves pendant que le producteur leur parlait. Le texte présente
des variations thématiques peu cohérentes, beaucoup d'implicite, des amaphores
sans réfèrent, etc.. Les critiques des autres groupes, le retour des élèves sur leurs
notes, le choix et le complètement des informations utiles qu'elles contiennent, leur
permettent de réécrire leur texte, de produire un second compte rendu complet, clair
et cohérent. Analysant ailleurs, l'émergence d'explications dans les versions suc¬
cessives d'un compte rendu scientifique, G. Ducancel (1 988) note que les critiques
des premières versions ont été rédigées collectivement sous la forme d'une fiche
prescriptive et que la version suivante présente des énoncés explicatifs qui suivent
essentiellement l'ordre de la fiche. L'explication est gérée «pas à pas», intervient
quand les élèves retrouvent, dans leur texte précédent, telle proposition qui adonné
lieu à demande d'explication à l'oral. C'est dans un dernier temps seulement (non
analysée dans l'article) que les élèves parviendront à une gestion planifiée de leur
discours explicatif, après qu'ils aient analysé des écrits scientifiques présentant des
séquences explicatives.
Les analyses didactiques de séquences scientifiques se centrent beaucoup
plus fréquemment sur un autre type d'enchaînement de discours oraux et écrits,
celui qui intervient dans l'élaboration et la régulation des projets d'écriture, dans
les cycles écriture-réécriture. A. Vérin (1 988) récapitule les activités à accomplir
avant, pendant, après l'écriture collective, d'un texte en sciences :
- "Avant - Représentation du contenu, du type de texte, de sa destination
sociale, des étapes du travail. (...) Discussbns collectives. (...) Analyse (...),
comparaisons de textes. (...)
- Pendant - Définir oralement contenu et plan, coordonner les proposrtbns de
chacun (...). Relecture du premier texte (...) Essai (un) d'autres. (...)
- Après - Recueil (des) réactions d'un public. Relecture collective et évalua¬
tion des textes produits. (...)»

G. Garcia-Debanc (1988), de son côté, après avoir montré la nécessité


d'élaborer en classe des critères pour l'évaluation formative des textes explicatifs,
envisage deux types de situations qui le permettent :
- les unes consistent à observer des écrits sociaux (...) pour en dégager des
règles de fonctionnement linguistique ;
- les autres consistent à faire dégager des critères de réalisation, à partir des
difficultés observées dans les textes des pairs.»
L'élaboration de ces critères comporte une part d'explications orales ou écrites,
explications de fonctionnements/dysfonctionnements textuels, d'opérations

123
REPÈRES N° 3/1991 G. DUCANCEL

scripturales à accomplir, etc.. La mise en rapport explicité de ces discours explica¬


tifs, métalinguistiques et de ceux qui réfèrent à des objets scientifiques n'est pas
envisagée dans les articles et les ouvrages cités. Leur analyse comparative, leur
pratique réfléchie permettraient à renseignement/apprentissage de l'explicatif de
varier les contextes et les objets des discours et de conduire les élèves à en
appréhender les invariants.

3. PROBLÈMES D'INTERLOCUTION ; PROBLÈMES D'INTELLECTION

3.1. Les activités scientifiques conduites en classe

La recherche de l'équipe INRP de l'École Normale d'Amiens est menée dans


quatre classes :
. Cours Moyen 1 de G. Gerome, École Annexe
. Cours Moyen 1 et 2 de C. Belleville, École de Bovelles

. Cours Moyen 2 de P. Auclair, École du Fg de Bapaume


. Cours Moyen 2 de J. Delafontaine, École du Bd de Châteaudun

Elle a démarré dès la rentrée de septembre. Les activités auxquelles en référera


ici se sont terminées en novembre. Il s'agrt d'activités de sciences expérimentales :
- Annexe : L'eau - Pollution - Potabilité - Filtration - Épuration
- Bovelles : Le corps humain - Les mouvements
- Bapaume : Électricité - Montages - Courant électrique - Intensité
- Châteaudun : Le corps humain - Mouvements - Vision
Elles correspondent aux programmes des Cours Moyens et les objectifs
premiers sont du domaine scientifique. Les discours explicatifs qu'on vise à faire
produire sont au service de ceux-ci. Ils visent à formuler et à résoudre les problèmes
que les activités scientifiques suscitent chez les élèves. Sans problèmes, pas
d'explication. Mais ces problèmes ne sont pas exclusivement scientifiques, et il
importe de les pointer avec précision.

3.2. Nature des problèmes

3.2.1. Problèmes non scientifiques

Ces activités suscitent certains problèmes qui ne sont pas propres au domaine
scientifique. Il en est ainsi du foncttonnement des groupes d'élèves, des conflits qui
y éclatent parfois. Par exemple, les deux filles d'un groupe ne veulent pas que le
troisième élève, un garçon, écrive. Chacun explique et justifie son désir, son refus :
- « Vous ne faites pas du travail soigné.
- Toi, tu tapes les filles.
- Je tes fape parce qu'elles me tapent
(...)
- Vous fartes plein de fautes.» Etc..
Les filles gardent le marqueur. Ce sont les explications orthographiques que le
garçon leur donnera (« Une centaine sans s : une ,(...) d'os, là, pas d's. Hyena déjà
un.») qui les décideront finalement à le lui confier (Châteaudun).

124
Expliquera l'oral, à l'écrit, en sciences

Les problèmes de cette nature n'ont pas de rapport direct avec les problèmes
cognitifs potentiels que peut susciter l'activité scientifique entreprise. Cependant,
tant que les groupes sont centrés sur leur propre fonctionnement et non sur les
tâches à accomplir, celles-ci n'avancent guère, et les élèves ne se focalisent pas sur
la compréhension des phénomènes à l'étude. Ainsi, dans le groupe pris en exemple,
le garçon qui a conquis le marqueur écrit ensuite ce qui lui convient, sansque les deux
filles ne veuillent ni ne puissent intervenir. La résolution des problèmes interindividuels
dans les groupes et la centratton de ceux-ci sur les problèmes d'ordre cognrtif sont
donc des préalables à la production d'explications y ayant trait
Dans d'autres cas, les problèmes et les explications semblent ne pas avoir
d'implication scientifique, mais se révèlent être, en fait, sous-tendus par une visée ou
un obstacle de cet ordre, que l'interlocution explicite plus ou moins.

3.2.2. Problèmes «para-scientifiques»

C'est le cas, par exemple, de problèmes et d'explications ayant trait, appa¬


remment, à la mise en mots, à la forme des énoncés proprement dites. Parmi
différentes questtons qu'ils ont formulées sur le corps humains dans la séance
précédente, les élèves de la classe de Bovelles choisissent d'essayer de répondre
àcelle-ci : «Pourquoi marche-t-on ?» D'entrée de jeu, des explications ayanttrart aux
buts et d'autres au processus coexistent :

- "C'est parce qu'on a des muscles. Mais il faut qu'ily art quepue chose qui les
fasse marcher.»
- "Sans se déplacer, on ne pourrart pas se nourrir, aller chercher des choses... »
Les explications finalistes sont bientôt rejetées. Bien que la justification du rejet
ne concerne pas explicitement la formulation en «pourquoi», les élèves reformulent
la question en «comment» :

- "On parle de comment on marche


-(...) Comment on fait pour marcher.
- (...) Comment ça se passe dans son corps quand on marche.»

La question est reformulée afin qu'elle sort compatible avec des essais d'ex¬
plications ayanttrart au processus, au rôle des muscles, des os, du cerveau, afin que
le couple discursif questionnement - résolution sort cohérent thématiquement.
Dans d'autres cas, les explications concernent seulement, en première appa¬
rence, des problèmes techniques, la réalisation technique de dispositifs.
Deux élèves représentent par des dessins schématiques ce qu'elles ont fait
pour allumer une ampoule avec une pile plate (Bapaume). Elles expliquent, à côté,
de leurs dessins :
- On pose l'ampoule sur la petite bane en posant la grande barre entre les trous
(= le pas de vis)
- On pose l'ampoule sur la grande barre en posant la petite barre entre les trous.

Rien n'indique explicitement que la nofjon de «circuit» bipolaire soit sous-pcente,


bien que le parallélisme rigoureux des deux explications semble l'indiquer. Elle l'est
clairement dans les schémas et les explications de deux autres élèves :

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REPÈRES N" 3/1991 G. DUCANCEL

- Pour avoir de P lumière, il faut que P barre du côté + touche le bout de


l'ampoule et que la barre - touche le dernier trart de l'ampoule.
- Il faut que le côté + touche le dernier trait ... etc..

La comparaison des schémas et des explications des différents couples


d'élèves permettrad'expTiciter lesconceptions sous-jacentes, et des tâches-problèmes
consistant à réaliser des montages avec plusieurs piles, plusieurs ampoules, défaire
évoluer celles-ci.
Dans d'autres cas, l'explication de procédés techniques qu'on projette de
mettre en uvre indique en fait l'incertitude cognitive dans laquelle sont les élèves.
Les élèves de l'Annexe ont conçu, en groupes, des procédés qui permettraient
d'obtenir de l'eau limpide à partir d'une «eau blanche» (eau + plâtre) et d'une «eau
rouge» (eau + ketchup) que leur a fourni le maître (et qu'ils considèrent avec dégoût
comme non potables). Chaque groupe explique aux autres ce qu'il compte faire.

Gr. 6. - "Avec une cuillère, on enlève que qui est dans l'eau rouge, ou avec une
passoire. Si le rouge est dur, on essaie de le fondre... de le faire cuire pour
l'évaporation.
Autres E. - Si ça fond pas ?
Gr. 6. - On essaiera autrement
Autres E. - Si c'est des petits grains, vous pourrez pas cuire.»

Les explications et les interactions portent sur les procédés possibles et sur leur
efficacité pour obtenir de l'eau limpide. Les alternatives proposées, les imprécisions
lexicales indiquent que, de ce point de vue, ce qui fait problème, c'est l'incertitude où
sont les élèves quant à la matière rouge que rien ne permet de déceler à première
vue. Cette incertitude entraîne en fait un questionnement implicite sur la nature du
mélange rouge : suspension ou solution ? Le questionnement sur la nature des
mélanges sera repris plus explicitement quand le maître mettra les élèves devant la
question : une eau limpide est-elle toujours potable ?
Dans d'autres cas, enfin, la construction et l'explication de dispositifs techniques
sont tout à fart explicitement, pour les élèves, une façon de formuler des con¬
naissances scientifiques. Ils passent d'ailleurs aisément de l'explication des uns
à l'explication des autres. C'est, en particulier, le cas quand le maître demande aux
élèves de concevoir desdispositifsquisont des modèles technologiquesdes objets
scientifiques qu'on cherche à comprendre.
Travaillant sur le corps humain, le CM2 de l'école Châteaudun cherche d'abord
à répondre à la question de savoircomment les membres bougent. Les élèves savent
que les os, les muscles et le cerveau sont en jeu. Ils ont observé un squelette, et une
épaule de mouton décharnée. La maîtresse leur a demandé de réaliser des schémas
prospectifs de modèles réduits du système bras-avant-bras. Un élève a, de plus,
réalisé un modèle. Tous ont accepté que l'on figure les muscles par des élastiques.
Le problème est celui du point d'attache de ceux-ci :
- "Pas comme ça... Si tu attaches pas l'élastique là ... Tu l'as attaché d'un seul
côté (à une seule extrémité) (...)
- Faut que ça se tende, l'élastique.
Les E. attachent l'élastique à l'extrémité du second morceau de bois. M.
demande qu'on lui dicte ce qu'elle doit écrire L'élastique dort avoir une extrémité sur
chaque morceau de bois (...)

126
Expliquer à l'oral, à l'écrit, en sciences

- Le muscle se gonfle.
- Et il se détracte.
- M : II se gonfle, se contracte, puis se relâche. Je vais le faire avec l'éPstique.
(...)
- Ça marche.
- M. : Oui, ça marche. Mais sije mets mon bras à côté, est-ce que c'estpareil ?
-Non.
- Ça va pas.
- C'est pas P
- Faudrait l'attacher là»
Ils montrent le bon endroit sur le modèle.

3.2.3. Problèmes scientifiques ; du questionnement auxproblèmes

Dans les cas de loin les plus fréquents, les discours explicatifs ont trait à des
thèmes et des problèmes d'ordre scientifique. Il ne saurart être question toi de
présenter l'inventaire complet de ceux qui ne sont tenus dans les quatre classes.
Nous voudrions seulement illustrer le fait que les premiers discours explicatifs qui
émergent dans une séquence d'activités scientifique sont, en général, composés
d'énoncés exprimant un simple questionnement et d'énoncés avançant des
réponses. Le ou les problèmes n'émergent pas encore.
Certains montages électriques qu'ils ont réalisés conduisent des élèves de la
classe de l'école Bapaume à s'étonner :
- «L'ampoutec/jauf7eefe//es'a//ume(seulement)/égèrernenf»,atorsqued'autres
brillaient fort. D'autres élèves expliquent immédiatement ce fait, sur le ton de
l'évidence :
- "C'est parce que la pile, elle est pas assez forte.
- Parce que l'ampoule a besoin de plus d'énergie.
- Ators, elle s'allume pas entièrement
- L'ampoule, elle fart 12 volts, et la pile 4,5 volts.»
Il n'y a donc pas, pour l'instant, de problème. Celui-ci émergera quand les essais
réalisés ensurte avec la même ampoule et plusieurs piles donneront des résultats
contradictoires.
Un groupe : - « Ça s'allumait plus fort qu'avec une seule pile.»
Un autre : - "Cane s'allume pas. Ça (les fils) chauffe !»
Différentes explications sont avancées :
- «Si l'ampoule ne s'allume pas, c'est qu'elle ne fonctionne pas.»
- "A mon avis, ça se transforme en énergie thermique.»
- "Il faut de l'ordre. » (dans les fils).
Ce n'est qu'ultérieurement, après le rappel de certaines des expériences
réalisées précédemment et la comparaison des différentes proposrtions de nouvelles
expériences, que le problème du «sens» du courant émergera (sans, d'ailleurs, se
formuler très explicitement).

3.2.4. Problèmes scientifiques ; les conflits cognitifs

Les échanges explicatifs, qu'ils soient oraux (cas le plus fréquent) ou écrits,
contribuent donc à l'émergence de problèmes scientifiques dans la mesure où

127
REPÈRES N" 3/1 991 G. DUCANCEL

l'action des maîtres conduit les élèves à aller au-delà du seul questionnement en
provoquant des conflits psycho et socio-cognitlfs.
Ces conflits peuvent naître de la confrontation entre le donné des sens et
d'autres donnés. Les élèves de l'école Châteaudun en sont à l'étude de la vision.
Certaines des expériences décidées par la maîtresse concernent les illusions
d'optique. Par exemple, ils sont face à cette figure : > < < >
- "Celui-là est plus petit
- Quand on mesure, c'est la même longueur.
- Non, ça se voit bien.
- C'est plus petit.
-On a vérifié.
- Et c'est pareil.
- Ators... (moment de silence).
- Ators, c'est Ps crochets.
- Oui, les crochets.
- C'est ce qu'il y a autour.»

Les conflits peuvent naître de la confrontation des conceptions différentes


des enfants ou de celle de leurs conceptions et des farts constatés.
Les élèves de la classe de l'école Châteaudun cherchent à expliquer l'inversion
de l'image d'une bougie allumée se projetant, au fond d'une boîte percée d'un trou
d'épingle.
Trois types d'explication s'affrontent
- « C'est te transparent» (qui est au tond).
Explication magique.
- «C'esf comme dans une cuillère (...). Quand on regarde dedans, on est à
l'envers».
Explication analogique.
- «C'esf comme le cinéma, ça projette. Mais c'est l'inverse.» (ça projette à
l'envers).
Autre explication analogique.
L'observation de la classe de l'Annexe montre bien, quant à elle, comment le
maître prend en compte au fil des séances les concepttons que les élèves formulent
et les confronte à des faits qui les mettent en cause.
- «l'eau potable est blanche.»
JJconfrontatton à un mélange d'eau et de plâtre et à un mélange d'eau et de
ketchup.
il l'eau limpide est potable.
JJx filtration de l'eau d'une mare.
JJx lecture de comptes rendus d'analyse d'eau domestique.
- dissociation, dans les discours des élèves, des «impuretés» et de «ce qui rend
malade»
=> distinction des procédés de filtration et de stérilisation de l'eau.

Enfin, des conflits peuvent naître de la confrontation de conceptions non


contradictoires, mais focalisées différemment, et incomplètes. Le maître de la
classe de Bovelles recopie au tableau les textes explicatifs écrits par deux groupes :

128
Expliquer à l'oral, à l'écrit, en sciences

- Quand on respire, l'énergie va dans notre sang et se dissout dans notre corps.
C'est ainsi que nos muscles ont de l'énergie. Grâce à tout ça, on marche.
- Le cerveau commande les veines qui vont jusqu'aux articulations et font
bouger les jambes.
Il distribue par ailleurs un document réunissant deux schémas du bras, l'un avec
l'avant-bras plié, l'autre avec l'avant-bras étendu. Les deux schémas comportent une
représentation des muscles. Il indique aux élèves que ce document fournit «des
éléments de réponse» et leur demande de «regarder si (leurs) explications vont de
pair avec ces éléments de réponse.» Après avoir, dans un premier temps, protesté
que «te document n'a rien à voir avec ce qu'on a drt», les élèves de chaque groupe
comparent les informations qu'il apporte au contenu de leur texte et de celui de l'autre
groupe :

- «Ça parle du bras.


- Des muscles.
- Le groupe 1, ils ont parlé des muscles, quand ils se contractent. Mais pas nous.
- Ils en ont parlé. Mais nous on n'a pas du tout parlé de ça.»

3.2.5. Problèmes scientifiques d'ordre méthodologique

Il est une dernière classe de thèmes et de problèmes auxquels réfèrent les


explicationsdes élèves. Il s'agit des thèmes et des problèmes d'ordre méthodologique.
Les discours explicatifs oraux ou écrits sont alors méta-procéduraux. Ils projet¬
tent et régulentou justifient les procédures scientifiques ou langagières envisagées
ou employées.
L'explication peut consister à justifier des décisions prises sans anticipation
cognitive, au hasard, quand les élèves n'ont pas mémorisé les informations néces¬
saires.
Après avoir résolu le problème qui s'était posé à propos des points d'attache des
muscles du système avant-bras/bras (Châteaudun), les élèves ont à représenter
ceux-ci, sur deux schémas (avant-bras fléchi/non fléchi) ne comportant que les deux
os et le triceps. Un élève, vraisemblablement troublé par le fart que celui-ci est
«gonflé» sur les schémas, croit qu'il s'agit du biceps :«Lebiceps, il est déjà dessiné».
Il se souvient par ailleurs à peu près de la place qu'a le triceps. Or, elle est occupée.
Où le mettre ? Seul l'avant-bras est (en partie) disponible ! L'élève soliloque et se
décide : «Ça doit être ici... J'en ai un ici. Il doit bien y en avoir un là... MoiJ'men fous.
Je le mets là. On a au moins une chance.»
Mais dans la majorité des cas, les explications méta-procéduralessont sous-
tendues par un système cognitif, réfèrent à des conceptions, à des savoirs
scientifiques. Selon que ceux-ci sont plus ou moins structurés et explicites, les
discours explicatifs le sont eux-mêmes plus ou moins.
Celui des élèves de l'Annexe l'est particulièrement quand, après avoir compris
la différence entre impuretés et éléments toxiques, entre filtration et stérilisation, ils
reviennent sur une expérience antérieure destinée à faire apparaître les impuretés :
vaporisation par ebullition. Cette expérience avait conduit les élèves qui l'avaient
réalisée à se demander : Où est passée l'eau ? Peut-on la récupérer ? Ayant corn me
objectif la compréhension des changements d'état de la matière, le maître fait refaire
l'expérience par tous. Peu à peu, les élèves comprennent que l'eau est devenue
vapeur et s'est élevée sous l'effet de la chaleur. Certains, constatant qu'il y a de la

129
REPÈRES N° 3/1991 G. DUCANCEL

buée sur certains objets, avancent qu'elle se condense quand il fait froid, et
proposent de faire une nouvelle expérience pour s'en assurer :
- «Quand ça chauffe, P vapeur monte.
- Au fur et à mesure, ça se dilue.
(...)
- C'esf transparent
- Une vision.
-M: Un gaz.
(...)
- Il faut mettre quelque chose de froid juste à côté !
- Le mettre au-dessus.
- C'est sûr, sinon la vapeur va se diluer dans l'air et on ne pourra pas la
récupérer.»
L'expérience sera réalisée avec des objets froids au-dessus et à côté, plus ou
moins loin de la casserole.

3.2.6. Problèmes méthodologiques concernant des processus


langagiers

D'autres discours explicatifs méta-procéduraux ont pour objet, non pas des
procédures scientifiques, mais des processus langagiers mis en branle par l'étude
scientifique et qui posent, à divers titres, problème aux élèves.
Des groupes de l'Annexe lisent deux comptes rendus d'analyses d'eau do¬
mestique. Il s'agrt de savoir ce qui peut faire que de l'eau limpide ne soit pas potable.
Le problème est que ces comptes rendus sont longs, complexes, et contiennent
nombre d'informations sans rapport avec la question qu'on se pose. Tout en
pénétrant dans les textes, les élèves expliquent ce qu'il faut faire :
- «Pour l'instant, j'ai vu les deux documents, et ce qui nous intéresse, c'est les
conclustons.»
Ils les lisent :
- «dépense que c'est celle-ci qu'il faut prendre. (Présence de quelques bac¬
téries conformes par 100 ml. A surveiller).
- Oui, et puis celle-ci. (Analyse chimique satisfaisante. Bonne qualité
bactériologique). (...)
- Non. Nous, ce qu'on cherche, c'est quepue chose qui empêche l'eau d'être
potable. (...) C'est celui-là qui nous donne Pplus de renseignements.
- Il faut lire ces deux lignes là pour qu'elles nous donnent plus de renseigne¬
ments.»
L'élève remonte dans le texte et désigne les lignes où est écrit le mot bactéries. Etc. ..
Dans la classe de Bovelles, deux groupes ont été conduits à comprendre que
leurs explications écrites antérieures étaient incomplètes (cf. 3.2.4. ci-dessus).
Après des échanges oraux qui visent à formuler des compléments, ils entament la
réécriture de leur texte. Celle-ci est accompagnée, comme la lecture à l'Annexe,
d'explications méta-procédurales orales qui contribuent à la planification de la
réécriture.
- «On n'a pas parié des muscles. Il faut en parler. (...)
-«On fart un texte sur les muscles pour l'aputer au premier ?
- «Il faudrait écrire (notre) texte, mais en parPnt des muscles (...)

130
Expliquera l'oral, à l'écrit, en sciences

Ils le réécrivrent, puis se relisent.


- «Il y en a qui ont écrit plus que nous.
- On a tout explpué.
-Oui.
- Alors, on rectifie les fautes.»

3.3. Interlocution et intellection ; la communication scientifique

Dans un article récent où il rend compte d'une recherche sur les micro-discours
explicatifs quotidiens en Maternelle, J. Treignier (1 990) rappelleque «l'espacediscurs'if
(du) discours explbatif(est) sous-tendupardeux axes, l'axedelinterlocutbn(eX) l'axe
des modèles (...) intellectifs. (...) L 'enseignement/apprentissage des micro-discours
explicatifs quotidiens (conduisait) à meffre au premier plan l'interlocution.» Cepen¬
dant, au-delà de la modification des statuts et des rôles des enseignants, des élèves
dans les échanges au quotidien, l'auteur insiste sur le fart que l'intellection interagit
fréquemment avec l'interlocution et qu' «explpuer devient abrs confronter au moins
deux discours sur le monde.»
S'agissant des discours explicatifs dans les activités scientifiques dont nous
rendons compte ici, il semble bien qu'on doive inverser la proposition. C'est
l'intellection qui, à l'oral comme à l'écrit, tire en avant l'interlocution. L'exemple
qui suit montre que les échanges entre élèves, entre élèves et maître, les demandes
d'explication ne suffisent pasà la production d'un discours explicatif si les locuteurs
ne possèdent pas un «modèle intellects» qui leur permette de tenir ce discours.
Le porte parole d'un groupe de la classe de Châteaudun représente
schématiquement au tableau le dispositif de l'expérience qui faisait apparaître, au
fond d'une boîte percée d'un trou d'épingle, l'image d'une bougie à l'envers. Il écrrt
simplement en-dessous : On voit la flamme à l'envers. Des doigts se lèvent.
- «Madame !
- Il n'a pas expliqué.
- Tu n'as pas explpué !
-M: Ils ont faim (d'explbation), tes copains...»
L'élève reste muet.
- M : Abrs... un autre du groupe ?»
Un autreélèvedugroupe vient autableau et, sans unmot.écritàlasuite surfep/asf/gue
quand on vise la flamme en regardant dans le trou.
-«Il n'a pas expliqué.
- ii n'a pas parlé.
- Il faut explpuer.
- M : Oui. Je croyais que tu allais te faire...»
L'élève sort de son mutisme, mais ne peut que paraphraser ce qui a été écrit :
- «Ben... quand on regarde... dans laboîte, la flamme apparaît à l'envers... sur
le plastique.»

Par ailleurs, quand un élève dispose bien d'un modèle intellects mais qui est
inapproprié, l'interlocution n'intervient et ne contribue à le mettre en cause que si
d'autres élèves en ont un autre à lui opposer.
A propos de la même expérience, dans un autre groupe, les élèves ont
schématisé le dispositif utilisé et le résultat. Ils écrivent ensuite explication. Silence.

131
REPÈRES N° 3/1991 G. DUCANCEL

Un élève (Thomas) écrrt : On regarde à travers le plastique et on voit la bougie à


l'envers. Arrêt. Silence. L'élève écrit : C'esf à cause du plastique.
Les autres : - "Tu as terminé ?
- Non.
- Vas-y, ators...
- Et vous ! (= aidez-moi)»
Les autres élèves ne proposent rien. Après les avoir à nouveau sollicités, en vain,
Thomas se relit. Il réfléchit, maugrée, mais n'ajoute rien.
Porte parole de son groupe, il lit, quelque temps après, ce qu'il a écrrt.
- « C'esf à cause du plastique.
- M : Vous l'avez tous constaté ?»
Plusieurs élèves protestent, objectent, tous en même temps.
- M : Virginie, explpué ce que tu veux dire.»
Elle lit la fin du texte de son groupe :
- Virg. : «Remarque : si on change d'intercalaire... c'est toupurs à l'envers.»
- M : Ators, Thomas, c'est à cause du transparent ?
- Th. : Oui.
- M : Mais eux, ils l'ont changé.
- Virg. : Ef on l'a changé de côté, aussi.
- E : Ef c'esf toujours à l'envers.
- M : Ators ? Où est-ce que l'image se met à l'envers ?
- E : Au trou
- Th : Au trou ?
- E : Oui. Il faut faire le chemin.
- M : Le chemin...
-E: Le chemin de la lumière.
- M : Viens au tableau et dessine-le.
(...)
- M : Ators, que remarquez-vous ?
-E: Ça s'est croisé I
(= la lumière)
- Elle a seulement un petit trou.
- Ah oui ! Elle est oblto.ee !
- Les rayons se croisent.
- M : Alors, c'est à cause du plastique ?
- si E, dont Th : Non !»

On peut donc dire que, dans les activités scientifiques, c'est l'intellection qui
commande, sous-tend, régule l'interlocution. Il s'agit de communication et de
discours scientifiques. Les obstacles qui provoquent la production de discours
explicatifs sont communicationnels dans l'espace de la communication scien¬
tifique, ce sont des obstacles intellectifs à la formulation, au dire de farts scientifi¬
ques, et à leur échange. C'est de ce point de vue que l'équipe de recherche traite les
situations et les discours explicatifs oraux et écrits. Nous exposerons les caracté¬
ristiques de ce trartement.

132
Expliquer à l'oral, à l'écrit, en sciences

4. LES ENCHAINEMENTS EXPLICATIFS ; DIALOGISME,


MONOLOGUES ET POLYLOGUES

4.1. Un dialogisme fondamental

L'équipe de recherche est ainsi conduite à considérer les situations et les


discours explicatifs scientifiques comme fondamentalement dialogiques, c'est-à-
dire à considérer, comme l'écrit F. Jacques (1985 ; 1988) que les textes produits ne
sont "pas le résultat de l'activité symbolique d'un locuteur Individuel». Pour lui,
«te dialogisme désigne P structure interne de tout discours en tant qu'il fonctionne
de manière transitive entre deux instances énoncPtrtoes en relatbn intertocutive, en
référence à un monde à dire. » (1 988)
Nous ajouterions «entre deux instances au moins». En effet, du point de vue de
l'intertocutton scientifique commandée, nous l'avons dit, par l'intellection, il existe, en
classe, plusieurs instances sociales : chaque élève avec ses conceptions, ses
expériences, ses modèles intellectifs et ses stratégies d'explication (le pluriel est
d'importance) ; les différents groupes attelés à une investigation ; la classe, instance
de légitimation, de validation des discours tenus ; le maître, autre instance de
légitimation et de validation à partir, comme la classe, des observations, des
expérimentations fartes par les élèves, des discours des uns et des autres, mais, de
plus, comme ayant le statut de «sachant» et de «sachant dire» le dit scientifique sur
la question ; éventuellement, d'autres discours disant ce dit : documents, manuels,
etc..
Ce dialogisme de renonciation scientifique à l'école a une autre dimension,
celle d'une intertextualité diachronique et synchronique. Il est, en effet, parti¬
culièrement évident en classe de sciences, que, comme le dit Bakhtine (1 977) pour
tout discours, les énoncés produits par les différentes instances ou chacune d'elles,
successivement, ou à un même moment, «ne sonf pas indifférents les uns aux
autres, et ne se suffisent pas à eux-mêmes ; ils se connaissent les uns les autres, se
reflètent les uns les autres. Un énoncé est rempli des échos et des rappels d'autres
énoncés (...) ; il les réfute, les confirme, les complète, prend appui sur eux, les
suppose connus, et, d'une façon ou d'une autre, il compte avec eux. »

4.2. Les conditions didactiques du dialogisme

Le fonctionnement dialogique des discours qui s'énoncent en classe de


sciences, - et, singulièrement, des discours explicatifs -, la prise en compte par les
énonciateurs de leur dialogisme ne peuvent, cependant, être objets d'enseigne¬
ment/apprentissage qu'à deux conditions.
La première concerne le statut et le rôle du maître, qui, eux-mêmes, actua¬
lisent sa conception de l'acquisition du savoir. Un mode de travail «transmissif»
considère le savoir comme constitué «ailleurs», clôt et fini. Il met le maître au centre
du procès didactique comme transmetteur de ce savoir. (G. Ducancel dans INRP
1 980 et dans INRP 1 983, 4e partie). Plus sa conception du savoir lui-même est

dogmatique, plus son discours est monotogique. Dans ce mode de travail, les élèves,
quant à eux ont à demander des explications et, surtout, à redire celles du maître.
C'estdans cette maigre mesurequeleursdiscours peuvent avoirdestrartsdiatogiques.

133
REPÈRES N° 3/1991 G. DUCANCEL

Le mode de travail «appropriatif» (M. Lesne, 1975) ou «constructiviste»


(G. Ducancel, mêmes ouvrages) que pratique l'équipe de recherche met, au contraire,
au centre les conceptions des élèves. Le rôle du maître est de faire qu'elles se
formulent, se confrontent, s'ajustent et/ou se transforment. Le savoir scientifique se
construit ators sur la rupture avec les conceptions antérieures des élèves, hétérogènes
chez chacun, différentes de l'un à l'autre. Nous avons montré le rôle fondamental des
discours explicatifs des élèves en la matière.
La seconde condition concerne la mise en place et la gestion par le maître
des situations et des tâches. Il s'agit, par là, d'assurer une interlocution com¬
mandée par l'intellect ion et defaireque les élèves prennent en compte ladimension
intertextuelle des discours tenus dans la «sphère concrète de l'échange verbal»
(Bakhtine).
Nous ne revenons pas ici sur les moyens employés pourfaire que l'intellection
gouverne l'interlocution (du questionnement aux problèmes ; les conflits cognitifs -
3.2.3 et 3.2.4 ci-dessus). L'interlocution prend diverses formes :
- intra-groupe : dans les petits groupes, dans la classe entière.
- inter-groupes : entre petits groupes, entre la classe et une autre classe
- maître - élève.
id. - groupe (s),
id. - classe entière.
- autre instance de savoir (documentation, intervenant extérieur...) - élève.
id. - groupe(s).
id. - classe entière.

4.3. Les enchaînements explicatifs

Il s'agit, dans tous les cas, d'interactions entre instances de savoir. Chacune
peut susciter un enchaînement discursif explicatif si les interlocuteurs prennent en
compte un obstacle réel ou supposé, possible, vraisemblable, àlïnter-compréhension.
Le passage d'une forme d'interaction à une autre, puis à une autre encore, diversifie
ces obstacles, confronte les réponses aux problèmes, et produrt des enchaînements
plus étendus, soit qu'ils connectent plusieurs enchaînements limités, sort qu'ils les
reformulent et les complètent. Ou bien encore, à la fin de l'étude entreprise, ou d'une
étape de celle-ci, un enchaînement inédit qui reformule les précédents de manière
synthétique.
Dans le CM1 de l'Annexe, les élèves en sont à l'affirmation que l'eau limpide
«comme la Volve» est potable. Ils pensent donc que ce sont des impuretés visibles
qui font qu'une eau ne l'est pas. Ils ont donc projete, en groupes, différents procédés
pour obtenir de l'eau limpide à partir de mélanges rouges et blancs dont ils ignorent
la nature. Ils les mettent en uvre.
En observant le Gr. 4, on s'aperçoit qu'en dehors des difficultés techniques de
filtration (filtre qui crève...), le problème essentiel est bien de découvrir la matière
rouge du mélange :
- "C'est peut-être du mercurochrome avec de l'eau.
- Ou du jus d'orange.
- Ça sent la tomate.»

134
Expliquera l'oral, à l'écrit, en sciences

Au bout d'un temps de filtration, ils sont sûrs que c'est du ketchup. Mais :
- «Ça (l'eau dans le bocal sous le filtre) devient clair.
- Mais c'est encore foncé.»
Ce qu'ils se proposent de faire montre que, pour eux, les «petits morceaux» ne
sont pas retenus par le filtre :
- "Faudrait rajouter de l'eau de Volvic
- Oui. On va raputerde l'eau.»
Cependant, et alternativement, ils se proposent de mélanger de «l'eau blanche»
(avec plâtre) au liquide rouge clair obtenu :
- *Si on met un peu d'eau blanche, ça sera plus blanc que /à.
- On dort essayer que ça sort plus blanc.»
Cela montre que la visée du résultat n'est plus, par moment, reliée au problème
à résoudre par l'expérience, ni à la conception de la non-potabilrté de l'eau qui a
motivé celie-ci. Cependant, l'explication qu'ils rédigent, et qu'ils transmettront aux
autres, correspond au problème qui était posé : C'esf de la sauce tomate avec
beaucoup d'eau.
Dans la présentation et la discussion des expériences des différents groupes
et des résultats qu'ils ont obtenus, tous expliquent que les impuretés étaient du plâtre
et du ketchup, et comment ils l'ont mis en évidence (filtration, décantation, evapo¬
ration). Mais la centration exclusive sur le résultat visé (obtenir de l'eau claire comme
la Volvic) se manifesté aussi par le fait que les porte-parole de la plupart des groupes
expliquent qu'ils n'ont pas fart ce qu'il fallait :
- "On voulait faire apparaître de l'eau bien claire, et c'est l'ingrédient»
- "Pendant qu'on a bouilli, l'eau était toute claire (...) On l'a vue. (...) Mais elle
est partie.»
- «On n'est pas vraiment arrivés au but»
Le maître demande qu'on rappelle ce qu'on voulait exactement obtenir :
- «De l'eau claire comme la Volvic, potable».
En conséquence, «il faudrait refaire», mais il est très vraisemblable que les
élèves veulent trouver le moyen d'obtenir de l'eau incolore, et ne se posent pas
encore le problème de savoir si, pour autant, elle sera potable.
Lors de la séance suivante, le maître leur rapporte de l'eau de la mare d'un
village. Manifestations de dégoût. Ils la filtrent ou la décantent et obtiennent de l'eau
limpide. Classe entière :
- L'eau est limpide, mais elle n'est pas potable. Limptoe, ça veut dire un liquide
transparent
- Et potable, ça veut dire buvable.
- M : Qu'est-cequ'ilfaudrartfairepourqu'ellesortpotable ? Et qu'est-ce qui vous
fait dire qu'elle n'est pas buvable ?
- Il y a toujours des mini-dépôts qu'on pourrart voir au microscope... des
microbes.
- Quand on a remué, la terre s'est mélangée avec l'eau, et il doit rester un peu
de terre.
- Et quand on mélange le sucre avec de l'eau, ilsedissout, et après on ne le voit
plus.
- M : Donc, il y aurait encore de choses dans l'eau, mais on ne les voit plus.»
Il écrit au tableau : On pense qu'il y a encore quelque chose dans l'eau qui
l'empêche d'être potable.

135
REPÈRES N° 3/1991 G. DUCANCEL

- M : "On essaiera de vérifier avec des documents.»

Des groupes se voient remettre des comptes rendus d'analyse d'eau, d'autres
des documents présentant différents procédés techniques de stérilisation, d'autres
n'ont pas de documents et doivent proposer des moyens de rendre l'eau potable.
Le Gr. 4 lit deux comptes rendus d'analyse dont l'un conclut à la non potabilité
(cf. 3.2.6. ci-dessus).
- « Pourquoi c'est important de surveiller les bactéries colli'ormes ?
- Parce que si tu les bois, tu peux être maPde.
- Il faut mettre de l'eau de pvel.
- Oui, mais avec de l'eau dejavel, tu vas être maPde.
- Ben non, il en reste peu.
(...)
- // faudrait répondre.
- Qu'est-ce que j'écris ?
- On marque : les bactéries.
- Le quepue chose, c'est les bactéries.

Ils expliquent ensurte aux autres quels documents ils avaient, les informations
qu'ils apportaient et concluent :
- «Nous on a trouvé que ce qui empêchait, l'eau d'être potable, c'est les
bactéries.»

Un autre groupe, qui a, lui aussi, lu des comptes rendus d'analyse, approuve la
conclusion du Gr. 4 et se focalise sur d'autres éléments :
- "Dans l'eau, ily a des éléments indésirables : fer, zinc, cuivre, manganèse. Il
y a aussi des éléments toxiques :pbmb, arsenic, chrome...
- Indésirables, il vaut mieux qu'ils ne soient pas dans l'eau. Toxiques, Une faut
pas qu'ils soient dans l'eau.
- Le fer, c'est des petits grains de fer.
- M : Pourquoi on ne les a pas filtrés ?
- C'est pas du fer métal. Il y a une vitamine qui s'appelle le fer.
- Le zinc et le cuivre, c'est pas des vitamines. Ators, pourquoi le fer il en serait ?
- Je veux dire que le fer, c'est pas forcément du métal.»
La synthèse se formulera ainsi : "Dans l'eau, ily a des microbes, des bactéries.
Il y a aussi des éléments toxpues et des éléments indésirables, comme le fer, le
cuivre. Ils ne se voient pas parce qu'ils sont microscoppues.» On l'écrit, et on passe
aux procédés qui peuvent rendre l'eau potable.

4.4. Polylogues et monologues

Les enchaînements explicatifs font alterner dialogues, ou, plutôt, polylogues,


et monologues. Tous deux sont dialogiques, mais «le dialogue (est) une stratégie
discursive particulière qui majore la participation sémantique des instances
énonciatives pour enrichir le référentiel.» (F. Jacques, 1 988).
Cette majoration tient au fait que dans les polylogues, en particulier quand les
partenaires sont en présence les uns des autres, il y a confrontation directe des
problématiques, des explications. Les proposrtions se mesurent les unes aux autres.

136
Expliquer à l'oral, à l'écrit, en sciences

F. Jacques (1988) note que «chacun, dans l'échange de la parole, donne à recon¬
naître ses prédicats propres en révélant ses attitudes proposrtPnnelles(...) à autrui
au même titre qu'à soi-même.» C'est ce qui fait qu' «on ne saurait dire que S1 etS2
oz)f(chacun) énoncé lapropositionp.llfautdirequec'estàeuxdeuxqu'ilsont énoncé
p, chacun avec l'aide de l'autre.»
Après avoir étudié les procédés de stérilisation de l'eau, la dasse de l'Annexe
aborde les changements d'état, en refaisant une expérience qu'avait réalisée
précédemment un groupe :faire s'évaporer complètement l'eau d'une casserole par
ebullition. La question est «Où va l'eau qui part ?»

Échanges dans le Gr. 4 :


- «L'eau s'est évaporée.
- Non, la chaleur a fait évaporer l'eau.
-Ça a fart des bulles.»
Un élève écrit : La chaleur fait évaporer l'eau.
- «L'eau est dans l'air.
- Elle se ballade. l
- Un peu comme quand ily a du soleil. Le lac s'évapore.
- Ators, il va pleuvoir dans la classe.
- Mais non.
- Elle est devenue de l'air, maintenant»
Un élève écrit : L'eau évaporée est devenue de l'air.

Échanges classe entière


- Gr. 1 : «L'eau s'est collée sur le tableau. Elle s'est collée sur la casserole en
buée.
(...)
- Comment elle aurart pu se coller sur la casserole : elle (la casserole) était
chaude. (...)
- Gr. 1 : A l'extérieur, c'était pas chaud.

- Gr. 1 : C'esf comme pour la voiture l'hiver.


(...)
- Gr. 4 : L 'eau estpartie dans la classe, dans l'air. Elle peut passer sous la porte,
aller sur tout le monde. Elle se ballade. (...)
- Sort elle est invisible et elle est collée au plafond.
- Il va pleuvoir des gouttes, alors.
- Gr. 4 : Non. S'il fait chaud, elle va rester en l'air. (...)
- M : Ators... La vapeur d'eau est invisible. Elle est autour de nous. Elle ne
retombe pas parce qu'il ne fart pas assez. . . chaud ou froid ?
- Froid.
(...)
- Gr. 2 : On l'a vue, et après on ne la voyait plus. Elle a été aspirée parle tableau.
- Elle s'est collée sur le tableau et le reste est parti plus toin.
- Ça s'est éparpillé. (...)
- Elle est attirée par le sombre. (...)
- Le bois est poreux. Ça s'incruste dedans.
- C'est faux.
- Ce qui est chaud a tendance à monter, et froid à descendre. (...)

137
REPÈRES N" 3/1991 G. DUCANCEL

- On l'a bien vu, la vapeur monte.


- Elle se colle sur ce qui est plus chaud qu'elle.
- Le bois n'est pas chaud !
- Elle se colle sur quepue chose de froid.
-M : Chaud ou froP ?
Froid, parce que le tableau est froP. (...)
- Ef ça redevient de l'eau.
- Oui, il y avait des gouttes (...)
- £//e esf attirée par P froid. (...)
- Elle se colP sur quepue chose qu'elle a vu. (...)
- Non. (Elle était) près d'une surface froide. (...)
- Le froP sert à attirer la vapeur.
- M : Et le chaud ?
- A faire de P vapeur.
- M : prise dans quel corps ?
- Dans l'eau.
- Dans un liquide.
- Quand ça chauffe, P vapeur monte. Au fur et à mesure, ça se dilue.
-M: Et ce qui s'en va, est-ce liquide ?
- Non. Ça tomberait si c'était encore liquide.
- C'est transparent
- C'est une visbn.
-hll:Ungaz.(...)
- Sur le froP, on voit des gouttes.
- C'esf de l'eau.
- Ça redevient de l'eau.
- M : Ça se condense.»

Nous terminerons en soulignant d'abord que les dialogues et polylogues


interviennent également entre des propositions énoncées à des moments
éloignés les uns des autres, que les explications antérieures soient orales (elles
sont ators rappelées ou bien les élèves dialoguent avec le souvenir qu'ils en ont) ou
écrites. Le complètement, voire le remaniement des «modèles intellectifs» des
élèves apparaissent ators particulièrement nettement puisque le second discours
explicatif réfère explicitement au premier, qui avait été considéré, à son époque,
comme suffisant.
Dans le CM2 de Châteaudun, les élèves sont parvenus à expliquer l'inversion
de l'image d'une bougie au fond d'une boîte percée d'un trou d'épingle (cf. 3.3 ci-
dessus) puis, de là, celle de l'image rétinienne. La maîtresse leur remet un écrit qui
rappelle par un schéma le mécanisme de cette inversion. En dessous, elle a écrrt (et
elle le dit, l'explicite oralement) : Sur la rétine, l'image de l'objet est à l'envers.
Pourtant, torsquep regarde, je vois bien tout à l'endroit. Quelle explication peux-tu
donner ?
Après un temps de recherche individuelle, les explications sont discutées par
la classe : Thomas lit l'explication qu'il a rédigée, et qui porte seulement sur
l'inversion de l'image :
La rétine fart comme une cuillère, l'image va dans le haut de la rétine pour
rebondir à l'envers en bas.

138
Expliquer à l'oral, à l'écrit, en sciences

Protestations :
- Julien : «C'est ce qu'on pensait au début. C'est pas ça. C'est parce qu'ily a un
petit trou à l'il. A l'il. Ça explique que l'image est à l'envers.»
La maîtresse approuve, renvoie à son document et rappelle sa demande.
- Gaôlle : «C'esf te cerveau qui remet tout à l'endroit.
- Julien : Oui. C'est ça.»

ce qu'il a écrit, aidé par les élèves de son groupe :


Il lit
Il y a un petit trou dans l'eil qui est trop petit pour qu'une image passe
normalement. Quand l'image passe, elle est obligée de se placera l'envers sur
P rétine. Mais en arrivant au cerveau; elle se remet droite.
- M : C'est l'image qui se remet droite ?
- Julien : Non, c'est le cerveau qui la remet
- Gaëlle : C'est que le cerveau traduit ce qu'il voit.
- M : C'esf te cerveau qui voit ?
- Justin : Non, c'est l' et U envoP l'image au cerveau.»
La maîtresse note l'explication, qu'on vérifiera ensuite par une lecture documentaire.

Enfin, les monologues oraux en écrits sont eux-mêmes dialogiques, prennent


en compte, répondent à ce qu'ont dit, ont écrit d'autres élèves, ou bien à ce que
l'énonciateur lui-même a dit,- a écrit.
Thomas (CM2 Châteaudun), au début de l'étude de la vision, explique : «On voit
pour imaginer. Dans notre tête... Si on n'a rien vu, on ne connaît rien, et on ne peut
pas imaginer. Pour imaginer, il faut voir avant. Savoir avant.»
Les élèves de l'école de Bovelles en sont à essayer, d'expliquer par écrit
comment on marche (cf. 3.2.4 ci-dessus). Dans chaque groupe, un élève écrit sous
le contrôle des autres. Le texte du Gr. 1 s'élabore par référence :
- à leur premier texte, dont ils ont compris les limites (cf. 3.2.4. : Le cerveau
commande les veines...) : Le cerveau est relié au système nerveux qui
commande tes muscPs ;
- à des informations complémentaires apportées précédemment par un
schéma =» qui se contractent et se rapetissent ;
- à leurs explications orales antérieures : Ils deviennent plus petits et c'est
ainsi qu'ils tirent l'os quand on plie la jambe ;
- à la crainte que leur discours ne soit pas complet et compris. Ils ajoutent : Si
on n'aurait pas de nerfs, les muscles ne seraient pas commandés par le
cerveau.

5. CONCLUSION

L'intellection tire en avant l'interlocution scientifique. Les discours explicatifs en


classe de sciences naissent de l'insuffisance, de l'hétérogénéité, des conflits des
conceptions des élèves, de leurs «modèles intellectifs». C'est ce qui suscrte
questionnement puis problématisation, auxquels on s'efforce d'apporter réponses et
solutions.
Les maîtres considèrent donc les discours explicatifs comme fondamentalement
dialogiques, mettent en et gèrent les relations interlocutîves entre instances

139
REPÈRES N° 3/1991 G. DUCANCEL

d'intellection, favorisent la prise en compte de la diversité des discours qui se


tiennent, l'intertextualité diachronique et synchronique.
Les discours explicatifs revêtent alternativement la forme de polylogues et
monologues. Les polylogues ont un rôle-clé dans la mesure où ils mettent en
présence les énonciateurs de conceptions, de problématiques différentes, et les
engagent conjointement dans la construction de propositions inédites.
En situation de monologue, l'énonciateur doit, au contraire, formuler seul le
problème et les solutions, tout en comptant avec, tout en «dialoguant» avec les
modèles intellectifs alternatifs et leurs instances d'énonciation. C'est pourquoi, en
règle générale, les monologues explicatifs interviennent, en classe, après et en
référence aux polylogues. C'est pourquoi aussi ils ne sont pas le point final des
enchaînements explicatifs, mais sont ensurte discutés, reformulés en situation
pofytogale.
La distinction entre l'oral et l'écrit ne coïncide pas avec l'opposition polytogue/
monologue. Comme des exemples l'ont montré, les élèves sont conduits à mono¬
loguer oralement, à dialoguer par écrit, dans les enchaînements explicatifs.
Cependant, ils dialoguent le plus souvent oralement, et monologuent le plus
souvent par l'écrit. Le fait d'être en présence facilite la construction conjointe des
proposrtions explicatives. Par ailleurs, la construction solitaire de telles propositions
est plus facile par écrit, dans la mesure où l'on peut fixer une première proposition,
réfléchir, la biffer ou la modifier, la réécrire, la faire précéder d'une autre, etc..
Ceci dit, monologues oraux et écrits, dialogues oraux et écrits ont des carac¬
téristiques linguistiques semblables. L'opposition pertinente est entre l'«usage à
distance», où l'on échange à propos de quelque chose qui n'est pas commun,
partagé, et l'usage où ce dont on parle l'est (cf. 2.2 ci-dessus). L'explication en
sciences relève du premier usage puisqu'elle intervient en srtuation de discordance
cognitive.
De ce point de vue, la seule différence intéressante didactiquement entre
explication orale et écrite tient au fart que la première intervient le plus souvent quand
les interlocuteurs sont en présence les uns des autres, et en présence de l'objet
observé, des résultats des expériences. L'explication orale, en général, ne comporte,
pas le rappel de ce que tout monde sait, voit, partage. L'explication écrite destinée
aux mêmes reprend le plus souvent ces informations car les élèves ont appris et
savent qu'on n'écrit jamais seulement pour les destinataires effectifs de son discours.

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Expliquera l'oral, à l'écrit, en sciences

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141
LE RÔLE DES CAPACITÉS
MÉTALINGUISTIQUES DANS L'ACQUISITION
DE LA LANGUE ÉCRITE
Jean Emile GOMBERT
Université de Bourgogne
LEAD-CNRS;URA665
Classiquement, la question des rapports entre oral et écrit est abordée sous
l'angle d'une recherche des caractéristiques rapprochant et différenciant l'utilisation
de ces deux média. Bien que certains auteurs présentent le langage écrit comme
étant essentiellement un recodage du langage oral, il est plus courant de voir
souligner des différences entre les deux systèmes.

Dans cette perspective, on insiste principalement sur le fait que, pour être
intelligible, l'écrit demande un plus haut degré d'explicicité que l'oral. En effet, à l'oral
l'accès aux significations est, beaucoup plus qu'à l'écrit, assisté par des indices pris
dans la situation d'interlocution et par l'expérience partagée entre les interlocuteurs.

Par ailleurs, il est fréquemment rappelé que les contraintes pragmatiques


propres à chacun de ces deux média en différencient les possibilités de contrôle par
les interlocuteurs, en compréhension comme en production. Ainsi, contrairement au
destinataire d'un discours oral qui, en cas de difficulté de compréhension, peut
interrompre le locuteur pour demander des clarifications, le lecteur a comme seule
possibilité le retour sur le texte, ce qui ne conduit pas toujours à une amélioration de
la compréhension ; (Cf. Fayol & Gombert, 1987). De même, à l'oral, en cas de
mauvaise interprétation manifeste du discours par le destinataire, le locuteur peut
nier cette interprétation erronée et éventuellement corriger sa production ; ceci n'est
généralement pas possible à l'écrit (pour un inventaire plus détaillé des différences
entre oral et écrrt (Cf. Gombert, 1988b ; Schneuwly, 1989).

L'essentiel des différences classiquement soulignées entre le traitement de


l'oral et celui de l'écrit tient en un plus haut degré d'exigence de la gestion de l'écrit
par rapport à celle de l'oral. Il y a là la rançon de l'utilité même du médium écrit. En
effet, l'écrit a sur l'oral (non enregistré) l'avantage de la permanence de la trace, ce
qui n'est indispensable qu'en cas de distance temporelle entre l'émission et la
réception du message. La conséquence cognitive de cette différence d'exigence est
que le traitement du langage écrit requiert un haut niveau d'abstraction, d'élaboration
et de contrôle que le traitement du langage oral, son coût cognrtif est donc plus élevé.

Ainsi, se trouvent mises au premier plan des différences qui ne tiennent pas tant
aux média eux-mêmes qu'aux tâches linguistiques habituellement rencontrées dans
chacun d'entre eux. Certes, la situation de manipulation de l'écrit diffère de celle de
manipulation de l'oral par la modalité sensorielle mobilisée à l'amorce du trartement
de l'information (voies visuelles à l'écrit, voies auditives à l'oral) et par les compor¬
tements moteurs caractérisant les productions (grapho-moteurs pour l'écrit, phonatoire

143
REPÈRES N° 3/1 991 J.É. GOMBERT

pour l'oral). Il n'en reste pas moins que, indépendamment de ces aspects dont les
conséquences pour les traitements cognitifs ne sauraient être négligeables, les
tâches elles mêmes diffèrent.

A l'écrit se trouvent généralement effectuées des tâches linguistiques virtuelle¬


ment réalisables à l'oral mais qui de fart ne s'y rencontrent que très rarement. C'est
cet aspect de l'articulation oral/écrit qui sera abordé dans cet article, dans une
perspective qui tente d'en percevoir les conséquences quant à P apprentissage de la
manipulation de l'écrrt, en particulier à l'école maternelle lors du début du cycle des
apprentissages fondamentaux.

1. MANIPULATION DE L'ÉCRIT ET ÉMERGENCE DES CAPACITÉS


MÉTALINGUISTIQUES (1)

Depuis une dizaine d'années, les chercheurs du laboratoire de psychologie


expérimentale de l'Université Libre de Bruxelles ont, à plusieurs reprises, étudié les
capacités métalinguistiques des adultes analphabètes (pour un exposé détaillé Cf.
Gombert, 1990 (2). Ils ont ainsi montré que les individus qui n'ont jamais été
confrontés à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture se comportent comme les
enfants tout-venant de 5-6 ans dans plusieurs épreuves de manipulations formelles
du langage, lis semblent ainsi en général incapables : 1 ) d'ajouter ou de retirer un
phonème en position initiale d'un mot ; 2) de segmenter une phrase orale en mots ;
3) de donner des exemples de mots courts ou long, ou de désigner l'image qui
représente l'objet qui a le nom le plus long parmi deux dont l'une représente un objet
de grande taille mais à dénomination phonologiquement courte (par ex. un ours) et
l'autre un objet de petite taille mais à dénomination phonologiquement longue (par
ex. une coccinelle).

Ces échecs dans des tâches apparemment très élémentaires posent problème.
Leur interprétation la plus simple est de considérer que, face à la prescription de
raisonner sur des objets linguistiques sans prendre en compte les significations,
l'analphabète ne comprend pas la consigne. La plausibilité de cette hypothèse est
forte. L'expérience linguistique de l'individu non lettré est principalement une
expérience de la communication, la réflexion sur la structure des outils de cette
communication y est vraisemblablement le plus souvent absente. Dès lors, les
consignes de manipulations métalinguistiques ne peuvent pas être comprises car,
ce type d'activités n'ayant aucune pertinence pour l'individu, elles sont réinterprétées
en termes de manipulations des concepts, tâches qui ne sont pas en contradiction
avec l'expérience linguistique du sujet. Pour prendre un exemple, l'analphabète à qui
on demande de dénommer un objet qui a un nom long réinterprétera cette consigne,
pour lui insensée, en termes de dénominatton d'un objet long. Ce qui fart défaut à
l'analphabète n'est pas l'appareillage cognitif nécessaire à l'analyse du langage,
mais l'expérience même de ce type d'analyse.

Dans les trois recherches citées ci-dessus en exemple, des adultes ex¬
analphabètes mais alphabétisés à l'adolescence ou au début de l'âge adulte étaient
utilisés comme points de comparaison. Les résultats des expériences montrent que
ces individus réussissent dans les tâches métalinguistiques échouées par leurs pairs

144
Le rôle des capacités métalinguistiques dans l'acquisition de la langue écrite

analphabètes. La seule différence entre les deux groupes d'individus est que dans
l'un d'entre eux il y a eu apprentissage (tardif) de la lecture et de l'écriture. Il est donc
légitime d'attribuer la responsabilité de la réussite aux épreuves métalinguistiques à
l'apprentissage de la manipulation de l'écrit. Cet apprentissage, qui implique une
manipulation formelle du langage, semble donc avoir pour effet de donner sens aux
consignes de manipulations métalinguistiques.

Un même raisonnement doit s'appliquer à la comparaison entre les enfants de


5-6 ans (avant l'apprentissage de la lecture et de récriture) et ceux de 6-7 ans (qui
ont abordé ces apprentissages). En effet, une analyse des quelques centaines de
recherches scientifiques intéressant l'émergence des capacités métalinguistiques
(Cf. Gombert, 1 990) révèle que la plupart d'entre elles apparaissent à 6-7 ans. Ainsi
en est-il, par exemple : du dénombrement et de la segmentation phonémiques (par
ex. taper sur la table autant de fois qu'il y a de phonèmes dans des mots présentées
oralement) ; des identifications de règles syntaxiques violées dans des phrases
agrammattoales ; des segmentations de phrases en mots ; de la différenciation
consciente entre signifiants et signifiés (Cf. l'exemple présenté plus haut de la
désignation parmi deux images de celle qui représente l'objet qui a le nom le plus
long) ; de la maîtrise des nécessités d'adaptation du discours en fonction des
caractéristiques de la srtuation d'énonciation (par ex. de la nécessité d'être plus
explicite si le destinataire ne voit pas l'objet dont on parle). Si ces capacités sont
généralement absentes avant l'apprentissage de la manipulation de la langue écrite,
il a toutefois été montré que certaines d'entre elles peuvent être provoquées à partir
d'environ 5 ans (mais difficilement avant) par le biais d'entraînements oraux adaptés.

Les capacités métalinguistiques se présentent donc en quelque sorte comme


un sous-produit de l'apprentissage de la manipulation de l'écrit. Il faut sans doute
considérer que, contrairement à la conversation orale, la manipulation de l'écrrt
nécessite des connaissances explicites sur le langage et des capacités à en piloter
pas à pas l'utilisation. En d'autres termes des capacités métalinguistiques véritables.
Ces capacités auparavant inutiles semblent apparaître à l'occasion de l'activité qui
les nécessite.

La lecture et l'écriture de mots jusqu'alors jamais rencontrés à l'écrit par le sujet


demande de sa part une capacité à reconstruire le mot oral connu à partir de la
nouvelleconfiguratton visuelle ou à engendrer la configurât ion graphémique nouvelle
en traduction de l'assemblage sonore correspondant au mot oral. Il est désormais
définitivement établi que ce type de capacité est très liée à la maîtrise de la
correspondance grapho-phonémique (Cf. par exemple, Perfetti & Rieben 1989).
Maîtriser la correspondance entre les graphèmes et les phonèmes demande bien
entendu la capacité de reconnaître à l'oral, au sein des unités signifiantes, les unités
linguistiques sonores que sont les phonèmes (plus exactement les phones, Cf.
Content, 1984, 1985 et Kolinsky, 1986). Les activités de lecture et d'écriture
supposent donc une maîtrise métalinguistique de certains aspects phonologiques du
langage oral (Le. une maîtrise métaphonologique) en général inutile en dehors
d'elles.

145
REPÈRES N° 3/1991 J.É. GOMBERT

De même, la reconnaissance des mots étant un facteur central de l'acquisition


de la langue écrite (Cf. Perfetti & Rieben, 1989), la lecture et l'écriture nécessitent la
capacrté de faire correspondre des mots oraux aux mots écrits. Ceci exige, d'une part
de pouvoir décomposer la chaîne parlée en mots, d'autre part d'être capable de
reconnaître dans la configuration visuelle une matérialité du signifiant dont les liens
avec la matérialité du signifié sont arbitraires. En d'autres termes des connaissances
métalexicales et métasémantiques.

Enfin, le fait que, comme nous l'avons souligné en introduction, le contexte de


l'écrit est l'écrit lui-même exige de la part du lecteur-rédacteur, d'une part une
capacrté à contrôler le niveau d'explicicité des textes écrits, d'autre part une maîtrise
de leur cohésion qui exige souvent une gestion intentionnelle de la syntaxe et de
l'agencement des phrases entre elles. Autrement dit des compétences
métapragmatiques, métasyntaxiques et métextuelles, rarement mobilisées,
quoique mobilisables, à l'oral.

La manipulation de l'écrit aurait donc comme conséquence l'actualisation des


compétences métalinguistiques qui lui sont nécessaires. Il y a là un aspect géné¬
ralement négligé qui pourtant est susceptible de jouer un rôle très important dans
l'apprentissage. En effet, les correlate métalinguistiques de la manipulation de
l'écrit, d'une part participent, à un moment ou à un autre de l'apprentissage, à
la charge cognitive de l'activité de lecture/écriture, d'autre part doivent être
prêts à être maîtrisés par l'apprenant pour que la manipulation de l'écrit qui les
nécessite puisse être apprise.

2. LECTURE ET CAPACITÉS MÉTALINGUISTIQUES

De nombreux travaux établissent, aujourd'hui avec certitude, l'importance de la


maîtrise métaphonologique au début de l'apprentissage de la lecture (Cf. Gombert,
1990 et Perfetti & Rieben, 1989). Les conditions cognitives de l'apparition des
conduites métaphonotogiques sont nécessaires à l'apprentissage efficace de la
lecture. Autrement drt, l'individu qui n'est pas cognitivement prêt à la maîtrise
métaphonologique, ne peut apprendre à lire. L'utilisation de la correspondance
grapho-phonologique dans l'identification des mots écrits présuppose en effet une
capacrté à identifier dans la parole les unrtés phonémiques à mettre en rapport avec
les unrtés visuelles discrètes perçues.

L'utilité de la maîtrise de la correspondance grapho-phonologique est étroitement


liée à la capacrté à détecter les unités lexicales tant à l'oral qu'à l'écrit. En effet,
l'importance du rôle de cette maîtrise dans la reconnaissance des mots présuppose
que ceux-ci aient une réalité pour l'individu.

En elle-même, la simple capacité des enfants en début d'apprentissage de la


lecture à segmenter des phrases orales en mots est corrélée avec les performances
en lecture et est prédictrice de son développement ultérieur. De fart, il a été montré
que, avant le début de cet apprentissage, cette capacité est généralement absente,
chez l'enfant comme chez l'adulte analphabète (Cf. Gombert, 1990). En fart, la
première chose que l'enfant doit savoir, quand il commence à apprendre à lire, est

146
Le rôle des capacités métalinguistiques dans l'acquisition de la langue écrite

qu'à un mot oral spécifique correspond un et un seul mot écrit. Une disposition à la
maîtrise métalexicale semble donc d'entrée nécessaire même si la segmentation
apparente de l'écrit intervient en retour pour favoriser l'actualisation de cette
compétence préalable.

Le même raisonnement peut s'appliquer à la maîtrise métasémantiquedu mot.


Les adultes analphabètes, comme les enfants d'âge préscolaire, privilégient en effet,
dans leurs jugements des mots oraux, les caractéristiques des signifiés aux dépens
de celles des signifiants. La maîtrise métasémantique, qui conditionne l'accès au
concept à partir d'une configuration graphémique qui lui est arbitrairement liée, est
elle-même consolidée par la matérialisation des mots dans le langage écrit.

De même, il a été montré auprès de populations dont la langue quotidienne est


un dialecte tribal, que la capacrté àcorriger des phrases grammaticalement déviantes
est étroitement liée à la scolarisation (Scribner & Cole, 1 981 ). Cette étude confirme
les nombreuses données déjà obtenues auprès d'enfants prélecteurs et lecteurs
établissant un lien entre la maîtrise métasyntaxique et les performances en lecture.

En ce qui concerne la maîtrise métapragmatique, Ferreiro (1 977) a souligné,


chez certains enfants en apprentissage de la lecture, une difficulté àdistinguerce que
drt explicitement la phrase écrite et ce qu'elle veut dire (signification qui peut, par
exemple, être inférée d'une illustration accompagnant la phrase). Cependant,
d'autres auteurs (Cf. Gombert, 1990) ne trouvent pas de corrélation entre les
premières performances de lecture et la capacité à distinguer à l'oral ce qui est drt
(en anglais, say) de ce que le locuteur voulait signifier (en anglais mean). Une telle
corrélation est en revanche observée lors de la troisième année d'apprentissage.
Cette capacrté ne paraît donc nécessaire pour tous les types de lecture, en particulier
elle n'est pas mobilisée dans la lecture des textes simples et explicites proposés aux
débutants. Le problème esttout autre avec les textes plus complexes et plus opaques
que le lecteur doit pouvoir traiter ultérieurement.

La maîtrise métatextuelle semble également être impliquée dans l'activité de


lecture. Ainsi, il a été montré que les lecteurs peu habiles ou inexpérimentés ont peu
de possibilités, d'une part de porter leur attention sur les informations importantes,
d'autre part de verbaliser d'éventuelles tentatives d'adaptation de leur stratégie de
lecture en fonction de la situation. Ils paraissent donc déficitaires dans les deux
domaines métatextuels dont Perfetti (1 985) souligne l'importance pour la lecture : la
maîtrise des niveaux déstructuration dutexteetcelledesstratégiesde compréhension.
Ce lien entre maîtrise métatextuelle et gestion de haut niveau de l'activité de lecture
explique sans doute à la fois la relation qui existe entre la capacrté précoce à raconter
des histoires et la réussite ultérieure à l'apprentissage de la lecture et le fait que
l'incitation à utiliser un schéma (Le., une connaissance de l'organisation générale
d'un récit, Cf. Fayol, 1985) préalablement à la lecture d'un récrt améliore la
compréhension chez les jeunes lecteurs.

Il existe donc de multiples corrélations entre des capacités métalinguistiques


portant sur l'oral et les compétences en lecture. Un inventaire des activités impliquées
dans l'acte de lecture doit permettre une meilleure compréhension de la nature de

147
REPÈRES N° 3/1 991 JE. GOMBERT

ces liens. Cette analyse peut en particulier être tentée par le biais d'un examen des
caractéristiques procédurales des performances des mauvais lecteurs et de celles
des apprenants.

Il a été maintes fois montré que les mauvais lecteurs ont généralement des
performances faibles dans les tâches de décodage qui impliquent l'application des
règles de correspondance grapho-phonémique (pour des revues Cf. Gombert,
1990 ; Perfetti & Rieben, 1989). Ils semblent également moins habiles dans l'utili¬
sation de stratégies palliatives à la non-identification d'un mot

Très tôt, l'enfant pré-lecteur est capable de reconnaître des mots écrits
présentés dans leur contexte familier. En fait, il semble que ce soit uniquement le
contexte et non pas l'écrit lui-même qui, dans ce cas, détermine l'interprétation du
jeune enfant, ce qui se traduit par de fausses reconnaissances en cas de présen¬
tation d'un mot dans le contexte habituel d'un autre mot. Pour les textes écrits, le
contexte est le texte lui-même et ce contexte peut être utilisé par le lecteur pour pallier
les difficultés de compréhension d'un mot ou d'un passage particulier. En l'espèce,
le développement des habiletés grammaticales pourrait jouer un rôle central en
augmentant la sensibilité de l'enfant à la «prédtotabilité» du texte. Appariant, sur leur
niveau en lecture, des bons lecteurs en première année d'apprentissage delà lecture
(6-7 ans) et des mauvais lecteurs de troisième année (8-9 ans), des chercheurs
australiens ont montré que les premiers sont supérieurs aux seconds dans deux
tâches métasyntaxiques orales :unetâche de complètement de phrases et une autre
de correction de phrases agrammaticales. Les mauvais lecteurs, comme les débutants,
sont donc confrontés à une double difficulté : déjà, ils ne peuvent décoder rapide¬
ment les mots, de plus ils auraient également des difficultés, liées à une mauvaise
maîtrise de la syntaxe, dans l'application de stratégies de prédiction de l'identité d'un
mot écrit non décodé. Non seulement ces stratégies sont généralement des
stratégies de mauvais lecteurs (Cf. Sprenger-Charolles, 1989), mais de surcroît les
mauvais lecteurs sont moins équipés que les autres pour les adopter.

En fart, la reconnaissance des mots écrrts conditionne toute l'activité de lecture


car elle est un préalable à la compréhension. De plus, il ne suffit pas qu'elle sort
correctement opérée. Il faut également que son coût cognitif soit suffisamment faible
pourque le lecteur puisse allouer de l'attention à des activités de compréhension de
plus haut niveau. Il apparaît donc nécessaire qu'elle soit, au moins partiellement,
automatisée.

L'habileté du bon lecteur ne se limite pas à la possibilrté de reconnaître des mots


écrits, encore faut-il qu'il soit capable de comprendre les messages qu'il lit, ce qui
demande, au minimum, que soit prise en compte la structure grammaticale qui
gouverne l'organisation des mots dans la phrase et que les marques de cohésion
textuelle soient traitées. Au delà de ce trartement linguistique, la compréhension
dépend de la formation d'une représentation conceptuelle correspondant à celle
souhaitée par l'auteurdu message écrit. Certains travaux montrent que lesdébutants
et les mauvais lecteurs ont tendance à privilégier le traitement de niveau lexical. Ainsi
lorsqu'ils ont à détecter des anomalies dans des textes écrits, le seul problème
mentionné concerne la signification de mots individuels. Il y aurart là une des causes

148
Le rôle des capacités métalinguistiques dans l'acquisition de la langue écrite

de leurs problèmes de compréhension. Par ailleurs, ils sont moins performants que
les bons lecteurs dans toute une série detaches métacognitives portant sur les textes
écrits : détection de violations de connaissances préalables ; détection de contra¬
dictions ; identification de l'idée principale d'un texte. De façon plus générale, ils
paraissent également peu conscients de leurs propres problèmes de compréhension
(pour des revues. Cf. Gombert, 1 990).

Critiquant la tendance de beaucoup de chercheurs à ne prêter attention qu'au


décodage ou qu'à la compréhension, Forrest-Pressley & Waller (1 984) insistent sur
le fait que la lecture n'est pas uniquement l'un ou l'autre, ni même une simple
combinaison des deux. Il faut y ajouter une troisième composante, la capacrté à
adapter sa stratégie de lecture au but poursuivi. En effet, la stratégie efficace ne sera
pas la même pour chercher une définrtion dans un dictionnaire, lire un texte pour
l'apprendre, pour le critiquer ou pour se distraire. Il s'agrt, là encore, d'une habileté
qui semble faire défaut au jeune et au mauvais lecteur.

La lecture paraît donc mobiliser, à un niveau ou à un autre : la connaissance du


code phonologique ; l'identification des mots ; les habiletés grammaticales ; la
maîtrise des paramètres textuels et la capacrté d'adaptation à la finalité de l'activité.
En d'autres termes, la lecture semble nécessiter de la part des individus les diverses
compétences métalinguistiques énumérées plus haut.

L'effet d'autres facteurs sur la lecture a été étudié par un certain nombre de
chercheurs. Longtemps mises en exergue, les capacités visuo-spatiales ne sont plus
aujourd'hui considérées comme jouant un rôle central dans l'apprentissage de la
lecture, même si elles peuvent être impliquées dans certaines dyslexies. La mesure
de l'empan mémoriel et les capacités de gestion intentionnelle des stratégies
mnémoniques sont également de pauvres prédicteurs des performances en lecture.
En revanche, chez le mauvais lecteur, les problèmes de maintien en mémoire àcourt
terme semblent souvent jouer un rôle. Le mauvais lecteur est également moins
habile dans le langage oral et a un vocabulaire plus pauvre. Plus curieuse la
constatation que laconnaissance de l'alphabet écrit avant l'entrée à l'école élémentaire
est un très bon prédicteur isolé du niveau ultérieur en lecture. Certes, on voit l'utilité
de cette connaissance pour le décryptage, mais, à elle seule (i.e. sans capacrté
métaphonologique), elle peut difficilement conduire ne serait-ce qu'à la pbonobgisation
des mots. En fait, les enfants qui savent nommer les lettres sont généralement issus
des milieux socio-culturellement favorisés qui, donnant précocement une assistance
à la préparation puis à l'apprentissage de la lecture, fournissent nécessairement les
meilleurs lecteurs.

La plupart des capacités associées à la lecture sont doncd'ordre métalinguistique.


Les habiletés dans le langage oral semblent également jouer un rôle, mais l'importance
relative de celui-ci est discutée : première pour certains, elle est considérée comme
moindre que celle du contrôle du langage par d'autres. En fart, tout dépend du niveau
auquel on se situe. Bien entendu, un niveau suffisant d'habileté langagière à l'oral est
souvent un préalable à l'abord de l'écrit. Toutefois, lorsque ce minimum est atteint,
les capacités métalinguistiques semblent avoir une importance prépondérante. Par
ailleurs, les performances langagières peuvent être liées au milieu familial dont

149
REPÈRES N" 3/1991 J.É. GOMBERT

l'influence sur les apprentissages est non négligeable. Quant aux problèmes
mnémoniques, ils peuvent être liés aux difficultés de lecture de différentes façons :
ils peuvent parfois en être directement la cause, lorsque le problème est strictement
un problème de mémoire ; ils peuvent également dépendre de dysfonctionnements
plus larges qui se manifesteraient alors également dans d'autres dimensions
cognitives, dont les capacités métalinguistiques ; ils peuvent enfin, s'ils sont limités
au matériel verbal, être la manifestation d'une difficulté primitive à manipuler le
langage mentalement, le dysfonctionnement métalinguistique étant alors premier.

Une revue de divers travaux qui tentent de déterminer l'importance relative des
divers facteurs associés à la compréhension en lecture suggère que la hiérarchie
varie en fonction du niveau d'apprentissage. Le seul facteur non directement
métalinguistique qui, à tous les niveaux, est corrélé avec les performances en lecture
est l'importance du lexique, qui nous semble être un indicateur sociologique plutôt
que cognitif. Au début de l'apprentissage, l'ordre de mobilisation des capacités met
au premier rang la connaissance de ce qu'est la lecture, puis sont mobilisées les
capacités métalexicales et métasémantiques, métaphonologiques et, enfin,
métasyntaxiques. Plus tard, le facteur prépondérant est l'automatisation des capacités
de base (telles qu'elle peut être mesurée par des temps de reconnaissance),
l'importance des capacités métapragmatiques et métatextuelles, essentielles au
niveau ultérieur d'expertise en lecture, apparaît alors. Comme il a été argumenté déjà
plusieurs fois à propos de capacités métalinguistiques particulières, il est vraisem¬
blable qu'il y a, aux différents niveaux de l'apprentissage, une interaction entre les
diverses capacités métalinguistiques et la lecture. Un déficit métalinguistique par¬
ticulier empêcherait le développement de l'habileté du lecteur au-delà du niveau où
le rôle de la capacrté métalinguistique déficiente est prépondérante. En revanche, en
l'absence d'un tel déficit, la pratique d'une lecture de plus en plus élaborée
actualiserait et développerait successivement les différentes compétences
métalinguistiques préexistantes.

3. ACTIVITÉS RÉDACTIONNELLES ET CAPACITÉS


MÉTALINGUISTIQUES

Contrairement à ce qui se passe dans le domaine de la lecture, les études qui


explicitement visent à mettre en évidence les capacités métalinguistiques associées
à la «scription-rédaction» sont quasi inexistantes. Il est toutefois possible, comme
pour la lecture, de tenter de décrire en quoi un scripteur rédacteur peu performant
diffère d'un scripteur rédacteur habile et de là en inférer les capacités métalinguistiques
nécessaires.

Les premières différences entre le rédacteur expert et celui peu expérimenté se


manifestent au niveau de l'empan des planifications, plus locales (phrastiques ou
intraphrastiques) chez le débutant ou le mauvais rédacteur et occupant une proportion
de temps de composition moindre (Cf. Foulin, 1988). En général, ces sujets
paraissent avoir des difficultés à produire des buts élaborés et à anticiper les besoins
des lecteurs. Au niveau de la transcription, ils semblent peu à même d'appliquer les
conventions de l'écrit et de contrôler l'exécution ; la syntaxe, l'orthographe et la
ponctuation sont pauvres (pour une revue Cf. Gombert, 1988b).

150
Le rôle des capacités métalinguistiques dans l'acquisition de la langue écrite

Le rédacteur inexpérimenté revient moins sur son texte que ne le fait l'expert et,
contrairement à ce dernier, il s'intéresse plus à la détection des erreurs de surface
(grammaire, orthographe, ponctuation) qu'au contrôle de la signification et de
l'adéquation communicative de la production. Il a des problèmes de détection, lors
de la relecture il a tendance à percevoir ce qu'il croit avoir écrit plutôt que ce qu'il a
écrit véritablement (Fayol, Gombert & Baur, 1987), ce qui entraîne qu'il est un
correcteur plus efficace des textes d'autrui que des siens. Enfin, les modifications
qu'il opère n'aboutissent généralement pas à une amélioration de la production
initiale et peuvent même avoir l'effet inverse (pour une revue sur la révision, Cf. Fayol
& Gombert, 1987).

Globalement, apparaissent un manque de connaissances et une difficulté à


savoir quand appliquer les connaissances possédées. Semblent également inter¬
venir des problèmes de capacité de trartement en mémoire de travail. Les textes
produits sont courts, comprennent des phrases moins longues et syntaxiquement
moins complexes, utilisent des mots plus fréquents et sont insuffisamment explicites
comme si le lecteur devait savoir, en l'absence du rédacteur, ce qui se passait dans
sa tête au moment de la production. L'ensemble donne l'impression (mais ce n'est
qu'une impression) que les rédacteurs non experts écrivent comme ils parlent ; chez
les moins expérimentés cela va jusqu'à une orthographe qui reflète l'utilisation de
règles phonologiques. En fart, une étude plus fine différenciant divers niveaux
d'expertise révèle une transition graduelle d'un style conversationnel à un style écrit.
Les productions sont de moins en moins liées à leur contexte d'émission, de plus en
plus cohérentes et organisées.

Le caractère systématique des différences suggère, aucune des activités de


haut niveau n'étant effectuée de façon satisfaisante par le rédacteur inexpérimenté,
que ses capacités de traitement sont entièrement mobilisées par la réalisation des
activités de base.

Si on examine laconduite des experts de la production écrite ou si, une fois n'est
pas coutume, on se livre à l'introspection, on se rend rapidement compte que toutes
les activités énumérées ci-dessus ne sont pas contrôlées à un niveau conscient
pendant la rédaction.

Tout d'abord, l'acte graphique lui-même, le choix des mots, l'orthographe, les
accords grammaticaux, la ponctuation, sont souvent opérés automatiquement. De
même, la recherche de la cohésion textuelle, l'adaptation au lecteur potentiel et
l'effort d'expltotorté ne font pas toujours l'objet d'une attention particulière ators que
le texte produit sera satisfaisant sur ces critères. Enfin, de nombreuses corrections
sont effectuées si rapidement que les sujets n'ont pas pu réfléchir sur la nature du
problème. Tout porte à penser qu'il s'agrt là de processus automatisés, cette
automatisation permettant que la plus grande part de l'effort cognrtif sort consacrée
à l'élaboration du contenu.

Il est toutefois notable que chacune de ces activités peut être contrôlée
délibérément si la srtuation l'impose ou si un obstacle survient dans la rédaction. Ceci
suggère que, dans l'apprentissage, l'automatisation a été consécutive à une maîtrise

151
REPÈRES N° 3/1991 J.É. GOMBERT

consciente puis à un exercice de ces différents composants (un peu comme cela se
passe pour certaines sous-activités de la conduite automobile).

Nombreux sont les auteurs qui signalent un défaut d'automatisation de certaines


activités chez le débutant ou le mauvais rédacteur, ceux-ci se trouvant de ce fait dans
un état permanent de surcharge cognitive. Sont en particulier désignées la planifi¬
cation et la réalisation graphomotrices et orthographiques (Foulin, 1 988), l'application
des règles de grammaire et des conventions d'usage, qui s'ajoutent à la génération
nécessairement attenttonnelle des contenus. C'est ce qui conduit certains auteurs à
considérer la production écrrte comme une activité dans laquelle de nombreux sous-
processus différents sont en compétition dans une capacité attenttonnelle limitée.

Ceci est confirmé par les améliorations consécutives à l'utilisation de procédures


destinées à alléger la charge de travail. Ces tentatives ont essentiellement concerné
la révision finale des textes produrts. Ainsi, en assistant des rédacteurs dans la
révision de leurs propres textes (pardesquestions sur les caractéristiques des textes
produrts et par la proposition d'un éventail de stratégies de correction au sein duquel
un choix peut être opéré), on augmente le taux et l'efficacité des corrections locales
produites spontanément par les rédacteurs concernés par cette incitation. Toutefois,
il semble plus difficile de faire apparaître des types de corrections non spontanément
produrts. Plusieurs recherches ont mis en évidence le même type d'amélioration
consécutivement à l'allégement de la charge cognitive par l'utilisation d'un trartement
de texte sur micro-ordinateur (utilisation qui supprime la tâche de scription et une
partie des tâches de gestion). En fart, l'aide ou l'incitation à réviser ne suscitent pas
l'apparition de stratégies de plus haut niveau, elles ne jouent que comme facilitateurs
et «motivateurs» qui augmentent l'efficience des stratégies mobilisées spontanément.
Il y a là confirmation du handicap que constitue la surcharge cognitive, mais
également suggestion que certaines activités nécessaires à la production experte
sont indisponibles chez le rédacteur inexpérimenté et pas seulement occultées par
les activités de plus bas niveau. Les études disponibles semblent montrer que
l'assistance fournie par des outils comme le trartement de texte serait en fait un
«catalyseur de progrès» qui permettrait au sujet de mettre en action les nouvelles
procédures qu'il est sur le point d'adopter.

De même que pour la lecture, la mise en commun des données scientifiques


concernant la production d'écrits fait apparaître que la plupart des composantes de
l'activité rédactionnelle sont, à un moment ou un autre de l'apprentissage, de
l'initiation à l'activité scripturale à l'expertise dans la production de texte écrit,
contrôlées consciemment par le sujet. Comme en ce qui concerne la lecture, les
divers aspects de la maîtrise métalinguistique sont susceptibles de s'y trouver
mobilisés, les capacités métaphonologiques, métasyntaxiques et métasémantiques,
nécessaires au début de l'apprentissage, laissant progressivement la priorité aux
capacités métapragmatiques et surtout métatextuelles. L'auto-contrôle est donc un
facteur central du développement de l'écrit.

152
Le rôle des capacités métalinguistiques dans l'acquisition de la langue écrite

CONCLUSION

Il a été souligné plus haut que, avant l'apprentissage de la lecture et de l'écriture,


la plupart des sujets n'a pas actualisé les capacités métalinguistiques qui, comme
nous venons de le voir, sont nécessaires à cette activité. La prise de conscience
métalinguistique devra donc se faire concurremment à l'appropriation de l'écrit. Il y
a là un risque de surcharge cognitive susceptible de mettre en péril chez certains
l'apprentissage lui-même. Pour éviter ce type de situation, il est envisageable de
distribuer l'apprentissage de telle façon d'en faciliter la gestion par l'apprenant.

Les études sont en effet de plus en plus nombreuses qui montrent que
l'entraînement métalinguistique (notamment métaphonologique) à l'oral avant le
début de l'apprentissage de la manipulation de l'écrit en compréhension et en
production facilite ultérieurement cet apprentissage. Cet effet bénéfique attesté
s'explique aisément en termes d'allégement de la charge cognitive. Si l'installation
des capacités métalinguistiques nécessaires à la manipulation de l'écrit est
précocement faite à l'oral, elle n'est plus à faire lors de l'apprentissage de la lecture
et de l'écriture. La place prise en mémoire de travail par cette installation pourra donc
être consacrée à d'autres composants de la manipulation de l'écrit. De plus, la
probabilité qu'un apprenant se retrouve dans un état de surcharge cognitive qui
obérerait la possibilrté d'apprendre se trouvera diminuée.

Cet abord de l'apprentissage de la lecture et de l'écriture par le biais d'exercices


oraux destinés à développer les capacités métalinguistiques constitue peut être une
voie vers l'adaptation du système actuel à la configuratton prônée dans la réforme
instituant un cycle des apprentissages fondamentaux regroupant la dernière année
de l'enseignement préélémentaire et les deux première année de l'école élémentaire.

Un simple déplacement de ce qui se faisait en CP vers la grande section de


l'école maternelle aurait très vraisemblablement comme conséquence une aug¬
mentation du taux d'élèves en échec dans les apprentissages, le nombre d'enfants
n'y étant pas cognitivement prêts ayant toutes chances d'être plus important à cinq
ans qu'à six. Il est de plus difficile de concevoir un simple étalement sur trois ans de
ce qui était censé l'être sur deux, en commençant à l'école maternelle ce qui était
abordé au début du CP. En effet, l'expérience montre déjà que ce qui devait
jusqu'alors être étalé sur les deux premières années de l'école élémentaire ne l'était
le plus souvent que sur la première. Il est sans doute irréaliste de penser qu'il sera
possible d'étaler sur trois ans (voire sur quatre ans pour les élèves en difficulté) ce
qui ne l'est sur deux.

Ce raisonnement concerne d'éventuelles tentatives d'étalement en aval. Il


s'agirait, dans cette perspective, d'aborder l'apprentissage systématique des acti¬
vités complexes que sont la lecture et l'écriture dès le début de la grande section de
l'école maternelle. Cette façon de faire risque d'être inefficace voire dangereuse. En
revanche l'étalement est peut-être possible en amont. Il s'agirait ators de continuer
à aborder l'apprentissage des activités totales de lecture et d'écriture au début de
l'école élémentaire mais d'en aborder systématiquement certaines composantes
dès le début du cycle des apprentissages fondamentaux.

153
REPÈRES N" 3/1991 J.É. GOMBERT

Plus précisément, l'apprentissage systématique initié en grande section mater¬


nelle pourrart concerner d'une part la connaissance des caractéristique générales et
les fonctions de l'écrit (Cf. Ferreiro & Gomez Palacto, 1 988 et Gombert, 1 989, 1 990),
d'autre part les activités métalinguistiques qui s'avéreront nécessaires pour sa
manipulation efficace. Une grande partie de ce travail semble pouvoir être farte dans
des situations ludiques de manipulations formelles du langage oral (jeux sur les
syllabes, les phonèmes, la segmentation des phrases en mots, la différenciation
signifiant/signifié, la syntaxe, la communication de part et d'autre d'un écran etc.).
Ces exercices pourraient déboucher sur la mise en correspondance de la capacrté
exercée à l'oral avec son correspondant dans l'écrit (par exemple, la segmentation
d'une phrase orale en mots peut conduire à une visualisation du découpage lexical
de la phrase écrite).

Il faut toutefois être prudent dans l'administration de tels exercices. En effet, la


prise de conscience métalinguistique semble avoir des pré-requis cognitifs. Il a été
plus haut signalé que des entraînement adaptés peuvent faire apparaître dès cinq
ans des comportements métalinguistiques qui habituellement s'installent lors de
l'apprentissage de la manipulation de l'écrit. Il est important de souligner que
généralement ceci n'est pas possible avant cinq ans. La façon dont sont organisées
en mémoire les connaissances linguistiques des enfants de petite et moyenne
sections maternelles ne permet pas que les exercices visant à la prise de conscience
métalinguistiques y soient efficacement développés. Les manipulations structurées
du langage qui doivent prendre place avant la grande section ne sauraient donc viser
à court terme la réflexion et la verbalisation par l'enfant des déterminants de ses
propres comportements langagiers (3).

Enfin, rien ne permet d'affirmer a priori que tout enfant de cinq ans est prêt à
la prise de conscience métalinguistique. Au contraire, il semble bien que certains
enfants n'aient pas à cet âge des habiletés linguistiques suffisantes pour que le
passage «au meta» puisse être opéré (les facteurs de milieu culturo-linguistique
semblant ici avoir un rôle). Il serait irresponsable de ne pas soulever le problème des
conditions d'accès au cycle des apprentissages fondamentaux et de la nécessaire
évaluation qui guidera les décisions qui devront être prises pour certains enfants.

Même abordée sous l'angle de la recherche fondamentale, la question des


rapports entre l'oral et l'écrit conduit donc, pour peu qu'on se penche sur ses
conséquences pédagogiques, àdes considérations extra-scientifiques pour lesquel¬
les le chercheur n'a, à tout considérer, qu'une légitimité contestable. Il n'en reste pas
moins que des pratiques qui nieraient des réalités de foncttonnement des sujets
seraient vouées à l'échec.

154
Le rôle des capacités métalinguistiques dans l'acquisition de la langue écrite

NOTES

(1) Nous utilisons le terme «métalinguistique» dans son acception psycholinguistique. Il


renvoie donc au sous-domaine de la métacognition qui concerne le langage et son
utilisation. Ce sous-domaine comprend : a) les activités de réflexion sur le langage et son
utilisation ; b) les activités de contrôle conscient et de planification intentionnelle par le sujet
de ses propres procédures de traitement linguistique (en compréhension comme en
production). Ce terme ne désigne donc pas ici, comme c'est le cas en linguistique, les
utilisations du langage pour référer à lui-même (Cf. Gombert, 1986, 1988a, 1990, 1991).
(2) Pour éviter de surcharger le texte, les références détaillées des recherches évoquées (il
s'agit pour la plupart de publications en langue anglaise) ne sont pas systématiquement
données. Le lecteur les trouvera dans Gombert, 1990.
(3) Toutefois, l'existence de conditions cognitives à la nécessaire prise de conscience
métalinguistique invite à se pencher sur le rôle de l'école matemelle dans la préparation de
«la machine à apprendre». Il y a là une façon peut-être efficace d'aborder une réflexion sur
ce qui devrait être fait dans le cycle des apprentissages premiers (petite et moyenne
sections de l'école maternelle). C'est ce qui se développe dans plusieurs circonscriptions
de l'agglomération dijonnaise.

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156
AU CUR DES CONFUSIONS
ENTRE L'ÉCRIT ET L'ORAL :
LES REPRÉSENTATIONS DE L'ORTHOGRAPHE
Agnès MILLET
Université Grenoble III (1)

«Nous avons toupurs besoin de savoir à quoi nous en tenir avec le


monde qui nous entoure (...) c'est pourquoi nous fabriquons des
représentations» (JODELET, 1989, p. 31).

On peut considérer les représentations comme un élément non négligeable de


la connaissance d'un objet, puisque le jeu des diversités cognitives et sociales de ces
représentations construit les multiples facettes de cet objet. La connaissance des
représentations entre ators à son tour dans la dynamique de la connaissance,
ordonnant les différents points de vue, permettant peut-être un regard sur d'autres
regards.
On voit dès tors l'intérêt d'une telle recherche lorsque l'objet qui la constitue est
par ailleurs un objet d'enseignement : dé-voiler et re-connaître, tels pourraient être
les enjeux. Interroger ses propres représentations, connaître celles de ses interlo¬
cuteurs, se situer dans un espace fart de disparité et parfois de tensions serait alors
un préalable à l'action pédagogique, et ce d'autant plus nécessairement semble-t-
il que l'objet, comme c'est le cas du nôtre, revêt de nombreuses figures et s'investit
de passions souvent désordonnées.
En effet, en nous intéressant aux représentations que se font certains groupes
sociaux de Porthographe, et donc à la façon dont, dans la trame de leurs discours,
ils construisent cet objet linguistique si particulier et si particulièrement français, nous
avons pu mettre en évidence que l'orthographe, composante linguistique indéterminée,
idéal surnormatif, impose aux usagers un discours qui tend à en voiler les fonc¬
tionnements, tant linguistiques que sociaux (Millet, Lucci, Billiez, 1 990 ; Millet, 1 990).
Au fil de cette recherche, les différentes constructions de l'orthographe ont donc
pu, et c'est ce que nous développerons ici, apparaître comme un élément déterminant
dans l'appréhension des relattons - exprimées en termes contradictoires - entre
l'Écrit et l'Oral.

1. LA RECHERCHE

Dans le cadre du Centre de Recherches «Écriture et communbation écrite» du


Laboratoire Lidilem de Grenoble III, une enquête a été réalisée durant les années
1 987-1 989, dont l'objectif était de mettre à jour des représentations de l'orthographe.

Compte tenu de la rareté des recherches dans ce domaine, il s'avérait indispensable


d'opter pour une méthodologie résolument qualitative tant au plan de la population
observée qu'à celui du recueil et de l'analyse des données. On sait l'étroite relation
entre le mode de recueil et l'interprétation des données, surtout quand il s'agit de
données discursives qui ne laissent pas de poser de nombreuses questtons

157
REPERES N° 3/1991 A. MILLET

méthodologiques : la présentation de cette construction des données se dort donc


d'être précisée.

1.1. La population témoin

Plutôt que de construire un groupe de témoins seton des critères macro-


sociologiques, nous avons donc préféré interroger un petit nombre de sujets ayant
des rapports quotidiens avec l'orthographe, posant l'hypothèse que cette «relation
privilégiée» à notre objet d'études pouvait constituer une variable heuristique nous
permettant de mettre en évidence des représentations plus complexes et plus
variées. Nous nous centrerons ici sur les discours des enseignants et des apprenants
sort :
* 6 professeurs des collèges et des lycées (identifiés P1 à P6),
* 6 instituteurs (identifiés 11 à 16) ;
* 6 élèves de fin de cycle de collège (identifié C1 à C6)
* 6 élèves de fin de cycle de lycées (identifiés L1 à L6)
* 49 écoliers de fin de cycle de primaire (identifiés EC01 à EC049)

1.2. Recueil et analyse des données

1.2. 1. Interroger les adultes et les adolescents

Les groupes de témoins étant, comme on le remarque, très réduits nous avons
souhaité obtenir des discours longs et diversifiés en évitant - au moins un temps -
l'induction thématique. Cette volonté aprésidé à l'élaboration du guide d'entretien qui
ménageait un premiertemps totalement non-directif, introduit par une consigne très
générale telle : "je m'intéresse à l'orthographe française, est-ce que vous pourriez
me dire ce que vous en pensez, est-cequevous avez une idée ... qu'est-ce que vous
pensez de l'orthographe française ?» Le rôle de l'enquêteur s'est alors limité à des
techniques de relances. Une pré-enquête (2) nous avait montré que certains thèmes,
tels ceux reliant l'orthographe à la culture ou à la langue orale étaient fort mal compris
quand ils n'émanaient pas de l'enquêté lui-même.
Les pans de discours sur lesquels nous nous appuierons ici sont souvent
extraits de cette phase de l'entretien et sont donc, soulignons-le d'ores et déjà,
totalement non-induit. Cependant certaines citations seront extrartes d'un autre
temps de l'entretien qui était consacré à des investigations concernant le thème de
la réforme, dans lequel les discours étaient motivés par un stimulus. Les sujets
étaient en effet amenés à réagir face à des orthographe réformées présentées
comme suit :
/ - Théâtre, farmacie, courier, inocent, ilégal.
II - Honour, banque, courier, inocent, ilégal.
Abatre, acrocher, aplaudir, pâte de chat, bêle, corne, je verai, il arête.
III - L 'orthographe est la manière d'écrire correctement les mots d'une langue. Mais
nous ne connaissons pas les formes écrites de tous les mots.
a) L'orthographe est la manière d'écrire correctement les mot d'une langue.
Mais nou ne connaisson pas les forme écrite de tou les mot
b) L'ortografe è la manière d'écrire corecteman lé mo d'une lange. Mè nou ne
conésson pas lé forme écrite de tou lé mo.

158
Au cAur des confusions entre l'écrit et l'oral : les représentations de l'orthographe

c) brtogRaf e la manjcR dekRiR korcktoma le mo dyn làg me nu ne konesô pa


le f DRme zekRrts de tu le mo

Ce dernier temps a donc été conçu comme un temps réflexif dont nous
retiendrons ici non pas ce qui est drt sur la réforme, mais ce qui est drt sur
l'orthographe, puisque toutes ces modifications tendent, à des degrés divers, à un
rapprochement de la graphie vers la phonie. Le stimulus III b) "l'ortografe è la ma¬
nière...», parce qu'il représente une écrite phono-graphique simple, nous fournira
l'essentiel du matériel discursif retenu.

1.2.2. Interroger les enfants

Interrogerdes enfants de CM2 n'est pas chose évidente. Il convient de chercher


à éviter tous les biais liés principalement à la reproduction d'un discours légitime,
d'autant que l'orthographe est une matière scolaire et que, pour des raisons
pratiques, les enquêtes ont été fartes (3) sur le lieu d'enseignement. Néanmoins, les
données recueillies offrent des possibilités d'interprétation : pour éviter le mutisme
ou les tensions, les écoliers ont été soumis deux à deux à un bref entretien qui portait
sur leurs difficultés éventuelles et leurs attitudes face aux fautes et aux dictées. Les
élèves ont été ensurte amenés à réagir à des stimuli présentant, toujours dans le
même ordre et sur des fiches séparées, des orthographes réformées. Selon les
mêmes principes que ceux proposés aux adultes, une phrase de base a été
transformée comme suit :
(1) Les chats noirs miaulent quand ils voient des fautes d'orthographe.
(2) Les cha noir miaule quand il vol des faute d'orthographe.
(3) Lé cha noir miole can il voi dé fote d'ortografe.
(4) Le ja nwar miol kà il vwa de fot doniogRaf.

1.2.3. L 'analyse des données

La méthodologie qui a sous-tendu toute l'analyse des données discursives


recueillies prévoit trois niveaux d'analyses susceptibles d'apporter sur les discours
trois éclairages complémentaires (4). Seule nous intéresse toi la dimension que nous
avons appelée «polyphonique», c'est-à-dire le traitement des thèmes récurrents.
L'analyse reste donc, à ce niveau, une analyse thématique, dont les thèmes ont été
mis en évidence, et c'est là le point essentiel du modèle, au moyen d'un corpus lexical
regroupant, sur des artères quantitatifs, des unrtés lexicales que nous avons
appelées «items».
La recherche thématique s'est donc faite grâce à un travail préalable sur la
surface textuelle, requis par une recherche d'objectivation de la subjectivité : c'est
sur la base d'une analyse différentielle des fréquences et des occurrences que nous
avons mis en l'analyse thématique qualitative des discours recueillis. Notre
démarche méthodologique générale a donc consisté en un va et vient de l'item au
thème, du corpus lexical au texte, qui seul permet de décider si un item peut être
valablement considéré comme un un objet discursif, c'est-à-dire comme le point
d'ancrage de développements thématiques susceptibles de nous éclairer sur les
représentations de l'orthographe.

159
REPÈRES N" 3/1 991 A.MILLET

2. DÉFINIR L'ORTHOGRAPHE

La question première qui se pose est celle de la définition de l'orthographe et


force nous est de constater que les tentatives pour définir l'orthographe sont très
rares dans les discours recueillis.

2.1. Un objet de discours diffus

En effet, l'orthographe apparaît certes com me appartenant à l'ordre du scriptural


(les fortes récurrences des items «lire» et «écrire» peuvent nous en convaincre),
mais l'orthographe est aussi posée comme un élément plus généralement linguis¬
tique, élément qui se délie fort mal de la langue française (comme la forte récurrence
des items «français» et «langue» peuvent en être les premiers indices).
La place de l'orthographe dans l'écrit est donc le plus souvent imprécise et
instable et les distances qu'elle instaure entre l'écrrt et l'oral sont plus appréciées d'un
point de vue subjectif qui crée un véritable «univers orthographique» où la passion
l'emporte sur la raison. La définition s'avère impossible. En effet, si un professeur
tente de nous dire que l'orthographe est un code, il n'est pas question pour lui
d'interroger ce code :
P6 : Va un code et ce code orthographique, il faut le connaître.
Chez cet autre enseignant, la tentative de définrtion ne peut qu'aboutir à une
question :
P5 : Je me demande où commence et où finit l'orthographe.
Reste alors la définition tautologique, où l'orthographe se définit. . . par l'orthographe :
11 : L'orthographe, c'est la manière d'orthographier.

Un premier constat s'impose donc : les découpages conceptuels du champ de


la linguistique sont inconnus des personnes que nous avons interrogées. En effet,
qu'elles tentent de rendre compte de la place de l'orthographe dans le champ
spécifique de l'Écrit ou dans le champ plus généralement linguistique, les niveaux
descriptifs s'entrechoquent : définir l'orthographe devient au mieux cette gageure
que certains ont tenté, au pire une impossibilité, si bien que l'orthographe peut
devenir représentative de l'Ecrit dans son ensemble, et même représentative de la
langue, jusque dans ses dimensions orales. Et c'est sans doute dans cette absence
de recul, dans cette difficulté d'objectivation, que l'orthographe se tisse en un
faisceau de représentations contradictoires. Non que nous voulions dire ici que la
définition que nous proposons de l'orthographe soit la seule possible, mais que la
construction de l'objet à enseigner devrait sortir du terrain passionnel.

2.2. Une construction de l'objet

Discuter ici - car c'est bien d'une discussion qu'il s'agit puisqu'il existe
différentes théories et donc différentes descriptions - est donc une nécessité puisque
notre conception est aussi une mesure des discours, une orientation générale
interprétative qui cherche à construire l'orthographe en rendant compte des rapports
complexes qu'elle instaure entre l'écrit et l'oral.
En effet, il est évident que l'orthographe est une composante de type linguis¬
tique intervenant au niveau scriptural, elle est donc un élément de notre écriture -

160
Au c des confusions entre l'écrit et l'oral : les représentations de l'orthographe

entendue ici comme système de représentation de la langue orale -; mais sous ce


truisme apparent des questions complexes se jouent.

2.2.1. Questions à l'écriture

Chaque écriture développe ses propres systèmes de transcription de la parole


suivant l'unité de langage qu'elle choisira comme unité de base : les écritures
idéologiques transcrivent le sens, sans référence systémique au son, au moyen
d'idéogrammes, les écritures syllabiques transcrivent des syllabes, et les écritures
phono-graphiques transcrivent des phonèmes - les consonnes seules si l'écriture est
consonantique, les consonnes et les voyelles si l'écriture est alphabétique.
L'écriture du français est, comme l'on montré de nombreuses études (Lucci,
Jacquemin, 1983), phono-graphique de type alphabétique à 90%, même si les
correspondances lettres/sons ne sont pas bi-univoque. Or, c'est bien cette absence
de correspondance bi-univoque qui est au centre des débats, certains cherchant à
décrire, sur la base de cet état de fait - historiquement explicable, synchroniquement
discutable -, l'écriture du français comme une écriture de type idéographique
(Foucambert, 1976 ; Charmeux, 1979) (5).
On connaît les positions saussuriennes sur l'écriture qui fondent la primauté
absolue de l'oral sur l'écrit, l'écriture n'étant, dans ce cadre, considérée que comme
un système second (6). Cette subordination totale de l'écriture à la phonie peut
autoriser à considérer le signe écrit comme un signifiant de signifiant : l'écriture serait
dans ce cas une forme vide de la langue. Or, non sans raison, des travaux plus
récents sur l'autonomie du signe graphique par rapport au signe phonique ont tenté
d'invalider cette thèse, afin de redonner quelque épaisseur à cette forme vide que
serait nécessairement le signifiant graphique (Derrida, 1967 ; Anis, 1983).
Il semble en fart que les deux positions puissent s'accorder, car il apparaît que
la première s'attache à la genèse du signe graphique et que la seconde - représentée
tant par ceux qui posent le mot écrit comme idéographique que par ceux qui
postulent, d'une façon plus générale, l'autonomie du signifiant graphique - se
préoccupe de son fonctionnement. Autrement drt, on dort pou voir affirmer le caractère
premier de la langue orale, tout en considérant qu'à cette langue orale, qui est
l'unique forme de contenu, puissent correspondre plusieurs substances d'expres¬
sion, qu'on peut considérer, du point de vue de leur fonctionnement, comme
relativement indépendantes, même si substances phonique et graphique sont en
relation étroite, et même si, historiquement et ontotogiquement, le second est
subordonné au premier. Une fois les deux substances - phonique et graphique -
acquises, le signifiant graphique dort pouvoir être considéré, du point de vue de son
fonctionnement, comme relativement autonome (7). Il s'agit d'ailleurs sans doute
moins de chercher une autonomie du signe graphique par rapport au signe phonique,
que de considérer la dynamique du signe en général. Ainsi, que l'écriture de telle ou
telle langue soit purement phonographique - au niveau du code, donc - ne paraît en
rien entamer l'idée que le signe puisse être perçu en dehors du code qui le génère.
«Chaque mot écrit du fait de la liaison intime entre signifiant et signifié est à P fois
phonographique et idéographique" disent C. Blanche-Benveniste et A. Chervel
(1 969). Car si le mot écrit est bien une trace morte (Hagege, 1 985), c'est peut-être
dans sa mort à l'oralité que l'écriture gagne un espace propre - autonome ; une
résurrection signifiante.

161
REPÈRES N" 3/1991 A. MILLET

En d'autres termes, les postulats clairement «phono-centristes» qui sous-


tendent notre conception toute saussurienne de l'orthographe ne nous empêchent
pas de penser, qu'indépendamment du code utilisé, le signe graphique puisse
trouver une dynamique et une autonomie propre du fart même qu'il fait appel à un
système perceptif différent.
Cette reconnaissance du critère de l'autonomie, adjoint au critère de secondarité
temporelle, nous autorise d'ailleurs à penser qu'on ne modifierart en aucun cas la
langue si l'on en modifiait l'écriture.

2.2J2. Questions à l'orthographe

L'orthographe française pose dans le cadre de ces réflexions un problème


supplémentaire que C. Blanche-Benveniste et A. Chervel (1969) ont fort bien décrit
et fort bien commenté, à savoir que l'orthographe du français instaure une telle
distance entre la langue orale et la langue écrrte que «... tout se passe comme sinotre
écriture révélait une Pngue différente de la langue parlée». Balayant le «comme si»,
d'autres chercheurs (8), ayant analysé la «partie autonome» de notre orthographe
- c'est-à-dire tout ce qui ne correspond à la notation d'un phonème -, concluent que
la langue française est la somme de la langue écrite et de la langue orale,
l'orthographe permettant, entre autres exemples, grâce à des marques
morphologiques propres, telles par exemple les marques redondantes de pluriel, de
pallier «la faiblesse, ou souplesse, de nos articulations syntagmatpues» (Catach,
1973).
Tranchons brièvement dans cet épineux débat : nous ne pensons pas la langue
française comme l'addition de deux systèmes linguistiques différents qui seraient
complémentaires. On restera fidèle à Saussure (9) : l'orthographe française, par une
absence de bi-univoc'rté des rapports sons/lettres et par des adjonctions de lettres
sans correspondance phonique aucune, devient un véritable «travestissement»
dont nous contestonsfortement l'utilité tant au plan fonctionnel qu'au plan heuristique.
En effet, nous l'avons dévetoppé plus haut, nous pensons que l'orthographe, dans
ses dimensions de différenciations entre la langue pariée et la langue écrrte, n'est pas
un élément déterminant dans l'approche des rapports dynamiques entre signe
phonique et signe graphique. Autrement drt, nous ne pensons pas que l'orthographe
interviennent de façon décisive - sinon en terme d'habitudes visuelles - dans la saisie
idéographique qui peut être faite de la chaîne écrite. Aussi, par souci de cohérence,
nous ne considérerons pas que l'orthographe possède une composante
«idéographique», mais une zone qu'on appellera «visuo-graphique» (Millet, 1989) -
lieu essentiel des distorsions entre l'oral et l'écrit, et des passions.

2.3. Un objet à double face

Si l'on regarde maintenant les bribes de discours qui peuvent référer aux
comportements du scripteur/lecteur, rien ne vient contredire ces propositions. En
effet, le scripteur paraît faire appel à des stratégies de type analytique qui interrogent
les rapports entre phonie et graphie, tandis que le lecteur paraît pouvoir se satisfaire
d'une saisie plus globale du signe graphique, dès lors délié du signifiant phonique.
Voilà pourquoi, sans doute, celui qui aura réclamé spontanément le droit à une
écriture plus simple :

162
Au cur des confusions entre l'écrit et l'oral : les représentations de l'orthographe

C6 : On devrait pouvoir écrire tout ce qu'on veut écrire comme on l'entend (...)
je mè suis souvent demandé pourquoi l'orthographe était si compliquée,
aPrs qu'on pourrart l'écrire tout simplement.
paraît parfois se rétracter et devenir réticent lorsqu'il est mis en situation de lire un
phrase transcrite dans une orthographe phonographique simple :
C6 : [les S du pluriel], faudrait pas tous les enlever quand même.

2.3. 1. Point de vue du scripteur : le lien nécessaire

Ainsi, les difficultés scripturales semblent, à des niveaux évidemment moindres


chez ceux dont la maîtrise de l'orthographe est assurée, provenir d'une non-
adéquation entre les connaissances implicites et/ou les impressions auditives que le
sujet a de la langue orale et la graphie imposée par la norme. Les discours paraissent
de ce point de vue particulièrement explicites chez les apprentis qui en réfèrent
votontiers à cette langue orale que d'autres paraissent avoir oubliée comme on le
verra plus toin.
C1 : Je trouve que les sons comme [e] ou [c] (...) y'a tellement une multitude l
d'écriture (...) le mot quand on l'entend n'estplus du tout le mêmeque quand
on l'écrit.
C6 : Comme «pharmacie», parexemple, d'écrire avec PH au début, aPrs qu'il
y a un F qui fart le [f]. .. le PH ou le F (...) ça n'a aucun intérêt.
C'est donc dans une absence de possibilité d'en référer avec certitude à l'oral que
l'orthographe paraît déconcerter le plus les apprentis :
C1 : Si en français on sait pas du tout P mot comment on l'écrit, on a aucune
source pour pouvoir essayer de trouver comment il peut s'écrire.
et ce manque d'une source où puiser que pourrait - devrait, serions-nous tentée de
dire - être la langue orale paraît se découvrir très tôt :
ECO 6 : En dictée des fois on doit écrire des mots qu'on connaît pas, qu'on drt
tout le temps mais qu'on a jamais écrits, aPrs là c'est difficile.
Ainsi de toin en toin le défaitisme aura pu gagner quelques adolescents : -
C3 : Je pense que c'est bête qu'on sache même plus écrire notre langue. //C'est
pas marrant, c'est sûr. //dépense qu'on devrait au moins savoir écrire notre
langue.
De leur côté, les adultes n'hésitent pas à vilipender les zones de l'orthographe
où les seuls repères graphiques n'ont pas pu se constituer en un savoir solide. Ainsi
ce professeur qui juge certaines consonnes doubles «superflues», cet instituteur qui
estime certaines distinctions d'homonymes «à la limite de l'idiot» ou cet autre encore
qui trouve que le pluriel des noms composés est un domaine "dément». Il s'agrt certes
de quelques petites zones ombragées, mais c'est toujours dans l'instauration d'une
distance des rapports phonie/graphie, appréciée soudain comme excessive, qu'elles
trouvent naissance.
Face aux difficultés, le scripteur paraît donc éprouver durement que l'écriture
devrait lui permettre de transcrire sa langue, alors même que l'orthographe ne le lui
permet pas. L'orthographe devient donc une gêne chez le scripteur inexpérimenté
ou en difficulté, ce qui pourrart conforter l'hypothèse d'un vécu implicite de la
subordination ontogénique de la graphie à la phonie. L'orthographe ne s'apprend-
elle pas comme la dure expérience d'une distance cruciale entre phonie et graphie ?

163
REPÈRES N" 3/1 991 A. MILLET

On notera ici que la reconnaissance de cette subordination existe, de façon plus


ou moins explicitée, dans la gestion pédagogique des difficultés : chercher la «lettre
derivative», c'est chercher à entendre ici ou la une correspondance phonique à la
lettre muette. Le paradoxe est de taille et l'on comprend que les savoirs sur la langue
puissent en être perturbés. Ainsi, ce jeune élève de CM2, devant une graphie «cha»
pour «chat» paraît-il déjà croire que seul son savoir orthographique lui permet la
dérivation orale :
ECO 13 : «h chat», il faut un T pour faire «chatte».
ators qu'on peut évidemment penser quec'est parce qu'il connaît la série derivative,
qu'il peut orthographier... Les erreurs montrent d'ailleurs quec'est sur leurs connais¬
sances de l'oral que les élèves cherchent à prédire la graphie, ainsi peut-on
rencontrer «*abr/f» évoquant «abriter» ou «*pPt» évoquant «piétiner» plus connu
que «pédestre».
Cependant, si l'on peut émettre l'hypothèse que le scripteur pose ses regards
- et ses oreilles - sur l'oral, on peut se demander ce qu'il en est du lecteur, puisque,
si l'orthographe paraît être une gêne dans la tâche scripturale, c'est le manque
d'orthographe dans le texte à lire qui devient, à son tour, une gêne à la lecture, ce qui
nous paraît conforter l'hypothèse d'une autonomisatton progressive du signe gra¬
phique.

2.3.2. Point de vue du lecteur : la désolidarisation

Les discours des adultes qui réfèrent à des pratiques lecturales paraissent en
effet tous converger vers un commentaire qui ne se centre que sur l'écrit. Ainsi
l'absence de telle ou telle marque orthographique n'est jamais rapportée à la phonie,
mais est toujours évaluée à l'aune de la norme orthographique. L'écrit paraît donc
s'être constitué peu à peu comme un espace de perception désolidarisé de l'oral.
Ceci se vérifierait sans doute aussi chez des lecteurs dont la langue n'offrirait pas,
dans son écriture, de surcharge orthographique. Mais compte tenu de la spécificité
de l'orthographe française, la gêne à la lecture, que procurent par exemple des
orthographes réformées, se transforme en une justification a posteriori de l'orthogra¬
phe en terme d'indices de lisibilité. Ceci est particulièrement vrai dans le discours des
professeurs comme peuvent en témoigner quelques extraits :
11 : Sion simplifie, p crois que les enfants auront peut-être du mal à identifier les

mots.
P3 : C'esf vrai qu'un texte qui serait écrit phonétiquement (...)je crois que ça
rendrait P compréhension difficile.
P4 : Une simplifbatPn trop grande aboutirait sans doute à la confusion des
mots.
P2 : Les accords, ce sont aussi des indices en lecture, bon, ça a du sens quand
même (...) bon, p pense que l'orthographe, ça a une justification.
Les jeunes collégiens et lycéens opèrent dans leur grande majorité un retour à
la langue orale et finissent par apprécier, après un premier sursaut, les orthographes
réformées comme une autre écriture, à laquelle ils ne sont simplement pas habitués :
T3 : Dans les phrases on comprend très bien le sens (...) Moi qui n'ai pas
l'habitudep trouve ça dur. Mais Ps autres qui auront l'habitude ce sera bon.
C6 : C'est sûr que quand on le voit écrit comme ça... ça fart drôP parce qu'on
est habitué à l'autre, mais en le lisant comme ça dans un livre ;ben on le lirait.

164
Au c des confusions entre l'écrit et l'oral : les représentations de l'orthographe

Ainsi l'orthographe devient peu à peu, au fil de l'apprentissage de l'écriture et


de la lecture, un élément indispensable dans la différenciation, jugée non moins
nécessaire, entre l'écrit et l'oral. On assiste alors à une assimilation confuse entre
orthographe et écrrt qui aboutit à reporter sur l'orthographe les vertus de rigueur de
clarté ou de précision généralement accordées à l'écrit face auquel l'oral ne serait
qu'un langage hasardeux, un brouillon de parole, une suite de mots ayant tout juste
un sens, comme le résume de façon exemplaire cet élève de terminale :
T4 : A mon avis il faudrait pas que l'orthographe change en fonction de la langue
pariée (...) il faut faire attention à bien faire la différence entre P parier et
l'écrit (...) si on écrivait comme on parte, ce serait pas triste.

Nous dirions ici votontiers que «écrire» n'est pas «orthographier» et que les
usages de la langue propres à l'écrit, compte tenu des spécificités situationnelles de
la communication écrite, devraient ne pas être traités au même plan que la question
orthographique qui relève plus de notre point de vue d'une tradition - et donc d'une
compétence - sociale que d'une compétence strictement linguistique. Néanmoins si
l'on veut construire le savoir orthographique - et il est clair qu'en l'état actuel des
exigences sociales, il faut le construire - il nous paraîtrait souhaitable de partir des
connaissances linguistiques des jeunes enfants etd'opérer, sans déconstruction des
savoirs acquis sur la langue, la construction parallèle d'un savoir différent. En effet,
si l'on se penche maintenant sur les discours des élèves de CM2, on pourra apprécier
les dommages causés par l'orthographe sur la réflexion linguistique.

2.3.3. Construction et déconstruction des savoirs linguistiques


chez les jeunes élèves de CM2

Majoritairement, pour pouvoir prédire la graphie, les élèves font appel à des
manipulations orales de la chaîne à transcrire. Le procédé le plus employé, celui qui
est d'ailleurs enseigné comme règle d'orthographe, est la commutation. Comme
nous l'avons souligné plus haut il s'agit toujours pour l'élève d'entendre la différence.
ECO 12 : Quand c'est un infinitif on met ER, et pour savoir si c'est un infinitif bu
un parttope passé on remplace par un verbe du 3" groupe.
ECO 22 : Pour «a» ou «à» moij'ai un truc, on essaie de mettre te verbe «avait»
et si ça marche c'est «a» autrement c'est «à».
ECO 40 : Pour «et/est» si on peut dire «et puis» et ben c'est «et».
ECO 08 : J'essaie de trouver un mot qui lui ressemble par exemple «haut» je
mets le T parce qu'il y a «hauteur».

Il convient d'apprécier véritablement les contraintes. Une simple phrase comme


«les grands puent à taquiner les petits» impose au scripteur inexpérimenté sept
arrêts graphique : l'enfant doit jouer à la fois sur l'axe horizontal (inscription continue
des marques de pluriel) et les axes verticaux (recherche de lettres derivatives et
distinction d'homophones) en chaque point problématique de la chaîne. L'effort est
de taille, et ce d'autant que les concepts sont, pour certains, trop complexes pour être
véritablement compris : qu'est-ce qu'un infinitif ? qu'est-ce qu'un participe passé ?
Ainsi ce qui pourrait constituer un savoir linguistique finit par aboutir à mettre en
uvre de façon mécanique une faculté toute particulière à produire des phrases

165
REPÈRES N° 3/1991 A. MILLET

sémantiquement incohérentes. Les transformattons successives de la phrase pro¬


posée pourraient par exemple aboutir à «tes grandes jouent avait mordre les peti¬
tes». Cette nécessité - l'orthographe étant ce qu'elle est et étant exigée sans
référence différenciée aux facultés de l'enfant susceptibles ou non de lui permettre
une véritable compréhension des concepts grammaticaux - perturbe, semble-t-il
profondément, le savoir linguistique comme les réacttons à notre stimulus «te cha
noirmiole» le montrent.
ECO 8 : Quand on met «lé chat», y'a un «te» ef «cha» y'a pas de S ators on croit
qu'il y a qu'un seul chat.
ECO 1 8 : Si y'a «les» et à chat y'a pas de S on écrit qu'il y a qu'un chat
ECO 1 7 : On sart plus si c'est le singulier ou le pluriel.
ECO 25 : Si on enlève tous Ps accords ça a pas de sens.
Et c'est sans doute dès ces apprentissages que l'oral se déconstruit et que la marque
[le]/»tes» n'est plus jugée suffisante pour l'expression du pluriel, la réflexion
orthographique menée sans construction parallèle de la réflexion linguistique orale
finissant par embrouiller totalement les niveaux de l'analyse linguistique, comme en
témoigne exemplairement l'extrait suivant :
ECO 7 : Les chats sontplusieurs alors si Us mettent pas de S, ça fait pas «sont».
Les quelques données présentées ici ne nous permettent qu'une hypothèse que
nous appellerons l'hypothèse du conflit. Tout se passe en effet, dans ces exemples
concernant la catégorie du nombre, comme si, chez ces jeunes apprentis, un conflit
entre des savoirs acquis sur la morphologie orale - peut-être restés implicites - et les
savoirs appris sur la «morphologie écrite» - toujours explicités - s'était peu à peu
instauré, et n'avait pu se résoudre qu'au profit de l'écrit. L'enseignement viendrait
ators perpétuer et consolider les représentations sociales liées à cette modalité
linguistique seconde. Du point de vue didactique, il pourrait dès tors s'agir d'expliciter
la grammaire implicite de l'enfant, chaque fois qu'un «conflit» peut surgir, afin de
construire les savoirs orthographiques, de façon parallèle et contrastive, non pas en
écrasant les savoirs linguistiques oraux, mais en les consolidant. Car c'est peut-être
dans ces imbroglios de concepts et ces déconstructions de savoirs qu'on vient
d'observer, que l'orthographe finit par devenir tout à la fois la langue et la grammaire
de la langue, comme on le remarque chez de nombreux sujets adultes interrogés.

3. L'ORTHOGRAPHE ET LA LANGUE : LA DISPARITION

En effet, les paroles confuses que l'on peut extraire des entretiens passés avec
les jeunes élèves paraissent se prolonger, avec moins d'erreurs naïves, dans les
discours des enseignants et des adolescents où orthographe, langue et grammaire
s'entremêlent jusqu'à faire disparaître l'image de la langue orale.

3.1. Confusions et contradictions

N'étant pas définie de façon claire, l'orthographe absorbe toutes les composan¬
tes de l'écrit et se confond dès tors avec la grammaire et avec la langue dans des
chaînesd'équivalencessyllogiques, où elle sedilueàsontour. Les jeux synonymiques
entre orthographe-écrit-langue-grammaire apparaissent en effet dans presque tous
les discours que nous avons recueillis et l'on soulignera qu'ils paraissent engendrer,
chez les enseignants, de nombreuses contradictions dans lesquelles l'assimilation

166
Au c des confusions entre l'écrit et l'oral : les représentations de l'orthographe

entre orthographe grammaticale et grammaire de la langue semble jouer un rôle


déterminant. Car, si la plupart des professeurs et des instituteurs nous disent avoir
le souci de ne pas amalgamer Porthographe et le français lorsqu'ils sont en situation
d'évaluer un écrit, l'évaluation semble néanmoins se faire autour d'un découpage
entre orthographe d'une part et grammaire d'autre part :
13 : Je les [les fautes] fais classer en trois catégories, fautes d'orthographe,
fautes d'écoute, fautes grammaticales... sachant que la faute grammaticale,
c'est P plus grave.
L'abandon du mot «orthographe» dans la normination est récurrent et tout à fait
éclairant : l'orthographe grammaticale EST la grammaire de la langue. L'amalgame
aboutit à ne plusdistinguer les niveauxd'anaryse qu'on souhaitait pourtant disjoindre.
Et c'est sur cet écueil que s'échoue le désir, sans aucun doute sincère, de
dédramatiser l'orthographe, qui s'exprime si souvent chez les enseignants.
Toutes ces confusions et ces contradictions peuvent s'analyser comme la
conséquence d'un véritable abus de pouvoir déjà dénoncé (Chervel, 1977) de
l'orthographe sur la grammaire. L'orthographe, en développant ses propres méca¬
nismes, finit, faute d'un enseignement différencié, par voiler le foncttonnement oral
de la langue. Ainsi pouvons-nous être convaincus que la marque du féminin en
français est le «E», ators qu'à l'oral 67 % des adjectifs sont invariables en genre et
que pour les 33 % restant la marque du féminin se fait, dans 80 % des cas par
l'adjonction, non pas d'un E, mais d'une consonne (Seguin, 1973). On pourrart
multiplier ce type d'exemples qui nous permet de comprendre comment et pourquoi
la conscience linguistique de la langue parlée s'estompe fortement au profit d'une
conscience linguistique écrite.

3.2. L'intégration de la norme : une vision orthographique


des langues

En effet, penser l'orthographe comme la langue conduit à penser que la


modification de l'image graphique aboutit nécessairement à modifier le système
linguistique. Ainsi nos propositions d'orthographe phono-graphique simple sont-
elles appréciées par la plupart des adultes enseignants et des élèves de terminale
comme «réformant la grammaire» ou comme transformant le français en «anglais»,
en «italien» ou en «créole» :
T2 : Les créoles ils doivent sûrement parier comme la phrase b)... le son... c'est
te son qui prime surp... comment dire ...
Les jeunes collégiens, ators qu'ils étaient nombreux à mener leurs réflexions sur
l'orthographe à partir de la langue orale, cherchant à dissocier langue et orthographe
et se rebellant souvent contre les «absurdités» de cette dernière, n'échappent pas
à ces confusions lorsqu'il est question de réforme. Ainsi une jeune collégienne peut-
elle proposer de réformer «l'orthographe» allemande en «supprimant les déclinai¬
sons», et se justifier en disant :
C6 : Ben oui, pes déclinaisons] c'est des accords, et tes accords, c'est bien de
l'orthographe.
Chez les jeunes enfants de CM2, le conditionnement orthographique paraît
presque achevé. Certes, la phono-graphie simple n'est pas rejetée en référence à
une «autre langue» - les jeunes élèves y reconnaissent malgré tout la langue

167
REPÈRES N° 3/1991 A. MILLET

française ; elle est écartée parce que, «pleine de fautes», elle devient une véritable
figure de l'anormalité :
ECO 4 : Y'a pas le ENTà «miaule», y'a pas le S à «chat noir», y'a pas le S à
«faute» IBen on le voit tout de suite que c'est truqué, c'estpas une personne
normale, elle ferait pas ces fautes.,
mais la figure de «l'autre langue» est présente dans leurs discours. C'est pour eux
la transcription en A.P.I. qui transforme le français en «latin», en «espagnol», en
«belge», en «russe», en «africain», en «arabe», en «tchèque». Au moins ces jeunes
ne manquent-ils pas de références comparatives potentielles - si farfelues soient-
elles - qu'on aurait peut-être intérêt à exploiter pour mettre en place un savoir relatif,
souvent mobilisé par les collégiens, toujours ignoré des adultes, et que seule une
jeune écolière parvient, après maintes hésitations, à exprimer :
ECO 25 : Si on écrivait comme la 4, c'est la 3 qui serait débile, mais vu qu'on
écrit comme P 3, c'est la 4 qui est débile.
Cet énoncé résume bien à lui seul processus d'intégration d'une norme. Et
gageons que l'orthographe créera chez ces enfants cette vision orthographique des
langues qu'on vient d'observer chez leurs aînés ; vision qui aboutit à voir des
«bizarreries orthographiques» dans des oppositions linguistiques propres à un
système et inexistantes dans le système du français, ou, qui, inversement, conduit
à ne pas reconnaître sa propre langue lorsqu'elle s'enveloppe d'un autre moule
graphique. Dans l'absence de relativisation, la norme orthographique digère peu à
peu la conscience linguistique orale.

3.3. L'orthographe, image de la langue orale

Il semble, au bout du compte, que la pregnance de l'écrit sur l'oral, adjointe aux
confusions entre langue et orthographe, rende la substance graphique du mot
beaucoup plus importante que sa substance phonique, si bien que l'orthographe
devient l'image de la langue et y compris de la langue parlée. Et, si certains témoins
sont amenés, dans leur recherche de définition de l'orthographe, à dire l'évidence :
C1 : Bon, quand on parle, l'orthographe n'intervient pas.
Pour d'autres, l'évidence reste encore à découvrir. La confusion dans laquelle
s'exerce la pression de récrit-orthographe sur l'oral est telle qu'un collégien peut
craindre par exemple que les fautes d'orthographe ne s'entendent à l'oral.
Le phénomène de l'écrit, comme sumorme de l'oral, a déjà été très commenté
dans la littérature sociolinguistique (Gueunieret al, 1 978) et de nombreux chercheurs
ont pu mettre en évidence les effets négatifs d'un tel phénomène au plan pédago¬
gique (Achery et al., 1979 ; APREF, 1983 ; ELA N° 46, 1983 ; Dannequin, 1977 ;
Duneton, 1 984). Nous arrivons, par une autre entrée, etdevrions nous dire incidemment
puisque ce n'était pas l'objet principal de notre recherche, aux mêmes résultats : ne
pas considérer, dans l'enseignement de l'écriture du français, les acquis, fondés sur
le maniement et l'utilisation journalière de la langue orale, paraît, sans pour autant
assurer à coup sûr la maîtrise de l'orthographe, tout àfait dommageable à la réflexion
linguistique. La pression normative de l'écrit sur l'oral, conjuguée à une vision
orthographique des langues, aboutit semble-t-il à installer récrit-orthographe, non
seulement comme norme unique de la langue, mais également comme système
unique de représentations linguistiques symboliques. L'écrit-orthographe devient la

168
Au cur des confusions entre l'écrit et l'oral : les représentations de l'orthographe

seule langue envisageable et envisagée : d'a-grammatical, l'oral est devenu impen¬


sable.

4. UNE DIDACTIQUE DE L'ORTHOGRAPHE ?

Il apparaît, après ce bref exposé, que deux types d'éléments sont à prendre en
compte dans une réflexion pour une didactique de l'orthographe : des éléments
«linguistiques» et des éléments «sociaux». La question centrale qui relie étroitement
ces deux types d'éléments est celle de savoir si l'on enseigne l'orthographe comme :
a) LE savoir linguistique, auquel cas l'écrit devient le seul savoir linguistique
assimilant totalement au fil des ans toutes les représentations liées à l'oral ;
b) un savoir linguistique particulier, organisant de façon propre et différenciée
la langue écrrte ;
c) un savoir-faire scriptural correspondant essentiellement àdes normes socia¬
les.
La ligne de démarcation nette se situerait ici entre la position a) et les deux
autres. En effet, au plan pédagogique, il n'apparaît pas nécessaire de trancher
définitivement et absolument entre les positions b) et c) qui peuvent être assumées
comme complémentaires, et qui peuvent, selon les élèves, permettre de meilleurs
résultats. La position c) pourrait semble-t-il - et nous l'avons nous-même éprouvé -
être mieux comprise par des élèves en rupture avec l'orthographe parce qu'ils n'en
assimilent pas les règles «linguistiques». En faisant l'économie de concepts trop
complexes, il conviendrait ators de décrire l'orthographe comme un ensemble de
règles sociales d'écriture dont le manque ne serait pas un défaut «d'intelligence
individuelle», mais une atteinte àdes «tois collectives». On peut d'ailleurs, semble-
t-il, mettre cette proposition en relation avec les résultats d'études en psychologie
sociale qui tendent à prouver que : «des épreuves logiques même difficiles à
résoudre pour des adultes, se résolvent beaucoup plus facilement quand elles sont
présentées sous formes d'obligation ou de permission sociale plutôt que sous forme
de relattons logiques plus abstraites» (Doise, 1 989).
En accord avec nos positions théoriques, et sans trancher, donc, de façon
décisive entre la position b) et la position c), on peut donner quelques indications, non
exhaustives et non conclusses, afin d'évrter le flou, les contradictions et les
déconstructions de savoirs qu'on a pu observer.
* Considérer les savoirs linguistiques acquis en dehors de l'écrit et de
l'écriture : c'est-à-dire construire le savoir orthographique en contraste avec
le savoir linguistique oral acquis ou appris.
* Différencier les niveaux de l'analyse qu'on peut schématiquement définir
comme
- niveau linguistique : connaissances générales de la langue,
- niveau pragmatique : utilisation différenciée de la langue selon les situa¬
tions et spécialement selon que la communication est orale ou écrite ;
- niveau spécifiquement scriptural : graphie et orthographe.
Ces différents niveaux, correspondant à des normes que l'on pourra apprécier
au plan fonctionnel et/ou social, sont bien évidemment, lors de la communication
écrrte, tous exigibles, et seront donc ressentis par le lecteur com me interdépendants,
alors que le scripteur peut, dans son travail de mise en texte, les dissocier.

169
REPÈRES N° 3/1991 A. MILLET

Toutes les difficultés ne se trouveront bien sûr pas aplanies par ces quelques
considérations qui visent essentiellement à une construction raisonnée et
dépasstonnée de l'objet d'enseignement/apprentissage. En effet, on ne saurart nier
que l'orthographe, en l'état actuel de ses incohérences et de ses règles démultipliées,
est, comme le soulignent de nombreux enseignants, difficile à gérer au plan
pédagogique : son apprentissage est complexe et long. Mais cet état défait rend, de
notre point de vue, d'autant plus nécessaire la clarification du regard sur l'objet afin
d'éviter cette désespérance en sa propre fonction :
12 : Moi j'ai l'impressPn de me heurter un petit peu à un mur, d'essayer de faire
des choses et finalement de ne rien faire progresser.
P1 : Je crois pas beaucoup à l'efficacité de l'enseignement des profs de français.
qui conduit nécessairement à penser l'orthographe comme un «don», un «inné» que
l'on possède ou pas, alors que, comme on l'a montré ailleurs (Millet 1990, Millet et
al. 1990), l'orthographe ne se distribue pas et ne s'exige pas au hasard sur l'échelle
sociale.

NOTES

(1) Nous tenons à remercier J. BILLIEZ pour sa collaboration.


(2) Effectuée en 1978 par V. LUCCI, J. BILLIEZ et Y. NAZE.
(3) Par F. ROSALIA, étudiante en DEA. Cf. ROSALIA. 1989.
(4) Cf. MILLET, 1990, pp. 302-321 et Revue LENGAS à paraître.
(5) Tous ceux que R. HONVAULTetJ.P. JAFFRÉ nommentdans un article critique (1979) «les
nouveaux» idéographistes.
(6) «Langue et écriture sont deux systèmes de signes distincts ; l'unique raison d'être du
second est de représenter le premier», écrit F. de SAUSSURE, p. 45 du CLG.
(7) Toute la prudence s'impose, les recherches en psychologie sur l'existence ou non d'un
«sillon sonore» dans l'identification de mots écrits, n'ayant pu trancher de façon définitive
cette question (JAFFRÉ, 1985 ; ROSSI, 1983).
(8) On pense principalement aux travaux du CNRS-HESO dirigés par N. CATACH.
(9) Référant à l'orthographe du français plus qu'à l'écriture en général, SAUSSURE écrit :
«L'écriture voile la vue de la langue, elle n'est pas un vêtement mais un travestissement»,
CLG, pp. 51-52.

OUVRAGES CITÉS
ACHERY (J.), BLANCHE-BENVENISTE (C), CASSAR (J.Y.) et al., «Chez nous ses
pas maie ou «que cache l'orthographe ?», Recherches sur le français parlé
n° 2, GARS, Université de Provence, février 1979, pp. 223-251.
APREF, J'cause français, non ?, Cahiers libres 380, Paris, ed. La Découverte,
Maspero, 1983.
ANIS (J.), «Pour une graphématique autonome», Langue Française n° 59, Paris,
Larousse, septembre 1983, pp. 31-44.
BLANCRE-BEN\rT£NISTE(C.)etCHERVEL(A),L'ort/jo5raphe,Pans,Maspéro,1978.
CATACH (N), «Que faut-il entendre par système graphique du français ?», Langue
française n° 20, Paris, Larousse, décembre 1 973, pp. 30-44.

170
Au cur des confusions entre l'écrit et l'oral : les représentations de l'orthographe

CHARMEUX (E.), L'orthographe à l'école, Paris, CEDIC, 1977.


CHERVEL (A.), Et il fallut apprendre à écrire à tous tes petits français, Paris, Payot,
1977.
DANNEQUIN (C), Les enfants bâillonnés, Paris, CEDIC, 1977.
DERRIDA (J.), De la grammatotogie, Paris, Les Éditions de Minuit, 1 967.
DOISE (W.), «Cognitions et représentations sociales : l'approche génétique»,
Les représentations sociales, P.U.F., 1 989, pp. 363-386.
DUNETON(C.)et PAGES (B.),Ahurlerle soir au fond descollèges -L'ensepnement
de la langue française, Paris, Editions du Seuil, 1 984.
FOUCAMBERT (J.), La manière d'être lecteur, Sermap, 1976.
GILLY (M.), «Les représentations sociales dans le champ éducatif»,
Les représentations sociales, P.U.F., 1989, pp. 363-386.
GUEUNIER (N.), GENOUVRIER (E.) et KHOMSl (A.), Les français devant la norme,
Paris, Champion, 1 978.
HAGEGE (O), L'homme de paroles, Paris, Fayard, 1985.
HONVAULT (R.) et JAFFRE (J.P.), «Orthographe et idéographe», Pratiques n° 25,
décembre 1 979, pp. 1 00-1 1 0.
JAFFRÉ (J.P.), «Compétence orthographique et systèmes d'écrrture», Pratiques
n° 46, juin 1985, pp. 77-96.
JODELET (D.), «Représentations sociales : un domaine en pleine expansion».
Les représentations sociales, P.U.F., 1 989, pp. 31-61 .
LUCCI (V.) et JACQUEMIN (D.), «Le code phonographique du français : typologie
des règles et études statistiques», Liaisons-HESOn" 9, janvier 1 983, pp. 7-1 6.
MILLET (A.), «Essai de typologie des variations graphiques», LIDIL N° 1, 1989,
pp. 7-36.
MILLET (A.), Ouepues aspects socblinguistiques de l'orthographe française.
Thèse, Grenoble III, ex. photocopié, 1990.
MILLET (A.), LUCCI (V.) et BILLIEZ (J.), Orthographe mon amour !, Grenoble,
Presses Universitaires de Grenoble, 1 990.
ROSALIA (F.), Analyse du discours des élèves de CM2 sur l'orthographe française,
mémoire de DEA, Grenoble III, 1989, ex. photocopié.
ROSSI (J.P.), L'Pentificatbn des mots, Thèse d'État, Paris V, 1 983, ex. microfiche.
SAUSSURE (F. de), Cours de Linguistique Générale, Paris, Payot, 1 972.
SEGUIN (H.), «Le genre des adjectifs en français», Langue Française n° 20, Paris,
Larousse, décembre 1 973, pp. 52-74.

171
REGARDS RÉTROSPECTIFS ET PROSPECTIFS
SUR UNE PROBLÉMATIQUE

Catherine LE CUNFF, Ecole Normale de MELUN. Équipe INRP


Hélène ROMIAN, INRP

INTRODUCTION

Cette post-face tend à contextualiser ce numéro 3 de REPERES dans le


mouvement complexe des problématiques qui «traitent» - didactiquement - l'articu¬
lation oral/écrit.
Une telle questton mériterait une étude approfondie qui n'est pas de notre
propos. Nous voudrtons simplement planter ici quelques jatons, espérant que
d'autres s'en empareront. Telle est notamment la fonction d'une bibliographie qui ne
saurart, en l'état de la question, prétendre à l'exhaustivité. Cette bibliographie sera
utilement complétée par la consultation de la banque de données DAFTEL (1 ), et
celles des ouvrages correspondants (GAGNE G., SPRENGER-CHAROLLES L.,
1989 et 1990).

Le problème que nous nous posons est le suivant : pourquoi notre thème, après
avoir donné lieu à bon nombre de travaux dans la décennie 70, a-t-il quasiment
disparu en tant que tel dans la décennie 80 ? Pourquoi resurgit-il aujourd'hui ? D'où
ce numéro de REPÈRES.
Il est de fart que ce thème présuppose, entre autres, une parité entre oral et écrit,
et une perspective contrastive opposant oral et écrit selon leurs spécificités, principes
qui sont toin d'être monnaie courante, tant à l'école que dans les recherches (ROPE,
1 990). C'est un premier constat, à interroger.

Pour cerner l'évolution des problématiques traitant des articulations oral/écrit,


nous nous sommes limités aux recherches INRP 1° Degré, qui nous paraissent très
significatives de ce point de vue. Si elles ont joué un rôle décisif pour la diffusion du
thème dans la décennie 70, elles ne le trartent plus que de manière incidente dans
la décennie 80. Par ailleurs elles l'abordent seton des angles divers au cours des
années.

Nous avons considéré trois périodes :


- les années 70-75, au cours desquelles est affirmée la «priorité de l'oral» à la
fois par les pédagogues du Français (le terme «didactique» n'est pas encore
entré dans le lexique) et les linguistes, pour des raisons différentes ; le thème
de l'articulation oral/écrit est explicitement posé comme essentiel ;
- les années 75-80, qui voient s'affirmer une «pédagogie de l'oral» dans l'oral/
pour l'oral mais aussi pour l'écrrt, lecture et production d'écrit s'entend. ;
- la décennie 80-90 où le thème est occulté en tant que tel, mais chemine
cependant à travers des recherches portant sur les activités langagières,
dans leurdimenston pragmatique, et sur les typologies discursives, textuelles.

173
REPÈRES N° 3/1991 C. LE CUNFF - H. ROMIAN

Assistons-nous actuellement à la résurgence des courants de recherche de la


décennie 70, et sousquellesformes? Pour répondre acettequestion.il nous faut tout
d'abord remonter aux sources.

1 - LES ANNÉES 70-75. L'ORAL, LES RELATIONS ORAL/ECRIT


À LA UNE

Ces années sont marquées par deux courants de recherche en «pédagogie»


du Français d'une part, en linguistique d'autre part, qui convergent sur des objectifs
communs : donner à l'oral en classe la place qui est la sienne dans la vie, dans
l'expérience des locuteurs ; mettre en place des situations d'oral et d'écrrt fonction nelles
et des activités d'études systématiques des relattons oral/écrit, notamment en
lecture/écriture, en grammaire, en orthographe.

Un constat : dans les pratiques dominantes de l'époque (les choses ont-elles


changé fondamentalement sur ce point?), la questton ne se pose pas parce qu'il va
de soi que seul l'écrit a un intérêt pédagogique (MARCHAND F., 1 971 & son article
dans le présent numéro de REPERES). La question n'a de sens que si on pose
l'existence de l'oral en classe à part entière.

1.1. Des pédagogues à la rencontre des linguistes

Les recherches de l'Institut Pédagogique National devenu ensuite I.N.R.D.P.,


sont significatives de ce courant qu'elles ont fortement contribué à susciter. Enga¬
gées sur la base du projet d'Instructions de la Commisston Rouchette («Plan
Rouchette», 1967), dont sont issues les recherches I.N.R.P.1 "Degré des années
suivantes, les recherches actuelles et la revue REPERES).

Ce courant de recherche intègre l'apport de mouvements pédagogiques


comme le Mouvement Freinet, le Groupe Français d'Education Nouvelle, pour
«libérer» l'expression orale/écrite des enfants. La «libération de la parole» renvoie
ici, non à une «expression libre» qu'il suffirait de «motiver», mais à des srtuations de
communication orale, écrite, diversifiées selon les fonctions du langage analysées
par JAKOBSON R.. Elle s'associe au principe de «structuration de la langue»
(distinction saussurienne entre parole et langue), qui réfère à des situations d'analyse
du «système-langue».
Le PPn de Rénovation (21 2. Langue parlée, langue écrite) (1 971 ) pose comme
également fondamentaux la «priorité de l'expression orale» en tant que base de
l'expérience langagière dans la communication, «l'entraînement à l'expression
écrrte», et la distinction de leurs usages, l'identification de leurs interférences. A la
même époque (BEST F., 1978), les mêmes principes sont mis en oeuvre dans les
recherches menées à l'école maternelle (LAURENT-DELCHET M., 1974).

Le Plan et les recherches qui en sont issues, distinguent nettement les


situations de communication orale et écrrte. Les «approches analytiques de la lan¬
gue» distinguent également en grammaire de «exercices structuraux» (grammaire
«implicite») qui sont «destinés à faire acquérir par la pratique la maîtrise orale d'une

174
Regards rétrospectifs et prospectifs sur une problématique

langue» et «amènent le développement de la compétence linguistique». Ces exer¬


cices de renforcement de la pratique sont à la base de lagrammaire «explicite» selon
un principe double : pratiquer les règles syntaxiques à l'oral/en observer le fonc¬
tionnement à l'écrit. On est en «langue», ne l'oublions pas. Si la grammaire
«implicite» vaut pour l'oral, la grammaire «explicite» vaut pour l'écrit dont elle vise à
assurer la maîtrise. La première «enracine» la seconde.
Ainsi ('enseignement/apprentissage de laconjugaison qui vise à «établir la relation
sujet-verbe à l'oral et à l'écrit» repose à l'oral, sur des «manipulations» : exercices
«structuraux» de permutation, commutation, transformation (cf. DUBOIS J., 1 965 &
1968, PEYTARD J. & GENOUVRIER E., 1970). Ce travail oral sur les règles
morphosyntaxiques va permettre ensuite l'observation de «variations graphiques
comparées aux variations phonétiques du verbe» («phonotogiques» en fait pour
mettre ce point en cohérence avec lecture/écriture). Le travail oral sur la langue - à
l'interférence de l'oral et de l'écrit - développant des compétences métalinguistiques
(le terme n'est pas employé à ce propos), peut ainsi enraciner une analyse explicite
des relations morphosyntaxiques entre l'oral et l'écrit dont on pose qu'elle aura des
effets, partransfert, sur la maîtrise de l'oral et de l'écrit (GRUWEZ C. & M ALOSSANE '
L, I978).

Notons que la «différenciation oral/écrit» est l'une des 9 dimensions pédagogi¬


ques (on dirart aujourd'hui didactiques) retenues pour l'évaluation des effets de la
mise en oeuvre des principes du Plan de Rénovation dans 24 classes de C.M.1
(ROMIAN H. & coll., 1983). Elle est en 5° position parmi les 5 dimensions les plus
discriminatrices des classes «P.R.» par rapport à des classes référant aux Instructions
de 1 923-1 938 : les fondements linguistiques ; la diversification fonctionnelle (2) des
activités de communication orale, écrite; l'analyse de la langue à la fois occasionnelle
et systématique ; la prise en compte des registres de langue. Quoi qu'il en sort, elle
contribue donc à expliquer des résultats significativement meilleurs des élèves des
classes P.R. à des épreuves syntaxiques, lexicales et sémantiques (BARRE DE
MINIAC C. & PECHEVY M., 1983), et la tendance observée à une réduction des
écarts de performance entre enfants de cadres supérieurs, enseignants et enfants
d'ouvriers, employés, selon qu'ils appartiennent ou non à des classes P.R..

Un peu plus tard, les recherches I.N.R.P. vont rencontrer celles du Groupe
H.E.S.O. conduites par N. CATACH sur le plurisystème orthographique français, qui
mettent en évidence l'importance prédominante des graphies phonogramiques, et
celles des relations phonies-graphies organisées en «grandes séries». Ces recherches
donnent ainsi une confirmation descriptive de présupposés issus de la syntaxe, et un
modèle d'analyse des relattons oral/écrit, au plan morphosyntaxique s'entend
(CHAUMONTM., 1980).

1.2. Des linguistes à la rencontre des pédagogues

Dans un article historique intitulé « Oral et Scriptural : deux ordres de situations


et de descriptions linguistiques», PEYTARD J. (1 970) insiste sur l'idée qu'il s'agrt de
deux réalisations dans deux systèmes différents de la langue. Il propose de
«renoncer aux expressions langue pariée, langue écrite», pour utiliser des concepts
«plus opératoires» : ordre oral/ordre scriptural, définis de la façon suivante :

175
REPÈRES N° 3/1991 C LE CUNFF - H. ROMIAN

l'ordre oral est «celui dans lequel est s'rtué tout message réalisé par l'articu¬
-
lation et susceptible d'audition» ;
- l'ordre scriptural, «celui dans lequel est situé tout message réalisé par la
graphie et susceptible de lecture».
Ces deux ordres se définissent au sein de situations de communication que
PEYTARD J. cherche à caractériser pour la classe.

La même année, paraît l'ouvrage également historique Linguistique et Ensei¬


gnement du Français de GENOUVRIER E. & PEYTARD J. qui précise comment
s'articulent les deux ordres de la langue : « Tant que le locuteur connaît sa langue par
le seul usage oral, on peut affirmer qu'il ne la connaît pas vraiment, c'est la situation
de l'enfant avant son entrée au cours préparatoire (...) la pédagogie du français
commence quand l'enfant se heurte au problème à deux faces de la lecture-écriture
(...); par son apparence écrite, la langue se matérialise aux yeux de l'enfant : elle
devient obpt de regard. Domaine étrange et étranger auquel il faut, poury accéder
subir une initiation.»
Ce regard construit la première distance vécue à l'égard de la langue. Cette
expérience, que ne permet pas l'acte d'articulation orale, fonde la conscience de la
réalité de la langue comme objet extérieur.
L'appui sur l'oral est certes nécessaire pour que se définisse la graphie parce
que l'oral est premier, lieu d'apprentissage naturel. C'est sur l'intuition de l'élève-
tocuteur, formée par l'usage oral de la langue que dort s'appuyer l'enseignement du
maître. Or, constatent les auteurs, l'enseignement a tendance à négliger l'aspect
oral, à tort.
Mais l'écrit suscite aussi la parole.un type de langue orale (...) qui prend source
dans les livres. Ainsi la situation linguistique de l'enseigné est-elle d'user de deux
langues d'expression orale : celle qui lui appartient par «apprentissage naturel», celle
qu'il confectionne pour connaître l'écrit, et à partir de l'écrit.
Il y a donc deux formes de travail sur l'écrit : «des exercices de type oral ou des
comparaisons (...) avec la langue orale ; mais touts 'investit au terme de la leçon dans
le cahier (...) le cheminement est toujours de l'écrit à l'écritpar le moyen terme de l'oral
(...) à l'école (donc) l'élève parle sur l'écriture et avec le modèle de l'écriture. »

Si nous avons longuement cité ces deux textes, c'est qu'ils nous semblent
révélateurs du mouvement qui secoue la pédagogie du Français dans ces années-
là quant à la questton qui nous préoccupe, du fait d'une part, de ses dynamismes
propres liés aux problèmes deformation des maîtres que rencontrent les professeurs
d'Ecole Normale dans leur travail, et liés d'autre part, à l'action de linguistes comme
PEYTARD J. et GENOUVRIER E. dans ce milieu des Ecoles Normales (dont ils sont
issus).
En outre, ces linguistes ont participé à des «stages» d'équipes
I.N.R.D.P.(«flec/7erehes Pédagogiques» n°46, 1971). E. GENOUVRIER est en
outre le principal rédacteur du Plan de Rénovation pour le chapitre «Grammaire»
(avec JEAN G. pour la poésie, ROMIAN H. pour le reste). L'équipe lilloise
GENOUVRIER-GRUWEZ sera, pendant des années, l'un des pôles du réseau
I.N.R.D.P.

176
Regards rétrospectifs et prospectifs sur une problématique

En conclusion, on constate que des travaux convergents, en linguistique


comme en pédagogie du Français, ont atteint une relative maturité, et témoignent
d'un fort dynamisme. La rencontre n'est pas de hasard. Elle procède de positions
théoriques (la linguistique structurale comme fondement de la pédagogie) et de
finalités éducatives (réduire l'échec scolaire d'origine socioculturelle imputable à une
insuffisante maîtrise de la langue) communes. Commune aussi la problématique
pédagogique : pratiquer/observer la langue, et non l'inverse.

2. LES ANNÉES 75-80 : TRAVAILLER L'ORAL/TRAVAILLER LA


LANGUE/ENRACINER L'ÉCRIT

Les courants amorcés dans les années 70 s'affirment, se développent et se


diversifient. Le groupe I.N.R.P. «Langue Orale», dirigé par une linguiste,
A.M. HOUDEBINE est très représentatif de la problématique oral/écrit de ces
années-là. On verra plus loin que le groupe I.N.R.P. "Français-Eveil Scientifique»,
dirigé par G. DUCANCEL (cf. article dans ce numéro) est représentatif d'un courant
de ces années 80.
Il convient de souligner le fait que la problématique oral/écrit est également
centrale dans d'autres groupes, dont nous n'analyserons pas toi les travaux pour ne
pas allonger notre article : le groupe «C.P.-Langue Ecrite» ("Devenir Lecteur», 1 982
& «LectureS/Ecr'itureS en Section des Grands/C.P./C.E.1 », qui utilisent aussi les
travaux du groupe «Langue Orale» et que nous citerons donc à ce propos), le groupe
«Langue Poétpue» (SUBLET F., 1985).

La problématique didactique est centrée sur une conception pluridimensionnelle


de «l'activité de lecture/écriture» qui «mef enjeu des opérations très complexes, tant
au niveau des capacités psycho-motrices, qu'au niveau des capacités langagières
acquises parla pratpue orale de P langue et au niveau des capacités de représen¬
tation, de symbolisation en général» (ROMIAN H. : Au cycle des Apprentissages
premiers de la Langue écrrte, de la S.G. au C.E.1 " in LectureS/EcritureS, 1 982). L'oral
y joue un rôle de médiation entre le «vécu» expérienciel et le représenté écrit,
notamment dans des situations de tangence avec l'écrit (oral à distance, en différé
du téléphone, des cassettes enregistrées...), dans des situations de travail sur la
langue dont l'oral est à la fois l'objet et le vecteur (sur lesquelles nous reviendrons).

Il faut citer à propos de l'oral «médiateur» NIQUE C. (1 982) : «Si l'écrit n'est pas
le simple décalque de l'oral, le Plan de Rénovation y insiste fortement, il est ce¬
pendant certains usages de l'oral qui tendent à se rapprocher des caractéristiques
de l'écrit. Le problème ne se pose donc pas en termes de «passage de l'oral à l'écrit»
- formule ambpuë qui prête à bien des dérapages plus ou moins contrôlés mais en
termes de situations fonctPnnelPs induisant des usages donnés de l'oral dont
certains se trouvent en relatbn avec les usages donnés de l'écrit.»
A noter le cas particulier de la «lecture à haute voix» analysé par CHARMEUX
E.(LectureS/EcrhureS, 1982) et SUBLET F. (Poésie pour tous, 1985), non comme
activité de lecture, mais comme activité de «diction» présupposant la lecture, et un
travail de «récréation sonore» qui s'apparente à ('«écriture» : «quand dire, c'est écrire
à haute voix». La théorisation renvoie à DELAS D. & FILLIOLET J., 1 973 entre autres

177
REPÈRES N° 3/1991 C. LE CUNFF - H. ROMIAN

pour la poésie, ainsi qu'aux théoriciens du jeu dramatique, du théâtre, à BARTHES


R.(1 973). Pareil «sous-thème» mériterait une étude en soi, compte tenu de l'état de
confusion qui règne à ce propos dans les pratiques de classe et les représentations
qui leur sont liées.

Mais venons-en aux travaux du groupe «Langue Orale» sur lesquels nous
avons ciblé notre propos. Les thèmes des articles publiés par les membres de ce
groupe dans REPERESà partir de 1 973, sont très symptomatiques de ses préoccu¬
pations quant aux modalités de l'articulation oral/écrit :
- du phonème à la lettre, phonologie et apprentissages premiers de la lecture/
écriture, phonologie et mise en place des premières bases orthographiques.
- l'éveil aux parlers régionaux à l'école, la sensibilisation des élèves et des
maîtres aux «traits d'oralité» «pour une pédagogie de l'oral».
- communication orale et «éveil» scientifique, analyse de séquences d'oral à
fonction référentielle...
- description des systèmes phonologiques des enfants de 6 ans à l'entrée au
OP., seton les régions (HOUDEBINE A. dir., 1983 & plus particulièrement
REPERES n°40, 44, 53).
Deux thèmes dominent, du point de vuequi nous préoccupe ici : l'oral pour l'oral,
l'oral comme enracinement de l'écrit.

2.1. «Pour une pédagogie de l'oral»

Tel est le thème de la post-face de REPERES n°53 (HOUDEBINE A., 1 979).


«Donner la priorité à l'oral» en classe, c'est-à-dire le traiter corn me premier implique
à la fois de l'accepter «dans toutes ses variétés (registres, variations individuelles et
régionales», de «l'écouter» et de «te travailler» pour en objectiver les traits spécifi¬
ques par rapport à l'écrit. L'objectif est de «redonner à chacun sa parole, au sens
d'une potentialité de choix de ses styles oraux et écrrts», changeant ainsi profon¬
dément le rapport des sujets à la langue, marqué dans les pratiques actuelles par un
fort sentiment d'«insécurité linguistique» (voire de «culpabilité linguistique»), comme
le souligne N. GUEUNIER (1978). On développera ainsi des compétences linguis¬
tiques dont A. -M. HOUDEBINE pose en hypothèse qu'elles sont transférables à
l'écrit. L'horizon de l'écrit n'est donc pas occulté, au contraire. Mais l'enjeu dépasse
celui d'une meilleure appropriation de l'écrit. C'est d'abord dans l'oral et par l'oral que
l'enfant se construit comme sujet parlant et qu'il est introduit dans l'interlocution, dans
la sociabilité.

Le titre même de l'ouvrage «Et l'Oral alors ?» issu du travail du groupe (ROMIAN
H. dir., 1 985) témoigne d'un sentiment de malaise : la partie est loin d'être gagnée,

et la norme prescriptive du «bon usage» règne toujours sur les pratiques orales en
classe. Ceci étant, une pédagogie «fonctionnelle», «libératrice», «structurante» de
l'oral est possible. En témoignent les séquences de classe présentées, qui montrent
les risques assumés de l'expression personnelle en classe , la dialectique de l'ordre
et du désordre dans la parole sociale, le rôle de l'oral dans les activités d' «éveil» au
monde référentiel, dans des activrtés d'«éveil» aux usages sociaux (publicité...,
occitan...) de l'oral, aux fonctionnements de la langue, et enfin des jeux poétiques à

178
Regards rétrospectifs et prospectifs sur une problématique

la rencontre de l'imaginaire comme du scientifique. Vaste projet éducatif. H. ROMIAN


écrivait dans le «pavé» de présentation de l'ouvrage : «Quand nous aurons fart sortir
l'enseignement du Français des ornières où l'enlisé l'impérialisme de l'écrit - quand
nous aurons mis en oeuvre et défini une pédagogie de l'oral, par l'oral et pour l'oral,
alors seulement nous aurons constmit réellement une pédagogie de la langue. Et il
se pourrait que l'apprentissage de l'écrit y trouve son compte.»

Avant d'en venir à cet aspect de la questton, nous évoquerons un mémorable


Colloque de l'Association Française des Enseignants de Français (Le Français
aupurd'hui, 1978), consacré à l'oral. Bien des aspects de l'oral sont travaillés mais
nous ne résistons pas à la tentation de reproduire telles quelles quelques unes des
questions qui tiennent lieu de compte rendu du groupe 4 «Oral et Situations de
Communication» :
- «Quel est l'objectif de l'analyse de l'oral ?
- Pense-ton pouvoir changer quep.ue chose ?
- A-t-on besoin d'ensepner l'oral ?
- Comment offrir tout l'oral ?
- Qui parP vraiment quand les élèves prennent P parole ?
- Est-ce que c'est parce qu'on veut respecter P spontanéité qu'on travaille sur
l'oral ?
- Existe-t-il une idéologie de l'oral ?
- Quand on parle en classe, de quoi parle-t-on ?
- Et les échanges d'enfants entre eux en dehors de la présence du maître ?
- Faut-il et comment évaluer l'oral ?
- Veut-on enseigner aux élèves à nous prendre la parole, à nous les profs ?
- Certaines situations de communbation déclenchent certaines formes d'oral.
Qui (quelle équipe) est prête à esquisser un classement de ces correspon¬
dances (une «typologie»)?
- Qui a osètfaire) travailler sur sa propre parole?
etc..
On sent, à travers ces questtons, une discussion conflictuelle qui a fortement
mis en cause les finalités, les objectifs de l'enseignement du Français dans son
ensemble. La partie est loin d'être gagnée, disions-nous. Sorti en 1985, avec un
décalage dû à des raisons institutionnelles, l'ouvrage Ef l'Oral alors ? ne suscrte
pratiquement aucun écho, à notre connaissance.

2.2. Travailler l'oral pour enraciner l'écrit

L'hypothèse selon laquelle le travail en langue sur l'oral et par l'oral (nous dirions
aujourd'hui : l'oral comme objet et vecteur d'activités métalinguistiques) enracine
l'appropriation de l'écrit dans l'expérience langagière première - orale - des enfants-
locuteurs, cette idée donc est centrale dans les deux ouvrages du groupe «CP. - Langue
Ecrite» évoquée plus haut (ROMIAN H. dir., 1982 & ROMIAN H. dir., 1985).
La contribution du groupe Langue Orale à ces ouvrages est, notamment mais
non exclusivement, centrée sur cet oral métalinguistique dont la fonction didactique
est de susciter une prise de distance nécessaire pour «passera l'acte» d'écrrture, en
«langue», et non plus dans le vécu de la «parole». Le titre des documents du groupe
repris par «LectureS/EcritureS» est significatif de l'apport : «Apprendre à repérer des

179
REPÈRES N° 3/1 991 C LE CUNFF - H. ROMIAN

unités dans la chaîne pariée» - «Etredans la lune ou dans la luge? » -«A l'écoute des
usages de P langue» -"Travailler la segmentation de l'oral pour aider à segmenter
l'écrit» - «De la chaîne écrite à P chaîne oraP» - «Des variétés de l'oral à la con-
ventPn orthographique».
En somme, «de te pratpue/observatPn de l'oral à la pratique/observation de
l'écrit» (titre relevé dans Devenir Lecteur, qui développe les mêmes thèmes), dans
une perspective globale : «pédagogie de la langue», de la communication.

Pour clore cette rétrospective des années 75-80 ; nous emprunterons à


HOUDEBINE A.M.Ia conclusion d'un article intitulé «De P lecture ou de la langue..à
l'école» (REPERES n°79, 1979) : «Le travail sur l'oral, sur la langue orale en elle-
même et pour elle-même, sur les discours oraux et écrits, sur l'unité et la diversité des
usages, leur homogénéisatPn (unifbatbn) ou leurs différences, sur les relations
entre langue orale et code écrrt, graphie et phonie (et donc aussi sur l'orthographe)
nous paraît devoir être retenu comme la démarche fondamentale d'une pédagogie
actuelle du Français s'affirmant comme pédagogie de la langue». Une «mise en
perspective métalinguistique», seton l'expression de HOUDEBINE A.M., qui semble
constituer une médiation décisive entre l'expérience orale de la langue et l'univers
de l'écrit.

Cette perspective métalinguistique n'est pas la seule. Elle s'articule à la


perspective communicationnelle, fonctionnelle où l'oral/écrit entrent en relation avec
les autres modes de communication : oral/écrit/image. Nous renvoyons ici à un
ouvrage «Enseigner le Français à l'ère des Médias» (ROMIAN H.& YZIQUEL M.,
1 988), que nous ne pouvons analyser ici, mais qui illustre tout-à-fart notre interprétation
de l'évolution du thème, de la décennie 70 à la décennie 80.
Dans la seconde partie de l'ouvrage, qui présente la problématique des années
70, le thème oral/écrit est explicitement central, les médias étant en fart à son
«service». Glanons parmi les documents présentés : «un synopsis de film au C.M.2»,
«une interviewpour lepumalde l'école», «de l'improvisatbn orale pour un spectacle
de marionnettes au scénario écrit», «de l'émissPn de télévisPn à la re-créatbn de
l'écriture de DAUDETA» (émission surles «Lettres de mon Moulin»), «un récit multi¬
médias (diapositives, bande-son, textes imprimés)».
Les deux autres chapitres présentent plutôt la problématique des années 80,
ciblés de manière privilégiée sur la relation écrit/image. Citons là-encore, des titres
de séquences de classe analysées : «l'écrit, clé de lecture de l'image», «récrt, photo
et schéma narratif», «de l'analyse de l'image à la syntaxe de P phrase», «l'affiche
désigne, évoque, symbolise»... L'oral certes est fortement présent dans ces sé¬
quences de classe, de même que l'articulation oral/écrit/image. Mais la relation oral/
écrrt - qui existe et pourrait s'analyser - n'est plus posée comme objet didactique
central.

3. LES ANNÉES 80 : OÙ L'ORAL DISPARAIT ET OÙ L'ÉCRIT DOMINE

L'acquis des recherches I.N.R.P. 1 "Degré antérieures sur l'articulation oral/écrit


semble s'estomper. De nouvelles équipes, de nouveaux groupes I.N.R.P. vont,
après deux années d'interruption des recherches en Français élaborer d'autres

180
Regards rétrospectifs et prospectifs sur une problématique

problématiques. La perspective est celle des activités langagière et métalangagières


envisagées dans leur ensemble. Oral, écrit y interviennent certes, mais leur articu¬
lation paraît un problème résolu.
Les recherches I.N.R.P. 1 "Degré sont centrées désormais non plus sur des
composantes données de l'activité langagière : langue orale/langue écrite, lecture/
écriture, mais sur des problèmes didactiques : prise en compte de la variation, des
pratiques langagières dans la communication sociale en classe, résolutions des
problèmes de «Français» par exemple. Comme nous le verrons, ces recherches
s'inscrivent dans une conjoncture scientifique centrée, elle aussi, sur l'activité
langagière et ses produrts, l'oral et l'écrit intervenant indistinctement. Nous en
donnerons quelques aspects significatifs par rapport à notre thème.

3.1 . Une articulation implicite


Le thème de l'articulation oral/écrit chemine, comme souterrainement au sein
des groupes I.N.R.P. : Résolutions de Problèmes et Variations. Ces groupes au plan
de la réflexion comme au plan de l'innovation dans les classes continuent à donner
à l'oral sa place à côté de l'écrit sans analyser ni théoriser pour autant l'articulation,
laissée dans l'ombre.
Des numéros de la revue REPERES rendent compte de modalités de cette prise
en compte globale de l'activité langagière. REPERES n°67 d'octobre 85 par
exemple. On trouve ainsi pour le groupe Variations au titre d'objectifs d'action la
maîtrise des variations des usages sociaux (scolaires et non scolaires) des discours
et des textes, de la langue. L'objet d'étude concerne «te traitement pédagogique de
la variabilité langagière, la relation des maîtres et des élèves aux normes
soctolinguistiques et au code linguistique commun à tous les locuteurs français, telle
qu'elle se traduit dans leur pratique langagière». Le cadre théorique est bien évi¬
demment la sociolinguistique.
Si dans ce numéro l'article de VARGAS C. porte sur le discours mathématique,
la recherche de FABRE S. est «une approche de la représentation que les enfants
se font de P langue régionale». Elle montre que ces variations régionales sont
souvent perçues par les enfants dans une totale confusion avec le français incorrect
ou grossier. Cette situation entraîne des effets de blocage à la fois dans l'expression
orale et écrrte.

Le groupe Résolution de Problèmes quant à lui définit son objectif d'action en


ces termes : développer «les capacités épi et métalangagières, métalinguistiques
dans la communbation et en situation d'objectivation des pratiques comme facteur
de cohérence des activités de Français, du Français et des autres activités. L'objet
d'étude concerne donc le traitement pédagogpue des problèmes que rencontrent
les élèves au niveau de la communbatbn, des textes, des discours, de la langue».
Le réfèrent est cette fois la psycholinguistique.
Dans l'article «Monsieur, on n'est pas d'accord», paru dans REPERES n"62
(1 984), DUCANCEL G., analysant les étapes d'une résolution de problèmes portant
sur des farts de langue (à l'écrit), montre la fonction et l'importance de tout ce qui se
produrt à l'oral. En particulier, la résolution du problème que fait émerger le maître,
fait appel entre autres choses, aux savoir-faire langagiers (dire ce que l'on cherche,
énoncer une hypothèse, schématiser une relation...). Il s'agrt, comme le souligne

181
REPÈRES N° 3/1 991 C LE CUNFF - H. ROMIAN

DUCANCEL G., d'actes de parole. Le progrès dans la résolution se confondant avec


les formulations successives à l'oral et à l'écrit.
Ainsi au cours de la résolution du problème - par oral - (langagier ou non), les
élèves se heurtent à la résistance des choses et des autres qui souvent ne
comprennent pas, objectent, disent autrement. C'est au maître que revient la difficile
tâche d'organiser la confrontation, de susciter les situations fonctionnelles de
communication. Il est l'interlocuteur des enfants et l'animateur, il a aussi un rôle de
mémoire collective (écrit, enregistrement, rappel oral...).
«Favoriser l'émergence et te résolutPn de problèmes de langage dans les
activités de communicatPn, c'est favoriser un ensemble d'apprentissages
métalangagPrs plus ou moins explicites, plus ou moins conscPnts, effectués en
s'rtuatPn, donc susceptibles de s'exercer dans des situations ultérieures plus ou
moins proches.»

Ces travaux sont révélateurs des apports des travaux antérieurs à l'LN.R.P. et
des avancées théoriques ou didactiques en Français et en Sciences. On reviendra
plus loin sur cet apport. Il faut d'abord souligner que ces deux groupes de recherches
ne séparent pas dans leurs analyses l'ordre oral et l'ordre scriptural, que ce soit au
sein d'un travail sur la variation ou dans la manière de trarter l'apprentissage/ensei-
gnement par la résolution de problèmes. Dans ce dernier cas, la démarche est
susceptible d'englober l'ensemble des savoirs à acquérir par l'enfant, que l'objet sort
langagier ou non.

Il faut rapprocher cette démarche de celle dont rend compte le n°117 de


Recherches Pédagogiques (I.N.R.P., 1983) qui traite de L'éveil scient'ifpue/modes
de communicafion. Ce numéro résulte d'une collaboration entre l'Unité Sciences et
le groupe de recherche Françats-EveilScPntifpueàont le responsable est DUCANCEL
G. (entre 1975 et 1980). On relève à la lecture de ce n"1 17 d'une part la fonction
spécifique du conflit socio-cognitif (et surtout de sa verbalisation) et d'autre part les
fonctions respectives de l'ordre oral et le l'ordre scriptural, fonctions complémentai¬
res prises en compte toutes deux.
Ces exemples montrent que la démarche issue des travaux en sciences (cf.
BEAUDICHON J., 1981 & 1982), du constructivisme, réinvestis en didactique des
Sciences se trouve également présente en didactiquedu Français (d'où la réalisation
en commun d'un numéro de Rencontres Pédagogiques). L'idée centrale, présente
également dans une recherche condurte dans les mêmes années par NIQUE C.
«Activités d'Eveil à l'objet langue» est que la lang ue peut et dort devenir objet d'éveil
scientifique tout comme les farts d'ordre biologique ou historique. Elle est objet
d'observation, de manipulation, lieu de conflits socto-cognrtifs, oraux orchestrés par
le maître. L'écrrt surtout est un objet cognrtif que chaque enfant s'approprie en le
reconstruisant. Les travaux de JAFFRE J.P. (REPERES n°75, 1988) s'inscrivent
dans ce courant, marqué par les avancées en psychologie que confirment
parallèlement les résultats des recherches de FERREIRO E. sur l'acquisition de la
lecture/écriture (1988).

182
Regards rétrospectifs et prospectifs sur une problématique

3.2. Le temps des typologies des discours mais surtout des textes

A partir des travaux sur le récit, écrit principalement, nés pendant la décennie
précédente, se développent des recherches en très grand nombre. Les approches
se diversifient tout comme les types de textes pris comme objets d'étude. La
didactique, notamment avec les travaux qui paraissent dans la revue PRATIQUES,
s'enrichit ainsi de descriptions de plus en plus fines, les fonctionnements des textes
sont précisés. Des travaux pour modéliser l'ensemble voient le jour en psychologie
du langage (BRONCKART, 1985).
Ce courant est encore fécond actuellement. Il prend en compte l'enfant et les
processus de construction des savoirs relatifs aux textes. Mais cette orientation qui
virtuellement est capable d'unifier l'oral et l'écrit, oriente en réairté l'attention sur
l'écrit, lecture/écriture, exclut l'oral du champ.

3.3. Vygotsky

C'est dans ce contexte que parviennent en France les premiers signes d'une
influence des travaux de VYGOTSKY L.S. dont les écrits ont d'abord été traduits et
donc exploités aux Etats-Unis en 1962. Ils sont enfin introduits en France grâce à
l'équipe BRONCKART J.P. & SCHNEUWLY B. (Vygosky aupurd'hui, 1985). Lan¬
gage et Pensée est disponible la même année en français.
Il est certain que le trartement de ces travaux par l'équipe genevoise renouvelle
la problématique de l'articulation oral/écrit, lui donne un cadre conceptuel fécond. La
dimension sociale de l'activité langagière se retrouve au premier plan et le rôle de la
verbalisation par l'adufte/l'enfant sur l'écrit déjà posé comme essentiel dans le Plan
de Rénovation trouve dans cette théorie ses fondements psychologiques.

C'est cette verbalisation nécessaire à la construction des savoirs sur l'écrit par
l'enfant, qui l'aide à passer du fonctionnement interpsychique au foncttonnement
intrapsychique, propre su scripteur confirmé, dont il est question dans certaines des
contributions de ce n" 3 de REPERES.
Un article récent paru dans ETUDES de LINGUISTIQUE APPLIQUEE (N°73, 1 989)
de la main de SCHNEUWLY B. fait le point sur la conception vygotskienne du
langage écrrt : «fonctPn verbale tout à fait particulière (...) (il) permet à l'enfant
d'accéder au plan le plus élevé du langage, réorganisant par là même aussi le
système psychique antérieur du langage oral. »
L'idée centrale que résume SCHNEUWLY B. est que l'écrit passe par une
intériorisation du contrôle global de l'activité langagière. L'écrrt suppose le monologue
qui représente une forme de langage supérieure plus complexe que le dialogue, il est
«une fonction psychpue supérieure». La verbalisation permet l'intériorisation pro¬
gressive. La dimension sociale se trouve introduite à ce niveau de la construction qui
n'est pas seulement de l'ordre du cognrtif mais, fondamentalement, de l'ordre du
langagier communicationnel.

3.4. L'activité métalinguistique

Les recherches sur l'activité métalinguistique, représentées dans ce numéro de


REPERES (cf. GOMBERT J.E.) sont présentes dans le champ actuel et renouvellent

183
REPÈRES N" 3/1991 C. LE CUNFF - H. ROMIAN

la problématique de l'articulation oral/écrit. Cet éclairage, nous l'avons indiqué dans


les pages précédentes, est présent dans les travaux des groupes I.N.R.P. en tant que
préoccupation. Cette approche permet de prendre en compte l'ensemble du champ
de l'activité langagière : lire/écrire mais aussi parler. La didactique du Français
devrait sans doute tirer le plus grand bénéfice de ce courant de recherches.

EN CONCLUSION

Il est vrai que l'écrit est le grand bénéficiaire de ces recherches. C'est une bonne
chose. «Et l'Oral ?» disaient ensemble CHISS J.L, DELAS D. et VANOYE F. dans
une discussion à bâtons rompus rapportée par la revue le Français Aupurd'hui
(N"69, 1 985), à laquellefait écho l'interpellation «Et l'Oral Ators ?» d'un ouvrage paru
la même année, issu de travaux I.N.R.P. antérieurs. L'oral nous semble actuellement
relégué dans un rôle secondaire : point d'appui, base d'envol pour la «fonction
supérieure» qu'est l'écrit, instrument qui donne à voir et construit l'écrit, fût-il l'oral
métalinguistique décrit par plusieurs articles de ce numéro.

Pourtant les recherches évoquées rapidement ci-dessus sont suffisamment


larges, englobantes pour permettre d'inclure l'ensemble des activités langagières,
donc aussi l'ordre oral. Il nous semble que le statut de l'oral dans les pratiques de
classe, la didactique mériterait d'être reconsidéré. Les enjeux liés à la maîtrise de
l'oral aux plans scolaire, social voire cognitif méritent cette révision.

Les recherches pourraient approfondir certaines pistes nouvelles ou anciennes


mais abandonnées un temps : celle de l'enracinement de l'écrit dans l'oral à travers
ses aspects multiples, celle des relations entre la chaîne parlée et la chaîne écrrte,
problématique à renouveler à la lumière des travaux sur les discours, enfin la
problématique oral/écrit du point de vue non seulement métalinguistique mais aussi
langagier. Ces pistes nous paraissent complémentaires des directions annoncées
par les contributions à ce numéro de REPERES. Les avancées des recherches en
sciences du langage devraient permettre aux recherches en didactique d'interroger,
dépasser des travaux antérieurs sur l'articulation oral/écrit, toujours actuels.

NOTES

(1) Consultable sur minitel : 36 15 SUNK ou 36 16 code DAF.


(2) Réfère au schéma de JAKOBSON et indut la fonction poétique

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REPÈRES N" 3/1991 C. LE CUNFF - H. ROMIAN

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186
Regards rétrospectifs et prospectifs sur une problématique

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Delachaux et Niestlé
SUBLETFrançoise, JEAN Georges, LASSALAS Paulette et coll. (1 985), Poésiepour
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187
RESUMES DES ARTICLES

«Quelques aperçus sur l'enseignement de l'oral dans l'école de Jules


Ferry»
Franck MARCHAND

Cet article, se fondant sur une étude farte en 1 969, situe l'enseignement de l'oral
à l'intérieur de «l'enseignement du français» dans une école élémentaire qui était
encore principalement régentée par les instructions de 1 923. Il dégage un modèle
pédagogique véhiculé de manière homogène par les instructions, les manuels de
psychopédagogie, les inspecteurs, les maîtres.
L'autre intérêt de cet article est de rappeler l'existence d'un important corpus
disponible pour les chercheurs qui souhaiteraient, par comparaison, établir le chemin
parcouru, en matière d'enseignement de l'oral, au cours des vingt-cinq dernières
années.

«L'oral contre l'écrit»


Danièle MANESSE
Isabelle GRELLET

Ce texte présente les résultats de 130 observations de classes de français en


CM2 et en 6ème. La recherche visait à évaluer le poids respectif de l'oral et de l'écrit
dans la classe de français, et l'évolution éventuelle de l'économie des échanges et
des pratiques d'écrrt entre la dernière classe de l'enseignement primaire et la
première classe du secondaire.
La très grande rapidité des échanges a pourconséquence leur caractère haché
et inachevé ; la part prédominante du schémaquestion-réponse est constante, et liée
à la quasi-absence de cours magistral. Enfin, on écrit moins au cours de français que
dans les autres disciplines...

«Écrire, une activité complexe étayée par la parole»


Étude des échanges oraux dans des tâches de réécrrture menées par des
enfants de 7 ans
Jacques DAVID

Partant d'une situation de réécriture, nous avons recueilli un corpus constitué


des échanges oraux produits par des groupes de quatre élèves de CE1 (7 ans) à
partir du texte d'un pair présenté sous deux versions : la première non-corrigée, la
seconde orthographiée.
Nous avons plus particulièrement étudié la nature linguistique et discursive des
modifications proposées, puis les différents types de procédés de révision utilisés et
enfin les arguments avancés pour étayer les corrections.
Cette étude, qui s'inscrit dans une recherche plus large sur l'activité scripturale
des jeunes enfants, nous a permis de mieux connaître les différents processus

189
REPÈRES N° 3/1991

d'écriture déployés à cet âge et d'envisager des pistes de réflexion et de travail


susceptibles d'alimenter les pratiques scolaires d'écrrture.

«Différences entre les processus de production de trois genres :


du dialogue entre énonciateurs au texte écrit»
Bernard SCHNEUWLY

Y-a-t-il des différences entre les processus de production de différents genres ?


L'article contribue à répondre à cette questton par une analyse de dialogues d'élèves
produrts pour résoudre trois tâches langagières : écrire un fart divers, une lettre de
lecteur et une explication de règles de jeu. L'hypothèse développée dans le cadre
d'une approche interactionniste du langage, prévoit que ce que font les élèves de
différents âges (1 0, 1 2, 1 4 et 1 7 ans) dans les dialogues pour écrire un texte variera
en fonction des genres, ceci étant un indice pour des différences au niveau du
processus de production langagière.
L'analyse de trois ensembles de données (constructions conjointes d'énoncés,
modifications des énoncés, commentaires explicites sur les énoncés produrts) dans
les 4 000 tours de paroles analysés confirme l'hypothèse : elle met en évidence des
différences entre les genres aux trois niveaux du processus de production langagière
pris en considération : création d'une base d'orientation, gestion discursive et
linéarisation.

«Quand dire, c'est faire... écrire»


R. BOUCHARD

Après avoir placé des élèves français et étrangers en situation de production


collective (groupes de deux) d'un discours écrit, nous étudions à travers l'enregis¬
trement de leurs négociations orales les procédés de guidage et de reformulation
utilisés par l'élève francophone.
Ce travail vise à particulariser le comportement épi et métalinguistique d'un
adolescent amené à apporter une aide linguistique fonctionnelle à un camarade non-
francophone. Il contribue ainsi à évaluer la nature et l'efficacité de la formatton
grammaticale qu'il a reçue pendant son cursus scolaire.

«L'emploi de quelques connecteurs dans les récits»


Serge MOUCHON
Michel FAYOL

L'objectif de la recherche est de montrer expérimentalement, en stimulant la


production narrative par une tâche de rappel qu'il est possible d'obtenir, à l'oral
comme à l'écrit, les principaux modes de connexion interpropositionnelle (et/mais/
alors/soudain - tout à coup) et cela dès l'âge de 5 ans. On a donné à des enfants
différentes trames narratives dépourvues de tout connecteur et on leur a ensurte
demandé un rappel différé. Les résultats montrent que, quel que sort leur âge (de 5

190
Résumés des articles

à 9 ans) et quelle que sort la modalité (oral/écrit), les enfants rajoutent les mêmes
connecteurs auxmêmes endroits. Les études pourledéveloppement des connecteurs
entre 5 et 1 0 ans ne reflètent donc pas l'acquisition mais la mise en place des trames
de plus en plus conformes au récit canonique.

«Le conte comme outil de médiation en situation interculturelle»


Nadine DECOURT

En situation interculturelle, le conte pourrait bien constituer un outil privilégié de


médiation entre la culture de l'école (fortement marquée par l'écrit) et des pratiques
familiales encore sous l'influence de la tradition orale. Modèle d'intégratton et
d'ouverture culturelle, le conte, conçu comme système de transformation, offre en
tout cas toutes les ressources de la variation pourdéfinirautrement les relattons entre
oral et écrit, pour amener des élèves de classes élémentaires à construire des
savoirs dans le champ de l'intertextualité. Dans l'état actuel de la recherche
entreprise, étant donné son ancrage dans le domaine de la littérature comparée, il
s'agit essentiellement ici d'ouvrir des pistes autour de l'idée de corpus et des usages
de comparatisme en didactique de la communication orale et écrite.

«Expliquer à l'oral, à l'écrit en sciences (Cours moyen 1 et 2)»

Gilbert DUCANCEL

L'équipe de recherche définit d'abord le discours explicatif dont laproductton est


objet d'enseignement/apprentissage. Dans un contexte inter-didactique qu'elle
analyse, elle montre que la production d'explication est liée aux conflits cognitifs et
aux problèmes scientifiques et méta-procéduraux qui émergent. Elle montre, enfin,
que les enchaînements explicatifs font alterner des polylogues et des monologues
aussi bien écrits qu'oraux. Elle précise, pour finir, en quoi ils diffèrent quelque peu
seton qu'on est à l'oral ou à l'écrit.

«Le rôle des capacités métalinguistiques dans l'acquisition de la


langue écrite»
Jean Emile GOMBERT

À partir d'une synthèse des données disponibles dans la littérature scientifique,


ce texte apporte des éléments de réponses à toute une série de questtons primor¬
diales pour qui s'intéresse à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture : l'enfant
peut-il apprendre à lire et à écrire quelles que soient ses capacités métalinguistiques ?
Si non, quelles sont les capacités nécessaires ? À l'entrée à l'École élémentaire tous
les enfants les possèdent-ils ? Est-il possible d'en favoriser l'acquisition à l'École
maternelle ?...
En conclusion sont abordées les implications de ces faits de fonctionnement
cognitif pour la mise en uvre de la réforme des cycles d'apprentissage aux niveaux
préélémentaire et élémentaire.

191
REPÈRES N° 3/1 991

«Au cAur des confusions entre l'oral et l'écrit : les représentations de


l'orthographe»
Agnès MILLET

Cette étude vise à cerner dans quelle mesure les représentations que se font
enseignants et apprentis de l'orthographe, interviennent dans la construction des
représentations de l'articulation oral/écrit. Ont été interrogés, des instituteurs et des
professeurs de collège et de lycée, des élèves de CM2, de 3ème et de terminale. En
effet, chargée de nombreuses connotations positives, l'orthographe paraît être, pour
bien des enseignants, une composante linguistique si indéterminée qu'elle finrt par
devenir représentative de l'écrit dans toutes ses dimensions. L'oral devient, en
retour, un espace de paroles a-grammaticales tout juste chargées de sens, la réairté
impensable et impensée de la langue. Si l'on admet que la connaissance des
représentations permet de dé-voiler et de re-connaître, les études de discours que
l'on a pu faire peuvent alors nourrir valablement les réflexions sur une didactique de
l'orthographe, qui ne négligerait pas de construire des savoirs linguistiques écrits
différenciés, en consolidant les acquis oraux.

«Regards rétrospectifs et prospectifs sur une problématique»


Catherine LE CUNFF
Hélène ROMIAN

Cet article en post-face tend à contextualiser le numéro en questionnant


l'évolution significative des équipes INRP qui travaillent sur l'enseignement du
Français au 1erDegré. Les auteurs distinguent trois périodes :
- dans les années 70-75, sont affirmées à la fois la "priorité" de l'oral dans
l'expérience des enfants et l'importance d'une différenciation, d'une articulation
oral/écrit ;
- dans les années 75-80, sont définies à la fois des voies pour une pédagogie
de l'oral, et pour une pédagogie de l'écrit ancrée sur l'expérience de l'oral ;
- la décennie 80-90 voit l'occultation du thème et, sans doute, des chemine¬
ments souterrains à travers des problématiques pragmatiques, discursives sur
l'activité langagière, qui préparent - peut-être - une résurgence.

192
NOTES DE LECTURE
Hélène ROMIAN

ORAL/ÉCRIT A LA UNE...
«L'ECRIT DANS L'ORAL»
«ÉTUDES DE LINGUISTIQUE APPLIQUÉE»
Revue de DkfactoPgie des langues-cultures
n" 81 , coordonné par Nicole MARTY
Didier Erudition, janvier-mars 1991.

Comme le souligne Nicole MARTYdans son avant-propos, ce numéro n'est pas


«te spne d'un retour vers une réftoxion linguistique sur l'oralité». Il s'agrt toujours de
«travailler sur l'écrit, mais en empruntant de nouveaux itinéraires». L'oral dialogique
n'est pas considéré pour lui-même : il s'agrt de savoir «comment il précède,
accompagne ou suit P production écrite». Sa fonction est essentiellement celle d'un
révélateur de l'écrit : on y cherche des traces de la genèse de l'écrit, des idées sur
l'écrit. Mais aborder les modes d'articulation de l'oral et de l'écrit, les réalisations
orale/écrrte d'un même type de texte, devrart aussi amener à traiter l'oral dans sa
spécificité.
La cohérence du numéro tient à l'appartenance des auteurs à l'équipe de
Frédéric François et aux referents privilégiés : Bakhtine, Vygotsky, Bruner. Les
articles présentent tous des recherches qui reposent sur des situations d'interaction
orale dont l'objectif est d'écouter/accompagner des apprenants, enfants ou adultes,
en situation d'écrit :
les interactions entre enfants et enseignants engagés dans la classique
dictée à l'adulte permettent de repérer les capacités mises en dans
les opérations de planification, mise en texte, révision ;
de même, des interactions entre 3 élèves de CM2 qui écrivent un conte en
s'aidant d'un traitement de texte, sont un lieu d'écoute et d'observation des
activrtés métalinguistiques, plus ou moins conscientes, plus ou moins
verbalisées qui sont liées à la genèse, à la révision de l'écrit, «moments très
riches d'apprentissages, d'étayages mutuels et d'évaluations croisées» ;
même situation que la première, s'agissant d'un dialogue entre un écrivain
public et son client : il s'agrt là, plutôt, d'étudier les transactions entre un
«lettré»etun «non-lettré» en tant qu'elles portent sur des transpositions oral/
écrit;
avec des adultes illettrés, l'oralisation d'un «texte-source» par l'enseignant
(article de tournai) permet de faire émerger des savoirs sociaux sur l'infor¬
mation orale de la T.V., de la radio, et de chercher les spécificités de l'écrit ;
mais à vrai dire, il s'agit plutôt toi de s'appuyer sur la conscience d'une
opposition entre «langue de tous les jours» et «langue du dimanche» dont
les réalisations peuvent être orales ou écrites ;

193
REPÈRES N° 3/1991 H. ROMIAN

le principe d'un avant-texte oral, élaboré collectivement par de jeunes adul¬


tes en classe de français langue étrangère est utilisé et discuté : s'il permet
de convoquer les compétences orales des apprenants tout en les amenant
à confronter diverses stratégies d'écriture, il paraît peu propice à une
différenciation oral/écrit qu'il tend à estomper, le caractère linéaire de l'oral
limitant fortement les retours sur le texte ;
l'étude des dialogues d'une orthophoniste avec des enfants en thérapie du
langage est centrée sur l'émergence des problèmes que rencontrent ces
enfants classés comme «lents», immatures, avec des troubles de l'attention,
de la mémoire : citons entre autres une maîtrise «a minima» de l'oral dont la
variation, le jeu sur les mots sont exclus, la recherche vaine de «la» syllabe
écrite qui permet de comprendre, des difficultés d'accès au symbolique,
l'incompréhension de la distance entre narrateur et héros ; on ne peut
s'empêcher de penser que la pédagogie traditionnelle qui affleure toi agit
sans doute comme renforçateur de difficultés à opérer des changements de
point de vue, àse décentrer, capacités que l'appropriation de l'écrit présuppose
et renforce ; v

l'étude de notations écrites au tableau, en cours ou en fin d'interactions


orales, dans des classes d'élèves en difficulté (SES), soulève le problème
dkJactiq ue très important des fondements de lafonction structurante de l'écrit
par rapport à l'oral, du type de rapport qui s'établit pour les élèves entre le dire
et les codages écrits (schémas, tableaux...) qui traduisent et transforment le
dire, et des difficultés rencontrées dans le va-et-vient entre le dire et l'écrit,
les effets aussi de ces transcodages, pervers ou positifs, les conditions
didactiques de transcodages dynamiques ;
enfin l'étude d'un texte argumentatif produit à l'oral et à l'écrit par des élèves
de 10, 12, 14 ans, cherche à cemer les influences respectives de la
réalisation orale ou écrrte des textes, et celles de leur évolution ontogénique
sur le fonctionnement des organisateurs textuels, et conclut à l'importance
didactique d'un développement des capacités méta-discursives appliquées
à la diversité des formes argumentatives comme aux variations liées à leur
réalisation orale ou écrite.

La parenté de ce numéro des «ELA» avec le présent numéro de «Repères» est


manifeste. Il est particulièrement intéressant de noter l'orientation des derniers
articles : ils auraient tout à fait pu figurer dans une thématique ciblant «l'articulation
oral/écrit». Les études metadiscursives contrastives permettant d'expliciter les
fonctionnements communs et spécifiques aux réalisations orales, écrites de types de
discours donnés sont certainement une voie didactique à explorer. Tout comme les
transcodages oral/écrit. Il y a là sans doute des types d'activrtés scolaires à
construire/ observer pour favoriser la maîtrise de l'oral, de l'écrit, comme celle de
leurs articulations.

194
Notes de lecture

«L'ORAL DANS L'ECRIT»


«LANGUE FRANÇAISE»
dir. Daniel LUZZATI
N" 89, février 1991, Larousse

L'ensemble tend à mettre fortement en question et circonscrire la distinction


oral/écrit telle qu'elle est couramment posée, à l'exception de Balfy, plus ouvert que
d'autres grammairiens aux fonctionnements réels de la langue.
Pour Claire Blanche-Benveniste, seul «te matériau graphique a des compo¬
santes irréductibles qui tiennent non seulement à la mise en page, à P typographie
ou la ponctuation souvent mentPnnées, mais en premier lieu à l'orthographe»
(marques morphologiques du nombre, morphologie verbale...). C'est seulement
dans ces spécificrtés, liées au matériau graphique et phonique, que C. Blanche-
Benveniste croit possible de «faire des comparaisons fructueuses, et non dans les
niveaux de Pngue et la syntaxe».
Françoise Gadet, quant à elle, admet comme farts différenciateurs, outre la
phonologie, des farts morphologiques : liaisons, marques du genre, du nombre,
marques verbales mais aussi la compositton en groupes accentuels et non en mots,
les schémas prosodiques... Elle admet également que «si P majorité des faits de
syntaxe n 'oppose pas oral et écrit, il existe un sous-ensemble de phénomènes pour
lesquels intervient non une différence de foncttonnement, mais la fréquence d'une
forme ou d'une autre seton te mode de transmission». «Plus fréquents à l'oral : la
négation sans ne, certains types d'interrogation, les relatives dites «de français
populaire», laparataxe, le détachement..», les formes non standard plus admises
socialement à l'oral qu'à l'écrit. «Plus fréquents à l'écrit : les inversions du sujet,
quelques introducteurs de subordination, quepues prédéterminants, certains temps,
les complétives sujets sans reprises... ».
Ceci étant posé, l'une et l'autre s'attachent à montrer, de manière percutante,
à quel point les idées reçues occultent les faits. Claire Blanche-Benveniste s'attache
à l'étude des formes syntaxiques tâtonnantes. «Une tenace Pée reçue laisse croire
que l'oral aurait des structures grammaticales déficientes ; seul l'écrit aurart une
grammaire organisée». Le rapprochement entre le corpus de français parlé constitué
par le G.A.R.S. et des textes de Henri Michaux montre que les formes tâtonnantes
peuvent s'observer aussi bien dans les conversations les plus prosaïques («ily avait
des magasins des petits magasins qui offraient des services, des services de tous
lespurs») que dans le jeu poétique du mot "qu'on ne trouve pas mais qu'on sent sur
le bout de la langue» (Michaux, l'Infini turbulent, «...pour faire pénétrer ce blanc
jusqu'au fin fond de mon oeil]...] à travers l'ouvre-boîte, non le pare-brise, non le
cache-sexe, non le cale-pied, non le parapet, non le tourne-disque, non le bastingage,
non l'avant-propos, non, non, non (qu'est-ce qu'il a ce maudit mot à ne pas paraître
et dontje semble avoir tout à fait oublié te chemin ?), à travers le cache-col appliqué
sur mes yeux, cache-col oui, un simple cache-col, le voilà enfin surgi du buisson des
mots pour rien». Dans les conversations ordinaires, comme chez Michaux, on se
trouve dans des processus discursifs analysables où la chaîne syntagmatique est
rompue par l'intrusion de recherches paradigmatiques. L'oral comme l'écrit se
montrent là dans/par renonciation même, et non comme produrts finis. "Certains
critiques littéraires (P.J. Founau, Y. Belaval) ont drt de la poésie de Michaux qu'elle
portait des marques de "destruction» ou de «dissolution» de la syntaxe ; c'est ce que

195
REPÈRES N" 3/1 991 H. ROMIAN

l'on a dit aussi du «français parlé». Sur le terrain de l'analyse linguistpue, il faudrait
s'inquiéter d'une syntaxe qui écarte tant de données, écrites comme oraPs, et qui
laisse tant de déchets».
C'est très exactement ce que fart Françoise Gadet, à propos des détachements,
«tendancieUement considérés comme oraux, familiers, populaires, spontanés,
échappant aux règles et expressifs», avec pour conséquence de les renvoyer dans
l'ordre du stylistique. Or on les trouve aussi bien dans l'oral en apparence le plus
invertébré («ma soeur, y a son fourneau, quand on veut l'allumer, tu as rien à faire
y aun truc prévu pour», que dans l'écrit littéraire (Céline : «de la prison on en sort
vivant, pas de P guerre»). De telles formes sont à expliquer en les contextualisant,
en tenant compte de la situation d'interlocution, de renonciation, du contexte
explicite, dont elles tirent leur logique syntaxique. Et F. Gadet conclut, à propos du
détachement, que son enfermement dans l'oral ou les effets stylistiques «pourrait
bien n'être qu'une façon de marginaliser Ps formes censées relever de l'oral, et
d'éviter de s'affronter au problème de l'hétérogénéité des structures de phrase».
A la fin de son propre article, Daniel Luzzati qui dirige ce numéro, livre une
interprétation très intéressante de ces paradoxes, à partir de l'étude des effets
d'oralité observables dans les écrits échangés par minitel. Ces effets tiennent seton
lui, aux conditions pragmatiques de l'interaction dans lesquelles le sens est interprété.
De ce point de vue, «l'opposition oral/écrit concerne davantage l'utilisatbn du lan¬
gage que son fonctbnnementpropre [...], c'est surtout une questbn de pragmatique :
torsqu 'un écrit est utilisé de façon aussi interactive que l'oral, ilproduit une impression
tout à fart similaire. Celle-ci tient essentiellement nous semble-t-il, à une charge
émotionnelle, liée à la situation interactive..., aux fonctions dominantes informative,
communicative, existentielle. Ainsi s'expliqueraient les effets d'oral dans les écrits
littéraires, l'écrivain cherchant , notamment dans la prafique de la dislocation et de
la répétition, à retrouver la charge émotionnelle de l'oral. Mais il ne peut s'agir de
confondre des situations de communication et des conditbns d'énonciation par
définition très éloignées. Ce qui est le résultat d'une spontanéité dans un cas est le
fruit du travail dans l'autre».
Les autres articles soutiennent des thèses plus classiques : la ponctuation
comme principal vecteur d'intégratton de l'oral dans l'écrit, les difficultés de la
transcription écrrte de l'oral, les dialogues chez Maupassant, le rôle du e caduc dans
l'oralisation de l'écrit, les effets rhétoriques des écrits politiques, les traces d'oral
dans les copies d'élèves au Brevet des collèges comme maladresses énonciatives
ou comme marques d'une pensée qui se cherche.

«PAROLE ÉTOUFFÉE, PAROLE LIBÉRÉE ; fondements et limites


d'une pédagogie de l'oral»
Dir. Martine WIRTHNER, Daniel MARTIN, Philippe PERRENOUD
Coll. Techniques et Méthodes Pédagogiques, Delachaux et Niestlé, 1991

Enfin, l'oral revient ?


La rénovation de l'enseignement du français entreprise en 1 972 par les cantons
romands en Suisse progresse de manière rationalisée. L'outil social de cetre
rationalisation est l'IRDP de Neuchâtel qui mène à ce propos un ensemble de travaux
placés sous le signe de l'observation interactive avec la collaboration de la Com¬
mission romande d'observation du français (COROF) et celle des centres cantonaux
de recherche pédagogique.

196
Notes de lecture

Or, si la maîtrise de la langue orale tient désormais une place importante dans
le nouveau curriculum, on constate dans les classes une difficulté générale à
pratiquer d'autres activités que l'élocution, la récitation traditionnelles. Un Colloque,
tenu à Neuchâtel en septembre 1 989, a tenté de cerner les raisons de cet état de fait,
et de proposer des voies concrètes de solution.
Faut-il mettre en cause, comme le fait l'avant-propos de l'ouvrage, qui présente
une synthèse des travaux de ce Colloque, le manque «d'outils didactiques et
d'instruments de gestion de la classe appropriés», le manque 6' «une assise théo¬
rique solide sur laquelle appuyer une pratique éventuelle», le manque d'instruments
d'évaluation adaptés ? Il n'est pas sûr que ce diagnostic donne la clé du problème.
Il est de fart, par exemple, que les recherches INRP menées dans les années 75-80
sous la direction d'Anne-Marie HOUDEBINE (voir dans la Collection INRP-Nathan,
«Ef l'oral alors ?» ), celles de Claire Blanche-Benveniste avec le G.A.R.S. à Aix,
celles du Groupe INRP «Variation» dans les années 84-86 (voir «Repères» n°61 , 67,
76 ) n'ont pas éveillé le même intérêt que des travaux sur la lecture... Ce qui est en
cause c'est, précisément, une pédagogie, une didactique de l'oral prenant de front
les questions de norme, de variation des normes soctolinguistiques dans les
pratiques orales de la communication sociale que l'écrit peut ignorer mais qui sont,
à l'oral, incontournables. On se heurte ici aux représentations normatives de la
langue les plus ancrées chez les enseignants (et même des didacticiens...).
Ceci dit, le dossier constitué est d'un intérêt premier : Philippe Perrenoud
interroge les pédagogies de l'oral (la norme, la communication), Eddy Roulet
interroge la diversité des oraux observables dans des interactions effectives,
Frédéric François décrit des aspects non normes de la «mise en mots», des
enchaînements dans des dialogues entre enfants de maternelle... On ne saurait citer
ici tous les éléments de ce riche dossier qui présente non seulement des thèses, des
problématiques théoriques sur la possibilité d'une pédagogie de l'oral, mais aussi
des pratiques de classe visant à développer des apprentissages rationalisés de
l'argumentation orale.à organiser des situations de communication fonctionnant sur
des projets, des réseaux, des jeux de rôle, («si on jouait à...) ou des moments
(provoqués ou non) d'expression individuelle, d'échange, et enfin des pratiques
d'évaluation formative.
La dernière partie de l'ouvrage, traitant de l'inévitable question des rapports de
l'oral et de l'écrit, qui est au coeur de ce «Repères» n" 3, en présente deux aspects :
«L'argumentation orale prépare-t-elle au texte argumentatif écrrt ?» (Daniel
Bain) ;
les rapports d'intégratton, d'interprétation entre lecture et expression orale,
dans la lecture orale ; les rapports d'interdépendance lorsqu'on utilise des
notes, pour faire un exposé par exemple (Jacques Weiss).
La dernière contribution pose la question d'une pédagogie de l'oral qui n'im¬
pliquerait pas l'enseignement de compétences langagières en soi, mais qui les
développerait en tant que support des autres apprentissages, et notamment les
apprentissages métacognitifs : «(métàpommunpuer pour apprendre, c'est faire de
l'oral à plein temps» drt Daniel Martin. C'est, implicitement, la thèse que soutiennent
plusieurs articles de ce «Repères» n" 3.
L'ouvrage ne conclut pas : «En l'état actuel du chantier, l'urgent n'est pas
d'uniformiser, mais plutôt de donner droit de cité à diverses stratégies du change¬
ment». On ne peut qu'abonder dans ce sens.

197
"LECTURES/ECRITURES
EN S.G. - CP - CEI"
par Hélène ROMIAN, Eveline CHARMEUX, Gilbert DUCANCEL,
Christian NIQUE, Jacqueline ZONABEND et coll.
Collection Institut National de Recherche Pédagogique
Nathan.

Dans l'actualité des cycles, 6 ans avant...


Des réponses concrètes aux problèmes de mise en
place des cycles
54 séquences de classe réalisées par des équipes INRP à
Toulouse, Grenade S/Garonne, Agen, Amiens, Poitiers, Saint-
Etienne...
Comment gérer l'hétérogénéité des élèves, réaliser
une pédagogique différenciée en matière d'écrit ?
Diversifier les modes d'organisation, les tâches, les types
d'écrits à lire/produire : "faire quelque chose pour dire merci",
"lire/écrire des informations utiles à la vie de la classe", "de la
prise de notes à la mise en commun", "découvrir le plaisir des
jeux poétiques", "le petit garçon qui veut attraper le bonheur",
"premier contact avec un livre"...
Comment assurer la continuité, la cohérence des
apprentissages, de la S.G. au C.E.l. ?
Se donner, en équipe de cycle, les mêmes contenus, la
même démarche d'enseignement, la même conception de
l'apprentissage :
partir de l'expérience que les enfants ont du langage
oral, écrit, de leurs connaissances, pour les étendre, les
diversifier, les structurer
construire des relations entre oral/écrit/image :
" agir/représenter/communiquer " un itinéraire, "le langage des
nuages", la succession des jours", l'espace de vie de la classe
ou de l'école...
articuler lecture/écriture et analyse des fonctionne¬
ments de l'écrit :
"de la chaîne orale à la chaîne écrite" et inversement, pour
construire la combinatoire, les premières notions de
grammaire, d'orthographe, mais aussi jouer sur les mots :
"être dans la lune ou dans la luge ?"

Dans la même collection :


"Poésie pour tous ", par Françoise Sublet et coll.
"Vers la liberté de parole ", par Francine Best
"Et l'oral alors ?", par Jean-Pierre Kerloc'h,
Claude
Bruner, Sylvette Fabre
"Enseigner le Français à l'ère des médias ", par Hélène
Romian, Monique Yziquel.

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RECHERCHES EN DIDACTIQUE ET ACQUISITION

DAFTEL DU FRANÇAIS LANGUE MATERNELLE


G. Gagné L. Sprenger-Charolles
R. Lazure F. Ropé
La didactique Université de Montréal INRP, Paris.
du français Un ouvrage, en deux tomes, présentant le cadre conceptuel, le
langue maternelle thésaurus, le lexique des mots-clés de la recherche documentaire
sur minitel (tome 1) et un répertoire bibliographique (tome 2) de prés de 2 500
articles, thèses, ouvrages de 1970 à 1984. Ceux-ci sont indexés
selon plusieurs dimensions :
3615 SUNK - les composantes langagières travaillées,
ou - le type d'enseignement et/ou d'apprentissage,
- le type de recherche concerné.
3616 SUNIST Editions De Boeck-WesmaeI,1989.
code DAF
Disponible à l'INRP :
Tomel (200 p) : 145 F - Tome2 (498 p.): 310F.
Actualisation 1991 : 100 F
DAFTEL, en bref
RECHERCHES EN DIDACTIQUE DE L'ORTHOGRAPHE
Co-producteurs
Jean-Pierre JAFFRE, avec la collaboration de Danièle COGIS
Institut National de Recherche
Collection Rapports de Recherches, 1989, n°12.
Pédagogique (France),
Université de Montréal Une revue de questions portant sur 210 ouvrages, articles et
(Québec). thèses publiés entre 1970 et 1984, pour cerner les acquis et les
lacunes du domaine, les apports potentiels des recherches comme
Autres participants les impasses ou les voies prometteuses.
Facultés universitaires Parmi les questions traitées, toujours plus actuelles:
Notre-Dame-de-la-Paix - la réforme et la crise de l'orthographe ; la dictée ;
(Belgique), la faute/l'erreur,...
Institut romand de recherches - les outils théoriques de référence ; les mentalités
et de documentation orthographiques ; et le Bled,...
pédagogique (Suisse). - les aspects d'une didactique rénovée : structuration de la
langue, «éveil» à I' «objet-langue», résolutions de problèmes d'ortho-

Cdntéinr
Environ 3 000 références DES TEXTES ET DOCUMENTS
bibliographiques de 1970 G. PASTIAUX-THIRIAT
Imprimé par INSTAPRINT S.A. - 1-2-3. levée de la Loire - LA RICHE - B.P. 5927 - 37059 TOURS Cedex - Tél. 47 38 16 0<
Dépôt légal 2* trimestre 1991
"REPERES" DISPONIBLES

n° 59 - Ef si le français était une activité d 'éveil ?

n° 60 - Où en sont les sciences du langage, les sciences de l'éducation ?

n° 61 - Us sont différents ! - Cultures, usages de la langue et pédagogie


n° 62 - Résolutions de problèmes en français - Poser autrement la question des activités
métalinguistiques en classe
n° 64 Langue, images et sons en classe

n° 65 Des pratiques langagières aux savoirs (problèmes de français)

n° 66 Des outils et des procédures pour évaluer les écrits

n° 67 Ils parlent autrement - Pour une pédagogie de la variation langagière


n° 68 Les Dits de l 'image - Apprendre a construire du sens à partir de messages associant
la langue et l 'image

n° 69 Communiquer et expliquer au Collège


n° 70 Problèmes langagiers - Quels apprentissages dans quelles pratiques ?

n° 71 - Construire une didactique - Aspects de 4 recherches en français langue materneUe


n° 72 - Discours explicatifs en classe - Quand ? Comment ? Pourquoi ? (Collèges)
n° 74 - Images et langages. Quels savoirs ?

i\° 75 - Orthographe : quels problèmes ?

n° 76 - Éléments pour une didactique de la variation langagière


n°77 - Le discours explicatif- Genres et texte (Collèges)
n°78 - Projets d'enseignement des écrits, de la langue
n°79 - Décrire les pratiques d'évaluation des écrits

n° 1 (nouvelle série) - Contenus, démarche deformation des maîtres et recherche

n° 2 (nouvelle série) - Pratiques de communication, pratiques discursives en materneUe


n° 3 (nouvelle série) - Articulation oral/écrit
REPERES nouvelle série
paraît deux fois par an,
s'ouvre à tous les chercheurs concernés par la didactique du français langue
maternelle.

REPÈRES
un lieu d'échange, de débat scientifique pour tous ceux qui interrogent le rôle du
langage dans l'enseignement, l'apprentissage.
REPÈRES
un outil de travail pour les formateurs, les chercheurs en didactique du français
langue maternelle,
des recherches en cours dans les écoles, pour les écoles et la formation des
maîtres.

REPÈRES numéro 3, nouvelle série


Articulation oral/écrit
L'enseignement de l'oral et de l'écrit occupe une place importante à l'école primaire.
Mais laquelle exactement ? Comment s'opère leur articulation ? Quelles compétences
sont visées ? Dans quelle mesure s'agit-il de compétences " disciplinaires " ou
" transversales " ?
Les recherches en cours peuvent apporter des éléments de réponse partielle à de telles
questions, selon leurs propres orientations actuellement dominées par l'écrit : l'oral
comme vecteur privilégié, de fait, des activités scolaires ; l'oral comme lieu d'observation
des processus d'écriture ou des représentations de l'écrit à partir des discours des sujets
eux-mêmes ; les décalages et les points de rencontre entre les deux modes langagiers ; le
rôle du métalinguistique - oral - dans les apprentissages de l'écrit.
Ceci étant, on aurait sans doute intérêt à réactiver des recherches en didactique
concernant très explicitement l'enseignement/apprentissage des articulations, à construire
entre pratiques orales et écrites du langage, telles que celles qui avaient été menées dans
les années 70, puis les années 75, notamment à l'INRP.

INSTITUT NATIONAL DE RECHERCHE PÉDAGOGIQUE


29, rue d'Ulm- 75230 PARIS CEDEX 05 - Tél. (1 ) 46 34 90 00

JUIN J 99 1 CODE : 009 RS 003 ISBN : 2-7342-0293- 1

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