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Robert Abernathy

LES DANGERS DU MONDE BLEU


(Peril of the Blue World)

Les voilà, ceux qui ont critiqué la sagesse des membres de la Première Expédition Terrestre
décidant de rentrer précipitamment sur Mars sans mener totalement à bien les observations
et explorations prévues originellement. Depuis quelque temps déjà, nous qui faisions partie
de l’Expédition et qui connaissions la véritable raison de notre retour, avions choisi d’ignorer
ces individus peu nombreux mais bruyants; mais, dernièrement, certains éléments turbulents
de la plus jeune génération, à peine sortis de l’œuf mais peu désireux de se fier aveuglément à
la sagesse de leurs aînés, ont commencé à parler de lancer une seconde expédition vers la
Planète Bleue.
En conséquence, moi, Shapplo au Long Proboscis, interprète de la Première Expédition, a
été commissionné par l’équipage de la Fusée Terrestre pour raconter l’histoire intégrale et
non-expurgée de nos aventures du Terre et les raisons pour lesquelles nous avons affirmé que
la planète devait demeurer à tout jamais interdite à la colonisation Martienne.
Je passerai sur les détails du voyage interplanétaire qui consiste essentiellement en
données scientifiques et en schémas non conçus pour intéresser un lecteur ordinaire. Il suffit
de dire que la Fusée Terrestre et ses vingt-trois membres d’équipage, tous indemnes et en
bonne santé, se posèrent en toute sécurité sur la crête d’une douce colline située au cœur
d’une île située dans l’hémisphère nord de la Terre. Les coordonnées de cette île sont, selon
nos astronomes, 1-2-2-(1) Nord, mais ses habitants la nomment « Engelond » ou « Britannia ».
Nous atterrîmes dans le sud de cette île, sur le sommet d’une colline, comme nous l’avons
signalé précédemment; et une fois nos poumons préparés, nous nous équipâmes de ceintures
de gravité pour contrebalancer l’atmosphère dense de la Terre et la forte gravité qu’elle
entraîne, puis nous empruntâmes les sorties du vaisseau et sortîmes les uns derrière les
autres, menés par notre capitaine, Tutwa aux Oreilles Tordues, notre second, Ikleek de
Gnoxwid, et moi-même; derrière nous marchait notre zoologiste, Zesmo qui Était Tombé
Enfant dans le Canal.
La première chose que nous remarquâmes tous, mais particulièrement par Zesmo qui Était

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Tombé Enfant dans le Canal, c’était la profusion de vie terrestre qui s’exposait autour d’eux.
Des plantes de toute taille ou forme, invariablement vertes mais arborant des fleurs de toutes
nuances, couvraient le flanc de colline et l’intégralité du paysage vallonné qui s’étirait devant
notre point d’observation. Au milieu des feuilles et des fleurs flottaient des objets brillamment
colorés qui s’avérèrent bientôt être, à notre grande surprise, des créatures vivantes.
— Quelle planète ! s’exclama le capitaine avec philosophie. Même l’animal le plus simple
peut voler: à quoi faut-il alors s’attendre des créatures évoluées, des espèces intelligentes ?
— Vous noterez toutefois, précisa Zesmo qui était parvenu pendant ce temps à en capturer
l’un de ces danseurs aériens, qu’ils volent intégralement sans aide artificielle. Cela est rendu
possible par la densité atmosphérique de la Terre.
Tandis que nous progressions parmi la végétation épaisse raisonnablement haute, des
petites créatures quadrupèdes à fourrure bondirent des buissons et détalèrent rapidement.
Faisant usage de nos armes à rayons à basse intensité, nous en paralysâmes plusieurs; mais,
après un examen approfondi, nous fûmes contraints d’admettre que nous devions chercher
encore si nous voulions découvrir les habitants intelligents de la planète.
— Il est tout à fait possible qu’il n’existe aucune race intelligente, dit Zesmo d’un air
sombre. Si c’était le cas, je crois qu’elle aurait déjà traversé l’espace pour atteindre Mars.
— N’en attends pas trop des pauvres Terriens, Zesmo, rétorqua Ikleek. Souviens-toi que
notre propre race n’a découvert de voyage dans l’espace que depuis trois générations, et que
notre engin est la première fusée suffisamment puissante pour affronter le champ
gravitationnel de la Terre. En raison même de la haute vélocité nécessaire pour y échapper, le
développement du voyage spatial par les Terriens a dû être repoussé. Ils peuvent très bien
disposer d’une civilisation évoluée tout en n’ayant jamais quitté le sol de leur planète.
— Le vol semble aisé, argumenta Zesmo. Regarde ces petits…
Il fut interrompu par le cri strident lancé d’un membre de l’équipage. Tous sans exception,
nous nous tournâmes en direction du bruit et nous le vîmes se ruer vers nous à travers les
arbres aussi vite que le lui permettait l’énorme gravité Terrestre, agitant ses tentacules et
rayonnant de frayeur.
— Un monstre ! bredouilla-t-il. Un monstre de métal !
Rapidement, nous basculâmes nos armes sur leur pleine puissance et attendîmes avec
anxiété l’assaut de l’impressionnante créature qui pourrait surgir à tout moment. Nous
n’eûmes pas longtemps à attendre, car nous vîmes peu de temps à travers les arbres après
approcher une créature fantastique.
Pendant quelques instants, nous restâmes simplement bouche bée devant la chose avant
de comprendre qu’il s’agissait en réalité d’un monstre composite — deux animaux réunis en
un seul, pour ainsi dire. Hormis qu’il ne s’agissait pas d’un animal, mais de toute évidence
d’une machine !
Le monstre Terrien ne nous avait pas encore vu; je profitai de cet instant de répit pour
gribouiller hâtivement des notes que je regretterais très rapidement. Toutefois, afin d’illustrer
le fait que quiconque peut faire des erreurs et que la plus évidente vérité peut être mal
interprétée, je vais reproduire ici ce que j’avais alors écrit:

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« Les habitants intelligents de la Terre nous ressemblent un peu en ce qu’ils possèdent
quatre membres, deux yeux et deux longues protubérances qui évoquent des oreilles. Les
organes sensoriels sont majoritairement situés sur, ou à proximité, de la face avant de la tête.
Les pieds sont revêtus de corne qui pourrait être aussi bien naturelle qu’artificielle. Son
appendice caudal est particulièrement long et arbore de longs poils denses, différents
toutefois de ceux qui recouvrent le reste de son corps, plutôt courts et plats. Ils ne possèdent
pas vraiment de proboscis, mais la tête présente une face nettement allongée avec un museau
dirigé vers le sol… »
Ça suffit. De fait, quelque énorme que fût mon erreur, elle était à ce moment précis
partagée par tous les autres.
L’animal décrit précédemment formait la partie basse de la créature composite que nous
découvrions. Perchée sur lui se trouvait une créature de métal qui scintillait, construite selon
les mêmes lignes mais possédant des bras et des jambes métalliques articulées; il n’arborait
pas de queue et se trouvait assis plutôt que marcher servilement à quatre pattes. Il tenait dans
une main une grande perche munie d’une pointe effilée en métal et d’autres équipements qui
pouvaient être des armes apparaissaient ça et là.
— Un robot ! cracha le Capitaine. Il en était arrivé à la même conclusion évidente que nous
tous.
— Que disiez-vous à propos de l’intelligence de l’espèce, Zesmo ? siffla Ikleek. De toute
évidence, les Terriens ont été trop intelligents. Ils ont bâti une civilisation avancée et ont été
asservis par leurs propres machines !
— Peut-être que nous, Martiens, sommes destinés à libérer la race opprimée de son
ignoble servitude ! s’exclama Zesmo. Si nous pouvions seulement paralyser et capturer la
machine…
Il ajusta son arme à rayons à sa plus basse intensité.

La créature avait peut-être entendu nos voix, assourdies par l’épaisseur de l’air. Quoi qu’il
en soit, elle se tourna soudain vers nous, présentant un visage de métal vide d’expression
curieusement agrémenté d’un mécanisme grillagé en plein milieu; et, se reprenant en un clin
d’œil de sa visible surprise, il pressa ses pieds équipés de pointes effilées contre les flancs de
sa monture et galopa droit sur nous. Tandis qu’il approchait, il baissa sa longue perche dans
l’évidente intention d’embrocher un ou plusieurs d’entre nous.
Le tentacule droit de Zesmo qui tenait l’arme à rayon fouetta l’air; un crépitement d’énergie
invisible déchira l’air, des étincelles bleues jaillirent des articulations métalliques de la
créature et tous deux, elle et sa monture, s’effondrèrent lourdement au sol, inertes.
Nous les approchâmes avec précaution — pas suffisamment toutefois, comme nous nous
en rendîmes compte, car le robot s’agita brutalement et se remit sur pied en titubant. Son
revêtement en métal avait absorbé la plus grande partie de l’énergie paralysante de l’arme.
D’un geste souple qui trahissait l’habitude, il s’empara d’une longue lame droite et coupante
qui pendait à ses côtés et que j’identifiai inconsciemment comme une arme primitive
fonctionnant sur le principe de taille alors même que j’armais mon pistolet à rayon.

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En tenant compte du fait que nous préférions capturer indemne la machine mais que, si
nous ne l’arrêtions pas rapidement, je serais très prochainement découpé en morceaux, je
braquai l’arme et appuyai sur la détente. Le rayon, en pleine puissance, frappa la lame qui
rougeoya fortement et fondit partiellement. Le robot la lâcha en lançant une exclamation
brève au sens incertain, probablement l’expression d’une contrariété considérable.
Pendant ce temps, Zesmo s’était rapproché et il délivra à l’homme de métal une dose élevée
de rayon. En grésillant et crépitant, le robot s’effondra et ne nous pas plus le moindre
problème.
Zesmo avait commencé à examiner l’animal prostré sur lequel le robot s’était tenu, dans le
but de le réanimer, lorsque Ikleek, qui avait porté son attention sur le robot, se redressa
brutalement et commença à osciller d’avant en arrière en signe d’amusement.
— Cela te gênerait-il de me dire ce que tu trouves si réjouissant ? demanda Zesmo avec une
aigreur pardonnable.
— Simplement que nous avons tous fait une erreur très bête, gazouilla Ikleek tout en
retrouvant en partie son calme.
Il agita un tentacule en direction de l’animal que Zesmo examinait.
— Une créature intelligente, ah !
Il se remit à osciller d’avant en arrière de façon incontrôlable.
— Explique-toi, ordonna fermement le Capitaine Tutwa.
En guise d’explication, le second se pencha sur le « robot » et, ôtant le couvercle de métal
qui recouvrait la tête, révéla le visage d’un être vivant inconscient.
Je ne décrirai pas les Terriens, puisque leur forme et apparence sont devenus familières
aux Martiens grâce aux photos et aux descriptions que nous en avons ramené de la Terre. Je
préciserai seulement que ce spécimen était un mâle et que, en conséquence, il était plutôt
poilu dans la partie basse de son visage tout comme à l’arrière de sa tête.
Zesmo ne fit aucun commentaire, mais il fit sauter ses yeux à un rythme significatif.
— Voilà ton Terrien ! gloussa Ikleek avec jubilation en tapotant la protection métallique
abdominale de la créature. Il porte simplement une armure, un revêtement similaire à une
tenue spatiale.
— Peut-être va-t-il mourir maintenant que tu as ôté son casque, s’exclama Zesmo, inquiet.
Je ramassai le casque et l’examinai.
— Cette armure n’est pas hermétique, informai-je mes compagnons. Elle doit avoir une
autre fonction.
Profondément perplexes, nous étions alors bien décidés à ranimer le Terrien le plus vite
possible afin de l’interroger entre autres à ce sujet. Avec quelque difficulté, nous le portâmes
jusqu’au vaisseau.

Dans l’impossibilité d’utiliser des médicaments, en raison même des possibles différences
primordiales entre les constitutions chimiques Terriennes et Martiennes, nous fûmes

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contraints de faire appel aux moyens purement physiques pour le ranimer; nous réussîmes
rapidement, à tel point que le Terrien s’agita, souleva les couvercles de ses yeux et s’assit,
encore chancelant… Puis, il découvrit notre groupe curieux qui agitait autour de lui ses
tentacules et des proboscis, laissa échapper un hurlement malsain et tenta de quitter
immédiatement le vaisseau.
Nous parvînmes avec de grande difficulté à maîtriser le Terrien affolé sans qu’il brisât le
casque à oxygène en verre que nous avions placé sur ses épaules afin de lui permettre de
respirer de l’air à la pression terrestre ordinaire, entre quatorze et quinze livres au pouce
carré. Grâce à l’assistance d’une douzaine de membres d’équipage, nous réussîmes à le
soumettre, sans que certains d’entre nous ne puissent éviter quelque blessure. L’extrémité
d’un tentacule fut arrachée d’une façon ou d’une autre et, le temps que je retrouve le fragment
et le rattache au moyen de l’adhésif médical facilitant la cicatrisation, le Terrien avait été ficelé
sur une table et le télépatheur avait été installé.
Comme j’étais l’interprète de l’expédition, en raison même de ma formation en matière de
sciences télépathiques, psychologiques et linguistiques, je vérifiai immédiatement l’appareil
et me lançai dans des tests afin de découvrir la fréquence vibratoire du cerveau Terrestre. Je
finis par la trouver, étonnamment loin sur l’échelle. Les Terriens avaient des cerveaux
extrêmement lents qui ne leur permettaient pas de réfléchir rapidement en cas d’urgence;
ceci, toutefois, ne les empêchait aucunement d’agir rapidement.
Après avoir finalement réglé le transformateur du télépatheur afin qu’il réduise ma propre
fréquence mentale au niveau de celle d’un Terrien, je parvins à entrer en communication
télépathique avec lui. Je ne vais pas tenter de retranscrire avec des mots cet échange, mais je
vais en livrer l’essentiel, c’est-à-dire globalement tout ce que je compris alors, n ‘étant pas
familiarisé avec les idiomes conceptuels Terriens.
Le nom du Terrien, compris-je, était Sir Henry de Long, le « Sir » initial étant une sorte de
titre à la signification plus ou moins vague. Il était également « chevalier », un autre titre
honorifique qui était intimement lié au fait qu’il portât une quantité si considérable de fer sur
lui et qu’il possédât un cheval — l’animal sur lequel le Terrien était juché lorsque nous fîmes
sa rencontre. En plutôt de sa condition de « chevalier », il était également « Anglais », ce qu’il
semblait considérer également comme une distinction. En l’interrogeant un peu plus, il
s’avéra qu’être Anglais signifiait être né sur cette île d’Engelond; je fus incapable de comprend
en quoi ce hasard pouvait être à l’origine d’une fierté individuelle, mais en conclus qu’il devait
exister des raisons profondément enfouies dans la psychologie Terrienne.
Lorsque je me renseignai sur son armure, je découvris qu’elle était liée à sa condition de
chevalier; de plus, il semblait être fier de son armure. En réalité, cet individu remarquable
semblait fier de tout ce qui avait un rapport avec sa personne. C’était l’une des
caractéristiques d’une certaine classe de Terriens à laquelle ce spécimen appartenait; nous
découvrîmes par la suite que la plus grande partie de la race était élevée dans une humilité
bienséante, tandis qu’un groupe limité était autorisé à se considérer étranger à cette masse et
infiniment meilleur que le reste d’entre eux. Au cours de notre bref séjour sur Terre, toutefois,
nous fûmes incapables de vérifier sur quelles bases était déterminée la supériorité de cette
classe.
Je parvins à rassurer de Long quant à la nature amicale de nos intentions à son égard et

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j’obtins de lui la promesse de ne pas causer de problème si nous le détachions. Si on tenait
compte de la façon dont cet étrange individu se considérait lui-même, il était quasiment
certain qu’il s’abstiendrait de rompre sa « parole d’honneur ».
J’appris également que la demeure de de Long ne se trouvait guère éloignée de notre
actuelle position. Après en avoir discuté, nous avons décidé de transporter le vaisseau jusqu’à
son domicile afin d’avoir l’opportunité d’observer cette espèce dans on habitat naturel.

Par conséquent, la Fusée Terrestre redécolla et vola quelques miles vers l’est, se posant
non loin du château, cette imposante construction de pierre évoquant une forteresse, qui
servait de domicile habituelle à notre invité. Le Terrien fut bouleversé par la réalité du vol;
nous apprîmes, lorsqu’il sortit finalement de son étonnement, que le vol artificiel était
considéré là-bas comme impossible.
Nous fûmes quelque peu surpris par l’émoi suscité par notre arrivée; bien sûr, ces
individus n’avaient jamais vu de machine volante, mais leur excitation nous sembla
totalement disproportionnée. Toutefois, c’est la nature de la psychologie humaine de croire
que tout ce qu’ils n’avaient jamais vu ou entendu était impossible, ce qui entraînait donc une
grande agitation lorsque cela se produisait. Après que nous eûmes pénétré dans le château en
compagnie de de Long, nous fûmes désagréablement surpris d’apprendre que les individus de
la forteresse, observent notre approche, avaient préparé de grandes quantités d’huile
bouillante et de pierres dans l’idée de nous les jeter dessus lorsque nous passerions au pied
des murs; ils y renoncèrent uniquement en raison de la présence de leur chef.
Ce n’était pas une pensée plaisante.
Néanmoins, une fois leur terreur dissipée par notre attitude pacifique, ces individus se
montrèrent puérilement curieux et, où que l’un d’entre nous aille, il pouvait être certain
qu’une foule de Terriens abasourdis lui collât aux basques pour observer ses moindres gestes.
Zesmo fut un peu déçu de découvrir le faible niveau de développement des Terriens. Ils ne
maîtrisaient pas l’électricité ni ne disposaient de machines autonomes; Ils dépendaient
entièrement du travail musculaire, que ce soit le leur — qui était loin d’être négligeable en
comparaison avec leur intellect —ou celui de leurs différents animaux serviles. Dans certains
domaines, ils faisaient preuve d’une brillante ingéniosité et, dans d’autres, d’une obtusion
remarquable.
Pendant notre station de plusieurs jours dans le voisinage du château de de Long, , Zesmo
et notre sociologue, Plagu Longues Jambes, compilèrent un énorme volume d’informations
concernant la vie et les caractéristiques des Terriens, informations que l’on peut trouver dans
presque toutes les bibliothèques sous des formes plus ou moins condensées. Aussi, je me
permets de ne pas m’étendre plus avant sur ce sujet.
Jusque-là, nous n’avions décelé aucun danger important sur Terre ni la moindre trace des
horreurs qui doivent nous interdire à jamais l’exploration de cette planète. Un jour, toutefois,
alors que je menais des recherches concernant leur société socialiste en discutant via le
télépathor avec de Long, il mentionna que l’une des occupations d’un bon chevalier consistait
à tuer des dragons.

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— Des dragons ? me renseignai-je en notant le mot dans mon carnet.
— N’avez-vous point savoir de ce qu’est un dragon ? s’exclama de Long en haussant les
sourcils — une expression de légère surprise chez les Terriens. Un dragon est une énorme
bête, la plus impressionnante qui soit sur Terre. De sa bouche et ses narines, il souffle des
flammes et de la fumée, de sorte que l’approcher est un péril mortel.
— Euh… Où vivent ces créatures brutales ?
Je voulais savoir, même si j’appréhendais un peu la réponse.
— Il n’y en a plus beaucoup en Engelond de nos jours, Saint George et d’autres vaillants
champions les ont harcelés sans fin, en massacrant plusieurs et en instillant chez les autres la
crainte de Dieu. Mais, en Eire et ailleurs, beaucoup demeurent et sont la terreur de tous les
hommes.

Cette information fut son effet, c’est le moins que l’on puisse dire. Nous nous attendions à
des dangers sur Terre, naturellement; mais rien d’aussi inquiétant que les créatures décrites
par de Long. Nos armes à rayon pourraient bien se révéler inefficaces contre ces terribles
animaux.
— Sont-ce les créatures les plus dangereuses sur Terre ? m’enquis-je avec quelque
hésitation.
De Long se pencha en arrière et émit une série de sons détonants qui indiquait un certain
amusement.
— Loin de là, déclara-t-il. Car, bien que les dragons soient immenses et terribles, il existe
moult autres créatures non moins périlleuses pour l’homme, et d’autres encore plus. Nous
avons de nombreux démons de diverses natures, même ici en Angle-Land; certains sont amis
des hommes et n’ont aucune malice, mais la plupart sont malintentionnés et ne perdent
aucune occasion de perpétrer un crime. On raconte que, quand les pillards sont venus de
Norvoie à l’époque du bon roi Ælfred, ils emmenèrent avec eux dans leurs longues galères
noires les démons et les hobgobelins qui leur servaient de dieux païens, tout aussi assoiffés
de sang qu’eux-mêmes; et ces derniers sont restés ici après le départ de leurs adeptes et sont
encore les ennemis de tout Anglais véritable.
— Nous n’avons vu aucune de ces créatures, dis-je, dubitatif.
— Nenni, car rares sont ceux qui les ont vus. Ils accomplissent leurs méfaits la nuit, pour la
plupart; et nombre peuvent devenir invisible à l’envi. D’autres peuvent changer d’aspects:
c’est le cas des loups-garous, hommes durant le jour, mais bêtes voraces mangeuses
d’hommes la nuit.
Tout ceci était vraiment décourageant. Je n’étais pas encore sûr, cependant, que de Long ne
s’amusât pas à mes dépens.
— Ces choses pourraient-elles êtres dangereuses pour les Martiens ?, demandai-je.
— Je ne sais… Mais ici, en Engelond, comme je l’ai déjà dit, il y en a moins qu’ailleurs, me
rassura-t-il.
Je scrutai nerveusement la salle.

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— Serait… Serait-il possible que l’une de ces créatures invisibles soit présente ici même ?
Je savais que nos scientifiques avaient réussi à créer de l’invisibilité en laboratoire, mais
cela paraissait difficile à croire….
De Long opina gravement.
— C’est tout à fait possible, affirma-t-il avant d’ajouter, sentencieusement: même les murs
ont des oreilles; parlez du Diable et ses diablotins apparaîtront.
— Excusez-moi, dis-je en chancelant. Je viens de me souvenir d’un important rendez-vous…
Je coupai le télépathor, le ramassai et sortis en toute hâte. Je voulais consulter le Capitaine
Tutwa.
Le capitaine écouta avec scepticisme mon récit des dangers de la Planète Bleue exposés par
de Long.
— Bah, dit-il lorsque j’en eus fini. Le Terrien ment probablement, pour une raison ou pour
une autre. Ces individus ont des motivations étranges.
— Mais pourquoi me raconterait-il de telles sornettes ? insistai-je. Il semblait totalement
sérieux. Et si de tels dangers existent réellement sur Terre…
— Le motif m’apparaît clairement ! s’exclama le capitaine en faisant claquer un tentacule
dans les airs. En nous parlant de dangers imaginaires, le Terrien cherche à nous effrayer avant
de conserver la souveraineté de la planète.
— Ça pourrait être une raison plausible, admis-je. Mais… S’il dit la vérité, nous faisons
courir des risques à chaque Martien tant que nous restons ici ! Nous devrions vérifier ces faits.
— Eh bien… Le capitaine prit, de concentration, une teinte bleue. Le Conseil, lorsqu’il
affréta l’Expédition Terrestre, exprima sa crainte que la planète s’avère impropre à la
colonisation en raison de la présence possible de formes de vie inamicales. La Terre est telle
plus proche du Soleil et tellement plus humide que nous avions envisagé l’existence de choses
comme une jungle au bord de canaux; et il est possible que la pression due à la compétition
évolutionniste ait donné naissance à des créatures étranges et inquiétantes… Mais souvenez-
vous que nous n’avons jamais vu le moindre de ces « démons ».
— De Long affirme que beaucoup d’entre eux sont invisibles.
— Hmmm! lâcha le Capitaine. Bien entendu, cela reste dans les frontières du possible
même si c’est peu probable; mais; avant d’arriver ici, j’avais dit que les animaux volants
étaient improbables. Nous devons nous en assurer.
— Euh ?
— C’est simple. Nous n’avons qu’à soumettre de Long au détecteur de mensonges.

Je fus frappé par la superbe simplicité de cette idée, qui entrait pleinement dans mon
domaine.
— Je vous laisse amener de Long en position pour que nous puissions utiliser le détecteur
sans qu’il en ait conscience, dit le capitaine.
— Très bien, dis-je avec joie.

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Il ne fut pas difficile d’entraîner de Long à bord du vaisseau; il n’avait jamais eu l’occasion
de satisfaire sa curiosité concernant notre fusée. Je le guidai à travers plusieurs salles sans
rien faire pour éveiller ses soupçons, et je le fis finalement asseoir dans le rayon effectif du
détecteur de mensonge.
— Euh… Je m’interroge au sujet… au sujet de ces loups-garous dont vous m’avez parlé, sir
Henry, improvisai-je. Quelles sont au juste leurs habitudes ?
— Ils constituent une variété dangereuse de démon, répliqua-t-il immédiatement. De jour,
ils ont l’apparence d’hommes ordinaires, sauf qu’on peut les identifier à leur index de la main
droite plus long que leur majeur; mais, au plus profond de la nuit, l’irrésistible envie de chair
humaine les envahit, leur poil pousse, leurs ongles deviennent des griffes et leurs mâchoires
s’allongent, et ils deviennent des loups. On ne peut pas les tuer sous leur forme bestiale, on ne
peut s’en débarrasser que sous leur forme humaine.
Je tremblai à mon insu. Le détecteur de mensonge n’avait aucunement bougé de son axe
central — ce qui signifiait qu’il avait dit l’entière et effroyable vérité !
— Sont-ils… Sont-ils la pire variété de démons que l’on puisse trouver par ici ?
m’aventurai-je.
De Long plissa la peau autour de ses yeux en signe de réflexion.
— Le vampire est un autre démon épouvantable, quoique moins célèbre dans cette région,
déclara-t-il. Il s’agit de l’âme d’un corps non sanctifié qui se dresse la nuit hors de sa tombe
pour aller sucer le sang et la vie des vivants.

Je bondis sur mes pieds, incapable de demeurer immobile plus longtemps. De Long me
fixait.
— Quelque trouble céans ? s’exclama-t-il avec angoisse.
— Non, non… rien, murmurai-je, et l’aiguille du détecteur s’éleva jusqu’à son arrêtoir. C’est
que… je me rappelais que nous allions quitter la Terre sous peu.
À force d’excuses boiteuses, nous parvînmes à convaincre le Terrien de ressortir du
vaisseau.
Le Capitaine Tutwa convint avec moi que nous devions quitter cette planète nocive au plus
vite et ne jamais y revenir, et que la Terre devait être déclarée impropre à la colonisation
Martienne. Je peux solennellement affirmer que la Planète Bleue est un véritable enfer; nous
autres Martiens ferions bien de nous en tenir éloignés dans nos futures explorations
interplanétaires.
Je suis persuadé que vous pouvez parfaitement comprendre que la Terre ne pourra jamais
être colonisé par Mars, qu’il faut la fuir à jamais comme une zone contagieuse. Si l’un de nos
jeunes écervelés se sent à ce point téméraire qu’il veuille braver les horreurs de cette planète
effroyable, alors qu’il en assume intégralement les conséquences.
Fait en ce soixante-quinzième jour de la deux cent quarante deuxième année de l’invention
de la machine à vapeur,
(Signé)

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Shapplo au Long Proboscis, Interprète de la Première Expédition Terrestre

Publié dans « Planet Stories » , hiver 1942.


Trad. Olivier Beaufay

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