Une lune errante luit Eclairant la neige en rage, Trouble ciel et trouble nuit. Le traîneau cahote et glisse, Les grelots – “drelin-drelin”, L’épouvante, quel supplice Dans ces plaines sans chemin.
-Fouette, enfin, cocher ! « Les bêtes
Souffrent trop, mon bon monsieur ; Plus de route, la tempête Qui nous souffle dans les yeux. On aura perdu la trace, Je parie – c’est un démon Qui s’amuse et nous pourchasse, Et nous fait tourner en rond.
Là, il se démène, il flaire,
Joue à nous cracher dessus ; Là, il pousse dans l’ornière Le cheval qui n’en peut plus. Tiens, c’est lui qui nous emmêle, Cette borne, on croit la voir ; C’était lui, cette étincelle Dans le vide sourd et noir.”
Lourds nuages, noirs nuages,
Une lune errante luit, Eclairant la neige en rage, Trouble ciel et trouble nuit. Et l’on tourne et l’on s’épuise ; Les grelots, muets d’un coup. On se fige. “L’ombre grise, Là, c’est quoi ?… un tronc ? un loup ?”
La bourrasque hurle, pleure,
Soufflent les chevaux tremblants ; Le démon reprend ses leurres, Ses yeux rouges sont brûlants. On repart, le traîneau glisse, Les grelots – “drelin-drelin” ; Les démons se réunissent Sur l’espace blanc sans fin.
Sans visage, sans image,
Sous la lune trouble et floue, Feuilles quand novembre rage, Les démons voltigent, fous. Qui les pousse ? pour quoi faire ? Comme ils chantent, quels sanglots ; Ils marient une sorcière, Pleurent un génie des eaux ?
Lourds nuages, noirs nuages,
Une lune errante luit Eclairant la neige en rage, Trouble ciel et trouble nuit. Foule folle, à perdre haleine, Aspirés par la hauteur, Les démons, à voix humaine, Crient, me déchirant le cœur.
dans « Le Soleil d’Alexandre: Le Cercle de Pouchkine 1802-1841
VEYNE, Paul - Le Pain Et Le Cirque (Les Lundis de L'histoire, France Culture 28 Février 1977 (Paul Veyne, François Furet, Jacques Le Goff, Pierre Vidal Naquet) + MP3