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Des savoirs aux compétences

De quoi parle-t-on en parlant de compétences ?

Philippe Perrenoud
Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation
Université de Genève

Les compétences renvoient à des savoir-faire de haut niveau


qui exigent l’intégration de multiples ressources cognitives
dans le traitement de situations complexes.
Parler de compétences dans un contexte scolaire,
c’est, du même coup, parler du transfert des connaissances
et de la construction des compétences.

R ÉUSSIR à l’école n’est pas une fin en


soi. Certes, chaque apprentissage
prépare aux suivants dans le cursus sco-
gration à des compétences de ré-
flexion, de décision et d’action à la
mesure des situations complexes aux-
cice scolaire ou d’examen, c’est-à-dire
dans un type très particulier de contexte.
Et il se peut que cela suffise à la plupart
laire. Mais au bout du compte, en principe, quelles l’individu doit faire face. des acteurs : les enseignants ont couvert
l’élève devrait être capable de mobiliser leur programme, les élèves ont obtenu le
ses acquis scolaires en dehors de l’école, Tout cela pourrait sembler aller de soi. droit de poursuivre leurs études. Ce qu’il
dans des situations diverses, complexes, Mais la scolarité est une longue marche, en restera plus tard, hors de la vie sco-
imprévisibles. L’accent mis sur le réinves- une tranche importante de l’histoire de vie laire, n’est pas nécessairement une ques-
tissement des acquis scolaires répond à des enfants, des adolescents et même des tion cruciale dans la vie des maîtres et des
un souci d’efficacité de l’enseignement, jeunes adultes. Parce que « l’entrée dans élèves. À certains égards, c’est une ques-
d’adéquation plus grande des apprentis- la vie active » est souvent éloignée des tion encombrante, embarrassante. L’école
sages scolaires aux situations de la vie au études, il est facile de perdre de vue l’ob- ne tient guère à l’affronter. Prendre cons-
travail et hors-travail. Aujourd’hui, cette jectif final, en particulier durant la scolarité cience des limites du transfert des appren-
préoccupation s’exprime dans ce qu’on obligatoire qui a pour mission de donner tissages scolaires, reconnaître que les élè-
appelle assez souvent la problématique du une culture générale sans référence à un ves qui réussissent en classe ne sont pas
transfert des connaissances ou de la cons- avenir professionnel particulier. S’il l’on nécessairement capables de mobiliser les
truction de compétences. Les deux expres- revient régulièrement, dans des termes qui mêmes savoirs dans d’autres situations,
sions ne sont pas interchangeables, mais changent d’une époque à l’autre, au pro- aurait, si l’on voulait ne pas se résigner à
elles désignent toutes deux une face du blème du transfert des connaissances et ces constats, des implications considéra-
problème : de la construction des compétences, c’est bles en matière de contrat pédagogique,
parce qu’il n’est toujours pas résolu en pra- de transposition didactique, de travail sco-
tique. laire, de gestion de classe, mais aussi,
– pour être utiles, les savoirs scolaires
doivent être transférables ; sans doute, de coopération profession-
L’école développe à coup sûr une compé- nelle, de fonctionnement des établisse-
– mais ce transfert exige plus que la maî- tence : elle prépare ses meilleurs élèves à ments, de rôle de l’autorité scolaire.
trise de savoirs, il passe par leur inté- mobiliser des savoirs en situation d’exer-
Je tenterai ici de cerner ce qu’une appro-
Texte rédigé suite à la conférence de clôture du 15e colloque annuel de l’AQPC (Rivière-du-Loup, che par compétences et le souci du trans-
7, 8 et 9 juin 1995). Je remercie Danielle Bonneton, Christiane Durand, Monica Gather Thurler, fert des acquis impliquent pour le métier
Yves Mariani et Eric Baeriswyl de leurs précieuses suggestions. d’enseignant et le métier d’élève
N.D.L.R. (Perrenoud, 1994a, 1994b). Je préciserai
Nous présentons ici la première partie du texte de M. Perrenoud qui porte sur la notion de compé- au préalable le sens que je donne provi-
tences. La seconde partie, qui traite des incidences de l’approche par compétences sur le métier soirement à la notion de compétences.
d’enseignant et le métier d’élève ainsi que des stratégies de changement, paraîtra dans le prochain
numéro de Pédagogie collégiale.

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Nous sommes tous en quête d’une défini- situations complexes. L’assimilation
tion claire et partagée des compétences. d’une compétence à un simple objectif
Hélas, le mot se prête à de multiples usa- d’apprentissage brouille les cartes et L'assimilation d'une
ges et nul ne saurait prétendre donner LA suggère à tort que chaque acquis sco-
définition. Que faire alors ? Se résigner à laire vérifiable est une compétence. compétence à un simple
la tour de Babel ? Tenter d’identifier le sens
le plus courant dans une institution ou un ◆ La notion de compétences peut s’op- objectif d'apprentissage
milieu professionnel ? Avancer une défi- poser à celle de performances : la per-
nition explicite et s’y tenir ? Je passerai formance observée serait un indicateur brouille les cartes et
d’abord en revue trois acceptions de la plus ou moins fiable de la compétence,
notion de compétences qui, à mon avis, supposée plus stable, mais qui n’est suggère à tort que cha-
n’apportent pas grand-chose à la compré- mesurable qu’indirectement. Dans ce
hension des problèmes. Je proposerai contexte, la compétence est une pro- que acquis scolaire
ensuite une conception plus exigeante des messe de performance de tel niveau
moyen. C’est une acception dévelop-
compétences, en les liant au transfert et à
pée en linguistique aussi bien qu’en
vérifiable est une com-
la mobilisation des connaissances.
psychométrie, mais sa seule vertu est
d’opposer des dispositions virtuelles à
pétence
Trois acceptions qui n’apportent leur actualisation, sans rien dire de leur
pas grand-chose nature « ontologique ».
qui sous-tend un seul geste ou une seule
◆ Les compétences sont souvent syno-
On peut assimiler une compétence à un opération mentale, alors que la compé-
nymes de savoir-faire. Cet usage n’est
objectif, à une performance potentielle tence est investie dans une entreprise plus
pas illégitime, mais il place dans le
ou à un savoir-faire. Ces trois acceptions complexe, mobilisant de multiples ressour-
même ensemble des savoir-faire ex-
sont légitimes, mais me semblent peu fé- ces cognitives d’ordres différents : schè-
trêmement spécifiques – savoir ouvrir
condes. mes de perception, de pensée, d’action,
une boîte de conserve – et des savoir-
intuitions, suppositions, opinions, valeurs,
faire composites, par exemple, gagner
représentations construites du réel, sa-
◆ Parfois, on parle de compétences sim- une élection.
voirs, le tout se combinant dans une stra-
plement pour insister sur la nécessité
tégie de résolution de problèmes au prix
d’exprimer les objectifs d’un enseigne-
Une définition plus exigeante d’un raisonnement, d’inférences, d’antici-
ment en termes de conduites obser-
pations, d’une estimation des probabilités
vables ; on renoue alors avec la « tra-
respectives de divers événements, d’un
dition » – vieille maintenant de 30 Je propose de réserver la notion de com-
diagnostic à partir d’un ensemble d’indi-
ans ! – de la pédagogie de la maîtrise pétences à des savoir-faire de haut niveau,
ces, etc. En pratique, un schème sophisti-
ou des diverses formes de pédagogie qui exigent l’intégration de multiples res-
qué permet de faire face à certaines situa-
par objectifs. Je n’ai rien contre l’ap- sources cognitives dans le traitement de
tions complexes aussi bien qu’une com-
proche par objectifs. Elle n’est nulle- situations complexes. Ce qui suggère im-
pétence élémentaire, mais c’est parce que
ment dépassée, à condition d’en maî- médiatement qu’une compétence peut être
cette dernière, initialement constituée au
triser les excès maintenant connus : décomposée en composantes plus spéci-
travers d’une chaîne de raisonnements
behaviorisme sommaire, taxonomies fiques, les « éléments de compétence »
explicites et de décisions conscientes, s’est
interminables, fractionnement excessif dans la terminologie du collégial québé-
graduellement automatisée, devenant un
des objectifs, organisation de l’ensei- cois, les « capacités » dans d’autres ap-
nouveau schème apte à fonctionner
gnement objectif par objectif, etc. proches. Quel que soit leur nom, on re-
comme cet « inconscient pratique » dont
(Hameline, 1979 ; Saint-Onge, 1995 ; connaîtra que la somme de ces compo-
parle Piaget, ou ces « connaissances-en-
Goulet, 1995). Connaissant ces limites, santes n’équivaut pas à la compétence
actes » dont parle Vergnaud (1990).
on ne devrait plus, aujourd’hui, oser globale. Comme toujours dans les systè-
enseigner sans poursuivre des buts mes vivants, le tout est plus que la simple
explicites, communicables aux étu- réunion des parties, parce que celles-ci for-
diants et sans en évaluer régulière- ment un système, comme le rappelle Connaissances et compétences
ment, avec les apprenants, le degré de Tardif (1992, 1995). ne s’excluent pas
réalisation, d’abord à des fins de régu-
lation (évaluation formative), ensuite, Comme capacité de traitement d’une Écartons d’emblée une idée fausse, selon
lorsqu’il ne reste plus de temps d’en- classe de problèmes, autrement dit d’un laquelle, pour développer des compéten-
seignement-apprentissage, à des fins ensemble de situations de même structure ces, il faudrait renoncer aux connaissan-
certificatives. Il me semble que parler appelant des décisions et des actions de ces. Ces dernières, au sens classique de
à ce propos de compétences n’ajoute même type, la compétence évoque le l’expression, sont des représentations or-
rien. On peut d’ailleurs parfaitement schème piagétien, structure invariante de ganisées du réel ou de l’action sur le réel.
enseigner et évaluer par objectifs sans l’action qui permet, au prix d’accommoda- À ce titre, elles sont des ressources co-
se soucier du transfert des connaissan- tions mineures, de faire face à une variété gnitives souvent essentielles dans la cons-
ces, encore moins de leur mobilisation, de situations semblables. La différence est titution d’une compétence. On le concé-
parmi d’autres ressources, face à des que le schème est une totalité constituée dera sans doute volontiers si l’on pense

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aux compétences des professionnels de Construction des compétences et pas à former à des compétences profes-
haut niveau, médecins, avocats ou archi- culture générale sionnelles.
tectes par exemple. Les tâches des tra-
Certes, si l’on identifie la culture générale
vailleurs manuels moyennement qualifiés Lorsqu’on vise le développement de com- à la simple accumulation de connaissan-
font appel à des connaissances plus « pra- pétences, dans le sens proposé ici, à quels ces, on ne peut qu’identifier les compéten-
tiques », moins publiques. Un peu plus de types de situations complexes et de prati- ces à une formation « étroitement profes-
considération pour les compétences pro- ques se réfère-t-on ? La réponse est as- sionnelle », voire « utilitariste ». Toutefois,
fessionnelles les moins prestigieuses mon- sez évidente dans les formations profes- ce n’est pas la seule conception possible.
trerait qu’elles comportent toujours une sionnelles : on prépare à un métier qui Préparer les jeunes à comprendre et trans-
part de raison pratique fondée sur certains confrontera le praticien à certaines familles former le monde dans lequel ils vivent,
savoirs. Il n’est pas indifférent que ces de problèmes typiques qui, en dépit de la n’est-ce pas l’essence même d’une culture
savoirs soient issus de l’expérience per- singularité de chacun, sont passibles de générale ? De fait, l’approche par compé-
sonnelle ou collective, du sens commun, « programmes de traitement » (Meirieu, tences ne s’oppose à la culture générale
de la tradition ou d’une culture profession- 1989) ou de schèmes (Vergnaud, 1990) que si l'on donne à cette dernière un sens
nelle plutôt que de la science. Ce ne sont d’une certaine généralité. La qualification traditionnel et étroit. Pourquoi la culture
pas moins des savoirs à part entière, qui de l’élève, en cours et surtout en fin de deviendrait-elle moins générale lorsque la
sous-tendent l’action au même titre que les parcours, se mesurera à sa capacité de formation de l’esprit ne passe pas seule-
savoirs les plus savants. On sait d’ailleurs faire face à des situations professionnel- ment par la familiarisation avec les œu-
que les professionnels de haut niveau re- les classiques en mobilisant des ressour- vres classiques ou les connaissances
courent à des savoirs d’expérience autant ces cognitives pertinentes et coordonnées scientifiques de base, mais aussi par une
qu’à leur bagage scientifique. Leur forma- afin de construire une décision assez ra- capacité d’analyse, de mise en relation, de
tion clinique ou pratique les prépare à agir pide pour répondre à l’événement et as- lecture critique, de questionnement ou de
au-delà de ce que leurs savoirs savants sez sûre pour conduire, la plupart du transposition ? On a d’ailleurs souvent cré-
pourraient expliquer ou contrôler ! temps, à une issue acceptable, sinon opti- dité les langues anciennes, l’analyse gram-
male. maticale, l’explication de textes, l’appren-
On se trouve cependant, en formation gé- tissage de la démarche expérimentale ou
nérale, devant un vrai dilemme : toute La question est moins simple dans le ca- l’informatique de vertus plus globales de
compétence est fondamentalement liée à dre de la formation générale, dans la me- formation de l’esprit.
une pratique d’une certaine complexité. sure où celle-ci ne conduit à aucune pro-
Non pas à un geste précis, mais à l’en- fession particulière, ni même à une famille Il reste à identifier ce que sont les compé-
semble des gestes, des postures, des pa- de professions. D’où la crainte qu’une ap- tences visées par un enseignement de
roles qui traduisent une stratégie. Il ne proche par compétences accentue le ca- culture générale. Mon but n’est pas ici de
s’agit pas nécessairement d’une pratique ractère préprofessionnel de l’enseigne- procéder à un inventaire, que l’on trouve
professionnelle, ou du moins n’est-il pas ment de base et lui fasse perdre sa voca- d’ailleurs dans les référentiels de compé-
requis d’être un professionnel pour s’y tion de culture générale. Pour répondre à tences élaborés par les ministères ou les
adonner. Ainsi peut-on, en amateur, don- cette crainte, il ne suffit pas de répéter que services spécialisés. La grille du collège
ner un concert, organiser des voyages, nul ne songe à assigner à la scolarité de Alverno (Laliberté, 1995, p. 139) me sem-
animer une association, soigner un enfant, base la tâche de préparer prématurément ble donner une bonne idée de la façon de
planter des tulipes, placer de l’argent ou à des professions. Il faut aussi démontrer concilier l’approche par compétences et le
préparer un repas. Toutes ces pratiques, que former à des compétences n’équivaut souci d’une culture générale :
toutefois, admettent une forme profession-
nalisée. Ce qui n’a rien d’étrange : les Habileté à communiquer de façon efficace en émettant ou en décodant des messages trans-
métiers nouveaux naissent rarement ex mis par une variété de moyens écrits, technologiques, audiovisuels.
nihilo, ils représentent en général l’abou- Capacité d’analyse et ce qu’elle connote comme capacité de raisonner et de penser claire-
tissement d’un processus de professionna- ment.
lisation graduelle. Il est donc normal que Habileté à résoudre des problèmes, rechercher la solution à des difficultés en tenant compte
toute compétence largement reconnue des contraintes et en ménageant une place à l’intuition et à la créativité.
évoque une pratique professionnelle insti- Capacité d’entrer en interaction avec autrui dans des situations de personne à personne et
tuée, émergente ou virtuelle. Faut-il se dans des groupes de travail centrés sur l’accomplissement d’une tâche.
battre contre ce phénomène, s’appliquer Facilité à formuler des jugements de valeur et à prendre des décisions autonomes, ce qui
à définir des compétences sans aucun lien suppose que l’étudiante devienne capable de discerner des valeurs, de résoudre des conflits
de valeurs à travers un processus de prise de décision et en vienne à se donner un ensemble
avec un métier ? Je ne le crois pas. Il me de valeurs pour sa propre vie.
semble plus fécond de dégager ce par quoi
Capacité de comprendre les relations entre l’individu et son environnement, compréhension
une compétence particulière dépasse le qui débouche sur un engagement à travers lequel on assume ses responsabilités face à l’en-
métier dont elle est devenue l’emblème. vironnement.
Ce problème dépasse d’ailleurs le champ Capacité de comprendre le monde contemporain dans lequel nous vivons, avec les nombreux
scolaire et se pose à propos du travail et défis qu’il pose aux personnes et aux collectivités sur différents plans : économique, politique,
des qualifications professionnelles (Arsac social, etc.
et al. , 1994 ; Ropé et Tanguy, 1994 ; Capacité de réagir aux arts : l’étudiante d’Alverno doit notamment travailler à développer sa
Perrenoud, 1994b ; Stroobants, 1993 ; sensibilité esthétique et apprendre à percevoir, analyser, évaluer les diverses formes que peut
Trépos, 1992). prendre l’expression artistique.

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On pourrait évidemment discuter de cha- n’ont ni les ressources personnelles ni les
que élément de cette liste et mettre en aides suffisantes pour utiliser pleinement
question l’homogénéité ou la cohérence de Les connaissances sont leurs connaissances si cette utilisation n’a
la conception des compétences. Je retien- pas fait l’objet d’une formation, ou du moins
drai de cette grille l’idée fondamentale en quelque sorte les d’un entraînement.
qu’une compétence qu’on associe de
prime abord à une pratique sociale (pro- ingrédients indispensa- Quant à savoir si l’on peut confier l’inté-
fessionnelle ou non) renvoie souvent à une gration et la mobilisation des connaissan-
« famille » de situations-problèmes plus bles des compétences ces à d’autres formateurs, intervenant en
générales, mais auxquelles cette pratique aval dans le cursus, elle peut être débat-
confronte régulièrement. La grille du col- tue. Je ne vois pas, en ce qui me concerne,
lège Alverno ne désigne pas des compé- dans la résolution de problèmes com- sur qui l’école ou l’université pourraient
tences étrangères aux compétences pro- plexes. On peut d’ailleurs concevoir des compter à coup sûr dans la famille, la cité
fessionnelles ou sociales, mais des com- compétences purement disciplinaires. Ce ou le monde du travail, du moins pour une
pétences utilisables dans plusieurs sont en général celles qu’on exige d’un fraction des jeunes. Ce qui conduit Meirieu
champs de pratique. chercheur ou d’un enseignant spécialisé. et Tardif à soutenir, par exemple, que le
La transversalité totale est sans doute un désétayage ou plus globalement l’exercice
Pourquoi l’enseignement de culture géné- rêve, le rêve d’un no man’s land où l’esprit du transfert, font partie du travail régulier
rale ne préparerait-il pas à faire face à des se construirait hors de tout contenu, ou plu- de l’école, notamment pour tous les élè-
familles de problèmes, dans un sens très tôt, en n’utilisant les contenus que comme ves qui, n’étant pas des « héritiers », ne
large : il y a problème lorsque l’intention des terrains d’exercice plus ou moins fé- tiennent pas de leur famille les ressources
de l’acteur se heurte à un obstacle qu’il conds de compétences « transdiscipli- ou les appuis que l’école ne peut ou ne
n’a pas le moyen de franchir en appliquant naires ». Je ne peux ici que renvoyer aux veut leur apporter (Perrenoud, 1995).
simplement des routines ou des algo- réflexions de Marc Romainville.
rithmes, qu’il ne peut surmonter qu’en Il me semble donc évident que la scolarité
construisant une stratégie originale. générale peut et doit, autant que les for-
La tentation de s’en remettre mations professionnelles, contribuer à
à la vie construire des compétences. Ce n’est pas
Compétences et disciplines uniquement une question de motivation ou
On peut aujourd’hui, dans l’enseignement de sens, c’est une question didactique
Développer des compétences générales secondaire notamment, prétendre dispen- centrale : apprendre à expliquer un texte
oblige-t-il à renoncer aux disciplines d’en- ser des connaissances sans se soucier de avec pour seule intention d’apprendre à
seignement ? Nullement. La question est leur intégration à des compétences ou de expliquer un texte n’est pas apprendre,
plutôt de savoir à quelle conception des leur investissement dans des pratiques. sauf à des fins scolaires, parce qu’il y a
disciplines scolaires on se rattache. Il est Cette position peut se fonder : autant de façons d’expliquer ou d’interpré-
évident, on l’a dit, qu’il n’y a pas de com- ter un texte que de perspectives pragma-
pétences sans connaissances, et ces der- – soit sur l’impression que cette intégra- tiques.
nières sont pour la plupart disciplinaires, tion se fera d’elle-même une fois le
dans la mesure où la production des sa- sujet aux prises avec des situations
voirs savants, et notamment scientifiques, complexes ; Décomposer les compétences
obéit à une division du travail correspon- peut les faire disparaître…
– soit sur le refus d’assumer cette inté-
dant aux découpages disciplinaires du réel.
gration, en en renvoyant le souci à
Les connaissances sont en quelque sorte Encore faut-il que l’effort d’explication ou
d’autres formateurs, à un encadrement
les ingrédients indispensables des com- d’interprétation s’inscrive dans une inten-
par des praticiens plus expérimentés
pétences. tion de l’apprenant… L’école se contente
ou à « la vie ».
trop souvent de présupposer cette inten-
Mais le rôle des disciplines est tout aussi Ces deux raisons appellent des réfutations tion d’une part, de la réduire d’autre part à
important dans la formation des compé- distinctes. La première est tout simplement l’intention d’apprendre à expliquer ou à
tences comme capacités de mobiliser des démentie par les faits : beaucoup d’élèves interpréter des textes. On peut certes
ressources cognitives face à des situa-
tions-problèmes complexes. Toute compé-
tence de haut niveau est « transversale »
au sens où elle mobilise des connaissan- Il me semble donc évident
ces et des méthodes issues de plus d’une
discipline. Cela ne signifie pas qu’il existe que la scolarité générale peut et doit,
beaucoup de compétences complètement
indépendantes de savoirs particuliers. autant que les formations professionnelles,
L’accent mis sur les compétences trans-
versales peut, paradoxalement, nuire à contribuer à construire des compétences
l’approche par compétences, qui ne nie
pas les disciplines, mais qui les combine

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admettre qu’au niveau du collégial les étu- ROPÉ, F. et L. TANGUY, Savoirs et compéten-
RÉFÉRENCES ces. De l’usage de ces notions dans l’école
diants sont capables de voir l’intérêt de tra-
ARSAC, G., Y. CHEVALLARD, J.-L. MARTI- et l’entreprise, Paris, L’Harmattan, 1994.
vailler des éléments de compétences.
NAND et A. TIBERGHIEN (éd.), La trans- SAINT-ONGE, M., « Les objectifs pédagogi-
position didactique à l’épreuve, Grenoble, ques : pour ou contre ? » dans GOULET,
En formation générale, on peut être tenté Éditions La Pensée sauvage, 1994. J.-P. (dir.), Enseigner au collégial, Montréal,
de travailler séparément des éléments de GOULET, J.-P., « L’évaluation sommative des Association québécoise de pédagogie col-
compétences définis à un niveau élevé compétences : un “ beau ” problème » dans légiale, 1995, p. 185-205.
d’abstraction : savoir communiquer, rai- GOULET, J.-P. (dir.), Enseigner au collé-
STROOBANTS, M., Savoir-faire et compéten-
sonner, argumenter, négocier, organiser, gial, Montréal, Association québécoise de
ces au travail. Une sociologie de la fabrica-
apprendre, chercher des informations, con- pédagogie collégiale, 1995, p. 399-405.
tion des aptitudes, Bruxelles, Éditions de
duire une observation, construire une stra- HAMELINE, Daniel, Les objectifs pédagogiques l’Université de Bruxelles, 1993.
tégie, prendre ou justifier une décision sont en formation initiale et en formation conti-
nue, Paris, ESF éditeur, 1979. TARDIF, J., Pour un enseignement stratégique.
des expressions qui font sens, mais lais- L’apport de la psychologie cognitive, Mon-
sent la porte ouverte à de multiples inter- LALIBERTÉ, Jacques, « Alverno : une réforme tréal, Les Éditions Logiques, 1992.
prétations. On peut comprendre la tenta- pédagogique riche d’enseignements » dans
GOULET, J.-P. (dir.), Enseigner au collé- TARDIF, J. et al., « Le développement des com-
tion des spécialistes des programmes et pétences, cadre conceptuel pour l’enseigne-
gial, Montréal, Association québécoise de
de l’évaluation standardisée lorsqu’ils illus- pédagogie collégiale, 1995, p. 137-144. ment » dans GOULET, J.-P. (dir.), Ensei-
trent les compétences et les fractionnent gner au collégial, Montréal, Association
MEIRIEU, P., L’école, mode d’emploi, Paris, québécoise de pédagogie collégiale, 1995,
en éléments de compétences. On peut
ESF éditeur, 1989. p. 157-168.
craindre que ce soit une mauvaise pente :
une compétence est un moyen puissant PERRENOUD, P., Métier d’élève et sens du tra- TRÉPOS, J.-Y., Sociologie de la compétence
vail scolaire, Paris, ESF éditeur, 1994a.
de traiter une classe de problèmes com- professionnelle, Nancy, Presses universitai-
plexes. À trop analyser, on risque tout sim- PERRENOUD, P., La formation des ensei- res de Nancy, 1992.
plement de la perdre de vue. gnants entre théorie et pratique, Paris,
VERGNAUD, G., « La théorie des champs
L’Harmattan, 1994b.
conceptuels » dans Recherches en Didac-
PERRENOUD, P., La pédagogie à l’école des tique des Mathématiques, vol. 10, n° 23,
(À suivre) différences, Paris, ESF éditeur, 1995. p. 133-170.

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