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20123 Milano – Italia
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Texte de sir Steve Stevenson.
Illustrations de Stefano Turconi.
Cet ouvrage a initialement paru en langue italienne
aux éditions De Agostini, sous le titre
Furto alle cascate del Niagara.
© 2013 Hachette Livre, pour l’édition française.

Traduction : Anouk Filippini.


Mise en page : Julie Simoens.

Hachette Livre, 43, quai de Grenelle, 75015 Paris.


ISBN : 978-2-01-204033-5

Loi n°49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications
destinées à la jeunesse
Sur la terrasse du Baker Palace, au dernier étage, les rayons orangés du soleil
couchant frappent les vitres de l’appartement ultramoderne de Larry Mistery. Cette
lumière éblouissante masque un peu le chaos qui règne dans le studio.
Cheveux noirs ébouriffés, le jeune garçon, quatorze ans, s’active devant plusieurs
ordinateurs en même temps. Musique rock dans son casque, il chatte avec des amis,
surfe sur plusieurs pages Web simultanément et, surtout, il cherche de nouveaux
programmes pour l’EyeNet, l’appareil que lui a confié, comme à tous les élèves, sa
célèbre école de détectives privés. Avec ces logiciels innovants, il pourra regarder des
microfilms, connecter en WiFi plusieurs appareils, et modifier en temps réel
l’alignement des satellites.
— Sherlock Holmes peut aller se rhabiller ! ricane-t-il. Je vais bientôt devenir le
détective le plus célèbre de Londres !
Il pose les pieds sur son bureau, content de lui, et se balance en arrière, sur son
fauteuil dangereusement incliné. Crac ! Larry tombe soudain, le dos sur la moquette
poussiéreuse, entraînant avec lui câbles, moniteurs et ordinateurs.
À cet instant, il aperçoit une silhouette cachée derrière les plantes en pot, sur la
terrasse. C’est un homme, coiffé d’un béret marron, le visage dissimulé derrière un
gros appareil photo. Larry est alors aveuglé par une dizaine de flashs en rafale, et la
mystérieuse silhouette se sauve à toute vitesse.
— Hé ho ! Mais qui vous a donné la permission ? s’étrangle Larry.
Il n’y a qu’une seule explication : l’école le surveille. Larry saute sur ses pieds,
attrape l’EyeNet sur le bureau et fonce sur la terrasse. L’homme au béret marron dévale
l’escalier de secours.
Larry, reste calme, se dit le garçon. Tu connais les règles, non ?
Le mois dernier, il a suivi les cours de filature du professeur MP37, et il a appris
qu’il existait trois règles fondamentales :
Règle numéro 1 : ne jamais rester à découvert.
Règle numéro 2 : ne jamais perdre de vue sa proie.
Règle numéro 3 : Euh… Larry a oublié la règle numéro 3.
Je devrais étudier un peu mieux le manuel, se dit-il. Ma cousine Agatha aurait tout
archivé dans les fameuses cases de son incroyable mémoire !
Larry s’est jeté à la poursuite du photographe. Arrivé en bas de l’immeuble, il
demande au concierge s’il a vu passer un homme coiffé d’un béret marron.
— M. Martins ? demande le vieux gardien, un peu surpris. Je viens de le voir sortir.
Quoi ? se dit Larry. Mon voisin grincheux serait un espion de l’école ?
Après quelques détours dans les ruelles désertes, M. Martins entre au King’s Head,
l’un des pubs les plus chics de Londres. Larry réfléchit. Que faire : entrer ou attendre ?
Quelle est cette troisième règle, déjà ? Il s’approche de la fenêtre du pub. L’homme,
accoudé au bar, discute avec une femme qui, de toute évidence, porte un déguisement :
une perruque un peu trop blonde, un grand imperméable et des lunettes de soleil. Sans
doute un agent de l’Eye International.
C’est à cet instant précis que Larry se souvient enfin de la troisième règle : attention
à ne pas tomber dans un piège.
— C’est un guet-apens ! Je dois filer, et vite !
Au même moment, la femme et M. Martins sortent du bar. Larry se jette dans un
container à ordures. Heureusement, les deux agents passent leur chemin. Larry pousse
un soupir de soulagement et sort de sa cachette.
Ils m’ont mis à l’épreuve, mais je m’en suis bien sorti, pense-t-il en frottant ses
vêtements pleins de vieilles épluchures.
C’est alors que son EyeNet émet un petit bruit. Larry lit le message affiché sur
l’écran :
— Quoi ? Une mission urgente aux chutes du Niagara ?
Le jeune détective se précipite vers la bouche de métro la plus proche. Une chose est
sûre : sans l’aide de sa prodigieuse cousine, Agatha Mistery, il n’y arrivera pas !
Mistery House est une majestueuse résidence victorienne plantée dans un vaste
jardin, au sud de la Tamise. Les époux Mistery passent la plupart de leur temps en
voyage : en ce moment, ils sont dans la taïga finlandaise pour étudier la migration des
oies sauvages. Dans la villa, il n’y a donc que leur fille Agatha, douze ans, le
majordome, Mister Kent, et le chat, Watson.
En cette fraîche journée de fin d’automne, Agatha a décidé de répertorier les livres
de l’énorme bibliothèque familiale. Elle a commencé tôt ce matin, et elle s’active
encore, armée de son inséparable carnet.
Agatha est une lectrice infatigable : elle trouve dans les livres des informations de
toutes sortes qu’elle archive dans les nombreuses petites cases de sa mémoire et qui
peuvent toujours se révéler utiles pour une enquête.
Watson la suit, curieux, en jouant avec une pelote de laine et en se roulant avec
bonheur sur les tapis persans.
Mister Kent demande la permission de se retirer pour aller préparer le dîner, mais
Agatha a encore besoin de lui pour l’aider à attraper un traité médical, qui sera parfait
pour sa prochaine histoire. Car, comme tous les Mistery, Agatha a choisi d’exercer un
métier peu banal : elle veut devenir écrivain de romans policiers à succès ! Mister
Kent, avec sa carrure d’ancien boxeur, la hisse sans peine sur ses épaules. C’est alors
que Larry surgit dans la bibliothèque. Dans sa course, il glisse sur le tapis, et Watson,
attiré par l’odeur nauséabonde dégagée par ses vêtements, lui saute dessus. Terrorisé,
Larry s’agrippe à la jambe de Mister Kent et déséquilibre la petite pyramide humaine.
— Débarrassez-moi de ce fauve ! hurle Larry, qui
ne supporte pas Watson.
Agatha descend de son perchoir et caresse le matou.
— Larry, tu sens terriblement mauvais ! Tu as
plongé dans une décharge ?
— Euh, oui, en effet, je me suis caché dans une
poubelle. Ça sent tant que ça ? demande Larry,
embarrassé.
— Tu aurais besoin d’un bon bain. Mais laisse-moi
deviner : nous devons partir en urgence pour une
destination lointaine ?
— Tu lis dans mes pensées. Nous partons dans trois
heures, direction les chutes du Niagara.
Agatha sourit : un site qu’elle n’a jamais visité !
Mister Kent file préparer les valises.
— Les chutes du Niagara ? Côté américain ou côté
canadien ? demande Agatha.
— Euh, je ne sais pas ! avoue Larry.
— Si ma mémoire ne me trompe pas, le fleuve Niagara est à la frontière entre deux
pays : la rive ouest se trouve au Canada, et la rive est aux États-Unis.
— Tu es incroyable ! s’exclame Larry en consultant son EyeNet. Nous devons en
effet gagner New York en avion, puis prendre un vol intérieur pour Buffalo, une petite
ville américaine proche des chutes. Mais notre hôtel est du côté canadien.
— Très bien, approuve Agatha, il ne nous reste qu’à trouver un parent dans le coin !
L’arbre généalogique de la famille est un peu particulier : c’est une mappemonde,
qui mentionne la résidence, le métier et le degré de parenté de tous les Mistery
disséminés sur la planète. Agatha le consulte et trouve vite son bonheur :
— Nous avons une lointaine cousine dans la zone des Grands Lacs : Scarlett
Mistery. Je l’appelle tout de suite, son aide pourrait se révéler précieuse.
Lorsqu’elle raccroche, Agatha a l’air ravie.
— Scarlett Mistery est journaliste pour la revue Strange Tours, spécialisée dans
l’aventure et les voyages insolites. Elle va venir nous chercher à Buffalo, et elle nous
accompagnera pendant notre voyage. J’ai tellement hâte de la connaître !
Dans la limousine qui les conduit à l’aéroport, Larry parle à Agatha et à Mister Kent
de M. Martins et de sa mystérieuse complice.
— J’ai été plus malin qu’eux en me cachant, conclut-il, satisfait. Je vais avoir une
super note en filature !
À ce moment-là, Watson passe une patte à travers la cage pour attraper une épluchure
restée sur le pull de Larry. Il l’avale et pousse un miaulement aigu, content de lui.
— Étrange, cette mission… marmonne Larry.
Dans l’avion, l’hôtesse le fixe du regard en fronçant le nez, à cause de l’odeur. Le
détective tend l’EyeNet à sa cousine pour qu’elle lise le message affiché sur l’écran :
Agent LM14,
Un vol a été commis aux chutes du Niagara. La victime a préféré ne pas alerter la
police pour éviter la publicité. Vous devez vous rendre sur les lieux, démasquer le
coupable et récupérer le butin le plus vite possible.
Les détails de la mission vous seront fournis par le chef de secteur de la zone 5.

Mister Kent lève un sourcil interrogateur.


— Qu’est-ce que la zone 5, monsieur Larry ?
— Je me suis, moi aussi, posé la question, répond Larry avec un sourire de
conspirateur. Et puis j’ai réfléchi…
— Il veut parler du méridien de Greenwich, le coupe Agatha. Aux chutes du
Niagara, comme dans toute la partie est de l’Amérique du Nord, le fuseau horaire est
de cinq heures de moins par rapport à Londres. J’imagine que le secteur est désigné par
le chiffre 5.
— Exact ! Tu es toujours aussi maligne !
— Mais je ne vois pas ce qu’il y a d’étrange, ajoute Agatha.
— Écoutez ça, vous allez comprendre, répond Larry en sortant de minuscules
oreillettes sans fil. C’est le briefing du chef de secteur 5. Et vous testez en exclusivité
le nouvel équipement, connecté en WiFi à l’EyeNet !
Dans l’oreillette, ils perçoivent des bourdonnements, puis une voix déformée
entrecoupée de parasites :
« Bzzzzz… ici l’agent RM53, chef de secteur… Bzzzzz… de la zone 5. En ce
moment, je suis en pleine… Bzzzzz… mission. Je demande de l’aide pour enquêter sur
un important vol de bijoux commis aux chutes du Niagara. La victime est la cantatrice
autrichienne Helga Hoffman… qui séjourne à l’hôtel Overlook dans le cadre de sa
tournée mondiale. Son portrait détaillé… Bzzzzz… dans le dossier. »
S’ensuit un long silence. Quand la voix se fait à nouveau entendre, elle est de plus en
plus pressante.
« Bzzzzz… la ligne est très mauvaise, je dois me limiter aux informations
essentielles. Au moment du vol, entre 12 h 30 et 13 h 30, heure locale, la victime…
Bzzzzz… se produisait sur la scène de la salle du restaurant. Lorsqu’elle est retournée
dans sa chambre… Bzzzzz… le coffre-fort avait été dévalisé. Vous trouverez la liste
des bijoux volés… Bzzzzz… Bzzzzz… Bzzzzz… »
Agatha ôte son oreillette.
— Larry, on n’entend rien ! Il n’y a pas moyen de nettoyer la bande ?
— Hélas, c’est impossible.
— Pourquoi c’est aussi mauvais ? Où se trouvait l’agent quand il a appelé ?
Larry hausse les épaules et secoue la tête.

Agatha réécoute la bande en prenant des notes. À la fin, son cahier est couvert de
points d’interrogation.
— Qui est cette Mme Hoffman ?
Larry fait défiler les fichiers informatiques.
— Ici, il y a une photo et une brève bibliographie, mais je peux élargir la recherche.
— C’est une chanteuse d’opéra, l’interrompt sèchement Mister Kent. C’est même la
meilleure soprano du monde.
Le majordome est devenu tout rouge.

— Euh, je suis un admirateur, confesse-t-il en redressant son nœud papillon. J’ai


tous ses disques.
La liste des bijoux volés est impressionnante : colliers de diamants, bagues ornées
d’émeraudes et de rubis, bracelets en or…
— Par la barbe de la reine ! Quel trésor ! s’exclame Agatha.
— L’hôtel Overlook a été inauguré l’année dernière, continue Larry. Il possède une
centaine de chambres réparties sur huit étages. Avec une promenade qui longe le
bâtiment et une vue imprenable sur les chutes.
Ils se penchent sur l’EyeNet pour étudier le plan de l’hôtel. La salle de restaurant est
au rez-de-chaussée, juste sous la suite impériale d’Helga Hoffman, au premier étage.
On y accède par un double escalier majestueux, qui encadre la scène. Pour atteindre les
autres étages, il faut prendre les grands ascenseurs panoramiques placés sur les façades
du bâtiment. L’hôtel est un établissement de luxe, conçu pour attirer une clientèle aisée.
— Il n’y a qu’une seule entrée, murmure Agatha, et les sorties de secours sont
équipées d’alarmes. Le voleur est forcément passé par l’entrée principale. Il y a des
caméras de surveillance ? Elles pourraient avoir filmé les allées et venues du voleur.
— Oui, répond Larry, mais seulement à l’extérieur. Ça ne nous aide pas beaucoup.
— Au contraire ! s’exclame Agatha. Le vol a eu lieu pendant le spectacle d’Helga
Hoffman, entre 12 h 30 et 13 h 30. Il nous suffit de contrôler qui est sorti de l’hôtel
durant ce laps de temps !
Agatha consulte sa montre. Il est 23 h 30, heure de Londres.
— Bon, nous avons bien avancé. Je vais me reposer un peu.
— D’accord. Moi, je crois que je vais encore travailler toute la nuit, répond Larry
en se redressant sur son siège.
Cinq minutes plus tard, il dort profondément.
En sortant de l’avion qui les a conduits à Buffalo, ils se dirigent vers le parking
souterrain où Scarlett leur a donné rendez-vous. Agatha repère une camionnette
Volkswagen orange et crème, et presse le pas, impatiente de rencontrer sa cousine.
Celle-ci bricole à l’arrière du van. Lorsqu’elle les aperçoit, elle vient vers eux en
s’essuyant les mains sur un chiffon.
— Je contrôlais la fermeture de la portière arrière ! Ce tacot est solide et
passepartout, mais il n’est plus tout jeune !
Scarlett, environ vingt-cinq ans, est grande et mince, avec de longs cheveux blonds
qui encadrent un visage sans maquillage. On dirait une version plus âgée d’Agatha,
avec le même petit nez retroussé. Elle porte un jean pattes d’éléphant et une chemise
claire. Elle pose un bisou sur la joue de sa cousine, mais au moment d’embrasser Larry,
elle recule d’un pas.
— Par la barbe d’Abraham Lincoln ! s’exclame-t-elle, dégoûtée. Je n’ai jamais rien
senti de pareil ! Viens ici tout de suite ! J’ai des vêtements à ta taille et des lingettes qui
pourraient dégraisser un ours !
Quand Larry sort du fourgon, il est présentable. Enfin presque… Il est habillé en
cow-boy !
— Où sont tes bottes et ton ceinturon ? se moque Agatha.
La petite équipe prend place dans la camionnette. C’est un van datant des années
1960, avec du matériel entassé entre les sièges : une tente igloo, des matelas
gonflables, des chaussures de randonnée, des torches électriques, des cordes
d’escalade, un canoë avec des pagaies et une malle de vêtements. En conduisant,
Scarlett raconte ses voyages intrépides au Grand Canyon, dans les montagnes
Rocheuses et les marais de Louisiane.
— Une fois, je suis tombée en panne d’essence dans une ville fantôme du Texas.
Pour trouver une station-service, j’ai dû marcher des jours et des nuits au milieu des
vautours et des coyotes !
— Tu n’as pas peur de voyager toute seule ? demande Agatha, admirative.
— Disons que je n’ai trouvé personne d’assez courageux pour m’accompagner dans
mes reportages !
Soudain, un bruit assourdissant se fait entendre.
— Qu’est-ce qui se passe ? demande Agatha, inquiète.
— Le moteur ? suggère Mister Kent.
— Non, c’est dehors ! Un tremblement de terre ? lance Agatha en ouvrant la vitre.
Scarlett n’a pas l’air préoccupée.
— Nous sommes arrivés ! lance-t-elle joyeusement.

Sur la gauche, le fleuve se sépare en deux pour contourner une petite île, puis le
cours d’eau s’interrompt : les chutes du Niagara ! Le bruit qu’ils entendent, c’est le
rugissement de l’eau qui tombe à une hauteur vertigineuse, en soulevant un gigantesque
nuage de vapeur.
— Ça, ce sont les chutes américaines. Elles font plus de 250 mètres de large, et on
les appelle « Le voile de la mariée », explique Scarlett. Mais les chutes canadiennes,
appelées « Le fer à cheval », sont trois fois plus larges.
Les passagers du van ont le nez collé aux fenêtres, incapables de quitter des yeux ce
spectacle incroyable.
— Regardez cet arc-en-ciel ! lance Larry.
— Magnifique, murmure Agatha.
Watson saute dans les bras de Mister Kent et gratte sur la vitre comme s’il voulait
attraper les bandes colorées. Ils arrivent au Rainbow Bridge, une imposante structure
de fer qui relie les deux rives du fleuve. Au bout, il y a un poste frontière, orné du
drapeau canadien, avec sa traditionnelle feuille d’érable. Après avoir passé la douane,
Scarlett demande :

— Et maintenant, on va où ?
Il est 12 h 30 quand ils arrivent à l’hôtel. Il s’est écoulé exactement un jour depuis
que le vol a eu lieu dans la suite de la diva.
Par habitude, Scarlett tend sa carte de presse à l’agent de surveillance de l’hôtel,
mais c’est une erreur : pas de journalistes, le directeur a été très clair à ce sujet.
Pendant que Larry explique au garde à l’air mauvais qu’il est détective, Agatha raconte
en détail à sa cousine le but de leur visite aux chutes du Niagara.
— Laisse-moi vous aider, déclare finalement Scarlett. Je vais rassembler des
informations ici, dans la région. N’oublie pas que je suis une journaliste de terrain.
Quand je trouve des témoins, je sais comment les faire parler.
— Parfait ! acquiesce Agathe, enthousiaste.
Elles se mettent d’accord, et Scarlett part de son côté. Agatha rejoint Larry pour
l’informer que tout est réglé. Au même instant, un coursier de la TopExpress sort en
trombe de l’hôtel, les bras chargés d’une pyramide de paquets et de lettres. Il percute
Agatha dans un grand BANG !
— Pardon, mademoiselle, je ne vous avais pas vue ! s’excuse-t-il.
Agatha se relève et l’aide à ramasser les enveloppes avant qu’elles ne s’envolent
dans l’eau tourbillonnante de l’autre côté du parapet.
Une minute plus tard, le gorille de la sécurité laisse entrer les trois Londoniens avec
un grognement désapprobateur. En se dirigeant vers la réception, ils sont alors
interpellés par un homme à l’allure excentrique, qui surgit du restaurant.

Il porte un blazer gris avec des boutons rouges, une cravate jaune citron, des
moustaches et un petit bouc pointu qui lui donne un air de Lucifer.
— Mon nom est Bill Curtis, dit-il en s’inclinant. Je suis le propriétaire et le
directeur de l’hôtel Overlook.
— Et moi, je suis l’agent LM14 de l’Eye International, annonce Larry avec
assurance.
M. Curtis jette un regard méfiant au museau de Watson, qui pointe entre les bras de
Mister Kent.
— Soyez les bienvenus, dit-il enfin. Mme Hoffman vous attend.

La suite de la cantatrice est la plus luxueuse de l’hôtel : des coussins jusqu’aux


rideaux décorés de motifs floraux, tout y est très raffiné.
Helga Hoffman, enveloppée dans un peignoir en soie, les accueille en poussant de
grands cris.
— J’étais en train de me coiffer et de me faire un masque aux algues, je dois être
affreeeeeeeeuse !
Mister Kent, à nouveau écarlate, lui fait un baisemain et dit dans un souffle :
— Vous êtes merveilleuse, madame.
— Quel gentleman, roucoule la cantatrice. Donnez-moi un instant, et je suis à vous.
Elle disparaît dans la salle de bains tandis qu’Agatha fait le tour de la chambre à la
recherche d’indices. Elle s’arrête devant le coffre-fort, dont la traditionnelle fermeture
ronde a été remplacée par une serrure électronique.
— Parlez-moi un peu du coffre, demande-t-elle au directeur.
Celui-ci se lance alors dans un discours enflammé sur les extraordinaires
innovations de son hôtel. Tous les coffres-forts sont antieffraction et prévus pour
résister aux incendies. On les active en y insérant une carte magnétique. Le code de la
carte est modifié chaque matin par la réception pour empêcher qu’on puisse le copier.
— C’est ce que vous appelez « sécurité » ? ricane Agatha. Il suffit de voler la carte
pour ouvrir le coffre-fort !
Le directeur bondit.
— Qu’est-ce que vous insinuez ? C’est le meilleur système disponible dans le
commerce.
Agatha ne se laisse pas démonter.
— Et pour entrer dans les chambres, vous utilisez aussi un système électronique ?
— Naturellement !
— Donc, le voleur a d’abord dérobé la carte magnétique qui ouvre la porte, puis
celle du coffre-fort, constate Agatha avec un petit sourire. Et, durant le spectacle, il a
pu prendre les bijoux sans la moindre difficulté. Où gardez-vous les cartes magnétiques
? demande-t-elle à la victime.
— Dans un tiroir de ma loge, je pensais qu’elles y étaient à l’abri, répond la
cantatrice en soupirant. Mais après le spectacle, nous les avons retrouvées posées sur
le coffre.
Elle se laisse tomber dans un fauteuil, théâtrale, et ferme les yeux comme si elle était
sur le point de s’évanouir. Mister Kent se précipite avec un verre d’eau fraîche.
Pendant ce temps, Agatha et Larry sont sortis sur le balcon pour consulter à nouveau
le plan de l’hôtel sur l’EyeNet.

Larry indique une petite pièce sur l’écran :


— La loge se trouve exactement sous la scène, tout au bout d’un couloir. C’est une
espèce de cul-de-sac.
Agatha observe les chutes au-dehors. Elle se frotte le nez, comme toujours
lorsqu’elle réfléchit.
— Allons fouiller la loge, propose Larry.
— Pas la peine !
Agatha retourne d’un pas décidé dans la chambre de la cantatrice et prend une
chaise.
— Bien, mes amis, dit-elle avec un grand sourire, faisons le point sur ce qui s’est
passé…
— Le voleur est un de vos admirateurs, madame Hoffman, affirme Agatha devant
l’assemblée stupéfaite. Il est assez courant de recevoir un bouquet de fleurs ou d’autres
cadeaux avant de monter sur scène, n’est-ce pas ? Vous devez essayer de vous rappeler
tout ce qui s’est passé pendant la demi-heure qui a précédé le spectacle.
M. Curtis, le directeur, tape du poing sur la table :
— Ça suffit ! Je vous interdis de traiter mon invitée de cette manière. Vous ne voyez
pas combien elle est bouleversée ? Tout ce que vous faites, c’est nous embrouiller les
idées !
Agatha se penche en avant.
— Essayez de comprendre : le spectacle a commencé à 12 h 30, et il s’est terminé
une heure plus tard. Tout le personnel était occupé dans la salle de restaurant, y
compris votre gorille, le chef de la sécurité. Il y avait plus d’une centaine de
spectateurs, assis à table pour assister à la représentation.
— Et donc ? Je ne vois pas où vous voulez en venir.
— Vous avez bien mis deux gardes devant les loges pour les surveiller ?
Le directeur hausse les épaules, vaincu :
— Je ne sais pas comment vous avez deviné, mais vous avez raison. Ce sont les deux
meilleurs de mon équipe.
Agatha se tourne vers Mme Hoffman, qui l’écoute avec une attention grandissante.
— Personne n’est entré dans les loges pendant le concert, madame. En toute logique,
les cartes ont donc été dérobées avant, par quelqu’un qui s’est fait passer pour un
admirateur.

Mme Hoffman est impressionnée. Elle se lève et commence à marcher de long en


large dans la chambre.
— Pendant que je me préparais, j’ai reçu la visite de cinq ou six admirateurs, dit-
elle. Ils m’ont apporté un bouquet de roses, une boîte de chocolats, une bouteille de
champagne…
— Vous seriez capable de les reconnaître ? demande Mister Kent.
Elle secoue la tête d’un air désolé.
— Pour être tout à fait honnête, je souris et je signe les autographes, mais je ne
regarde pas vraiment les gens…
— Alors nous voilà revenus au point de départ, soupire Larry.
— Attendez ! lance soudain Helga. Il y avait un monsieur qui n’arrêtait pas de me
demander un air de La Bohème et qui ne voulait plus partir.
— Je m’en souviens, moi aussi ! s’exclame M. Curtis. Le spectacle allait
commencer, et j’ai été obligé de le pousser hors de la loge.
— C’était un petit bonhomme agité et tellement maladroit qu’il a fait tomber le
portemanteau…
— Je suis sûr que c’est notre homme ! s’exclame Larry. Il a détourné votre attention
pour prendre les cartes dans le tiroir.
Un frisson d’excitation parcourt tous les occupants de la chambre. Ils tiennent une
piste et se mettent à échanger des idées. Mais soudain, le directeur se fige et bafouille :
— Un rat ? Dans mon hôtel ?
En suivant son regard, tout le monde remarque Watson, affalé sur le coffre-fort, en
train de mâchouiller une touffe de poils.
— Fausse alerte ! lance Agatha, qui s’est précipitée sur le chat. Il a dû arracher ces
poils d’un vêtement de Mme Hoffman.
— Mais je n’ai aucune fourrure ! proteste la cantatrice. Je suis contre, j’ai même
participé à de nombreuses campagnes pour la protection des animaux.
Agatha retourne la touffe de poils grisâtres entre ses doigts. D’où viennent-ils ? Elle
revient vers la table et les montre aux autres.
— Si je me souviens bien, les animaux typiques du Canada sont l’aigle, l’ours et le
castor. Selon vous, ça peut venir d’un castor ?
— Impossible, répond Mister Kent après examen. C’est trop doux.
M. Curtis grimace.
— À en juger par la piètre qualité, je dirais qu’il s’agit d’un rat musqué.
Les autres le regardent d’un air abasourdi.
— Un rat musqué. C’est un gros rongeur qui vit dans les lacs et les rivières, et qui
est chassé pour sa fourrure, bien qu’elle ne soit pas très précieuse.
— Très intéressant. Et qu’est-ce qu’un morceau de fourrure de mauvaise qualité fait
dans la chambre de Mme Hoffman ? demande Agatha.
Tout le monde réfléchit, mais elle, bien sûr, a déjà sa petite idée. Elle se tourne vers
la diva.
— Vous nous avez raconté que vous aviez trouvé les cartes magnétiques posées sur
le coffre-fort, comme si le voleur avait voulu vous les rendre, ou vous prouver à quel
point il était malin. Je me trompe peut-être, mais je crois qu’il a aussi laissé ce
morceau de fourrure trouvé par Watson.
— Pourquoi ? demande Mister Kent.
— C’est peut-être sa signature, répond Agatha. J’ai lu dans les manuels de
criminologie que certains voleurs laissent un indice personnel pour augmenter leur
prestige.
Larry consulte frénétiquement les archives de l’EyeNet.
— Tu as mis dans le mille, Agatha ! Ratmusqué est le surnom d’un célèbre voleur
canadien qui a cessé ses activités criminelles. Il était spécialisé dans le vol de bijoux
et… il abandonnait sur les lieux de ses méfaits un petit morceau de fourrure pour
provoquer la police ! Le vrai nom de Ratmusqué est Rick Montpellier, et celui-ci s’est
lui-même livré à la police parce qu’il ne s’amusait plus. Il a échangé sa liberté contre
la restitution de tout ce qu’il avait volé.
Larry se gratte la tête.
— Les informations qui suivent sont classées TOP SECRET.
— Qu’importe, fiston, dit le directeur en se frottant les mains. Nous tenons le
coupable…
— C’est un rat qui aime l’opéra ! conclut Mister Kent.
Mme Hoffman éclate de rire.
— Il n’y a qu’un seul petit problème, dit Agatha. Pour l’instant, nous n’avons que des
indices, mais on ne sait pas comment notre homme est sorti. À moins que…
— Oui ?
— Quelle idiote ! Pourquoi je n’y ai pas pensé plus tôt ?
Elle tire son cousin par la manche.
— Larry, appelle Scarlett, elle va nous dire où se trouvent les bijoux et Ratmusqué.
— Désolée, dit Scarlett à l’autre bout du fil, je n’ai encore rien trouvé d’intéressant.
— Changement de programme ! répond Agatha. Pourrais-tu aller au bureau de la
TopExpress le plus proche ? Il faudra que tu sympathises avec le personnel pour
obtenir des informations sur un paquet expédié hier matin à un certain Rick
Montpellier. J’ai besoin de l’adresse.
— Pas de problème, je te rappelle !
Agatha rend l’EyeNet à Larry. Tous les regards sont tournés vers elle.
— Je crois que vous attendez des explications… remarque-t-elle avec un sourire
malin. J’ai rassemblé les différentes pièces du puzzle et j’ai compris qu’il n’y avait
qu’une seule manière de faire sortir les bijoux pendant la représentation : les glisser
dans une enveloppe, laisser celle-ci dans la boîte aux lettres de l’hôtel et utiliser le
service courrier express.
— Le garçon de la TopExpress que tu as percuté ce matin ? demande Larry.
Agatha confirme d’un signe de tête.
— En effet, ajoute le directeur, il passe tous les jours vers 12 h 30.
— Mais les caméras n’ont rien révélé ! proteste Larry.
— Les caméras n’ont rien révélé de suspect, précise M. Curtis. Nous n’avons pas
tenu compte du personnel de l’hôtel ni des fournisseurs qui vont et viennent.
Mister Kent regarde sa petite patronne avec fierté.
— Et donc, une fois le paquet contenant les bijoux emporté par le coursier,
Ratmusqué a tranquillement assisté au spectacle. Quand il est sorti, aucune caméra ne
pouvait le repérer parmi la foule.
— Génial, non ? conclut Agatha avec un clin d’œil.
— C’est vous qui êtes géniale, mademoiselle, la remercie Mme Hoffman en la
serrant contre sa volumineuse poitrine.
Cinq minutes plus tard, Scarlett rappelle avec une bonne nouvelle.
— J’ai l’adresse à laquelle a été expédié le paquet ! annonce-t-elle. Qu’est-ce qu’on
fait ?
— On y va !
Agatha, Larry et Mister Kent saluent Mme Hoffman et sortent de l’Overlook. Scarlett
les attend déjà dans le fourgon, le moteur en marche. Ils sont aussitôt rejoints par un
4x4 noir aux vitres teintées.
— Vous pensiez que je vous laisserais tout le mérite ? leur dit M. Curtis par la
fenêtre ouverte. Passez devant, on vous suit !
Le chef de la sécurité se tient au volant. Scarlett lui lance un regard de défi et appuie
sur le champignon. Ses passagers lui résument la situation.
— Le légendaire Ratmusqué ? Le voleur que personne n’a jamais réussi à attraper ?
Cette aventure s’annonce exceptionnelle ! Tiens, ajoute-t-elle en tendant une carte
routière à Agatha. Tu fais le copilote. Rick Montpellier habite le plus beau coin du
Canada : le district de Muskoka, que l’on appelle aussi « le pays des chalets » !
— J’ai lu dans mon guide que c’est une zone en pleine nature, avec des parcs, des
lacs, des îles battues par le vent, et bien d’autres merveilles encore ! s’exclame Agatha,
aux anges.
— Il nous faut combien de temps pour y arriver ? demande Larry.
— Environ quatre heures. Si tout va bien, on arrivera au cottage de Ratmusqué en fin
de journée.
En effet, le soleil se couche sur l’horizon lorsque, toujours suivis par le 4x4 ronflant
de M. Curtis, ils passent devant le panneau : « Bienvenue au Muskoka ».
Le paysage est à couper le souffle. Des forêts de chênes, de pins et d’érables
dessinent des dégradés de jaunes et de rouges. Ici et là, de jolies maisonnettes
surplombent les eaux calmes du lac.
Soudain, Scarlett donne un grand coup de frein qui fait fumer les pneus du fourgon et
oblige le 4x4 à piler lui aussi. Ils ont failli percuter un cheval et son cavalier. Et pas
n’importe lequel : c’est un garde de la police montée, de ceux qu’on appelle aussi les
tuniques rouges !
L’homme descend de son cheval, s’approche du fourgon et demande ses papiers à
Scarlett.
— Vous méritez une sanction exemplaire, mademoiselle ! Et je vais également devoir
confisquer votre véhicule, déclare l’officier en sortant son carnet de contraventions.
Juste quand ils allaient atteindre leur but ! Agatha réfléchit à toute vitesse. Mais
avant qu’elle ait eu le temps d’intervenir, M. Curtis sort de sa voiture pour discuter
avec le policier. Les autres le rejoignent.
— Vous comprenez ce que je vous dis ! C’est un voleur de bijoux ! hurle-t-il. Le
célèbre Ratmusqué !
Larry, anxieux, se ronge les ongles, tandis que Scarlett se confond en excuses auprès
d’Agatha et de Mister Kent. Seul le gorille de l’hôtel reste à l’écart, impassible
derrière ses lunettes de soleil.
— Très bien, finit par admettre l’officier. Je vais aller faire un tour au chalet pour
vérifier cette histoire. Mais si vous m’avez menti, je vous jette en prison, tous autant
que vous êtes !
Sur ces mots, il remonte en selle, dégaine son pistolet et part au petit trot.
Quand le petit groupe rejoint le policier chez Ratmusqué, il est seul, et le chalet
abandonné. Sur la table, l’officier a trouvé des feuilles et un bracelet sur lequel est
gravé « Helga Hoffman ».
— J’ai entendu de drôles de bruits à l’intérieur. Je suis entré juste à temps pour
apercevoir une silhouette qui filait par la fenêtre ouverte, un paquet sous le bras.
Agatha et Larry adressent un sourire à Scarlett : cela confirme leurs soupçons. Avec
un peu de chance, ils auront vite capturé Ratmusqué.
M. Curtis pousse un cri :
— Ce sont les plans de mon hôtel ! Et regardez ces photos : cette crapule avait tout
organisé dans les moindres détails !
Il y a en effet une série de photos montrant l’hôtel Overlook sous tous les angles.
Agatha trouve aussi des articles de journaux sur Mme Hoffman et le mode d’emploi du
coffre électronique. Voilà les preuves qui manquaient ! Mister Kent, par la fenêtre,
regarde les premières étoiles envahir le ciel.
— Mais comment va-t-on capturer ce voleur, mademoiselle Agatha ?
— Ce n’est plus votre affaire, intervient le policier. J’appelle le central, et d’ici
deux ou trois heures, des hommes auront quadrillé le territoire.
— Trois heures ? s’exclame Agatha. Vous plaisantez ? Nous ne pouvons pas laisser
un tel avantage à Ratmusqué !
— Nous avons une mission, nous allons la mener à bien, affirme Larry.
L’homme éclate de rire.
— Qu’est-ce vous croyez ? Dehors, ce sont des kilomètres de forêt. Vous pensez que
vous allez le retrouver en tâtonnant dans le noir ?
Mais Agatha a déjà sorti la carte de la région, et l’étale sur la table. Elle se frotte le
nez pour se concentrer. Elle cherche un nom qu’elle a repéré pendant le voyage. Elle se
souvient que c’est près du lac des Pins, mais où exactement ?

— Là ! s’exclame-t-elle soudain. Je parie que Ratmusqué s’est caché là. Nous allons
avoir besoin de torches électriques et de bonnes chaussures de montagne.
Ses compagnons la fixent, ébahis. Larry regarde sur la carte le point indiqué par sa
cousine. Il s’agit d’un parc national, situé au cœur des collines rocheuses.
— Réserve Dark Sky ? Mais qu’estce que c’est ?
— Bien vu ! s’exclame alors Scarlett. La réserve est un endroit sauvage sans
éclairage, idéal pour se cacher en pleine nuit car il y fait très sombre. C’est un lieu
fabuleux pour les passionnés d’astronomie, qui viennent y observer les étoiles. Et le
sentier principal passe tout près d’ici.
— Vite ! les presse Agatha. Il faut se mettre en route !
— On vient avec vous, dit M. Curtis. Nous avons appelé des renforts, mais en
attendant, hors de question de vous laisser affronter seuls ce dangereux bandit.
Le petit groupe, Scarlett en tête, se met en route sur le chemin escarpé.
Le feuillage épais des arbres et les cris des oiseaux rendent la nuit encore plus
effrayante. Plus loin, la journaliste remarque une trace de pas bien nette dans la boue.
Le chemin grimpe de plus en plus, et les arbres laissent la place à des arbustes
épineux et à des rochers pointus. Bientôt, le sentier disparaît dans une étendue de
pierres.
— Éteignez vos torches un instant, souffle Scarlett. Vous allez voir...
Au-dessus d’eux, des milliards d’étoiles illuminent le ciel.
— Je ne voudrais pas gâcher le spectacle, intervient soudain Mister Kent, mais je
crois que je viens de voir une lumière.
Il désigne un gros rocher au sommet d’une petite colline très pentue, à un kilomètre
de là. Un faisceau de lumière bouge en effet dans toutes les directions, comme si celui
qui tenait la torche était perdu.
— Laissez vos lampes éteintes, ordonne Scarlett. S’il nous voit, il va s’enfuir à
nouveau.
— Qu’est-ce qu’on fait ? demande Larry.
— On forme deux groupes, propose le policier. Un pour l’assaut frontal, l’autre pour
assurer les arrières.
Le plan est approuvé. À la faible lueur des étoiles, ils ne peuvent pas aller vite, mais
le trio formé par le gorille, le directeur de l’hôtel et le tunique rouge saute entre les
rochers avec une grande agilité.
Scarlett mène son groupe derrière la colline, où ils se cachent derrière de gros blocs
de pierre. Soudain, un coup de feu brise le silence, puis la voix de M. Curtis s’élève,
dans un flot d’exclamations incompréhensibles. Ratmusqué dévale alors la colline à
toute vitesse et disparaît dans la nuit.
— Suivons-le ! s’exclame Agatha.
Mais Larry et sa cousine avancent lentement sur le chemin rocailleux, et sont vite
dépassés par Scarlett et Mister Kent. Les deux cousins s’arrêtent dans un ravin étroit où
coule un filet d’eau.
— Et maintenant ? demande Larry. On fait quoi ?
— Que dirais-tu de retrouver Ratmusqué grâce à l’EyeNet ? Si ma mémoire est
bonne, tu m’as parlé d’aligner les satellites comme tu le veux. Si tu réussis à les diriger
sur nos coordonnées, normalement nous ne verrons plus qu’une seule source
lumineuse…
— Sa torche !
— Exactement.
Larry parvient enfin à entrer les bonnes coordonnées. Une minute passe,
interminable. Soudain, il dit d’une voix étranglée :
— Agatha, je crois que la torche est juste derrière nous.
Agatha et Larry se retournent d’un coup et sont éblouis par le faisceau lumineux. Ils
poussent un hurlement dont l’écho se répercute dans le ravin.
Le voleur s’élance vers le fond du canyon, mais Scarlett et Mister Kent l’y attendent.
Il revient vivement sur ses pas et tombe nez à nez avec le trio mené par le policier.
Celui-ci tire un coup de feu en l’air, et l’homme n’a plus qu’à se rendre. Le tunique
rouge lui passe les menottes.
Agatha et Larry se jettent dans les bras de Scarlett et de Mister Kent en s’écriant :
— On a réussi ! On a capturé l’imprenable Ratmusqué !
Il reste toutefois un petit détail à éclaircir : le voleur refuse de leur dire où il a caché
les bijoux. Ils rentrent au chalet à minuit, épuisés.
— Il faudrait peut-être prévenir Mme Hoffman, suggère Agatha.
Larry, qui s’est affalé sur un fauteuil, sort son appareil et commence à chercher le
numéro avec une lenteur exaspérante.
— Pff, je suis vraiment maladroit avec cet EyeNet, aujourd’hui !
Ratmusqué agite alors ses mains prises dans les menottes et murmure :
— RM53.
— Quoi ? demande Larry, distrait.
Agatha sursaute. RM53 ? J’ai déjà entendu ça, mais où ? Je sais ! Dans l’avion
pour New York, on parlait du chef de secteur de la zone 5, celui qui nous a fait le
briefing de la mission.
Elle observe le visage de toutes les personnes présentes. Elle revoit le film des
événements depuis le début. Soudain, elle comprend… Agatha se dirige discrètement
vers Mister Kent et lui murmure quelque chose à l’oreille. Le majordome parvient à
dissimuler son étonnement. C’est le moment de révéler qui a volé les bijoux de Mme
Hoffman.
— Je réclame toute votre attention ! annonce Agatha en se plaçant au centre de la
véranda.
Elle se frotte le nez et regarde le majordome. C’est le signal. Mister Kent, jouant de
l’effet de surprise, assomme de deux coups de poing M. Curtis et le policier. Au même
moment, Ratmusqué bondit et, d’un coup de pied, fait valser le pistolet du tunique rouge
dans le lac, par la fenêtre. Le gorille est sur le point de sauter sur le majordome avec
un hurlement de guerrier, mais Agatha, les mains en l’air, se dresse devant lui.
— Arrêtez et laissez-moi vous montrer quelque chose…
— Lui montrer quoi ? demande Larry, stupéfait.
Agatha lui fait un clin d’œil.
— La cachette des bijoux, bien sûr !
Scarlett n’a pas tout compris, mais elle décide de faire confiance à sa jeune cousine.
— Vous serez notre témoin, dit Agatha au garde du corps. Quel est votre nom, déjà ?
— Smith. Robert Smith.
— Regardez bien, monsieur Smith.
Agatha sort du chalet, s’approche du cheval du policier et ouvre la besace dans un
geste théâtral. Elle en sort un colis avec le logo de la TopExpress. Elle l’ouvre
lentement. À l’intérieur : les bijoux !
— Vous voyez, les deux complices ont été très malins, dit-elle. Ils ont préparé leur
coup pendant des mois. Ils voulaient qu’on accuse quelqu’un que tout le monde croirait
coupable, à cause de son passé de voleur.
— C’est M. Curtis qui a volé les cartes magnétiques dans la loge quand Mme
Hoffman montait sur scène ? demande Larry.
— Oui. Puis il a profité de sa liberté de mouvement dans l’hôtel pour prendre les
bijoux, les empaqueter et les expédier à cette adresse.
— Et c’est lui qui a laissé le morceau de fourrure dans la chambre de Mme Hoffman
? dit Mister Kent.
— Oui, pour nous mettre sur une fausse piste.
— Et le policier, quel était son rôle là-dedans ? interroge Larry en se grattant la tête.
— Il était de mèche avec le directeur depuis le début, répond Agatha. Il venait ici
pour récupérer les bijoux, quand il a été averti par son complice que nous arrivions.
Alors il est venu à notre rencontre. Puis il a insisté pour nous précéder au chalet.
Quand il est entré dans le cottage, il a pointé son arme sur Ratmusqué, qui a été obligé
de se sauver par la fenêtre. Dans son message, l’agent RM53 nous disait qu’il était en
mission. Je suppose qu’il a trouvé ce paquet plein de bijoux en rentrant chez lui et qu’il
se demandait quoi faire. N’est-ce pas, agent RM53 ?

Ratmusqué, alias Rick Montpellier, peut enfin parler sans risquer de se


compromettre.
— Oui. J’ai abandonné mon activité de cambrioleur depuis des années. Je suis
maintenant chef de la zone 5 pour l’Eye International. Mais ces deux voleurs de
pacotille ne pouvaient pas le savoir...
Larry a le front couvert de sueur.
— Tu… Tu es l’agent qui nous a fourni les détails de la mission ?
— Eh oui, collègue. Je suis désolé. La ligne était vraiment mauvaise quand je vous
ai fait le briefing. J’enquêtais dans un village inuit, et lorsque vous avez atterri à New
York, j’étais encore en route pour revenir ici.
Au loin, on entend les sirènes de la police.
— Alors, monsieur Smith, vous êtes prêt à témoigner ? demande Agatha.
Plus tard, Ratmusqué entraîne Larry et Agatha un peu à l’écart, sur les rives du lac.
— Vous formez une équipe formidable ! Je ne manquerai pas de tout raconter aux
plus hautes sphères de l’Eye International. Sans vous, je ne sais pas ce qui serait
arrivé…
— Oh, répond Agatha, modeste, je n’ai apporté qu’un soutien moral. Tout le mérite
revient à l’agent LM14.
Larry en a des frissons. Encore une victoire !
— Nous, les Mistery, on est imbattables !
Tôt le matin, la camionnette de Scarlett zigzague parmi les petits lacs du Muskoka.
— On devrait s’accorder une petite semaine de vacances, propose Larry. C’est le
plus beau paysage que j’aie jamais vu !
— Tu connais ta mère ! réplique Agatha. Si elle apprend que tu flemmardes au lieu
d’étudier, tu vas passer un sale quart d’heure.
— Elle est tellement prise par son shopping qu’elle ne sait même pas que je suis
parti, bougonne Larry.
— On pourrait quand même faire un petit détour par les chutes du Niagara, histoire
de saluer Mme Hoffman, suggère timidement Mister Kent.
Les deux cousins le regardent avec de grands yeux.
— Ouh ! Monsieur fait le joli cœur ! se moque Larry.
— Mme Hoffman est déjà repartie pour la suite de sa tournée, rappelle Agatha au
majordome. Mais elle a promis de venir chanter pour nous à Mistery House.
— Je viendrai pour l’occasion, dit Scarlett. Ça promet d’être inoubliable.
Soudain, la jeune fille freine, dans un endroit avec une vue magnifique sur le lac
Muskoka.
— On fait une photo souvenir ? propose-t-elle.
Ils descendent de la camionnette et prennent la pose devant les montagnes. Au même
instant, l’EyeNet émet une sonnerie stridente.
— Excusez-moi, je pense que c’est l’école. Ils veulent sans doute me féliciter !
Larry décroche en bombant le torse. Mais il change bien vite d’attitude…
— Pourquoi je ne suis pas là ? Mais… Je suis à Mistery House, avec Agatha ! Bien
sûr qu’on fait nos devoirs… Quoi, M. Martins ? Que… Dans le bar, avec la perruque
blonde, c’était toi ? Tu m’espionnes ? Mais maman, c’est ma vie privée ! Oui… Oui…
Je te passe Agatha.
Agatha prend le téléphone, en réfléchissant au meilleur moyen
de calmer sa tante.
— Larry peut dormir à la maison cette nuit ? On doit finir un
exposé sur l’histoire du Canada.
Quand elle raccroche, Agatha, Scarlett et Mister Kent sont
secoués d’un tel fou rire qu’ils ont du mal à tenir debout. Larry, lui
fulmine.
— Bon, on la fait cette photo ? C’est pas tout ça, mais on a un
avion à prendre !
Scarlett actionne à nouveau le retardateur. Un instant plus tard :
FLASH ! L’appareil immortalise trois personnes souriantes, un chat blanc qui lève
fièrement la queue, et un garçon maigre aux cheveux noirs, les épaules tombantes, qui
fait la moue. Larry Mistery, le détective qui voulait être plus fort que Sherlock Holmes,
aura aussi marqué le Canada !

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