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Revue La Licorne
Numéro 50
Le vocabulaire à...
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De ce point de vue, les « Notes sur la langue » sont pour une large part
un dialogue avec l’abbé d’Olivet, dont Louis Racine conteste, sur pièces,
les jugements.
Deux cas sont particulièrement intéressants et permettent de mesurer
les différences de méthode et d’optique entre les deux commentaires.
Le premier concerne le groupe nominal « le déplorable Oreste » 32 .
L’abbé d’Olivet commente en ces termes le tour racinien :
On dit bien, Mon sort est déplorable : mais on ne dira pas, je suis
déplorable . C’est un mot qui ne s’applique qu’aux choses ; et le
Dictionnaire de l’Académie en avertit expressément. Il y a cependant
encore trois autres endroits où Racine l’applique à des personnes, et
même dans ses dernières 33 Tragédies. Quand une faute ne se
trouve qu’une seule fois dans un Auteur, il est naturel de la croire
l’effet d’une simple inadvertance, qui ne prouve rien. Mais, si
l’expression est répétée dans des ouvrages différents, et qui ont été
faits à dix ou douze ans l’un de l’autre, cela prouve que c’était une
expression avouée par l’Auteur : et dès lors, quand il s’agit d’un
Auteur tel que Racine, il est toujours à propos d’observer quelles sont
les manières de parler, qui ont pu ne lui déplaire, quoique l’usage ne
les eût pas autorisées. 34
Lorsqu’il publie, quinze ans après les Remarques de Louis Racine, ses
Commentaires sur les œuvres de Jean Racine , Luneau de Boisjermain
prend acte du changement initié par son prédécesseur. A propos de
cette même ellipse, il écrit ainsi : « Il est certain qu’on ne peut briser
plus heureusement les entraves étroites dont la langue française
enchaîne la poésie » 39 . Nombreux sont les cas où il se contente
d’ailleurs de reprendre, en les citant explicitement ou en les plagiant,
les propos de Louis Racine. Mais s’il recourt fréquemment, lui aussi, à la
notion de licence poétique, il n’a pas la même indulgence ni, en réalité,
la même admiration pour l’écriture de Racine. On peut ainsi déceler
chez Luneau de Boisjermain deux nouveaux infléchissements dans le
commentaire de la langue racinienne : le premier concerne la langue au
sens le plus étroit du terme, et il tient dans le relevé des formes qui,
considérées au moment de la création des pièces comme des entorses
ou des libertés à l’égard du bon usage, sont passées dans la langue. Au
nombre de ces expressions « naturalisées » se trouve la construction
« Tu lui parles du cœur » 40 , à propos de laquelle Luneau de
Boisjermain écrit laconiquement : « Expression neuve et hardie, dont
Racine a embelli la langue » 41 . Le second infléchissement concerne
plus explicitement le style racinien, et il a à voir avec l’étude du lexique.
Sont ainsi pointés quelques « défauts » de l’écriture racinienne — qui
ne se confondent plus, et c’est là l’essentiel, avec des fautes de
grammaire —, au premier rang desquels une forme de familiarité ou de
« naturel » poussé jusqu’à l’excès et un usage abondant du lexique
galant et, partant, du style poétique au sens péjoratif du terme. Racine
est donc parfois trop « naturel », parfois trop peu, et il est accusé alors
de verser dans le style du madrigal.
Si l’on peut bien rapporter les emplois de « cruel » et d’« ingrat » à des
manifestations réelles de cruauté et d’ingratitude (de Pyrrhus à l’égard
d’Hermione et d’Hermione à l’égard d’Oreste), il n’en va pas de même
pour la forme « inhumaine », dont la charge hyperbolique ne se fait plus
sentir comme telle. Plus fondamentalement, les trois termes
apparaissent ici comme interchangeables, et c’est ce caractère
interchangeable qui les désigne comme vocables galants. Il n’en
demeure pas moins que, dans le contexte de la scène, ces termes
possèdent une indéniable charge affective ; mais l’essentiel tient
précisément au fait que cette charge affective réside dans le contexte
d’emploi, dans la situation d’énonciation, bien plus que dans le
sémantisme propre des adjectifs.
Si la « couleur » émotionnelle du discours d’Oreste donne ici à des
termes vidés de leur sens premier une force qu’ils n’avaient plus, c’est
ailleurs que joue, cependant, l’effet de résonance. Il touche alors au
personnage de Pyrrhus, « cruel » aux yeux d’Hermione parce qu’il a
manqué à sa promesse et qu’il ne l’aime plus, mais surtout « cruel »
véritablement, c’est-à-dire barbare et sanguinaire, au moment de la
guerre de Troie :
La Victoire, et la Nuit, plus cruelles que nous,
Nous excitaient au meurtre, et confondaient nos coups.
Mon courroux aux Vaincus ne fut que trop sévère.
Mais que ma Cruauté survive à ma Colère ? 62
Total 16 11
Notes
6. Ibid., p. 129.
7. Ibid., p. 197.
8. Ibid.
9. Ibid., p. 200.
13. Ibid., II, 2, v. 507-508 : « Mais vous-même, est-ce ainsi que vous exécutez
/ Les vœux de tant d'Etats que vous représentez ? », p. 215.
14. Ibid., I, 1, v. 51-52 : « Tu sais de quel courroux mon cœur alors épris /
Voulut, en l'oubliant, venger tous ses mépris. », p. 200. Racine tiendra compte
de la critique et corrigera, dès 1675, « venger » en « punir ».
15. Ibid., I, 2, v. 148 : « Hector tomba sous lui ; Troie expira sous vous », p.
203.
20. Ibid., I, 1, v. 65-66 : « Mais admire avec moi le Sort, dont la poursuite / Me
fait courir moi-même au piège que j'évite. », p. 201.
21. Ibid., v. 123-124 : « Mais dis-moi, de quel œil Hermione peut voir / Ses
attraits offensés, et ses yeux sans pouvoir ? », p. 202.
25. On lit ainsi dans la préface : « quelque chagrin que puissent avoir contre
moi les partisans de cette belle Pièce, de ce que je leur veux persuader qu'elle
les a trompés quand ils l'ont cru si achevée ; je soutiens qu'il faut que leur
Auteur attrape encore le secret de ne les pas tromper, pour mériter la louange
qu'ils lui ont donnée d'écrire plus parfaitement que les autres. », éd. cit., p.
259.
27. Ibid.
29. Louis Racine, Remarques sur les tragédies de Jean Racine, Amsterdam,
M.-M. Rey et Paris, Desaint et Saillant, 1752 (3 vol.), t. I, p. 8.
46. Pour une étude du style galant chez Racine, nous renvoyons à A. Viala,
« Racine galant ou l'amour au pied de la lettre », Les Cahiers de la Comédie-
Française, automne 1995, n° 17, p. 39-48.
60. Tous ces chiffres sont tirés de Ch. Bernet,op. cit., annexe II.
63. Ibid., I, 4, v. 322, p. 209. Pour de telles analyses des télescopages entre
ce qu'il nomme le « métaphorique » et l'« historique », on pourra encore se
reporter à A. Viala, art. cité, p. 45 sq .
65. Ibid., I, 1, v. 31-32 et 130 ; I, 3, v. 254 ; I, 4, v. 259 (p. 200, 202 et 207).
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