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La perception du temps musical

chez Henri Dutilleux


Collection Univers Musical
dirigée par Anne-Marie Green

La collection Univers Musical est créée pour donner la parole à tous


ceux qui produisent Qes études tant d'analyse que de synthèse
concernant le domaine musical.
Son ambition est de proposer un panorama de la recherche actuelle et de
promouvoir une ouverture musicologique nécessaire pour maintenir en
éveilla réflexion sur l'ensemble des faits musicaux contemporains ou
historiquement marqués.

Déjà parus

HACQUARD Georges, La dame de six, Germaine Tailleferre, 1998.


GUlRARD Laurent, Abandonner la musique? 1998.
BAUER-LECHNER Natalie, Mahleriana, souvenirs de GU,ftave
Mahler, 1998.
REY Xavier, NiccoLO Paganini, le romantique italien, 1999.

@ L'Harmattan, 1999
ISBN: 2-7384-7751-8
Maxime JOaS

La perception du temps musical


chez Henri Dutilleux

Préface de Jean-Yves BOSSEUR

L'Harmattan L'Harmattan Inc.


5-7, rue de l'École Polytechnique 55, rue Saint-Jacques
75005 Paris - FRANCE -
Montréal (Qc) CANADA H2Y lK9
REMERCIEMENTS

J'adresse toute ma reconnaissance à Henri Dutilleux qui m'a


accordé toute son attention et m'a fourni les renseignements
indispensables à l'élaboration de cette étude. Sans lui, cet
ouvrage n'aurait pu voir le jour.
Je remercie Jean-Yves Bosseur et Anne-Marie Green pour leurs
précieux conseils qui ont facilité la rédaction de ce travail.
Je tiens de plus à remercier les éditions Heugel, Leduc, Durand,
Amphion, Salabert, Ricordi (Milan), Jobert et Schott (Mayence)
pour leur aimable autorisation de reproduire certains extraits de
partitions, et plus particulièrement Madame Paquelet-Lussac,
qui m'a très aimablement prêté le manuscrit de The Shadows of
Time.
Que soit aussi remerciée Corinne Monceau du C.D.M.C., pour
la gentillesse de son accueil et l'aide qu'elle m'a apportée.
Je souhaite remercier en outre Bruno Plantard, Jean-François
Boukobza, Alain Louvier, Frédéric Boulard, Florian Bollot et
Jean-Philippe Bec qui m'ont fait profiter de leur savoir.
TABLE DES ABREVIATIONS

Bon. basson
Cb. contrebasse
C.D.M.C. Centre de Documentation de la Musique
Contemporaine
CI.. clarinette
CI. B. . clarinette basse
C.I.RE.M. Centre International de Recherches en
Esthétique Musicale
C.S. . contre-sujet
Cymb. Susp. cymbale suspendue
FI.. flûte
G. FI. grande flûte
Gr.C. grosse CaIsse
Htb. . hautbois
I.RC.A.M. Institut de Recherche et de Coordination
Acoustique Musique
M.C. mouvement contraire
M.D. mouvement droit
M.R. mouvement rétrograde
Pte. CI. petite clarinette
Pte. FI. petite flûte
P.U.F. . Presses Universitaires de France
R.I.M.F. Revue Internationale de Musique Française
RM.C. rétrograde du mouvement contraire
S.A.C.E.M. Société des Auteurs Compositeurs et Editeurs
de Musique
Timb. timbale
Trb. trombone
Trp. trompette
Vcl. violoncelle
VI.. violon
Xylo. xylophone
PREFACE

Pour analyser une œuvre musicale, il faut être à la fois


capable de faire preuve de rigueur et d'imagination; en effet,
une analyse ne saurait se réduire, à mon sens, à une dissection,
aussi fine soit-elle, des éléments constitutifs d'une partition ni,
bien sûr, à une description de ce qui se passe tout au long d'une
œuvre. Il s'agit avant tout de dégager des lignes de force, de
souligner les points saillants de la problématique du
compositeur. En fait, analyser est, d'une certaine manière, faire
acte d'interprétation. Cela me paraît d'autant plus vrai lorsque
l'œuvre envisagée ne consiste pas en l'application d'un système
de règles préexistant, mais suppose une approche spécifique de
la pensée compositionnelle. C'est précisément le cas avec Henri
Dutilleux, dont chaque œuvre soulève des questions
inséparables des interactions complexes entre l'instrumentation,
le matériau et son déploiement dans la durée. Cette organicité
de la pensée musicale, si difficile à traduire sous la forme de la
logique sémantique, Maxime JOaS parvient à l'exprimer avec
une profonde justesse, en mettant l'accent sur un axe
fondamental dans la démarche du compositeur, l'exploration de
la dimension temporelle, qui sous-entend chez lui une
conception tout à la fois esthétique et philosophique. Une autre
difficulté que Maxime JOaS sunnonte à la fois avec
intelligence et sensibilité est de demeurer toujours attentif à la
relation avec ce qui est perçu; en effet, l'œuvre d'Henri
Dutilleux est intensément ancrée dans le fait sonore concret, et
non pas seulement la conséquence de spéculations «sur le
papier », même si ses procédures compositionnelles s'avèrent
d'un grand raffinement. fi apparaît donc nécessaire d'étudier
dans quelle mesure la manière dont le compositeur envisage les

9
diverses propriétés du son, aussi bien au niveau mélodico-
harmonique qu'à celui des timbres et des variations
dynamiques, agit sur notre mémoire et notre appréhension de la
durée. L'œuvre d'Henri Dutilleux résiste avec bonheur et
puissance à cette domination d'une combinatoire de type
mécaniste qui a trop longtemps régné sur l'écriture musicale,
notamment au cours des années cinquante et soixante, et il
convient en conséquence de révéler, à partir de chaque cas de
figure que représentent ses partitions successives, comment se
propage le mouvement des sons dans le temps, sur quelle
modalité de progression intrinsèque elles se fondent. Certes,
pour ce faire, Maxime JOaS est nécessairement amené à traiter
séparement les diverses composantes du phénomène musical
mais, loin d'en rester là, ses analyses lui permettent de
démontrer les enjeux essentiels d'une telle démarche qui, à
partir des données techniques qu'il serait pour le moins
imprudent voire dangereux de négliger, vise la saisie de
catégories temporelles basées sur des notions aussi cruciales
pour le devenir de l'art musical que celles d'instant, de
directionnalité, de statisme et de silence. La musicologie n'étant
pas un domaine séparé d'autres disciplines de pensée, Maxime
JOaS confronte dès lors ses observations à des champs de
réflexion plus généraux, et ses références à Proust, Jankélévitch,
Bachelard ou Brelet ne peuvent que nous confirmer dans la
conviction selon laquelle l'œuvre d'Henri Dutileux, par delà les
dogmes et mots d'ordre restrictifs qui ont proliféré tout au long
de ces dernières décennies, demeure un des témoignages les
plus riches, les plus secrets aussi, de la création musicale
contemporaine.

Jean-Yves BOSSEUR

10
INTRODUCTION

Plus qu'un simple art du temps, la musique génère sa


propre durée qui est à la fois son support et sa substance même.
Certes, toute production artistique - autant la littérature que le
cinéma - est créatrice de temps, du fait que la perception d'une
œuvre est liée à la durée intime de notre conscience. La
musique a pour principale particularité de ne reposer sur aucun
référent extérieur et de ne signifier rien d'autre qu'eUe-même.
Si elle demeure à son origine un phénomène figé, représenté par
la partition, chaque acte d'interprétation propose la médiation
de cette entité qui n'était au départ contenue qu'en puissance!.
Elle est en ce sens une structure imposée au temps. Choisir
d'aborder la musique, et plus particulièrement la musique
contemporaine, sous l'aspect du temps musical n'est a priori
pas une attitude entièrement novatrice. Déjà dans ses deux
livres intitulés Le Langage musical et Dire la musique André
Boucourechliev énonce l'idée que «tout signe, tout rapport
sonore, tout événement musical, le plus petit comme le plus
spectaculaire, et surtout les infinies gradations que bornent ces
extrêmes, à la fois constituent le temps musical et se voient
déterminés par lui »2. TIest un fait que cet adage s'applique à
n'importe quelle musique, qu'elle soit de Mozart, de Brahms ou
de Ligeti. Pourquoi donc s'intéresser plus particulièrement à ce
concept dans le cadre d'une étude consacrée à l'œuvre d'Henri
Dutilleux? Tout d'abord, insistons sur le fait que dans
différents entretiens qu'il a accordés, ce compositeur insiste
régulièrement sur les rapports qui unissent sa démarche

1
Cf. BOUCOURECHLIEV, André, « Le temps musical », Dire la musique,
Paris,~erve, 1995,pp. 199-200.
2
Ibid., p. 199.

11
compositionnelle au pnnClpe générique que l'on dénomme
« temps musical».

Ce concept, apparemment bien vague, qui semble tirer


son origine des préoccupations temporelles de certains
philosophes de ce siècle - Bergson dans La Pensée et le
mouvant, Bachelard dans La Dialectique de la durée ou
L'Intuition de l'instant, Heidegger dans L'Etre et le temps ou
Les Chemins qui ne mènent nulle part, ou encore Emmanuel
Levinas dans La Mort et le temps -, sollicite l'attention des
musicologues comme Gisèle Brelet qui lui consacre en 1949 un
ouvrage entier. Ce livre a le mérite de fixer cette entité; si bien
qu'il déclenche une série d'essais sur la question (Temps et
musique d'Eric Emery, Entendre la musique et Les Ecritures du
temps de Michel Imberty etc.). Certains noms emblématiques
de ce xx.-: siècle, à l'exemple de Debussy, font l'objet
d'études qui intègrent le temps musical (Vladimir Jankélévitch
publie un ouvrage intitulé Debussy ou le mystère de l'instant,
Michel Imberty signe un article portant sur les particularités
temporelles de La Cathédrale engloutie). Enfin, des
compositeurs comme Pierre Boulez ou Karlheinz Stockhausen
font du temps musical une notion indissociable de leurs théories
compositionnelles: Pierre Boulez développe par exemple les
catégories de temps lisse et de temps strié dans Penser la
musique aujourd 'hui (catégories caractéristiques de son langage
que l'on peut élargir pour ce qui est du temps strié à des aspects
des compositions de Stravinsky ou de Varèse).
Reflet de l'érosion existentielle sur le cours des choses,
l'œuvre d'Henri Dutilleux demeure indissociable d'une
réflexion sur la perception du temps musical en ce sens qu'elle
intègre les deux notions que sont le progrès et la mémoire. Lors
d'une entrevue avec le journaliste Claude Glayman, Henri
Dutilleux s'en explique: « Si j'évoque la notion de mémoire, je
pense plutôt à tel événement sonore, parfois très bref et non
identifiable dans l'instant, qui se fixera dans l'inconscient de
l'auditeur et jouera son rôle a posteriori. [...] une œuvre ne vit
pas seulement d'éléments fugitifs, si provocants soient-ils, mais
[...] s'inscrit dans une trajectoire, cette trajectoire que l'auditeur

12
ne peut saisir totalement à la première audition» 1. Certaines de
ses compositions s'inscrivent tout particulièrement dans cette
optique; ce sont ces œuvres caractéristiques qui nous guideront
dans notre approche. Avec Métaboles (1965), c'est à une
interprétation de la nature et de ses éternelles métamorphoses
que se livre le compositeur. Dans cette œuvre qui fait intervenir
le processus de croissance progressive (terme défini dans la
troisième partie de ce présent livre), Henri Dutilleux vise à
redéfinir le principe de variation, au point de rendre
méconnaissable son matériau mélodique d'origine, et aborde
partiellement les problèmes liés à la perception d'indices
structurels par la mémoire (notons la présence d'éléments
unificateurs à la fin de chaque section de l'œuvre et d'idées
motiviques traitées sous forme de réminiscences). En outre, le
Quatuor Ainsi la nuit, créé en 1977, peut apparaître comme un
point d'ancrage. En effet, le concept de mémoire développé à
partir de Métaboles, demeure totalement maîtrisé dans cette
œuvre qui porte à son paroxysme les procédés d'anticipation, de
dérivation ou de rappel. Avec Mystère de l'instant, créé en 1989
(nous n'aborderons que ce qui concerne ses implications
esthétiques), l'approche du phénomène temporel est
reconsidérée, de telle sorte que le projet de l' œuvre consiste en
une tentative de fixation des éléments qui ne reviendront pas
par la suite. Pour reprendre une définition d'Etienne Souriau,
« l'instant prend une valeur esthétique de son caractère à la fois
irremplaçable et voué à une inéluctable disparition »2.
Cependant, et Henri Dutilleux le reconnaît, cette évanescence
des facettes de son matériau n'est pas sans induire certaines
formes de reprises qui donnent à l' œuvre son unité. Enfin, la
dernière œuvre à ce jour d'Henri Dutilleux (The Shadows of
Time), donnée en création mondiale le 9 octobre 1997 à Boston
par l'Orchestre de Seiji Ozawa, est marquée par l'empreinte de
l'inexorabilité du temps.

1
DUTILLEux, Henri (entretiens avec Claude GLAYMAN), Mystère et
mémoire des sons, Paris, Actes Sud, édition revue et augmentée, 26 novembre
1997, pp. 101-102.
2 SOURIAU, Etienne, Vocabulaire d'Esthétique, Paris, P.U.F., 1990, p. 892.

13
Tenter de cerner l'organisation du temps musical dans
l'œuvre d'Henri Dutilleux, tel est l'objet de cet ouvrage. Pour
cela, nous avons voulu éviter une présentation linéaire des
œuvres et le choix que nous avons opéré répond à plusieurs
critères: d'abord celui de ne retenir principalement qu'une
œuvre par décennie à partir de 1960; ensuite, celui d'étayer
notre réflexion esthétique par un argumentaire analytique que
nous souhaitons le plus précis possible. De ce fait, nous avons
orienté notre présentation autour de trois grands points. Le
premier découle de l'idée suivante: «la dialectique entre
Rythme, Timbre et Forme est le mode d'existence
contemporain du temps musical» 1. De cette thèse de François
Nicolas, traitée de pair avec les préoccupations temporelles
d'Olivier Messiaen que nous trouvons théorisées dans son
Traité de rythme, de couleur, et d'ornithologie, nous avons
retenu différents concepts appliquables au langage d'Henri
Dutilleux, à savoir que l'organisation temporelle de ses œuvres
peut se déduire d'une trajectoire mélodico-harmonique et
trouver sa raison d'être dans des phénomènes de structuration
de la forme par le traitement du timbre. Le second point est lié
au mode de perception de l'œuvre. Les compositions d'Henri
Dutilleux proposent plusieurs facettes du temps musical: si le
parcours de Métaboles s'inscrit dans une linéarité circulaire,
celui du Quatuor Ainsi la nuit décrit davantage un état de
statisme, de suspension (première rupture de cette linéarité);
avec Mystère de l'instant, ce sont les notions de discontinuité et
d'interruption qui sont mises en évidence. Enfin, et ce sera
notre troisième point, nous aborderons l'œuvre d'Henri
Dutilleux à la lueur de la démarche proustienne, c'est-à-dire du
point de vue de la mémoire, et nous reviendrons sur les
procédés structurels qui définissent l'évolution du matériau
musical, afin de placer l'accent sur l'organisation formelle du
discours. The Shadows of Time constituera le point
d'aboutissement de ce livre.

1
NICOLAS, François, «Visages du temps: rythme, timbre et forme»,
Entretemps, avril 1986, n° 1, p. 35.

14
PREMIERE PARTIE
Une démarche créatrice indissociable
de la perception du temps musical

DéfInissons tout d'abord le temps musical. Nous


pouvons souligner le fait qu'il n'est point la durée en musique.
Un temps peut être contracté ou dilaté sans pour autant que la
durée ne change. C'est à la fois une entité indissociable de
facteurs psycho-acoustiques (chaque auditeur a une perception
de l' œuvre en musique qui est déterminée par sa physiologie
interne, et chaque événement sonore par sa nature même, c'est-
à-dire ses particularités acoustiques, génère un certain type de
temps), mais c'est aussi un mode de déroulement du matériau
que la mémoire appréhende et reconstruit à chaque instant. Le
temps musical est donc par défInition une manière dont
l'auditeur conçoit psychologiquement le rapport d'une œuvre
musicale au temps. Si l'on compare le temps musical au temps
d'une journée, on remarque qu'ils sont toux deux saisis à petite
et à grande échelle. A petite échelle, le temps en musique est
fonction des rythmes, c'est-à-dire établit des micro-rapports de
durée, à grande échelle il est fonction de données structurelles,
formelles. Dit autrement, la perception du temps musical, en ce
qu'elle s'apparente à un acte particulier par lequel les sensations
générées par la succession des phénomènes organisés dans le
discours sont ressenties et interprétées, est conditionnée par les
interactions qui existent entre les différents paramètres sonores.
Il est intéressant de constater que le langage d'Henri
Dutilleux trouve sa raison d'être dans une profonde cohérence
concernant l'organisation de ces paramètres. Celui-ci focalise
davantage son attention sur trois aspects fondamentaux de la
logique musicale: le rapport qui existe entre les pôles
mélodico-harmoniques et les fIgures rythmiques; les relations

15
qui existent entre le paramètre du timbre et la perception de la
forme; les types de traduction du mouvement (c'est-à-dire les
variations de débit temporel ou les phases de paroxysme). Nous
allons démontrer comment chacun de ces traitements, incarné
dans les épisodes de Métaboles, Ainsi la nuit ou même The
Shadows of Time, apparaît comme un vecteur de temporalité.
Portons d'abord notre attention sur Métaboles, divisée en cinq
séquences - « Incantatoire », « Linéaire », « Obsessionnel »,
« Torpide» et « Flamboyant» -qui peuvent définir un modèle
de temps « mélodico-harmonique ».

16
PREMIER CHAPITRE
Une appréhension du temps en fonction
des hauteurs et des durées

1.1 Temps mélodico-harmonique

L'observation de l'organisation des hauteurs dans


l'œuvre d'Henri Dutilleux, c'est-à-dire le langage mélodico-
harmonique, est à l'origine d'une première problématique du
temps musical.

1.11 Interactions mélodico-harmoniques

Appréhender les caractéristiques du soubassement


harmonique de l'épisode « Incantatoire», c'est remarquer les
liens qui existent entre les impacts de certains agrégats
générateurs du début de l' œuvre et certaines phases mélodiques
aux fonctions ornementales, de nature souvent transitoire. En
effet, nous pouvons considérer que le travail mélodico-
harmonique de cet épisode repose sur quatre phénomènes
distincts: la présentation d'une suite d'accords' (exemple 1);
l'évolution de ce soubassement; les incidences de ces accords
sur des réseaux motiviques; les influences de l'évolution
mélodique sur le matériau harmonique.

Présentation mélodico-harmonique

. '"'
f;'
. ........-
I I Il I I Il I I2 I3 I

~ Reproduit avec l'aimable autorisation de Heugel S.A. Paris.

1
Accords et agrégats ont dans ce cas une valeur synonyme.
2
Les instruments transpositeurs seront notés en sons réels au cours de ce livre.

17
Ces accords de base sont complétés au début de l'œuvre par des
impacts appoggiaturés des cordes accompagnées du xylophone,
du célesta et de la harpe. Ceux-ci font entendre des doublures
enrichies et des résonances complexes qui ont la valeur de
réseaux sonores projetés. Cette assise harmonique est également
renforcée par une pédale sur mi qui confinne la polarité de cette
note. Donnée aux contrebasses, celle-ci s'interrompt lors des
impacts des autres pupitres de cordes dans la première page.
Prolongée lors d'une première phase d'augmentation, elle
préfigure une section d'émancipation de l'accord I. La
caractéristique principale de la pédale dans la première page est
d'établir un rapport de durées. En effet, la toute première durée
de cette pédale, présentée dans l'exemple 2, correspond
quasiment à deux mesures. La deuxième durée équivaut à la
première sans la ronde de départ. Ce procédé d'élimination
rythmique se prolonge au début de la seconde page. La valeur
restante est équivalente à la durée suivante (exemple 2).

EX.2 : ibid., mesures 1-4 et 6, pp. 1-2, pédale de mi, Ch.

Première durée Deuxième durée Troisième durée


I
~;
~
---
m~, '-"~
~' ~
.._~
<ôReproduit avec l'aimable autorisation de Heugel S.A. Paris.

Evolution du soubassement harmonique

L'évolution du schéma harmonique que proposent les


bois est liée, tout d'abord, à certaines mutations motiviques
(associations ou permutations), ce qui n'est pas sans avoir
certaines incidences sur l'orchestration. La perte des petites
flûtes et des clarinettes au début de la deuxième page, est en
effet associée à un changement harmonique présenté en
exemple 3 (11 est présenté sans la note fa).

18
Ex.3 : ibid, mesure 6, p. 2" Il' (sans lefa).

~: "
... '-' '-

o Reproduit avec l'aimable autorisation de Heugel S.A. Paris.

Cette évolution s'incarne ensuite dans l'agrégat (ou


accord complexe) proposé par le pupitre des cordes à la page 4,
peu après le chiffre 1. Renforcé par les cors qui apparaissent
pour la première fois, cet agrégat demeure la synthèse de 1 et de
Il. En effet, il est constitué des deux éléments harmoniques de
base donnés conjointement (exemple 4).

EX.4 : ibid., chiffre 1 (mesure 4), p. 4, co~des.


~ t ~) il. ~ ,

~f b ;-
I + Il accord complexe

o Reproduit avec l'aimable autorisation de Heugel SA Paris.

D'une présentation qui était axée autour de deux accords


complémentaires, c'est-à-dire un pivot harmonique et un
élément de nature ornementale, nous obtenons une interférence
harmonique où le réseau ornemental se superpose à la pédale
polarisante, c'est-à-dire l'axe harmonique principal.
Troisième illustration de l'altération du soubassement
harmonique, la section qui s'étend du chiffre 3 au chiffre 5 non
compris propose une série d'agrégats qui apparaissent comme
des permutations enrichies des quatre harmonies génératrices.
En effet, la première mesure du chiffre 3 fait entendre un
double impact constitué d'une harmonie 14et de sa résonance
14'. Donné par tout l'orchestre, excepté les cors et la trompette,
structuré autour du profil mélodique de départ, cet agrégat est la
synthèse déformée de Il (cf infra, exemple 5). La mesure

19
suivante est un condensé du matériau harmonique des accords
12 (do, fa, sib) et 13 (fa# et so/#), enrichi par quelques notes
« étrangères». La résonance 15' de cet impact noté 15 est
essentiellement construite sur la base de 12. Cependant, les
quatre notes qui caractérisent 12 (do, fa, sib et mi) sont ici
agencées différemment (cf infta, exemple 6). Ces nouveaux
complexes quelque peu différents de ceux de la première page
constituent de nouveaux soubassements harmoniques qui
serviront à leur tour de modèles harmoniques. Le réseau
d'impacts de plus en plus resserré au chiffre 4 est élaboré autour
d'harmonies qui se rejoignent (cf. infta, exemple 7).

Ex. 5 : ibid., mesure 2, p. 1, cordes, célesta. Ibid., chiffre 3, p. 7.

.
~L

)~
'-"'
v'

Il (cordes) Pentacorde 14'


par tons

EX.6 : ibid, chiffre 3 (mesure 2), p. 7.


.1 t~ ! ~~...
';::
J .
"'11= 9 ~_...... \ ...
~-

of'

IS IS' (cf. 12)

(C)Reproduit avec l'aimable autorisation de Heugel SA Paris.

20
.
16 16' 17 IT 18 18' 19 19'

~ Reproduit avec l'aimable autorisation de Heugel SA Paris.

Si l'accord 19 est constitué de la plupart des notes de 16' (dans


un autre renversement), l'agrégat 18, très proche de l'hexacorde
IT, demeure la transposition de 16. Ainsi, tous ces agrégats
apparemment complexes, aux évolutions très progressives par
adjonction de notes «étrangères» qui troublent la perception
d'entités communes, tirent leur physionomie d'un matériau
restreint et, par défInition, unitaire. EnfIn, la mesure qui précède
le chiffre 5 fait entendre un glissement harmonique dont la
principale caractéristique est d'être fondé sur un même accord
(double tétracorde), d'abord transposé au demi-ton, puis au ton.
Les notes des hautbois ne respectent toutefois pas le
mouvement général, mais proposent un intervalle de septième,
entendu précédemment à la trompette (exemple 8).

Ex. 8 : ibid, chiffre 4 (mesure 5), p. 10.


.::: r-
,...
,... -- *f': ~ ~
. . --
.
. ...--
~ ;:::.....
~ Reproduit avec l'aimable autorisation de Heugel SA Paris.

Cette évolution de proche en proche, dont le matériau


mélodique peut servir de modèle, trouve sa source dans la
dialectique du même et du semblable, propre à toute évolution
progressive. En effet, l'altération, au sens de transformation,
des éléments motiviques du départ jusqu'à la section

21
ornementale sert de fondement à la modification de tous les
autres paramètres.

Incidences de l 'harmonie sur les réseaux motiviques

C'est au chiffre 1 d'« Incantatoire» que nous pouvons


noter la première caractérisation des connections entre le
matériau harmonique et l'intervention de cellules motiviques.
Ces dernières sont en effet construites sur la projection en
diminution des agrégats de base, dont la pédale, traitée
conjointement, est l'illustration (les cordes, qui universalisent
l'impression de stabilité harmonique, présentent la
configuration proposée au départ par les vents). Le matériau
motivique, constitué par ces cellules ornementales qui se
fondent sur la démultiplication de la résonance de ces
harmonies, se focalise sur le timbre de clarinette qui avait été
abandonné temporairement. Si ce travail de projection est lui-
même soumis à un procédé d'accélération rythmique
(septuolets, triples croches), le principal intérêt de cette page
réside dans l'émergence d'un processus mélodique fondé sur la
combinaison des accords I et Il (exemple 9).

EX.9 : ibid, chiffre 1, p. 3, première clarinette.


- --6J. t.
<h.J.

,t ",~
~~ .~

iDReproduit avec l'aimable autorisation de Heugel SA Paris.

En quelque sorte, cette démultiplication de la résonance des


accords premiers apparaît comme l'écho de la décomposition
d'un son et de l'émergence de ses harmoniques. De plus, la
deuxième clarinette fait entendre des trémolos sur les notes ré-
fa# qui constituent la base de l'accord I. Cette oscillation du
timbre permet l'entretien des sons tenus à la première clarinette.
On constate alors, grâce à ce procédé acoustique, un
enrichissement du spectre formé. En outre, la note do, jouée à la
première clarinette, étrangère à l'harmonie qui se dégage, est

22
traitée très justement comme une appoggiature. Dans la
deuxième cellule, elle disparaît au profit de l'affinnation du sib
comme dominante du mi (si l'on s'inscrit dans la perspective
bartokienne). Alors que ce phénomène est également
perceptible dans The Shadows of Time (le sol# et le do#
affmnés dans l'œuvre ont la même fonction), le contexte est
sensiblement différent dans l' œuvre intitulée Timbres, Espace,
Mouvement. Si la première partie s'achève sur un ré, tandis que
l'œuvre se termine par l'affinnation du la#, les événements
sonores se nouent autour d'un son pivot, le sol#, qui parcourt la
composition. Les fusées interprétées par la petite harmonie à la
page 4 d'« Incantatoire» font entendre les douze sons du total
chromatique. Raphaël Brunner! y voit la présence d'une série,
ce qui ne nous semble pas être le cas. La technique utilisée par
Henri Dutilleux est toujours fondée sur la projection des notes
des harmonies principales, si bien que la transformation
motivique de cette page est due à une expansion interne de la
cellule ornementale. Effectivement, les notes égrenées par les
flûtes appartiennent autant aux accords I et Il qu'aux accords 12
et I3 (exemple 10).
~.
Ex. 10 : ibid.; chime 1 (mesure 4), p. 4, flûtes. t" ,

~
i i'
~ -b --- "--"-
o Reproduitavec l'aimable autorisation de Heugel SA Paris.

Ce déploiement apparaît comme une mixture enrichie (en


référence aux jeux d'orgue) de l'accord complexe des cordes
présenté au même moment. Ainsi, la pédale omniprésente,
enrichie par ce procédé de contamination, gagne en intensité.
Ce phénomène de projection mélodique est à l'origine
d'une multiplication de strates motiviques. En effet, au chime 2
d'« Incantatoire », c'est-à-dire la première section ornementale

1 Cf. BRUNNER,Raphaël, « Les Métaboles pour orchestre: déconstruireun


texte musical», Revue musicale de la Suisse romande, septembre 1994, n° 3,
p. 11.

23
(la seconde étant présentée au chiffre 6), Henri Dutilleux
élabore un discours caractérisé par des strates constituées de
fusées aux flûtes, tour à tour en mouvement droit et en
mouvement rétrograde qui alternent avec la présence du triton
(traité comme une figure d'appel), ainsi qu'avec la formule de
première clarinette, qui reproduit le do en appoggiature,
associée aux trémolos de la deuxième clarinette (exemple Il).
Le cor anglais, qui apparaît peu avant le chiffre 2, fait entendre
une figure qui est essentiellement tirée de l'accord 13
(exemple 12).

Ex.ll : ibid, chiffre 2, p. 5, clarinette basse, petites flûtes


petite clarinette (triton: figure d'appel). 1_ r.:-
I I.L "--\r-
-!:.t : ~ ..~! I ~ +J.. ~h1t+~~..;

'-~ '-,---
Ex. 12 : ibid., chiffre 1 (mesure 6), p. 4, cor anglais.

.
~~
~~
({:)Reproduit avec l'aimable autorisation de Heugel SA Paris.

Cette figure est le reflet d'une exploitation motivique


progressive. En effet, Henri Dutilleux présente les notes
constituantes de ces accords au fur et à mesure du déroulement
du discours, ce qui implique l'existence de mixtures organisées
autour de différents accords tuilés. Si les strates sont au départ
relativement différenciées, elles tendent à s'enchevêtrer peu
avant le chiffre 3. Par ailleurs, les différents modules
motiviques subissent des répétitions internes, ce qui donne
l'aspect d'une fragmentation mélodique. Les strates, au nombre
de trois, impliquent trois systèmes de perception pour
l'auditeur. En effet, sont traitées ensemble les projections
d'accords en mouvement contraires, la tête du matériau
motivique principal, c'est-à-dire le triton, enfin le champ
harmonique constitué des trémolos et de la pédale. Ce discours

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ininterrompu (du fait des relais et des tuilages), bien que
fi'agmenté, crée une tension dynamique fondée également sur
l'accélération rythmique!.

Le système mélodico-harmonique de «Torpide»


s'apparente à la synthèse des deux modes de transformations
qui viennent d'être démontrés, respectivement un mode de
transformation harmonique par adjonction d'appoggiatures -
qui correspond à la troisième section d' « Incantatoire» - et un
mode de gestion mélodique par projection, représenté par la
deuxième section. En effet, «Torpide », qui repose sur un
agrégat de six sons formés par le so/# du trombone et les notes
en harmoniques du quintette à cordes (exemple l3a et cf infi'a,
annexe 1), fait entendre certaines phases ornementales
comparables à celles d'« Incantatoire », c'est-à-dire fondées sur
le principe de projection d'un accord, deuxième mode de
transformation du matériau de départ (exemple 13b).

Ex. l3a: Métabo/es, « Torpide », chiffre 32 (mesure 10), p. 50,


contrebasses, trombone.
t(~1
~
..
f:,
/fi .
Accord de SIXsons

Ex. l3b: ibid, chiffre 33 (mesure 2), p. 51, clarinette basse.

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~.!"
4~~ -,
...
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1

~ Reproduit avec l'aimable autorisation de Heugel SA Paris.

1 Cf. DUTILLEUX, Henri, Métaboles, Paris, Heugel (Représentation


Exclusivepour le MondeEntier, A. Leduc), 1967,p. 6.

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