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(Requête no 52797/08)
ARRÊT
STRASBOURG
20 février 2018
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 52797/08) dirigée
contre la République de Turquie et dont deux ressortissants de cet État,
M. Mehmet Günay et Mme Güllü Günay (« les requérants »), ont saisi la
Cour le 13 octobre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la
Convention »).
2. Les requérants ont été représentés par Me T. Ürün, avocat à Ankara.
Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. Les requérants se plaignaient d’une violation des articles 2 et 6 de la
Convention en raison des circonstances entourant le décès de leur fille et de
l’absence d’une réaction judiciaire adéquate.
4. Le 25 août 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
5. Les requérants sont tous deux nés en 1969 et résident à Bartın.
6. Le 15 septembre 2000, à 10 h 30, la fille des requérants, Nilay Günay,
alors âgée de 6 ans, subit une opération de tonsillectomie1 à l’hôpital civil
de Bartın. Elle se réveilla aux alentours de midi de l’anesthésie pratiquée
pour l’opération. Dans les heures qui suivirent, elle vomit deux fois de suite,
symptôme que les médecins considérèrent comme étant normal. Toutefois,
durant la soirée du même jour, son état de santé se détériora et, à 21 h 50,
elle souffrit de crises épileptiques. Malgré les diverses interventions
EN DROIT
17. Les requérants allèguent que les circonstances du décès de leur fille
ont emporté violation de l’article 2 de la Convention et que la procédure
devant les tribunaux internes n’a pas été à même d’identifier les
responsables de son décès, en méconnaissance de l’article 13.
18. Le Gouvernement conteste cette thèse.
19. La Cour estime qu’il convient d’examiner sous l’angle des volets
tant matériel que procédural de l’article 2 de la Convention les griefs ainsi
formulés par les requérants, étant entendu que, maîtresse de la qualification
juridique des faits de la cause, elle n’est pas liée par celle que leur attribuent
les requérants ou les gouvernements (Eugenia Lazăr c. Roumanie,
no 32146/05, § 60, 16 février 2010). Dans sa partie pertinente en l’espèce,
cette disposition se lit ainsi :
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. (...) »
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
22. La Cour rappelle que la première phrase de l’article 2, qui se place
parmi les articles primordiaux de la Convention en ce qu’il consacre l’une
des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le
Conseil de l’Europe (voir par exemple McCann et autres c. Royaume-Uni,
27 septembre 1995, § 147, série A no 324), impose à l’État l’obligation non
4 ARRÊT MEHMET GÜNAY ET GÜLLÜ GÜNAY c. TURQUIE
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai
raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et
obligations de caractère civil (...) »
34. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours
internes et soutient que, lorsqu’il est question d’une méconnaissance du
droit à un délai raisonnable de jugement, le droit interne offre aux
justiciables la possibilité d’obtenir réparation du dommage causé par le
fonctionnement défectueux du service public de la justice par une action de
plein contentieux devant les tribunaux administratifs.
35. À titre liminaire, la Cour observe que bien que le Gouvernement ait
été appelé à répondre à la question de savoir si la durée de la procédure
devant les tribunaux internes a emporté violation des articles 6 et 13 de la
Convention, il ressort de l’examen du dossier que les requérants n’ont pas
soulevé sur ce point l’article 13, même en substance. Il s’ensuit qu’aucune
question ne se pose sous l’angle de cette disposition. La Cour examinera
donc ce grief uniquement sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention.
36. Elle rappelle avoir déjà conclu à l’absence en droit interne, à
l’époque pertinente, d’un recours qui eût permis à un requérant d’obtenir la
sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable au
sens de l’article 6 § 1 de la Convention (Daneshpayeh c. Turquie,
no 21086/04, § 37, 16 juillet 2009, et Ümmühan Kaplan c. Turquie,
no 24240/07, § 58, 20 mars 2012). Elle ne voit aucune raison de s’écarter de
ce raisonnement en l’espèce et estime que cette exception du Gouvernement
ne saurait être retenue.
37. Par ailleurs, la Cour rappelle qu’un nouveau recours en
indemnisation concernant les griefs relatifs à la longueur des procédures a
été instauré en Turquie à la suite de l’application de la procédure de l’arrêt
pilote dans l’affaire Ümmühan Kaplan (précitée). Elle a considéré que ce
nouveau recours était a priori accessible et susceptible d’offrir des
perspectives raisonnables de redressement des griefs relatifs à la durée de la
procédure, avant de déclarer irrecevable un tel grief (Turgut et autres
c. Turquie (déc.), no 4860/09, 26 mars 2013).
38. La Cour rappelle toutefois que, dans son arrêt pilote Ümmühan
Kaplan, elle a précisé notamment qu’elle pourrait poursuivre, par la voie de
la procédure normale, l’examen des griefs similaires déjà communiqués au
Gouvernement.
39. À lumière de ce qui précède, la Cour décide de poursuivre l’examen
du grief relatif à la durée de la procédure d’indemnisation dans la présente
requête. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens
de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif
d’irrecevabilité, elle le déclare recevable.
40. La Cour relève que, en l’espèce, la procédure administrative a débuté
par une demande préalable d’indemnisation introduite devant
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A. Dommage
47. Les requérants réclament 100 000 euros (EUR) au titre du préjudice
moral qu’ils estiment avoir subi.
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B. Frais et dépens
50. Les requérants demandent également 5 000 EUR pour les frais et
dépens qu’ils disent avoir engagés devant les juridictions internes et devant
la Cour.
51. Le Gouvernement conteste cette somme.
52. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent
établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En
l’espèce, cette somme correspond aux frais de la procédure engagée devant
les tribunaux internes et pour laquelle ils présentent un certain nombre de
justificatifs. Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa
jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR tous frais
confondus et l’accorde conjointement aux requérants.
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser conjointement aux requérants, dans
les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif
conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes,
à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la
date du règlement :
i. 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû
à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii. 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû par
les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
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