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Kuksewicz Zdzislaw. Gilles d'Orléans était-il averroïste?. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome 88, n°77,
1990. pp. 5-24;
http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1990_num_88_77_6611
Abstract
Giles of Orleans is generally considered to be an Averroist. However, an examination of his
Quaestiones super De generatione undermines this view: the A. analyses the solutions proposed by
Giles to the problems of the eternity of the world in the past (and of creation), and the problems of the
intellect and of determinism. Giles does not defend Averroist theses in any of these matters. In
conclusion none of the three characteristics of an Averroist text is to be found in these Quaestiones:
Averroes does not appear as a major source; the typical Averroist theses are rejected; the solutions
proposed always respect Christian orthodoxy. In other words, Giles is not an Averroist in this text.
(Transl. by J. Dudley).
Gilles d'Orléans était-il averroïste?
* * *
L'éternité du monde
Trois quaestiones ont trait au problème de l'éternité du monde. La
première (q.26) analyse la thèse d'après laquelle une cause immuable
produit toujours le même effet. La deuxième (q. 29) traite du
mouvement éternel des corps célestes. La troisième (q. 30) étudie la génération.
D'après la tradition averroïste, les quaestiones qui proposaient des
thèses contraires à la foi étaient déterminées conformément aux vues
d'Aristote et d'Averroès, mais presque toujours les auteurs ajoutaient
une brève remarque assurant que la vérité est de côté de la foi. Compte
tenu de cette tradition, examinons la structure et le mode d'analyse
propres aux trois quaestiones mentionnées.
La q. 26, Utrum hoc est xerum quod idem manens idem semper et
simpliciter se habens natum est facere idem (ff. 35vb-36ra), est déterminée
causa et causatum. (...) Et hoc probat sic: Quia si agens non facit aliud
nisi extrahit illud quod est in potentia ad actum, modo, quia in
substantiis separatis non est aliqua potentia passiva, quia sunt puri
actus, ideo etc. (f. 36ra).
Commentator vult quod prima causa sit solum causa efficiens motum,
et non est causa efficiens vel effectiva alicuius substantiae separatae,
quia ex quo substantiae separatae non possunt non esse, ideo ad hoc ut
sint, non indigent aliqua causa efficiente cum sint aetemae (Ibidem,
f. 36ra).
Gilles répond:
Cum enim dicit quod in substantiis separatis non est agens, quia agens
trahit illud quod est in potentia ad actum et in ipsis non est potentia,
dicendum quod in ipsis est aliqua potentia. Verum enim est quod in
ipsis non est aliqua potentia passiva quae fundetur in aliqua materia
praeiacente ex qua intelligentiae producuntur, et de tali potentia arguit
Commentator. Tamen in ipsis est potentia agentis, quia intelligentiae
antequam essent actu productae, erant in potentia productiva agentis,
et ita ibi est agens producens ipsas ex nihilo, ut iam ostensum est
(Ibidem).
La position défendue ici par Gilles est parfaitement orthodoxe : les
substances séparées sont créées par Dieu ex nihilo (c'est-à-dire sans
matière préexistante) ; elles préexistent donc dans la puissance du
Créateur. Mais pour mieux répondre à l'objection d'Averroès, Gilles emploie
une formule inexacte, comme si la puissance divine était «dans les
Intelligences»: in ipsis est potentia agentis. Il est clair que la puissance
divine n'est pas dans ses effets. De plus, c'est une puissance purement
active, alors qu'Averroès parle de puissance passive ou réceptive.
L'argument de S. Thomas se rapporte à une thèse un peu différente
de celle de Gilles d'Orléans: «Restât igitur videre utrum possibile sit
aliquid fieri quod semper fuerit». Thomas répond: «Primo modo posset
dici antequam angélus sit factus 'Non potest angélus fieri', quia non
preexistit ad eius esse aliqua potentia passiva, cum non sit factus ex
materia preiacente; tamen Deus poterat facere angelum, poterat etiam
facere ut angélus fieret, quia fecit et factus est» (De aeternitate mundi,
dans: Opera, Ed. Leonina, t. 43, p. 85, 30-35).
La q. 29, la seule déterminée d'abord d'après Aristote, offre un
exposé supplémentaire du problème de l'éternité des Intelligences. Selon
Aristote, non seulement les Intelligences, mais également les
mouvements des corps célestes sont éternels. La preuve de cette thèse s'appuie
sur l'impossibilité d'un changement dans la Cause première: si le
Gilles d'Orléans était-il averroïste? 11
nullum agens potest ex nihilo aliquid producere nisi sit virtutis infinitae.
Sed nulla intelligentia est virtutis infinitae. Ergo nulla potest ex nihilo
aliquid producere, sed hoc solum competit primae causae proprie
{Ibidem, f. 36ra).
Ce raisonnement, notons-le, ne prouve pas que le monde est
effectivement créé ex nihilo par Dieu. Il démontre plutôt que, «si le
monde est créé, il ne peut l'être que par Dieu»; de plus, cet argument se
sert d'une prémisse non prouvée en attribuant à Dieu une virtus infinita.
En admettant que le monde soit créé par Dieu, une question
difficile se pose: le monde a-t-il été créé ab aeterno ou dans le temps?
Thomas d'Aquin, comme on le sait, admettait la création «dans le
temps», mais considérait que cette thèse ne peut pas être prouvée d'une
manière rationnelle. Gilles d'Orléans, plus optimiste, est d'un autre avis.
Dans la quaestio 30, il pose le problème de la creatio de novo et le résout
sur le plan philosophique en discutant l'opinion opposée à la sienne.
D'après certains philosophes, dit-il, le monde est créé par Dieu, mais il
est créé «dans l'éternité», et ils donnent deux preuves: l'une démontre
la création du monde, l'autre la création ab aeterno. La première est
acceptée par notre auteur. Cette preuve est fondée sur l'impossibilité
d'une infinité de causes: il est donc nécessaire d'admettre la création
ex nihilo, et non pas une production à partir de quelque matière
préexistante. Remarquons toutefois que Gilles ne cite pas d'argument
de ces philosophes prouvant une création éternelle:
Unde etiam philosophi bene ponunt aliquid de novo creari a deo, idest
quod aliquid fiat non ex aliquo subiecto praesupposito, quia aliter esset
procedere in infinitum in materiis, quod est contra Philosophum, qui
vult in 2 Metaphysicae quod in nullo genere causarum sit procedere in
infinitum. (...) Et in hoc ipsi non diversificantur a lege nee a fide
nostra. Sed ipsi diversificantur a nobis in hoc, quia ipsi ponebant quod
illud taie, quod sic de novo est factum, esset aeternum et non de novo
factum {Ibidem, f. 36va).
La preuve principale de la création éternelle avancée par ces
philosophes est cependant citée par la suite et Gilles la réfute au moyen
d'une argumentation prouvant la création dans le temps. Cette preuve
rejetée par notre auteur dit ceci: la Cause première est la cause
suffisante de la création du monde, elle est éternelle et elle «n'attend»
aucun changement futur qui lui permette d'agir; par conséquent, son
effet existe ab aeterno, exactement comme existe la cause elle-même.
Selon Gilles, cependant, cette argumentation vaut uniquement pour les
Gilles d'Orléans était-il averroïste? 15
agents naturels de ce monde, mais pas pour Dieu. Déjà employé par
Siger de Brabant et Boèce de Dacie, l'argument principal de Gilles se
fonde sur le concept de «la forme de la volonté divine». Dieu agit, dit-il,
par sa volonté et par la «forme» de cette volonté. Or la forme de sa
volonté est que Dieu a voulu «de toute éternité» que le monde soit créé
à un moment donné. Par conséquent, le monde a été créé à un moment
donné sans aucun changement dans la volonté du Créateur, puisque
cette «décision» était depuis toujours la forme de sa volonté.
Sed quomodo solvetur ista ratio quia, existente causa sufficiente et ab
aeterno habente in se totum illud propter quod débet esse causa, ab
aeterno nihil expectante illius in futuro, videtur quod necessario débet
esse effectus istius causae ab aeterno. Modo deus est ab aeterno et est
causa sufficiens productionis mundi. Nefas enim esset dicere quod deus
est causa sufficiens creationis mundi, et tamen <non> haberet in se
totum illud ratione cuius débet esse talis causa, et nihil expectaret illius
in futuro. Ergo ab aeterno motum creavit, et mundum, et generatio-
nem. Et ista fuit ratio supra qua fundaverunt se philosophi.
Certe oportet negare istam propositionem, scilicet «existente causa»
etc., et hoc secundum fidem; et dicere quod haberet veritatem in
agentibus per naturam, sed in agentibus per voluntatem non habet
veritatem, quia agentia per voluntatem agunt secundum formam suae
voluntatis. Modo quia in ipso non est novum velle nec intelligere, voluit
ab aeterno quod mundus inciperet de novo esse ab ipso, et ideo de novo
creavit mundum absque aliqua voluntatis suae permutatione (Ibidem,
f.36va)6.
L'intellect
Le problème de l'intellect, problème classique pour l'averroïsme
latin, n'est pas étudié dans le De generatione. Cependant on y trouve, à
6 Boèce de Dacie donne, dans son De aeternitate mundi, l'argument suivant pour
l'éternité du monde: «Item, omnis effectus novus ante se requirit aliquam transmutationem
vel in agente suo, vel in subiecto ex quo fit, vel saltern illam quae est adventus horae in
qua agens, semper uno modo se habens, vult agere; ante mundum nulla potuit esse
transmutatio; ergo mundus non potest esse effectus novus» (Boetius de Dacia, De
aeternitate mundi, éd. G. Sajo, Berlin, 1964, p. 40, 226-230. Il cite ensuite un philosophe
sans le nommer, dont l'idée est la même que celle de Gilles d'Orléans: «Respondebit
aliquis quod immo mundus est factum novum, quia haec fuit forma voluntatis divinae ab
aeterno, ut mundum produceret in hora in qua factus est: ab antiqua enim voluntate
potest procedere effectus novus, et propter hoc non oportet quod contingat aliqua
transmutatio vel in voluntate vel in volente» {Ibidem, 40, 231-239). Ce philosophe est sans
doute son collègue Siger de Brabant, qui avait défendu cette position dans ses Quaestiones
in tertium de anima: cf. B. Bazân, Siger de Brabant. Quaestiones in tertium de anima. De
anima intellectiva. De aeternitate mundi (Philosophes médiévaux, XIII), Louvain, 1972,
pp. 6-7, 65-75. Dans la suite du traité, Boèce rejette, lui aussi, l'éternité du monde.
16 Zdzislaw Kuksewicz
Conclusion
En revenant à la question posée dans le titre de la présente étude,
«Gilles d'Orléans était-il averroïste?», il importe de rappeler d'abord les
20 Zdzislaw Kuksewicz
est due aux lecteurs ou aux possesseurs des codices renfermant les
œuvres des deux théologiens9: on pourrait donc supposer une erreur de
la part de ces lecteurs ou possesseurs. Il faut toutefois admettre que le
témoignage de quatre notes marginales dans quatre codices différents
paraît plutôt digne de confiance.
Une autre possibilité serait que Gilles a rédigé ses Quaestiones super
De anima de telle manière qu'elles permettaient d'hésiter sur ses véritables
opinions. Si, par exemple, plusieurs quaestiones y étaient déterminées
d'après Averroès et si les réponses aux rationes principales de chacune
d'elles étaient suivies d'une section rejetant les preuves avancées
initialement, on a pu considérer Gilles comme un «crypto-averroïste». Une
telle rédaction des quaestiones dans son De anima perdu n'est pas à
exclure puisque, comme nous l'avons vu, le De generatione comporte
une quaestio rédigée exactement de cette manière. Cette manière de
procéder est d'ailleurs connue par quelques textes averroïstes datables
de la fin du xme siècle, donc de peu postérieurs à la condamnation
de 1277. Un commentaire anonyme au De anima (Paris, Bibl. Nat.,
lat. 16609) expose quelques problèmes «difficiles» à l'aide de
quaestiones parallèles portant le même titre, mais proposant des solutions
contradictoires : une quaestio donne la solution averroïste du problème,
l'autre la solution concordant avec la foi. Le commentaire sur Y Éthique
étudié par le P. Gauthier, dont l'incipit est Sicut dicit Tullius, offre
également des thèses averroïstes sur l'intellect ainsi que leur critique10.
La troisième hypothèse serait celle d'une évolution des idées chez
Gilles d'Orléans: il aurait été averroïste à une période de sa vie, et
aurait alors rédigé le De anima perdu que cite Hervé de Nédelec, tandis
qu'à une autre période — celle du De generatione — il ne l'aurait pas
été.
Il n'y a donc pas de réponse univoque à la question posée au début
de la présente étude. Il est certain qu'en rédigeant ses Quaestiones super
De generatione Gilles n'était pas averroïste; mais, pour juger toute
l'œuvre de ce philosophe, des recherches concernant ses autres écrits
sont indispensables. L'édition de son commentaire sur YÉthique sera
9 Cf. Z. Kuksewicz, Un commentaire «averroïste» anonyme sur le Traité de l'âme
d'Aristote, dans Revue philosophique de Louvain, 1964, p. 421-465; idem, De Siger de
Brabant à Jacques de Plaisance, pp. 99-100, 102-105, 109-110.
10 Une édition de YÉthique de Gilles d'Orléans paraîtra dans quelques années par
les soins de J. M. Korolec. Nous voulons aussi faire part aux érudits de nos recherches
concernant un commentaire sur la Physique (ms. Padoue, Antoniana 380), probablement
rédigé par Gilles d'Orléans.
Gilles d'Orléans était-il averroïste? 23
prête sous peu et on pourra voir si l'on y trouve des traces d'aver-
roïsme. Nos recherches sur les différentes rédactions du De generatione
pourront également contribuer à résoudre le problème d'une éventuelle
évolution de Gilles d'Orléans. Mais la contribution la plus importante à
la connaissance de sa pensée serait la découverte de ses Quaestiones
super De anima.
Appendice
Hervé de Nédelec donne, dans le livre II des Sentences (dist. 17,
q. 1), l'information suivante sur une opinion averroïste au sujet de
l'intellect. D'après W. Senko {A la recherche ..., p. 695), cette opinion
est également mentionnée dans le Quodlibet I d'Hervé de Nédelec. Dans
une note marginale du ms. Cracovie, Bibl. Jagell. 743 (f. 24vb), cette
opinion est attribuée à Gilles d'Orléans.
Quantum ad primum sciendum est quod Commentator posuit
animam intellectivam non esse formam corporis et tamen posuit cum
hoc quod homini conveniebat intelligere, et posuit unum intellectum
numéro omnium hominum, et tamen cum hoc secundum eum stabat
quod non oportet quod illud quod intelligit unus, etiam intelligat alius.
Hanc ergo opinionem volunt quidam moderni colorare. Primo
quantum ad hoc quod ipsi volunt ostendere quomodo potuit habere
colorem verbum Commentatoris, scilicet quod intellectus non esset
forma hominum, et tamen homo intelligeret.
Ad cuius evidentiam sciendum quod secundum eos substantia
spiritualis coniungitur per applicationem corpori, non secundum
contactum quantitatis et ab extra sicut corpus coniungitur corpori, sed
interiora corporis pénétrât, ita quod substantia spiritualis simul est cum
corpore cui applicatur.
Secundo sciendum est quod secundum eos formae intentionales,
sicut possunt esse plures numéro in eodem subiecto, ita potest esse una
numéro in pluribus subiectis, dummodo sint simul, quia in pluribus
subiectis distinctis situ non posset esse una forma intentionalis.
Ex istis duobus concludunt tertium, scilicet quod eadem forma
intentionalis potest esse in phantasmate et in intellectu, licet intellectus
non uniatur corpori ut forma, quia potest esse simul cum corpore, ita
quod species quae causatur a sensu, facta in actu, est sicut in subiecto
in phantasmate et in intellectu.
Et ulterius ponunt quod ilia species, prout est in intellectu, elicit
actum intelligendi. Ideo dicunt quod, quia a forma phantasmatis, quae
est etiam forma hominis, elicitur actus intelligendi in intellectu possibili,
ideo vere et proprie attribuitur homini quod intelligat. Et sic colorant
dictum Commentatoris quod scilicet ista possint stare, scilicet quod
intellectus non sit forma hominis, et tamen homo intelligat.
24 Zdzislaw Kuksewicz